161.09
AD B.17/6.15.9
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
De l'abbé Désaire
Nîmes 21 février 1871
Bien cher ami,
L'armistice n'a pas, paraît-il, permis à l'administration des postes de fonctionner plus activement: votre lettre a mis 12 longs jours â me parvenir. Fût-elle arrivée beaucoup plus tard encore qu'elle m'aurait été également chère en raison de son contenu. Vous voilà donc enfin décidé à venir voir où en sont les choses ici et examiner ce qu'il nous est possible de faire. J'en suis personnellement très heureux, et je m'en réjouis fort pour les conséquences qui pourront résulter de votre démarche. Si donc la paix se signe, venez, mon bon ami: vous conserverez comme moi toute votre liberté d'action; vous travaillerez ardemment durant ces 5 mois votre doctorat en théologie et vous irez le prendre à Rome, autorisation qui vous sera facilement accordée par les Pères du Collège romain, puisque vos 4 ans ont été faits. Je me permets donc de vous attendre et j'espère bien que la paix une fois conclue, vous ne renverrez pas indéfiniment votre voyage.
Tout me fait penser que vous vous trouverez bien ici pour la préparation de votre examen: une bonne petite cellule, une belle bibliothèque, une assez agréable société et, par-dessus tout, un grand calme, voilà plus qu'il n'en faut pour vivre heureux et travailler à l'aise. J'espère donc bien que vous n'aurez pas à vous repentir de votre détermination et que cet éloignement temporaire ne sera point trop pénible à vos bons parents.
Nous continuons à faire de la philosophie tant que nous pouvons. Les élèves du cours du matin ont commencé la Critique et argumentent déjà passablement. Je vis toujours très content et persuadé que je fais la volonté du bon Dieu: d'ailleurs j'avais un véritable besoin de mûrir mes études de Rome, et je pense y arriver par le travail auquel je me soumets ici.
Le P. d'Alzon ne doit point être jugé sur ce que nous l'avons vu être à Rome. Dans son élément ordinaire, il est beaucoup moins ardent, et toutefois aussi actif. Cet homme, gagne beaucoup à être mieux connu: ce n'est pas que personnellement, j'aie des raisons de l'aimer davantage, car il ne semble pas me témoigner constamment l'intérêt que j'aurais attendu de lui, mais il m'apparaît comme un homme de plus en plus sérieux et capable de mener à terme une bonne œuvre, Il a montré dans les dernières élections, dont il a été l'âme ici et dont le succès entièrement catholique lui est presque uniquement dû, un tact, un savoir-faire qui m'ont pénétré d'admiration pour lui. Je crois voir qu'il est très heureux que ses religieux étudient, mais peut-être voudrait-il que j'endossasse le capuchon sans coup férir: il ne me l'a jamais dit ouvertement, mais je le comprends.
Or je ne veux rien faire sans vous et sans être sûr de la réussite de nos desseins. C'est pourquoi le tiens à demeurer tout à fait libre de mes actes et de moi-même. Le P. Vincent de Paul nous est arrivé d'Allemagne: on l'a reçu ici avec une cordialité triomphale. Ce bon Père mérite bien l'affection dont on l'entoure et les ovations qui lui sont faites, par le dévouement qu'il témoigne, par les agréments qu'offre sa conversation et par sa tendre piétel.
Vous le trouverez probablement ici si vous ne tardez pas trop à venir. Dans un dîner que le P. d'Alzon a donné à l'occasion de ce Père, nous avons bu à votre santé, selon l'invitation du P. d'Alzon: qu'en sera-t-il donc à votre arrivée!
Adieu, bien cher ami, prions toujours beaucoup et méditons devant Dieu tout ce que nous voulons et tout ce que nous faisons. Je n'ai aucune nouvelle des anciens de Ste-Claire et je ne vis que de la vie d'un rocher, ce qui n'empêche pas que le sois beaucoup, ou plutôt toujours avec vous.
Votre ami affectueux
C. Désaire
1 Le P. Vincent de Paul Bailly: cf LD 155 (note 4).