dehon_doc:cor:cor-1lc-1871-0501-0016111

161.11

AD B.17/6.15.11

Ms autogr. 5 p. (21 x 13)

De l'abbé Désaire

Nîmes 1 (mois) de Marie 1871

Mon bien cher ami,

J'ai à vous rendre compte de plusieurs choses et sans autre préambule je commence. Notre voyage en Savoie a été heureux au-delà de tout ce que nous pouvions espé­rer. Mgr Gros nous a reçus avec la bonté que vous lui connaissez: les petites difficul­tés que nous pouvions craindre pour la cession, se sont aplanies sans peine et, après huit jours de marche et de contremarche, nous sommes revenus à Nîmes assez satis­faits. Nous avons rendu compte de notre excursion et l'œuvre a été décidée: le P. d'Alzon lui a consacré sur-le-champ 2.000 Fr pour les réparations urgentes qui sont à faire maintenant, et je pense que tout sera prêt pour commencer au 1° juillet. Des en­fants, bien plus nombreux que nous ne pourrons en recevoir, nous ont été offerts par les prêtres du diocèse: espérons qu'un bien sérieux pourra résulter de cet alumnat. Nous désirerions qu'il fût absolument comme ceux d'Italie, c'est-à-dire que ces petits enfants y prissent la soutane, se soumettent à tous les exercices de la vie religieuse que comporte leur âge, et se préparent, dès leurs plus tendres années, à la vie sacer­dotale. Nous pensons prendre pour commencer 10 ou 12 enfants: deux jeunes reli­gieux, au nombre de ceux que nous ne pouvons songer envoyer à Rome, auront soin de ces petites plantes, et vous verrez qu'il y aura là une bonne pépinière de sujets.

N. D. des Châteaux est une ancienne habitation féodale dont il ne reste plus que trois tours. Une chapelle y avait été conservée, puis restaurée par M. Martinet, qui habita durant 9 ans cette solitude, où il écrivit ses principaux ouvrages. Placée au centre de quatre vallées, sur un monticule faisant face au Mont-Blanc, cette maison sera peut-être bien froide pour la mauvaise saison, mais elle sera délicieuse pour l'été et je vous conjure, mon cher ami, d'y passer à votre retour de Rome, pour voir de quelle utilité elle sera aux futurs professeurs fatigués. Le P. d'Alzon s'y rendra avec mois en juillet pour y passer quelques semaines: je compte bien que vous y viendrez et que vous y organiserez, avec M. Martinet, une nouvelle La Chênaiel.

Les réparations du bâtiment vont commencer le 8 du mois courant: un nouveau voyage de quelques jours m'est indispensable. Je partirai donc d'ici le 7; j'ai arrangé mon travail de telle sorte que mes élèves aient une ample besogne, et je reviendrai le plus tôt possible.

Vous ne sauriez croire quel tracas cette petite œuvre me donne: c'est une suite ininterrompue de lettres, de visites au parloir, de visites avec le P. d'Alzon chez de bonnes douairières, d'assistance à des réunions, etc. etc… Mais, riez-en tant qu'il vous plaira, de bons petits savoyards se feront prêtres et vous verrez si les Lefèvre ou les François de Sales n'auront pas des successeurs2.

En attendant; je fais des listes où j'énumère les assiettes, les plats, les crémaillères, les torchons qu'il faut emporter; j'assiste aux ballots de linge qu'on me confectionne et je m'aide moi-même à faire des caisses. Le P. Emmanuel a pris cette œuvre beau­coup plus à cœur encore que moi; il remontera dans la 2° quinzaine de mai là-haut pour m'y remplacer, et grâce au concours de tous, j'aime à croire que nous viendrons à bout de faire quelque bien. L'ancien domestique de M. Martinet se donne, sans être payé, à cette bonne œuvre. Les pèlerins pieux assez nombreux qui viennent à ce pèlerinage, aideront un peu à faire vivre la petite colonie.

Encore une fois, prions et espérons que ce petit alumnat devienne le vestibule de la maison de Rome. Je ne vous parle pas des petites mesures que nous songeons devoir prendre pour l'admission des enfants, le plan des études, etc. etc.; vous serez près de nous avant que rien n'ait été définitivement arrêté.

Vous me dites assez de ne pas vous demander de lettres; mais comme j'appréhende beaucoup de m'ennuyer avec les ouvriers, écrivez-moi avant le 18 mai à Notre-Dame des Châteaux, Beaufort (Savoie).

M. Didiot a accepté les propositions du P. d'Alzon. Il va venir passer quelque temps à l'Assomption, ainsi que M. Frizon: comme vous le dites, de jeunes prêtres se­ront plus malléables; n'empêchons pas toutefois qu'un petit noyau ne se forme et que la Providence n'exécute ses desseins3. En écrivant au P. d'Alzon pour adhérer chau­dement à son prospectus, le Supérieur du Gd Séminaire de Meaux (qui l'aurait jamais cru?) le conjure d'ouvrir sans retard une maison où des études théologiques puissent être faites et des grades conférés aux jeunes prêtres qui auraient fini leur séminaire. Vous verrez dans le premier n° (de la revue) l'adhésion de Mgr (du Mans?). L'Eve­que d'Annecy a écrit hier avec une sympathie non moins marquée et de plusieurs points des adhésions nous sont déjà venues.

Soyez indulgent pour mon factum: vous savez au milieu de quelle agitation je l'ai fait; je n'ai voulu au commencement que donner quelques considérations sur l'étude de la philosophie, son importance actuelle, son objet et sur la méthode que nous sui­vrons. Le second numéro étant déjà rempli, car les matières ont été beaucoup plus abondantes que nous ne le pensions, je préparerai, pour le mois de juin, quelques li­gnes sur les pensées que votre lettre m'a suggérées.

Demain mardi, le p. d'Alzon se rend à Montpellier, autorisé par Rome comme de­légué de Mgr Plantier, pour exécuter contre Mgr Lecourtier le sentence prononcée dernièrement par la Congrégation des Eveques et Réguliers en faveur d'une petite congrégation de missionnaires. Il m'emmène avec lui pour la rédaction des procès-verbaux. Cette affaire est à la fois pénible et odieuse, mais le St-Père a parlé et il faut obéir. Heureusement, la condamnation trouvera le coupable sans aide et sans amis: espérons que tout se passera le mieux possible, grâce aux ménagements que par ex­ception veut cette fois prendre notre bon Père, fort jusqu'aux dents de toutes les piè­ces qui lui sont parvenues hier au soir. Je pense être de retour jeudi ou vendredi ma­tin, car alors les sommations auront déjà ressorti leur plein effet4.

Subissez au plus tôt votre examen, mon bien cher ami, pour avoir plus de temps à donner au Droit Canon, et venir bientôt. Le P. d'Alzon a sur vous des vues qui m'hu­milient assez, mais qui me réjouissent beaucoup. C'est à vous qu'il veut confier dès les commencements, la petite œuvre d'études qu'il est urgent de commencer sans re­tard, si nous ne voulons pas voir un gouvernement stable nous empêcher de prendre la liberté d'enseignement supérieur, contre laquelle personne ne réclamerait à cette heure.

Adieu, mon cher ami, prions beaucoup et travaillons davantage encore: montrons la plus grande générosité à N. S. et obligeons-Le ainsi à être tout-à-fait généreux à notre égard.

Votre affectueux frère en Jésus

C. Désaire

* Des extraits de cette lettre sont reproduits en NHV IX , 39-41.

1 La Chênaie (ou La Chesnaye), propriété familiale où Lamennais avait réuni quelques-uns de ses di­sciples (dont Lecordaire, Montalembert…) en une sorte de «couvent» d'études supérieures pour ré­pondre au progrès du rationalisme et de l'indifférence religieuse (dans les années 1830), Ce M. Martinet: sans doute un écrivain (prêtre?).

2 Lefèvre (d'Etaples, Jacques) célèbre humaniste du XVI° siècle, philologue et exégète, inspirateur du «groupe de Meaux» pour la réforme catholique. Un moment suspecté de protestantisme, mais finale­ment réhabilité, c'était une âme profondément religieuse.

3 MM. Didiot et Frizon, deux des professeurs de séminaire, démissionnés par l'évêque de Metz (cf LC 103).

4 Mgr Lecourtier évêque de Montpellier avait été un opposant au Concile du Vatican (cf NHV VII, 99).

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