dehon_doc:cor:cor-1ld-1864-1012-0021707

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B18/9.1.7

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Athènes 12 octobre 64

Très chers parents,

Je vous écrivais, il y a quelques jours, que nous espérions nous organiser à Corfù pour visiter la Grèce1: nous comptions sur l'aide de notre consul pour lequel nous avions une recommandation du consul de Venise. Nous sommes allés le voir à notre arrivée: il nous a reçu de la façon la plus gracieuse et après une longue conversation sur l'Orient qu'il a visité, sur l'art qu'il aime comme nous, il a eu l'amabilité de nous faire voir sa riche collection de monnaies et de nous inviter à dîner avec lui. Mais il nous apprit que depuis que les anglais avaient quitté Corfù, on n'y trouvait plus de guides et qu'il fallait venir à Athènes pour être à même de visiter le pays; nous suivîmes son conseil et nous voici arrivés ici dans les meilleures conditions. Nous sommes déjà remis de la fatigue des quinze journées de traversée que nous avons eu à subir presque sans intervalles depuis Trieste, et notre départ pour l'intérieur du pays est fixé à samedi2 avec un guide qui vient de diriger le duc d'Aumale dans une excursion de huit jours en Péloponnèse3.

C'est aussi facile et sûr, nous a dit Mr Grasset, consul à Corfù, qu'une promenade en France; seulement nous serons obligés selon l'habitude du pays d'emporter tout un mobilier, car les khonis ou auberges ne se composent que de chambres nues. Dans une quarantaine de jours nous serons de retour à Athènes.

Nous avons trouvé dans les îles ioniennes, à Corfù et à Zante, cette végétation merveilleuse que le Nord envie au Midi; les forêts d'oliviers, les haies de cactus et d'aloès, les vergers plantés d'orangers y prennent les mêmes proportions que les grands arbres de nos climats; leurs tendres feuillages n'y souffrent pas du froid et la fraîcheur de leurs fruits y semble destinée par la providence à pourvoir les indigènes contre la chaleur des saisons comme nos forêts de bois de chauffage nous sont un remède contre l'hiver. Nous n'avons pu apprécier encore que par intervalles la pureté du ciel de Grèce et la transparence de l'air, car un orage presque continu a régné sur le pays depuis dix jours. Ce fait, inouï dans les annales de la Grèce, a causé une inondation dont les journaux vous parleront, et qui détruisit les oliviers et les vignes des environs d'Athènes en quelques heures ce matin. Ce déluge torrentiel est passé aussi vite qu'il est venu: toute l'eau a disparu ce soir, mais les dégâts sont considérables; il en est ainsi dans les pays de montagne.

Notre première visite à Athènes nous a charmés: ses monuments irréprochables que Rome et l'Occident copient depuis vingt siècles sont encore debout; l'harmonie et la beauté des formes et la logique des détails enchantent l'imagination tout en satisfaisant la raison. L'histoire, trop imaginaire pour nous passionner de loin, prend ici des proportions vraies; joignez à cela la morale de la philosophie et le charme de la littérature et vous aurez une idée de l'utilité pratique et de l'agrément de ce voyage, qui manque cependant des attraits d'une belle nature, chers aux Français et du délectable «confort» indispensable aux Anglais.

C'est encore à vous que j'adresse cette lettre pour demander à maman des nouvelles de son indisposition, dont j'espère qu'elle n'a plus même le souvenir; la semaine prochaine, j'écrirai probablement à Henri.

J'ai trouvé une lettre à Corfù et une autre ici.

Vous pouvez me répondre de suite à Patras. Je vous embrasse de tout cœur; embrassez pour moi Henri et Laure et maman Dehon.

Votre dévoué fils

L. Dehon

À Patras - Grèce - poste restante.

1 De Spalato (Split) à Athènes: Spalato (2 oct.) - les îles de Brazza, Lissa, Corsola (aujourd'hui Brac, Vis, Korcula): 3 oct. - Raguse (Dubrovnik) et les bouches du Cattaro (Kotor): 4 oct. - Antivari et Dulcigno (Bar et Ulcinj, alors en Albanie, soumise à l'empire ottoman): 5 oct. - Durazzo (Durrës): 6 oct. - Corfù (Kerkyra): 7-8 oct. - les îles de Céphalonie (Kefallonia) et de Zante (Zakynthos): 9 oct. - le Cap Matapan (Tainaron) et l'île de Cerigo (Kythera): 10 oct. - Syra (Syros, au centre des Cyclades): 11-12 oct. - Débarquement au Pirée, le 13 au matin. La lettre, datée du 12, a été commencée à bord. En VO III, 81-100 et IV, 1-11; NHV III, 5-19.

2 En fait, ils ne partiront que le lundi 17 (cf. LD 8).

3 Henri d'Orléans, duc d'Aumale, général et historien (1822-1897), quatrième fils de Louis-Philippe et académicien.

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  • ostatnio zmienione: 2022/06/23 22:00
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