218.58
B18/9.2.58
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 19 janvier 68
Chers parents,
J'ai écrit il y a huit jours à Henri, et bien que mes journées soient admirablement remplies, je n'aurais rien à vous dire si je ne vous parlais un peu de Dieu, car c'est vers lui que sont tournées toutes mes pensées, puisque mon temps est partagé entre la prière et la théologie, c'est-à-dire la science de Dieu1.
Je voudrais vous faire comprendre et partager les grâces dont Dieu nous comble quand nous nous donnons à lui. Il confirme notre foi en nous rendant son adorable présence plus certaine que notre propre existence. Oh! comme les incrédules sont sans excuse. S'ils ouvraient les yeux, ils verraient la main de Dieu qui conserve son Église malgré tant de persécutions, de défections, d'apostasies et de luttes contre les passions. Ils reconnaîtraient la sainteté de cette doctrine qui élève à une si haute perfection ceux qui ne sont pas comme nous remplis de faiblesse et de passions et qui donne à tous des secours abondants pour faire le bien et pour se relever de leurs chutes.
Ils verraient que si les ministres de la religion en sont quelquefois indignes, c'est leur faute toute personnelle, puisque la doctrine qu'ils sont tenus de prêcher est sainte, et que leur conduite n'est une excuse pour personne.
Enfin, s'ils voulaient rentrer en grâce avec Dieu et recevoir avec foi ses sacrements, ils sentiraient l'influence de la grâce qui purifie le cœur, donne du dégoût pour le péché et élève l'âme à Dieu. Ces effets sont sensibles. Tous les chrétiens les ont éprouvés quelquefois, ne serait-ce que dans les moments de ferveur de leur enfance. Et si Dieu a remué leur cœur, comment nient-ils son action? Et si Dieu les portait au bien, pourquoi ne se remettent-ils pas sous sa direction? Nos péchés ne sont pas une excuse, mais un motif de plus de nous hâter. Dieu nous aime, il nous tend les bras, il a pardonné à St Paul, à Ste Madeleine, aux plus grands pécheurs et il nous a lui-même enseigné la parabole de l'enfant prodigue. Chaque moment que nous perdons ajoute aux peines que nous aurons à subir et diminue les récompenses que nous avons à espérer. Quand nous sommes en état de grâce, Notre-Seigneur présente toutes nos œuvres à son Père céleste, en union avec ses mérites et elles sont écrites dans le livre de vie pour notre récompense éternelle. Ce sont là les premiers principes de la foi. Ne soyons pas ingrats envers Dieu qui nous a aimés jusqu'à donner son Fils pour nous et qui nous comble chaque jour de ses grâces.
Je ne pouvais pas mieux faire, n'est-ce pas, que de vous dire les pensées qui remplissent mon cœur. C'est là le but des lettres intimes2.
J'ai reçu une bonne lettre de Mr Boute et une autre de Siméon 3.
Je vous prie d'embrasser pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 C'est en effet l'impression que donne la lecture des «Notes Quotidiennes» de cette époque, ainsi que la relation qu'en fait le P. Dehon dans ses NHV (V, 133 et suivantes), pour cette année 1867-1868: «vraiment une des meilleures de ma vie… (comme) mon noviciat de vie religieuse»
2 C'est évidemment surtout à son père qu'il adresse les réflexions de cette lettre. Cependant, elle révèle aussi quelque chose de son expérience personnelle, dès l'enfance et en ces années de séminaire
3 Lettre de Mr Boute: LC 33.