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LES VICAIRES APOSTOLIQUES

La présence des vicaires apostoliques offusquait certaines gens. Ils n'avaient pas un siège fixe ni un diocèse formé, ils ignoraient les choses de l'Europe et ne suivaient pas le courant de la science, etc.1) Louis Veuil­lot, dans L'Univers, formula l'objection avec esprit et y répondit avec une verve et une chaleur qui vengèrent brillamment ces généreux apôtres du Christ:

« Coquelet, disait-il, se dépite de voir au Concile tant de Vicaires Apostoliques. Il en parle dans les cafés, il en écrit dans les journaux: Prétendent-ils faire des lois pour les nations civilisées, ces hommes séparés des choses de l'Europe? Attestent-ils la foi antique des peuples, ces pasteurs de petits troupeaux sauvages, épars à travers les déserts de l'infidélité? Sont-ils libres, ces pontifes errants, exclusivement soumis au Pape et à qui le Pape peut ôter leur Siège imaginaire quand et comme il lui plaira?… Tel est le raisonnement de Coquelet, chevalier de plusieurs ordres et correspondant de plusieurs journaux, galant homme, homme pieux, mais en ce moment fort piqué contre le Saint-Esprit…

Il donne à entendre que les Vicaires Apostoliques oppriment les au­tres évêques, à ses yeux seuls réguliers et libres. Suivant Coquelet, l'évê­que complètement régulier doit avoir palais, carrosse et journal, et diriger des gens « comme il faut «, et l'évêque complètement libre doit relever de quelque gouvernement qui le lie de quelque concordat. Dans le ma­riage de l'évêque et de l'Église, Coquelet veut l'intervention de mon­sieur le Maire.

Les Vicaires Apostoliques n'ont point ces consécrations, n'offrent point ces garanties, Coquelet les récuse. Ils sont, dit-il, plus au service particulier du Pape, qu'au service légal de l'Église et de l'État. Ils ont été appelés de la Chine, du japon, de la Polynésie, des Montagnes-Ro­cheuses, de cent autres lieux bizarres, pour fabriquer l'infaillibilité. Après quoi, sans aucun souci des tourments qu'ils laisseront à l'Europe, ils iront jouir des sécurités de leur lointain séjour… Assurément ces divers aperçus de M. Coquelet sont très impertinents, injurieux et absurdes ».

La réponse à ces sottises est facile: Est-ce que les Pères du Concile de Nicée n'étaient pas tous comme des vicaires apostoliques? N'avaient­ils pas des troupeaux peu nombreux et des diocèses fort instables en pays païens? Et cependant ce Concile n'est-il pas de tous le plus vénéré? Seraient-ils moins aptes à témoigner de leur foi, des hommes qui ont eu le courage de la propager au péril de leur vie, des hommes qui ont souf­fert pour elle toutes les privations et parfois la prison et les tortures, comme les Pères de Nicée et nos vicaires apostoliques? Constantin bai­sait les mains cicatrisées des évêques confesseurs de la foi et nos gallicans leur jettent l'insulte et le mépris. De quel côté sont la grandeur d'âme et l'esprit chrétien?

« Ces hommes apostoliques sont le printemps de l'Église; ils lui font revivre ses premiers jours, parés de fleurs, empourprés de sang, écla­tants de miracles. Riche de leur vertu ardente et victorieuse, elle les montre au monde qui croit l'avoir appauvrie; à meilleur titre que l'anti­que Romaine, elle dit: Voilà mes joyaux et ma beauté! Mais ils sont aussi l'honneur et la consolation de notre siècle. Une grâce de Dieu a visité sa misère, et cette légion d'apôtres, illustrée de la palme des mar­tyrs, vient décorer son histoire triviale, pleine de fourbes, de meurtriers et d'histrions… Ils sont venus à Pierre et ils lui ont dit: Donne-nous un lambeau des royaumes de la nuit, afin que nous y portions le jour. Envoie­-nous à la faim, à la soif, aux tortures, dans toutes les ombres de la mort. Il y a là des multitudes qui dorment et que nous voulons réveiller. Elles sont au Christ et à toi; nous les voulons rendre au Christ par toi. Envoie­-nous, agrandis-toi du monde. Pierre leur a partagé le monde. Ils sont donc ici, nous les voyons. Ils sont partis, plusieurs sans même savoir où ils allaient, pieds nus et les mains vides. Ils reviennent pieds nus, mais chacun dans ses mains rapporte un peuple et fait asseoir avec lui dans le Concile cet accroissement de la famille du Christ… A l'appel de Pierre, ils sont venus chargés de leurs dépouilles sublimes. Les voilà dans la ville de César devenue la ville du Christ. Triomphateurs qui n'ont versé que leur sang, conquérants qui ont créé des peuples au lieu d'en détruire! Pierre, leur chef et leur père, nous apparaît dans ce cortège que n'eut jamais César, et dont lui-même ne fut jamais entouré. Jadis il vit autour de lui tous les rois inclinant leurs couronnes, cette pompe est surpassée. Ces créateurs et ces pasteurs de peuples l'environnent de plus d'amour, lui assurent plus d'empire…

S'en allant loin de nous, ces hommes de Dieu n'ont pas rompu avec nous, au contraire le lien de la charité qui les attache à la patrie s'est serré davantage, leur âme en a senti l'étreinte plus véhémente. Ils ont prié, ils ont offert leurs sacrifices et Dieu a été patient. Nous saurons un jour quel rempart a été l'humble son de la propagation de la foi. En at­tendant, et c'est assez, nous avons ce spectacle inénarrable: cent Vicaires Apostoliques dans le Concile! Quel problème pour les sages, au déclin de ce siècle qui fut encore en son commencement le siècle de Voltaire, que l'on crut ensuite nommer le siècle de Napoléon! Le nom du siècle honorera davantage l'intelligence humaine. Il sera le siècle de Pierre, Vicaire du Christ, seul vrai conquérant à travers tant de batailles, seul vrai illuminateur parmi tant de systèmes, seul vrai législateur dans cette multitude de fabricateurs de constitutions… ».

C'est les calomnier que de les tenir pour ignorants ou illettrés. Ils ont peu de livres dans leurs solitudes, mais ils les approfondissent da­vantage dans leurs longues `heures de recueillement. Combien même ont produit dans ce siècle de livres de valeur: études d'histoire naturelle ou de linguistique, notes de philosophie, de théologie et d'histoire. Les livres de Mgr Meurin, du P. Aubry, du P. Leroy, du P. Wicart sort la gloire des missions.

Ils n'ignorent pas non plus les choses de l'Europe et les choses du monde. « Ils n'ont pas seulement affaire à des sauvages. L'Europe est partout dans le monde. Si loin qu'ils aillent, les ballots et les marchands de l'Europe, et ses diplomates, ses aventuriers et ses soldats, les ont prévenus ou les suivent. La plupart du temps, c'est là précisément les poids lourds et la meurtrissure de leur croix. L'Europe ne voyage pas sans ses vices, sans ses sophismes, hélas! sans ses cruautés. Elle élève ces obstacles sur les pas des missionnaires et verse ces immondices dans leurs cultures. Plus d'un rencontre à combattre tout à la fois le fanatisme cruel de l'idolâtre barbare, l'arrogance haineuse de l'idolâtre lettré, l'hy­pocrisie du prédicant hérétique, la mauvaise volonté du représentant de l'Europe sectaire ou impie. Devant de tels adversaires, le missionnaire catholique, l'évêque surtout a besoin de la dignité et de la science du prêtre… En se montrant unanimes et immuables pour l'infaillibilité du Chef de l'Église, les Vicaires Apostoliques ont renversé tout l'argument que le parti contraire comptait tirer des répugnances prétendues de l'hé­résie et du paganisme… L'un de ces hommes que leur cœur ne porte pas à négliger l'intérêt des âmes et qui donnent au contraire leur vie pour les sauver (Mgr Bonjean, Vic. ap. de Jafna en Ceylan) réfuta victorieu­sement les arguties gallicanes et tous les autres confirmèrent la parole de leur collègue, attestant comme lui que l'infaillibilité de Pierre était le besoin et non pas l'épouvante de l'humanité».2)

Plusieurs de ces apôtres avaient souffert pour la foi. Mgr Ridel et Mgr Petitjean ont été traqués par les satellites des mandarins en Corée et au japon. Un autre aux Indes a vécu plusieurs mois dans les flancs d'un vieil arbre séculaire.

L. Veuillot a peint, comme il sait le faire, un épisode choisi dans la vie de ces confesseurs de la- foi: « L'un d'eux, alors simple mission­naire envoyé par son évêque dans un canton éloigné, pour étudier si l'on y pouvait établir un prêtre, arriva au terme de sa coursé sans argent et sans moyens de revenir. De son dernier dollar, il avait acheté un flacon de vin, afin de pouvoir dire la messe, ressource suprême et unique pour résister aux tortures de l'abandon. En ce lieu vivaient des hommes, des Européens et parmi eux des Français. Il les avait salués dans la langue de la patrie, et ces hommes, parce qu'il était prêtre, ne lui avaient pas répondu. Il s'établit sous un arbre, à quelque distance des maisons où il ne pouvait espérer un abri, et il vécut des semaines entières, sans pain, de racines inconnues qu'il essayait à tout risque et de coquillages qu'il mangeait crus. Mais la dureté persévérante des hommes et la longue im­puissance de sa prière était un plus grand tourment. Parfois quelque habitant du village, passant, lui jetait une injure et s'éloignait… Un jour, il vit venir à lui un jeune homme grand et beau, qui lui dit pour première parole: En grâce, avez-vous à manger? C'était un prêtre envoyé à sa recherche par l'évêque. Il était mourant de fatigue et de faim… Il se coucha par terre, implorant un peu de nourriture… Peu de jours après, les deux missionnaires … se dirent: Nous mourrons ici. Que l'un de nous fasse effort et célèbre une dernière messe: il communiera l'autre et nous bénirons Dieu. C'était le jour de l'Assomption. Ils tirèrent au sort pour dire la messe. Le sort échut au premier arrivé. Il offrit le saint sacrifice pour son frère mourant, couché près de l'autel de terre, et pour lui-même qui comptait aussi mourir. Il dut s'y reprendre à vingt fois, désespérant souvent de pouvoir achever, et cette véritable messe dura près de trois heures. Enfin le moribond put donner la sainte hostie à l'agonisant et consommer le triple sacrifice où le prêtre et l'assistant s'immolaient eux­mêmes avec la victime… La messe dite, le célébrant se coucha. auprès de son compagnon et ils attendirent la mort. Elle ne tarda point. Dans la nuit le jeune prêtre expirait… Quelques passants se trouvèrent là quand vint le jour. Ils virent le cadavre et le mourant côte à côte. Ils en por­tèrent la nouvelle au village, et ces cours durs, comprenant ce qui s'était passé, s'amollirent enfin, ou plutôt le mort avait vaincu et Dieu déclarait sa victoire. Ils vinrent donc, apportant de l'eau fraîche et des aliments… Ce n'étaient plus les mêmes hommes. Au pied de l'autel, ils creusèrent une fosse, ils y descendirent le victorieux et beau cadavre; et ensuite portant dans leurs bras le malade, ils le soutinrent sur le bord de cette fosse, pour qu'il pût la bénir. Ils firent plus. A sa prière ils coupèrent un grand arbre et en firent une croix qu'ils plantèrent sur cette tombe déjà féconde. Ainsi la croix apparut et prit possession de ce nouveau domaine. Il y a là maintenant une ville, une église et des milliers de ca­tholiques aussi dociles à la voix de leur évêque que chers à son cœur; et leur évêque est ce missionnaire d'abord si cruellement repoussé ».3)

J'ai eu le bonheur de connaître particulièrement Mgr Petitjean et Mgr Kobès. Mgr Petitjean avait toute la douceur et la sainteté d'un mar­tyr. Il nous racontait ses durs labeurs du japon et la joie qu'il avait eu de retrouver des chrétientés longtemps oubliées.

Mgr Kobès avait la piété d'un enfant ou d'un ange. Sa récréation consistait à fredonner sans cesse le Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Il avait déjà bien entamé sa santé par son séjour en Sénégambie et il se préparait à y retourner. Mgr Dubuis, de Galveston, était simple et bon comme un curé - du vieux temps. - Je l'ai rencontré chez Louis Veuillot et j'ai fait une promenade avec eux aux ruines de la vieille Rome et à Saint-Paul hors des murs. Je le soupçonne fort d'être le héros du récit pathétique que j'ai donné plus haut d'après Veuillot.


1)
Il giornale Le Moniteur Universel il 14 febbraio 1870 pubblicò un lungo articolo di Rey, intitolato: La situation des choses à Rome. In esso si attaccava la preparazione del Concilio, affidata non a vescovi, ma a teologi e canonisti, alcuni dei quali erano dei bravi teorici e speculativi, ma privi di esperienza; gli schemi quindi da loro preparati non rispondevano alle reali esigenze della Chiesa. Si denunziava perciò il fatto che si era voluto fare un Concilio prima del Concilio. Si criticava poi il regolamento, fatto preparare dal Papa al di fuori dell’as­semblea e promulgato con la Multiplices inter prima che avesse inizio il Concilio. Inoltre si attaccava la composizione delle commissioni conciliari, le quali, se apparentemente risultavano elette dal libero suffragio dell’assemblea, di fatto erano state composte in modo da escludere i rappresentanti dell’opposizione. Infine si lamentava il modo della convocazione del Concilio, in quanto era eccessivo il numero degli italiani ed erano stati chiamati anche i vicari apostolici. Questo ultimo rilievo si fondava sull’errore, già espresso dal Dollinger, che cioè i vescovi in Concilio sono come deputati delle diocesi e quindi il loro voto ha valore secondo l’estensione delle diocesi, da essi rappresentate. I vicari apostolici non potevano rappresentare chiese non ancora esistenti. L’articolo concludeva lamentando la mancanza di una vera libertà dei Padri. Le false asserzioni del Moniteur, scaltramente presentate come se ispirate da sollecita cura nell’interesse dello stesso Concilio, furono confutate dal Veuillot con quattro articoli de L’Univers, 21-26 febbraio, dal titolo: La liberté du Concile, Cf. Rome pendant le Concile, I, Paris 1872, pp. 280-305.
2)
L. Veuillot, Rome pendant le Concile, II, Paris 1872, pp. 99-108.
3)
L. Veuillot, Rome pendant le Concile, II, Paris 1872, pp. 114-118.
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