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161.13

AD B.17/6.15.13

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Nîmes 29 septembre 1871

Tout conjure, mon cher ami, à rendre croyable ma réputation de paresseux et d'oublieux à votre égard. Après mille détours, votre bonne lettre, la seconde que vous avez bien voulu m'adresser, m'est arrivée hier à Nîmes, où je ne me trouve que depuis 24 heures. Qu'aurez-vous pensé et comment aurez-vous interprété cette nou­velle indélicatesse que vous avez pu supposer volontaire? Je l'ignore, mais je suis véri­tablement bien ennuyé du fâcheux contretemps qui a pu vous laisser cette fois dans un sérieux embarras, au sujet de votre protégé.

Si vous jugez que le petit jeune homme en question soit tout à fait incapable d'étu­dier, je serais d'avis que vous l'envoyiez éprouver sa vocation à la maison d'Arras, car N. D. des Châteaux est beaucoup trop éloignée de vous. Puis jusqu'à ce que les chambres de la tour soient séchés, le personnel y est au grand complet pour le loge­ment. J'ignore quelle décision vous aura donnée le p. D'Alzon, mais jusqu'en mars prochain, j'aimerais mieux voir cet enfant à Arras; puis, à cette époque, où nous de­vons continuer les bâtiments des Châteaux, nous l'appellerions en Savoie; il nous se­rait alors d'une très grande utilité.

J'ai quitté les Châteaux le 15 du (mois) courant. Le P. Alexis, le P. Paul et autre Frère s'y trouvaient alors et y sont encore. La petite communauté y marche merveil­leusement. Il y a déjà dix enfants. La divine Providence a bien voulu concéder plus de ressources qu'on ne pouvait l'espérer en commençant. Le P. d'Alzon et le P. Picard sont arrivés peu après votre départ, apportant quelques sommes assez rondes et don­nant surtout à l'œuvre une position sérieuse par un règlement soigné. Le jour de son départ, fête de St Augustin, le p. d'Alzon recevait les six premiers enfants et faisait une fête magnifique dans sa simplicité. Ce bon Père est ravi de cette œuvre, du site et des éléments heureux qu'il est convaincu de trouver désormais en Savoie.

Une seconde fois, je suis retourné à Annecy et à Moûtiers pour accompagner les Pères. Après leur départ, j'ai essayé d'y ébaucher une retraite avec les prêtres du dio­cèse; mais j'en ai été fort mécontent et je désire vivement en faire une seconde bientôt et la mieux faire.

J'ai encore passé tout ce mois en courses ininterrompues pour faire les provisions de la maison, achever tous les travaux et terminer tous les comptes. Aussi serez-vous étonné si je vous assure que je me sens comme dans un hébétement indescriptible et absolu. Cette vie de voyages, d'occupations matérielles, de dissipations me fait à l'âme un mal incroyable: aussi suis-je tout heureux d'être enfin rendu à ma cellule et à mes livres. Je vais jusqu'à votre arrivée prier et lire quelque peu, et ensuite partir avec vous pour le Vigan.

La rentrée s'annonce bien belle au collège: il y aura plus de 60 élèves en plus du nombre de l'an dernier. Le P. d'Alzon a fort bien disposé les choses pour que le Vigan soit peuplé de tous les religieux qui ne sont pas indispensables ici. Quant au P. Alexis, au P. Paul (qui a été ordonné prêtre samedi dernier à Moûtiers) et au P. Jules, tous trois partiront des Châteaux pour Rome.

Hier, au sermon qu'il fait après celui du prédicateur de la retraite ecclésiastique, Mgr Plantier parla des consolations que peuvent encore nous faire espérer les temps modernes. J'entends tout à coup les prêtres applaudir. J'interroge les premiers qui sortent de la salle des réunions, et vois pourquoi on avait applaudi.

Il y a quelques jours, Jules Simon écrit au préfet, M. de Champerent(?) pour offrir au P. d'Alzon un évêché. M. le préfet agit conformément à ces ordres et reçoit un re­fus catégorique: et Mgr a raconté la chose à tous ses prêtres, et là-dessus ces applau­dissements multiples dont tout Nîmes s'entretient aujourd'hui1.

A bientôt, mon cher ami: je reçois à l'instant un télégramme qui m'annonce la mort du pauvre petit cousin que vous avez vu l'an dernier à Marseille. Je ne sais si je ne vais pas être obligé d'y passer plusieurs jours avec le vicaire d'Albertville qui est venu ici. Priez un peu pour ce pauvre enfant, et beaucoup.

pour votre tout dévoué en N. S.

C. Desaire

1 Jules Simon, ministre de l'Instruction publique et des Cultes.

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