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CAHIERS FALLEUR

I

CONFERENCES ET SERMONS

9 novembre 1879 - 4 avril 1880

(Archives Dehoniennes: Boite 6/3)

1 Il est dans l'esprit de l'Eglise de porter ses pensées principalement sur les sujets qu'elle nous propose par ses fêtes:

Aujourd'hui c'est la dédicace des Eglises et cette dédicace nous fait penser naturel­lement aux églises qui sont nos âmes suivant la parole de St Paul: templum Dei …. quod estis vos (1 Co 3,17).

Nous sommes donc les maisons de Dieu.

Or, N.- S. a dit: domus mea domus orationis vocabitur (cf. Le 19,46): nous devons donc être des maisons de prière.

Dans ces maisons on y demande suivant la parole de Jésus: petite et accipietis: Jé­sus dit cela aux simples fidèles.

A ses Oblats il dit: vous êtes des temples, c'est moi qui y demande. Qu'y deman­de-t-il donc? La conformité à sa volonté, l'abandon joyeux à Lui, l'immolation, la compassion.

Il demande des victimes qui soient pour Lui ce qu'il a été pour son Père: il a demandé des autels. Des images, on ne les lui a guère refusées, mais des victimes il n'en a pas, on les lui refuse. Il cherche encore ce qu'il cherchait il y a 1800 ans, des consolateurs, et il n'en trouve pas. Ce qui me fait le plus de peine, dit-il, c'est que ce sont les âmes qui m e sont consacrées. C'est la prévision de cet aban­don 2 qui l'a fait plus souffrir, la trahison des amis du Cœur: il cherche quelqu'un qui s'immole, qui oublie ses intérêts personnels pour ne s'occuper que des siens, qui s'immole à chaque minute par une fidélité constante; il gémit des résistances qu'il rencontre dans ses amis, ses Oblats. Le mendiant de Paray-le-Monial trouve en­core toujours des froideurs, des ingratitudes; il n'a pas encore trouvé de vrais con­solateurs pour son Cœur. 3

Beati pauperes spiritu.... (Mt 5,3)

C'est la première [béatitude] exprimée pour bien des raisons, dont une est pour mieux marquer l'opposition entre Jésus et le monde qui place son bonheur dans la richesse. C'est la plus grande béatitude. Elle fait de nous des rois: regnum cœlorum.

Elle veut que nous n'ayons aucun attachement à ce qui tient à la commodité du corps, vêtement, aliment ou autre chose. Le mot mien est rayé du vocabulaire d'un religieux: la communauté nous prête. Plus d'attachement, mais détachement des choses matérielles quelles qu'elles soient.

Pratiquons-la parce que c'est un vœu pour nous. Un autre motif encore: c'est que nous avons à réparer l'attachement des autres religieux à leurs petits objets.

Pas de crainte: Jésus aura soin de nous, il permettra de temps en temps que nous sentions une pauvreté réelle pour[ …? ].

Ne doivent goûter que ceux qui ont des travaux manuels ou ceux qui étant malades ont une permission formelle de M. le Supérieur. Ce goûter doit se com­poser de pain et d'eau, le goûter d'un pauvre. Une pauvreté d'esprit qui n'aime pas une pauvreté réelle 4 n'est que fiction et mensonge.

Ne faisons pas attention si tel ou tel aliment revient plus ou moins à notre estomac. Prenons ce que la communauté veut bien nous donner. Où est le mal­heur si telle ou telle nourriture abrège notre vie de quelques mois? C'est un sacri­fice de plus pour Jésus. Aimons à prendre le dernier morceau; désirons même le besoin pour mieux prouver notre esprit de pauvreté.

Pas d'appropriation: tout [est] à la communauté et rien n'est à nous; c'est el­le qui nous prête ce que nous avons, mouchoirs, livres et tout objet. Qu'on ne di­se plus mon livre, mes vêtements.

Pour le feu aussi. Ne nous empressons pas de nous le procurer. Les pauvres ont-ils donc tant de commodités? N'ont-ils jamais froid? Estimons-nous toujours heureux, quand l'occasion se présente de ressembler à un pauvre réel et ne disons pas: je fais vœu de pauvreté à condition qu'on me fournira à boire, à manger, un bon vêtement, un logement confortable. Ce serait de la dérision, ce n'est pas ainsi qu'on répare. 5

Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam.... (Mt 5,6)

Ces paroles de N.-S. ont toujours un sens vague et général qui s'applique à tous les fidèles et un sens spécial pour les religieux.

Nous avons vu la béatitude des cœurs purs, puis celle qui consiste dans l'in­telligence et l'amour de la pauvreté, la désappropriation, plus de mien ni de tien, rien que l'usage. Aujourd'hui cette béatitude: beati qui…

Ce mot de justice s'entend ordinairement de la sainteté. N.-S. promet le ras­sassiement à ceux qui désirent arriver à la perfection de ses commandements, à ceux aussi qui veulent arriver à la perfection de ses conseils. Cette faim et cette soif sont comme un feu qui dévore, pour achever physiquement la comparaison. C'est la ferveur, le zèle.

Qu'on ne dise pas: je ne peux pas. C'est nier Dieu, c'est insensé. C'est dire que Jésus si riche en grâces verrait avec calme une âme s'adresser à son Cœur,en réclamer du secours et il lui en refuserait! C'est insensé. C'est parler contre la foi, car le désir, c'est-à-dire la faim et la soif de bien faire sont toujours rassassiés et exaucés: saturabuntur. Petite et accipietis (Jn 16,24).

Ils seront rassassiés par les consolations et les suavités de l'oraison et des exer­cices de piété, le calme et la paix. 6 Ces paroles ont un sens spécial pour les Oblats: cette justice est la justice de Dieu qui veut la réparation des crimes de son peuple choisi: heureux et bienheureux ceux qui ont faim et soif de voir la justice satisfaite et de la satisfaire eux-mêmes; heureux et bienheureux (je le dis mainte­nant, vous le comprendrez peut-être seulement plus tard - comme N.-S. a dit aux Apôtres beaucoup de choses qu'ils n'ont comprises qu'après la Pentecôte -) heureux parce qu'ils seront rassassiés de croix. Qui potest capere capiat (Mt 19,12); ipsi cruciabuntur (cf. Jl 2,6), et avec les croix le bonheur, ce bonheur si suave qu'on trouve après avoir surmonté une petite croix, une épreuve.

Vous avez pu remarquer que les jours où vous avez fait avec un grand amour votre désir de réparation, ce jour-là vous [avez] reçu des croix, venant du monde ou de vos frères ou d'une privation de nourriture, de commodité, etc.

Heureux et bienheureux ceux qui ont faim et soif de voir la justice divine sa­tisfaite par la réparation, parce qu'ils auront beaucoup de croix.

Je veux terminer par l'exemple de N.-S. auquel s'appliquent toutes les béatitu­des. Il l'a désirée d'un grand désir, cette justice, Lui qui est venu apporter le feu (le zèle) sur la terre. Aussi il a eu de grandes croix. 7

Beati mites, quoniam (ipsi) possidebunt terram (Mt 5,4)

Nous avons vu dans les précédentes béatitudes quelques remèdes apportés aux défauts principaux, aux passions capitales qui sont l'objet de nos luttes ici, car le noviciat est un combat spirituel. A la légèreté d'esprit, à l'attachement aux biens extérieurs, à la mollesse du cœur, nous voyons opposer la pureté dans l'intélligen­ce et l'affection, la pauvreté, la ferveur. Aujourd'hui une vertu bien nécessaire ici où règne encore un grand défaut: l'amertume et la dureté de cœur: beati mites, quoniam [psi] possidebunt terram; c'est-à-dire, ils posséderont les cœurs. N.-S. en indique ici le fruit immédiat : le royaume des cieux suivra, car celui qui est aux pieds du trône est un agneau et les hommes doux sont les agneaux de Dieu, prati­queront la douceur parce que Jésus nous y invite: discite…, parce qu'elle est une vertu de l'Oblat: quasi agnus mansuetus qui mittitur [portatur] ad victimam (Jéré­mie) (Jr 11,19); parce que surtout elle est nécessaire à l'Oblat qui doit faire une moisson de cœurs pour Jésus, lui amener tous les cœurs.

L'homme doux finit par n'avoir plus d'ennemis mais beaucoup d'amis: verbum dulce multiplicat amicos et mitigat inimicos (Si 6,5), il attire tout le monde et a­yant ainsi la confiance et l'affection, il peut les conduire au Cœur de Jésus. 8

La douceur nous est nécessaire à nous ici maintenant parce qu'on a les uns pour les autres de l'amertume et de la dureté dans le jugement, dans les paroles et dans les actes; les caractères sont durs, il y a des heurts regrettables, des froissements. Ce n'est pas ainsi qu'on attirera les autres qui verront ces misères.

La douceur a son 1er degré dans le support doux, patient, silencieux des af­fronts, des insultes, mépris, etc. Quand on les supporte d'un visage indifférent ou du moins que le premier mouvement est aussitôt réprimé, c'est déjà un pas.

Le 2e degré consiste à aimer ces affronts pour avoir occasion de prouver à Dieu qu'on est aisé de souffrir pour lui.

Le 3e degré à plaindre l'insulteur et méprisant du tort qu'il se fait.

Ces 3 degrés sont pour tous les chrétiens; pour les Oblats un 4c degré est de compatir au Cœur de Jésus qui est peiné de ces affronts et dont l'un des princi­paux tourments au Jardin de l'agonie a été de prévoir les duretés de son peuple.

Soyons donc [toujours doux] pour répondre à l'esprit de notre vocation, pour être entièrement conforme au Cœur de Jésus et faire battre nos cœurs à l'unis­son du sien. 9

Beati qui lugent... (M t 5,5)

larmes de patience, de pénitence, de compassion, d'amour.

I) Pour les gens du monde qui mettent faussement le bonheur dans la joie.

II) Pour les religieux en général, parce que la pénitence est essentielle à tout insti­tut religieux. Car la vie religieuse est la privation volontaire de sa volonté, des biens extérieurs et de l'usage des biens du corps. Heureux ceux qui excitent en eux des larmes de pénitence et de repentir: nous surtout qui sommes greffés sur l'ordre de la Pénitence de St François, nous devons chercher de ces larmes: spé­cialement que ceux qui sont aujourd'hui en retraite s'y excitent1).

III) Larmes de compassion pour Jésus et Marie.

Jésus pleure sur le jeune homme riche, sur Jérusalem, au Jardin de l'agonie.

Sur le jeune homme riche: il pleure de le voir mépriser aussi les grâces, il pleure en voyant qu'il se refuse à être un de ses apôtres, en pensant à tous les jeunes gens riches qui plus tard en feront autant comme nous le voyons dans notre Fran­ce où depuis la révolution les familles riches refusent des membres au clergé, des vocations qui pourraient ajouter au zèle des moyens de le suivre et de le réaliser et si nous savons bien compatir aux larmes de Jésus sur ce sujet, heureux serons-­nous, parce que nous en serons consolés par son divin Cœur (Qui sait trop ce qu'est une telle souffrance pour ne pas nous en consoler) 10 qui se hâtera de faire entrer dans le clergé des membres des familles plus riches qui peuvent apporter des dispositions plus délicates, une éducation première plus soignée, mieux cultivée et plus préparée et plus propre alors à la cléricature. Il en introduira surtout dans les Oblats.

Jésus pleure sur Jérusalem, sur sa patrie endurcie. Prions et compatissons à la douleur qu'il a eue de voir alors d'avance la France, le peuple de prédilection, la fille aînée de l'Eglise, et le peuple privilégié de Dieu et de Marie le méconnaî­tre, l'outrager. Heureux serons-nous alors parce qu'il la sauvera.

Jésus pleure au Jardin des Oliviers: la vue du peu de fruit de sa rédemption, des ingratitudes surtout de son peuple choisi lui a arraché des larmes et plus que des larmes, du sang. C'est là surtout qu'il faut compatir parce que là est notre vo­cation spéciale de consolation et de réparation.

Faisons-le à l'heure sainte et pendant la demi-heure d'adoration de chaque jour. Et Marie est aussi le modèle de ceux qui ont le bonheur de pleurer: elle a pleuré au pied de la Croix (Stabat mater dolorosa iuxta crucem lacrymosa) et elle a survécu miraculeusement et à la surnaturelle douleur qu'elle y a éprouvée: elle [est]notre premier modèle qui a la première consolé Jésus souffrant, uni son cœur à son Cœur et pleuré avec lui,ce qui est la meilleure consolation; elle a pleuré à Paray-le-Monial et à La Salette, surtout à cause du peuple choisi.

Les larmes d'amour, on les épreuve quand on se sent séparé du bien aimé é­perdument. Demandons-les et heureux serons-nous de les avoir. 11

Beati pacifici... (Mt 5,9)

Cette béatitude offre le remède au vice capital de la colère, et l'exemple de Jésus, Deus pacis (2 Co 13,11), Filius pacis (Lc 10,16), nous y invite.

Heureux les hommes de paix; cette paix, nous pouvons l'avoir avec le pro­chain, avec nous-mêmes, avec Dieu.

- Avec le prochain: le premier degré est de ne pas s'emporter extérieurement, de ne rien manifester de la colère qu'on a; le second de reprimer la colère intérieure aussitôt le premier mouvement.

- Avec nous-mêmes:

1° ne pas s'emporter parce qu'on a commis quelque faute. Cette colère est mauvaise, toute colère est le produit de l'orgueil déçu: étant moins vertueux que l'espérait notre amour propre, nous nous irritons et par une sottise qui châtie à l'instant notre orgueil nous punissons notre âme en la laissant aller à des fautes plus graves.

2° Nous conduire doucement dans la voie du perfectionnement, nous traiter avec une très grande douceur et humilité.

- Avec Dieu: ne pas être avec lui en guerre déclarée par le péché mortel, ni en guerre d'escarmouche par l'attachement [ou l'habitude] au péché veniel. Ce sont les deux degrés de cette paix.

Voilà, pour tout le monde.

Il y a un troisième degré pour l'Oblat: être pacificateur, établir la paix. 12 entre ses frères, entre les âmes et Dieu. Cela a été la mission de Jésus et le résultat de sa venue dans le monde avec son Evangile de paix: la paix entre les hommes et entre Dieu et les hommes. Voilà le but de sa venue.

Pour nous, pratiquons bien cette paix, surtout les 3 degrés qui consistent: 1° à n'avoir pas de colère intérieure ou extérieure;

2° à n'avoir pas d'attachement au péché véniel, car avec cette attachement, c'est être insensé de se croire Oblat;

3° à pacifier nos frères et à réconcilier les âmes avec Dieu par l'expiation, le sacri­fice, l'immolation. 13

Beati misericordes... (Mt 5,7)

Notre-Seigneur a résumé en 8 paroles tout son Evangile; c'est la pensée du Père. Encore une béatitude qui répond à l'esprit de l'homme nouveau.

Si nous avons la compassion de Dieu, que nous manquera-t-il? Spirituellement ou corporellement, temporellement ou éternellement. Misereor super turbas (cf. Mc 8,2), ç'a été la multiplication des pains. Misertus est super illum… (cf. Mc 6,34).

Ayons compassion

1) de nos âmes: Elles sont le chef-d'œuvre de Jésus, sa vigne choisie, elles sont donc bien grandes;

2) ayons pitié de nos frères: n'avoir que de la compassion, pas autre chose, pour leurs imperfections, ne pas mentir quand nous disons deux cent fois par jour mi­serere nobis. Jésus répond: commencez, et nous nous moquons de lui, si nous ne le faisons pas;

3) ayons pitié du Cœur de Jésus: là est le point principal. Il est venu demander notre compassion à Paray-le-Monial. Tota die expandi manus meas ad populum hune contradicentem; il a mendié, il tend les mains. Ayons compassion, c'est no­tre vocation.

Beati misericordes (Mt 5,7), on pourrait en faire la devise de notre Œuvre; ayons pitié de Lui, et à notre compassion il répondra par un misereor [super tur­bas ] (cf. M c 8,2) comme au désert.

Méditons souvent cette béatitude. 14

Beati qui persecutionem patiuntur... (Mt 5,10)

Après avoir proposé le détachement des biens divers par la pauvreté, chaste­té, douceur,Jésus ouvre le secret de son Cœur: Beati qui persecutionem patiuntur … (Mt 5,10).

Ces paroles ont un sens général encore pour tous les fidèles, plus spécial pour les religieux, car il s'adresse ensuite à ses seuls disciples: Beati eritis.. (Lc 6,22).

Il l'a prouvé dans l'Eglise et surtout pour les religieux, les premiers appelés à parler de son Cœur, propre aux Oblats: il nous enverra des mépris, des ridicules, des persécutions extérieures même. Comment être heureux avec cela?

C'est Jésus qui nous l'apprendra; lui, si supérieur par son intelligence, a choi­si cela de préférence à tout; il illuminera notre esprit pour révéler le secret de son Cœur.

Comme à la Bienheureuse Marguérite-Marie, il nous donnera d'abord sa croix avec des roses, peu à peu il la découvrira et nous fera pénétrer ce mystère qui con­siste à aimer,à souffrir.

En terminant, une pensée qui ne parait pas se rattacher directement. Notre­Seigneur se montrant à la Bienheureuse tout abattu(e) et pleurant, lui dit: Ce sont les fautes secrètes de mes amis qui m'ont ainsi traité. Elle ne pouvait l'en conso­ler parce que Jésus avait besoin de consolateurs égaux en hiérarchie à ses offen­seurs. Il cherchait alors des victimes pour son Cœur outragé par la tribu sacrée: nous, nous venons nous offrir, nous prêtres et clercs; il nous donnera ce qu'il faut pour le consoler. 15

Jusqu'ici les béatitudes, pour trois raisons:

1° C'est Notre-Seigneur qui commence ainsi les instructions à ses novices, le Père [Jean]2) n'étant qu'un organe très infidèle et très imparfait.

2° Elles donnent une vue d'ensemble de la vie religieuse et sont une préface.

3° Elles font pressentir le bonheur de notre vie puisque dans chaque béatitude il y a un sens spécial pour nous outre le sens spécial pour la vie religieuse et le sens (général) pour les fidèles.

Nous allons étudier la vie religieuse dans ses détails.

3 parties: purgative, illuminative, unitive:

Purgative: 3 parties (passions)3) à étudier pour y renoncer et les combattre, 3 grands ennemis.

Illuminative: pour remplir notre âme de vertus, car un vase n'est rempli de par­fum qu'étant bien nettoyé.

Unitive: par l'oraison, la prière.

Dans chaque partie nous verrons toujours ce qu'il y a de spécial pour nous.

Ensuite viendront des avis et explications des règles.

Quelque temps sera parfois consacré, à la fin des conférences, à donner quel­ques avis pratiques et opportuns.

16 1° Sur la vie purgative

17 Nous allons commencer à nous rendre vides de nos défauts. Nos passions sont des mouvements de l'appétit sensitif vers quelque objet. Les trois premiers mouve­ments sont:

l'amour, le désir, la jouissance.

J'aime un fruit, une cellule, je désire, j'en jouis si je possède. Il y a trois cau­ses: l'honneur, l'utilité, l'agrément. Nous sommes naturellement portés à ces trois mouvements depuis le péché originel. Notre corps nous y entraîne.

Les païens l'avaient compris: cherchant un remède ils se raisonnaient disant: j'ai mieux à faire que de céder à cela, la science et la vertu sont préférables à ce­la.

Le chrétien a une raison plus forte: il aura mieux dans l'éternité, meilleur fruit, meilleure cellule, etc.

Le religieux se dit: mon Jésus s'est élevé au-dessus de cela.

L'Oblat. je veux réparer les jouissances que le monde se donne en cela; il faut donc m'en abstenir pour consoler Jésus et obtenir que cette porte de l'enfer soit fermée. Ce doit être sa pensée dominante.

C'est une guerre: il faut connaître l'ennemi, quel il est, où il est, de quelles armes il sa se servir. Sera-ce la mollesse du sommeil, le bavardage, la gourmandi­se, 18 l'ennemi est en nous-mêmes et c'est nous-mêmes. 19

(A cause de la retraite prêchée au couvent, il n'y a pas eu de conférence durant 8 jours)4).

Nous avons vu que nous étions portés par trois mouvements pour trois mo­tifs sur trois routes principales ou sept, que sont les péchés capitaux.

Les trois mouvements ont leurs contraires quand nous repoussons une chose: ainsi j'aime un fruit je le désire, j'en jouis, et réciproquement j'ai de la peine d'un mal, je le déteste, j'en ai de la douleur.

Il y a ainsi dans l'attraction et la répulsion trois mouvements équivalents. Ces inclinations comme ces répulsions ont leur principe dans notre nature déchue: il ne faut jamais les suivre quelles qu'elles soient, car il y en a de bonnes et de mau­vaises, mais elles sont toutes la voix de la partie inférieure et c'est à la raison de commander.

Les philosophes païens l'ont compris: ils raisonnaient ces appétits sans s'y sou­mettre. Nous, nous les suivons sans attention pendant toute la journée, ce qui l'en­tremêle de bonnes et de mauvaises actions. Car il y a des inclinations suggérées par Jésus, d'autres par Satan.

Le chrétien se dit: Est-ce là ce que me dit la foi?

Le religieux: mon Jésus a-t-il fait ainsi?

L'Oblat: mon inclination me pousse à cela; un moment: n'y a-t-il pas mieux à faire? Est-ce ainsi que je vais réparer? Oui, eh bien, je le fais pour réparer.

Soumettre toutes ses inclinations à un motif surnaturel, à la réparation. C'est ce que faisait la Sainte Vierge qui n'avait que de bonnes inclinations. Elle les rai­sonnait toutes sans les suivre jamais aveuglément. 20

Les passions sont des mouvements de l'appétit sensitif qui nous portent soit à chercher soit à éviter certains objets extérieurs.

Il y a six mouvements de la partie concupiscible de l'âme:

trois vers: amour, désir, jouissance,

trois contre: détestation, aversion, douleur.

Il ne faut pas les suivre, mais les raisonner et les exciter ensuite selon la rai­son.

Il y a encore d'autres mouvements.

S'il se trouve des obstacles à ces premiers mouvements, deux autres survien­nent: l'espérance et l'audace: l'une qui conçoit et médite, l'autre qui exécute les moyens de renverser l'obstacle.

Il faut encore les raisonner et les employer ensuite suivant la raison.

Tous ces mouvements doivent servir à se sanctifier, car nous sommes compo­sés de corps et d'âme et ils doivent l'un et l'autre participer à la sanctification.

Le(s) philosophe(s) païen(s) raisonne(nt) cela; le chrétien les soumet à sa foi; le religieux se demande s'il imitera Jésus en agissant ainsi; l'Oblat les fait servir à la réparation.

Quand la passion trouve un obstacle à la possession d'un bien, il naît dans l'appétit irascible deux mouvements: l'espérance et l'audace.

Quand c'est un mal qu'elle ne peut éviter, elle excite le désespoir, la crainte, la colère.

Combattre aussi et raisonner ces mouvements comme les autres. 21

Nous avons vu les onze mouvements qui se produisent dans l'appétit sensitif à l'occasion d'un bien ou d'un mal réel ou imaginaire. Nous avons vu qu'il faut les raisonner et les exciter ensuite dans un sens de foi, car ils aident puissamment: pour faire un saint, il faut avoir des passions (la passion d'être sans passions mau­vaises).

Maintenant quatre observations ou réflexions générales sur les passions.

I° Si nous ne voulons que notre âme ne soit un champ sans culture où tout pous­se indifféremment, une vigne du Seigneur qui ne lui rapporte rien malgré les grâces dont il l'entoure, il faut faire la guerre aux passions et agir comme les guerriers: prévoir, calculer, veiller jour et nuit, examiner.

II° Il y a des mouvements qui se combinent: ainsi vous vous vengez d'une paro­le dure par une piquante, votre colère disparaît, mais vous ne faites pas attention qu'elle se change en une jouissance mauvaise. Ne croyez pas avoir dominé la colère parce que vous vous sentez plus gai après cette réplique.

III° Nous avons trois armes contre les passions: une pensée de raison, une pensée de foi, une pensée conforme à notre vocation. Mais ces [trois]moyens sont inté­rieurs. Or, il y a des passions contre lesquelles il faut réagir extérieurement en leur opposant les actes qui leurs sont contraires. Ainsi aller jusqu'à l'obséquiosité envers une personne antipathique, prendre au réfectoire le morceau qui répugne. 22 Ce n'est souvent que par ces moyens extérieurs qu'on est vainqueur.

IV° Chercher la passion dominante pour l'attaquer de préférence. Quand un arbre penche beaucoup plus d'un côté, on a beaucoup fait si on l'a presque redressé. Tournons cette passion au bien surnaturel; elle nous sera un grand secours, car on ne fait pas un saint sans passion.

Sur les tentations

Toutes ces passions nous tentent: Unusquisque tentatur a concupiscentia sua abstractus et illectus (Jc 1,14); Caro concupiscit adversus spiritum (Ga 5,17).

Cette partie inférieure de notre âme se révolte contre les autres; car il y a trois parties:

[la partie ] inférieure

[la partie] moyenne qui comprend la raison,

[et la partie] supérieure qui renferme la loi naturelle et tout ce qui est surnaturel, qui provient vraiment de l'Esprit.

Pour les combattre, 1° détournons leurs cours, portons-les sur un but surnaturel.

Pour vaincre le sens de la chair, prenons les flammes de l'enfer. Pour résister à la séduction que nous inspire la beauté d'une personne ou d'une chose,pensons et attachons-nous à la beauté de Jésus qui en est la source. C'est un moyen de fai­re tourner la tentation à notre profit: Faciet cum tentatione proventum (1 Co 10, 13); Post concupiscentias tuas non eas (Si 18,30). 23

Il y a trois parties en l'homme:

la partie inférieure où résident les onze passions;

la partie moyenne qui est la raison;

la partie supérieure qui est la conscience éclairée par la foi.

De la partie inférieure viennent les tentations: Caro concupiscit… (Ga 5,17) Celles qui viennent des sens extérieurs se répriment facilement, car il est facile de ne point voir, ni sentir. Un sens est excepté: le sens impur: il faut le subir com­me les onze mouvements intérieurs déjà cités; on combat le feu impur par le feu de l'enfer et toute imagination de cette sorte par une imagination crucifiante oppo­sée.

Pour les onze mouvements, au lieu de les supprimer on change leur objectif. C'est ainsi que St Françoise-Xavier ambitieux a fait tourner son ambition en zèle des âmes.

Ceci se rattache à celle de vendredi.

Nous avons vu ce qu'il faut écarter de notre âme: passions et tentations. C'est l'objet de la vie purgative. Cette vie est la principale occupation du noviciat et il faudra y revenir toujours un peu dans la suite. Car les passions renaissent.

(Comparaison détaillée du vase à purifier avant de le remplir de parfum). Nous allons voir ce qu'il faut mettre en notre âme: la vertu: est bona qualitas qua bene vivitur, et qua nunquam male utitur, 24 dit St Thomas (cf. S.Th., 1-2ae, q.55,a.4) 5). C'est le souverain bien parce qu'elle est souverainement honorable, nous don­nant l'estime des cieux; souverainement utile parce qu'elle nous donne la paix en ce monde et la gloire en l'autre; souverainement agréable parce qu'elle nous fait goûter déjà le bonheur, mais surtout [parce qu'elle] nous attire une éternelle félici­té.

Mais n'oublions pas de parler du Cœur de Jésus qui a tant aimé la vertu. Il a inspiré le Cantique des Cantiques où il prend un voile pour marquer son amour pour la vertu qui est son Epouse chérie.

Rapportons donc aussi la vertu au Cœur de Jésus, qui doit être le centre de nos pensées et aussi de nos paroles en tout temps, opportune, importune, dans nos lettres, nos entretiens, avec les inférieurs, les supérieurs, les enfants, les personnes mûres: parlons de lui sans cesse. Comme St Thomas disons: Deus meus et omnia (cf. Jn 20,28). Nous lui avons donné une maison; n'est-ce pas inutile si nous ne lui donnons pas la consolation de voir la vertu en nous? Si nous ne voulons être rejetés parce que nous ne répondons pas à son attente? 25

(avancée d'un jour à cause des confessions de demain)

Des dispositions intérieures pour la fête de Noël

Ce que Jésus veut de nous évidemment (ce mot m'a frappé), c'est trouver ici son Bethléem: il le trouve déjà d'une certaine façon en venant dans nos pauvres et misérables cœurs, mais le sentiment que nous devons éprouver est celui d'une affectueuse compassion ou d'une affection compatissante.

Sans doute il s'est réjoui en venant dans le m onde puisque son œuvre avan­çait, mais il souffrait déjà puisque son œuvre de rédemption devait s'opérer par la souffrance.

Compatissons surtout aux sentiments que lui inspirent les dispositions de ceux qu'il est venu sauver. Il y a les impies qui ne pensent pas à Noël, les indifférents qui n'y pensent pas davantage, les tièdes qui n'y pensent qu'à cause de la joie et des réjouissances qu'il occasionne, les personnes pieuses et ferventes pour qui la crèche a des charmes, mais qui s'arrêtent aux décors extérieurs et dérobent plus d'une pensée au divin Enfant.

Qui le recevra comme il le désire? Les Oblats qui entreront dans les sentiments que lui causa la dureté des habitants de Bethléem. Il a été frappé chez des privi­légiés, chez toute espèce de gens: et sui eum non receperunt (Jn 1,11). Il y avait bien. parmi eux des âmes consacrées, des lévites, des scribes. 26 Ingratitude et dureté partout. Compatissons donc affectueusement aux refus qu'il essuya spécialement de la part des âmes consacrées et demandons-lui des grâces dans ce sens, car nous en demanderons inutilement d autres, comme les consolations sensibles,etc.

Sanctifions la veille, le jour, le lendemain, l'octave par ces dispositions, mais surtout par une régularité plus grande. Ne nous laissons pas aller tellement à la joie que le règlement nous paraisse ennuyeux et attristant; plus d'exactitude, plus de douceur; si nous avons du temps libre plus que d'ordinaire allons le passer au pied de la crèche; pas de place pour l'ennui: c'est faire une injure grossière à Notre-Sei­gneur que de s'ennuyer ici quand il y habite.

Nous tirerons de petits billets qui indiquent à chacun une fonction près de l'enfant Jésus; remplissons-les avec foi, étudions-en le symbolisme: que Jésus enfin trouve ce qu'il veut trouver: Bethléem. 27

(Vêture du P. François-Xavier)6)

Invenietis eum (infantem) pannis involutum et positum in praesepio (Lc 2,12)

Il semble que la solennité de ce jour ne puisse se concilier avec la solennité de la vêture et l'efface. Cependant elles s'accordent très bien.

Qu'est-ce que le religieux? N'est-ce pas celui à qui Jésus dit: sequere me? (Mc 2,14). C'est la parole qu'il adresse à tous ceux qu'il invite à la vie religieuse. Si le religieux doit suivre Jésus, ne doit-il pas le suivre dès le premier pas? Ce premier pas, nous le voyons aujourd'hui: Jésus est là, enveloppé de langes et couché dans une crèche.

Ces langes sont un lien que symbolise la corde du religieux et elles sont un vêtement que représente la robe modeste du religieux.

De sa crèche, Jésus nous invite donc à accepter comme lui l'habit religieux.

Mais allons au Cœur de Jésus, car c'est le privilège des Oblats d'imiter le Cœur de Jésus.

Nous voyons les sentiments qui l'animent dans sa crèche: amour et réparation. Il répare en aimant et il aime en réparant. Ses pleurs expient nos joies, son dénue­ment nos aises, sa petitesse notre orgueil.

Il donne au religieux dès son premier pas dans la vie l'exemple du renonce­ment aux biens extérieurs (sa pauvreté), aux biens du corps (froid et pleurs), à ceux de l'âme (langes, liens).

Retenez pour souvenir de votre vêture cette leçon du Cœur de Jésus, qui

vous montre comment se commence la vie religieuse: ce sera à sa crèche que 28 sera la dévotion principale de votre noviciat.

Plus tard, au jour de la profession, vous verrez Jésus revêtant la robe d'igno­minie, les clous, la croix, et ce sera encore bien à propos pour un Oblat. 29

Sortons du cadre de nos conférences en l'honneur d'un de nos patrons. St Jean a été le modèle parfait du religieux-oblat.

I) du religieux

Sa pauvreté. Il a été disciple de St Jean-Baptiste si pauvrement vêtu et nourri et dont la vocation demandait cette pauvreté, et le disciple préféré. C'est donc qu'il répondait mieux à sa vocation et ressemblait mieux à son maître.

Disciple ensuite de Jésus qui n'avait pas où reposer la tète.

Gardien enfin de la Sainte Vierge qui a aussi fort aimé la pauvreté.

Enfin il a, suivant les Pères, mené une vie très pauvre et mortifiée.

Son obéissance. Il voit un prophète, aussitôt il obéit à sa voix et se fait son disci­ple, son imitateur.

Ce prophète l'envoie à Jésus: même docilité, il va le visiter. Plus tard Jésus lui dit: Sequere me (Mc 2,14); il quitte tout: relictis retibus et patre (Mt 4,20). Il suit Jé­sus au Thabor, à l'agonie, à la passion, à la Croix.

Même docilité envers la Ste Vierge. Il lui obéit comme un fils, il demeure près d'elle pendant ces tristes jours, partage ses exercices et sa vie.

Docilité envers St Pierre: Jésus le lui donne comme supérieur; il lui obéit, nous le voyons suivant Pierre au Thabor et au jardin de l'agonie. Après, malgré la faute de Pierre, il lui rend encore un service obéissant en le faisant entrer chez le grand-prê­tre. Il l'accompagne au tombeau et par une déférence bien délicate, le laisse passer avant lui. Il l'avait auparavant informé de ce qui se passait au tombeau. 30

Après la Pentecôte il suit Pierre allant au temple. C'est Pierre qui guérit. Il le suit 30 devant les juges qui les firent flageller. Plus tard il va le visiter à Rome.

Sa pureté. Virgo virginem virgini commisit Ceci est une preuve de son extrême pu­reté; la Sainte Vierge n'aurait pu vivre avec un homme dont les pensées n'auraient pas été pures.

II) de l'Oblat

St Jean a mené une vie d'immolation par l'amour et le sacrifice. Il a aimé Jésus: c'était l'ami de Jésus. Or, Jésus a dit: Ego diligentes me diligo (Pr 8,17), et il l'a prouvé par le privilège de la Cène accordé au disciple aimé de son Cœur.

St Jean a aimé Jésus fidèlement: malgré un peu d'hésitation au début il s'est vite remis et après son sommeil et sa fuite d'un moment il a obéi à la Sainte Vierge qui le renvoyait près de Jésus et il fallait de l'amour pour aimer Jésus flagellé, conspué, moqué, crucifié. Il en eut, et beaucoup, puisqu'à ce moment-là même il reçut le titre d'enfant de Marie et le soin de sa Mère. Son amour l'a fait choisir, dit St Augustin. Son évangile et ses épîtres sont un acte parfait d'amour.

Et le sacrifice? N'a-t-il pas souffert à Jérusalem, à Rome, à Pathmos? II a mené la vie de victime avec Marie, caché et sans éclat extérieur, car nous ne voyons pas qu'il ait comme les autres évangélisé toute une grande contrée. Il a aimé Jésus et entremêlé sa vie d'amour de quelques œuvres extérieures.

Remercions Jésus de nous avoir donné un patron aussi chéri de son Cœur et qui, avec Marie, a été le premier Oblat du Cœur de Jésus, car sa vie comme celle de Marie a été, après l'Ascension, un martyre d'amour. 31

La communauté exprimant ses vœux de fête au P. Jean et protestant de son désir de lui être uni et de le suivre comme St Jean a [suivi] Notre-Seigneur7), le Père [Jean] a répondu qu'il était heureux de cette petite manifestation, que Notre­-Seigneur la voulait, qu'il bénirait l'Œuvre et donnerait le lendemain des grâces ex­traordinaires à quelques-uns. Il a rappelé et fait ressortir,avec application en plus, les principaux caractères de St Jean,proposé à notre imitation.

Nous allons parler des vertus sans nous étendre beaucoup, puisque nous voulons parcourir toute la vie religieuse en quelques mois et recommencer ensuite.

Il y a les vertus surnaturelles qui sont en dehors de notre nature. La première est la foi: Sperandarum substantia rerum et argumentum non apparentium (He 1,11). - L'existence substantielle des choses à espérer et la conviction des choses que nous ne voyons pas.

La foi est nécessaire à tous, et surtout aux religieux parce qu'elle incline à une vertu essentielle à l'état religieux, l'obéissance: je crois à ce que Dieu a révélé et je crois aussi que Dieu parle par la règle et les supérieurs.

Voici trois moyens pour avoir une foi bien forte et bien pratique, et dont on peut user, excepté dans les tentations contre la foi, car alors il faut laisser passer l'orage et s'attacher à une prière vocale, le Pater par exemple et le dire même ma­chinalement. Car ces prières venant de Dieu opèrent presque comme des sacre­ments. Du reste, il y a des tentations qui n'arrivent que dans le noviciat et celle de la foi n'en est pas ordinairement.

I. Exciter sa volonté. Nous avons la foi dans la volonté. Nous voulons bien faire, nous dire: si je veux croire, voilà ce qu'il faut faire, ainsi cent fois par jour et nous serons bientôt saints. 32

II. Quand notre volonté commence à tiédir, exciter la foi de l'intelligence par la représentation des idées de foi, de la divinité de Jésus, de l'Eglise, de sa doctrine et donner ainsi un ressort puissant à notre volonté.

III. Le moyen propre aux Oblats: se dire: mais est-ce que je ne crois pas que le Cœur de Jésus a tant aimé les hommes et qu'il veut qu'on lui rende amour pour amour? Ce Cœur si tendre nous le dit à notre cœur. Lui offrir avant chaque exercice l'action qu'on va faire pour satisfaire ce divin mendiant qui réclame tous nous-mémes, et que notre foi nous représentera là devant nous, saignant, déchiré et avide de consolation. Oserons-nous lui refuser l'exactitude à un exercice, le bon emploi du temps pendant cet exercice? Ceci peut nous conduire à la plus haute sainteté. 33

Laissons encore une fois le cours habituel de nos conférences. Il n'y a pas de mal à se reposer un peu de temps en temps et d'ailleurs cet intervalle nous per­met de faire des actes de la vertu de foi sur laquelle nous sommes restés.

Aujourd'hui, à la veille du nouvel an et à la fin de cette année, voyons de tous côtés l'intérêt, les convenances, l'affection même et la reconnaissance poussant les hommes à s'exprimer mutuellement des souhaits. Jésus, lui, est mis de côté, et ils sont rares ceux qui pensent à le remercier à cette occasion.

Ce soir nous ferons l'heure sainte pour terminer et commencer l'année aux pieds de Jésus. Le sujet de notre méditation pendant cette heure sera celui-ci: Que pen­se Jésus en ce moment et quels sont ses sentiments?

Voici une année qui finit. On l'a bien outragé pendant cette année, on lui a en­levé les petits enfants que son Cœur chérit. On persécute les religieux qui portent son nom; on attaque les universités qui se proposent de le glorifier; on l'a injurié spécialement dans la dévotion au Sacré-Cœur; on veut le chasser de France. Pen­dant le cours de cette année il s'est commis des milliards de péchés sur la terre; la tribu sacrée et le peuple choisi ont été pour une certaine part dans ces offenses: voilà la part de la terre cette année.

Jésus, lui, a envoyé ses grâces les plus abondantes, il a soutenu le monde entier donnant à chaque être le mouvement et la vie, il a aidé et vivifié les intelligences et les volontés humaines; surtout il les a dirigées vers leur fin surnaturelle, leur a montré son Cœur, leur a donné tous les secours nécessaires et plus que suffisants pour les fixer dans la perfection; il ne s'est découragé ni par nos froideurs, nos crimes, notre ingratitude. 34

Il a vu cette année, pendant les trois mortelles heures de son agonie. Il a vu les crimes et la perversité humaine pendant cette époque; quelle douleur il a dû éprou­ver alors!

Mais quel doit être son amour qui tout en prévoyant les horreurs a voulu méri­ter cependant et départir à la terre tant de faveurs! Il a vu aussi l'année 1880: il a vu que l'Antechrist s'apprête à ruiner son règne partout; il a vu les misères qui vont encore se produire et cependant son Cœur débordant d'amour en veut faire une année de grâces, l'année du Sacré-Cœur comme l'a dit Léon XIII.

Cette année sera pour nous une année de miséricorde et d'épreuves. Des épreu­ves, puis de très grandes grâces. Voilà ce qu'il nous réserve.

Pendant cette nuit offrons-nous bien à lui en victimes d'amour et de réparation: ce qu'il aime tant à nous voir faire.

De la vertu d’espérance

Nous avons vu la passion de ce nom. C'est un mouvement de notre âme qui se porte vers un objet malgré l'obstacle. Mais cet objet est souvent mauvais; la vertu d'espérance a un objet surnaturel. C'est une habitude qui nous fait rattacher à ces objets surnaturels d'autant plus qu'il y a plus d'objets.

Trois motifs de nous affermir dans l'espérance:

I. La miséricorde de Dieu: Dieu ne peut pas voir une âme bien intentionnée de­vant lui et ne pas l'aider, la consoler. C'est dans sa nature de faire du bien et il en fait dès qu'on n'y met pas d'obstacle. C'est être insensé et hérétique de penser autrement.

II. Les mérites de Notre-Seigneur. Il n'est pas possible que Dieu refuse quelque chose à une âme qui lui rappelle ce que Jésus a fait pour elle, qui lui remet sous les yeux son Fils flagellé, crucifié.

III. Les promesses de Jésus: Petite et accipietis… (Jn 16,24), Si quid petieris… (cf. 16,23), et plusieurs autres endroits de l'Ecriture nous attestent 35 que nous pouvons tout espérer de la miséricorde…

IV. Le Cœur de Jésus, pour nous Oblats: In te Cor Jesu speravi, non confundar in aeternum. Le Cœur de Jésus pour qui nous avons tout quitté, à qui nous nous sommes donnés tout entiers, ce Cœur généreux et infiniment libéral, ne peut nous rien refuser. Il ne veut que nous donner en retour de quelques sacrifices. C'est le motif le plus puissant pour nous, le plus propre à nous raffermir, à nous faire di­re avec Job: Etiamsi occiderit me, in ipso sperabo (Jb 13,15), avec St Paul: Ancho­ram habemus… tu tam ac firmam (He 6,19).

Cette année, il faut nous y attendre, sera une année de contradiction, à en ju­ger par le cours ordinaire des choses, pour toute œuvre. On commence à nous connaître en ville, au dehors il faut s'attendre à l'épreuve. Si nous savons nous ap­puyer sur ces motifs, notre espérance sera sûre (tutam) et ferme.

Nous avons vu comment nous devons nous appuyer sur l'espérance comme sur une ancre solide. Voyons la charité. Les autres vertus y conduisent. Elle les suppo­se. Elle est leur reine: Super omnia haec charitas: major horum charitas (cf. 1 Co 13,13).

Nous devons pratiquer la charité. C'est le premier mot du décalogue. Nous de­vons, nous surtout, la pratiquer, parce que c'est de notre vocation d'Oblats du Cœur de Jésus.

On distingue les religieux souvent par la couleur de leur vêtement; le vêtement de notre âme devant Dieu doit être l'amour et s'il en fallait deux, le second serait la compassion. Pas d'Oblat sans cela; absolument nécessaire. Les hommes du Cœur: nous honorons spécialement le Cœur de Jésus. Notre demeure est le Sacré-Cœur, disons-nous à qui la demandent. Nous avons arboré ce signe au haut de la maison. Il est partout sous nos yeux. Il faut que ce soit un signe qui nous parle. 36

Il nous est montré dans une atmosphère de flammes et laissant sortir des flammes pour montrer que la première vertu du Cœur de Jésus est l'amour. Nous,ses Oblats, qui devons nous former sur lui, nous devons, comme lui, avoir l'amour: un amour ardent et nous y exciter par des oraisons jaculatoires fréquentes pour devenir des Oblats parfaits. Dans ce but aussi rappelons-nous souvent les motifs d'amour: motifs d'amour de préférence, motifs d'amour de reconnaissance.

I. Amour de préférence

Ce qui est noble et grand nous attire. Nous aimons et nous nous glorifions d'en approcher parce qu'on grandit à l'approche de ce qui est grand: par exemple,tous ceux qui ont vu Pie IX en sont fiers. Il semble que l'honneur d'une de ses audien­ces leur a fait participer à la noblesse et à la dignité de cette auguste figure. Que ne donnerait-on pas pour l'honneur et la réputation?

Eh bien, Dieu a tout cela et à un degré infini: ce qui est beau nous passionne, depuis la pierre inanimée jusqu'à l'homme le mieux doué. Tout cela est de Dieu qui l'a infiniment. Ne merite-t-il pas notre amour? St Paul désirait mourir pour voir Jésus: Cupio dissolvi et esse cum Christo (cf. Ph 1,23). La Ste Vierge et plu­sieurs Saints sont morts du désir de le contempler. Que sa beauté doit être gran­de dans son corps glorieux!

II. Amour de reconnaissance

Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes: donne la vie, promis la rédemption, la préparant par un peuple choisi, par les prodiges de l'Egypte, du désert, de la Terre sainte d'avant la captivité, du retour, par l'incarnation, la passion, l'agonie; donnant son Cœur et inventant ce que l'amour humain n'aurait jamais pu décou­vrir: l'eucharistie, le sacrement de l'amour, la vocation. Enfin pour nous, le don de son Cœur, disposant Monseigneur à nous accorder pour 2 ou 3 pauvres pécheurs, un autel, un tabernacle, le Cœur de Jésus mettant son Cœur partout sous nos yeux pour nous dire: Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes. N'est-ce pas as­sez pour nous exciter à la charité et à l'amour du Cœur de Jésus? 37

Aujourd'hui encore pour rester davantage sur la dernière conférence, sortons du cadre ordinaire et considérons les rois mages.

Ceux-là ont été vraiment Oblats.

Pourquoi ont-ils quitté tout? N'est-ce pas pour s'offrir avec leurs présents? Ob­tulerunt (Mt 2,11). Aussi l'Eglise les vénère et ils ont un tombeau plus splendide même que celui de St Pierre.

Pendant cette octave, qu'offrir à Jésus en union avec eux?

I° L'or, ou le sacrifice de la volonté et de l'amour propre; des sacs de cet or puis­que nous rien avons point d'autre, que de volonté propre encore dans un jour,dans un exercice! Offrons tout cela à Jésus, et prenons pour devise: ce que Jésus veut. C'est la moitié de notre vocation, l'immolation de la volonté, l'autre est le don du Cœur, de l'amour.

II° L'encens, ou la prière par des oraisons jaculatoires fréquentes, comme: Soit joué, aimé partout le Cœur de Jésus, In te Cor Jesu speravi, par tous les exerci­ces de piété, surtout par le saint office bien récité qui est un encensement perpé­tuel, chaque verset est un coup d'encensoir s'il est bien récité.

III° La myrrhe: 1° de la mortification: nos âmes sont une mort pour Jésus. Elles ont pour lui un goût fétide. Employons la mortification pour conserver à Jésus un corps qu'il a fait sien et des membres qui sont ses membres. Mortification: par la tenue, par la promptitude du lever, par le retranchement au repas indiqué par le directeur même, par le port du cilice pour ceux qui sont jeunes encore et vigou­reux. Voilà la myrrhe à offrir.

De la compassion: En embaumant les plaies de Jésus, Marie et Madeleine et St Jean offraient certainement cette myrrhe de la compassion pour la douleur causée à Jésus par les pécheurs, surtout par Judas à qui nous ressem­blons, nous Oblats, plus ou moins par nos trahisons.

Offrons donc à Jésus ces présents en nous transportant par la pensée à sa crê­che dans le cours de la journée. 38

Nous avons vu que nous devons croire à la véracité, espérer en la bonté et sur­tout aimer les bontés de Dieu pour nous: la charité résume les trois premiers commandements envers Dieu: la charité pour le prochain résume les sept autres qui concernent le prochain et nous-mêmes.

Tu aimeras le prochain comme toi-même, [donc: et toi-même.] Mais comme c'est Dieu qu'il faut aimer dans le prochain, en réalité tout se réduit à aimer Dieu. So­li Deo honor et gloria et amor etc… (cf. 1 Tm 1,17).

Pourquoi faut-il aimer le prochain?

I° parce que Dieu l'aime. Dieu l'aime: c'est son œuvre, son chef-d'œuvre. Il l'a racheté, il l'appelle à la gloire: Mirabiliter condidisti et mirabilius reformasti (Litur­gie): créé, racheté, appelé à la gloire. Dieu l'aime parce qu'il vient de lui; aimons pour le même motif: on aime ce qui appartient à quelqu'un qu'on aime, sa mai­son, ses propriétés, tout ce qui est sien a notre affection et nos soins.

II° Notre prochain est du troupeau de Notre-Seigneur. Ce sont ses brebis. Si le fils d'un roi élevait des petits agneaux, et que nous fussions admis à les visiter, à les caresser, quel empressement nous mettrions sachant faire plaisir au prince et si au sortir du parc nous en rencontrions une blessée et salie par sa chute hors du parc, quel soin à la prendre, à la ramener, à la panser et à l'offrir au fils du roi?

III° Les hommes sont encore enfants d'adoption de Dieu. Quel ne serait pas no­tre obséquiosité auprès du fils même du roi?

Ce sont les motifs pour aimer tout homme. Il y a certaines catégories qu'il faut aimer plus particulièrement: les supérieurs qui tiennent la place du roi lui-même, les souffrants de corps, d'esprit ou d'âme et ceux-ci parce que Notre-Seigneur les aime plus spécialement: dans une famille on s'acharne à aimer les déshérités de la nature. Notre-Seigneur s'acharne à aimer les tentés, les pécheurs parce qu'il préfè­re ceux à qui il peut faire plus de bien, 39 ceux qui lui donnent plus d'occasion de manifester sa miséricorde, car il est avant tout miséricordieux, ce qui veut dire: doué d'un cœur qui l'incline vers les misérables. Ne l'oublions.

Si nous rencontrons une de ces brebis blessées, la rejetterons-nous au lieu de chercher à la guérir, à la rendre à son pasteur? Notre-Seigneur se donne ce titre de pasteur plus souvent que tout autre pour montrer sa douceur, son dévouement et exciter notre charité.

Il est encore une catégorie plus spéciale qu'il faut aimer: nos frères: selon la chair, sans doute; on peut prier pour eux, mais Notre-Seigneur s'en charge et en aura plus de soin que nous-mêmes. Surtout les frères en vocation doivent être ai­més spécialement et c'est l'Esprit-Saint qui établira cette charité entre nous, cette charité qui nous rendra aimables, prévenants, tolérants, compatissants pour les é­preuves et les tentations de nos frères.

Nous entreprenons une grande œuvre en étudiant ce que nous sommes, par la considération des passions, ce que nous devons être, par la méditation des vertus.

Nous avons vu les vertus théologales et le prolongement de la troisième, la cha­rité pour le prochain.

Voyons les vertus morales qui forment nos mœurs, notre vie.

Rapportons à cette division ce que nous étudions touchant la vie spirituelle dans les auteurs. La vertu de prudence règle l'intelligence, la justice [ règle] la volonté et la sensibilité, où nous avons découvert l'appétit concupiscible et l'appétit irasci­ble sous 11 mouvements ;est réglée par la tempérance et la force, qui réprime l'ap­pétit irascible ou l'excite si l'on est porté a la crainte ou au désespoir.

Chacune de ces vertus est naturelle ou rationnelle et aussi surnaturelle ou de grâce. Comme la raison nous dit qu'à table il ne faut pas manger tout ce qu'on pourrait prendre pour n'avoir pas d'indigestion et pour avoir l'intelligence plus li­bre, la grâce excite à la mortification pour mieux dominer le corps; la raison dit qu'on peut longer le précipice sans y tomber, la grâce qu'il est mieux de s'en é­loigner un peu pour se préserver plus sûrement. 40

Chacune de ces vertus est augmentée par la grâce sanctifiante, mais - observation bien importante au noviciat - cette augmentation, ce goût surnaturel ne dé­truit pas les habitudes contraires déjà acquises. Ceci explique deux épreuves des novices:

la première, c'est qu'en arrivant on se sent plein de ferveur. On a quitté ce qu'on avait, on en est même fier comme St Pierre qui n'avait que quelques filets troués et une barque pourrie. Elle ressemblait à celle que le Père [Jean] vit sur le lac de Génésareth. Ceci ne l'empêchait pas de s'en glorifier: Ecce nos reliquimus omnia et secuti sumus te (Mt 19,27). Cette première ferveur fait trouver tout facile. Le démon même ne se présente pas, pour nous donner plus de sécurité. Tout à coup, après quelque temps, viennent les occasions, les tentations et le novice est tout surpris de n'être pas encore saint; de la surprise au découragement il n'y a pas loin.

Puis vient la deuxième épreuve: éclairé par ces premières grâces on se voit mieux, on se connaît plus intimement et l'on se dit: je vaux moins qu'avant d'entrer au noviciat: on conclut qu'on n'a pas la vocation, on veut partir, on délaisse la règle, on perd confiance.

Tout cela pour ignorer une chose: c'est qu'on apporte avec soi des habitudes acquises de vice que la grâce de Dieu ne détruit pas, mais qu'elle aide à combattre. Ce qu'il faut donc, c'est des habitudes acquises de vertu et ces habitudes, nous ne les aurons que par des actes répétés tous les jours. C'est donc une lutte de tous les jours qui nous fera obtenir la vertu et c'est à cela qu'est réservé le noviciat. C'est pour cela qu'il dure 2 ans; autrement il suffirait d'une heure s'il suffisait de la vêture pour être saint.

Ce qui doit nous encourager, nous Oblats, dans cette lutte quotidienne, c'est la vue du Cœur de Jésus. Penser à lui en luttant, lutter pour le consoler et le con­soler par l'amour et par la compassion, résister à la tentation par amour pour le Cœur de Jésus et pour souffrir avec lui, jeter les yeux sur ce Cœur qui a tant aimé les hommes. 41

La prudence est un regard éveillé sur ce qu'il y a à faire, toujours suivi d'une action prompte.

La prudence d'un novice consiste à n'avoir pas de prudence. Un regard éveillé [sur ce qu'il y a ] à faire dans l'avenir ou présentement. Dans l'avenir: elle est inu­tile et celle du maître des novices suffit. C'est le travail des novices déjà âgés qui ont eu à la cultiver dans le siècle.

Dans le présent. C'est une partie de la prudence, la diligence: s'attacher à l'ac­tion présente: De die in diem, de hora in horam. St Louis de Gonzague: Non cu­rabo de futuris contingentibus. Le novice le plus diligent est le premier levé, le premier aux exercices. Aussitôt levé il fait le signe de la croix. Il médite ces paro­les: Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes. Avec cela il a de quoi sanctifier toute sa journée.

Les motifs d'avoir ce regard éveillé sur ce qu'il y a à faire présentement, sont la joie qu'on en éprouve et l'avantage qu'on en tire, tandis que la négligence atti­re le dégoût de Dieu: Quia tepidus es… incipiam te evomere (Ap 3,16), et bien­tôt la malédiction: Maledictus qui facit opus Dei negligenter (cf. Jr 48.10). La di­ligence attire l'amitié de Dieu: Hilarem datorem diligit Deus (2 Co 9,7), et sa bé­nédiction. On y gagne des mérites à chaque instant, par ces actions. Considérons et imitons la diligence des gens du monde:pour acquérir un peu d'or, ils ne crai­gnent pas d'abréger leur vie pour cela. Le prophète Baruch les peint en quelques pages saisissantes. 42

Un troisième motif pour nous est la consolation du Cœur de Jésus qui trouve dans le novice diligent sa Béthanie, c'est-à-dire, l'empressement spirituel de Marie et l'empressement plus extérieur de Marthe. Il y trouve son Nazareth en y voyant une copie de la diligence de Marie sa mère qui était la femme forte par excellen­ce et qui n'agissait pas avec tiédeur. Il y trouve la consolation qu'il a voulu trou­ver en nous appelant ici. Il y a beaucoup à faire sur ce point et Notre-Seigneur n'est pas content de la négligence qui règne tant parmi les Pères que parmi les Frères. Si nous ne le consolons pas par notre diligence, il ne lui restera qu'à fer­mer sa maison.

Considérons seulement une partie de la justice: l'obéissance, qui est la justice envers les supérieurs. C'est la principale vertu du novice, elle est le lien de toutes les autres, car toutes les autres vertus étant commandées par la règle. Exécuter la règle, c'est la vie du noviciat. (? )

Donnez-moi un novice obéissant qui ait observé toutes ses règles et écouté ses supérieurs, disait un de nos derniers papes, et je le canoniserai.8) Cette vertu est le prolongement de la foi: elle considère Jésus dans le supérieur: Qui vos audit, me audit; qui vos spernit, me spernit (Lc 10.16). Elle assimile l'homme aux anges en en faisant un ministre aussi prompt que le vent, aussi ardent que la flamme: Qui facis angelos… spiritus et ministros… sicut flammae urentes (cf. Ps 103,4). 43

Tous les fondateurs d'ordre en font de grands éloges et ils sont d'accord avec la Ste Ecriture qui ne loue aucune vertu autant que l'obéissance: Vir obediens lo­quetur victoriam (Pr 21,28).

Elle fait vivre au ciel en nous assimilant aux anges de Dieu.

L'excellence et la beauté de cette vertu est plus évidente encore pour nous Oblats. Qu'avons-nous à faire en effet? Consoler Jésus des péchés du monde. Mais dans tout péché il y a une désobéissance, et c'est ainsi que des millions de déso­béissances s'accumulent sur le Cœur de Jésus. Aujourd'hui, vendredi, des millions et des millions de désobéissants jetant l'insulte à la face de Jésus comme les sol­dats d'Hérode, mépriseront le précepte de l'abstinence. Ajoutez à tout cela les dé­sobéissances d'orgueil, de convoitise, et vous verrez le flot amer de désobéissances qui monte jusqu'au ciel. Quelle n'est pas la consolation de Jésus en voyant qu'on obéit pour réparer tout cela, mais aussi quelle douleur s'il voit que là-même il y a désobéissance. Tu vero, homo unanimis (Ps 54,14). C'est la plaie la plus déchiran­te. Oh, faisons tous quelque chose quand ce malheur arrive ici, faisons tous quel­que chose pour réparer cette faute et en consoler Jésus de peur qu'il ne nous re­jette et ne retombe de nouveau dans son état de mendiant de consolation. Conju­rons-le de nous donner cette vertu. 44

Nous avons vu l'excellence de l'obéissance: elle fait vivre comme les anges, en montrant Dieu comme servi dans les supérieurs.

Son avantage: elle donne toute sécurité: Jésus ne pourra nous condamner au jour du jugement. Avec elle on fait toujours le plus parfait.

Aujourd'hui quelques motifs encore et quelques mots sur la pratique de l'obéis­sance. (Le Père (Jean) commente ici la règle).

L'exemple de Jésus: trente ans de sa vie sont résumés dans l'obéissance: Erat subditus illis (Lc 2,51); les trois dernières années: Factus obediens usque ad mor­tem (Ph 2,8), Qui cum esset filius Dei, in Es quae passus est, obedientiam didicit … consummatus… (cf. Heb 5,8-9). Suivent d'autres motifs encore.

2° Les autres Ordres commandent et conseillent touchant l'obéissance, ils conseil­lent la résignation intérieure; ici (pour les Oblats) elle est exigée à cause du vœu de victime qui perfectionne les autres vœux et par conséquence elle exige la per­fection de l'obéissance qui est justement cette résignation intérieure.

Considérons encore qu'il arrivera et il arrive que les supérieurs sont moins intel­ligents que les inférieurs et ceux-ci feraient mieux abandonnés à leur esprit; cepen­dant ils font plus méritoirement… Regardons de même les supérieurs intermédiaires comme les représentants de Dieu. N'oublions pas que nous sommes appelés à la perfection de l'obéissance, Quand nous sommes témoins d'une désobéissance, effor­çons-nous de la réparer. Que ceux qui désobéissent, prennent garde d'être rejetés et remplacés, car il est certain qu'il y a une certaine limite aux gràces et Jésus a été jusqu'ici incroyablement miséricordieux. 45

A la justice se rattache la pénitence.

Le sort des mauvais anges est une preuve terrible de la nécessité de l'expiation. Mais la pénitence n'est que l'expiation faite par l'homme. Elle est expiation et ré­paration à cause de la croix de Jésus.

A la pénitence volontaire de l'homme Jésus ajoute la satisfaction convenable et ainsi attire la miséricorde sur le pécheur.

Quand la pénitence volontaire fait défaut, la justice seule suit son cours et la miséricorde doit s'abstenir de se manifester. C'est une des menaces de l'époque. Aussi la Ste Vierge réclame-t-elle la pénitence à La Salette, à Lourdes…

Cette vertu de justice est la base de notre Congrégation: c'est pour attirer la mi­séricorde sur le monde que nous nous offrons volontairement à Dieu. Oblatus est quia ipse voluit (Is 53,7): ç'a été aussi le but de Jésus et c'est avec lui que nous disons l'Ecce venio (Heb 10,7).

Motifs de pénitence:

Ex Deo: sa majesté. Nous sentons en nous un sentiment de tristesse quand nous voyons offenser un grand de la terre. La justice nous montre la pénitence néces­saire là.

sa bonté. Que ne devons-nous pas, nous surtout qui sommes depuis 1800 ans les plus privilégiés. Nous devenons des Judas si nous ne faisons pénitence.

Ex nobis: le mal que nous nous faisons, les avantages dont nous nous privons, a­près avoir offensé sans réparer, un Père, un bienfaiteur. 46

Ex proximo: l'Eglise, la France, notre communauté, à cause de la communion des saints…

Surtout le sentiment du Cœur de Jésus. C'est son [sentiment] principal. Il est ve­nu pour faire pénitence, écarter l'obstacle et poser les sources de la miséricorde. C'est pourquoi nous devons affectionner cette vertu et en pratiquer les actes. Il ne faut pas qu'après avoir reçu la plus belle des vocations qui ait été donnée depuis 1800 ans (? ), nous nous en montrions trop indignes en l'offensant. Toute faute commise ici doit être expiée par quelque pénitence: sacrifions-nous à la règle par pénitence au lieu de la violer par jouissance.

Il se forme une association réparatrice du Cœur de Jésus pénitent (Le Père nous en donne quelques détails), mais notre œuvre est meilleure. Là Jésus apparaît lié par les péchés du monde. C'est à nous qu'il appartient de le délier par la répara­tion des fautes sacerdotales.

Là il promet le salut de l'Eglise et de la France. A plus forte raison l'obtien­drons-nous en adoucissant la plus sensible blessure de son Cœur: que ce sentiment de salut soit un encouragement à bien réparer, à nous rendre digne de notre voca­tion pour n'être pas rejetés.

(St Joseph prépare pour le mois de mars des grâces de croix). Cette parole du P. Jean me rappelle celle de la défunte: le mois de mars 1880 sera mémorable.9) 47

Hier a commencé une neuvaine en l'honneur de la Purification et pour 2 rai­sons: une génerale: C'est que cette fête a un rapport spécial avec notre Œuvre: c'est la manifestation double de l'oblation de Notre-Seigneur, de l'Ecce Venio pro­noncé dans le sein du Père. La Ste Vierge a offert aussi son cher Jésus surtout en ce jour et la prophétie de Siméon lui a montré toutes les souffrances réservées au Fils et à la Mère. Entrons dans ces sentiments.

Une particulière: Notre-Seigneur a choisi cette fête il y a 2 ans pour donner à l'Œuvre des lumières surnaturelles extraordinaires, qui ne se sont pas démenties depuis.10)) Il choisit ce jour pour nous donner des grâces spéciales et cette année il faut nous attendre chacun à recevoir des croix purificatrices pendant cette neu­vaine. Sachons en profiter et coopérer à l'œuvre de Jésus.

Pour suivre le plan de nos conférences, nous avons à parler de la reconnais­sance qui est la justice pour les biens reçus de Dieu, comme la pénitence est la justice pour le mal fait à Dieu.

Nous voyons ainsi la justice sous ses différents rapports.

La pénitence est la base de notre œuvre: c'est comme la couleur de fond de la robe des vertus avec laquelle nous devons paraître aux yeux de Dieu.

La reconnaissance est une des couleurs les plus apparentes sur ce fond. Elle fait partie des fins du sacrifice [du Nouveau Testament] dont [les sacrifices de] l'ancien [ Testament ]étaient la figure.11) 48

49 Les sentiments de Marie à la Purification ont été d'humilité, de mortification, de pénitence, de réparation, car elle venait de subir l'excommunication légale, étant privée de relations avec le sanctuaire et les prières ordinaires. Notre-Seigneur venait s'offrir encore, sur ce même mont qu'Isaac,mais cette fois accepté; il savait que son immolation était agréée, mais que le sacrifice allait s'en opérer pendant 33 ans de jour en jour jusqu'au terme suprême, le Calvaire. Son amour accepta tout: il fit offrir les deux colombe aux pour signifier qu'il était hostie d'adoration et hos­tie d'expiation.

St Joseph lui aussi offrit Jésus avec les sentiments que pouvait avoir alors le plus grand des patriarches.

Hoc sentite in vobis quod et in Corde Jesu et Mariae (cf Ph 2,5).

Les œuvres de Dieu ont toujours une certaine analogie avec la vie même de Jésus et cette analogie, nous la voyons dans notre Œuvre.

Elle a commencé il y a quelques années ou plutôt elle a été comme annon­cée par les désirs et les aspirations de quelques femmes, qui en ont été comme les Maries, qui en avaient une idée vague mais persistante, sentant que Dieu voulait quelque Œuvre et ne sachant trop laquelle. 50

Puis est venu Noël: la vie de l'Œuvre a été celle de Bethléem, ignorée,obscure

Aujourd'hui le Cœur de Jésus lui donne une certaine publicité en lui acqué­rant et unissant des âmes d'élite comme étaient Siméon [et Anne]. Ce n'est plus seulement Joseph et Marie et les bergers, mais ce sont les habitués du Temple qui viennent reconnaître Jésus et son œuvre.

Espérons qu'il enverra des âmes plus généreuses que nous, pour continuer et perfectionner ce qui est commencé.

Pour nous, tâchons de ne pas nous attirer la réprobation mais efforçons-nous de nous rendre dociles à notre Œuvre.

Le Père [Jean ] revient sur la pénitence qui est la base de l'Œuvre. Après a­voir rappelé le premier motif qui est la majesté de Dieu offensé, et insisté sur la transaction faite entre la miséricorde et la justice par l'intermédiaire de Jésus, il nous montre dans la pénitence un avantage, une grâce répandue par le Cœur de Jésus pénitent: commentant et développant merveilleusement la messe de la Pas­sion dite le mardi de la Sexagésime:

Quid sunt plagae istae [in medio manuum tuorum? ] (Za 13,6) [His plagatus sum ] in domo eorum, qui diligebant me (Za 13,6). Ils m'aimaient cependant,voilà ce qu'ils m'ont fait.

Le Père [Jean] rappelle l'impression produite par sa conférence sur la péniten­ce et la garantit. Il nous excite à la renouveler en nous. Il termine en parole et en acte par le percutiam pastorem (Mt 26,31; Mc 14,27; cf. Percute pastorem Za 13,7). 51

Sur la vertu de religion

Nous avons vu la justice:

envers le supérieur [comme représentant de Dieu ]considéré comme maître, c'est l'obéissance;

[envers Dieu] considéré [comme donnant des] biens, [c'est] la reconnaissance; com­me offensé, [c'est] la pénitence.

[La justice envers Dieu] comme éminemment saint, c'est la religion, vertu qui nous pousse à traiter saintement les choses de Dieu et Dieu lui-même. Notre nom mê­me de religieux nous y engage: un respect religieux; ce terme même dit tout:voir Dieu en tout parce qu'il est partout, parce que tout est à lui et de lui. Cette mai­son est celle de Dieu, des anges y sont préposés: un ange est gardien de chaque salle, cellule.

Notre habit de religieux doit aussi nous rappeler Dieu: la soutane, qu'il faut faire bénir si elle ne l'est pas, notre scapulaire, la corde, tout cela nous rappelle Dieu et nous commande le respect.

A la chapelle surtout ou des légions d'anges sont présents avec Jésus, notre respect doit être profond pendant chaque exercice.

Un motif de religion, c'est l'horreur qu'inspire communément son contraire: la profanation. Ce mot-là sonne toujours mal, m ême pour les gens du monde. La profanation est l'emploi d'un objet sacré à un usage commun et vulgaire.

Excitons-nous à ce respect de Dieu et des choses de Dieu, de nos frères, de nos vêtements, de notre habitation, de la chapelle.

En parlant des exercices de piété et autres points où la religion est en ques­tion nous la traiterons moins sommairement. 52

Il est bon de rester quelque temps sur la vertu de religion avant de passer à une autre pour nous former à en inspirer tous nos actes. Aujourd'hui parlons de 3 points, avis particuliers.

Prier pour le vocations ci notre Œuvre. Dieu y appelle, mais aussitôt le dé­mon s'y oppose et suscite mille entraves. Parmi ces vocations hésitantes une sur­tout réclame nos prières, celle de celui que le Père [Jean] veut nommer Pierre: pour y aider et chasser le démon, faisons une neuvaine: on récitera les litanies de St Pierre et pendant cette neuvaine mercredi et vendredi deux religieux de bonne volonté feront abstinence rigoureusement, mangeant du pain et buvant de l'eau à midi: oratione et jejunio (Mc 9,28). Le Père [ Jean ] cite quelques passages de la lettre qu'il a reçu de ce Pierre.12)

II° Les Quarante-Heures: Si un ange venait vous dire que Jésus attend de nous quelque chose pendant cette période de licence, nous n'en serions point é­tonnés. S'il nous était donné de voir la joie de sauvage débauche de ces nuits de bal et d'ivresse où c'eux-mêmes qui font bien d'ordinaire se laissent entraîner à of­fenser Dieu en s'abandonnant aux jouissances les plus basses, nous compréhen­drions mieux que Jésus se tourne vers nous. Il se dit: que vont-ils faire, eux, les amis de mon Cœur? et son regard se fixe sur ce petit nid du Sacré-Cœur en ré­pétant quaesivi. Nous ferons quelque chose. En attendant que l'Œuvre ait gran­di et passé le Consummatum est et la Pentecôte, pouvant alors réparer grandement et beaucoup, faisons un peu de mortification; voici ce qui peut se faire. 53

Aujourd'hui adoration d'un seul jusqu'à 9 heures. Heure sainte pour deux ou trois vaillants.

Demain depuis 7 heures jusqu'à 9 heures adoration d'un seul par demi-heure.

Mardi adoration de deux toute la journée jusqu'à minuit, surtout si nous pou­vons obtenir l'exposition du ss. Sacrement.

Lundi et mardi abstinence. Ne craignons pas ces mortifications. Jésus sait les rendre. C'est surtout celle du cœur qu'il demande. N'oublions pas qu'il a dit à la Bienheureuse Marguérite-Marie qu'une seule âme peut réparer pour mille et le con­soler de leurs fautes. Sa bonté infinie multiplie un rien qui lui est offert par péni­tence.

III° Le Carême. L'Eglise au lieu de consacrer un cycle de 33 ans à honorer et représenter la vie de Jésus, a voulu tous les ans nous renouveler dans l'esprit de la Nativité, de la Passion de Jésus-Christ. Elle consacre 40 jours à honorer la vie pénitente de Jésus. Unissons-nous à elle. Ce Carême est en quelque sorte le pre­mier de notre Œuvre. L'an dernier nous étions 3 ou 4. Il y aura des grâces spé­ciales, même sensibles, si nous le faisons bien. Comme il en a été pour la Purifica­tion. Ce qu'il faut surtout, c'est la mortification du cœur: le silence, la régularité dans toute la maison. Surtout dans la cuisine où l'on se rencontre si facilement à causer. C'est le monde que cette cuisine, cuisine de Pilate où St Pierre dissipe tou­te sa ferveur à causer et se prépare à renier trois fois Jésus. Ayons le courage de dire: taisez-vous, nous sommes en Carême. 54

Au commencement du Carême il est bon de traiter un peu de la pénitence.

Jusqu'au 11ième siècle, l'Eglise imposait de très rudes pénitences, mais en re­vanche on espérait avoir obtenu la rémission complète du péché.

Maintenant on ne donne que de minimes pénitences à cause de l'affaiblisse­ment de la foi. Plutôt que d'éteindre la mèche fumante, l'Eglise laisse à expier dans l'autre vie les peines plus terribles et accorde la rémission du péché. Cepen­dant la disparition de la pénitence volontaire appesantit le bras de Dieu et Jésus depuis lors apparaît toujours souffrant réclamant des hommes la pénitence volon­taire, du cœur et du corps, pour l'unir à sa propre pénitence et apaiser la justice de son Père. C'est la source de ce souffle de réparation qui passe en ce moment sur le monde.

Le Père [Jean] donne lecture de quelques anciens canones paenitentiarum pu­nissant terriblement les moindres fautes, pour nous donner une idée de ce que nous avons à faire si nous voulons bien répondre à notre vocation et nous aider à affectionner le peu que nous faisons. 55

Nous méditons tous les vendredis de Carêm e sur le sujet offert par l'Eglise. Aujourd'hui un qui se rapporte bien à notre vocation.

Le Père [Jean] commente et explique les paroles d'Isaïe sur la Passion dans l'office de la ste Couronne d'épines.

Il insiste surtout sur ce point que c'est pour les péchés de autres que Jésus a souffert. Le prophète le répète 9 ou 10 fois. A côté de cette souffrance indicible, il fait voir la récompense, semen longaevum (Is 53,10): le prix de l'immolation, c'est une postérité nombreuse. Ainsi fut-il pour Abraham, pour les martyrs sous le patronage desquels les paroisses se sanctifient. C'est la remarque de St Clement pa­pe dans ses Constitutions.

N'est-ce pas bien encourageant pour nous à nous adonner à notre vocation qui est l'imitation de l'immolation de Jésus? Soyons généreux; acceptons le sacrifi­ce; le refuser serait encourir la malédiction. Immolons-nous dans les petites choses qu'on nous demande: le silence, la régularité, les mortifications du Carême. Jésus ne nous demande que cela, la pénitence volontaire, pour être consolé. Accordons-­le et consolons ce doux Sauveur en partageant son immolation cachée, obscure. Car ce sera la notre vocation plutôt que les grandes œuvres extérieures. Il y aura l'en­seignement et quelques œuvres au dehors, mais surtout l'immolation et la vie ca­chée. 56

De la tempérance

57 On en dira peu parce qu'on en a déjà parlé à l'occasion du Carême. Arretons-­nous un moment à la sobriété et à l'abstinence, deux formes de la tempérance.

La sobriété se garde de l'excès. L'abstinence reste en deçà même de la sobrié­té. L'abstinence et la sobriété sont le secret du grand rôle joué dans l'histoire par certains peuples: les Perses, les Spartiates, les Romains. [C'est] là qu'ils trouvaient

la vigueur du corps et d'esprit qui les ont distingués. Acquérir cette double vigueur, ç'à été leur but et celui de tout païen honnête et raisonnable.

Le chrétien a d'autres motifs encore:

- se rendre plus apte aux choses de Dieu, à la méditation. Impossible de méditer à celui dont l'esprit se complait dans la nourriture grossière du corps. D'ailleurs le corps trop soigné alourdit l'esprit et un corps frêle est plus apte à la contempla­tion. St Bernard préférait ces sortes de sujets.

- La ste Communion aussi est un motif d'abstinence matérielle. On est froid pour la nourriture céleste quand on est de feu pour la nourriture terrestre.

- Un motif particulier aux Oblats: c'est que très certainement Jésus veut leur com­muniquer des douceurs toutes spéciales dans la ste Communion. [C'est] là qu'il veut converser plus intimement avec eux. N'y mettons donc pas d'obstacles par u­ne intempérance coupable et dangereuse pour notre vertu et notre vocation.

Mercredi, 18 février 1880

Humilité

58 Dans le groupe de la tempérance est aussi l'humilité, vertu qui nous pousse à tenir l'esprit dans le rang qui lui est dû, Si la foi est la première, parce qu'elle surnaturalise toutes les autres [vertus], si la charité est la meilleure, parce qu'elle est la fin et le terme de toutes [vertus], l'humilité excelle aussi à ce point de vue qu'elle prépare, obtient et consacre les vertus: humilibus dat gratiam (Jc 4,6).

- Par rapport aux personnes envers qui elle s'exerce, son

1er degré est la soumission aux supérieurs,

le 2e [degré], aux égaux,

le 3e [degré], aux inférieurs,

le 4e [degré], à tous les hommes quels qu'ils soient.

- Par rapport à la manière dont elle s'exerce:

le l er degré consiste à s'estimer le moindre de tous,

le 2e [degré], à désirer d'être regardé le moindre de tous,

le 3e [degré], à manifester qu'on est le moindre de tous,

le 4e [degré], à aimer que les autres nous traitent comme le moindre de tous,

le 5e [degré],à montrer de l'amour et de la reconnaissance à ceux qui nous trai­tent comme le moindre de tous.

- Les motifs sont:

1° la vérité: un seul péché est si laid, si humiliant, si contraire à la justice, à la raison, que n'eussions-nous que le péché originel, ce serait assez pour nous regar­der comme le plus misérable des êtres. Mais à celui-là s'ajoutent les péchés person­nels si humiliants, si déraisonnables, que nous sommes fondés à croire qu'un autre avec les mêmes grâces ne les eût pas commis. Et si ce péché est celui d'un reli­gieux, d'un clerc, d'un favori de Jésus, qui peut se croire estimable après d'être é­galé à Judas, aux Juifs, aux bourreaux?

2e motif: l'intérêt spirituel. Si nous voulons de grandes choses pour Dieu, nous n'aurons de grâce qu'en proportion de l'humilité. Humilibus dat gratiam. Superbis resistit (Jc 4,6). Fecit mihi magna… quia respexit humilitatem ancillae suae (Lc 1, 48-49).

3e motif: l'exemple de Notre-Seigneur. C'est le plus noble pour les Oblats de son Cœur. Etudier et imiter son Cœur. Humiliavit semetipsum (Ph 2,8). Discite a me quia mitis [sum et humilis corde] (Mt 11,29).

Toute sa vie il s'est caché, humilié, par vérité, car il s'était chargé de tous les péchés des hommes et il était accablé d'une honte infinie. C'est le seul moyen d'ê­tre son frère, son ami: qui fecerit voluntatem Patris mei qui in caelis est, ipse meus frater (Mt 12,50).

Sans cela notre place n'est pas ici et nous ne méritons pas de demeurer sous le même toit.

A la réception au postulat du Père Paul16

59 Christo confixus sum truci (Ga 2,19). L'Eglise nous offre aujourd'hui à véné­rer la lance et les clous: 3 clous et la lance, et ces paroles: Christo confixus sum truci, s'appliquent bien en ce contexte.

Mais outre le sens général de vie mortifiée que leur donne l'Apôtre, il y a un sens plus spécial pour les religieux et pour nous.

Ce par quoi nous devons être crucifiés à la croix de Jésus, c'est l'esprit, la vo­lonté, le corps, le cœur. Voilà l'immolation, le martyre réel de tous les instants qui nous donne la couronne; l'esprit, par la soumission du jugement, le règlement de ses occupations; la volonté par la régularité, l'obéissance.

Le corps que figure le clou des pieds, par les mortifications que la règle impose surtout pendant ce temps de pénitence.

Le cœur, c'est-là la lance qui ouvrira le Cœur de Jésus. Le crucifiement du cœur, de ses affections même les plus légitimes, l'immolation totale de ses désirs.

Humilité (suite)

Nous avons vu la théorie de l'humilité. Voyons-en la pratique.

Il y a les actes intérieurs qui se font dans l'âme. On y rattache les [actes] ex­térieurs qui se font sans témoin. Ce sont des sentiments et des aveux de notre mi­sère. On en peut faire un million par jour et de mille manières. Ainsi, à ne consi­dérer que Dieu et nous, ses commandements et ses bienfaits, nous pouvons accuser notre misère par ex. sur le 1er commandement: je prie si mal, j'ai péché si sou­vent et dans la prière, que suis-je misérable!

Ainsi du 2e, du 3e [commandement]. Sur ceux qui regardent la pureté passer légèrement. Car notre misère est si grande que nous pécherions peut-être encore au souvenir de nos fautes, tellement l'humilité est une vérité vraie en accusant no­tre misère et nos faiblesses.

Ses bienfaits. L'esprit, la mémoire, la volonté, le corps, j'en ai si mal usé! que je suis misérable! et les dons surnaturels: les grâces signalées, les communions si nombreuses, les inspirations de salut, quel abus en ai-je fait! Cela est si honteux que je puis supposer très vraisemblablement que le pire des galériens n'aurait pas agi aussi traîtreusement s'il eût été aussi comblé de grâces. Cette considération suf­fit pour me rabaisser.

Entre le prochain et nous: les actes intérieurs consistent dans le désir de l'hu­miliation et la crainte de la louange. 60 S'il me connaissait bien, il me mépriserait fort.

Actes extérieurs: rechercher les dernières places, les plus bas emplois, les hu­miliations de la modestie, comme parler à genoux au Supérieur. Ceux-ci [les actes extérieurs] sont faits par nous.

Ceux qu'on fait envers nous: on nous impose une opinion, on nous fait un reproche mérité ou non, quelque affront que ce soit: le recevoir avec reconnaissan­ce et joie, le sourire sur les lèvres et se dire: celui-là me met à ma place sur la ter­re, tant mieux. Dieu s'en contentera et ne me donnera pas la place que mes pé­chés me destinent en enfer. Chaque affront est une grâce. On reçoit pour lui le châ­timent qu'autrement on ira chercher en enfer. Le Père [Jean] insiste là-dessus. Et pour cela aimer les humiliations parce qu'elles sont une sauvegarde de l'enfer. Dieu ne punissant pas deux fois la même faute. Chaque frère fera 10 actes intérieurs, chaque Père 20 et le 1er mercredi de mars, 4 ou 5 jeûnes auront 5 intentions don­nées par le Père [Jean]. 61

Pour mieux nous entretenir encore dans la vertu d'humilité, nous n'en traitons pas une nouvelle aujourd'hui et parlons d'une chose bien nécessaire aussi: l'esprit habituel de notre vocation: l'esprit d'immolation. Nous n'avons pu en dire que quel­ques mots le jour de la réception au postulat.13) Christo confixus sum cruci (Ga 2, 19).

Il y a en tout chrétien quelque chose de Jésus-Christ, mais Jésus-Christ a vou­lu qu'il y eût plus en l'un qu'en l'autre de telle ou telle ressemblance avec lui. Ain­si les uns reproduisent plutôt sa vie publique, d'autres ses veilles, d'autres sa vie cachée; tous cependant imitant sommairement le tout.

Quant à nous, ce que nous avons à imiter, c'est sa vie d'immolation. Jésus­-Christ s'est immolé bien visiblement au jour de sa Passion où son corps a été cloué à la croix. Depuis lors il y a eu encore des crucifiés corporellement et s'il le de­mandait de nous, nous devrions répondre à sa grâce. Mais ce n'est pas-là ce que pour le moment il nous demande. Il veut que nous l'imitions dans son immolation de Nazareth, comme aussi dans sa vie publique s'il y a lieu, mais surtout comme à Nazareth: une immolation douce et continue dans les petites choses de la règle. Ainsi nous sommes 12 ici par sa volonté, non parla nôtre, nous sommes donc 12 crucifiés et le clou c'est l'obéissance.

Immolation de la volonté dans chaque exercice. Le matin au premier signal les pieds sur le parquet. Jésus les y veut pour les y clouer. Les laisser dans le lit, c'est les refuser à la croix et perdre le mérite pour nous, l'honneur pour Dieu et le profit pour les âmes que Jésus attend de chacune de nos immolations. 62

Il offre, lui [au Père], continuellement ses immolations et il veut pouvoir dire à son Père: regardez ceux-ci qui s'immolent avec moi. Alors il répand ses grâces sur le monde et sur nous. Nous nous refusons à faire telle action commandée: c'est refuser notre main à Jésus qui demande à la clouer à sa croix. Nous nous livrons à des travaux intellectuels qui n'ont pas l'approbation, qui même nous sont inter­dits, [c'est] refuser d'immoler notre esprit. Ne croyons pas faire de grandes choses en faisant notre propre volonté. [C'est une] erreur. Obéissons et s'il manque quelque chose par suite de notre obéissance, Jésus y suppléera. Immolons-nous tout entiers, nous n'aurons de repos que sur la croix.

Nous sommes autorisés à l'exposition du Saint-Sacrement pour le ler vendre­di du mois. C'est une grande nouvelle et qui doit nous effrayer, nous si misérables, appelés à un pareil honneur. Jésus veut trouver ici Nazareth et Béthanie. Vendredi sera la première journée régulièrement autorisée. Dans quelques mois ce sera tous les vendredis, dans un an ou deux tous les jours. Puis, après, seront fondées d'au­tres maisons qui commenceront de même l'adoration diurne et nocturne: vendredi la première journée de milliers et peut-être de millions de journées d'exposition chez les Oblats. Quel honneur Jésus nous prépare. Préparons-nous pauvres pécheurs, 12 misérables qui ne méritent rien, qui l'ont offensé, l'offensent encore (le Père [Jean] insiste beaucoup sur notre indignité). 63

Préparons-nous. Si nous devions recevoir la visite d'un Évêque, du Pape, les esprits, les cœurs, les corps, tout serait mis à contribution pour s'y préparer, rien d'épargné et de trop. Et vendredi nous allons recevoir la visite du Roi des Rois. Je me souviens des audiences accordées par Pie IX aux pèlerins qui venaient de loin. Ils se faisaient instruire des cérémonies, préparaient leurs requêtes, mettaient toute la splendeur possible dans leur mise. Notre âme n'en doit-elle pas faire autant pour Jésus? Lui aussi se prépare et je suis certain de ne pas me tromper en l'affirmant. Il se prépare à recevoir pour la première fois ses Oblats et il prépare ses grâces, il va se donner comme à Nazareth et Béthanie. Pie IX s'informait de ceux qui le vi­sitaient et préparait ce qu'il savait leur faire plaisir, se dépouillant de tous ses ob­jets pour eux.

Comme moyens de préparation imposons-nous quelques mortifications. Se re­trancher quelques bouchées au réfectoire, quelque chose qui plaît, exactitude plus grande, faire plus parfaitement toute chose, pendant la récréation du soir on reste­ra en silence ou en consacrera une partie à aller s'humilier devant Notre-Seigneur par un bon examen de ses fautes passées et présentes. Ceux qui sont autorisés au cilice ou à la discipline peuvent demander une augmentation de pénitence sous ce rapport. 64

Comme dispositions intérieures, plus de lâcheté ou de résistances, purifier son âme par des actes d'humilité, l'orner par des actes d'amour et de contrition pour

la visite du Rois des cœurs. Prolongeons jusque vendredi notre neuvaine d'actes d'humilité en y ajoutant autant d'actes d'amour. 65

Pour rester d'avantage dans notre neuvaine d'actes intérieurs d'humilité, nous parlerons encore aujourd'hui de l'humilité et nous verrons plus en détail la prati­que des actes extérieurs d'humilité.

Cette vertu nous est si nécessaire! Nous voulons bâtir un grand édifice, l'hu­milité nous en fera placer les fondations sur le roc de la foi. Jusqu'à présent nous avons bâti sur l'argile et le sable de notre mauvaise nature; il est temps de creuser les fondements profondément pour que notre édifice ne croule pas mais s'élève jusqu'au ciel pour consoler le regard et le Cœur de Jésus. Plus notre humilité se­ra grande, plus les fondations seront solides.

Voyons le fondement de l'Eglise, voyons l'humilité de Jésus et des Apôtres. Quelqu'un s'est-il plus humilié que Jésus? Ce n'est pas dans la splendeur, ni dans l'aisance, ni dans la pauvreté ordinaire, ni même dans une étable commune, c'est dans le creux d'un rocher que Jésus a voulu naître.

Ensuite 3 mots résument 30 ans de sa vie: Erat subditus illis (Lc 2,51). Obscurité, silence, soumission. Et sa passion! Il s'humilie de toutes les manières: on le fait passer pour fou, son corps est accablé de tous les affronts, de toutes les souf­frances. Le Père [Jean ] s'étend sur le portrait qu'en trace Isaïe: Quasi leprosum,… novissimum virorum (Is 53,3-4). Toute une cohorte le frappe sur la tête, d'un bâ­ton, et lui crache au visage comme un soldat sait cracher en conscience et frapper de même. 66

Et les Apôtres? Ecoutez St Paul: Tanquam purgamentum mundi fatti sumus: les balayures, ce qui est le plus repoussant, Et omnium peripsema (1 Co 4,13): le crachoir de tout le monde. Et en effet, ils ont eu des épreuves de toute sorte.

Voilà comment a commencé l'Eglise: des soufflets, des crachats, des coups,des mépris; ç'a été la pierre angulaire: Lapis angularis (cf. Ep 2,20). Voilà l'idéal de la pratique de l'humilité, car est-ce une légende que la passion de Jésus? Isaïe ajoute un mot étonnant: Desideravimus eum (Is 53,2). Ce Jésus conspué, nous l'avons dé­siré. Cela ne s'adresse réellement qu'à quelques âmes: nous désirons peut-être pas­ser par de grandes épreuves aussi, mais retenons bien ceci: c'est que nous n'aurons de courage dans les épreuves envoyées qu'autant que nous nous y serons préparés par les dispositions intérieures habituelles d'humilité, sans quoi nous faiblirons.

Puisque l'humilité est si nécessaire pour notre Œuvre, aimons donc les bas em­plois (le Père [Jean] répète 3 fois cette expression) comme balayer, vider les vases, la dernière place, les affronts: ne prétextons pas qu'il y a là des écoliers: quand même on le saurait? Ne sait-on pas ce qui se passe dans d'autres noviciats? On ra­contait dernièrement à une table en ville qu'au noviciat des dominicains 67 un jeune Père orgueilleux s'était vu cracher à la face par tous les confrères pour châtier son orgueil. Ne craignons pas toutes ces humiliations corporelles, ces mortifications que nous méritons. Quand nous serons bien maîtres de notre corps, alors nous pourrons faire quelque chose. Du reste, nous tâcherons d'amener les étudiants à cet esprit de mortification qui doit nous préparer à la journée de vendredi.14)

Le Père [Jean ] annonce ensuite qu'il demandera des humiliations cette semai­ne pour préparer à vendredi et dans la Semaine sainte seulement. Il rappelle qu'on va procéder à la coulpe en insistant sur l'imitation pratique de Jésus dans sa Passion.15)

Il commencera lui-même et demande une pénitence que ma mémoire n'oublie­ra pas.

Ouverture du mois de St Joseph

Saint Joseph offre dans sa vie des analogies avec notre vie d'Oblat. Nous le voyons, né à Nazareth, y passer humblement sa vie dans l'obscurité, comme Marie; c'est la famille royale achevant, avant de produire le Christ, la grande expiation commencée à Babylone. 68

A peine son union à Marie l'a-t-elle fait entrer plus directement dans la vie de réparation que l'épreuve survient. L'épreuve, vous la trouverez toujours dans une vie réparatrice, dans une vie d'expiation.

Mais sa confiance mérita certainement que l'ange vint le tirer d'inquiétude. Puis à d'autres joies succédèrent d'autres tristesses. Puis la vie intime de Nazareth.

Cherchons pendant ce mois à deviner les conversations intimes avec Jésus. Il a dû connaître les Ecritures, avoir des lumières spéciales sur elles. Voyons donc Jo­seph et imitons-le pendant ce mois dans sa vie cachée de Nazareth. 69

Aujourd'hui finit notre neuvaine. Elle était conditionnelle. Avons-nous rempli les conditions? Notre légèreté n'a-t-elle rien omis des actes d'humilité et d'amour prescrits? Nous voulions des vocations. Il nous en arrive: il ne se passe pas de jours que St Joseph n'en amène plusieurs. Avons-nous bien mérité les faveurs de ce grand Saint?

Mais ceci est le but en quelque sorte secondaire de la neuvaine. L'autre, le principal, est la préparation aux grâces de vendredi. Avons-nous purifié et orné no­tre âme?

Le Père [Jean] lit ensuite des extraits qui sont écoutés à genoux, de révéla­tions instruisant les Oblats des dispositions demandées d'eux.16) Il les commente brièvement et dit, entre autres choses, qu'il faut se préparer par une bonne confes­sion, passer tout le temps libre devant le Saint Sacrement et ne pas regarder son heure comme une charge, se servir dans la sécheresse des livres de piété. Il rappel­le que nos cœurs sont le temple que veut Jésus pour y être d'autant plus conso­lé qu'il est plus outragé ailleurs. L'autel de ces temples est notre cœur où doit s'élever le sacrifice de la prière confiante et pure, l'holocauste perpétuel de la vo­lonté. Rappelez-vous l'instruction de la Dédicace, a dit de nouveau Notre-Seigneur.17)

Vendredi: silence, calme, cessation de tous travaux. 70

Dimanche, 7 mars 1880

Modestie

71 Il nous reste à parler d'une vertu qui suppose tout le groupe de la tempéran­ce: elle est la floraison et comme le rayonnement extérieur de toutes les autres de ce groupe.

C'est la modestie, qui règle les mouvements extérieurs de notre corps, surtout les yeux. Combien elle est nécessaire, l'immodestie qui a perdu un de nos frères ne nous l'indique que trop. Les motifs de cette vertu sont la beauté qu'elle donne à l'âme, l'imitation de Jésus et de Marie.

Il y a la beauté naturelle et physique qui excite les sens, remue les passions, entraîne au mal, mais il y a la beauté céleste qui touche, qui attire au bien. C'est la modestie, c'est de celle dont il [est] parlé quand on déclare Notre-Seigneur le plus beau des enfants des hommes. Car suivant quelques Pères, Notre-Seigneur aurait poussé l'anéantissement jusqu'à se refuser la beauté physique.

Jésus était modeste. Quand on le représente devant faire quelque action impor­tante, l'Évangile dit qu'il lève les yeux, c'est donc qu'il les tenait baissés. Marie é­tait modeste. La modestie est comprise instinctivement dans cette qualification de vierge qu'on lui donne: la Ste Vierge, la Mère des vierges. Cette beauté est celle des saints qui leur attirait tout le monde et les rendait agréables à tous.

Il est un autre motif: la présence de Dieu dont elle est la conséquence, et aus­si la preuve et la marque. 72

Nous surtout nous devons être modestes parce que Notre-Seigneur habite ici plus spécialement: vendredi dernier on respirait sensiblement une atmosphère divine. Il se donnait et parlait au cœur.

Soyons donc modestes ici,et pour descendre dans le détail:

1. à la salle d'étude réglons nos actes. Mettons-y de l'ordre. Ne pas travailler près du feu mais aller franchement les [=les mains] chauffer 5 minutes, si l'on a froid - soyez sûr que N.-S. le demande - car alors le travail pourrait ne pas être facile ou profitable, puis revenir à sa place. S'occuper de son propre travail.

2. Au réfectoire ne pas s'accouder,car la modestie comprend tout: l'honnêteté et la bienséance.

3. A la chapelle se mettre à sa place, c'est élémentaire; puis ne pas s'appuyer sur l'accoudoir et par derrière en même temps. Parce que nous entrons bien souvent dans un jour à la chapelle, nous perdons le respect. Le grand-prêtre à Jérusalem n'entrait dans le Saint des Saints qu'aux grandes fêtes et préparé par des veilles et des jeûnes, et cependant il n'y avait présent le corps de Jésus. Les Pères surtout pourraient oublier ce respect, eux qui y récitent souvent l'office. Pendant cet exer­cice ne pas se débarrasser de son livre et ne pas lire à distance sur le livre installé sur l'accoudoir. 73

Le Père [Jean] absent a fait lire pendant l'heure habituelle 2 chapitres de l'A­postolat de la Souffrance.18)

les qualités de l' Apôtre de la Souffrance: pur et innocent: Agnus Dei Talis decebat ut nobis esset pontifex sanctus, innocens, impollutus, segregatus a peccato­ribus (He 7,26).

les dispositions:

1° esprit de foi,

2° esprit d'humilité. //De toutes les maximes spirituelles la plus importante à retenir quand on aspire à la perfection, à plus forte raison quand on désire contribuer au salut et à la perfection des âmes, est la maxime suivante: Deus superbis resistit, humilibus auteur dat gratiam (1 //Pt 5,5).

3° patience et conformité à la volonté divine. C'est Dieu qui nous a choisis pour victimes, à lui de choisir notre croix et de nous l'imposer: O bona crux.

4° esprit d'amour: ama et fac quod vis (St Augustin).

5° esprit de zèle: qui non zelat, non amat (St Augustin). 74

Modestie

C'est l'effloraison des vertus du groupe de la tempérance.

Ici le Père [Jean] résume brièvement la dernière conférence. Les règles sont les même pour toutes les congrégations. Voici ce qu'il y a pour nous de spécial à ce sujet.

Nous sommes adonnés à la vie contemplative beaucoup plus qu'à la vie active qui ne sera jamais que l'accidentel dans notre vocation. Or la vie contemplative de­mande plus de modestie que la vie active. Et de la vie contemplative nous formons une congrégation adoratrice.19) Nous aspirons à la familiarité de Jésus qui doit trouver en nous Nazareth, Béthanie, St Jean, St Joseph, Lazare: être assidus auprès de Jésus, le voir au milieu de nous.

Dans quelque temps nous passerons une partie de la journée au pied de ses autels: cette société demande une extrême modestie tant intérieure qu'extérieure.

Le Père [Jean] développe les règles de modestie de St Ignace et dit entre au­tres choses toutes extrêmement utiles à consigner:

1° que le visage doit respirer une douce joie toujours, - la joie qu'on fait paraître aide la joie intérieure à venir et réciproquement -; sinon nous éloignerons le pro­chain qui jugera par là de notre vocation;

2° les conversations, qui ne doivent pas rouler sur les choses extérieures du mon­de, doivent être tenues gaiement mais sans éclats de rire;

aller et revenir, si l'on sort, sans avoir vu personne par modestie des veux. Te­nir la tête droite sans prétention à la dévotion en la penchant: être sobre de ges­tes, se tenir le corps droit par mortification. Avoir ses habits propres surtout pour la chapelle et la conférence. 75

Chasteté24

Après la modestie vient dans le groupe de la tempérance la chasteté qui répri­me les mouvements de la chair et s'abstient des plaisirs sensuels connexes à ces mouvements. Voyons pour cette vertu comme pour les autres son excellence, sa pratique, [ses] motifs.

I. Elle séduit Notre-Seigneur qui partout fait célébrer ses noces avec l'âme chaste: le Cantique des Cantiques en est l'épithalame, de son union avec l'Eglise, avec Ma­rie, avec l'âme chaste.

C'est des vierges qu'il fait chanter qu'elles sont les épouses du Christ: Veni sponsa Christi. Sur la terre il s'est entouré d'âmes chastes: à Nazareth pendant 30 ans Marie et Joseph, au Calvaire Marie et St Jean; et aussi pour la consolation de ceux qui n'ont que l'innocence réparée, non conservée, au Calvaire il associe Ste Madeleine à sa Passion. Cependant c'est des âmes à la chasteté conservée qu'il s'en­toure de préférence et il en fera de même dans notre Œuvre: choisissant des en­fants qu'il confiera à Marie et à Joseph jusqu'au moment de leur entrée à l'Œuvre, n'excluant pas toutefois l'innocence réparée parce que notre Œuvre est un Calvai­re où le repentir de Madeleine pourra le consoler.

II. La pratique de cette vertu consiste surtout dans la fuite: changeant ses pensées, ses occupations, ses préoccupations, changeant même de place matériellement s'il le faut, car nous aurons toujours à combattre. Car Dieu ne nous fera pas la grâce de nous épargner ces attaques comme à St Joseph et bien probablement à St Jean. 76 Il nous dira comme à St Paul: Sufficit tibi gratia mea (2 Co 12,9) et nous laissera souffleter par ces attaques de Satan.

Un moyen encore, c'est la prière à Marie, St Joseph, St Jean et les Patrons du noviciat, St Louis de Gonzague, St Stanislas.

Un autre moyen, c'est l'abstention des plaisirs non seulement illicites comme les familiarités et les mollesses de tout genre, mais aussi de plaisirs permis, et la rè­gle y a pourvu bien que pour le moment elle soit adoucie à cause de notre faibles­se. Notre-Seigneur ne permettra pas que ces adoucissements nous soient funestes. Il y a une couche dure, ne la fuyons pas car nous en serions punis, on peut l'affir­mer sans être prophète. Il y a les veilles, elles sont bien faibles, au moins ne les diminuons pas, ne retardons pas le lever de 1 heure, de 1/2, de 5 minutes. C'est bien dangereux. Il y a encore les jeûnes et abstinences de règle. Sous ce rapport observons-nous beaucoup, car toute sensualité au réfectoire est bien vite punie par là; même, si les tentations sont plus vives,… demandons des jeûnes supplémentaires sans croire ce que dit la nature. Cependant nous sommes obligés en conscience de nous faire dispenser de ce qui détruit notre santé. La règle n'ordonne pas le suici­de.

Abstenons-nous encore des plaisirs des sens comme de voir: n'allons pas roder dans les bibliothèques passant du titre aux pages et lisant toute sorte de choses.

De même pour l'ouie, pas de plaisir de la musique si ce n'est de la musique religieuse. Nous attacher plus à la pensée qu'à l'air.

Soyons pour le toucher d'une extrême prudence. Disons comme Notre-Seigneur à Ste Madeleine: Noli me tangere (Jn 20,17). 77

Mortifions le goût au réfectoire en faisant plus d'attention à la lecture qu'à la nourriture et en choisissant de préférence les mets qui nous reviennent le moins.

III. Motifs. Le 1er et le plus puissant motif est notre vocation qui nous demande d'être assidu auprès de Notre-Seigneur, ses familiers. Or, Notre-Seigneur ne s'entou­re que de vierges à Nazareth, comme au Calvaire. Nous devons passer la journée a­vec lui: la matinée avec Jésus, Marie, Joseph à Nazareth; l'après-midi l'heure de cru­cifixion au Calvaire; le soir avec Jésus seul à Gethsémani, parce que là malheureuse­ment il était seul.

J'ai de bonnes raisons de croire que telle est la volonté de Notre-Seigneur sur nous.

Si donc nous devons toujours être avec Jésus, soyons chastes puisqu'il ne veut auprès de lui que des âmes chastes, comme il le montre en mille endroits de l'Ecri­ture.

Si vous voulez un motif d'intérêt: soyez chaste et vous aurez beaucoup de grâ­ces, car la chasteté attire Notre-Seigneur, source de grâces.

Exerçons-nous bien à la chasteté pendant cette quinzaine qui est par excellen­ce le temps de la pénitence, de la répression. Pratiquons toutes les vertus du grou­pe de la tempérance. C'est le meilleur temps, puisque la répression et le renonce­ment nous sont plus imposés que jamais. 78

Exerçons-nous à la modestie. C'est l'affaire de tout le noviciat et non d'un 78 jour. Le principal au noviciat est d'acquérir les vertus principales à un degré suffi­sant pour pouvoir les perfectionner ensuite dans la vie, pour ne pas prononcer de vœux téméraires en s'engageant à des vertus qu'on n'a jamais su pratiquer.

Vendredi l'exposition: il faudrait y être préparé. L'avons-nous fait? Nous a­vons encore nos tiédeurs, nos négligences. Préparons-nous aujourd'hui et demain.

Comment passer cette journée de vendredi?

Comme Joseph à Nazareth: le Père [Jean] nous lit à cette occasion quelques passages de la vie de la Mère Marie Thérèse, religieuse adoratrice et réparatrice, et cite les deux idées-mères du livre:20)

1° la pensée de faire de ces maisons d'adoration un Nazareth pour Jésus. C'est-à-­dire y voir régner l'esprit de Nazareth, obscurité, amour.

2° La pensée que son œuvre était incomplète sans une œuvre semblable de prê­tres, pour reproduire plus fidèlement Nazareth. Cette Mère exprimait la conviction que cette œuvre se ferait.

Le Père [Jean] nous a lu ensuite d'autres extraits: il les a pris dans les Révé­lations: que de choses divines! J'était transporté.21) Les Oblats y sont engagés à la vie de Nazareth, de Joseph dont le patronage est ainsi si justifié: à Nazareth silence, solitude, pureté, lumière, a-t-il dit. Le Père [Jean] nous engage à faire de la journée du 19 une journée de St Joseph à Nazareth. C'est à dire: communion spirituelle incessante accompagnée des actes de la communion, adoration, amour, remerciement. 79

C'est pendant cette grande Semaine ou jamais qu'il faut être fidèle à l'esprit de notre vocation. Unissons-nous à Jésus, cherchons à avoir ses sentiments, exci­tons-nous à la pénitence et à la mortification et à une affectueuse compassion et réparation. Sentiments de pénitence et de compassion: voilà ce qu'il faut chercher sans contention d'esprit: ce serait de la nature; sans inquiétude: ce serait du dé­mon; mais doucement, en union avec Jésus. Si nous n'avons pas une grâce sensi­ble de compassion, agissons au moins avec cette pensée de pénitence et de répara­tion. Acceptons les croix grandes et petites que Jésus enverra. Nous serons plus tentés cette semaine et plus effrayés de cette vie de pénitence et de mortification que notre vocation nous impose: tentation de reculer, lâcheté devant le sacrifice; résistons. La pensée de compassion dominante sera pour la plaie la plus sensible du Cœur de Jésus: l'abandon des siens. L'Eglise elle-même y invite tous ses en­fants dans l'office d'hier: Fratres mei dereliquerunt me, noti mei (cf. Jb 19,14) (2e nocturne, répons) par la bouche de Job, une des plus belles figures de Notre-­Seigneur. Et Jésus, à Paray-le-Monial y invite aussi tout le monde.

Les événements de chaque [jour] nous serviront à nous entretenir dans ces pensées. Nous avons déjà la fuite des apôtres, la trahison, le reniement et l'aban­don de ces centaines de disciples qui le suivaient depuis la Galilée, dit St Luc(cf. 23,49). 80

Dès aujourd'hui même servons-nous du triomphe des palmes dans ce but. C'est ce qu'a fait Notre-Seigneur. Deux de ses disciples se rapprochent de lui pour lui

dire: voyez quel triomphe; des païens même veulent vous parler. Jésus leur répond: Venit hora ut clarificetur Filius hominis. Amen, amen, dico vobis: nisi granum fru­menti cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum manet (Jn 12,23-25)… Nunc anima mea turbata est (Jn 12,27). Au milieu du triomphe Jésus pense à sa mort: l'horreur le saisit à la vue du sacrifice: Salvifica me ex hac hora (Jn 12,27). C'est le cri de la nature, mais il se rappelle sa vocation: Sed propterea veni in horam banc (Jn 12,27). Enfin le cri de la grâce: Pater, clarifica nomen tuum (Jn 12,28), suivi de la réponse divine: et clarificavi et clarificabo. L'ange de la consolation. Ser-vons-nous de ces paroles dans les tentations que nous ­pourrons avoir surtout sur notre vocation: Veni in hanc horam (Jn 12,27).

Pénitence et compassion, surtout pour l'abandon des amis. Que chacun se pri­ve au réfectoire et accepte bien toutes les croix.

Dans la coulpe quelqu'un s'accuse d'avoir perdu du temps dans la cour à hu­mer l'air et le soleil du printemps. Le Père [Jean] a dit que cela était défendu dans notre vocation.22) 81

Ce sera moins une conférence qu'une contemplation commune venant se pla­cer dans le cours des contemplations isolées que nous faisons. Aujourd'hui impossible de détourner ses regards de la Croix. On dit avec St Paul: Non judicavi me scire nisi Jesum Christum et hunc crucifixum (1 Co 2,2).

Nous le suivons à chaque [pas] depuis Gethsémani jusqu'au Calvaire. En ce mo­ment nous le voyons aller du prétoire au Calvaire. C'est le portement de Croix.

Considérons et imitons Ste Véronique. Jésus n'est pas moins conspué mainte­nant par ces chrétiens baptisés qui le méprisent et aujourd'hui même l'insultent spécialement.

Allons comme Simon le Cyrénéen porter la croix avec Jésus. Elle n'est pas moins lourde maintenant qu'alors: ce qu'il y a de lourd ce n'est pas le bois. No­tre-Seigneur n'eut pas faibli sous ce seul poids; c'est le poids du cœur, le poids des péchés, et ils se commettent encore chaque jour par millions.

Unissons-nous à Marie qui avait été préparée à cette voie douloureuse par des torrents de grâces qu'elle a dignement employés à notre rédemption. Elle est là no­tre Mère, la Mère de la compassion.

Voyons et imitons St Jean qui fait là son noviciat si parfaitement en une jour­née; son cœur si bien doué d'amour a dû souffrir beaucoup. Tenons-nous avec lui et Marie au pied de la Croix et consolons Jésus en l'aimant et en nous mortifiant comme lui. 82

Aujourd'hui jour de retraite consacré à s'unir à l'agonie de Notre-Seigneur sui­vant son désir. C'est le jour qui convient pour parler de la préparation que nous allons avoir à faire et à laquelle nous devrons nous occuper journellement. L'épreu­ve approche, nous en sommes au moment du conseil: Quaerebant quomodo trade­rent eum (cf. Mc 11,18).

Même sans avoir les lumières surnaturelles, qui sont loin de manquer, on peut s'attendre à l'épreuve: Satan s'apprête

parce que c'est une congrégation qui s'occupera d'enseignement et qu'il ne veut plus ni congrégations ni enseignement religieux,

parce que c'est une œuvre de réparation sacerdotale et religieuse,

parce que c'est l'œuvre du Cœur de Jésus et que là Satan dirige ses traits les plus empoisonnés.

Soyons sûrs qu'il nous réserve les meilleurs coups. Le conseil se tient: est-ce dans les estaminets, est-ce par l'autorité civile, je ne sais, mais il se tient comme chez Caïphe. C'est donc le moment de nous unir à l'agonie de Jésus. Lui aussi pendant les délibérations de ses ennemis se préparait au jardin de l'agonie. Il s'é­tait préparé pendant la dernière année de sa vie publique qu'on a appelée l'année douloureuse par les contradictions des pharisiens, des scribes, l'abandon de quel­ques disciples comme on le voit lorsqu'il parlé de l'Eucharistie. 83

Que nous réserve l'épreuve? Dieu le sait. Certainement des calomnies, des mépris, peut-être quelques souffrances extérieures. Préparons-nous, si nous ne vou­lons pas faiblir dans l'épreuve. L'agonie sera pénible mais si l'ange de la consola­tion vient nous montrer les fruits immenses de l'Œuvre, son extension rapide a­près l'épreuve qui après tout est nécessaire parce qu'elle est le cachet de l'œuvre divine, les grâces innombrables qui en résulteront pour le monde à travers lequel l'Œuvre sèmera la réparation, le sacrifice réparateur offert dans les pays où Satan s'est le plus déchaîné, en comparaison de tous ces avantages l'épreuve paraîtra légè­re: leve tribulationis, aeternum gloriae pondus (cf. 2 Co 4,17).

Comme préparation et pour arriver à bien dire alors Ecce venio (Hb 10,7), Surgite, eamus (Mt 26, 46), soyons généreux à accepter chaque jour notre petite croix. Soyons fidèles à la porter, en cela consistera notre préparation et la fidéli­té dans l'épreuve sera en proportion de la préparation.

Prions et fortifions-nous dans l'humilité. Ainsi générosité et humilité, voilà no­tre préparation. 84

Nous avons parlé vendredi de l'état dans lequel il faut tenir notre âme dans le temps présent; complétons ce qui a été dit. Notre-Seigneur a abrégé pour nous le temps de la préparation et notre œuvre en est à Gethsémani avant le Calvaire. Elle va passer par l'épreuve, par la croix. Nolite timere eos qui occidunt corpus (Mt 10,28), Desiderio desideravi (Lc 22,15): désirer et ne pas craindre, désirer le Consummatum est (Jn 19,30), parce que c'est de là que datera la confirmation, les grâces immenses réservées à l'œuvre, la multiplication de ses membres. Com­me du Cœur de Jésus ouvert par la lance est sortie l'Eglise avec la grâce et la gloire, ainsi de l'épreuve sortira la fécondité pour notre œuvre. Désirer donc l'épreuve, mais ne pas craindre. Pour proportionner le calice à notre faiblesse, Jésus ne le fe­ra pas boire en un jour, il le donnera à boire en 3 mois, peut-être en six mois, mais il le donnera et la période de l'épreuve est commencée. Ne pas craindre ceux qui peuvent tuer le corps, mais ceux qui possunt perdere in gehenam (Mt 10,28), les ennemis, les amis qui conseilleront ceci ou cela, de fuir ici ou là, de prendre ce moyen ou celui-là. Pas d'agitation, de préoccupation sur les moyens à prendre devant la persécution. Laissons cela aux supérieurs: - Mgr. [Thibaudier] et autres. - Quand ce sera le temps de n'en plus prendre, laissons faire Jésus. Ce serait nous perdre que d'en chercher. 85 N'ayons qu'une préoccupation: celle de rester fidèle à notre vocation. Cherchons la pensée du Cœur de Jésus pour nous unir à Lui. En ce moment il permet qu'on déchire encore son Cœur. Pourquoi? Parce que dans les congrégations religieuses il y en a de ferventes et pour celles-là il veut les unir à ses souffrances en les faisant souffrir. Mettons-nous avec elles dans le Cœur de Jésus pour y recevoir le coup de lance de la persécution. Mais il y en a aussi de tièdes, de celles qui sont dans une voie d'irrégularité et d'opposition à l'esprit de leurs fondateurs. Jésus s'en plaint depuis un siècle, depuis trois siècles même. Car il en parle déjà à Paray; l'Eglise même paraît le confirmer en s'occupant de la béa­tification de personnes à qui des lumières surnaturelles ont été données sur l'ingra­titude du peuple choisi. Suivant des personnes autorisées ce serait une partie du se­cret de La Salette. Pour ces congrégations relâchées de l'esprit de la fondation c'est le châtiment. Jésus purifie son aire: elles seront dispersées et persécutées ou légalement ou violemment. Quelques membres seront peut-être contents de cette occasion pour se retirer, d'autres ne répondront plus ensuite à un second appel. 86

Avec les congrégations ferventes, unissons-nous au Cœur de Jésus souffrant en face des congrégations relâchées. Acceptons l'épreuve en réparation.

Hoc sentite in vobis quod et in Corde Jesu (cf Ph 2,5). Jésus va souffrir dans ses membres choisis, dans sa tête par les congrégations contemplatives, dans ses mains par les congrégations employées aux œuvres, dans ses pieds par les congré­gations qui envoient à l'étranger des évangélisateurs, dans son Cœur par les congré­gations réparatrices.

Il se laisse frapper dans ses membres choisis. Ne nous laissons pas aller à la co­lère, à la haine, aux moyens naturels et humains de repousser la persécution. Lais­sons faire les bourreaux. Jésus ne s'en souciait pas beaucoup: Nesciunt quid fa­ciunt (cf. Lc 23,34). Tâchons de le consoler, pensons à sa douleur. Lui sur la Croix pensait à ses apôtres. Pensons comme lui aux âmes privilégiées infidèles, il y en a de toutes les catégories depuis Judas jusqu'a St Jean.

A ces sentiments d'union à Jésus et de compassion, ajoutons celui d'une con­fiance absolue. Il n'arrivera que ce que Jésus voudra, quand il voudra, comme il le voudra, dans la mesure qu'il le voudra. Pendant l'armé douloureuse, l'Evangile, qui cependant n'a pas tout dit, nous rapporte 3 ou 4 fois que les Juifs ont voulu le saisir, mais l'heure n'était pas encore venue.

Abandonnons-nous complètement à sa sainte volonté.

Amour - confiance - compassion.

(Le Père [Jean] recommande de ne pas tenir sur ce sujet de discours découra­geants en récréation). /


1)
1 I,9Le p. Dehon pensait que l’affiliation au Tiers-ordre de st François donnait aux vœux des pre­miers religieux un caractère ecclésial plus marqué, puisque, disait-il aux novices: Nous n’avons que l’approbation verbal de Mgr (Thibaudier) (Cf III, 24: 7/7/1880). Le «cordon» rappellait l’habit de st François. Rappelons que de séminariste, à Rome, L. Dehon émit sa profession dans le tiers-ordre franciscain, après un an de noviciat, le 21/3/1867 (cf. NHV IV, 189-190. V, 127).
2)
I,15Le Père (Jean) est p. Dehon. Débutant le noviciat (31/7/1877) il prit le nom de p. Jean du Cœur de Jésus (cf. VP, p. 102).
3)
I,15Le manuscrit a «3 parties» mais probablement le novice Falleur entendait écrire «3 passions». De ces passions, p. Dehon en parle dans la conférence suivante du 2 décembre 1979.
4)
I,19«Couvent» est la maison religieuse des sœurs Servantes du Sacré-Cœur.
5)
I,24La définition complète de st Thomas dans la «Summa Theologiae» (la-IIae, 9, 55, a.4) est la suivante. Virtus est bona qualitas mentis, qua rette vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis sine nobis operatur.
6)
I,27Le p. François-Xavier Lamour, au siècle Philippe, né à Landrecies, département du Nord(Fran­ce), le 29/8/1843, ordonné prêtre à Soissons en 1868, entra chez les Oblats le 21/11/1879, fit sa prise d’habit le 25/12/1879 (RV, 1) et sa première profession le 7/1/1881. Il fut supérieur et maître des novices à Sittard de 1883 à 1886, puis conseiller général de 1886 à 1896. Il mourut à Quévy (Belgique) le 3/5/1921. P. Lamour étant déjà sacerdote, sa prise d’habit consistait en la bénédiction de la soutane, en la remise du cordon et du scapulaire, caractéristiques des Oblats du S.-Cœur.
7)
I,31Cf. CF V, 7-10.
8)
I,24Il semble que la phrase soit originairement de Benoît XIV. P. Dehon l’attribut à Pie IX (cf. CF V, 28).
9)
I,46Quant à l’année 1880, p. Dehon écrit dans ses «Mémoires» (Notes sur l’Histoire de ma Vie): Cette année aussi apportait ses croix: periculum ex latronis. periculum ex falsis fratribus, etc… – Crainte quotidienne de dissolution et d’expulsion,du Tolle et des calomnies. – Procès intenté à la Chère Mère et gagné en premières instance et en appel par l’héritier de la sœur Marie des cinq Plaies et, par la suite, perte de toutes nos ressources. – Difficultés intérieures: le diable se sert de deux caractères faibles, que nous avons parmi les nôtres, pour nous susciter bien des peines et des difficultés (NHV XIV, 59). Nous relevons que le 29 mars 1880 furent approuvés les décrets de J. Ferry contre les religieux, en particulier le décret d’expulsion des jésuites à exécuter avant le 29 juin 1880. L’article 7° é­tablissait: Nul n’est admis à diriger un établissement d’enseignement public ou privé, de quelque ordre qu’il soit, ni à y donner l’enseignement, s’il appartient à une congrégation non autorisée. Seules cinq congrégations masculines étaient autorisées: les Frères des Ecoles Chrétiennes, les La­zaristes, les Sulpiciens, les Missions Etrangères de Paris, les Pères de l’Esprit Saint. Les congréga­tions non autorisées devaient demander l’autorisation dans les trois mois sous peine de dissolu­tion. 261 maisons furent fermées et 5.643 religieux expulsés. Les Oblats du Cœur de Jésus se sauvè­rent, étant une petite congrégation. On pouvait facilement les confondre avec le clerc diocésain. Les deux phrases sont ajoutées par Falleur comme une note, en bas de la p. 46. Entre parenthè­ses: la prévision des grâces de croix pour le mois de mars. La seconde phrase est comme une ap­probation que la prévision s’est avérée. La défunte peut être sr Marie de Gonzague des Servantes du S. Cœur, morte le 15/3/1880, à 23 ans seulement. La note de Falleur s’explique avec le fait que p. Dehon avait parlé de la nécessité de la pénitence pour le salut de l’église et de la France.
10)
I,47P. Dehon se réfère aux phénomènes mystiques qui se sont manifestés chez sr Marie de St-Ignace le 2.2.1878. Voilà comment il les décrit dans ses Mémoires (NHV): Le 2 février, elle eut une syncope plus longue et une sorte d’état de mort. On me fit chercher comme j’étais son confesseur et directeur et j ‘accourus avec les saintes huiles pour lui donner les derniers sacrements. Mais elle se releva encore. C’est alors quelle s’ouvrit à la Chère Mère de son état intérieur et lui dit qu’elle entendait la voix de N-S.. Du moins elle le pensait. Elle avait des lumières, il lui semblait entendre des paroles. Ses angoisses mortelles avaient été une mort mystique qui prépa­rait ces communications Ces grâces de lumières allaient durer plusieurs années, jusqu’en 1883 (NHV XIII, 72-73; cf. VP, pp. 615-632
11)
I,47Les mots entre parenthèses sont ajoutés pour la clarté du texte.
12)
I,52Avec toute probabilité il s’agit d’un ex-élève de St-Jean: Pierre Courtois, dont nous possé­dons deux lettres écrites en cette période là à p. Dehon. Dans sa première lettre, il parle de sa décision de se consacrer complètement à Dieu. II semble qu’il eut une mère autoritaire qui s’op­posait à sa vocation. Dans sa seconde lettre, il s’accuse d’avoir offensé, soit Dieu que p. Dehon, par son orgueil. Il espère toutefois en le pardon de Dieu et de p. Dehon (AD, B 21/3). Dans «Notes sur l’Histoire de ma Vie» p. Dehon écrit que Pierre Courtois était une nature délite et transcrit une de ses lettres (cf. NHV XIV, 54-55).
13)
I,61Cf. conférence du vendredi, 20 février 1880 (CF I, 59).
14)
I,67En préparation à la première adoration avec le Saint-Sacrement exposé (cf. CF I, 62-63).
15)
I,67La «culpa» est un acte d’humilité en usage, une fois, dans les maisons religieuses. Le religieux s’agenouillait devant le supérieur, en présence de toute la communauté et s’accusait de quelques-­unes de ses fautes extérieures. Il recevait la pénitence du supérieur, baisait la terre et se retirait à sa place.
16)
I,69Ce sont certainement les lumières d’oraisons de sr Marie de St-Ignace, appelées improprement «révélations».
17)
I,69Cf. conférence du dimanche, 9 novembre 1879 (CF I, 1-2).
18)
I,73Apostolat de la souffrance ou les victimes volontaires pour les besoins actuels de l’église, (Pa­ris, 1866 et 1867) est le maître-livre du père jésuite Jean Lyonnard (1819-1887). Le but du li­vre est: aider par la prière, l’assistance, la souffrance et la pénitence ceux qui meurent chaque jour.
19)
I,74Cf. Introduction, p.
20)
I,78Marie-Thérèse du Cœur de Jésus (Dubouché Théodolinde), fondatrice de la Congrégation de l’Adoration réparatrice, 1809-1863. Durant les journées tragiques de 1848, elle groupa dans la chapelle du Carmel de la rue d’Enfer à Paris des âmes éprises du même idéal de réparation. En quelques semaines deux mille membres s’agrégèrent à l’association réparatrice. La même année, dans la nuit du jeudi de l’octave du Saint Sacrement, Notre-Seigneur lui apparut et lui fit com­prendre qu’il voulait une congrégation religieuse vouée à l’adoration réparatrice. Théodolinde pro­nonça ses vœux le 29 mai 1849 et prit le nom de Marie-Thérèse du Cœur de Jésus. Mgr D Hulst écrit sa vie: Vie de la Mère Marie-Thérèse fondatrice de la Congrégation de l Adoration réparatri­ce, Paris, 1871. De la Mère Marie-Thérèse le père Dehon parle dans ses «Souvenirs»: Elle avait eu des vues sur une œuvre de prêtres. On avait essayé. Un saint prélat, Mgr Luquet avait com­mencé avec un jeune prêtre puis il y avait renoncé et il était allé mourir à Rome (LC, 335).
21)
I,78Ce sont certainement les «lumières d’oraisons» de sr Marie de St-Ignace.
22)
I,80En bas de page, le novice Falleur écrit, soulignant: le N.J.C. (? ).
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