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CAHIERS FALLEUR

III

CONFERENCES ET SERMONS

16 juin 1880 - 6 août 1880

Sur la satisfaction

Les principaux éléments du catéchisme devraient suffire à nous remplir de l'esprit de notre vocation. Nous savons que le péché est une offense à Dieu et qu'il faut pour cette offense une satisfaction. Nous savons que Jésus Christ seul a pu satisfaire pleinement pour cette offense. Mais nous savons aussi que notre satis­faction personnelle est nécessaire pour que la satisfaction surabondante de Jésus ­Christ nous soit appliquée.

L'hérésie protestante enseigne, et c'est une de ses grandes erreurs, qu'aucune satisfaction n'est nécessaire après celle de Jésus-Christ. C'est, dit-elle, faire injure au Sauveur que de regarder sa satisfaction comme insuffisante. Les catholiques ne regardent par la satisfaction de Jésus-Christ comme insuffisante en elle-même, mais les effets doivent nous en être appliqués au moyen de notre propre satisfaction.

Or comment pouvons-nous satisfaire à Dieu? Par les moyens que nous ensei­gnons aux enfants du catéchisme, d'abord par la pénitence sacramentale que le confesseur impose. Mais nous savons que cette pénitence, tout en complétant le sacrement, laisse après elle des dettes à payer soit dans cette vie soit dans le pur­gatoire.

Nous devons donc achever notre expiation par des pénitences volontaires qui se divisent en trois catégories: la prière, le jeûne et l'aumône. Et cette division du catéchisme est fondée sur la nature-même des choses. Elle répond aux trois gran­des catégories de péchés. La prière comprend tous les actes intérieurs que l'on peut faire en esprit de pénitence, elle est la réparation des péchés de l'âme. Le jeûne embrasse toutes les souffrances corporelles destinées à expier les péchés com­mis par les sens. Enfin l'aumône qui désigne ici en général le dépouillement de tous les biens extérieurs, expie les péchés commis dans l'usage de ces biens. Nous enseignons aux autres 2 que tout chrétien par là-même qu'il est pécheur doit satisfaire et réparer par des pénitences volontaires. Quant à nous, nous y sommes te­nus particulièrement comme religieux et comme prêtres. Vous voyez donc que sans faire appel à aucune lumière extraordinaire, l'esprit de notre vocation est bien évi­dent. Et si maintenant nous réfléchissons à ce fait que Notre-Seigneur en person­ne a daigné nous demander la réparation, est-il possible que notre vie entière ne soit pas un holocauste? Qu'il y a loin de là à offenser Dieu comme cela se fait tous les jours. Chaque fois que nous péchons, bien loin d'être Oblats, nous ne sommes ni prêtres, ni religieux, ni même chrétiens.

Nous allons commencer aujourd'hui une neuvaine à St Jean-Baptiste, celui que Notre-Seigneur a proclamé le plus grand parmi les enfants des hommes. Il é­tait certainement le plus saint des hommes à ce moment-là. Pour le reste nous lais­sons de côté la discussion scolastique. Ce saint ne peut être honoré que par la pé­nitence. Nous ferons donc quelques mortifications corporelles. Cette neuvaine sera faite à l'intention de nos sœurs pour lesquelles nous ne devons pas nous montrer ingrats. Si notre Œuvre existe c'est parce que depuis 15 ans elle se sont offertes en victimes pour appeler les prêtres-réparateurs, et Notre-Seigneur a accepté leurs offrandes. Il leur a accordé largement les trois principaux moyens d'expiation: il a permis qu'elles éprouvent des tentations extraordinaires et toutes les peines de l'à­me; il leur a envoyé les souffrances corporelles, les maladies et la mort; quant aux biens temporels, il faut être, comme je le suis, au courant de tous les détails pour pouvoir affirmer qu'elles ne vivent que de miracles. Nous offrirons cette neuvaine en particulier pour la sœur qui est comme le Jean-Baptiste, le précurseur de l'Œu­vre. Si elle reçoit des grâces, elle a aussi de grande obligations et elle a besoin d'ê­tre aidée.1) 3

De la paresse et des vices en général

I. - La paresse qui est le dégoût du bien spirituel a pour filles la lâcheté de la vo­lonté, la pusillanimité dans le conseil et la légèreté de l'esprit. Dans le corps elle se traduit par l'inquiétude du corps qui n'est jamais en repos, jamais assez à l'aise. Inutile de parler de la nonchalance et de la mollesse. En voilà les filles et les for­mes. La plus commune est la légèreté de l'esprit surtout dans les exercices religieux: on abandonne son esprit à toutes les pensées qui viennent se présenter; on ne se donne pas la peine d'être logique, de suivre une idée.

Le remède est dans la vertu de diligence appuyée des pensées de foi, comme la valeur du temps et de l'éternité.

II. - Quelques observations générales sur les vices et les vertus.

1° - Un seul acte peut appartenir à plusieurs vices ou vertus selon les différentes intentions qu'on a eu en le faisant. Celui qui vole pour s'élever par sa richesse commet un acte d'orgueil et d'injustice. Servir la messe pour rendre service, c'est religion et charité. On peut ainsi multiplier les actes suivant les intentions.

Dans un jardin il n'y a pas qu'une seule espèce de fleurs, 4 de même pour les âmes il y a de la variété: Non est inventus similis illi (Si 44,20). Une Congrégation a telle spécialité, une autre telle autre. Les Oblats doivent donner, eux, à tous leurs actes, au moins aux principaux, en les commençant, la forme d'acte d'amour et de réparation. C'est cela qu'il faut être ou bien ne pas être, être arrachés parle Maî­tre qui ne trouverait pas ce qu'il a voulu trouver. Former 30 fois au moins cette intention dans une seule journée.

2° - Observations générales. N'attaquons qu'un seul point et le plus fort, tout le reste est acquis avec lui. Nous avons vu que les vices capitaux comme les vertus sont accompagnés d'une foule de filles; en repoussant l'un on chasse les autres qui n'entrent que par la trouée qu'il a fait, comme l'acquisition d'une vertu amène cel­le des autres. Si par exemple je veux être doux, je prévoirai les occasions etc… c'est de la prudence, et ma résolution d'être doux m'en faisant faire un continuel usa­ge, m'acquerra en même temps la vertu de prudence. Si j'apporte toute mon éner­gie pour être doux, je pratique la vertu de force dans toutes les occasions où il faut être doux et ma volonté 5 se fortifie aussi et acquiert la vertu de force.

Une fille encore de la paresse: l'indignation contre celui qui veut remédier à ce dégoût du bien spirituel, en latin « rancor ». On la trouve dans les noviciats.

Laissons encore aujourd'hui le cours ordinaire de nos conférences pour nous renouveler dans les sentiments que nous devons avoir à cause de l'épreuve qui ap­proche et qui viendra si nous en sommes dignes. Ce serait la plus terrible épreuve que de n'avoir pas d'épreuve. Elle nous est annoncée surnaturellement, mais natu­rellement on peut la deviner, car une Œuvre comme celle-là ne peut s'établir sans recevoir cette garantie de l'acceptation divine.

Veillez et priez. L'année que termina la Passion fut pour Notre-Seigneur l'an­née de contradiction. Il l'avait annoncé à ses apôtres les préparant ainsi à la gran­de agonie: le Fils de l'homme sera livré…, je détruirai ce temple, Cum exaltatus fuero a terra… (cf. in 12,32), comme Jonas a été trois jours… Ses apôtres ne s'y préparaient guère, vivant dans une insouciance habituelle. St Pierre-même le prie de ne pas aller 6 en Judée, mais Jésus lui répond: Vade retro, satana (cf. Mt 16,23). Il les préparait à la grande contradiction, diversement il en prit 3 plus parti­culièrement qu'il affermit par les visions du Thabor et cependant ils ne lui furent pas fidèles. Ils continuèrent au moment de l'épreuve ce qu'ils avaient fait toute l'année, ils sommeillaient. Dans un moment de ferveur ils s'étaient cependant dé­clarés prêts à tout. St Pierre: etiamsi oportet me mori tecum… St Thomas: Eamus et nos… moriamur cum eo (in 11,16). Et quand Jésus leur dit de veiller et de prier ils ne l'écoutent pas, ils s'endorment jusqu'à ce que Jésus leur dit: Dormite jam et requiescite (Mt 26,45). Mes paroles n'ont pas pu vous réveiller, et bien dor­mez, leur dit le Sauveur avec une douce ironie, d'autres vont venir vous réveiller et Judas s'avance avec sa troupe.

La raison de ces défaillances est bien claire: ils ne s'étaient pas préparés à l'épreuve malgré les avertissements du Sauveur qui les avait si souvent prévenus et fortifiés. La grâce de la persévérance dans l'épreuve est proportionnée à la vigilan­ce et à la prière actuelle.

Comme les apôtres nous sommes prévenus et fortifiés; tous les jours des grâ­ces largement suffisantes nous sont accordées. 7

Ne sommeillons-nous pas? Sommes-nous vigilants à bien mortifier notre corps, à ne pas lui accorder ce sommeil matériel qu'il sollicite, à sacrifier le jugement propre, la volonté propre, à nous acquitter de nos exercices de piété avec un es­prit de vigilance et de prière? Ne sommes-nous pas toujours les mêmes? Prenons garde de sommeiller, de ne pas profiter des grâces qui nous sont données si géné­reusement.

Ne soyons pas comme ces sœurs dont Notre-Seigneur exige le renvoi après 6 ou 8 ans de séjour; elles sont, dit-il, comme un affamé auprès de la table la mieux servie, comme un homme altéré auprès de la source la plus abondante, el­les sont dans les ténèbres auprès de la plus claire lumière, elles ont froid auprès du soleil le plus ardent. En effet, là-haut c'est une maison de grâces, on se sent meilleur à chaque fois qu'on y va, mais ici c'est tout autant une maison de grâces. Ne sommes-nous pas comme ces sœurs rejetées?.2) Ne devons-nous pas craindre le même sort si nous suivons la même conduite? Veillez et priez: ne négligeons pas les grâces qui nous sont données, afin d'être fermes au moment de l'épreuve. 8

Sur les dons du St-Esprit

lis diffèrent des vertus théologales et des vertus morales. Les théologiens les placent par ordre de dignité entre les premières et les dernières.

Les vertus théologales sont des habitudes, des aptitudes que l'âme reçoit pour la vie d'union avec Dieu; les vertus morales des habitudes, des aptitudes pour sui­vre dans notre conduite les lumières de la raison; les dons du Saint-Esprit sont des habitudes, des aptitudes qui nous rendent propres à recevoir les motions du St-Es­prit.

La sagesse, l'intelligence, le conseil et la science résident dans l'esprit; la piè­té dans la volonté; la force dans l'irascible; la crainte de Dieu dans le concupisci­ble.

Nous avons tout spécialement besoin des dons du St-Esprit. Puisque notre vie doit être habituellement héroïque nous devons être toujours prêts à recevoir les motions du St-Esprit. Aussi toutes les invocations au St-Esprit qui se rencontrent dans nos prières de chaque jour doivent nous être bien chères. 9

Parlons des fruits du St-Esprit

10 Dans le sens large on comprend par là toute grâce et don plus rigoureux; c'est un état d'âme définitif accompagné d'une certaine suavité. C'est le résultat de la vertu. St Paul en énumère 12. Comme les fruits sont les résultats définitifs de toute végétation, ainsi les fruits du St-Esprit sont le terme où aboutissent les vertus. Ces fruits peuvent se voir dans ces hommes saints, ces hommes de Dieu que l'on rencontre parfois: par eux on reconnaît qu'ils ont l'Esprit de Dieu. 11

Quelques avis sur ce qu'il y a à faire et à penser dans les circonstances pré­sentes.

Il y a d'abord l'ordination: nous n'y devons jamais être indifférents. Jésus ai­me tant ses prêtres et désire si fort leur sanctification! Nous qui nous livrons en victimes pour eux, songeons à ce que notre vocation exige de nous. Toujours nous devons avoir pour les prêtres des sentiments de respect, de charité et les manifes­ter en toute occasion. On nous soupçonnera souvent de juger les autres et d'être méprisants: détruisons cette prévention à mesure qu'elle se produira. Mais à l'inté­rêt général du sacerdoce se joint un intérêt spécial à prier beaucoup.

C'est la première fois que la Congrégation des Oblats prend part à une ordi­nation: un prêtre-réparateur va être donné à Notre-Seigneur; il va pouvoir lui of­frir ses messes réparatrices si douces, si agréables à Notre-Seigneur, comme tout ce que le prêtre fait en esprit d'amour et de réparation, confession, prédication.3) Deux autres avancent plus ou moins près de ce sacerdoce réparateur: il faut donc faire quelque chose pour obtenir de Notre-Seigneur ce qui est nécessaire pour ceux qui vont avancer dans cette voie. 12

Une autre circonstance concourt à exiger de nous quelque chose pour cette date du 29 juin: les décrets contre les Jésuites. Tout ce qu'il y a d'hommes per­vertis, de mauvais va se réjouir. Satan leur soufflera sa joie satanique; il va s'élever de la France vers le ciel une immense et pesante fumée en ce jour fatal du 29 juin. Mais à côté de cette joie populaire il y a l'action officielle: près de ceux qui crieront tolle, tolle (Jn 19,15) il y a les Pilate, les Hérode et les Caiphe qui agis­sent au nom de la nation et Notre-Seigneur pourrait infliger à la France le châti­ment des Juifs et la livrer à ses ennemis, s'il ne se trouvait le nombre de justes qu'il veut y voir.

A côté de ces insultes populaires et officielles il y a la blessure faite à son Cœur à qui on arrache ce qu'il aime le plus: les religieux, les enfants, les malheu­reux. Satan lui enlève ceux qu'il appelle à lui. N'a-t-il pas dit aux religieux: Veni, sequere me (Mt 19,21), et Satan les expulse. Ces offices qui envoyaient la prière de tous les points de la France vont cesser. Quelques âmes lâches profiteront de la tourmente pour se séculariser. Il y aura des émeutes populaires et le corps de Notre-Seigneur est bien exposé à être jeté 13 dans la boue. J'ai la conviction qu'il y aura du sang versé: c'est une grâce pour les âmes qui en seront favorisées,mais ces meurtres n'en sont pas [moins] une blessure bien cruelle pour Jésus, car on le blesse en blessant la Ste Eglise, son epouse.4) Et les enfants qu'il aime tant on les empêche d'aller à lui car c'est surtout l'enseignement qui est atteint par ces dé­crets. Il a dit: Sinite parvulos venire ad me (Mc 10,14) et on les lui arrache, et les malheureux de toute condition Satan les rejette de tous côtés, peu lui importe où, pourvu qu'il les empêche de suivre l'appel de Jésus: Venite ad me omnes qui laboratis et onerati estis (Mt 11,28). Voilà le coup de lance que Jésus va recevoir: Attendite et videte si est dolor sicut dolor meus (Lm 1,12). N'aurons-nous pas compassion de ses souffrances nous qui voulons le soulager. Ces jours ne sont pas des jours communs et celui qui les passerait comme tels n'aurait pas le sentiment de sa vocation. Il faut aimer et réparer doublement dès maintenant. Soyons géné­reux à suivre notre vocation. L'épreuve générale va devenir spéciale pour nous, dé­jà elle est commencée pour nos 14 sœurs, annoncée depuis quelques mois. Il n'en restera qu'un petit groupe de s(ain)tes femmes pour le moment suprême du Con­summatum est.5)

Pour nous, il faut nous montrer dignes de l'épreuve, autrement Notre-Sei­gneur nous rejettera et fera son Œuvre ailleurs. Nous avons beaucoup à faire; il ne faut pas croire que tout est fait parce que nous avons été appelés surnaturelle­ment. Ce qu'il y a de fait c'est la responsabilité encourue; ce qu'il y a à faire c'est les mérites à acquérir pour être dignes de cette vocation, ne pas nous croire élus parce que nous sommes appelés: Multi votati, pauci eletti (Mt 20,16).

Demain jeûne comme vigile de la St-Pierre et veille du 29 juin; en outre heu­re sainte pour ceux qui seront ici; de 9 h. à 3 h. il y aura toujours deux adora­teurs devant le SS Sacrement. Mais tout cela n'est rien si les sentiments intérieurs n'y répondent pas. De grâce, que Satan ne trouve plus aucune satisfaction ici, il va en avoir assez ailleurs. Ceignons-nous de la mortification pour réparer et pre­nons à la main le flambeau qui symbolise l'amour et la fidélité. 15

Première messe du P. Jacques: pas de conférence.6)

Considérons les douleurs du Cœur de Jésus en ces temps d'épreuves et vo­yons ce que nous avons à faire à cette occasion. Bien des persécuteurs l'outragent en ce moment car c'est lui qu'on chasse de France dans la personne des religieux qui portent son nom: Qui vos odit, me odit (cf. Jn 15,18); Quidquid feceritis uni ex his meis mihi fecistis (cf. Mt 25,40). Mais pour ces persécuteurs il répète la prière du Calvaire: Ignosce illis quia nesciunt quid faciunt (cf. Lc 23,34). Sans doute ils sont coupables car ils ont reçu la grâce du baptême et ils méprisent la grâce suffisante. Cependant leur haine est aveugle, ils ne sont pas éclairés sur la grandeur de leur crime.

Croyez-vous qu'en ce moment ce soit là la plus grande douleur du Cœur de Jésus? Je crois très fermement que l'indifférence des siens lui est bien plus péni­ble que les grossières injures de ces ignorants ennemis. C'est le sens de ces paro­les du psaume messianique: Si inimicus meus maledixisset.. sustinuissem utique; tu vero… dux meus… un prêtre; notus meus (Ps 54, 13-14), un religieux. A ce té­moignage de la Ste Ecriture s'ajoute l'autorité des révélations de la Bse Margueri­te-Marie: ce qui m'est le plus sensible c'est l'indifférence des âmes qui me sont consacrées; il se plaint 16 de l'ingratitude des autres et il souffre plus de l'indifférente de ceux-ci. Oui, c'est une vérité qu'un saint, Pierre de Blois,exprime ainsi: Quod veniale est plebi, mortale est sacerdoti. Cette parole s'entend dans plusieurs sens, mais surtout elle est prise en celui-ci: que le péché véniel s'aggrave par le scandale qu'il occasionne, par le mépris des bienfaits qu'il trahit, parce qu'enfin celui qui pèche a plus de lumières.

Ne le sentons-nous pas nous-mêmes? Une injure reçue d'un ennemi dans la rue ne nous fait pas grande impression quelque grossière qu'elle soit, mais un frois­sement, une marque de mésestime ou d'oubli de la part d'un directeur spirituel ou d'un ami intime nous blesse profondément parce que nous n'attendions que marques d'affection et d'intérêt. Il est donc certain qu'en ce moment ce qui attris­te le plus le Cœur de Jésus c'est notre tiédeur et nos imperfections, les manque­ments au silence, aux points secondaires de notre règle. Nous n'avons pas le droit de nous dissimuler la grandeur de notre vocation. Nous avons été ramassés bien bas pour être élevés très haut: nous sommes appelés à représenter son Cœur dans son Corps Mystique qui est la Ste Eglise, et de toutes les âmes consacrées ses O­blats sont les plus 17 chéris, les privilégiés. Que de grâces il leur a prodiguées; nous en avons tous plus ou moins des preuves personnelles et surnaturelles de notre su­blime vocation. Quand donc répondrons-nous à tout ce qu'elle demande de nous?

Retrempons-nous dans la vigilance car l'épreuve approche: on l'attendait ces jours-ci, elle n'est pas venue et aussitôt on s'est donné du large. Veillons car elle n'est qu'ajournée et elle n'en sera que plus grande. Jésus nous a tant aimé qu'il nous aimera jusque là, de nous envoyer une forte épreuve. Prenons donc garde à avoir de l'huile dans nos lampes. Nous ne savons pas quand il viendra; tenons-nous donc toujours prêts à sa venue.

Voyons donc aujourd'hui, tout à l'heure pendant le petit examen, ce que nous avons à réformer pour ne plus contrister le Cœur de Jésus, mais le consoler de toute ingratitude et indifférence.

L'épreuve se fait attendre, mais elle vient. Allons-nous faire comme les vierges folles et ne pas mettre d'huile dans notre lampe? L'épreuve viendra au moment où nous ne l'attendrons plus, nous ne serons pas prêts et l'Epoux nous dira: je ne vous connais plus. 18

C'est certainement le désir de Notre-Seigneur que nous faisions ensemble une méditation sur la fête de ce jour.

Vous avez pu remarquer dans le st Office d'abord le fait matériel, physique du sang versé, puis comme l'effusion mystique dé ce sang, le symbolisme qui le re­présente, le fait mystique caché sous le fait matériel, 1e lyrisme employé pour le célébrer,enfin l'invitation de Jésus, de l'Eglise, de St Paul à nous montrer dignes:

1° de premier sang versé à la circoncision: Post dies octo… (cf. Lc 2,21);

2° à l'agonie: Factus est sudor.. (Lc 22,44);

3° la trahison qui en est faite par Judas, et Pilate à la flagellation, le coup de lance qui ouvrit son côté.

1. Le Christ, dit St Paul, pontife pour les biens futurs dans le temple de la divini­té-même c.à.d. au sein de son Père ou encore dans le temple de son humanité sur l'autel de son Cœur, a versé son sang, opérant ainsi la rédemption éternelle: Jésus ut sanctificaret populum, extra portam passus est (He 13,12).

2. La poésie chrétienne célèbre ce grand bienfait, elle appelle tous les chrétiens à se réjouir: Festivis resonent.., elle montre le sang de Jésus répandu par amour.

Comme le déluge avait été envoyé par une juste colère 19 elle emprunte ses comparaisons à la nature inanimée, puis à la nature animée, végétaux, animaux, bêtes fé­roces, enfin à ce qu'il y a de plus élevé dans la nature, l'homme: Servus erat mor­te dignus, rei luit pœna optimus.

Qu'il y a-t-il qui se rapporte plus spécialement à notre vocation? C'est la fête de la grande victime, mais il y a bien quelques mots à la louange des autres victi­mes: Hi sunt qui amitti sunt… (cf. Ap 7,13).

C'est le grand modèle de notre vie de victime: imitons-le. Jesus ut sanctifica­ret… passus est; exeamus igitur nous qui voulons sauver comme lui les âmes: exea­mus extra castra, hors du monde, dans la solitude, dans la vie de victime; portons sa croix: improperium ejus portantes (He 13,12-13). Ne craignons pas de demander la grâce de l'immolation jusqu'au sang tôt ou tard, pour un ou plusieurs. Nondum enim ad sanguinem restitistis (He 12,4): l'épreuve a commencé dans le mois du Cœur de Marie, elle s'est appesantie dans le mois du Cœur de Jésus; se fera-t-elle complète dans le mois du précieux Sang ou devrons-nous attendre des mois?

Préparons-nous pour ce moment quelqu'il soit 20 en ce mois particulièrement par le culte du précieux Sang, un exercice sera fait chaque jour en l'honneur du précieux Sang à cette intention. 21

Pour avoir achevé le cours de ces instructions il faudrait parler maintenant des dons gratuits, mais à vrai dire ils ne rentrent pas dans notre but puisque nous ne traitons que de ce qui a rapport à la sanctification personnelle et que ces dons sont surtout donnés pour la sanctification des autres à des personnes généralement d'ailleurs saintes.

Après avoir parcouru le champ des vertus il nous faut traiter des exercices qui sont des moyens d'y arriver, et commençant par le plus important, parlons de l'oraison ou plutôt de la prière qui est un genre sous lequel rentre l'oraison. Aussi bien c'est traiter encore des vertus car la prière est un acte de la vertu de religion, vertu inférieure aux vertus théologales parce qu'elle n'a pas Dieu pour objet direct, mais supérieure à toutes les autres vertus morales parce[que] Dieu est sa fin direc­te et prochaine tandis que dans les autres il est fin éloignée.

La prière est une élévation de l'âme vers Dieu, elle a 4 formes comme le sa­crifice: la prière d'adoration, d'action de grâces, de réparation et de supplication. On peut déjà de sa nature même en déduire l'excellence: c'est une audience de Dieu. Si l'on estime tant une audience d'un prince de la terre et si cette audience fait époque dans la vie quand on a eu qu'une fois cet honneur; si encore 22 c'est un honneur si recherché de vivre habituellement à la cour et d'avoir souvent cha­que jour l'honneur de voir le prince, qu'est-ce que l'honneur d'une audience de Dieu ou la conversation habituelle avec Dieu c.à.d. la prière et l'esprit de prière?

Un 2e motif de son excellence c'est l'exemple qu'en donne Jésus-Christ. Il a prié 30 ans à Nazareth, 40 jours dans le désert et pendant sa vie publique il y a employé des veilles et des nuits.

Dans l'Ancien Testament nous voyons signalée la prière d'Abraham dans le dé­sert, à Mambré. Nous voyons aussi les plus grands des prophètes, Elie et Elisée priant dans la grotte du mont Carmel.

A côté de ces exemples anciens, nous remarquons l'esprit de prière dans tous les saints de la nouvelle loi, dans tous les fondateurs d'Ordres qui donnent dans leurs Constitutions une place d'autant plus grande à la prière qu'ils veulent les con­sacrer plus exclusivement à Notre-Seigneur et moins aux soins des âmes.

Un 3e motif peut se tirer des effets de la prière, car en voyant d'un côté un être souverainement riche, de l'autre un être essentiellement pauvre, et cet être souverainement riche étant en même temps souverainement communicatif comme l'autre essentiellement besogneux 23 il n'est pas possible que l'audience soit inutile et la prière sans résultat.

Mais une raison bien puissante pour démontrer l'excellence de la prière c'est l'importance qu'y attache l'ennemi. Quand il voit qu'on va user de ce moyen, il emploie toutes ses forces, il met en jeu toutes ses ruses, il déploie toutes ses res­sources, il met en frais toute son intelligence car ce n'est pas de cela qu'il manque, il use totalement du pouvoir direct qu'il a sur le corps, sur la mémoire et l'imagi­nation qui en est l'instrument, et du pouvoir indirect qu'il a par l'imagination, sur l'esprit et la volonté. Le moment de la prière correspond pour lui au moment décisif dans une grande bataille; les autres exercices ne sont que des escarmouches où il cherche cependant encore à ne pas nous laisser fortifier.

Voilà de bonnes raisons de l'excellence de la prière et comme conclusion pra­tique qui en découle, c'est de la vouloir et de l'aimer.

Aimer la prière et pour dire un mot qui soit plus spécial à notre vocation,

aimer les formes de la prière 24 qui correspondent le plus à notre vocation d'Oblats du Cœur de Jésus, la prière d'holocauste qui comprend l'adoration et D'a­mour c.à.d. la prière affective; puis (?) la prière expiatoire.

Aimons la prière. Ce que je dis ici suffira pour la prière vocale. Je parlerai de la prière mentale ou oraison qui est la plus excellente forme de prière,comme la prière est le plus excellent acte de la vertu de religion.

De la prière vocale il y a surtout la Ste Messe et le St Office. Aimons-les et n'oublions pas que nous entrons par là en communication de mérites avec tous les enfants de l'Eglise; de même pour les prières de règle: si nous ne sommes pas reli­gieux rigoureux puisque nous n'avons que l'approbation verbale de Mgr (Thibau­dier), nous sommes tous tertiaires et par nos prières de règle nous entrons en com­munication avec tous les ordres franciscains et les ordres qui leur communiquent leurs mérites. Aimons aussi nos prières privées et de conseil: elles n'en ont pas moins l'excellence de toute prière. 25

De l’oraison

L'oraison ou la prière mentale a cette excellence sur la prière vocale qu'elle n'enferme pas l'âme dans des formules déjà fixées mais lui laisse son libre essor vers Dieu; elle élève l'âme au dessus des sens et la place dans un milieu divin.

Elle a encore cet avantage de procurer le bien que nous avons vu être l'ob­jet des passions et qui se divise en bien utile, honnête et agréable. Le bien utile elle le procure en détachant l'âme des biens matériels, quelquefois à ce point qu'ils deviennent absolument inutiles. On a vu des personnes ne vivre plus que de la Ste Communion, toujours en diminuant leur nécessité par rapport au corps. Le bien honnête il est assez évident puisqu'elle rapproche de Dieu, ce qui est le plus grand honneur de la créature. Quant au bien agréable il n'est personne qui n'ait goûté combien il y en a dans l'oraison. C'est ainsi que la vie contemplative à laquelle tous nous sommes appelés diminue les besoins matériels et surélève l'âme.

A l'excellence se joint la facilité: il est dans notre nature-même d'exposer nos besoins à Dieu, et d'ailleurs les personnes les plus simples y font de grands pro­grès. 26

Quant à la méthode elle ne diffère pas essentiellement au fond, c'est toujours l'élévation de l'âme vers Dieu. Il y a la méditation qui examine et déduit les con­séquences, la contemplation qui se nourrit d'un mystère proposé. Quelquefois, sou­vent même, la méthode n'est plus nécessaire. L'Esprit Saint pénètre l'âme, s'en empare et la dirige lui-même; alors elle n'a qu'à laisser faire. Cependant pour les commençants, quelquefois pour les âmes plus avancées la méthode est nécessaire.

La préparation: Ante orationem praepara animam tuam (Si 18,23), est de 2 sortes: éloignée et prochaine.

L'éloignée consiste en 2 choses:

1° écarter et fuir les occasions de distraction dans toute la journée, par ex. telle lecture en dehors de la règle, telle démarche inutile;

2° tous les soins inutiles, les préoccupations plus dangereuses encore que les dis­tractions volontaires, on s'occupe du passé, du présent, comment fera un tel, com­ment s'y prendra-t-il, que ferai-je moi-même en telle circonstance de l'avenir, que fera-t-on ici, que fera-t-on de nous: voilà qui détruit entièrement l'oraison.

La préparation prochaine:

1° pour le corps elle consiste simplement dans une posture respectueuse et re­cueillie, 27 le corps agenouillé: c'est à peu près tout ce que permet la vie conventuelle où l'oraison n'est pas privée; elle se fait habituellement aussi dans l'église excepté pour quelques Congrégations que leur but spécial porte à la faire en par­ticulier et permet des dispositions toutes particulières pour le corps.

2° Chez nous c'est surtout l'âme qu'il faut mettre en place et le plus commodé­ment possible pour l'oraison et cela se fait par la considération que nous nous a­dressons à Dieu. Dieu et nous: considérer toute la grandeur de Dieu pour bien sentir toute notre misère. Cette considération de l'infinie grandeur et de l'infinie bassesse dispose parfaitement notre âme à recevoir les grâces que Dieu lui ménage. 28

Sur les circonstances présentes

Il est sûr que l'épreuve approche. Sans doute il y aura de l'imprévu, du for­tuit, mais il y a aussi des choses qu'on peut attendre. Notre-Seigneur savait tout ce qui se préparait à Jérusalem contre lui; les apôtres n'ignoraient pas les desseins de haine contre leur Maitre; St Jean même savait que Judas était allé le trahir. De même ici nous avons des marques de l'approche de l'épreuve en attendant la dis­persion, l'abandon même du Père par la sécheresse au plus fort de l'épreuve. Nous sommes déjà abandonnés par tout ce qu'il y a de tièdes catholiques ici; un journal qui avait promis son concours se montre déserteur de la cause, et Monseigneur (Thibaudier) lui-même paraît croire qu'il y a eu de l'imprudence.7) Quoique ce ne soit qu'une ombre, ce simple soupçon me va mille fois plus au cœur que tout ce que peuvent dire des journalistes sans foi. Des avertissements confidentiels an­noncent un procès de séquestration qui se poursuivra devant les tribunaux. J'y se­rai probablement mêlé et c'est ainsi que l'épreuve de leur communauté sera le Con­summatum est (? ) de la nôtre.8) 29

Ce que Notre-Seigneur veut de nous à ce moment c'est ce qu'il disait aux Apôtres: Vigilate et orate (Mt 26,41); de la vigilance: il la demandait avec larmes car il en versait dans ce jardin de l'agonie. Ne nous contentons pas de ce que nous sommes habituellement, en agissant ainsi nous n'aurions aucune intelligence de no­tre vocation de victime. Et prions: faisons nos prières de règle sans distractions vo­lontaires, et celles que les circonstances nous imposent de faire. Vigilance et priè­re: ne pouvez-vous donc pas veiller une heure avec moi, dit encore Notre-Seigneur, si nous ne voulons pas avoir ensuite d'amers regrets comme les apôtres qui tous se reprochèrent leur fuite et passèrent de tristes moments pendant la grande épreu­ve.

3e Disposition: se réjouir. L'épreuve est une marque de l'acceptation divine: une marque d'amour. Notre-Seigneur ne nous punit pas où nous avons péché: il permet qu'on nous accuse d'atrocités que nous n'avons pas commises tandis qu'on nous laisse en repos sur celles que nous avons faites.9) C'est une grande marque d'amour car ainsi il nous fait souffrir pour lui seul et non pour nos fautes. Ré­jouissons-nous d'être jugés dignes de souffrir pour Lui. 30

Ibant gaudentes a conspectu concilii, quoniam… (Ac 5,41).

La croix commence à peser, mais confiance, c'est lui qui la porte. Comme il a soutenu St Jean jusqu'au pied de la croix il nous soutiendra et nous donnera tou­tes les grâces nécessaires. Il aime à se faire crucifier dans ses amis; mais il se plait à porter la croix avec eux, et ce serait un malheur si nous la sentions pas cette croix; c'est que son amour se retirerait de nous. Voilà les dispositions pour nous­-mêmes.

Prions pour nos sœurs, elles sont remplies d'excellentes dispositions, mais les apôtres eux aussi avaient résolu de mourir. Prions ardemment pour que la force de Jésus les soutienne. Prions aussi pour Monseigneur (Thibaudier) afin qu'il fasse de nous ce que Jésus voudra. Dieu a deux volontés: ce qu'il voudrait qu'on fit et ce que font les supérieurs même quand ils se trompent. Quoique Monseigneur décide, nous obéirons toujours et sa volonté sera toujours pour nous celle de Notre-Sei­gneur. Prions cependant qu'il ne veuille que ce que voudrait Notre-Seigneur. Prions pour qu'il ne nous arrive pas une dispersion qui dans ces circonstances ressemble­rait à une fuite et nous ferait croire coupables. 31

Monseigneur parait vouloir aussi l'éloignement de la sœur Marie-Ignace qui est notre plus ferme soutien. Prions pour qu'il la conserve. Prions avec ardeur et confiance et que la volonté de Dieu se fasse entière. 32

De l’oraison

Nous avons parlé de l'excellence de l'oraison. Après le St Sacrifice et les sa­crements c'est l'acte le plus important de la journée. C'est une vérité qu'on ensei­gne au catéchisme que la grâce nous vient par les sacrements et la prière. Elle n'a pas comme eux de grâce ex opere operato, mais elle en donne certainement en vertu de la promesse de Notre-Seigneur et de ses mérites. D'ailleurs comme entre­tien avec Dieu et audience divine elle l'emporte encore sur les autres exercices.

Nous avons parlé de la préparation éloignée c[onsistant] en deux choses: re­cueillement habituel et l'absence de soins exagérés; puis de la préparation prochai­ne qui consiste en deux choses: la présence de Dieu et la lecture.

On ajoute la composition du lieu mais suivant quelques-uns elle est comprise dans la présence de Dieu. Cette composition du lieu est faite surtout pour occu­per l'imagination et l'utiliser au lieu de la laisser nuire.

La présence de Dieu consiste à jeter un regard sur la grandeur et la bonté de Dieu pour en tirer deux sentiments: respect et amour; puis un regard sur soi­-même: considérer sa misère, misère constatée par la vue de nos péchés et montrée par nos besoins actuels.

Après vient la lecture du sujet. 33 Quelques fois le sujet a été lu d'avance, quelques fois même on ne méditera pas le sujet indiqué par la lecture, quand une âme se sentira poussée à faire sa méditation sur tel ou tel point qui l'aura vive­ment touché pendant sa lecture spirituelle ou son adoration. Après cette prépara­tion qui peut se faire avant ou après la lecture alors seulement commence l'orai­son.

C'est d'abord l'intelligence qui s'exerce, qui se pénètre d'une vérité; puis sans se contenter de voir cette vérité il faut passer de là à l'affection et c'est le rôle du cœur. Enfin on arrive aux résolutions et c'est le principal; sans cela le reste est inutile. Voilà tout le travail de l'oraison, travail qui se fera peut-être plusieurs fois suivant les aptitudes de chaque et le sujet. Mais à côté de ce travail de l'âme il y a l'action divine qui se sent dans l'oraison: il faut s'y abandonner et laisser faire Dieu, mais prendre garde aux illusions de Satan: quelques fois p. ex. il se transforme en ange de lumière et excite les affections pour ne pas permettre de passer aux résolutions. 34

Mais quand l'Esprit Saint ne fait pas lui-même l'oraison, il faut toujours faire le travail qui en fait retirer du fruit et ne pas se laisser à ces manières vulgaires et grossières de perdre le temps comme dormir, penser à d'autres choses. Du reste l'action divine se fait ordinairement sentir car la sécheresse n'est pas un état ordi­naire. Notre-Seigneur n'a dit qu'une fois: Deus, Deus, ut quid repulisti me (cf. Ps 42,2).

Il faut s'attacher à la méthode si l'on veut que l'oraison soit profitable. C'est l'oraison mal faite qui compromet le noviciat et empêche de jamais faire de pro­grès dans la perfection. Un bon moyen d'y remédier c'est le compte rendu de l'oraison qu'on doit faire au noviciat. Au moins chaque semaine en même temps que sur les autres points il en sera parlé de la [méditation]. 35

Laissons le temps de mûrir les choses pratiques dites sur l'oraison. Les ali­ments pris en trop grande quantité ne digèrent pas.

Parlons de Notre-Dame du Carmel. Il y a longtemps que nous n'avons parlé de la Ste Vierge et aujourd'hui l'occasion est légitime à plus d'un titre. Cette fête nous rappelle une grâce importante: il y a 2 ans aujourd'hui que cette maison a été achetée.10) Dans ce jour où elle donne le vêtement du Carmel à ses enfants, Marie a voulu nous donner à nous qui avons déjà comme vêtement principal celui de St François, le premier abri de l'Œuvre, le Bethléem et le Nazareth. Il y a dans cette coïncidence quelque chose de providentiel. D'ailleurs rien n'est indiffé­rent pour des religieux, rien d'indifférent pour un ordre naissant, rien d'indifférent surtout pour une Congrégation consacrée au Cœur de Jésus. Il y a pour ceux-là une providence toute spéciale et extrêmement aimante. Il faut donc voir, et cela est cer­tain pour qui a un peu le sens des choses de la foi, une action réelle de la Provi­dence et une marque de la bonté de Marie; elle qui a offert un abri dans son sein d'abord à Jésus, puis à Bethléem et Nazareth, puis sur son sein encore après le crucifiement, pouvait-elle s'empêcher de donner asile à l'œuvre du Cœur de son Fils? N'est-ce pas à Lui qu'elle le donne? 36

Cette maison lui est particulièrement consacrée et sa statue trône au dessus du premier autel où Jésus s'y est offert pour la première fois. Elle est là nous présentant le Cœur de Jésus.

Jusqu'à présent nous avons eu bien de la tiédeur, de l'indifférence, de l'ingra­titude pour le Cœur de Jésus, mais plus encore pour le Cœur de Marie. Nous ne recourrons pas assez à Elle et si elle était là devant nous elle nous dirait: Venite ad me omnes… (Mt 11,28) Sto ad ostium et pulso (Ap 3,20) je suis là les mains chargées de grâces pour vous et prête à les répandre aussitôt que vous les deman­derez. Nous ne pensons pas assez qu'elle est notre Mère. Allons donc à elle avec confiance, simplicité, candeur. Réparons nos négligences envers elle en dirigeant par elle toutes nos actions vers le Cœur de Jésus. Avant chaque exercice nous di­sons: Cor Mariae immaculatum ora pro nobis. Si nous le disions de cœur nous n'aurions pas tant de fautes à nous reprocher, nous en serions plus forts. Adres­sons-nous à elle pour pouvoir réparer par l'action présente les fautes ou l'omission des autres actions. Surtout pas de découragement: un exercice bien fait (et c'est Marie qui nous aidera à le bien faire) répare le précédent et remet même en état de grâce, car il est impossible 37 de se donner ainsi entièrement pour une action de la règle sans faire un acte de contrition parfaite, lequel accompagné de la réso­lution de se confesser ramène la grâce dans le cœur.

Réparation à Marie pour notre oubli,et confiance dans sa maternelle bonté qui nous ménage toujours de nouvelles grâces. Parmi ces grâces il y a surtout les épreuves qui sont si utiles quand on les supporte bien. Les épreuves qui ne viennent d'une cause autre que le péché sont une grâce immense qui nous marque, l'amour de Jésus et l'acceptation divine de nous et de l'œuvre. Même les épreuves qui sont nos chutes quoiqu'elles ne soient pas directement un présent de Dieu qui ne fait que les permettre, doivent être aussi utilisées pour notre bien: Omnia coo­perantur in bonum, etiam peccata (cf. Rm 8,28).

J'ai l'espoir qu'aujourd'hui Notre-Dame du Cannel nous fera quelque faveur ou sûreté(? ) comme la vocation de quelqu'un ou enverra à l'un ou l'autre des é­preuves d'une façon ou d'une autre.

Conférence sur (?) 38

Parlons encore aujourd'hui de la méditation.

La méditation où l'Esprit Saint fait tout, où les consolations sensibles, les af­fections abondent est assez ordinaire aux commençants pendant une partie du no­viciat. Mais ce n'est pas là une sorte d'oraison élevée où l'âme est unie intimement à Notre-Seigneur.

Parlons de la méditation ordinaire telle que celle où l'oraison est un travail de l'âme et à laquelle vous paraissez tous appelés pour le moment.

J'ai déjà [dit] que la première opération de l'âme dans l'oraison est le juge­ment porté sur une vérité ou un mystère, mais ce jugement est suivant d'une af­fection produite par la passion que le jugement porté met en activité, ainsi dans la méditation de l'enfer où je juge qu'il est affreux etc, c'est la passion de la crainte qui dirige nos affections. C'est ainsi qu'il faut se servir des passions qui sont en nous. Après l'affection vient la résolution qu'elle a provoquée dans la vo­lonté.

Ces trois mouvements de l'âme se reproduisent dans chaque point de l'oraison et même pour ceux qui ont une conception vive, des passions ardentes, une volonté énergique, ce même travail peut se faire plusieurs fois sur un même point, mais toujours finalement il faut résumer les 39 résolutions qui ne doivent pas être plus de trois ordinairement, une comprenant quelque chose de pratique à faire plusieurs fois dans la journée et sur laquelle on s'examinera à l'examen particulier et à l'exa­men du soir pour que l'oraison ait du fruit.

Mais c'est surtout sur les affections qu'il faut insister à la fin de la médita­tion. C'est la partie du cœur et en nous c'est le cœur qui doit dominer puisque nous sommes voués à l'imitation du Cœur de Jésus. Et parmi les affections 2 doi­vent dominer toutes les autres et revenir dans tous les sujets: l'amour et l'immola­tion ou l'offrande, car c'est là notre vocation de faire des offrandes12. Oblation veut dire offrande et oblat veut dire qui est offert et qui offre. Produire en nous des affections d'amour et de réparation sans cependant oublier les autres parties du sacrifice, et offrir ces affections. Tous les sujets nous les fournissent s'il s'agit de la vie de Notre-Seigneur (et Notre-Seigneur doit être le sujet le plus fréquent de nos méditations) voir sa bonté et ses vertus dans ce mystère et faire actes d'a­mour, voir par rapport à ce mystère ce qui manque aux âmes 40 consacrées et lui en faire acte de réparation. S'il s'agit d'une vertu, la voir dans le Cœur de Jésus et l'aimer pour sa bonté à la faire connaître en lui et pratiquer, réparation pour les offenses qu'il reçoit de ce côté de la part des âmes consacrées, car il se plaignait des offenses des âmes consacrées à la Bse Marguerite-Marie, et il est à croire qu'il éprouve encore de ces offenses car ces âmes n'ont pas été confirmées en grâce.

Offrir toujours des actes d'amour et d'immolation voilà notre vocation et c'est ce qui en fait la facilité; c'est que nous sommes riches, extrêmement riches. C'est la réponse à l'objection de ceux qui nous diront: vous voulez réparer? mais avec quoi? qu'avez-vous à offrir en réparation? Le Cœur de Jésus, Jésus tout en­tier mais surtout son Cœur, nous pouvons l'offrir à toute minute sans pouvoir é­puiser le trésor, sans que l'offrande suivante nuise à la précédente; l'offrande est toujours agrée. Nous avons il est vrai l'offrande du St Sacrifice, de la Ste Commu­nion où l'offrande est plus largement acceptée, mais nous pouvons aussi à chaque instant offrir Jésus: lui-même s'offre pour nous: Ipse offerens et oblatio. Avec cet­te offrande nous devons nous offrir aussi tout misérablesque nous sommes 41 puisque Jésus demande aussi que nous joignions notre offrande à la sienne.

Nous commencerons demain une neuvaine à Ste Madeleine pour la réparation de toutes nos fautes depuis le commencement de l'Œuvre, et bien nous mettre comme elle au pied de la Croix

Nous demanderons en même [temps] une grâce temporelle: la conservation des biens légués à l'Œuvre par la sœur Marie des cinq Plaies et que des héritiers sans foi veulent enlever en faisant casser le testament. Certainement Notre-Seigneur veut nous donner une croix là encore,et la joindre aux autres et nous devons l'ac­cepter avec joie, mais ce serait lâcheté, d'ailleurs, d'abandonner sans prière le bien qui est [donné] non à nous mais à son Œuvre. Il verra certainement avec plaisir nos prières dans ce but, et ces biens paraissent providentiellement destinés à l'Œu­vre, car avant la Révolution ils appartenaient aux Filles du Calvaire et ils revien­dront ainsi à un autre Calvaire après un petit circuit providentiellement ménagé. Il y a quelque mortification corporelle que chacun demandera.

Nous ferons à la suite l'octave de St Ignace car c'est de sa fête que date ma résolution de commencer sérieusement l'Œuvre après une retraite faite il y a trois ans à cette date,et où j'ai reçu certainement des grâces particulières dans ce but.11) 12)42

De l’oraison

Nous avons parlé de deux sortes d'affection à développer principalement à la fin de nos oraisons: amour et réparation et correspondant aux deux fins du sacrifi­ce. Mais comme notre vie doit être un sacrifice complet, comme celle de tous les religieux, de tous les prêtres, mais plus spécial qu'eux, puisque c'est notre but plus particulier, il convient de ne pas mettre de côté deux autres sortes d'affection cor­respondant aux deux autres parties du sacrifice: l'action de grâces et la prière.

Que l'action de grâces soit nécessaire en voici la preuve: quand Notre-Seigneur se plaint à la Bse Marguerite-Marie il dit: ce qui me cause le plus de peine c'est l'ingratitude des âmes qui me sont consacrées. Il emploie ordinairement ce mot in­gratitude quand il parle de ces âmes. C'est donc qu'il cherche le contraire, c.à.d. la reconnaissance. Ces affections se forment tout naturellement avec les affections d'amour et l'amour de préférence désintéressé est suivi de l'amour de reconnaissan­ce au souvenir de toutes les grâces, rédemption, vocation, grâces personnelles que nous savons nous-mêmes. 43

Dans tout sujet d'oraison il y a matière à ces affections car on y découvre vite la bonté divine sous quelque rapport. Nous avons aussi à le remercier pour les âmes consacrées dont nous faisons partie. Elles ne le remercient pas assez des grâ­ces continuelles qui leur sont faites chaque jour et c'est là le sujet de sa peine: Dux meus, qui simul dulces capiebas cibos (Ps 54,14-15).

Quant à la prière le sujet de méditation nous indiquera bientôt un besoin pour nous, pour l'Eglise et le peuple choisi, et si nous ne prions pas pour obtenir la satisfaction de ces nécessités c'est que nous n'aimons pas les âmes consacrées,et en effet c'est là, je crois, une des épines du Cœur de Jésus. Les âmes consacrées ne prient pas assez les unes pour les autres. Si nous ne prions pas pour notre con­version c'est que nous ne voulons pas que l'œuvre de Dieu se fasse et que les â­mes soient sauvées. Et si le sujet ne nous donne pas assez de motifs de confiance, nous en avons trois qui peuvent la ranimer: la bonté infinie de Dieu qui nous a donné son Fils unique. Croyez après cela qu'il peut nous refuser quelque chose: Quomodo non etiam omnia cum illo nobis donavit (Rm8,32) (ce texte me revient à l'esprit: il n'a pas été cité…). 44

Nous avons les promesses de Notre-Seigneur d'obtenir infailliblement: Quid-quid petieritis.. (cf. Jn 14,13-14) si nous le demandons avec foi et sans hésitation comme le recommande St Jacques.

Ainsi les affections doivent occuper la plus grande partie de notre oraison, mais cependant toujours terminer par quelques résolutions sobres et énergiques.

Après ce travail de l'âme et quand le signal a indiqué qu'il reste peu de temps encore: faire une revue sur la préparation et le travail de l'oraison et noter ensui­te au premier moment libre et les résolutions et ce qui a le plus touché dans l'o­raison. C'est le moyen d'en tirer des fruits et de pouvoir rendre un compte vrai de ses oraisons comme aussi de mieux faire les oraisons suivantes en faisant con­naître ce qui a manqué.

Maintenant vous avez la clé des trésors, il ne tient qu'à vous d'y puiser large­ment. 45

Du pur amour

Laissons ce qui a été dit de l'oraison pénétrer notre esprit et passer dans nos habitudes et parlons aujourd'hui du pur amour. Il y a plusieurs sortes d'amour: l'amour imparfait ou intéressé et l'amour parfait ou pur amour, l'amour d'amitié qui se complait dans le bien de l'objet aimé, et c'est là un sujet qui entre bien dans notre vocation, car nous sommes voués à l'amour et à la réparation. Or le pur amour est lié à la réparation car il conduit à la réparation et la réparation ne se fait pas sans pur amour, l'un engendre l'autre.

C'est une vérité élémentaire enseignée par l'Ecriture, par l'Eglise au Concile de Trente que le pur amour efface la coulpe du péché (le diable use de son habi­lité pour nous faire oublier ces vérités élémentaires si en rapport avec notre voca­tion). Le pur amour efface aussi la peine due au péché, c'est encore bien certain et vous voyez de là combien est facile notre vocation: il ne s'agit que d'y faire des actes de pur amour pour payer au plus tôt nos propres dettes et nous éviter le purgatoire ou le diminuer afin de pouvoir payer pour les autres âmes consacrées ensuite. 46

Qu'est-ce donc que le pur amour qui rend si facile notre vocation: c'est un amour qui, s'oubliant soi-même, se complait dans le bien de l'objet aimé et se dé­plait dans le mal de cet objet. Il éprouve de la joie p. ex. en voyant Dieu servi, obéi et de la tristesse en le voyant offensé par le seul motif que là il y trouve du bien et ici du mal. Cet amour donne naissance à deux sentiments dans le cœur qui en est animé:

1° le zèle pour le bien à procurer, zèle qui se réduit pour les novices à la prière et aux désirs et aux petites fonctions qui leur sont confiées dans l'intérieur de la maison et pour les autres dans les œuvres qu'ils dirigent.

2° la réparation pour le mal fait à Dieu par le péché et qui pousse à embrasser les moyens de le réparer.

Voilà ce que Notre-Seigneur demande de nous. La réparation par le pur a­mour c'est ce que lui-même a fait pendant toute sa vie; c'est [ce] qu'il réclame aujourd'hui, car là est le salut de l'Eglise et des peuples; c'est ce qui tranche tou­te question sociale actuelle.13) Si toutes les sociétés sont en voie de ruine, il faut bien le dire entre nous, il est nécessaire d'un accroissement de grâces dans les prêtres et les âmes 47 consacrées car c'est par eux que se fera le relèvement des peuples et cette augmentation de grâces c'est la réparation pour les âmes consa­crées et les prêtres qui la préparent et la déterminent voilà bien une preuve pé­remptoire de la nécessité de notre Œuvre. Pour accorder cette augmentation de grâces Notre-Seigneur envoie l'épreuve et demande réparation ou plutôt réclame seulement réparation car l'épreuve est un moyen de réparation pour ceux qui sa- - vent l'accepter.

Notre-Seigneur veut donner beaucoup: le salut du monde. Il nous demande peu, voulant suppléer par ses richesses. Devant la grandeur de notre devoir pas de pusillanimité: s'il nous a imposé un grand devoir, il nous en donne la grâce: Om­nia possum in eo qui me confortat (Ph 4,13). Pas d'épouvante: on n'est pas tous les jours au Calvaire, et après la rédemption actuelle des peuples il y aura moins de peines extérieures et intérieures qu'au moment présent où il s'agit d'obtenir le sa­lut sur la justice de Dieu. 48

Des exercices en général

Importance d'y être et d'y être comme il faut. Nous avons vu comment on réprime les passions, on acquiert les vertus, on s'entretient avec Dieu dans l'orai­son. Après cela c'est par nos exercices que nous arriverons à l'union à Dieu, et par exercice il faut entendre tous ceux qu'indique la règle et les modifications qui sont indiquées par le supérieur comme faire la classe pour quelqu'un.

Nos exercices c'est la volonté de Dieu, c'est là que nous aurons les grâces d'union qui font la sainteté intérieure.

Dieu agit comme les riches pour l'aumône ;il a ses jours et ses heures pour distribuer ses grâces et il est toujours le premier aux exercices vous y attendant les mains pleines de grâces et de dons différents suivant les exercices. Si vous y ê­tes,et comme il le veut,de corps, d'esprit et de volonté, à chaque verset, à cha­que pensée il ajoutera une lumière, à chaque affection une motion, à chaque réso­lution une force.

Il apporte surtout ici des grâces conformes à l'esprit d'amour et de répara­tion. Si vous en demandez et cherchez d'autres que celles qu'il vous destine, vous n'aurez rien du tout et c'est ainsi que 49 ici on ne peut avoir que de grandes grâces ou de grands rebuts et sécheresses. La cause des sécheresses de quelques-uns est qu'ils n'entrent pas dans l'esprit de la Congrégation et s'obstinent à y suivre leurs propres idées pour leur perfection: elle sera belle avec eux pour auteurs! Si quis existimat se aliquid scire nondum cognovit quemadmodum oporteat eum sci­re (1 Co 8,2). St Paul qui n'était pas un sot, mais un grand savant en réputation, a abandonné toute sa science pour la science de Jésus - Christ: Existimo me nihil scire praeter Jesum crucifixum (cf. 1 Co 2,2). Oui ceux qui s'en rapportent à eux­mêmes[ne]savent pas encore la première chose à savoir en fait de direction: c'est qu'il ne faut rien savoir, mais se laisser diriger selon l'esprit de la Congrégation.

Si vous êtes bien à l'exercice, Jésus est avec vous et vous êtes, j'oserais dire, dans ses bras et vous en recevrez de très grandes grâces, car il se plaît à venir ici, mais surtout soyez y complètement, je le dis surtout aux prêtres pour la messe. C'est là que des lumières diaboliques donnent la solution cherchée longtemps. Re­jetez-la et priez votre bon ange de vous la rappeler après la messe. Ce qui est dit de la messe s'entend de la Ste Communion et des autres exercices 50 plus ou moins suivant leur importance.

Assistons-y bien car c'est là et pas ailleurs que nous aurons des grâces, là que nous serons avec Jésus. Etre ailleurs qu'où il le veut, nous serions avec le démon et nos passions, ce qui serait notre perte assurée. Etre avec lui, nos passions et le démon n'est guère inquiétant. Faisons nos exercices dans l'esprit qu'il y demande, seule manière d'y être secondé, et ici c'est l'esprit d'amour et de réparation, n'en cherchez pas d'autre: Spiritus ubi vult spirat (Jn 3,8), c'est cela qu'il veut ici. Que cette conférence soit le point de départ d'une réforme importante pour quelques-­uns qui résistent. Notre-Seigneur n'est pas content du mauvais vouloir que certains apportent, et s'il est mécontent, comment espérer autre chose que des dégoûts et des sécheresses? 51

[tableau synoptique]

Amour pur:

avantages, facilité, opportunité, nature, amour de complaisance, amour de condoléance, compassion, réparation.

Avantages de l'amour pur:

- 1° Pour les péchés: l'amour pur justifie le pécheur avant même la réception du sacrement de pénitence;

efface non seulement la coulpe, mais la peine suivant son intensité.

- 2° Pour les Oblats: c'est la vie du Cœur de Jésus; ce doit être leur vie. Par là ils réparent sans peine, efficacement.

Facilité de l'amour pur:

- 1° C'est un devoir de tout chrétien: toto corde. Or un devoir est toujours faci­le avec la grâce.

- 2° Considération des amabilités et perfections infinies. Désirs que Dieu soit con­nu, aimé, honoré.

- 3° Oblation du Cœur de Jésus et des saints qui aiment Dieu parfaitement et pour l'amour de lui-même.

Opportunité [de l'amour pur]:

- Le monde est sur le point d'être bouleversé, si la justice de Dieu n'est pas apai­sée.

- Or la justice de Dieu n'est apaisée que dans la mesure de l'amour pur.

- Ce qui attire les châtiments c'est avant tout l'infidélité des âmes consacrées qui n'ont pas d'amour pur. /

Nature [de l'amour pur]:

- Amour de Dieu pour lui-même sans motifs d'intérêt propre, amour généreux,dé­sintéressé.

- L'âme, ni à cause des bienfaits, encore moins par crainte des châtiments, se com­plait dans l'objet aimé.

Formes [de l'amour pur]:

- 1° Amour de complaisance dans la gloire de Dieu, intérieure et extérieure.

- 2° Amour de condoléance: tristesse, compassion, réparation parce que Dieu n'est pas, n'a pas été connu, aimé, servi comme il doit l'être par nous, par les fidèles, surtout par les âmes consacrées.

Amour de complaisance:

- Objet premier: a pour premier objet de se complaire dans l'objet aimé, dans les infinies perfections de Dieu. Extérieurement se manifeste par les félicitations, louan­ges.

- Objet secondaire: se complaire, louer, féliciter de ce que Dieu est connus aimé, servi, comme il doit l'être par toutes les créatures. Union à toute l'Église triomphan­te, militante, souffrante qui l'honore et le sert en Dieu. [Union] surtout au Cœur de N.-S. qui reçoit et rend cette joie à la Ste Trinité.

Amour de condoléance: première manifestation: la compassion:

- Nécessité: quand on aime quelqu'un,de même qu'on se réjouit de son bonheur, de même on s'afflige, on compatit à ce qui lui fait [de la] peine.

- Compassion: J.-C. incarné a voulu prendre sur lui et souffrir tout ce qui pouvait blesser Dieu. Donc nous devons compatir à ses douleurs.

Réparation: deuxième manifestation de l amour de condoléance:

- Nécessité: tout amour qui compatit, mais ne soulage pas, n'est pas sincére. Para­bole du bon Samaritain.

- Manière: offrir sans cesse sur l'autel du Sacré Cœur:

1° les satisfactions infinies de N.-S. J.-C.

2° les satisfactions surabondantes de la Ste Vierge et des saints; 30 nos propres satisfactions unies aux leurs.14) 52

Vendredi, 30 juillet 1880

Du lever

Si nous avons pratiqué ce qui a été dit pour la réforme des passions, l'acqui­sition des vertus et l'entretien avec Dieu, nous sommes muris pour l'union avec Dieu. Or cette union se fait dans nos exercices. C'est là que le Cœur de Jésus nous attend pour nous donner ses grâces, là qu'il se communique, là qu'a lieu l'u­nion mystérieuse de l'Esprit et de l'âme, là qu'il donne ses lumières extraordinai­res qui deviennent comme naturelles dans la vie surnaturelle. Même pour les grâ­ces gratuites il prend occasion des exercices imposés à la personne, à qui les fait, et il se conforme pour les donner à l'exercice de règle. Relisez la vie de Ste Mechtil­de, de Ste Gertrude, de la Bienheureuse Marguerite-Marie: c'est donc dans nos exercices et pas ailleurs que nous aurons les grâces de sainteté.

Parlons du lever. Il y a une grâce toute particulière attachée à cet exercice pour ceux qui le font avec exactitude, de grandes grâces pour eux et des grâces de choix pour ceux qui sont les plus exacts. Je crois que ceux-là reçoivent une partie de ce qui était réservé à ceux qui sont inexacts. C'est conforme à la paro­le de Notre-Seigneur: Qui habet dabitur ei et qui non habet et quod habet aufe­retur ab eo (cf. Mc 4,25). 53

Dans certains Ordres c'est même une convention de céder une partie de ses mérites de la journée à celui qui aura été le plus exact à bien faire cet exercice.

La première pensée doit être pour le Cœur de Jésus; le premier acte le signe de la croix; puis un point qui ne peut se détailler dans une règle, mais qui est conseillé, c'est de se prosterner en sortant du lit et c'est là-même le moment d'of­frir sa journée et de formuler ses intentions conformément à ses vœux.

Après cela il y a trois choses à faire dont l'omission explique le peu ou point de progrès que font beaucoup de personnes. D'abord se mettre en la présence de Dieu, il y a mille manières de le faire. Pour nous c'est beaucoup plus restreint la manière, nous en est indiquée surnaturellement, mais elle est si conforme à notre vocation qu'elle peut [être] acceptée même en dehors de tout surnaturel,et venant de Dieu par le supérieur qui le représente: c'est de nous mettre à Nazareth, soit en y allant en esprit,soit en s'y représentant vivant ainsi jusqu'à midi ou l'angélus de midi, tout en pouvant varier suivant les différents rôles de Nazareth. 54

De midi à matines ou à l'angélus du soir, nous transporter au Calvaire et y faire nos stations. Le chemin de la croix nous offre des exemples de ces stations.

Enfin de l'angélus du soir au coucher nous transporter à Gethsémani.

Nous établir pendant 3 ou 4 minutes dans la présence de Dieu de cette ma­nière, c'est la première chose à observer.

La deuxième c'est de jeter un regard sur la vertu de la semaine ou du mois, celle de l'examen particulier déterminée en direction pour chacun. C'est comme un court examen de la pratique de cette vertu dans la journée.

La troisième chose c'est de songer au sujet d'oraison indiqué de quelque ma­nière que ce soit.

Après cela descendre au premier signal. Il y a des grâces pour les plus exacts là aussi. Faire une prostration à ce premier exercice en attendant que les circons­tances permettent de la faire à tous les exercices. Puis on se rend à sa place en employant le temps qui reste jusqu'au moment de commencer à la préparation.

Mais surtout dans ce temps du grand silence ne permettre à aucune chose de le troubler. La journée serait perdue avec l'oraison et là est la cause du peu de progrès de quelques-uns. 55

Il n'est permis de s'asseoir qu'après la préparation faite après la lecture du sujet d'oraison. S'asseoir non pas s'étendre ni s'accouder. A l'audience du roi on est toujours tenu aux exigences de l'étiquette. Que sera-ce à l'audience de Dieu et cet­te observation s'applique aux autres exercices de la chapelle. 56

Saint Ignace

Le fondateur ici est le Cœur de Jésus, mais au second rang viennet St Fran­çois et St Ignace, dont nous avons emprunté une partie de nos règles. Nous de­vons donc l'affectionner. Mais pour ne pas rester dans une vénération platonique et un amour stérile visons à son imitation.

Pour l'imiter il faut nous pénétrer de son esprit. Or l'esprit de St Ignace (et l'esprit de St Ignace comme celui de tous les saints qui ont laissé des écrits est facile à connaître): le sien est plus facile que les autres parce qu'il l'a condensé en un seul ouvrage: les Exercices.

Terrassé comme St Paul et entendant comme lui mais intérieurement la voix de Dieu, à l'exemple aussi de St Augustin, St Ignace médite la grandeur de la véri­té chrétienne. Sa grande intelligence l'a bientôt embrasée et il en est fortement saisi. Comme tout homme qui est fortement saisi d'une vérité éprouve le besoin de la communiquer, St Ignace sent aussi le zèle de l'apostolat se joindre au zèle de sa perfection, mais voyant sa vie de soldat impropre à ce double but et sentant que la vie religieuse peut seule procurer cette fin, il se retire à Manrèse pour y é­couter la voix de Dieu. 57

C'est là qu'il compose son livre des Exercices pour servir à la perfection de ses religieux et à leur apostolat. Il est divisé en 4 parties et renferme comme un quadruple esprit qui caractérise St Ignace et sa Compagnie.

La première partie appelée le fondement vise à un point: l'indifférence. Pla­çant l'homme en face de Dieu, elle lui fait comprendre qu'il est à Dieu et pour Dieu et que le moyen d'aller à Dieu c'est de [se] servir des créatures que Dieu a placées entre lui et son Créateur. L'indifférence sur les moyens et les facultés que Dieu lui donne pour travailler à sa gloire, soit sur la terre par l'apostolat, soit dans le ciel par la louange. Voilà le fondement de son esprit comme de toute vie religieuse en général.

St Ignace donne à méditer et contempler le mystère de l'Incarnation, de la Nativité comme un modèle de cette indifférence en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

La deuxième partie embrasse la vie évangélique de Notre-Seigneur et aboutit au zèle de l'apostolat et c'est là l'esprit propre de St Ignace et c'est le caractère principal qu'il a voulu donner à sa Société. 58

Et il est à remarquer qu'il propose l'élection dans cette deuxième semaine alors que le retraitant se trouve tout à fait sous l'influence de cet esprit du zèle afin de l'inspirer à ceux dont il veut faire ses enfants.

Dans la troisième semaine et la quatrième l'esprit qui domine, bien que voulu par St Ignace,est voulu comme auxiliaire de l'esprit de zèle.

Dans la troisième semaine l'esprit de pénitence et de mortification est enseigné par la méditation des mystères de la vie souffrante de Jésus depuis Gethsémani jusqu'au tombeau. Si l'élection eut été proposée quand on est sous l'influence de cet es­prit, les Congrégations pénitentes auraient bénéficié de l'élection faite alors, c'est ce que n'a pas voulu St Ignace qui se propose l'apostolat.

Dans la quatrième semaine on aboutit à l'esprit d'amour par la méditation des mystères glorieux: avec Madeleine à la Résurrection ou les apôtres à la Cène. L'élection n'a pas été davantage placée dans cette quatrième semaine pour le mé­me motif.

Voilà le quadruple esprit de St Ignace qui n'en fait qu'un cependant: le zèle basé sur l'indifférence des moyens et des résultats avec la pénitence et l'amour com­me auxiliaires. 59

Cet esprit doit être aussi le nôtre autant que le comporte notre but. L'indifférence d'abord doit nous être aussi chère puisqu'elle [est] la base de tout, puis vient le zèle, mais pour nous l'apostolat est moins extérieur. Pour les Jésuites c'est l'ardeur du guerrier, du général d'armée en face de l'ennemi qui fait face à tout et reçoit les premiers coups. Chez nous c'est l'activité plus restreinte et plus douce du pasteur qui conduit un troupeau. Nous aurons toujours des œu­vres, mais la principale occupation sera l'adoration du Saint Sacrement.

L'esprit de pénitence nous doit être cher aussi comme à St Ignace mais nous devons y entrer plus avant à l'exemple de St François, second patron de l'Œuvre, et comme répondant plus à la vie souffrante de Jésus que nous voulons consoler. L'esprit d'amour sera aussi nôtre puisque nous sommes voués au Cœur de Jésus et qu'il veut notre cœur avant tout. Jésus a fait des enfants de St Ignace les hé­rauts de son Cœur, nous en sommes les enfants. Il a voulu répandre par leur a­postolat sur toutes les plages la 60 dévotion au Sacré-Cœur. Pour nous il a ouvert les trésors de son Cœur plus spécialement avec une abondance miraculeuse. Eux sont des guerriers, nous des pasteurs. St Ignace a pour étendard le nom de Jésus qu'il porte à tous les peuples; l'écusson de nos armoiries est le Cœur de Jésus que nous avons à consoler surtout dans l'Eucharistie. Eux représentent l'esprit,nous le cœur; eux la vie évangélique, nous la vie de réparation et d'amour.

Regardons-les comme une Compagnie sœur sans jamais les jalouser puisque St Ignace est aussi notre père. Imitons son esprit plus spécialement encore en ce qui se rapporte plus à notre vocation.

Mercredi 4 août (pas de conférence: distribution des prix).15) 61

De la sainte Messe

Après le lever et l'oraison et les quelques instants qui la suivent vient la ste Messe. Ces quelques instants qui séparent l'oraison de la sainte Messe peuvent s'em­ployer à noter les lumières qui ont frappé,ainsi que les résolutions de l'oraison, puis à noter les impressions du jour. Cette pratique d'avoir ainsi son petit carnet de notes est la pratique des saints. St Louis de Gonzague avait intitulé le sien: Mo­nita et proposita pietatis.

Puis vient un acte sublime: la ste Messe qu'on range ordinairement parmi les exercices et qui n'en est pas un, qui ne saurait être compté parmi eux,pas plus que Dieu n'est compté parmi les êtres qu'il renferme excellemment et qu'il surpas­se, pas plus qu'on additionne le fini et l'infini. C'est un étrange abus que de regar­der la ste Messe comme un exercice. Dans nos exercices c'est nous qui offrons à Dieu,soit une prière soit un travail d'esprit ou des soins du corps. Là c'est Dieu­-même qui s'offre et qui est offert. Le prêtre n'est qu'une ombre, une apparence, ses mains sont un instrument dont Jésus se sert pour s'offrir en victime. 62 Il y a dans cette mauvaise habitude de regarder la ste Messe comme un exercice ordinai­re une cause du peu de fruit qu'en retirent beaucoup de chrétiens.

On dit communément: je vais dire la messe (je le dis peut-être quelquefois, mais c'est par suite de l'influence qu'on subit malgré soi dans un milieu qui a cet­te habitude). Ici nous devons dire et les Oblats doivent dire: je vais offrir le saint sacrifice de la messe, je vais célébrer le saint sacrifice; vous serez compris en par­lant ainsi et c'est tout ce qui vous pouvez désirer.

C'est l'acte culminant de la journée, l'acte divin, c'est l'acte qui nous caracté­rise et il me semble que c'est la raison d'être des Oblats et on aurait dit tout ce que nous devons être si on répondait quand on demande ce que font les Oblats: ils disent saintement la messe, ils assistent saintement à la messe.

Quand nous assistons à la messe ou que nous la célébrons, nous remuons le ciel, en lui faisant manifester la puissance, la justice, la miséricorde; le purgatoire en portant une goutte rafraîchissante aux lèvres altérées; la terre en la faisant s'é­lever d'un degré vers le ciel par la vertu de ce sacrement. 63

C'est là que nous répondons le plus à notre vocation, là que Jésus nous veut plus oblats que partout, car c'est là aussi qu'il l'est lui-même.

Ne regardons donc pas la ste Messe comme un exercice et si j'en parle en ce moment c'est en protestant contre cette coutume de la regarder, et uniquement parce que j'en suis à l'endroit de la journée où elle a lieu, mais pas du tout com­me exercice.

Pendant la sainte Messe (c'est une vérité qu'il serait téméraire de contredire) il y a une légion d'anges qui y assistent et les saints s'en émeuvent eux-mêmes; ils y apportent l'amour, la louange, le respect, et nous pour y assister dignement il faut y être angéliquement.

A moins que la foudre ne tombe ou que la maison ne brûle nous devons rejeter toute autre pensée que celle du grand sacrifice qui va s'offrir. Il faut nous y unir, nous y absorber au moment de la consécration pour le prêtre, de l'élévation pour les autres, quand Dieu y révèle sa puissance, sa justice, sa miséricorde. Si nous ne le pouvons sensiblement, suivons les paroles de la ste Messe et l'attention viendra. Nous comprendrons que nous sommes des dieux, puisque nous opérons une action divine. Soyons grands alors et dignes de notre rôle. 64

Dispositions à apporter à la ste Messe

L'esprit d'immolation fondé sur cinq motifs:

1° La justice de Dieu. Après le péché Dieu avait ratifié l'arrêt: Morte morieris (Gn 2,17). La chair coupable devait périr. Jésus le Verbe divin prend un corps et prononce lui aussi l'arrêt de mort: Morte morieris. La justice de Dieu réclamait ce châtiment et le Verbe prenant sur soi toutes les fautes de l'humanité la soumet en lui à cet arrêt par sa mort sur la croix. La miséricorde l'emporte sur la justice. Dieu ne demande qu'à aimer et sa grâce est un principe de fécondation qui tend de lui-même à se répandre, à féconder dans la paix les âmes qui se donnent à son action. C'est une eau bienfaisante qui coule calme et fécondante, mais quand elle rencontre un barrage qui est la mauvaise volonté de l'homme, alors elle s'a­moncelle, se grossit, se change en justice et comme un torrent entraîne toutes les horreurs de la dévastation. C'est ce torrent que Jésus a laissé passer sur lui pour nous sauver et rétablir le cours bienfaisant de la miséricorde.

2° La haine de soi-même. Qui ne serait disposé à ces sentiments et à la vie d'im­molation en voyant en soi le misérable qui a mérité tous les châtiments de la jus­tice divine. Dernièrement 65 les journaux nous rapportaient que des impies avaient pénétré dans un sanctuaire de Notre-Dame, mis une corde au cou de sa statue et l'avaient ainsi traîné dans les ruisseaux pendant la nuit. Ces misérables c'est nous. Nous sommes l'image de Dieu et nous l'avons traînée cette image dans la boue du péché. Ne sommes-nous donc pas dignes de haine et faut-il s'étonner que Jésus nous invite si souvent à la haine de nous-mêmes?

3° La prudence de l'esprit. Prudentia carnis mors est (Rm 8,6) . La prudence de la chair qui sacrifie l'âme entière. On a soin de placer ce corps sur le duvet, de réjouir les yeux par des spectacles gracieux, l'ouie par des concerts. Prudentia spi­ritus vita et pax (Rm 8,6). St Paul parle ainsi. La prudence de l'esprit immole ce corps qu'elle sait être un ennemi acharné de l'âme. Elle est heureuse de tout ce qui l'affaiblit et le gêne et elle immole impitoyablement tout ce qu'elle voit de nature à lui donner l'avantage.

Ces trois sentiments, dans lesquels on peut s'entretenir jusqu'à la consécration, purifient l'âme. Il en est un autre qui l'unit à Jésus, c'est l'amour. L'amour de l'immolation, l'immolation par amour comme Jésus. 66

S'immoler pour imiter Jésus immolé, par amour pour Jésus, par amour pour nous et les âmes. Ce motif qui nous est plus spécial est consigné à chaque page des écrits de la Bse Marguerite-Marie qui l'avait puisé dans le Cœur de Jésus: se consommer par amour. De la consécration à la communion ce sera notre aliment pour nous unir à Jésus s'immolant sur l'autel.

Enfin un 5°motif: l'esprit de religion: reconnaître le souverain domaine de Dieu en se donnant tout entier par l'esprit d'holocauste: le corps, l'âme, la volon­té. Dire à Dieu: me voici tout entier, faites de moi ce qu'il vous plaira, je me sou­mets à tout, à la joie ou à la tristesse, à la santé ou à la maladie, à être ici ou à être là, je veux faire votre volonté. Se donner pour être consommé en sacrifice d'holocauste, en communion.

Voilà quelles doivent être nos dispositions pendant la sainte Messe. Ne la re­gardons donc pas comme un exercice ordinaire; elle doit[être]comme le soleil de la journée vers lequel convergent et ce qui la précède comme la préparation, et ce qui la suit comme conséquence. Soyons-y donc comme il faut et entrons dans les sentiments conformes aux quatre fins du sacrifice. 67

Déjeuner, récréation, classe, travail

Nous avons dit quel esprit il faut puiser à la ste Messe. Cet exercice doit ê­tre le plein midi de tous les autres et les éclairer de sa lumière, c.à.d. que les sen­timents que nous y avons eus doivent se reproduire en chacun des autres exercices.

Après vient le déjeuner. Comme il semble que cet exercice ne puisse guère se faire que pour le corps, St Paul a pris la peine de le désigner en particulier: Sive bibitis, sive manducatis, omnia in gloriam Dei (cf. 1 Co 10,31).

Pour le bien faire il y a trois choses à observer, avec cela on le fera parfaite­ment:

nourrir l'âme: au déjeuner on peut se servir du bouquet spirituel de la médita­tion ou de l'action de grâces pour le savourer pendant que l'on donne instinctive­ment au corps ce qui lui est nécessaire; à midi et le soir nous avons la lecture de table.

Mortification: toujours faire une mortification. C'est nécessaire au religieux, plus nécessaire encore à l'Oblat qui répare; se mortifier sur la quantité le matin, on n'en est que plus apte aux travaux intellectuels jusque midi; et le soir la santé s'en est toujours trouvée bien. Sur la qualité à midi, prenant moins ou pas du plat ou de la boisson qui plait le plus, de tel dessert.

Charité: veillant à ce que rien ne manque à nos voisins, souffrant même plu­tôt d'être privé soi-même, 68 sans cependant aller jusqu'à un empressement obséquieux qui fatigue alors plus qu'il ne plaît. Un obstacle à cela ce sont les distrac­tions où on se laisse aller qui par la pensée de sa classe, qui par ses œuvres, qui par une lecture qu'il devait ou non se permettre. Si encore ces distractions ve­naient de ce que l'esprit est absorbé par une pieuse pensée venant de la médita­tion ou de la lecture de table, ce serait pardonnable parce qu'au moins on serait encore à Dieu.

Avec ces trois principes vous serez parfaits dans ces exercices et la sainteté est là: être saint dans chacun de ses exercices. Et ce n'est pas sans raison que deux papes ont dit: Donnez-moi un novice qui ait fidèlement observé les conseils de ses règles et je le canoniserai.16)

Puis vient la récréation. Elle n'est pas d'usage dans les autres noviciats où on se met aussitôt au travail matériel. Ici comme on ne peut avoir de travail de ce genre à cause des apostoliques et des écoliers à qui est dû le respect de la souta­ne, on prend ces quelques instants de récréation avant de se remettre à une occu­pation intellectuelle. Cela durera encore quelque temps et c'est, je crois, conforme à la volonté de Notre-Seigneur que cette récréation existe.

Qu'y a-t-il à observer pour être saint pendant 69 cette récréation? Une chose, et ceci vaut pour les autres récréations; un seul principe: la charité' Soyez charita­bles envers les présents et les absents et vous passerez saintement la récréation; charité qui laisse la parole principalement au plus âgé, au plus ancien, sans cepen­dant paraître maussade et muet.

Dans certains noviciats on passe la récréation autour du Maître des novices et l'on demande à genoux la permission de parler. Je ne crois pas que Notre-Sei­gneur demande de nous cette austérité.

Chez les Pères Jésuites en la passe en groupes avec le conseil d'en consacrer une grande partie à des sujets de piété. C'est ce que nous pouvons faire mais sans tension d'esprit, sans faire de haute spiritualité qui fatiguerait nos auditeurs.

Le monde a deux mobiles de ses conversations: ou l'intérêt, on cause d'affai­res, ou la moquerie; c'est à dire l'avarice ou l'orgueil. Je ne parle pas du monde immoral qui a pour but la luxure. Nous ne nous tenons qu'à un seul: la charité; le reste viendra de lui-même.

Après la récréation du matin,la classe, c.à.d. une œuvre de zèle qui remplace pour nous le travail matériel des noviciats. Ce qu'il y faut c'est la charité accom­pagnée 70 par le zèle qui y ajoute l'activité, l'empressement et considère l'intérêt de ceux dont on s'occupe. Cette classe sera remplacée pour quelques-uns par un enseignement mutuel de théologie au mois d'octobre.

Après vient le travail personnel du temps libre. Un principe à observer: s'y adonner avec foi: Justus ex fade vivit (Rm 1,17). Compter autant sur les lumières de l'Esprit Saint que sur celles de la nature. Cette étude n'a d'ailleurs et ne peut avoir régulièrement pour but que la science de la sainteté: théorie et pratique. Toute autre étude est contraire au noviciat: ce n'est pas le moment de s'instruire d'au­tre chose. Faites donc tous les exercices dans l'esprit qui leur est indiqué.


1)
III,2La sœur Servante, dont p. Dehon fait allusion Sœur Marie de Saint-Ignace, dont les souf­frances d’origine mystique se sont accentuées à partir de 1875 jusqu’à sa «mort mystique» le 2/2/1878 (cf. VP, p. 616). Il faut rappeler aussi la fondatrice des Servantes, mère Marie du Cœur de Jésus qui avait tant désiré la réalisation d’une œuvre réparatrice sacerdotale. Nos sœurs Servantes du Cœur de Jésus avaient ce but (de pur amour et d’immolation, en esprit de répara­tion envers le Cœur de Jésus, par une complète donation…) Elles priaient et se sacrifiaient pour cela. C’était leur attrait. J’avais moi-même vécu dans cet esprit depuis plusieurs années. J avais dû me pénétrer de l’esprit des sœurs pour les diriger, les prêcher, les confesser. Aussi quand la chère Mère me communiquait ses vues sur la réparation sacerdotale, particulièrement en avril et mai 1877, j’abondais dans son sens (NHV XII, 172). De ce texte, résulte clairement que p. De­hon cultivait depuis bien des années la spiritualité d’amour, d’immolation et de réparation; il ne l’a pas tirés des sœurs Servantes, même s’il l’a approfondie dans leurs fréquentes rencontres, comme confesseur, directeur spirituel et prédicateur. La sœur en question est comparée à Jean-­Baptiste. Etre le précurseur de l’Œuvre ne signifie pas être le fondateur de l’Œuvre (cf. VP, p. 603-632).
2)
III,7L’année 1880 fut une année d’épreuve et de dispersion même pour les sœurs Servantes, à cause des lois Ferry qui menaçaient la suppression et la dissolution des maisons religieuses. Père Alphonse Rasset dans une lettre à sa sœur, Mélanie, religieuse chez les sœurs St-Jean de Cluny, ayant le nom de sr Dominique du St-Rosaire, et missionnaire à Haïti, ainsi écrit le 22 juillet 1880: Depuis un mois, nos pauvres religieuses ont eu bien des épreuves… Pendant huit jours nous délogions chaque soir le Saint Sacrement, craignant la fermeture de la chapelle après le sa­lut ou dès le matin. Un contre-ordre venu de haut nous donne du répit et Notre-Seigneur trône encore, exposé au milieu des fidèles servantes de son Cœur. Hélas! il en manque et il s’est trouvé des infidèles; des familles ont pris peur et ont réclamé leurs filles. D’autres ont été provi­soirement renvoyées; plusieurs ont repris le chemin de l’Alsace et des habits séculiers sont prêts pour toutes. 11 en est résulté un émoi que vous pouvez concevoir chez des pauvres filles cloî­trées. Les orphelines sont en parties dispersées. Une pauvre sœur, perdant la tête après les repro­ches et les exagérations de sa mère, s’est échappée par-dessus les murs du couvent, n’osant pas­ser devant les enfants; de là du tapage dans les journaux, il y en a des colonnes: séquestration, violences, mauvais traitements, réclusion, jeûnes forcés, etc., tout ce que le diable peut dire et faire dire. Cette pauvre fille, cause de ce scandale, est de St-Quentin; elle a écrit une protesta­tion en faveur de sa communauté, mais le mal est fait. Il a fallu l’huissier pour obliger un mau­vais journal à l’insérer… Une de nos pauvres sœurs du Patronage, à la suite du saisissement quelle a eu de l’incartade de la fugitive, a eu un vomissement de sang qui pourrait bien être le prélude dune phtisie galopante; elle est repartie en Alsace (VPR, 144-145).
3)
III,11Cf. note 6, III, 15.
4)
III,13Jules Ferry, quoique froid Vosgien, aux manières rudes, «un buisson épineux» selon la com­paraison de Gambetta, n’était ni un Fouché ni encore moins un Hitler. Les religieux expulsés ne moururent ni guillotinés, ni de misère en camps de concentration ou d’asphyxie dans les chambres à gaz. Les religieux furent victimes d’une injuste persécution et, parfois, le gouvernement dû employer l’armée et faire même assiéger et attaquer les maisons religieuses parmi les cris hos­tiles des fidèles: lesquels, au chant des hymnes religieux, tombaient à genoux pour recevoir la bénédiction des religieux expulsés.
5)
III,14Cf. note 2. 111, 7.
6)
III,15Le P. Jacques-Marie Herr, dans le monde Ernest, naquit à Ettelbrück (G.D. de Luxembourg), le 23/10/1865; il entra chez les Oblats le 7/5/1880. Sa première profession eut lieu le 14/9/ 1881, et la profession perpétuelle le 17/9/1886. II fut Supérieur de Clairefontaine de 1889 à 1902; ensuite du Scolasticat de Louvain de 1902 à 1905. Il fut également Conseiller général de 1902 à 1905. Sa riche personnalité avait fait naître, chez le P. Dehon, de grands espoirs. C’é­tait un intellectuel; il ne réussit malheureusement pas à se libérer totalement d’un certain natura­lisme qui lui fut fatal durant son rectorat à Louvain. En février 1905, il abandonna le scolasti­cat, et, au mois de mars de la même année, il donna sa démission comme Conseiller général. Il fit une année de retraite, et en 1906, il décida de quitter la Congrégation. Il fut aumônier à Bonsecours, vicaire à Paris et ensuite, curé à Hébuterne (Pas-de-Calais). Il mourut peu avant la seconde guerre mondiale (cf. RV, 2; «Lugdunensia», n. 42, pp. 56-58; M. Denis, Le Projet du P. Dehon, p. 75, note 1).
7)
III,28A propos du décès des quatre jeunes religieuses Servantes.
8)
III,28Quant aux épreuves et difficultés cf. note 10. I, 46; note 1. II, 1; note 9. Il, 38. Quant à l’héritage de sr Marie des cinq Plaies, p. Dehon avait écrit dans ses «Mémoires»: La sœur Marie des cinq Plaies étant morte, son testament était attaqué par sa famille. C’était la ruine pour les sœurs et pour moi la perte des ressources sur lesquelles j avais compté en fondant St-Jean. De plus ce procès faisait crier par les francs-maçons à la captation de testament. C’est encore sur moi que pesait cette croix (NHV XIV, 17-18). Quant à l’héritage de sr Marie des cinq Plaies, Mgr Thibaudier avait dès le début avancé ses ré­serves. P. Dehon reporte dans ses «Mémoires» le passage d’une lettre de Mgr Thibaudier du 13 août 1879: De qui et par qui les Franciscaines héritent-elles à Fourdrain? Ny a-t-il aucun dan­ger de contestation de la part d’aucun héritier?… Pas de tout. Le testament était valide (NHV XII, 187).
9)
III,29Cf. note 1. II, 1.
10)
III,35La maison avait été acheté par les sœurs Servantes pour commencer une nouvelle œuvre; mais étant voisine du collège St-Jean, elle était commode comme maison de noviciat des Oblats. Les sœurs la cédèrent à p. Dehon. Celui-ci pouvait ainsi remplir facilement la double tâche de directeur du collège St-Jean et de maître des novices. Ainsi naquit la Maison Mère de la Congré­gation, appelée Maison du S. Cœur (cf. VP, p. 109, où est erronée la date d’achat).
11)
III,41Léon Dehon fit un cours d’exercices spirituels auprès des Servantes du 16 au 31 juillet 1877; il écrivit les premières constitutions de la nouvelle congrégation et le 31 juillet il commen­ça son noviciat qui finit le 28 juin 1878 avec l’émission des premiers vœux et du vœux de vic­time (cf. VP, p. 102-104).
12)
III,41Qu’on veuille bien remarquer cette équivalence l’immolation ou l’offrande. Le vœu d’immo­lation proposé par le p. Dehon est surtout un vœu d’oblation. Parmi ces offrandes il y a bien sûr des croix, des sacrifices, mais ils sont vus sous leur aspect positif.
13)
III,46Le P. Fondateur veut dire sans doute que le salut des peuples dépend de la pureté avec la­quelle l’Eglise accomplit sa mission. Mais cette pureté dépend de l’authenticité chrétienne de la vie des baptisés.
14)
III,51Pour cette vie de «pur amour» le p. Dehon pousse ses novices à la confiance: Que de fois, au cours de sa vie, le Père Fondateur rappellera que la vocation réparatrice des Oblats demande une sainteté peu commune, un ferveur généralisée, qui ne soit pas une exception! Il était natu­rel que les premiers disciples du p. Dehon s’effraient quelque peu d’une vocation qui se voulait si parfaite. C’est aussi l’impression qu’on avait dans les milieux romains vers 1882-1883, si l’on en croit la lettre du P. Galley qui rapporte l’impression entendue. Lettre de Roma, datée du 19 mai 1884 (AD, B 21/7). Il faut noter que dès le Thesaurus de 1891, on trouve cette question du pur amour dans «l’exa­men spécial sur les devoirs de ma vocation»: Ai-je tout fait par pur amour pour le Cœur de Jé­sus? Au grand déplaisir du P. Fondateur un projet de Thesaurus de 1925 avait voulu laisser le terme «pur», considéré comme trop idéaliste. Effectivement le Thesaurus paru après la mort du P. Fondateur comporte l’omission. Mais le Chapitre de 1948 a réintroduit le «pur amour» (cf. M. Denis, PPD, p. 25. 37).
15)
III,60Distribution des prix au collège St-Jean.
16)
III,68La phrase est attribuée originairement à Benoît XIV.
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