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435.29

AD B.21 /7a.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Boute

Hazebrouck 26 novembre 1870

Bien cher Abbé,

Je réclame avant toutes choses votre indulgence pour me passer le long silence que j'ai gardé à votre égard. Ce n'est pas oubli de ma part, je vous l'assure, car je parle bien de vous et de votre famille, mais je ne sais quelle paresse à écrire qui s'est empa­rée de moi, depuis que je me suis fait vieillot. Après cela, les événements inouïs que nous avons traversés, joints à la crainte de voir surgir de nouveaux désastres plus ac­cablants encore, ont nécessairement interrompu bien des relations pour quelque mo­ment du moins. Je suis jour et nuit préoccupé de ce que va devenir notre pauvre Fran­ce, puisse le Seigneur, après le châtiment, jeter sur elle un regard de miséricorde! Mais comme vous le dites très bien, elle a mérité des châtiments plus grands encore, si Dieu ne consultait que les droits de sa justice.

Je vous remercie, au nom de Monsieur le Principal et au mien, de nous avoir obte­nu pour notre chapelle l'autorisation d'un autel privilégié, et aussi de votre souscrip­tion pour l'orgue, dont je viens de toucher le montant. Notre orgue est définitive­ment installé; il produit un excellent effet et tous les connaisseurs en font le plus grand éloge. Il nous vient de la maison Mercklin-Schütze de Bruxelles: nouveau système à transposition. Les Prussiens ne sont pas encore venus l'inspecter; nous les en dispenserons bien volontiers. On ne pense (pas) jusqu'à présent qu'ils aient l'inten­tion d'envahir le département du Nord: ils y trouveraient des forteresses bien armées et bien défendues, nous dit-on.

L'été passé, je pensais sérieusement pousser une pointe jusqu'à La Capelle pour voir encore une fois votre famille, mais l'invasion des contrées voisines de votre loca­lité m'a arrêté. Pourrai-je encore mettre ce projet à exécution, Dieu seul le sait. Je suis déjà bien vieux et je souffre jour et nuit de ces rhumatismes qui ne me laissent point de répit; et néanmoins, je me porte bien quant au fond, la surface seule est atteinte.

Monsieur Reumaux vous remercie de l'attention que vous avez voulu témoigner à son frère. Nous avons tous été heureux d'apprendre que nos Flamands faisaient l'édi­fication de La Capelle et les soins que vous leur donnez par vos réunions et vos prédi­cations. Ils avaient besoin, à leur âge, d'être mis en garde contre les mauvais exem­ples qu'ils avaient sous les yeux. On nous dit qu'ils doivent vous quitter pour se rap­procher de Paris. Pauvres jeunes gens! seront-ils rendus à leur mère?1.

Monsieur Vallée, votre ancien professeur, est mort au mois de septembre dernier; il a été emporté en 24 heures. La douleur d'avoir perdu sa femme, les événements ré­cents qui allaient peut-être le priver de son fils, malgré un remplaçant, et qui le préoc­cupaient sans cesse, ont été cause de sa mort. Je recommande ce digne homme à vos prières et à celles de votre mère qui l'a connu2.

Je n'ai pas de nouvelles de Siméon, et il y a déjà quelque temps que je n'ai rencontré Mr son père, qui porte sa vieillesse d'une manière très convenable, mieux même que je ne porte mes 67 ans3.

Nous avons été plus favorisés que bien d'autres établissements dans notre rentrée, nous avons en ce moment 180 pensionnaires, sans compter demi-pensionnaires et externes. Tous nos grands travaux sont achevés, et il était temps, le n'aurais pu suffi­re à la peine. Je me suis co-joint un sous-économe, prêtre, qui me rend de tres grands services. Je n'ai plus qu'à inspecter en grand. Je lui laisse les détails, mais je conserve encore la recette, les paiements et la comptabilité. Je n'espère qu'après le moment où le pourrai tout lui confier.

Mr le Principal va toujours bien. Il pense bien souvent à vous et vous offre toutes ses amitiés ainsi qu'à votre famille et à Henri. Veuillez l'embrasser pour moi, bénir ses enfants à mon intention, dire à Mr votre père, Mme votre mère, Mme Laure, vos parents de Vervins et du Nouvion que je désire les revoir encore une fois avant de quitter ce monde. Au revoir, mon bien cher abbé. Prions beaucoup pour obtenir des temps meilleurs. On prie beaucoup ici en Flandre depuis longtemps. Espérons que la France va se régénérer en passant par le feu des tribulations et des sacrifices.

Votre ami

Boute Ptre

* 1 Cf LC 65.

Allusion au ministère exercé par Léon Dehon auprès des mobiles du Nord (cf NHV VIII, 121).

2 Sur M. Vallée cf NHV I, 23v°. Le conscrit qui avait tiré un «mauvais numéro», pouvait, en achetant un remplaçant, être dispensé du service militaire.

3 Siméon Vandewalle, de Hazebrouck, condisciple de Léon cf LD 4 et nombreuses mentions dans la correspondance.

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