VI Cahier
=====Notes sur l’histoire de ma vie
Ve période: Rome, 1865-1871 (Suite)
Notes de méditation: 1867-1868 (suite)
Sur les mystères de la vie de N.-S. 1
Le St Nom de Jésus: 19 janv. «Jésus, nomen adorabile, nomen Dei, nomen misericordiae, nomen auxilii; Jesu nomen salvatoris, nomen reparationis et salutis. Nous invoquons votre nom, Seigneur, et vous ne le démentirez pas, nous en avons confiance. Nous l'invoquons avec foi dans les mystères qu'il résume, et avec l'amour dans lequel Marie le prononçait. Jesu, nomen amatoris, nomen diletti et sponsi; nomen ejus qui dixit: qui faciunt voluntatem Patris mei, hi sunt fratres mei et mater mea. - Oleum effusum nomen tuum: oleum lucit, roborat et linit» (1).
Présentation au Temple: 2 fev. «Positus 2 est hic in ruinam et in resurrectionem multorum (Lc 2,34). Jésus s'offre pour notre salut a tous. Il prend sur lui tous nos poches; mais il nous laisse libres de profiter de notre rédemption en nous unissant a lui, en l'aimant, en accomplissant sa volonté».
Jésus au Temple à 12 ans: 13-14 janv. «Unissons-nous aux prières de Jésus au Temple. Ne soyons pas froids et distraits dans les audiences que l'auguste Trinité veut bien nous donner. Nous avons à la louer, à l'adorer, à lui rendre grâces pour tant de bienfaits naturels et surnaturels accordes au monde et à nous en particulier. Et nous avons tant de grâces à demander! Jésus quitte ses parents au Temple. Il nous quittera aussi quelquefois pour nous punir ou pour nous éprouver, nous le retrouverons dans la prière, dans son Cœur Sacre. In his quae Patris mei sunt, oportet me esse (Lc 2,49). N'avoir de rapports avec les hommes que selon Dieu et en Dieu. Régler nos relations selon sa volonté».
Vie cachée de Jésus à Nazareth: 15-16 janv. «Et erat subditus illis (Lc 2,51). Jésus pendant sa vie cachée demandait à son Père des grâces pour 3 chacun de nous, et il nous donnait l'exemple du travail et de la retraite. Vir oboediens loquetur victoriam (Pr 21,28). L'obéissance est un hommage constant rendu ā Dieu. J'obéirai à mon Sauveur dans l'oraison en l'écoutant; dans toutes mes actions en les offrant par son divin Cœur à son Père qui est aussi le mien».
Baptême de N.-S.: «Dieu par le baptême nous a adoptes pour ses enfants en N.-S.; et le Saint-Esprit a rempli notre âme de ses dons et renouvelle ces grâces spécialement par les sacrements. Détachons-nous avec N.-S. de tous les biens crées. Qu'ils ne soient que des instruments pour le louer lui-seul, l'objet de tout notre amour».
Prière et agonie de N.-S.: 11 fév. «N.-S. au jardin des olives pria pour nous obtenir toutes les grâces tant extérieures qu'intérieures dont il nous comble aujourd'hui. Il pleurait à la pensée de nos pêches innombrables, de nos résistances à sa grâce et de la gloire dont nous nous privions. Unissons-nous à sa prière. Pour conserver l'humilité et la paix du Cœur, reconnaissons 4 notre ignorance et notre faiblesse».
La Passion de N.-S.: 10 avr. «Humiliavit semetipsum factus oboediens casque ad mortem (Ph 2,8). Dieu le Père livre son Fils à la mort par amour pour nous. Infinie miséricorde qui se témoigne par toutes les souffrances de N.-S., toutes destinées dans sa sagesse à réparer nos fautes et à nous fortifier pour toutes les épreuves. Modèle d'obéissance parfaite, que nous devons imiter en consacrant à Dieu notre vie et notre mort bien insuffisantes pour réparer tant de pêches qui nous feraient horreur si nous pouvions en voir l'étendue et la profondeur».
Les cinq plaies, le précieux Sang: 20-27 mars. «N.-S., par ses plaies adorables, confirme notre confiance et notre amour. Il nous enseigne à nous renoncer entièrement et à remettre entre ses mains toutes nos facultés pour qu'il les dirige et en use à la plus grande gloire de son Père. Puisons aux flots de grâces qui découlent de la plaie de son Cœur. Le Sang précieux de N.-S. intercède sans cesse pour nous. Approchons-nous souvent de lui avec pureté, mansuétude et amour et puisons des 5 trésors de grâces surtout à la plaie de son Cœur.
Pâques: 12-21 avril. «Ego sum qui sum. Consilium meum non est cum impiis, sed in lege Domini voluntas mea (off.) (1). C'est moi, dit le Seigneur en venant sur la terre, et ses anges annoncent sa venue aux pasteurs et son étoile aux rois mages. C'est moi (Jo 18,5-6), dit-il aux soldats qui viennent le saisir à Gethsémani, et l'affirmation de sa personne terrasse et renverse les traîtres. C'est moi qui suis celui qui suis (cf. Es 3,14), nous dit-il par son Eglise le jour de sa résurrection: c'est moi qui fais trembler la terre et ouvre les tombeaux: c'est, moi qui vous comble de bénédictions et vous ressuscite avec moi à la vie de la grâce. C'est moi qui vous admets, vous surtout mes prêtres à mon intimité et à mon banquet céleste dès votre vie mortelle. Mais je n'admets pas les impies dans mon conseil, je suis pour eux scandale et folie: je réserve mes grâces aux humbles, à ceux qui, comme moi et avec moi, persévèrent 6 dans l'accomplissement de la volonté de mon Père. - Pour préparer nos corps à la résurrection, faisons-en un instrument docile de l'esprit et non pas une idole. Les actes qui n'ont pour motif final que l'agrément du corps nous rendent esclaves de la pourriture et des vers. Détachons notre cœur de tout ce qui est charnel et passager. Beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt (Mt 5,8). - Les cicatrices glorieuses de Jésus nous enseignent la voie qui conduit à la résurrection. L'homme, sans le péché, n'aurait eu qu'à louer, aimer et servir Dieu; après la chute il doit en outre réparer et souffrir, et dompter la concupiscence et mériter en souffrant. Les plaies de Jésus intercèdent sans cesse pour nous et nous sont un refuge où nous trouvons toujours un trésor infini de réparations et de mérites à offrir à son Père. Imitons l'empressement et la confiance des saintes femmes. Elles disposent leurs parfums et se rendent au sépulcre, se confiant au secours de Dieu pour en ouvrir l'entrée. Faisons ce qui est en nous pour plaire à 7 Dieu et mettons pleinement en lui notre confiance:il pourvoira à tous les besoins de notre âme. Dans son adorable sacrement N.-S. prépare nos corps à l'immortalité: «qui manducat meam carnem… ego resuscitabo eum in novissimo die (Jo 6,55); et cela par la dignité qu'il leur confère par sa présence et son contact. Notre séjour dans la tombe ne sera qu'un sommeil. Nos corps ressusciteront semblables à celui de N.-S., corpus spirituale, in incorruptione, in virtute, in gloria (cf. 1 Cor 15,42-44). Et qui manducat me et ipse vivat propter me (Jo 6,58). N.-S. nous communique aussi dans son sacrement son esprit, sa vie, la lumière surnaturelle, l'onction de la grâce et de l'amour et la force de la volonté. Quem quaeritis? Non es hic (cf. Mc 16,6). Toutes nos espérances sont au ciel. Quae sursum sunt quaerite (Col 3,1). C'est là le terme de notre pèlerinage, notre repos, notre fin. C'est là qu'est notre lumière et notre force, ubi Christus sedet ad dexteram Dei (cf. Col 3,1). Cherchons là dans les stygmates 8 sacrés de Jésus notre voie et notre refuge. C'est là aussi que doit être notre amour et notre cœur, car c'est là qu'est Jésus, notre tout. Quae sursum sunt sapite non quae super terram (Col 3,2)… Dicite apostolis et Petro quia surrexit (1). N.-S. fait annoncer de préférence sa résurrection à Pierre, non seulement à cause de sa primauté, mais parce que Pierre l'aimait plus que les autres et parce qu'il pleurait encore, pénétré de contrition. Ce sont là les conditions pour être apte à recevoir les communications de N.-S.: aimer et pleurer ses fautes; aimant en agissant selon l'inspiration de l'Esprit-Saint et les voies de la Providence. Comme Pierre et Jean, courons vers N.-S. ressuscité. Cette course durera autant que notre courte vie, avec des haltes ménagées par la miséricorde de Dieu, et l'amour de N.-S. dans le St Sacrement de l'autel et l'oraison au pied du Calvaire. Courons, quittons tout pour le bien infini. Ne regardons pas en arrière, tout ce que nous donnons nous sera rendu au centuple».
Ascension: 21 mai. «Adorons N.-S. qui monte au ciel en nous bénissant dans la 9 personne de ses apôtres: bénédiction surtout féconde pour ses ministres et qui est permanente dans le ciel: benedicens ferebatur in coelum (cf. Lc 24,51). N.-S. va reprendre au ciel la clarté qui lui est due: clarifica me in veritate (cf. Jo 17,5.17). Il ne s'en était privé un moment que pour nous racheter et nous y faire participer. Vado parare vobis locum (Jo 14,2). Nous sommes ses membres et nous serons réunis à notre chef pour être glorifiés en lui. Plus nous lui serons unis dès cette vie, plus nous entrerons dans sa gloire. Advocatum habemus (1 Jo 2,1). Notre cause est gagnée. Répondons seulement a ses grâces et N.-S. nous glorifiera avec lui».
Pentecôte: 31 mai. «Cum complerentur dies pentecostes (Ac 2,1). Le même jour où la loi ancienne fut donnée à Moïse sur des tables de pierre,la loi nouvelle est gravée dans le cœur des disciples de Jésus. C'est ainsi que Dieu nous parle de préférence depuis la rédemption.
Les apôtres s'y préparèrent par le recueillement et la prière. Le St-Esprit parut sous la forme 10 de langues de heu. Comme le feu, il éclaire, il échauffe, il purifie, il consume ce qui n'est pas pur, il s'étend et se dilate…»
Sur les mystères de la Sainte Vierge
De l'Immaculée Conception: 17 mars. 2 mai. «Le Verbe de Dieu a daigné pour nous racheter devenir notre frère par la nature et par la communauté d'origine. Son sang a traversé toutes les générations pendant 4.000 ans. Il fallait qu'il appartînt bien selon la chair à la famille pécheresse d'Adam. Sa généalogie ne nomme, outre Marie, que quatre femmes, trois grandes pécheresses et la pauvre Moabite Ruth, d'abord infidèle. Mais il fallait aussi que celle dans le sein de laquelle fût formé son corps, fut digne de lui par sa pureté. Il ne pouvait se faire que le cœur de Marie eût une autre affection que celle de Dieu et par conséquent qu'elle connût le péché même véniel. Mais de plus il ne pouvait se faire qu'elle fût esclave de la honteuse concupiscence qui nous reste même après la rémission 11 du pêche d'origine et qui souille toutes nos justices: justitiae vestrae sicut pannus menstruatae (cf. Is 64,6). Aussi a-t-elle été préservée du péché d'origine. Elle est toute belle et, de l'excès de son amour pour Dieu, elle a contribué à former Dieu dans son sein. Elle était au milieu des hommes comme un lys au milieu des épines, sicut plantatio rosae in Jericho (Ecli 24,18), tamquam lilium inter spinas (cf. Cn 2,2). - Marie par son Immaculée Conception a été préparée pour devenir le temple de Dieu. Son corps était pur et le docile instrument de son âme. Son imagination était l'auxiliaire de ses vertus. Toutes ses facultés étaient naturellement inclinées à la plus grande perfection, et ses passions toujours dans l'ordre. Le prêtre, qui devient comme Marie le temple de Dieu, doit imiter autant qu'il est en lui cette perfection».
Marie au temple: 4.5 mai. «Marie vivait au temple d'une vie simple et retirée avec ses compagnes. Elle louait Dieu en accomplissant sa volonté indiquée par son règlement. Elle 12 partageait sa journée entre la prière, le travail et l'étude. Unissons-nous à la pureté de ses intentions et à sa prudence pour disposer l'usage de toutes ses facultés pour la plus grande gloire de Dieu».
Son voeu de chasteté: 4 mai. «Marie se jugeant indigne de donner le jour au Messie, ne rechercha par le mariage comme les autres filles d'Israël, mais elle fit voeu de chasteté et se consacra toute à Dieu. Les créatures ne lui servaient qu'à s'élever à Dieu. Elle voyait en elles l'image de Dieu bien que défigurée».
Les épousailles: 23 janv. «Marie et Joseph sont deux lis. Pascitur inter lilia (Cn 2,16). Emules de virginité, de pureté, d'humilité. Les vertus de Marie illuminent Joseph par leur éclat et le guident».
Maternité de Marie: 18 mars. «La maternité de Marie nous invite à la louer et à mettre en elle toute notre confiance. Par sa maternité divine, Marie a acquis une autorité sur toutes les créatures et sur N.S. lui-même. L'enfant ne reçoit pas seulement son corps et son sang de sa mère, mais la mère forme moralement 13 l'âme de son enfant. Elle lui donne son sang vivant et animé et conforme son âme a la sienne. Elle continue sa formation morale dans l'éducation. Jésus a daigné recevoir de Marie l'éducation et, par elle, croître devant les hommes et même devant son Père: crescebat sapientia coram Deo et hominibus et erat subditus illis (cf. Lc 2,40.51-52). Et il lui fut soumis pendant trente ans. Mais outre que les tendres baisers de l'enfance laissent une impression ineffaçable, il est certain que la maternité est une relation réelle qui persévère dans l'éternité. Et Jésus rend grâce sans cesse avec amour à Marie du sang qu'il tient d'elle, avec lequel il a racheté ses frères et du quel il les enivre chaque jour à l'autel».
L'Annonciation: 7 mai. 6 mai. 16 mars. «Marie est troublée par l'apparition et l'annonciation de l'ange. Cette salutation semble compromettre sa virginité et son humilité. Renouvelons souvent nos protestations d'amour exclusif pour l'époux de notre âme, qui est Dieu, amour de 14 prédilection auquel tous les autres doivent être subordonnés. Renouvelons souvent notre confusion et notre humiliation à la vue des bénédictions dont Dieu nous a comblés… De stercore erigens pauperem (Ps 112,7). Nous sommes indignes de toutes ses grâces. Efforçons-nous au moins d'y répondre. - Ecce ancilla Domini (Lc 1,38). Telle était la disposition du cœur de Marie: servir humblement et suivre toutes ses inspirations et sa volonté. Fiat mihi secundum verbum tuum (Lc 1,38). Cette correspondance à la volonté de Dieu est la source de toute grandeur et de toute dignité» (Voir Incarnation, cah. 5 p. 186).
Jésus vivant en Marie: 8 mai. «Marie devenue mère vit toute en Jésus. L'influence des âmes ainsi unies est déjà sensible dans la maternité ordinaire. Combien elle fut plus grande en Marie. Jésus, depuis sa conception, sanctifiait sa mère de cette sainteté sublime qui devait être digne d'influencer à son tour lame de Jésus. Ils n'avaient moralement qu'une âme, qu'un esprit et qu'un cœur. - Dans la sainte communion a lieu également une union intime de nos âmes à Jésus et une grande influence de Jésus sur nos 15 âmes. Cette communication n'est pas extérieure, comme dans le repos de Jean sur le Cœur du Sauveur, dans le tendre regard de Jésus à Pierre, dans le doux baiser qu'il donna aux petits enfants, mais son amour n'est pas pour cela inactif. Il transforme nos âmes par la grâce et, s'il les trouve bien vides d'elles-mêmes, il les remplit de son esprit et de son amour».
La Visitation: 9-11 mai. «Marie quitte la contemplation de son Sauveur pour aller se mettre au service d'Elisabeth, ou plutôt elle unit l'amour de son Dieu à l'amour du prochain. Comme l'arche d'alliance, elle est revêtue d'or à l'intérieur et à l'extérieur. A son exemple, donnons-nous aux hommes sans quitter Dieu. Tenons-nous en union avec Dieu, union constante, intense, toujours égale, union qui s'opère par la foi, l'espérance et la charité, mais surtout par la charité. - Magnificat anima mea Dominum (Lc 1,46). Entrons dans les sentiments de profonde humilité de Marie. Elle exalte le Seigneur et s'abaisse devant lui. Elle loue le Seigneur, Sauveur des nations, et regarde 16 comme un don gratuit les grâces dont le Seigneur l'a comblée. Plus notre cœur sera vide de tout amour-propre et de toute vanité, plus il sera propre à recevoir l'abondance des grâces de Dieu. Le prêtre peut dire comme Marie: fecit mihi magna qui potens est (Lc 1,49). Il doit considérer cette grâce avec la même humilité et la même reconnaissance. - Marie témoigne chez Elisabeth d'une charité généreuse, persévérante. Elle se donne tout entière aussi longtemps qu'elle est utile et n'omet pas cependant de contempler le Sauveur qu'elle porte dans son sein. Elle adore celui qui est appelé par les prophètes «Deus fortis, immortalis Emmanuel» (cf. Is 9,6-7). Elle brûle d'amour pour l'époux mystique du Cantique des cantiques et le porte en son sein comme un bouquet de myrrhe».
Bethléem: 13-14 mai. «Dieu se sert du cours ordinaire de sa Providence pour conduire Marie à Bethléem. Laissons-nous conduire par cette suave Providence, qui a ses fins cachées mais sublimes. Etudions à Bethléem la pauvreté du Sauveur et de Marie. - 17 Marie à Bethléem contemplait amoureusement Jésus et lui offrait son lait virginal, et Jésus la caressait. Toutes ces relations maternelles étaient pour Marie des grâces qui l'élevaient au-dessus des Seraphins et de tous les Saints réunis. Marie portait à un degré sublime son union avec Dieu et le renoncement aux créatures par la pauvreté, la chasteté parfaite, qui n'aime que Dieu, et l'humilité, qui attribue à Dieu tout le bien qu'elle possède».
Recogitabat omnia verba haec (cf. Lc 2,19): 15 mai. «Marie repassait et méditait dans son cœur les premiers mystères de l'enfance de Jésus.
Elle entretenait ainsi et alimentait son amour. Elle unissait ses adorations à celles que Dieu inspirait aux bergers et aux mages. Elle unissait son amour pour les hommes et son zèle pour leur salut à celui de Jésus».
La Purification: 16 mai. «Marie se soumet sans raisonner à la Purification. Sa volonté est portée à l'observation de la loi, et elle ne s'en écarterait que sur un ordre manifeste de Dieu. Elle n'a pas à 18 purifier son corps, mais le St-Esprit augmente encore la pureté de son âme. Elle se purifie en s'unissant encore plus intimement à Dieu, qui est 1a pureté même. Elle ne voit les hommes et les choses qu'en Dieu, ne les aime qu'en Dieu et n'agit que selon Dieu».
La fuite en Egypte: 18 mai. «Marie se rend en Egypte sans raisonner, sans se plaindre, avec une parfaite résignation à la volonté de Dieu. Bien plus elle embrasse avec amour cette volonté, persuadée que ce que Dieu veut et permet, il le veut pour sa plus grande gloire et notre plus grand bien».
Marie à Nazareth - Vie simple et modeste, silence, vie intérieure, oraison: 20-25 mai. «Marie , a Nazareth menait une vie simple et modeste. Toute sa sainteté était à l'intérieur: elle ne se témoignait plus par des miracles et des prophéties, et cependant elle était parfaitement agréable à Dieu. La sainteté et la perfection consistent à accomplir en Dieu les actions simples de notre état. Dans notre cœur et dans nos oraisons, louons et adorons Dieu et alimentons notre foi et notre amour 19 par la considération des perfections de Dieu et de ses œuvres. - Marie aimait le silence. Pendant ses travaux manuels elle occupait son esprit de ce qui était propre à nourrir son amour de Dieu, des perfections et bienfaits de Dieu,des perfections de Jésus, des exemples des Saints… Elle savait rompre le silence pour satisfaire aux devoirs du zèle, de la charité et de la bienséance, comme nous le voyons chez Ste Elisabeth et à Cana. Mais ses discours tendaient toujours à glorifier Dieu et à édifier le prochain. - Marie repassait souvent en son cœur ce que les prophètes avaient dit de Jésus, et ce qu'avait dit l'ange, Siméon, Anne et Elisabeth. Elle considérait aussi dans son cœur toute la vie et les actions de Jésus, pour ne faire qu'un cœur avec lui et s'unir à ses pensées et à ses affections. Elle s'élevait par cette union à la plus éminente sainteté. - La préoccupation de Marie était l'accomplissement de son travail et toutes les fois que celui-ci le permettait, l'oraison. Son oraison était alimentée par les 20 mystères des fêtes de l'année, par sa lecture des Livres Saints et par tous les mystères de la vie de Jésus. Ses jugements étaient pesés devant Dieu et conformes à la vérité des choses et à une sage prudence. Ses affections étaient pour Dieu et pour les créatures seulement en tant qu'elles procurent la gloire de Dieu».
Marie aux Noces de Cana: 21 janv. «Non habent vinum (cf. Jo 2, 3). Marie voit nos besoins mieux que nous-mêmes et elle intercède pour nous. Remercions-la et dans tous nos besoins tournons notre pensée vers elle. Elle nous dira: faites tout ce qu'il vous dit (Jo 2, 5), et si nous présentons à notre Sauveur notre cœur vide d'amour, il le remplira. Le Cœur de Jésus bat toujours pour nous, recourons à lui par Marie».
Marie au calvaire: 3-8 av. 27-28 mai. «Stabat. Louons Marie qui a participé à notre rédemption par sa sainte compassion. Elle a été soutenue dans sa douleur par sa résignation à la volonté de Dieu et son amour pour les hommes. Consolons-la par notre amour. Fulcite me floribus, stapate me malis (Cn 2,5). Marie participe à 21 la gloire et au règne de Jésus comme elle a pris part à ses douleurs… Ecce mater tua (Jo 19,27). Jean représentait tout spécialement les prêtres au pied de la croix. Marie est notre mère, il faut l'aimer comme une mère. Ecce filius tuus (Jo 19,26). Quel amour pour nous ces paroles ont dû allumer dans son cœur! Nous lui devons tous quelques grâces de choix. Elle est le canal et la médiatrice de toutes les grâces (St Bern., St Lig. (1), st Cyrille(2) au Conc. d'Ephèse).
Comme Dieu a voulu, dit Bossuet, nous donner par elle la source de toutes les grâces, le Sauveur, il est à croire qu'il veut nous communiquer par et tous ses bienfaits. Nous avons besoin de sa médiation pour réparer nos fautes passées, pour notre ministère, dans les périls, surtout à la mort… Vivons en union avec son cœur pour être mieux unis à celui de Jésus. Tout à Jésus par Marie. Tout à Marie pour Jésus. Tout a Dieu et rien qu'à Dieu pour l'éternité. - Marie, reine des martyrs, a souffert dans son cœur toutes les douleurs de son Fils. Son cœur était déchiré par les épines qu'ensanglantaient 22 le front de Jésus, percé par les clous qui l'attachaient à la croix, et oppressé par l'abandon que Jésus exprimait en disant à son Père: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? (Mt 27,46). Mais elle entendait aussi Jésus disant aux hommes: Tout est consommé pour votre salut (cf. Jo 19,30); et à son Père: Je remets mon âme entre vos mains (cf. Lc 23,46). Et avec Jésus elle s'offrait à Dieu pour être obéissante jusqu'à la mort. Comme Jésus, Marie n'a pas de volonté propre: «scriptum est de me ut faciam… voluntatem tuam» (Hb 10,7).
Marie à la résurrection: 15 av. «Qui diligit me, diligetur a Patre meo et manifestabo ei meipsum (Jo 14,21). Jésus se manifeste par sa grâce a ceux qui l'aiment et qui observent ses commandements. II console ceux qui souffrent pour lui. Il est donc vraisemblable qu'il a apparu à Marie bientôt après sa résurrection et qu'il s'entretint avec elle dans un colloque divin où Marie lui témoigna son amour, sa résignation, sa joie et la reconnaissance que lui devaient tous les hommes. Marie, par modestie, ne nous a pas fait connaître cette apparition, parce qu'elle n'avait pas 23 comme les apôtres, la mission d'être un témoin de la résurrection».
Marie de l'Ascension et après l'Ascension: 29-30 mai. «Marie assista aussi a l'Ascension de Jésus, et ce fut pour elle une mort continuelle, qu'elle accepta pour la gloire de Dieu, d'être séparée de Jésus. Acceptons cette séparation autant qu'il plaira à Dieu et travaillons à étendre son règne comme Marie le fit en dirigeant les apôtres. Marie, après l'Ascension de Jésus, était avec les apôtres comme leur guide et leur conseil. Déjà remplie de grâces dès sa conception, elle avait reçu un accroissement merveilleux de grâce aux principaux mystères de la vie et de la mort du Sauveur. Le St-Esprit son époux acheva de l'orner et de l'enrichir de ses dons au Cénacle à la Pentecôte. Il rayonne d'elle comme de son foyer sur les apôtres. Par elle aussi nous obtiendrons les dons et les lumières de l'Esprit-Saint».
Notre Dame auxiliatrice: 3 fév. 24 mai. «Marie est notre mère, ayons en elle une confiance filiale. Dans les tentations, recourons à elle et appelons-la à notre 24 secours, comme l'enfant appelle sa mère dans tous les dangers. Elle est puissante et renversera le démon qui nous tente. Elle veillera à tous nos besoins avec une providence maternelle. Elle est notre avocate, s'il nous arrive de tomber, recourons à elle. - Marie est le secours des chrétiens. Elle est puissante auprès de Jésus. Il lui fut soumis pendant trente ans pour le règlement de toutes ses actions, pour le travail, pour la prière, pour les relations extérieures. Il lui montra à Cana que, pour elle, son temps était toujours venu.
Etudes et lectures
Mes lectures spirituelles de cette année là étaient les opuscules si chauds, si pleins d'amour de St Augustin, les prières et les exercices de Ste Gertrude, la vie du P. Libermann. Ces lectures étaient conformes à mes goûts toujours plus accentués de vie intérieure et d'amour de N.-S. J'aimais ma cellule et la vie paisible du Séminaire. Parfois je me demandais si je n'étais pas fait pour la vie contemplative. Je copiais dans mes notes ces mots du P Libermann: «Vivre et mourir dans 25 une solitude profonde, inconnu des hommes, aimé, béni, consolé de Dieu seul: in nidulo meo moriar (sa Vie par le tard. Pitra, p. 323) (1).
Cependant je sentais qu'il fallait attendre pour ma vocation les indications de la Providence. Je copiais aussi cette règle rappelée par Mgr. Pie: «Divisiones vero gratiarum sunt, … et divisiones ministeriorum sunt… et divisiones operationum sunt.» 1 Cor XII, 46. Dieu permet souvent que l'indice des destinations diverses, se trouve non seulement dans la diversité des attraits, des goûts et des aptitudes, mais dans la nécessité matérielle ou morale des situations» (2).
Je lisais volontiers quelques belles pages des contemporains. Dans l'oraison funèbre des zouaves pontificaux (3), Mgr Dupanloup citait Bossuet: «Ne faut-il pas que les grandes âmes aient découvert, aux rayons d'une lumière divine, un agrément immortel dans l'honnêteté et la vertu, pour aller s'exposer, je ne dis pas sans crainte, mais avec joie, à des fatigues immenses, à des douleurs incroyables, et 26 quelquefois à une mort assurée pour ce qu'elles aiment, pour la patrie, pour la religion, pour les autels». - Mgr Dupanloup ajoutait: «Par eux les âmes oppressées sous les hontes (4) contemporaines respirent; par eux, le sentiment du devoir, si étrangement abaissé, se relève dans les consciences; par eux, malgré les tristesses les plus amères de nos malheureux temps, l'inspiration, le souffle sacré du dévouement console et rafraîchit les cœurs».
Quelques questions occupaient souvent mon esprit: l'enseignement, la prédication, les œuvres sociales. C'étaient des idées maîtresses qui présageaient les ministères auxquels je devais me livrer plus tard.
Sur l'enseignement, j'écrivais ces notes: «L'enseignement qui exclut la religion n'est pas un enseignement indifférent, mais pratiquement athée. Il prétend laisser libres toutes les religions et il les exclut toutes. En effet, l'enseignement est inséparable de l'éducation et de la religion. L'enseignement ne peut pas se borner à des mots: il propose et 27 impose des idées. Cela serait tout au plus applicable à des classes de grammaire et de langues dans des externats, en séparant l'éducation de l'instruction, ce qui est toutefois moralement impossible dans la pratique. Une université qui, sans exclure radicalement la religion et l'éducation, diminue leur juste influence et domination, est une école publique d'indifférentisme, d'irréligion, d'immoralité, de bassesse d'âme et de caractère. C'est un mal social immense. L'Etat sans religion d'Etat, ne doit pas enseigner, mais laisser enseigner toutes les sociétés religieuses, en excluant seulement celles qui ne reconnaîtraient pas les premières vérités sociales. Une société catholique peut et doit favoriser l'enseignement sous la direction de l'Eglise» (1).
Sur la rhétorique sacrée, je notais ces pensées qui sont fondamentales: «Instruire, plaire et toucher, forment les trois éléments que l'analyse a fait découvrir aux rhéteurs dans le pouvoir de l'éloquence sur les âmes. Veritas pateat, veritas placeat, veritas moveat (S. Aug.) (2). 28 L'élément logique qui instruit; l'élément politique (Aristote), qui capte la bienveillance et fait goûter la vérité;l'élément esthétique ou pathétique qui remue les passions et entraîne la volonté» (3). - «Nos deux grands orateurs, Bourdaloue et Bossuet, si parfaits d'ailleurs, l'un sous le rapport de l'instruction et de la solidité, l'autre pour le sublime et la grandeur des vues, laissent beaucoup à désirer sous le rapport du pathétique. Massillon,un S peu plus heureux, ne traitait presque jamais un sujet de sentiment sans faire verser des larmes à tout son auditoire. C'est dans l'antiquité surtout qu'on trouve ces grands effets de l'art d'émouvoir, dans St Augustin, St Chrysostome, Démosthène» (1). - «Bossuet laisse souvent à désirer pour l'unité du discours. Bien des morceaux, dans plusieurs de ses sermons, pourraient se retrancher, sans que le discours cessât d'être complet» (2).
Sur la question sociale et politique, je notai une pensée que des études postérieures ont bien confirmée, c'est que l'échec de la restauration religieuse en France est dû à l'impéritie et au mauvais vouloir du gouvernement sous Louis XVIII. 29 Il y avait bien, tant à la cour qu'en province, dans l'administration, quelques personnalités catholiques. Mais l'esprit de Voltaire avait accès à la cour;le gallicanisme et le libéralisme affaiblissaient le clergé et les notabilités catholiques. (Voir D(om) Pitra, Vie du P. Libermann, p. 483) (3).
Quoique ennemi du libéralisme catholique, je goûtais les idées de St Augustin sur la prudence et la tolérance de l'Eglise. Les sociétés qui sont en possession de l'unité religieuse peuvent être sévères contre des erreurs isolées. Mais dans les sociétés divisées, il faut agir par la persuasion et l'apostolat. «Non aspere quantum existimo, non duriter, non modo imperioso errores multorum tollentur: magis docendo quam jubendo, magis monendo quam minando; sic enim agendum est cura multitudine: severitas auteur exercenda est in peccata paucorum». (Voir Lib. III, Contra Parmen., C.2, n° 13; et iterum epist. 22, n°5).
Déjà aussi je goûtais cette pensée, que j'ai souvent développée depuis, que «l'Écriture Sainte est un trésor de beautés littéraires». J'écrivais: «Tantôt 30 c'est le sublime des idées et la magnificence des images, comme dans ces peintures de la majesté de Dieu que nous ont laissées Moïse et Job, Isaïe, et Baruch; tantôt c'est le pathétique et le véhément, comme dans ces vives remontrances que les prophètes adressent aux rois et aux peuples; ici c'est le tendre, le doux et l'insinuant, comme dans les exhortations de Moise aux Israélites avant sa mort, ou l'épître de St Paul à Philémon.
Synthèse de Rome
C'était ma troisième année de Rome. Nous continuions dans nos promenades à aller de sanctuaire en sanctuaire. Je ni étais plus arrêté par l'attrait du nouveau, ni par les séductions de l'art. Je goûtais Rome, la Rome chrétienne, celle qui parle à la foi et à la piété. J'aspirais ses parfums suaves et réconfortants. Je buvais à ses sources sacrées. Je communiais à son esprit, qui est l'esprit de l'Eglise, c'est-à-dire l'esprit de foi, d'apostolat et de charité. Les Grecs allaient chercher l'inspiration poétique a la fontaine d'Hippocrène. Le voisinage des jeux corinthiens où eurent lieu tant de joutes littéraires, pouvait en effet évoquer bien des souvenirs 31 poétiques et provoquer l'inspiration. Rome a des sources plus pures et plus fécondes. Ce sont ses sanctuaires et ses tombes sacrées.
La Terre sainte elle-même y revit par les grandes reliques de la crèche et de la Passion. Une vertu, une grâce spéciale jaillissait des pas du Sauveur. «Virtus exibat de illo» (cf. Lc 6,19). Mais l'ombre des apôtres aussi guérissait les malades. Et il y a plus que l'ombre des apôtres à Rome, il y a leurs reliques sacrées,leurs tombes glorieuses. Nous allions dans nos pieuses visites de St-Pierre à St-Paul, de St-Paul à St Jean, de St Jean aux Saints-Apôtres; et le souvenir des travaux de ces vaillants fondateurs de l'Eglise animait notre zèle et notre esprit d'apostolat.
Puis nous allions prier et méditer aux tombeaux des martyrs, à St-Ignace, à St-Sébastien, à St-Laurent, aux Catacombes,au Panthéon; et de ces ossements sacrés, comme du sol arrosé de leur sang au Colisée sortait une grâce de charité ardente qui 32 nous faisait désirer de donner notre vie pour l'amour du Sauveur.
L'amour de la science sacrée semble jaillir du tombeau des docteurs et Rome possède les restes vénérés de St Léon, de St Grégoire le Grand, de St Jérôme, de St Chrysostome, de St Grégoire de Nazianze.
Les cœurs s'enflammaient facilement de zèle pour le salut des âmes auprès des restes sacrés ou au lieu de séjour de St François d'Assise, de St Dominique, de St Ignace, de St Philippe de Néri, de St Paul de la Croix.
D'autres sanctuaires inspirent la pureté et l'innocence, ce sont les tombeaux des vierges sacrées, Ste Cécile, Ste Agnès, Ste Catherine de Sienne ou les chambres qu'ont habitées ces adolescents qui ont mené sur la terre une vie angélique: St Louis de Gonzague, St Stanislas de Kostka, St Jean Berchmans.
Quelle ville peut être comparée à Rome pour ses influences sanctifiantes! Vraiment c'est le vestibule du ciel. 33 Il fait bon y vivre et l'on comprend la parole du Sauveur qui disait à Ste Brigitte qu'a Rome on fait son salut en abrégé.
On ne goûte bien toutes ces grâces que dans un long séjour, dans un séjour calme et recueilli a Rome. Chaque sanctuaire a ses bons jours, ses jours de fête. En suivant le cours de la liturgie on va, dans une harmonieuse alternative, d'un apôtre à un martyr, d'un martyr a un confesseur, d'un confesseur à une vierge. C'est un immense -ardin qui a toutes ses fleurs et ses parfums entremêlés.
Aussi j'aimais Rome. C'est mon séjour de prédilection et si la terre était notre lieu dé repos, c'est là que je voudrais vivre.
Rome, disait mon vénéré maître M. Dehaene, est une mer sans fond. On y découvre toujours de nouvelles splendeurs. On y puise toujours des grâces nouvelles.
Correspondance
Mes anciens directeurs me suivaient avec une sollicitude toute paternelle. 34 M. Demiselle, mon bon curé de La Capelle, devenu chanoine de Soissons, M. Dehaene et M. Boute, mes anciens maîtres d'Hazebrouck m'écrivaient pour m'encourager pendant cette année décisive ou j'étais promu aux ordres sacrés. Ils me confirmaient dans ma confiance à l'appel divin.
«Je vous ai toujours suivi avec une douce sollicitude, m'écrivait M. Dehaene. Toujours il m'a semblé que Dieu avait des desseins particuliers sur vous. Vous voilà décidemment entré dans la voie lumineuse et sûre. Vous n'avez qu'à vous laisser conduire docilement, comme par la main: car c'est ainsi que la Providence vous conduit plus que tout autre… Depuis longtemps je vous recommande à Dieu avec sollicitude; plus vous avancez vers l'époque décisive, plus ces voeux sont ardents».
M. Demiselle m'écrivait en décembre: «C'est une grande joie pour moi de savoir que vous allez recevoir le sous-diaconat. Que ne puis-je voler à Rome 35 pour me trouver samedi à l'ordination! Vous êtes heureux de pouvoir faire à Dieu le sacrifice de tout vous-même au profit de son Eglise dans un moment où tout semble conjuré contre cette Eglise, et de le faire dans cette Rome contre laquelle se déchaînent surtout les portes de l'enfer, et presque sous les yeux d'un pontife qui sera une des gloires de l'Eglise. Vous êtes heureux aussi de puiser à sa source l'esprit catholique et ecclésiastique le plus pur dans ces fortes et lumineuses doctrines dont Rome a le monopole. Je ne vois rien de comparable à l'enseignement du Collège romain. J'ai parcouru les traités du P. Franzelin et j'en ai été émerveillé au delà de tout ce que je puis dire. Je vais me joindre à vous pendant la retraite préparatoire à l'ordination, pour appeler sur vous toute l'abondance des dons célestes, qui vous fasse goûter le bonheur d'être à Dieu corps et âme et sans partage. La part est belle et digne d'une âme grande et d'un cœur dévoué». 36
M. Boute se montrait particulièrement paternel et affectueux. Il m'écrivait au 7 janvier: «Agréez toutes mes félicitations au sujet de votre promotion au sous-diaconat. Vous voilà donc engagé irrémédiablement dans la sainte milice. J'en suis heureux pour vous et pour moi. Pour vous, parce que je suis convaincu que vous y trouverez pleine et entière satisfaction, et que votre vocation est une de celles marquées au sceau divin. Pour moi, parce que je vous aime en Dieu de toutes les puissances de mon âme… Vous êtes appelé,mon cher ami, à faire beaucoup de bien, un bien considérable a l'Église avec vos lumières et vos talents. Que ne puis-je déjà vous voir à l'œuvre! Mais je me fais trop vieux pour jouir de ce bonheur. C'est par vous qu'a commencé la conversion de votre père, si bon, si loyal, si juste, et c'est par vous que se consommera son salut éternel, comme celui de votre famille. Prêtre, vous exercerez toujours sur elle une grande et précieuse influence…»
Et au 25 juin, il me disait: «Vous 37 voilà donc promu au diaconat. Quand la vocation s'y trouve, et la vôtre a été rudement éprouvée, il n'est point d'état qui offre plus de satisfaction et de félicité intérieure que l'état ecclésiastique. Qu'y a-t-il de plus doux, de plus suave que la joie du cœur, la paix de l'âme de ceux qui se sont donnés à Dieu tout entiers et pour toujours! Je ne suis point étonné que M. votre père se soit déjà fait à l'idée d'avoir un prêtre dans sa famille. Plus tard il en sera très fier. Et puis, avant toutes choses, il faut reconnaître là l'effet de l'action divine. Prêtre, vous ferez un bien immense à son âme, et un bien non moins considérable au sein de votre famille. Bénissons donc ensemble les dispositions secrètes de la Providence, qui vous a appelé et fait arriver malgré tant d'obstacles à la sainte mission qu'elle vous destine pour le plus grand bien de l'Église et pour celui des vôtres».
Retraite
La retraite n'avait pas pu se faire au mois d'octobre à cause de l'invasion garibaldienne. On nous 38 la fit faire avant Pâques, du 6 au 9 avril. Ce fut le vénérable Père Supérieur des Pères de Marie, de S-Laurent-sur-Sèvres qui la prêcha. C'était bien un homme de Dieu. C'était un beau vieillard dont l'attitude modeste et recueillie valait une prédication. Il nous donna une vraie retraite de séminaristes, retraite calme et pieuse, propre à nous conduire à l'humilité, à la piété, à l'amour du Sacré-Cœur et de notre divine Mère.
J'aimais son premier texte: «Dignos se (ipsa) circuit quaerens et in viis ostendit se illis hilariter, et in omni providentia occurit illis (Sap 6,17). Notre-Seigneur nous cherche pour nous élever à lui. Sa providence est infinie et il a pour chacun de nous la même attention que s'il était seul au monde. A quelle perfection ne veut-il pas nous conduire? Son regard est tourné vers nous bienveillant et amoureux: son regard qui entraîne Zachée à sa suite, son regard qui fit couler les larmes de Pierre, et qui soutenait l'espérance d'Etienne dans son martyre…» 39
Instruction sur le péché véniel: «Motifs de prendre la ferme détermination d'éviter tout péché véniel délibéré: 1° motifs communs aux péchés mortels. C'est une contradiction à la volonté manifeste de Dieu et une injure faite à Dieu. C'est une ingratitude,nous avons reçu tant de bienfaits. C'est une lâcheté et une infidélité aux promesses de notre baptême tant de fois renouvelées. C'est un oubli de la Passion de N.-S. qui a souffert aussi pour nos péchés véniels, surtout pour ceux des âmes consacrées. 2° motifs spéciaux. Les peines du purgatoire si terribles; la difficulté de distinguer les fautes vénielles d'avec les mortelles (S. Aug.); le péril de tomber peu à peu dans de grandes fautes (qui spernit modica Ecli 19,1); la nécessité d'obtenir par nos efforts et par la perfection de nos prières et de nos œuvres la grâce d'une bonne mort; l'amour de N.-S. qui nous aime tant et nous le témoigne de tant de manières. Déposons cette résolution dans le Cœur immaculé de Marie».
Instruction sur la perfection nécessaire aux prêtres: - «Estote perfetti sicut et Pater 40 vester qui est in coelis perfectus est (Mt 5,48). N.-S. adresse cette parole même aux simples fidèles, qui doivent s'abstenir de tout péché et faire le bien. Elle s'adresse à plus forte raison aux prêtres qui doivent être plus saints même que les religieux, qui par, leurs voeux s'engagent seulement à tendre à la perfection. La sainteté que doit avoir le prêtre nous est marquée par l'Ecriture. Sancti estote, quia ego sanctus sum, (Lv 11,44) et cependant le sacerdoce de l'ancienne loi était à peine l'ombre de celui de la loi nouvelle. St Paul décrit à Timothée et à Tite la sainteté des évêques et des prêtres: irreprehensibilem, sanctum… (1 Tm 3,2; Tt 1,8). Les Pères l'exaltèrent jusqu'aux cieux en cent endroits. L'Eglise sans rien exagérer, exige des clercs eux-mêmes une grande perfection: Quis ascendet in montem Domini? (Ps 23,3). Et en vérité le prêtre doit parler aux fidèles la parole de Dieu; il traite avec N.-S. à l'autel dans une intimité plus que fraternelle; il est le modèle du peuple: luceant opera vestra bona (cf. Mt 5,16). - Défauts à éviter dans la vie de sainteté: la recherche des consolations, considérons l'agonie de N.-S.; le retour sur nous-mêmes pour considérer nos progrès, 41 humilions-nous sans cesse; le découragement dans les tentations, sufficit tibi gratia mea (2 Cor 12,9); l'abattement après les fautes, reprendre toujours avec courage et persévérance: dixi: Nunc coepi (Ps 76,11).
2e jour: justice et charité: «Indicabo tibi, o homo, quid sit bonum et quid Deus requirat a te: utique facere judicium et diligere misericordiam et sollicitum ambulare cum Deo tuo (Mic 6,8). Te juger équitablement en tenant ton corps pour vil, rebelle et corrompu, ton âme pour grande, faite a l'image de Dieu, rachetée par le sang de Jésus-Christ, ointe du St-Esprit; en estimant à sa hauteur la vocation sublime et la responsabilité que tu encours par elle devant Dieu et devant les hommes, ce qui t'oblige à une sainteté très élevée et à une pureté angélique. - Faire miséricorde à ton prochain dans tes pensées, tes jugements, tes paroles et tes actions. - Marcher en union avec Dieu en mettant toute ta force en lui. Substantia mea… nihilum ante te (Ps 38,6)».
Instruction sur l'humilité. - «Discite a me quia mitis sum et humilis corde (Mt 11,29). L'humilité est nécessaire comme la grâce pour le salut: sine me nihil 42 potestis facere (Jo 15,5) - Superbis resistit, humilibus dat gratiam Oc 4,6). Elle est nécessaire comme la prière, car la vraie prière est une humiliation: oratio humiliantis se nubes penetrabit (Ecli 35,21). - De profundis clamavi… (Ps 129,1). Elle est le fondement de toutes les vertus qui, sans elle, ne sont qu'extérieures et même dangereuses. Elle est surtout nécessaire aux prêtres, car s'enorgueillir des grâces et dons surnaturels de Dieu est plus odieux que de s'enorgueillir des dons et des vanités de la nature. - Pour nous en pénétrer, considérons ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous pourrions devenir. Dans le passé, que de misères, que de révoltes contre Dieu! Dans le présent, incertitude sur notre état bien que nous devions avoir confiance; néant de nous-mêmes, corruption de notre nature, comme l'exprimaient les Saints quand ils étaient inspirés à parler d'eux-mêmes; néant même avec la grâce de Dieu qui n'est qu'une étincelle du soleil de justice. Dans l'avenir, nous pouvons tomber bien bas,surtout par l'amour-propre et l'orgueil. - Dans la pratique s'humilier souvent devant Dieu, 43 comme St François Borgia. En nous-mêmes écarter les tentations d'amour-propre, en prendre occasion de nous humilier. Devant les hommes, éviter d'abord la médisance, fruit de l'amour propre, savoir se taire et douter de soi; aimer toujours le dernier rang parce qu'il est sûr, tandis que les autres sont dangereux. Ne pas cependant s'abstenir du bien par humilité: videant opera vestra bona (Mt 5,16). In omni Christi ministro, necessaria sont duo: humilitas qua se suo ministerio judicet indignum; fiducia in Dei virtute qua libere et audacter agat in Dei nomine et auctoritate» (1 Tm 4,7).
Instruction sur l'oraison: - «Exerce… teipsum ad pietatem (1 Tm 4,7). L'oraison est le principal exercice de piété. Elle est presque aussi nécessaire que la prière vocale, puisque sans l'oraison on ne sait ni ce qu'on doit demander ni comment on doit le demander (S. Lig., Ste Thérèse). Elle est pour les prêtres la source unique de l'esprit de foi et de l'onction de la charité. Elle seule peut rendre fécond leur ministère. Elle nourrit la charité: 44 In meditatione exardescit ignis (Ps 38,4). On prétend en vain qu'on n'a pas le temps: on doit avoir le temps pour Dieu et on le retrouve abondamment. - Si l'on dit qu'on n'y fait rien, ou bien c'est involontaire et alors il n'y a pas moins de mérite; ou alors c'est volontaire et il ne faut pas abandonner l'oraison mais se corriger… Que notre oraison soit toujours préparée. Ne nous attachons pas rigoureusement à la méthode que nous avons adoptée, si le St-Esprit nous communique ses lumières sans demander de nous une grande activité».
3e jour - Confiance en Dieu et détachement des créatures: - «Deus cumulabit eos qui ambulant in innocentia sua: beati qui sperant in eo (1). Bien que les prêtres se perdent facilement, et pour la majeure partie, selon St Chrysostome, Dieu leur offre un moyen de salut facile et fécond: se détacher de toutes les inclinations de la nature corrompue, ou au moins y tendre sans cesse et mettre leur espérance en lui. Vivons sur la terre comme y vivait N.-S. et seulement pour la gloire de Dieu. Notre patrie est au ciel»
Instruction sur l'amour de N.-S. - «Manete in dilectione mea (Jo 15,9). Diligamus Deum quia 45 prior dilexit nos (cf. 1 Jo 4,10). Considérons la Passion de N.-S., ses ignominies, sa croix: il a été élevé au dessus de la terre pour nous attirer à lui. Considérons son amour pour nous dans le ciel: semper vivens ad interpellandum pro nobis (Hb 7,25); et dans l'Eucharistie… Aimons-le pour réparer la haine des juifs, l'oubli des chrétiens eux-mêmes et des mauvais prêtres, et pour réparer tout l'oubli et la froideur de notre vie passée. Aimons-le, c'est la source de tout bien: Si vous m'aimez mon Père vous aimera et vous bénira, et nous ferons en vous notre demeure (cf. Jo 14,21-23). Aimons-le en observant ses commandements, en pensant souvent et toujours à lui. Que la méditation de sa Passion soit notre aliment. Aimons-le en faisant tout pour sa gloire et en souffrant volontiers pour lui. - Aimons par son propre Cœur qui est le nôtre. Par son Cœur seul nous pourrons dignement aimer et louer son Père. - Rendons grâces à Dieu par le Cœur de Jésus pour ses dons admirables».
Instruction sur l'union à Marie: - «Ecce Mater tua (Jo 19,27). Jean représentait tout spécialement les prêtres au pied de la croix. 46 Marie est notre Mère, il faut l'aimer comme on aime une mère. Ecce filius tuus (Jo 19,26): quel amour pour nous ces paroles ont dû allumer dans son Cœur! Nous lui devons tous quelques grâces de choix. Elle est le canal et la médiatrice de toutes les grâces (St Bern., St Lig., St Cyr. au Concile d'Ephèse) (1). «Comme Dieu a voulu nous donner pur elle, dit Bossuet, la source de toutes les grâces, il est à croire qu'il veut nous communiquer par elle tous ses bienfaits». Nous avons besoin de sa médiation pour nos ordinations, pour réparer nos fautes passées, pour notre ministère futur, dans les périls, surtout a la mort. Jamais on ne l'invoque en vain. Soyons bien dévots dans la récitation du chapelet, en prêchant et en propageant sa dévotion; enfin en vivant en union avec son Cœur, pour mieux être unis à celui de Jésus. Tout à Jésus par Marie, tout à Marie pour Jésus, tout à Dieu et rien qu'à Dieu pour l'éternité. - Je dépose dans votre Cœur, ô Marie, les résolutions de cette retraite, offrez-les à Jésus et obtenez-moi la grâce de les mettre à exécution. 47
C'était bien là une retraite du S.-Cœur et N.-S. me faisait faire mon noviciat et me préparait à ma vocation spéciale.
Excursion à Subiaco
Aux vacances de Pâques, j'allai avec quelques pieux condisciples faire un gracieux pèlerinage dans la Sabine. Nous avions besoin d'air et d'exercice. Deux choses nous attiraient, la Madone de Vicovaro et les souvenirs de St Benoît à Subiaco. Je gardais aussi mes goûts de touriste, parce que je voyais dans les voyages une source inépuisable d'étude.
Nous passâmes à Tivoli (Tibur), jadis séjour des grands et des poètes. Le guide Joanne nous signale bien ses cascades, ses temples antiques d'Hercule et de la Sibylle, avec les grottes pittoresques des Sirènes; mais il oublie de nous rappeler ce qui est plus beau que tout cela, le martyre courageux de Ste Symphorose et de ses fils. Symphorose, noble romaine, veuve du tribun Gétule, qui avait été martyr de Jésus-Christ, fut dénoncée à l'empereur Adrien. Ce prince que son amour de l'art ne préservait pas de la cruauté, voulait 48 contraindre Symphorose à sacrifier à Hercule. Et comme elle lui répondit fièrement qu'elle aimait mieux mourir pour J.-C. que de sacrifier aux démons, il la fit précipiter dans le gouffre creusé par l'Anio (1), après l'avoir fait suspendre par les cheveux au dessus du précipice pour essayer d'ébranler sa fermeté. Il fit planter ensuite sept pieux autour du temple d'Hercule et y fit attacher les sept fils de Symphorose et les abandonna aux bourreaux. Symphorose et ses fils sont honorés dans l'église principale de Tivoli et leurs précieuses reliques sont vénérées à Rome à l'église de S. Angelo in Pescheria. Ces pieux souvenirs nous touchèrent plus à Tivoli que les traditions païennes.
Plus haut dans la vallée de l'Anio, nous rencontrions Vicovaro. C'est l'antique Vara (1), aux murs pélasgiques, avec ses moeurs d'antan: les hommes vêtus de vestes bleues, jouant au disque, les femmes allant chercher l'eau à la fontaine et la ramenant sur leur tête dans un élégant vase de cuivre. 49 Ce n'est pas Joanne qui signalera à Vicovaro le sanctuaire miraculeux de la Madone. La pieuse image est de celles qui, à diverses reprises, ont remué les yeux et annonce par des signes de tristesse des fléaux prochains. L'Église a ratifie ces merveilles en instituant la fête de N.-D. des Prodiges. Ces faits se renouvelaient en 1868. Je crois avoir vu moi aussi la merveilleuse Madone lever les yeux au ciel et les baisser vers nous. J'en ai été vivement impressionné, mais ces miracles n'engagent pas la foi chrétienne.
Subiaco! L'Italie n'offre rien de plus intéressant et de plus saisissant: cette gorge sauvage où le Saint fondateur des moines d'Occident avait fondé douze abbayes (2); cette grotte ouverte dans le flanc des rochers où le pieux anachorète s'était d'abord retiré à l'exemple du Sauveur, qui avait aussi cherché la solitude au Mont de la Quarantaine!
Subiaco a deux sanctuaires: le monastère de Ste-Scolastique, dans 50 l'étroite vallée de l'Anio, et plus haut sur le flanc des rochers les grottes du Sacro Speco.
A Ste-Scolastique, l'église est du XVIIe siècle. Les chapelles latérales dédiées à St Benoît, a St Maur et à St Placide occupent l'emplacement des cellules de ces Saints. Un peintre de l'école d'Overbeck les y a représentés avec une inspiration toute chrétienne. Sous le transept une crypte ancienne possède le corps du Vén. Bèdè (3). Elle est ornée de fresques de l'école de Giotto. Un cloître du XIIIe siècle rappelle ceux de St Paul et de St Jean-de-Latran. Les colonnettes y sont accouplées par deux ou par quatre alternativement.
Le Sacro Speco me rappelait le couvent grec de Megaspilion(1). C'est un ensemble de sanctuaires irréguliers, construits du Ve au XIIIe siècle et comme suspendus aux flancs des rochers. L'église supérieure a trois travées du XIIIe siècle. Près d'elle une cour où les moines élèvent des corbeaux en souvenir de celui que nourrissait le Saint anachorète. Une 51 statue du Saint est tournée vers les rochers menaçants. Le Saint semble dire ces paroles écrites sur son piédestal: Ferme, rupe, noli dannegiare ai figli miei (2). L'église inférieure est de style byzantin. Elle contient le Sacro Speco proprement dit. C'est la qu'a vécu le Saint. Il y est représente par une belle statue de l'école du Bernin (3). Il est jeune, beau, dans l'attitude de la prière pénitente. Un peu plus bas St Benoît enseignait les pasteurs de la vallée. Un bouquet de rosiers sur une terrasse rappelle les mortifications héroïques par lesquelles St Benoît éloignait le démon. Ces sanctuaires ont un charme puissant. On y ressent l'influence de la grâce. On y éprouve les impressions du Thabor et on y dirait volontiers: bonum est nos hic esse (Mc 9,4).
Nous revînmes par les montagnes, en passant par Affile, Olevano, Gennazaro (Genazzano). Les chemins par là sont peu sûrs et les populations rappellent les premiers compagnons de Romulus. Ces bourgades sont des nids d'aigle 52 perchés sur des rochers. Je visitai aussi Palestrina, l'antique Proeneste. Ses souvenirs les plus touchants sont ceux de St Agapit, le jeune martyr de 15 ans, issu de noble famille, qui répond fièrement à l'empereur Aurélien et qui supporte héroïquement les plus cruels supplices: le feu, l'eau bouillante, les lions. Les bêtes fauves lui sont plus clémentes que ses juges. Ces souvenirs sont plus intéressants que les ruines du temple de Neptune auprès duquel le jeune Saint rendit témoignage au Christ. Cet aimable petit Saint est honore jusque dans le Nord de la France comme le protecteur des enfants.
Mon diaconat
Du 29 mai au 6 juin, je fis ma retraite d'ordination. Jours délicieux: c'est encore une grâce pour moi d'en réveiller les souvenirs.
Notes du 29 mai: «Causa martyrem facit: ubi antem persecutionis causa non imminet, pia in seipsum crudelitas et desiderium patiendi, vicem martyrii recompenset (Pet. Bles.). C'était là mon désir. 53
Oraison: N.-S. nous invite à recevoir de lui une nouvelle grâce, après celles de la création, de la vocation au christianisme et à l'état ecclésiastique. Nous ne pouvons rien pour répondre à une si grande dignité: laissons agir N.-S. en lui donnant sans réserve tout notre esprit et tout notre cœur.
Nous avons dû progresser chaque jour, depuis la réception de la tonsure, dans le renoncement et dans l'abnégation, dans l'estime de notre vocation et dans l'acquisition des vertus. Le détachement a dû supprimer en nous toute pensée, toute affection, toute action qui ne soit pas animée par l'Esprit-Saint. Nous sommes appelés à être des instruments de grâce par notre vocation. Tous mes actes doivent sanctifier les âmes, soit ex opere operato dans les sacrements, soit par la providence surnaturelle de Dieu (ex congruo) qui nous destine à servir de maîtres, de modèles et d'instruments de mérite, et nous distribue ses grâces en conséquence. - La pensée de l'avenir me préoccupait: étais-je destiné à l'étude ou à l'action? Je notai sur ce sujet les pensées suivantes de St Augustin et de St Grégoire le G(ran)d. 54 Otium sanctum quaerit charitas veritatis; negotium justum suscipit necessitas charitatis. Quam sarcinam si nullus imponit, percipiendae atque instruendae vacandum est veritati; si autem imponitur, suscipienda est propter charitatis necessitatem (S. Aug) (1). Heureux temps que ceux où l'Église, riche en ministres, peut en laisser un certain nombre vaquer librement à l'étude de la vérité!
Isaias, qui mitti voluit, ante per altaris calculum se purgatum vidit, ne non purgatus adire quisque sacra ministeria audeat. Quia ergo valde difficile est purgatum se quemlibet posse cognoscere, praedicationis officium tutius declinatur» (s. Greg. Past.).
Autre oraison. - Suscitabo mihi sacerdotem fidelem juxta cor meum (1 Rg 2,35). Je l'appellerai, dit le Seigneur, pour moi et selon mon Cœur Nous avons dû montrer déjà cette fidélité dans les ordres mineurs. L'esprit de ces ordres doit nous rester. Il consiste à avoir soin des choses du Seigneur et de toutes les fonctions de son culte, à lire et méditer la parole de Dieu, interprétée par la voix intérieure de l'Esprit-Saint; 55 à nous rendre maîtres du démon, surtout en nous tenant unis à Dieu, pour ne pas lui donner prise sur nous; a nous offrir sans cesse à Dieu comme une victime qui lui soit agréable et à édifier le prochain par notre exemple et nos bonnes œuvres.
30 mai. - «Marie, après l'Ascension de Jésus, était avec les apôtres comme leur guide et leur conseil. Déjà remplie de la grâce et du Saint-Esprit dès sa conception, elle avait reçu un accroissement merveilleux de grâce à chaque mystère de la vie et de la mort de Jésus. Le Saint-Esprit, son époux, acheva de l'orner et de l'enrichir de ses dons au Cénacle. II rayonna d'elle comme de son foyer sur le apôtres. Par elle aussi nous obtiendrons ses dons et ses lumières.
2e or. - Tuli levitas de filiis Israel… et erunt levitae mei (Nm 3,12). Dieu nous a choisis et élus pour être à lui. Par le sous-diaconat nous nous sommes engagés à le servir avec pureté d'âme et de corps. Nous entretiendrons cette pureté par l'union avec Dieu, le détachement du monde et la prière. Nous sommes devenus aussi par le sous-diaconat, des hommes de prière, et pour que notre 56 prière soit vraie, recueillie, religieuse, il faut que nous soyons des hommes d'oraison et que nous nous établissions dans un état habituel d'union avec Dieu…
3e or. - Considerate viros boni testimonii, plenos Spiritu Sancto et sapientia (cf. Ac 6,3). Soyons purs comme il convient à ceux qui approchent du Saint des Saints et qui traitent familièrement avec Dieu. Estote nitidi, mundi, puri, casti: sans ombres, tout éclairés par Dieu, par sa lumière surnaturelle. Soyons des vaisseaux purs et remplis du Saint-Esprit, purifies par le feu de l'amour divin et remplis par la grâce, par les vertus et par les œuvres».
31 mai. - «Emittes Spiritum tuum et creabuntur.. (Ps 103,30) N.-S. avait choisi des apôtres pauvres et ignorants et quelques-uns grands pécheurs. Pendant trois ans ils entendirent sa doctrine et virent ses exemples et ils ne le comprenaient pas. Mais quand vint le moment de prêcher sa résurrection et de porter aux peuples la parole du salut, il les revêtit de la force d'en haut. Prions Marie et les apôtres de demander pour nous cette nouvelle création de nos âmes, la force, la pureté, le zèle, la sagesse et un ministère fécond. - 57 Et coeperunt loqui. Les apôtres, les diacres et les premiers chrétiens commencèrent à parler dans l'Esprit-Saint, suivant les devoirs de leur état, les uns par la prédication, tous par l'édification. Réglons toutes nos paroles selon l'Esprit-Saint, qu'elles soient édifiantes, charitables et zélées. Ils commencèrent à pratiquer toutes les vertus sans faiblesse et sans relâchement: imitons leur foi, leur charité, leur humilité. Et ils suivirent Jésus jusqu'à la mort. - Pour nous qu'une pieuse mortification et une parfaite résignation à la volonté de Dieu remplace le martyre».
1er juin. - «Oportet diaconum ministrare ad altare, baptizare, praedicare. Il faut que le diacre se pénètre de l'esprit de Notre-Seigneur et se dispose à exercer ses fonctions dans le même esprit avec lequel N.S. rendait ses devoirs à son Père et sanctifiait les âmes. Ce sont des fonctions divines: l'état habituel de nos âmes doit être conforme à cet esprit.
2e or. - Quid est dignitas in indigno, nisi ornamentum in Zuto?-Elegit Deus in ipso ante constitutionem mundi, ut 58 essemus sancti et immaculati (cf. Eph 1,4). Dieu nous a élus éternellement en son Fils, par ses mérites, dans son Eglise, en union avec ses sancti disciples, pour que nous soyons saints: erit sanctum Domino (cf. Lc 2,23). Dès notre baptême nous fûmes marques de ce cachet, et Dieu a daigné nous pardonner d'avoir violé le temple du Saint-Esprit. Il nous appelle à la sainteté en lui, dans la contemplation de ses mystères d'amour, dans l'union avec lui.
3e or. - Obsecro igitur primum omnium fieri obsecrationes, orationes, postulationes, gratiarum actiones pro omnibus hominibus (ad Tim.) (cf. 1 Tm 2,1). Soyons hommes de prière comme N.-S., figuré par le grand prêtre Onias que Judas Macchabée aperçut en vision. Jésus erat pernoctans in oratione (Lc 6,12). Il continue dans le ciel: semper vivens ad interpellandum pro nobis (Hb 7,25); et dans l'Eucharistie. Allumons l'encens de nos prières au feu de son amour».
2 juin. - «N.-S. est le parfait modèle de la vie intérieure par son union parfaite avec son Père. Imitons-le par l'union intérieure, fidèle et douce avec son Cœur et sa volonté et avec la volonté de son 59 Père. Cette union est la source de la paix de l'âme et de la charité pure, discrète, généreuse envers le prochain.
2e or. - Rape ad amorem quos potes et dic eis: amemus et redamemus, meliorem inveniri non possumus. Contemplons avec amour N.-S. et ses Saints: meliorem non invenimus. Rien de meilleur que ses perfections, ses vertus, ses grâces, son amour. Faisons en sorte qu'il soit aimé, par nos exemples, par notre conversation édifiante, par notre union avec lui qui rendra fécondes toutes nos œuvres.
3e or. - La dignité du prêtre au Saint Sacrifice est supérieure à celle des anges, et sa sainteté doit lui être proportionnée. Ses mains tiennent familièrement N.-S. lui-même. Ses lèvres prononcent des paroles qui ont une vertu divine. Pour nous préparer à cette dignité, laissons N.-S. vivre en nous et renonçons a toute vie propre».
3 juin. - «Le prêtre est comparé à une cité bâtie sur une montagne, à une lumière élevée sur un chandelier. Il doit être l'exemple et le modèle des fideles: 60 Esto exemplum fidelium - Adolescentiam tuam nemo contemnat (cf. 1 Tm 4,12) - Esto bonus odor Christi Deo (cf. 2 Cor 2,15). Nos forces n'ont aucune proportion avec ces grandeurs, mais Dieu est avec nous. Avec le secours de Dieu les apôtres ont fondé l'Église; Augustin a arraché l'Afrique à l'hérésie; Charles Borromée a réformé et maintenu- dans la foi le milanais; François Xavier a converti 20 royaumes; François de Sales a ramené à l'Église 70.000 hérétiques. Comme eux laissons-nous conduire par l'Esprit-Saint. Il ne demande de nous présentement que d' être de parfaits séminaristes.
3e or. - Eripuit nos a potestate tenebrarum, et transtulit nos in regnum Filii dilectionis suae (cf. Col 1,13). N.-S. au prix de sa Passion nous a arrachés au péché et à la damnation, et nous a acquis un trésor de miséricorde auquel nous avons eu besoin de recourir souvent après nos chutes. Il nous offre de tout nous pardonner de nouveau, pourvu que nous l'aimions».
4 juin. - «L'union intérieure avec N.-S. est le commencement de la vie du ciel. Tenons-nous dans cette union du cœur et de la volonté avec lui. Nourrissons-la en contemplant 61 souvent ses actes intérieurs et ceux de Marie.
2e or. - Quis stabit in loco sancto ejus? Innocens manibus et mundo corde (Ps 23,3-4). - Comme cette pureté est bien juste pour ceux qui vivent dans le service de Dieu! Ceux qui n'aiment dès cette vie que l'Agneau sans tâche, le suivront dans le ciel partout où il ira. O quam pulchra est casta generario cum claritate!» (Sap 4,1).
5 juin. - «Isti sunt ministri verbi, adjutores Dei, oraculum Sp.-S. (S. Prosp.). Quelle admirable dignité! - Sicut misit me Pater, et ego mitto vos (Jo 20,21). C'est la même mission, le même sacrifice à offrir, la même doctrine à prêcher. Et ce ne sont pas des anges que N.-S. a choisis pour ce ministère, mais de faibles hommes! Mais ayons confiance, il nous donnera sa vertu: induamini virtute ex alto (Lc 24,49). C'est lui qui nous a appelés: non vos elegistis me, sed ego elegi vos (Jo 15,16). Montrons-nous dignes, avec sa grâce, de ce ministère plus qu'angélique. Honorifico ministerium meum (cf. Rm 11,13). Nous représentons N.-S.: qu'il vive en nous, qu'il pense, aime, prie, parle, agisse en nous.
- Sanctificamini, cras enim Dominus faciet 62 mirabilia inter vos (Js 3,5). Le Seigneur nous dira: ascende superius (Lc 14,10). Nous lui serons de nouveau consacrés: Qui consecrati sunt mihi, sancti sint, quia ego sanctus sum (cf . Lv 21, 7-8) . Dieu nous choisit entre mille, nous arrache à notre néant et nous élève à ces dignités surnaturelles. Pour y correspondre nous avons sa grâce: Confidite, ego vici mundum (Jo 16,33), et l'assistance de son persévérant amour: Pater mi, sanctifica eos in veritate (Jo 17,17).
6 juin. - C'est le grand jour de l'ordination. Je prends la résolution de m'attacher de plus en plus à faire la volonté de Dieu, en vivant en sa présence et en n'ayant d'autre but que sa gloire. - Ne me rechercher en rien moi-même. - Faire en toutes choses ce dont Dieu est le plus honoré.
Pour me conformer à la volonté de Dieu, je m'unirai au Coeur Sacré de Jésus, en suivant doucement, patiemment et amoureusement la providence de Dieu et l'inspiration du St Esprit, comme N.- S. nous en a donné le plus sublime et parfait exemple dans sa Passion: obediens usque ad mortem (Ph 2,8).
Le ministère du diacre à l'autel est assez semblable à celui de St Joseph à Nazareth. 63 Il s'approche de N.-S., couvre et découvre son précieux sang et le transporte de ses mains. Ce ministère demande une pureté angélique à laquelle il faut veiller délicatement let qu'il faut entretenir par une vraie mortification.
N.-S. me pressait chaque jour davantage de m' unir à son Cœur Sacré. C'est le résumé de toutes les lumières de cette année. Je le formulais ainsi: «Unissons-nous toujours de plus en plus pratiquement avec le Cœur Sacré de Jésus. Que notre intérieur est loin de la pureté, de la dignité, de la sainteté des pensées, des désirs,des affections de N.-S.! Pour le laisser vivre en nous, retranchons les obstacles, l'amour-propre et toute concession faite aux sens».
Fin de l’année scolaire. Concours – Examens
Le 29 juin, en la fête de St Pierre, un décret du Souverain Pontife convoquait le Concile pour le 8 décembre 1869.
Je pris part aux concours et aux examens de fin d'année et Dieu bénit mon travail. Je fus reçu bachelier en théologie et j'obtins le premier prix de théologie 64 dogmatique (cours du matin) le 1er accessit de dogme pour les cours du soir et le ler prix de l'Académie de morale.
Je passai mes vacances dans un pieux repos à La Capelle, mais N.S. me préparait une grande grâce. Mes bons parents devaient se rendre à Rome avec moi à la rentrée d'octobre et assister à mon ordination sacerdotale qui serait avancée de quelques mois. En octobre, j'allai revoir mes amis de la Flandre.
C'est au printemps de cette année 1868 que le pauvre P. Hyacinthe prêcha le carême à Rome. Je l'ai suivi. Ses discours étaient très littéraires, son débit théâtral. On n'augurait rien de bon de son attitude prétentieuse. Pie IX l'appelait «Un predicatore alla moda». Son orgueil gâtait toutes ses bonnes qualités.
Au mois de mars, Palustre avait séjourné à Rome. Il écrivait son livre «De Paris à Sybaris», dont les lettres m'étaient dédiées. J'essayai de lui faire modifier quelques réflexions malsonnantes.
IVe Année scolaire: Rome, 1868-1869
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Préparation du Concile
Voyage
Nous sommes partis de La Capelle le 22 octobre, avec mes bons parents pour n'arriver à Rome que le 2 Novembre. Je devais leur faire voir quelques villes sur le chemin et faire avec eux le pèlerinage de Lorette.
Les éléments conspiraient contre nous: les fleuves étaient débordés sur notre route et les ponts emportés. Trois fois notre voyage fut interrompu. A la montée du Mont Cenis, il fallut faire une longue course à pieds à cause du débordement de l'Arc et d'une rupture de la voie. De Turin à Milan, il fallut prendre un détour,pour éviter l'inondation du Tessin. De Padoue à Ferrare, aussi, le Pôsorti de ses rives endommagea la voie et nous fit faire 14 kilomètres 66 en patache. Cependant nos bons anges nous conduisirent heureusement au terme du voyage.
Lyon
Notre premier arrêt fut à Lyon. J'avais déjà visité Lyon avec mon frère et ma belle-soeur, au moment de leur mariage, en faisant un voyage en Suisse, que je n'ai pas relaté dans les cahiers précédents. e devais revoir Lyon souvent, et toujours avec une joie profonde à cause de son beau sanctuaire de Marie et de ses grands souvenirs religieux.
Ce n'est pas seulement par sa grande population, par sa beauté, sa richesse et son aspect pittoresque que Lyon occupe un des premiers rangs parmi nos villes françaises, c'est surtout par son cachet chrétien. C'est la ville de Marie et des grands martyrs gaulois. Elle invoque pour ses patrons Notre-Dame de Fourvières (de foro vetere), la Vierge du vieux forum (1), puis St Jean Baptiste, patron de la Cathédrale, et ses martyrs: St Pothin, St Irénée, Ste Blandine et leurs compagnons. 67
Notre première visite fut pour Fourvières. Là notre Bonne Mère parle vraiment au cœur et donne confiance. Elle a tant de fois sauvé Lyon des inondations, du choléra et de tant d'autres périls,elle a prodigué tant de bienfaits à ses pèlerins. - Quel beau panorama aussi là-haut, depuis les monts de l'Auvergne jusqu'aux sommets neigeux des Alpes!
Les églises St Jean, St Irénée, St Nizier et Notre-Dame d'Ainay rappellent des souvenirs des premiers siècles chrétiens. La primatiale de St Jean, belle église du XIIIe siècle est inférieure à nos belles cathédrales du Nord. Elle possède le cœur de St Vincent de Paul et un trésor de reliques incomparables. C'est là que s'est tenu le Concile général de 1274 pour la réunion des églises grecque et latine.
La crypte de St Nizier est le modeste sanctuaire où St Pothin célébrait les mystères sacrés.
La crypte de St Irénée date du IIe 68 siècle. Elle possède les tombeaux de St Irénée, de St Epipode et de St Alexandre avec les ossements des 19.000 martyrs immolés à Lyon par Septime-Sévère, mêlés toutefois à des ossements profanes par l'infâme Révolution.
Notre-Dame d'Ainay a remplacé le temple d'Auguste et de Rome. Elle en a conservé quelques colonnes. C'est dans sa crypte que St Pothin et Ste Blandine furent emprisonnés.
Lyon a une jeune école d'art religieux qui se glorifie surtout des noms de Flandrin, de Bossan, de Fabisch, de Bonassieux, de Cailot. C'est à l'église d'Ainay qu'il faut étudier Flandrin, le fra Angelico de notre siècle. Bossan est un des rares architectes originaux du XIXe siècle. Il s'était essayé en dessinant plusieurs autels, il devait construire: la nouvelle basilique de Fourvières. Plusieurs églises de Lyon ont des sculptures de Fabisch et de Bonassieux. Caillot est le roi de l'orfèvrerie religieuse. 69
L'hôtel de ville est un de nos plus beaux édifices du XVIIe siècle. Mes parents y visitèrent avec plaisir les riches appartements impériaux.
Le musée nous intéressa vivement. Il faut y voir ses grandes mosaïques romaines qui attestent la splendeur de l'ancienne ville gauloise et quelques tableaux de premier ordre. Le chef-d'œuvre du musée est l'Ascension du Pérugin, tableau qui provient de la cathédrale de Pérouse. On y pressent toutes les grandes qualités de Raphaël, disciple du Pérugin. Le St François d'Assise de Zurbaran représente bien l'austérité et la profondeur de la grande école espagnole. Les vendeurs chassés du temple par Jouvenet faisaient le pendant des autres tableaux du même maître à l'abbaye de St Martin-desChamps à Paris. Le Dante conduit par Virgile aux enfers est un des plus beaux tableaux de Flandrin. Il est antérieur à ses belles compositions d'Ainay, de St Germain-des-Prés et de St Vincent-de-Paul.
Chambéry
Notre seconde étape fut Chambéry. 70 Sa cathédrale du XVe siècle manque d'ampleur. Elle est trop italienne et trop bariolée. Décidément la patrie du plus pur style ogival, c'est le centre de la France. Le château des ducs de Savoie est bien campé au-dessus de la rivière. Il a été trop modernisé. Il faut s'aider de son imagination pour lui rendre son cachet antique. La Sainte-Chapelle a gardé une délicieuse abside ornée de riches vitraux.
Turin
Le lendemain, nous étions à Turin. Ma bonne mère signale dans ses notes sur Turin le palais, la cathédrale, les musées et le pieux établissement de Notre-Dame-Auxiliatrice. C'est ce que Turin offre de plus intéressant. Turin est du reste une ville toute moderne. Ce qu'elle offre de plus ancien est son Castello du XVe siècle qui a un certain cachet, bien qu'il soit tout en briques.
Tout atteste à Turin le caractère religieux de l'ancienne maison de Savoie. La ville est restée pieuse et dévouée aux bonnes œuvres.
71 Le pèlerin doit y visiter la cathédrale, N.-D.-de-Consolation, N.-D.-de la Superga, N.-D.-Auxiliatrice, la Visitation, l'hospice de Cottolengo et le Corpus-Domini.
La cathédrale possède le Saint-Suaire de N.-S., une merveilleuse relique, toute marquée du sang rédempteur. C'est le principal linceul du Sauveur. Besançon en a un autre. Cadouin en Périgord a le Suaire de la tête de N.-S. La chapelle du Saint-Suaire est dans le style bizarre du P. Guarini, qui a construit aussi l'église St-Laurent et le palais Carignan. Elle a de superbes colonnes de marbre noir et une coupole toute ajourée.
N.-D.-de-la-Consolation est le plus ancien sanctuaire de Turin. La crypte est du XIe siècle. La Sainte Vierge a demandé elle-même ce sanctuaire et ce culte à Turin, dans une apparition au comte Arduin en 1015. C'est un des pèlerinages du Piémont.
N.-D.-de-la-Superga est un sanctuaire votif élevé par le roi Victor-Amédée après la délivrance de la ville en 1706. 72 Ce sanctuaire est campé sur la plus haute colline de Turin, à 500 mètres au-dessus de la ville. On y jouit d'un merveilleux panorama du cirque des Alpes. Les cryptes contiennent les tombeaux des comtes et rois de la Savoie, c'est le Saint-Denis du Piémont. Le 8 septembre de chaque année le sanctuaire et la ville sont illuminés en souvenir de la victoire due à la Sainte Vierge.
N.-D.-Auxiliatrice est un sanctuaire tout moderne. C'est le Saint de Turin, Don Bosco, qui l'a mis en vogue. La Ste Vierge y manifeste journellement sa magnificence. J'admirai avec mes parents l'œuvre de Don Bosco.
Les œuvres de Cottolengo sont une autre gloire de Turin. Ces Saints n'ont pu fonder de pareils établissements de bienfaisance qu'avec le concours d'une ville pieuse et charitable.
La Visitation de Turin possède un pieux souvenir, c'est la première image du S.-Cœur dessinée par la B. Marguerite-Marie et vénérée par ses novices.
Enfin l'église du Corpus-Domini 73 rappelle le beau miracle eucharistique de Turin de 1453. Son riche tabernacle a été construit pour recevoir l'Hostie miraculeuse restée suspendue au-dessus de l'autel sans soutien.
Le Palais-Royal de Turin offre aussi plus d'un intérêt. Il a son musée égyptien, un des plus riches du monde, avec ses statues, ses stèles, ses manuscrits et ses 200 momies. Il a son musée d'armures historiques avec quelques pièces capitales: l'armure d'Emmanuel Philibert, le vainqueur de St-Quentin, la cuirasse et l'épée du Prince Eugène, un bouclier d'un beau travail attribué à Cellini, un autre du roi de France Henri IV, une armure portée par un écuyer de François ler à Pavie, une selle de Charles Quint, l'épée que portait Napoléon a Marengo, etc.
Mais ce qui est frappant au palais de Turin, c'est le salon orné des portraits des saints de la famille de Savoie. Les rois d'Italie vont-ils souvent là méditer l'histoire de leurs ancêtres? Ils en auraient besoin. 74
Le musée de peinture à Turin est un musée d'étude. Toutes les écoles y sont largement représentées. Il y faut voir la Vierge au rideau de Raphaël, la Vierge du Guerchin, la Madeleine de Véronèse, une pieuse Madone de Cesare da Sesto, une Sainte Famille trop flamande de Rubens, et une merveilleuse miniature de Memling représentant la Passion.
C'est là, je crois, tout Turin. Je fis voir à mes bons parents le lac Majeur, Milan, Venise, Padoue. J'ai décrit tout cela dans un autre cahier. Le 31 octobre nous arrivions à Lorette.
Lorette
Lorette et Castelfidardo, quels touchants souvenirs! C'est la maison du Bon Maître et le champ de bataille de ses martyrs (1). Nous passâmes la Toussaint à Lorette. Quel touchant spectacle que celui de Lorette un jour de fête! Il y avait des pèlerins par milliers. Ces braves gens se tenaient en file par les épaules pour parvenir aux confessionnaux. 75 Nous pûmes entrer dans la petite maison sainte et y prier un bon moment. Je voudrais faire à Lorette un long séjour et méditer là tout à mon aise toute la vie de la Sainte Famille. Je ne connais pas au monde de sanctuaire plus vénérable. C'est en 1294 que les anges l'apportèrent là. On s'en étonne. Je m'étonnerais plutôt que N.-S. n'ait pas soustrait aux Sarrazins la maison de sa Mère pour l'offrir à notre pieuse vénération. Voilà six siècles que les pèlerins vont là en foule chercher un accroissement de foi et d'amour pour Jésus et déposer les témoignages de leur reconnaissance.
Les Papes ont à l'envi comblé ce sanctuaire de richesses et de faveurs spirituelles. Jules II et Paul III surtout ont rivalisé de générosité pour élever la basilique et l'enrichir d'œuvres artistiques. L'église est une sorte de forteresse pittoresque dessinée par Bramante. Il fallait qu'elle fût en mesure de résister à un coup 76 de main des Sarrazins. La petite maison est revêtue du plus merveilleux manteau de marbre, sculpté par les principaux artistes de la Renaissance, Sansovino, les Lombardi, Sangallo et Guillaume della Porta.
Le champ de bataille de Castelfidardo est encore presque fumant du sang de nos modernes Macchabées. Chaque pan de mur, chaque arbre avait son souvenir. Le guet-apens italien datait de 1860. Là était mort le brave Pimadan. Le Bon Dieu est patient, mais un jour l'Italie expiera son crime.
Nous arrivions à Rome le 3 novembre.
Séjour de mes parents à Rome
Mes parents prirent un appartement près du Séminaire, via dei Cestari. Il fallut organiser un modus vivendi. J'avais besoin de suivre les cours et d'observer la règle du Séminaire. On me permit de sortir avec mes parents le jeudi et le dimanche. Les autres jours, je les voyais au parloir. Je leur traçais le programme de leurs journées. Ils suivaient les fêtes; les stations, les 77 cérémonies de chaque jour. Ils goûtaient aussi peu à peu le parfum de Rome. Un de mes bons amis, l'abbé Desaire, chapelain de St Louis-des-Francais les accompagnait souvent dans leurs courses. Son caractère ouvert et enjoué plaisait à mon père.
Mon père était ému de son séjour à Rome. Sa foi s'affermissait de jour en jour. Quels témoignages éloquents rendent à la foi les basiliques, les catacombes, les tombeaux des martyrs, les chambres des saints! Il faudrait être de marbre pour rester insensible à tant de voix qui parlent à l'âme.
Mes parents se proposaient de rester à Rome jusqu'au mois de février, et je devais être prêtre au mois de juin suivant. Une heureuse idée vint au P. Freyd: si on pouvait avancer mon ordination, mon père et ma mère en seraient témoins! Il s'en ouvrit à mes parents. Ma mère saisit cette pensée avec bonheur. Mon père, tout en redoutant de profondes émotions, l'accepta.
Nous devions avoir une audience 78 pontificale le 15 novembre. Je préparai une supplique et je vis le triomphe de la grâce divine: mon père qui avait été si longtemps hostile à ma vocation remit lui-même au Pape une pétition pour que je puisse être ordonné prêtre avant la fin de ma théologie. Pie IX accueillit la supplique et nous dit qu'il la remettrait au Cardinal Vicaire. C'était une affaire faite.
Ordination et premières messes
Ce sont là les meilleurs jours de ma vie. Je me préparai de bon cœur en lisant M. Olier et le P Chaignon. N.-S. voulut bien me préparer lui-même en me donnant des grâces abondantes. Il avait certainement en vue ma mission actuelle. Je le vois clairement aujourd'hui. Il me donnait si généreusement cet esprit d'amour et de réparation qui est le caractère de ma vocation. Que n'ai-;e été toujours en progressant dans cet esprit! Que de défaillances! Que de faiblesses j'ai à confesser et à déplorer! Quels souvenirs vivants, quelles impressions profondes m'ont laissées ces deux grandes journées du 19 et du 20 décembre 1868! 79
J'avais fait ma retraite à Sta Chiara avec le P. Freyd. Le 19, au matin, j'étais à St-Jean-de-Latran pour l'ordination. Le bon abbé Desaire m'assistait.
Ce sanctuaire de St-Jean-de-Latran est vraiment un cadre exceptionnel pour les ordinations! C'est là, sur ces dalles, que depuis Constantin, des milliers d'évêques et des centaines de mille de prêtres ont reçu l'onction sainte, et le plus souvent des mains du Successeur de St Pierre lui-même. C'est là qu'est vraiment la source principale (lu Sacerdoce et de l'apostolat.
St-Jean-de-Latran est appelée la tête et la mère de toutes les églises: Caput et mater omnium ecclesiarum. Je l'appellerais volontiers la tête et le cœur de l'Église. Les caractères divins de l'Église Catholique se touchent là du doigt. L'apostolicité, l'unité, la catholicité, la sainteté de l'Église Romaine resplendissent à St-Jean-de-Latran. Elle est bien apostolique, cette église-mère qui possède les chefs sacrés de St Pierre et de St Paul. Elle est bien une et universelle, cette église où les clercs du monde entier viennent chercher l'onction 80 sainte. Elle est sainte, cette église d'où sont partis les apôtres, les missionnaires, les civilisateurs de l'Europe et des continents nouveaux.
Nous étions là deux cents ordinands, religieux et clercs séculiers, de toutes nations et de tous costumes: enfants de St Benoît, de St François, de St Dominique et de vingt autres familles religieuses, clercs italiens, français, allemands, espagnols, missionnaires de la Propagande, destinés à l'Orient, à l'Afrique, aux Indes, à l'Océanie.
Les chefs vénérés de St Pierre et de St Paul président à l'ordination. Les deux grands apôtres semblent dire à tous ces jeunes gens: «Allez, comme toutes les générations d'apôtres qui vous ont précédés; allez sur toutes les plages prêcher, baptiser, offrir le Corps et le Sang du Christ et répandre sa grâce. Allez à votre tour élargir les limites du Règne de Jésus-Christ. Allez délivrer les âmes retenues dans les liens du péché. Allez porter partout la vérité, la paix, la charité, voire même les avantages temporels de la civilisation chrétienne». 81
A côté de nous dans le bas-côté, se trouvait la table de la Cène. C'est sur elle que Jésus a offert le premier sacrifice eucharistique. C'est auprès d'elle qu'il a donné le sacerdoce à ses apôtres. C'est auprès d'elle aussi qu'il a laissé reposer sur son Cœur le disciple qu'il aimait.
Cette église privilégiée possède aussi tout ce qui reste de l'apôtre St Jean sur la terre: la table de la Cène, les chaînes et la coupe de son martyre.
Le Pontife de l'ordination était le Cardinal Patrizi, vicaire du Souverain Pontife, descendant de ce Jean Patritius qui eut la grâce de fonder la basilique de Sainte-Marie-Majeure.
Mes bons parents étaient derrière moi, versant des larmes sans fin. Mon père ne sut pas manger ce jour-là.
Les impressions de l'ordination ne se sauraient rendre. Je me relevai prêtre, possédé de Jésus, tout rempli de lui-même, de son amour pour son Père, de son zèle pour les âmes, de son esprit de prière et de sacrifice.
Après l'ordination, j'allai me dévêtir, 82 et, me retournant, je trouvai ma mère agenouillée devant moi pour recevoir ma première bénédiction. C'était trop, je sanglotai et je rentrai au Séminaire, reconduit par mes bons parents, mais épuisé par les émotions.
Mon père était complètement gagné, il promit de communier le lendemain à ma première messe, et il alla voir pour se confesser le bon Mgr Leval, supérieur des chapelains de St-Louis-des-Français, saint prêtre converti du judaïsme. Pendant les années qui suivirent, mon père ne parlait jamais de Mgr Leval sans une profonde émotion et une expression de vive reconnaissance.
Mes premières messes
La journée du 20 fut pour moi plus émouvante encore que celle du 19. Ma première messe était la messe chantée du Séminaire. Le Père Freyd voulut m'assister: il me montrait toujours une bonté toute paternelle. Mes meilleurs amis, l'abbé Le Tallec, l'abbé Dugas, M. de Popiel, M. de Rivoyre, sollicitèrent à l'envi la faveur de me faire diacre, sous-diacre et acolytes. 83 Mes parents étaient là. Quelques hôtes du Séminaire y assistèrent, entre autres plusieurs théologiens du Concile et le cher Père Vincent de Paul Bailly, qui est devenu le vaillant apôtre des Congrès Catholiques, des pèlerinages et du journal «La Croix». L'émotion était générale, et quand mon père et ma mère s'approchèrent pour communier, personne ne put retenir ses larmes. Pour moi, j'étais fou d'amour pour Notre Seigneur et plein de mépris pour ma pauvre petite personne. Ce fut la meilleure journée de ma vie.
Le lendemain, je dis ma seconde messe à la Confession de Saint Pierre, sur le corps des Saints Apôtres. J'avais pour assistants mon père et ma mère, avec M. Désaire et M. Le Tallec. L'émotion fut la même.
Je dis les suivantes à la Prison Mamertine, à St-Jean-de-Latran, à l'autel de St Louis de Gonzague. Je dis mes trois messes de Noël au Séminaire, à l'autel de la Ste Vierge. Je ne sus pas pendant toute une 84 année célébrer une seule fois la messe sans larmes.
Je ne voulus pas entendre parler d'honoraires de messes. Il me répugnait d'unir la préoccupation de l'argent à une action si sainte. C'est Notre Seigneur qui me demandait ces messes dites pour lui seul en esprit d'amour et de réparation.
Naples
Le lendemain de Noël, je partais pour Naples avec mes bons parents. Je prenais une petite vacance de huit jours. - Nous nous arrêtons en chemin à Caserte. C'est le Versailles de Naples. L'escalier est unique au monde dans sa splendeur. La chapelle est riche. Les rois, les princes et les abbayes ont couvert l'Europe de palais au XVIIIe siècle. L'excès de la richesse conduit à la décadence et à la ruine. St Louis construisait de splendides cathédrales et des chapelles ravissantes, mais il avait des châteaux modestes.
Nous sommes descendus à l'hôtel de Genève. Je fis voir à mes parents tout Naples et les environs. 85
Je célébrai la sainte messe le premier jour à la petite, mais riche église de St François, près de l'hôtel. Il y avait là les Quarante-Heures. Les impressions de cette messe m'ont laissé un souvenir toujours vivant. Les autres jours j'ai célébré à la cathédrale, au tombeau de St Janvier et à St Paul, qui possède les corps vénérés de St Gaëtan et de St André Avellino.
Naples offre un grand intérêt religieux, mais il faut du temps et du calme pour en jouir. Elle a sa cathédrale, remplie du souvenir de ses martyrs et de ses évêques, et théâtre des grandes et persévérantes démonstrations de sa foi toujours si vivante. Elle a ses grandes et riches églises qui montrent le développement qu'y ont pris successivement tous les grands ordres religieux: l'ordre franciscain à Sta Chiara, l'ordre dominicain à San-Domenico, l'ordre des Théatins à St Paul, celui des Jésuites à la Trinité. Elle a ses Madones et ses crucifix vénérés, ses reliques incomparables à la 86 cathédrale, les corps de St Gaëtan et de St André à St Paul, celui de St Tharcisse à St-Dominique, celui de la vénérable reine Marie de Savoie à Sta Chiara et d'autres encore.
Cinq jours sont bientôt passés à Naples et aux environs. Il fallut voir le Vésuve, Pompeï, Sorrente, Pouzzoles, Baïa, les églises et le musée de Naples. Je conduisis même mes parents à Pagani au tombeau de St Alphonse de Liguori. Nous avons fait l'ascension du Vésuve par Resina. Ma mère est restée à l'observatoire. Mon père et moi sommes montés jusqu'au cratère. Le temps était brumeux, cependant cette excursion nous laissa une grande impression. Ces populations qui rebâtissent leurs maisons sur les pentes du Vésuve après chaque éruption nous révèlent bien l'insouciance des hommes qui exposent chaque jour leur vie temporelle et leur vie éternelle. Quels souvenirs émouvants révèlent les coulées de lave qui, au Ier siècle, engloutirent Pompéi, Herculanum et Stabies! Une éruption avait eu lieu 87 un mois avant notre passage, en novembre 1868, et la lave était encore brûlante. L'excursion du sommet est pénible. Il faut profiter de l'aide du guide qui vous tire avec une courroie. De l'observatoire la vue sur Naples, son golfe, la Campanie et les monts Phlégréens est merveilleuse. Rien plus qu'un volcan ne nous dit la puissance de Dieu et notre ignorance sur la constitution du globe et sur les forces de la nature.
Pompeï
Nous avons vu et revu Pompéi. Quelle chose étrange qu'une civilisation vieille de 2.000 ans et sortant du tombeau comme presque vivante. Pompéi nous révèle toute la vie domestique des anciens. On peut l'étudier jusque dans ses moindres détails. La catastrophe qui l'a couverte de son linceul de cendres est du 24 août 79. La grande ville est là à demi fouillée. Voilà ses rues longues et étroites, pavées de blocs de laves et sillonnées d'ornières. Au coin des rues voici des fontaines publiques, ornées d'une tête de divinité ou d'un masque. 88
Voici des annonces peintes en rouge et recommandant des candidats aux élections des édiles. Çà et là on rencontre des phallus pour conjurer le mauvais oeil et des serpents. Ces symboles sont bien sataniques. Sur les murs de stuc, on trouve beaucoup de graffiti, griffonnages et caricatures.
Hors de la ville, ce sont des tombeaux et des villas, puis des fabriques de poteries, des xystes pour les jeux, des hôtelleries, des thermopoles ou cabarets. Parmi ceux-ci quelques-uns avaient leurs terrasses et leurs tonnelles avec vue sur la mer.
La porte de la ville avait sa herse et son poste de garde.
Le forum civile était le centre de la vie religieuse, civile et politique. Il a ses portiques, ses statues, deux arcs de triomphe, le temple patronal de Vénus, des temples à Jupiter, à Mercure, à Auguste, la curie, les tribunaux, les prisons, une vaste basilique, la bourse, des écoles.
Le quartier des théâtres comprend le grand théâtre, l'odéon, la caserne prétorienne, 89 les temples d'Isis, de Neptune et d'Esculape.
Au bout de la ville, c'est l'amphithéâtre et le forum boarium.
Les maisons ont beaucoup de rapports avec celles de l'Orient. Elles sont toutes intérieures sans vues sur le dehors. Des boutiques louées les entourent. Une première cour est entourée des appartements de réception, une seconde sert à la vie intime.
On entre par un vestibule, prothyrum, où on lit souvent sur la mosaïque du sol: Salve ou Cave-canem. La première cour s'appelle atrium. Un bassin au centre, impluvium, y reçoit les eaux de pluie. Autour sont disposées les chambres, cubicula, un bureau contenant les archives et les portraits des ancêtres, tablinum. Les esclaves avaient des chambrettes à côté ou au-dessus des cubicula.
Un corridor, fauces, conduit à la seconde cour, au peristylium. Cette cour a un jardin, une fontaine, une tonnelle, xystus, une salle à manger, triclinium, une bibliothèque, un 90 oratoire domestique, lararium. - L'appartement des femmes a souvent sa petite cour séparée. - Les maisons sont toutes ornées de peintures et de mosaïques .
Beaucoup de maisons révèlent par leur disposition, par leur mobilier, par des inscriptions et des peintures le caractère et la profession de leurs habitants. On a reconnu des maisons de décurions, de duumvirs, d'édiles, de vestales, de prêtres augustals, de médecins et de peintres; et des ateliers et boutiques de boulangers, de cuisiniers et pâtissiers, de pharmaciens, d'orfèvres, de foulons, de bouchers, de statuaires, de changeurs, de marchands d'huile, de vin, de savon, de fruits, de viande, de poids et mesures.
Les bains luxueux, les lupanars, les peintures lascives ou indécentes accusent les moeurs dissolues de cette ville consacrée à Vénus.
La philosophie, les lettres et la poésie n'en étaient pas exclues. Sénèque y a été élevé. Phèdre y a 91 écrit ses fables. Cicéron y avait une villa. Il y a écrit son Traité des devoirs (1).
La civilisation de Pompéi ne le cédait pas à celle des peuples modernes. Le mobilier y était riche et élégant, témoins ces objets innombrables qu'on voit soit au musée de Naples, soit au musée de Pompéi même: bijoux, anneaux, bracelets, pendants d'oreilles - papyrus, encriers, stylets - armures, harnais, débris de chars - instruments de musique et de chirurgie - balances, poids et mesures - trépieds, bassins, candélabres, cystres et cymbales - vases ornés, verres à boire et à vitre, vases de terre, ustensiles de bronze, vaisselle de bronze, d'argent et d'or - lits, vêtements, sièges - fuseaux, peignes, agrafes, miroirs - lanternes, sonnettes, bouilloires - scies, compas, maillets, ciseaux - camées et joyaux. C'est toute notre vie privée.
Les statues, peintures et mosaïques sont plutôt des copies que des œuvres originales. Comme statue, on a signalé une Vénus,un Hermaphrodite, un Faune dansant, qui sont à Naples. 92 La plus belle mosaïque est celle de la bataille d'Issus. Les peintures représentent des scènes de la mythologie ou des traditions de l'âge héroïque, parfois aussi des paysages et des travaux domestiques. On y voit souvent Jupiter, Mars et Vénus, Diane et Actéon, Castor et Pollux, Achille livrant Briséis, le sacrifice d'Iphigénie, Léda et Thyndare, Persée et Andromède, Médée et ses enfants. - Plusieurs de ces sujets se reproduisent encore de nos jours sur les voitures historiées de la Sicile.
Est-il rien de plus intéressant que de voir revivre ainsi une civilisation vieille de 2.000 ans?
Mon impression était bien tranchée. Je recevais un accroissement de reconnaissance et de foi envers Dieu,en comparant nos croyances si élevées, la pureté des moeurs chrétiennes et la vie sociale chrétienne si empreinte de charité et de liberté, avec les superstitions du paganisme, 93 ses moeurs corrompues et sa vie sociale basée Sur l'esclavage.
Castellamare– Sorrente
La charmante excursion de Castellammare et de Sorrente avait ravi mes parents. Nous l'avons faite en voiture, mais comme une partie de la route avait été emportée par les pluies de l'hiver, nous dûmes prendre une barque pour franchir le passage difficile et ma mère en fut toute émue.
Rien de délicieux comme ce petit coin du monde. L'art n'y revendique guère ses droits, mais la nature est là toute aimable et brillante. Le long de la route, le regard se repose sur des montagnes boisées et jouit à droite d'une série de panoramas admirables sur Naples, son golfe bleu, ses rivages variées, ses îles vertes aux blanches villas voilées d'une buée lumineuse.
Castellammare a succédé à Stabiae, elle a ses vieilles murailles et ses tours bâties par Charles d'Anjou. Ses coteaux sont semés de villas et 94 de monastères (1).
Il faut contourner les promontoires de Vico et de Meta pour atteindre la vallée de Sorrente, le Piano di Sorrento, site délicieux où les heureux de ce monde vont chercher dans une foule d'hôtels et de villas une température douce, un air salubre et le parfum de l'oranger. - C'est la patrie du Tasse. Golfe privilégié qui a possédé Virgile, Horace, Phèdre, le Tasse et le Dante. - Auguste avait adopté Sorrente et l'avait couverte d'édifices luxueux, palais, temples et théâtres. Il en reste des débris. Mais le charme de Sorrente, ce sont ses jardins d'orangers et de citronniers, ses coteaux couverts d'oliviers et de myrtes, ses vallons, ses rochers, sa douce température, son atmosphère embaumée et le panorama du golfe.
C'est un petit coin du paradis terrestre.
Pouzzoles – Cumes e Baja
L'autre rive du golfe fournit une excursion non moins enchanteresse. 95 C'est la Pausilippe, le lac d'Agnano, la Solfatare, Pouzzoles, la grotte de la Sibylle, Cumes et Baja.
Le promontoire du Pausilippe est un site délicieux qui a été recherché par toutes les gloires du monde romain comme un séjour de repos et de plaisir. je salue en passant le tombeau du pieux Virgile et je traverse en voiture ce tunnel long de 700 m. construit dans la plus haute antiquité et agrandi par Auguste. Au delà du tunnel commencent les champs phlégréens, cette région volcanique qui se prêtait si bien aux légendes homériques et virgiliennes relatives aux enfers.
C'est d'abord le lac Agnano avec ses étuves sulfureuses et la fameuse grotte où le gaz acide carbonique met à la torture les pauvres chiens qu'on y traîne.
Ma mère était dans des transes pendant cette promenade, parce qu'on lui avait dit que les bords de ce lac abondaient en serpents. 96 Elle croyait en voir sauter dans l'herbe et sautait comme un enfant.
Plus loin c'est la Solfatare. Une couche de souffre dont les bords donnent encore des flammes et de la fumée couvre un cratère et les touristes hardis s'y aventurent en frappant le sol qui sonne le creux.
Pouzzoles était le principal port de cette côte quand St Paul y séjourna sept jours. Il reste des ruines du môle, du temple de Neptune et d'un édifice dédié à Sérapis comprenant un temple rond avec un portique de marbre cipolin et des chambres de bains.
Cicéron avait là une villa qu'il appelait son Académie. C'est là qu'il écrivit ses Académiques.
Au-dessus de Pouzzoles sur la colline sont des ruines grandioses d'un amphithéâtre qui contenait 30.000 spectateurs. Néron y donna des fêtes. Mais ce qui m'intéresse le plus à Pouzzoles, c'est, avec le souvenir de St Paul, celui des 97 nombreux martyrs de l'amphithéâtre, et en particulier celui de St Janvier et de ses compagnons. Une chapelle non loin de l'amphithéâtre marque le lieu où St Janvier eut la tête tranchée. La cathédrale de Pouzzoles a gardé les corps de plusieurs compagnons de St Janvier.
Au delà de Pouzzoles, c'est le Monte Nuovo, colline volcanique de 134 m. de haut qui a surgi inopinément en 1538, en comblant une partie du lac Lucrin.
Toute cette région montre l'instabilité de la croûte terrestre sur laquelle nous vivons avec tant d'insouciance. A Pouzzoles, par exemple, le sol a baissé, puis il s'est relevé, puis il a baissé encore. On le voit par l'action de l'eau de mer sur les colonnes du temple de Sérapis.
Le lac Lucrin célèbre par la chaussée d'Hercule, n'est plus qu'un marais. 98
Le lac Averne est pittoresque. C'est le cratère d'un volcan éteint. Dans l'antiquité il avait encore des fumées sulfureuses comme le Solfatare. De là ce caractère fantastique qui le fit regarder comme l'entrée des enfers. Annibal y vint offrir des victimes à Pluton. La fée Morgana, que la poésie du Moyen Age substitua à Hécate et Proserpine, trouve encore quelque créance dans les superstitions locales.
Le lac a quelques ruines, notamment celles d'un temple d'Apollon. Le tunnel d'Agrippa, appelé grotte de la Sibylle, conduit aux ruines de Cumes.
Cumes était située sur une colline isolée. De son acropole,la vue embrasse un immense horizon. Il reste des débris du temple d'Apollon en dorique primitif, de celui de Jupiter et de celui de Diane en style corinthien. Des grottes sous l'acropole rappellent la Sibylle et ses oracles. Cumes fut la première colonie grecque de l'Italie. Les Grecs trouvèrent là des Osques et des Tyrrhénéens. La nécropole de 99 Cumes a révélé la succession des races qui l'habitèrent. Les tombes les plus anciennes contiennent des vases d'un caractère égyptien, avec des scarabées et des colliers. Au-dessus ce sont les tombes pélasgiques, petites chambres contenant des vases noirs grossiers. Les tombes italo-grecques contiennent des vases élégants, des bijoux, des étoffes brodées.
Notre excursion se termina par les bains de Néron et Baja. Aux bains de Néron on trouve encore dans les galeries souterraines des Sources chaudes à la température de 55°. Quels mystères recèle cette région plutonique!
Baja est aujourd'hui abandonnée et malsaine. Au temps d'Horace elle surpassait même toutes les stations du golfe dans la faveur des amis du plaisir. «Nullus in orbe sinus Bais praelucet amoenis» (1) .
Properce, Cicéron, Sénèque et Suétone dénoncent l'immoralité de Baja. Cicéron, Marius, Pompée, César, Caton, 100 Hortensius, Auguste, Néron y avaient des villas. Il n'en reste que des débris informes. C'est là que Virgile lut à la soeur d'Auguste, Octavie, le passage de l'Enéide contenant l'éloge de son fils: «Tu Marcellus eris …»(2) C'est là que Néron après une feinte réconciliation avec sa mère Agrippine la fit jeter à la mer, et comme elle avait échappé à la mort, il envoya des émissaires pour la tuer à sa villa du lac Lucrin. Plus loin au cap Misène la tour de Patria marque l'emplacement du tombeau de Scipion l'Africain. Il vécut là dans la simplicité, dégoûté de l'ingratitude de sa patrie.
Après avoir visité consciencieusement tous ces souvenirs classiques, nous rentrions à Naples. L'histoire de la corruption païenne qui revit dans ces ruines est bien faite pour relever par son contraste la sainteté de la vie chrétienne.
Pagani
Bien différente fut l'excursion de Pagani. C'est une ville rustique de 12.000 âmes sur la route de Salerne. Saint 101 Liguori avait choisi ce pays comme centre de ses missions à cause de la rudesse de ses habitants et des moeurs restées païennes jusqu'alors. Frédéric II avait transporté là toute une population de 20.000 arabes de Sicile. St Liguori convertit et sanctifia tout ce pays. Il y éleva un beau monastère et une église vaste et d'une noble simplicité.
Le pays est sans hôtels. Il fallut passer la nuit dans une auberge sans nom. Ma bonne mère en reparlait souvent comme d'une des aventures de ce voyage. Mais je fus bien consolé en célébrant la sainte messe à l'autel du Saint. Son corps vénérable est visible sous l'autel. Dans la sacristie, on montre ses vêtements et ses ornements sacerdotaux. Dans le monastère, c'est sa pauvre cellule avec ses livres, ses instruments de pénitence, sa couchette, son oratoire. J'ai passé là de bien bons moments; j'ai toujours eu une grande dévotion pour ce cher saint et il me semble 102 qu'il m'a toujours protégé particulièrement.
Nos aubergistes n'avaient de bon que leurs oranges, mais elles Surpassaient toutes celles que j'ai vues ailleurs. Comme elles étaient communes chez eux, ils hésitaient à nous en donner et nous offraient des pommes comme un mets plus distingué.
Naples
A Naples nous revîmes les églises, St-Janvier et son pieux trésor; St-Dominique, Ste-Claire et leurs tombeaux artistiques.
La Chartreuse surtout nous fit impression. Elle est si bien située au sommet de Naples, avec une des plus belles vues du monde! Son église est le chef-d'œuvre du XVIIe siècle. Nulle part je n'ai vu plus de richesses accumulées sans excès et sans mauvais goût: marbres, bronzes, peintures, sculptures, mosaïques, tout concourt à orner la maison de Dieu. C'était alors l'apogée de l'école de Naples. Le Guide, Lanfranc, le Chevalier d'Arpino (1), Ribera, Corenzio, Stanzioni, Caravage, et Giordano rivalisèrent 103 pour_ décorer la Chartreuse. Tous les marbres de Sicile ont concouru à orner les pavés, les balustrades, les pilastres et les mosaïques. Cette église est un bijou, mais hélas les conquérants en ont fait un froid musée (2). Il y avait encore quelques moines en 1868. C'était trop encore, on les a écartés. Et cependant est-ce qu'au point de vue de l'esthétique elle-même cette église ne réclame pas ses moines blancs; priant, chantant et officiant? On en a fait un cadavre sans vie, un corps sans âme.
Notre dernière visite fut pour le musée. C'est tout un monde, tant il contient de richesses. Aucun musée ne peut rivaliser avec lui pour les antiquités romaines. Ne compte-t-il pas 2.000 peintures tirées des ruines de Pompéi, de Capoue, d'Herculanum, de Poestum, de Pouzzoles, de Stabies, et une infinité de bronzes et de mosaïques, de statues, de vases, de bijoux, etc.
Les fresques ont de délicieuses arabesques. Ce sont de simples peintures décoratives, 104 mais elles imitaient ou reproduisaient les peintures célèbres des plus grands artistes d'Athènes et de ses colonies. La plupart sont des scènes de la mythologie ou de l'histoire des temps héroïques. Les mosaïques aussi ont souvent copié des œuvres connues.
Parmi les statues on connaît le Gladiateur blessé - le torse de Psychè ou de Vénus dont la tête est regardée comme une des plus pures productions de l'art grec - le torse de Bacchus, attribué à Phidias - etc. L'art par les seules forces de la nature, sans la foi et l'inspiration chrétienne ne pouvait pas s'élever plus haut. Il faut signaler aussi le groupe du Taureau Farnèse, chef d'œuvre de Glycon d'Athènes.
Les bijoux pompéiens, camées, pierres gravées, objets d'art et d'argent forment une collection merveilleuse.
Rien n'est curieux non plus comme les objets mobiliers des maisons pompéiennes. Nous n'avons guère invente sous ce rapport. Tous nos ustensiles s'y retrouvent et souvent avec des formes plus gracieuses et plus 105 d'art dans le dessin.
Il y avait à Naples et ailleurs encore un bon usage, c'était de mettre dans un salon particulier tout ce qui pouvait offenser la modestie par trop de nudité. Tout réunir, comme on le fait aujourd'hui, c'est pour ainsi dire exclure des musées les prêtres,les jeunes personnes et tous ceux qui sont délicats sous le rapport de la modestie.
Parmi le tableaux de musée (1), j'ai remarqué: Raphaël, avec une belle Sainte Famille (Madonna, col divino amore), et un Portrait de Léon X. - Corrège, sa délicieuse Vierge au lapin (Madonna del coniglio), et son Mariage mystique de Ste Catherine - Albert Dürer, une Nativité de 1512 - Palma le Vieux, la Vierge et St Jean Baptiste - Andrea del Sarto, Bramante présentant un plan d'architecture au duc d'Urbin - Schidone, la Charité - Titien, portraits de Paul III et de Philippe Il - Bassano, Résurrection de Lazare - Ribera, St Jérôme effrayé par la trompette du jugement - 106 Dominiquin, l'Ange gardien - Jules Romain, Ste Famille (Madonna della Gatta) - Parmesan, Christophe Colomb - Ann. Carache, une Pietà - Bellini, Transfiguration - Garofalo, le Christ mort, les trois Marie, St Jean et Nicodème - Sodoma, Résurrection - Rubens, une Tête de moine.
Le dernier jour, mon père fit de nombreux achats de bijoux de corail et de lave dans les magasins du quai de Chiaia pour rapporter des souvenirs à toute la famille. Puis nous revînmes heureux d'avoir passé ensemble quelques bonnes journées.
Rome
Mes parents restèrent encore plus d'un mois à Rome. Ils suivaient les fêtes liturgiques et visitaient les églises et les palais sur un programme que je leur traçais. Le jeudi et le dimanche je sortais avec eux.
Les théologiens du Concile
Cependant à Rome on s'occupait à préparer le Concile. Des théologiens de toutes les nations avaient été appelés pour préparer les décrets (1). Pour la France, il y avait, si j'ai 107 bonne mémoire, l'abbé Gay, de Poitiers; l'abbé Sauvé, de Laval; l'abbé Chesnel, de Quimper; l'abbé Gibert, de Moulins; l'abbé Jacquement, de Reims; le Père d'Alzon, de Nîmes (1).
La plupart logeaient au Séminaire Français. J'eus de bons rapports avec eux et plusieurs m'honorèrent de leur amitié, en particulier le P d'Alzon, Mgr Jacquement qui devint évêque d'Amiens et Mgr Gay qui devint auxiliaire du Cardinal Pie. Tous avaient une grande valeur. Mgr Sauvé, un vrai thomiste, devait fonder l'Université catholique d'Angers; Mgr Jacquement avait écrit l'histoire du diocèse de Besançon; M. Chesnel publia ses études sur le droit social chrétien. Le P. d'Alzon avait déjà fondé les vaillants religieux de l'Assomption. Mgr Gay écrivit ses livres incomparables sur la piété. Mgr Freppel était aussi à Rome(1) et dans le courant de l'année il fut nommé évêque d'Angers.
Les sténographes
Il fallait pour le Concile un 108 corps de sténographes. On le prépara. Un prêtre: de Turin, Virginio Marchese, ancien sténographe du Sénat italien, fut chargé de se former des auxiliaires. On prit des séminaristes de diverses nations pour avoir un secrétariat habitué à toutes les prononciations. Je fus du nombre. Voici les noms des privilégies, tels qu'ils sont portés aux Actes du Concile.
Virginius Marchese, taurinensis, Stenog(raphu)m Mag(ist)er.
Antonius Cani, Imolensis
Paulus Leva, Romanus e Pont. Sem. Rom.
Julius Tonti, Romanus
Alexander Orsini, Tudertinus
Alex. Volpini, Faliscodunensis e Pont. Sem. Pio.
Petrus Capponi, Ausculanus
Carolus Lei, Florentinus e coli. Capranicensi
Joannes Zonghi, Fabrianensis
Henricus Bougouin, Pictaviensis
Gustavus de Dartein, Argentinensis e coll. Gallico
Leo Dehon, Suessionensis
Josephus Dugas, Lugdunensis
Samuel Allen, Salopiensis
Jacobus Guiron, Westmonast. 109 e coll. Anglico
Joannes Bapt. Huber, Monacensis
Paulus Gierich, Wratislaviensis
Dionysius Delama, Tridentinus e coll. Germ.
Dominicus Hengesch, Luxemburgensis
Patritius Tynan, Dublinensis e coll. Hibernio
Michael Hyggins, Cloynensis
Theodurus Metcalf, Bostoniensis e coll. Amer. Sept.
Petrus Geyer, Cincinnatensis
Aeneas Mac Forlane, ex vic. e coll. Scotorum
apost. occid. Scotiae
Nous avions tous les jours une heure d'exercice et bientôt nous fûmes en mesure de pratiquer cet art nouveau aux cours de théologie.
Je trouvai dans ce petit groupe d'agréables relations dont quelques-unes ont persévéré.
Plusieurs dé ces jeunes gens n'ont pas eu une longue vie. Quatre sont morts en peu d'années.
Huber, un des plus distingués, est mort poitrinaire à Munich.
Zei aussi, qui était pieux, aimable et modeste, est mort vicaire général à Florence. Il allait être nommé évêque.
Dugas est entré dans la Compagnie de Jésus. 110 Il était à Paray-le-Monial en 1873 et il a écrit dans un beau livre le récit des grands pèlerinages de cette année privilégiée. Il est mort en Algérie d'une phtisie laryngée.
Geyer est mort aux Etats-Unis en essayant de sauver une personne qui se noyait.
Parmi les Italiens, Dom Cani est devenu recteur du Séminaire du Vatican; Léva est Père spirituel à la Propagande; Zonghi est archiviste du Secrétariat d'Etat; Mgr Volpini est secrétaire des lettres latines.
Notre système de sténographie était assez compliqué(1). Il était basé sur l'orthographe et non sur les sons. Nous écrivions deux à deux en alternant phrase par phrase. Il fallait en écrivant nous donner le mot pour reprendre. Nous n'écrivions que les consonnes, de là un casse-tête chinois pour retrouver les mots et reconstituer les phrases. C'était en somme un système fort défectueux et qui donna, 111 avec des instruments intelligents et dévoués, de médiocres résultats (2).
Voici nos signes de convention:
quoique nous ne mettions pas d'ordinaire les voyelles, nous avions cependant des signes pour les mettre à la fin des mots
Voici quelques exemples de liaisons:
buccella | oggetto1 | beda | oggetto2 |
celeber | oggetto3 | cama | oggetto4 |
duco | oggetto5 | dala | oggetto6 |
decem | oggetto7 | fapa | oggetto8 |
fora | oggetto9 | gaba | oggetto10 |
Nous avions encore quelques abréviations supplémentaires:
gen. plur. | oggetto11 | dominorum | oggetto12 |
dat. plur. | oggetto13 | hominibus | oggetto14 |
superlatif | oggetto15 | doctissimus | oggetto16 |
part. prés. | oggetto17 | poenitens 112 | oggetto18 |
present indic. | oggetto19 | amant | oggetto20 |
imparf. | oggetto21 | amabant | oggetto22 |
parfait | oggetto23 | amaverunt | oggetto24 |
futur | oggetto25 | amabunt | oggetto26 |
praet. sing. | oggetto27 | amavit | oggetto28 |
nostrum | oggetto29 | vestrum | oggetto30 |
indic. passif. | oggetto31 | amantur | oggetto32 |
imparf. passif | oggetto33 | amabantur | oggetto34 |
futur passif | oggetto35 | amabuntur | oggetto36 |
Mais cette multitude de signes était exagérée. Elle chargeait la mémoire et amenait la confusion.
C'était de l'invention de notre bon maître Marchese, qui était bien dévoué à sa besogne et à qui on donna pour récompense un bon archiprêtré en Piémont (1).
Quand vinrent les fêtes du jubilé sacerdotal de Pie IX au mois d'avril, nous lui offrîmes quelques pages de notre plus belle sténographie avec cette dédicace:
Pio IX
Pontifici Optima Maxima
Sacri Solemnia post annos L iteranti
una cum Urbe et Orbe 113
Pontificii Notarii excipiendis
oratorum Concilii Vaticani verbis
diem faustissimam recolentes
Principum gloriosissimo
Legislatorum sapientissimo
Patri amatissimo
Vota gaudia
Specimen artis suae.
Pie IX voulut bien nous accueillir plusieurs fois en audience. Il nous témoigna une bonté toute paternelle.
Le Droit canon
Outre les cours du Collège Romain, j'avais cette année des cours de Droit canon au Séminaire de l'Apollinaire. J'y préparais la licence. Mes professeurs étaient les deux chanoines De Angelis et De Sanctis. Tout deux possédaient admirablement la matière, les Institutes, le Code, les Décrétales et le reste, mais leur méthode était bien différente. Le premier parlait une langue cicéronienne. Il se jouait en enseignant. Il modernisait son enseignement, il intéressait, il captivait parfois, il s'élevait à une véritable éloquence. Le second était compassé, méthodique, 114 il dictait, il exigeait des résumés. Il instruisait, mais sans avoir le talent de rendre son enseignement intéressant.
Le Jubilé sacerdotal de Pie IX
Au mois d'avril, on célébra le cinquantième anniversaire de l'ordination sacerdotale de Pie IX. Quelles fêtes! Quel enthousiasme! On fit une exposition des dons offerts au St-Père. Quelle profusion d'objets d'art, de livres précieux, d'albums, d'objets de tout genre. Les dons royaux côtoyaient les f leurs et les fruits offerts par les habitants des campagnes. Toutes les nations étaient représentées . C` était toute l' industrie humaine rendant hommage au représentant de Dieu sur la terre.
C'est le 11 avril que Pie IX célébra sa messe jubilaire à St-Pierre devant une assistance immense et profondément émue.
Pie IX avait donné les prémices de son sacerdoce à une œuvre de jeunes orphelins. C'est à l'hospice de Tata Giovanni qu'il avait célébré sa première messe en 1819. Quelques-uns 115 des enfants de 1'hospice de 1819 se retrouvaient vieillards à la messe jubilaire de 1869. On leur avait réservé une place d' honneur.
J'eus la dévotion de célébrer la messe à la même heure à St-Pierre, à 1'autel de St Léon, mon glorieux patron, dont on faisait la fête ce jour-là. J'unissais rues prières à celles de Pie IX. Cette messe me laissa une profonde impression.
Le Projet d’une œuvre d’élude
La présence du P.d'Alzon pendant cette année réveilla toutes mes préoccupations relatives aux études ecclésiastiques. Il était manifeste pour tous les bons esprits que ces études réclamaient un nouvel essor. Le clergé de France en particulier avait reconstitué ses cadres depuis la Révolution. Il avait pourvu aux nécessités du ministère. L'heure était venue de consacrer son élite aux études. C'était urgent. Toutes les erreurs philosophiques et sociales gagnaient du terrain. L'Église n'était pas prête pour la lutte. J'avais causé de cela à plusieurs 116 reprises avec le P. Gratry. Il m'avait parlé de la Chesnaye et d'autres groupes d'études fondés à Paris par Mgr Gay et Mgr de Ségur. Il attendait beaucoup de l' Oratoire. Ces questions furent l'objet fréquent de mes entretiens avec le P d'Alzon. J'allai avec lui en causer à Mgr Mermillod, au Cardinal Siméoni . Souvent aussi j'en parlais à M. Sauvé. La lumière commençait à se faire. Deux moyens nous paraissaient propres à conduire au but: le rétablissement d'Universités Catholiques en France et le relèvement des études dans les Ordres religieux.
Le P. d'Alzon publiait sa Revue de l'enseignement chrétien. Animé par nos conversations quotidiennes, il poussait vigoureusement la revendication de la liberté de l'enseignement supérieur en France. L'Univers y faisait écho. L'idée faisait son chemin. Elle devait aboutir après la guerre.
Le P d'Alzon pensait que sa 117 Congrégation aurait une part active à ce réveil des études et qu'une université libre commencerait à Nîmes sous ses auspices. J'abondais dans son sens. Je pensais à lui donner mon concours avec mon ami l'abbé Désaire. Nous nous trompions. La Congrégation de l'Assomption avait une autre mission providentielle, la propagande quotidienne, le journalisme, les pèlerinages. Ce sont des semeurs d'idées, ils ne doivent pas s'attarder dans les œuvres pratiques.
Tout ce que j'avais désiré pour ce mouvement d'études s'est fait sans moi. Nous avons les Universités libres. Je n'ai pas fait autre chose qu'encourager le P. d'Alzon dans sa propagande et Mgr Hauteaux dans sa fondation. Je n'ai pas eu d'autre mission.
Léon XIII est venu donner un concours prodigieux à ce mouvement. Ses encycliques ont renouvelé l'enseignement philosophique et théologique en lui 118 rendant pour base la grande méthode scolastique. Il a créé ce mouvement d'études que je croyais nécessaire dans les Ordres religieux. Il a rajeuni ou ressuscité à Rome les grandes écoles théologiques de St Thomas, de St Bonaventure, de St Anselme.
Le mouvement se propage. L'Université de Louvain se fortifie. Celles de Fribourg et de New-York ont été créées. Les congrès scientifiques des catholiques ont été organisés par Mgr d'Hulst. On peut dire que l'œuvre des études est faite.
J'ai eu pendant dix ans un attrait pour cette œuvre que je prenais pour une vocation.
Je prenais des notes sur les sources à étudier, sur les motifs de ce renouveau des études, sur les travaux à faire.
Voici la liste d'une série de lectures qui m'entretenaient dans cette pensée:
- Thomassin: Anc. et nouv. discipline, t.2, 1.3, c.83.
- St Greg. Naz.: Discours 12 et 27. 119
- St Chrysostome: De Sacerdotio, 1.4-5.
- St Ambroise: De Officiis, c. 22.
- St Augustin: De doctrina christiana, 1.4 etc.
- St Jérôme: Ep. ad Magnum, etc.
- Les Proverbes: 15,2.16.24.
- St Thomas: 2a 2ae, q. 188, art. 5et6.
- P. Gratry: les Sources.
id.: Discours sur la mission de l'Oratoire.
- Dupanloup: De la haute éducation intellectuelle.
- Lacordaire: Sùr Lamennais (1).
- Ezéchiel: chap. 3.
- Au Brév.: 3e leçon de S. Bonav. - Ier noct. des Doct.
- Franzelin: De Traditione, dern. pages.
- Marin de Boylesve: Plan d'études.
- Mabillon: Traité des études monastiques.
- Les Actes du Conc. de Poitiers, 1868.
- Mgr Gerbet: vol. 2, ch. de la Papauté. ch. de la tradition…. (2)
- Lettre de Pie IX aux évêques de France, juin 1867.
- Cretineau Joly: L'Eglise romaine en face de la Révolution.
Ces idées devaient se faire jour en 1870 par les articles de la Civiltà (l) sur la philosophie et les maux présents de la société… (2). Par plusieurs Brefs de Pie IX: un à Louis Veuillot (mai 1870) (3); un autre 120 à un écrivain napolitain, Coppola, a l'occasion d'une brochure: «Sul diritto della Chiesa in ordine al pubblico insegnamento (voir Civiltà - mai 70) (4). Et par un mandement de Mgr l'arch. de Cambrai à son clergé (mai 70) (5).
Je notais aussi les motifs qui militaient en faveur de ce développement des études.
-Notre époque a ses erreurs propres, des hérésies nouvelles, le naturalisme, le libéralisme, le gallicanisme, qui grandissent sans cesse, faute d'être suffisamment combattues.
- Le temps est venu pour le clergé de se donner davantage à la science. L'église de France a refait ses cadres. Après l'ère des martyrs doit venir l'ère des docteurs.
- Il faut que ces œuvres d'études soient fondées et enracinées à Rome. D'autres manquent de cette base, comme l'Oratoire de France et les Chapelains de Ste Geneviève. On voit le fruit de ces études séparées: le P. Hyacinthe, Mgr Maret, le P Gratry, etc., fruits mauvais ou au moins incomplets.
- Il faudrait toute une organisation de 121 travaux sérieux, pour répondre à ceux des incrédules sur l'histoire, les sciences, l'exégèse, l'économie chrétienne et politique. (Comme tout cela s'est fait depuis, sous l'impulsion de Léon XIII et par le concours des Universités catholiques!)
- Il faut travailler à la constitution d'universités libres en face de l'université d'État qui est imprégnée des erreurs libérales. (La Providence y a pourvu) (1).
- Mgr Dupanloup avait écrit à M. Bougaud: «Que de fois n'ai-je pas souhaité de voir s'élever parmi nous une grande école d'hagiographie, une association d'écrivains catholiques, soit religieux, soit séculiers, écrivant enfin les vies des Saints comme elles doivent l'être, faisant vraiment connaître et aimer ces grandes âmes et resplendir la sainteté!»
- Ne pouvant pas agir par l'État et l'Université, il faut agir en dehors d'eux.
- Il faut attaquer le mal à son sommet. Le bien descend plutôt qu'il ne monte. 122
- Lacordaire, dans ses Considérations sur Lamennais, avait dit: «Aujourd'hui, quoique tous les vides ne soient pas comblés, cependant l'Eglise de France n'est plus sous l'empire d'une nécessité aussi absolue; la surabondance du clergé se laisse entrevoir çà et là… une chose qui manquait à tous est née pour plusieurs, le temps. Dès qu'une Eglise a du temps, elle est forcée par là même de songer à la restauration des sciences religieuses, sous peine de manquer à son devoir, et, si elle ne le fait pas, elle s'expose aux plus grands dangers qu'une Eglise puisse courir. Il s'introduit dans son sein une multitude flottante d'esprits qui ne savent comment diriger leurs loisirs et leur activité: inhabiles au saint ministère, parce que Dieu leur a inspiré une autre vocation, ils cherchent vainement le foyer où leur ardeur serait entretenue, purifiée, mise en usage par des travaux communs dans la voie catholique. Ils languissent ou s' exaltent isolément; ils se sentent périr sans profit pour Dieu. Ces 123 réflexions ont été faites par tous les hommes qui s'occupent sérieusement de l'avenir du Catholicisme en France. Plusieurs tentatives ont eu lieu pour la renaissance des études ecclésiastiques. Mgr Frayssinous, évêque d'Hermopolis, avait essayé pendant son ministère de créer un vaste établissement destiné à la culture des sciences sacrées. Mgr de Quélen, archevêque de Paris, a préparé, tant que sa fortune le lui a permis, les bases d'un établissement analogue. Feu M. le Cardinal de Rohan, archevêque de Besançon, a laissé par son testament les fonds destinés à ce noble but. Mais il est une cause qui empêchait qu'aucune œuvre semblable obtînt dans l'Eglise de France un véritable succès. Les esprits y étaient; profondément divisés sur des questions de la plus haute importance, et en particulier sur l'enseignement de la philosophie. - Il y a dans l'Eglise un défaut de fécondité scientifique, et dans quel moment! lorsque l'Eglise de France passe de la jeunesse à la virilité; au moment le plus critique de ses 124 nouvelles destinées, à l'âge où la force a besoin de se répandre et n'est pas encore réglée par une raison d'une sève égale… Qui dira ce que nous avons tous souffert? Notre volonté flottante entre nos évêques immobiles sur leurs sièges et les hommes qui nous entraînaient par la magie de leur puissance privée; notre besoin de fortes études et notre désespoir de le satisfaire; notre désir sans bornes d'une union troublée dans ses fondements; le sentiment du bien à faire et notre impossibilité de l'accomplir; la défiance, les soupçons, les abattements, puis le siècle grandissant à côté de nous, tantôt plein de menaces, tantôt poussé vers Dieu par (les espérances formidables, et nous, au lieu de l'instruire, malheureux proscrits de la veille, nous usant à des discussions dont nous ne savions, qu'admirer le plus de leur charme ou de leur malheur!»
- C'est à Rome que les études doivent avoir leur source et leur centre. C'est la prérogative de Pierre 125 d'enseigner et de confirmer les autres.
- St Léon le G(ran)d disait aux Romains: «Vos tamen praecipue inter caeteros populos decet meritis pietatis excellere, quos in ipsa apostolicae petrae arce fundatos beatus apostolus Petrus prae omnibus erudivit (serm. 3, In anniv. assumptionis suae)» Et ailleurs: «Si S. Petrus pietatis suae curam omni populo Dei, sicut credendum est, ubique praetendit, quanto magis nobis alumnis suis opem suam dignabitur impendere, apud quos in sacro beatae dormitionis toro eadem qua praesedit carne requiescit» (sermo 4, De natali ipsius).
«Rome, dit Mgr Pie, est éminemment la patrie de la science ecclésiastique… cet enseignement spécial de Pierre ne s'est pas perdu, et l'on en sent encore les fruits, ou plutôt Pierre tient toujours école dans sa ville, d'où ses leçons se répandent par tout l' univers. Les grands génies éclosent dans tous les climats, et Dieu n'a jamais cessé d'allumer de magnifiques flambeaux 126 sur tous les points de son Eglise. Mais, toutes choses égales, on ne trouve nulle part autant qu'a Rome cette sûreté de tradition qui vient en aide au génie, qui le remplace souvent avec avantage, et qui le préserve toujours des écarts auxquels il est exposé. Ajoutons que l'assistance divine promise au Vicaire de Jésus-Christ, s'épanche de sa personne sur toute l'Église particulière de Rome, inséparablement associée à sa mission et spécialement chargée de l'aider dans ses labeurs. C'est là surtout que le parfum de la grâce céleste descend de la tête d'Aaron jusqu'à la frange la plus extrême de son vêtement» (Œuvres, vol. 2, p. 508).
J'allais jusqu'a prendre note de travaux à faire. Beaucoup de ces travaux ont été faits depuis par des savants chrétiens. Voici quelques-uns des sujets que j'indiquais: - Accord de la Cosmogonie mosaïque avec les sciences naturelles. -Accord de la Bible avec les découvertes 127 historiques de l'Égypte et de l'Assyrie.
- Comparaisons des sociétés naturelles et des sociétés chrétiennes. -Des avantages temporels que l'État peut retirer de sa soumission à l'Église.
- De l'art profane et de l'art chrétien. - Les institutions charitables de Rome, leurs caractères: stabilité, universalité, opportunité. - De l'enseignement et de la part que l'Église doit y prendre. - Traité de Regimine Ecclesiae. L'Eglise a les trois titres du Christ: rex, sacerdos, propheta (v. Sanguinetti). - De la liberté de la presse devant le droit naturel et divin. - Où est la vraie liberté? - Thèse historique: avantages pour l'Église et le salut des âmes de la protection des pouvoirs publics, toute imparfaite qu'elle ait été. - Le progrès du dogme dans les vérités qui tiennent à la philosophie. Avantages que la science philosophique tirera des élucubrations de systèmes qui ont agité l'Europe depuis deux siècles. 128 Bien des vérités seront éclairées par les définitions et les enseignements de l'Église.
- Même étude pour la science politique.
- Item pour la science sociale et domestique.
- Les vérités politiques et sociales ayant été contestées et discutées de notre temps seront mises en lumière par les enseignements de l'Eglise.
- Dans quel degré l'état de la société actuelle permet-il la tolérance religieuse des gouvernements? C'est là la base des concordats. L'état de protection de la religion par le pouvoir est l'état de perfection pour la société civile. L'état a toujours le devoir de protéger au moins la liberté de la vérité (Lacord., Conf. sur le pouvoir coercitif.).
- Sanctification par l'Église du droit et des relations naturelles (v De Camillis, I, p. 291 et suiv).
- Les impiétés du droit moderne - Les immoralités organisées: mariage civil, jeux de bourse; maisons de tolérance, etc.
- Les vertus réservées: Lacordaire, Conf. de Toulouse. humilité, chasteté, charité. 129 Item: S.Greg. Hom. 32 in Evang. (douceur). Conc. Araus. II, can. 17: «Fortitudinem gentilium mundana cupiditas, fortitudinem christianorum Dei caritas facit…» (1). S. Aug., Fulgent., Prosper, cités apud Palmieri: De gratia, p. 108. - De Camillis, p. 157 et suiv, vol II.
- Etudier notre siècle dans les bullaires des cinq derniers Papes.
- Etudier dans les Conciles provinciaux du Moyen Age, dans les Conciles généraux, dans les Actes pontificaux, l'action de l'Église sur la société civile et son heureuse influence. L'étudier aussi dans la vie des saints rois.
- Sur le tort fait aux productions du génie par les erreurs qui ont règne depuis trois siècles (De Maistre, Soirées, t. II, p. 153).
- Economie générale de l'Église: organisation, ordres religieux; associations etc.
- La France Catholique - l'Italie Catholique, etc. Guide du pèlerin: histoire, hagiographie, reliques, art, etc.
- etc. etc. 130
Tous ces travaux se feront. Ils seront utiles à l'Église, le St Esprit en inspirera la pensée à l'un ou à l'autre. Notre petite famille religieuse se dévouera aussi à ce genre d'apostolat, quand elle sera sortie de l'ère des difficultés propres à tous les débuts.
Etudes et lectures
J'ai peu lu cette année en dehors de mes études théologiques et canoniques. Je n'en avais par le loisir. Je faisais ma lecture spirituelle dans les Entretiens de St François de Sales. Je trouvais sa doctrine si consolante et si encourageante! Je lus aussi La vie du P. Ratisbonne et Le récit d'une soeur de Mme Craven (2). Quels sentiments nobles et délicats dans ces récits! Des lettres, des notes nous révèlent dans ces pages les sentiments intimes des âmes les plus nobles, les plus chevaleresques; les plus chrétiennes de ce siècle! M. Albert de Mun, parent des La Ferronays, a hérité de ces nobles traditions.
Ah! si notre vieille aristocratie avait conservé ainsi son héritage de vrai noblesse par l'influence de l'exemple 131 et de l'éducation, elle aurait gardé facilement sa part légitime d'action dans notre vie sociale.
Je lisais aussi quelques discours et articles de revues, et je m'arrêtais spécialement a ce qui cadrait avec mes goûts et projets.
Les lignes suivantes, que je copiais dans Mgr Dupanloup (Lettre aux contemporains), présageaient les œuvres et les études auxquelles je me livrerais plus tard. - «Si j'avais un conseil à donner aux chrétiens de nos jours et à tous les prêtres, ce serait de ne pas rester étrangers, comme ils le font trop souvent, aux questions sociales, d'être mêlés à la vie des paysans et des ouvriers, occupés de leur logement, de leur nourriture,de leurs salaires, de leurs enfants, de leurs vieillards, de leurs sociétés mutuelles, de leurs lectures, de leurs plaisirs. Pourquoi? Eh! mon Dieu, pour tout soulager, tout éclairer, tout améliorer? Ce devrait être là notre passion dominante, en dehors de toute politique, de toute ambition, de toute récrimination». 132
Dans les discours académiques du P. Gratry et de M. Vitet, je notais les deux passages suivants qui appréciaient les mérites respectifs des deux formes de la vie sacerdotale: le ministère et l'étude.
- Le P. Gratry exprimait un scrupule: «Les fléaux qui enveloppent le monde, la vue des souffrances des hommes et tant d'âmes percées de douleurs, tout cela nous inquiète, nous sollicite continuellement le cœur au milieu de notre travail et semble nous dire: que fais-tu? pourquoi es-tu prêtre? pourquoi ces subtiles recherches qui n'intéressent pas ceux qui souffrent, ni surtout ceux qui meurent?»
M. Vitet répondait: «Ce grand effort au profit de la raison, cette guerre à l'erreur si chaudement soutenue, quel en était le but? Vouliez-vous satisfaire un besoin d'amour propre, de curiosité? Vous étiez tourmentés d'une ambition plus haute, du saint espoir d'éveiller dans les âmes le goût de la lumière divine. Votre but était tout pratique, tout religieux». 133
Je trouvai bien exprimé dans le P. Ratisbonne un des meilleurs arguments de l'apologétique, celui des vertus réservées. Je le copie. - «Là où l'Eucharistie manque, il n'y a plus de grandeur divine dans les âmes. On peut reconnaître chez les protestants comme les juifs les vertus naturelles et patriarcales. Il y a chez eux, nous en convenons volontiers, de la moralité, de la générosité, des qualités aimables; ruais les vertus surnaturelles leur sont inconnues. Ils ne comprennent ni l'humilité, ni la chasteté évangélique, ni l'obéissance religieuse, ni le renoncement complet à la vie terrestre, ni les actes héroïques qui dépassent la force de la nature humaine».
Dans Mgr Darboy, je remarquai un jugement, qui restera, sur un des grands maux de notre siècle, l'abaissement des caractères. - «Il y a un vice, dit-il, qui doit vous apparaître quand vous considérez la société actuelle,c'est le défaut d'énergie, le manque de caractère, le fléchissement des volontés. La plupart 134 des hommes relèvent de leurs fantaisies, obéissent aux suggestions de leurs sens, à la mobilité de leur imagination, à toute pensée qui leur monte à l'esprit ou au cœur. Ils sont entraînés par la première impression et donnent ainsi d'eux-mêmes une pitoyable mesure. Victimes de leur propre caprice, ils deviennent la proie du caprice de ceux qui les environnent… Quand on n'a plus la force des principes, on n'a plus que les faiblesses de tous les instincts mauvais et de toutes les passions… Je voudrais que la jeunesse sût que les choses humaines se présentent toujours plus mal qu'on ne le désire, et que rarement l'homme est parfaitement servi par les circonstances. Car quelles que soient les contradictions et les adversités qui les attendent, vos enfants les surmonteront s'ils ont du caractère, de l'énergie, de la résolution. Et si la prospérité leur sourit, alors encore il leur faudra du caractère; car la prospérité corrompt comme l'adversité abat».
Dans le «Récit d'une soeur», je notais des impressions sur Rome qui 135 me paraissaient lumineuses et que je partageais. - «Comment, disait le Comte de la Ferronays (1), peut-on venir à Rome seulement pour voir des pierres? Comment surtout au milieu de tant de témoins qui attestent Dieu et sa puissance, la religion catholique et sa vérité, peut-on ne chercher qu'à critiquer quelques abus et la singularité de certaines coutumes et cérémonies religieuses dont nos petits et vains esprits ne connaissent ni le sens ni la portée?
Pour une âme catholique Rome n'est que Rome catholique; le pays des souvenirs catholiques, des miracles catholiques, des méditations, des inspirations, des espérances catholiques».
Eugénie de Guérin écrivait de son côté: «Et maintenant je suis à Rome! je ne puis dire combien c'est pour moi une satisfaction de tous les instants. Y être à présent dans la disposition où je suis, avec tous les moyens de tout voir, comprendre et apprécier de la seule vraie manière, voilà une jouissance dont je ne me lasse pas je n'ai encore revu 136 que Saint-Pierre, et j'y ai bien senti la vérité de ce que dit l'abbé Gerbet, dans son livre (Esquisse de Rome chrétienne): cette impression de triomphe en entrant dans l'admirable église! Tandis que dans les églises gothiques, l'impression est de s'agenouiller, de joindre les mains avec un sentiment d'humble prière, dans Saint-Pierre au contraire, le mouvement involontaire serait d'ouvrir les bras en signe de joie, de relever la tête avec bonheur et, épanouissement. Le sentiment vif du pardon par la résurrection remplit seul le cœur… Tu peux t'imaginer ce que ce sera de revoir les églises, les catacombes, etc., etc., avec l'abbé Gerbet, qui ne cesse pas d'être admirablement inspiré sur tous ces lieux saints, et Théodore de Bussières, qui pénètre dans une foule de détails charmants, à cause d'un livre qu'il a écrit sur les sept basiliques de Rome…»
Maladie
Cette année scolaire a bien éprouvé ma santé. Les émotions de l'ordination et des premières messes m'avaient tout enfiévré. Les répétitions de sténographie 137 s'ajoutant chaque jour à nos cours habituels, amenèrent un vrai surmenage. Au commencement de juin il fallut m'arrêter et prendre le lit je toussais, j'étais sans forces, j'avais tous les symptômes de la phtisie. Le bon P.Brichet craignait une catastrophe. Il se trahissait, je le comprenais. Il n'avait qu'un désir, c'était de voir venir quelques jours de répit dans la maladie pour m'expédier au plus vite au delà des Alpes je priais la Très S.Vierge et Joseph. Ils vinrent à mon secours et me donnèrent un petit signe providentiel de leur intervention.
Un petit envoi anonyme m'arriva par la poste. Il y avait un flacon d'eau de Lourdes et un cordon de St Joseph avec une notice sur la dévotion aux sept joies et aux sept douleurs de St Joseph Je n'ai jamais su d'où cela me venait. Mais ce que je sais, c'est que la convalescence commença dès que je pris de l'eau de Lourdes, et peu de jours après j'étais en mesure de partir.
Après avoir franchi le Mont-Cenis, 138 je m'arrêtai quelques heures à Chambéry pour visiter en passant mon cher ami l'abbé Perreau, qui s'étiolait lui aussi et se préparait à mourir quelques mois plus tard de la mort des Saints.
Le 19 juin, il m'écrivait a La Capelle: «Mon cher ami, il me tarde d'avoir de vos nouvelles. Je vous ai laissé bien souffrant. L'air natal vous a-t-il rendu quelque vigueur? Cette maladie est arrivée bien mal à propos si nous en jugeons selon le monde; mais bénissons les desseins de Dieu. Ils sont mystérieux et miséricordieux. J'aime à me rappeler quelquefois que le prêtre qui souffre ressemble davantage à Notre Seigneur. Entre la sensualité du monde et la justice de Dieu, il faut. quelques intercesseurs souffrants. Oh! si nous savions en profiter! Cher ami, écrivez-moi pour me soutenir: je suis bien bas pour l'âme, je me matérialise trop. Mon imagination préoccupée de soins matériels, m'en poursuit dans les moments où c'est inutile. Priez bien pour moi. je me trouve un peu mieux que lors de votre passage et 139 compte partir le 25 ou le 26 pour les bains de mer. Je m'arrêterai un peu à Paris et tâcherai d'assister à la fête patronale du Cercle du Luxembourg, le jour de St Pierre: cela me rappellera de délicieux souvenirs. Si vous n'êtes pas trop fatigué pour m'écrire quelques mots, vous pourriez me rendre un service, ce serait de me donner l'adresse d'un hôtel où je puisse descendre à Paris. Adieu, mon cher ami, soignez-vous bien, c'est assurément la volonté du Bon Dieu, il faut l'accepter de bonne grâce. Oubliez tout travail et tout souci. Laissez-vous gâter par votre bonne mère».
La lettre de mon ami indique l'impression qu'avait produite mon état de santé à Chambéry. A La Capelle aussi, en assistant à mes premières messes, de braves gens disaient: «Ce pauvre monsieur n'en dira pas beaucoup». Cependant la Très Sainte Vierge faisait peu à peu son œuvre. Mes forces revinrent peu à peu et je fus assez valide pendant 10 ans. 140
Prémisses
Mes bons parents préparèrent pour le 19 juillet la fête que l'un fait a tout jeune prêtre-qui revient célébrer la messe au milieu de sa famille. J'ai une préférence pour le 19° jour du mois. C'est le jour de
mon ordination, de mes prémisses; c'est le jour de St joseph, de St Vincent de Paul, c'est le jour où ma mère a quitté la terre. J'ai choisi ce jour pour toutes les pratiques de confréries qui s'accomplissent une fois par mois.
La fête fut bien belle et bien touchante. Il y eut une grande réunion de famille et des cadeaux, qui étaient tous des ouvrages de bibliothèque: Bossuet, Chateaubriand, Mgr Dupanloup, Mgr Pie, Ravignan, Lacordaire, le P Félix, etc.
Je chantais la messe et les vêpres et je parlai deux fois, le matin sur le St Sacrifice et le soir sur la Ste Vierge.
Les émotions d'un jour comme celui-là ne peuvent se redire.
Ma famille, mes compatriotes capellois 141 étaient aussi impressionnés que moi. Tout le monde pleura et cette journée laissa, je pense, dans les âmes un accroissement de foi qui aura contribué au salut de plusieurs.
Je n'étais pas orateur, et je ne le suis pas encore, quoique j'aie aujourd'hui plus de facilité, mais les circonstances parlaient par elles-mêmes.
Les études scolastiques donnent une doctrine sûre et une logique serrée. Elles nous mettent aux antipodes de la rhétorique. Celle-ci suppose des lectures, des exercices qu'on n'a pas le temps de faire au séminaire et des industries qu'on n'y apprend pas.
J'avais terminé trop tôt mes humanités, à seize ans! Le droit, la philosophie scolastique, la théologie avaient donné â mon esprit des habitudes de précision, d'ordre et de clarté qui étaient précieuses. Mais je manquais de littérature. J'avais de la répugnance pour tous les écrits modernes, qui manquent presque 142 universellement de fond, de logique, de doctrine et qui ne sont guère que de 1a phrase, de l'art pour l'art, du dilettantisme, le cymbalum tinniens de St Paul. Ce n'est que bien plus tard que j'ai repris un peu de goût pour la littérature, comprenant, mais trop tard, qu'avec un peu plus d'apprêt j'aurais donné souvent, plus de puissance à ma parole.
Ce jour-là donc, je commençais par l'exorde de circonstance. Il résumait bien mes impressions, je le reproduis.
«Il y a des sanctuaires, disais-je, où le chrétien aime â prier, où le prêtre est heureux d'offrir le saint Sacrifice de la messe. Il en est. ainsi des lieux de pèlerinage où le libre choix de Dieu et l'intercession des Saints répandent des grâces en abondance. Il en est ainsi des sanctuaires vénérés de Rome et du tombeau sacré du Prince des apôtres où les chrétiens du monde entier vont puiser une sève vivifiante, la foi des temps apostoliques, l'esprit de piété et de charité. Il en est ainsi des Lieux saints 143 consacrés par la vie de Notre-Seigneur, si frappants dans leur tristesse actuelle et dans la malédiction qui les frappe parce que les exigences de notre salut y ont fait couler le sang du Sauveur. Mais il est aussi un autel, moins saint que ceux-là, et inconnu aux pèlerins, mais qui n' est pas moins cher au cœur de chacun de nous, c'est celui de sa patrie, c'est celui de la paroisse où il est né. Nous aimons à y prier, le devoir nous y appelle et des joies et des larmes nous y attendent.
Le devoir nous y appelle parce qu'en ce lieu nous avons commis des fautes dans notre enfance et que c'est là au pied de l'autel qu'il convient de les réparer en offrant à Dieu une victime d' un prix infini.
Le devoir nous y appelle encore parce que là nous avons reçu de Dieu des grâces, des bienfaits: la foi, le nom de chrétien et ce premier embrassement d'amour que Notre-Seigneur nous donne dans la première communion et qu'il renouvelle ensuite avec la tendresse d'une mère. Des hommes aussi, nous avons reçu des bienfaits, et nous avons à les remercier 144 en appelant sur eux la bénédiction de Dieu.
Des joies nous y attendent, des joies semblables à celles de ce beau jour où votre nombreuse réunion produit en moi l'émotion dont vous êtes témoins, joies dont le souvenir ne s'effacera pas de mon cœur et me sera présent tous les jours de ma vie à l'autel; joies de l'union avec nos frères dans la prière, dans le pur amour de Dieu, dans la volonté de faire le bien avec l'espoir d'être couronnés ensemble dans le séjour des bienheureux.
Des larmes aussi nous attendent a l'autel de notre patrie,nous ministres du Seigneur, parce que nous avons reçu avec le Saint-Esprit quelque chose de l'amour divin pour les âmes. Cette union qui fait notre joie nous la voudrions unanime et voici que dans ce concert apparent il y a des voix discordantes, et voici que dans ce troupeau du divin pasteur il y a des brebis égarées. C'est pour obtenir de Dieu qu'il fasse cesser par sa grâce le sujet de ces larmes et qu'il nous confirme dans ces joies, et pour accomplir ces devoirs de reconnaissance et d'expiation, que nous 145 sommes réunis, mes frères, au pied de l'autel et que nous allons offrir ensemble le saint sacrifice. Mais Dieu n'exauce que les prières humbles et ferventes et les sacrifices généreux, et pour nous préparer à lui offrir ensemble ce sacrifice saint, nous allons méditer quelques instants sur sa grandeur et son efficacité».
Après cet exorde, je résumais l'enseignement dogmatique du Card. Franzelin sur le sacrifice.
Le sacrifice, c'est l'expression du culte que l'homme doit à son créateur. Je rappelai les sacrifices tout gracieux du paradis terrestre: c'était une prière, un chant ou l'offrande de quelque objet dont la destruction représentait la toute - Puissance de Dieu et son souverain domaine sur ses créatures.
Après le péché, le sacrifice ne fut plus seulement un hommage d'amour, de reconnaissance, de piété et de confiance. Il fallut y joindre l'expression de l'expiation et de la soumission à la justice divine. De là, la 146 destruction de quelque objet a l'usage de l'homme et que l'homme se substituait pour signifier qu'il avait mérité la mort.
Mais c'était la une réparation insuffisante. Qu'importait à Dieu le sang des génisses et des agneaux? Il fallait à Dieu une victime digne de lui. Aussi son divin Fils s'offrit pour mourir à notre place.
Je citai là une belle page d'Isaïe en son chapitre 63. Isaïe est toujours si beau! Il nous montre notre Dieu irrité se couvrant de sang dans sa colère en foulant aux pieds l'homme pécheur comme on foule le vin dans le pressoir. Mais cette victime qu'il écrase, c'est lui-même, c'est son Fils qui a bien voulu prendre sur lui nos péchés: attritus est propter scelera nostra. Est-il rien de plus touchant? Rien de plus digne d'une miséricorde infinie?
Ce n'est pas tout: il fallait a l'homme un culte perpétuel, 147 un sacrifice quotidien, une victime à offrir tous les jours. Notre-Seigneur a voulu être encore cette victime. Il se survit dans le prêtre pour s'offrir tous les jours dans l'Eucharistie. Et c'était là le grand acte que j'allais accomplir.
Notre-Seigneur avait dit aux Apôtres: «Faites ceci en mémoire de moi». Il leur avait donné le pouvoir de renouveler son sacrifice eucharistique et il leur avait confié la mission de transmettre ce pouvoir à leurs successeurs dans le sacerdoce. Et depuis dix-huit cents ans les évêques successeurs des Apôtres, transmettent ce pouvoir aux prêtres de la loi nouvelle. Et, quelques mois auparavant, le prélat qui est le Vicaire du successeur de Saint Pierre me disait a moi-même: recevez le pouvoir de consacrer le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est ce pouvoir que je venais exercer au milieu des miens.
En terminant, je m'écriais: «O victime adorable! quand tout à l'heure 148 vous viendrez au milieu de nous, malgré notre indignité; quand nous serons prosternés à vos pieds avec respect, confiance et amour, parlez Seigneur, parlez à nos cœurs, parlez à votre Père.
A la vue de nos fautes, de notre tiédeur, de nos misères, dites à votre Père, comme vous lui disiez sur la croix: mon Père, pardonnez leur car ils ne savent ce qu'ils font.
Parlez à nos cœurs. Mais je vous entends qui nous dites: Frères, je vous veux grands, saints et vertueux; je vous veux justes et généreux envers vos frères; je vous veux reconnaissants et pieux envers votre Dieu et dignes et purs envers vous-mêmes!
Parlez, Seigneur, et que chacun de nous sorte meilleur de cette solennelle réunion. Parlez encore à votre Père et demandez lui de bénir son indigne ministre, de bénir les siens, ses vénérables maîtres et pasteurs, ses compatriotes, ses amis, sa famille. Demandez lui de bénir cette pieuse assemblée et de nous réunir tous avec vous dans le bonheur des élus!»
C'étaient là les vrais sentiments de 149 mon cœur.
Le soir, je parlai de la Très Sainte Vierge, de son règne tutélaire, de sa maternité et de sa bonté.
Mes bons maîtres d'Hazebrouck manquaient à cette belle fête. M. Dehaene, mon ancien supérieur, m'avait écrit le 13 juillet: «Mon cher abbé, nous avons la distribution des prix le 5 août, par suite la besogne est très grande: un seul jour d'absence pour M. Boute et moi, c'est deux jours de trop. Ensuite, nous arriverions chez vous tout haletants pour vous quitter en toute hâte: ce serait gâter tout le plaisir.
«Nous permettez-vous d'assister seulement de vives sympathies à votre délicieuse fête de famille et d'aller vous voir au mois de septembre et de faire alors avec vous le pèlerinage de Liesse? Oui, n'est-ce pas? M. Boute croit aussi que c'est la meilleure combinaison. Montez donc solennellement à l'autel le 19, au milieu d'une population émue, d'une famille attendrie, aux regards d'un père justement fier et plein 150 de reconnaissance envers Dieu et d'une mère pieuse si bien payée aujourd'hui de toute sa sollicitude!Nos cœurs seront tout près des vôtres…»
Ces beaux jours passent rapidement, mais ils laissent une impression profonde que les années n'effacent pas.
Normandie
Mon saint ami, l'abbé Perreau était au Tréport. Il m'écrivait le 9 août: «Très cher ami, au bord de la mer, un jour d'orage, au milieu d'une salle de journaux, au casino: voilà où je me trouve aujourd'hui. Que Dieu soit béni en tout ce qu'il fait! Je crois qu'il me rendra la santé. Mon séjour à la mer m'a ressuscité. J'y suis depuis un mois. Jusqu'ici je n'ai pris que des douches d'eau de mer froide, je vais désormais y joindre les vrais bains. Ma bonne mère m'a accompagné à cause de l'état de grande fatigue où j'étais,mais elle m'a maintenant laissé seul et elle est retournée à Chambéry. Pour moi, je suis condamné à rester ici jusqu'à la fin de septembre. La condamnation n'est pas fort triste, et je l'accepte d'autant mieux que le premier mois a eu 151 un grand succès pour ma santé. Par une bonne fortune toute providentielle, j'ai rencontré ici Cadot et Thellier. Ils sont partis, mais Thellier reviendra du 15 au 30. (C'étaient deux amis communs, que nous avions connus à Paris à l'école de droit. Cadot devait être plus tard député de Péronne et Thellier député de Valenciennes). «J'ai eu des nouvelles par le P Freyd. Vous étiez mieux: mais j'ai besoin de le savoir par vous. Vous aviez besoin d'un grand repos, j'espère que vous vous le serez abondamment donné. N.-S. n'est-il pas toujours avec nous? et n'est-ce pas une consolante pensée que de tout temps, en toute situation, nous sommes ses amis et qu'il nous est donné de faire sa volonté? Si nous l'aimions, nous serions doux et calmes partout,nous serions heureux, nous serions comme ces musiciens qui préludent à un air de fête: ils s'en approchent tranquillement par des harmonies qui l'appellent. Préludons ici-bas aux chants d'allégresse 152 du ciel. Au ciel nous serons au Thabor, montons-y avec courage. Je vous dis tout cela bien que je sois lâche, misérable, quelquefois bien triste. Je me recommande bien à vos prières. Restons unis dans le Cœur de celui en qui je suis a jamais votre ami». L. Perreau.
Il l'était bien, lui, doux et calme partout. C'était un Louis de Gonzague. Mais sa prétendue résurrection était une illusion de malade. Il s'en allait assez rapidement vers le ciel.
Je lus sa bonne lettre à mes parents et l'idée leur vint de m'envoyer aussi pour quelques jours au Tréport. J'acceptai avec joie et je partis après l'Assomption pour y séjourner quinze jours.
C'est ainsi qu'il faudrait toujours prendre les bains de mer, en compagnie d'un saint ami dont les conversations toutes surnaturelles effacent les impressions trop mondaines d'un pareil séjour. Je passai là des journées délicieuses. J'allai le matin dire la sainte messe à la paroisse. Je prenais un bain tous les jours. Nos causeries ranimaient mon 153 âme et me réconfortaient. Thellier vint nous rejoindre. Je fis avec lui de longues promenades. Nous causions d'apostolat. Un instant il pensa se vouer au sacerdoce, mais Dieu avait d'autres desseins sur lui. Il est devenu un apôtre à la Chambre et dans les œuvres du Nord. Il a une famille patriarcale d'une douzaine d'enfants, et quelques-uns, je crois, vont se consacrer au Bon Dieu.
Toujours fidèle à mon attrait pour la belle nature et les beaux-arts, je fis quelques excursions.
Le Tréport lui-même ne manque pas de charme. C'est, paraît-il, l'Ulterior portus de César. Il est situé à l'embouchure de la Bresle, en face de Mers. Il n'a plus rien de sa vieille abbaye fondée par les comtes d'Eu. Il a son beau quai garni de villas, sa vieille ville de pêcheurs, à laquelle on grimpe par des escaliers de 80 à 100 marches, sa vieille église de la Renaissance et du XVe siècle, rajeunie par les libéralités des baigneurs, et au-dessus, le long 154 de la côte, la haute falaise déchiquetée, où l'on a une vue étendue et saisissante.
Le principal agrément du Tréport, c'est le voisinage de la belle propriété d'Eu, qui appartint aux princes d'Orléans. On peut y aller chaque jour à pied, à âne, en voiture, en tramway. Le château d'Eu a bien des souvenirs. Elevé par Charlemagne contre les Normands, il vit périr sous ses murs le duc Rollon. Jeanne d'Arc séjourna dans sa prison. Henri de Guise le fit reconstruire au XVIe siècle et Le Nôtre dessina son parc. Louis-Philippe y reçut deux fois la reine Victoria. La chapelle a de bien gracieux vitraux,exécutés a Sèvre d'après les dessins de Chenavard et Paul Delaroche.
Les profonds ombrages du Parc et surtout ses grands hêtres en font une des plus belles propriétés de France.
L'église St-Laurent est une des plus belles de la Normandie.
Elle est ogivale et date du XIIe au XIIe siècle. Il reste deux tours romanes de la vieille église, dans laquelle Guillaume le Conquérant 155 épousa la reine Mathilde.
Je visitai aussi Dieppe et Arques. J'appris à connaître le style normand avec ses lanternes en guise de coupoles, ses jubés et clôtures de pierre, ses clefs de voûte ouvragées, ses riches consoles, ses chapelles du sépulcre où l'on descend auprès d'une représentation de l'ensevelissement du Christ.
Dieppe est toute modernisée. C'est une ville de bains de mer. Ce n'est plus le port animé du Moyen Age qui luttait de puissance et de richesse avec les premiers ports de l'Europe. C'est à Dieppe et au château d'Arques, dont j'allai voir les vieilles tours ébréchées, que Henri IV commença à prendre le dessus sur la Ligue.
C'est à Dieppe qu'est né un de nos plus braves marins Duquesne. Il battit tour à tour les Espagnols, les Danois, les Anglais. Il équipa et arma une escadre à ses frais. Il défit Ruyter a Messine, battit a Chio la flotte barbaresque, bombarda Alger et força le Dey à restituer 156 tous les esclaves chrétiens. Il bombarda aussi Gênes qui avait aidé le Dey d'Alger et contraignit le Doge a venir s'humilier aux pieds du roi de France en 1684. C'est une des gloires du règne de Louis XIV.
Je revins de cet agréable voyage fortifié et reposé.
Ministère
Avant et après ce voyage, je fis à La Capelle et à la petite paroisse de Sommeron un peu de ministère. Quelques personnes s'adressèrent à moi pour la confession et je prêchai plusieurs fois. Je donnai aussi quelques leçons de latin a des enfants qui depuis sont devenus prêtres.
Je ne saurais dire l'impression que je ressentis quand je donnai mes premières absolutions. J'étais ému comme au jour de ma première messe. C'était la grâce sensible dans toute son intensité. Il me semblait que j'engendrais ces âmes à la grâce, comme dit St Paul: Filii quos genui, quos iterum parturio.
Pour rendre service à mon doyen, 157 j'allais le dimanche à Sommeron, j'y prêchais avec toute mon ardeur de jeune prêtre. L'église se remplissait. Je l'ai revue depuis, triste et désertée, par suite de l'influence néfaste de la politique et de la mauvaise presse.
Au mois de septembre, je prêchai à La Capelle le panégyrique de notre chère patronne, l'aimable martyre, Ste Grimonie ou Germaine.
Cette chère sainte était fille d'un roi d'Irlande, comme l'illustre Ste Bège, la patronne de la Norvège. L'une et l'autre avaient un père païen. L'une et l'autre s'enfuirent pour éviter le mariage, pour garder leur virginité et échapper à la colère de leur père. Béga conduite par son bon ange trouva sur le rivage un bateau qui l'emporta vers l'Ecosse. Son père la poursuivit. Un massif de lys surgit miraculeusement et la cacha aux yeux de son père. Elle fonda en Angleterre le monastère de Hartlepole et y mourut.
Béga vivait au VIe siècle, Grimonie 158 a dû la devancer. La légende ne nous dit pas si Grimonie trouva comme Béga une barque conduite par une ange ou si elle se joignit a des marchands. Elle n'aborda pas en Ecosse, mais en France. Elle s'enfonça dans la forêt de Thiérarche, non loin de la station romaine de Duronum. Mais les envoyés de son père trouvèrent ses traces. Il y avait encore là au fond de la forêt un dernier refuge du culte païen. Les druides immolaient là des vierges sur un autel dédié au dieu Odin. Les émissaires du roi d'Irlande avaient ordre d'imposer à la jeune vierge l'apostasie ou la mort. C'est la mort pour Jésus-Christ qu'elle choisit. Ils la livrèrent aux pontifes d'Odin. Elle eut la tête tranchée sur le dolmen de la colline au-dessus d'une source appelée la Fontaine royale, et son corps virginal fut jeté dans le ravin qui s'appelle encore aujourd'hui le trou d'Odin. (C'est le trou des victimes d'Odin qu'il faudrait dire).
Plus tard des boeufs fouillèrent le sol et découvrirent miraculeusement le 159 corps de la martyre. Les miracles se multiplièrent, un sanctuaire s'éleva. De là vint le nom même du pays, la Capelle (ou Chapelle) et le pèlerinage qui a encore ses fervents visiteurs.
Sainte Bège a trouvé un poète, René Bazin, qui a chanté sa légende. Il nous la montre à son départ:
«Minuit tinte, Béga se lève.
Adieu, dit-elle, je m'en vais»: Et Frida sortant de son rêve:
- Où courez-vous? - Chercher la paix.
Mais savez vous qu'à chaque porte
Des soldats veillent, l'arme au poing?
- Si le Seigneur veut que je sorte,
Ils ne m'en empêcheront point…»
«… Au bas du mont, la fugitive
Découvre la lande et la mer.
Plusieurs barques sont sur la rive.
Mais Béga ne sait pas ramer
Ni tendre au vent les lourdes voiles:
Jusque-là tourner son fuseau,
Tisser l'étoffe de ses voiles:
La broder d'un dessin nouveau,
Suffisaient à sa main légère. 160
Hélas! le péril est pressant,
Il faut mettre entre elle et son père
L'abîme du flot bondissant
Béga, sans trouble, sans un mot,
Attire l'ancre d'un canot,
Et s'agenouille sur les planches.
En de telles occasions,
Les âmes qui sont toutes blanches
Ont de ces inspirations,
Qui troublent la sagesse humaine
Mais qui font violence aux cieux.
L'idée était heureuse: à peine
La princesse eut levé les yeux
Et joint les mains pour la prière,
Que l'eau frémit le long du bord,
La barque s'éloigne de terre,
Coupe le golfe, prend l'essor
Vers la haute mer lumineuse,
Et le flot profond s'aplanit,
Sous une main mystérieuse…»
Plus loin le poète nous montre le roi à la poursuite de sa fille et le miracle des lis:
«Il débarque, il guide la bande;
Fouille en vain la mer et le bord,
Et montant la falaise ardue, 161
Se dresse debout sur le hautx…
Mais Dieu veillait sur son élue,
Et la sauve, car aussitôt
Toute une gerbe épanouie…»
Le roi croit la reconnaître dans le bouquet de lis lui-même:
«N'est-ce pas elle que je vois,
Blanche ainsi parmi l'herbe verte?
Oui, c'est elle, j'entends sa voix,
Et ce parfum… Oh! courez vite
Courez elle était encore petite,
J'entrais dans son appartement,
Et je la trouvais en prière
Et c'était autour de l'enfant
Cette même odeur printanière;
C'est bien elle!» Mais, l'arrêtant,
Son compagnon dit: «Ce qui brille
Sur la lande verte, Seigneur,
Ce n'est point Béga votre fille,
C'est un bouquet de lis en fleurs».
Après le départ du roi:
«La touffe de lis s'est ouverte,
La vierge est sortie en chantant, 162
Elle a passé la lande verte
Et l'ombre venue, écoutant
Un murmure de voix de femmes
Que le vent léger de la nuit
Emporte et même au bruit des lames,
Elle se guide sur ce bruit,
Avance timide et découvre
Des tours que surmonte une croix:
C'est un couvent, la porte s'ouvre,
Et Béga, la fille des rois,
Sa cache, humble soeur, dans un cloître…
Notre chère patronne, Germaine, mériterait bien aussi un chant lyrique. Mais les anges le lui donnent au ciel.
Pour en revenir à mon panégyrique, je m'efforçai d'accroître dans le cœur de mes compatriotes leur confiance et leur affection pour notre chère patronne.
«Partout et toujours, leur disais-je, le sang des martyrs a été la semence féconde des chrétiens. Il entrait dans les desseins de Dieu de préparer la conversion des peuples par l'expiation et les mérites des martyrs… (1). Voyez Rome. Le Christ a mis trois siècles à la conquérir et chaque pas qu'il y a fait a été acquis par 163 l'effusion du sang. Rome devait être le centre de l'Eglise et à ce titre participer davantage aux grâces de Dieu, il fallait qu'elle fût le théâtre de plus abondants mérites… Notre belle France qui devait être la fille aînée de l'Eglise devait avoir après Rome la plus large part de la croix, pour mériter sa large part de couronnes. Les martyrs y furent innombrables; et Lyon, la grande ville chrétienne, en compte par milliers.
Chez nous, Ste Grimonie vint, par l'effusion de son sang, détruire le culte d'Odin dans un de ses derniers refuges… C'est ici-même qu'elle offrit à Dieu, sous le regard des anges, ses frères, son grand sacrifice de propitiation: Mon Dieu, pensa-t-elle, acceptez ma vie avec celle de votre Fils, acceptez ma vie en expiation de mes fautes, si j'en ai commises, et de celles de mon peuple. Acceptez ma vie pour le salut de mon père et des miens. Pardonnez à mes bourreaux. Acceptez ma vie pour le salut des peuples de cette contrée, qui ne vous connaissent pas encore… 164
A nous d'imiter son courage. Le martyre est de tous les jours de la vie chrétienne. Chaque jour des émissaires du démon ou du monde viennent nous demander de renoncer à Dieu et nous promettent en retour les joies de la terre. Ils viennent nous demander de mépriser les lois de Dieu et de l'Eglise pour consacrer toute notre vie aux intérêts matériels… Ah! venez demander à une jeune fille des leçons de force, de courage et d'honneur pour résister à toutes ces sollicitations fallacieuses… Il faut enfin prier notre chère patronne. Remettons son culte en honneur. - Autrefois, illustre martyre, à votre intercession les aveugles voyaient, les boiteux marchaient, les sourds entendaient. Si notre foi n'est plus assez vive pour que nous obtenions ces faveurs éclatantes, accordez nous au moins vos faveurs spirituelles qui sont plus précieuses encore, quoique moins admirées des hommes. Guérissez l'aveuglement de notre esprit, faites que nous entendions la voix de Dieu et que nous marchions avec fermeté dans le chemin de la vertu…»
Pendant que je parlais, mon 165 bon ange m'avait fait comprendre que je devais à Ste Grimonie le courage d'avoir brisé la résistance de mon père à ma vocation. J'avais parlé avec émotion de sa fermeté devant les instances paternelles. Mes auditeurs avaient eu sans doute la même intuition, et l'émotion était générale. La chère Sainte y gagna en affection et en crédit, c'était tout ce que je pouvais désirer.
Fin des vacances
J'allais le matin et l'après-midi à ma vieille église, et je passais des heures délicieuses au jardin à dire mon bréviaire et mon chapelet et a faire de bonnes lectures. Tantôt je me promenais autour du berceau, à l'ombre des noisetiers, des acacias, des thuyas et des cerisiers, tantôt je m'asseyais sur un banc rustique ou sur une chaise de fer au pied du vieux frêne pleureur. J'avais pour compagnons les pinsons et les chardonnerets. J'allai une fois faire visite à M. Vitet et lui causer de Rome. Je rencontrais là 166 une société d'élite: François Lenormand, Aubry-Vitet, Mme Duchatel. On causait de l'Orient et des progrès de l'archéologie. Le soir on faisait jouer les cors de chasse dans les bois, la vallée en répétait les échos. Cela donnait à la soirée une petite saveur moyen âge.
Je fis aussi le pèlerinage de N.-D. de Liesse en famille. Toutes les familles chrétiennes doivent faire chaque année un pèlerinage à la Sainte Vierge.
Mon saint ami, Perreau était toujours au Tréport. Il m'écrivait le 20 septembre: «Vous voici au moment du départ. Que le Bon Dieu vous accompagne dans votre année nouvelle! Qu'il vous rende le bien que vous m'avez fait en venant ici! Qu'il vous conserve et accroisse en vous l'amour, la simplicité, l'humilité! Voilà ce que vous souhaite votre ami. C'est là tout, le reste est poussière. Oh! que de fois nous nous le sommes dit de vive voix! Eh bien! il n'y a pas de mal à nous l'écrire encore, jusqu'à ce que, vraie poussière en nos pauvres corps, nos âmes soient unies dans 167 la félicité céleste. La douce espérance de ce jour éternel sera peut-être la seule qui nous unira encore dans ce monde. Je commence à douter de mon voyage à Rome. Bien que je sois mieux, ma santé laisse encore bien à désirer, et voici bientôt la fin de ma saison de bains. Priez pour que je me résigne. J'ai grand besoin que vous me souteniez pour que je ne dissipe par les jours de maladie. Si vous saviez combien je suis autre que je parais, vous prieriez beaucoup pour moi. Nous avons eu de bien gros orages. Les pauvres marins ont été éprouvés. Ils ont montré leur foi dans le danger. Au retour, les uns font célébrer une messe, d'autres font quelque pèlerinage pieds-nus. On est si anéanti devant Dieu au milieu de la tempête…» Le lendemain il ajoutait: «Ma lettre est encore là, j'y ajouterai un mot. Ce sera la devise du P. Poiblanc (un de nos bons amis). Je viens de recevoir une lettre de lui et il me la répète: «Soyons saints». Oh! quelle grande parole! Penser que nous pouvons être saints! Mais il 168 faut se donner de la peine en pratique, peine que l'amour transforme. Il me semble que les saints avaient plutôt les yeux sur le divin modèle que sur les choses qui les entouraient; mais surtout ils s'oubliaient. Si on se croit plus saint que les autres, malheur! Tout est perdu. Soyez saint et parfait comme votre Père céleste est parfait: quel horizon! Le divin Maître vient à nous pour nous y conduire: priez pour que vous me trouviez au terme. Je m'arrête souvent en route. J'entrevois quelquefois, cher ami, qu'il serait plus facile peut-être de faire les choses sans restrictions qu'à moitié. On voit devant soi souvent deux routes: la route banale et la route de la perfection. La route banale est large, on s'y laisse entraîner. Elle n'a pas le dard du remords,mais elle a bien des tristesses. - Sursum corda! Pardonnez-moi ma lettre. Prions, car nous mourrons. On le dit avec tristesse quand on est dans la voie large. Vous rappelez-vous le St François d'Assise agenouillé qui est suspendu dans l'escalier du Séminaire? 169 Il est déjà mort, lui!…»
Ces bonnes lettres venaient parfumer mes heures de solitude.
Et l'heure de la rentrée sonna.
Je ne devais plus avoir d'autre lettre de Perreau. Quelques mois après ce fut sa bonne mère qui m'écrivait pour m'annoncer sa sainte mort. «Je vous remercie, me disait-elle, de tout ce que vous avez fait pour lui. Vous lui avez rendu le séjour du Tréport agréable et là, comme à Rome, il était heureux par vous…»
Comme une bonne amitié est une douce et sainte chose!
Retour à Rome par Paris
Je voulus revoir en passant a Paris quelques églises anciennes et nouvelles. Notre-Dame a retrouvé toute sa jeunesse et sa fraîcheur sous la main de Viollet-le-Duc. Cette restauration est une œuvre de génie. Cet homme a dû remonter six siècles pour retrouver l'esprit du Mlle siècle et s'en pénétrer. Il a donné un grand exemple. Avant lui, on restaurait le gothique d'une manière pitoyable. L'empereur 170 l'encourageait, cela lui vaut une bonne note.
Je revis Notre-Dame des Victoires et je fus charmé d'y retrouver comme un parfum de Rome. Les pieux fidèles baisent avec dévotion le pied de la statue de St Pierre. Ils font la génuflexion sans respect humain. L'église elle-même a le cachet romain. Ses autels décorés de marbres riches et de bronze nous reportent au XVIIe siècle à Rome ou à Naples.
A St-Sulpice, j'aime la chapelle de la Sainte Vierge. Elle laisse une impression de grandeur, malgré ses dimensions modestes. La hauteur de sa voûte, ses grandes toiles de Van Loo. Ses pilastres de marbre ont un grand caractère. L'art du XVIIe siècle n'a pas, comme celui du XIIe, le sens de la prière, mais il a celui de la majesté et de la grandeur.
Je n'aime pas le style de l'église St Augustin. Cela tient de la gare et du casino. Sa voûte surbaissée en fer, ses maigres colonnettes, sa coupole guindée, tout cela manque de noblesse et de grâce. 171
inserire qui il file NHV-0000-0006 Introduction Concile
VI Cahier (suite)
=====Notes sur l’histoire de ma Vie
171Ve période: Rome 1865-1871 (suite)
Ve année scolaire: Rome, 1869-1870
Le Concile
La retraite
Je rentrai à Rome pour la retraite. Elle nous fut, donnée par Mgr Gibert, Vicaire Général de Moulins, un des théologiens du Concile. Je le connaissais surtout jusque là par son esprit et son amabilité. Ses prédications me révélèrent sa piété profonde et son cœur de prêtre. Il me reste quelques notes de cette retraite.
Le 1er jour, c'est la préparation: Vigilate et orate (Mt 26,41). Les racines des vices repoussent rapidement et étouffent celles des vertus. La persévérance dans les petites choses est héroïque. Le St Sacrifice doit être la préoccupation de toute la journée du prêtre. Il y a un péril imminent d'être un prêtre commun et ordinaire, et il y a en cela une horrible ingratitude…
2e jour: - Dissipavit omnem substantiam 172 suam (cf. Lc 15,13). Ainsi faisons-nous quand nous nous éloignons de Dieu (in regionem longinquam) (Lc 15,13) par la diminution de la foi, de l'union, de la confiance, de l'amour. Nos ressources sont dissipées: nos lumières, notre ferveur se perdent et s'éteignent. Nous devenons sans vie, comme un cadavre infect, au lieu d'être bonus odor Christi (cf. 2Cor 2,15). Mais quand nous revenons, Dieu n'attend pas que nous lui demandions d'être ses mercenaires, il nous attend de loin et nous prépare un banquet.
3e jour: - Oportet hunc regnare (cf. 1Cor 15,25). Il faut que le Christ règne sur nous. Il nous a rachetés. Il nous nourrit et entretient notre vie spirituelle. Il est le roi des siècles et des nations. Nous sommes teints de son sang et marqués de son nom. Il a tout droit sur nous: Cujus est haec imago? (cf. Mt 22,20). il faut que nous accomplissions en tout sa volonté, que sa volonté soit notre seule règle et notre constante préoccupation. Beati mundo corde quoniam Deum (et Dei voluntatem) videbunt (Mt 5,8). La pureté de cœur des Saints leur a permis de recevoir les communications de Dieu et de comprendre toujours sa volonté. 173
5e jour: - Continuo non acquievi carni et sanguini (Gal 1,16). Je me suis attaché à Jésus-Christ, à son service divin. Je travaillerai à m'unir à son Cœur, à ses vertus, à son inaltérable douceur, à son union in dissoluble avec son père. - Le sacrement de l'Eucharistie est le fruit de son amour. Il n'était pas indispensable pour notre salut. Il voulut par amour nous rester, présent. Il voulut s'unir à nous et nous unir à son Cœur. Il voulut continuer à se sacrifier et s'immoler pour nous.
6e jour (1er novembre). - Qui… operati sont justitiam, adepti sunt repromissiones (Heb 11,33). St Jean nous décrit la cour céleste. Il y a auprès du Sauveur une couronne de saints prêtres, et le Sauveur m'y a préparé une place. La voie à suivre est celle des Saints: le renoncement, la fidélité dans les petites choses, l'union avec N.-S. Faisons servir nos labeurs et nos croix à la gloire de Dieu. Qu'il soit le seul objet de notre amour, et son déplaisir le seul objet de notre haine.
Je prenais ensuite quelques pieuses 174 résolutions que je puis résumer ainsi: «me bien préparer chaque jour à la sainte messe, garder l'esprit d'oraison; après les chutes, me relever humblement, doucement, pacifiquement; affermir mon caractère et tenir mes résolutions, tout en m'estimant la plus vile des créatures».
L'année scolaire recommençait, je me remis à suivre les cours et je faisais chaque jour un exercice de sténographie. Pendant ce temps-là le monde ecclésiastique tout entier s'agitait pour la préparation du Concile.
[ Liste des schemas ]1
Le Saint-Siège avait fait tout son possible pour préparer le Concile comme il convenait. Depuis la Bulle d'indiction du 29 juin 1868, on avait montré à Rome de l'activité et une grande bonne volonté. Le Saint-Père avait chargé une commission de théologiens choisis en Italie, en France, en Espagne, en Allemagne, en Amérique, en Angleterre, en Belgique, d'élaborer les matières qui devaient être soumises au Concile. Ces théologiens avaient rédigé un plan complet, un vrai volume analogue aux 175 Décrets du Concile de Trente. Il y avait quatre parties: I. La foi; II. La discipline; III. Les réguliers; IV. Les rites orientaux et les missions. La commission théologique s'était partagée en quatre groupes qui travaillaient séparément.
Le plan des travaux était fort beau en soi.1)
I. Sur la foi, il y avait sept séries de décrets:3
1. Profession de la doctrine catholique contre le matérialisme, le panthéisme et le rationalisme absolu.
Ce sont là les fondements rationnels de la foi.
2. Déclaration de la doctrine catholique contre les principes du semirationalisme.
Cette seconde partie comprenait les sous-titres suivants:
A. De la révélation surnaturelle:
1° des sources de la révélation dans l'Écriture et la Tradition;
2° de la nécessité de la révélation;
3° de l'objet suprarationnel de la révélation, ou des mystères. 176
B. De la foi divine:
1° de la distinction entre la foi divine et la science rationnelle;
2° des motifs de crédibilité pour la foi chrétienne;
3° de la vertu surnaturelle de la foi et de la liberté de la volonté dans son assentiment à la foi;
4° de la nécessité et de la fermeté surnaturelle de la foi.
C. Des relations entre la foi et la science:
1° des rapports des sciences avec la foi et avec l'autorité de l'Église;
2° de la vérité immuable de la doctrine de l'Église en face des transformations de la science.
3. Déclaration de la doctrine catholique relativement à quelques dogmes, spéciaux.
A. De Dieu:
1° de l'unité de l'essence divine en trois personnes réellement distinctes entre elles;
2° de l'opération divine « ad extra » commune aux trois personnes et de la liberté de Dieu dans la création.
B. Du Verbe incarné:
1° de l'unité de personne 177 en deux natures dans le Christ;
2° de la rédemption et de la satisfaction offerte pour nous par le Verbe incarné selon sa nature humaine.
C. De l'homme considéré dans l'ordre naturel:
1° de l'origine commune de tout le genre humain en Adam;
2° de la nature de l'homme composé d'un corps et d'une âme raisonnable qui est la forme du corps.
D. De l'élévation surnaturelle de l'homme:
1° de l'état surnaturel de sainteté et de justice originelle;
2° de la chute de l'homme et du péché originel; de l'éternité des peines destinées à tout péché mortel qui n'a pas été expié en cette vie;
3° de la grâce qui nous est donnée par le Christ Rédempteur; de la grâce habituelle permanente et inhérente à l'âme; de la nécessité de la grâce pour tout acte utile au salut. 178
4. De l'Église:
A. De la nature de l'Église:
1° elle est le corps mystique du Christ;
2° en elle se réalise la religion chrétienne, la seule vraie.
B. Des propriétés de l'Église comme société:
1° l'Église est une société vraie, parfaite, spirituelle et surnaturelle;
2° c'est une société visible;
3° elle est une;
4° elle est nécessaire au salut, de nécessité de précepte et de moyen;
5° personne n'est sauvé hors de l'Église. La doctrine de l'égale valeur des religions est contraire â la religion et à la foi.
C. Des privilèges de l'Église:
1° elle est indéfectible;
2° elle est infaillible.
D. De la puissance de l'Église: elle a la puissance d'ordre et de juridiction; un pouvoir législatif, judiciaire, coercitif et indépendant.
5. Du chef visible de l'Église.
A. De la primauté du Pontife Romain: 179
1° de l'institution de la primauté en Saint Pierre;
2° de la perpétuité de la primauté dans les successeurs de Saint Pierre;
3° de la nature de cette primauté.
B. Du domaine temporel du Saint-Siège.
6. De l'Église considérée dans ses rapports avec la société civile:
1° de la concorde entre les deux sociétés;
2° des droits et des devoirs de la société civile suivant la doctrine de l'Église;
3° des droits spéciaux de l'Église: sur l'éducation et l'enseignement de la jeunesse; sur la profession publique des conseils évangéliques; sur les biens temporels ecclésiastiques.
7. Du mariage chrétien:
1° de la dignité et de la nature du mariage chrétien;
2° du pouvoir de l'Église relativement au mariage chrétien;
3° des avantages du mariage chrétien sur les mariages mixtes.
C'était tout un complément et un développement de la dogmatique 180 chrétienne. Toutes les erreurs modernes étaient visées.
Quel magnifique travail, s'il avait pu être mené tout entier à bonne fin! Nous aurions l'enseignement complet et lucide de l'Église sur la révélation, sur la foi, sur l'Écriture Sainte, sur les rapports de la science et de la foi, sur la nature divine et les opérations de Dieu, sur la Rédemption, sur l'origine de l'homme et sa nature, sur le péché originel, sur l'enfer, sur la grâce, sur l'Église et ses rapports avec l'État, sur le mariage chrétien.
Sur tous ces points nous avions besoin de lumières nouvelles, et le Concile n'a pu achever que deux chapitres: la foi et l'Église. Mais il nous a laissé l'autorité du Souverain Pontife affermie et déterminée. C'est le salut, et ce que nous attendions du Concile, le Saint-Père nous le donne peu à peu. De là ses enseignements sur l'Écriture Sainte, sur la constitution chrétienne des États, sur 181 le mariage.
II. Pour la discipline, le plan des Consulteurs du Concile n’était pas moins beau. Il comprenait vingt-huit chapitres:
1.Des évêques, des synodes provinciaux et diocésains, et des vicaires généraux.
2. Des sièges épiscopaux vacants.
3. Des chapitres.
4. Des curés: leur nomination, leurs devoirs,. leur changement.
5. Des mœurs du clergé.
6. Des séminaires et des études.
7. Des conférences ecclésiastiques.
8. De la prédication.
9. Du petit catéchisme.
10. Des messes et des legs pieux.
11. Du rituel romain.
12. De l'administration des sacrements.
13. Des parrains.
14. Des titres d'ordination.
15. Des empêchements de mariage.
16. Du mariage civil.
17. Des mariages mixtes.
18. Du domicile pour le mariage.
19. Des cimetières et des sépultures. 182
20. Des jugements.
21. De la sentence « ex in formata conscientia ».
22. Des mœurs du peuple: indifférence, blasphèmes, ivrognerie, impudicité, théâtres, danses, luxe, mauvais livres; de l'éducation des enfants; des ouvriers et domestiques.
23. De la sanctification des fêtes.
24. De l'abstinence et du jeûne.
25. Du duel.
26. Du suicide.
27. Du magnétisme et du spiritisme.
28. Des sociétés secrètes.
C'était une revue complète de la morale, de la liturgie et du droit canon en vue des besoins actuels. Plusieurs de ces chapitres ont été étudiés, aucun n'a été promulgué. Mais le Saint-Père dans ses Lettres Encycliques a traité au moins en partie des mœurs du clergé, des études ecclésiastiques, de la prédication, du mariage, des ouvriers, des sociétés secrètes et les Congrégations romaines ont formulé plusieurs décisions relatives à ces questions.
III. Pour les réguliers, les travaux se rapportaient à dix-huit chapitres: 183
1. Des réguliers en général.
2. Du vœu d'obéissance.
3. De la vie commune.
4. De la clôture.
5. Des petits monastères.
6. Du noviciat.
7. Des affiliations.
8. Des études des réguliers.
9. Des grades et des titres.
10. Des ordinations.
11. Des élections.
12. De la visite.
13. De l'expulsion des incorrigibles.
14. De la juridiction des évêques sur les réguliers et en particulier sur les délinquants.
15. Des religieuses.
16. Des instituts à vœux simples.
17. Des examens spirituels et des retraites.
18. Des privilèges des réguliers.
Il y a là toute une réglementation, tout un code qui aurai tune extrême utilité. Le Saint-Père en a donné une partie dans la Bulle Auctis admodum.2)
IV. Pour les rites orientaux et les missions, deux chapitres étaient préparés. 184
La lutte
Le Concile devait être une œuvre de paix et d'union, mais il n'en va pas souvent ainsi. En réalité, il y eut une lutte ardente et souvent passionnée dans le Concile et au dehors.
Il y avait dans l'Église, je ne voudrais pas dire une faction ou un parti, mais une école, vivante, ardente, et souvent passionnée, l'école gallicane et libérale. Elle avait ses foyers principaux en Allemagne et en France. Elle avait un ensemble de doctrines et de tendances bien connues. Elle avait plus d'une source: le césarisme napoléonien, l'indépendance révolutionnaire, le parlementarisme, le joséphisme autrichien, le vieux gallicanisme de Louis XIV et des légistes, voire même le jansénisme et la Réforme.
La lutte se concentrait sur le terrain de l'infaillibilité pontificale, mais il y avait une tendance à relâcher les liens de l'épiscopat avec le Saint-Siège et des sociétés civiles avec l'Église.
A peine le Concile fut-il annoncé que les partis se dessinèrent.3)
Dés le mois de février 1.869 La 185 Civiltà Cattolica de Rome avait exprimé avec simplicité que l'œuvre principale du Concile serait la proclamation de l'infaillibilité du Pape et la confirmation du Syllabus.4) Ce fut l'occasion d'un tolle. Les journaux libéraux commencèrent à dire qu'on voulait mettre le Concile au service d'un parti.5) Les théologiens gallicans prirent leur plume. Les principaux lutteurs du parti furent en Allemagne, le Dr Doellinger, sous le pseudonyme de Janus; en France Mgr Maret, qui produisit deux volumes,6) et le P. Gratry, qui publia plusieurs brochures.7)
Le foyer de l'opposition en Allemagne était surtout Munich, où Doellinger était prévôt du chapitre. Ce pauvre chanoine publia d'abord les lettres de Janus, puis des observations sur le Concile qui furent traduites-dans toutes les langues des pays catholiques.8) Janus Doellinger était le bouc émissaire du gallicanisme, il devait hélas! finir dans l'hérésie.
Les pamphlets de Janus provoquèrent 186 une certaine agitation en Allemagne. Ils reçurent hélas! une adhésion imprévue, celle de M. de Montalembert. L'illustre écrivain était gravement malade, il se laissa entraîner par son ancienne amitié avec le Dr Doellinger.
Un manifeste du Correspondant, publié le 10 octobre, vint engager la lutte à fond. Toute la rédaction du Correspondant s'engageait sous une signature collective. Les principaux rédacteurs étaient MM. de Montalembert, de Falloux, Albert de Broglie, Foisset, Louis Carné, Augustin Cochin, les RR. PP. Perraud et Largent de l'Oratoire.9) C'étaient les chefs de l'école libérale.
Des catholiques laïques de Coblence et de Bonn envoyèrent leur adhésion à Doellinger et à M. de Montalembert.
Enfin Mgr Dupanloup, qui passait pour avoir inspiré l'article du Correspondant, se découvrit lui-même dans une lettre à son clergé,10) et dans un Avertissement au journal de L'Univers.11)
Louis Veuillot combattait le bon combat avec sa verve et son esprit ordinaires.
L'écho de ces luttes venait jusqu'à nous, 187 mais il nous était facile de prévoir l'issue qu'elles auraient.
======Audience et serment Congrégation Pré-synodale du 2 decembre
Au milieu de toutes ses occupations et de toutes ses sollicitudes, le Saint-Père voulut bien accorder une audience aux sténographes avant le Concile, pour nous bénir et nous encourager. Ce fut le 30 novembre, fête de l'Apôtre Saint André. Le Saint-Père passa en revue son petit bataillon de secrétaires. Nous étions groupés par nations. Notre directeur lut une adresse. Le Saint-Père dit quelques mots aimables à chacun. Nous étions prêts et armés pour la campagne qui s'ouvrait, et la bonté du Saint-Père enflamma notre zèle.
Le Saint-Père tint le 2 décembre à la Chapelle Sixtine une congrégation présynodale. Il voulait; dans une allocution aux Pères du Concile, leur dire sa joie, son affection. Il leur donnait en même temps le règlement des travaux, etc.; il désignait les cardinaux présidents.12) Il recevait 188 le serment des officiers du Concile qui promettaient de remplir leur emploi avec zèle et de garder le secret.
Elle était bien belle l'allocution présynodale de Pie IX. Elle fit impression sur tous ceux qui la lurent avec simplicité' et dans un bon esprit. Après avoir témoigné son affection fraternelle aux Pères du Concile et après avoir invoqué le secours de Dieu, Pie IX prévoyait les difficultés et les orages que la sainte assemblée rencontrerait sur son chemin. « Non deerunt certe nobis, una licet in Christi nomine coniunctis, non deerunt contradictiones ac dimicationes subeundae ». L'ennemi de tout bien ne manquera pas de semer la zizanie: « Nec inimicus homo segnis erit, nil magis cupiens quam superseminare zizaniam ». Mais nous nous souviendrons, disait Pie IX, de la fermeté des Apôtres, nos modèles, nous nous souviendrons de Notre-Seigneur et nous resterons unis. Ne sommes-nous pas déjà, ajoutait-il, aguerris à la lutte, dans les temps difficiles que nous traversons? « In ea enim conditione constituti 189 sumus, ut in acie adversus multiplices eosdemque acerrimos hostes diuturna jam contentione versemur ». Nous recourrons aux armes spirituelles, à la charité, à la patience, à la prière, à la constance. Nous contemplerons le Sauveur sur la Croix et nous trouverons à ses pieds la force et le courage pour surmonter les calomnies, les injures et les embûches de nos ennemis. Puis lé Saint-Père redisait la prière du Sauveur pour l'union, et il invoquait le secours de la Vierge Immaculée, et il avait bien le droit d'y compter, lui qui l'avait tant glorifiée en proclamant le privilège de sa Conception sans tache.13)
Le règlement des travaux du Concile était distribué aux Pères dans cette même réunion presynodale. C'était la constitution Multiplices inter,14) qui parut fort sage à la plupart des Pères, mais qui en froissa quelques-uns, ceux qui, étaient habitués à l'usage des parlements en Hongrie et en France, et leurs amis. Ceux-là auraient voulu que le Concile fût maître de son règlement et le rédigeât 190 lui-même. Je crois, moi, que le Concile y eût perdu trois mois. Le Saint-Père déclarait qu'il avait fait préparer des projets de constitutions par les théologiens conciliaires, mais il les présentait à la libre discussion du Concile et ne voulait leur donner à l'avance ni approbation, ni autorité: « Volumus et mandamus ut schemata decretorum et canonum, quae Nos nulla nostra approbatione munita integra integre Patrum congregationi reservavimus, iisdem Patribus in congregationem generalem collectis ad examen et judicium subjiciantur ».15) Il instituait quatre grandes commissions qui seraient élues par le Concile et qui se partageraient le travail comme avaient fait les commissions des théologiens conciliaires. L'une traiterait de la foi, l'autre de la discipline, la troisième des réguliers, la quatrième des rites orientaux et des missions. Elles se composeraient de vingt-quatre Pères élus et d'un cardinal président nommé par le Pape. Elles seraient aidées par les théologiens conciliaires. Elles réviseraient les schemata d'après les 191 discours et les observations des Pères et les présenteraient aux discussions et aux votes des congrégations générales. C'était assez. libéral. Mais il y avait chez les gallicans une prévention violente contre les schemata préparés par des commissions de théologiens ultramontains.
Il y eut donc dès le premier jour bien des nuages à l'horizon.
Le lendemain de la congrégation présynodale, le 3 décembre, les sténographes furent réunis dans la chapelle privée de Mgr Joseph Fessler, secrétaire général du Concile, évêque de Saint-Polten (S. Hippolyti) en Autriche. Là nous eûmes à lire la profession de foi de Pie IX et à prononcer le serment de dévouement à notre mission et de fidélité au secret.16) Nous avions reçu ainsi l'investiture définitive de notre charge. Dès lors, nous reçûmes comme les évêques tous les documents conciliaires. Ils nous étaient nécessaires pour remplir notre charge avec intelligence.
Table des matières
Ve période: Rome, 1865-1871 (Suite) | |
Notes de méditations | |
Etudes et lectures | 24 |
Synthèse de Rome | 30 |
Correspondance | 33 |
Retraite | 37 |
Excursion a Subiaco | 47 |
Mon diaconat | 52 |
Fin de l'année scolaire: Concours - Examens | 63 |
IVe année scolaire: Rome, 1868-1869 | |
Voyage 1868-1869 | 65 |
Lyon | 66 |
Chambéry | 69 |
Turin | 70 |
Lorette et Castelfidardo | 74 |
Séjour de mes parents à Rome | 76 |
Ordination et premières messes | 78 |
Mes premières messes | 82 |
Naples | 84 |
Pompéi | 87 |
Castellammare, Sorrento | 93 |
Pouzzoles, Cumes, Baja | 94 |
Pagani | 100 |
Naples | 102 |
Rome | 106 |
Les théologiens du Concile | 106 |
Les sténographes | 107 |
Le droit canon | 113 |
Le jubilé sacerdotal de Pie IX | 114 |
Projet d'une œuvre d'études | 119 |
Etudes et lectures | 130 |
Maladie | 132 |
Prémisses | 140 |
Normandie | 150 |
Ministère | 156 |
Fin des vacances | 165 |
Retour à Rome par Paris | 169 |
La retraite | 171 |
Préparation du Concile | 174 |
La lutte | 184 |
Audience et sennent | 187 |
Congrégation pré-synodale | 187 |
APPENDICE
Un martyr
Lettres de Mr de Bretenières:
On ne saurait trop répéter à ceux qui se destinent aux missions que le martyre que l'on y vient chercher sera bien rarement celui du sang, mais sera toujours de gré ou de force, c'est-à-dire avec ou sans mérites, le martyre de toutes ses inclinations, de ses goûts, de sa volonté; et en outre une forte dose de mortification pour le corps, une autre bien plus considérable pour l'esprit et pour le cœur. C'est donc cela qu'il faut aimer en mission et à quoi il faut bien s'exercer à l'avance… Le bon Dieu vous envoie toujours des tribulations et des amertumes, que vous me faites de joie quand je vous entends dire tant mieux. oh! certainement, tant mieux, car c'est là le vrai martyre, et celui que N.-S. réserve à tous ceux qui l'aiment. Vous vous souvenez que dès les premiers temps de mon séjour au séminaire des missions vous me passâtes à lire la vie de Ste Thérèse. Vous l'aviez lue déjà. Eh! bien vous savez que celle là disait à N.-S. sans cesse, ou souffrir ou mourir, et elle n'a pas en d'autre martyre; mais c'en est un qui n'est pas moins désirable que celui du sang, et celui là est bien celui que nous venons chercher et que nous sommes sûrs de trouver en mission … Je vous avoue que je ne puis pas demander une grâce particulière, mais toujours la grande grâce d'aimer N.-S., car si une âme aime un tant soit peu N.-S., aussitôt ce bon maître se complaît en elle et vient y habiter et cette aine passe bien vite alors de la pauvreté à la richesse. Que je vous souhaite ardemment ce grand amour, mon chère frère, que je vous souhaite que votre cœur soit tout embrasé! Vous souvient-il encore de la bonne volonté que le bon Dieu nous donnait au séminaire et du désir de la solitude qu'il nous inspirait pour pouvoir plus facilement nous recueillir et nous rapprocher de lui; pour moi je vous assure que ce souvenir vaut souvent mieux pour mon bien que la meilleure des lectures spirituelles…. J'ai souvent sous les yeux en lisant mon bréviaire une sentence de St. Jean de la Croix que le p. XXX m'écrivit sur une image qu'il me laissa à son départ: «une heure de souffrances vaut mieux qu'une année de délices». - Oh! comme ceci est dit pour les missionnaires, comme je voudrais la bien comprendre et la bien pratiquer en acceptant toute peine avec la paix et la joie d'un enfant de Jésus Crucifié! Que nous pourrions bien ainsi rapidement expier nos fautes,nos iniquités passées et acquérir de précieux mérites pour le ciel!…
En mission
J'ai vu aussi jusqu'à de vieilles femmes de 70 ans passés faire soixante lieues et plus pour avoir le bonheur de recevoir la sainte communion une seconde fois dans l'année. Pauvres âmes qui ne voient le missionnaire qu'un seul jour, que quelques heures par an, et qui eut si grande soif de la parole de Dieu! Que cela afflige le cœur du missionnaire,de voir l'impossibilité absolue d'aller leur rompre plus souvent ce pain sacré et leur donner quelques unes de ces consolations dont nos fidèles d'Europe abondent en les méconnaissant! Que se passera-t-il au jugement dernier, quand sera faite la comparaison des grâces accordées et des mérites acquis…
Mr de Bretenières