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V Cahier

=====Notes sur l’histoire de ma vie

Ve période: Rome, 1865-1871 (Suite)

Je notais pour les relire, les moyens de sanctification que je trouvais les meilleurs, et ils sont devenus réellement le «directoire» de ma vie, avec le mélange d'imperfection que notre nature met en toutes choses.

Voici les principes que je trouvais les plus féconds pour l'avancement spirituel: 1° - faire à chaque instant la volonté de Dieu autant qu'elle nous est connue; 2° - dans l'oraison s'unir au Cœur de Notre-Seigneur; 3° - dans les prières orales s'unir à la pensée intime de l'auteur de la prière; 4° - dans la conversation, ne jamais s'abandonner entièrement à la nature, à la joie, à la douleur, aux passions: toujours tenir le frein et veiller; 2 5° - partout éviter de se préoccuper d'un avenir incertain: «non curare de futuris contingenti­bus».

Je remarquai que les Saints avaient généralement, comme les membres de la noblesse féodale, une devise qui leur servait à s'animer au combat spirituel. Pour St Ignace, c'était Ad majorem Dei Gloriam; pour St Louis de Gonzague: Quid hoc ad Aeternitatem; pour Ste Therèse: Una anima, una aeternitas, pour St François Xavier: Vince teipsum. Pour moi, j'adoptai celle-ci: Domine, quid me vis facere? «Seigneur, que voulez-vous que je fasse?» - Je n'en trouvais pas de plus propre à cimenter et entretenir l'union avec Dieu.

Il me semblait, et je le pense encore, que tous les principes de spiritualité reviennent aux sept grandes vertus. Je sentais le besoin de lire ce qu'on dit sur ces vertus, les grands auteurs: St Thomas, Rodriguez, St Jure, Grenade, et St François de Sales. 3

Je brûlais du désir de devenir un saint prêtre. Je commençai dès lors à invoquer chaque jour les principaux modèles de la sainteté sacerdotale: St Jerôme, St Ignace, St Philippe de Neri (Philippe Neri), St François Xavier, St Jean François Regis, St François de Sales, St Vincent de Paul, St Alphonse Marie de Liguori.

Je remarquais le soin avec lequel Dieu a toujours sanctifié ses prêtres. L'Exode et le Lévitique nous disent comment il intervint, pour sanctifier Aaron et ses fils et les lévites de l'ancienne loi. Les chapitres 28, 29 et 30 de l'Exode, les chapitres 16, 21et 22 du Lévitique, et bien d'autres passages de l'Ancien Testament marquent cela d'une manière saisissante. Et Notre-Seigneur n'a-t-il pas préparé ses Apôtres au sacerdoce par trois ans de soins assidus?

Il y a plus encore, c'est pour eux principalement qu'il se sanctifiait et se sacrifiait, il nous l'a dit lui-même: Et pro eis 4,sanctifico meipsum ut et ipsi sancti sint in veritate (cf. Jo 17,19).

Je m'excitais au zèle et à la mortification par la pensée que les pauvres pécheurs noyés dans leur ignorance et dans leurs fautes n'ont aucun mérite a offrir pour obtenir la première grâce de leur retour; il faut qu'un autre la mérite pour eux et la leur attire.

Pour me représenter la présence de Dieu, j'aimais à voir mon intérieur ouvert comme en plein soleil devant le regard divin. C'est du reste l'expression de l'Esprit Saint lui-même: «Et omnia opera illorum velui sol in conspectu Dei et oculi ejus sine intermissione inspicientes in viis eorum» (Ecli 17,16).

Rien ne me paraissait mieux marquer l'union intime de l'âme avec Dieu que la comparaison de cette union avec le mariage, selon l'enseignement de St Paul aux Ephèsiens: «Epoux, aimez vos épouses comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré tout entier pour elle. - Les époux 5 doivent aimer leurs épouses comme leur corps, comme le Christ a aimé l'Eglise et nous a faits les membres de son corps et comme une part de sa chair et de ses os» (Ad Eph. V, 25. 28-30).

Enfin j'avais déjà une inclination très marquée, une vraie vocation pour la vie religieuse. Je notais ce passage de Bellarmin: «En dehors des martyrs, il y a eu très peu de saints canonisés qui ne soient pas sortis des monastères» (L. de mon Prof.). La sainteté est donc merveilleusement facilitée par la vie religieuse. Une visite dans les salons du Cardinal Vicaire me fit faire la même réflexion que faisait Bellarmin. Il y a là les portraits des cardinaux canonisés, ils sortent à peu près tous des monastères. Comme j'aime la logi­que, j'en conclus que j'entrerais en religion, non pas pour être ca­nonisé mais pour me faire saint et pour mieux aimer et servir N.-S.

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Le bon Père Freyd me confia, pour me guider dans l'oraison, les écrits inédits du vénérable père Libermann. Il en avait une copie. Rien ne pouvait m'être plus avantageux. Je n'ai jamais rencontré de­puis de traité de l'oraison plus clair, plus exact et plus pratique. Il y a, dit le vénérable Père, trois états d'oraison, l'oraison mentale, l'oraison d'affection et la contemplation. - La première est la plus commune. C'est celle qui se fait selon les règles ordinaires. C'est une application de l'esprit à une vérité surnaturelle pour s'en con­vaincre fortement et se déterminer à devenir meilleur en prenant les résolutions convenables. - La méthode en est connue. Il y a la préparation éloignée qui est d'ailleurs commune à tous les genres d'oraison et qui comprend la pureté du cœur, la mortification des passions et la garde habituelle des sens. La seconde et la troisième préparation consistent dans la prévision du sujet et le recueille­ment.

L'oraison proprement dite comprend: 7 l'adoration, la considération du sujet entremêlée d'affections, le retour sur soi-même, les résolutions et la demande. Le sujet peut être une vérité abstraite ou un mystère de la vie de N.-S. ou de la très Sainte Vierge.

C'est à cette méthode d'oraison mentale ou de méditation que je me suis applique d'abord comme tout le monde doit le faire, mais suivant le conseil que m'avait donne le Père Freyd de tendre à l'union avec N.-S., je choisissais de préférence les sujets relatifs aux mystères de N.-S., quand le sujet qui nous était lu était relatif à une vertu, je ne pouvais considérer cette vertu qu'en N.-S. lui-même. Cette habitude me conduisit peu à peu à l'oraison d'affection.

L'oraison d'affection est un état où l'âme, touchée d'une impres­sion surnaturelle et sensible, se porte avec violence vers Dieu et ce qui 8 lui appartient.

Il y a deux états différents dans l'oraison d'affection.

Dans le premier, l'impression sensible est douce, suave et paisi­ble. Elle produit plutôt le recueillement que l'épanchement. L'âme est auprès de N.-S. qui est en elle, comme un enfant sur le sein de sa mère. Ces âmes jouissent, elles sucent le lait de la grâce en se re­posant, dans leur intérieur sur le sein de N.-S.

Cette impression douce et suave se conserve dans la journée. On travaille sans perdre la présence de Dieu, sans sortir de son recueil­lement. S'il arrive parfois qu'on ait perdu la présence sensible de Dieu, on y revient facilement. Ceux qui sont dans cet état se tien­nent dans toute leur conduite doux et modérés. L'important est que ces âmes ne se découragent pas dans l'aridité, qu'elles ne fas­sent pas consister toute leur perfection dans cette douce paix, et qu'elles ne s'enorgueillissent pas. 9

Le second état est celui où l'impression est vive et ardente. Elle est souvent en rapport avec les fêtes que l'on célèbre. Il y a souvent un attrait dominant, par exemple: la contrition, l'amour etc. .. Ces impressions sont vives et sensibles, et l'âme jouit dans cet état d'un bonheur excessif.

Cela n'empêche pas que très souvent l'âme dans cet état n'éprou­ve des douleurs intérieures très fortes. Ces douleurs ont lieu par rapport à différents objets.

Il y en a une qui provient des péchés passés. Elle affecte surtout les âmes que la bonté divise vient de retirer du pêche. Sa violence est mesurée sur la violence de l'amour. Elle suit les âmes jour et nuit. Cet état dure souvent toute une année.

Une autre douleur vient du désir d'obtenir une grâce, d'acquérir une vertu vers laquelle on soupire sans cesse. Ce sont alors des gé­missements, des aspirations, des désirs 10 violents qui crucifient l'âme, sans cependant tarir sa joie intérieure.

Une troisième douleur provient de la vue de la Croix et des souf­frances de N.-S. Les fruits de ces douleurs sont bien grands et bien désirables.

Cet état d'oraison a aussi ses dons particuliers: le brisement du cœur, le don des larmes, l'embrasement de l'esprit et de la mémoi­re, l'attraction vers Dieu, etc. ..je ne les décris pas ici.

L'âme dans cet état d'oraison fait tout par amour. Elle est remplie du désir de plaire à Dieu et de le faire aimer. Elle rapporte tout à Dieu et méprise le monde; elle obéit docilement à son Directeur et à ses supérieurs; elle a de grands désirs de mortification; elle aime à accomplir en toutes choses la volonté divine; elle pratique avec per­fection la charité envers le prochain.

Dans les desseins de Dieu, cet état conduit l'âme à la contempla­tion. Elle se purifie et se dégage de tout de plus en plus, elle s'affermit dans le désir de s'unir à Dieu et de lui plaire 11 et tend di­rectement vers lui.

En décrivant ces grâces divines j'ai décrit, se je ne me fais pas illu­sion, ce que l'infinie miséricorde de Dieu a opéré dans mon âme, par degrés et avec quelques lacunes qu'y mettaient mes résistances et mes imperfections.

La grâce de Dieu me conduisit bientôt à l'oraison d'affection, qui me consuma d'un grand amour pour N.-S. et elle versa dans mon cœur une profonde douleur pour mes péchés. Le souvenir de ces grâces me confond et m'humilie.

Je pleurais souvent aussi l'état d'indifférence religieuse de mon père, mais je devais garder cette douleur encore deux ans,avant d'obtenir son complet retour à Dieu.

O mon Dieu, recevez ici encore le plus ardent remerciement pour toutes ces grâces, et pardonnez-moi tout l'abus que j'en ai fait.

Cette première année je laissai un peu sommeiller mes goûts 12 artistiques, je visitai assez peu ou du moins très superficielle­ment les monuments de Rome, mais je suivis avec le plus grand charme, avec le plus vif intérêt, toute la série des fêtes religieuses.

Je ne sais rien d'ailleurs qui parle mieux à l'imagination et au cœur, que le spectacle du Souverain Pontife et surtout un pontife tendrement aimé comme Pie IX, entouré de son cortège sacerdotal et royal, présidant une fête chrétienne et populaire, dans ce cadre qui est Rome ou au moins un monument vénérable de la Rome catholique.

Pour les solennités de ler ordre, le Pape officiait pontificalement à St-Pierre, entoure du Sacre Collège, des princes, des ambassa­deurs et d'une foule immense, avec cet ensemble imposant de céré­monies que je rappellerai plus loin. Aux fêtes de second ordre, le St-Père tenait chapelle Sixtine, c'est-à-dire qu'il assistait à une messe cardinalice à la Sixtine, et qu'il y recevait les hommages du Sacré Collège. Plusieurs fois 13 l'an il allait à un pèlerinage tradition­nel à quelque sanctuaire de la Ville sainte. Rome a en effet ses Saints préfères. Ce sont les principaux apôtres et quelques protec­teurs qui l'ont assistée dans les circonstances les plus critiques de son histoire.

J'aime à me rappeler ici toute la série de ces fêtes.

Le 4 Novembre, le St-Père se rendait en grand gala à l'Eglise St­-Charles-Borromée-au-Corso. St Charles est un des grands Saints de l'Italie. On l'invoque pour qu'il protège la Ville contre les épidémies.

Rien n'est majestueux comme ces cortèges de gala. La Ville est pavoisée, le chemin est sablé, des dragons à cheval sillonnent les rues. La foule forme la haie dans une attente anxieuse. Quand le St Père arrive c'est un délire. On s'incline tout en levant un regard avide. On crie: «Vive le Pape, Vive Pie IX! La bénédiction!» Pie IX était si bon! Son sourire paternel nous émouvait profondément. 14

Quel cortège imposant que celui de ces trente ou quarante carros­ses dorés qui rappelaient la pompe des cours du XVIIe siècle! Les Papes s'étaient assujettis à ce luxe, c'était l'étiquette des cours. Reverra-t-on toute cette pompe? Sans doute que non. La tourmente révolutionnaire qui passe l'emportera. L'esprit démocratique dé­borde de toutes parts.

Ces pèlerinages pontificaux se renouvellent plusieurs fois dans l'année.

Le 25 Mars et le 26 Mai, le St-Père va prier au tombeau des deux patrons secondaires de Rome, Ste Catherine de Sienne et St Philippe de Néri (Philippe Neri).

Il va à St Jean-de-Latran aux fêtes de l'Ascension et de St Jean Baptiste, et à Ste-Marie-Majeure le 15 Août.

Souvent aussi dans l'année il y avait chapelle papale a la Sixtine, c'est-à-dire que le St-Père assistait à la messe sur son trône, entouré du Sacré Collège; les choeurs de la Sixtine faisaient entendre les morceaux choisis du grand compositeur Palestrina et 15 un cer­tain nombre de fidèles favorisés d'un billet y assistaient. Ces chapel­les papales ont lieu tous les dimanches de l'Avent et du Carême, à la Circoncision, à l'Epiphanie, les derniers jours de la Semaine sain­te, à la Pentecôte, et à d'autres fêtes encore. Nous avions souvent au séminaire la permission pour un groupe. Avec quelle avidité nous y courions! C'était si bon de jouir de la vue de Pie IX pendant une heure entière! Parfois l'office était précédé ou suivi de l'obédience des Cardinaux. Les princes de l'église s'avançaient un a un, laissant traîner majestueusement leur cappa magna. Ils s'agenouillaient aux pieds du Pape et embrassaient ses genoux.

Tout cela vu avec un grain de foi me paraissait sublime. N'était-ce pas l'hommage des nations, l'hommage de la science, l'hommage de la vertu au Vicaire de Jésus-Christ?

Il y a à Rome une fête qui est perpétuelle, c'est celle des 40 heures. Le St-Sacrement est exposé 16 chaque jour dans une église différente pour l'adoration réparatrice et la prière en faveur des na­tions catholiques. Les églises rivalisent de zèle. Souvent un autel spécial et très décoratif est érigé pour l'adoration, l'illumination est riche, l'église est tendue de soieries, un prélat préside aux offices, des chanteurs en renom sont invités, la procession se fait dans l'église au chant des litanies des Saints, du Parce et du Miserere. C'est à la fois solennel et touchant. Nous avions au Séminaire le ta­bleau des Adorations, on l'a dans toutes les communautés.

C'était souvent le but de nos promenades.

Que de bons moments j'ai passes là, et que de grâces j'y ai reçues! J'unis à ces adorations la bénédiction du St-Sacrement au Gesù le 31 décembre, le Pape s'y rendait. C'était une prière de réparation et d'action de grâces pour l'année. C'était bien bon de faire cet ac­te en union avec le Chef de l'église.

Une autre fête toute romaine 17 est celle des Stations. Elle n'est pas quotidienne, mais elle est fréquente.

Tous les jours du Carême, pendant l'Avent et à certaines fêtes de l'année, il y a Station dans quelque église. - Les Stations du Carême sont les plus suivies. Ce jour-là toutes les reliques sont exposées dans l'église désignée, les cryptes sont ouvertes, les autels illuminés, les corps saints entourés de fleurs. Il y a indulgence plénière. Tous les pieux fidèles de Rome s'y rendent. Certaines Stations surtout sont plus populaires que les autres. Quelques vieux sanctuaires par­lent davantage à l'âme, et quelques Saints sont plus aimés. Nous al­lions souvent aux Stations pour nos promenades. Nous ne saurons qu'au ciel combien de fruits spirituels nous avons cueillis là dans ce vrai jardin mystique de la Rome des Martyrs où fleurissent les osse­ments et les tombeaux.

Noël, Pâques et la St Pierre avaient leur cortège de fêtes, 18 qui at­tiraient surtout les étrangers et les pèlerins.

La fête de Noël était préparée par les Chapelles papales et les Stations de l'Avent, et par les Oratorios de la Chiesa Nuova et les prédications des paroisses.

A Noël le St-Père officiait pontificalement à St-Pierre. Rien n'est majestueux comme ces offices pontificaux. Le St-Père était porté sur sa Sedia du Vatican à la Basilique. Les Gardes Nobles, les Palatins et les Zouaves faisaient la haie. A son entrée le Pontife était salué par le chant bien enlevé du Tu es Petrus! Le St-Père officie à l'autel réservé qui fait face au peuple. Il est entouré de nombreux prélats . Le S(acre) Collège est à ses banquettes. Les tribunes ont un aspect unique. Il y a celle des rois et princes pèlerins ou exilés, celle du corps diplomatique, celle de la noblesse romaine. Le choeur est merveilleux. Il est aussi remarquable par le talent que par le choix des voix et des morceaux. De notre temps le sopra­no Mustapha 19 faisait le ravissement des Romains. La sonnerie des trompettes d'argent dans les galeries de la coupole avait quelque chose de céleste (1).

Mais la joie de Noël en ce qu'elle a d'original et d'intéressant à Rome n'est pas restreinte à la Basilique de St-Pierre. Elle a plus d'un théâtre et se prolonge pendant quinze jours.

A Ste-Marie-Majeure la Crèche du Sauveur est exposée au public. Ce sont quelques planches bien vénérables gardées dans un beau reliquaire d'argent et de cristal. On célébrait autrefois la messe de minuit devant cette relique. Cette basilique est un nouveau Bethléem, elle a toutes les grâces de l'ancien. Elle possède avec la crèche, l'image merveilleuse de Jésus et de Marie peinte par St Luc, les reliques des Saints Innocents et le corps de St Jérôme, le grand ermite de Bethléem.

A Ste-Anastasie, ce jour-là on montre le voile de la Ste Vierge et le manteau de St Joseph. 20 Le manteau de St Joseph est gris et uni comme les burnous des Arabes. Le voile de Marie a de gracieux dessins comme les soieries de Damas et d'Alep.

Comme Rome est riche en reliques!

Ces fêtes de Noël et de l'Épiphanie mettent en mouvement a Rome toutes les couches de la société. Le peuple va a l'Ara Coeli chez les Franciscains du Capitole. Il y a là la grande crèche qui rem­plit toute une chapelle, et puis le Bambino miraculeux, la statuette du petit Jésus faite en bois d'orient et couverte de pierreries par les ex-voto des fidèles. La chère petite statuette est un personnage, j'al­lais dire un citoyen marquant de Rome. Elle répand ses bienfaits sur toute la ville. On la conduit dans un carrosse visiter les malades de marque, et le jour de l'Épiphanie elle donne sa bénédiction au peuple du haut de l'escalier du Capitole.

Il y a encore dans cette église les prédications des petits enfants. 21 Toutes les après-midi pendant l'Octave, des petits enfants amenés par leurs parents montent sur un tremplin et débitent un petit sermon au peuple et une prière à Jésus. - Rien de plus touchant et de plus naïf. Cela donne lieu aussi à une curieuse étude des caractè­res. Tel petit enfant est simple et pieux comme un ange, tel autre a la vanité de son succès, tel autre boude et se tourne le nez contre la colonne. Et puis les parents et les grands parents ont été convo­qués, et ils prennent part avec une grande naïveté au succès du bébé.

A St-André della Valle, les fêtes ont un autre cachet, c'est le régal, des plus délicats. Pendant toute l'Octave il y a chaque jour une mes­se dans un des rites de l'Orient et un sermon dans une des langues de l'Europe. Souvent on y entend des orateurs de marque, cardi­naux, évêques ou prédicateurs en renom venus à Rome en 22 pèleri­nage.

Le jour de l'Epiphanie ou dans l'Octave, il y a aussi à la Propagande la fête des langues. Les élèves de la Propagande disent devant une assistance distinguée des poésies ou des chants dans les langues des pays de missions auxquels ils appartiennent. Cette fête avec celles de St-André constitue bien l'hommage des nations au Sauveur qui nous est né.

Un autre hommage gracieux à Jésus, que la Révolution italienne a bêtement supprime, c'était ces chants de musette et cantiques que les bergers de la campagne romaine venaient offrir tous les soirs à l'heure de l'Ave Maria pendant le temps de Noël aux Madones des rues de la ville.

Ils allaient deux par deux le plus souvent, un berger et un enfant, en costume pittoresque et ils jouaient et chantaient leurs Noëls po­pulaires.

Le niveau maçonnique a passé sur tout cela. La Révolution a 23 tué la poésie. On a conservé la foire de l'Epiphanie, la Befana.

Si le nouveau régime avait du goût, c'est cela qu'il aurait sup­primé. C'est une foire aux jouets, mais le peuple y a joint un chari­vari traditionnel qui dure toute la nuit de l'Epiphanie, et qui est une manière de berner le roi Hérode, trompé par les Mages. Je n'ai ja­mais trouvé que cela fût un délassement fort distingué.

Il faut rapprocher encore du temps de Noël la fête du 2 février. Le St-Père bénissait les cierges à St-Pierre. Les cardinaux, les évêques, les princes, les ambassadeurs allaient recevoir leurs cierges des mains du Pape, il y avait procession. C'était un magnifique symboli­sme de la lumière divine qui est venue éclairer toutes les nations: «lumen ad revelationem gentium». Les chefs d'ordres, les recteurs des basiliques, des chapitres, des églises nationales, des séminaires allaient en audience porter au St-Père l'hommage 24 peint à leurs armes. Le Père Freyd devait me conduire avec lui l'année suivante, et me procurer ainsi la joie, que j'eus d'ailleurs assez souvent de passer quelques instants aux pieds de Pie IX.

Janvier avait d'autres fêtes encore qui n'avaient plus de rapport direct avec le temps de Noël. - Le 17, à la St Antoine, tous les che­vaux de Rome allaient défiler devant le perron du monastère de St­-Antoine-au-Viminal pour y recevoir la bénédiction du chapelain. Il y avait une heure pour les équipages de l'aristocratie, une autre pour les chevaux du vulgaire. Tous ces animaux portaient d'ailleurs au front une médaille de St Antoine et le grand Saint les préservait des accidents.

Le 20 et le 21, aux fêtes de Ste Agnès et de St Sébastien, les cata­combes de ces Saints si populaires à Rome étaient ouvertes et illu­minées. Nous y courions, autant que nos promenades le permet­taient.

Mais la période la plus touchante et la plus solennelle des fêtes de Rome, 25 c'est la Semaine Sainte. Elle commençait le dimanche des Rameaux par la chapelle papale à St-Pierre, la bénédiction et la distribution des rameaux au S(acre) Collège et à la cour ponti­ficale. On y chantait les choeurs d'Avila à la bénédiction des ra­meaux, le Stabat de Palestrina à l'Offertoire, le Benedictus de Baini à l'Elévation. Nous étions prives de cette cérémonie au Séminaire et de quelques autres de la Semaine Sainte à moins d'une permission spéciale.

Le mercredi saint, le jeudi et le vendredi pour l'office des Ténèbres, chapelle papale à la Sixtine: chant des lamentations de Palestrina et d'un des trois célèbres Miserere d'Allegri, de Bai ou de Baini. Ces psaumes sont une alternance de versets à 4 ou 5 voix où le sentiment et l'harmonie s'allient merveilleusement. Ils se termi­nent par un verset plus solennel à huit ou dix voix. Ce sont les chefs-d'œuvre de la musique religieuse.

Le soir de ces trois jours on 26 pouvait voir à l'hospice de la Trinité une scène bien touchante. On recevait là les pèlerins pau­vres venus à pied d'Italie, du Tyrol, de l'Allemagne pour les fêtes de Pâques. Les Confrères du S(acre)-Cœur vêtus de leur modeste do­mino gris pratiquaient héroïquement l'hospitalité en lavant les pieds de ces pauvres pèlerins et en les servant à table. C'est une confrérie toute aristocratique où n'entrent que des cardinaux, des prélats, des princes et de nobles romains. On pouvait voir leur pourpre ou leur soutane violette passer sous le domino. - J'ai garde un souvenir ému de ces soirées.

Le jeudi saint était une des meilleures journées de la grande se­maine. Les cérémonies s'y succédaient presque sans interruption. Le matin il y avait chapelle papale à la Sixtine, chant d'un motet de Palestrina, procession du St-Sacrement à la chapelle Pauline magni­fiquement illuminée. A midi, bénédiction Urbi et Orbi 27 donnée par le Pape à la loggia de la basilique St Pierre. Ces grandes bénédic­tions étaient bien le bouquet des grandes fêtes de Rome. Elles se donnaient cinq fois par an: A St-Pierre, le jeudi saint, le jour de Pâques, et le 29 juin à la fête des Apôtres, à Saint Jean-de-Latran, à l'Ascension; A Ste-Marie-Majeure, le jour de l'Assomption. Nous as­sistions chaque année aux quatre premières, mais nous étions ab­sents pour l'Assomption. Une fois j'ai prolonge mon séjour à Rome jusqu'au ler septembre, mais hélas! c'était en 1871, la Révolution, régnait à Rome, et les bénédictions papales étaient interrompues pour longtemps.

Je ne sais rien de plus grandiose que ces bénédictions. Le cadre en est si beau: c'est la place St-Pierre avec sa prodigieuse colonna­de. Une foule immense couvrait cette place. On comptait alors qua­tre-vingt mille pèlerins pour les fêtes de Pâques, et les Romains accouraient 28 aussi pour la bénédiction. Les voitures étaient ran­gées en ordre dans le fond. Des haies de soldats formaient plutôt un piquet d'honneur qu'une police de cette foule pacifique. Tous les regards se tournaient anxieux vers la tribune de St-Pierre. On causait, mais timidement. Tout à coup Pie IX apparaissait, entouré de sa cour. Une exclamation générale, mais à demi retenue, éclatait, puis c'était le silence. Les chevaux eux-mêmes impressionnés par ce calme général cessaient de hennir. Alors Pie IX chantait la bénédic­tion d'une voix si pleine qu'on l'entendait jusqu'au fond de la pla­ce; puis il levait les yeux et les bras vers le ciel pour appeler la béné­diction divine, et tous les genoux se ployaient et toute cette foule s'abaissait sous la main du pontife. La bénédiction du ciel venait réjouir et réconforter les cœurs. Aussitôt après, le canon annonçait a la ville l'heureuse bénédiction. Toutes les cloches se mettaient en branle. Les clairons donnaient leurs fanfares et les tambours leurs roulements 29 sur la place St-Pierre, et cent mille voix émues s'en­tremêlaient, criant à plusieurs reprises en toutes les langues: «Vive le Pape, vive Pie IX». C'était une sainte ivresse.

Les bénédictions du jeudi saint et de Pâques avaient le même ca­chet. Celle de la St Pierre avait moins d'étrangers, mais plus de Romains et de pèlerins de la région.

Après l'office du jeudi saint le Pape faisait le mandatum. Il lavait les pieds à douze pauvres prêtres, vêtus je crois du domino blanc des confréries, puis il les servait à table. Ils étaient treize même, je crois, en souvenir de l'ange qui se joignit aux pauvres servis par St Grégoire le Grand. J'ai assisté une fois seulement au mandatum avec une profonde émotion.

Le vendredi saint, chapelle papale, chant des choeurs d'Avila et des Impropères de Palestrina. L'après-midi le Pape descendait à la ba­silique pour vénérer les grandes reliques de la Passion. 30

Le samedi saint on chantait à St-Pierre la Messe du Pape Marcel, le chef d'œuvre de Palestrina.

Le jour de Pâques était le plus solennel entre tous. A dix heures, le Pape, la tiare en tête, descendait par l'escalier royal, précédé par tout son cortège. Il était porté sur la Sedia gestatoria par 12 palefre­niers vêtus de damas de soie rouge armorié. Les flabelli ou éventails de plumes de paon étaient portés par deux camériers. Le cortège entrait par la porte majeure du portique au son des trompettes et au chant du Tu es Petrus. La messe avait plus de solennité encore qu'à Noël. A midi le Pape donnait la grande bénédiction au balcon extérieur. Le soir avait lieu l'illumination du dôme, de la façade et du portique de St-Pierre, qui réjouissait non seulement la ville, mais jusqu'aux habitants des monts Albains, à huit ou dix lieues de di­stance. 360 hommes étaient employés pour allumer avec une ra­pidité surprenante 31 les 5.000 lampions de cette féerie et pour en renouveler les feux après la première heure.

Le lundi soir, il y avait feu d'artifice au Pincio. Peuple et clergé s'y rendaient de concert, sans qu'il y eut gêne ou mépris d'une part et de l'autre. C'était la grande famille chrétienne se réjouissant à l'oc­casion de la résurrection du Sauveur.

Le 12 avril avait sa fête populaire toute personnelle à Pie IX. C'était l'anniversaire de son retour de Gaëte. Il se rendait à Ste­-Agnès-hors-les-Murs. Pie IX aimait tant la chère petite Sainte! Il lui attribuait le miracle par lequel il avait échappe en 1854, dans le mo­nastère attenant à cette basilique, au danger de l'effondrement d'un plancher. Le peuple avait garde un souvenir ému de ce retour de Gaëte, aussi le soir de cette journée anniversaire toute la ville était elle magnifiquement illuminée. 32

A l'occasion le St-Père tenait chapelle papale à la basilique de S. Jean-de-Latran. Il donnait la bénédiction au peuple du balcon extérieur. Cette bénédiction avait un autre cachet que celle de St Pierre. La foule y était plus originale, c'était Rome et la campagne romaine. Le cadre y était plus varié et l'horizon plus vaste. Au pre­mier plan c'était la Scala Santa, le Triclinium de Leon VII et de Charlemagne, la grande avenue d'yeuses et la basilique de Ste ­Croix; au loin c'était la campagne romaine avec ses ruines et les montagnes de la Sabine avec leurs souvenirs: Tibur, Frascati, Tusculum, Albe et le mont où régnait Jupiter. Comme la papauté est grande dans son règne pacifique!

La Fête-Dieu a aussi à Rome sa grandeur particulière. Les proces­sions des paroisses se partagent la semaine, elles sont rehaussées par les confréries et les ordres religieux. Mais celle de St-Pierre est unique. Le St-Pere 33 est agenouillé sur la Sedia pour porter le St Sacrement. Le cortège suit le colonnade de St-Pierre, il réunit les cardinaux, patriarches, archevêques, évêques et prélats présents à Rome. Quelques évêques orientaux ajoutent à sa variété par leurs majestueux costumes. La foule est nombreuse et recueillie. Quel contraste entre ce triomphe pacifique de notre roi Jésus et celui que Néron recevait d'une foule ivre de sang et de volupté dans ce cirque du Vatican!

Les fêtes de St-Pierre avaient les mêmes solennités que celles de Pâques: messe papale, bénédiction, illumination, feu d'artifice. Les pèlerins étrangers affluaient de nouveau.

Ce sont là les grands jours de Rome, mais à vrai dire chaque jour à Rome a son charme et ses émotions propres. Le calendrier liturgi­que nous conduit chaque jour à quelque sanctuaire où le 34 Saint ou le Martyr que l'on fête a son tombeau, ses reliques, les instru­ments de son supplice, sa chambre parfois et divers souvenirs de sa vie .

Comme une année passée ainsi a Rome est sanctifiante! Quels ali­ments, à la fois suaves et fortifiants y trouvent la foi et la piété! Et que tout autre séjour est froid et insipide, quand on a vécu à Rome!

Cependant la fin de l'année scolaire était venue. Mes professeurs m'engagèrent a me présenter au doctorat avec quelques-uns de mes condisciples: MM. Le Tallec et Guilhen qui avaient fait trois ans de philosophie et MM. Perreau et de Rivoyre qui n'avaient fait qu'un an comme moi, mais qui avaient passé aussi par l'Ecole de droit. J'ai pu répondre convenablement en forme scolastique sur les principa­les thèses de la philosophie. J'ai dû répondre aussi en Italien sur la physique, l'astronomie, la mécanique rationnelle et les élé­ments du calcul intégral et différentiel. L'examen 35 fut satisfaisant.

Le P. Freyd désirait que je prisse part au concours de fin d'année, mais les grandes chaleurs étaient venues, j'étais plus que fatigué, j'ai pris part seulement au concours de morale naturelle. J'obtins le premier accessit (l) . Nous étions une soixantaine de concurrents.

Mes vacances commençaient par une grosse privation. Mon père n'était pas encore familiarise avec ma vocation, il m'avait écrit qu'il ne voulait pas me voir en soutane. Le P Freyd pensa que je ne de­vais rien brusquer, je revins donc en laïc. Il m'en coûta beaucoup de quitter l'habit ecclésiastique auquel je m'étais attaché. C'est une sauvegarde précieuse qui allait me manquer. Grâce à Dieu, je ne crois pas que mon âme en ait souffert. Notre-Seigneur m'avait fait tant de grâces cette année. J'ai vécu en séminariste sous l'habit séculier pendant ces trois mois de vacances. La messe, 36 la commu­nion quotidienne, l'office de la Ste Vierge et mes autres exercices de piété me soutenaient. J'ai passé de bons moments dans notre vieille église. Je dirigeais ma promenade de manière à faire ma visi­te au St Sacrement l'après-midi.

Je voyais souvent mon bon doyen, M.Demiselle. Ma mère était ga­gnée à ma vocation et je passais avec elle de bons moments. Elle m'accompagnait à la messe et aussi souvent à la Ste Communion. J'aimais ma cellule dans la petite tour de la maison. J'étudiais les antiquités chrétiennes du diocèse. J'ai gardé un doux souvenir des heures passées à circuler dans le jardin en faisant mes exercices de piété.

Note. En juin, anémie par le travail, j'avais dû prendre huit jours de repos. Je les passai a Genzano chez les Franciscains, où l'air pur et les frais ombrages relevèrent mes forces.

Rome - 2e année scolaire: 1866-1867

J'avais été heureux de revoir ma famille, mais combien je me réjouissais de retrouver la vie pieuse et réglée du séminaire et le saint habit ecclésiastique que j'avais dû quitter pour trois mois!

Ce n'était pas le voyage facile d'aujourd'hui. Le Mont-Cenis n'avait pas encore laisse ouvrir ses flancs. Il fallait cinq jours pour la route. Je ne fis pas de longs arrêts. J'ai passe par Orléans et dîné chez Mgr Dupanloup. Desgardes m'a promené à Bourges. J'ai suivi la route de la Corniche et passe par Lorette.

J'eus bientôt repris mes habitudes à peine interrompues. On me logea cette année au quatrième. Je vois encore en imagination cette chambre, assez vaste mais pauvre, meublée d'un lit de zostère, d'un petit bureau noirci et de deux chaises, où je devais passer de si bons moments.

On nous fit faire la retraite, je n'en ai pas garde de notes. Mgr Gignoux, évêque de Beauvais, était 38 à Rome pour quelques jours. C'était un ami de la maison, il y entretenait quelques élèves à ses frais. On l'invita à nous prêcher. Il le fit avec une simplicité et une bonté tout apostoliques. Sa grande foi, sa piété, son zèle prêchaient plus efficacement encore que sa belle parole. Ses instructions étaient très nourries de l'Ecriture Sainte. J'ai garde l'habitude du Memento qu'il nous conseilla pour notre messe quotidienne.

«Priez, disait-il, pour le clergé, pour les séminaires, pour les com­munautés religieuses, pour les fidèles, pour les indigents, pour les malades, pour les agonisants, spécialement ceux qui doivent mourir dans les 24 heures». Ce Memento révèle tout le cœur de ce bon évêque.

Je retrouvais mes bons condisciples de l'an passé, dont quelques uns m'étaient particulièrement intimes, comme MM. Perreau, Dugas, Le Tallec, de Rivoyre, de Bretenières, Poiblanc.

Les nouveaux étaient nombreux. 39 L'un d'eux, M. Désaire de Tarentaise, allait devenir pour moi un ami qui partagea long­temps mes vues et projets sans cependant unir jusqu'à présent ses efforts aux miens.

J'avais une grande sympathie pour M. Lucas du Coudray, un bre­ton pieux, délicat, modeste. Il devait mourir quelques mois après comme un Louis de Gonzague. Je le veillai la dernière nuit. Sa foi, sa résignation, son désir du ciel me laissèrent une impression profonde. - M. Baron, de Blois, était actif, intelligent; il avait une trempe d'apôtre, il est devenu jésuite. M. Deville, de Lyon, est le professeur grave, distingué, lettré de l'Institut des Chartreux de Lyon. M. Massabuan, un type de ce clergé du Rouergue qui a bien l'esprit sacerdotal, l'esprit paroissial et qui fait de ce diocèse une des régions les plus franchement chrétiennes de France. Il est deve­nu curé du S.-Cœur à Milhau. M. de Maindreville, délicat et artiste, 40 notre organiste à S(ant)a Chiara, maintenant curé de St-Germain, à Compiègne. - M. Molard était déjà un grave théologien; il est vicaire général de Châlons. M. Revol de Lyon, la bonté même, deve­nu Maître des cérémonies à la Primatiale, puis doyen d'Ampuis. M. Rossi de Quimper, une âme délicate et un bon cœur, maintenant aumônier des Dames de la Miséricorde et, je crois, homme de con­fiance de l'évêché.

C'est le charme de cette maison de donner de bonnes et pieuses relations. On y apprend à connaître par son élite ce clergé français qui participe aux qualités et aux défauts du caractère national, mais qui garde toujours quelque chose de la piété de M. Olier et de la charité de St Vincent de Paul.

Presque tous nos diocèses étaient représentés parmi nous. Chacun de nous aimait à citer les illustrations de son diocèse, les prêtres glorieux ou saints que ce diocèse avait produits. Voici quel­ques-uns des noms qui revenaient le plus souvent. Je les 41 cite en remontant le cours des siècles: Lacordaire, Ravignan, Frayssinous J(ea)n-B(aptis)te Vianney, Libermann - Belsunce, Boudon - Bossuet, Fénelon, Bourdaloue - Olier, de Bérulle -Jean Eudes, St François de Sales - Grignon de Montfort, St Vincent Ferrier - St Ignace, St Dominique, St Félix de Valois - St Bernard, St Bruno, St Yves, St Norbert - St Paulin, St Martin, St Ouen, St Eloi - St Hilaire, St Irénée - St Lazare. -J'en passe et des meilleurs. Quelle couronne vénérable de tels hommes doivent former autour de no­tre divin Pontife au ciel!

Judas Macchabée vit un jour en songe le grand prêtre Onias et le prophète Jérémie qui priaient pour le peuple d'Israël et lui obte­naient la victoire. Tous nos saints prêtres au ciel prient pour l'Eglise de France, ils nous obtiendront le salut.

Je me mis avec ardeur à la théologie. J'avais des maîtres supérieurs. Le Collège Romain a rarement réuni une telle élite. Les Pères Franzelin 42 et Cardella enseignaient le dogme; le P. Ballerini la morale; le P. Patrizi, l'Ecriture Sainte; le P. Sanguinetti, l'histoire; le P. Tarquini, le droit canon. Le premier et le dernier ne devaient pas tarder à être honorés de la pourpre cardinalice. Le Gard. Franzelin est connu. Il laissera son nom à l'histoire. Il a eu la plus grande part à la rédaction des Constitutions du Concile. C'était un bavarois et le seul reproche qu'on pût lui faire était d'avoir gardé quelque chose de la phraséologie un peu longue et obscure des Allemands. Il possédait merveilleusement l'Ecriture et les Pères et il tirait de cette connaissance profonde le plus étonnant parti. Ses traités étaient bien de lui-même. On ne saurait trouver un auteur qu'il ait copié ou imité. Je reviendrai plus loin sur sa méthode en appréciant l'enseignement de la théologie à Rome.

Le bon P. Cardella n'atteignait pas ces hauteurs. Il commentait le cours du P. Perrone. C'était un saint religieux, 43 un apôtre, profes­seur par obéissance. Il visait l'apologétique plutôt que la théolo­gie spéculative. Il se complaisait à nous donner la réfutation du pro­testantisme anglais qu'il connaissait à fond. Religieux modèle, il avait la confiance de ses supérieurs majeurs. Il devint successive­ment directeur de la Civiltà Cattolica, recteur de la maison de re­traite et recteur du Collège Romain.

Le P. Ballerini a laissé un nom honorable aussi. Il fait autorité. Il était érudit. Sa mémoire était prodigieuse. Il possédait admirable­ment l'Ecriture Sainte et les Scolastiques. La Somme de St Thomas lui était familière. C'était de plus un délicat littérateur. Il parlait élé­gamment le latin classique. Il se jouait avec les textes d'Horace et de Juvénal. Son édition de Gury a été fortement combattue par les Liguoriens, mais il avait bec et ongles pour se défendre. Il avait con­trôlé ses affirmations et consulté ses sources et on ne l'a guère trou­ve en défaut. 44

Le P. Patrizi, professeur d'Écriture Sainte, descendait de la vieille noblesse romaine. Sa famille prétend remonter jusqu'au pa­tricien Jean fondateur de la basilique de Ste-Marie-Majeure. Il était humble et pieux jusqu'au scrupule. C'était un exégète éminent. Il possédait les langues orientales et il aimait à émailler de mots grecs son latin d'un style recherché. Les Allemands ont en haute estime ses commentaires des Evangiles.

Je suivais tous ces cours avec ardeur et avidité. Mon année de phi­losophie m'avait mis en train. J'avais autant de facilité que de goût pour la théologie. Je prenais part aussi au cours d'hébreu. Je réser­vais pour la seconde et la troisième années les cours d'histoire et de droit canon.

La théologie, c'est bien la science des sciences. C'est la science du ciel, la science divine, la science des anges dont Dieu nous a fait part. 45 D'autres préfèrent les sciences humaines ou la littérature. Ils sont à plaindre. Ils n'ont pas connu ou compris la théologie.

La théologie, c'est le dépôt sacré de la Révélation dont la garde a été confiée par N.-S. au sacerdoce. Et ce dépôt n'est point une let­tre morte, un trésor archaïque et sans vie. Si Dieu a révélé depuis les origines jusqu'à Jésus-Christ toutes les vérités qui sont l'objet de nos études sacrées, tout ce qui compose le trésor des traditions catholiques, il en ménage peu à peu le développement et chaque temps découvre à propos la portion de ce trésor qui doit être mise en lumière. La Révélation ressemble à ces lettres scellées dont on a reçu le dépôt et dont il n'est permis de prendre connaissance que successivement et à des époques échelonnées. La foi est pour tous les temps et pour toutes les situations. Il y a dans la vie des peuples des changements continuels, une marche incessante 46 que rien ne peut arrêter et qui exige de l'Église, du sacerdoce, à chacune de ses phases une effusion nouvelle de la lumière évangélique. Le progrès dans l'unité c'est une des beautés de l'Église et de sa doctrine sur la terre.

La théologie se complète sans cesse par voie d'explication et de développement subjectif. Et la partie démonstrative se perfectionne et s'enrichit de siècle en siècle suivant les besoins de la lutte.

Ce développement historique a eu trois phases principales: 1° la période apostolique ou de fondation, personnifiée par St Paul; 2° la période des Saints Pères ou d'exposition, personnifiée par St Augustin; 3° la période scolastique dont St Thomas est le maître incontesté.

La période primitive ne donne que l'énoncé et les éléments de la foi, mais elle a le concours des miracles et elle est fécondée par le sang des martyrs.

A l'époque des Saints Pères ou de 47 l'exposition de la foi, en face des hérésies qui se succèdent, les apologistes, les Pères et au-dessus de tous Saint Augustin entreprennent cette majestueuse investigation des raisons profondes du dogme qui produit les œuvres les plus sublimes.

Puis la paix venue, les esprits studieux sentent le besoin d'inventorier les richesses de la foi et d'en organiser l'enseignement. Alors apparaît S. Thomas à qui revient la gloire de la grande synthèse théologique, fruit d'un labeur colossal et d'une pénétration aidée par une grâce spéciale..

Les hérésies ont été le plus souvent l'occasion de l'explication et du développement des dogmes. Comme le remarque St Vincent de Lérins, les dogmes sont d'abord crus par l'Église d'une manière sommaire ou implicite. Puis un doute s'élève, une controverse, une hérésie. Les dogmes sont alors étudiés, discutés, scrutés jusque dans leurs sources. 48 Ils sortent victorieux de la lutte. Ils sont enfin définis par l'Église, ils sont indiscutables.

C'est ainsi qu'avec les Conciles les principaux dogmes ont été successivement mis en lumière et comme authentiqués par l'Église. A Nicée, c'est la divinité de Jésus-Christ, vengée contre les Ariens. A Constantinople, c'est la consubstantialité divine du St-Esprit défendue contre les Macédoniens. A Ephèse, c'est la dignité de Mère de Dieu reconnue à Marie, contre Nestorius. A Chalcédoine, aux second et troisième conciles de Constantinople, ce sont les conditions de l'Incarnation du Verbe qui sont justifiées. L'Église reconnaît deux natures en Jésus-Christ, une seule personne et deux volontés. Elle condamne Eutychès et Théodoret. Au second concile de Nicée, c'est l'honneur dû aux saintes images qui est vengé. Au 4e de Constantinople, c'est la primauté du siège de Rome, défendue contre Photius. Dans les quatre premiers conciles 49 de Latran, c'est la distinction des pouvoirs qui est maintenue contre les empiètements du pouvoir civil. C'est la discipline du clergé qui est réformée, l'élection des Papes qui est réglée, l'erreur des Manichéens qui est condamnée. Dans les deux conciles de Lyon, c'est le droit canonique qui est affermi par l'organisation des jugements ecclésiastiques; c'est la réunion des églises schismatiques d'Orient qui est négociée. La concile de Vienne condamne les Templiers et les faux mystiques. Celui de Florence décrète une nouvelle réunion des églises orientales. Le 5e concile de Latran condamne des erreurs sur l'âme et justifie la hiérarchie ecclésiastique. Le concile de Trente a une ampleur particulière. Il donne à lui seul presque toute la synthèse de la foi. Cependant il vise surtout l'autorité de la Tradition et de l'Écriture Sainte et l'institution divine des sacrements contre les protestants. Le concile du Vatican n'a fait 50 qu'ébaucher son œuvre. Il a défini l'infaillibilité du Pape. Il lui restait à condamner le libéralisme et à donner les bases de la société civile chrétienne.

Après chaque concile, il semble que l'œuvre de l'Église est épuisée et que sa doctrine est complète parce qu'il n'y a plus pour le moment d'erreur qui élève ses prétentions. Mais les occasions d' une explication nouvelle et d'un développement ultérieur ne tardent pas à naître.

St Thomas est venu après les principaux développements du dogme, ainsi il a pu en donner une synthèse à peu près complète. Et comme il a remonté aux principes et qu'il a déduit avec une logique incomparable toute la doctrine de l'Église sur Dieu, sur l'homme et sur les rapports de l'homme avec Dieu par le Christ, il n'est point de matière qu'il n'ait touchée. Il ne s'élèvera plus d'erreur après lui dont on ne puisse trouver 51 la réfutation au moins en germe dans sa Somme.

On comprend cependant que pour être au niveau des progrès accomplis, il faut aujourd'hui avec St Thomas étudier un théologien moderne qui donne plus de part à la démonstration positive,qui tienne compte des progrès de l'exégèse et des recherches patrologiques et historiques et qui ajoute au plan de St Thomas les traités qu'ont rendus nécessaires les progrès du dogme depuis le XIIIe siècle.

C'est bien là ce que l'on fait au Collège Romain. St Thomas est entre les mains des élèves. La Somme est la base des études théologiques, mais le cours du professeur en est le complément nécessaire.

Sous l'impulsion du Collège Romain ces cours modernes savent unir les deux méthodes: la théologie positive qui établit le dogme sur la tradition, et la théologie spéculative qui en scrute les profondeurs et les raisons intimes. Ils ajoutent aussi au 52 programme de la Scolastique d'autres traités devenus nécessaires: ceux de la Théologie générale, les Lieux théologiques, l'Eglise, la Tradition, la Religion. Certains traités se sont enrichis de thèses importantes, comme celle du S.-Cœur, de l'Immaculée Conception, de l'Infaillibilité. Il y manque encore les traites de la politique chrétienne, de la constitution chrétienne des Etats, de la vie sociale chrétienne. Léon XIII les prépare par ses encycliques. Les théologiens de l'avenir les ajouteront à leurs cours.

Pour nous, nous entrevoyons à l'horizon de l'avenir un autre pro­grès, dont le Cardinal Pie nous a déjà donné l'augure, c'est la théologie du S.-Cœur: la théologie ramenée toute entière au S.-Cœur et illuminée de ses rayons.

Le S.-Cœur de Jésus, principe et objet de notre amour, c'est toute la théologie. «Christus dilexit» (cf. Gal 2,20) le Christ a aimé, voila tout le symbole. 53 Dieu, l'incarnation, la rédemption, l'Eglise, la grâce, les sacrements: «Christus dilexit me» (cf. Gal 2,20).

«Diliges» (Dt 6,5; Mt 22,37), tu aimeras. Tu aimeras ton Dieu, tu aimeras ton prochain comme toi-même, voilà toute la morale.

«Deus charitas est» ( 1 Jo 4, 8) - «Et nos credidimus charitati» (cf. 1 Jo 4,16). - Dieu est amour, nous croyons à l'amour, voilà tout l'objet de notre foi.

«Qui diligit, legem implevit» (l). -Faire les œuvres de l'amour, voilà tout l'accomplissement des préceptes.

J'avais pour professeurs les Pères Cardella et Franzelin. Mais le P. Cardella n'était guère qu'un suppléant du P Perrone, alors recteur du Collège. Il expliquait et commentait les traités du Père Perrone. Perrone était un auteur de transition entre nos petits traités de théologie positive et la magistrale exposition du dogme des Franzelin, des Schrader et des Moehler.

Nos petits traités nous découpent 54 la doctrine en une infinité de bouchées toujours assaisonnées des trois arguments classiques.

Ce n'est ni de la scolastique, ni de la théologie spéculative, c'est un catéchisme à l'usage du clergé.

Le P Perrone manque encore d'ampleur. Ses thèses sont courtes et sèches. Il donne trop de place aux objections. Il manque de méthode et de profondeur. Il n'a fait qu'effleurer la Scolastique. Cependant son érudition et sa rectitude de vues sont précieuses. C'est encore la théologie positive qui domine chez lui, comme dans Bellarmin et Petau.

Franzelin devait ouvrir une voie nouvelle. Il a enseigné glorieusement pendant 15 ans au Collège Romain, renouvelant les beaux jours des Suarez, des Lugo, des Cornelius. Ses cours ont été pour moi une des grandes grâces de ma vie. Il donnait si bien le sens théologique! Il nous faisait 55 entrer dans la vie du dogme et nous montrait son développement et ses progrès. Il possédait merveilleusement les Pères et en tirait toute la substance de son exposition. Tout ce qu'il a écrit a été médité et pensé, il n'a rien copié. Son traité de la Tradition lui est tout personnel. Il donne à la Tradition toute son ampleur. Il la place avant l'Ecriture qui n'est qu' un de ses instruments. Ce traité est chez lui la véritable philosophie du dogme et l'étude des règles et de la marche suivie par l'Eglise dans son travail de développement dogmatique à travers les siècles.

Il sait unir dans un même cadre la théologie positive et la théolo­gie spéculative. Il sait mettre en œuvre les preuves de tradition, rangées en groupe philosophique et harmonieux. Il ne se contente pas de se rapprocher matériellement des textes, il sait les fondre dans son 56 explication. Et comme il fait bien sentir le travail de développement dogmatique qui se poursuit à travers l'Eglise, en re­montant jusqu'aux germes de la foi des temps apostoliques.

Son enseignement profond et puissant nous captivait. Il était aimé de ses élèves. Il avait le don d'enthousiasmer. On sentait vibrer dans sa parole l'allégresse de la Vérité reçue du ciel, la sainte flamme de la science de Dieu. Nous le vénérions, non seulement comme un savant, mais comme un saint.

J'ai étudié avec lui les traités de la Trinité, de la Tradition, de l'Eucharistie, des Sacrements, de l'Incarnation. Quel dommage qu'il n'ait pas fait le traité de l'Église! Il avait une conception si élevée de l'Église, de sa doctrine, de sa mission, de son autorité. Il a au moins donné un avant-goût de ce traité dans celui de la Tradition; de même qu'il a effleuré le traité de la Grâce dans celui 57 des Sacrements. Il a pu ainsi nous former le sens théologique sur tout l'ensemble du dogme catholique.

J'ai vu dans le P. Perrone, sous la direction du P. Cardella, les traités de l'Église, de la Pénitence, et avec le P. Palmieri les traités de la Création et de la Grâce.

Les dogmes sont les principes; la morale en est l'application. C'est dans les dogmes que la morale trouve son autorité et sa sanction. Rien de plus faux et de plus funeste que la séparation des dogmes et de la morale inaugurée par le jansénisme et continuée jusqu'aujourd'hui.

Les dogmes sont le cœur des études sacrées; plus on les étudie, plus on fortifie la morale. C'est la foi, ce sont les dogmes qui ont eu la part la plus active à la transformation des nations et à l'établissement de la civilisation chrétienne. Là où la foi est fortement établie, la morale règne facilement.

C'est à l'abandon du dogme qu'il 58 faut faire remonter les ruines morales et intellectuelles de notre pauvre société.

Si la formation dogmatique du sacerdoce est forte, son action moralisatrice et sociale sera puissante, parce qu'il ne manquera pas de communiquer a la nation des convictions qui entraînent des conséquences pratiques. Ainsi nous pensons qu'il faut laisser dans la préparation du sacerdoce une très large part, la meilleure part à l'étude du dogme; comme on le fait a Rome. C'est le moyen de former des hommes de principes et de mieux comprendre et approfondir la morale qui s'appuie entièrement sur le dogme.

C'est au XVIIe siècle que remonte cette malheureuse tendance de séparer la morale du dogme, ou du moins d'amoindrir le dogme et de donner la part prépondérante à la morale dans les études théologiques. La raison en est que nos théologiens français, imbus tantôt de Gallicanisme, 59 tantôt de jansénisme, se trouvaient mal à l'aise dans l'étude des dogmes, se heurtant à l'autorité de l'Eglise et à l'idée du surnaturel qu'ils tendaient à affaiblir.

C'est de cette morale, fondée sur le sentiment plus que sur le dogme qu'est sorti le Quiétisme.

J'ai eu la grâce d'avoir un professeur de morale éminent, le P Ballerini. Il nous faisait suivre le manuel de Gury, mais de loin. Il développait surtout les principes et s'appuyait toujours sur St Thomas qu'il possédait admirablement. Il avait d'ailleurs une érudition étonnante et une grande expérience du ministère. Il poursuivait sans cesse avec une ironie acerbe les opinions des Jansénistes qui ne sont propres qu'à décourager les âmes et à les conduire à leur perte. Son cours était agréablement semé d'observations philosophi­ques et d'exemples pratiques.

Comme il savait aller au fond des choses! Comme il savait dans 60 une controverse démêler le vrai principe, le principe philosophique et scolastique qui donnait une solution nette et définitive.

Dans la fameuse polémique sur le Probabilisme, par exemple, il arrivait à cette conclusion logique et facile: «Si l'Eglise tolère qu'une opinion soit professée par plusieurs auteurs de quelque valeur, sans les relever, cette opinion peut être suivie, quand même elle aurait contre elle des auteurs bien plus nombreux». Son raisonnement est celui-ci: «C'est par son enseignement, par ses docteurs que l'Eglise promulgue ses lois morales». Sur ce principe, il bâtit ce raisonnement: «Toute loi pour obliger doit être suffisamment promulguée; or si une loi est exprimée en termes contraires par ses promulgateurs sans que le législateur ne réclame, elle n'est pas suf­fisamment promulguée; donc…». C'est tout le fond de sa thèse et il est solide.

Pour la question du prêt à intérêt, on a versé des flots d'encre et usé 61 des montagnes de papier: il nous semble qu'il l'a bien simplifiée.

Le mutuum ou prêt d'argent, le commodatum ou prêt en nature doivent être gratuits. C'est la loi divine et humaine. Cependant le prêt à intérêt est passé dans les moeurs des meilleurs chrétiens et l'Eglise ne veut pas qu'on les inquiète à ce sujet, comment expliquer cela? Beaucoup disent qu'il s'agit d'exceptions à la loi. Il y a un titre nouveau qui justifie l'exception: titre de risques à courir, de profits à perdre ou à procurer, etc. Est-ce bien là la vraie solution? Non, dit le P. Ballerini. Le principe est absolu. Le prêt est gratuit. - Mais alors? - Eh bien! ce qu'on appelle à tort le prêt à intérêt n'est plus un prêt. C'est un contrat innomé, c'est un placement d'argent. Le prêt est gratuit de sa nature, comme le don est gratuit. Si le don est compensé, ce n'est plus un don, mais un 62 échange ou une vente. Si le prêt est indemnisé par un intérêt, ce n'est plus un prêt, c'est une location, un placement, un contrat innomé.

Quand il s'agit d'un vrai prêt, d'un prêt d'argent à titre de service à une personne gênée mais solvable, sans que le prêteur ait de perte ou de risque, il n'y a pas lieu à un intérêt, l'intérêt serait une usure. Mais ce cas est fort rare aujourd'hui. L'argent est devenu un objet de placement habituel, il est rarement un objet de prêt véritable. Il n'y a pas à chercher une autre justification du prêt à intérêt. Et le bon P. Ballerini nous montrait la source de ces solutions logi­ques dans les meilleurs auteurs classiques, dans les scolastiques de bonne marque.

Nos petits manuels ne s'élèvent pas jusqu'à la philosophie des principes de la vie chrétienne. Ils s'arrêtent à une casuistique ergoteuse et froide. Ils nous donnent comme le tableau des misères 63 de la vie humaine, pesées et numérotées. C'est un procédé étroit et mesquin.

St Liguori a inauguré la casuistique. C'est vrai; mais il l'a fait avec plus d'ampleur. Il a comme incarné les principes dans des cas de conscience et il a déterminé leur mise en application par des exemples choisis et des solutions claires. Mais après lui on est tombé dans ce danger de passer trop rapidement sur les principes, sur ces grandes théories qui sont l'âme de la théologie morale et qui préparent toutes les solutions.

Les cas fournis par la pratique ne sont jamais identiques à ceux des manuels, et le prêtre qui ne possède pas les principes tombe à chaque pas dans l'embarras et dans l'erreur.

Le manuel de Gury, qui a longtemps régné dans les séminaires, donne trop peu de place aux principes. Il les énonce sèchement et sans développement. C'est à combler cette lacune que s'appliquait surtout le P. Ballerini. 64 Il suivait d'ailleurs de très près la Somme de S.Thomas, et c'est encore le mieux pour la morale comme pour le dogme. A Louvain, le programme de l'Université ordonne au professeur de théologie morale de prendre pour texte de ses explications la Somme Théologique de St Thomas et cette méthode produit les meilleurs fruits.

Le P. Ballerini aimait à stigmatiser les erreurs des Jansénistes, qui ne servent qu'à perdre les âmes en les décourageant. Mais il savait aussi nous mettre en garde contre l'école du relâchement, qui semble avoir à cœur d'insister sans cesse sur les circonstances excusantes du péché et qui arrive ainsi à des opinions choquantes. Cette tendance justifierait ou du moins excuserait peut-être quelques-unes des pages de l'odieux et dangereux pamphlet de Pacal ( 1) .

Enfin pour caractériser complètement la méthode du P Ballerini, il faut signaler l'importance qu'il attachait 65 aux traités fondamentaux des Actes humains et de la conscience. Il les développait avec soin et les appuyait solidement sur la psychologie. Avant toutes choses, en morale, ne faut-il pas bien déterminer le caractère essentiel de l'acte humain, la théorie et les conditions de la liberté, les principes de l'élévation au surnaturel, les bases de la doctrine du mérite et les lois du fonctionnement de la conscience?

Un cours de théologie morale bien établi sur ces principes se dé­roule ensuite avec facilité et clarté.

Je n'avais pas pu recevoir la tonsure avec mes condisciples à la fin de ma philosophie, parce que mon père exigeait que je retournasse en vacances en costume laïc. Cela avait été pour moi un grand sacri­fice. Je désirais tant réaliser ma séparation du monde, me donner à N.-S., me mettre au service de ses autels et entrer dans la tribu sain­te des lévites! N.-S. me dédommagea. Le bon P Freyd m'appela à la fois à la tonsure 66 et aux ordres mineurs au mois de décembre 1866. J'allai passer les examens au Vicariat. Je lus et méditai avec émotion les traités de M. Olier sur la cléricature et les ordres mi­neurs. Je recevais trop de lumières et de grâces pour avoir le moin­dre doute sur ma vocation. J'éprouvais une véritable soif de pureté, de prière, de vie intérieure, d'union avec Dieu. Le grand jour vint. Je reçus la tonsure le 22 décembre, le samedi des quatre-temps de l'Avent à la basilique de St-Jean-de-Latran, des mains du Cardinal Vicaire, qui était alors le cardinal Patrizi. J'avais pour compagnon Casimir de Popiel, un pieux Polonais allié aux familles royales, qui ne survécut guère à son sacerdoce. Nous nous étions fait la tonsure préparatoire après avoir prié et nous devions nous la faire pieuse­ment tous les samedis pendant plusieurs années.

Ces grandes ordinations de St Jean sont bien émouvantes. La cérémonie a 67 lieu au choeur de la Basilique, près de la table de la Cène, témoin de la première ordination du Cénacle, près des chefs sacrés de St Pierre et de St Paul, qui sont après Jésus la source du sacerdoce, et dans cette église qui est la tête et la mère de toutes les églises. Sur ces dalles se sont prosternés depuis St Sylvestre et Constantin tant de milliers de prêtres qui venaient recevoir l'onc­tion du sacerdoce ou la consécration épiscopale. De là sont partis les apôtres de tant de nations. Là se renouvelle chaque année la Source de l'apostolat par les ordinations des clercs de toutes les na­tions. J'éprouvai là les plus profondes et les meilleures émotions de ma vie. En recevant la tonsure, je laissai tomber bien des larmes avec mes cheveux dans le plateau de l'évêque. J'avais tant attendu et tant lutté pour réaliser ma vocation! J'entrais dans la terre promi­se. J'en prenais possession par ces mots que je prononçai avec 68 autant d'ardeur que d'émotion. Dominus pars haereditatis meae et calicis mei, tu es qui restitues haereditatem meam mihi (Ps 15,5). En revê­tant le surplis je sentais que je devenais un homme nouveau pen­dant que je disais la formule sacrée: Induat me Dominus novum homi­nem (qui) secundum Deum creatus est in justitia et sanctitate veritatis (1). Tous les jours en mettant ma soutane je répète le Dominus pars et, quand je mets un surplis je redis la formule Induat me. Mon Dieu, re­nouvelez chaque jour en moi les grâces de cette belle journée du 22 décembre 1866.

Je reçus les ordres mineurs en deux fois, suivant l'usage de Rome, des mains de l'Archevêque vice-gérant du Cardinal Vicaire et dans sa chapelle privée. Ce fut le 23 et le 26 décembre. J'ouvrais avec foi et simplicité mon âme aux grâces spéciales à chaque ordre. M. Olier, un peu exagéré parfois, est bon à lire cependant. Il 69 inspi­re la piété, la pureté et surtout la vertu de religion. Je compris que le Portier doit ouvrir les cœurs à Dieu pas ses paroles et ses exemples, en marquant toute sa vie du cachet de la foi et de la cha­rité. - Le Lecteur doit mettre toute sa vie en rapport avec les choses toutes célestes et surnaturelles qu'il est appelé à lire. - L'Exorciste ne doit laisser en son âme aucun empire au démon, s'il veut lui commander avec succès. - L'Acolyte doit briller comme le flambeau qu'il porte. Il doit être un enfant de lumière et les fruits de la lu­mière, dit St Paul, consistent en toute bonté, justice et vérité. Et comme il présente le vin et l'eau pour le sacrifice, il doit s' offrir lui-même en sacrifice à Dieu par la chasteté de sa vie et ses bonnes œuvres.

Il me semble que je reçus déjà dans cette ordination quelque chose de ce qui devait être la grâce spéciale de ma vocation reli­gieuse.

Je veux remercier aussi N.-S. ici des grâces sans nombre que je dois 70 au tiers-ordre de St François. Je fus reçu à la profession le 21 mars 1867 et je suis resté un tertiaire dévoué et pratiquant jusqu'au décret par lequel le St-Siège déclara qu'on ne pouvait pas être à la fois membre d'un tiers-ordre et religieux d'une congrégation. J'ai toujours aimé beaucoup St François. Je l'ai toujours regardé com­me un de mes bons protecteurs et je suis persuadé que je lui dois beaucoup; tant pour l'Œuvre fondée que pour moi personnelle­ment.

N.-S. daigna me conserver toute cette année dans l'oraison d'af­fection, en me conduisant peu à peu à une union toujours plus inti­me avec lui. L'objet habituel de mes affections était Jésus crucifié. Je faisais le chemin de la Croix tous les jours, c'était ma récréation du soir. Mon crucifix était mon confident et mon compagnon dans ma cellule. Je gardais dans mon cœur une tristesse habituelle et profonde à la pensée que mon Jésus n'est pas aimé. 71 N.-S. achevait aussi de purifier mon âme. J'avais besoin de pratiquer ha­bituellement quelques mortifications, de me confesser souvent et avec un grand soin, de rechercher et d'expier quelques fautes ou­bliées de ma Jeunesse.

Un travail de pacification et de recueillement se faisait dans mon âme. Les gens du monde ne se doutent même pas du malheureux état de dissipation et de dispersion dans lequel vit leur âme avec ses facultés. Et c'est un grand travail de se recueillir parfaitement sous le regard de N.-S., pour recevoir ses communications intimes. 'achevais cette année ce travail de recueillement commencé l'année précédente.

Je ne perdais guère dans la journée l'union avec N.-S. Mais je souffrais souvent en récréation du vide des conversations et des manquements à la charité qui s'y commettent si facilement.

Je m'étendis beaucoup moins cette année dans mes lectures que l'année précédente. Je me tins dans le cadre des cours, en les complètent seulement 72 par les grands auteurs. Je lisais la Somme de St Thomas et quelques-uns de ses opuscules. J'approfondissais quelques questions dans Suarez, Lugo, Lessius, Bellarmin. Suarez est le type du scolastique abondant, fouillé, fleuri. II est à St Thomas ce que l'art ogival décadent est aux formes sobres et mâles du XIIe siècle. J'aime beaucoup Lugo comme philosophe. Il est d'une grande clarté. Je n'ai trouvé chez aucun autre les principes du droit naturel aussi nettement exposés. Lessius est le théologien correct et pieux. Il étudie en priant et il fait prier ses lecteurs. Il devait être un saint. Bellarmin est bien dans le courant du Concile de Trente. Il inaugure la théologie positive. Il développe les traités de l'Eglise et des Sacrements, dont St Thomas n'a donné que des principes.

Je devenais, comme tournure d'esprit, de plus en plus romain. J'étais en garde contre le libéralisme. 73 Les conférences du P. Hyacinte m'étaient suspectes à bon droit.

En politique je commençais à comprendre que les formes de gouvernement n'ont qu'une importance secondaire. L'Eglise l'a toujours enseigné. Le P Perrone, dans son opuscule De la règle de Foi, formule ainsi cette doctrine: «Cherchez premièrement le royau­me de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît. - Et le royaume de Dieu ce sont précisément les biens suprêmes de l'hom­me: la foi, la religion, la moralité. Ce sont là les biens que toute na­tion doit rechercher avant le reste; parce que, en dernière analyse, toute nation se compose d'individus et qu'elle ne peut sacrifier ou méconnaître le bien suprême des individus sans se donner la mort à elle-même. C'est de la conservation de cette sorte de biens, que dépendent naturellement l'ordre public, le maintien des lois, le re­spect de tous les droits d'autrui, les rapports de bienveillance entre les citoyens, la confiance mutuelle 74 des princes et des sujets, la paix, la sécurité, la stabilité, véritables fondements de toute prospé­rité sociale, quelles que soient les formes politiques des gouverne­ments. Car c'est un principe bien faux que de faire dépendre la perfection sociale, la prospérité et la sécurité publiques d'une for­me unique de constitution politique, tandis que même les publici­stes les moins suspects tels que Bentham, Ahrens, et beaucoup d'autres ont été forcés d'avouer que les formes de gouvernement n'ont pas l' importance qu'on leur attribue dans les temps moder­nes».

Comme lectures spirituelles, je lus Rodriguez, qui est le vrai caté­chisme de la perfection; St-Jure qui développe si bien les motifs d'aimer N.-S.; St Liguori et ses délicieuses méditations; le traité de la paix intérieure (1) du P. Lehen, si utile aux âmes agitées et trou­blées.

J'avais un petit recueil de sentences de St Ignace, j'en notai une qui correspondait au principal besoin de mon âme, la voici: 75 «Il ne faut pas se laisser séduire par un certain zèle qui nous rend inquiets sur les désordres du monde; nous devons commencer par nous réformer nous-mêmes et voir ensuite, pour ce qui regarde les autres, de quoi Dieu nous demandera compte au jour du juge­ment».

Mon ami Palustre est venu passer l'hiver à Rome. J'ai pu lui con­sacrer quelques promenades, quelques congés. Nous avons revu Rome ensemble au point de vue artistique. Il a publié ses impres­sions en 1868 dans un volume intitulé: De Paris à Sybaris Etudes arti­stiques et littéraires sur Rome et l'Italie méridionale. Il se montre d'ail­leurs dans ce livre trop sévère et trop dur pour Rome et les Romains. L'art grec et l'art ogival français l'ont tellement captivé qu'il n'a plus d'yeux pour l'art romain.

L'art est l'expression des idées et des moeurs d'une époque et d'une nation.

La Grèce aime la ligne droite. 76 Tout se résume en ses temples, dans la plate-bande portée par d'élégantes colonnes. Elle ne songe pas à s'élever: ses dieux ont des moeurs humaines et terre­stres. Elle aime la beauté des formes et la pureté des contours. Elle sait poser ses monuments et en soigne l'intérieur comme l'exté­rieur. La nature lui a donné le marbre pur et fin du Pentélique, des sites variés et gracieux qui ont souvent pour fond l'azur de la mer. Ils ont un ciel bleu et des brises parfumées. L'Acropole est comme le musée central de ces monuments, qui ont été reproduits jusqu'au rivage de Poestum, de Ségeste et d'Agrigente.

Rome dota l'architecture d'éléments nouveaux et précieux. On doit à son génie le développement de l'arc, de la voûte et de la cou­pole. Rome aimait à faire grand. Elle abritait les foules sous ses voû­tes et ses coupoles comme elle courbait les peuples sous son empi­re. Rome n'avait ni notre pierre 77 blanche et fine du Nord, ni les marbres abondants du Pentélique. Ses briques et ses ciments se prêtaient à l'arc et à la voûte. Elle négligeait souvent l'extérieur de ses édifices, mais elle décorait richement l'intérieur avec des pein­tures, des mosaïques, des stucs et des placages de marbres tirés de la Sicile, de l'Afrique et des Pyrénées.

Quand l'Église organisa son culte public, elle avait à choisir pour ses sanctuaires une forme architecturale. La basilique lui parut d'abord la forme la plus favorable. Son plan est emprunté aux sal­les de tribunaux et de réunions. Plusieurs de ses éléments sont re­stés et se conservent dans tous les styles, comme les vastes nefs Soutenues par des colonnes et si propres à recevoir la foule des fidèles, et l'abside voûtée, surélevée et séparée par un chancel,lieu réservé à l'autel et au clergé et ou l'on voit souvent sur la voûte symbolisant le ciel, 78 l'image du Christ et des Apôtres.

Mais la pensée chrétienne tend toujours à s'élever. Les plafonds de la basilique semblaient lui peser et arrêter son essor.

L'art chrétien adopta bientôt pour couvrir ses nefs la voûte et la coupole. Les hardis architectes de Ste-Sophie à Constantinople, Anthémius et Isidore, semblaient avoir atteint l'idéal. Chez nous Fecole de Cluny et celle du Rhin nous donnèrent ces vastes églises romanes aux grandes voûtes cintrées qui se perfectionnaient peu à peu et prenaient plus d'ampleur, plus de lumière, plus de délicates­se et de richesse. Mais bientôt quelqu'ange du ciel révéla a l'un de nos pieux moines architectes l'art de briser la courbe antique et d'élever l'arc et la voûte en ogive. Le besoin de sanctuaires élancés comme la prière et la beauté de cette forme nouvelle produisirent un mouvement irrésistible. Le XIIe, le XIIIe et le XIVe siècles 79 couvrirent l'Europe d'églises ogivales. Les nations les plus éloignées du centre, la Suède, l'Angleterre, l'Espagne, la Grèce, la Hongrie, nous empruntaient nos «Maîtres de pierres vives». Les chroniques les signalent d'Upsal à Bathala, de Lincoln à Chalcis(1).

Nos temples représentaient enfin la pensée ascétique et éthérée de notre foi. En même temps l'épopée chrétienne se déroulait sur les arcs des voussures de nos portails et sur nos vitraux aux riches couleurs. Nos tours élancées et leurs flèches nous montraient le ciel. Nos belles sonneries variaient leurs tons pour nous inviter soit à chanter les triomphes du Christ et des Saints, soit à pleurer nos morts. Nos orfèvres et nos émailleurs renouvelaient nos vases sacrés; nos imagiers ornaient les missels de miniatures. L'Italie dont le ciel est plus clément et le soleil plus vif décorait de peintures à la fresque et à l'huile les murs de ses sanctuaires. 80

Rome n'adopta pas l'ogive. La mystique du Nord n'aspire qu'à monter vers le ciel. L'Église de Rome est mieux symbolisée par les voûtes et les coupoles, par ces hauts pavillons qui abritent sous leurs arceaux les pèlerins du monde entier.

La Renaissance perfectionna l'art romain. Elle excella en délicatesse avec Bramante et Raphaël, en grandeur et noblesse avec Michel Ange. Elle se laissa gagner par le mauvais goût au XVIIIe siècle.

La situation de la France et son caractère ethnographique la livrèrent tour à tour aux divers épanouissements de l'art chrétien. Par les Francs elle confine aux races germaniques, par les Gallo-romains elle est toute latine. N'est-ce pas au génie des Francs qu'elle doit sa primauté dans l'art ogival le plus pur et le plus délicat? Par les Gallo-romains, elle est une branche des mieux douées de la grande famille latine. Aussi la Renaissance s'y épanouit comme 81 en son sol naturel et les monuments délicieux dont les règnes de Louis XII, François ler, Henri II et Henri III couvrent la France n'ont rien à envier à la Renaissance italienne.

Mon ami Palustre aimait a revendiquer l'originalité de notre art national. Il l'a fait victorieusement dans son grand ouvrage sur la Renaissance française.

Mais je reviens à Rome.

Les temps antérieurs à l'Empire n'y ont guère laissé de monuments. Les rois n'y sont représentés que par la Cloaca maxima et quelques assises de l'Agger de Servius Tullius.

Les temps héroïques de la République sont représentés par les re­stes du pont Sublicius, le gracieux petit temple de la Fortune et le tombeau des Scipion. Les souvenirs suppléent aux monuments. Pour visiter les quartiers archéologiques de Rome, il faut avoir en main le livre de M. Ampère: Histoire romaine a Rome. C'est ainsi que nous faisions avec L. Palustre. On peut suivre ainsi 82 la révolte des Gracques, les grandes luttes de l'aristocratie et de la démocratie dirigées par Sylla et Marius et les intrigues de l'époque de César, de Pompée, de Caton et de Cicéron.

C'est au Capitole que Tiberius Gracchus succombe; c'est à l'Aventin que son frère Caïus soutient la lutte jusqu'à ce qu'il soit obligé de s'enfuir pour trouver la mort dans un bois sacré.

C'est à l'Esquilin que Marius, soutenu par la démocratie est vain­cu par Sylla qui dirige l'aristocratie. Sylla, comme plus tard César et Auguste, se fait construire au Champs de Mars un riche mausolée. Après Sylla, c'est le dernier âge de la République, c'est l'époque de César, de Pompée, de Caton et de Cicéron. C'est le temps de la lut­te dramatique des ambitions. Le Forum est le théâtre principal de cette lutte. Le corps de César et celui de Clodius (1) y sont brûlés au pied des rostres. Caton y est traîné par la multitude. Cicéron y est tour à tour applaudi et insulté. Il y prononce 83 ses Philippiques contre Antoine. Celui-ci se venge en faisant placer à la tribune elle-­même la tête coupée du grand orateur.

C'est aussi l'époque où commencent les grandes constructions. Ces ambitieux qui aspirent à la popularité gagnent les bonnes grâ­ces de la multitude en lui construisant des théâtres, des basiliques, des portiques, des forum. Il reste quelques ruines du Théâtre de Pompée, du Théâtre de Marcellus commencé par César, de la Basilique Julia, de la Basilique Aemilia.

L'Empire nous a laissé le Panthéon d'Agrippa, les ruines du Palatin, les aqueducs de Claude, l'Arc de Titus et ses bains, le Colisée, le Forum de Domitien, la Colonne et la Basilique de Trajan. Adrien a marqué son passage par le Temple de Vénus et de Rome, par son Mausolée, par le pont Aelius, devenu le pont St­ Ange.

Nous devons aux Antonins l'Arc de Septime Sévère, la Colonne Antonine, 84 les Thermes de Caracalla. Dioclétien éleva ses thermes, dans les ruines desquelles Michel-Ange a trouvé les éléments d'une des plus belles églises de Rome (1). Parmi les derniers monu­ments de la Rome antique, il reste encore l'Arc de triomphe de Constantin et sa majestueuse basilique. Il me suffit de citer tous ces édifices. Ce qui m'intéresse le plus dans leur ensemble, ce sont les éléments que l'art chrétien va y trouver pour les adapter en les épu­rant, à ses usages et à sa fin surnaturelle.

Pendant trois siècles les chrétiens n'auront pas d'autres sanctuai­res que les petits oratoires des catacombes. Là, ils se contentent d'imiter sur les parois unies, taillées dans le tuf et enduites de ci­ment, les gracieuses peintures de leurs appartements. Mais la mythologie en est bannie. Tout au plus lui emprunte-t-on un Orphée modeste et pieux qui représente le Sauveur. Les sujets qui. sont traités le plus souvent sont de petites scènes qui symbolisent la 85 prédication et les sacrements. Les païens n'en pouvaient pas deviner le sens religieux. Les procédés matériels sont bien les mê­mes que ceux des peintures profanes de Pompéï, du Palatin ou des tombeaux de la voie Latine. Mais ici tout ce qui sentirait la passion ou la vanité a disparu. Les sujets sont modestes, simples. Les attitu­des sont nobles et pieuses. C'est un autre monde, c'est un art nou­veau qui se révèle. Ce sont les commencements de l'art chrétien.

Les cimetières de la voie Nomentane, de la voie Salaria et de la voie Ardéatine ont les plus gracieux petits tableaux du second siè­cle, dans lesquels le génie chrétien naissant a emprunté, en le puri­fiant, le savoir-faire de l'art romain. Les premières figures hiérati­ques et traditionnelles du Christ sont au cimetière Saint-Pontien. C'est le type qui nous est resté.

Cependant avec Constantin, l'art chrétien va faire un pas immense et se rapprocher tout d'un coup de sa forme 86 définitive. Deux types bien déterminés apparaissent: les basiliques à trois nefs avec une abside et les églises octogonales ou rondes avec un pourtour voûté. Les basiliques constantiniennes n'ont pas duré jusqu'à nos jours, du moins dans leur entier. Mais il nous reste un grand nombre de basiliques des siècles suivants construites selon les mêmes données avec quelques variantes et additions. Citons Ste-Marie-Majeure, St Jean-de-Latran, St-Clément, Ste-Marie-au­Transtevere, Ste-Agnès, St-Martin, les Sts-Nérée-et-Achillée, St-Pierre-aux-Liens, Ste-Praxède, Ste-Prudentienne, Ste-Sabine, St-Laurent, Ste-Cécile, Ste-Marie in Ara Coeli, St-Georges, St-Barthélémy, Ste-Marie in Cosmedin.

Les premiers modèles des églises rondes et octogonales sont les Baptistères de Constantin et de Constance. Il y a là les éléments des voûtes et des coupoles. Ce type recevra son plein épanouissement dans Ste-Sophie de Constantinople, St Vital de Ravenne, 87 le Dôme d'Aix-la-Chapelle et les églises similaires.

Mais c'est la basilique qui domina à Rome du Ve au XIIe siècle. Elle recevait peu à peu des adjonctions qui la complétaient et l'adaptaient plus parfaitement aux usages chrétiens, comme les ambons, les chancels, les cryptes des martyrs, parfois les galeries supérieures, les plafonds et surtout les mosaïques, qui préludaient aux fresques et aux peintures des églises modernes.

A certaines périodes l'art prenait un épanouissement plus rapide. Rome se ressentit peu de l'influence byzantine et de l'impulsion donnée aux arts par l'école de Ravenne aux VIe et VIIe siècles. Mais au temps de Charlemagne le Pape Adrien partageait les goûts du grand empereur. On doit à cette époque plusieurs des mosaïques anciennes et probablement celles de Ste-Prudentienne, qui surpassent toutes les autres pour le dessin, la couleur et l'expression. 88

L'art ogival, si fécond dans tout le reste de l'Europe est à peine représenté a Rome. Le XIIIe siècle y a laissé cependant deux cloîtres riches et gracieux à côté des basiliques de St Jean-de-Latran et de St-Paul. L'église de Ste-Marie-sur-Minerve seule est ogivale. Elle est assez harmonieuse, mais n'a ni l'élévation ni la richesse de nos grands édifices gothiques. L'art ogival n'était pas fait pour Rome. La Renaissance règne sans partage au XVe siècle. Elle est d'abord sobre, modeste, délicate, toute imprégnée d'esprit chré­tien, avec quelque mélange de science païenne. Bramante en est le coryphée pour l'architecture, Fra Angelico et Pinturicchio pour la peinture, Ghiberti et Donatello pour la sculpture. Bramante est re­présenté à Rome parle Palais de la Chancellerie, l'église St-Laurent in Damaso et le petit temple de St-Pierre in Montorio. Il imprime à toutes ses œuvres un cachet de grâce sévère et pure. Avec lui l'anti­quité réapparaît purifiée par 89 l'esprit chrétien. Fra Angelico a peint avec sa grâce et sa piété ordinaires la vie de St Etienne et de St Laurent dans la chapelle St-Laurent au Vatican. Pinturicchio est mieux représenté. Il a peint les salles de l'appartement Borgia au Vatican et une chapelle de l'église Ste-Marie-du-Peuple. Il lui échap­pe déjà quelques sujets païens, mais comme le ton général de son œuvre est encore chrétien! La vue de ces peintures élève l'esprit au lieu d'impressionner les sens. Les allégories des sept arts libéraux sont bien dans les traditions du Moyen Age. Les figures des vertus parlent par leur propre expression sans avoir besoin du symbolisme païen. La Renaissance ne pouvait guère aller plus loin sans dépasser la mesure. Raphaël et Michel-Ange en marquent l'apogée et ils ouvrent la voie à la décadence de l'esprit chrétien. Ils ont été séduits par la beauté païenne (1). Peu à peu ils oublient la grande mission apostolique de l'art chrétien, qui ne devrait 90 produire que des œuvres pures, modestes, édifiantes comme celles de Fra Angelico; ils chercheront à parler aux sens; ils remonteront l'histoire de quinze siècles pour redevenir, païens. Les Madones de Raphaël édifient, ses Chambres et Loges plaisent et instruisent, sa Vierge à la Chaise étonne, sa Farnesine, sa Fornarina sont mondaines et païennes. Michel-Ange est encore chrétien à la voûte de la Sixtine: la foi et la contemplation animent les figures de ses personnages. Dans son jugement dernier, j'admire une étude d'anatomie plutôt que l'expression d'une pensée chrétienne. C'est un chef-d'œuvre, je le veux bien; mais pour prier j'aime autant ne pas le voir.

Jules II, Léon X et Paul III ont poussé bien loin le mouvement de la Renaissance païenne. La décoration des appartements du Château Saint-Ange conviendrait bien mieux aux moeurs des empereurs romains qu'a celles des Papes.

Paul III fit effacer trois fresques du 91 Pérugin pour faire place au Jugement dernier de Michel-Ange! (2)

En littérature, Paul III goûtait aussi et favorisait des ultra-renaissants, Erasme et Sadolet.

Cependant ce mouvement païen suscitait de vives contradictions Il y eut un moment de réaction. Savonarole y dépensa toute sa fougue.

L'Arétin lança contre Michel-Ange les plus vives critiques. Paul N songea un moment à faire effacer le jugement dernier de la Sixtine.

La Renaissance survécut, mais elle devint plus sobre et plus mo­deste sous Pie IV, Pie V, Grégoire XIII et Sixte Quint.

C'est ici le lieu de dire ma pensée sur la basilique de St-Pierre. J'ai lu et entendu sur cette église les appréciations les plus contradictoi­res. Beaucoup, surtout les Italiens, y voient le plus beau temple du monde. Ils n'ont d'ailleurs que du mépris pour nos édifices gothi­ques. D'autres, comme mon ami Palustre, tombent Sur 92 St-Pierre à bras raccourcis. Ils font remarquer que l'effet de la coupole est perdu à l'entrée de St-Pierre; que l'intérieur n'a pas d'unité; que les vastes proportions de la basilique ne se font pas valoir et ne s'ap­précient qu'à la longue; qu'il y a peu de correspondance entre l'intérieur et l'extérieur et l'extérieur n'est qu'un placage.

Ils ajoutent que l'art ogival accuse plus de génie et plus de senti­ment,qu'il donne mieux l'idée de l'insondable et de l'infini, qu'il élève davantage la pensée.

Il faut bien admettre que les critiques sont justes et que la compa­raison des styles est à l'avantage du gothique.

Au point de vue purement naturel je donnerai la palme a Athènes. L'art y est si fini, si délicat. Il y a une harmonie, une no­blesse, une pureté de forme si grandes!

Au point de vue surnaturel, je mets l'art ogival au premier rang. Il élève 93 si bien les âmes! Il a tant d'harmonie, de hardiesse, de grandeur! Ses grandes voûtes, ses flèches élancées, les statues de ses portails, les images transparentes de ses vitraux, tout y est inspiré de l'ascétisme chrétien.

L'histoire nous a montré les peuples convertis se formant peu à peu à la vie chrétienne. C'est après plusieurs générations seulement que les habitudes païennes sont bien déracinées et que la vertu chrétienne domine pleinement les âmes. Ainsi en est-il de la Renaissance, elle est comme un païen fraîchement converti et qui a peu de sève chrétienne. Mais l'art ogival est né d'une inspiration toute chrétienne. On le croirait apporte par les anges à la terre.

Toutefois, si je préfère l'art ogival à la Renaissance, je ne veux pas pour cela être injuste pour la basilique de St-Pierre. Elle m'a toujours émerveillé. Quelles voûtes majestueuses! Quelle coupole imposante!

Mais la coupole demanderait une église plus courte. Michel-Ange 94 l'a compris. Pour juger son œuvre, il faut s'avancer de deux travées dans St-Pierre. De là on voit l'Eglise dans toute son ampleur et l'on comprend l'idée sublime de l'architecte. La coupole ne va bien qu'avec la croix grecque. Les Byzantins l'avaient bien compris. Soufflot l'a jugé de même au Panthéon. St-Pierre a dû-être allongé pour les besoins du culte. Ce fut une nécessité désastreuse pour l'art architectural en Italie. Depuis lors c'est par centaines que l'on a bâti, en Italie surtout et plus tard dans tous les pays chrétiens, des églises à coupoles en croix latines. Il est impossible qu'elles aient à l'intérieur l'harmonie et l'unité qu'ont les églises ogivales, les basili­ques primitives ou les églises byzantines.

L'art de la sculpture à St-Pierre est aussi bien peu chrétien. Ces statues des vertus aux tombeaux des Papes sont bien monotones avec leurs attributs païens. La recherche du nu contraste bien avec les pieuses et naïves statues 95 de nos portails gothiques.

En résumé, j'aime la basilique de St-Pierre. Elle est la plus belle église dans son genre; mais j'aime mieux 1'art ogival, 1'art vraiment chrétien, dans ses plus merveilleux chefs-d'œuvre, à Reims, à Paris, à Amiens, à Chartres, à Bourges, à Cologne.

L'époque immédiatement antérieure à Michel-Ange a laissé plu­sieurs églises intéressantes où la sobriété chrétienne domine enco­re, avec de gracieux détails de la première Renaissance. Telles sont les églises de St-Augustin, de Ste-Marie-de-la-Paix et de Ste-Marie­-du-Peuple, toutes les trois de l'architecte Baccio Pontelli.

Ste-Marie-du-Peuple a de gracieux tombeaux du XVe siècle et des vitraux français faits à la demande de Bramante. Mais quelle singu­lière idée a eu Raphaël de peindre dans la chapelle Chigi: Jupiter, Diane et Mercure avec des nudités plus grecques que chrétiennes! L'artiste s'est accommodé sans doute au goût du banquier Chigi, qui 96 payait ces insanités.

L'église de St-Marcel due à Sansovino est sobre et gracieuse.

Jacques de la Porte et Vignole ont la prétention de donner à leurs œuvres le cachet le plus classique. Ils ont élevé le Gesù; St-­Jean-des-Français.

Carlo Maderno est encore assez pur dans St André della Valle et (Ste-Marie del) la Vittoria.

Pierre de Cortona s'achemine vers la décadence avec St-Charles-­au-Corso, Ste-Martine et la façade de Ste-Marie-de-la-Paix.

Puis nous tombons dans le maniérisme, le rococo, les innovations fastueuses, les ornementations maniérées et de mauvais goût,avec Borromini et Bernin (1). De cette époque datent St-André-du-­Quirinal, Ste-Agnès a la place Navonne et le clocher de St-André delle Fratte.

Pauvre XVIIIe siècle! Comme il a peu le sens chrétien! Il est ca­ractérisé dans l'art par Borromini et Bernin (2) en Italie, Boucher, Watteau et Fragonard en France. Là-bas c'est le maniérisme 97 et le mauvais goût; chez nous c'est l'érotisme et la dépravation.

Avec Palustre j'étudiai aussi la sculpture et la peinture modernes à Rome. Pie IX fut vraiment un Mécène. Il rencontra de vrais arti­stes et les encouragea. Tel fut le sculpteur Ténérani, l'illustre émule de Canova et de Thorwaldsen. Il posséda à un haut degré le senti­ment chrétien. Il le devait à son propre génie et à l'étude des pre­miers maîtres toscans. Sans négliger la grace du modelé il a su, comme nos artistes de l'époque ogivale, donner à ses œuvres le ca­chet de ses fortes croyances et le sentiment ascétique. Puisse-t-il fai­re école et ramener l'art contemporain aux traditions de la premiè­re Renaissance! Son chef-d'œuvre est la descente de croix qu'on admire à la chapelle Torlonia à St Jean-de-Latran. Il a donné là le beau type de Jésus qu'il a reproduit au tombeau de Pie VIII à St­-Pierre.

Un autre sculpteur, Giacometti, s'est révélé par deux œuvres 98 magistrales. Son Ecce homo et son Baiiser de Judas à la Scala Santa ont été profondément médites, avant d'être exprimés par le ciseau. Quel contraste entre les deux visages du Sauveur et du traître! D'un côté la douceur et la résignation, de l'autre la bassesse et la dupli­cité.

Malheureusement une autre école qui est plus à la mode et qui dominera recherche le joli et le gracieux, le nouveau et l'effet, le tour de force et le naturalisme. Cette école dont Benzoni paraît le chef a pour elle la vogue et les commandes. Elle peuplera de ses œuvres les salons et les cimetières. Est-ce bien de l'art, n'est-ce pas bien plutôt du métier, ou de l'art industriel?

La peinture aussi a sa phalange de rénovateurs. Mariani a peint l'église de Ste-Marie in Aquiro, avec une grande pureté de dessin, de l'expression et des teintes bien graduées. L'ensemble de ces peintures est la glorification de Marie dans ses mystères et dans l'histoire.

La Visitation est délicieuse de grâce et de piété. Les docteurs de l'Eglise sur les piliers 99 ont une grande majesté et une physionomie inspirée.

Mariani a contribué aussi à la décoration de Ste-Marie-au­-Transtévere.

C'est Gagliardi qui est l'auteur des fresques de St-Augustin. Elles sont d'un travail facile et abondant. Elles ont de la grâce cepen­dant, mais le coloris est faible. Ces peintures tiennent un peu de la miniature. Gagliardi a aussi décoré l'église de St Jérôme­-des-Esclavons où il a peint avec animation et réalisme la scène du Golgotha.

Scacioli(?) a imité le genre de Raphaël à l'église St-Roch. Il s'est aussi inspiré de Dürer. Il est pieux mais il manque d'originalité.

L'église de St-Nicolas in Carcere a de belles fresques de Pascaloni.

Enfin St-Laurent-Hors-les-Murs a été décorée par Fracassini dont quelques fresques sont vraiment magistrales.

Pie IX, malgré les grandes épreuves de son pontificat se plaisait à encourager ces grands travaux destinés à renouveler l'art chrétien.

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Avec Léon Palustre, je revis aussi les musées, les palais, les galeries particulières.

J'éprouve toujours quelque peine à voir dans nos musées cette foule d'images pieuses faites pour des églises ou des sanctuaires privés: par ex. ces délicieuses Madones de Fra Angelico, de Francia, de Pérugin, de Raphaël, de Carlo Dolci, de Carlo Maratta, de Murillo, de Sasso Ferrato (Sassoferrato), de Garofalo. On en peut bien juger au musée le dessin, la perspective, la couleur, le clair-ob­scur, mais pour en apprécier l'expression et le sentiment ne faut-il pas faire abstraction de ce bazar où ils sont classés et numérotés et se représenter l'âme du peintre, sa prière et le sanctuaire auquel il destinait son œuvre?

Que dirai-je des trois chefs-d'œuvre du Vatican: la Transfiguration, la Madone de Foligno, le Communion de Ste Jérôme? Quel groupe sublime que celui du Thabor! Le Sauveur, Elie et Moïse, c'est la triple révélation, la loi, les prophètes et l'Evangile. Pierre, Jacques et Jean, c'est la foi, l'espérance et l'amour. 101 Jésus est tout éthéré, lumineux et rayonnant. Il est plus grand que nature. C'est le roi du ciel et de la terre. Elie et Moïse descendus du ciel peuvent le contempler en face. Les trois apôtres privilégiés, quoiqu'élevés au-dessus des autres par la vie contempla­tive ne peuvent soutenir du regard le rayonnement du Sauveur glo­rifié. En bas plusieurs apôtres regardent curieusement le jeune pos­sédé, d'autres indiquent que là-haut est celui qui peut le guérir.

Mais rien n'égale le naturel et en même temps le sentiment reli­gieux et pur du groupe supérieur.

Qu'elle est belle aussi la Vierge de Foligno. Que sa figure est sain­tement belle! Que son regard est touchant et miséricordieux! En at­tendant que nous voyions Marie face à face, n'est-ce pas une des joies sur la terre d'en voir les plus belles images que l'art et la piété en aient inspirées aux artistes chrétiens?

Dans la Communion de S Jérôme, tout est harmonieux et fini. Le S(ain)t vieillard s'est fait porter à l'église 102 pour recevoir son Dieu que le pontife St Ephrem lui apporte si pieusement (1).

Que citerai-je encore du Vatican? J'aime le martyre de St Erasme du Poussin dans le style vigoureux de Caravage, le Crucifiement de St Pierre du Guide (Reni), traité si largement et si fermement, la vi­sion de St Romuald d'André Sacchi, tableau si religieux et si expres­sif.

Après ses tableaux, le Vatican a ses statues et ses curiosités. Je n'en dirai que deux mots. La statuaire antique a là des spécimens merveilleux: l'Apollon, le Laocoon, le Persée, le Torse du Belvédère. C'est le beau naturel dans toute sa splendeur. J'y vois ou­tre l'élégance des formes et la force de la musculature, une vie, une attitude noble, fière, inspirée comme dans Apollon. C'est le pagani­sme dans ce qu'il a de plus beau et de plus pur. Il y manque le baptême. Une belle Vierge gothique du XIVe siècle parle davantage à mon âme.

Les curiosités étrusques m'ont vivement 103 intéressé. J'ai souvent été frappé par cette pensée que l'art a ses débuts a une forme unique. Les plus vieux monuments de l'Egypte, de l'Etrurie, de la Grèce, de la Palestine et de l'Inde nous montrent des formes très ressemblantes dans leurs pieds-droits, leurs linteaux, leurs corni­ches et leurs colonnes primitives. Que l'on compare les tombeaux égyptiens de Beni-Hassan, les monuments de l'Etrurie, les ruines de Mycène, d'Argos et de Tyrinthe et les tombeaux des rois à Jérusalem et on arrivera à cette conclusion. L'art vient d'une source commune et il s'est diversifié sous l'influence des climats, des races, et de mille circonstances qui nous ont donné un nombre de styles; et d' écoles assez variés.

Au Capitole, je trouve que la statue de Marc-Aurèle est trop ho­norée. Mais Paul III qui la mit là avait un faible pour l'antiquité païenne. C'était un ultra-renaissant. Le Capitole est devenu le panthéon de 104 Rome. Il réunit les statues et les bustes de toutes les célébrités anciennes et modernes, soit! Il offre des curio­sités, mais peu d'objets d'édification. On y voit avec intérêt les ta­bles des fastes consulaires, l'antique Louve de bronze, décrite par Cicéron, les bustes des empereurs et des philosophes, la célèbre Vénus, le Gladiateur gaulois, la belle mosaïque des Colombes sem­blable à celle que Pline a décrite. Je reverrais plus volontiers la Madone de la chapelle peinte par Pinturicchio. C'est une de ces Vierges appelées Maestà image de la Reine du ciel et de son divin Fils devant lesquelles les magistrats des républiques et des cités prê­taient le serment et offraient l'hommage-lige. C'est un témoignage vivant du règne social de Jésus-Christ.

Rome a autant de musées que de palais princiers. J'ai visité les pa­lais Borghese, Colonna, Corsini, Doria, Barberini, et d'autres enco­re. Ces grands de Rome étaient autant de rois par la richesse et la munificence. 105 Plusieurs de ces palais sont aujourd'hui ruinés et plusieurs galeries ont été vendues. Ces musées privés ont aussi de bons tableaux religieux et des meilleurs maîtres, à côté de choses profanes et légères comme la Fornarina et la Cenci de Raphaël, l'Amour du Titien, etc. etc. J'ai remarqué leur richesse en œuvres françaises. Poussin et Claude Lorrain sont là comme chez eux. Toute la mythologie est représentée au palais Farnèse par les pin­ceaux féconds des Carrache et du Dominiquin. Qu'est-ce que tout cet olympe impudique et incestueux avait à faire au palais de Paul III? Dans quelle illusion était tombée la Renaissance! A la Farnésine, où le banquier Chigi invitait Léon X et les cardinaux, tous les honneurs de la décoration sont pour Psychè, Vénus et Galathée. Raphaël eût pu mieux employer son talent. Et Jean d'Udine eût bien fait de laisser dans son pinceau ses fantaisies licen­cieuses.

C'est le Cardinal Scipion Borghèse 106 qui a fait peindre la belle Aurore du Guide (Reni) au palais Rospigliosi. La Renaissance avait tourné toutes les têtes. Il y a trois cents ans que nous en souf­frons et ce n'est pas fini. La Renaissance a plus d'un lien avec le protestantisme, le philosophisme, la Révolution, le naturalisme con­temporain et même la franc-maçonnerie.

Les Français, hélas! avaient quitté leur poste d'honneur de gar­diens et défenseurs du St-Siège au mois de novembre 1866. Le St­-Père avait dû développer sa petite armée. Les zouaves s'étaient mul­tipliés. Des jeunes gens pleins de foi et d'ardeur étaient venus de la Flandre, de la Vendée, du Poitou, de la Bretagne, de la Belgique, de la Hollande, du Canada. Quelques-uns dans le nombre étaient dé­fectueux, mais la plupart étaient excellents. Beaucoup même repré­sentaient l'élite de l'humanité. Jeunes et beaux, ils apportaient au service de l'Église un nom honoré, un cœur pur et ardent, des tra­ditions de vertu, de 107 noblesse, de piété. Ils me rappelaient les Macchabées. Leur souvenir m'est resté comme un des meilleurs de ma vie, comme un des plus propres à élever mon âme et à l'enno­blir.

Quelques-uns venaient nous voir au parloir ou se promener avec nous. Palustre m'avait fait faire la connaissance de Mirabel et de Goutepagnon. Je voyais aussi Lallemant et l'excellent capitaine Wiart, devenu trappiste et abbé général de la Trappe. Le pieux Wibaut, dont la biographie est si édifiante était aussi en rapport avec nous. - Que la jeunesse française serait belle si l'éducation chrétienne pouvait lui être dispensée librement dans notre pauvre patrie livrée aux francs-maçons!

Plusieurs de nous avaient pris quelque part aux œuvres de Paris: patronages et conférences de St-Vincent-de-Paul. Il nous en coûtait de ne plus rien faire pour les enfants et les pauvres. Nous avons or­ganisé une petite œuvre de catéchisme. 108 On me fit président. Nous nous réunissions toutes les semaines pour causer un peu de piété et chaque jour à la récréation nous faisions réciter le caté­chisme à quelques enfants pauvres qui nous étaient envoyés par le curé de la Minerve. Il y eut plus tard des concours,des fêtes, des ré­compenses pour ces enfants.

La petite association fut mise sous le patronage de Ste Catherine de Sienne, une des patronnes de Rome. Elle dure encore. Elle est restée comme un exercice de zèle pour les chers élèves de Sta Chiara. Nous disions chaque jour une petite prière pour le Pape et pour la petite association. Je la dis encore fidèlement. - Les pre­miers associés furent nos excellents condisciples, Perreau, Dugas, de Bretennières, Gilbert, Le Tallec, Guilhen et Bernard.

Pie IX avait convoqué tous les évêques du monde pour fêter le 18e centenaire des Sts Apôtres Pierre et Paul. Je n'ai pas vu dans ma vie de cérémonie plus imposante. 109 512 évêques répondi­rent à l'appel de Pie IX, parmi lesquels un certain nombre d'Orientaux. 20.000 prêtres et 150.000 fidèles firent à cette occa­sion leur pèlerinage au tombeau des Apôtres.

C'était comme un essai du Concile. Pie IX en voyant cette facilité qu'avaient les évêques d'aller à Rome annonça son intention de convoquer prochainement un Concile général.

C'était bien touchant de voir 500 évêques qui venaient rendre compte au successeur de Pierre de l'état de leurs églises. Ils ve­naient honorer le tombeau des Apôtres et y puiser un nouveau zèle et de nouvelles grâces.

A la Fête-Dieu qui précéda le centenaire, quelle majestueuse pro­cession se déroula sur la place St Pierre! Trois cents évêques étaient déjà là précédant le Très Saint-Sacrement. Au 29 juin et au 30 juin, quel beau cortège avait Pie IX dans les basiliques de St-Pierre et de St-Paul! Au 30 juin, fêtes de la canonisation de Ste Germaine Cousin, de St Paul de la Croix, de St Léonard de Port-Maurice, des Martyrs de Gorkum, de St Pierre d'Arban, de St Josaphat, de Ste Marie Françoise des Cinq Plaies. Pie IX était à l'apogée de sa popu­larité. Notre Seigneur permettait 110 ces triomphes du Pontife pour affermir la foi de l'Église avant les épreuves qui devaient l'humilier.

Des dons généreux étaient apportés par les évêques. Pie IX avait besoin de ressources pour entretenir sa petite armée. Les évêques de France lui offrirent quelques millions. Mgr Manning, Mgr Deschamps, Mgr l'archevêque de Posen lui donnèrent chacun 500.000 francs. Mgr l'archevêque de Mexico en donna 300.000. Tous les diocèses avaient fait une abondante collecte. La Providence pourvoyait aux besoins du St-Siège.

Le 7 juillet eut lieu la béatification des Martyrs japonais. L'Église glorifiait les missionnaires et les fidèles martyrisés au Japon en 1617. Il n'y eut peut-être jamais plus de pompe donnée aux canonisations des Saints. La basilique de St-Pierre était toute resplendissante de lumière. J'ai gardé de ces fêtes le plus édifiant et le plus touchant souvenir.

La fin de l'année scolaire était arrivée. J'avais pris part aux con­cours. 111 J'obtins le second prix de théologie dogmatique pour le cours du matin, une mention honorable pour le cours de l'après-midi, le ler accessit d'hébreu, le ler prix de théologie morale, une mention honorable d'histoire ecclésiastique et le ler accessit pour les cas de conscience. Nous étions environ 200 concurrents. N.-S. avait bien voulu bénir mon travail (1).

Je voulus cette fois revenir par mer. Je m'embarquai à Civitavecchia (Civitavecchia) pour Marseille. Mal m'en prit. Il fit tempête. Le paquebot n'arrivant pas a doubler le cap Corse nous fit perdre vingt-quatre heures à Bastia. J'en profitai pour descendre à terre et visiter 1'ancienne capitale de la Corse, la vieille bastille génoise. Sa cathédrale de St-Jean-Baptiste a quelques beaux mausolées anciens, mais ce que la ville a de plus intéressant, c'est sa belle promenade du Nord au bord de la mer et les points de vue dont on jouit sur ses hauteurs. La statue de Napoléon est là sur la 112 promenade pour rappeler à tous ceux qui arrivent en Corse qu'il est la gloire de l'île.

J'avais payé mon tribut au mal de mer avant Bastia. La seconde partie de la route fut une délicieuse promenade. Nous passâmes en vue des îles d'Hyères et de l'anse de Toulon. Ces côtes sont si gra­cieuses.

C'est de la mer qu'il faut voir Marseille. Elle offre un splendide panorama. Le château d'If, sa forteresse avancée se baigne dans les ondes. La ville s'étage comme une fourmilière autour de son vieux port. Elle est semée de clochers. Une forêt de mâts remplit les bas­sins. Le sanctuaire de Marie garde le tout sous sa protection mater­nelle.

Mes vacances ont été ce qu'avaient été les précédentes: un pieux repos à La Capelle: promenades, lectures, réunions de famille, au­cun incident bien saillant. Je cherchais à prêcher par l'exemple, la modestie et la piété. Je reprenais des forces pour une nouvelle année de travail. - Je visitai l'exposition au mois d'août à Paris. La peinture surtout m'arrêta. Je constatai de l'habilité, du réalisme, mais bien peu de sentiments élevés ou chrétiens.

Rome - 3e année scolaire: 1867-1868

113

Cependant le plan des sectes s'exécutait en Italie. Garibaldi avait organisé une petite armée que le gouvernement favorisait en se­cret. Le Condottiere s'avançait sur Rome. Les petites garnisons pontificales firent des prodiges de valeur et arrêtèrent quelque tem­ps l'ennemi. On se battit à Acquapendente, à Bagnorea (1). A Montelibretti 80 zouaves luttèrent contre 1.200 garibaldiens. C'est là que le brave et pieux capitaine Guillemin fut tué. A Monterotondo, le 26 octobre, les garibaldiens fuyaient lâchement devant les zouaves dix fois moins nombreux.

Mais le 29 octobre une armée française débarquait à Civitavecchia. Il était temps.

Le 3 novembre les bandes de Garibaldi qui grossissaient toujours s'avançaient sur Mentana. Elles comptaient 12.000 hommes. 114 Un corps d'armée italien les suivait sous les ordres du général Cialdini. Le général Kanzler s'avança au devant des bandes de chemises rouges avec 3.000 pontificaux et 2.000 Français. Les garibaldiens fu­rent complètement défaits à Mentana. C'était la fin de la campa­gne.

Malheureusement un grand nombre de nos braves croisés avaient été blessés.

Toutes ces nouvelles m'arrivaient au moment où je me préparais à partir pour Rome. Mes parents étaient dans le plus grand émoi. Cependant des lettres rassurantes m'arrivaient de Rome. On m'écrivait du Séminaire: «Nous rentrons, les troupes françaises nous garantissent la tranquillité».

Ce n'était pas tout. Il y avait le choléra à Marseille et à Paris. Il ne fallait pas retourner par mer sous peine de faire quarantaine à Civita(vecchia). Je m'en allai par le Mont-Cenis, Turin, Gênes et la côte. J'en fus quitte à la frontière romaine pour 115 quelques fu­migations.

Je n'oublierai de ma vie les émotions de cet hiver à Rome.

La croisade de Mentana avait fait des centaines de blessés. Les hô­pitaux en étaient remplis. Pie IX alla les visiter plusieurs fois. Nous allions voir ceux que nous connaissions. On apprenait chaque jour que l'un ou l'autre allait augmenter le nombre des morts. C'étaient autant de martyrs et de confesseurs de la foi. La plupart sur leur lit de souffrances étaient si édifiants! Ils n'étaient pas seulement rési­gnés, mais fiers de leurs blessures.

Nous fîmes au séminaire un office funèbre pour le capitaine Guillemin. La chapelle était tendue de noir et de blanc. C'était un triomphe plutôt qu'un deuil. Guillemin était mort en héros et en martyr. Le service eut lieu seulement en mai 1868, avant qu'on em­portât le corps de Guillemin en France. Mgr de Mérode officiait, as­sisté de Mgr Bastide. En priant pour lui nous lui demandions aussi de prier pour nous.

Nos cours avaient repris leur marche régulière. C'étaient les mêmes maîtres que l'année précédente. Les cours de 116 théologie ne me coûtaient plus de peine, j'étais familiarisé avec la méthode romaine. Je pus tourner davantage mon attention vers les cours ac­cessoires et en comprendre mieux la portée.

Comme le P. Patrizi traitait supérieurement l'Écriture sainte! Ses cours alternaient: une fois il enseignait la théorie de interpretatione Bibliorum; une autre fois il appliquait les principes et faisait l'exégè­se d'un livre ou d'un texte.

Ailleurs, dans les séminaires, on se contente souvent de donner quelques notions sur l'Écriture sainte et ses diverses parties. C'est un tableau synoptique ou un catéchisme d'Écriture sainte.

Mais il n'en va pas ainsi à Rome. Le cours d'Écriture sainte y est établi de manière à mettre les élèves a même de faire eux-mêmes de l'exégèse.

Le cours théorique nous donnait toutes les règles de l'interpréta­tion littérale et spirituelle.

Pour l'inspiration littérale, par ex., 117 le P Patrizi nous indi­quait les règles éloignées et les règles prochaines. Parmi celles-là: la disposition de l'esprit, la doctrine catholique, l'autorité de l'Église et des Pères, la connaissance des langues, la connaissance des scien­ces et des arts libéraux. Et cela nous montre quelle préparation et quelle connaissance devrait avoir celui qui veut aborder l'étude scientifique de l'Écriture sainte.

Parmi les règles prochaines, il nous citait: la lecture de la Bible entière, la connaissance de l'écrivain et du sujet, l'inspection du contexte, la comparaison des textes, la connaissance des figures de rhétorique et de grammaire, la comparaison de la Bible avec ses tra­ductions, la comparaison des manuscrits et des diverses leçons, le style de l'écrivain.

Dans le cours pratique le professeur nous faisait l'application de ces règles. Une année il prenait un livre en particulier; par ex. l'évangile de St Jean ou de St Marc, ou les psaumes, et il en suivait l'interprétation pas à pas autant que le temps le permettait 118 . Une autre année il prenait un texte dogmatique important et con­troversé, comme la prophétie de l'Immaculée Conception dans la Genèse ou les prophéties messianiques de Zacharie et de Malachie et il poussait à fond cette discussion avec une érudition profonde et une connaissance étonnante des livres des Juifs eux-mêmes.

Une étude si élevée et si pleine est une grande jouissance pour l'esprit.

Le droit canon

C'est le P. Tarquini qui enseignait le droit canon. Au Collège Romain on ne traitait que des Institutes. On laissait l'étude des tex­tes aux facultés canoniques de St-Apollinaire ou de la Sapience.

Le P. Tarquini a fait imprimer son manuel en 1868.

L'étude du droit canon n'est pas, comme on le pense en France, une étude de pure archéologie. C'est l'étude de l'organisation de l'Eglise, de sa vie, de son action sociale.

La théologie nous montre l'Eglise instituée par son divin Fondateur sous la forme d'une société parfaite, 119 revêtue d'un pouvoir législatif et coercitif. Cette thèse est le fondement doctrinal du droit canon, qui nous montre l'organisation sociale dans son fonctionnement pratique et dans ses lois. Là où le droit canon est négligé, comme en France, la vie sociale de l'Eglise diminue et l'athéisme social prend le dessus.

Le P Tarquini nous montrait dans le Syllabus une foule d'erreurs qui étaient commodes corollaires de l'abandon du droit canon en France. Le droit canon est le code des lois de la royauté sociale du Christ dans la société.

Le professeur s'étendit particulièrement cette année sur les concordats. Il nous les montra comme des concessions accordées par l'Eglise, reine et mère des nations à ses fils et sujets égarés, pour lesquels elle suspend l'exercice de quelques-uns de ses droits en s'accommodant aux convenances des temps et des lieux. Il tendait à les regarder comme des chartes révocables à la volonté du 120 Souverain Pontife. Mais cette thèse était combattue aux cours de l'Apollinaire par le chanoine De Angelis, qui reconnaissait aux concordats le caractère de traités proprement dits.

De nos concordats modernes on a pu dire, hélas! qu'ils portent dans leur histoire celle des douleurs de l'Eglise. Ils ont été consentis par 1`Eglise ad duritiam cordis, et nous en mourons.

Quelques tentatives sont faites en France pour faire renaître l'or­ganisation canonique. Des journaux et une académie de St-Raymond de Pennafort (Penafort) ont été fondés. J'ai été sollicité à plusieurs reprises d'y prêter mon concours, mais le temps me manque.

Le concile provincial tenu au Puy en 1873 prescrivait le rétablissement des concours et des officialités, mais ses prescriptions furent bien imparfaitement accomplies.

Le P. Sanguinetti enseignait l'histoire. On nous mettait en main le manuel latin de Wouters, professeur de Louvain, mais le professeur traitait lui-même 121 des sources de l'histoire et de la méthode historique, puis il abordait chaque année quelques points spéciaux de l'histoire, parfois tirés des circonstances. Ainsi en 1867 il développa une thèse magnifique de logique et d'érudition sur le séjour et l'apostolat de St Pierre à Rome.

L'histoire de l'Église c'est l'histoire du règne de Jésus-Christ. Elle nous montre le développement du dogme et les progrès de l'apostolat.

L'Ancien Testament n'est-ce pas le Christ annoncé, attendu, fi­guré, préparé?

Le Nouveau Testament, n'est-ce pas le Christ incarné, vivant, souffrant et mourant pour nous; le Christ ressuscité et continué par l'Église, le Christ se survivant par l'Eucharistie et agissant par l'Esprit Saint; le Christ prêché par les apôtres et attesté par les martyrs; le Christ conquérant Rome et l'empire, victorieux des hérésies, régnant sur les nations, luttant contre l'Islam,souffrant des déchirements 122 du protestantisme et de la trahison du rationalisme et portant toujours plus loin, jusqu'aux extrémités de la terre la lumière de sa doctrine et la sainteté de sa grâce!

En deux mots, l'histoire de l'Église c'est l'histoire du dogme et l'histoire de l'apostolat.

Le dogme qui est tout entier en germe dans la révélation évangé­lique se développe et se manifeste successivement par l'enseigne­ment du St-Siège et des docteurs et les définitions des Conciles. Les hérésies ne sont qu'une occasion de ces progrès.

A Nicée, c'est la divinité du Christ qui est acclamée; à Constantinople c'est la consubstantialité du St-Esprit avec le Père et le Fils; à Ephèse, c'est la dignité de la Vierge Marie, Mère de Dieu.

A Chalcédoine et aux second et troisième conciles de Constantinople, c'est la doctrine de l'Église sur le Christ qui se complète: il a deux natures, une seule personne, deux volontés.

C'est ensuite l'honneur dû aux saintes images qui est revendiqué au IIe concile 123 de Nicée; l'autorité du Siège de Rome sur les patriarcats d'Orient au IVe concile de Constantinople; la distinc­tion des pouvoirs ecclésiastique et civil au 1er concile de Latran.

Les IIe et IIIe conciles de Latran règlent la discipline du clergé et l'élection des Papes. Le IVe de Latran convoque la croisade et con­damne les deux principes manichéens.

A Lyon, à Vienne, à Florence, on traite du droit canon et des ju­gements ecclésiastiques, des Templiers et des faux mystiques, de la réunion des Grecs, des Arméniens et des Jacobites.

Au Ve concile de Latran les erreurs sur l'âme et la hiérarchie ec­clésiastique sont rejetées.

Le protestantisme provoque un développement considérable de la théologie sacramentaire au concile de Trente, en même temps qu'une nouvelle mise en lumière des sources de la foi, l'Ecriture et la Tradition et une vaste réforme de la législation et des moeurs.

Le concile du Vatican avait 124 pour mission de définir le règne social du Christ. Il n'a pu qu'en poser le principe, l'autorité doctrinale du Vicaire de Jésus-Christ. Le reste se fera avec ou sans le concile. Léon XIII a commencé et dans chacune de ses encycliques il a posé quelques pierres a cet édifice dont nous espérons la réali­sation assez prochaine, malgré tous les motifs de désespérances que peuvent suggérer les tristesses contemporaines.

On le voit. Les fondements du dogme ont été posés les premiers, puis en même temps que le dogme se développait par l'œuvre des conciles, la morale s'affermissait, le droit canon s'organisait et l'ascétisme lui-même recevait sa véritable direction.

Au progrès des doctrines, il faut joindre l'histoire de l'apostolat, ses développements, ses conquêtes. Il faut signaler les luttes de l'Eglise, ses épreuves, ses victoires. Il faut montrer l'action de l'Esprit-Saint se manifestant par la civilisation chrétienne, par les lettres et les arts et surtout par 125 l'épanouissement de la sain­teté héroïque dans les âmes sous toutes ses formes et à toutes les époques.

Le partage de l'histoire a bien son importance. Le cours doit se diviser en quelques grandes époques théologiques, dont l'issue sera quelque grand événement doctrinal, comme la Réforme et le conci­le de Trente; quelque mouvement d'ensemble de la chrétienté comme les Croisades, quelque événement décisif, comme la conver­sion de Constantin ou le couronnement de Charlemagne.

Un mot encore des écoles historiques. Défions-nous de l'école libérale, de M. de Broglie, du Correspondant, et de ceux qui s'en inspirent. Ils ne font pas assez de place au surnaturel et à l'action de l'Esprit-Saint dans les âmes et dans les sociétés.

Darras est bien écrit, ses récits sont attrayants, mais il manque de philosophie. Le lien théologique des événements lui échappe sou­vent. C'est une compilation.

Rohrbacher lui est bien supérieur 126 pour la hauteur des vues et l'intelligence du plan divin.

Parmi les auteurs élémentaires, Hurter et Alzog ont les vues les plus élevées. Le premier en théologie, le second en histoire et en patrologie demeurent les maîtres les plus autorisés de nos cours élé­mentaires.

Bossuet est merveilleux pour la philosophie de l'histoire. Il mon­tre dans une synthèse Supérieure l'action divine dans l'histoire. Mais il ne fait pas assez ressortir le Christ. Il ne montre pas assez le Christ dominant toute l'histoire, la rédemption se préparant et s'élaborant, et la vie surnaturelle respirant dans tout ce qu'il y a de bien même chez les païens, travaillant dans les veines,dans le sang et au cœur de l'humanité même à son insu, et s'épanouissant dans la sainteté de l'Eglise.

Bossuet, si grand que fut son génie, n'a-t-il pas un peu subi l'influence de son temps? N'était-il pas un peu trop 127 classique et renaissant, un peu trop grec et romain pour garder sa pleine liberté d'esprit et de vues? Je n'exprime cependant ces idées qu'avec réser­ve.

Mon père avait voulu retarder indéfiniment mon engagement dé­cisif. Pour lui faire plaisir j'avais retardé de quelques mois. Le P Freyd pensa qu'il fallait trancher le noeud gordien. Il me fit avan­cer au mois de décembre.

J'avais bonne volonté. Je retrouve mes dispositions consignées dans mes notes des 13, 14 et 15 décembre. - «Négliger l'avenir: me sanctifier présentement par la fidélité à mon règlement et en de­mandant a Dieu instamment les dons de prudence et de sagesse. Fécondité du Chemin de la Croix et de l'amour de Jésus». - «Tendre à la perfection par l'amour de Dieu et spécialement de la sainte hu­manité de Jésus. Le silence est le moyen le plus fécond de la perfec­tion. La langue est comme un cheval indompté qu'il faut brider par la raison, la prudence et le silence». - La sainteté 128 consiste dans l'union avec Dieu et la conformité à sa volonté. Dans l'avenir, Dieu fera de moi ce qu'il voudra. Puisse je ne rechercher que la po­sition la plus humble et la moins enviée. Pour le présent, Dieu de­mande manifestement de moi que je sois un étudiant parfait. Imiter mes modèles, St Louis de Gonzague et St Jean Berchmans en particulier. Régler mon travail par la prudence, le modérer par la tempérance, l'animer par la force, le diriger par la foi et la charité.

Du 16 au 21 je fis ma retraite. Je suivais les sujets ordinaires, mais j'y trouvais des lumières pour mes besoins actuels. - «La sainte hu­manité de Jésus, écrivais-je, sanctifiée par l'union hypostatique et par l'infusion des dons les plus excellents est le modèle de notre sainteté et de notre union avec Dieu. L'oblation de lui-même et son intercession constante dès le sein de sa mère est le modèle de notre intercession par l'office pour toute l'Eglise». - «Jésus est notre modèle dans l'oraison. 129 Il intercède pour nous pendant toute sa vie, avec humilité et sacrifice, et il interpelle encore pour nous à la droite de son Père et dans la Sainte Eucharistie. Marie et Joseph nous enseignent à prier en union avec le Cœur de Jésus».

Pour mes résolutions, j'écrivais: «Me défier du démon qui sous l'apparence du bien me fait divaguer dans l'oraison en pensant a mon ministère futur ou à la vocation à un état plus parfait. Tendre seulement à la perfection de mon état actuel. - Pour les défauts de caractère, les vaincre en affrontant franchement les difficultés et ne pas croire les avoir vaincus en fuyant les occasions. - Pax! Pax! Avant tout, conserver la paix du Cœur».

N.-S. me conduisait peu à peu à l'union avec son divin Cœur, me préparant ainsi à la vocation qu'il voulait me donner plus tard. C'étaient les dispositions de la fin de ma retraite. J'écrivais: «Jésus in quo plenitudo gratiae substantialiter inhabitat». Jésus a en lui toutes les grâces, et pour lui-même et pour nous les communiquer. 130 Il est pour nous le modèle et la source de toute vertu et spécialement de toute pureté d'intention. Il ne cherche que la gloire de son Père. Tenons-nous près de son Cœur pour acquérir cette pureté». - «Jesu, zelator animarum». Son zèle pour les âmes, pour mon âme est gratuit: Prior dilexit nos (1 Jo 4,10). Nous ne lui avons rien donné et nous ne pouvions rien lui donner. Cum inimici essemus, Deus misit Filium suum unigenitum (1). Son zèle est généreux. Il ne se découra­ge pas de nos rebuts, de nos abandons, de nos misères. Ecce a ostium pulso, aperi mihi, soror mea, amica mea (2). Son zèle est magnifi­que. Comme la moindre souffrance suffisait, il a voulu être abreuvé de douleurs jusqu'à la mort de la croix. Rendons lui amour pour amour et que notre zèle pour les âmes soit gratuit, généreux, ma­gnifique. Que Jésus devienne le frère de notre âme, qu' elle soit toute à lui et n'aime rien que pour lui et en lui. - Ecce homo (Jo 19,5). Considérons Jésus épuisé 131 de souffrances et réparant par le sacrifice de tout lui-même les souillures de toutes nos fautes. Consummatum est (Jo 19,30). Toutes les ressources de l'amour sont épuisées. Il entr'ouvre une dernière fois les yeux pour nous deman­der: t'ai-je assez aimé? Cherchons dans son Cœur une leçon d'amour et de sacrifice. - Jésus au tombeau nous invite à mourir avec lui et à devenir des hommes nouveaux. Retirons-nous dans son Cœur comme dans un sépulcre neuf pour mourir aux honneurs, aux richesses et aux plaisirs. - Le Cœur de Jésus est une source de délices, un jardin fermé, une cité de refuge, une porte de salut, une forteresse imprenable. Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei (Ps 86,3).

Le grand jour était venu. Le 21 décembre 1867 a été un des plus beaux et des meilleurs de ma vie. Je me donnais à N.-S. pour toujours par les engagements du sous-diaconat. Je décrivais mon état d'âme par ces mots: «Jour de bonheur et de joie pure. Commencement d'une vraie liberté. Servir Dieu, c'est régner». 132

N.-S. me donna la grâce de goûter et d'aimer le bréviaire avec une sainte passion. Je lui donnais le meilleur de mon temps et je le disais à genoux. Mes études n'en souffraient pas. Prier au nom de l'Eglise, prier avec Jésus pour toutes les âmes qui lui sont chères, c'est une si belle mission!

Cette union avec Jésus dans la prière était souvent l'objet de mes résolutions et j'avais la grâce d'y manquer rarement. Je la trouve rappelée dans mes notes. - «Union constante avec Jésus. Dire nos prières avec la pensée que Jésus les répète à mesure à son Père céle­ste». - «Unissons-nous aux prières de Jésus au temple. Ne soyons pas froids et distraits dans les audiences que Jésus ou la Sainte-Trinité veut bien nous donner. Nous avons à le louer, à l'adorer, à lui ren­dre grâces pour tant de bienfaits naturels et surnaturels accordés par lui au monde et à nous en particulier, et nous avons tant de grâ­ces à demander!» - «Unissons-nous à la prière de Jésus au jardin des Olives. Il pria pour nous obtenir toutes les 133 grâces dont il nous comble, tant extérieures qu'intérieures. Il pleurait à la pensée de nos innombrables péchés, de nos résistances à sa grâce et de la gloire dont nous nous privions. Prions avec lui».

Cette année a été vraiment une des meilleures de ma vie. Il me semble que N.-S. m'y a fait faire mon noviciat de vie religieuse et qu'il en a été lui-même le maître. Je crois en comprendre aujourd'hui le motif. A cette même époque commençait en Alsace cette chère communauté qui devait nous être si unie et qui devait exercer vis-à-vis de nous un rôle tout maternel. Nos premières Mères avaient pris le voile le 21 novembre 1867. Elles faisaient leur noviciat, elles aussi. N.-S. se plaisait sans doute, dans sa bonté, à pré­parer en même temps les deux Œuvres. Les lumières qu'il me don­nait dans toutes mes oraisons de cette année-là étaient si conformes à notre vocation de Prêtres-oblats du Cœur de Jésus, que mes notes mêmes pourraient servir de thème à un Directoire spirituel de l'Œuvre. Comme je devrais être reconnaissant à 134 N.-S. en ap­préciant mieux aujourd'hui la bonté qu'il me témoignait alors! Il me conduisit peu à peu à l'union habituelle avec son divin Cœur. Je retrouve toute cette action de la grâce signalée dans mes notes.

22 janv. «Dieu a élevé notre nature à une dignité sublime en l'unissant à Lui. Rendons-la digne de cet honneur. La grâce qui nous unit à Dieu est le sceau de notre adoption, veillons-y et tenon­s-nous sous son influence pour augmenter toujours cette intime re­lation avec Dieu. L'union avec N.-S. dans l'Eucharistie nous rend semblables à Lui en mettant notre âme et toutes nos facultés et puissances sous la direction et l'influence du même esprit qui sanc­tifiait son humanité».

15 fév. «Pour vivre en Dieu sans interruption, nous tenir aux trois principes de l'union avec Lui, à savoir: à sa présence, à la confor­mité à sa volonté, et à 1 `abandon entier à sa grâce qui est notre seule force».

18 fév. «La grâce de Dieu ne porte pas 135 de fruits quand elle trouve nos cœurs endurcis par la négligence ou distraits par les inutilités du monde ou de la curiosité. Veillons fermement à nous tenir en union avec Dieu et pratiquons la pauvreté d'esprit et 1'obéissance en écartant toute pensée et préoccupation inutile».

19 fév. «Écartons les obstacles à la grâce de Dieu et elle remplira notre cœur comme un torrent. Ces obstacles sont la distraction, l'inquiétude, la volonté propre, l'affection naturelle. Quittons de suite les pensées et les recherches curieuses qui nous éloignent de la paix du cœur et de la présence de Dieu. Mieux vaudrait noter les difficultés pour en demander l'éclaircissement à l'occasion, que de s'en troubler et s'en préoccuper. Défions-nous toujours de la fai­blesse de notre raison et de notre intelligence».

31 mars . «Veni et vive in famulis tuis, in spiritu sanctitatis tuae». Dieu seul peut et doit remplir notre cœur. Il est infiniment aima­ble. N'aimons les créatures qu'en lui et pour lui. Que notre fin soit toujours sa gloire, notre lumière son Esprit qui nous parle dans la paix de l'âme, et notre 136 méditation ses perfections et sa loi» .

19 mars. «Nous sommes devant Dieu, les anges et les saints, avec un bandeau sur les yeux, parce que nous ne percevons pas directe­ment ce qui ne tombe pas sous nos sens. N'oublions pas que nous avons ce bandeau qui nous sera arraché à la mort, et n'agissons pas comme si rien n'existait que ce que nous voyons. Toutes nos affec­tions et nos actions sont écrites dans le livre de vie: nous les écri­vons nous-mêmes: que ce soit avec les lettres d'or de 1'amour de Dieu et que les pages qui nous sont laissées soient bien remplies».

23 mai. «Travaillons à l'habitude de diriger nos actes par la raison éclairée par la foi. L'imagination tend à entraîner la raison. Elle doit être un instrument pour mieux connaître la vérité et non pour les fictions qui peuvent exciter momentanément au bien, mais ne laissent pas de vertus solides. Les passions tendent aussi à aveugler l'intelligence et a voiler à l'âme le bien véritable et ordonné, pour la porter au bien désordonné de ses appétits inférieurs et brutaux». 137 ler mai. «Vivons de la vie intérieure avec N.-S. et Marie, qui reflétait en son âme les vertus de son divin Fils. Le lieu de cette vie est l'immensité de Dieu, sa lumière, le grand jour du soleil de justi­ce, lumière que nous ne recevons encore que par le miroir de la foi. Les témoins en sont Dieu et ses anges. L'aliment en est l'Esprit Saint par ses dons, ses grâces et ses vertus».

10 mai. «Vado ad Patrem meum (1). N.-S. pendant toute sa vie allait vers son Père: par ses pensées et ses louanges intimes, ego te clarificavi (Jo 17,4) par ses paroles, verba quae dedisti mihi, dedi eis (Jo 17,8); par ses actions, opus consummavi quod dedisti mihi ut faciam (Jo 17,4). Que notre esprit soit toujours rempli de Dieu pour ne pas laisser place à la distraction et à l'amour-propre.

Que nos paroles soient réglées, édifiantes, humbles et charitables. Que nos actions soient réglées par la prudence et produisent notre sanctification et celle des autres autant que Dieu le demande de nous par les relations que sa Providence nous donne. Réglons au­tant que possible nos actions dans l'examen 138 particulier ou dans un court examen de prévoyance, pour que notre esprit soit bien libre pendant, le reste du jour».

2 janv «Union constante avec Jésus. Disons nos prières avec Jésus. Disons nos prières avec la pensée que Jésus les répète à mesure à son Père céleste».

4 janv. «Sobrie et juste et pie vivamus in hoc saeculo. Semper gaudete quia copiosa est merces vestra in coelo (1). Que votre joie soit sobre et douce et telle que N.-S. puisse l'offrir à son Père, car il offre sans cesse à son Père les œuvres des justes en union avec les siennes».

11 janv. «Nous disposer aux dons de prudence et de conseil en prévoyant et réglant nos actions sous l'assistance du St-Esprit, et nous abstenant de toute pensée et parole téméraire. Que Jésus soit notre conseiller, notre ami et l'époux de notre âme».

29 janv. «Unus est magister, Christus» (Mt 23,8). Jésus est notre seul maître. Il nous fait entendre sa parole suave dans l'oraison, dans la lecture de l'Écriture sainte, dans la communion. Il nous parle aussi 139 par nos maîtres et par les écrits des Saints. Dans la conversa­tion avec les hommes, il est plus difficile d'entendre sa parole. Permettons leur vanité, comme il la permet, mais n'y entrons pas. Si leur conversation est utile, profitons-en; si elle ne l'est pas, tâchons qu'elle le devienne».

30 janv. «Medicus es, aeger sum. Misericors es; miser sum (2). Approchons-nous de Dieu et des Saints comme un mendiant à la porte d'un palais. Nous ne voyons pas le bienfaiteur, mais nous sommes sûrs d' être entendus».

5 avril. «Jésus est notre roi, un roi de paix. C'est à lui qu'il appar­tient de régner sur les nations et sur les âmes. Sa loi est l'Évangile. Son règne est doux, sans faste, sans violence. Sa miséricorde est in­séparable de sa justice. Il a subi le premier le joug de sa loi. Il com­ble de grâces ses sujets; quand il punit, c'est pour guérir».

24 déc. «Jam non ego vivo, sed Christus in me vivit (1), in me orat, studet, loquitur. Jésus vit en nous par son imitation et par 140 l'influence de sa grâce».

3 janv. «Que Jésus vive en nous, qu'il dirige notre volonté et qu'il commande à nos sens. Les préoccupations de l'esprit et de 1'imagi­nation sont des tentations à fuir» .

16 fév. «Dieu le Fils a voulu pendant 33 ans intercéder, souffrir et s'offrir en victime pour nous. Il continue son œuvre dans le ciel et dans l'Eucharistie, et il nous a laissé son Esprit. L'Esprit-Saint est sans cesse occupé à nous appliquer les mérites de N.-S. en transfor­mant et en divinisant notre âme».

28 fév. «Établissons en nous le règne parfait de N.-S. Qu'il soit le principe et la fin de toutes nos actions. Que toutes aient pour point de départ et pour base son inspiration et sa volonté, et pour fin sa gloire. Qu'elles soient faites avec cette paix du cœur qu' il nous re­commande tant de fois De nous-mêmes nous ne pouvons produire que le néant et le péché».

25 avril. «Laissons vivre en nous N.-S. Il continue de vivre Sur la terre en chacun de ses membres. Agissons sous les influences de sa grâce, comme il le ferait dans 141 les conditions où nous nous trouvons. Unissons-nous à sa parfaite humilité devant son Père, qui est tout en lui; devant les hommes et surtout devant ses prêtres dont il se fait le conseiller, 1'ami, le frère, le serviteur même et l'instru­ment de leur sanctification et la nourriture de leur âme».

23 fév. «N.-S. désirait voir venir le moment de sa passion, par amour pour nous, parce qu'il désirait nous purifier, nous remettre en grâce avec son Père, nous sanctifier et nous ouvrir les trésors de sa grâce et de sa gloire. Plusieurs fois il s'entretient de sa passion avec ses apôtres. Ascendamus Jerosolymam, ubi consummabuntur quae scripta sunt. Surgite, eamus. Desiderio desideravi manducare hoc pascha vobiscum» (1).

24 fev. Veni mittere ignem, ad quid nisi ut accendatur (2). «N.-S. pour exciter notre amour et notre reconnaissance, nous a comblés de bienfaits et nous en a promis de plus sublimes encore. Pour exciter notre tendresse, notre pitié, notre compassion, 142 il s'est fait petit, pauvre et souffrant»..

23 mars. «De toute éternité Dieu avait résolu de s'incarner et de venir habiter parmi nous. Le cœur humain sentait le besoin de voir Dieu face à face. De là peut-être la tendance au polythéisme. L'homme lui-même était l'image du Christ. Adam, forma futuri. Et Verbum caro factum est, et habitavit in nobis. Ipsum vidimus, audivimus, contrectavimus (3). Il a permis dans son amour à Marie et à Joseph de le posséder pendant trente ans; à la Palestine de l'entendre pen­dant trois ans; aux enfants de venir à lui et de recevoir ses tendres baisers; à Madeleine de verser sur ses pieds ses larmes avec ses par­fums; à Lazare de le presser sur son cœur; à Jean de reposer sur sa poitrine et d'y puiser un amour tendre et brûlant».

27 avril. «Combien grande est la miséricorde de Dieu, qui nous a destinés à être élevés après une courte épreuve à un bonheur qui est au-dessus de notre nature. Les cieux et la terre seront renou­velés. Nos corps seront incorruptibles, agiles, lumineux, et nos âmes verront Dieu et seront unies à Dieu: similes 143 ei erimus (1 Jo 3,2). En attendant ce couronnement Dieu nous donne tout ce qu'il était possible de nous donner sans nous ôter la dignité du mé­rite libre. Il nous comble de grâces qu'il nous a préparées dès le commencement. Il nous dirige comme par la main et se donne lui-même à nous, comme si son amour ne pouvait pas attendre le mo­ment de l'union béatifique».

7 janv. «Vidimus stellam et venimus (Mt 2,2). Soyons fidèles à la grâ­ce. L'étoile qui doit toujours nous guider est le Cœur de Jésus. Que toutes nos actions soient telles qu'il puisse les offrir à Son Père. Qu'il soit notre refuge et notre paix».

12 janv. «Reformamini in novitate sensus vestri; ut probetis quae sit vo­luntas Dei (Rm 12,2). Ne laisser aucune issue à notre volonté pro­pre: agir selon le Cœur de Jésus (Imit. Liv. 4, C. 15,v.3 et 4). Statim ut te Deo ex toto corde credideris, nec hoc nec illud pro tuo libitu seu velle quaesieris, sed integre te in ipso posueris, unitum te invenies et pacatum, quia nihil ila bene sapiet et placebit sicui beneplacitum 144 divinae volunta­tis» (1).

20 janv. «Spe gaudentes, in tribulatione patientes, orationi instantes (Rm 12,12). Conservons notre cœur dans une sainte joie à la pensée des grâces immenses et innombrables que nous avons reçues, et à la pensée que Dieu nous secourt, nous protège et nous aime et que nous ne serons pas confondus. Soyons patients dans la peine que nous avons parfois à nous tenir en union avec Dieu; soit que l'obstacle vienne du dehors soit qu'il vienne de nous. Retirons-nous franchement dans le Cœur de Jésus, in domum refugii. Pour connaître la voie cherchons notre étoile. Orationi instantes: entretenons dans notre cœur un feu perpétuel, holocaustum perpetuum: laus, adoratio, gratiarum actio, petitio, oblatio».

28 janv. «Nolite esse prudentes apud vos-metipsos (Rm 12,16). Ne nous appuyons pas sur notre prudence et nos forces naturelles, mais sur Dieu. Consultons l'ange du grand conseil. Dans les difficultés recourons au Cœur de Jésus et attachons-nous à faire à tout instant la volonté 145 de Dieu, même dans les plus petites choses, pour devenir aptes à la faire dans les grandes et à lui servir d'instrument».

6 mars. Le Cœur de Jésus est ouvert pour nous recevoir. Qu'il soit notre refuge dans tous les périls. Nous y retrouverons les consolations et les conseils qu'il nous a donnés dans l'oraison. Que Dieu occupe tout notre cœur et que le reste ne soit qu'à la surface et le trouve indifférent. Tout ce qui prend possession de notre cœur est un obstacle et une source de trouble».

7 mars. C'est au pied de la croix qu'il faut, avec St Thomas, cher­cher la science et la sagesse. Nous trouverons dans le Cœur de Jésus des leçons inépuisables et les plus sublimes. Chacun des batte­ments de ce Cœur divin est un acte d'infinie justice, d'infinie misé­ricorde, d'infinie puissance, d'infinie sagesse. Unissons-nous à ce Cœur divin toutes les fois que nous sommes tentés ou troublés».

Execices spirituels.

- Préparation: Dieu nous cherche. - 6 avril. «Dignos se (ipsa) 146 cir- cuit quaerens et in viis ostendit se illis hilariter, et in omni providentia oc-currit illis. Sap (6,17). - Notre Seigneur nous cherche pour nous éle­ver à lui. Sa Providence est infinie et il a pour chacun de nous la même attention que si nous étions seuls au monde. A quelle perfec­tion ne veut-il pas nous conduire? Son regard est tourné vers nous, bienveillant et amoureux, son regard qui entraîne Zachée à sa suite, son regard qui fit couler les larmes de Pierre et qui soutenait l'espé­rance d'Etienne dans son martyre. - Il intercède sans cesse pour nous à la droite de son Père, à qui il présente ses plaies glorieuses et dans le Saint Sacrement de l'autel où il veut bien demeurer pour prier pour nous nuit et jour».

- But de la vie: 7 avril. «Indicabo tibi, o homo, quid sit bonum et qui Dominus requirat a te: utique facere gaudium (iudicium) et diligere misericordiam et sollicitum ambulare cum Deo tuo (Mic 6,8). - Te juger équita­blement en tenant ton corps pour vil, rebelle et corrompu; en tenant ton âme pour grande, faite à l'image 147 de Dieu, rachetée, par la sang de Jésus-Christ, ointe du St Esprit; en estimant à sa hau­teur ta vocation sublime et la responsabilité que tu encours par elle devant Dieu et devant les hommes, ce qui t'oblige à une sainteté très élevée et à une pureté angélique. Faire miséricorde à ton pro­chain dans tes pensées; tes jugements, tes paroles, tes actions. Marcher en union avec Dieu en mettant toute ta force en lui».

- Présence de Dieu: 19 mars. «Nous sommes devant Dieu, les anges et les saints,avec un bandeau sur les yeux,parce que nous ne perce­vons pas directement ce qui ne tombe pas sous nos sens. N'oublions pas que nous avons ce bandeau qui nous sera arraché à la mort, et n'agissons pas comme si rien n'existait que ce que nous voyons. Toutes nos actions et affections sont écrites dans le livre de vie. Nous les y écrivons nous-mêmes: que ce soit avec les lettres d'or de l'amour de Dieu, et que les pages qui nous sont laissées soient bien remplies.

- Sur le péché: 6 avril. «Motifs de prendre la ferme résolution d'évi­ter tout péché 148 véniel délibéré. 1° Motifs communs au péché mor­tel: c'est une contradiction à la volonté manifeste de Dieu et une injure faite à Dieu; c'est une ingratitude envers Dieu qui avait droit à notre amour et qui le demandait; c'est une lâcheté et une infidélité aux promesses de notre baptême renouvelées tant de fois, spécialement à nos ordinations; c'est un oubli de la Passion de N.-S. qui a souffert aussi pour nos péchés véniels, surtout pour ceux des prêtres. - 2° Motifs spéciaux: les peines du purgatoire si terribles, la difficulté de distinguer les fautes vénielles d'avec les mortelles (S. Aug.); le péril de tomber peu à peu dans de grandes fautes (qui spernit modica …Ecli 19,1); la nécessité d'obtenir par nos efforts et par la perfection de nos prières la grâce d'une bonne mort; l'amour de N.-S. qui nous aime tant et qui nous le témoigne de mille manières. - Déposons cette résolution dans le Cœur Immaculé de Marie.

- Sur la mort: 26 mars. La pensée de la mort est féconde pour nous éloigner du péché et nous détacher des vanités 149 de ce monde. Quotidie morior (l Cor 15,31). Notre vie est une mort continuel­le. Chaque instant nous échappe jusqu'à ce que nous ayons épuisé tous ceux que Dieu nous a destinés. Dans l'éternité, notre vie appa­raît comme une courte série de relations envers Dieu, envers les hommes et envers nous-mêmes, œuvres qui subsisteront si elles sont selon Dieu et qui seront consommées si elles sont contre Dieu. Nos actions ont une valeur presque infinie, si elles sont faites en la grâce de J.C., car elles sont unies avec les siennes. C'est en effet comme roi des âmes et des nations qu'il était attendu. Nos bonnes actions étaient attendues avec lui et confirment sa mission et sa gloire.

- Sur l'abandon, la fidélité à la grâce, le bon usage des créatures: 9-11 janv. L'obéissance et l'abandon à la Providence sont les sources de la paix du Cœur: méditer l'exemple de la Sainte Famille dans la fui­te en Egypte. De (ab) oriente et occidente venient (Mt 8,11). Les grâces que les Juifs ont refusées aux instances de la 150 miséricorde divine ont été données aux nations. Soyons fidèles à la grâce qui nous presse et qui surabonde. Aperi mihi (Cn 5,2) . Nous disposer au don de prudence et de conseil en prévoyant et réglant nos ac­tions sous l'assistance du St-Esprit, et en nous abstenant de toute pensée et parole téméraire. Que Jésus soit notre conseiller, notre ami et l'époux de notre âme».

- Sur les tentations: 6-7 fév. 2-3 mars. Les tentations sont utiles pour nous rappeler notre faiblesse et pour nous porter à recourir à Dieu et à le prier. Que notre refuge soit le Cœur de Jésus et celui de Marie. En nous appuyant sans cesse sur Dieu et sur sa sainte vo­lonté, nous échapperons facilement aux tentations. Quid timidi estis, modicae fidei? (Mt 8,26). Dans les tentations confions-nous entière­ment à Dieu: turris fortitudinis, a facie inimici (Ps 60,4). Nous sommes entre ses mains moins que l'insecte dans les nôtres. Nous ne pou­vons rien de nous-mêmes, mais il veut notre triomphe et nous l'a 151 mérité par la Rédemption: confidate, ego / vici mundum (Jo 16,33). Dans les désolations, restons pleins d'espoir. Disons à N.-S.: quid me dereliquisti? (cf. Ps 21,2; Mt 27,46). Ces peines sont utiles pour nous humilier et nous mériter les joies du ciel. - N.-S. a voulu être tenté pour nous instruire, nous animer et nous consoler, nous donner l'exemple. Nous serons tentés, il faut nous y préparer. Le démon agitera nos sens et suggérera à notre esprit des pensées per­verses, vaines ou au moins étrangères à nos occupations. Toutes les fois qu'il nous les propose et que nous nous en apercevons, portons, notre pensée doucement vers Dieu et vers le Cœur aimable de Jésus, s'il n'est pas facile de la retenir en paix à l'œuvre que nous faisons pour la gloire de Dieu. - Les tentations nous sont proposées par Satan, le monde et la chair. Satan offre à notre esprit des pen­sées qui nous éloignent de nos devoirs et de l'amour de Dieu. N.-S. nous enseigne à lui résister par la parole de Dieu, l'esprit d'oraison, l'union avec Dieu. Le monde nous éloigne de Dieu par ses di­stractions, par le souvenir et l'image 152 de choses étrangères et vai­nes. N.-S. nous enseigne à le vaincre par le silence, le recueille­ment, la solitude intérieure. Mortifions la chair, surtout intérieure­ment en écartant de notre imagination et de notre pensée tout ce qui la flatte. Approchons-nous du Cœur de Jésus pour y trouver la lumière et la chaleur dont il brûlait dans ses oraisons au désert.

- Sur la prière. 20-21 fév. 5 mars. 7-24 avril. «Si quid petieritis Patrem meum in nomine meo, dabit vobis (cf. Jo 16,23). Prions sans cesse parce que nous avons besoin du secours de Dieu. Dans la paix, deman­dons lui qu'elle dure et que nous louions dignement son nom. Dans le trouble demandons lui la paix du cœur, la lumière de l'esprit, la fidélité à notre règlement. - Prions avec confiance et au nom de N.-S. Petite et accepietis (Jo 16,24). Nous sommes aussi sûrs d'être exaucés que l'enfant qui demande du pain a son père. Que si Dieu nous refuse pour le moment la vertu que nous lui deman­dons, c'est qu'il y a danger qu'elle nous enorgueillisse; mais alors il augmente en nous la grâce d'une autre façon. Demandons 153 lui toujours l'humilité pour être capables de recevoir ensuite tou­tes les autres vertus. L'humilité est la base de l'édifice. Plus elle sera grande, plus il sera facile de bâtir. - Invoquons N.-S. avec foi, avec confiance, avec persévérance, comme fit la Chananéenne. Chacune de nos prières porte ses fruits, quand bien même nous ne les ver­rions pas immédiatement. Jamais nous n'invoquons Dieu en vain. Les peines qu'il nous envoie, comme à la fille de la Chananéenne, nous sont l'occasion de grandes grâces, sachons en profiter. - Exerce… teipsum ad pietatem (1Tm 4,7). L'oraison est le principal exercice de piété. Elle est presque aussi nécessaire que la prière vocale, puisque sans l'oraison on ne sait ni ce qu'on doit de­mander, ni comment on doit le demander (St Lig. (1) Ste Thérèse). Elle est pour les prêtres la source unique et nécessaire pour l'esprit de foi et de l'onction de la charité. Elle seule peut rendre fécond notre apostolat. Elle nourrit la charité. In meditatione… exardescet ignis (Ps 38,4). On prétend en vain qu'on n'a pas le temps. On doit avoir le temps 154 pour Dieu, et on le retrouve abondamment. Si l'on dit qu'on n'y fait rien, ou bien c'est involontaire et il n'y a pas moins de mérite, ou bien c'est volontaire et alors il ne faut pas abandonner l'oraison mais se corriger. Les méthodes ne manquent pas. S'il s'agit d'une vertu, il faut la considérer en N.-S., puis se de­mander relativement à elle ce que nous avons été dans le passé, ce que nous sommes devant Dieu, ce que nous devons être dans l'ave­nir et ce que nous voudrions avoir été au moment de la mort. Que notre oraison soit toujours préparée, mais ne nous attachons pas ri­goureusement à la méthode que nous avons adoptée, si le St-Esprit nous communique ses lumières sans demander de nous une grande activité. Domine, ecce desiderium meum et gemitus meus ante te (1). Tenons-nous devant Dieu comme des mendiants dans une prière continuelle: nihil possumus ex nobis tanquam ex nobis (2). Le saint offi­ce est plutôt une grâce qu'une obligation, car il nous force à deman­der à celui qui a dit: Petite et accipietis (Jo 16,24). On ne lui demande jamais de bon cœur sans être enrichi.

155 - Sur la croix: 27 janv ler-10 avril. 3 mai. «La croix du Sauveur nous enseigne la pénitence et l'acceptation des peines qui nous viennent de Dieu et du prochain. Nos croix sont un sacrifice d'ex­piation pour nos péchés et une satisfaction qui augmente le trésor de l'Eglise. 2°- C'est un contrepoids et un remède à la tendance fu­neste et désordonnée de notre nature vers l'orgueil, la chair et le monde; c'est un remède pour les autres par l'exemple et la bonne odeur des vertus. 3° C'est un holocauste et une reconnaissance de la puissance de Dieu et de son droit sur nous, holocauste offert en communion avec l'Eglise. 4° C'est un sacrifice d'impétration: Dieu nous vaincra en générosité. - La croix adorable du Sauveur nous éloigne de tous les vices et nous porte à toutes les vertus. En nous enseignant la honte infinie du péché et le prix de la Rédemption, elle augmente indéfiniment l'horreur que nous avons pour le vice, principalement pour les fautes graves, et elle l'étend à tout ce qui peut nous y porter et nous souiller en quelque manière. - La croix nous porte à toutes 156 les vertus et les grandit en y imprimant son cachet, le cachet du sacrifice pour réparer l'honneur de Dieu outragé par les péchés du monde, pour vaincre la concupiscence et les passions, et enfin pour élever l'âme à Dieu et l'ouvrir à ses com­munications par la séparation d'avec les créatures. - Humiliavit seme­tipsum, factus obédiens usque ad mortem (Ph 2,8). Dieu le Père livre son Fils à la mort par amour pour nous. Infinie miséricorde qui se témoigne par toutes les souffrances de N.-S. destinées dans sa sages­se à réparer toutes nos fautes et à nous fortifier pour toutes les épreuves. Modèle d'obéissance parfaite que nous devons imiter en consacrant a Dieu notre vie et notre mort bien insuffisantes pour réparer tant de péchés qui nous feraient horreur si nous pouvions en voir l'étendue et la profondeur. La croix triomphe de toute éter­nité dans la destination divine. Au Calvaire elle est victorieuse de l'enfer et du péché. Elle triomphe depuis le IVe siècle sur nos au­tels. Et depuis le Calvaire, elle triomphe moralement dans les no­bles cœurs. Pour offrir en 157 union avec Jésus crucifié toutes nos ac­tions à Dieu disposons-les pour qu'elles lui soient un sacrifice de louanges».

- Sur l'Ecriture sainte. 27 janv. «L'Ecriture sainte est un enseigne­ment et une source de grâces. C'est un trésor qui contient toute la sagesse naturelle et surnaturelle. C'est une nourriture et un remè­de pour tous les besoins de l'âme. St Paul est surtout le maître de la doctrine spirituelle; il faut l'apprendre de lui».

- Sur le zèle de la perfection: 6 av. «Estote… perfecti sicut…. Pater vester qui est in coelis perfectus est (Mt 5,48). N.-S. adresse cette parole même aux simples fidèles, qui doivent s'abstenir de tout péché et faire le bien. Elle s'adresse à plus forte raison aux prêtres: ils doivent être plus saints même que les religieux, qui, par leurs voeux, s'engagent seulement à tendre à la perfection. La sainteté que doivent avoir les prêtres nous est enseignée par l'Ecriture sainte: Sancti estote quia ego sanctus sum (Lv 11,44). Et cependant le sacerdoce de l'ancienne loi n'était que l'ombre de celui de la nouvelle. 158 St Paul à Timothée et à Tite décrit la sainteté des évêques et des prêtres: irre­prehensibilem, sanctum… (cf. 1 Tm 3,2; Tt 1,8). Les Pères l'exaltent jusqu'aux cieux en cent endroits. L'Eglise, sans rien exagérer, exige des clercs eux-mêmes une grande perfection: quis ascendet in montem Domini?… (Ps 23,3). En vérité le prêtre doit parler aux fidèles la pa­role de Dieu; il traite avec N.-S. à l'autel dans une intimité plus que fraternelle; il est le modèle du peuple, luceant opera vestra bona (1). - Défauts à éviter dans la voie de la sainteté: la recherche de la conso­lation, considérons l'agonie de N.-S.; le retour sur nous-mêmes pour constater nos progrès, humilions-nous sans cesse; le découra­gement dans les tentations, sufficit tibi gratia mea (2 Cor 12,9); le dé­couragement après les fautes, dixi, nunc coepi (Ps 76,11), reprendre toujours avec courage et persévérance».

- Sur l'Eucharistie et la communion: 13-24 mars, 10-14-22-31 janv. Dans la sainte communion, N.-S. est en nous avec son corps saint et pur, dont le contact a élevé Marie à une admirable pureté; avec son âme éclairée de sa Sagesse infinie, voyant d'un 159 regard toutes nos voies, le néant de notre vie et la gloire du ciel; avec son amour fé­cond qui purifie, sanctifie, élève et fortifie ceux qu'il aime. Non re­linquam vos orphanos (Jo 14,18). L'amour de N.-S. n'eût pas été sati­sfait s'il n'eut fait qu'effleurer la terre. Son union avec nous eut été trop limitée par le temps, par l'espace et par le mode. Il a voulu être à nous partout et toujours dans le mystère de l'Eucharistie, et par le mode le plus intime d'union, en devenant la nourriture de nos âmes. Il est avantageux, pour que notre affection pour lui n'ait rien d'humain, que nous ne le percevions pas par les sens. N.-S. est, dans le mystère de l'Eucharistie, l'époux, le bien-aimé de notre âme. Vinum germinans virgines (Zc 9,17): Il soutient seul et explique la vir­ginité chrétienne, car notre cœur est fait pour aimer. Il nous réser­ve pour l'éternité une union plus intime encore et plus merveilleu­se avec lui en sa divinité. Consortes divinae naturae (1). Et cette union même commence dès cette vie. Jam non ego vivo (cf. Gal 2,20). Nobis datur, dit saint 160 Augustin, substantia Dei vegetari, illuminari et beati. Da mihi, Domine, in aurore tuo liquefieri et natare. Et spiritus et sponsa dicunt: veni. Et qui audit dicat: veni. Et qui suit veniat. Et qui vult accipiat aquam vitae gratis… Amen, veni, Domine Jesu (Ap 22,17.20). - Dieu a élevé notre nature à une dignité sublime en l'unissant à lui. Montrons-nous dignes de cet honneur. La grâce qui nous unit à Dieu est le sceau de notre adoption, veillons-y et tenons-nous sous son influence pour augmenter toujours cette intime relation avec Dieu. L'union avec N.S. dans l'Eucharistie nous rend semblables à lui en mettant notre âme et toutes nos facultés et puissances sous la direction et l'influence du même Esprit qui sanctifiait son huma­nité. - Quel infini amour N.-S. témoigne à son Père et aux hommes dans l'admirable mystère de l'Eucharistie. Dans le sacrifice, il offre par toute la terre à son Père un hommage et un culte infiniment di­gnes, en même temps qu'il continue notre rédemption. Dans le Sacrement, il nous sanctifie pour offrir à son Père une église immaculée. 161 Qui manducat meam carnem … habet vitam aeternam (Jo 6,55). N.-S. dans la sainte Eucharistie donne à nos âmes le pain de l'intelligence: c'est là que nous le comprenons le mieux et que nous apprenons à nous connaître. Il nous donne le pain du cœur en nous inspirant un grand amour envers lui; et le pain de la volonté en dirigeant notre volonté et en la fortifiant - La sainte Eucharistie nous unit toujours plus intimement à N.-S. et nous remplit de grâces, quand nous sommes bien vides de nous-mêmes. Veillons à bien purifier nos pensées et nos affections pour n'y rien laisser entrer d'étranger quand nous possédons N.-S. - O sacrum convivium: festin, noces sacrées où nos âmes sont les épouses de J.-C., quelle pureté vous exigez! In quo Christus sumitur. nous sommes nourris de la moelle du lion. Notre âme doit y trouver la santé, la, force et la joie. Recolitur memoria passionis ejus: nous nous souvenons de la Rédemption, et Jésus aussi s'en souvient pour nous en appliquer les mérites. Mens impletur 162 gratia. Attendons avec confiance comme la Chananéenne et nous obtiendrons les grâces et un accroissement de vertus. Futurae gloriae nobis pignus dater. Ce sont les fiançailles, que sera-ce quand nous verrons l'époux? O res mirabilis! manducat Dominum pauper, servus et humilis. Que le Seigneur est miséricordieux! Combien cette condescendance inspire de confiance à ce pauvre mendiant, nu, affamé, esclave de la concupiscence. N, S. le délivrera et le revêtira de la vertu de l'homme nouveau. Dans la sainte Eucharistie, notre âme est unie à N.-S. par l'union la plus intime, représentée par l'assimilation des aliments. Mais, comme N.-S. le dit à S. Augustin, ce n'est pas Lui qui nous est assimilé, mais c'est notre âme qui est assimilée par la force et la dignité de cet aliment divin. - Unissons-nous toujours de plus en plus pratique-, ment avec le Cœur Sacré de Jésus. Que notre intérieur est loin de la pureté, de la dignité, de la sainteté, des pensées, des désirs, des affections de N.-S.! Pour le laisser vivre en nous retranchons les ob­stacles, l'amour-propre et toute concession aux sens». 163

4 mars, 29 mai et suiv, 30 mars, 6.7.8 juin, 9.22 av. «De stercore erigens pauperem (Ps 112,7). Mon Dieu m'a comblé de grâces en m'ap­pelant a l'état ecclésiastique et m'y amenant par sa suave providen­ce malgré tant de misère et d'indignité de ma part. Il m'a élevé déjà par plusieurs ordres à une participation admirable de son divin sa­cerdoce, surtout par la récitation de l'Office divin. Je dois corre­spondre à ces grâces en m'unissant de plus en plus à N.-S. pour me conformer à lui, et en vivant surnaturellement en union avec Dieu et avec la cour céleste à travers les voiles de la foi. - N.-S. continue son sacerdoce sur la terre dans la personne de ses ministres. Il con­tinue par eux sa triple fonction d'enseigner, de sanctifier, de prier. Le sous-diacre participe déjà à ces fonctions: à l'enseignement, par l'exemple, l'étude, la lecture de l'Ecriture sainte; à la sanctification des fidèles par la part qu'il prend à la confection du sacrement de l'Eucharistie; à la prière par l'Office divin. A ces titres divers, il doit se sanctifier . - N . -S . nous invite à recevoir 164 de lui une nouvel­le grâce. Nous ne pouvons rien pour répondre à une si grande di­gnité. Laissons agir N.-S. en lui donnant tout notre esprit et tout no­tre Cœur. Nous avons dû progresser chaque jour depuis la récep­tion de la tonsure, dans le renoncement et l'abnégation, dans l'esti­me de notre vocation et dans l'acquisition des vertus. Le détache­ment a du supprimer en nous toute pensée, toute affection, toute action qui ne soit pas animée par l'Esprit-Saint. Nous sommes ap­pelés à être des instruments de grâce par notre vocation. Tous nos actes doivent sanctifier les âmes, soit ex opere operato dans les sacre­ments, soit par notre mission providentielle qui nous fait les maîtres let les modèles de ceux qui nous entourent. - Suscitabo mihi sacerdo­tem fidelem… juxta cor meum (1Rg 2,35). Je l'appellerai, dit le Seigneur, pour moi, selon mon Cœur. Nous avons dû déjà montrer cette fidélité dans les ordres mineurs. L'esprit de ces ordres doit nous rester. Il consiste à avoir soin des choses du Seigneur et, de toutes les fonctions 165 de son culte, à lire et à méditer la parole de Dieu, interprétée par la voix intérieure de l'Esprit-Saint, à nous rendre maîtres du démon, surtout en nous tenant unis à Dieu; à nous offrir sans cesse à Dieu comme une victime qui lui soit agréa­ble et à édifier le prochain par notre exemple et nos bonnes œuvres. - Tuli levitas de filiis Israel et erunt levitae mei (1). Dieu nous a choisis et élus pour être a lui. Par le sous-diaconat, nous nous som­mes engagés à le servir avec pureté d'âme et de corps. Nous entre­tiendrons cette pureté par l'union avec Dieu, le détachement du monde et la prière. Pour que notre prière soit vraie,recueillie, reli­gieuse, il faut que nous soyons des hommes d'oraison, que nous nous établissions dans un état habituel d'oraison devant Dieu. Comme lévites, nous devons être aussi des hommes de foi et de zèle pour les choses de Dieu et pour son culte. Considerate…viros…boni testimonii… plenos Spiritu Sancto et sapientia (Ac 6,3). Soyons purs comme il convient à ceux qui approchent du 166 Saint des Saints, et qui traitent familièrement avec Dieu. Estote nitidi, mundi, puri, casti: sans ombre, tout éclairés par Dieu, par sa lumière surna­turelle. Soyons des vaisseaux purs et remplis du St-Esprit, purifiés par le feu de l'amour divin et remplis par la grâce, les vertus et les bonnes œuvres. - Emittes Spiritum tuum et creabuntur (Ps 103,30). N.-S. avait choisi des apôtres pauvres et ignorants et quelques-uns mê­mes grands pécheurs. Pendant trois ans ils entendirent sa doctrine et virent ses exemples et ils ne le comprenaient pas. Mais quand vint le moment de prêcher sa résurrection et de porter aux peuples la parole du salut, il les revêtit de la force d'en haut. Prions Marie et les apôtres de demander pour nous cette nouvelle création de nos âmes, la force, la pureté, le zèle, la sagesse et un ministère fécond. Et coeperunt loqui (Ac 2,4). Les apôtres, les diacres et les premiers chrétiens commencèrent a parler dans l'Esprit-Saint, suivant les de­voirs de leur état, les uns par la prédication, tous par l'édification. Réglons toutes nos paroles selon l'Esprit-167Saint, qu'elles soient édifiantes, douces et zélées. Ils commencèrent à pratiquer toutes les vertus sans faiblesse et sans relâchement. Imitons leur foi, leur charité, leur humilité. Et ils suivirent Jésus jusqu'à la mort. Pour nous, qu'une pieuse mortification et une parfaite résignation à la volonté de Dieu remplace le martyre. - Il faut que le diacre se pénètre de l'esprit de N.-S. et se dispose a exercer ses fonctions dans le même esprit avec lequel N.-S. rendait ses devoirs à son Père et sanctifiait les âmes. Ce sont des fonctions divines. L'état habituel de notre âme doit être conforme à cet esprit. Quid est dignitas in in­digno, nisi ornamentum in luto? Elegit nos Deus in ipso ante constitutio­nem mundi ut essemus sancti et immaculati (cf. Eph 1,4). Dieu nous a élus éternellement en son Fils, par ses mérites, dans son Eglise, en union avec ses saints disciples pour que nous soyons saints. Des no­tre naissance nous fûmes marqués de ce cachet et Dieu a daigné nous pardonner d'avoir violé le Temple de l' Esprit-Saint. Il nous appelle à la sainteté de vie en lui, 168 dans la contemplation de ses mystères d'amour, dans l'union à lui par nos actions… Rape ad amorem quos potes et dic eis: amemus et redamemus, meliorem invenire non possumus. Contemplons N.-S. avec amour. Faisons en sorte qu'il soit aimé. Travaillons-y par nos exemples, par nos conversations, par no­tre union avec lui qui rende féconde toutes nos œuvres. - La di­gnité du prêtre au saint Sacrifice est supérieure à celle dés anges, et sa sainteté doit lui être proportionnée. Ses mains tiennent familiè­rement N.-S. lui-même. Ses lèvres prononcent des paroles qui ont une vertu divine. Pour nous préparer à cette dignité, laissons N.-S. vivre en nous et renonçons à toute vie propre. Le prêtre est com­paré a une cité bâtie sur une montagne, à une lumière élevée sur un chandelier. Il doit être l'exemple et le modèle des fidèles. Est exemplum fidelium. Esto bonus odor Christi (cf. 2 Cor 2,15). Nos forces n'ont aucune proportion avec ces grandeurs, mais Dieu est avec nous. Avec le secours de Dieu les apôtres ont 169 converti le monde, Augustin a arraché l'Afrique à l'hérésie. Charles Borromée a réformé et maintenu la foi dans le Milanais. François Xavier a con­verti 20 royaumes. François de Sales a converti 70.000 hérétiques. Comme eux laissons-nous conduire par l'Esprit-Saint… L'union intérieure avec N.-S. est le commencement de la vie du ciel. Tenons-nous dans cette union du cœur et de la volonté avec lui. Nourrissons-la en contemplant souvent ses actes intérieurs et ceux de Marie. Quis stabit in loco sancto ejus? Innocens manibus et mundo cor­de (Ps 23, 3-4). Comme cette pureté est bien juste pour ceux qui vi­vent dans le service de Dieu… Sicut misit me Pater, et ego mitto vos (Jo 20, 21). C'est la même mission, le même sacrifice à offrir, la même dot trine à prêcher. Et ce ne sont pas des anges que N.-S. a choisis pour ce ministère, mais de faibles hommes. Mais ayons confiance, il nous donnera sa vertu. Induamini virtute ex alto (Lc 24,49). C'est lui qui nous a appelés. Non vos me elegistis; sed ego elegi vos (Jo 15,16). Montrons-nous dignes, avec sa grâce, de ce ministère plus qu'angélique. 170 Nous représentons N.-S., qu'il vive en nous, qu'il pense, aime, prie, parle, agisse en nous. - Sanctifieamini, cras enim Deus faciet mirabilia inter vos (cf. Js 3,5). Le ministère du diacre à l'autel est assez semblable à celui de Joseph à Nazareth. Il s'appro­che de N.-S., couvre et découvre son précieux sang et le transporte de ses mains. Ce ministère demande une pureté angélique à laquel­le il faut veiller délicatement et qu'il faut entretenir par une vraie mortification. Quam magna Dei charitas! Quam alta sacerdotum dignitas! N.-S. nous appelle à converser avec lui, à nous nourrir de lui, à le représenter dans son sacrifice. Il se soumet à notre autorité. Combien tout cela nous oblige à établir sa vie en nous, à le laisser maître absolu et seul possesseur de notre Cœur! Rendons grâces par le Cœur de Jésus de ces dons admirables».

De l'humilité: 7 av. «Discite a me, quia mitis sum et humilis corde (Mt 11,29). L'humilité est nécessaire comme la grâce pour le salut. Superbis resistit, humilibus… dat gratiam (Jc 4,6). Elle est nécessaire comme la prière; car 171 la vraie prière est une humiliation: ora­tio humiliantis se, nubes penetrabit (Ecli 35,21). Elle est le fondement de toutes les vertus qui, sans elle, ne sont qu'extérieures et même dangereuses. Elle est surtout nécessaire aux prêtres, car s'enorgueil­lir des grâces et dons surnaturels de Dieu est plus odieux encore que de s'enorgueillir des dons et vanités de la nature. Pour nous en pénétrer, considérons ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous pourrions devenir. Dans le passé, que de misères, que de révoltes contre Dieu! Dans le présent, incertitudes sur notre état, bien que nous devions avoir confiance, néant de nous-mêmes, cor­ruption de notre nature. Dans l'avenir nous pouvons tomber bien bas… Dans la pratique, s'humilier devant Dieu comme St François de Borgia; en nous-mêmes, écarter les tentations d'amour propre, en prendre occasion pour nous humilier; devant les hommes éviter d'abord la médisance, fruit de l'amour-propre; savoir se taire et, douter de soi… ne pas cependant s'abstenir du bien par humilité: videant opera vestra bona (Mt 5,26). In omni Christi ministro, 172 necessaria sunt duo: humilitas, qua se suo ministerio judicat indignum, fiducia in Dei virtute, qua libere et audacter agat in Dei nomine et auctorita­te.

Sur l'obéissance: 15-16 janv. «Erat subditus illis (Lc 2,51). Jésus pen­dant sa vie cachée nous donnait l'exemple de l'obéissance, du tra­vail et de la retraite. Il demandait à son Père céleste des grâces pour nous. Vir obediens loquetur victoriam (Pro 21,28). L'obéissance est un hommage constant rendu à Dieu. J'obéirai à mon Sauveur en l'écoutant dans l'oraison, en offrant toutes mes actions par son di­vin Cœur à son Père, qui est aussi le mien».

Sur la mortification: 6 janv. 27 fév. «Magi obtulerunt Dno aurum, thus et myrrham (cf. Mt 2,11). Offrons-nous sans cesse: hostiam … sanctam, Deo placentem (Rm 12,1). Soyons mortifiés. Retranchons même quel­quefois un peu du nécessaire. Tous les Saints l'ont fait. - La vue des péchés du monde, qui sont une épidémie plus terrible que la peste et l'incendie, nous invite à la pénitence, ainsi que le souvenir de nos fautes, que nous avons si peu expiées jusqu'à présent. Pratiquons surtout la mortification intérieure, qui peut croître 173 indéfiniment, le renoncement à toute volonté propre et a toute affection propre, l'union constante avec le Cœur de Jésus».

Sur les conversations: 5 janv. 5 avril. «Que nos conversations soient telles que N.-S. puisse en même temps les offrir à son Père. Dirigeons-les vers les sujets édifiants et instructifs. Un effort généreux au commencement obtiendra un grand résultat. Rechercher ceux qui vous édifient. Prenez garde aux conversations de ceux qui ne sont pas fervents. Evitez ceux qui s'amusent de conversations frivoles et mondaines. Prenez garde à vous les jours de grand congé. Promenez-vous, distrayez-vous doucement, occupez-vous tranquillement, ne vous liant ni ne vous associant avec personne, excepté pour les conversations de piété. Gardez votre esprit libre, gai, ou­vert. Soyez ouvert, simple et doux avec tous. Ayez Dieu seul toujours en vue et votre esprit gardera sa liberté. Dans le cours de la conversation: modération, paix, douceur. Avec l'oubli de vous-même, la modération et la paix devant Dieu, vous pourrez 174 avancer. Que la paix, la douceur et la sainte joie, qui doivent être dans votre Cœur, se répandent dans votre maintien, dans vos paroles et dans vos actions…»

Faire ses actions en Dieu: 5 janv. «Bene omnia fecit (Mc 7,37). Nous ne valons que ce que valent nos œuvres. Nos lumières ne nous sauve­ront pas, mais nos actes. Chaque action faite en Dieu augmente en nous la grâce sanctifiante et notre trésor de gloire au ciel. Si les Saints avaient des regrets, ce serait pour ces pertes irréparables. Que toutes nos actions soient en Dieu, selon sa volonté manifestée par son inspiration ou par nos supérieurs. Union avec Dieu, avec le Cœur de Jésus, qui sera pour nous domus refugii et turris fortitudinis (cf. Ps 30,3; 60,4), si nous faisons toutes nos actions de façon à ce que son Père les agrée, cum intentione recta, cum ordine, cum gaudio.. »

De la conformité à la volonté de Dieu: 28 janv. 1 fév, «Nolite esse pruden­tes apud vosmetipsos (Rm 12,16). Ne nous appuyons pas sur notre prudence et sur nos forces naturelles, mais sur Dieu. Consultons l'ange du grand conseil. Dans les difficultés, recourons au Cœur de Jésus et attachons-nous à faire à chaque instant la 175 volonté de Dieu, même dans les petites choses, pour devenir aptes à la faire dans les grandes. Quis nos separabit a Christo? (cf. Rm 8,35). Que rien ne nous sépare de la conformité à la volonté de Dieu. C'est la source de toute sainteté. Dieu tire plus d'honneur et nous plus de profit de l'acte le plus simple fait selon sa volonté que d'une action d'éclat qu'il ne demande pas de nous».

Sur le travail: 12 fév. «Cur otiosi estis tota die (1). Le travail est natu­rel aux fils d'Adam. Il est du pour nos péchés. Par lui nous imitons Jésus et nous accomplissons la mission qu'il nous a donnée dans sa vigne. Le travail de ceux qui tendent à la perfection est de laisser opérer en eux l'Esprit-Saint. Que Dieu seul soit notre appui et no­tre force, et sa gloire notre fin. Les œuvres les plus excellentes sont: d'oraison où l'âme loue Dieu de la manière la plus sublime, et le sa­crifice de soi, volontaire ou accepté, par lequel nous nous unissons à la mort du Sauveur, le plus parfait hommage rendu à Dieu: louan­ge, action de grâces, 176 propitiation, prière».

De la prudence: 28 av. «N.-S. faisait servir toutes les vertus de son humanité sainte à la gloire de son Père. La prudence est une de ces vertus. Il la montra dans l'ordonnance de sa vie selon ses fonctions variées de rédempteur, de docteur, de modèle; dans le partage de son temps entre les louanges de son Père, la prière et la vie active; dans l'institution de son Eglise et de ses sacrements. Disposons avec prudence nos oraisons, notre travail, nos rapports avec le pro­chain».

De la vigilance: 11 av. 12 juin. «In finem dilexit nos (cf. Jo 13,1).

Usque ad mortem (Ph 2,8). Persévérons dans l'amour avec Jésus ju­squ'à la fin. Tenons toujours allumée dans notre cœur la lampe de la charité, à l'abri des vents de la distraction, des affections naturel­les, de la dissipation. Conservons l'huile de l'Esprit-Saint que nous portons dans des vases fragiles: spiritalis unctio. -N'accordons rien à la mauvaise nature, qui est toujours prête à se réveiller. Pour la te­nir soumise, il faut être vigilant et persévérant dans la mortifi­cation et tenir 177 notre pensée et notre volonté unies à Dieu».

De la modestie: 13 juin. «Comme les anges sont pénétrés de la gran­deur de Dieu! Ils se voilent la face et tremblent en sa présence. Columnae coeli contremiscunt et pavent ad-nutum ejus (Job 26,11). Tenons-nous devant lui avec le même respect, une gravité et une modestie constantes autant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Que nos pensées mêmes soient réglées, modestes, graves».

De la confiance: 29 fév. «Ce monde est semblable à une mer agitée,dont les flots sont les passions, les tentations, les vanités, qui nous entourent de toutes parts. Ayons une grande foi et N.-S. nous conduira sur les eaux et nous préservera du péril. N'attendons rien de nos propres forces. N.-S. a reproché à ses apôtres leur manque de confiance pendant la tempête. Ecce motus magnus factus est in mari, ita ut navicula operiretur fuctibus…et suscitaverunt eum dicentes: Domine, salva nos, perimus. Et dicit eis Jésus: quid timidi estis, modicae fidei? (Mt 8,2426). Pierre aussi craignait: 178 Videns ventum validum timuit et, cum coepisset mergi, clamavit dicens: Domine, salvum me fac… Jésus … ait illi: modicae fidei, quare dubitasti? (Mt 14,30-31).

De la douceur: 13 fév. «Discite a me quia mitis sum et humilis corde et in venietis requiem in cordibus vestris (cf. Mt 11,29). La douceur nous assi­mile à N.-S., qui est venu dans le monde comme un agneau au mi­lieu des loups. Il est au ciel devant le trône de son Père comme un agneau immolé pour nous, sacrifice et victime, source de tous biens et d'où découlent les fleuves de vie. Il est dans l'Eucharistie un agneau humble et doux. La douceur envers nous-mêmes consiste à éviter toute inquiétude et toute recherche de nous-mêmes. Notre âme est comme un jardin: si un loup y a pénétré et y a fait des rava­ges, n'en sortons pas pour le poursuivre, car pendant ce temps-la il, serait sans garde et sans culture. Remettons-nous de suite à planter et à cultiver, le mal sera plus vite réparé».

De la pureté: 4 juin. 19 déc. «Jésus in quo plenitudo gratiae substantiali­ter inhabitat (cf. Col 2,97). 179 Jésus a en lui toutes les grâces et pour lui-même et pour nous les communiquer. Il est pour nous le modèle et la source de toute vertu et spécialement de la pureté: pu­reté dans ses intentions, pureté dans ses actions. Tenons-nous près de son Cœur pour acquérir la pureté. - Quis stabit in loco sancto ejus? Innocens manibus et mundo corde (Ps 23,3-4). Comme cette pureté est bien juste pour ceux qui vivent dans le service de Dieu! Ceux qui n'aiment dès cette vie que l'agneau sans tâche le suivront dans le ciel partout où il ira. O quam pulchra est casta generatione cum claritate! (Sap 4,1) ».

De la reconnaissance: 4 fév. 9 av. «Quid retribuam Deo? (Ps 115,12). Nous n'avons de nous-mêmes que le néant et le péché. Nous te­nons tout de Dieu dans l'ordre de la nature et de la grâce, dans l'être, le connaître et l'action. Cependant Dieu veut bien accepter comme méritoire ce que nous lui devons déjà par justice. Il nous of­fre beaucoup et sans cesse, et nous donne continuellement son propre Fils qui est un don d'une valeur infinie. 180 O merveille de miséricorde! Dieu nous invite sans cesse à puiser dans ses trésors pour lui prêter ensuite a usure.

De l'amour de Dieu: 25 janv. 8 av. «Aimons Dieu, il nous l'ordonne, et c'est pour nous une grâce et un honneur. Aimons-le par recon­naissance: nous lui devons tout, la connaissance de lui-même et des créatures, l'usage de celles-ci, la raison, toutes nos facultés et toutes les grâces surnaturelles intérieures et extérieures. Il est juste que nous lui rendions autant qu'il nous a donné en lui offrant le tout, en le louant, en nous consacrant à son service. Aimons-le d'un amour de préférence et de complaisance, parce qu'il est seul bon, seul infiniment beau et aimable. Manete in dilectione mea (Jo 15,9). Diligamus Deum quia prior ipse dilexit nos (1 Jo 4,19). Considérons la passion de N.-S., ses ignominies, sa croix, son amour pour nous dans le ciel, semper vivens ad interpellandum pro nobis (Heb 7,25), et dans l'Eucharistie. Aimons-le pour réparer la haine des Juifs, l'oubli des chrétiens eux-mêmes et des mauvais prêtres, et pour répa­rer tout l'oubli et la froideur de 181 notre vie passée. Aimons-le, c'est la source de tout bien. «Si vous m'aimez, mon Père vous aimera et vous bénira et nous ferons en vous notre demeure» (cf. Jo 14,23). Aimons-le en observant ses commandements, en pensant souvent à lui. Que la méditation de sa Passion soit notre aliment. Aimons-le en faisant tout pour sa gloire et en souffrant volontiers pour lui. Aimons-le par son propre Cœur qui est le nôtre; par son Cœur seul nous pourrons louer et aimer son Père».

De l'amour du prochain: 26-29 déc. 5 fév. «A l'exemple de St Etienne, aimer Jésus crucifie. Aimer aussi notre prochain en Dieu, d'une charité sage, égale et ardente. Bonus pastor animam suam dat pro ovibos suis (Jo 10,11). Jusqu'à ce que j'aie charge d'âmes, mes devoirs envers le prochain se bornent à l'édification de mes confrè­res par l'exemple et une bonne conversation, et aux rapports parti­culiers d'affection, de reconnaissance, de conseil, de patience que la Providence de Dieu m'a préparés par mes relations de famille ou autres. - Dieu nous 182 invite à aimer les hommes. C'est le second commandement et il est égal au premier, parce qu'en aimant les hommes nous procurons la gloire de Dieu. N.-S. dans son ago­nie pleurait d'amour pour nous. Il voyait le monde plongé dans les ténèbres avec quelques rares lueurs. Il voyait les hommes en proie au feu de leurs passions malgré la rosée de sa grâce, et glacés dans leur indifférence malgré le feu de son amour. Dieu est un soleil spi­rituel qui réchauffe, féconde, vivifie, sans nuit, sans hiver, sans nua­ges. La lumière des créatures, particulièrement celle des Saints, est une lumière empruntée au soleil vivant, comme celle de la lune. Plus le réflecteur est tourné exactement et constamment vers le so­leil, plus il reçoit de lumière et de chaleur».

De la paix du cœur: 25 fév. 15 mars. «La source de toute perfection est dans la paix du cœur. Beati pacifici, beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt (cf. Mt 5,8-9). La grâce de Dieu n'agit en nous, que dans la paix du cœur. Le fondement de cette paix est la con­naissance de notre 183 néant et la vie en Dieu. Cherchons à faire toujours sa volonté et il nous la fera toujours connaître. Discite a me quia mitis sum et humilis corde et invenietis requiem in cordibus vestris (cf. Mt 11,29). In patientia vestra possidebitis animas vestras (Lc 21,19). Oportet semper orare et nunquam deficere (cf. Lc 18,1). Il faut que pen­dant la récréation comme partout ailleurs notre cœur soit dans la paix et la joie intérieures. Notre véritable présence de Dieu doit consister en ce que nos désirs et affections soient uniquement en lui et si nous l'aimons ainsi, nous vivons devant lui; même quand nous ne pensons pas à lui. Un homme qui persévère continuelle­ment dans le désir unique d'être agréable à Dieu en toutes choses et de ne jamais se contenter en rien, cet homme est dans une orai­son continuelle. Tous ses désirs et toute sa volonté vont toujours di­rectement à Dieu seul. Combien nous sommes grands devant Dieu et ses anges,si nous cherchons à pratiquer ces paroles: abnega temeti­psum et sequere me (Mt 16,24). Il n'est pas nécessaire 184 de s'in­quiéter ni de se resserrer l'esprit pour conserver la présence de Dieu. Soyons toujours prêts a être agréables à nos frères. Une joie modeste et tempérée porte la piété et le contentement dans le cœur de tous ceux qui nous entourent. Que la paix, la douceur et l'amour de N.-S J.-C. soient toujours dans notre bouche et dans no­tre cœur. Un sujet de joie à la vue de notre néant et de notre misè­re c'est que notre Dieu seul est grand. Dieu seul est beau, digne de toute louange et d'amour. Un autre sujet d'une grande joie et d'une grande paix pour nous, c'est que, nous voyant si incapables et si nuls, nous pouvons par cela même être convaincus que Dieu lui-même veut mettre la main à l'œuvre pour opérer en nous et par nous toutes les grandes choses auxquelles il nous destine. Mais un sujet de joie plus grand que tout cela, c'est que notre extrême misè­re et abomination nous met dans la nécessité absolue d'avoir toujours recours à Dieu et de nous tenir unis à lui à tous les mo­ments et dans toutes les circonstances de notre vie. Nous dé­pendons 185 de lui plus que notre corps dépend de notre âme. Et comme par cette union la vie de notre corps est plus noble et plus, relevée, de même par l'union avec Dieu notre âme acquiert une sublime grandeur, beauté et gloire. In infirmitatibus meis gloriabor (cf. 2 Cor 12,9).

De l'oblation de soi-même: 25 déc. «Jésus à la crèche offre à son Père un sacrifice d'expiation, un sacrifice d'adoration. Il réjouit le ciel en satisfaisant à la justice divine, Gloria in excelsis Deo, et en relevant les hommes de leur chute, pax hominibus. Soyons une victime perpé­tuelle, pour ajouter par chaque acte de sacrifice un fleuron a notre couronne et pour offrir à Jésus par le ministère de notre bon ange autant de fleurs belles et parfumées».

Consécration: 14 mars. «Je commence une nouvelle année de ma vie. Surgam, et ibo ad Patrem (Lc 15,18). Mon Dieu daigne me rece­voir dans ses bras comme l'enfant prodigue et me rendre sa grâce, mon héritage que j'ai tant de fois dissipé. Je renonce à moi-même et veux vivre désormais 186 pour la seule gloire de mon Dieu. Je lui consacre tout ce que j'ai, corps, âme, intelligence, volonté, biens extérieurs, relations. Tout doit désormais servir à sa seule gloire et à la joie des anges et des saints. Pour cela, je veux vi­vre en Jésus, en sa présence, en son amour, par lui, par son inspira­tion, par sa grâce, pour lui, pour sa gloire, pour son règne».

L'incarnation: 16 déc. 16-25 mars. «Verbum caro factum est et habitavit in nobis (Jo 1,14). Le conseil suprême de la Sainte Trinité a décidé notre rédemption par amour pour nous. Exinanivit semetipsum (cf. Ph 2,7). Le Fils de Dieu s'incarne à Nazareth dans le sein d'une vierge, épouse d'un pauvre artisan. Il se prépare ainsi par l'humilité à son sacerdoce. Marie qui doit y être associée est troublée en ap­prenant la grandeur à laquelle elle est appelée, mais en face des pei­nes à souffrir, elle accepte: fiat. - Considérons dans le mystère de l'Annonciation l'amour de Dieu pour nous, la dignité de Marie, no­ire propre dignité. Dieu dans sa 187 miséricorde voulait nous ra­cheter, et il daigne nous demander notre libre adhésion: aperi mihi (Cn 5,2). Il interroge l'humanité représentée par sa plus suave fleur et lui demande son consentement à cet hymen mystérieux et divin. Marie priait, pleurait l'égarement des hommes, et dans ses tran­sports d'amour appelait celui qui devait venir. Le Verbe lui envoie un messager céleste, Gabriel, un des sept esprits qui contemplaient de plus près la face de Dieu. Missus est… a Deo… ad Virginem. Et ingressus ad eam dixit: Ave gratia plena (Lc 1,26-28).

Marie fut troublée, non pas de l'apparition d'un ange; elle y était sans doute habituée et l'eût reconnu par le sens qu'elle avait des choses célestes. Mais elle fut troublée dans son humilité par une sa­lutation aussi élogieuse: turbata est in sermone… et cogitabat qualis esse ista salutatio (Lc 1,29). L'ange lui explique la dignité a laquelle elle est appelée. Elle hésite encore et se demande comment cela pourra se concilier avec sa virginité, et elle prononce enfin ce fiat tout-puissant qui fait descendre 188 le Verbe de Dieu dans son sein, et avec lui les flots de la grâce divine. Alors s'ouvrent les portes d'or du Temple, qu'Ezéchiel vit closes devant la gloire de Dieu. Les por­tes d'ivoire se sont levées et le roi de gloire est entré. N.-S. continue mystiquement son incarnation dans son Eglise et dans ses fidèles. Ouvrons à ses instances et recevons dans nos cœurs le Seigneur des vertus. - L'incarnation du Verbe est le principe de toute rédemp­tion, de tout mérite et de tout l'ordre surnaturel, elle en est aussi la fin. Dieu a tout fait par son Fils, il a aussi tout fait pour lui. Et com­me l'ordre de la nature est subordonné à l'ordre surnaturel, le Verbe est le centre de toute la création: Pater futuri saeculi (Is 9,6). Adorons, rendons grâces. Humilions-nous: sentite in vobis, quod et in Christo Jesu (Ph 2,5). Marie est l'instrument de cette incarnation, in­strument sublime et puissant: mater misericordiarum. Soyons dévoués à la reine des cieux et confiants en la médiatrice de toute grâce. Préparons-nous à la grâce comme Marie par la 189 pureté: missus est angelus… ad virginem (Lc 1,26-27); par l'humilité: ecce ancilla Domini; par la foi: fiat mihi secundum verbum tuum (Lc 1,38).

Jésus vivant en Marie: 17 déc. «La sainte humanité de Jésus sancti­fiée par l'union hypostatique et par l'infusion des dons les plus ex­cellents est le modèle de notre sainteté et de notre union avec Dieu. L'oblation de lui-même et son intercession constante dès le sein de sa Mère est le modèle de notre intercession par l'office pour toute l'Église».

Noël: 17. 25 déc. «Vidi opera tua, Dne, et expavi (1). A la crèche: Deus Pater immensus, Filius immensus, Spiritus S. immensus, et non tres immensi sed unus immensus. Et il s'est fait tout petit. Aeternus, et il n'a qu'un jour. Omnipotens (1), et c'est la faiblesse même. Humilité, dé­tachement, dépouillement. Invenietis infantem, silence, recueille­ment, pannis involutum,… positum in proesepio (Lc 2,12). Jésus à la crèche réjouit le ciel en satisfaisant à la justice de son Père 190 et en rachetant les hommes. Il s'offre a son Père en victime d'adora­tion, de réparation et de prière. Offrons-nous avec lui».

Circoncision: «Jésus nous témoigne son amour en commençant à souffrir pour nous, c'est-à-dire à réparer nos fautes et nos maux et à mériter pour nous la grâce et la gloire».

Epiphanie: «Vidimus… stellam… et venimus (Mt 2,2). Soyons fidèles à la grâce. L'étoile qui doit toujours nous guider est le Cœur de Jésus. Que toutes nos actions soient faites à sa lumière! Qu'elles soient telles qu'il puisse les offrir à son Père. Obtulerunt… aurum, thus et myrrham (Mt 2,1 1). Offrons-nous sans cesse: hostiam… sanctam Deo placentem (Rm 12,1): offrons-nous comme victimes d'amour, de louange, de réparation».

Table des matières

V Cahier
Ve période: Rome, 1865-1871 (Suite)
Méthode et moyens de sanctification, 1866
Etat d'oraison 6
Rome et ses fêtes 11
Examens 34
Vacances 35
Rome, 2e année scolaire: 1866-1867
La rentrée 37
Condisciples 38
Nos maîtres 41
La théologie - Le dogme 44
Perrone et Franzelin 53
La théologie morale 57
Tonsure - Tiers-ordre - Ordres mineurs 65
Etat d'oraison 70
Etudes et lectures 71
L'art à Rome 75
Musées et galeries 100
Relations - Les zouaves 106
L'œuvre de Ste-Catherine 107
Le centenaire des Sts Apôtres 108
Les concours 110
Le retour 111
Les vacances 112
3e année scolaire: 1867-1868
La campagne de Garibaldi 113
Ma rentrée 113
Rome après Mentana 114
Les cours 115
L'Écriture sainte 116
Le droit canon 118
L'histoire ecclésiastique 120
Le sous-diaconat: 21 décembre 1867 127
Le bréviaire 132
Union à Dieu - Union au S. Cœur de Jésus 133
Notes de méditations 134
sur les grandes vérités 145
Sur la vocation et les saints ordres 163
Sur les vertus 170
Sur les mystères de Notre-Seigneur 186
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