1871-lc

161.08

AD B.17/6.15.8

Ms autogr. 6 p. (21 x 13)

De l'abbé Désaire

Nîmes 15 janvier 1871

Bien cher Ami,

Je vous écris sans voir aucune nouvelle un peu importante à vous donner. Tout marche sur le pied que je vous ai décrit, c'est-à-dire d'une manière assez satisfaisante; aussi suis-je toujours très satisfait, et également convaincu qu'au rétablissement de la paix, nos projets pourront s'exécuter sérieusement, pleinement et selon toutes nos vues. Mais, hélas! où allons-nous avec ces événements foudroyants qui se multiplient sans nous laisser entrevoir quand et comment ils auront un terme? Il est inutile de bâ­tir en l'air des projets arrêtés: ceux que nous avons décidés et mûris sont en voie d'exécution par le petit commencement dont je suis ici le témoin; attendons, prions et surtout tenons-nous prêts à marcher quand le moment sera venu.

Vous insistez de nouveau sur votre arrivée au milieu de nous, que vous paraissez toujours vouloir retarder. Comme je vous l'ai dit, mon bon ami, je ne vois pas que votre présence actuelle soit ici d'une rigoureuse nécessité; elle me serait très agréable, parce qu'elle me fournirait votre société et surtout parce qu'elle déciderait peut-être certains sujets à entrer dans notre voie. Puis je ne m'explique pas trop que vous ne saisissiez pas avec empressement le bonheur de vous placer dans une solitude reli­gieuse, où vous pourriez préparer pour vous-même votre doctorat en théologie. Mais aucune de ces raisons ne demande impérieusement votre arrivée sans retard. Votre pays étant ainsi exposé, vos parents désirant légitimement vous avoir auprès d'eux dans des moments si critiques, tout me fait vous dire: attendez encore et continuez à faire le bien là où vous êtes et dans toute la mesure de vos forces.

Toutefois, j'ai été douloureusement peiné par la raison que vous avez invoquée dans votre lettre au P. d'Alzon et dans celle que vous m'avez adressée. Je crois voir là une échappatoire plus qu'un motif vraiment sérieux et déterminant. Vous voulez le consentement du P. Freyd: rien de plus raisonnable ni de plus chrétien, mais avouez­-le: est-ce que le P. Freyd vous refuserait son consentement si vous lui exposiez la per­sistance de votre désir et de votre but? Et d'ailleurs, s'agit-il pour vous de vous atta­cher irréversiblement? Pas plus que pour moi, vous ne feriez en venant qu'affirmer votre dessein et mûrement examiner si sa réalisation est possible avec les éléments que nous trouvons ici. Par conséquent, le P. Freyd ne saurait vous empêcher d'em­ployer si utilement votre temps et de sonder le terrain sur lequel vous désirez bâtir. Reculez donc votre arrivée tant qu'il vous plaira et tant que les événements seront si tristes et si menaçants pour votre pays en particulier, mais n'invoquez plus la raison par vous apportée. Avec ce système, jamais nous ne commencerons rien, et vous pourriez m'inspirer des regrets pour ma détermination et ma venue à Nîmes. Je n'en ai point eu encore, Dieu merci! et je ne pense pas en avoir de si tôt, pourvu que vous ayez la possibilité de me prêter main forte; mais n'allez pas remettre la question sur son premier point de départ1.

Avant la fin du mois, je pense avoir fini la logique (dialectique) pour les élèves du matin. En étudiant la Critique, ils commenceront donc à argumenter. Les consola­tions que je goûte dans cette étude, qui avait été jusqu'ici pour moi un livre scellé à 7 sceaux au moins, sont amplement suffisantes pour me faire résister victorieusement à toutes les distractions, tous les ennuis, tous les découragements qui pourraient me venir en connaissant les revers de notre patrie, les inepties de ceux qui la gouvernent en ce moment et les tristes jours qui sont présagés lors du rétablissement de la paix.

Je suis définitivement aumônier des 40 blessés que le P. d'Alzon a pris a sa charge et qui sont à dix minutes de l'Assomption. J'y ai dit la messe dimanche dernier pour la première fois et tous les jours, après dîner, j'y vais passer une petite heure de re­création. Ils sont doux et simples comme des agneaux et j'espère les rendre pieux comme des séminaristes. Hier, un d'entr'eux est mort; aujourd'hui, j'ai donné l'extrême-onetion à un autre qui ne tardera pas beaucoup d'aller au ciel. Soyez tran­quille, ce petit travail, qui me fait le plus grand bien au cœur, n'apportera aucun obstacle a mon travail intellectuel si je perds deux petites heures le dimanche matin, je saurai facilement les retrouver.

Comme à Rome, nous avons pris quelques jours de vacances au premier de l'an: je m'en suis servi pour aller voir mes parents des Bouches-du-Rhône et pour me reposer un peu le «caput» qui paraissait se fatiguer. Depuis ce temps, tout marche assez bien.

Ayant accepté plusieurs messes en Savoie et d'autres m'ayant été données ici, pourriez-vous, dans le cas où vous n'auriez pas d'honoraires, m'acquitter 20 messes avant le 15 mars, simplement «ad intentionem dantis». Vous me rendriez le plus grand service et je vous en tiendrai compte aux vacances, après lesquelles je soupire beaucoup pour aller enfin à La Capelle.

Vous ai-je dit que Mr Dugas père m'a écrit: Laurent est prisonnier en Prusse, et point de nouvelles de l'abbé, qu'on dit être à Orléans. M. Lemann est parti d'ici gra­vement malade: c'est un chaud partisan de nos idées et il nous sera très dévoue2.

M. …, qui est aumônier volontaire des mobiles de la Loire, m'écrit qu'il redouté plus les crises que nous traverserons au moment du rétablissement de la paix que cel­les qui nous désolent à cette heure.

Je m'étonne quelque peu de votre apparente tranquillité, malgré le désagréable voi­sinage des Prussiens. Vos bons parents partagent-ils votre sérénité? Je pense bien souvent à eux et à vous à l'époque du renouvellement de cette année; j'ai surtout prié comme pour des cœurs qui me sont bien chers. Offrez-leur mes souhaits respectueu­sement affectueux et dites-leur bien qu'aux prochaines vacances j'aurai le bonheur de m'imposer â eux longuement.

Je suis fort ennuyé que l'abbé Bernard n'ait point fait ma commission. Si au moins il se souvenait du numéro et me laissait la possibilité d'écrire au P. Daum à ce sujet, je me hâterais de saisir cette occasion pour causer un peu avec ce bon Père. Voyez un peu, malgré l'ennui de traiter ces bagatelles en ce moment, si je dois absolument me résigner à ne pouvoir pas recouvrer mon dépôt.

Adieu, cher et bon ami, continuons â beaucoup prier l'un pour l'autre et, comme vous le dites, à nous écrire plus souvent. Vous me savez bien occupé, mais je trouve­rai toujours tant d'agrément â venir causer avec vous un instant, qu'une petite demi­-heure sera aisément trouvée.

Croyez à mes sentiments fraternels et dévoués.

Votre ami en J.M.J.

Charles D.

P.S. Un jour, après avoir causé longuement avec le P. d'Alzon, il me raconta com­ment une jeune personne, qui se savait appelée à la vie religieuse, en fut détournée par un jeune abbé de ce diocèse, qui lui avoua être pris d'une grande affection pour elle. Racontez cette histoire au P. Dehon, me dit-il, mais dites-lui que la jeune per­sonne est maintenant postulante. Je ne vois pas d'autre conclusion â ceci que la né­cessité de songer aux dangers du pauvre prêtre séculier.

1 Deux brefs extraits de cette lettre en NHV IX, 8-9

2 Les fils Dugas: Laurent, officier de mobiles, l'abbé Dugas, condisciple de Rome (cf LC 90). L'abbé Lemann connu à Rome (cf LD 151; LC 92).

371.16

AD B.21/3 P.

Ms autogr. 1 p. (21 x 13)

De l'abbé Dours

Soissons le 15 janvier 1871

Monsieur l'Abbé,

Permettez-moi de tenter auprès de vous une démarche que votre piété excusera très certainement.

Le diocèse de Soissons auquel vous appartenez et qui a toute votre affection, a fait depuis quelques mois de nombreuses pertes. Encore un saint prêtre qui vient de s'éteindre à Saint-Gobain dans la force de l'âge. C'est vous dire que bien des paroisses sont sans pasteurs.

Mgr serait donc très heureux d'utiliser votre zèle et vos talents et je vous demande en toute simplicité s'il ne vous serait pas agréable d'accepter un vicariat dans une des villes du diocèse1.

Votre tout dévoué

L'abbé Dours

1 L'abbé Dours, frère de l'évêque de Soissons et vicaire général. L'abbé Dehon s'était en août, puis après la désastre de Sedan, proposé comme aumônier militaire, mais n'avait reçu que des réponses dilatoires (cf NHV VIII, 124-125, où se trouve citée cette lettre). «Je ne pouvais pas accepter, notera le p. Dehon. Je n'avais pas fini mes études à Rome et d'ailleurs je songeais à la vie religieuse».

158.18

AD B.17/6.12.18

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De Mr Demiselle

Soissons le 13 février 1871

Mon cher Abbé,

Je reçois votre bonne lettre et vous en remercie, car nous sommes bien privés en fait de correspondances. Cela durera-t-il encore longtemps? Si la Providence attend que nous ayons profité de la leçon, la fin des malheurs de la France n'est pas près d'arriver. Et puis ne tomberons-nous pas dans des calamités plus grandes encore? Ces divisions en présence de l'ennemi ont de quoi effrayer. C'est visiblement l'enfer qui a réuni toutes ses forces pour perdre la France qui le gêne, parce que, malgré ses prévarications, c'est de son sein que sortent toutes les grandes œuvres qui ont pour objet de ruiner l'empire de Satan. Le Souverain Pontife veut encore compter sur elle, ainsi qu'il le disait à un français qui prenait congé de lui. Hélas, pourtant, qu'elle est coupable, cette pauvre France! Espérons que le sang versé et les souffrances de nos prisonniers lui seront comptés.

Et Rome, avec le fléau de l'inondation: «Singularis ferus depastus est eam». Quelle nouvelle épreuve après tant d'autres! Attendons et prions et tâchons d'obtenir que Dieu daigne l'abréger1.

Je pense bien souvent à La Capelle et aux bons amis que j'y ai laissés. J'offre tous mes compliments affectueux à Mr et Mme Dehon et je suis bien à vous de cœur en N. S.


Demiselle

1 Lettre citée presque entièrement en NHV VIII, 129-130. Citation du Ps 79,14: «Le sanglier sauvage la ravage»: inondation du Tibre en 1871, comme souvent avant les travaux faits depuis. Allusion aux divisions politiques: monarchistes (légitimistes ou o orléanistes), bonapartistes, répu­blicains; divisions sur la question de la guerre ou de la paix: les républicains modérés et les conserva­teurs pour la paix et le retour à l'ordre; ce que reflètent les élections du 8 février: Paris élit des radi­caux, mais l'Assemblée Nationale qui se réunit à Bordeaux, était composée pour plus des deux tiers, de royalistes et de modérés ou conservateurs pour la paix.

161.09

AD B.17/6.15.9

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De l'abbé Désaire

Nîmes 21 février 1871

Bien cher ami,

L'armistice n'a pas, paraît-il, permis à l'administration des postes de fonctionner plus activement: votre lettre a mis 12 longs jours â me parvenir. Fût-elle arrivée beaucoup plus tard encore qu'elle m'aurait été également chère en raison de son con­tenu. Vous voilà donc enfin décidé à venir voir où en sont les choses ici et examiner ce qu'il nous est possible de faire. J'en suis personnellement très heureux, et je m'en réjouis fort pour les conséquences qui pourront résulter de votre démarche. Si donc la paix se signe, venez, mon bon ami: vous conserverez comme moi toute votre liber­té d'action; vous travaillerez ardemment durant ces 5 mois votre doctorat en théolo­gie et vous irez le prendre à Rome, autorisation qui vous sera facilement accordée par les Pères du Collège romain, puisque vos 4 ans ont été faits. Je me permets donc de vous attendre et j'espère bien que la paix une fois conclue, vous ne renverrez pas in­définiment votre voyage.

Tout me fait penser que vous vous trouverez bien ici pour la préparation de votre examen: une bonne petite cellule, une belle bibliothèque, une assez agréable so­ciété et, par-dessus tout, un grand calme, voilà plus qu'il n'en faut pour vivre heu­reux et travailler à l'aise. J'espère donc bien que vous n'aurez pas à vous repentir de votre détermination et que cet éloignement temporaire ne sera point trop pénible à vos bons parents.

Nous continuons à faire de la philosophie tant que nous pouvons. Les élèves du cours du matin ont commencé la Critique et argumentent déjà passablement. Je vis toujours très content et persuadé que je fais la volonté du bon Dieu: d'ailleurs j'avais un véritable besoin de mûrir mes études de Rome, et je pense y arriver par le travail auquel je me soumets ici.

Le P. d'Alzon ne doit point être jugé sur ce que nous l'avons vu être à Rome. Dans son élément ordinaire, il est beaucoup moins ardent, et toutefois aussi actif. Cet homme, gagne beaucoup à être mieux connu: ce n'est pas que personnellement, j'aie des raisons de l'aimer davantage, car il ne semble pas me témoigner constamment l'intérêt que j'aurais attendu de lui, mais il m'apparaît comme un homme de plus en plus sérieux et capable de mener à terme une bonne œuvre, Il a montré dans les der­nières élections, dont il a été l'âme ici et dont le succès entièrement catholique lui est presque uniquement dû, un tact, un savoir-faire qui m'ont pénétré d'admiration pour lui. Je crois voir qu'il est très heureux que ses religieux étudient, mais peut-être voudrait-il que j'endossasse le capuchon sans coup férir: il ne me l'a jamais dit ouver­tement, mais je le comprends.

Or je ne veux rien faire sans vous et sans être sûr de la réussite de nos desseins. C'est pourquoi le tiens à demeurer tout à fait libre de mes actes et de moi-même. Le P. Vincent de Paul nous est arrivé d'Allemagne: on l'a reçu ici avec une cordiali­té triomphale. Ce bon Père mérite bien l'affection dont on l'entoure et les ovations qui lui sont faites, par le dévouement qu'il témoigne, par les agréments qu'offre sa conversation et par sa tendre piétel.

Vous le trouverez probablement ici si vous ne tardez pas trop à venir. Dans un dî­ner que le P. d'Alzon a donné à l'occasion de ce Père, nous avons bu à votre santé, se­lon l'invitation du P. d'Alzon: qu'en sera-t-il donc à votre arrivée!

Adieu, bien cher ami, prions toujours beaucoup et méditons devant Dieu tout ce que nous voulons et tout ce que nous faisons. Je n'ai aucune nouvelle des anciens de Ste-Claire et je ne vis que de la vie d'un rocher, ce qui n'empêche pas que le sois beau­coup, ou plutôt toujours avec vous.

Votre ami affectueux

C. Désaire

1 Le P. Vincent de Paul Bailly: cf LD 155 (note 4).

157.03

AD B.17/6.11.3

Ms autogr. 4 p. (18 x 12)

De l'abbé Adh. de la Ferrière

Au Grand Séminaire de Vannes 22 février (71)

Mon bien cher ami,

Voyez que je suis peu mortifié. Je commence mon carême par une douceur: venir causer avec un homme vénéré et aimé, comme vous savez que je vous vénère et je vous aime. Si je n'avais écouté que mon coeur, je vous aurais écrit depuis longtemps; mais j'ai bien peu de temps à moi et ma correspondance indispensable comme conve­nance me l'absorbe bien vite. Puis j'ai fait une petite absence forcée: on me rappelait dans ma famille pour affaires, et cela m'a mis en retard, en sorte que le temps que j'aurais pu vous consacrer, mon bon ami, s'est trouvé pris.

Mais trêve de préambules. Je me dépêche de vous donner toutes les nouvelles que j'ai de nos chers confrères de Sta-Chiara, de peur que si je me laisse aller d'abord à vous parler des tristesses dont mon âme est remplie, je n'oublie ensuite de vous dire ce qui vous intéresserait plus peut-être.

Rien, ni directement ni indirectement, de notre cher abbé de Dartein. Notre bon petit M. Dugas ne m'a pas donné signe de vie depuis une éternité, mais j'ai eu de ses nouvelles plusieurs fois par son bon père. Dans sa dernière lettre, datée du 27 jan­vier, ce chrétien comme, hélas, il y en a si peu dans le monde, me dit: «Joseph vient de passer par une série de batailles autour de Belfort, les mains dans le sang, les yeux sur les plaies, le coeur dans les angoisses, et je crains que maintenant son corps ne soit coupé et que nous ne soyons longtemps privé de ses nouvelles». Depuis, bien des choses ont dû se passer dans cette partie de notre pauvre pays: l'armistice n'ayant pas été étendu à l'Est, qu'est devenu notre bien cher ami?1. Je ne puis, comme vous sans doute, mon bon ami, qu'espérer que Dieu aura encore conservé à ses amis et à son pays cette belle âme et ce noble coeur. M. Billot est à Lille, infirmier dans une ambu­lance établie dans un palais appartement à l'archevêché de Cambrai. Notre bon M. Lequerre est dans la paroisse où son joyeux ami, l'abbé Lilés, est vicaire et y travaille ferme l'étude du breton, je n'ai eu de nouvelles du P. Dorvan et du jeune Anatole que par Mgr de Poitiers qui m'a dit les avoir près de lui, rien de plus. J'ai su que le P. Eschbach n'était plus à Rome, non plus que le bon Pere supérieur. Ils sont tous deux chez leurs Pères d'Allemagne.

En fait de nouvelles, je ne vois rien de plus à vous dire. Vous savez que MM. Pi­neau (Omer), Bougouin, Le Tallec et Quentin sont toujours à Ste-Claire. M. Abel Pi­neau, qui est resté longtemps à Ste Anne d'Auray, très renfermé en lui-même, vient d'en partir avec une fièvre, sans qu'on sache où il va. J'ai su son départ par M. le Gouëff que je vous ai déjà dit être professeur de philosophie ici, si je ne me trompe.

Depuis que je ne vous ai écrit, mon bien cher ami, plusieurs fois, pour une raison ou pour une autre, j'ai eu à craindre d'être rendu à ma famille à cause du licenciement du séminaire; mais cette extrémité seule pourra me faire quitter ce saint asile, où m'a mené la miséricorde du bon Maître et où sa paternelle bienveillance abrite ma pauvre âme. Mon bien cher ami, plus que jamais, je suis décidé à me consacrer au service de notre divin Seigneur Jésus.

C'est un triste cadeau que je fais â Lui et â l'Eglise de Vannes ou d'ailleurs, s'il plaît au ciel de me donner ailleurs des âmes â sauver; mais c'est tout ce que je puis leur donner, et je le leur offre avec toute l'effusion de mon amour de fils. Mais à côté et malgré cet abandon de tout mon être aux mains de la divine providence, je vous l'avoue, mon bien cher ami, je souffre beaucoup. La vie spirituelle, telle que je la comprends, m'offre des difficultés excessives. Tout ce qui est oraison, entretiens inti­mes avec Dieu, en un mot tout ce qui est le pain quotidien de la pauvre âme humaine ballottée et agitée, ah! que tout cela m'est difficile! Et puis, une autre cause de souf­france qui me torture l'âme, c'est de voir combien les hommes aiment peu et servent mal le bon Dieu.

Il y a une vertu surtout, qui renferme toutes les autres, qui est le résumé fidèle de toute la vie et de la mort de Jésus-Christ et de tous les saints, la charité, oh! comme elle est belle, mais comme elle est rare! Qu'il me serait doux d'avoir près de moi, près de mon âme, pour l'élever vers Dieu et la soutenir près de lui, notre cher et excellent abbé Dugas ou vous, mon bon et bien cher ami. Votre affection et votre vertu m'ai­deraient, mais je vois volontiers tous les sacrifices que Dieu demande â son pauvre enfant, pourvu qu'il lui donne son amour efficace: «Amorem tuum solum mihi dones et nihil ultra posco»2. Mon bien cher ami, je ne vous parle pas de vous, mais dites­-moi ce que vous devenez, comment vous allez et vos projets si vous en avez que vous puissiez et veuillez me dire; je me recommande â vos bonnes prières.

Je supplie le bon Maître d'augmenter toujours en votre chère âme les dons qu'il donne â ses élus; pardonnez-moi de vous parler tant de moi; je sais que votre charité de prêtre et votre coeur d'ami ne m'en voudront pas. Permettez-moi de vous renouve­ler l'assurance de mon profond respect et de mon sincère attachement.

Tout â vous en N. S.

Adh. de la Ferriere

1 L'armistice du 28 janvier avait en effet excepté de la cessation des hostilités l'armée de l'Est. Celle-ci qui n'avait pas été avertie de l'exception, fut brusquement attaquée et dut se réfugier en Suisse.

2 «Donne-moi seulement tou amour et je ne demande bien d'autre».

148.02

AD B.17/6.2.2.

Ms autogr. 5 p. (21 x 13)

De l'abbé Ch. Bernard

Cambrai, le 9 mars 1871

Cher Monsieur,

Votre lettre a mis huit jours à me parvenir; j'ai ensuite tardé un peu à vous répon­dre, espérant toujours que les évènements viendraient éclairer un peu notre situation. Enfin, la paix est faite, nous avons une assemblée constituante qui donne des espé­rances pour la restauration de notre pays; mais elle se trouve en présence de difficul­tés énormes. La plus considérable sans doute est la situation morale de Paris, attestée par le dernier vote. On pense, comme vous le savez, à fixer le siège de l'assemblée en dehors de la capitale; c'est une sage précaution, mais, au fond, c'est tourner la diffi­culté, ce n'est pas la vaincre. La secte révolutionnaire a bien son centre d'action à Pa­ris, mais son esprit est répandu partout, et c'est cet esprit qu'il faut détruire. Les épreuves providentielles par lesquelles notre patrie a passé, ont éclairé bien des intel­ligences, et jamais peut-être la situation n'a été aussi nettement dessinée entre le parti du bien et le parti du mal. La conséquence de cette situation nouvelle, c'est l'immi­nence de la lutte, qui cette fois, il faut l'espérer, sera non seulement heureuse pour le parti du bien, mais décisive1.

En attendant, puisque nous sommes en temps de restauration universelle, il me semble que, nous aussi, nous avons à préparer la rétablissement de notre séminaire français. Nous pouvons peut-être plus que nous ne pensons. Est-ce que le jour où le gouvernement français sera représenté à Rome par un ambassadeur, des sujets fran­çais ne pourront pas habiter dans cette ville une maison française? Avec cela notre Séminaire est reconstitué; car enfin, nous trouverons toujours quelques Jésuites qui consentiront à être nos professeurs. On a parlé de M. de Corcelles comme ambassa­deur ; il est en rapports intimes avec M. Kolb-Bernard; si malheureusement, on en­voyait M. Cochin, il serait encore facile de se faire recommander à lui; on pourrait même intéresser à notre affaire plusieurs des ministres actuels2.

Dans tous les cas, faisons quelque chose; imitons nos confrères du Collège Lom­bard, qui ont fait contre les envahissements piémontais une belle protestation qui a été livrée à la publicité, et avant tout, mettons-nous en relation avec le Père Supé­rieur, avec le Père Brichet et ceux de nos confrères qui ont vaillemment gardé le poste à Rome, avec nos anciens qui sont dispersés de tous les côtés, MM. Dugas, de Quin­cy, Rozerot frères, Bourgeat, etc.

Je serais bien heureux de savoir ce que vous en pensez; écrivez-le-moi, ou mieux, faites-moi le plaisir de venir me le dire à Cambrai; seulement prévenez-moi un peu à l'avance, parce que mon oncle compte recevoir une personne chez lui ces jours-ci.

J'ai reçu une lettre de M. Hautcoeur qui me demande votre adresse; il regrette bien de n'avoir pas connu votre présence à Cambrai au mois d'octobre; peut-être pourrez­-vous le dédommager maintenant; il espère toujours ne pas mourir sans voir l'Univer­sité de Douai retablie3.

Je vois assez l'abbé Billot, qui été ordonné diacre à Cambrai, samedi passé.

Je vous recommande bien de mettre St joseph dans nos intérêts; j'espère que sa bel­le fête de 1° classe apportera quelque grâce signalée à l'Eglise et au St-Père. Maintenant que voilà une affaire en train, comptez sur mon exactitude ponctuelle à vous répondre. J'espère de votre grande indulgence, qui m'est fort connue, que vous ne me demanderez pas un compte rigoureux de mes fautes passées.

Votre ami dévoué en N. S.

Charles Bernard, pr.

1 Cette lettre rend assez bien l'état de l'opinion à l'époque. L'assemblée constituante, élue en février, en majorité monarchiste et conservatrice, mais pour laquelle Paris avait élu une majorité de représen­tants républicains radicaux, se réunit d'abord à Bordeaux, puis s'installa à Versailles, au grand dépit des parisiens. Sensible aussi est le pressentiment d'un affrontement imminent à Paris; ce fut la Com­mune et son écrasement décisif en mai, par le «parti de l'ordre».

2 L'ambassadeur nommé fut Sénart, dont le choix, dit-on, ne fut ni digne, ni heureux (cf LD 167).

3 M. Hautcoeur sollicita plus tard (1875) avec insistance l'abbé Dehon pour des cours à donner à la nouvelle université catholique de Lille. Outre les biographies, voir, du P. Marcel Denis, en Deh. 1976/5 (n. 31): les offres du P. Freyd et celles de M. Hautcoeur (pp. 279-303).

4 Lettre citée en partie en NHV VIII, 136-138.

150.03

AD B.17/6.4.3

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De Mr Bourgeat

Audun-le-Tiche le 17 mars 71

Mon cher ami,

J'ai reçu avant-hier votre lettre du 6 février dernier; je m'empresse de vous donner de mes nouvelles ainsi que vous le désirez. De bien tristes événements se sont passés pour moi en particulier depuis que je n'ai pu vous écrire.

A peine étions-nous bloqués à Metz que ma tante est tombée malade et après trois mois de grandes souffrances, elle nous a quittés le 20 novembre dernier pour aller jouir au ciel d'une vie meilleure. Dix jours après sa mort, nous abandonnions Metz et nous venions nous fixer ici à l'extrême frontière nord-est de la France actuellement. Pendant ce long espace de temps, ma petite santé n'a cessé d'être excellente et depuis mon retour France je n'ai jamais été arrêté. J'espère que cela continuera.

Mr de Dartein, d'après ce que m'a écrit le R. P. Eschbach, était aumônier dans l'ar­mée de Lyon. J'ai reçu deux lettres de ce Père depuis la levée du blocus; il attend en ce moment ma réponse à la deuxième de ses lettres. Je n'ai eu de nouvelles directes que de M. Dumontier, dont une lettre m'est arrivée avant-hier en même temps que la vo­tre, mais avec cette différence que la sienne est datée du 7 décembre 70. Il me dit que dans le mois d'août, il m'a écrit polir m'annoncer son ordination de la prêtrise, mais cette première lettre ne m'est pas parvenue.

Il est donc prêtre et vicaire provisoirement à la cathédrale de Beauvais. M. Polly, me dit-il, est rentré au séminaire de cette ville. Il me demande aussi si j'ai des nouvel­les de vous; dans le petit mot que je vais lui écrire incessamment, je pourrai lui répon­dre affirmativement. Dans deux ou trois jours, le me mettrai en devoir de faire parve­nir de mes nouvelles à M. Dugas; si vous aviez l'occasion de lui écrire après avoir re­çu ces quelques lignes, veuillez lui faire mes plus sincères amitiés.

Il est très probable que je rentrerai au Gd Séminaire de Metz aussitôt que les cours y reprendront, car une partie est occupée par les Prussiens et l'autre achève de se dés­infecter, car elle a servi à loger les officiers blessés de notre pauvre armée de Metz1.

Veuillez me dire au plus tôt si cette missive vous est parvenue: les postes vont se ré­tablir, nous pourrons correspondre plus régulièrement.

Je recommande à vos prières l'abbé Dru, mon cousin, avec lequel j'ai été élevé de­puis l'âge de six ans et qui sera ordonné prêtre le 25 de ce mois.

En attendant que nous ne soyons plus en vacances, adressez vos lettres ainsi: Mr l'abbé Bourgeat, Esch-sur-Alzette, poste restante, Gd. Duché de Luxembourg. De cette façon vous pourrez être certain qu'elles m'arrivent promptement et sûrement. Priez bien pour moi, mon cher ami, et croyez-moi tout vôtre en N.S.

Bourgeat

1 Metz, défendue par Bazaine avait capitulé le 27 octobre, ce qui désorganisa le reste de la campagne dans l'est de la France. Bazaine, qui restait fidèle à l'empereur, espérait rester à la tête de la seule ar­mée régulière, pour rétablir l'ordre et l'ancien empire. Accusé de trahison et condamné à mort (1873), il fut grâcié, mais s'évada bientôt et mourut à Madrid en 1888.

161.10

AD B.17/6.15.10

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Désaire

Nimes, Samedi-Saint, 8 avril 71

Mon bien cher ami,

Votre bonne lettre m'est parvenue avec un incroyable retard, mais elle ne m'a pas moins causé le plus sensible plaisir. Je vois avec bonheur que tout va bien, que nos plans paraissent de jour en jour être plus favorisés du bon Dieu et que nous pourrons réussir à faire quelque bien. Il n'est plus maintenant ici question que d'envoyer l'an prochain quatre nouveaux religieux à Rome et de marcher selon les vues que la Pro­vidence nous paraît avoir tracées. Les lettres satisfaites et gaies que le P. Alexis a adressées au P. d'Alzon et au P. Emmanuel, n'ont pas peu contribué à ce résultat et j'espère de plus en plus que la réalisation ne sera pas difficile.

L'essentiel est désormais d'avoir des sujets nombreux et sérieux. Sous ce rapport encore, le bon Dieu paraît nous ouvrir une voie. La Supérieure des Dames de l'As­somption ayant trouvé le moyen de réaliser quelques milliers de francs chaque année pour l'éducation gratuite d'enfants pauvres se destinant à l'état ecclésiastique, j'ai fait à Mgr Gros des ouvertures pour obtenir la cession d'une ancienne propriété où se trouve un pèlerinage à la Ste Vierge sous le nom de N.D. des Châteaux, où il serait facile d'avoir un alumnat: deux jeunes frères y suffiraient amplement sous la condui­te d'un religieux prêtre. Mgr a accepté de plein cœur et nous a répondu de la manière la plus satisfaisante. Je pars donc aujourd'hui avec le P. Emmanuel pour Moûtiers où l'Evêque nous attend: je serai de retour ici le 14 ou le 15 et, si tout va bien, nous com­mencerions au mois de juillet à l'installation de cette maison. Je vous parlerai plus longuement de cette affaire à mon retour1.

La Revue paraîtra au 1° mai: on m'a imposé d'office de mettre quelque chose sur l'enseignement de la philosophie. Je ne sais vraiment ce que j'y pourrai mettre, mais j'attends le secours de quelque bonne providence humaine2.

Mgr de Metz vient de renvoyer 13 professeurs de ses séminaires, parce que, durant le Concile, ils ont souscrit je ne sais quelle adresse au S. Pontife. Voyez où mène la piété!!! M. Hautcœur, qui écrit cette nouvelle à Mr Gully (?) dit que ces abbés, fort distingués et au nombre desquels se trouve M. Didiot, travailleront peut-être à se réunir: trouveriez-vous mauvais que le P. d'Alzon leur fît part de nos projets? La cho­se est à mûrir et j'attends à ce sujet votre pensée3.

Le P. Picard est toujours à Paris où les affaires ne vont guère, quoique la caisse de l'Archevêché ait été saisie et l'illustre homme coffré: mais les victoires du parti de l'or­dre font renaître la confiance; et tout le monde semble espérer que ces revers nous rendront meilleurs4.

Le P. Emmanuel a été au lit toute cette Semaine Sainte: il a beaucoup souffert, mais son malaise est assez calmé puisque M. Réveil, médecin souverainement pru­dent, lui a permis le voyage. Dites au P. Alexis qu'il n'a pu lui écrire, mais qu'il le fera au plus tôt. Les élèves partent à cette heure pour les vacances de Pâques; nous parti­rons, nous, dans quelques minutes.

Les cérémonies de la Semaine Sainte, auxquelles on fait assister les enfants depuis le 1° «Domine, labia mea aperies» jusqu'au dernier alleluia, m'ont rompu, car j'ai dû faire diacre tout le temps au P. d'Alzon, qui est lui-même assez fatigué. Pardonnez­moi donc le décousu et le sans-gêne de ma lettre.

J'ai reçu pour vous la lettre ci-incluse: quelle voie a-t-elle pris? je l'ignore, car elle ne paraît pas peu en retard.

Adieu, mon bien cher ami, priez beaucoup pour moi; écrivez-moi plus souvent et embrassez le P. Alexis pour moi.

Votre ami en Jésus Charles D.

Ne parlez pas du prospectus que je mets ici, on a stupidement mis: «de l'enseigne­ment ph. que», tandis qu'il fallait «de l'enseign. de la phil. le». Communiquez-le au P. Daum et au P. Alexis.

* Lettre longuement citée en NHV IX, 38-39.

1 L'alumnat fut, en effet, ouvert et Léon Dehon s'y arrêtera à son retour de Rome en août (cf LD 180, 181).

2 La «Revue de l'enseignement chrétien» fondée par le P. d'Alzon.

3 M. Didiot fut un moment sur le point de rejoindre le P. d'Alzon (cf LC 110). Il devint professeur à l'université de Lille, dont il fut doyen de 1877 à 1886 et de 1893 à 1896. Le P. Dehon fut en relation suivie avec lui pour son action sociale et pour sa Congrégation, notamment à propos des «révéla­tions» de Sr Marie de St-Ignace (cf NHV XIII, 83; XIV, 66, 68, 70, 103, 181).

4 Arrêté comme otage en avril, Mgr Darbois fut fusillé par les Communards au cours de la Semaine sanglante (21-27 mai). Mgr Darbois s'était, en effet, «illustré» au Concile par son opposition à la dé­finition de l'infaillibilité. Compte-tenu du tragique de la situation, le ton de l'abbé Désaire peut sem­bler assez déplacé.

163.02

AD B.17/6.17.2

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De l'abbé Dugas

Lyon 12 avril (71)

Mon cher ami, j'ai été aussi charmé que surpris de recevoir votre lettre de Rome. Vous avez dû savoir par le p. Daum que, sans attendre votre exemple et ses encoura­gements, j'étais fort tenté d'aller poursuivre ma théologie. Si je suis moins alerte que vous, ce n'est pas que j'aie pris toutes les habitudes du bon abbé de Dartein à son bienheureux contact, ni que j'aie trop peur de la gueule du loup subalpin: j'ai vu des gueules de canons prussiens plus terribles encore; mon père ne désapprouve nulle­ment mon départ; mais ces jours-ci, mon frère voulait retourner s'engager à Versail­les, j'attendais donc un commencement de solution. Je ne savais pas d'ailleurs exacte­ment où en étaient le séminaire et les cours; puis tous les prudents me disent que c'est folie de rentrer à Rome en ce moment.

C'est pourquoi j'ai écrit au P. Daum pour lever tous ces doutes et scrupules; la ré­ponse n'est pas encore venue, mais enfin votre lettre me servira toujours de pièce justificative.

Donc le compte partir lundi par terre; seulement je voudrais passer par Genève et ainsi je ne serai guère à Rome que jeudi soir ou vendredi matin. J'écris à M. de Quin­cy pour lui demander s'il veut m'accompagner.

M. de Dartein m'a définitivement quitté le dimanche des Rameaux; il retournait

dans son pauvre Strasbourg. Toujours frétillant, tortillant, sautillant, mais quel homme et quel cœur! et jamais en arrière, je vous assure, en fait de courage et de dé­vouement. Souhaitez qu'il nous revienne et dans toutes les joies du Concile.

Je suis sans nouvelles de M. Bourgeat depuis la veille de l'investissement de Metz; j'ai écrit à sa famille, point de réponse; si vous ne savez rien de lui à Ste-Claire, que penser et que craindre? J'ai une lettre assez récente d'Adhémar, mais M. Désaire, que devient-il donc? Pas un mot de lui. Toutes mes amitiés au P. Le Tallec. J'écris à M. Bougouin et le charge de mes commissions pour les autres. A bientôt le bonheur de vous retrouver.

Tout à vous en N. S.

Joseph Dugas

436.10

AD B.21/7a.4

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

LC 105

Ribeauville ce 20 avril 1871

Mon bien cher ami,

J'ai souffert, cela va sans dire de notre dispersion et de l'anxiété dans laquelle j'ai vécu tout cet hiver à cause de toutes mes pauvres brebis dispersées. Et maintenant je languis de me voir si longtemps hors de mon centre et j'avoue que si j'avais pu prévoir une si longue absence de Rome, je n'aurais pas eu le courage de m'en éloigner. Je suis comme un pauvre naufragé qui… voit le port et ne peut l'atteindre. Mon âme revivait en pensant qu'immédiatement après Pâques, je pourrais être à Sta-Chiara. Je comp­tais passer à Paris la semaine dernière et à la fin de celle-ci me trouver soit à Marseil­le, soit au pied du Mont-Cenis. J'ai besoin, avant de rentrer, de voir le P. Général. Lui-même a été arrêté sur sa route vers Paris par la nouvelle des désordres qui règnent dans la capitale. J'espère que sous peu la révolution y sera vaincue et qu'alors, après un très court séjour auprès de mon Supérieur, je pourrai revenir dans mon petit coin et me retrouver dans mon élément.

Vous me parlez de MM. Bernard et Roserot. Quant au 1°, le P. Eschbach m'a écrit qu'il était parti pour Rome. J'ai moi-même écrit à l'abbé Roserot et j'attends sa réponse.

Vous me parlez aussi de vous-même, mon cher ami, et me demandez conseil pour votre avenir. Eh bien! je suis à l'aise pour vous dire maintenant mon sentiment. Vous avez été à Nimes et vous avez vu par vous-même. Il y a plus: le bon abbé De­saire y est et a pu étudier le terrain. Ce que vous dites de lui et de vos propres impres­sions me fait croire que vous pouvez sans imprudence vous engager. Vous le savez, mon trés cher, je me défie des imaginations. Malgré votre calme apparent, votre ima­gination s'enflamme. Mon petit Desaire est ardent et (plein) d'enthousiasme. J'ai donc voulu vous éprouver tous les deux et savoir quel esprit vous inspire. Aujourd'hui que vous connaissez le terrain et que vous sentez encore les mêmes im­pulsions, je vous dirai avec confiance: oui, allez à Nîmes.

Du reste il y a dans la bonne et chère congrégation de l'excellent Père d'Alzon un élément qui est certes un bon pronostic pour sa durée, c'est son grand amour pour le St-Siège, son attachement au roc de l'Eglise. Donc, mon cher ami, si vous sentez vo­tre impulsion pour l'Assomption de Nîmes, allez-y in suo tempore. Je vous y suivrai de ma bénédiction et de mon affection1.

A Dieu, et s'il plaît à son infinie bonté, au revoir à bientôt. En attendant, je suis tout à vous dans les SS. Cœurs de Jésus et de Marie. Priez pour votre dévoué.

En écrivant à vos parents, présentez-leur mes respects.

M. Freyd

1 Tout ce paragraphe est reproduit en NHV IX, 63-64.

186.01

AD B.17/6.39.1

Ms autogr. 2 p. (13 x 10)

De l'abbé Roserot

Nancy le 29 avril 1871

Mon cher ami,

Pardonnez-moi de vous répondre sur ce bout de papier: je crains que ma lettre n'excède le poids. Je suis bien sensible à votre bonne et affectueuse lettre et voudrais bien retourner au plus vite près de vous; mais c'est sur l'avis du R. P. Freyd que je ne suis pas encore parti. Que vous êtes heureux, au milieu de toutes ces calamités, de voir notre bien-aimé Pie IX. Ah! vous en êtes digne, tandis que je ne mérite pas une pareille faveur. Je vous conjure de me donner une large place a votre memento, car je suis toujours bien misérable: croiriez-vous que je n'ai rien fait de travail théologique pendant ces longs mois; ma lambinerie que je déplore beaucoup a produit ce beau ré­sultat. Je vous dis cela pour vous prouver combien vos bonnes prières me sont néces­saires.

Dites bien à M. Bernard que j'envie votre bonheur d'être à Rome et grille de vous rejoindre.

Combien j'ai pensé au St-Père le 12 avril. M. Le Tallec voudra bien vous donner à lire la lettre que je lui écris: vous y verrez le peu que je sais sur nos confrères. Le pau­vre M. Duponchel doit être dans une bien triste situation: son quartier est des plus détestables; et son frère qui est Jésuite au collège de Vaugirard1

A bientôt, cher ami. Je suis tout vôtre aux pieds de Notre-Seigneur.

Paul Roserot

Veuillez présenter mon profond respect aux RR.PP. Daum et Brichet.

1 L'abbé Duponchel était vicaire à Montrouge, un des points chauds, en effet des troubles de la Com­mune (cf NHV IX, 164).

161.11

AD B.17/6.15.11

Ms autogr. 5 p. (21 x 13)

De l'abbé Désaire

Nîmes 1 (mois) de Marie 1871

Mon bien cher ami,

J'ai à vous rendre compte de plusieurs choses et sans autre préambule je commence. Notre voyage en Savoie a été heureux au-delà de tout ce que nous pouvions espé­rer. Mgr Gros nous a reçus avec la bonté que vous lui connaissez: les petites difficul­tés que nous pouvions craindre pour la cession, se sont aplanies sans peine et, après huit jours de marche et de contremarche, nous sommes revenus à Nîmes assez satis­faits. Nous avons rendu compte de notre excursion et l'œuvre a été décidée: le P. d'Alzon lui a consacré sur-le-champ 2.000 Fr pour les réparations urgentes qui sont à faire maintenant, et je pense que tout sera prêt pour commencer au 1° juillet. Des en­fants, bien plus nombreux que nous ne pourrons en recevoir, nous ont été offerts par les prêtres du diocèse: espérons qu'un bien sérieux pourra résulter de cet alumnat. Nous désirerions qu'il fût absolument comme ceux d'Italie, c'est-à-dire que ces petits enfants y prissent la soutane, se soumettent à tous les exercices de la vie religieuse que comporte leur âge, et se préparent, dès leurs plus tendres années, à la vie sacer­dotale. Nous pensons prendre pour commencer 10 ou 12 enfants: deux jeunes reli­gieux, au nombre de ceux que nous ne pouvons songer envoyer à Rome, auront soin de ces petites plantes, et vous verrez qu'il y aura là une bonne pépinière de sujets.

N. D. des Châteaux est une ancienne habitation féodale dont il ne reste plus que trois tours. Une chapelle y avait été conservée, puis restaurée par M. Martinet, qui habita durant 9 ans cette solitude, où il écrivit ses principaux ouvrages. Placée au centre de quatre vallées, sur un monticule faisant face au Mont-Blanc, cette maison sera peut-être bien froide pour la mauvaise saison, mais elle sera délicieuse pour l'été et je vous conjure, mon cher ami, d'y passer à votre retour de Rome, pour voir de quelle utilité elle sera aux futurs professeurs fatigués. Le P. d'Alzon s'y rendra avec mois en juillet pour y passer quelques semaines: je compte bien que vous y viendrez et que vous y organiserez, avec M. Martinet, une nouvelle La Chênaiel.

Les réparations du bâtiment vont commencer le 8 du mois courant: un nouveau voyage de quelques jours m'est indispensable. Je partirai donc d'ici le 7; j'ai arrangé mon travail de telle sorte que mes élèves aient une ample besogne, et je reviendrai le plus tôt possible.

Vous ne sauriez croire quel tracas cette petite œuvre me donne: c'est une suite ininterrompue de lettres, de visites au parloir, de visites avec le P. d'Alzon chez de bonnes douairières, d'assistance à des réunions, etc. etc… Mais, riez-en tant qu'il vous plaira, de bons petits savoyards se feront prêtres et vous verrez si les Lefèvre ou les François de Sales n'auront pas des successeurs2.

En attendant; je fais des listes où j'énumère les assiettes, les plats, les crémaillères, les torchons qu'il faut emporter; j'assiste aux ballots de linge qu'on me confectionne et je m'aide moi-même à faire des caisses. Le P. Emmanuel a pris cette œuvre beau­coup plus à cœur encore que moi; il remontera dans la 2° quinzaine de mai là-haut pour m'y remplacer, et grâce au concours de tous, j'aime à croire que nous viendrons à bout de faire quelque bien. L'ancien domestique de M. Martinet se donne, sans être payé, à cette bonne œuvre. Les pèlerins pieux assez nombreux qui viennent à ce pèlerinage, aideront un peu à faire vivre la petite colonie.

Encore une fois, prions et espérons que ce petit alumnat devienne le vestibule de la maison de Rome. Je ne vous parle pas des petites mesures que nous songeons devoir prendre pour l'admission des enfants, le plan des études, etc. etc.; vous serez près de nous avant que rien n'ait été définitivement arrêté.

Vous me dites assez de ne pas vous demander de lettres; mais comme j'appréhende beaucoup de m'ennuyer avec les ouvriers, écrivez-moi avant le 18 mai à Notre-Dame des Châteaux, Beaufort (Savoie).

M. Didiot a accepté les propositions du P. d'Alzon. Il va venir passer quelque temps à l'Assomption, ainsi que M. Frizon: comme vous le dites, de jeunes prêtres se­ront plus malléables; n'empêchons pas toutefois qu'un petit noyau ne se forme et que la Providence n'exécute ses desseins3. En écrivant au P. d'Alzon pour adhérer chau­dement à son prospectus, le Supérieur du Gd Séminaire de Meaux (qui l'aurait jamais cru?) le conjure d'ouvrir sans retard une maison où des études théologiques puissent être faites et des grades conférés aux jeunes prêtres qui auraient fini leur séminaire. Vous verrez dans le premier n° (de la revue) l'adhésion de Mgr (du Mans?). L'Eve­que d'Annecy a écrit hier avec une sympathie non moins marquée et de plusieurs points des adhésions nous sont déjà venues.

Soyez indulgent pour mon factum: vous savez au milieu de quelle agitation je l'ai fait; je n'ai voulu au commencement que donner quelques considérations sur l'étude de la philosophie, son importance actuelle, son objet et sur la méthode que nous sui­vrons. Le second numéro étant déjà rempli, car les matières ont été beaucoup plus abondantes que nous ne le pensions, je préparerai, pour le mois de juin, quelques li­gnes sur les pensées que votre lettre m'a suggérées.

Demain mardi, le p. d'Alzon se rend à Montpellier, autorisé par Rome comme de­légué de Mgr Plantier, pour exécuter contre Mgr Lecourtier le sentence prononcée dernièrement par la Congrégation des Eveques et Réguliers en faveur d'une petite congrégation de missionnaires. Il m'emmène avec lui pour la rédaction des procès-verbaux. Cette affaire est à la fois pénible et odieuse, mais le St-Père a parlé et il faut obéir. Heureusement, la condamnation trouvera le coupable sans aide et sans amis: espérons que tout se passera le mieux possible, grâce aux ménagements que par ex­ception veut cette fois prendre notre bon Père, fort jusqu'aux dents de toutes les piè­ces qui lui sont parvenues hier au soir. Je pense être de retour jeudi ou vendredi ma­tin, car alors les sommations auront déjà ressorti leur plein effet4.

Subissez au plus tôt votre examen, mon bien cher ami, pour avoir plus de temps à donner au Droit Canon, et venir bientôt. Le P. d'Alzon a sur vous des vues qui m'hu­milient assez, mais qui me réjouissent beaucoup. C'est à vous qu'il veut confier dès les commencements, la petite œuvre d'études qu'il est urgent de commencer sans re­tard, si nous ne voulons pas voir un gouvernement stable nous empêcher de prendre la liberté d'enseignement supérieur, contre laquelle personne ne réclamerait à cette heure.

Adieu, mon cher ami, prions beaucoup et travaillons davantage encore: montrons la plus grande générosité à N. S. et obligeons-Le ainsi à être tout-à-fait généreux à notre égard.

Votre affectueux frère en Jésus

C. Désaire

* Des extraits de cette lettre sont reproduits en NHV IX , 39-41.

1 La Chênaie (ou La Chesnaye), propriété familiale où Lamennais avait réuni quelques-uns de ses di­sciples (dont Lecordaire, Montalembert…) en une sorte de «couvent» d'études supérieures pour ré­pondre au progrès du rationalisme et de l'indifférence religieuse (dans les années 1830), Ce M. Martinet: sans doute un écrivain (prêtre?).

2 Lefèvre (d'Etaples, Jacques) célèbre humaniste du XVI° siècle, philologue et exégète, inspirateur du «groupe de Meaux» pour la réforme catholique. Un moment suspecté de protestantisme, mais finale­ment réhabilité, c'était une âme profondément religieuse.

3 MM. Didiot et Frizon, deux des professeurs de séminaire, démissionnés par l'évêque de Metz (cf LC 103).

4 Mgr Lecourtier évêque de Montpellier avait été un opposant au Concile du Vatican (cf NHV VII, 99).

150.04

AD B.17/6.4.4

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De l'abbé Bourgeat

Grand Séminaire de Metz 8 mai 71

Mon cher ami,

Je commence par avouer ma faute et vous demande pardon de vous avoir laissé si longtemps sans nouvelles. Votre lettre m'est arrivée le 13 du mois dernier, après ma rentrée au Grand Séminaire de Metz. J'avoue que si elle me fût arrivée un jour plus tôt, j'aurais été grandement ébranlé dans ma résolution de venir reprendre le cours de mes études ici. Je croyais, d'après les dires des journaux, que les Jésuites avaient été expulsés du Collège romain et que par conséquent il n'y avait pas de cours. Je croyais aussi le Séminaire français entièrement désert et gardé seulement par le p. Brichet. De loin on se fait facilement illusion.

Enfin, il faut en prendre son parti maintenant: je ne retournerai pas à Rome avant le mois d'octobre prochain. Mais à moins que les événements le défendent absolu­ment, j'espère bien revoir alors Sta-Chiara. Je vous promets que plus d'une fois cha­que jour, le suis avec vous par la pensée, et ce petit père Dugas, qui est encore allé vous rejoindre sans avertir personne et n'en parlant qu'après avoir fait son coup.

D'ailleurs je ne m'ennuie pas ici, vous me connaissez un peu et vous savez déjà que ce n'est pas dans mes habitudes de m'ennuyer.

Et puis, si je perds pour cette année mes amis de Rome, j'ai retrouvé ici mes amis de Metz; je ne sais s'il y a compensation parfaite, mais enfin c'est déjà une consola­tion que de n'être pas seul. Ce fut même une des considérations qui m'ont déterminé à rentrer; si j'avais dû me trouver isolé, j'aurais plutôt attendu en vacances la fin des événements.

Si les Prussiens, Luxembourgeois, Français, Italiens ou autres n'ont pas arrêté la missive que j'ai adressée il y a quelques jours à M. Joseph Dugas, vous avez déjà eu de mes nouvelles par son entremise et il vous aura appris que ma petite santé est tou­jours en bon état.

Je suis persuadé que vous ne doutez pas des efforts que je fais, même en ce mo­ment, pour écrire convenablement. J'ai beau essayer, le ne réussis pas. Pardonnez­-moi mon affreuse écriture et ne m'oubliez pas au Saint Sacrifice de la Messe. Je me re­commande tout spécialement à vos prières.

Tout à vous en J. et M.

Bourgeat

Dites à l'abbé Dugas que j'ai oublié dans ma lettre de lui demander sa photogra­phie; voilà une éternité qu'il me fait attendre après sa chère image et je commence à me lasser d'attendre.

182.01

AD B.17/6.35.1

Ms autogr. 5 p. (21 x 13)

De l'abbé Petit

(Buironfosse le 9 mai 1871)

Mon bien cher ami,

J'attendais votre lettre avec la plus vive impatience, aussi fut-elle la tres bien venue. Une seule fois depuis votre départ je suis allé à La Capelle, ce fut au jour des Calendes1. La réunion fut moins nombreuse que de coutume, plusieurs confrères étaient absents. Je n'y apportais pas beaucoup de gaieté, j'avais le cœur attristé par la maladie de mon père que les médecins disaient être mortelle. Ils donnaient au malade quelques jours de vie, mais Celui qui conduit aux portes du tombeau et en ramène lui a rendu sa santé première; me voilà consolé et reconnaissant.

La visite d'un instituteur que nous reçûmes à la fin du dîner, empêcha Mr le Doyen de nous adresser les communications nombreuses qu'il avait, dit-il, à nous transmet­tre; aussi, après le départ du maître d'école, tomba-t-il vertement sur le dos du bon curé qui avait eu la témérité d'introduire son instituteur dans le sanctuaire réservé aux seuls enfants d'Aaron.

Toujours est-il que nous avons entendu la débâcle, les importantes communica­tions viendront plus tard.

Je me suis empressé, avant le dîner, de rendre visite à Mme votre mère. J'avais ren­contré Mr votre père sur le chemin du Nouvion. Nous avons beaucoup parlé, vous savez de qui! et comme la bouche parle de l'abondance du cœur, de part et d'autre, il y eut un vif échange de communications. Cependant, le jeune Eugène Joly, le sémina­riste de St-Sulpice étant avec moi, je demeurai moins longtemps, je sortis en faisant des reproches à la mère du trop long silence de son fils à mon égard. Le fils a parlé, je retire mes reproches, je rejette toute amertume.

Il faudrait être ici, mon bien cher ami, pour juger des occupations qui m'incom­bent pendant le temps pascal: 13.000 personnes à confesser2, 60 vieillards et mala­des, 250 enfants, etc… Je dois vous l'avouer toutefois, j'ai peu senti ma fatigue, tout mon cœur jubilait au milieu des nombreuses consolations que la bonne Providence a daigné m'accorder pour alléger mon travail.

Bon nombre de brebis errantes sont revenues au bercail et je m'aperçois de la sincé­rité du retour par l'assiduité plus grande aux saints offices. Pour moi les malheurs des temps s'effacent un peu en face des joies spirituelles qui font rayonner mon âme. Toute ma vie est là. Je suis entré dans ma nouvelle paroisse avec le désir le plus ar­dent, le plus absolu que de ne m'occuper uniquement que de la gloire de Dieu et du salut des âmes.

Depuis, c'est la seule pensée qui me guide, je n'en ai pas, je n'en veux jamais avoir d'autre; celle-ci prime, tout ce qui vient après est accessoire; et du moment où je vois se réaliser insensiblement tout le rêve de ma vie entière, mon cœur jubile au milieu des tristesses communes. Ce n'est pas sans doute qu'il n'y ait aussi des amertumes dans le parcours de cette voie, car l'art de gouverner les âmes est de tous le plus diffi­cile à pratiquer; mais comme le Souverain Maître récompense le travail et non le suc­cès, la grande source de ma jouissance est dans le travail accompli. Le succès sans doute ajoute un complément bien doux, mais le bonheur est avant tout dans la con­science du devoir accompli. Aussi le devoir ne me coûte-t-il jamais la moindre peine, je dirai plus, je l'aime d'autant mieux qu'il est plus difficile et par là plus méritoire.

Voilà bien des mots pour vous dire que, pensant beaucoup à vous, je n'ai pas eu le loisir de vous écrire. Ma verbosité vous rappellera un temps qui reviendra, j'espère, où dans l'expansion de notre commune amitié, nous laissions se déverser nos cœurs, comme deux vases dont l'un contiendrait une liqueur nécessaire à l'autre.

Je ne vous parle pas des malheurs des temps, j'ose à peine les envisager. Je ne puis y porter remède, et quand ils sont sur le point de m'attrister, je regarde ma belle étoile et je souris! Après tout, me dis-je, s'ils me prennent la terre, je garde le ciel!

Mes paroissiens ont remercié la Providence qui nous a si bien gardés en offrant quatorze cents francs pour l'ornementation de ma nouvelle église.

Nous ne sommes pas encore entrés dans notre cathédrale; nous subissons les re­tards qu'entraînent nécessairement et la guerre étrangère et la guerre civile. Si vous saviez qu'elle est belle! J'ai hâte de vous la faire voir. Mon buffet d'orgue est placé, tout le monde l'admire, il est superbe! On vient de loin contempler mes magnificen­ces et décidément Buironfosse va se relever dans l'estime générale. Il y a bien encore quelques ombres légères dans ce beau tableau, mais il faut des ombres pour faire res­sortir les points lumineux…

Mr Lecrignier est de nouveau renommé bourgmestre de la commune, grâce à quel­ques concessions qu'il sut faire habilement aux conseillers du Boujon. Au reste, j'avais demandé au bon Dieu, le matin à la Ste Messe, de le maintenir si, pour le bien de tous, il devait en être ainsi. Ne soyez pas surpris si je m'incline, et sans arrière­pensee3.

Je vous remercie des détails que vous voulez bien m'offrir sur le grand Pontife, sur l'attitude de la Ville éternelle et sur ses pensées intimes, sur vous et sur vos projets. J'ai lu tous ces détails avec le plus vif intérêt. Vos projets vont germer et s'épanouir sur cette terre féconde qu'arrosa le sang des martyrs; les fruits mûris au soleil de la charité auront un suc conservateur qui les préservera et en garantira la durée.

Veuillez croire, mon bien cher ami, à l'assurance de ma respectueuse et bien vive affection.

Votre ami tout dévoué en N. S.

C. Petit

Buironfosse le 9 mai 1871.

A bientôt de vos nouvelles, n'est-ce pas? 22 prêtres sont morts dans le diocèse de­puis six mois. Avez-vous recueilli pour moi la bénédiction du St-Père? Notre cher Doyen ne me parle pas plus de vous que de mon église, deux monuments qu'il admire et dont il voudrait jouir seul.

1 Le 1° jour du mois; sans doute jour de réunion du doyenné.

2 Le chiffre (sic!) doit sans doute être 1.300 pour la paroisse, même avec les annexes: aujourd'hui Bui­ronfosse: environ 1.400 h.

3 Le Boujon, hameau dépendant de Buironfosse à 5 km de La Capelle.

433.07

AD B.21/7a.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

Du P. Alzon

Le Vigan, le 15 mai 1871

Cher ami,

Je suis malade, je suis fatigué, mais j'ai fait un fameux voyage et je suis bien heu­reux que le Pape m'ait désigné nommément pour le faire (celui de Montpellier)1. L'abbé Didiot et l'abbé Frizon nous viendraient si le Pape les autorise à quitter leur diocèse. Faites des recrues à Rome. L'Evêque de Nîmes nous encourage. Commen­çons à Nîmes. Du reste, aurions-nous de l'argent pour commencer ailleurs? La que­stion matérielle est un boulet dont il faut tenir compte2.

Je suis convaincu que peu à peu tout ce que vous désirez se fera, mais il faut aller pas à pas. L'abbé Désaire est en ce moment dans son diocèse ou il dépense 2.000 fr que je lui ai donnés à mettre Notre-Dame des Châteaux en état de recevoir des enfants aspirants à la vie sacerdotale et religieuse. Il vous a sans doute raconté son premier voyage. Il fait le second et toujours avec un merveilleux entrain3.

Quant à la maison de Rome, vous savez que je ne demande pas mieux, le p. Em­manuel y mettra tout son argent, mais il faudra aussi en trouver d'autre. Si vous vou­lez y mettre ce dont vous disposez, je ne m'y opposerai certainement pas.

On me dit le P. Freyd de retour. Veuillez lui faire mes plus tendres tendresses. Vous trouverez sous cette enveloppe une lettre pour le cardinal Pitra. Parlez-lui de l'université. Du reste, lisez ma lettre pour lui. Je ne la cachette pas exprès, vous la ca­chetterez après l'avoir lue. Parlez-lui de nos projets. Il les prend tout à fait à cœur. Adieu. Mille fois vôtre en N. S.4.

E. D'Alzon

Tâchez de savoir du C. Pitra si le Pape accorderait ce que désirent MM. Didiot et Frison. Et vous, quand commencerez-vous avec Désaire un simulacre de noviciat? Si nous pouvions être quatre ou cinq, nous irions nous enfermer au Vigan quelques mois, puis vous verrions ce qu'il y aurait de mieux a faire5. Adieu encore.

1 Cf LC 107.

2 Cf LC 107.

3 Cf LC 197.

4 Sur la visite de L. Dehon au cardinal Pitra cf NHV IX, 37.

5 Cette proposition d'un «simulacre de noviciat» ne plaira guère à Léon Dehon: cf sa lettre au P. Freyd en septembre (LD 183).

188.01

AD B.17/6.41.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Vantroys

16 mai 1871

Mon cher Monsieur Dehon,

J'apprends par l'abbé Lequerré votre arrivée à Ste-Claire: un semblable retour m'eût été tres agréable, mais des considérations morales et surtout matérielles s'y op­posent. Vous rappelez-vous mon élégie d'août dernier? Je n'ai pas oublié la diligence si aimable que vous mîtes à me répondre. Vos paroles fraternelles me firent du bien; j'ai conservé pieusement votre lettre et c'est parce que je ne la veux plus seule que je vous écris, indiscrètement peut-être. L'abbé Lequerré me disait très sérieusement, et je vous le rapporte de même, que vos épîtres sont de véritables festins qu'il savoure avec une délicieuse lenteur; il lui faut une double ou triple lecture pour en exprimer tout le suc vivifiant.

Envoyez-moi, je vous prie, de ces chères apocalypses (sic!); j'ai le cœur et le temps de vous étudier, et j'ai toujours préféré le Mentor qui me dit: mon frère, à celui qui me dit: mon fils: il faut avoir une si grande intelligence au service d'un si grand cœur pour être vraiment père. Cette alliance bien rare de 2 perfections, je l'avais trouvée dans l'Evêque de Tulle. Vous savez le bonheur que j'ai eu de vivre 6 mois dans son intimité. Beaucoup ne connaissent de lui que sa parole originale; mais il y a sous ces dehors singuliers et brusques parfois des trésors de bonté que je n'ai jamais rencon­trés ailleurs. Le fait est là! Vous savez qui je suis, il m'a gardé pendant 6 mois, il ne s'est jamais déclaré las, il voulait même me garder encore: j'en conclus rigoureuse­ment que c'est l'homme le plus patient et le plus généreux que la terre ait porté. De­mandez au P. Freyd si mon argument n'est pas irréfutable.

Je conserve les meilleurs souvenirs de Ste-Claire. J'y ai quelquefois souffert de mille petites misères, étroites et ridicules; mais le péché originel en est cause, et si les autres m'ont semblé n'en être pas exempts, je confesse aussi bien sincèrement ne pas consti­tuer une exception au dogme. J'obéis sans doute davantage à un enthousiasme natu­rel plutôt qu'à une piété sérieuse, mais j'aurais voulu parmi nous plus de feu catholi­que. Etions-nous ternes, plats en communauté! il y avait de beaux tisons séparés, mais quelle main assez forte pour former la fascine! Vous êtes plus sage: dites-moi si je me trompe. Je croirais volontiers que ma pensée n'est pas dans le cerveau mais dans la bouche, tant ma langue traduit promptement la moindre idée. Cette vivacité n'est pas toujours du goût de tout le monde, j'ai pu m'en apercevoir; cependant je ne suis presque pas disposé à me corriger.

Voilà bien de l'aigreur; vous voyez que j'ai besoin du miel de vos bonnes lettres. En attendent mon ordination qui n'aura lieu que dans quelques mois, je latinise un bam­bin à 2 heures de Chateaudum: c'est une solitude que vous charmeriez par vos lettres.

Vous me permettez d'en user familièrement avec vous, en me servant du conseil de Mr Pineau pour cette fois! Présentez, je vous prie, mes sentiments respectueux à tous les Pères et mes amitiés à tous ces MM. connus. Bien que M. Pineau ait la même commission, n'hésitez pas à doubler mes amitiés, car je pense souvent à vous tous. Croyez bien, mon cher ami, à ma vive et fraternelle amitié.

A. Vantroys

Je me recommande à vos bonnes prières: un portrait offert porte: «memoriam main semper faciens in orationibus mais…».

Voici mon adresse: Au Rossignol, près Autheuil, par Cloyes-sur Loir, (Eure et Loir).

157.04

AD B.17/6.11.4

Ms autogr. 4 p. (16 x 11)

De l'abbé de la Ferrière

Vannes, ce vendredi 2 juin 1871

Mon cher ami,

Notre excellent M. Dugas vous aura sans doute annoncé comme prochaine une lettre de moi et vous êtes peut-être étonné de ne pas me voir rompre encore le silence prolongé que j'ai gardé à votre endroit. J'espère que vous ne m'en voulez pas. A moins de consacrer tout son temps à des correspondances il est impossible de conser­ver des relations épistolaires suivies. Ne voulant pas vous voler même une partie du temps que vous employez si bien pour Dieu et vos frères, je me suis abstenu de vous écrire, et vraisemblablement, je ne l'aurais pas fait jusqu'à ce que j'aie une raison spé­ciale. Mon ordination à la sainte tonsure en est une, et quoique ce ne soit plus là une nouvelle pour vous, quand vous recevrez ces lignes, je suis heureux d'en profiter pour venir un instant causer avec vous.

Donc demain matin je recevrai la sainte couronne, symbole de celle que porta N. S. en sa douloureuse passion, symbole aussi de celle que je porterai comme prêtre, car le ministère sacerdotal a ses épines nombreuses et bien acérées. Je ne veux pas vous dire les sentiments que me fait éprouvé cette pensée que je vais enfin entrer dans la ste milice.

Vous avez éprouvé plus fortement que je ne les sens moi-même tous ces senti­ments, vous sentirez donc ce que j'ai, mieux que je ne pourrais vous le dire. Quand vous aurez reçu cette lettre, un jour, par exemple le jour du Sacré-Coeur, ayez un pe­tit memento pour moi, afin que cet aimable et divin Coeur m'accorde un peu de la ce­leste charité qu'il donne à ses saints.

Je vous avais parlé des tristesses qui parfois venaient comme de vilains nuages sur mon âme, et vous me disiez: ne viennent-elles pas de vos affections? En toute sincérité, mon cher ami, il y en a qui en viennent peut-être, mais la source principale est le manque d'humilité dans mon âme, défaut qui y laisse subsister l'égoïsme, l'amour-propre, la vanité et toutes ces sortes de choses qui, hélas! ont tant d'empire sur notre pauvre nature.

Vous voilà donc à Rome: vous êtes revenu sous l'égide sainte de ce vieillard si au­guste déjà, et qui a maintenant une auréole de plus. Vous êtes heureux d'être, en ces douloureuses circonstances, le compagnon des malheurs du vénéré Pie IX. Vous avez de plus à Rome des consolations qu'on n'a nulle part ailleurs, et je crois que vous avez moins de tristesses actuelles et présentes que dans bien de nos villes de France. Que va devenir Paris? Doit-on encore le plaindre après les abominations qui s'y sont passées? Car enfin l'on dit maintenant que la population acclame l'armée. Je le veux bien: cependant si la population ne l'avait pas laissée agir à sa guise, qu'aurait pu fai­re la Commune?

Les Tuileries, ce monument dont l'orgueil du malheureux et lâche N. III (Napo­léon III) était si fier, les voilà détruites. Que de cendres et de ruines. Mais j'ai ferme espoir que ces désastres matériels seront le signal d'une résurrection morale et sociale magnifique. On a vu ce qu'était l'Etat sans l'Eglise, les hommes sans Dieu, les princes sans le Pape, et le catholicisme reverdira sur ce vieux tronc franc dont les branches pourries seront coupées.

Mais je me laisse entraîner… Pardon. Je n'ai rien, absolument rien su de M. de Va­reilles. J'en aurai peut-être indirectement des nouvelles, d'ici quelque temps: je les en­verrai à M. Dugas. Dites mes respectueux et bons souvenirs aux RR. Pères et à ceux de ces messieurs qui veulent bien se souvenir de moi. Et vous-même, malgré mon si­lence épistolaire, comptez sur mon très respectueux et reconnaissant dévouement.

Votre très humble ami en N. S.

S. Adh. de la Ferrière

155.01

AD B.17/6.9.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé de Dartein

Strasbourg le 9 juin 1871

Mon bien cher ami,

Il faut que le ne doute guère de votre bonne amitié pour vous laisser ainsi près d'un an sans nouvelles. Et encore quelle année! Ah! si le vous ai peiné par ce silence; je vous en demande pardon; mais pardonnez-moi, car je n'ai certainement pas eu l'intention de vous attrister, et je ne vous ai pas davantage oublié. Je n'ai écrit â personne depuis tous ces désastres; je me suis contenté d'envoyer à ma mère quelques rares bulletins de santé, pendant notre triste campagne; et d'ailleurs, comment des lettres auraient-elles pu vous arriver (si même nous avions pu écrire)? Nous étions nous-mêmes sans nouvelles des pays occupés. Ah! passons l'éponge sur ce vilain hiver, et pardonnez à un malheureux prussien s'il est comme hébété de l'honneur d'être allemand.

A peine rentré à Strasbourg, j'ai été attaché (provisoirement, du reste) à notre respectable Evêque, pour l'accompagner en qualité de secrétaire, dans sa tournée de confirmation. Cela me laisse juste assez de loisirs pour beaucoup penser à mes amis, mais pas assez pour le leur dire.

Enfin, le départ de mon plus jeune frère (Henri) est une occasion solennelle, trop solennelle pour ne pas prendre la plume bon gré, mal gré (et c'est de grand coeur, le vous assure). Donc le vous présente Monsieur mon frère, ou plutôt j'espère que notre ami Dugas se chargera de la commission, et au besoin, je l'en requiers. Vous êtes instamment prié de lui former un conseil de régence, vous, M. Dugas et tous les véné­rables vétérans de Ste-Claire, afin que ce brave garçon ne perde pas son temps, mais emploie aussi utilement que possible les trop rares journées qu'il aura le bonheur de passer au milieu de vous.

Dispensez-moi de vous dire que je voudrais bien me cacher dans son sac de nuit. Je vous remercie d'avance de tout ce que vous ferez pour ce cher petit frère, et ma vanité fraternelle me fait croire que vous n'aurez pas lieu de vous en plaindre. Je me réjouis d'avance aussi de tout le plaisir qu'il va éprouver, et spécialement du plaisir qu'il aura de faire votre bonne connaissance. Je me réjouis de toutes les nouvelles qu'il va me rapporter de Rome, et de cette belle journée du 16 en particulier1. J'espère bien que vous ne me tiendrez pas rigueur et que mon facteur reviendra à son tour chargé de lettres pour moi. Dites-moi, je vous prie, cher ami, ce que vous faites, ce que vous devenez; car rien de ce qui vous concerne ne laissera jamais indifférent vo­tre ami vraiment tout dévoué.

Gustave de Dartein

Veuillez vous charger de mes meilleures amitiés pour tous les illustres débris de l'il­lustrissimo Corpo.

1 Célébration des 25 ans de l'élection et du couronnement de Pie IX; cf NHV IX, 25-26: larges extraits de LD 176.

158.19

AD B.17/6.12.19

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De Mr Demiselle

Soissons 12 juin 1871

Bien cher Abbé,

J'ai été très étonné de vous savoir à Rome. C'est à Marle, où je prêchais un bout de Carême, que je l'ai appris. Je n'espérais guère qu'on pût cette année faire des études à Rome. Hélas! combien je pense à cette pauvre Rome, où je devais retourner pour les fêtes de la 25° année! D'où viendra le salut pour Rome? Pie IX ne l'attend que de la France, et la France ne sera sauvée que quand elle aura repris son rôle de chevalier ar­mé de l'Eglise Romaine. Son sort est intimement lié à celui de Rome: que l'on com­prend peu cela en France, surtout dans nos contrées!

Je suis depuis 15 jours en mission pour préparation de 1° communions: le Sémi­naire de Liesse, Sissonne, Marchais, Villers-Cotterets. Je pars après-demain pour Veslud, près Laon, puis l'Institution St-Charles de Chauny. Partout je parle de la France et du Pape, tout en me demandant ce que feront mes paroles sur ces popula­tions. On entend des réflexions étranges: Dieu ne se mêle pas de ces sortes de choses. Et ce sont de braves gens qui parlent ainsi: pauvre peuple, pauvre pays! J'aime à pen­ser qu'il est en France des contrées où l'on a des idées plus saines; sans cela il faudrait désespérer de l'avenir.

Vous continuez vos études, vous êtes heureux: c'est une trêve aux préoccupations qui nous obsèdent malgré nous. Depuis 15 jours, pendant lesquels j'ai donné 54 in­structions ou allocutions, j'ai été heureux aussi de n'avoir plus le temps de rêver sur tout ce qui se passe.

Vos projets me paraissent beaux et je vois avec satisfaction que vous trouvez dans la congrégation de Mr d'Alzon le moyen de les mettre à exécution. Mais quel avenir nous est réservé? Qui pourrait le dire? Dans tous les cas, il vous sera plus facile de réaliser vos vues dans une congrégation déjà formée que d'en créer une nouvelle. Que n'ai-je quelques vingt ans de moins, je serais heureux d'appartenir à une congréga­tion s'occupant d'études et d'enseignement. Fixé désormais pour le reste de ma car­rière, je tâche d'utiliser les loisirs du canonicat, en rendant service à mes confrères dans les circonstances les plus intéressantes du ministère paroissial.

J'ai vu à Liesse les jeunes Devenge et Mercier de La Capelle. Ils n'ont rien de sail­lant dans l'intelligence. On est satisfait de leur conduite.

Je ne sais quand j'irai à La Capelle. J'attends toujours la bénédiction de l'église de Buironfosse. Je ne sais encore quand elle aura lieu.

Nous sommes toujours occupés par les prussiens. Je n'ai pas encore cessé d'en avoir chez moi depuis le 16 octobre dernier. Quand cela prendra-t-il fin?

Offrez mes respects affectueux à Mr le Supérieur. Ma sœur vous envoie ses meil­leurs sentiments et moi, je suis bien à vous de cœur en N. S.

Demiselle

Mon souvenir à M. Desaire, s'il est encore près de vous.

433.08

AD B.21/7a.1

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

Du P. d'Alzon

Le Vigan 13 juin 1871

Mon cher ami,

Vous n'aurez qu'un tout petit mot pour vous dire que j'ai été non pas malade mais tres souffrant. Je me croyais guéri; je ne le suis pas encore.

Voilà que le bon Dieu prend les hôtes du Séminaire français: le bon Evêque de Ro­dez a paru devant Dieu. J'aurais cru que le premier à partir serait ou l'Evêque de Nîmes ou celui de Blois ou celui de Meaux. Que restera-t-il de ce séjour? Veuillot en parle aujourd'hui et le Père Daum doit être content.

Je prie tous les jours tant que je puis, je dis des messes, je récite des masses de cha­pelets, pour que Dieu mène les choses à sa façon qui est la bonne.

L'abbé Desaire est toujours à sa Notre-Dame des Châteaux. Il y attend le p. Em­manuel qui n'y va pas, attendu que le P. Em. attend que je rentre à Nîmes. Pourtant j'y serai sous peu et alors le P. Em. partira et l'abbé Desaire reviendra; mais en ce moment, je ne vaux pas la corde pour me pendre… vous, jeune homme, vous ne comprenez pas ces choses: vous n'êtes jamais malade… Allez, cela viendra.

J'ai eu un moment l'envie de me joindre à l'Evêque de Nevers, puis j'ai vu que j'avais manqué l'occasion.

(… une ligne indéchiffrable…). Je vois que j'y perds cinq ou six mille francs. Ne le dites pas au P. Brichet qui se moquerait de moi.

On dit que les poignards commencent à jouer â Rome, est-ce vrai?

Donnez-moi par vous ou le Père Alexis quelques détails sur la fête du 25° anniver­saire.

Adieu. J'ai un gros mal de tête. Je vous embrasse bien tendrement, mais je m'arrête.

M. d'Alzon

L'abbé Frizon voudrait toujours qu'on lui dît quelque chose du côté de Rome.

* En NHV IX, 42, et P. Dehon mentionne cette lettre: «Le 13 juin, mêmes encouragements» (que dans la lettre du 15 mai). On ne voit guère d'encouragements dans ce texte; apparemment, il a renoncé à redéchiffrer cette lettre en rédigeant ses «notes».

182.02

AD B.17/6.35.2

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Petit

(Buironfosse le 5 juillet 1871

Monsieur et bien cher ami,

Après une matinée absorbée par des courses et des règlements de compte, le repos m'était nécessaire. Le repos pour moi, c'est un séjour plus ou moins prolongé dans la forêt aux chênes élancés, aux verdoyants feuillages, aux fleurs variées, aux oiseaux enchanteurs, aux ruisseaux limpides, aux abeilles bourdonnantes, aux insectes étin­celants de mille couleurs.

Ce repos, je l'ai goûté, je vous écris au retour: c'est dire que je me repose encore. J'ai découvert au dernier automne une promenade aux larges allées - solitaires bien ombragées, à proximité de ma maison. Rien de séduisant comme cette solitude dans laquelle la bonne Providence a prodigué toutes les richesses de la nature. Au fur et à mesure que je m'y enfonce, je sens graduellement le calme qui se fait plus pro­fond dans mon âme. Mais il me semble que jamais mieux que cet après-midi, je n'ai lu dans le grand et beau livre de la nature, je n'ai vu le doigt de la Providence éveillant des merveilles sans nombre pour m'y faire admirer et aimer le Dieu qui les fait éclore et s'épanouir!

Dans un rond-point verdoyant émaillé de mille fleurs et qui donne accès à sept al­lées ombragées, je m'étendis sur un lit de gazon bien fourré. La Providence y a dé­ployé tant de trésors que, en enfant gâté, je courbai l'herbe épaisse, j'écrasai les fleurs sous le poids de mon corps. Comme les petits oiseaux chantaient bien dans le forêt! Et c'est pour moi seul qu'ils chantaient, nul autre ne les entendait, ou mieux ne les écoutait. Que les fleurs étaient jolies! pour moi seul aussi elles entrouvraient leurs beaux calices.

Que les petits insectes étaient brillants! pour moi seul ils jetaient tant d'éclat. Ils étaient bien hardis, ils s'élevaient jusqu'à la hauteur de mon visage; du reste, qu'avaient-ils à craindre? Aurais-je pu les priver de la vie, leur unique bien? Que l'harmonie de l'ensemble avait d'attrait pour mon cœur; car le vert feuillage, le vent léger qui courbait la tête des hautes herbes, les arbres qui inclinaient lentement la souple et sévère majesté de leurs troncs, tout apportait sa part de beauté à l'harmonie générale.

Je fus tiré de ma rêverie par un vieillard chargé d'un lourd fagot, qui suivait d'un pas lent et uniforme l'une des fraîches et verdoyantes allées. Il ajoutait à la poésie du tableau, mais il n'était guère poète. Il s'approcha de moi, me dit que la religion était altérée et faussée depuis que certaines fêtes ne se célèbrent plus dans la semaine. Je voulus le convaincre du contraire, mais telles étaient les bornes de son intelligence qu'elle n'était accessible à aucun raisonnement. J'essayai d'arrêter son regard sur la beauté de la nature; ce fut en vain. Les fleurs brillaient, les oiseaux chantaient pour moi seul!… J'envoyai à Dieu le sentiment de ma reconnaissance.

Reprenant l'allée verdoyante qui me ramenait au bercail, une couleuvre, grosse mais inoffensive, se mit à fuir devant moi; ma présence lui avait tourné la tête, elle se jetait dans le danger en voulant l'éviter, elle n'implorait pas la vie, mais rageait folle­ment: en face de son orgueil impuissant et au souvenir du péché d'origine, je lui broyai la tête, et puis le regret de l'avoir privée de l'existence troubla un instant ma promenade.

D'autres vies plus radieuses (car Dieu a semé partout la vie et le bonheur de vivre) me firent oublier bientôt celle qui venait de s'éteindre! Je me retrouvai de nouveau au milieu des hommes mes semblables. La transition eût été trop brusque, il me fallait passer par vous en qui je retrouve et les merveilles de la nature et les merveilles de l'art. Cette promenade, nous la ferons ensemble et sa poésie sera doublée par le char­me de votre présence.

Permettez-moi de ne vous rien dire de la politique! Je crois le gouffre toujours béant; je ne ferme pas les yeux, mais j'en détourne le regard.

J'assistai jeudi dernier à l'enterrement de Mme Robert et le rends grâce à Dieu d'avoir sauvé Mr le Doyen d'un bien mauvais pas. Aucun raisonnement n'avait été capable de lui faire accepter la présence du corps pendant la messe de St Pierre et St Paul. La famille était courroucée, et justement. Enfin, je pus le convaincre que la messe devait être celle du jour, mais que le corps pouvait être présent. La famille fut bien heureuse de ce revirement.

J'ai causé assez longuement avec Mr votre père, il y a dans ce cœur, pour vous, une tendresse toute maternelle.

On m'assurait hier que Mr Demiselle est tombé en paralysie. Je ne puis y croire, car une lettre, que je recevais ce matin de Soissons, ne m'en parle pas.

Mon père est toujours souffrant et s'achemine, je le crains, vers une fin trop prochaine. Ma belle église fait mon souci, mon charme, mon admiration! Des peintres de Douai la décorent en ce moment.

La Providence m'a mis sous la main un très habile artiste pour toucher mon bel or­gue; il m'arrive dans deux semaines et nous sommes convenus qu'il jouera chaque jour, et que pendant la messe basse il versera sur moi des flots de douce et pieuse har­monie! Toutes ces jouissances toutefois ne me seront pas réservées. Avant deux mois, j'attends votre retour et il me faut encore ce temps pour l'achèvement des tra­vaux. J'aurai mérité de jouir, car ce n'est pas sans peine que je pourvois mon église de toute sa magnificence. Quoique je me charge de tout, ou plutôt parce que je me char­ge de tout, je rencontre dans mon maire un homme qui voudrait s'opposer à tout. 11 est heureusement seul de son avis et je passe outre. J'agis quand même; je ne deman­de rien à personne, mais on m'aide beaucoup. Dans deux mois, rien ne manquera â ma petite cathédrale. Aussi le seul reproche qu'on m'adresse, c'est de faire trop bien les choses, et je réponds avec le grand roi que ce n'est pas aux hommes, c'est au grand Dieu du Ciel que je prépare une demeure!

Merci de votre bonne fraternelle lettre. Ecrivez-moi plus souvent et plus affectueu­sement.

Recevez, bien cher ami, l'assurance de ma bien vive et très sincère amitié.

C. Petit

Buironfosse le 5 juillet 1871.

161.12

AD B.17/6.16.12

Ms autogr. 6 p. (21 x 13)

De l'abbé Désaire

Le Vigan 7 juillet 1871

Mon bien cher ami,

Vous ne devez pas vous plaindre que mes lettres trop fréquentes vous distraient de vos examens. Je deviens en effet chaque plus négligent pour tout ce qui concerne ma pauvre petite correspondance. C'est que jusqu'au commencement de ce mois, je suis resté en Savoie, occupé sans interruption à la préparation de cette petite œuvre qui donnera des prêtres nombreux et pieux. Les bâtiments sont à peu près terminés et durant ces vacances, nous allons y séjourner quatre ou cinq prêtres, J'y serai de nou­veau vers le 15 juillet, car le voyage que j'ai fait à Nîmes, n'avait plus d'autres buts que de terminer mes cours de controverse et de venir chercher les objets nécessaires à l'installation. Comme le P. Alexis nous écrit que votre dessin est de revenir par terre, ne pourriez-vous pas me venir voir dans cette pieuse et fraîche solitude, encore tout embaumée des prières et des vertus de M. Martinet, qui y a vécu plus de 15 ans et qui a composé là ses principaux ouvrages.

Vraiment vous pourriez bien vous y arrêter: pour cela, prenez votre billet pour la gare de Chamousset, après S. Michel; là vous prendrez la voiture pour Albertville où vous demanderez l'abbé Desaire à N. Dame des Châteaux, Beaufort. Je serai seul avec un domestique, et nous pourrons causer de toutes les choses dont j'ai le plus grand besoin de vous entretenir. Je serai aux Châteaux le 15 courant; écrivez-moi et je viendrai vous prendre.

Ayant donné tout mon temps à l'œuvre des Châteaux, je n'ai pu continuer dans la Revue mes articles que la philosophie, mais je les reprendrai pour le mois de septem­bre au plus tard et, dès lors, je pense ne plus les interrompre.

Le P. d'Alzon poursuit son but avec une constance et une énergie que je ne m'atten­dais pas à trouver en lui d'une manière aussi soutenue. Il arrivera certainement à avoir le grand séminaire, à la tête duquel je sais qu'il désirerait beaucoup vous placer. C'est le projet qu'il a déjà plusieurs fois exposé en public. Il pense envoyer plusieurs sujets au Séminaire français, si les cours peuvent reprendre. De la Savoie deux voca­tion lui sont venues: l'une est d'un jeune prêtre qui a été quelques années vicaire et l'autre d'un jeune homme qui venait de terminer ses études de philosophie.

C'est pour les amener que je suis venu au Vigan d'où je vous écris. Le Vigan est un pays délicieux, où le P. d'Alzon occupe, par l'étendue de ses propriétés et par son influen­ce morale, la place d'un seigneur féodal. Le château, où il est ne et qui est le noviciat, est magnifiquement bâti, ayant de magnifiques promenades ombragées, pouvant en un mot servir admirablement de maison d'études. Je n'y séjournerai pas plus de 24 heures cette fois, mais volontiers je m'y fixerais si c'était la volonté du bon Dieu.

Les jeunes novices (environ 20) me paraissent animés d'un très bon esprit et sus­ceptibles de beaucoup servir les œuvres que nous désirons entreprendre. Quand vous aurez vu tout cela vos hésitations cesseront, je le crois, et vous ne tarderez plus à apporter votre pierre à l'œuvre. La décision du P. Freyd, telle que vous me l'avez communiquée, m'a rempli de joie et m'a fait à moi-même le plus grand bien.

Si après cela vous hésitez encore, vous me permettrez de croire que vous calculez un peu humainement et que les désirs des dignités ne vous sont pas tout à fait étran­gers.

Enfin, c'est votre affaire: il me semble pour ma part que Dieu me veut parfaite­ment ici; je vais encore en exposer les motifs au bon P. Freyd, j'attendrai sa décision et j'enfilerai le capuchon, en dépit de toutes les répugnances (de goût) que cet habit m'inspire. Il y a, en effet, dans cette petite communauté tout ce que nous pouvons dé­sirer pour arriver, en transformant ses éléments, à faire nos œuvres.

La Revue prend assez bien: le premier numéro va être tiré de nouveau à 700 exem­plaires, et celui d'août, qui contiendra le discours du P. d'Alzon, à 4.000. C'est l'arti­cle de la Ligue cath. qui a trouvé le plus de sympathie; mes misérables lignes n'ont pas été non plus trop mal accueillies, si ce n'est par M. Pottier, qui, au milieu d'éloges immérités, me reproche vivement d'avoir appelé sœurs la théologie et la philosophie. Toutefois, il reconnaît que j'établis suffisamment la priorité de la première.

Vous devez être bien peu rassuré si les nouvelles qui nous viennent de Rome sont véritables. Aussi me semble-t-il que Dieu vous fait une grande grâce en vous donnant assez de santé pour terminer cette année vos études. Vous vous reposerez bien aux Châteaux, où le Frère convers vous soignera comme vous le méritez et où l'air sec du Mont-Blanc vous rendra vite les forces que vous aurez perdues au travail…

Avant de partir hier, j'ai reçu du P. Daum une excellente lettre. Je ne puis lui ré­pondre aujourd'hui, mais saluez-le bien et surtout offrez au P. Supérieur mes respects les plus tendrement affectueux. Si je n'avais pas à m'occuper de tous les détails maté­riels de cette installation de l'œuvre de la Savoie, je lui écrirais sans retard; mais je préfère lui écrire durant une retraite que je ferai bientôt.

Adieu, saluez bien aussi le bon abbé Dugas, auquel je ne réponds pas encore au­jourd'hui, mais que j'aime toujours beaucoup.

Votre ami et votre frère en Jésus

C. Desaire

P.S. Et mes reliques, mon cher ami?

Voici une commission dont je vous conjure de vous charger pour une pauvre église de la Savoie. Si vous ne pouviez la faire entièrement, faites envoyer le bref à M. le Curé du Villard de Beaufort (Savoie). Il s'agit du privilège suivant: «Altare quotidie privilegiatum pro defunctis, a Petro vocatum, favore ecclesiae parochialis vulgo dic­tae. Villard de Beaufort, dioceseos Tarentasiensis.1

Mille choses affectueuses au P. Alexis.

1 Autel priviliége pour les défunts, sour le nom de S. Pierre, en faveur de l'église paroisiale dite de Villard de Beaufort, diocèse de Tarentaise.

160.05

AD B.17/6.4.5

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De l'abbé Bourgeat

Metz ce 16 juillet 1871

Bien cher ami,

Est-ce à Rome que ma lettre vous trouvera? je l'ignore, il doit commencer à faire bien chaud là-bas. Depuis quelques jours seulement ici les chaleurs se font sentir: jusqu'à présent, il pleuvait presque continuellement. Je hasarde toutefois de vous ex­pédier cette lettre à Rome; comme c'est votre dernière année, d'après ce que vous di­siez dans votre dernière lettre, peut-être prolongerez-vous un peu votre séjour.

J'ai reçu avant-hier une lettre du R. P. Supérieur, m'annonçant que vous aviez pas­sé votre doctorat ainsi que Mr Bougouin. Je vous envoie donc mes félicitations les plus sincères. Quand en serai-je là?

Le séjour de Rome doit être bien triste en ce moment: il doit ressembler au séjour de Metz avec la garnison prussienne qui l'occupe. Et le plus triste, c'est qu'on ne sau­rait encore prévoir la fin de tous ces maux. J'espère cependant, et je ne puis m'ôter de l'esprit, que Pie IX verra le triomphe de l'Eglise et règnera de nouveau paisiblement dans Rome; mais sera-ce cette année, cela me parait peu probable. La France se divi­se de plus en plus. La réorganisation s'opère lentement et nous serons encore plus d'une année à reprendre notre rang en Europe.

Nos vacances s'ouvrent ici le 16 du mois prochain; ne passerez-vous pas à Metz en vous rendant à La Capelle. Je ne sais si j'aurai le temps de pousser jusque-là ces vacances-ci. Je le désirerais bien vivement, car il me semble qu'il y a bien longtemps que je ne vous ai vu. Cependant je ne puis promettre que la bonne volonté: vous sa­vez d'ailleurs qu'elle ne me manque pas.

Quoi qu'il en soit, il faudra bien que nous arrivions à nous rencontrer là ou ail­leurs. Je suis toujours dans une grande perplexité sur l'endroit où je passerai l'année prochaine. J'attendrai jusqu'à la fin de septembre pour prendre une résolution défini­tive.

Je n'ai pas grandes nouvelles à vous apprendre; notre vie, plus qu'à Rome, est mo­notone et n'aurait rien qui plût vous intéresser. Je me suis lancé à force dans l'étude de la langue allemande et je commence à y faire quelques progrès. Avec de la patience, je finirai par pouvoir lutter avantageusement au moins avec le P. Le Tallec, qui m'ac­cusait dans sa lettre d'ignorer complètement la langue de ma nouvelle patrie (qui, en­tre parenthèses, n'est pas la mienne, car je reste français).

Au revoir le plus tôt possible, j'attends de vos nouvelles sous peu. Priez toujours beaucoup pour moi, j'en ai bien besoin, je vous assure, et demandez qu'à Noël je puisse faire un bon sous-diacre.

Tout à vous en J. et M.

Bourgeat

433.09

AD B.21 /7a.1

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

Du P. d'Alzon

Le Vigan 4 août 71

Mon bien cher ami,

Que Dieu soit béni de m'envoyer un aide tel que vous! Je cherche en ce moment un moyen de faire faire un noviciat à quelques personnes que je voudrais grouper plus particulièrement près de moi. Il faudrait une nouvelle (?) maison qui exigerait seule­ment quelques milliers de francs, non pas à dépenser, mais â avancer. Mais peut-être cela pourra-t-il se trouver.

Mon discours de la distribution des prix vous dira que nous poursuivons notre idée toujours plus fortement au sujet de l'université. L'Evèque de Nîmes, malade, m'a chargé de dire expressément qu'il s'associait à toutes nos idées.

Je suis un peu fatigué aujourd'hui, vous pouvez en juger à ma plus grande illisibili­té. Mais écrivez-moi et croyez que je compte sur vous avec la plus grande joie.

E. d'Alzon

Si vous avez occasion de voir MM. Didiot et Frizon, parlez-leur de nos projets.

155.02

AD B.17/6.9.2

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé de Dartein

Mülhausen, le 17 août 71

Mon bien cher Docteur,

in utroque… et in quocumque, recevez, je vous prie, mes plus sincères félicitations sur vos innombrables doctorats; et mes excuses pour mon trop long silence. Mon intérim vient seulement de cesser, et je me suis installé pour quelques jours à la campagne chez ma soeur, Mme de Gail, en attendant que l'on décide de mon sort.

Je n'ai guère été occupé pendant que je faisais mes fonctions de Secrétaire, et pourtant je ne trouvais jamais le temps de reprendre ma correspondance d'agrément. Je désirais d'ailleurs revoir mon frère Henri, avant de vous remercier encore tous de sa part pour l'accueil si aimable qu'il a trouvé auprès de mes chers amis de Ste-Claire. Et je ne l'ai revu qu'il y a une dizaine de jours. Mais vous me tenez pour justifié, n'est-ce pas? et vous me dispensez de barbouiller encore une ou deux pages pour chercher à me disculper.

Donc vous voilà de retour au milieu des chers vôtres, après de nouveaux travaux, de nouvelles fatigues et de nouveaux succès; en vacances définitives! Et vous n'avez pas voulu traverser notre pauvre Alsace! J'aurais dù vous le proposer, il est vrai, mais j'ignorais encore le jour de ma liberté; de plus, ma famille était à la campagne, et trop étroitement installée pour vous prier de nous y rejoindre. Mais maintenant, je suis li­bre, vous êtes libre, et je puis vous offrir un rendez-vous plus convenable; refuserez­-vous? Non, je l'espère; surtout si vous persistez dans vos projets nemausiens, car cela équivaut presque a un enterrement… pour vos amis du Nord. Il est vrai que votre fa­mille a des droits qui priment ceux de l'amitié; mais peut-être trouverez-vous moyen de satisfaire vos créanciers même non privilégiés!

J'attends donc avec confiance l'annonce de votre prochaine visite. La retraite ecclé­siastique s'ouvre à Strasbourg le 21 août pour se terminer le 26; à partir de ce mo­ment, je serai à votre disposition; et si le coeur vous en dit, nous nous promènerons un peu dans nos belles Vosges. L'air y est pur, on n'y sent pas les prussiens. C'est donc une affaire entendue, n'est-ce pas?

Je vous remercie, cher ami, de m'avoir confié votre grand projet. Je ne me permet­trais ni de l'approuver, ni de le désapprouver; car je ne suis pas juge en cette matière. Ce qui me rassure, c'est que je suis persuadé que vous agirez avec calme, sans parti pris a l'avance, et sans préoccupations personnelles, ayant bien pesé devant Dieu le pour et le contre, dans une si grave délibération, et ne recherchant vraiment que la plus grande gloire de Dieu. Vous ne devez pas, par une fausse modestie, vous faire il­lusion sur le bien que vous pourriez accomplir en restant dans le monde; ne vous en rapportez pas à vous-même sur ce point, mais consultez des amis désintéressés, con­naissant et vous et ce pauvre monde.

Puis, si Dieu vous appelle à la vie religieuse, est-ce vraiment a Nîmes qu'il faut al­ler? Je comprends l'attrait qu'exerce sur vous le bon P. d'A. (Alzon); mais cela doit-il suffire pour vous faire opter en faveur de sa petite Congrégation?…

Pardon, si après m'être récusé, j'entre ainsi dans le vif de la question; mais vous de­vinez la tristesse que j'éprouve en voyant toujours s'évanouir les plus belles espéran­ces du clergé séculier. Sans doute, il faut obéir avec joie si c'est Dieu qui appelle; mais si nous ne sommes pas sûrs de cet appel, souvenons-nous que le monde serait bientôt régénéré, si le clergé séculier était à la hauteur de sa mission. Que deviendra ce clergé si tous les bons prêtres, instruits et justement considérés, lui tournent le dos? Encore une fois pardon pour toutes ces réflexions. N'y voyez pas des dispositions hostiles à la vie religieuse (dont Dieu me garde de détourner personne!), mais n'y voyez qu'une invitation à l'examen 1e plus calme et le plus sérieux de cette question, la plus sérieuse pour vous et pour les âmes que vous devez sauver; voyez-y surtout la preuve d'une amitié trop inquiète.

Adieu, cher ami, priez bien pour moi, n'est-ce pas? Vous savez que M. Keller m'a fait décorer; priez pour que ma vanité, qui enfle toujours, désenfle pour de bon. Je vous embrasse de coeur1.

Gustave

(Veuillez répondre à Strasbourg, rue des Charpentiers 17).

1 Député catholique sous le Second Empire, le comte Keller s'était signalé à propos de la Question ro­maine, pour la défense des droits du Pape. Monarchiste, il se retira de la vie publique après l'encycli­que de Léon XIII sur le «ralliement» (1892).

433.10

AD B.21 /7a.1

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

Du P. d'Alzon

Le Vigan 18 août 71

Mon cher ami,

Je ne puisque vous dire deux paroles: Venez â Nîmes dans le mois d'octobre, nous passerons ensemble au Vigan novembre et décembre; puis nous ferons ce qui nous semblera le meilleur pour la gloire de Dieu.

L'abbé Demiselle m'a écrit. Amenez-le, s'il est possible, au moins ad experimen­tum. Dites-lui ce que vous savez de l'Assomption.

Je n'ai pas reçu la vue de Pavie que vous m'aviez annoncée.

Le P. … m'écrit que vous avez été content de Notre-Dame des Châteaux. Tant mieux! J'espère que vous serez content du Vigan autant que l'abbé Blanc (?), un ami du P. Desaire (dont nous-mêmes nous souvenons ici ?).

Adieu encore… et bien tout vôtre en N. S.

E. d'Alzon

149.03

AD B.17/6.3.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Bougouin

La Mothe St Heray 24 août 71

Très cher ami,

J'ai attendu pour vous répondre: peut-être dans le seul espoir que vous manqueriez à votre parole pour venir me surprendre â Poitiers. A quand désormais le plaisir de vous revoir?

Croyez-vous qu'en commençant l'alinéa où vous me parlez de votre retraite chez les Liguoriens, je vous ai vu Jésuite dans ma pensée, avant de vous voir Père de l'As­somption à la fin de la phrase. La faute en est à ce cher M. Le Tallec qui nous accoutume à de telles méprises. Eh bien! j'avais deviné depuis longtemps qu'il serait de la Compagnie; à la fin pourtant, je m'étais rendu à l'avis de tous par raison plutôt que par conviction; c'est bien tant pis pour la Congrégation. J'avais une lettre de lui qui m'attendait ici, je lui ai répondu au noviciat d'Angers.

Le dirai-je? ce n'est que le 4 août au matin que j'étais à Poitiers. Devinez mainte­nant pourquoi je ne vous ai pas écrit à Rome non plus qu'au P. Supérieur avant cette date. Mon voyage s'est fait comme je l'avais arrêté; seulement j'ai dû me plier à quel­ques exigences de famille et élargir mon cadre. N'étant que le 9 juillet à Marseille, il était difficile que je pusse être à Poitiers le 20, en passant par Digne, La Salette, La Chartreuse et Toulouse.

Une fois pris en flagrant délit de manquer de parole, dès Digne je me suis donné li­bre carrière. J'ai rencontré à Nîmes le P. Dumazaire, que le n'osais compter y voir, oubliant que moi seulement j'étais en retard.

C'est par lui que j'ai appris votre résolution de prendre le doctorat avant la fin de juil­let. J'ai bien regretté de ne trouver à Nîmes ni le R.P. d'Alzon ni votre bâtisseur de cha­teaux. J'aurais pourtant été content d'avoir un mot de lui: a-t-il reçu une lettre que je lui adressais de Digne? Quand reverrai-je aussi ce cher P. Desaire. Vous me mettez tous la tristesse au coeur, quand je vous vois si facilement choisir la meilleure part.

Pour moi, je ne suis ni professeur, ni vicaire, ni curé. Vous n'êtes donc rien, me direz-vous? A peu près; je suis en demi-repos, comme aumônier de pensionnat de bonnes dames religieuses qui s'intitulent de l'Immaculée Conception. C'est une Con­grégation récente, fondée le jour et à l'heure de la promulgation du dogme, et dont la maison-mère se trouve aux Fontenelles, près Niort. Ce sera le lieu de ma résidence. Je suis reconnaissant à Mgr de ce provisoire, qui m'accorde de longs loisirs au milieu de la solitude: je puis vivre en anachorète sans avoir à lutter contre les distractions extérieures. Dieu merci, pourtant, la Providence a voulu que ce site charmant de Fontenelles ne fût pas à deux kilomètres à peine de Niort, ce qui me permettra quel­quefois de violer la clôture de mon ermitage et de la laisser violer aux autres.

C'est du sucre pour commencer. Les deux postes vacants au Gd Séminaire restent inoccupés avec une rentrée de 55 nouveaux, ce qui fait monter à près de 150 le nom­bre total en l'université de Poitiers.

Je ne puis me dissimuler que le Supérieur n'ait vivement insisté auprès de Mgr pour m'appeler là. Mgr tient ferme, tout en me recommandant néanmoins de me tenir prêt. Latet anguis sub herba. Si j'étais arrivé après le Concile, j'avais Buxerolles, on me l'a dit, et ce n'aurait pas été pour rire, comme nous avons ri de votre… (?)1.

En attendant je demeure ici jusqu'à la fin de septembre; et quand vous prendrez le chemin de Nîmes, j'irai tout prosaïquement épouser mes Fontenelles. Ne m'y oubliez pas, je vous en conjure. Je sais tout ce que je vous garde au fond du coeur, et comme je vous poursuis souvent, cher ami, de mes pensées et des souvenirs de ces trois bon­nes années. Mes amitiés au P. Dumazaire quand vous lui écrirez; le suis revenu de là­bas avec une impression. Pas de nouvelles encore de M. Dugas; je lui écrirais si je le savais à Lyon.

M. Putois m'a déjà donné deux fois de ses nouvelles. Il est Contrexéville (sic!) jus­qu'au 26 août, s'ennuyant à mourir et ne se plaisant nulle part. Je ne vous dis rien de Ch. Lequerre. M. Pineau m'a tout dit. Vous savez que je n'ai pas de rancune. Au re­voir, cher ami, et croyez toujours à l'affection de votre tout dévoue2.

Henry Bougouin, pr.

J'oubliais de vous dire qu'à Poitiers tout le monde va bien. Le P. Dorvan m'a appris que le p. Eschbach ne revenait plus à Ste-Claire. C'est M. de Vereilles que j'ai vu le premier, le 4, il m'a servi la messe, ensemble nous nous sommes promenés une partie de la journée. Il est aujourd'hui secrétaire provisoire de Mgr de Segur en Normandie. Mgr semble enclin à le renvoyer à Rome à la rentrée.

1 «Il y a anguille sous roche». Le nom est peut être «Dentelles», une nomination fantaisiste pour l'abbé Dehon… (épiscopat ou canonicat?).

2 Contrexéville: une station d'eaux minérales dans les Vosges.

433.11

AD B.21 /7a.1

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

LC 123

De P. d'Alzon

[le 7 septembre 1871]1

Mon bien cher ami,

Ainsi je vous attends pour les premiers jours d'octobre. Je suis heureux que M. Demi­selle se dispose aussi à nous venir. S'il y a moyen qu'il prêche la retraite à nos enfants, il la leur prêchera. Toutefois, permettez-moi de lui faire observer par vous que ce n'est pas précisément le travail qui lui manquera s'il désire travailler; mais pourtant, j'espère aussi qu'il voudra bien, s'il vient, donner un peu de temps au noviciat.

Il serait possible que cette année fût une des plus importantes pour notre petite congrégation. Il nous vient ce me semble, un certain nombre de sujets solides. Je voudrais alors me charger d'une série d'instructions au noviciat, dont je vous confierais la rédaction. Il m'est impossible d'écrire pour apprendre par cœur ce que je veux dire; mais vous pour­rez fort bien vous charger de la rédaction de ces entretiens où je voudrais déposer tout ce qu'il y a d'essentiel dans l'esprit de l'Assomption. J'ai laissé à N.D. des Châteaux le dessin du tombeau de St Augustin que vous avez eu la bonté de nous porter et que le P. Emma­nuel mettra dans sa malle. Il a dû vous écrire que le 28 août nous avions inauguré la peti­te colonie. Il y avait cinq enfants. A Moûtiers, où nous allâmes le soir, un grand vicaire se prit de bec avec l'abbé Desaire, qui lui dit force choses peu aimables. Le lendemain, l'Evêque nous fit des excuses des propos du grand vicaire; non cè male. Quant â votre jeune homme, je l'accepte s'il veut être frère convers. Qu'il aille aux Châteaux, où nous avons un excellent menuisier qui se fera frère convers lui-même selon toute apparence. Veuillez en écrire à l'abbé Desaire. Vous l'accompagneriez jusqu'à Valence et de là vous l'achemineriez vers le lieu de son noviciat.

Adieu, bien cher ami; au revoir, le l'espère, dans un mois.

E. d'Alzon

Je ne vous explique pas assez que nous préparons un chalet aux Châteaux et que votre jeune homme se perfectionnera dans son état en faisant des maisons en bois, chose utile en missions, supposé qu'il y aille.

1 Voir NHV IX, 65.

371.17

AD B.21/3.P

Ms autogr. 1 p. (21 x 13)

De l'abbé Dours

Soissons le 8 septembre 1871

Monsieur l'abbé,

Je ferai part à Mgr de votre détermination. Sa Grandeur, ainsi que tous ceux qui vous connaissent, ne pourront que la regretter, en pensant aux besoins immenses du diocèse, mais il n'y a qu'à s'incliner devant la volonté de Dieu qui se manifeste.

Votre bien dévoué

Abbé Dours

173.02

AD B.17/6.26.2

Ms autogr. 6 p. (16 x 11)

De l'abbé Lequerré

Pont l'Abbé 18 septembre 1871

Mon bien cher ami,

Il est bien temps, n'est-ce pas, que je vous remplisse mes promesses, mais il ne fal­lait rien moins que vos deux doctorats pour me tirer de cette torpeur qui menaçait de devenir mortelle. Recevez donc pour excuses mes sincères félicitations, car je suis foncièrement convaincu que ces lauriers ont été encore mieux gagnés que ceux du Pincio; vous pourrez, si vous le voulez, adresser en retour vos remerciements â l'Ab­bé Bougouin, puisque c'est lui, fort heureusement, qui m'a complètement édifié à vo­tre sujet.

Vous avez, j'en suis sûr, quitté Rome avec regret, malgré tout! Pouvait-il en être autrement, si j'en juge d'après moi-même, qui y ai, hélas! passé trois ans de moins que vous, et qui ai toujours au fond du cœur cette pénible émotion avec laquelle je mis la Minerve en réquisition, quand arrive le cruel moment des adieux! Non, mon cher, je n'oublie pas ce dernier «segno»! J'y pense tous les jours, mais depuis, quel changement cynique dans cette belle Rome! On pourrait vraiment dire que c'est la désolation dans le Sanctuaire! Mais vous espérez toujours, n'est-ce-pas, et moi aussi, et avec nous, une foule d'autres ahuris, qui ne croient peut-être plus à l'Aigle et à l'Etoile de la France (Dieu pouvant à la rigueur se passer de nous), mais qui voient toujours dans l'Eglise et dans son Chef quelque chose d'assez mystérieux et d'émi­nemment immortel et glorieux! C'est une idée comme une autre; qu'on nous la laisse donc, puisque nous n'en demandons pas davantage!

M. Le Tallec nous a écrit dernièrement, à Rossi et à moi, pour nous apprendre son entrée chez les Jésuites. Cela ne m'a que médiocrement étonné. J'ai seulement respiré un peu plus à l'aise, ayant une peur bleue de voir ce cher compatriote passer au bleu. Pardonnez-moi cette petite malice, car, Dieu merci, il n'en est rien: le voilà plus noir que jamais!

M. Bourgouin n'occupe pas encore de poste dans son diocèse.

M. Vantroys a enfin acquis un peu de sagesse. Il quitte la Beauce ces jours-ci, com­me l'hirondelle qui quitte la France en septembre, pour aller Dieu seul sait où! Que voulez-vous? 'M. Vantroys me fait penser à cette innocente hirondelle qui s'égara dans les longs corridors de Castel et qui recouvrit si piteusement sa liberté ayant au cou un des signets de mon bréviaire! Ah! si encore je pouvais la revoir en Bretagne! Ce bon couvent de Castel a aussi un bon coin dans mon cœur grâce à vous! Avouez, maintenant au moins, qu'il était délicieux le café que nous humions si délicieusement au balcon du Padre Philippo, et que l'intolérance du «Padre Guardiano» à l'égard du «molto Reverende Napolitain» ne déteignait en rien sur ces belles soirées qui s'écou­laient encore si délicieusement grâce à vous et à la lune!1.

Faut-il donc revenir en Bretagne et vous parler d'un pauvre vicaire? Pont l'Abbé est une charmante petite ville, située à quatre lieues du Soleil, c'est-à-dire de Quimper­-Corentin. Malheureusement, c'est le pays le plus riche du Finistère et la foi s'en res­sent un peu. J'oserais presque dire qu'on ne s'y croirait guère en Bretagne! Malgré tout, il ne faut pas trop se plaindre, puisque ma paroisse serait peut-être une des meilleures dans d'autres contrées; mais en Bretagne, on a vraiment le droit d'être plus exigeant! Hélas! il ne tient peut-être qu'à moi de rendre ces braves gens un peu plus fervents. Priez donc, cher ami, pour que je fasse bien ici tout ce que le bon Dieu de­mande.

Vous avez appris la mort inopinée de ce pauvre Mgr Sergent. C'était un vrai père et le diocèse le pleurera longtemps. Nous ne connaissons pas encore notre futur évê­que. Vous savez ce que sont les cancans ecclésiastiques. Plusieurs personnages agi­tent donc depuis longtemps les esprits et les cœurs. On a parlé de l'abbé Darras, de l'abbé de Lézéleuc, de l'abbé Du Marhallac'h! Que sais-je? d'une foule de gens, ex­cepté de moi. Et d'un jour à l'autre le baromètre de l'opinion publique passait rapide­ment du «beau fixe» au «variable», pour ne pas dire qu'il s'arrêtait le plus souvent à «pluie et vent!». Mais les bretons ont la tête dure et nous voulons à tout prix un bre­ton de vieille roche pour évêque. M. de Lézéleuc, en lauréat des plus brillants du Col­lège Romain, a depuis longtemps les sympathies du diocèse, et on a adressé de tous les coins des pétitions au Gouvernement. Mais il est légitimiste pur, et Adolphe ne le choisira pas, étant, comme vous savez, tout occupé à fonder une dynastie avec son auguste épouse. Heureusement que le bon Dieu se sert de tout et il saura bien nous donner un bon Evêque!2.

Ecrivez-moi vite et croyez à ma sincère affection en N. S.

Charles Lequerré

1 Plusieurs allusion évidemment difficile à expliquer: la Minerve en requisition? L'Aigle de la France, symbole de l'Empire (tombé). A Castel Gandolfo, les séminaristes passaient parfois les petites vacan­ces dans un couvent.

2 Adolphe Thiers, chef du gouvernement de Défense Nationale.

150.06

AD B.17/6.4.6

Ms autogr. 1 p. (21 x 13)

De l'abbé Bourgeat

Audun le Tiche 21 septembre 1871

Mon cher ami,

Que devez-vous penser de mon silence? Mais en ce moment je n'ai pas les facilités que j'avais autrefois pour faire des courses sans nombre. Mon temps libre est fort court; je suis occupé à faire un déménagement, chose peu agréable et assez pénible. Cependant j'espère arriver à La Capelle jeudi de la semaine prochaine, c'est-à-dire le 28, aujourd'hui en huit. Ne vous dérangez pas pour venir me chercher; s'il y a des omnibus à Hirson et à Vervins, je vous arriverai sans encombre, je l'espère. Je ne sais d'ailleurs à laquelle de ces deux stations je donnerai la préférence. Ce sera peut-être bien près de la fin de vos vacances, mais il m'a été impossible de faire ce voyage plus tôt. Si vous receviez ma lettre samedi ou dimanche, peut-être vous serait-il possible de m'écrire un petit mot pour me dire si cela ne vous dérange pas.

Aucune nouvelle de Mr Dugas; je commence à en être un peu inquiet, car je ne puis m'expliquer ce silence, je lui ai écrit vers le commencement d'août et depuis je n'ai rien entendu de lui. Je ne vous en dis pas davantage aujourd'hui afin que ma lettre puisse partir et je vous quitte dans l'espoir de vous revoir bientôt.

Tout à vous in Xsto

Bourgeat

161.13

AD B.17/6.15.13

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Nîmes 29 septembre 1871

Tout conjure, mon cher ami, à rendre croyable ma réputation de paresseux et d'oublieux à votre égard. Après mille détours, votre bonne lettre, la seconde que vous avez bien voulu m'adresser, m'est arrivée hier à Nîmes, où je ne me trouve que depuis 24 heures. Qu'aurez-vous pensé et comment aurez-vous interprété cette nou­velle indélicatesse que vous avez pu supposer volontaire? Je l'ignore, mais je suis véri­tablement bien ennuyé du fâcheux contretemps qui a pu vous laisser cette fois dans un sérieux embarras, au sujet de votre protégé.

Si vous jugez que le petit jeune homme en question soit tout à fait incapable d'étu­dier, je serais d'avis que vous l'envoyiez éprouver sa vocation à la maison d'Arras, car N. D. des Châteaux est beaucoup trop éloignée de vous. Puis jusqu'à ce que les chambres de la tour soient séchés, le personnel y est au grand complet pour le loge­ment. J'ignore quelle décision vous aura donnée le p. D'Alzon, mais jusqu'en mars prochain, j'aimerais mieux voir cet enfant à Arras; puis, à cette époque, où nous de­vons continuer les bâtiments des Châteaux, nous l'appellerions en Savoie; il nous se­rait alors d'une très grande utilité.

J'ai quitté les Châteaux le 15 du (mois) courant. Le P. Alexis, le P. Paul et autre Frère s'y trouvaient alors et y sont encore. La petite communauté y marche merveil­leusement. Il y a déjà dix enfants. La divine Providence a bien voulu concéder plus de ressources qu'on ne pouvait l'espérer en commençant. Le P. d'Alzon et le P. Picard sont arrivés peu après votre départ, apportant quelques sommes assez rondes et don­nant surtout à l'œuvre une position sérieuse par un règlement soigné. Le jour de son départ, fête de St Augustin, le p. d'Alzon recevait les six premiers enfants et faisait une fête magnifique dans sa simplicité. Ce bon Père est ravi de cette œuvre, du site et des éléments heureux qu'il est convaincu de trouver désormais en Savoie.

Une seconde fois, je suis retourné à Annecy et à Moûtiers pour accompagner les Pères. Après leur départ, j'ai essayé d'y ébaucher une retraite avec les prêtres du dio­cèse; mais j'en ai été fort mécontent et je désire vivement en faire une seconde bientôt et la mieux faire.

J'ai encore passé tout ce mois en courses ininterrompues pour faire les provisions de la maison, achever tous les travaux et terminer tous les comptes. Aussi serez-vous étonné si je vous assure que je me sens comme dans un hébétement indescriptible et absolu. Cette vie de voyages, d'occupations matérielles, de dissipations me fait à l'âme un mal incroyable: aussi suis-je tout heureux d'être enfin rendu à ma cellule et à mes livres. Je vais jusqu'à votre arrivée prier et lire quelque peu, et ensuite partir avec vous pour le Vigan.

La rentrée s'annonce bien belle au collège: il y aura plus de 60 élèves en plus du nombre de l'an dernier. Le P. d'Alzon a fort bien disposé les choses pour que le Vigan soit peuplé de tous les religieux qui ne sont pas indispensables ici. Quant au P. Alexis, au P. Paul (qui a été ordonné prêtre samedi dernier à Moûtiers) et au P. Jules, tous trois partiront des Châteaux pour Rome.

Hier, au sermon qu'il fait après celui du prédicateur de la retraite ecclésiastique, Mgr Plantier parla des consolations que peuvent encore nous faire espérer les temps modernes. J'entends tout à coup les prêtres applaudir. J'interroge les premiers qui sortent de la salle des réunions, et vois pourquoi on avait applaudi.

Il y a quelques jours, Jules Simon écrit au préfet, M. de Champerent(?) pour offrir au P. d'Alzon un évêché. M. le préfet agit conformément à ces ordres et reçoit un re­fus catégorique: et Mgr a raconté la chose à tous ses prêtres, et là-dessus ces applau­dissements multiples dont tout Nîmes s'entretient aujourd'hui1.

A bientôt, mon cher ami: je reçois à l'instant un télégramme qui m'annonce la mort du pauvre petit cousin que vous avez vu l'an dernier à Marseille. Je ne sais si je ne vais pas être obligé d'y passer plusieurs jours avec le vicaire d'Albertville qui est venu ici. Priez un peu pour ce pauvre enfant, et beaucoup.

pour votre tout dévoué en N. S.

C. Desaire

1 Jules Simon, ministre de l'Instruction publique et des Cultes.

161.14

AD B.17/6.15.14

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Nîmes 30 septembre 1871

Bien cher ami,

Le P. d'Alzon, avec lequel je viens de m'entretenir longuement, me prie de vous écrire pour que vous annonciez à Mr Demiselle qu'il n'aura pas cette année la retraite du collège, promise depuis longtemps, mais qu'il en prêchera une chez les Dames de l'Assomption. «Nous ne pourrons pas, m'a-t-il dit, traiter cet homme là comme des jeunes gens, et voilà pourquoi nous l'occuperons, tant que nous l'aurons, afin de le distraire». Préparez bien vos batteries, mon bon ami, avant d'arriver, afin que nous ne prenions pas des engagements autres que ceux pour lesquels nous sommes décidés à sacrifier notre vie. Plus que jamais je vois dans le P. d'Alzon un homme de Dieu, qui veut le bien et qui acquiert de l'influence pour le faire. Mais il met je ne sais quelle gloire à se compromettre et à être compromettant, comme il le dit, et il me semble que vous en serez effrayé. Enfin venez et voyez, puis, avant de prendre des engage­ments, vous examinerez. Le P. Picard est ici; il séjournera un peu afin de vous voir1.

Le P. d'Alzon vous a écrit d'envoyer le jeune homme aux Châteaux; vous l'aurez fait sans doute; peut-être seront-ils un peu gênés là-haut. Mais peu importe. Adieu; faisons courage. Vous ne croiriez pas que je m'émeus à mon tour à la pen­sée de contracter de nouveaux engagements.

Votre ami bien indigne mais bien sincère

C. Desaire

1 Cette lettre, datée du lendemain de la précédente, est pour l'essentiel citée en NHV IX, 65, dans l'ex­posé intitulé: «La grande décision': «Une dernière lettre de l'abbé Desaire ne m'encourageait pas», note le P. Dehon. Léon Dehon est, en effet, depuis son voyage d'information à Louvain, en grande perplexité concernant son projet d'université et sa propre orientation religieuse. Il en écrit au P. Freyd le 25 septembre (LD 183). La conclusion fut le télégramme du P. Freyd (LC 129).

146.01

AD B.17/6.1.1

Ms autogr. 7 p. (21 x 13)

De l'abbé L. N. Bégin

Séminaire de Québec, 6 octobre 1871

Mon bien cher ami,

Six jours se sont déjà écoulés depuis que votre aimable lettre est venue si agréable­ment me distraire au milieu de mes arides travaux. Je vous aurais déjà donné une ré­ponse si ces malheureux bateaux à vapeur, qui transportent la malle de Québec en Angleterre, n'avaient pas le mauvais esprit de ne partir que le samedi.

Quant à notre Université, je dois vous dire qu'elle est essentiellement catholique dans son enseignement, et plus libre qu'aucune autre institution du même genre en Europe. La Reine d'Angleterre nous a octroyé une charte que vous trouverez au com­mencement des «Constitutions et Règlements», et qui renferme tous les privilèges ac­cordés aux grandes Universités du Royaume Uni, v. g. Oxford, Cambridge, etc. Nos degrés sont reconnus en Angleterre et ont absolument la même valeur que ceux d'An­gleterre. Vous allez peut-être croire que nous avons dû sacrifier un peu de notre liber­té pour obtenir tous ces privilèges.

Pas du tout: le gouvernement anglais, de même que notre gouvernement canadien, n'a rien à faire dans le choix des professeurs, non plus que dans les doctrines ensei­gnées. L'unique Visiteur que nous ayons, et qui nous a été donné par Sa Majesté la Reine Victoria, c'est Mgr l'Archevêque de Québec (actuellement Mgr E. A. Tasche­reau, ancien élève du Séminaire français de Rome). Vous pourrez voir, par les docu­ments que je vous expédie, que les nominations (excepté pour la théologie) se font par le Conseil Universitaire; or ce Conseil, d'après la charte anglaise, se compose de prêtres du Séminaire au moins pour les deux tiers de son personnel.

Ainsi le Recteur est toujours de droit le Supérieur du Séminaire; tous les Directeurs du Séminaire font partie du Conseil et sont des prêtres, de même que les professeurs de la Faculté de Théologie et la plupart des professeurs de la Faculté des Arts. Il n'y a guère que les professeurs de droit et de médecine qui soient des laïcs. Comme vous voyez, il est toujours facile d'écarter ceux dont l'enseignement n'offrirait pas toutes les garanties d'orthodoxie.

Quant à la Faculté de Théologie, qui doit être la principale, les professeurs sont nommés seulement par l'Archevêque de Québec; il peut aussi les destituer du mo­ment que leurs doctrines ne lui paraissent pas assez pures: pour tout cela, il n'a be­soin de prendre l'avis ni du Conseil Universitaire, ni du gouvernement; il agit «motu proprio». Est-il possible d'avoir plus de libertés et plus de garanties d'une parfaite or­thodoxie? J'ai bien peur que votre gouvernement français ne soit jamais aussi généreux à votre égard. Cependant, qui sait ce que le bon Dieu vous prépare dans sa mi­séricorde? Il tient les coeurs dans sa main: osons encore espérer.

A la Faculté de Théologie, nous suivons thèse par thèse l'enseignement du Collège Romain, où nous avons fait notre éducation ecclésiastique; jamais nous n'avons à su­bir la moindre entrave. En France, on croirait qu'un professeur ou un évêque qui me serait pas nommé par le gouvernement, ne pourrait lui être fidèle. Ici, évêques et pro­fesseurs, quoique élus sans le concours des Chefs de l'Etat, ne sont pas moins dé­voués qu'en France au gouvernement. Vous autres, français, accoutumés depuis longtemps à des régimes plus ou moins despotiques, vous avez peine à comprendre comment on peut nous accorder, sous une puissance protestante, une pareille somme de libertés religieuses et politiques et une protection aussi bienfaisante.

Ce n'est pourtant que la pure vérité. Aussi devriez-vous envoyer ici vos hommes d'Etat pour leur faire constater que la vraie liberté catholique, bien loin d'être une menace et une cause de ruine pour le gouvernement, est plutôt son appui le plus fer­me. Pardonnez-moi ces remarques un peu franches; elle n'ont pas pour but de vous faire de la peine, Dieu m'en garde! Je vous aime trop et j'aime trop le pays de mes an­cêtres pour vous faire des méchancetés; mais je suis véritablement chagrin de voir no­tre pauvre France, si féconde en grandes oeuvres, marcher cependant d'abîme en abîme, sans se décider jamais à redevenir sincèrement catholique.

Je ne vous ai pas encore parlé de nos moyens de subsistance. Voici: c'est le Sémi­naire de Québec qui paie tous les professeurs laïcs de ses propres revenus; quant aux professeurs prêtres, ils font tout gratis pro Deo, c'est-à-dire qu'ils ne reçoivent que leur pension, leur habillement, avec 20 piastres par année pour leurs vacances; ils ont de plus leurs honoraires de messes. La piastre ($) vaut 5 francs. Vous voyez que nous pratiquons la pauvreté presque autant que des religieux. Le gouvernement a offert généreusement de venir en aide à une institution créée dans l'intérêt de toute la jeu­nesse du pays; il aurait même donné des subsides sans vouloir en contrôler l'emploi, sans violer notre indépendance religieuse. Mais le Séminaire a toujours refusé, parce qu'il espère pouvoir, au moyen d'économies sages et de sacrifices généraux, donner une subsistance honorable à l'Université, et rencontrer les dépenses énormes qu'elle entraîne nécessairement. Ainsi les bâtisses et les musées nous ont coûté maintenant près de 2 millions de francs. Tous les ans, il faut augmenter ces Musées, de même que la bibliothèque: tout cela se prend sur les fonds du Séminaire.

Cette manière de procéder assure notre complète indépendance vis-à-vis du gou­vernement, non seulement pour lé moment actuel, mais encore pour toutes les éven­tualités futures. Pour réaliser en France ce que nous avons ici, il vous faudrait une maison religieuse qui eût, comme la nôtre, à peu près 250.000 francs de rente par an­née. Ces revenus proviennent d'anciennes fondations, qui alors ne valaient que peu de chose, mais qui, avec le développement du pays, ont pris une grande valeur.

Je vous envoie quelques documents qui vous mettront passablement au courant de tout. On a modifié dernièrement les titres des professeurs: ainsi on appelle mainte­nant professeur titulaire et professeur agrégé ceux qu'on appelait auparavant (dans les Constitutions) professeur ordinaire ou professeur extraordinaire. Je vous dis cela pour que vous puissiez expliquer cette petite divergence entre les Annuaires et les Constitutions. Je vous envoie aussi une petite brochure intitulée «Corporations reli­gieuses Catholiques de Québec par le Dr Lame; elle a été écrite l'année dernière, par­ce que la Corporation de la ville de Québec se trouvant passablement endettée, avait songé à imposer certaines taxes sur les propriétés religieuses; ce projet a été heureuse­ment rejeté.

Voilà à peu près tout ce que j'avais à vous dire sur cette matière. Si cela ne suffit pas, vous m'écrirez de nouveau et me poserez carrément vos questions. Je m'efforce­rai d'y répondre de mon mieux. J'espère que vous me ferez le plaisir de m'écrire de temps en temps et de me donner des nouvelles de votre intéressante Congrégation des Augustins, que je connaissais un peu, et de votre projet d'Université. Je serais très heureux si le succès pouvait couronner vos nobles efforts et si le catholicisme pouvait enfin reconquérir en France la liberté et son ancienne place dans l'enseignement.

Excusez cette lettre si mal écrite; je suis très pressé par un malheureux cours d'hi­stoire qui approche. J'aide aussi à Mr Louis Paquet à faire une partie du dogme; la tâche serait trop forte pour un seul professeur. Ces MM. Paquet me prient de vous dire mille choses aimables de leur part. Je vous envoie ma photographie en costume

universitaire: la soie noire, la soie violette et l'hermine blanche composent ce costu­me; cela complètera vos renseignements. Donc écrivez-moi et que nos anciennes rela­tions du Séminaire français se renouent plus fermes que jamais.

Tout à vous en N. S.

L. N. Begin, (prêtre)

Les nouvelles que vous me donnez de MM. Dugas et Le Tallec me surprennent beaucoup; je ne pensais pas qu'ils se feraient Jésuites. J'avais même un peu songé à faire venir M. Le Tallec à Québec; mais fiat voluntas Dei! Ne m'oubliez pas dans vos bonnes prières, j'en ai grand besoin. M. Henri Paquet vient d'être nommé vicaire dans une charmante paroisse; je ne sais pas si sa santé se maintiendra; c'est un essai.

Quand vous me ferez l'honneur de m'écrire, parlez-moi donc un peu des désastres de notre malheureuse France, de son état actuel, de vos espérances pour l'avenir, etc. Vous nous ferez un immense plaisir. Vous êtes bienheureux d'aller vivre à Nîmes; c'est une des villes qui m'a le plus intéressé en France. Vous y travaillerez sous la direction d'une pieuse congrégation et d'un saint évêque et vous pourrez y faire du bien.

161.15

AD B.17/6.15.15

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Nîmes 6 octobre 1871

Mon cher ami,

Votre lettre est entre mes mains depuis ce matin; je vous laisse à juger dans quelle situation elle m'a mis! Votre mort n'eût pas été pour moi un coup plus terrible et ma douleur est au-dessus de toute expression. Je cherche en vain, mon cher ami, quels considérants ont pu vous faire ainsi changer tout-à-coup: je ne sais en trouver. Et voilà pourquoi je vous supplie, au nom de l'amitié que vous me portez, de me dire plus clairement les choses, surtout si vous vous éloignez de cette petite congrégation, en raison des rapports qui vous auraient été faits.

Vous me répétez à plusieurs reprises que l'érection des Universités doit se faire par l'Episcopat; mais vous savez bien que le p. d'Alzon ne veut pas autre chose, puisque Mgr Plantier en prend l'initiative, comme vous le voyez par le Discours de la distribu­tion des prix, et puisque le grand Séminaire de Nîmes devait en être le commence­ment. De fait, cette maison a encore été proposée au Père par le Supérieur lui-même; et on a répondu que pour cette année, nous n'étions pas prêts, mais que certainement nous le serions dans deux ans au plus tard.

Comme sur moi, votre lettre a fait sur le P. d'Alzon une impression qui ne s'efface­ra pas de longtemps. Il avait organisé son personnel pour le réunir nombreux au Vi­gan; il considérait notre rentrée comme une phase nouvelle pour sa Congrégation; en un mot, il voulait que dès votre arrivée vous fussiez ici une puissance. Je le trouve plus affecté encore que moi par votre détermination: je doute cependant qu'il croie déjà à une rupture absolue; pour moi, je suis convaincu que votre lettre est une rup­ture.

Aussi, en même temps que je me sens plongé dans la plus profonde douleur, ne sais-je à quel parti m'abandonner. Sans avertissement et après les longues années de conversation que nous avons passées ensemble, vous me renvoyez, sans même me donner un conseil, aux avis de mon directeur. Mais, mon cher ami, vous savez quelle est ma situation: quelques dettes contractées pendant mon séjour à Rome ne me per­mettent pas d'entrer sur-le-champ dans une communauté.

En entrant ensemble au noviciat, vous m'aviez promis de m'aider à les éteindre; puis je ne me décidais qu'en vue des projets que nous avions formés, nourris et entre­tenus à l'ombre de l'autel. Enfin, mon cher ami, il ne m'est pas possible d'aller pren­dre sur-le-champ une résolution absolue. Franchement, mettez-vous à ma place et ju­gez de mon anxiété. Je viens de passer 8 heures à réfléchir seul et devant Dieu. je ne sais vraiment à quel parti me déterminer, dans la situation présente.

Parlez-moi, et longuement, je vous en prie, de ce qui pourrait être le mieux, car franchement, je ne sais que faire dans la conjoncture présente. Est-ce que votre rup­ture est absolue? Est-ce que franchement vous croyez irréalisables nos projets, main­tenant qu'ils paraissent cependant avoir plus que jamais des chances de succès? En­fin, dites-le-moi; votre conscience ne vous dit-elle rien à mon égard? Ecrivez-moi, écrivez-moi; je n'ai pas le courage de vous écrire plus longuement aujourd'hui1.

Votre ancien et toujours bien sincère ami

C. Desaire, (prêtre)

P. S. L'abbé Putois qui était l'an dernier à Rome est ici de passage, se rendant enco­re à Ste-Claire. Le p. Freyd est-il au courant de votre décision? Ne me cachez rien dans toute cette affaire.

1 L'abbé Dehon avait-il adressé sa lettre à l'abbé Desaire ou au P. d'Alzon. Il est difficile de le discerner à partir de cette réponse. Il semble que normalement c'était d'abord au P. d'Alzon qu'il devait faire part de sa décision. Aucune lettre au P. d'Alzon n'est cependant conservée au dossier communiqué par l'archiviste de l'Assomption. La réponse de l'abbé Désaire semble ne faire allusion qu'à une seule lettre à lui adressée. C'est du moins ce qu'on peut conclure des phrases: «Vous me répétez à plusieurs reprises…»; et «Votre lettre a fait sur le P. d'Alzon une impression…». Aucune réponse du P. d'Alzon à l'abbé Dehon, en tout cas, avant le 9 décembre 71 (cf LC 147).

163.03

AD B.17/6.17.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Dugas

Mably près Roanne (Loire), fête du St Rosaire (7 octobre 1871)

Mon cher ami,

Depuis deux mois que vous avez quitté Rome, vous êtes d'un mutisme désespé­rant. Je sais heureusement par d'autres, plus soucieux de vous que vous ne l'êtes vous-même, que vous n'êtes resté ni dans le trou du Mont-Cenis, ni au-dessus, ni au­tour; je sais que M. Billot et M. Le Quincy vous ont vu; je sais même, qui plus est, que vous en débitiez de jolies sur mon compte. Mais ce que j'ignore et ce que je veux savoir, c'est ce qui est sorti de votre séjour dans votre castel de Savoie, de vos arran­gements avec le P. Desaire et le P. d'Alzon. Il est clair pour moi que vous allez à Nîmes, mais à quel titre? avec ou sans capuchon? et quand? J'imagine que ce sera bientôt, et alors vous allez traverser nos parages. De grâce, prévenez-moi de votre ar­rivée et arrêtez-vous par ici.

Pour revenir à ce qui me concerne, je sais donc que vous avez annoncé à tout ha­sard, comme deux faits accomplis, et mon doctorat et mon entrée au noviciat, alors que je n'étais encore ni docteur, ni jésuite; l'assertion était téméraire à ce moment-là. Enfin, puisque l'événement vous a donné raison, je n'ai rien à répliquer. Ainsi, cher ami, nous étions devenus tous deux prophètes à l'école de M. Germain: nous avions bien prédit qu'on ne nous verrait ni Eveques ni même Vicaires Généraux.

Le bon P. Freyd prétend que je ne suis pas tout à fait assez rusé pour être parfait je­suite, que cette opposition qu'il m'a faite n'avait que le but de m'éprouver, que J'au­rais dû reconnaître cette tactique et ne pas tant m'effaroucher d'avance. En tout cas, maintenant que l'affaire est faite, je lui suis on ne peut plus reconnaissant de la façon dont il l'a menée, avec un cœur, un tact et à la fin une sûreté de décision que je n'osais plus me promettre.

J'ai fait ma retraite suivant l'usage à la villa Caserte. Le P. Général était absent; je ne sais trop si j'ai eu à le regretter; j'ai eu à sa place un père hollandais charmant, cau­seur, plein d'expérience, qui me voyait souvent, et très carré dans ses avis. En huit jours, tout a été fixé. Maintenant, cher ami, quand, comment, sur quels chemins de ce monde pourrons-nous nous retrouver? Cette séparation indéfiniment longue de cœurs comme le vôtre, avec qui j'ai vécu de si belles années, que j'ai connus, appré­ciés, aimés, voilà, je vous le dis tout net, mon grand brisement de cœur.

Priez bien Notre Seigneur pour qu'il me donne la joie de vous rencontrer encore de temps en temps, pour que nos œuvres, qui vont sans doute se ressembler, nous rap­prochent quelquefois; et puis cependant, bénissons-le de nous avoir choisis pour une vie plus sacrifiée, et vers lui, au saint autel, ayons un rendez-vous de chaque jour, pour nous obtenir réciproquement cette force que l'union sait produire.

Que devient donc votre révérend compère Desaire? J'aime à croire que la loi du si­lence est aussi rigoureuse à l'Assomption qu'au noviciat des Jésuites: toujours est-il que la lettre que je lui ai écrite ce printemps attend encore sa réponse. Vous devriez pourtant le secouer un peu. Pour vous, c'est entendu, je compte au moins vous entre­voir dans le courant de ce mois. Il est possible que j'aille passer deux ou trois jours à Paris, mais vers le 15, je serai certainement de retour à Lyon. Du reste, écrivez-moi vite, je pourrai combiner mes plans d'après les vôtres.

A Dieu, mon bien cher ami. Pour aujourd'hui, je ne vous embrasse que de cœur, mais toujours en ami dévoué.

Joseph Dugas

436.11

AD B.21 /7a.4

Télégramme original

Du P. Freyd

De Rome pour La Capelle, déposé le 8 octobre 71 à 5 h. 30

L. Dehon à La Capelle Aisne France.

Votre hésitation est légitime. Vaudrait mieux vous dégager si possible Réponse partie.


Frey (Freyd)

437.04

AD B.21 /7a.5

Ms autogr. 2 P. (21 x 13)

De l'abbé Bernard (Vicaire Général)

Archevêché de Cambrai, 10 octobre 1871

Monsieur l'abbé,

Mon neveu, l'abbé Charles, m'écrit que vous êtes encore à La Capelle, mais en par­tance. J'ai l'honneur de vous y adresser deux exemplaires d'un discours synodal de Mgr notre Archevêque sur Doellinger, Loyson, les catholique libéraux, et par contre sur les Jésuites, un pour vous, un pour l'abbé Charles.

Ce cher neveu me dit que le principal rédacteur de la Civiltà (le Pape) insiste beau­coup sur la nécessité de former des Associations Catholiques pour le bien, et il m'as­sure que vous êtes à même de me renseigner à fond à ce sujet. Je suis à vos ordres pour vous écouter.

Bon voyage donc et veuillez me recommander dans les sanctuaires où vous aurez le bonheur de vous agenouiller dans la Ville Sainte.

Je désire que le discours synodal soit prêté à ceux qui ne l'auraient pas lu dans l'univers, soit à Sta-Chiara, soit au Collège Romain.

Agréez, Monsieur et cher Abbé, mes sentiments dévoués en N. S.

Bernard v. g.

163.04

AD B.17/6.17.4

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De l'abbé Dugas

Mably près Roanne 16 octobre (1871)

Donc, mon cher ami, vous voilà en voie d'être vicaire… particulier d'abord. Je sais bien qui on pourrait féliciter, qui on pourrait plaindre; mais à vous, vous dois-je des félicitations, des condoléances? Je ne sais trop. Dans un sens, je vous plains pour tou­tes ces épreuves par où il plaît au bon Dieu de vous faire passer; et d'autre part, je vous félicite, parce que ces traverses mêmes prouvent que Dieu vous traite en homme fort, parce que surtout avant de trop raisonner, vous savez être docile, parce qu'enfin l'homme ne fait que proposer et c'est toujours Dieu qui dispose.

Il disposera tout pour le mieux. Si l'œuvre de Nîmes est vraiment une œuvre à fai­re fructifier, il saura bien vous y conduire; et si, au contraire, ces grandeurs, que je ne vous souhaite point et qui vous seraient plutôt une source d'humilité, venaient un jour vous chercher, je bénirais une fois de plus le bon Dieu, qui dispose alors même que l'homme ne propose rien du tout.

J'ai fini par recevoir une lettre du P. Desaire. Vous pensez bien qu'elle est remplie de vous, et vous savez s'il est désolé. Je comprends sa stupeur, mais je suis heureux de le voir persister quand même, c'est vraiment une vocation sérieuse.

Vous vous scandalisez de me voir courir encore les champs et les villes? Croyez bien cependant que ma résolution n'est point changée; il avait toujours été convenu que je prendrais à peu près deux mois de vacances, jusque vers la Toussaint, par con­séquent. Du reste, il devient moins probable que j'aille à Paris; je vous prie donc de ne pas me supplicier, comme ce pauvre Tantale et de ne plus me faire miroiter devant les yeux et le cœur un voyage à La Capelle.

Si jamais on m'envoie à Laon ou à N. D. de Liesse, on sera bien dur si on me refuse la permission de faire un petit crochet et d'aller vous voir dans votre vicariat. Pour le moment, je vais faire mon noviciat à Lons-le-Saulnier. C'est bien loin de vous, mais si par hasard vous retourniez à Rome, vous n'auriez pas le cruel courage de ne pas passer par là. Le 21 novembre, nous commencerons une retraite d'un mois; j'espère qu'ensuite nous pourrons encore recevoir quelques lettres, surtout venant d'âmes je­suites comme la vôtre.

J'envie bien votre bonheur d'avoir possédé ce cher abbé Bourgeat. j'espérais qu'il retour­nerait à Ste-Claire pour aider à le repeupler, et j'aurais pu alors le saisir au passage. J'ai en­fin secoué ma paresse et je lui ai écrit; je pense que maintenant il est content de moi.

Avez-vous eu des nouvelles de M. Billot depuis son ordination? Est-il déjà à An­gers?

A Dieu, cher ami. Ecrivez-moi encore une fois à Lyon avant ma sépulture; ne man­quez pas de me dire où est votre vicariat, s'il est grand, petit, etc. Je prie de tout cœur pour vous. En revanche, priez bien pour que je profite de ces gâteries que le bon Dieu me fait et dont vous êtes jaloux. Croyez-moi toujours.

Votre ami et frère en N. S.

Joseph Dugas

436.12

AD B.21 /7a.1

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

Du P. Freyd

Rome ce 21 octobre 1871

Bien cher ami,

Votre lettre a été comme je la désirais. Je crois que vous avez fait ce qui pour le moment est le plus conforme à la volonté de Dieu. L'avenir nous montrera plus clai­rement ce que le Seigneur demande définitivement de vous. En attendant, l'expérien­ce que vous gagnerez dans le saint ministère vous sera précieuse. Vous verrez qu'avec de la bonne volonté, vous vous maintiendrez parfaitement.

Conservez votre cœur bien uni a Dieu, et ne l'attachez en rien à la créature. Quand notre âme est portée sur les ailes de la prière et du st abandon à la volonté du divin Maître, nous voguons tranquillement et sûrement. Evitez les jeux et les dîners. Des jeux jamais; des dîners, seulement quand il le faut absolument. Soyez bon et condes­cendant avec vos confrères, cédez volontiers le pas et que votre simplicité et humilité leur rende agréable la supériorité pour les études que vous avez sur eux.

Pour votre plus grande tranquillité, je vous dirai que le jour après l'arrivée de votre lettre, ayant rencontré le bon P. Général Mauron, de retour des eaux, je lui ai fait part de notre dernière correspondance et surtout du contenu de votre lettre. II me re­garda d'un air satisfait en me disant: «Bravo, bravo, voilà qui est bien. Je n'ai pu croi­re qu'il y avait un avenir pour lui à Nîmes et je l'en aurais décidément détourné, si je ne lui avais vu tant de désir d'y aller. Il ne pouvait rien faire de mieux que de ne pas s'y rendre; car il n'y serait pas reste»1. Ce témoignage spontané, si parfaitement d'ac­cord avec mon intime conviction, ne servira pas peu à vous tranquilliser, s'il y avait lieu et à garder bonne contenance en face de tous les assauts qui vous viendront et re­viendront. Vous vous attacherez à votre «non possumus», et vous pourrez remercier le Seigneur de vous avoir épargné une déception.

M. Desaire restera-t-il après cela? J'en doute, mais je me garderai bien de lui don­ner un conseil. Du reste, il ne m'en a pas demandé depuis qu'il est là-bas et cependant sa place, à mon avis, n'y est pas. Quant à vous, soyez prudent dans votre correspon­dance avec lui, bornez-vous seulement au conseil de ne pas s'engager sans un sérieux noviciat. Il s'y laissera peut-être prendre, car il a si bon cœur qu'il ne tiendra pas de­vant les instances et les supplications, et cependant celles-ci ne sont pas l'indice de la volonté de Dieu2.

De nouveau, je vous recommande la plus grande discrétion et vous commande le silence le plus absolu. Ce n'est pas que je craigne d'avoir fait une mauvaise action. Au contraire, je crois avoir été pour vous le pauvre instrument de Dieu. Il m'en a coûté, je vous assure, d'avoir ainsi déchiré les beaux plans de l'excellent P. d'Alzon. Mais si j'ai à son insu désobligé un ami, je ne l'ai fait que pour sauver un fils. Les miens d'abord et puis seulement les amis; le tout secundum Dei ordinationem3.

A Dieu, mon très cher. A vous de cœur en J. et M.

M. Freyd

1 Le P. Mauron, Général des Liguoriens (Rédemptoristes) chez qui Léon Dehon avait fait, du 26 au 30 juillet, une retraite d'orientation: «Je décidai mon entrée à l'Assomption, notera plus tard le P. De­hon, mais il me restait des objections, et puis je voyais que le P. Mauron et le P. Freyd ne me don­naient leur assentiment qu'à regret» (NHV IX, 43).

2 Les prévisions du P. Freyd se vérifièrent en effet. On pourra suivre dans la correspondance successive de l'abbé Desaire avec le P. Dehon jusqu'en 1880 et dans les NHV, ce qu'il advint de l'abbé Desaire (cf NHV vol. 8 index «Desaire»).

3 Le P. Dehon cite intégralement cette lettre en NHV IX, 67-68 et conclut: «J'obéissais donc bien à mes directeurs, que pouvais-je faire d'autre?».

371.19

AD B.21/3.P

Ms autogr. 1 p. (21 x 13)

De l'abbé Dours

Soissons le 3 novembre 1871

Monsieur l'abbé,

Mgr vous a désigné pour remplacer à St-Quentin M. l'abbé Dessons qui reçoit une autre destination et le suis personnellement heureux de vous informer de cette décision1.

Veuillez vous mettre au plus tôt à la disposition de M. l'Archiprêtre et lui apporter le concours de votre savoir et de votre piété.

Votre bien dévoué

L'abbé Dours

1 Cette lettre de nomination avait été annoncée à l'abbé Dehon parle doyen de La Capelle (cf LD 183, note 3). Le P. Dehon la cite en NHV IX, 70-71, et il conclut: «C'était absolument le contraire de ce que j'avais désiré depuis des années, une vie de recueillement et d'étude. Fiat!».

158.20

AD B.17/6.12.20

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De Mr Demiselle

Soissons 6 novembre 1871

Bien cher ami,

C'est vous qui m'apprenez votre nomination â St-Quentin. Je vois peu Mgr, et der­nière fois que je lui ai parlé de vous, rien n'était encore décidé.

Je passerai vraisemblablement à St-Quentin dans le courant de décembre. Vous al­lez trouver là une ample matière à votre zèle. Mais que d'âmes qu'on ne peut attein­dre! Je crois toujours qu'il faut agir sur ces pauvres égarés par la diffusion de bonnes brochures, de bons journaux. Les opuscules de Mgr de Segur me paraissent éminem­ment propres à répandre des idées saines dans ces intelligences dévoyées. Vous aurez pour instruments les membres de la Conférence de St-Vincent de Paul. C'est sur les hommes qu'il faut agir par tous les moyens en notre pouvoir. Pour les femmes, on aurait gagné une belle partie si on pouvait les dégoûter de ces mises excentriques: «non extrinsecus capillatura»… ces bottes de cheveux étrangers dont elles se chargent la tête. Quelle différence avec l'étiquette austère des chapelles apostoliques à Rome!1.

Je comprends le silence de Mr d'Alzon. Il a dû être atterré. Je ne lui ai pas écrit. Le petit mot de votre dernière lettre aura suffi2.

Mille compliments de conjouissance (sic) sur le rétablissement de Mme Dehon. Qu'elle prenne bien des précautions pour prévenir le retour d'une semblable affec­tion. Ma pauvre petite Lille, que le bon Dieu la conserve à ses parents. Elle a besoin de soins3.

Je vous féliciterai fort si vous avez le bonheur d'être admis auprès de cette sainte fille du Bois-d'Haine. Il doit y avoir dans ce spectacle une émotion toute particulière4.

Amitiés à tout le monde. Je suis bien à vous de cœur.

Demiselle

Ma sœur ne veut pas être oubliée.

1 Mgr de Ségur (1820-1881), célèbre écrivain spirituel: visant surtout à un apostolat populaire, il pu­blia, outre d'importants ouvrages de spiritualité, de nombreuses brochures, opuscules, tracts sur les sujets les plus divers, les vérités de la religion et les questions d'actualité.

2 La première lettre du P. d'Alzon à l'abbé Dehon sera du 9 décembre (LC 147).

3 «Lille»: sans doute le diminutif familier pour Amélie, la seconde fille d'Henri et Laure Dehon.

4 Il s'agit de Louise Lateau, célèbre stigmatisée de la fin du 19° siècle (1850-1883), à Bois-d'Haine (diocèse de Courtrai). L'abbé Dehon, en revenant de Louvain, avait tenté en vain d'être admis à la voir (NHV, IX, 62). Il demanda et obtint d'être reçu le 23 mars 1873 (NHV X, 18-19). Il en écrivit longuement à ses parents dès le 24 mars. Plus tard, en mars 1883, il la revoit et il note: «Louise La­teau m'a dit son impression sur notre œuvre, elle la croyait divine» (NHV XIV, 154).

163.05

AD B.17/6.17.5

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De l'abbé Dugas

Lyon 9 novembre (1871)

Mon très cher ami,

Je savais déjà indirectement votre nomination à Saint-Quentin, je tenais la chose du P. Eschbach que j'ai vu ces derniers jours à Paris. Je n'ai qu'à me rappeler nos cau­series de cet été pour être sûr qu'en allant là vous ne faites pas votre propre volonté, mais je vous félicite de faire celle du bon Dieu. Courage, et vous aurez la paix promi­se aux hommes de bonne volonté.

Moi enfin je suis absorbé par mes derniers préparatifs, c'est décidément samedi matin que je pars pour Lons-le-Saulnier: j'ai donc droit d'être court.

Si vous répondez à ce bon abbé Begin, veuillez lui faire part de ma détermination; je n'ai absolument pas le temps de lui écrire en ce moment.

Priez bien pour moi, surtout ces jours-ci; quand je serai riche de paix, de vie réglée, lé vous rendrai cela.

Tout à vous de cœur en N. S.

Joseph Dugas

150.07

AD B.17/6.4.7

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De l'abbé Bourgeat

Grand Séminaire de Metz, ce 12 novembre 1871

Mon cher ami,

Décidément il y a eu un malentendu entre nous: j'attendais tous les jours une lettre de vous m'annonçant votre poste définitif ou provisoire, mais rien ne vient. Je ne sais que conclure de votre silence, il me paraît difficile à croire que vous ne soyez pas en­core placé, et d'un autre côté, si vous l'étiez, je ne comprendrais pas comment je n'en ai pas de nouvelles. Cette attente a été le seul motif pour lequel je ne vous ai pas écrit plus tôt; car c'était pour moi un besoin et un devoir de vous remercier de votre aima­ble accueil et des quelques heures malheureusement trop courtes que j'ai si agréable­ment passées en votre compagnie. Pour venir un peu plus tard, ces remerciements n'en sont pas moins sincères et partent du fond du coeur, croyez-le bien.

Depuis ma rentrée, j'ai eu des nouvelles de Mr Dugas. Je lui ai écrit récemment pour lui accuser réception de mes deux volumes de Franzelin; j'espère que ma lettre lui sera encore parvenue avant son entrée au noviciat. Aussi j'attends une réponse sous peu. J'ai reçu aussi une lettre de M. Vantroys, qui a dû être ordonné prêtre à la fin du mois dernier; il était à Versailles et me demandait de vos nouvelles: je lui en ai donné, vous ayant vu très peu de temps auparavant. J'ai écrit il y a une quinzaine au R. P. Freyd pour lui demander mes lettres testimoniales de mon ordination aux or­dres mineurs. J'attends encore la réponse. Pauvre Rome! On ne peut y songer sans un sentiment de tristesse. Dieu veuille abréger ces jours d'épreuves et rendre bientôt le calme à son Eglise et le trône à Pie IX.

Un mot maintenant de ce que je fais ici. De mardi en quinze, nous passons notre examen pour lé sous-diaconat; il va donc falloir le préparer plus activement, afin de ne pas donner aux examinateurs une mauvaise idée des Romains; au moins, c'est une considération entr'autres.

Ces examens sont plus sérieux ici qu'à Rome, ils ressemblent plutôt à un examen

pour les grades qu'à un examen pour les ordres. Cela se conçoit du reste sans peine; car ici, une fois sorti du séminaire, on est placé presque de suite.

J'allais oublier de vous dire que dans le chapelet dont vous m'avez fait cadeau, il manque un grain; le m'en suis aperçu seulement en voulant le faire monter. Je le ferai toujours monter comme cela provisoirement; quand je retournerai vous voir, nous verrons s'il y a moyen de remédier à cet inconvénient. Ne vous tourmentez pas au su­jet des reliques, cela n'est pas pressé; on ne m'en reparle pas et je crois bien qu'on re­garde la chose comme perdue. Quand je vous reverrai, je les rapporterai.

Je me recommande à vous d'une manière toute spéciale, pendant ces six semaines qui vont s'écouler bien rapidement d'ici à notre ordination, qui aura lieu le 23 décembre. Présentez, s'il vous plaît, mes respects â vos parents et ne me laissez pas trop long­temps sans réponse.

Tout à vous in Christo.

Bourgeat

P. S. Je reçois à l'instant une lettre du R. P. Freyd m'annonçant que les cours re­prennent à Rome et que MM. Roserot, Bernard, Philippe, joseph, de Vareilles s'y trouvent déjà. On y attend MM. Polly et Pineau Omer.

437.16

AD B.21/7a.5

Ms autogr. 1 p. (21 x 13)

De M. Gobaille

St-Quentin, le 12 novembre 1871

Mon cher Monsieur,

Mr le Doyen de Sains me répond que Mr l'abbé Dessons, «ne connaissant que l'obéissance à ses supérieurs, va faire ses préparatifs de changement de position; et il espère que sa chambre sera libre au Vicariat pour l'arrivée définitive de son succes­seur.

Le plus tôt que vous pourrez venir nous sera agréable. Comptez sur un parfait ac­cueil de la part de tous. Toutefois, ne vous hâtez pas outre mesure et prenez le temps que vous croirez nécessaire1.

Je suis, avec une très particulière estime et affection, bien cher Monsieur.

Votre tout dévoué en N. S.

Gobaille
curé-archiprêtre

1 L'abbé Dehon avait fait sa première visite à Saint-Quentin le 7 novembre, accompagné de l'abbé Pe­tit, curé de Buironfosse (NHV IX, 72). Il s'installa définitivement le 16 novembre (NHV IX, 79).

161.17

AD B.17/6.15.17

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

La Vigan 14 novembre 1871

Mon bien cher ami,

Par l'exactitude avec laquelle je viens répondre à votre lettre, le vais vous prouver qu'on n'est pas impunément dans un noviciat et qu'on s'y corrige de ses défauts. J'at­tendais avec impatience de vos nouvelles, me figurant toujours, je ne sais trop pour­quoi, que par un nouveau mouvement en avant, vous arriveriez sans avoir besoin d'aller passer par St-Quentin. Il n'en est rien et voici que pour vous ou pour moi, je suis obligé de répéter le mot de la fable: «Trop vert!»1. Je n'en conserve pas moins un vif espoir de travailler un jour avec vous, sous le même toit et sous le même froc.

Non, il n'est pas possible qu'un malheureux moment de vacances ait pu briser des liens si doucement formés sous le regard de Dieu, et anéantir des projets qui devaient si bien servir à sa gloire. Tous les jours, je prierai et ferai prier pour qu'à tous deux le Seigneur nous rende force et lumières.

Vous me demandez mes impressions sur le Vigan: toujours je vous les donnerai avec sincérité et surtout avec vérité. La petite communauté compte environ vingt membres; les uns étudient encore les lettres, les prêtres occupent plus spécialement d'études ascétiques, et durant ces quelques mois où le P. d'Alzon va séjourner avec nous, nous recevrons ses instructions. Chaque jour il en donne une qui dure près d'une heure. Je ne saurais assez vous dire combien j'y trouve de l'intérêt, de la gran­deur dans les vues et un fond de piété solide et éclairée. Nous n'avons pas ici une belle église comme votre quasi-cathédrale, mais je vous assure qu'on sent très bien que Dieu s'y trouve, qu'il y parle au cœur et qu'il y bénit ses enfants. Le genre de vie que le mène est donc en tous points assez semblable à celle du Séminaire français. Je m'occupe spécialement de piété et je me propose de me pénétrer longuement des écrits de St jean de la Croix. La vie intime que je trouve avec le P. d'Alzon me rend tout-à-fait heureux.

Aussi je me demande si, même humainement, il peut y avoir une plus belle position que celle du Religieux, qui ne compte que sur Dieu et sur lui-même et qui peut, sans appréhension, se jeter dans la mêlée du combat à soutenir pour la cause sainte. Sans doute, la vie n'est pas toute de roses: il en coûte quelque peu de s'astreindre de nou­veau à une règle qui a bien ses coups d'épingles, de mettre sous le boisseau la lumière qu'on croit avoir, de demeurer humblement retiré, quand on pourrait être dans une magnifique église. Mais tous ces sacrifices apparents effrayent peu quand on regarde l'avenir, qu'on veut le bien véritable de son âme et de celles qui vous seront confiées.

Avec un prêtre de la Savoie, qui quitta Beaufort en juin dernier, j'ai pris le (fa­meux?) capuchon, samedi dernier. Cet acte, que je regardais avec vous comme un épouvantail, m'a paru si naturel et si logique que, loin de m'en attrister, je l'ai fait avec une gaîté de cœur sans pareille. Encore quelques bonnes instructions, jointes à quelques sérieuses méditations, et les moindres petites pratiques de la vie monacale me seront aussi familières qu'à l'anachorète le plus consommé.

De toutes parts, des œuvres nouvelles se présentent au P. d'Alzon. Voici qu'à Nice il y aurait à faire un bien considérable. Le P. d'Alzon poursuit avant tout, avec une rare énergie, la question de l'Université. Comme je vous l'ai dit, nous pouvions par­faitement commencer au Grand Séminaire de Nîmes, dans deux ans, ce que Mgr Freppel vient de commencer à Angers; pour cela vous étiez nécessaire; votre apparen­te froideur, votre caractère, votre extérieur, vos études donnaient aussitôt en vous un Supérieur capable de prendre la position.

Les trois jeunes religieux qui sont à Rome se formeront; l'abbé Gilly est à l'Ass(omption) de Nîmes, se proposant comme professeur d'Ecriture; un jeune pre­tre, fort distingué, professeur de sciences au Gd Séminaire de St-Die est venu se pro­poser, faisant le voyage exprès, et reviendra en octobre définitivement. Encore une fois, bien cher ami, réfléchissez et voyez: je ne me résous pas à croire que le bon Dieu ne vous dira rien. Après cette année j'aurai encore un an de noviciat à faire; nous pas­serons au moins celui-là ensemble. L'année que vous allez passer à St-Quentin ne vous sera certainement pas nuisible; mais je pense qu'elle vous suffira.

Adieu, bien cher ami, continuons à nous écrire souvent et à rester bien unis en Dieu. Je vais prier le P. d'Alzon de vous écrire deux mots.

Tout à vous en N. S.

C. Desaire

1 De la fable de La Fontaine: «Le Renard et les Raisins».

182.03

AD B.17/6.35.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Petit

(Buironfosse le 28 nov. 1871)

Mon bien cher ami,

M'entretenir avec vous, mon bien cher ami, c'est offrir à mon ciel sombre un doux rayon de soleil. Oui, je suis toujours un peu triste depuis l'épreuve que la Providence m'a fait subir. Je sens aujourd'hui toute la place qu'occupait ce bon vieillard. C'est qu'en effet, nous nous attachons plus, je crois, à ceux auxquels nous donnons beau­coup, qu'à ceux de qui nous recevons. Se prodiguer pour quelqu'un, c'est surexciter son affection pour lui, c'est la doubler? Pour un cœur généreux, se dévouer, c'est vi­vre; c'est lui arracher la vie que de lui enlever l'objet de son dévouement: «attamen non mea, sed tua fiat!!! Il est vrai que le bon Dieu a daigné me frapper de sa main la plus paternelle, puisque la mort de mon père fut la mort du juste! La suite nombreuse au jour de l'inhumation, les lettres sympathiques de cœurs dévoués m'ont aussi ap­porté un grand allègement.

Je suis allé à La Capelle vendredi dernier. Après avoir vu M. le Doyen, que j'ai trouvé très irrité contre les instituteurs de l'arrondissement, je me suis empressé d'al­ler rendre visite à vos bons parents. Je les ai trouvés en fort bonne santé; madame vo­tre mère va bien maintenant. Nous avons beaucoup, ou plutôt uniquement parlé de Mr le Gd Vicaire de St-Quentin. Mr votre père parait être rentré dans une impression plus favorable. Je me suis réjoui de cet état de choses.

Vous voilà donc sur la brèche, mon très cher, lancé dans un ministère actif; de la théorie vous passez à la pratique de l'art suprême du gouvernement des âmes: grande opus! Il nous faut, mon très cher, chacun dans notre sphère, déployer toute l'ardeur d'un zèle prudent. Reléguons bien loin surtout toute pensée humaine, tout sentiment de sotte vanité qui, semblables aux harpies de la fable, viendraient souiller toutes nos œuvres. Les fruits de notre ministère et nos joies, même temporelles, sont à cette condition. Je ne cesse de me le répéter, et je crains toujours de n'en être pas assez con­vaincu.

Je suis heureux de vous voir si bien apprécier Mr l'Archiprêtre. Sous cette apparen­ce un peu glaciale, il y a un cœur bien bon. Vous trouverez surtout en lui une vertu qui ne se dément jamais, un prêtre qui ne sait que le devoir et qui, à la vertu éprou­vée, joint une science profonde de la théologie.

Mon église terminée, je croyais ma tâche remplie; mais voilà que sur ma demande, le Conseil Municipal vient de voter une église pour le Boujon, à bâtir au printemps prochain. Le moment m'a paru favorable pour adresser cette supplique. Le Conseil veut en ce moment tout ce que ne veut pas Mr le Maire; j'ai donc lancé mon affaire, elle a passé comme une lettre à la poste: 30.000 Fr et le surplus. J'ai tâché cependant de ne pas blesser mon maire, et si je n'ai pas mis toute la simplicité de la colombe, je vous prie de croire que j'ai usé de toute la prudence du serpent. Déjà je suis à l'œuvre pour combiner avec l'architecte le plan d'une jolie petite église gothique.

Veuillez agréer mon bien cher ami, l'assurance de mon respect le plus affectueux. Mon respect bien affectueux aussi à Mr l'Archiprêtre.

Votre ami bien dévoué

C. Petit

Buironfosse le 28 nov. 1871.

184.03

AD B.17/6.37.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Poiblanc

Semur le 28 novembre 1871

Cher ami et Confrère,

Je ne saurais assez vous dire combien j'ai été heureux lorsque j'ai lu votre signature au bas de votre bonne lettre. Certes, il m'en coûtait de voir toutes relations, si ce n'est celles de la prière, rompues entre nous; aussi je désire bien vivement que les œuvres communes, dont nous allons avoir à nous occuper pour la gloire de Dieu, resserrent des liens d'autant plus doux que c'est dans notre chère Rome qu'ils ont été formés.

Avant de répondre à votre demande, laissez-moi encore vous dire avec quelle joie j'ai appris que vous étiez entré bravement dans les rangs du clergé séculier. Grâce à Dieu, j'aime profondément les ordres religieux: je comprends trop qu'ils sont dans le clergé romain des corps d'élite; d'ailleurs Rome les aime, les encourage: cela doit nous suffire pour les aimer aussi.

Cependant, je l'avoue simplement, quand je considère le rôle immense que le cler­gé séculier, paroissial, a et peut seul avoir au milieu de la société, je ne puis empêcher un sentiment de tristesse de monter jusqu'à mon cœur, quand je vois les meilleurs d'entre nos confrères quitter nos rangs, où ils craignent de perdre leur ferveur, où ils trouvent trop difficile de se sanctifier. Et cependant, c'est précisément de leur fer­veur, de leur sainteté que nous aurions besoin pour redonner un peu de zèle apostoli­que, de vie intérieure, d'esprit de sacrifice à nos prêtres, qui, il faut le reconnaître avec douleur, se laissent de plus en plus aller à des habitudes toutes bourgeoises et à une vie qui rappelle bien peu celle du Divin Maître. Comment avec cela s'étonner que notre société se perde de plus en plus: ses médecins sont aussi malades qu'elle. Que Dieu, dans son infinie miséricorde, daigne nous donner de saints prêtres et nous en­seigner le moyen de combattre l'isolement qui nous tue et de nous lier fortement par les liens étroits de saintes associations sacerdotales. Prions! ne cessons de prier!

Vous avez bien mal choisi, mon cher abbé, en vous adressant à moi pour connaître le moyen d'établir un patronage pour les jeunes gens. Pourtant je serai heureux de vous dire le peu que je sais. Avant tout, je vous renvoie à deux excellents livres, qui méritent d'être lus, médités par tous ceux qui veulent s'occuper de sanctifier les jeu­nes gens: 1° «Méthode de direction pour les œuvres de jeunesse», par l'abbé Timon­David, chez Sarlit; 2° «Vie et esprit du Ven. Serviteur de Dieu, J. J. Allemand», par l'abbé Gaduel, chez Lecoffre. Vous pourrez consulter avec avantage, le «Manuel du Patronage à l'usage des Conférences de St Vincent de Paul», chez Sarlit1. Enfin, je vous recommande beaucoup la Revue des Associations Catholiques pour la classe ouvrière, Boulevard des Lices 33, à Angers. Vous feriez bien de demander l'année déjà parue, à cause du compte-rendu du Congrès de Versailles. Vous trouverez dans ces publications, surtout dans les deux premières, beaucoup mieux que ce que je pourrais vous dire. Ma petite expérience me convainc que la méthode de Mr Timon­-David est la meilleure, pour ne pas dire la seule bonne. Avant tout, il ne faut pas avoir peur de la piété avec les jeunes gens; le milieu dans lequel ils sont appelés à vi­vre est si funeste qu'on ne peut espérer les conserver, si on n'aspire â en faire que des chrétiens faisant leurs Pâques.

Il faut en faire des chrétiens fervents. Pour cela, je pense qu'il faut commencer avec un petit groupe bien choisi, former bien sérieusement ce noyau, y développer un grand esprit de foi et de piété, lui faire prendre de sérieuses habitudes de dévotion, et puis alors, petit â petit, y adjoindre d'autres jeunes gens qui facilement prendront le pli. Afin de conserver l'esprit de ferveur, il me semble que, dès qu'on s'est un peu agrandi, il faudra former dans le sein de l'œuvre une petite association des plus fer­vents, qui sera comme un levain.

On ne pourrait, à mon avis, commencer avec de grands jeunes gens qu'autant qu'on en trouverait de très bons. Dans ce cas, il n'y a pas à hésiter: l'œuvre sera plus vite, plus sûrement établie. Mais s'ils ne sont pas très bien disposés, vous les manie­rez très difficilement, tandis que des enfants plus jeunes, par exemple après leur 1° communion, seront, plus malléables.

Pour commencer, vous n'avez besoin que d'une cour et d'une salle et, si possible, une petite chapelle ou un oratoire. C'est même le point capital qui donne tout de sui­te à l'œuvre son cachet. La confession fréquente est la cheville ouvrière d'une œuvre de jeunesse. Le règlement ne peut pas exiger moins de tous les mois, mais il faut tâ­cher d'avoir davantage. Pour le budget, vous pouvez faire très peu de dépenses: c'est une illusion de croire que c'est par de fréquentes récompenses, des jeux variés et dispendieux qu'on conserve les jeunes gens.

Pour commencer, il est bon d'user de récompenses. Au bout d'un certain temps, el­les ont moins d'utilité. Si les enfants ne sont pas pauvres, il est bon de leur faire don­ner une petite cotisation: cela les intéresse à l'œuvre, ils sentent que c'est leur œuvre, et cela est un grand point. Il est bon d'avoir quelques livres à prêter, non seulement afin d'éviter les mauvaises lectures, mais aussi afin qu'à l'œuvre, à leur œuvre, ces enfants trouvent tout ce dont ils ont besoin, tout ce qui peut leur être agréable, J'espère que bientôt vous me ferez connaître ce que vous avez entrepris.

Tout à vous en N.S.

F. E. Poiblanc

L'abbé de Bretenières n'a toujours pas retrouvé sa bonne santé. Cependant il conti­nue son cours; il se plaît dans son poste, où d'ailleurs il a trouvé d'excellents confrères. Il sera tres heureux d'avoir de vos nouvelles. Je ne manquerai pas de le faire en lui écrivant. S'il me vient encore en pensée quelque chose à vous dire sur le Patrona­ge, je me ferai un vrai plaisir de vous le communiquer. Avez-vous des nouvelles du Séminaire français et des Pères?

1 Timon-David (Joseph-Marie, 1823-1891), fondateur à Marseille d'une Œuvre de jeunesse pour les classes populaires, œuvre continuée aujourd'hui par les membres de l'Institut qui porte son nom. Allemand (Jean-Joseph, 1772-1836), prêtre de Marseille, qui reprit en 1801 l'Œuvre de jeunesse, supprimée par la Révolution, notamment pour les classes moyennes, œuvre de formation spirituelle assez exigeante pour la formation de laïcs engagés.

Gaduel (Jean-Pierre, 1811-1888); d'abord Sulpicien, il tenta une œuvre de jeunesse à Paris (du type Allemand) ainsi qu'une association pour les prêtres, à l'exemple de Barthélémy Holzhauser en Alle­magne. Devenu collaborateur intime de Mgr Dupanloup, il prit une part active dans la polémique anti-infaillibiliste pendant le concile du Vatican.

150.08

AD 11.17/6.4.13

Ms autogr. 1 p. (21 x 13)

De l'abbé Bourgeat

Metz ce 3 décembre 1871

Mon cher Ami,

Me voici décidément à la veille de faire le pas décisif qui doit m'engager pour tou­jours dans les rangs de la milice sainte. De mardi en quinze, nous serons ordonnés: notre examen est passé depuis mardi dernier et on a dû me publier aujourd'hui pour la première fois1. Hélas, les quelques jours qui me séparent encore du sous-diaconat seront bien vite écoulés et cependant je suis loin d'en être digne. Priez donc bien pour moi afin que je devienne un bon sous-diacre et plus tard un bon prêtre. Je me recom­mande plus que jamais à votre souvenir au Memento, tâchez de m'y donner une peti­te place. Je vous promets d'avance une part dans mon souvenir lorsque j'aurai le bon­heur de réciter au nom de l'Eglise le saint office.

Le lendemain du jour où je vous ai écrit, j'ai reçu un dernier petit mot du P. Dugas avant son entrée au noviciat. J'attends pour lui répondre que Noël soit passé, car il doit être dans sa grande retraite. Je crois vous avoir dit que le P. Freyd m'a écrit ré­cemment, si même je ne me trompe, sa lettre m'est arrivée le jour même où je vous écrivais. Je vais lui répondre sous peu. Pauvre Ste-Claire et surtout pauvre Collège romain! Je crains toujours que ces bandits d'Italiens ne chassent complètement les jé­suites de ce Collège. De telles gens sont capables de tout. A la garde de Dieu!

On dit que Gambetta prêche à Saint-Quentin, mais à sa façon, bien entendu2. No­tre malheureuse France n'est pas encore au moment de renaître et il lui faudra encore une rude leçon avant qu'elle reconnaisse ses torts envers Dieu et l'Eglise.

Dans ce pays rien de nouveau, nous vivons tranquilles jusqu'à présent, mais nul ne saurait prévoir ce que nous réserve l'avenir. Avec nos hôtes forcés, on peut craindre a chaque moment des complications et des tracasseries.

Je m'arrête ici, préférant être bref et vous écrire plus souvent, car la monotonie de notre vie ne donne pas grandes nouvelles a annoncer dans les lettres.

Tout a vous en J. et M.

Bourgeat

1 La publication des bans dans la ou les paroisses d'origine et de résidence avant le sous-diaconat com­me avant le mariage.

2 Allusion au discours prononcé par Gambetta à Saint-Quentin, le 16 novembre 1871, à l'occasion du banquet commémoratif de la résistance de la ville contre les Allemands, le 8 octobre 1870; discours-­programme sur les objectifs de la gauche républicaine et laïque, qui eut un grand retentissement dans la presse et dans l'opinion (cf en St. Deh N. 9 p. 48, note 1, notamment pour son impact sur l'abbé Dehon lui-même).

161.18

AD B.17/6.15.18

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Le Vigan 9 décembre 1871

Bien cher ami,

J'arrive d'une courte excursion a Notre-Dame des Châteaux. L'administration uni­versitaire avait essayé de nous créer des misères: certaines formalités n'ayant pas été intégralement remplies, il avait été enjoint de fermer la petite école. La lettre qui en­joignait cette mesure alla de Beaufort a Rome et nous revint au Vigan. Sur-le-champ, le P. d'Alzon écrivit à M. de Larcy, qui obtint de J. Simon la révocation de cet ordre rigoureux et qui remit toute chose dans la tranquillité. Mais, avant d'avoir obtenu une réponse, effrayé du mauvais effet que produirait la dispersion des enfants, j'avais cru devoir monter aussitôt pour faire un peu de tapage auprès des populations et ob­tenir des pétitions en faveur de l'œuvre. Quoique mon voyage n'ait eu aucune utilité a ce point de vue, j'en ai été content a cause de la satisfaction que j'ai rapportée de voir cette petite œuvre si bien marcher: il m'a été donné de constater combien il est facile de trouver encore des âmes pieuses et vraiment innocentes quand on veut les soigner des le jeune âge et ne leur fournir que de bons exemples.

Ces enfants sont charmants: ils étudient avec zèle, chantent avec entrain et sont aussi recueillis que des moines consommés. Il me semble que je serais heureux de vi­vre toujours au milieu d'eux et de travailler à faire grandir en eux N. S. Enfin, je crois plus que jamais que de semblables pépinières sont appelées à faire dans l'Eglise le plus grand bien et à donner de vrais ministres à nos autels.

Quand vous avez eu la bonté de m'offrir d'acquitter des messes à mon intention, je n'en avais pas. On m'en a remis 60 que vous aurez la bonté d'acquitter quand il vous plaira, mais les 20 premières doivent être dites avant la fin janvier.

Vous tardez beaucoup à me donner une réponse à ma dernière lettre. Votre nou­velle installation est sans doute la cause de retard. Veuillez me dire, bien cher ami, ce que vous faites et ce que vous pensez de nos anciens projets. Sans m'ennuyer au novi­ciat, car vous savez combien j'ai à travailler et combien j'aime travailler, je suis sou­vent pris d'un épouvantable et sombre ennui. Je voudrais connaître les causes vraies de votre ajournement; en un mot, je suis loin de jouir de ce calme absolu que mon âme désirerait et qu'elle espérait trouver dans la retraite.

Je ne sais si ce sont des fantômes ou des réalités, mais à plusieurs reprises, je sens ou je crois sentir que, vous n'étant pas là, notre but principal ne sera pas atteint et que, par conséquent, ma raison d'être ici ne demeure plus la même. Cependant, d'au­tre part, je vois bien qu'en étant prêtre séculier, je ne ferai rien de bon.

Que devenir, mon Dieu, au milieu de ces incertitudes? Je n'en parle pas au P. d'Al­zon: il paraît très occupé quand j'ai à lui parler, et je redoute de lui faire de la peine en lui révélant ces troubles de mon âme. Puis, je ne sais comment il me juge; tantôt il me paraît croire que le noviciat me pèse et que je désire travailler au plus tôt à l'exté­rieur; tantôt il semble indécis sur le genre de travaux qu'il me confiera. Un jour, il me dit de diriger mes vues uniquement vers l'établissement de l'Université à Nîmes; mais je ne m'en sens point capable; autant j'aurais pu faire un bon petit professeur, autant le supériorat me convient peu pour une pareille œuvre: voilà pourquoi j'éprouve quelquefois de violentes tentations de me retirer.

Mais que dirait-on? Que je ne suis jamais content nulle part et que partout je suis incapable de tout travail sérieux. Parlez-moi, mon bon ami, un peu plus à cœur ou­vert que vous ne l'avez fait dans vos dernières lettres et dites-moi toute votre pensée.

Vous savez que l'abbé Dugas est au noviciat de Lons-le-Saulnier: je ne sais com­ment il y va. J'attends avec impatience de ses nouvelles.

Au revoir, bien cher ami; prions toujours beaucoup l'un pour l'autre, et essayons de nous expliquer mutuellement la nature des croix que le bon Dieu nous impose et que nous ne discernons pas toujours avec beaucoup de facilité.

Votre confrère bien dévoué en N. S.

C. Desaire

433.12

AD B.21/7a.1.12

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

Du P. d'Alzon

9 décembre 71

Mon cher ami,

L'abbé Desaire, ou plutôt le P. Desaire me demande de vous écrire Hélas, mon pre­mier mouvement, après votre lettre, avait été de vous envoyer ces seuls mots: «Nemo mittens manus ad aratrum…»1.

Mais c'eût été cruel. Le p. Freyd qui m'a écrit, semble m'expliquer vos angoisses. En y réfléchissant, je les comprenais, sans les absoudre entièrement, mais je me sens porter à supposer que ce sera peut-être pour votre plus grand bien. (Vous) me per­mettrez de vous dire que vous nous arriverez avec une plus large provision d'une ver­tu qui est la base de toute sainteté2.

Adieu, méchant transfuge, que j'aime encore beaucoup trop sans savoir pourquoi, car vous ne le méritez guère après le tour que vous nous avez joué.

E. d'Alzon

1 Cette lettre, la dernière qui soit conservée du P. d'Alzon à l'abbé Dehon, était sûrement jointe à la précédente du P. Desaire (LC 146). La citation est de Lc 9,62: «Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu». On comprend la désillusion du P. d'Alzon, lui qui, dès 1851, avait un tel projet d'université libre à Nîmes (cf lettre au cardinal Fornari, le 19 août 1851, dont la photocopie est conservée aux AD B. 21/7 bis; Inv. 441.01 et 02.

2 Aucune des lettres conservées du P. Freyd au P. d'Alzon ne parle de l'abbé Dehon et de ses angoisses.

188.02

AD B.17/6.41.2

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Vantroys

Rambouillet le 12 décembre 1871

Mon cher ami,

Je suis prêtre depuis plus d'un mois et je ne vous pas encore écrit! C'est tres mal, et vous ne me pardonneriez pas, si je ne vous assurais aussitôt que je vous l'ai déjà dit cent fois dans mes messes par le divin intermédiaire de J. C. qui a dû vous bénir avec effusion, si mes prières ont été exaucées.

Oui, malgré mon indignité, je suis prêtre et je maltraite les âmes dans la petite ville de Rambouillet. Intéressez-vous, je vous en prie, à ma mission, si infime qu'elle soit, et obtenez-moi de Dieu au moins ce que j'appelle les vertus élémentaires du bon prê­tre. Hier encore, je me réchauffais à la lecture des deux précieuses lettres que j'ai de vous; vous m'avez touché, j'ose vous en féliciter, car ma sensibilité, presque anéantie par l'abus de toutes les sensations, ne joue pas sous tous les doigts. Je suis d'une dé­fiance toute normande, et pourtant personne ne se jette avec plus de fougue dans un cœur qui s'épanouit avec générosité et franchise: comprenez cela si vous pouvez. Ce qui est très certain, c'est que je suis toujours prêt à me vanter de ces sortes de défaite, quand le cœur d'autrui m'apparaît enfin ridé par un tout petit calcul; je me console et me retire tristement, en pensant que c'est ainsi que N. S. aime à se laisser battre.

Quelle prétention! Enfin, vous êtes bon: vous débrouillerez le vrai du faux, et vous continuerez à soigner mon âme devant Dieu, avec cette générosité et cette franchise que j'ai trouvées. Mon Dieu! j'ai comme des frissons que vous ne vous laissiez attein­dre par la sainte contagion qui envahit tous les confrères: le monde est donc bien mauvais pour que tous les forts s'en retirent et s'enferment dans les cloîtres! Où ira-t­on maintenant chercher le sel évangélique? Car enfin, il faut que le condiment soit au milieu même de la viande qui se corrompt!

Dans tous les cas, je prie Dieu qu'il veuille bien nous réunir quelquefois sur la terre et pour toujours dans le ciel.

A. Vantroys, vic.

Ecrivez-moi le plus tôt possible.

148.03

AD B.17/6.2.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Bernard

Rome, Fête de Noël (1871)

Cher Monsieur,

J'ai bien à vous demander pardon de vous avoir fait attendre si longtemps une ré­ponse. Je ne m'excuserai pas sur mes nombreuses occupations, mais sur ce que je suis généralement en retard (vous me croirez sans peine) dans mon travail de préparation à l'examen. Je n'ose donc vous parler de votre lettre que pour vous assurer qu'elle nous a fait le plus grand plaisir, au P. Supérieur d'abord, et à vos anciens de Ste­-Claire. Nous croyons tous que vous avez été bien inspiré de faire au bon Dieu le sa­crifice de vos projets d'Université. Et si vous me permettez de vous exprimer ma pen­sée, je crois désormais que la première Université Catholique ne sera plus en France, mais à Rome. En tout cas, n'est-il pas un peu présomptueux de vouloir commencer par le couronnement de l'édifice? Et puis, c'est sans doute une idée excellente d'aller chercher à Rome les bonnes doctines pour les répandre en France; mais les doctrines romaines ne sont pas précisément un trésor qu'il faille se hâter d'emporter pour en faire part à ses amis et connaissances. C'est plutôt une source d'eau vive, à laquelle il faut venir puiser sans cesse pour tous les besoins de la vie des âmes.

Ce qu'il y a de plus urgent, il me semble, c'est de commencer par fonder une bonne Faculté de philosophie et de théologie dans chaque diocèse, en la forme approuvée par le Concile de Trente. Or le moyen le plus sûr et le plus pratique, c'est certaine­ment le Séminaire français et le Collège Romain. Entre Rome et les séminaires de France bien constitués, il pourra y avoir place dans la suite pour des combinaisons intermédiaires, lorsque Paris et nos grandes villes révolutionnaires auront fait péni­tence.

Mais je le répète avec conviction, la grande Université catholique sera désormais à Rome, près du Pontife infaillible, dans la ville du grand Concile. A mon avis, la Fran­ce n'y perdra pas; de plus en plus, je vois que c'est à Rome qu'on apprend à bien ai­mer la France.

Ce qui ne m'empêche pas d'estimer beaucoup la Congrégation de l'Assomption; au contraire. Consolez-vous, vous lui avez été utile; vous avez été l'occasion de l'envoi de l'excellent P. Alexis à Rome. L'important est de commencer; cette année, le p. Alexis a amené le p. Jules et le P. Paul.

Grâce à ce précieux renfort, nous sommes onze élèves à Ste-Claire. M. Joseph a passé un brillant examen après deux mois de préparation; M. Philippe se dispose à l'imiter; M. Roserot et moi, toujours fidèles à nos habitudes de temporisation, comp­tons passer un peu plus tard; M. Brieugne se réserve pour la fin de l'année et M. de Vareilles pour le commencement de l'année prochaine. Nous possédons encore M. Pineau, dont malheureusement la position vis-à-vis de sa famille n'est pas encore bien nette; M. Putois vient d'être ordonné sous-diacre. L'événement du Séminaire, ce sont les constructions du P. Brichet, sa troisième entreprise à ma connaissance. Cette fois, il travaille pour autrui, toujours sur son terrain, bien entendu. Il sépare du reste de la maison les corridors donnant sur la rue, au 1°, 2° et 3° étages, les organise et en fait trois appartements à louer.

Et vous, comment vous trouvez-vous du saint ministère? Bien, me semble-t-il, d'après ce que vous en écrivez au P. Supérieur. Si vous me le permettez, je vous enver­rai pour une demi-journée mon petit cousin Ernest de Cambrai, pour causer avec vous associations catholiques et beaux-arts.

Figurez-vous que nous avons rétabli un semblant d'association de Ste-Catherine. C'est bien peu de chose, une quête par semaine, quand M. Roserot, qui en est char­gé, ne l'oublie pas. Enfin, c'est un lien de charité et cela conserve un peu les bonnes traditions, n'est-ce pas l'essentiel? C'est là-dessus que je me fonde bien solidement pour me dire toujours votre ami dévoué en N. S.

Charles Bernard, pr.

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