VII Cahier
=====Notes sur l’histoire de ma Vie
Ve période: Rome, 1865-1871 (suite)
Le Concile: 1869-1870
Première session – 8 Décembre 1869
Quel beau jour! Quel spectacle émouvant! Autour du Vicaire de Jésus-Christ, législateur et chef suprême de l'Église, tous les successeurs des Apôtres, tous les pasteurs des diocèses se sont réunis pour rendre témoignage à la doctrine de l'Évangile.
C'est Pierre vivant et parlant sur son tombeau, et autour de lui, sur ce même tombeau, toute l'Église. Elle s'apprête â écouter l'Esprit-Saint et à proclamer ses enseignements: «Paraclitus autem Spiritus Sanctus, quem mittet Pater in nomine meo, ille vos docebit omnia, et suggeret vobis omnia, quaecumque dixero vobis » (Ioa 14, 26).
On voit ailleurs des assemblées délibérantes. Nos capitales ont leurs corps législatifs. Leur tâche serait belle aussi, s'ils savaient la remplir; ils devraient procurer le salut et la prospérité des nations: Mais le plus souvent ces assemblées ressemblent au premier 2 grand conseil qui s'est tenu sur la terre et elles se proposent de construire un édifice qui devient la tour de Babel.1)
Mais aujourd'hui, quel est le but de cette assemblée de pontifes? Le Saint-Père l'a tracé dans la Bulle d'indiction: « Ce Concile œcumenique aura donc à examiner avec le plus grand soin et à déterminer ce qu'il convient de faire, en ces temps si difficiles et si durs, pour la plus grande gloire de Dieu, pour l'intégrité de la foi, pour la beauté du culte divin, pour le salut éternel des hommes, pour la discipline du clergé régulier et séculier et son instruction salutaire et solide, pour l'observance des lois ecclésiastiques, pour la réformation des mœurs, pour l'éducation chrétienne de la jeunesse, pour la paix commune et la concorde universelle. Il faudra aussi travailler de toutes nos forces, avec l'aide de Dieu, à éloigner tout mal de l'Église et de la société civile; à ramener dans le droit sentier de la vérité, de la justice et du salut, les malheureux qui se sont égarés; à réprimer les vices et à repousser les erreurs, afin que notre auguste religion et sa doctrine salutaire 3 acquièrent une vigueur nouvelle dans le monde entier, qu'elle se propage chaque jour de plus en plus, qu'elle reprenne l'empire, et qu'ainsi la piété, l'honnêteté, la charité et toutes les vertus chrétiennes se fortifient et fleurissent pour le plus grand bien de l'humanité».2)
Tel sera le noble but de cette assemblée, la plus auguste de la terre. De bonne heure, le matin du 8 décembre, une foule immense remplit la basilique de Saint-Pierre. Une multitude de pèlerins de toutes les nations sont venus se joindre aux Romains pour saluer le Concile au jour de son ouverture. Les prélats ont été convoqués dans la vaste chapelle qui est située au-dessus de l'atrium. Ils sont là près d'un millier: cardinaux, patriarches, primats, archevêques, évêques de tous pays et de tous rites. A huit heures le Saint-Père arrive au milieu d'eux et les bénit. Tous s'agenouillent. Le Saint-Père entonne le Veni Creator et la procession s'organise. Et ce flot de prélats descend vers la basilique. Ils s'avancent deux à deux. La petite armée pontificale maintient le 4 passage libre. Les prélats défilent en chantant le Veni Creator, ils vont à l'autel de la Confession. Chacun dans la foule reconnaît les siens. On se montre ceux que leur science et leur éloquence ont rendu célèbres, ceux qui viennent de loin, ceux qui ont fondé des églises nouvelles chez les peuples barbares, ceux qui ont souffert pour la foi. Les latins ont la mitre blanche, les orientaux ont leurs couronnes semblables à celles des rois.3) Le Saint-Sacrement est exposé sur l'autel majeur et quand les prélats l'ont adoré, ils se rendent à la salle conciliaire.
Puis le Saint-Père arrive. La foule ne sait pas retenir ses acclamations malgré la gravité et la solennité qui s'accomplit.
Nous étions là nous aussi les sténographes au dernier rang, comme il convenait à notre modeste fonction: «Ultimo loco, post officiales, incedent stenographi, veste talari induti».4) Mon coeur battait bien fort, et je priais pour l'Église tout en admirant cette imposante manifestation de son unité et de sa sainteté.
Le Saint-Père adora le Saint-Sacrement, chanta les oraisons du SaintEsprit et de la 5 Sainte Vierge et se rendit à la salle conciliaire. Tous les prélats avaient été placés selon leur rang: Comme nous n'avions rien à écrire aux sessions solennelles, nous occupions les tribunes supérieures, au-dessus des tribunes réservées aux princes et aux ambassadeurs.
Le cardinal doyen du Sacré Collège chanta la messe de l'Immaculée Conception.5) Après la messe, le Concile entendit un sermon d'un évêque de l'ordre des Capucins, Mgr Passavalli, archevêque d'Iconium.
Le pieux religieux était natif de Trente et sa fonction rappelait le dernier Concile œcumenique. Il prit pour texte la parole de David: «Euntes ibant et flebant mittentes semina sua, venientes autem venient cum exultatione portantes manipulos suos » (Ps 125, 6). Il rappela les tristesses du temps présent et exprima les espérances que le Concile faisait concevoir. Le thème était bien choisi. Les développements furent beaucoup trop longs.6)
Après le discours, le Saint-Père donna sa bénédiction, puis il revêtit les ornements sacrés comme pour la messe, pendant qu'on récitait le psaume Quam dilecta tabernacula tua. [Ps 83].
Alors eut lieu la touchante cérémonie 6 de l'obédience. Tous les Pères du Concile allèrent tour à tour rendre au Saint-Père l'hommage de leur humble soumission. Les cardinaux embrassaient ses mains, les évêques ses genoux, les abbés et supérieurs d'Ordre son pied. Quel magnifique témoignage de l'unité de l'Église et des liens de la charité et de l'obéissance qui fortifient et perpétuent cette unité!
Après l'obéissance, tous les Pères s'agenouillèrent et le Pape seul debout prononça cette magnifique prière et profession de foi: Adsumus, Domine, Sancte Spiritus, etc. Je traduis: «Nous voici, Esprit divin, nous voici humiliés par nos fautes et cependant réunis en votre nom. Venez à nous, demeurez avec nous, daignez vous répandre en nos coeurs. Enseignez-nous ce que nous devons faire, où nous devons tendre; montrez-nous ce qu'il faut faire avec votre concours pour vous être agréables. Soyez notre salut et l'auteur de nos jugements, Vous qui seul avec Dieu le Père et son Fils possédez un nom glorieux. Ne souffrez pas que nous troublions la cause de la justice, vous qui aimez la souveraine équité. Que l'ignorance ne nous entraîne pas, 7 que la faveur ne nous fléchisse pas, que les dons et l'amitié ne viennent pas nous corrompre. Mais unissez-nous efficacement à vous par le don de votre grâce, pour que nous soyons un en vous, que nous ne nous écartions en rien de la vérité, de sorte que réunis en votre nom, nous sachions unir la justice à la piété, que nos jugements se conforment aux vôtres et qu'ayant accompli notre devoir nous en recevions la récompense éternelle ».
Quelle profonde impression produisit ensuite dans tous les coeurs le chant des litanies! L'Église militante associait à ses combats l'Église triomphante. Au cours des litanies, trois fois le pontife suprême bénit le Concile: Ut hanc sanctam Synodum et omnes gradus ecclesiasticos benedicere, regere et conservare digneris, te rogamus audi nos.
Quel contraste avec nos pauvres assemblées politiques, qui ne savent plus invoquer Dieu avant leurs travaux!
Puis le cardinal diacre chanta l'Évangile7) et le livre des Évangiles fut déposé sur l'autel.
Alors le Saint-Père fit lire8) son allocution 8 au Concile.9) Elle était bien bonne encore cette allocution. Je la résume: Notre cœur exulte d'allégresse en voyant cette belle assemblée conciliaire se réunir sous les auspices de la Vierge Immaculée, et en vous voyant, vous qui partagez notre sollicitude dans le gouvernement de l'Église réunis ici plus nombreux que jamais.
Vous êtes réunis au nom du Christ pour rendre avec nous témoignage à la parole, de Dieu, pour enseigner aux hommes la voie du salut et pour juger des oppositions qui se voilent sous le nom de la science (ut de oppositionibus falsi nominis scientiae judicetis: 1Tim VI, 20; Nobiscum Spiritu Sancto duce iudicetis: Act Ap XV, 19).
Vous savez combien l'Église est attaquée par des ennemis puissants qui mettent en avant le prétexte de la liberté (Velamen habentes malitiae libertatem: 1Pet II, 16). Les droits respectifs sont violés, les liens de la justice et de l'autorité sont relâchés. Mais l'Église, comme le remarque Saint Chrysostome, est plus puissante que tous ses ennemis. Le ciel et la terre passeront et les paroles du Christ ne passeront pas et quelles sont ces paroles: « Tu es Petrus et super hanc petram aedificabo Ecclesiam 9 meam et portae inferi non praevalebunt adversus eam » (Mt XVI, 18). Notre cœur déborde d'affection. En voyant, il nous semble voir toute l'Église, et nous pensons à tant de gages d'amour que nous avons reçus, à tant de bonnes œuvres accomplies sous votre direction. Nous ne pouvons résister au désir d'exprimer en votre présence notre reconnaissance pour tous les fidèles, et nous prions Dieu pour que le témoignage de leur foi, plus précieux que l'or (1 Pet I, 7), soit agréé de Dieu.
Nous pensons ensuite à la misérable condition de tant d'hommes qui se trompent sur la réalisation du vrai bonheur et nous désirons pourvoir à leur salut.
Nous portons aussi nos regards sur cette ville privilégiée qui, grâce aux secours de Dieu, n'a pas encore été livrée en proie aux nations, et nous nous félicitons de l'amour et de la fidélité de notre peuple.
Nous nous réjouissons aussi dans le Seigneur de votre zèle et de votre union très étroite avec nous et avec le Saint-Siège…
Après cet épanchement cordial, le Saint-Père invoquait le Saint-Es prit, la Vierge 10 Immaculée, les Saints Apôtres Pierre et Paul et tous les Saints.
Comme on retrouve dans cette allocution l'esprit de Pie IX! Il est toujours bon, toujours pieux, mais il est toujours fin aussi. Très adroitement, dès le premier jour, et comme sans y toucher, il a condamné le libéralisme, il a revendiqué les droits temporels de la Papauté et il a recommandé aux Pères du Concile l'union avec lui et le Saint-Siège. Il sut nous dire toutes ces bonnes choses en cinq pages, tandis que l'Excellent Mgr Passavalli en avait écrit dix pour dire beaucoup moins de choses.
Après l'allocution de Pie IX, on chanta de nouveau le Veni Creator, puis toutes les personnes non-conciliaires se retirèrent, et les Pères du Concile votèrent deux décrets qui étaient seulement la déclaration d'ouverture du Concile et la fixation de la seconde session au 6 janvier. Tout se termina par le chant du Te Deum.10)
Puis on se retira par une pluie battante. Beaucoup d'évêques pauvres allaient à pied, portant leurs insignes sous le bras. D'autres montaient à quatre dans une mauvaise voiture. Il est manifeste que 11 le clergé n'a plus les richesses qui portaient ombrage à quelques-uns dans les siècles passés.
LA SALLE DU CONCILE
La salle des réunions est fort imposante et ne défigure pas trop la basilique. Un décor extérieur la met en harmonie avec le style de l'église.11) Mais cette belle salle est trop vaste, on ne s'y entend pas. Les voix vont se perdre dans l'immensité de la basilique.12) Ce sera un des griefs des opposants, qui ont les goûts parlementaires. On les satisfera autant que possible par des appropriations. La salle sera recouverte d'un vélum et raccourcie par une cloison pour les congrégations.
C'est cependant bien bon de se sentir là auprès des tombeaux de St Pierre et de St Paul et d'un grand nombre de Papes et de martyrs, auprès des grandes reliques de la Passion. Les maîtres de la doctrine et de l'éloquence sacrée reposent là: St. Léon et St Grégoire le Grand, St Chrysostome et St Grégoire de Naziance. On y respire la pure doctrine de l'Évangile, et les murs parleraient si les esprits voulaient s'égarer dans des sentiers profanes.
Pour moi, j'éprouvai une grande jouissance 12 à passer mes journées pendant quelques mois dans ce sanctuaire qui est aujourd'hui le plus saint de toute la terre. «Quam dilecta tabernacula tua, Domine … melior est dies una in atriis tuis quam millia … in tabernaculis peccatorum» [Ps 88, 2. 11].
Au dehors de la salle sur le fronton qui surmonte la porte, on a peint une figure du Christ, au-dessus de laquelle on lit ces mots: Docete omnes gentes. Tous les fidèles en visitant Saint-Pierre pouvaient lire cette sentence qui leur rappelait l'autorité doctrinale des Apôtres et de leurs successeurs. Le long de la frise intérieure de la basilique, on avait écrit en grandes majuscules d'or l'année du centenaire des Apôtres, les textes évangéliques qui se rapportent à l'autorité de Pierre et de ses successeurs. La partie de cette frise qui couronnait la salle conciliaire comprenait ces paroles: «Rogavi pro te ut non deficiat fides tua… Confirma fratres tuos » [Lc XXII, 32].
C'était un à-propos providentiel.13)
Au sujet de l'adaptation de la Salle conciliaire, dans quelques lettres du P. Dehon nous trouvons les allusions suivantes:
Lettre du 12 octobre 1869 à son ami Léon Palustre: « … L'installation du Concile est assez heureuse. On a établi avec goût un amphithéâtre dans le transept droit de Saint-Pierre sans déparer la basilique et on a fermé les trois chapelles les plus voisines pour y installer les dépendances et accessoires de la salle des séances. J'espère beaucoup du Concile. Outre l'effet de ses décrets il y aura un frottement entre les romains et les étrangers où chacun aura à gagner. Il y a une certaine lumière propre à notre siècle dont les romains ont un peu besoin d'être éclairés et dont les autres se trouvent bien d'être éloignés pendant quelque temps pour ne pas en être éblouis… ».
Lettre du 16 octobre 1869 à ses parents: « … Les préparatifs du Concile s'achèvent. L'amphithéâtre est à peu près terminé dans Saint-Pierre. Il ne dépare pas du tout la basilique. Il y a place pour 700 évêques. Leurs théologiens seront dans les tribunes. Les sténographes seront probablement dans le centre de la salle autour d'une table ovale. Avant de fixer notre place on doit essayer comment on entendra… ».
Lettre du 4 novembre 1869 à ses parents: « … Le grand jour de l'ouverture approche et déjà Rome est remplie d'étrangers.
Le corps sténographique a été présenté il y a 4 jours au secrétaire général du Concile Mgr Fessler, évêque allemand très aimable et très distingué. Nous prêterons dans quelques jours entre ses mains le serment de garder le secret sur les travaux des séances secrètes du Concile jusqu'à leur publication.
Nous sommes aussi allés en corps faire l'essai du grand amphithéâtre des séances à Saint-Pierre. Nous avons constaté qu'on s'y entendait assez bien et on a déterminé la place de la tribune et la nôtre.
Si vous le voulez bien je vous abonnerai pour 6 mois à la Correspondance de Rome (pr. 10 fr.). Les journaux politiques français vous donneront des nouvelles inexactes sur le Concile, à moins qu'au lieu de la France vous ne receviez un journal d'un bon esprit comme l'Union… ».
Lettre du 5 février 1870 à son ami Léon Palustre: «… Tu ne ménages pas dans ta dernière lettre ni Veuillot ni les architectes de Rome. Je savais que tu n'aimais ni ceux-ci ni celui-là. Tu les juges avec ton ardeur habituelle. Tu pourrais être un peu plus indulgent pour des hommes qui ne manquent ni de talent ni dé bonne volonté… Quant aux architectes de la salle du Concile, ils l'avaient disposée avec goût et avaient admirablement tiré parti de l'emplacement qu'on, leur avait assigné, sans laisser ignorer qu'il serait difficile de s'y entendre. Ils ont depuis habilement tiré parti de ce qui existe en séparant pour les congrégations par une tenture une partie de la salle où les évêques se resserrent et s'entendent parfaitement… ».
COMPOSITION DU CONCILE
Les Pères étaient au nombre de sept cent trente-sept à Rome dès la première session. Sept cents seulement prirent part à la session.14) D'autres arrivèrent peu à peu. La hiérarchie 13 pontificale comprenait environ un millier de sièges.15)
Il y avait quatre patriarches orientaux, deux de rite grec, un chaldéen et un arménien, et quarante archevêques et évêques des rites orientaux.
On comptait plus de cent vicaires apostoliques.
On constatait le retour progressif des pays anglais à la foi catholique. Le Concile de Trente n'avait que quatre évêques de langue anglaise, un d'Angleterre et trois d'Irlande. Le Concile du Vatican en comptait cent vingt, venus du Royaume-Uni, de l'Amérique, de l'Australie et des Indes.
LA LANGUE COMMUNE
Sans le latin, cette vaste assemblée eût dégénéré en une Babel de langues. Grâce à la langue latine, les prélats purent facilement échanger leurs idées. Tous ne la parlaient pas avec la même facilité, mais tous pouvaient la comprendre aisément, sauf quelques orientaux, et tous pouvaient remettre aux commissions leurs vœux et leurs observations en langue latine.
Il y avait bien des nuances dans la 14 prononciation16) et l'on vit souvent les premiers jours un sourire échapper à la gravité des évêques ou des cardinaux italiens, quand ils entendaient parler la langue de Cicéron avec des inflexions et une prononciation peu familières à leurs oreilles. Mgr Pie appliquait spirituellement à cette variété le texte sacré: «Multifariam, multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis » [Hebr I, 1]. Mgr Mermillod disait: Ma voix, mes Révérends Pères, est française, mais mon cœur est romain.
Nous autres sténographes, nous avions quelque peine à nous retrouver dans cette variété. Les Anglais étaient terribles par. leur prononciation, les Espagnols et les Hongrois par leur volubilité. Les Français n'ont pas brillé par l'élégance ou la correction de leur latinité. Mgr Verot, évêque missionnaire de Savannah et Mgr Bravard, évêque de Coutances, se payaient sans scrupules de nombreux barbarismes. Leur latin répondait à ce spécimen: Columbus discooperuit Americam. Un évêque d'un grand siège, mécontent d'un schéma, s'écriait: Abeat quo volebit. Peu importe, on se comprenait.
SCHISMATIQUES ET PROTESTANTS17
On avait espéré un moment voir revenir au bercail quelques brebis égarées. Le Saint-Père avait adressé, les 8 et 13 septembre, deux lettres 15 apostoliques, la première Arcano divinae Providentiae, à tous les évêques schismatiques d'Orient;17) la seconde Jam vos omnes aux protestants et aux membres des communions séparées:18) le Pape les invitait à revenir, dans une occasion si solennelle, au giron de la véritable Église. Ces lettres étaient pressantes et cordiales: «Omnes ad paternae charitatis amplexus excitare vebementissime cupimus et conamur».19) Le Saint-Père rappelait aux Orientaux que leurs prédécesseurs, dans les circonstances semblables étaient venus aux Conciles de Lyon et de Florence. Il exprimait la pensée que les Pères et les Docteurs anciens de l'Église d'Orient se réjouiraient au ciel de voir rétablie l'unité à laquelle ils avaient été si dévoués.
Aux protestants, le Saint-Père disait: « Vous qui reconnaissez avec nous un même Rédempteur, le Christ Jésus, examinez sérieusement si vous êtes bien dans la voie du salut. Personne ne peut mettre en doute que le Christ a bâti son Église sur son Apôtre Pierre et qu'il a confié à cette Église le soin de garder le dépôt de la foi: Tu es Petrus et super banc petram aedificabo Ecclesiam meam [Mt XVI, 18]. Ne voyez-vous pas à quelles 16 divisions vous a conduits l'abandon de l'Église romaine? Cette diminution du principe d'autorité n'a-t-elle pas rejailli sur la société civile elle-même et relâché tous les liens sociaux? Vos aïeux étaient unis à l'Église de Rome. Priez Dieu avec nous de faire tomber la muraille de séparation. Hâtez-vous de revenir à l'unique bercail du Christ… ».20)
Mais ces généreuses tentatives restèrent vaines. La servile dépendance des évêques orientaux envers les pouvoirs temporels, leur ignorance et leur infatuation rendirent inutiles les avances du Saint-Père. Dans le camp des protestants quelques voix isolées, celles de Guizot et de Pusey, celle de Reinhold Baumstark, qui bientôt après se convertit au Catholicisme, reconnurent le bon droit et les bonnes intentions du Souverain Pontife; mais l'appel du Souverain Pontife rencontra partout un refus catégorique, accompagné souvent d'invectives grossières.
Le fruit n'était pas mûr. Et puis, il eût fallu peut-être une campagne entreprise plus longtemps à l'avance avec des invitations plus directes, plus personnelles et plus cordiales. L'union 17 viendra avec des circonstances plus favorables.
LES NATIONS
Le Pape n'invita pas au Concile, comme on l'avait fait à Trente, les représentants des nations.
Au temps de la chrétienté, les princes étaient les sergents du Christ, ils étaient comme les évêques du dehors. Ils reconnaissaient Jésus-Christ comme roi suprême et l'Église comme l'interprète du Christ. Les nations étaient chrétiennes comme telles. Elles réglaient leur lois, en principe au moins, sur les lois de l'Évangile et de l'Église. Il était juste que les princes, auxiliaires puissants de l'Église, eussent une modeste place dans les Conciles. Ils étaient là pour apprendre quelle ligne de conduite ils devaient tenir dans le gouvernement des nations.
Mais aujourd'hui les nations se sont soustraites à la royauté du Christ. C'est l'hérésie du XIX siècle. La règle des législations c'est le caprice des parlements.
Il y eut cependant un moment d'étonnement. En France, en Autriche, 18 en Bavière, en Espagne, on ressentit l'humiliation de cette exclusion. Les rois se disaient encore «rois par la grâce de Dieu». Comme disait Louis Veuillot, si les princes avaient demandé à entrer au Concile, le Pape aurait dû leur répondre comme St Louis captif répondait au Sarrazin qui voulait être armé chevalier: Fais-toi chrétien!21) Ils auraient dû d'abord redevenir chrétiens comme rois et reconnaître comme tels l'autorité de l'Église. Personne d'eux n'y songeait.
LES VICAIRES APOSTOLIQUES
La présence des vicaires apostoliques offusquait certaines gens. Ils n'avaient pas un siège fixe ni un diocèse formé, ils ignoraient les choses de l'Europe et ne suivaient pas le courant de la science, etc.22) Louis Veuillot, dans L'Univers, formula l'objection avec esprit et y répondit avec une verve et une chaleur qui vengèrent brillamment ces généreux apôtres du Christ:
«Coquelet, disait-il, se dépite de voir au Concile tant de Vicaires Apostoliques. Il en parle dans les cafés, il en écrit dans les journaux:
Prétendent-ils faire des lois pour les nations civilisées, ces hommes separés des 19 choses de l'Europe? Attestent-ils la foi antique des peuples, ces pasteurs de petits troupeaux sauvages, épars à travers les déserts de l'infidélité? Sont-ils libres, ces pontifes errants, exclusivement soumis au Pape et à qui le Pape peut ôter leur Siège imaginaire quand et comme il lui plaira?… Tel est le raisonnement de Coquelet, chevalier de plusieurs ordres et correspondant de plusieurs journaux, galant homme, homme pieux, mais en ce moment fort piqué contre le Saint-Esprit…
Il donne à entendre que les Vicaires Apostoliques oppriment les autres évêques, à ses yeux seuls réguliers et libres. Suivant Coquelet, l'évêque complètement régulier doit avoir palais, carrosse et journal, et diriger des gens «comme il faut», et l'évêque complètement libre doit relever de quelque gouvernement qui le lie de quelque concordat. Dans le mariage de l'évêque et de l'Église, Coquelet veut l'intervention de monsieur le Maire.
Les Vicaires Apostoliques n'ont point ces consécrations, n'offrent point ces garanties, Coquelet les récuse. Ils sont, dit-il, plus au service particulier du Pape, qu'au 20 service légal de l'Église et de l'État. Ils ont été appelés de la Chine, du japon, de la Polynésie, des Montagnes-Rocheuses, de cent autres lieux bizarres, pour fabriquer l'infaillibilité. Après quoi, sans aucun souci des tourments qu'ils laisseront à l'Europe, ils iront jouir des sécurités de leur lointain séjour… Assurément ces divers aperçus de M. Coquelet sont très impertinents, injurieux et absurdes ».
La réponse à ces sottises est facile: Est-ce que les Pères du Concile de Nicée n'étaient pas tous comme des vicaires apostoliques? N'avaient-ils pas des troupeaux peu nombreux et des diocèses fort instables en pays païens? Et cependant ce Concile n'est-il pas de tous le plus vénéré? Seraient-ils moins aptes à témoigner de leur foi, des hommes qui ont eu le courage de la propager au péril de leur vie, des hommes qui ont souffert pour elle toutes les privations et parfois la prison et les tortures, comme les Pères de Nicée et nos vicaires apostoliques? Constantin baisait les mains cicatrisées des évêques confesseurs de la foi et nos gallicans leur jettent l'insulte et le mépris. De quel côté sont la grandeur d'âme et l'esprit chrétien? 21
« Ces hommes apostoliques sont le printemps de l'Église; ils lui font revivre ses premiers jours, parés de fleurs, empourprés de sang, éclatants de miracles. Riche de leur vertu ardente et victorieuse, elle les montre au monde qui croit l'avoir appauvrie; à meilleur titre que l'antique Romaine, elle dit: Voilà mes joyaux et ma beauté! Mais ils sont aussi l'honneur et la consolation de notre siècle. Une grâce de Dieu a visité sa misère, et cette légion d'apôtres, illustrée de la palme des martyrs, vient décorer son histoire triviale, pleine de fourbes, de meurtriers et d'histrions… Ils sont venus à Pierre et ils lui ont dit: Donne-nous un lambeau des royaumes de la nuit, afin que nous y portions le jour. Envoie-nous à la faim, à la soif, aux tortures, dans toutes les ombres de la mort. Il y a là des multitudes qui dorment et que nous voulons réveiller. Elles sont au Christ et à toi; nous les voulons rendre au Christ par toi. Envoie-nous, agrandis-toi du monde. Pierre leur a partagé le monde. Ils sont donc ici, nous les voyons. Ils sont partis, plusieurs sans même savoir où ils allaient, pieds 22 nus et les mains vides. Ils reviennent pieds nus, mais chacun dans ses mains rapporte un peuple et fait asseoir avec lui dans le Concile cet accroissement de la famille du Christ… A l'appel de Pierre, ils sont venus chargés de leurs dépouilles sublimes.. Les voilà dans la ville de César devenue la ville du Christ. Triomphateurs qui n'ont versé que leur sang, conquérants qui ont créé des peuples au lieu d'en détruire! Pierre, leur chef et leur père, nous apparaît dans ce cortège que n'eut jamais César, et dont lui-même ne fut jamais entouré. Jadis il vit autour de lui tous les rois inclinant leurs couronnes, cette pompe est surpassée. Ces créateurs et ces pasteurs de peuples l'environnent de plus d'amour, lui assurent plus d'empire…
S'en allant loin de nous, ces hommes de Dieu n'ont pas rompu avec nous, au contraire le lien de la charité qui les attache à la patrie s'est serré davantage, leur âme en a senti l'étreinte plus véhémente. Ils ont prié, ils ont offert leurs sacrifices et Dieu a été patient. Nous saurons un jour quel rempart a été l'humble sou de la propagation de la foi. En attendant, 23 et c'est assez, nous avons ce spectacle inénarrable: cent Vicaires Apostoliques dans le Concile! Quel problème pour les sages, au déclin de ce siècle qui fut encore en son commencement le siècle de Voltaire, que l'on crut ensuite nommer le siècle de Napoléon! Le nom du siècle honorera davantage l'intelligence humaine. Il sera le siècle de Pierre, Vicaire du Christ, seul vrai conquérant à travers tant de batailles, seul vrai illuminateur parmi tant de systèmes, seul vrai législateur dans cette multitude de fabricateurs de constitutions… ».
C'est les calomnier que de les tenir pour ignorants ou illettrés. Ils ont peu de livres dans leurs solitudes, mais ils les approfondissent davantage dans leurs longues heures de recueillement. Combien même ont produit dans ce siècle de livres de valeur: études d'histoire naturelle ou de linguistique, notes de philosophie, de théologie et d'histoire. Les livres de Mgr Meurin, du P. Aubry, du P. Leroy, du P. Wicart sont la gloire des missions.
Ils n'ignorent pas non plus les 24 choses de l'Europe et les choses du monde. «Ils n'ont pas seulement affaire â des sauvages. L'Europe est partout dans le monde. Si loin qu'ils aillent, les ballots et les marchands de l'Europe, et ses diplomates, ses aventuriers et ses soldats, les ont prévenus ou les suivent. La plupart du temps, c'est la précisément les poids lourds et la meurtrissure de leur croix. L'Europe ne voyage pas sans ses vices, sans ses sophismes, hélas! sans ses cruautés. Elle élève ces obstacles sur les pas des missionnaires et verse ces immondices dans leurs cultures. Plus d'un rencontre à combattre tout à la fois le fanatisme cruel de l'idolâtre barbare, l'arrogance haineuse de l'idolâtre lettré, l'hypocrisie du prédicant hérétique, la mauvaise volonté du représentant de l'Europe sectaire ou impie. Devant de tels adversaires, le missionnaire catholique, l'évêque surtout a besoin de la dignité et de la science du prêtre… En se montrant unanimes et immuables pour l'infaillibilité du Chef de l'Église, les Vicaires Apostoliques ont renversé tout l'argument que le parti contraire comptait tirer des répugnances prétendues de l'hé résie et du paganisme… L'un de ces hommes que leur cœur ne porte 25 pas à négliger l'intérêt des âmes et qui donnent au contraire leur vie pour les sauver (Mgr Bonjean, Vic. ap. de Jafna en Ceylan) réfuta victorieusement les arguties gallicanes et tous les autres confirmèrent la parole de leur collègue, attestant comme lui que l'infaillibilité de Pierre était le besoin et non pas l'épouvante de l'humanité».23)
Plusieurs de ces apôtres avaient souffert pour la foi. Mgr Ridel et Mgr Petitjean ont été traqués par les satellites des mandarins en Corée et au Japon. Un autre aux Indes a vécu plusieurs mois dans les flancs d'un vieil arbre séculaire.
L. Veuillot a peint, comme il sait le faire, un épisode choisi dans la vie de ces confesseurs de la foi: «L'un d'eux, alors simple missionnaire envoyé par son évêque dans un canton éloigné, pour étudier si l'on y pouvait établir un prêtre, arriva au terme de sa course sans argent et sans moyens de revenir. De son dernier dollar, il avait acheté un flacon de vin, afin de pouvoir dire la messe, ressource suprême et unique pour résister aux tortures de l'abandon. En ce lieu vivaient des hommes, des Européens et parmi eux des Français. Il les avait salués dans la langue 26 de la patrie, et ces hommes, parce qu'il. était prêtre, ne lui avaient pas répondu. Il s'établit sous un arbre, à quelque distance des maisons où il ne pouvait espérer un abri, et il vécut des semaines entières, sans pain, de racines inconnues qu'il essayait à tout risque et de coquillages qu'il mangeait crus. Mais la dureté persévérante des hommes et la longue impuissance de sa prière était un plus grand tourment. Parfois quelque habitant du village, passant, lui jetait une injure et s'éloignait… Un jour, il vit venir à lui un jeune homme grand et beau, qui lui dit pour première parole: En grâce, avez-vous à manger? C'était un prêtre envoyé à sa recherche par l'évêque. Il était mourant dé fatigue et de faim… Il se coucha par terre, implorant un peu de nourriture… Peu de jours après, les deux missionnaires … se dirent: Nous mourrons ici. Que l'un de nous fasse effort et célèbre une dernière messe: il communiera l'autre et nous bénirons Dieu. C'était le jour de l'Assomption. Ils tirèrent au sort pour dire la messe. Le sort échut au premier arrivé. Il offrit le saint sacrifice pour son frère mourant, couché près de l'autel de terre, et pour lui-même qui comptait aussi mourir. Il dut 27 s'y reprendre à vingt fois, désespérant souvent de pouvoir achever, et cette véritable messe dura près de trois heures. Enfin le moribond put donner la sainte hostie à l'agonisant et consommer le triple sacrifice où le prêtre et l'assistant s'immolaient euxmêmes avec la victime… La messe dite, le célébrant se coucha auprès de son compagnon et ils attendirent la mort. Elle ne tarda point. Dans la nuit le jeune prêtre expirait… Quelques passants se trouvèrent là quand vint le jour. Ils virent le cadavre et le mourant côte à côte. Ils en portèrent la nouvelle au village, et ces cœurs durs, comprenant ce qui s'était passé, s'amollirent enfin, ou plutôt le mort avait vaincu et Dieu déclarait sa victoire. Ils vinrent donc, apportant de l'eau fraîche et des aliments… Ce n'étaient plus les mêmes hommes. Au pied de l'autel, ils creusèrent une fosse, ils y descendirent le victorieux et beau cadavre; et ensuite portant dans leurs bras le malade, ils le soutinrent sur le bord de cette fosse, pour qu'il pût la bénir. Ils firent plus. A sa prière ils coupèrent un grand arbre et en firent une croix qu'ils plantèrent sur cette tombe déjà féconde. Ainsi la croix apparut et prit possession de ce nouveau domaine. Il y a là maintenant une ville, une église et des milliers de ca tholiques aussi dociles à la voix de leur évêque que chers 28 à son cœur; et leur évêque est ce missionnaire d'abord si cruellement repoussé ».24)
J'ai eu le bonheur de connaître particulièrement Mgr Petitjean et Mgr Kobès. Mgr Petitjean avait toute la douceur et la sainteté d'un martyr. Il nous racontait ses durs labeurs du japon et la joie qu'il avait eu de retrouver des chrétientés longtemps oubliées.
Mgr Kobes avait la piété d'un enfant ou d'un ange. Sa récréation consistait à fredonner sans cesse le Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Il avait déjà bien entamé sa santé par son séjour en Sénégambie et il se préparait à y retourner. Mgr Dubuis, de Galveston, était simple et bon comme un curé du vieux temps. Je l'ai rencontré chez Louis Veuillot et j'ai fait une promenade avec eux aux ruines de la vieille Rome et à Saint-Paul hors des murs. Je le soupçonne fort d'être le héros du récit pathétique que j'ai donné plus haut d'après Veuillot.
QUELQUES NOMS
J'ai vu de près ces neuf cents prélats pendant huit mois et j'ai été frappé chaque jour de la dignité de cette assemblée et de la somme de science et 29 de vertus qu'elle représentait. La terre n'a rien qui ressemble à ces réunions conciliaires. Qu'importe qu'il y ait quelques personnalités un peu banales dans cet ensemble étonnant d'hommes graves, doctes et pieux qui ont été préparés à ces hautes fonctions les uns par l'enseignement, les autres par l'apostolat ou le gouvernement de grandes paroisses. La plupart ont passé par les Universités et ont exercé le ministère dans les villes. Dire qu'ils ignorent les conditions de la société contemporaine, c'est ignorer soi-même ce que l'on dit.
Dans cette élite, il y avait une élite encore et quelques-uns tranchaient par leur réputation, leur habileté, leurs œuvres passées, leur éloquence.
Voici quelques noms qui furent particulièrement remarqués au Concile.
En Italie, les plus vénérés pour leur science et leurs travaux étaient: Mgr d'Avanzo, évêque de Calvi; Mgr Cugini, archevêque de Modene; Mgr Zinelli, évêque de Trévise; Mgr Arrigoni, archevêque de Lucques;25) Mgr Dusmet, archevêque de Catane, Mgr Ricciardi, archevêque de Reggio [Calabria].
Mgr de Catane était un Borromée, il 30 avait trouvé son diocèse dans une situation lamentable et il avait tout réformé, les séculiers et les réguliers, avec une vigueur apostolique.
Trois évêques italiens parlèrent souvent, avec facilité, avec à propos et avec une aisance qui prouvait que la science théologique leur était très familière; c'est Mgr Gastaldi,26) évêque de Saluces, Mgr Gandolfi, évêque de Corneto [Tarquinia], et Mgr Ballerini, patriarche latin d'Alexandrie, résidant à Rome.
En Espagne, les noms les plus vénérés étaient ceux de Mgr Garcia Gil, archevêque de Sarragosse; Mgr Yusto, archevêque de Burgos; Mgr Montserrat, évêque de Barcelone; Mgr Monescillo, évêque de Jaën.
Les orateurs les plus diserts parmi les Espagnols furent: Mgr Monescillo, évêque de Jaën; Mgr Caixal y Estrade, évêque d'Urgel; Mgr Lluch, évêque de Salamanque; Mgr Paya y Rico, de Cuenca. Ces évêques étaient vraiment théologiens. Les dignités en Espagne sont données au concours. On reconnaissait au Concile les fruits de cette ancienne règle canonique. L'épiscopat espagnol semblait surpasser tous les autres. 31 Mgr l'évêque d'Urgel parlait avec piété et énergie. Il parla souvent, très souvent, et finit même par fatiguer le Concile.
L'épiscopat allemand était tellement atteint par le germanisme (le gallicanisme d'outre-Rhin), qu'on eut de la peine à choisir quelques noms pour la commission de fide. On y porta Mgr Ledochowski, archevêque de Posen; Mgr Martin, évêque de Paderborn; et Mgr Senestrey, évêque de Ratisbonne.
Les principaux évêques de l'Allemagne, le cardinal Rauscher, de Vienne, le cardinal Schwarzenberg, de Prague, le cardinal Melchers, de Cologne, Mgr Ketteler de Mayence, Mgr Hefele de Rottenbourg étaient tous opposés à l'infaillibilité.
Il en était de même des principaux évêques de Hongrie: Mgr Simor, archevêque de Gran; Mgr Haynald, archevêque de Kalocsa; Mgr Strossmayer, évêque de Sirmium. Ces prélats hongrois parlaient le latin avec une grande facilité. Ils y étaient habitués. Le latin est resté plus vivant en Hongrie que partout ailleurs. Il était encore en 1870, la langue officielle des tribunaux. 32
L'Angleterre était brillamment représentée par le cardinal Manning,27) de Westminster; Mgr Grant, de Southwark; Mgr Vaughan, de Plymouth;
Mgr Clifford, de Clifton. L'Irlande par le cardinal Cullen, de Dublin; Mgr Leahy, de Cashel; Mgr Keane, de Cloyne.
Mgr Manning parla un jour une heure sans lasser le Concile. Mgr Leahy était le meilleur orateur des prélats de langue anglaise. Mgr Gibbons, quoique visiblement partial pour les gallicans, avoue dans ses mémoires sur le Concile que «la réplique de Mgr Leahy au cardinal-prince Schwarzenberg (adversaire de l'infaillibilité) fut un chef-d'œuvre de raisonnement et d'éloquence, tout imprégné, d'une délicate saveur d'esprit irlandais».
L'Amérique avait aussi quelques prélats éminents: Mgr MacCloskey, archevêque de New-York; Mgr Spalding, de Baltimore; Mgr Kenrick, de St. Louis; et un jeune prélat alors peu connu, Mgr Gibbons, vicaire apostolique de la Caroline du Sud, qui est devenu depuis archevêque de Baltimore. Mgr Gibbons a écrit ses mémoires sur le Concile. Il a gardé un faible fort accentué pour les gallicans. Dans ses portraits des évêques conciliaires, il ne trouve â signaler 33 parmi les évêques français que Mgr Darboy et Mgr Dupanloup, c'est court. Parler de l'épiscopat de France et du Concile et ne pas citer même Mgr Pie, c'est commettre une grosse faute de mémoire. Mgr Gibbons révèle sa pensée intime en faisant le portrait suivant de Mgr Strossmayer (le hardi tribun de l'opposition): «Il passait pour le prélat le plus éloquent du Concile, et il se sentit obligé de répudier certains sentiments hostiles au Saint-Siège qui lui avaient été faussement (? ? ?) attribués. Ses discours étaient toujours sûrs de captiver ses auditeurs, sinon de les convaincre. Ses périodes coulaient avec la grâce, la majesté et le rythme musical d'un Cicéron».
Il est vrai que Mgr Strossmayer parlait avec facilité et même avec éloquence, mais il a souvent blessé les sentiments de la majorité du Concile, jusqu'à s'attirer les apostrophes les plus sévères.
La Belgique pouvait être fière de son primat, Mgr Dechamps. Mgr de Montpellier, évêque de Liège, était aussi au nombre des prélats les plus écoutés.
La Suisse avait un évêque bien 34 sympathique; Mgr Mermillod, et des prélats connus pour leur doctrine: Mgr Lachat, de Bâle, Mgr Marilley, de Lausanne.
L'Orient latin était bien représenté par Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem et Mgr Spaccapietra, de Smyrne. Les Arméniens par Mgr Hassun et Mgr Nasarian, les Grecs par Mgr Jussef, les Chaldéens par Mgr Ebedjésus Khayatt.
Reste l'épiscopat français. Evidemment il n'était pas très théologien et nous avons bien été humiliés sous ce rapport. La France n'avait plus d'universités catholiques. Nos séminaires étaient pieux, - mais ils avaient organisé de petits cours après la Révolution et ils s'en tenaient là. Les Sulpiciens et les Lazaristes n'envoyaient pas leurs sujets se former aux grandes écoles de Rome. Nous étions en retard pour la théologie et le Concile révéla cette lacune. Les étrangers nous disaient: Vous n'avez qu'un évêque théologien, l'évêque de Poitiers.
Notre épiscopat rachetait, autant qu'il est possible, cette lacune capitale par bien des qualités et des distinctions, Mgr Pie n'était pas seu lement un théologien sûr et profond, c'était aussi un apologiste, 35 un orateur, un écrivain d'une grande finesse. Nul plus que lui n'avait suivi la genèse des erreurs et le développement théologique de ce siècle. Ses écrits étaient comme le commentaire anticipé du Concile.
Mgr Dupanloup était un polémiste ardent, un orateur, un lettré. Il avait organisé son diocèse avec un peu de brusquerie peut-être, mais avec un grand zèle; il avait attiré auprès de lui une élite d'écrivains ecclésiastiques.
Mgr Plantier était aussi un apologiste et un orateur. Mgr Berteaud était un poète. Sa parole enflammée et toujours improvisée jaillissait comme un bouquet d'étincelles où les vues sublimes de la foi se mêlaient aux traits abondants de l'esprit naturel.
Mgr Freppel fut sacré pendant le Concile. Il s'était déjà révélé comme théologien et comme orateur.
Mgr Landriot, Mgr Le Courtier étaient des écrivains distingués sinon profonds. Mgr Cousseau et Mgr Meignan étaient des érudits. Mgr Raess se révéla comme excellent latiniste et bon théologien.
Mgr [Allemand] Lavigerie était un apôtre ardent. 36 Mgr Régnier un merveilleux administrateur.
Nous avions tout un groupe d'évêques grands seigneurs, issus de nobles familles, avec toute la distinction de l'Ancien Régime sans en avoir les défauts. Il y avait Mgr de Dreux-Brézé, Mgr [Roullet]de la Bouillerie, Mgr[Gérault]de Langalerie, Mgr Dupont des Loges, Mgr Pallu du Parc, Mgr de La Tour d'Auvergne, Mgr de Bonnechose.
Dans ces conditions notre épiscopat. fit encore très bonne figure au Concile, bien qu'il fût médiocrement théologien.
L’OPPOSITION ET SES CAUSES
Il y a eu un parti d'opposition, il faut bien l'avouer.
Comme écrivait Veuillot, «personne ne blâme une opposition de conscience, chose naturelle, légitime, souvent très utile. Le mal, c'est l'opposition systématique, l'esprit d'opposition, l'application obstinée et désordonnée à faire de l'opposition. Voilà ce que le public chrétien n'aurait pas voulu voir au Concile… ».28)
D'où est venue cette opposition? De l'esprit gallican et libéral et du joséphisme allemand. Dès qu'on a su que l'infaillibilité était dans le programme du Concile, le parti s'est 37 formé et il a levé la tête. Mgr Maret et le P. Gratry ont représenté la vieille Sorbonne. Doellinger était le petit-fils de Luther. L'article du Correspondant du 10 octobre a sonné la chargé. On l'a dit inspiré par Mgr Dupanloup et il a été signé par la Rédaction. Il engageait donc toute l'école libérale, qui est aussi, sans s'en douter, une petite fille de la Réforme.
N'y a-t-il pas eu quelques fautes chez les autres, je ne voudrais pas l'affirmer.
La commission préparatoire du Concile n'était-elle pas composée un peu trop de théologiens ultramontains triés sur le volet? Peut-être.
La première des grandes commissions du Concile a été élue avec cet exclusivisme. Était-ce prudent? L'opposition s'accentua, s'aigrit, s'organisa et l'on vit aux élections suivantes une liste d'opposition.
Les schemata n'étaient-ils pas un peu étroits, un peu trop œuvre d'école?
Mgr Dupanloup avait dit: «Il faut faire un grand Concile». Ses amis et son parti avaient répété cela. Il pouvait y avoir du bon dans ce désir. 38 Ces prélats avaient peut-être raison quand ils voulaient que le Concile procédât un peu largement, que l'on commençât par un peu d'apologétique, en rappelant au monde les bienfaits de l'Évangile et la civilisation sortie de l'Église. Il me semble que Léon XIII eût fait comme cela. Il a ouvert très largement ses bras aux nations, aux Églises séparées, à tous les hommes de bonne volonté. Si les plus éminents opposants avaient eu place dans les commissions, ils auraient peut-être proposé cela.
Au lieu de cela, on commença de suite un peu étroitement, comme en classe de théologie.
Mgr Dupanloup avait souvent de grandes idées, mais il avait un caractère bouillant, dur, autoritaire. Se voyant combattu et mis au ban du Concile, il se fit chef d'opposition et il crut qu'il serait le maître. On tenait des conciliabules à la villa Grazioli où il habitait.29) On s'entendait pour tous les votes. Un secrétaire docile, Mgr David, se tenait à l'entrée de la salle et donnait le mot d'ordre. Nous entendions cela derrière les coulisses. 39
L'opposition avait ses journaux: la Gazette de France, le Français, etc. Les brochures à effet paraissaient en leur temps. On s'entendait pour les arguments à produire: le fait d'Honorius, les fausses décrétales, l'importance des grands sièges, le manque de liberté des vicaires apostoliques, la nécessité de l'unanimité morale, etc. On se prêta aux agissements des gouvernements. On eut recours aux moyens en usage dans les parlements: l'obstruction, la sortie en masse, l'abstention, etc. On essaya des moyens plus diplomatiques: des pétitions à Pie IX et des démarches pour demander l'ajournement de la question.
Qu'il y ait eu dans tout cela de l'humain, c'est bien évident. Il y avait quelques hommes aigris, mécontents, obstinés.
Chez plusieurs, c'était une légitime opposition de conscience. Ils craignaient que la définition n'entraînât quelques tentatives de schisme dans les pays peu croyants. Ceux-là étaient des opposants courtois, polis, humbles. Tel fut par exemple Mgr Simor, archevêque de Gran. Il n'était pas favorable à la définition. Cela ne l'empêcha pas de prendre aux travaux 40 du Concile une part active et dévouée. Il en fut récompensé par la pourpre peu de temps après le Concile.
Il faut ajouter que les opposants croyaient à peu près tous à l'infaillibilité. Ils la faisaient enseigner dans leurs séminaires et leurs catéchismes. Mgr Gibbons a eu raison d'écrire que le nombre des prélats qui mettaient vraiment en doute l'infaillibilité aurait pu être compté sur les doigts d'une seule main. La plupart ne s'opposaient à la définition que parce qu'il leur semblait difficile de faire accepter ce. dogme au monde.
Pie IX et le Concile ont pensé que l'agitation une fois soulevée rendait la définition non seulement opportune mais nécessaire, sans cela le Concile aurait laissé l'Église plus agitée et plus troublée qu'elle ne l'était avant lui.
Il y eut jusqu'à cent vingt opposants environ. Au 12 février L'Univers citait trente-trois opposants français: les archevêques de Reims, Paris, Sens, Albi, Avignon, Chambéry; les évêques de Grenoble, Orléans, Dijon, Autun, Evreux, Cahors, Perpignan, Constantine, Luçon, La Rochelle, Metz, Oran, Gap, Saint-Brieuc, 41 Bayeux, Valence, Coutances, Pamiers, Viviers, Nice, Montpellier, Soissons, Châlons, Marseille, Nancy, Verdun, Sura.
A la démonstration qu'on voulut faire par une sortie en masse dans les congrégations du 2 et 4 juillet, ils étaient une cinquantaine, dont une vingtaine d'Italiens, dix Allemands, douze Français. Au grand jour de la définition le 18 juillet, il y eut environ soixante-dix abstentions. Tous ont ensuite adhéré à la définition et l'Église n'a pas eu la tristesse de voir un seul évêque déserter ses rangs.
Malgré cela, il est absolument certain que le Concile dans son ensemble a été admirable de piété, de dignité, de sagesse. A peine y eut-il deux fois un quart d'heure d'agitation dans les séances. C'est moins en toute une année qu'en une journée dans un parlement.30)
L'Univers pouvait écrire avec raison dès le 20 décembre: «Il suffit d'ouvrir les yeux et les oreilles, aussitôt le grand et uniforme caractère de piété apparaît. Dans cette immense diversité de physionomies, de langues, d'origines, de situations on reconnaît 42 le même évêque, je dirais volontiers le même homme. Si un groupe d'opposition se constitue, comme quelques-uns le craignent, ce groupe sera petit, et encore pense-t-on qu'il existera plutôt au dehors qu'au dedans du Concile. Au dehors, me disait un évêque, il y a quelque place pour l'esprit de l'homme; au dedans, il n'y aura place que pour l'esprit de Dieu, et bien que l'unanimité ne soit pas du tout nécessaire, néanmoins elle manquera rarement».31)
Par le fait, ceux qui firent de l'opposition de parti ne furent pas plus de cinquante sur neuf cents prélats.
MES FONCTIONS
Nous étions quatre sténographes au séminaire français: M. Dugas, M. Bougouin, M. de Dartein et moi. Il y avait congrégation générale à Saint-Pierre quatre ou cinq fois par semaine. Nous partions le matin vers 8 heures. Nous avions le costume officiel des clercs de Rome: la soutane droite sans taille et sans ceinture, les souliers à boucle, le col blanc, le petit manteau appelé farajolo [ferraiolo]. Ordinairement un évêque nous prenait dans sa voiture. Je montais le plus souvent avec Mgr Gignoux de Beauvais, qui m'appelait en souriant «son petit vicaire général», ou avec Mgr Pallu du Parc, évêque de Blois, qui me disait avec sa bonté ordinaire: «venez mon fils», en prononçant comme à Blois «mon fi».
La messe conciliaire était à huit heures et demie. C'était chaque jour quelque vicaire général d'évêque qui ambitionnait de la dire pour prendre 43 ainsi sa petite part au Concile, part bien petite sans doute, mais encore appréciée. Et cela nous faisait comprendre, à nous sténographes, quelle grande faveur c'était pour nous de prendre part à toute la vie quotidienne de cette sainte assemblée.
Les travaux commençaient après la messe, il était près de neuf heures et demie quand on était en train. On quittait vers midi. Nous écrivions debout devant la tribune. Nous nous remplacions deux à deux de cinq en cinq minutes. Notre système n'était pas merveilleux. Je l'ai déjà décrit. Nous écrivions chacun une ligne. Nous disions lentement a notre voisin à quel mot nous prenions. Parfois l'orateur nous entendait. Mgr Strossmayer s'impatientait, s'arrêtait et nous disait: taisez-vous, taceatis. Il nous fallait de vingt à trente minutes pour reconstituer en caractères romains notre grimoire sténographique. Nous allions vite faire cela, toujours deux à deux, et nous revenions dans la salle écouter les discours en attendant notre tour pour écrire encore. Nous avions un vaste bureau de travail derrière la tribune. J'écrivais avec un bien aimable abbé Carlo Zei, qui a été ensuite secrétaire, puis vicaire général de 44 l'archevêque de Florence et qui est mort au moment où il allait être évêque de Fiesole.32)
Nous avions souvent la visite des évêques à notre salle de travail. Ils venaient nous demander ce qu'on avait dit, quand ils n'avaient pas entendu ou compris.
Quelques évêques d'opposition étaient agacés de nous voir toujours là. L'un d'eux disait: «On saura comment nous votons par ces jeunes gens!». Avait-il donc quelque scrupule de conscience sur la sagesse de ses votes?
Quand la séance finissait, vers midi, il nous restait pour une demi-heure de besogne à transcrire, puis nous retournions sous le chaud soleil de Rome et après-dîner nous allions aux cours.
LES GRANDES COMMISSIONS
Cinq grandes commissions avaient été instituées et deux tribunaux, celui des Excuses et celui des Querelles.
La première grande commission était la commission d'initiative. Elle devait recevoir les postulata des Pères pour les questions à introduire. Le Saint-Père la nomma de lui-même. Elle comprenait 45 douze cardinaux et quatorze évêques. Elle était admirablement composée. Elle comprenait quelques cardinaux de Curie des plus intelligents: le cardinaux Patrizi, Di Pietro, De Angelis, Barili, Monaco La Valetta; les cardinaux Corsi, de Pise et Marie, Sforza, de Naples, pour l'Italie; les cardinaux Rauscher, pour l'Allemagne, de Bonnechose, pour la France; Cullen, pour l'Irlande; Moreno, pour l'Espagne. Elle comptait aussi les principaux archevêques et primats de chaque nation: Mgr Jussef, patriarche des Grecs Melchites; Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem; Mgr Guibert, archevêque de Tours; Mgr Manning, Mgr Spalding; les archevêques de Malines, de Valence, de Santiago, de Sorrente, de Turin, l'évêque de Paderborn.33)
Pourquoi le Saint-Père avait-il nommé cette commission lui-même? N'était-ce pas entraver l'initiative du Concile? Pourquoi n'y avait-on mis aucun des évêques gallicans? Pourquoi l'exclusion des grands évêques du Rhin, de ceux de Cologne et de Mayence, quand on donnait place au modeste évêque 46 de Ratisbonne? Pourquoi Paris n'était-il pas représenté comme Vienne, Londres, Turin, Bruxelles? Telles furent les critiques qui éclatèrent et dont plusieurs auraient peut-être pu être évitées.
Les deux tribunaux des Excuses et des Querelles furent élus dans la congrégation générale du 10 décembre. Dans l'élection du tribunal des Excuses, les suffrages s'efforcèrent de consoler quelques-uns des oubliés de la commission d'initiative: les archevêques de Cologne, de Reims, de Grenade, de Florence.
Le tribunal des Querelles fut élu sans esprit de parti. On choisit les évêques connus par leur douceur et leur esprit de conciliation: Mgr Angelini, évêque résidant à Rome, Mgr Mermillod et trois autres.
C'est sur l'élection de la commission de fide que porta le principal effort des deux camps.34) Les choix furent préparés par des groupes de chaque nation. Le vote eut lieu le 14 décembre.35) Le résultat fut écrasant pour les gallicans. Mgr Garcia Gil, archevêque de Sarragosse, passait le premier; Mgr Pie le second; 47 Mgr Leahy, de Cashel, le troisième; Mgr Régnier, de Cambrai, le quatrième. La Hongrie était représentée par Mgr Simor, qui fut un opposant de conscience et non de parti; la Hollande, par Mgr Schaepman, archevêque d'Utrecht; l'Orient par le patriarche Hassun; l'Angleterre par Mgr Manning; la Belgique par Mgr Dechamps; l'Amérique par Mgr Spalding, archevêque de Baltimore. Ce qui étonna, ce fut la représentation de la France, de l'Allemagne et de l'Italie. Pour la France, on ne voyait arriver ni l'archevêque de Paris, ni le cardinal de Besançon, ni l'évêque d'Orléans. L'Allemagne était représentée par Mgr Ledochowski de Posen et par les évêques de Ratisbonne, de Brixen et de Paderborn, les rares ultramontains que comptât l'épiscopat allemand. L'Italie avait, avec l'archevêque de Modène, les évêques de Calvi et de Trévise.
Après cette élection, L'Univers pouvait écrire avec raison: «Le Concile est fait».36) C'était vrai. Il y avait une immense majorité sur la question qui pouvait agiter les esprits. 48
Mais de ce jour-là l'opposition, sentit le besoin de s'organiser. Elle se composa une liste pour le scrutin sur la commission de disciplina. On distribua la liste aux amis à la porte du Concile. Ce fut en vain. Ni Mgr. Dupanloup, ni aucun des gallicans militants ne passèrent.37) Pour la France, c'est Mgr Plantier, Mgr Fillion et Mgr Sergent qui furent élus. Pour l'Allemagne, ce furent quatre évêques peu connus: l'évêque de Lemberg en Galicie, celui de Würzburg, celui de Seckau en Styrie et celui de La Crosse en Silésie.
L'opposition, essaya encore la lutte pour la commission des réguliers, mais avec le même insuccès.38) C'est Mgr Raess, de Strasbourg, et Mgr Saint-Marc, de Rennes, qui passèrent pour la France. Mgr de Fürstenberg passa pour l'Allemagne. C'était un opposant, mais il n'y avait peut-être plus d'évêques allemands de la majorité à proposer. Après ces élections, on pouvait vraiment dire que, le Concile était fait, mais on pouvait prévoir toute l'action d'un parti d'opposition, organise et assez puissant.
LES PREMIERS TRAVAUX
Il y eut sept congrégations générales 49 avant la session de l'Épiphanie. Les premières se passèrent en scrutins et distributions des schemata.
1. 4e CONGRÉGATION GÉNÉRALE [28 décembre].
La discussion s'engagea sur le schéma de fide. Le cardinal Rauscher parla;39) puis Mgr Connolly, archevêque d'Halifax, Mgr Spaccapietra, de Smyrne, Mgr Tizzani, évêque résidant à Rome. C'étaient des plaintes générales sur le schéma. Il avait un ton trop philosophique et professoral; ses formules étaient trop longues; il portait des condamnations inutiles d'erreurs oubliées. Ces critiques étaient fondées. Je crois que le schéma avait été rédigé par le P. Franzelin. C'était une garantie de science profonde et d'orthodoxie, mais ce cher Père n'avait pas le don de la clarté et de la limpidité.
2. 5e CONGRÉGATION GÉNÉRALE [30 décembre].
Mgr Strossmayer se révéla.40) Il blâma le titre du schéma parce que le Pape ne présidait pas de fait. Voulait-il donc mêler le Pape à toutes les discussions des congrégations? Le cardinal Capalti, président, lui fit comprendre qu'il s'égarait: il protesta de son dévouement au Pape. Il entama alors la justification 50 du libéralisme. Il ne fallait pas, disait-il, blâmer l'effort des peuples vers la liberté, pourvu que la foi soit sauve. Le président le rappela encore à la discussion plus stricte du schéma. Mgr Ginoulhiac critiqua à son, tour le schéma, qui lui paraissait confondre le panthéisme, le matérialisme et le rationalisme. Il ajoutait que le Concile devait exclure tout dogme nouveau.
Le bon évêque d'Urgel, Mgr Caixal y Estrade remit les, choses au point. Nous avons besoin d'autorité, dit-il, le libéralisme est le mal du siècle. Il faut définir l'infaillibilité du Saint-Siège, l'authenticité de la Vulgate avec ses corrections et l'inspiration concomitante de l'Écriture Sainte.
3. 6e CONGRÉGATION GÉNÉRALE [3 janvier 1870].
Mgr Verot, évêque de Savannah, commence la série de ses discours. Il parle de ce qu'on appelle au collège le latin de cuisine. Il demande que le péché originel soit appelé seulement macula (une tache). Très soucieux du sort des esclaves d'Amérique, il demande, qu'en parlant de l'origine du genre humain, on affirme l'égalité des noirs et des blancs. Le 51 Concile sourit.
Mgr Gastaldi, de Saluces, nous donne ensuite un discours chaleureux. Il approuve l'ensemble du schéma et critique quelques détails. Le cardinal Trevisanato, de Venise, fait de même. avec moins d'éloquence.
Mgr Hassun, patriarche arménien, lit une profession de foi, qui n'est pas ad rem. Il affirme sa foi au jugement irréformable de Rome et proteste contre les erreurs de l'Orient sur l'Incarnation et la Trinité.
4. 7e CONGRÉGATION GÉNÉRALE [4 janvier].
Mgr Bernadou, de Sens, demande une forme plus adoucie dans la condamnation des erreurs. On dit tout bas que son discours a été rédigé par M. Icard, de Saint-Sulpice.
Mgr Doney, de Montauban, a écrit son sentiment sur l'autorité de l'Écriture. Il le fait lire par Mgr de Dreux-Bréze.
Mgr Bailles, ancien évêque de Luçon, lit un discours bien conçu sur l'autorité de la Vulgate.
Mgr Martin, de Paderborn, parle en faveur du schéma.
Mgr Gandolfi, de Corneto, nous fait un discours éloquent. Il venge le schéma. 52 Il y a, dit-il, des défauts de forme, mais le fond est parfait. Le schéma donne en particulier une belle division du naturalisme. « Schema est opus egregium. S. Pater dedit nobis schema non sepeliendum, ut aliqui vellent, sed discutiendum ».
Mgr David est le porte-parole des opposants. Il est, lui, pour l'enterrement du schéma. Il ressuscitera, dit-il. On en fera un autre, et celui-ci ne sera pas de père inconnu (patre orbatum) comme le premier. (C'est peu flatteur pour la commission pontificale qui a préparé les décrets et pour le Pape qui les a fait préparer).
Il ajoute que les orientaux sont trop délaissés par le Concile. (Est-ce pour les gagner au parti?).
Mgr Greith, de Saint-Gall, termine la journée avec sa voix de stentor. Il est de la majorité. On recourra souvent à sa voix retentissante pour les lectures à faire aux congrégations et aux sessions.
Ces quelques jours de travail faisaient présager déjà ce que serait tout le Concile. Ceux qui aimaient à parler et qui parlaient facilement s'étaient déjà fait connaître. Mgr Strossmayer serait le porte-parole 53 habituel de l'opposition. Mgr Vérot latiniserait à tout propos ses idées françaises. Mgr Gastaldi, Mgr Gandolfi et l'évêque d'Urgel mettraient leur éloquence au service de la bonne cause.
SECONDE SESSION – 6 JANVIER 1870
La seconde session avait pour but la profession de foi solennelle que tous les Pères du Concile devaient faire publiquement comme c'est l'usage dans les Conciles.41)
On procéda avec la même solennité qu'au 8 décembre. La salle était ouverte, les tribunes garnies d'une assistance d'élite, la basilique remplie de fidèles. Le cardinal Patrizi chanta la messe. Après la messe le cardinal Capalti chanta un évangile tiré du chap. XVIII de St Mathieu, où le pouvoir de lier et de délier est donné aux Apôtres. Puis le Saint-Père entonna le Veni Creator. Après ce chant, le Pape lut le premier la profession de foi de Pie IV: «Ego Pius catholicae Ecclesiae Episcopus, firma fide credo et profiteor omnia et singula quae continentur in symbolo fidei, etc. ».42)
Puis l'évêque de Fabriano [Valenziani], choisi à cause de sa bonne voix, lut la même profession' en chaire au nom de tous, 54 et les évêques s'avancèrent un à un selon leur rang. Ils étaient revêtus de leur chape et ils avaient déposé leur mitre, et parvenus aux pieds du Saint-Père, agenouillés et la main sur l'Évangile, ils résumaient leur profession de foi par ces mots: Ego.. Episcopus… spondeo, voveo et juro juxta formulam praelectam. Sic me Deus adjuvet, et haec Sancta Dei Evangelia. Les orientaux faisaient leur profession dans l'idiome de leur rite.
Tout se termina par le chant du Te Deum.
Comme cette unité de l'Église est frappante! Quel contraste avec les divisions des protestants et les fluctuations de la philosophie. La vérité seule peut unir tant d'esprits éminents dans une absolue identité de croyance.43)
PRÉDICATIONS A SAINT-ANDRÉ
Chaque année il y a une octave de prédications à Saint-André della Valle à l'occasion de l'Épiphanie. Cette octave a eu cette année une splendeur particulière. La messe était célébrée chaque matin dans un des rites de l'Orient. Il y avait chaque soir un sermon français. Nous avons entendu Mgr Freppel, Mgr Thomas, Mgr David, Mgr de la 55 Bouillerie, Mgr Mermil-lod, Mgr Berteaud et Mgr Pie. Et tous ont parlé avec éloquence de l'Église et de ses bienfaits. Quelle ville pourrait donner un pareil auditoire? Les évêques et les prêtres savants y abondaient.
Avec quel charme Mgr Mermillod parle de l'Église! Il a gardé quelque chose de jeune et de gracieux dans son esprit et dans son langage comme dans ses traits. Il aime tant l'Église! Il a pour elle un cœur d'enfant, et il sait nous arracher des larmes en nous parlant des épreuves de sa mère.
Mgr Berteaud est un poète. C'est un homme qui pense, un homme d'imagination. La théologie ne lui manque pas. Il sème des vues splendides. Il s'inquiète peu des lois de la rhétorique. Il chante, comme le poète épique. Ses discours sont des odes où les effets de lumière se succèdent sans préoccupation de l'ordonnance. L'habitude qu'il a de parler aux prêtres de la Corrèze fait qu'il mêle des familiarités aux vues les plus élevées. Comme homme privé, il n'est pas de ce monde. Il tutoie tout le monde, même ses collègues dans l'épiscopat. Il ne 56 songe pas à répondre aux lettres qu'il reçoit, et à sa mort on en trouvera un stock qui attendront une réponse jusqu'au jugement dernier. Il ne penserait pas à se brosser, si son domestique n'y veillait pas. Son secret, c'est sa foi. Il est dans un enthousiasme perpétuel de la bonté de Dieu, de sa miséricorde et de ses couvres. Les images se pressent dans sa pensée et son discours pour dire toutes les merveilles qu'il entrevoit. Les choses de la nature comme celles de la foi lui apparaissent magnifiques. Ce sont des ouvrages de Dieu. Les hommes sont des enfants de Dieu, des dieux en fleur. Les mots sont les chars qui portent l'essence des choses. L'infaillibilité c'est un don de Dieu, comme la lumière du jour, pour que les hommes puissent atteindre leur fin, en suivant la voie toujours lumineuse de la vérité…44)
Mgr Pie a lu. Il ne voulait rien livrer au hasard de l'improvisation. Et puis il voulait faire parler beaucoup Saint Hilaire et il en lut de magnifiques citations, qui disaient la foi de l'Église sur l'autorité de Pierre et sur les prérogatives du siège de Rome. Il parla en théologien, 57 comme Mgr Ber-teaud avait parlé en poète.
NOS TRAVAUX EN JANVIER
l. [9e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 10 JANVIER.46
Mgr Salzano, évêque de Tanis, est dominicain, aussi il regrette que le schéma ne soit pas inspiré davantage de St Thomas. On eût trouvé dans St Thomas des formules qu'il propose contre le panthéisme et le matérialisme. Il a été professeur et il aurait divisé autrement le schéma de fide. Il aurait trois parties: 1° de la nécessité de la révélation; 2° de l'autorité dans l'Église; 3° de l'objet de la foi…45)
Mgr Meignan donne un bon discours sur l'authenticité de l'Écriture. Il a été professeur d'Écriture Sainte.
Mgr Ramadié parle en philosophe de l'union de l'âme et du corps. Mgr Ebedjésus Khayatt, évêque d'Amadija en Chaldée, demande que le Concile commence par une exposition de la foi. Les Orientaux, dit-il, ne connaissent pas les erreurs modernes et ils seront plus scandalisés qu'édifiés s'ils voient qu'on en est encore en Occident à discuter l'existence de Dieu et la spiritualité de l'âme.
Mgr Haynald, évêque de Kalocsa, parle élégamment de la liberté de discussion. Il prend à parti les orateurs qui ont reproché/ aux autres de trop blâmer le schéma. Lui-même ne s'en prive pas et il humilie grandement le pauvre schéma. Mgr Haynald se-révèle comme orateur, mais aussi comme gallican et libéral.
2. [ 10e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 14 JANVIER.
La correction du schéma de fide demandera quelques jours. En attendant on entame les questions de discipline. On a distribué les schemata de Episcopis, de Vicario Generali, de Sede vacante.46) On commence à les discuter.47)
Le cardinal Schwarzenberg demande la réforme des cardinaux et de la Curie Romaine (c'est d'un beau zèle); il demande aussi qu'on développe la partie du schéma qui exprime les droits des évêques.
Le cardinal Mathieu demande qu'on permette la pluralité des vicaires capitulaires. Il y a, dit-il, de la besogne pour plusieurs et le gouvernement en paie plusieurs. Et puis ce serait humilier les vicaires généraux qu'on laisserait de côté.
Mgr Monzon, archevêque de Grenade, loue la préparation des schemata, qu'on blâme trop souvent. Sans eux le 59 Concile durerait éternellement.
Le cardinal président rappelle l'obligation du secret sub gravi. Il invite les orateurs à s'exprimer brièvement et à ne pas sortir de la question.
Mgr Simor demande qu'on accepte comme quatrième cause d'excuse pour la résidence des évêques, la présence aux assemblées politiques. Il voudrait que la dénonciation ne fût pas admise.
3. [ 11e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 15 JANVIER.
Mgr Losana (de Bielle en Piémont), le doyen d'âge des évêques, fait un petit discours libéral. Il demande que le décret exprime les droits des évêques. Il demande aussi que les évêques se montrent les amis des progrès modernes. Il oublie son Syllabus. L'Église a toujours goûté les vrais progrès.
Mgr Caixal, d'Urgel, prend les choses carrément. Les évêques n'ont pas tant besoin qu'on leur dise leurs droits. Mieux vaudrait les inviter à faire chaque jour une heure d'oraison, une demi-heure d'Écriture Sainte et un quart d'heure d'examen de conscience.
Mgr Devoucoux, d'Evreux, vient **60** quand même répéter la petite formule convenue du groupe gallican: il faut exprimer dans le décret les droits et les prérogatives des évêques.
Mgr Lluch, de Salamanque, Mgr Ramirez y Vasquez, deux espagnols, sont des orateurs de la majorité. Ils approuvent le schéma avec quelques modifications.
Mgr Demartis, de Galtelli-Nuoro, fait de même.
4. [12e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 19 JANVIER.
Mgr Spaccapietra, de Smyrne, propose que le vicaire capitulaire dans les missions soit choisi par l'évêque avant sa mort ou bien que ce soit le vicaire général qui était en fonctions à la mort de l'évêque. Il demande aussi que le schéma contienne l'exposé des droits et des devoirs des évêques.
Mgr Darboy, archevêque de Paris, prend la parole. Tout le monde écoute avec attention. Il malmène le schéma, il le trouve informe et vide (jejunum, informe). Il reprend Mgr Demartis qui a proposé dans la Congrégation précédente que les diocèses vacants soient gouvernés par le métropolitain ou le plus ancien suffragant, sous le prétexte 61 qu'un vicaire capitulaire de Paris avait fait des décrets gallicans. Mgr Darboy répond qu'un évêque aurait fait de même, parce que tous les évêques français d'alors (sous le I Empire) étaient gallicans. Il dit que ces évêques gallicans et leur clergé sont morts pour la foi et l'obéissance au Saint-Siège, tandis que beaucoup d'évêques nommés par le Saint-Siège au XVI siècle ont fait défection. (L'illustre prélat donnera aussi sa vie. Cela expiera son gallicanisme, mais cela ne l'excusera pas). Il demande lui aussi qu'on exprime dans le décret les droits des évêques. Il réclame pour eux le droit intégral de régler le nombre de leurs vicaires généraux. Si on supprime sans raison les vicaires généraux honoraires, dit-il, qu'on en fasse autant de prélats ad honorem. (Ceci est pour défendre son ami l'évêque d'Orléans, qui avait une douzaine de vicaires généraux. L'argument avait sa valeur). «Veuillez m'excuser, dit-il, si je répète des choses qui ont déjà été dites, parce que je n'entends pas de ma place (c'est vrai qu'il était mal placé), et il ne m'est pas donné de m'expliquer ailleurs qu'en congrégation générale ». 62 ( Il laisse voir qu'il a été piqué de n'avoir pas été élu de la commission de fide). C'est en somme un discours adroit, diplomatique et pas mal dit, mais plus parlementaire qu'épiscopal.
Mgr Melchers, de Cologne, parle longuement. Il reprend le schéma par le détail. Inutile de s'étendre, dit-il, sur la résidence des évêques, il n'y a plus d'évêques de cour. Il faut leur donner une plus grande facilité, un plus long délai pour la visite du diocèse, et la faculté d'ordonner les sujets ad titulum dioecesis.
Mgr Gandolfi, de Corneto, demande que le décret félicite les évêques de leur zèle en ces temps-ci. (Je ne crois pas que les Conciles aient fait de ces sortes de compliments).
Mgr Parlatore, de San Marco en Calabre, justifie son nom. Il parle beaucoup sans grande utilité. Le président est obligé de le rappeler ad rem.
Mgr Charbonnel, un vieux missionnaire, termine bien la journée. Il est gaulois, mais non gallican. Il a une bonne voix et de l'aisance. Il critique avec chaleur, avec véhémence même, les évêques qui recherchent 63 et sollicitent cet honneur. Il vit en France depuis sa retraite, il connaît ces déplorables procédés de l'ambition.
5. [13e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 21 JANVIER.
Mgr Ketteler, de Mayence, reconnaît qu'une visite plus fréquente des diocèses par les évêques serait désirable, nécessaire même. Mais il faudrait pour cela une division plus raisonnable des circonscriptions épiscopales. (Ce serait là une grande et difficile réforme).
Mgr Fania, évêque franciscain de Potenza, parle facilement et d'un ton oratoire. Il répète des critiques déjà faites.
Mgr Casangian, archevêque arménien d'Antioche demande qu'à défaut de chapitres les vicaires capitulaires soient élus par les curés. (Cela serait peut-être pratique dans son diocèse qui a peu de paroisses).
Mgr Dupanloup. (Grande attention). Il loue le conseil donné aux évêques d'agir en commun. Il approuve la restauration de conciles provinciaux. Il prétend qu'en Italie depuis le Concile de Trente il ne s'en est tenu que six ou huit et presque tous sous Saint Charles Borromée.
(Ceci sera démenti). Ceux qui se tiennent ailleurs, dit-il, sont entravés ou annihilés par 64 les lenteurs de l'approbation romaine (ceci est assez vrai). On y insère à Rome des choses, qui n'y ont pas été traitées. Les avis de Rome devraient être donnés à part. Il regrette qu'il ne soit pas question des conciles nationaux. Il goûte fort la visite ad limina. Il désire que le Souverain Pontife soit toujours éclairé: Omnem principem sequuntur adulatores ut umbra corpus. Il dit que les Papes ont toujours loué la liberté de leurs conseillers. Il cite Benoît XIV et d'autres. Il rappelle que les évêques doivent veiller in solidum à toute l'Église. Il cite St Chrysostome, St Basile, Nicolas III. Il ne comprend pas pourquoi on veut faire une hécatombe de vicaires généraux honoraires; ce sont des hommes éminents que les évêques appellent in partem solitudinis. Il est bon que les Conciles soient entourés de théologiens, d'hommes de science et d'expérience; mais il ne faudrait pas seulement des professeurs habitués à vivre dans l'ombre et ne connaissant pas la société et la vie pratique.
C'est en somme un discours adroit, débité avec humeur. Le latin en est passable, avec quelques mots français, qui échappent à l'orateur quand il s'anime. 65
6. [14e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 22 JANVIER.
Mgr de Dreux-Brézé, parlera, dit-il, sine strepitu verborum (c'est une allusion). Il approuve en général les deux schemata. Il fait remarquer que les droits des évêques n'y sont pas omis. L'orateur précédent a eu tort de dire qu'il n'y a pas en Italie de conciles provinciaux. Il y en a un grand nombre ainsi que de synodes diocésains.
Mgr Pace, de Amelia, parle dans le même sens.
Mgr Ormaechea, de Tulancingo, prélat espagnol, est inintelligible. Les pauvres sténographes y perdent leur latin. Il demande que les pouvoirs des vicaires capitulaires soient plus étendus.
Mgr Dabert, de Périgueux, vient demander encore qu'il puisse y avoir plusieurs vicaires généraux et capitulaires. Tous les français ont déjà dit cela.
Mgr Moreyra, d'Ayacucho, parle avec émotion, avec larmes même, des maux de l'Église du Mexique. Il espère que les décisions du Concile y porteront remède. Il est applaudi.
7. [15e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 24 JANVIER.
Mgr Zunnui, Uxellensis (de Ales et Terralbe), 66 parlé en faveur du schéma en général.
Mgr Strossmayer critique l'évêque de Moulins. Il trouve le schéma très défectueux et d'un esprit étroit. Il voudrait qu'on laissât de côté les petites choses. Le schéma semble dire que les évêques ont besoin d'être réformés et corrigés. L'unité de détail n'est pas réalisable. Il approuve qu'on tienne compte des besoins particuliers de l'Église de France. Il adhère à l'opinion docte et pieuse de ceux qui veulent un Concile tous les dix ans. Le Concile de Constance l'avait décidé ainsi dans sa session 39e, qui fut légitime et qui fut approuvée parles Papes Martin V et Eugène IV. Le premier de ces pontifes avait même commencé à réaliser ce vœu. Au moins faudrait-il un Concile tous les vingt ans, comme voulait Pie IV:
Mgr Vitali, de Ferentino, défend le schéma.
Mgr Faiet, de Bruges, est d'avis qu'il ne faudrait qu'un vicaire capitulaire, pour maintenir l'unité d'administration.
8. [16e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 25 JANVIER.
On distribué le schéma de vita et 67 honestate clericorum:48) Mgr Zwerger, dé Seckau, apporte des propositions pratiques. Il propose de régler le temps dé la visite épiscopale suivant le nombre des paroisses, et de régler l'élection des vicaires capitulaires suivant l'état des divers pays.
Mgr Lachat, de Bâle, fait aussi une réflexion toute pratique. «Comment tenir, dit-il, des conciles provinciaux en Suisse, où nous n'avons pas de métropole? Nos évêques relèvent directement du Saint-Siège. C'est au Saint-Siège à répondre. Il devra ériger une métropole en Suisse ou donner un autre modus vivendi, avec des réunions présidées par le plus ancien.
Mgr Melchisedechian, évêque arménien d'Erzerum, exprime son dévouement absolu au Saint-Siège.
Mgr Gastaldi, de Saluces, confirme les propositions pratiques de ses collègues sur la visite des diocèses et la tenue des conciles provinciaux. Il émet le vœu qu'il soit rédigé un code de droit canonique, simple et adapté à notre temps, qui ne soit pas de l'archéologie et n'oblige pas à recourir à d'énormes bullaires. 68
Le cardinal Di Pietro signale la difficulté qu'il a d'entendre de sa place. Il reproche à Mgr Strossmayer d'avoir parlé de la réforme des cardinaux comme s'ils avaient encore la richesse du XVI siècle.49)
Le cardinal de La Lastra y Cuesta, archevêque de Séville, commence la discussion générale du schéma de vita et honestate clericorum. Il reproche à ce schéma d'être plus théorique que pratique. On rappelle, dit-il, combien les mauvaises mœurs sont à réprouver chez les clercs mais on n'indique pas les moyens pour les prévenir.
9. [17e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 27 JANVIER.
Mgr Simor, archevêque de Gran, parle avec beaucoup de facilité et d'élégance, sur la sainteté des clercs. Il voudrait que le schéma eût un prooemium où serait conseillée et recommandée la cohabitation des clercs, selon la méthode du Vén. Holzhauser.
Mgr Salzano (Tanensis) demande aussi que le schéma commence par exhorter les clercs à donner l'exemple de la perfection.
Mgr Martin, de Paderborn, parle de la science ecclésiastique et des développements à lui 69 donner. Mais il ajoute qu'il voudrait que les ecclésiastiques portassent la barbe, et cela fait sourire bien du monde.
Mgr Vérot, de Savannah, parle de beaucoup de choses: de la chasse, de la retraite, du bréviaire. Il n'aime pas la chasse pour les ecclésiastiques, sauf en certaines missions. Exiger la retraite tous les trois ans seulement est pour lui un scandale. (Je suis de cet avis). Il voudrait que les distractions volontaires obligeassent à recommencer l'office. (Que deviendraient les pauvres scrupuleux?). Il demande qu'on réforme le bréviaire; que l'office du dimanche soit abrégé (beaucoup pensent ainsi dans le ministère); qu'on retranche certaines leçons comme celle où Saint Augustin prouve que le chiffre 38 est numerus infirmitatis. Le président l'invite à parler avec plus de respect des Pères. Je les respecte, dit-il, mais «quandoque bonus dormitat Homerus». (Il ne faut demander si tout le monde sourit). Il reproche au bréviaire d'avoir des légendes apocryphes, comme celle du baptême de Constantin. Rappelé ad rem, il s'en écarte de nouveau.50) 70 Le président lui dit: «Si non loquatur de schemate, orator cedat locum alteri». Le bon prélat répond: «Alia habeo dicenda, sed ad ostendendum majus obsequium, cedo locum».
Mgr Papp-Szilágyi, du rite roumain, parle facilement. Il dit que le bréviaire romain est trop étendu, et qu'il est difficile aux clercs de concilier l'offrande du Saint Sacrifice et la privation de l'usage du mariage. (Ces discussions viendraient plus à propos dans les décrets relatifs aux Orientaux).
Mgr Bindi, de Pistoia, voudrait qu'on ne donnât plus le nom de Pistorienses aux Jansénistes. (Il est jaloux de l'honneur de son Siège). Il désire voir refleurir la science des clercs. Il attend un schéma sur les séminaires qu'on aurait dû déjà donner.
10. [18e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 28 JANVIER.
Mgr de Urquinaona, des Canaries, fait une homélie sur la sainteté des clercs et voudrait que le Concile en indiquât les moyens pratiques: l'oraison, la dévotion au Saint-Sacrement et à la Sainte Vierge.
Mgr Monzon, archevêque de Grenade, parle dans le même sens. 71
Mgr Melchers parle en faveur de l'autorité des évêques sur les clercs. Mgr Nasarian, archevêque de Mardin en Arménie, dit que les clercs de son rite, non bénéficiés, ne se croient pas tenus à l'office.
11. [19e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 31 JANVIER.
Mgr Acciardi, évêque de Tursi en Basilicate, nous fait une longue dissertation sur la soutane. Je comprends que les prêtres de ses montagnes ne la portent guère, dans ce pays où la civilisation d'Héraclée et de Metaponte a fait place aux mœurs demi-sauvages des montagnards calabrais.
Mgr Caixal, d'Urgel, demande, comme les autres espagnols, qu'on détermine les moyens propres à produire la sainteté des clercs. Il voudrait voir exclure la faculté de l'appel à Rome???
Mgr Dinkel, d'Augsbourg, demande qu'on retranche le mot concubinatus.51)
Mgr Gallucci, de Lorette, parle éloquemment de la sainteté des clercs, de son importance et de ses conditions.
12. AUTOUR DU CONCILE EN JANVIER.
La majorité des évêques s'était émue en voyant se former un parti d'opposition. Cela entravait le Concile. Il y avait 72 deux camps. La charité en souffrait. Les séances étaient moins édifiantes qu'elles n'auraient dû l'être. La division avait son écho dans la presse de toutes les nations. Un grand nombre d'évêques pensèrent qu'il fallait hâter la solution de cette question pour mettre fin à ce malaise. Un postulatum circula pour demander au Saint-Père d'introduire de suite la question de l'infaillibilité. On réunit plus de quatre cents signatures. Le postulatum fut remis au Saint-Père le 12 janvier. Les opposants auraient dû comprendre dès lors que c'était chose jugée dans l'esprit de la majorité et ils auraient dû s'incliner. Il n'en fut rien, la lutte continua et toujours plus vive.52)
Les brochures commencèrent à pleuvoir. Le Saint-Père interdit la publication à Rome dé brochures de controverses relatives au Concile. Heureusement! autrement nous aurions eu un Concile par brochures à côté de celui qui se tenait à Saint-Pierre.
Le première brochure du P. Gratry nous arriva le 20 janvier.53) Elle fut distribuée aux évêques. Le Père, d'ailleurs bon et zélé, se fit le porte-parole du parti. Mal lui en prit. Louis 73 Veuillot lui donna un éreintement en règle. Il faut lire ces articles reproduits dans les volumes de Rome pendant le Concile.
«La forte école gallicane, depuis quelque temps si malheureuse, disait Veuillot, est menacée d'un nouveau désagrément. C'est un écrit polémique, écrit en sa faveur par un aimable prêtre littéraire, homme de bonne compagnie et de grand talent, mais sujet à voyager dans les astres, d'où il se laisse tomber quelquefois. Tout à coup, on ne sait pourquoi, ce gracieux rêveur s'est senti gallican, et soudain, sans avertir personne, il s'est précipité vers son encrier plein d'étoiles, pour en tirer des arguments contre l'archevêque de Malines et contre l'archevêque de Westminster…».54) «Je n'aurais jamais pensé que ce pacifique pût aller jusqu'à la frénésie, ni que l'esprit académique dût faire un pareil ravage dans sa tête d'oiseau bleu… Personne n'ayant jamais accusé M. Gratry de posséder aucune science ecclésiastique, personne aussi ne l'accusera d'avoir travaillé tout seul, et l'on peut entrevoir d'où il tient ses documents. Necesse est ut veniant scandala!… ».55)
Veuillot mettait de l'huile sur le feu.
Je connaissais personnellement le 78 P. Gratry et Mgr Dupanloup. Je les avais vus plusieurs fois à Paris, je les avais consultés pour mes études. Leur beau zèle pour le gallicanisme n'était pas nouveau. Tous deux me l'avaient manifesté, et ils m'avaient déconseillé de faire mes études à Rome tout en approuvant qu'on y allât un peu, pour finir, après avoir commencé à Saint-Sulpice. Le P. Gratry m'avait parlé sans ambages de ceux qu'il appelait «les idolâtres du Pape». Il était donc conséquent avec lui-même et il était de bonne foi. Mais n'eût-il pas mille fois mieux fait de se taire, et comptait-il diriger le Concile, parce qu'il avait été polytechnicien et qu'il était de l'Académie?56)
TRAVAUX DE FÉVRIER
1. [20e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 3 FÉVRIER.
Mgr Demartis, de Galtelli-Nuoro, est favorable au schéma de vita et honestate clericorum. Il demande cependant, comme plusieurs des orateurs, quelques additions pratiques.
Mgr Behnam Benni, archevêque syriaque, voudrait qu'on unifiât la discipline de l'Orient avec celle de l'Occident. Il pense que l'unité de 79 discipline doit résulter de l'unité de la foi. Nous étudions déjà, dit-il, les mêmes moralistes qu'en Occident: St Liguori, Antoine, etc. (Il faut dire que ce bon archevêque avait étudié à Rome).
Mgr Clifford, de Clifton, est d'avis que la question est épuisée. Bien des Pères proposent des règles de détail qui ne doivent pas être l'œuvre d'un Concile. Il demande le renvoi du schéma à la commission.
Mgr Bostani, évêque de Tyr et Sidon, de rite maronite, nous dit aussi avec le ton monotone et chantant des Orientaux que le Concile n'a pas à statuer sur tous les détails de la vie cléricale.
Mgr Pedicini,57) archevêque de Bari, insiste après tant d'autres sur la nécessité d'une vie régulière et pieuse pour les clercs. Ces nombreux discours dans le même sens nous disent la sollicitude de bien des évêques.
Mgr Gandolfi tient à la soutanelle pour les campagnes. C'est plus commode pour la marche dans les chemins poussiéreux ou boueux. La soutane est bonne, dit-il, pour l'intérieur des églises et pour les villes.58) 80
2. [21e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 4 FÉVRIER.
Mgr Jekelfalusy, évêque magyar d'Albe-Royale (Stuhlweissenbourg), parle longuement. Il dépeint les mœurs déréglées de certains prêtres et leurs conséquences. Il dit que le remède n'est pas tant dans les lois, qui ne manquent pas, que dans les volontés.
Mgr Haynald demande la cohabitation des prêtres inférieurs avec les curés, et la réforme du bréviaire. Il se plaint de ce qu'on n'a pas encore fait droit à la demande des Pères d'avoir en mains tous les schemata.
Mgr Stefanopoli, archevêque de rite grec, demande la réforme du bréviaire grec par une commission d'évêques.59)
Mgr Macedo Costa, de Belem de Para au Brésil, remercie les évêques français du concours qu'ils lui ont prêté pour les prêtres de son diocèse. (Plusieurs ont été élevés à Saint-Sulpice). Il demande l'exclusion des clercs errants et sans fonctions (cleri vagi), et la sécularisation des prêtres interdits et dégradés. Il loue le dévouement de l'épiscopat du Brésil au Siège infaillible de Pierre.81
3. [22e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 7 FÉVRIER.
Mgr Bravard, de Coutances, fait un long discours assez animé. Il n'est pas pris très au sérieux. On rit souvent et on finit par s'impatienter. Il parle un pauvre latin, émaillé de barbarismes et de solécismes. Il se plaint de la salle et de sa mauvaise acoustique. Il répond à des discours anciens de l'archevêque des Canaries et de l'évêque de Paderborn. Il veut que le clergé puisse se mêler des élections. En France on a obtenu par là le maintien de l'occupation de Rome, ce qui a permis la célébration du Concile. Il défend les décorations civiles que portent en France les évêques et de bons prêtres et qu'on a eu tort de critiquer. Il exalte le clergé français et cependant il cite mille abus, et en particulier les achats… de livres et abonnements aux journaux avec des intentions de messes. Des conversations s'engagent dans la salle. «Non scitis omnia, vos qui loquimini; si vultis ad hanc (sic) ambonem ascendere, potestis». L'orateur loue l'évêque d'Orléans qui a organisé la cohabitation dans son diocèse. Il glorifie la France qui a montré tant de zèle pour 82 la défense du Saint-Siège. Le Concile sourit de l'incohérence du discours et de la pauvreté du latin.
Mgr Lyonnet, archevêque d'Albi, parle brièvement. Il a la mauvaise fortune de bégayer. Il trouve bon que les prêtres recherchent les grades académiques.
Mgr Strossmayer prononce un discours élégant, plus riche de rhétorique que d'arguments nouveaux. Il loue le clergé de France. La France est magistra fidei après Rome. Il affirme à nouveau son dévouement au Saint-Siège; mais il demande que les droits des inférieurs soient affirmés et il désire qu'on procède lentement comme à Trente.
Mgr Lluch, de Salamanque, s'exprime avec une voix féminine. Il demande qu'on efface les mots de concubinat et autres semblables, qui offensent les oreilles délicates. Il désire que l'on respecte les vieilles légendes du bréviaire et les offices anciens, qu'il trouve plus beaux que les nouveaux. 83
4. [23e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 8 FÉVRIER.
Mgr Gastaldi, de Saluces, voudrait que le schéma ait pour titre «de officiis clericorum», avec des chapitres distincts pour les clercs, les prétres et les évêques. Il désire que l'on recommande l'habitation commune et la soutane «vestem talarem». Il se défend contre Mgr Vérot de l'accusation de baïanisme. Il a énoncé une proposition de Baïus, mais dans un sens différent. Il a dit comme Baïus que Dieu «n'aurait pas pu créer l'homme comme il est maintenant». Baïus entendait par là que Dieu n'aurait pas pu créer l'homme sans la grâce; mais lui avec Saint_ Augustin, Perrone et les théologiens catholiques veut dire que Dieu n'aurait pu créer l'homme avec la concupiscence effrénée qui le domine aujourd'hui. Il parle contre les décorations qui avilissent le clergé et le rendent muet ou flatteur et dépendant des gouvernements.
Mgr Gravez, de Namur, parle sur le bréviaire dont il loue la composition. Il se plaint de l'audace d'un récent écrivain, en faisant allusion au P. Gratry et il est vivement applaudi. 84
Mgr Nasarian, évêque arménien, désire l'obligation du célibat pour le clergé des Églises d'Orient. De fait, dit-il, on y est presque arrivé dans Église arménienne, et il en a résulté un accroissement de la foi et un développement des diocèses.
Mgr Moreno, Ipporegiensis [Ivrea], parle longuement et solennellement. Il n'apporte pas d'arguments nouveaux et il est peu écouté.
Mgr Moretti, d'Imola, se plaint de l'irrévérence de certains évêques qui ont dit ne pas savoir d'où venaient les schemata (l'archevêque de Paris et l'évêque de Coutances). Leur titre, dit-il, le dit assez, ils sont proposés par la commission pontificale. Il regrette qu'on se plaigne trop de la conduite des clercs, ce qui donnera une mauvaise idée de la discipline de ces temps-ci, quand on publiera plus tard les discours sténographiés.
Mgr Ghilardi, de Mondovì, débite un sermon plutôt qu'un discours sur la sainteté des clercs, des évêques, etc.
Le président, à la fin, proteste contre une prétention de Mgr Clifford qui refusait aux présidents les droits de décider du renvoi des amendements proposés à la commission. 85
5. [24e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 10 FÉVRIER.
De parvo catechismo.62
Le cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, se plaint du blâme infligé aux évêques par le schéma. On leur reproche leur initiative personnelle dans la rédaction des catéchismes. Ce blâme ne se trouve pas, dit-il, dans les Constitutions pontificales ni dans les actes des conciles provinciaux qu'on allègue. Il cite dix-sept conciles provinciaux postérieurs au Concile de Trente, qui tous reconnaissent aux évêques le droit de faire de petits catéchismes. Il énumère les inconvénients d'un catéchisme universel et de sa traduction immuable en langue vulgaire.
Le Cardinal Rauscher, de Vienne, fait lire un discours assez diffus contre le projet d'un catéchisme uniforme pour toutes les nations.
Mgr Simor, archevêque de Strigonie, membre de la commission de fide, désapprouve le schéma. Il loue l'initiative des évêques pour la rédaction des catéchismes et le zèle des prêtres pour l'enseignement des catéchismes locaux.
Mgr Guibert, archevêque de Tours, 86 pense que le Saint-Siège pourrait donner seulement un plan général ou un modèle qu'on imiterait.
Mgr Moreno, évêque d'Ivrée, signale les défauts du catéchisme de Bellarmin. On y trouve des réponses trop longues. Il demande une édition du catéchisme du Concile de Trente complétée par les nouvelles définitions.
Mgr Forcade, de Nevers, prononce un discours bref et bien dit. Il trouve que le projet est utile, mais difficile à réaliser. Il propose qu'on le confie à une commission d'évêques.
Mgr Dupanloup combat vivement le schéma. Son latin est assez pauvre, surtout dans les passages improvisés. Il désapprouve le catéchisme commun, à cause de la différence du génie de chaque peuple, de la variété des erreurs à combattre et des vices à corriger; à cause aussi du caractère propre de chaque langue. Il revendique le droit divin qu'ont les évêques d'enseigner, ce que les auteurs du schéma oublient. Il signale les imperfections du catéchisme de Bellarmin,60) imperfections reconnues par le cardinal 87 vicaire et par Pie IX lui-même qui trouve le peuple romain très ignorant de la religion. Ce catéchisme est insuffisant sur beaucoup de points. D'autre part il a des inutilités (v.g. des quatre enfers…). Eût-on plusieurs Bellarmin on ne ferait pas mieux. L'orateur a d'ailleurs pour Bellarmin une grande vénération à beaucoup de titres. Il a son portrait chez lui.
6. [25e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 14 FÉVRIER.
Mgr [Gérault] de Langalerie, de Belley, approuve en général le schéma. Il voudrait qu'on fît un gros et petit catéchisme et que le catéchisme commun fût expliqué au prône une ou deux fois par les curés. Il dit que les schemata, bien que discutables, sont protégés par l'ombre du Souverain Pontife. Il désire l'union et la concorde. Il déplore les divisions qu'engendre une question fameuse. Il voudrait que cette question fut terminée (ut causa finita sit, ut sit cor unum et anima una) afin que, si le Concile est suspendu, 88 les évêques aillent porter la paix dans leurs diocèses et produire des fruits de salut comme après la Pentecôte, L'orateur est chaleureusement approuvé. Un évêque américain va l'embrasser quand il descend de la tribune.
Mgr Sola, de Nice, s'autorise de ses quatre-vingts ans pour faire un sermon sur les soins qu'on doit donner à l'éducation dès enfants. Il cite Juvénal et Platon. Il approuve le schéma et réfute l'évêque d'Orléans. Il montre l'utilité d'un catéchisme unique par la situation de sa ville épiscopale qui est comme un emporium universel. Il demande qu'en tête du décret sur le catéchisme on mette une exhortation sur l'enseignement du catéchisme.
Mgr Vérot, de Savannah, parle en faveur du schéma. Il voudrait seulement que le catéchisme ne fût qu'un modèle dont on serait libre de s'écarter. Il voudrait qu'il fût fait et traduit pendant le Concile. Chez lui, il y a un catéchisme pour la conversion des protestants, un pour les infidèles, un pour les juifs, un pour 89 les nègres (durae cervicis). Il dit que la variété des règles ecclésiastiques est nuisible. On s'étonne, dit-il, que les Espagnols ne fassent pas maigre le vendredi (ils sont, il est vrai, moins grands pécheurs que les autres). Il voudrait que le jeûne et l'abstinence n'obligeassent que sub levi.
Mgr David, de Saint-Brieuc, lit un discours en assez bon latin, mais d'un ton de mauvaise humeur. Il voudrait seulement l'unité de catéchisme par provinces ou par royaumes. Il cite l'évêque d'Orléans (primus sane inter episcopos). Il veut bien croire que les auteurs des schemata n'ont pas voulu supprimer les droits des évêques, comme voudrait le faire une certaine école qu'il croit peu nombreuse et qui ne laisserait aux évêques que la faculté de porter la barbe (barbigeri incedendi). Il est dévoué au Saint-Père, mais il croit qu'en diminuant les droits des évêques on rabaisse le Saint-Siège lui-même aux yeux des peuples. Il voudrait voir au moins ce qu'on lit dans le catéchisme du cardinal vicaire: que l'Église enseignante se 90 compose du Pape et de tous les évêques.
Mgr Ballerini, patriarche d'Alexandrie, fait un long discours favorable au schéma. Il réfute les objections. Il dit que les évêques par un catéchisme unique ne seraient pas privés de leur droit d'enseigner, pas plus qu'ils ne le sont par les formules de symboles, mais ils en seraient aidés.
7. [26e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 15 FÉVRIER.
Mgr Ricciardi, archevêque de Reggio, approuve le schéma. Il voudrait qu'on enseignât le catéchisme au prône dans les paroisses, surtout en carême, et qu'on instituât des réunions ou associations où on l'enseignerait, comme on a fait récemment à Naples.
Mgr Nobili Vitelleschi, évêque d'Osimo (Auximanus), réfute les objections qui ont été proposées par plusieurs orateurs et soutient entièrement le schéma.
Mgr Ghilardi, de Mondavì, soutient également le schéma. Il cite Saint Augustin et Saint Thomas. Ces docteurs disent qu'il appartient au Pape de rédiger un symbole, à plus forte raison peut-il faire un catéchisme. 91
Mgr Keane, évêque de Cloyne en Irlande, parle éloquemment en faveur du schéma. Il réfute les objections principales.
Mgr Mabile, de Versailles, défend également le projet de constitution.
Mgr [Roullet] de la Bouillerie, de Carcassonne, défend le projet. Les sectes, dit-il, tendent à la division, mais l'Église tend à l'unité. Il est très applaudi.
Mgr Clifford, évêque de Clifton, croit que l'on peut remédier aux inconvénients signalés sans recourir à un catéchisme universel.
Mgr Payá y Rico, de Cuenca, parle pieusement. Il défend le schéma. La première raison est qu'il vient du Pape. Quand il reçoit une lettre du Pape, il la porte à ses lèvres, à son front et à son cœur avant de l'ouvrir, pour marquer l'assentiment de son intelligence, de sa volonté. Il dit que le catéchisme doit être unique comme le lait de la mère est l'unique aliment des enfants. Il rappelle l'unification de catéchisme qui était en voie de se faire en Espagne quand est venue la révolution. Que si d'ailleurs on pense différemment, dit-il, qu'on se donne néanmoins la main et qu'on fasse pour le mieux. 92
8. [27e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 18 FÉVRIER.
Mgr de Canossa, archevêque de Vérone, développe en faveur du schéma jusqu'à neuf bonnes raisons, déjà presque toutes données par d'autres; il réfute les objections.
Mgr Elloy, [vescovo di Tipasa], vicaire apostolique en Océanie, parle avec une grande modestie; il s'excuse de parler, n'étant autorisé ni par son âge, ni par sa science, ni par l'autorité de son siège. Il prouve l'utilité du catéchisme universel par l'autorité qu'il aura, par les inconvénients des changements qu'il signale pour les missions. Il réfute les objections. Est-ce que dans chaque diocèse les esprits né sont pas différents? Et cependant le catéchisme est unique. Du reste il a trouvé en Océanie autant d'intelligence de la religion qu'en France. Il a cinquante mille chrétiens, là où il n'y en avait pas il y a quarante ans. Les protestants reprochent là-bas aux catholiques la diversité de doctrine, ce qu'évitera le catéchisme universel.
Mgr Pettinari, évêque de Nocera, demande aussi le catéchisme unique. L'unité est aussi facile pour l'Église que pour un diocèse. L'unité écartera les amis de la 93 religion d'État (statulatras).
Mgr Faiet, évêque de Bruges, réfute les objections dans une improvisation spirituelle. Il parle au nom des évêques belges. Les apôtres ont bien fait un symbole, qui est aussi un petit catéchisme, sous la direction de Pierre, sans renoncer à leurs droits ni se couper les ailes. On reprochait tantôt aux auteurs des schemata d'être trop théoriques, maintenant qu'ils ont écouté les demandes des évêques, seraient-ils trop pratiques? Il ose louer comme le plus théologique le catéchisme tant critiqué de Bellarmin et ajoute qu'on ne peut rien attendre que d'excellent des théologiens romains.
Mgr Lenti, évêque de Nepi et Sutri, ancien curé de St-Laurent à Rome, venge le catéchisme de Rome, qui n'est pas triple comme l'évêque de Saint-Brieuc l'a cru. Il loue l'instruction des enfants à Rome, qui est très avancée. Plus de cent prêtres s'occupent des écoles du soir.
Mgr Jans, d'Aoste, parle brièvement en faveur du schéma.
Mgr Gastaldi, de Saluces, justifie la définition du péché originel donnée par Bellarmin. 94 C'est, dit-il, celle de St Thomas. Il ajoute que ce catéchisme est très incomplet et qu'on devrait faire faire le nouveau par une commission d'évêques pendant le Concile.
9. [28e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 21 FÉVRIER.
Mgr Gros, de [Moutiers en] Tarentaise, nous donne un discours assez mal lu. Il approuve le schéma. Il voudrait qu'un abrégé d'histoire fût joint au catéchisme. Il loue particulièrement le discours de l'évêque de Bruges.
Mgr Magnasco, évêque titulaire [di Bolina], loue et venge le schéma et le catéchisme de Bellarmin, qu'il croit être d'une orthodoxie rare chez les autres.
Mgr de Urquinaona, évêque des Canaries, approuve de même; il parle parce qu'il a promis d'exprimer la pensée de plusieurs évêques d'Espagne.
Mgr Garcia Gil, évêque de Saragosse, approuve. Il se plaint de ce que depuis trois mois on n'ait encore rien décrété.
Mgr Desprez, de Toulouse, lit un discours très romain. Il prouve l'utilité d'un catéchisme unique, spécialement pour la France. 95
Mgr Monescillo, évêque de Jaën, approuve. Il regrette les éloges qui ont été formulés au Concile en faveur de l'Église gallicane, quoiqu'il aime l'Église de France (Gallica). Il loue l'unité et l'obéissance à Rome. Il rappelle les gloires des autres églises et spécialement les hommes. célèbres de l'Église d'Espagne.
Mgr Martinez, de la Havane, approuve. Il développe la comparaison avec l'aliment unique des enfants, le lait.
10. [29e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 22 FÉVRIER.
Le Rév.me Père Ricca, général des Minimes, loue à son tour le schéma et désire l'unité de doctrine. Il était bon qu'un des généraux d'Ordres parlât une fois pour réserver leurs droits traditionnels.
Mgr Zunnui, évêque d'Ales et Terralbe, lit un long et peu intéressant discours où il répète les approbations déjà données au schéma et réfute encore les objections.
Mgr Scherr, de Munich, rappelle les bons effets qu'a eus pendant trois siècles en Allemagne l'unité de catéchisme (le catéchisme de Canisius); et cependant il n'approuve pas le schéma.??61) 96
Mgr Eberhard, de Trèves, inscrit par erreur parle néanmoins. Il dit ce que doit contenir le petit catéchisme, l'explication du Pater, de l'Ave, du Credo, les Actes, etc.
Mgr Haynald, de Kalocsa, essaie d'obtenir que le catéchisme unique ne soit pas obligatoire et qu'il puisse être refondu par les évêques. Il loue la foi et la moralité de Rome, dues à la présence du Souverain Pontife, à la protection des Apôtres, au clergé romain, mais non au catéchisme de Bellarmin, qu'il trouve très défectueux. Il se défend ensuite de l'accusation d'avoir critiqué le bréviaire; il n'en a attaqué que les défectuosités. Il est rappelé ad rem et la parole lui est retirée.
Le président: «Verba tua non inserviunt nisi ad zelum inducendum in hoc sacro Concilio. Igitur cesses».
Mgr Perez-Fernandez, de Malaga, approuve à son tour le schéma et se plaint des lenteurs de la discussion.
11. AUTOUR DU CONCILE EN FÉVRIER.
Il est clair que les discussions traînaient en longueur. On avait entendu beaucoup trop de discours sur la discussion générale du petit catéchisme. La plupart de 97 ces discours se répétaient. Cela se comprend, c'était un sujet facile sur lequel chacun aimait à dire son mot. L'impression générale du Concile était pénible. A quoi aboutirait-on? On avait passé tant de temps sur une petite question qui semblait devoir aller tout seul puisque le petit catéchisme était demandé par un Postulatum signé de nombreux évêques. Et il n'y avait encore que la discussion générale de terminée! En allant de ce pas, on ferait peu de choses en un an. Le Saint-Père s'en inquiétait. Il promulga un supplément au règlement des travaux du Concile.62) Cela s'imposait. Désormais les discussions pourraient être abrégées par le bureau; les modifications proposées seraient remises par écrit, condensées dans un rapport et discutées brièvement.
L'opposition libérale ne goûta pas ces changements. Elle revendiquait toujours pour le Concile le droit de faire son règlement lui-même. De plus elle croyait voir dans ces mesures un plan conçu pour amoindrir la discussion sur l'infaillibilité.
On se compta et le 20 février 98 une protestation revêtue de cent signatures fut remise au Saint-Père. L'opposition devait atteindre rarement ce nombre de voix.
L'Univers du 12 février avait donné les noms des opposants français et cela avait produit un grand émoi dans certains diocèses. Je reproduis ces noms.
Archevêques: Mgr Darboy Paris
Mgr Landriot Reims
Mgr Bernadou Sens
Mgr Lyonnet Albi
Mgr Dubreil Avignon
Mgr Billiet63) Chambéry
Évêques: Mgr Dupanloup Orléans
Mgr Ginoulhiac Grenoble
Mgr Rivet Dijon
Mgr de Marguerye Autun
Mgr Devoucoux Evreux
Mgr Grimardias Cahors
Mgr Ramadié Perpignan
Mgr Las Cases Constantine
Mgr Colet Luçon
Mgr Thomas La Rochelle
Mgr Dupont des Loges Metz
Mgr Callot Oran
Mgr Guilbert Gap **99**
Mgr David Saint-Brieuc
Mgr Hugonin Bayeux
Mgr Gueullette Valence
Mgr Bravard Coutances
Mgr Bélaval Pamiers
Mgr Delcusy Viviers
Mgr Soja Nice
Mgr Le Courtier Montpellier
Mgr Dours Soissons
Mgr Meignan Châlons-sur-Marne
Mgr Place Marseille
Mgr Foulon Nancy
Mgr Hacquard Verdun
Mgr Maret Sura
L'Univers du 18 février était assez vert. Il se plaint de l'affluence des brochures gallicanes (Marnt, Dupanloup, Gratry) et du retard des réponses. «Les écrits apologétiques dorment en route, sont oubliés à la douane, n'en sortent qu'avec difficulté. Il y a bien des toiles d'araignées révolutionnaires dans les bureaux romains, et quand le Pape dur viendra, il aura de l'ouvrage. Pie IX est juste, mais n'est pas justicier».64) La Providence depuis s'est chargée du nettoyage, mais à quand le relèvement? Enfin, le livre de Dom Guéranger est arrivé.65) Veuillot est superbe d'esprit et de finesse 100 quand il loue ce livre. « La polémique de Dom Guéranger réalise parfaitement, selon moi, la théorie de l'art, la force sans effort. Hercule ne doit suer. Il étouffe ses serpents, il assomme son lion, il couche par terre son homme, il vide ses étables, et n'a nul besoin de reprendre haleine. Hercule n'est si fort que parce qu'il tient des dieux; Dom Guéranger n'est si habile que parce qu'il sait, et ne sait si long que parce qu'il est moine. C'est une grande chose qu'un moine, - je dis un vrai moine, - et cette grande chose est bien embarrassante dans l'occasion pour un homme qui fait le savant. Le Père Gratry vient d'en avoir des nouvelles. Le morceau que nous donne la Revue du monde catholique sur Honorius, le Bréviaire et les fausses Décrétales, est un petit chef-d'œuvre. Pauvre père Gratry, pauvre oiseau bleu!
Oiseau bleu, couleur du temps,
Volez vite, volez vite!
Oiseau bleu, couleur du temps,
Volez au nid promptement!
Rien de plus gracieusement ironique et d'un sel plus fin que le conseil du R. abbé de Solesmes au savant qui n'a pas encore eu le temps de lire des in-folios, et au 101 prêtre qui se trouve totalement dépaysé dans les matières de bréviaire. Vous l'avez voulu, aimable docteur!… ».66) On se dispute L'Univers. Les libéraux voudraient bien supprimer, au moins pour quelque temps, la liberté de la presse.
Je vois quelquefois L. Veuillot, soit chez lui, soit dans des promenades archéologiques avec Mgr Bastide, le plus merveilleux cicerone de la Rome païenne et chrétienne. J'admire Veuillot, mais je sors de chez lui un peu troublé. On y parle des opposants avec une verdeur de langage qui m'étonne, surtout dans la bouche d'une femme, Mlle El…
C'est au 17 février qu'on a ouvert l'Exposition du Concile. Pie IX l'a visitée. Il a été accueilli avec un enthousiasme frénétique. «J'ai voulu, oui j'ai voulu, a-t-il dit, cette exposition, pour faire voir que la religion est la maîtresse inspiratrice des arts. C'est qu'elle est la vérité…» Et il ajoutait avec énergie en faisant allusion à une parole, des opposants: «Selon quelques-uns, la religion doit changer avec le temps, et elle a besoin de son 89. Je dis que c'est un blasphème. La religion de Jésus-Christ demeure avec Jésus-Christ, telle qu'elle a été dès le commencement».67) 102
Veuillot disait: «L'Exposition romaine est restreinte et d'autant plus aimable. Il y a de beaux tableaux, de beaux objets d'art religieux, d'admirables antiquités, des étoffes d'église très riches. Le lieu est charmant. On en a tiré tout le parti possible, et la place ne manque pas.
Quel objet d'art que ce cloître des Chartreux, d'où l'on peut passer à Sainte-Marie-des-Anges! (Le cloître est de Michel-Ange, il y a cent belles colonnes de travertin). Les cyprès plantés, dit-on, il y a trois cents ans par Michel-Ange Buonarroti, et conservés avec tant de soin, sont une merveille de premier ordre, qui s'est trouvée là bien à point. L'Exposition tourne autour de leur admirable pyramide. Mais quand le Pape était là, entouré des deux-tiers des membres du Concile, les cyprès de Michel-Ange et le cloître des Chartreux lui-même n'offraient plus qu'un intérêt très secondaire. Un pape! un Concile! ce sont là des «produits» qui permettent à l'industrie romaine de dédaigner le premier rang sur tous les autres points».68)
A propos de l'Exposition, Veuillot a des pages superbes sur l'art, sur le progrès.
«Quant à l'industrie, on dit généralement 103 que les expositions lui font faire un très grand et très réel progrès… J'observe seulement qu'elle fait aussi beaucoup de progrès en arrogance, mais qu'elle n'en fait pas du tout vers la beauté. Elle continue d'être très gauche, très laide, et généralement très malpropre et très malhonnête en ses œuvres grandes et petites. Comparés aux produits anciens, ses produits se distinguent tout de suite par moins de grâce dans la forme et par moins de probité dans la matière. On dit qu'ils sont plus savants… je me contenterais qu'ils eussent meilleure figure et durassent plus longtemps. Mais l'industrie a de moins supportables défauts. Je voudrais un progrès dé l'industrie qui empêchât le patron d'opprimer l'ouvrier et l'ouvrier d'opprimer le patron et le public. J'aimerais fort que l'industrie trouvât le moyen de nourrir son monde, au lieu de le dévorer, comme elle fait. Je voudrais que l'usine a fer et à coton, à eau-de-vie et à constitutions, qui s'est élevée sur les immortels principes de 89, ne tuât point tout-à-fait la bonne vieille usine à pain, à vin, à viande et à église, l'usine de bon labeur et de bon repos 104 qu'on appelait la France…».69)
Veuillot reconnaissait avec justesse la médiocrité relative des œuvres exposées. «Le beau cloître des Chartreux se trouve plein de statues et de peintures. Je dirai franchement que je n'ai rien vu qui pût ravir personne, et rien de nouveau, sauf quelques grands dessins de Fracassini, romain mort à vingt-quatre ans l'année dernière. Ces œuvres plus ou moins habiles manquent souverainement de ce qu'on s'attendrait à trouver en Italie et à Rome, où tant de précieux modèles sont entassés. Pour le moment cette grande sève si abondante et qui a si longtemps coulé semble épuisée».70)
J'avais noté quelques peintres. C'était gracieux, assez soigné, mais rien de saisissant, rien qui doive garder un nom dans la postérité. Ceccarini primait parmi les peintures. Il y avait de lui deux charmantes toiles: Avant le martyre, la messe aux Catacombes; Le samedi, une religieuse dans un cloître allumant une lampe à la Vierge. C'était pieux et plein d'expression. De Molinari il y avait Les derniers sacrements, un groupe sortant d'une maison où le prêtre a porté l'Eucharistie, aux en virons de Rome. 105 De Ricci, une scène analogue: Le cardinal Altieri secourant les cholériques d'Albano.
Plusieurs moines avaient exposé. Il y avait un Chœur de moines exposé par un fra Angelico moderne, moine polonais. C'était correct; simple et pieux. Regina Apostolorum, la Vierge entre Saint Pierre et Saint Paul, par Fra Pietro du couvent de Saint Bonaventure. Sainte Thérèse, par un Carme.
Pour la sculpture, l'école moderne italienne dérive de Canova, elle cherche le joli, le gracieux, avec une tendance réaliste. J'ai remarqué une Mater pietatis de Forzani, un Jacob en berger de Andrei.
En somme sous le pontificat de Pie IX, Rome n'a eu que deux artistes dont le nom restera, Tenerani en sculpture et Fracassini en peinture.
Ce qui faisait le plus d'honneur à l'art chrétien dans cette exposition, c'était l'orfèvrerie d'Armand Caillat, de Lyon. C'est là un artiste, un vrai. Ses œuvres sont originales, elles ont de la grâce et de la richesse. Aucune époque n'a fait mieux. 106 Armand Caillat rappelle les grands noms de Cellini et du Limousin.
Pendant ce mois, au 3 février, j'avais passé mon examen de baccalauréat en droit canon.
TRAVAUX DE MARS
1. [30e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 18 MARS.74
Rapport sur le schéma de fide71) par Mgr Simor.72) On a conservé le fond du schéma et changé la forme et le ton professoral. Bien que les formes fussent indifférentes et employées alternativement par les Conciles, on a mis des canons pour satisfaire la majorité des Pères.
Mgr Tizzani approuve en général le schéma et en loue les rédacteurs.
Mgr Spaccapietra loue aussi le schéma. Il présente une motion pour que le Concile adresse un appel aux juifs.
Mgr Moreno, d'Ivrée, loue l'ensemble, mais croit qu'on ne peur pas bien juger avant d'avoir la seconde partie.
2. [31e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 22 MARS.
Mgr Ginoulhiac discute la forme et le fond. Il demande pourquoi on a introduit des choses nouvelles dans le schéma sans qu'elles 107 aient été discutées et acceptées par la commission des postulata: spécialement l'approbation générale qui est donnée aux constitutions et aux décrets du Saint-Siège. Il se plaint qu'on introduise des condamnations sans en justifier la définibilité, la nécessité, l'opportunité.
Mgr Salzano, Tanensis, loue le schéma en termes de rhéteur.
Mgr Kenrick, archevêque de Saint-Louis, demande qu'on supprime les premiers canons.
Le cardinal Schwarzenberg se plaint du règlement, du défaut de discussion, etc. Cela n'est guère ad rem. Il est rappelé à l'ordre. Il répond que ces choses se rapportent au schéma comme l'arbre au fruit.
Mgr Bravard, de Coutances: courtes observations sur la longueur des phrases, la difficulté du style, etc.
Mgr Simor répond aux discussions entendues. Il acceptera les modifications de style, il explique l'introduction de choses nouvelles.
La discussion générale est close.
Discussion du prooemium. 108
Mgr Moreno, Ipporegiensis, et Mgr Gandolfi, de Corneto, proposent des modifications de détail.
Mgr de Dreux-Brézé demande qu'il soit ajouté que le Saint-Siège a suffi à tous les besoins de l'Église.
Mgr Strossmayer: le paragraphe cinquième73) choquerait les protestants, auxquels il attribue toutes les erreurs modernes. Il y a des protestants qui ont combattu avec nous ces erreurs, v.g. Leibnitz et Guizot dont les méditations religieuses devraient être dans toutes les mains.
Le cardinal De Angelis interrompt: «On peut croire à la bonne foi des peuples mais non des lettrés». L'orateur insiste.
Le cardinal Capalti: «Vos paroles offensent les oreilles dé la majorité».
Mgr Strossmayer récuse le jugement de la majorité, conformément à une protestation qui a été faite par plusieurs contre le règlement du Concile. Il n'accepte que le jugement de l'unanimité ou de la presque unanimité.
Le cardinal Capalti explique qu'en ce paragraphe les protestants ne sont pas nommés et que seulement le principe du libre examen, est donné comme la source des erreurs modernes. 109 Les deux orateurs parlent ensemble. Mgr Strossmayer répète plusieurs fois: «Protestor contra omnem interruptionem ».
Les présidents se lèvent, sonnent et crient à l'orateur de descendre.
Beaucoup de Pères se lèvent et crient: satis, satis, descendas, etc.
Un d'eux: Et nos omnes protestamur contra te.
Un autre: E' un uomo pestifero, questo.
Émotion générale.
Cette séance laisse à tous une impression pénible. On en parle à mots couverts l'après-midi dans la ville. C'est la mauvaise journée du Concile.74)
3. [32e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 23 MARS.
Mgr Caixal y Estrade, évêque d'Urgel, propose d'indiquer le Souverain Pontife après Notre-Seigneur comme fondement de l'Église et comme centre d'union.
Mgr Ferrè, de Casale: critiques grammaticales.
Mgr Meignan, de Châlons-sur-Marne, sur le paragraphe cinquième, origine du naturalisme, dit qu'on l'attribue trop aux protestants; que ce paragraphe cinquième est obscur; qu'on y a omis le criticisme au nombre des erreurs relatives à l'Écriture Sainte. Il propose en somme les mêmes observations 110 que Mgr Strossmayer, mais avec plus de réserve dans la forme.
Mgr Magnasco, évêque de curie: corrections de détails.
Mgr Whelan, de Wheeling: id.
Mgr Haynald demande «ut propositio Ill.mi Molinensium episcopi [Dreux-Brézé] insuper habeatur», parce qu'elle introduirait incidemment l'infaillibilité du Pape, ce qui empêcherait d'arriver à une prompte rédaction de ce schéma, pour avoir une session.
Mgr Filippi, d'Aquila: corrections grammaticales.
La discussion sur le Prooemium est close. On imprimera les propositions et corrections demandées et on votera un autre jour.
On commence la discussion du I chapitre.79
Mgr Ballerini, patriarche d'Alexandrie, NN. SS. les évêques de Corneto et d'Urgel et Mgr Dubar, évêque de Canatha, vicaire apostolique de Pet-chili oriental, proposent des corrections de détails. Celui-ci en particulier demande qu'on distingue les attributs divins en absolus et relatifs.
Mgr Fogarasy, évêque de Transylvanie, demande avec plusieurs autres qu'on supprime les premiers canons.
4. [33e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 24 MARS.
Mgr Hefele, de Rottenbourg, dit qu'il 111 faut citer tous les attributs divins ou n'en citer aucun.
Mgr Dubreil, d'Avignon, rejette les premiers canons. Le Concile ne devrait pas faire de la philosophie, autrement il devrait définir trop de vérités philosophiques, supposées par la révélation, et il confondrait la raison avec la foi…
Mgr Ullathorne; de Birmingham, propose des corrections de détail.
Mgr Clifford, de Clifton: id.
Mgr Eberhard, de Trêves: id.
Mgr Ramadié, Elnensis, propose, pour exprimer la fin de la création, la formule de St Thomas. Vult omnia esse propter se.
Mgr Gastaldi, de Saluces, défend les canons.
Mgr Melchers, de Cologne: critiques de détail.
Mgr Meurin, évêque d'Ascalon, vicaire apostolique de Bombay: id.
Sur le II chapitre: De revelatione.80
Mgr Ballerini, patriarche d'Alexandrie, distingué deux règles d'interprétation de l'Écriture: sensus quem tenet Ecclesia et unanimis consensus Patrum.
Mgr Ricciardi, de Reggio [Calabria]: critiques de détail.
Mgr Cantimorri, de Parme: id.
Mgr Gandolfi, de Corneto, voudrait 112 éliminer tout ce qui est doctrine d'école, comme le traditionalisme, la possibilité de l'état de pure nature.
On peut soutenir, dit-il, que Dieu devait à sa justice et à sa bonté d'élever l'homme à l'état surnaturel.
Mgr Garcia Gil, de Saragosse, membre de la députation, répond que le traditionalisme rigoureux, qui soutient que la raison ne peut pas prouver l'existence de Dieu, a déjà été condamné par le Saint-Siège.
5. [34e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE Du 26 MARS.
Rapport de Mgr Simor sur les amendements proposés pour le prooemium. La plupart sont relatifs au style. La commission en tiendra compte. Leurs auteurs ne demandent pas le vote. Trois touchent à la doctrine. L'orateur répond d'abord à l'objection relative à la genèse des erreurs. On a indiqué la source principale, le principe du libre examen; comme le Saint-Père le fit dans la Bulle de convocation.
Première proposition: «errores indigitare iis qui volunt salvi fieri», au lieu de «errores damnare»; c'est contraire à l'usage et à la mission de l'Église.
Seconde proposition: ajouter «definientibus»; «judicantibus» 113 est plus large, suffisant et conforme à l'allocution du Saint-Père du 8 décembre et aux Actes des Apôtres.
Troisième proposition: «supprimer le témoignage rendu au Saint-Père sur le zèle à réprimer les erreurs». Ce témoignage est fondé, toutes les Encyliques en font foi. Les amendements sont retirés, il n'y a pas lieu à voter.
On continue la discussion du II chapitre.
Mgr Filippi, d'Aquila, défend le traditionalisme, que le schéma réformé condamne plus encore que le premier. Il cite les actes prudents du Saint-Siège et du Concile d'Amiens.
Mgr Dechamps répond qu'il y a d'autres actes du Saint-Siège, qui condamnent le traditionalisme dans la même mesure que le schéma.
Mgr Caixal, d'Urgel, parle longuement du traditionalisme. Le Concile manifeste sa fatigue. L'orateur s'arrête et déclare qu'il remettra le reste à la députation.
Mgr Amat, Montereyensis, Mgr Rota, de Guastalla, Mgr Pettinari, Nucerinus, et Mgr Martinez, de la Havane, parlent sur le traditionalisme. Ce 114 dernier voudrait que le Concile ne s'occupât point des questions hypothétiques, comme l'état de pure nature, mais seulement des réalités. Il propose une formule qui établit que nous tenons du bienfait de la révélation les vérités mêmes naturelles.
6. [35e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 28 MARS.
Mgr dé La Cuesta, Auriensis, sur le traditionalisme.
Mgr Gastaldi défend le traditionalisme, la nécessité de l'institution divine pour le langage. Il voudrait que l'on tranchât la question pour l'authenticité des parties de la Vulgate, (par ex. I Joan V, 7), en approuvant l'édition de Clément VIII.
Mgr Khayatt voudrait qu'on réglât les éditions et traductions de l'Écriture Sainte, et qu'on renouvelât la défense de s'en servir ad vana, scurrilia, etc.
Mgr Vespasiani, Fanensis, parlé sur l'Écriture.
Mgr Manning annonce que la députation introduira un amendement.
Mgr Maret: la formule du schéma d'après laquelle Dieu peut être connu per ea quae facta sunt, approuve le système péripatéticien ou sensualiste, et condamne le 115 système sur l'origine des idées de Saint Augustin, de Saint Anselme, de la plupart des Pères. Il faudrait mettre que Dieu peut être connu argumentis metaphysicis, cosmologicis et moralibus, pour respecter les systèmes de l'ontologisme, des idées innées, de l'argument de Saint Anselme, qui est aussi celui de Saint Bonaventure et de Saint Thomas bien compris. Il n'y a de condamnable que l'ontologisme extrême qui se confond avec le panthéisme. Quelques écrits et journaux ont essayé en vain de faire dominer le système péripatéticien ou sensualiste. Il rend grâce de ce que l'on condamne le traditionalisme.
Pour la notion d'inspiration, il voudrait qu'on la renvoyât à un prochain Concile.
La notion du surnaturel donnée par le schéma n'est ni claire ni vraie. Mgr Faiet, de Bruges, combat vivement le traditionalisme. Là où le schéma approuve la nécessité d'une institution, il y a une anguille sous roche. Le traditionalisme mitigé ne diffère pas en fait de l'extrême. Il nie la puissance de la raison. Il est condamné par le Saint-Siège, spécialement par 116 une condamnation des Congrégations de l'Index et du S. Office réunies.
Mgr Demartis, de Galtelli-Nuoro, défend longuement le traditionalisme contre son prédécesseur. Il dit que le traditionalisme modéré est plutôt approuvé par le Saint-Siège.
La discussion du second chapitre est close.
7. [36e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 29 MARS.
Long rapport de Mgr Gasser, de Brixen, sur les 47 amendements du I chapitre.
Vote: opposition pour effacer le mot Romana: les évêques d'Orléans, Paris, Saint-Brieuc, Marseille, Sens, Kalocsa, Bosnie, Mayence.
Partage pour la virgule entre Romana et Ecclesia.
Pourquoi effacer ce mot Romana? On dit que cette épithète n'est pas nécessaire et qu'elle trouble les protestants. En réalité on agit par un sentiment de gallicanisme.
8. [37e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 30 MARS.
Rapport de Mgr Gasser concluant contre la virgule. 117 Dans cette expression «Catholica Romana Ecclesia», les deux mots Catholica et Romana sont comme deux noms de la même personne. L'inconvénient qu'objectent les Anglais «qu'il pourrait y avoir plusieurs églises catholiques», sera écarté par le schéma de l'Église.
La majorité vote contre la virgule. L'opposition comprend les mêmes que la veille, plus Soissons, Montpellier, Gap, Metz.
Discussion sur le III chapitre «de fide».81
Les évêques suivants proposent seulement des observations de style et de détail:
Mgr Ballerini, patriarche d'Alexandrie, qui est long et provoque des rumeurs.
Mgr Vancsa, Fogarasiensis, de rite roumain.
Mgr Rivet, de Dijon.
Mgr Gignoux, de Beauvais.
Mgr Cantimorri, de Parme.
Mgr Caixal y Estrade, d'Urgel, demande qu'on limite le temps accordé aux orateurs.
Mgr Ferrè, de Casale.
Mgr Martinez, de la Havane, demande qu'on remplace le mot «magisterio ordinario Ecclesiae» par ceux-ci «magisterio ordinario Summi Pontificis Ecclesiae capitis». Nonne, ait, magisterium ordinarium Ecclesiae 118 exercetur per Summum Pontificem, qui a 18 saeculis docet, et infallibiliter docuit, et infallibiliter docebit Ecclesiam usque ad consummationem temporum...» Il ajoute: «Laetus sum si placet, laetus si non placet».
Mgr Magnasco, évêque de curie;
Le Rév.me P. Jandel, général des Dominicains;
Mgr Melchers, de Cologne, propose des formules de canons dont deux paraissent inexactes.
La séance se termine par un monitum du président sur la brièveté des discours et la charité fraternelle.
9. [38e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 31 MARS.
Suite de la discussion du III chapitre.
Mgr Errington, évêque in partibus de Trébizonde, demande qu'on supprime les mots «ordinario magisterio Ecclesiae», qu'un orateur précédent a entendu de l'infaillibilité du Pape, afin de ne pas trancher incidemment et sans discussion la plus grave question du Concile.
Mgr Monzon, archevêque de Grenade;
Mgr Maupas, évêque de Zara;
Mgr Dupanloup: observations de détails et de style proposées «humillime». 119
Mgr Amat, Montereyensis;
Mgr Dabert, de Périgueux;
Mgr Meurin, vicaire apostolique de Bombay;
Mgr Gandolfi, de Corneto;
Mgr Hefele demande qu'on n'ajoute pas de nouveaux anathèmes.
10. AUTOUR DU CONCILE EN MARS.
Les discussions se continuaient. On avait parlé longtemps du petit catéchisme, et comme c'était un sujet facile et pratique, beaucoup avaient voulu dire leur avis. On avait avancé la préparation de la constitution «de fide». Le traditionalisme avait trouvé d'assez nombreux défenseurs en France, en Italie, en Espagne. Cependant il devait succomber.
Au 7 mars, le jour de la fête de Saint Thomas d'Aquin, on a distribué au Concile le schéma de l'infaillibilité. Pie IX ne s'est arrêté ni devant l'agitation de quelques prélats ou écrivains gallicans, ni devant les menaces maladroites de M. Daru, ministre français.75) Ce monsieur a prononcé son «Quos ego»; il a parlé de retirer la garde qui veille aux portes du Concile. La France devait hélas! la retirer quelques semaines plus tard et cela ne lui a pas porté bonheur. 120
M. Bougaud prêchait le carême à Saint-Louis, et M. Chambalot à Saint-André della Valle. M. Chambalot avait admirablement bien compris notre temps. Il avait devancé les Ketteler et les Manning. Il avait compris que l'avenir était à la démocratie et qu'il fallait aller au peuple pour le christianiser. En 1850, il écrivait aux évêques de France et leur signalait l'inertie du clergé et les périls qu'amènerait une démocratie païenne et sauvage. En 1861 il était intervenu auprès de l'impératrice. Il voulait faire de l'empereur un Charlemagne et relever la religion par l'action de l'empire. En 1870, il écrivait une lettre à M. Emile Ollivier sur le choix des évêques. Au retour du Concile, il prédit la chute de l'empire qui se montrait sournoisement hostile à l'Église. Le grand orateur écrivait: «Une démocratie sauvage selon toute apparence débordera sur toute cette Europe devenue païenne. J'espère que l'Église fera un de ses plus grands miracles en la convertissant». Il voyait donc la situation comme Léon XIII devait la voir quelques années plus tard.
Cependant plusieurs brochures paraissaient et se répandaient. Il y avait un petit concile à la 121 porte du Concile. Soixante-dix évêques de l'opposition signaient et publiaient un postulatum contre les modifications au règlement.76) La pièce paraissait dans le journal La Perseveranza.
Mgr Dupanloup répondait par une brochure à Mgr l'archevêque de Malines.77) Mgr de Malines répondait au P. Gratry; le vicaire apostolique de Ceylan à Mgr Dupanloup.78) On lisait ces brochures avec curiosité; elles ne modifiaient guère les opinions.
La mort de M. de Montalembert, survenue le 13 mars, provoqua un très curieux incident. Il est d'usage, quand un grand catholique meurt, qu'on célèbre à Rome un service pour son âme. Qu'allait-on faire pour M. de Montalembert? Il avait rendu autrefois de grands services à l'Église, soit par ses écrits, soit au parlement; mais dans ces derniers temps il avait été un des protagonistes de la cause gallicane. Les opposants du Concile voulaient lui faire un triomphe et spéculer sur cette mort. On demandait un service funèbre à l'église d'Ara Coeli, on parlait d'un discours de l'évêque d'Orléans. Le dimanche 16, au sermon de carême de Saint-Louis des Français, le prédicateur M. Bougaud 122 annonçait le service et terminait en disant: «A demain, à l'Ara Coeli, c'est-à-dire au Capitole». Le lundi 17, les évêques gallicans étaient à l'Ara Coeli. On y voyait les évêques d'Orléans, de Sura, de Luçon, de Perpignan, de Cahors, d'Oran, etc.79) Mais, ô déception, le service était contremandé, on ne savait si c'était par le cardinal vicaire ou par le Pape. Et le 18, le Saint-Père faisait célébrer un service dans l'église de Sainte-Marie in Traspontina et il y assistait lui-même dans une loge grillée.80) C'était bien là un de ses tours malicieux comme savait en jouer Pie IX.
Au 25 mars, quelle belle fête et quel beau jour! Le Pape se rend à l'église de la Minerve pour prier la Sainte Vierge. Tous les Romains courent sur son passage pour voir les nobles splendeurs du train de gala, mais aussi et surtout pour revoir leur père bien-aimé. Toutes les rues du Vatican à la Minerve sont sablées, les maisons sont pavoisées. Toutes les cloches sonnent. Aux approches de la Minerve, la foule fait masse. La troupe se serre pour garder le passage libre. Le cortège arrive. Après le peloton de vigoureux gendarmes à cheval, 123 c'est le battistrada, cavalier très chamarré qui précède les carrosses. Puis deux voitures d'officiers et de serviteurs ecclésiastiques et laïques. Puis le prélat sacriste portant la croix sur une mule caparaçonnée. Ce n'est pas le personnage le moins remarqué du cortège. Après cela viennent les voitures de gala des cardinaux, puis enfin le carrosse du Pape, tout d'or et de glaces, à six chevaux conduits par deux postillons. Le Pape est assis au fond du carrosse, comme sur un trône; en face de lui sont deux cardinaux. On s'agenouille, le Pape bénit. Les gardes nobles et un peloton de dragons terminent le cortège. Sur tout le parcours, on crie: Vive le Pape-Roi; mais devant le Séminaire Français commence un cri nouveau, qui se répète et se répercute jusqu'à la Minerve: Vive le Pape infaillible!81)
TRAVAUX D’AVRIL
1. [39e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 1er AVRIL.
Les travaux continuent. On vote sur le I chapitre «de fide». Il y a cinq ou six opposants:82) Mgr Vérot de Savannah; Mgr Alemany de San Francisco (de la députation), etc. 124
Discussion du IV chapitre.90
Mgr Dubreil, d'Avignon, parle de sa, place. Il est peu entendu. Il traite de la liberté de la science; de son accord avec la foi.
Mgr de Marguerye, d'Autun, même sujet. Mgr Gandolfi, de Corneto, id.
Mgr Renaldi, de Pignerol, parle avec précision et avec méthode. Il propose des observations de détail qui paraissent justes. Il demande qu'on efface «caliginem» en parlant des mystères; «velum» suffit.
Mgr Ginoulhiac: l'Église doit affirmer la liberté de la science, surtout pour plusieurs sciences qui n'ont pas de rapport avec la foi; elle doit la limiter dans ce qui est de son domaine; elle doit la protéger parce que la science lui vient en aide. (Ici l'orateur laisse tomber ses feuilles qui s'envolent de la tribune; il en demande pardon, on en rit, cela repose un peu).
Mgr Caixal, d'Urgel, dès qu'il paraît à la tribune, les deux-tiers des Pères quittent la salle.
Mgr Ferre, de Casale;
Mgr Celesia, Pactensis; 125
Mgr Magnasco, de Bolina in partibus;
P. Ricca, Corrector generalis Ordinis Minimorum;
Mgr Gastaldi. Les Pères lui laissent entendre qu'il parle trop souvent. Il répond à Mgr Ginoulhiac: l'Église a toujours favorisé la science.
Mgr Mermillod reprend la même thèse: Si non accentu recto, saltem corde catholico et romano. L'Église est la mère des sciences, de l'enseignement, des universités. Elle n'a pas besoin de le rappeler, elle doit affirmer son droit de les diriger. C'est leur avantage. Sans elle, les sciences s'égarent… Veritas liberabit vos. Approbation générale: Bravo… Bene. (Mgr Thomas rit du latin et dit: c'est un coup de trompette, un coup de clairon).
2. [40e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 4 AVRIL.
Rapport sur le chapitre II par Mgr Gasser. Vote sur les amendements proposés.83) Plusieurs sont admis. Le 7ème, qui est de Mgr Maret, est repoussé. Il visait à faire valoir l'argument de Saint Anselme. La députation répond que le texte n'entend pas condamner l'argument de Saint Anselme, quoi qu'il en soit de sa valeur. Il y a une quinzaine d'opposants; Paris, Orléans, Marseille, 126 Montpellier, Soissons, Metz, Reims, Kalocsa, Bosnie, etc.
Aux amendements relatifs au traditionalisme, la députation répond qu'elle propose un principe certain qui condamne directement le rationalisme absolu (crudior), mais que le rationalisme mitigé (mitior) peut aussi en être atteint.
Pour ce qui est de l'Écriture Sainte, on rejette l'approbation directe de l'édition de Clément VIII, qui est encore imparfaite et qui laisse du doute pour quelques versets.
Pour l'inspiration, on condamne l'opinion dé Louvain, d'après laquelle l'approbation de l'Église serait suffisante pour constituer l'inspiration; mais on ne condamne pas l'opinion de Lessius d'après laquelle l'approbation subséquente par Dieu serait suffisante.
3. [41e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 5 AVRIL.
Sur les paragraphes quatrième et cinquième du Chapitre II.84)
Pour ce qui est du devoir d'interpréter les textes dogmatiques de l'Écriture selon le sens de l'Église et des Pères, on admet une formule à la fois positive et négative comme à Trente, afin d'exclure l'erreur qui dit 127 qu'on peut nier l'interprétation traditionnelle de l'Église; pourvu qu'on retienne le dogme.
4. [42e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 6 AVRIL.93
Rapport sur le chapitre III par Mgr Martin, évêque de Paderborn, orateur diffus et peu intelligible.85)
Plusieurs amendements sont admis. Le texte exclut à la fois le rationalisme et le quiétisme.
Pour satisfaire aux objections sur le magistère ordinaire de l'Église, on met «ordinario et universali magisterio», pour marquer qu'il s'agit de l'Église dispersée et non du Pape seul.
5. [43e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 7 AVRIL.
Suite de la discussion et du vote des amendements au chapitre III du 50e amendement au 106e.86)
On traite incidemment de l'action de la grâce. «Errantes Dominus gratia sua excitat et adjuvat, ut ad cognitionem veritatis venire possint - credentes autem, ut in hoc eodem lumine perseverare possint, gratia sua con firmat, non deserens nisi deseratur».
Le canon 3e est contre l'erreur d'Hermes 128 qui dit que la foi est un acte nécessaire et forcé de la raison.
Le canon 6e est contre une autre erreur d'Hermes qui établit le doute positif en théologie, erreur bien dangereuse déjà condamnée par Grégoire XVI.
6. [44e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 8 AVRIL.
Votes divers.87)
Rapport de Mgr Pie sur le IV chapitre. Discours clair, modeste et très goûté. Il excuse sa prononciation française: «multifariam multisque modis locutus Deus a patribus…».
Il est courtois pour les opposants: «Reverendus admodum emendator (Ginoulhiac)». Il sait son latin classique: «effata in Tullio sonat axiomata». Il admet quelques mots de l'amendement de Mgr Ginoulhiac sur la liberté des sciences «justam hanc libertatem agnoscens…» sans vouloir déclarer ici et presque définir l'indépendance absolue de quelques sciences, que la théologie peut «ut ancillas vocare ad arcem». Saint Thomas.
Ses propositions obtiennent des votes presque unanimes.88) 129
7. [45e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 12 AVRIL.
Vote du III chapitre.89)
Mgr Pie avait annoncé qu'on différait à un autre schéma le dernier paragraphe du chapitre IV, c'est-à-dire l'avis relatif au devoir d'obéir aux décrets du Saint-Siège qui réprouvent des erreurs sans lés taxer d'hérésie. Il revient là-dessus au nom de la commission. Le motif est que le public connaît ce projet et qu'on paraîtrait reculer. On vote en ce sens. Il y a une trentaine d'opposants, qui paraissent se soucier fort peu de l'autorité doctrinale du Saint-Siège.
Mgr Pie résume ensuite en beau latin un peu recherché les premiers travaux du Concile. Le Concile avait été préparé comme il devait, on le nierait iniquement. Les évêques ont perfectionné le travail de leurs inférieurs les théologiens. Ils vont produire en session cet «argentum purgatum septuplum».
On vote le chapitre IV en entier. Il y a peu d'opposants.
On vote ensuite l'ensemble du schéma.90) Il y a 598 votants: 141 absents dont 13 cardinaux. 130 Il y a 515 placet, 83 placet juxta modum.91) Parmi ces votants avec réserve, il y a 31 français: Paris, Reims, Sens, Avignon, Autun, Metz, Dijon, Albi, Orléans, Moulins, Langres, Chartres, Grenoble, Nice, Troyes, Luçon, Montpellier, Saint-Brieuc, Soissons, Châlons, Perpignan, Marseille, Cahors, Bayeux, Nancy, Constantine, Oran, Ajaccio, La Rochelle, Viviers, Gap.
Les autres sont: le cardinal Rauscher, Mgr Simor et les évêques suivants: S. Ludovici, Cincinnati, Bugellensis, Ipporegiensis, Baltimorensis, Colocensis, Vhelingensis, jam Liparensis, Birmingham, Aquipendiensis, Ramathensis, Dauliensis, Moguntinus, Bosniensis, Clonfertensis, Melburnensis, Ferentinus, Bruklyniensis, Derriensis, Guastallensis, Plymuthensis, Natchetensis, Cliftoniensis, S. Augustini, Northantoniensis, Aprutinus, Samaraiensis, Würtzburg…, Belemensis, Trevirensis, Albanensis in America, Bostoniensis, Petriculanus, Galtellinensis-Norensis, Salutiarum, Varmiensis, Harrisburgensis, Rossensis, Ludovicopolitanus, Eriensis, Cassoviensis, Magnovaradinensis Latinorum, quinque ecclesiarum, magister generalis Barnabitarum, et six autres dont j'ai mal entendu les noms.
Le président clôt la séance en disant: «Horum conveniens ratio habebitur ».131
8. [46e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 19 AVRIL.
Rapport de Mgr Gasser sur les 148 modi proposés à la congrégation précédente.92)
Le cinquième (qui reproche de ne pas parler du Pape dans le prooemium) a été pénible à la députation. Si elle n'a rien dit dé plus des mérites du Souverain Pontife, c'est que ce n'était pas le lieu, car il s'agissait seulement dans le prooemium de relier le Concile aux Conciles précédents.
On admet l'amendement: «Sancta Catholica Apostolica Romana Ecclesia», sans virgules, à cause des protestants anglais.
Beaucoup d'amendements ne regardent que le style; beaucoup sont déjà exclus pour des raisons nouvelles.
Sur le fait de la connaissance de Dieu en dehors de la révélation: 1° il ne s'agit que de la puissance de le connaître; 2° quant au fait lui-même, les païens, comme Aristote (in fine Physicae) et Eudemius son disciple, ont connu que Dieu est principium et finis omnium, et il écrit de très belles choses sur Dieu et son culte. Saint Paul reproche aux païens d'avoir connu Dieu et de 132 ne pas l'avoir adoré comme tel, et il parle seulement de la connaissance ex creaturis.
Les monita, qui terminent le décret, sont d'autant plus nécessaires que ce serait un péril immense si on disputait librement dans les écoles tout ce qui n'est pas défini de foi.
On adopte unanimement deux amendements.93)
Le reste n'est pas soumis au vote, comme ayant été déjà jugé.
La session est fixée par le Pape au 24.
À LA VEILLE DE LA TROISIÈME SESSION
Nous allons donc avoir la promulgation du beau décret «Dei Filius».94)
Il rappelle comment la divine Providence a pourvu par les Conciles à la conservation de la doctrine révélée. Il nous montre dans le libre-examen inauguré par le protestantisme la source dé toutes les erreurs modernes.
Il expose la doctrine sur la création, sur la révélation, sur la foi, sur les rapports de la raison et de la foi. Il stigmatise l'athéisme. Il condamne le matérialisme, le panthéisme sous toutes ses formes. 133
Il combat à la fois le traditionalisme et le rationalisme. Il nous montre la nature humaine élevée à une fin surnaturelle et la raison élevée par la grâce à la foi.
Il revendique l'authenticité des Écritures et définit les conditions de la révélation et de l'inspiration.
Il accorde à la raison une juste liberté dans le domaine des sciences, tout en revendiquant pour l'Église la souveraine autorité doctrinale. Ce sont là les grands principes de la philosophie chrétienne. C'est le fil conducteur que Dieu nous a donné pour marcher sûrement dans le labyrinthe de cette vie.
Louis Veuillot, comparant l'autorité divine de l'Église avec l'autorité frelatée, que s'attribuent soit les tyrans soit le suffrage populaire, écrivait cette belle page: «L'humanité a présentement sous les yeux les deux cités, les deux sagesses, les deux forces de ce monde, agissant chacune à sa manière (on préparait le plébiscite).95) De part et d'autre, le genre humain peut voir comment on le considère, comment on pré pare ici et là 134 les lois entre lesquelles il devra choisir. Il connaît de part et d'autre, l'esprit, les moyens, le but. D'un côté, la révélation divine, l'Église et le Pape dans leur unanimité légèrement agitée à la surface, mais certaine et invincible; de l'autre, la cohue des prétendues révélations particulières dans leur fondamentale et perpétuelle contradiction. D'un côté, l'étude pieuse de la tradition, l'amour scrupuleux de la loi et de la règle, l'horreur de toute nouveauté, de toute violence et de tout hasard, le respect de tout droit, le zèle de tout bien; de l'autre, l'audace lâche ou impie de toute aventure, la lassitude de tout devoir, le mépris de toute certitude, les convoitises débridées de l'orgueil et des sens. Enfin, d'un côté la prière qui implore une manifestation de l'esprit de Dieu pour établir l'avenir dans la paix de la règle et de la lumière; de l'autre, les empressements de la ruse, les arrogances de la force, le dédain de tout le reste.
Oh! que je me sens, pour mon compte, fixé à jamais! Oh! que ma raison est fière de s'incliner devant l'infaillibilité qui lui sera imposée à Rome, et de se révolter contre l'infaillibilité dont on prétend l'investir à 135 Paris! Combien je me promets d'obéir inébranlablement à l'une, et de lui soumettre inébranlablement l'autre, quelque maître et docteur que cette autre me prétende donner! Et j'espère qu'ainsi fera prochainement le peuple entier du Christ, saturé des longues injures qu'on lui fait subir. J'espère qu'il reportera au Christ et au Vicaire du Christ toute sa mâle obéissance, depuis trop longtemps polluée par de stupides et injurieuses dominations: domination de doctrines, de politiques et de coutumes corrompues; domination qu'il faut secouer et abolir, au moins pour notre part, quoi qu'il en puisse coûter! J'espère que ce sera là le prompt résultat du Concile: dans le monde entier, il hâtera cette Pâque, ce jour du Seigneur où enfin la conscience catholique; abreuvée de trahisons et de hontes, refusera d'en porter davantage. Alors, obéissant à Moïse, nous sortirons. Nous commencerons de tracer le chemin royal par où la Croix et la liberté et la raison, ensemble bannies, ensemble rentreront dans le monde. Nous retrouverons notre honneur, cet honneur du baptême et de la foi qui fit ici des miracles encore subsistants. D'ici furent 136 enfin chassés l'infaillible Brutus et l'infaillible César. Ici, le Vicaire du Christ vint à leur place, et tirant l'âme humaine de l'abjection où l'avait jetée le pouvoir de l'homme, il la mit sur un trône dans la lumière de Dieu. Nous sommes retombés à César et à Brutus, qui se disputent cette proie avilie. Il faut que Pierre recommence son travail, nous délivre encore une fois. Pasce agnos! Elève ton sceptre, pasteur du monde, et qu'on le voie de loin! C'est le moment de rassembler le troupeau pour un exode immense. Nous connaîtrons ta main, nous connaîtrons ta voix, et celui qui ne sera pas avec toi, nous ne le connaîtrons plus! ».96)
LA TROISIÈME SESSION
Au jour de la session, Louis Veuillot écrivait: «En ce moment, Rome, c'est-à-dire un abrégé des peuples, remplit la basilique vaticane. Les portes de la salle conciliaire sont ouvertes; le Concile est assis, présidé par le Pape entouré du Sacré Collège.
Dans le Sacré Collège, il y a un homme, notre cardinal de Bordeaux, qui a reçu la bénédiction de Pie VI détrôné, prisonnier et mourant, et on lui disait: «c'est le dernier 137 Pape!». Il est là; il voit Pie IX vivant, libre, sur son trône, roi de la vie et de la mort, ouvrant et fermant le ciel, proclamant la vérité qui est la vie et qui enfante la vie, jetant l'anathème et la foudre à l'erreur qui est la mort.
Qu'en dis-tu Voltaire? Qu'en dites-vous, Frédéric le Grand, Catherine la Grande, Napoléon le Grand, et toi aussi, Havin le Grand, dernier héritier de Voltaire?
A la messe, aujourd'hui, l'Église chante la parole de Saint Jean: Et haec est victoria quae vincit mundum, fides nostra. Quis est, qui vincit mundum, nisi qui crédit quoniam Jésus est Filius Dei?
Quel accent prend en cette rencontre l'Alléluia dé Pâques, qui retentit durant tout le cours du saint sacrifice! Que ces choses sont solennelles et divines, mais inexprimables! Il y a une lumière d'or, un air vif, une tranquillité de joie et un rayon d'allégresse partout. Qui pourrait peindre cette physionomie de Rome, cette douceur de la terre, du ciel et des âmes!».97)
C'étaient là nos impressions à tous. Cette session, en présence d'une foule vraiment catholique et cosmopolite qui remplissait 138 Saint-Pierre fut vraiment d'une solennité supraterrestre et inexprimable.
Le vote des Pères fut unanime.98) A la fin de la Session le Saint-Père prononça ses paroles: «Tous les Pères du Concile, ayant sans exception aucune, répondu placet aux décrets et aux canons que l'on vient de lire, Nous-même, Nous définissons dans le même sens les vérités contenues dans ces décrets et canons, que nous confirmons de notre autorité apostolique».
Et il ajoutait: «Vous voyez, très chers Frères, combien il est bon et doux de marcher d'accord dans la maison du Seigneur, de marcher dans la paix. Marchez toujours ainsi. Et parce que, à pareil jour, Notre-Seigneur Jésus-Christ donna la paix à ses Apôtres, moi aussi, qui suis son Vicaire indigne, en son nom, je vous donne la paix.
Cette paix, vous le savez, chasse la crainte, cette paix, vous le _savez encore, fait fermer les oreilles aux discours du dehors. Oh! que cette paix vous accompagne tous les jours de votre vie! Quelle soit votre consolation! qu'elle soit votre force au moment de la mort! Qu'elle soit votre joie éternelle dans les cieux! ».99) 139
AUTOUR DU CONCILE [ EN AVRIL]
Nous avons eu dans ce mois la belle fête commémorative du 21 avril et lés solennités pascales.
1. LES FÊTES DE PÂQUES.
La messe du Pape à Saint-Pierre est bien belle; mais l'heure la plus solennelle de ces beaux jours, c'est celle de la bénédiction pontificale donnée à l'Église et au monde.
«A la Pâque de l'an de salut 1870, l'admiration coulait et débordait sur la place de Saint-Pierre comme un fleuve du Paradis. Le monde était là substantiellement; on entendait parler toutes les langues. Il y avait là deux cent mille personnes, et un seul cœur, un seul regard, fixé sur un seul point. Cette place, où aucun espace ne restait vide, ressemblait à une immense prairie de fleurs où le vent formait de douces ondulations. Les terrasses et la colonnade, peuplées de statues et de vivants aux vêtements variés, offraient le même décor joyeux, magnifique et tranquille. Au milieu, l'obélisque du jardin de Néron, relevé par la main de Sixte-Quint et portant la croix, disait la foi et l'attente de cette multitude: Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat.140 C'est donc là que Néron a versé tant de sang chrétien, et de ce sang est né cette floraison que tant de siècles n'ont pas fauché et qui renaît toujours; et le corps de Pierre transporté là n'a cessé de renaître et de fleurir; et cet épi broyé donne toujours son froment au monde!
Un grand silence s'est fait, l'espace qui contenait deux cent mille vivants est silencieux comme le désert. Le Pape est apparu. Il s'avance du fond; porté sur la sedia sans mouvement apparent, comme un astre et une vision. Il se lève dans son vêtement d'or; toute tête s'incline, tout genou fléchit, sa voix se fait entendre: Benedicat vos omnipotens Deus! Il bénit le monde, et si le monde entier était là, chacun se sentirait placé dans ses bras ouverts pour embrasser le monde…
Quel est le maître de cérémonies qui a inventé cette chose si simple, la bénédiction papale du jour de Pâques, et réglé de mettre ainsi en présence, sur la place de Saint-Pierre, le souverain temporel de Rome et le peuple romain, le souverain spirituel du monde et le monde? Je dis que ce maître des 141 cérémonies a été un poète de premier ordre, et qu'il a trouvé un tableau, un chant et une action qui l'emportent sur beaucoup d'illustres chefs-d'œuvre. On m'a rapporté que Pie IX n'est pas le moins ému de cette scène sublime. Il disait un jour: Quand je donne cette bénédiction, je me sens vraiment Pape. Je sens que le cœur et la main du Pape sont dans le cœur et la main dé Dieu, bénissant le monde…
Le soir on a eu l'illumination de la coupole, autre poésie étrange et saisissante. Rome est un bel instrument, et quels artistes pour en jouer! Honorons encore la mémoire de l'inconnu de génie à qui est venue cette idée d'illuminer le dôme de Saint-Pierre et d'exécuter le changement de feu.
Vous savez que la coupole est d'abord illuminée sobrement comme par grains, de façon à la profiler dans la nuit. C'est déjà très beau et très grand. Puis tout à coup, en un clin d'œil, toute la montagne s'allume et la croix se dessine flamboyante sur la montagne de feu. Un bruit d'applaudissement s'élève de la ville et des terrasses peuplées de 142 spectateurs, un souffle d'admiration semble venir des espaces réjouis, et les_ étoiles prennent plaisir à regarder la terre».100)
2. LE LUNDI DE PÂQUES.
«Il n'y a pas de belles fêtes sans lendemain. On entend bien cela ici. Le lundi de Pâques est un second dimanche. Toute la population en habit de fête se rend par les rues. Il n'y a point de travail… La multitude attend le feu d'artifice, la girandola. Ce divertissement lui est cher et elle a raison. Le feu d'artifice à Rome est une chose gracieuse, élégante et intelligente. Il dit toujours quelque chose. Il y a des caprices charmant. Cette année, la pièce principale représentait la Jérusalem céleste. On aura beau dire, il faut admirer un peuple à qui l'on peut donner de tels divertissements. Beatus populus, cujus Dominus Deus ejus ».101)
3. 21 AVRIL: LA LUMINARA.
Au 21 avril on fêtait à Rome l'anniversaire du retour de Gaëte et de la préservation de Pie IX à l'accident de l'église Sainte-Agnès. Le peuple aimait cette fête et y manifestait le même amour filial pour son roi et pontife. 143 Louis Veuillot avait raison de dire: « Il y a dans le monde un peuple qui est resté inviolablement fidèle à son roi vaincu et dépouillé, qui lui a voué plus d'amour à mesure que l'iniquité européenne lui infligeait plus de désastres, qui a connu la justice et la majesté de sa cause et ne l'a point trahie, qui, par son noble dédain, a déconcerté les séducteurs, et, par la constance de ses acclamations, a vaincu le mensonge persévérant de la presse, de la tribune et de la diplomatie. Ce souverain est Pie IX, le souverain prêtre; ce peuple, c'est le sage, pieux et véritablement auguste peuple romain, dont la foi, toujours vivifiée par celle de Pierre, ne peut défaillir… Quant au spectacle (de cette fête), il est difficile d'en donner une idée à qui ne l'a pas eu sous les yeux. Figurez-vous cette immense ville en feux de joie, en arcs de triomphe lumineux, en jardins lumineux, en pétards, en feux de bengale, en musique, en inscriptions pleines de tendresse, de grâce, et la plupart du style le plus noble et le plus savant; quantité d'édifices admirablement décorés, les obélisques changés 144 en colonnes de lumière, des rues entières transformées en palais de fées, dans les airs des fusées et des ballons chargés d'artifices; des lanternes de couleur partout, dans les rues pauvres et aux plus pauvres fenêtres; et tout cela varié, ingénieux, aimable et d'une bonne grâce exquise! Mais la foule était encore plus belle. C'était la foule qui faisait la grande surprise et le charme des étrangers. Elle formait le spectacle qu'on ne saurait trouver ailleurs et que Rome elle-même ne reverra plus (hélas!). Non seulement les écoles, le clergé séculier et régulier, mais aussi le Concile faisait partie de la foule. Les voitures entraient et circulaient là-dedans, sans autre force de police que quelques dragons pontificaux pour guider les files à certains affluents.
Point de police et point de heurt; pas un juron, pas une poussée. Tout le monde jouissait paisiblement de la fête dont chacun avait fait les frais, et chacun montrait à chacun de la déférence et la complaisance qui doivent régner entre les invités d'une fête… La plupart des motifs de décoration étaient religieux: ils représentaient des oratoires, des chapelles. 145 La croix de Jésus et la croix de Pierre étaient partout; les lignes de feu figuraient des calices, des ciboires, des ostensoirs grandioses, encadraient le portrait de Pie IX ou l'image de la Madone ».102)
«Le Pape s'est rendu, suivant l'usage, à Sainte-Agnès-hors-les-Murs. Il y va remercier Dieu de l'avoir préservé en 1854. Il est rentré tard pour se donner aussi le plaisir de la luminara ».103)
CORRESPONDANCE
1. [Lettres reçues].
Quelques lettres que je recevais me disaient aussi l'état des esprits en France.
M. Boute, mon ancien maître, me donnait la pensée des prêtres du Nord. «Vous nous avez causé une bien grande joie, m'écrivait-il, en nous disant que les neuf dixièmes des évêques sont pour la définition de l'infaillibilité, et que cette question sera bientôt tranchée. Nous l'attendons et l'espérons de tous nos vœux. L'Univers nous annonce que 400 ou 500 évêques ont déjà signé la demande faite à ce sujet à la commission des Postulats. Il est évident que la question est mûre, et qu'il faut en finir avec le petit nombre des récalcitrants encore entachés des doctrines gallicanes. Qu'une 146 décision solennelle vienne leur fermer la bouche et arrêter leur plume. Ne voilà-t-il pas que lé P. Gratry se met de la partie et fait cause commune avec Nosseigneurs Dupanloup et Maret. Nous espérons bien que le Concile fera justice de tout cela et qu'il ne sera plus question d'Église gallicane. Je donnerais volontiers le reste de mes jours pour arriver à cet heureux résultat».
M. le chanoine Demiselle m'exprimait la pensée des prêtres de Soissons. «Je vois aujourd'hui dans les journaux, m'écrivait-il au 15 février, les noms de 31 prélats français demandant que la question de l'infaillibilité ne soit pas posée devant le Concile, et parmi eux celui de l'évêque de Soissons. Ces bons prélats ne s'aperçoivent pas qu'ils tombent dans la même faute de conduite qu'ils reprochent si bruyamment au Pape Honorius. Que peut-on reprocher à ce Pape, si ce n'est trop de ménagements pour de rusés grecs qui abusèrent indignement de sa condescendance. Que font ces évêques? Par ménagement aussi pour leur parti, ils veulent qu'il ne soit parlé ni d'infaillibilité, ni de non-infaillibilité, comme Honorius qui défendait de parler ni d'une ni de deux 147 volontés, espérant par là étouffer dans leur naissance dés disputes qui menaçaient de troubler l'Église. C'était bien la peine de faire tant de bruit autour du nom de Pape pour tomber dans la même faute. In laqueo isto quem absconderunt, comprehensus est pes eorum. J'ai envoyé un petit article au Monde dans ce sens… Vous avez sans doute connaissance des lettres de M. Urqhart à l'évêque d'Orléans. Que va-t-il répondre à ce coup d'assommoir? J'attends avec impatience. Comme la Providence prépare admirablement le triomphe du Saint-Siège! Puisse la confusion de ses adversaires leur ouvrir les yeux! ».
Au 9 juin, il m'écrivait encore: «La conduite de la minorité dans le Concile me parait de plus en plus inqualifiable; non pas que je vois avec déplaisir qu'ils fassent valoir leurs raisons, mais crier à l'oppression, quand ils prennent à tâche d'accabler leurs collègues par d'interminables discussions, des redites sans fin sur une question débattue à satiété dans de gros livres et dans des brochures; se poser en victimes quand eux-mêmes font subir aux autres les tortures de leurs violences, de leur acrimonie, de leurs récriminations plus qu'inconvenantes, en 148 vérité, c'est trop abuser de la liberté qui leur est laissée dans une si large mesure. Il n'est aucun corps délibérant qui pousserait si loin la condescendance pour une minorité. Dieu a ses desseins. Il était nécessaire qu'on connût le fond de certaines âmes. Erit in signum cui contradicetur, ut revelentur ex multis cordibus cogitationes. Espérons que l'Église sera purgée pour toujours de ce levain de gallicanisme qui la déparait depuis trop longtemps… Pauvres gens qui transportent dans le gouvernement de l'Église les idées qu'ils se sont faites touchant les gouvernements civils. Ils sont ce qu'ils appellent libéraux en politique, ils veulent l'être en religion: et ils s'aheurtent à cette malheureuse idée avec une opiniâtreté qui, jointe à l'aigreur avec laquelle ils la défendent, fait songer, malgré qu'on en ait, aux hérésiarques, tels que nous les dépeint l'histoire… Et ces âmes faibles de caractère et de doctrine, qui se laissent fasciner par ceux qu'ils regardent comme des génies supérieurs; comme si le génie (quand génie il y aurait), pesait quelque chose quand il est question de dogme et de révélation; gens qui compteraient 149 volontiers les voix dans un Concile d'après le nombre d'âmes qu'un évêque peut compter dans son diocèse… Le spectacle que présente cette minorité me fait mal. Que serait-ce si je pouvais voir toutes les ficelles qu'ils remuent derrière la toile, et en, particulier ces matriarches qui voudraient transformer certains salons comme autant de conciles au petit pied… ».
Mon pieux ami, l'abbé Costa de Beauregard m'écrivait: « L'infaillibilité désole le démon. Il fait ce qu'il peut au moins pour la montrer inopportune. Le nombre des fidèles qui pensent comme Mgr Dupanloup est très grand. Le malheureux Correspondant a fait beaucoup de mal à une classe très nombreuse d'esprits distingués et convaincus. Il faut de bonnes prières ».
Thellier de Poncheville m'exprimait ainsi sa pensée, au 1er avril: «Vous parlerai-je du Concile, à vous l'un des rares privilégiés qui voient le Concile face à face et dégagé des brouillards malsains qu'amassent autour de lui les tristes ingérences du journalisme. Si je vous avais écrit plut tôt, peut-être n'aurais-je pu le faire sans laisser percer un peu de 150 tristesse. Mais il me semble que peu à peu le calme se fait, et que la confiance, qu'on ne peut perdre, sans perdre la foi, reprend son empire légitime sur les âmes catholiques. Il y a eu dans ces derniers temps une telle confusion des choses divines et des choses humaines, un tel renversement de tous les rôles, de toutes les idées et de toutes les hiérarchies, que l'oeil de l'âme a pu se troubler un peu. Mais ce n'est que le trouble d'un moment. Pour celui qui croit, la paix et la lumière ne tardent pas à se faire. Et pour ne parler que du dogme de l'infaillibilité, qui, bien que non défini, était admis par tout le monde, les catholiques comprendront, après les premières confusions dissipées, qu'il ne justifie pas les effarements inattendus de quelques-uns, mais d'un autre côté il n'a rien de commun avec la bruyante exploitation que prétendent en faire, quelques autres. Et quant à la recrudescence que l'école d'aveuglement que dirige L'Univers semble avoir reprise, à la faveur de certains de ses adversaires, je ne m'en effraye pas trop. Cette école sera après ce qu'elle était avant, ni plus ni moins: une difficulté pour la bonne volonté des 151 uns, une pierre d'achoppement pour l'orgueil des autres. Si le péril est là, il ne sera pas ailleurs; Dieu sait toujours le mesurer à la dose que comportent nos forces. Au surplus, qu'est-ce que tout cela? des grains de poussière sur la route de l'Église et de la papauté. Vous voyez donc, mon cher ami, que je ne suis pas de ceux qui ont peur. Je crois néanmoins que lé devoir de tous, même du plus humble, est de prier ».
Il y avait certainement un trouble profond dans les âmes. Le ton de L'Univers était parfait pour les presbytères, il était choquant pour les gens du monde. Il parlait des opposants comme s'ils étaient déjà jugés et condamnés, et il était loin d'y mettre de la courtoisie.
2. MA FAMILLE.113
J'écrivais de temps en temps à mes parents. Ma mère gardait toutes mes lettres, je les retrouve dans son bureau. Celles des années précédentes exprimaient toute ma joie d'avancer dans ma préparation au sacerdoce. Souvent aussi j'essayais de ramener mon père à la pratique de la vie chrétienne. Cette année, je parlais un peu 152 du Concile et j'engageais mon père à persévérer.
Au 30 novembre, j'écrivais: «Rome prend un aspect chaque jour plus vivant. Les évêques s'installent et se mettent au travail. La foule des étrangers suit le cours ordinaire des fêtes liturgiques de Rome et remplit surtout Saint-Pierre et ses abords. On se prépare au Concile par une neuvaine solennelle qui se fait dans toutes les églises, et toutes les grandes reliques sont exposées partout. Le corps sténographique se prépare à remplir ses fonctions. Nous sommes déjà allés plusieurs fois nous exercer dans la magnifique salle du Concile. Aujourd'hui nous avons eu le bonheur d'être reçus en audience par le Saint-Père. Il nous a encouragés. Il nous a exhortés à donner tous nos soins à nos fonctions pour que nos travaux servent à l'édification du monde. Il nous a donné à chacun une médaille. Il est affable et gai comme toujours et son immense Confiance en Dieu lui permet de n'être pas préoccupé, à la veille d'un acte si important et au milieu des affaires dont il est assailli. On est toujours heureux de l'approcher. 153 Combien l'est-on plus d'approcher tous les matins de N.-S. Jésus-Christ! Aidez-moi à remercier Dieu de la grande grâce de mon sacerdoce, dont l'anniversaire approche».
Au 8 décembre, au retour dé la première session, j'écrivais: «Je voudrais vous faire partager un peu notre joie de la belle fête d'aujourd'hui.
Cette journée m'a fait plus d'impression, s'il est possible, que celle du 19 décembre de l'an dernier (jour de mon ordination). J'étais admirablement placé dans une tribune avec les théologiens du Saint-Père. Toute la solennité se passait dans le transept droit de la basilique. La salle était ouverte du côté de la confession de Saint-Pierre, pour que l'immense foule qui remplissait l'église pût apercevoir le Concile. Les Pères du Concile, plus de 700 évêques en chape et en mitre arrivèrent en procession et remplirent peu à peu les gradins. Après eux venaient les patriarches, les cardinaux et enfin le Saint-Père entra en bénissant les membres du Concile. L'aspect de cette salle, qui contenait toute l'Église enseignante, et de la basilique, où la 154 foule représentait l'Église enseignée, faisait un effet plus imposant qu'on ne peut le dire.
Après le Veni Creator, on chanta la messe. Il était beau de voir les évêques du monde entier réciter ensemble le symbole des Apôtres, puis se donner la paix. Après la messe, un évêque capucin prononça le discours d'ouverture. Il rappela dans un magnifique langage la conversion du monde par les Apôtres, puis les tribulations et les joies de l'Église. Pie IX donna sa bénédiction solennellement, puis eut lieu la cérémonie de l'obédience. Tous les Pères du Concile allèrent à leur tour embrasser la main ou le pied du Souverain Pontifie. Le Saint-Père lut ensuite une magnifique invocation au Saint-Esprit. Puis commença le chant des litanies des Saints. Quelle touchante union de l'Église de la terre avec celle du ciel! Tous les regards du ciel étaient tournés vers ce Concile, et tout le Concile invoquait avec ardeur par les voix émues et retentissantes de tous ses membres tous les Saints du ciel. Cinquante mille fidèles dans Saint-Pierre répondaient au chant des litanies. Ensuite le Saint-Père debout appela trois fois la bénédiction du ciel sur le Concile. Puis il adressa aux 155 Pères une allocution si émue qu'il pouvait à peine l'achever. Il leur rappela ce que l'on sentait bien, les promesses de Dieu, l'assistance du Saint-Esprit et la force de l'Église qui a la promesse infaillible d'être guidée par le ciel dans la vérité. Alors furent lus et votés les décrets qui déclaraient le Concile ouvert et qui fixaient la deuxième session publique au jour de l'Épiphanie. Jusque là on préparera des décrets dans des réunions privées dont la première commencera après-demain. Cette belle fête a duré de 9 h. du matin à 3 heures. Je me suis écrié plus d'une fois que c'est la plus belle journée de ma vie. Après avoir été témoin de telles manifestations de l'Église de Dieu, on éprouve une nouvelle et brûlante ardeur de travailler pour le ciel dont l'Église de la terre n'est que le vestibule… ».
Au 19 décembre, j'écrivais: «Vous rappelez-vous comme nous étions heureux l'année dernière à pareil jour? Le 19 décembre est l'anniversaire de mon ordination et en même temps le quatrième dimanche de l'Avent me rappelle ma première messe. Avec quel bonheur et quelle émotion j'ai célébré cette même messe ce matin. Je me suis représenté ce que nous étions ce jour-là et ce que nous voulions être. Comme nous étions 156 pénétrés de la grâce de Dieu! Quelle joie! quelle bonne volonté! Et ce n'était que le commencement d'une série de grâces qui se continue tous les jours. Notre-Seigneur nous a donné sans compter, il s'est donné lui-même. Nous lui avons promis beaucoup aussi avec l'aide de sa grâce: l'avons-nous tenu? Je fais de tout mon cœur mon mea culpa. Je n'ai pas toujours apporté au saint sacrifice la même bonne volonté que la première fois et par suite tout le reste aussi a été en souffrance. Mais je vais reprendre avec la même confiance que le premier jour et j'espère tout de la miséricorde de Dieu. Remerciez Dieu aussi des grâces qu'il vous a accordées à Rome et tenez les promesses que vous lui avez faites.
J'ai besoin, cher père, de t'ouvrir à toi plus spécialement mon cœur. Tu as certainement ressenti l'année dernière quelle joie tu me causais à moi, mais cela n'est rien. Tu as ressenti aussi quelle joie tu causais au ciel, à N.-S. Jésus-Christ et à ses Saints. Eh bien! si tu ne restais pas dans les mêmes sentiments, de même que tu me déchirerais le cœur à moi, tu renouvellerais aussi, s'il était possible, les larmes de sang que Notre-Seigneur a versées sur nos infidélités. Voilà pour 157 le nécessaire. Mais il y a en outre ce que l'Église n'exige pas et qui est extrêmement bon et utile, ce serait une communion aux deux ou trois plus grandes fêtes de l'année.
Penses-y à Noël, et si tu pouvais renouveler notre union commune avec Notre-Seigneur, dont nous étions si heureux; l'année dernière n'y manque pas. Entretenons-nous souvent de ces souvenirs-là, ils nous font du bien… Je suis on ne peut plus heureux de suivre de près la grande œuvre du Concile. Depuis la belle fête du 8, il y a eu deux réunions ou Congrégations générales. La troisième aura lieu demain. Ces réunions sont secrètes. Nous avons seuls le privilège d'y assister. Nous y sommes mieux placés que nous ne pouvions l'espérer. Notre table est au centre de la salle. Ceux d'entre nous qui n'ont pas à écrire ont à leur disposition une tribune d'où ils peuvent voir et entendre. [Nous avons eu peu à faire jusqu'à présent. Les séances ont été remplies par élections de commissions, et autres dispositions préparatoires. Il est probable que nous ne serons pas occupés du Concile plus de deux jours par semaine.] J'ai fait visite à Mgr Dours et à Mgr d'Orléans. Mgr Dupanloup a fait tort à son influence par ses dernières lettres qui n'ont pas du tout été goûtées des évêques. Vous en verrez dans les journaux une belle réfutation écrite par Mgr Dechamps, archevêque de Malines… ».
Au 29 décembre: « …[Je reste à Rome cette année pendant ces petites vacances et j'y trouvé aussi de bien grandes choses avec beaucoup moins de fatigues. Toutes les fêtes de Rome sont rehaussées par le grand nombre des évêques qui les suivent. Lé Concile continue ses travaux. Il y a eu hier congrégation générale et il y en aura 'une autre demain.. Elles se tiennent jusqu'à présent à Saint-Pierre. Mais on prépare au Quirinal une salle plus propre aux discussions. La salle de Saint-Pierre servira toujours pour les sessions solennelles.] La discussion des décrets 158 est commencée et nous avons eu déjà hier beaucoup à écrire. Nous sommes heureux d'assister à tout cela et tout le monde envie notre sort. Le Concile fait espérer des résultats immenses et les petites difficultés que grossissent les journaux n'auront aucune influence sérieuse… ».
Au 11 janvier: «Nous avons eu pas mal de travail au Concile depuis quelques jours. Il y a eu la semaine dernière trois congrégations générales et la session. Cette semaine, nous avons eu peu de repos, il n'y aura que deux congrégations. Chacune de ces réunions est pour nous très intéressante. Nous voyons de près se préparer les décrets qui ont la promesse d'être les oracles de l'Esprit-Saint… Les travaux du Concile marchent très bien. Cependant il faut s'attendre à ce qu'il y ait quelques évêques qui, trompés par l'une ou l'autre illusion, et se croyant dans la vérité, le retardent sur quelques points. Mais la promesse de la vérité n'est que pour ceux qui sont unis au successeur de Pierre parce que c'est à lui qu'il a été dit: Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Un charmant incident de la séance d'hier était un beau discours (en latin) d'un évêque chaldéen, du pays des rois mages. Nous écrivons beaucoup aux congrégations et nous réussissons fort bien 159 jusqu'à présent. Aux sessions publiques, nous n'avons pas à écrire, mais nous avons le privilège d'y assister dans les tribunes. Quatre- seulement nous représentent dans la salle près de l'autel. J'étais de ce nombre à la seconde session le jour de l'Épiphanie. Comme j'étais heureux d'être uni de si près aux prières de Pie IX et de tout le Concile pour l'Église! …».
Au 25 janvier: «Je n'ai pas le temps de vous écrire bien souvent. Nous avons eu depuis quelques jours des congrégations générales très fréquentes. Les questions de discipline ecclésiastique sont longues à discuter parce que beaucoup d'évêques ont à exposer les besoins particuliers de leurs églises. On ne prévoit pas encore l'époque de la prochaine session publique où se promulgueront les premiers décrets. Notre service sténographique marche bien, mais nous n'avons plus guère de temps à donner à nos études. Quel beau spectacle que celui de ces nombreux évêques qui réunissent ici leurs efforts et le zèle qu'ils déploient d'ordinaire à la tête de leurs diocèses. Les séances offrent toujours un grand intérêt et parfois des scènes très touchantes. On ne peut pas entendre sans émotion les évêques qui ont souffert de dures persécutions ou qui exposent les malheurs de leurs églises. En dehors du Concile. Mgr Mermillod, le digne successeur de Saint François de Sales sur le siège de Genève, nous fait 160 tous les dimanches de magnifiques conférences à Saint-Louis des Français, où il exprime son ardent amour pour l'Église catholique: [Mgr l'évêque de Beauvais nous a donné au Séminaire Français une charmante allocution qui nous a émus et]hier nous avons eu au Séminaire français la visite du Saint-Père, qui est venu voir le saint et savant évêque de Nîmes gravement malade chez nous. Ne vous inquiétez pas des dires des journaux qui voient toujours les choses sous un faux jour. Il y a certainement au Concile différentes opinions sur les matières qui ne sont pas encore définies, mais tous sont prêts à se soumettre au jugement définitif du Concile… ».
Au 3 février: «Je cueille une moisson de souvenirs pour toute ma vie. Quelle grande chose que l'épiscopat catholique! Quelle magnifique assemblée d'hommes à la fois graves et dignes dans leur démarche, doux et affables dans leur conversation, savants et riches en bonnes œuvres. Une pareille réunion est ce que l'on peut voir de plus beau sur la terre, et je m'estime heureux d'y avoir une petite part. [Les congrégations ont lieu fréquemment et la discussion marche lentement à cause du grand nombre des orateurs. On commence à craindre de ne pas pouvoir finir cette année. S'il en est ainsi on interrompra les travaux pendant l'été.] En dehors du Concile je trouve encore le temps de travailler un peu. J'ai subi aujourd'hui l'examen de baccalauréat en droit canon…
Mon excellent ami Perreau, avec qui j'étais au Tréport, est mort saintement il y a quelques jours à Chambéry. Il avait plus fait de 161 bonnes œuvres en peu d'années que bien d'autres dans une longue vie, et le bon Dieu l'a jugé mûr pour la récompense. Il priera pour nous au ciel parce qu'il m'aimait beaucoup». (Je reçus à l'occasion de cette mort des lettres touchantes de l'abbé Costa de Beauregard et de Thellier dé Poncheville qui étaient aussi des amis de Perreau. Une notice a été écrite par un de nos confrères de Chambéry sur ce nouveau saint Louis de Gonzague).
Au 14 février: « … Le Concile marche, [bien que] lentement. [Les journaux se passionnent pour la question de l'infaillibilité qu'ils comprennent fort peu. Il s'agit seulement des bulles dogmatiques des Papes et du pouvoir qu'a donné Notre-Seigneur à Saint Pierre et à ses successeurs de juger en dernier ressort les questions de foi avec l'assistance divine. L'Église n'en a jamais douté et elle a toujours reçu comme une sentence irréformable les bulles des Papes qui condamnaient les hérésies. Malgré quelques évêques qui croient comme Mgr Dupanloup qu'il n'est pas opportun de définir cette vérité, je suis persuadé qu'elle sera prochainement définie et quand elle sera expliquée et que ces évêques se seront rangés au jugement de la majorité nous verrons heureusement cesser le trouble que suscite à ce propos toute la presse française fort ignorante de théologie… Quant à l'histoire d'un faux évêque, je crois que c'est un canard des journaux.] J'ai appris encore bien des traits édifiants de l'abbé Perreau depuis sa mort. Sa bonne mère, qui est très pieuse, a écrit au Père supérieur une lettre fort résignée. Elle croit que le Bon Dieu a accepté le sacrifice de la vie de son fils pour le salut de son mari. L'abbé Perreau avait souvent offert sa vie, dit-elle, pour le salut de son père, et son père qui pendant bien longtemps n'avait pas pratiqué sa religion était revenu à la pratique des sacrements peu de temps avant de mourir, un an avant la mort de son fils. L'abbé Perreau était vrai ment 162 un saint tout consumé de l'amour de Dieu et de l'amour des âmes, et j'espère qu'il nous obtiendra bien des grâces… ».
Au 13 mars, je racontais une excursion à Subiaco.104) [« … Comme vous le savez par les journaux, les réunions du Concile n'ont pas encore recommencé. On suppose qu'elles reprendront dans cinq ou six jours. En attendant, les évêques travaillent et font des rapports écrits sur les questions qui leur sont proposées.
Je profite de ce long intervalle pour me reposer et pour me mettre un peu au courant de mes études. Je suis heureux de jouir un peu du calme et de la solitude pendant qu'on s'agite ailleurs si violemment pour entraver l'œuvre de Dieu. Quelques Montalembert menacent de suivre la défection du P. Hyacinthe et de Lamennais. Ils n'ont pas assez, d'humilité pour croire qu'ils ont pu se faire illusion, ni assez de foi pour s'en rapporter à l'assistance de Dieu promise au Concile. Ils se préparent un retour bien difficile… ».]
Au 25 mars, je décrivais la visite solennelle du Pape à l'église de la Minerve. [« C'est aujourd'hui une bien belle fête à Rome. C'est l'Annonciation. Le temps est superbe et le Saint-Père vient de venir à l'église de la Minerve plus solennellement encore que vous ne l'avez vu à Saint-Charles au Corso. Nous l'avons acclamé à son passage devant Sainte. Claire. Il avait avec lui dans son magnifique carrosse doré le cardinal de Bordeaux et un cardinal d'Espagne. Les maisons sont pavoisées et de toutes les fenêtres on a jeté des fleurs sur la voiture du Saint-Père. Les étrangers sont très nombreux et l'animation très grande.
Le Concile a repris ses séances avec activité. Nous allons en avoir presque tous les jours. Les travaux marcheront très bien avec la nouvelle organisation. On tiendra une session publique vers Pâques. On espère encore finir cette année.
Je n'aurai plus lé temps de faire autre chose que de suivre les réunions du Concile. Je ne le regrette pas. Je suis heureux d'assister de près au plus grand événement de notre siècle.
J'ai reçu la visite de M. Noël qui a épousé Melle Parmentier de Vervins. Ils sont ici en voyage de noces. Ils ont été passer quelques jours à Naples. Ils voient un peu Rome en touristes et semblent ne pas y prendre goût.
J'ai vu aussi Allègre, secrétaire de Mgr l'évêque d'Arras, dont vous avait parlé M. Gordien ».]
Au 8 avril: [« … Nous avons eu ici beaucoup de besogne depuis quinze jours, et c'est ce qui fait que je suis un peu en retard â vous écrire. Le Concile a tenu séance presque tous les jours. Les travaux ont avancé et cependant la session publique que l'on espérait tenir pendant la Semaine Sainte n'aura lieu probablement que le dimanche de Quasimodo.
Nous aurons peu à faire dans les 15 jours qui vont venir. J'en profiterai pour me reposer. Je me porte du reste très bien et je suis beaucoup moins fatigué que l'an dernier à pareille époque. Je me promène quelque fois avec Mgr Dours qui est seul depuis le départ de M. Guyart. Notre service sténographique marche bien. Le Saint-Père en est content. On nous donne à mesure toutes les pièces imprimées que l'on distribue aux évêques. Cela nous aidera à bien connaître les travaux du Concile.
Il est toujours à peu près certain que l'on suspendra le Concile à la Saint-Pierre, mais on ne sait pas encore si on le continuera l'année prochaine.
Les fêtes de Pâques promettent d'être très belles. La ville se remplit d'étrangers… ».105) ]
Au 14 avril, jour du jeudi-saint: « Cher père, je t'écris encore parce que je crains 163 plus que la foudre, que tu ne restes en l'état de péché et que tu ne te mettes pas en règle avec Dieu. Je frémis à cette pensée. C'est la seule chose nécessaire. Tu sais bien que je suis prêt à donner tout ce que j'ai, ma santé et ma vie pour assurer ton salut. Il n'y a pas de choix autre que celui-ci: bénir Dieu avec nous toute l'éternité, ou bien être maudit de Dieu et de nous toute l'éternité. Je n'aurai pas de repos que tu ne m'aies annoncé que tu veux être avec nous. Ah! si tu ne déchirais que le cœur de ton fils et si tu ne faisais couler que ses larmes en refusant cela, je te pardonnerais. Mais il y a plus que les tiens, il v a ton Dieu qui s'est fait homme pour toi et qui a versé des larmes de sang, à la pensée que tu, l'oublierais. Il se délectait dans la douleur pour effacer nos fautes. Et ses commandements sont si doux! Il nous oblige à nous asseoir à son banquet et à recevoir ses grâces. Quel honneur et quel bonheur c'est pour nous! Et tu l'as bien éprouvé, car je t'ai vu comme transfiguré quand tu as bien reçu ici la sainte communion.
Pourrais-tu résister à tant de grâces que Dieu t'accorde! Le saint sacrifice est offert souvent pour toi et autant de fois 164 Notre-Seigneur présente à son Père ses blessures en expiation de tes fautes. Ne crains-tu pas d'être abandonné de Dieu et de ne pas faire une bonne mort? Et puis ne sais-tu pas que chaque bonne action que nous faisons est un placement fait à Dieu, qui nous rapportera le centuple. Allons! écris-moi bien vite que c'est fait. Je t'en prie, je t'en supplie. Il le faut. Je puis à peine te parler d'autre chose, tant cette pensée me domine. Je te dirai seulement que j'ai eu le bonheur d'offrir le saint sacrifice aujourd'hui, fête de l'institution de la sainte Eucharistie et du Sacerdoce. Tu sais que le jeudi-saint il n'y a qu'une messe dans chaque église et les autres prêtres reçoivent seulement la sainte communion, en mémoire de la sainte Cène. Mais le Saint-Père a permis aux sténographes, en récompense de leurs travaux, de dire la sainte messe aujourd'hui. Tu penses bien combien j'ai prié pour toi et pour vous tous… ».
Au 28 avril: « Tu es bien long à m'annoncer ton bonheur. J'attends tous les jours le courrier avec anxiété et la bonne nouvelle n'arrive pas. Si tu savais combien je souffre de ce retard tu aurais peut-être pitié de toi-même et de moi. 165 Je ne sais plus quoi te dire pour te déterminer. J'avais jusqu'à présent une confiance entière. Il ne me semblait pas que tu puisses résister. Tout a été mis en œuvre pour te ramener à Dieu. Le ciel tout entier est appelé à ton secours cent fois par jour. Tu es recommandé aux prières de toute l'Église par la Propagation de la Foi, par les confréries de N.-D. des Victoires et de N.-D. du Sacré-Cœur. Notre-Seigneur Jésus-Christ s'offre à son Père pour toi sur l'autel tous les jours avec tous les mérites de sa passion, de son amour et de sa mort. Dieu t'invite à partager son héritage et à vivre éternellement avec lui, et tu veux rester dans la mort. Je ne doutais pas que tu ne cédasses à de si pressantes et si amoureuses invitations, quand une affreuse pensée vient de me venir à l'esprit, c'est que peut-être tu manquerais de courage. Ah! cette pensée me fait horreur. Je ne la développe pas. Non, j'espérerai jusqu'à la fin. Cher père; n'attends donc pas un avenir dont tu n'es pas certain. Vis avec nous dans la grâce de Dieu et l'attente du ciel et la sainte joie de l'espérance. Va à ton souvenir. Qu'au moins une ou deux fors par an tu sois assis avec nous à la table du roi des rois, pour qu'après 166 les courts instants de cette vie, nous soyons ensemble pour l'éternité. Prends courage. Lave toutes tes négligences dans le sang de l'expiation infinie du Fils de Dieu. Regarde cette image que je t'envoie (un Christ en croix) et laisse-toi toucher par tant d'amour. Voudrais-tu continuer à approuver les meurtriers du Fils de Dieu en continuant à rester dans le péché? Écris-moi vite. Pas -de promesses, pas de vains regrets ou de vaines espérances, des faits. J'ai promis à Dieu bien des actions de grâces, veux-tu encore l'en priver? Ah! si tu voyais un peu les choses surnaturelles, tu serais effrayé de l'abîme auquel tu marches et des foudres que tu accumules sur ta tête. Je te supplie d'avoir pitié de ton âme, pitié des tiens, pitié du Fils de Dieu qui frappe à la porte de ton cœur et à qui tu ne veux pas ouvrir ».
Bientôt la bonne nouvelle m'arriva. J'avais fait violence au ciel et à la terre.
Au 2 mai, j'écrivais: «Bien cher père, quelle bonne nouvelle m'a apporté le premier jour du mois de Marie! Comme tu dois être heureux d'avoir vaincu un long respect humain! Quelle joie pour nous de vivre maintenant tous de la même vie franchement 167 chrétienne, vie, pleine d'espérance et qui sera suivie d'un bonheur éternel! Ne te laisse plus jamais séparer de la grâce de Dieu. Reste l'ami et le cohéritier de tous les habitants du ciel. Tu as dépassé en courage la plupart des habitants de La Capelle. Cet acte de généreuse énergie était bien digne de toi. Je retournerai en vacances bien plus heureux que l'an passé, parce que j'irai vivre avec de vrais amis de Dieu.
Tu ne me dis rien d'Henri. (mon frère). N'aurait-il pas eu le courage de t'accompagner? Est-ce qu'il a oublié ce qu'il disait, il y a quelques années? Il te suppliait - comme moi - de remplir tes devoirs religieux, et il ajoutait: si tu ne le fais pas, c'est autoriser tes enfants à ne pas le faire… Je me le rappelle très bien. Il a dit cela. Il ne manquait ni de foi ni de courage alors. Est-ce qu'il ne devrait pas maintenant s'adresser à lui-même ces prières et ces arguments qu'il t'adressait alors? Je savais très bien alors qu'il ne faut pas vendre le ciel pour un moment de paresse ou de gloriole. Il redoutait les jugements de Dieu… Qu'il me rassure vite et qu'il me dise que notre joie est complète et que 168 notre famille est tout entière bénie et aimée de Dieu.
[Le Concile fait son œuvre avec lenteur et maturité. Les journaux vous racontent et exagèrent les divergences d'opinions de quelques évêques. Mais cela n'est rien. Tous veulent le bien et si à la .fin quelques-uns défaillaient, ce qui j'espère n'arrivera pas, l'Église marcherait sans eux. Elle a la promesse de l'assistance de l'Esprit-Saint pour ses décisions; mais ses pasteurs pris individuellement ne sont pas à l'abri des erreurs et des passions. Il peut arriver que quelques-uns, de bonne ou mauvaise foi, résistent à l'Église ou s'en séparent. Il y avait bien un: traître parmi les Apôtres. Ceux-là se perdent et l'Église est toujours vivante et grandissante… ». ]
Au 30 mai, on m'apprend qu'un de mes oncles (du Nouvion) est revenu aussi à la pratique de la religion. Je réponds: «J'ai trouvé votre lettre au retour d'une petite excursion que j'ai faite à la campagne, et je rends grâces à Dieu de toutes les bonnes nouvelles qu'elle m'apporte. Je demandais depuis longtemps cette grâce pour mon oncle…
J'ai donc été passer quelques jours à Albano, respirer l'air des bois et le vent de mer et prendre des forces pour le mois dé juin. [Il y avait trois jours de fêtes: jeudi, l'Ascension; vendredi, Saint Philippe de Neri, et le dimanche. J'ai demandé dispense de la congrégation du samedi et je me suis fait ainsi une petite vacance de quatre jours… Il est probable que la question des vacances du Concile ne sera réglée que vers la Saint-Pierre. Je ne puis donc pas encore faire des projets. La discussion pendante a traîné au commencement, mais elle marche plus rondement depuis quelques jours. On espère arriver à une solution vers la Saint-Pierre ou peu après. Défiez-vous des appréciations des journaux, surtout de la France, qui favorise, je crois, l'opposition peu sage de quelques évêques.. ». ]
Au 12 juin: « Nous avons eu toute cette semaine un spectacle bien touchant. A l'occasion de l'octave de la Pentecôte il y avait tous les soirs dans l'une des principales églises de Rome des prières publiques pour le Concile. Les Romains, avec leur grand esprit de foi, s'y sont rendus en foule. Les ordres religieux et les confréries et associations de chaque paroisse avec leurs 169 costumes variés y allaient en chantant les litanies. Quel beau spectacle qu'une société franchement chrétienne priant Dieu avec ferveur pour les besoins de l'Église! Lundi dernier, c'était à Saint-Pierre. Le Saint-Père s'y est rendu avec tout l'épiscopat et le Sacré Collège. La basilique était presque remplie comme aux plus grandes fêtes, et la place Saint-Pierre était dans tout son beau, ornée des processions de religieux et de confrères qui allaient et venaient en chantant. Ces prières obtiendront au Concile des grâces abondantes… ».
Au 24 juin: [« Je ne puis pas encore vous annoncer mon retour. La session du Concile n'est pas encore fixée. On espère pouvoir la tenir dans quinze jours. Je demanderai à partir aussitôt après. Tous nos évêques sont fatigués, c'est leur intérêt de ne pas nous retenir ici trop longtemps. Ma santé est toujours très bonne. Comme les congrégations du Concile sont très fréquentes, je ne fais plus d'autre travail. Rien n'est encore décidé pour les vacances et la reprise des travaux du Concile.] Nous avons eu une bien belle fête il y a quelques jours. C'était la procession du Saint-Sacrement sur la place Saint-Pierre. Le Saint-Père, précédé de 500 évêques, était porté sur sa Sedia et priait avec une ferveur admirable, agenouillé devant l'ostensoir… Nous avons eu aussi à Santa Chiara une cérémonie bien touchante. Un cardinal (Pecci) a donné le baptême, la confirmation et la première communion à six juifs adultes qui viennent de se convertir au catholicisme. Cinq sont de Bologne et un de Rome. Beaucoup d'évêques y assistaient. Les parrains et marraines étaient des plus grandes 170 familles de Rome. Cette cérémonie s'est faite chez nous parce que l'éducation religieuse de ces juifs a été achevée cet hiver par deux prêtres français qui habitaient à Santa Chiara et qui sont eux-mêmes deux juifs convertis, les abbés Lemann, de Lyon.
Le jour de la fête de Saint Louis de Gonzague, Pie IX est entré dans sa XXVe année de pontificat. La santé n'est pas altérée par toutes ses sollicitudes. On touche heureusement à la fin des petites divisions qu'il y avait au Concile, et j'espère que les décrets de la prochaine session réuniront à peu près l'unanimité… ».
***
A cette série de lettres à ses parents; transcrites par le P. Dehon lui-même dans les NHV, nous en joignons trois autres adressées à son ami L. Palustre. Elles présentent un certain intérêt.
Rome, 5 février 1870
Le Concile absorbe une grande partie de mon temps et ne m'en laisse guère pour mon travail et ma correspondance. Nous avons chaque semaine trois ou quatre longues séances d'où nous ne sortons qu'une heure ou deux après les évêques.
On a déjà discuté et préparé plusieurs projets de décrets, mais on n'avance que lentement et il paraît probable qu'il faudra reprendre le Concile l'hiver prochain après quelques mois d'interruption. L'œuvre du Concile sera certainement considérable et elle ne rencontrera pas les difficultés intérieures qu'imaginent ou grossissent les journalistes.
Tu ne ménages pas dans ta dernière lettre ni Veuillot ni les architectes de Rome. Je savais que tu n'aimais ni ceux-ci ni celui-là. Tu les juges avec ton ardeur habituelle. Tu pourrais être un peu plus indulgent pour des hommes qui ne manquent ni de talent ni de bonne volonté. Je n'approuve pas toujours le ton de L. Veuillot, mais je sais gré à son journal de défendre autant qu'il peut la bonne cause. J'aimerais qu'il le fît toujours avec la courtoisie et la modération que tu admires sans doute comme moi dans les lettres de Mgr Dechamps.
Quant aux architectes de la salle du Concile, ils l'avaient disposée avec goût et avaient admirablement tiré parti de l'emplacement qu'on leur avait assigné, sans laisser ignorer qu'il serait difficile de s'y entendre. Ils ont depuis habilement tiré parti de ce qui existe en séparant pour les congrégations par une tenture une partie de la salle où les évêques se resserrent et s'entendent parfaitement.
Tu attends sans doute que je te dise ce que l'on pense à Rome de la question tant agitée en France de l'infaillibilité du Pape. Si je ne me trompe, cette infaillibilité sera prochainement définie conformément à l'enseignement constant de l'Église. Les oppositions récentes n'auront fait que rendre nécessaire et opportune la proclamation d'un dogme qu'elles contestent ».
Castel Gandolfo, 8 juillet 1870
J'ai attendu longtemps pour t'écrire, toujours incertain sur l'époque et la durée de mes vacances. Je les attends avec impatience. J'en ai grand besoin pour ma santé. J'espère du reste qu'elles commenceront bientôt, dans une quinzaine de jours environ. Rien n'est encore fixé, mais voici les probabilités. Un grand nombre d'évêques s'en iront pour trois mois après la prochaine session. Le Concile ne sera pas suspendu. Les évêques qui resteront à Rome prépareront quelques décrets. Pour nous, la moitié du corps sténographique va s'en aller en vacances, et si on a besoin d'eux on les rappellera pour remplacer les autres qui iront à leur tour en vacances en septembre. Je suis donc exposé - à mon grand regret, à n'avoir que six semaines de repos. Dans cette perspective j'incline fort à m'en aller directement dans ma famille, sauf à passer par la Touraine à mon retour si on ne raccourcit pas mes vacances.
Tu ne m'en voudras pas de prendre si tard une résolution. Je ne pouvais pas la prendre plus tôt. On espérait encore il y a quinze jours tenir la session à la Saint-Pierre. Je comptais bien alors me rendre à Tours pour le 15. J'en avais déjà averti mes parents qui me chargent de t'inviter de nouveau à revoir La Capelle, et à y conduire ta femme comme tu le leur as fait espérer. Le voyage est devenu plus facile, par le chemin de fer de Vervins à Laon.
Tu vois à la date de ma lettre que j'ai fui le soleil de Rome. Je suis venu passer quelques jours d'intervalle entre deux congrégations du Concile chez les franciscains de Castel dans le site délicieux, que tu conviais, en vue de la mer et du lac d'Albano. Ce séjour est moins fatigant que celui de Rome.
Nous touchons à la fin de la première période du Concile. Elle a été assez agitée et elle va finir par une définition probablement unanime de l'infaillibilité du Pape. Cette soumission des évêques opposants réparera largement le scandale qui avait pu naître de leur résistance un peu obstinée. On continuera l'année prochaine, mais on ne finira probablement pas.
Je compte bien que nous trouverons quelques moyens de nous voir ces vacances. Nous causerons alors plus longuement. Si dans quelques jours je voyais la possibilité d'aller à Tours, je t'en préviendrais ».
La Capelle, 26 juillet 70
J'avais un grand désir de passer par Tours en revenant de Rome, mais le retard de la session, la fatigue et l'impatience dé mes parents m'ont fait remettre cette partie de plaisir. Je compte bien qu'elle ne sera que différée et que je pourrai exécuter mon projet au mois d'octobre. Je passerai alors par Poitiers, Bordeaux, Toulouse et Marseille pour me rendre à mon poste.
J'ai quitté Rome le lendemain de la session. Le Concile est en vacances jusqu'à la Saint-Martin. Les évêques se sont empressés de quitter le climat brûlant d'Italie pour venir se reposer chez eux. J'ai fait route de Rome à Lyon dans la charmante compagnie de Mgr Pie qui a dû trouver dans son diocèse une réception triomphale. Il y a bien droit. C'est lui qui a fait le plus d'honneur à l'épiscopat français au Concile.
Nos travaux reprendront au mois de novembre si toutefois la politique n'y vient pas mettre des entraves et si la guerre n'amène pas une suspension du Concile.
Bien que je sois revenu beaucoup mieux portant que l'an dernier, j'ai bien besoin de ces trois mois de repos. Les derniers travaux du Concile ont été accélérés à nos dépens.
J'ai trouvé ici tout le monde bien portant. Mes deux petites nièces me seront une charmante distraction. La saison est belle comme partout et la fraîcheur du climat de La Capelle est cette année très précieuse. Je suis sûr que tu reverrais notre pays avec plaisir. Viens, s'il est possible, passer quelques jours avec nous. Nous serons assez loin des prussiens pour n'avoir rien à en craindre ».
TRAVAUX DE MAI
1. [47e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 29 AVRIL.
On reprend la question du petit catéchisme.106) Le Concile y aura consacré une partie notable de ses travaux, et ce sera sans résultat, la constitution préparée ne devant pas être promulguée.
On entend un long rapport de Mgr Wierzchleyski, Leopolitanus, sur les amendements proposés.
Le cardinal Donnet loue l'unité de catéchisme. Il ne faut pas, dit-il, se laisser effrayer par une crainte vaine ou même diabolique d'exagérer le pouvoir du Saint-Siège. Si le catéchisme unique avait existé, on ne 171 verrait pas en Allemagne et en France tant de gens qui ignorent et méconnaissent les prérogatives de l'infaillibilité du Saint-Siège.
Le cardinal Rauscher: discours lu par Mgr Hefele. Le catéchisme unique devrait être seulement recommandé. On ne pourra l'introduire en Autriche sans l'assentiment du gouvernement, et on provoquera de nouvelles récriminations contre les prêtres. L'orateur fait ensuite un pompeux éloge de son gouvernement, ce qui soulève des protestations assez générales.
Mgr Rota, de Guastalla, défend le schéma.
Mgr Vérot, de Saint-Augustin, demande qu'on fasse une rédaction d'essai du catéchisme avant d'en décider l'admission.107)
A la fin de cette congrégation on annonce l'introduction de la question de l'infaillibilité, pour rétablir la paix et la tranquillité des consciences.108)
2. [48e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 30 AVRIL.
Mgr Dubreil, archevêque d'Avignon, défend le catéchisme de l'Empire, qu'on a attaqué.109) Il a été approuvé par le cardinal Caprara. L'orateur fait alors un éloge pompeux de l'Empire, auquel on doit, après Dieu, le rétablissement du culte en France. Il complimente le cardinal Bonaparte. Ce discours est mal accueilli. 172
Mgr Baillès, ancien évêque de Luçon, demande qu'on nomme une commission d'évêques pour la rédaction du catéchisme.
Mgr l'évêque [Cantimorri] de Parme défend l'unité de catéchisme et réfute Mgr Vérot.
On entend encore les évêques [Margueryel d'Autun, [Ketteler] de Mayence, [Vaughan] de Plymouth.
Mgr Clifford, de Clifton, demande aussi une commission d'évêques. Mgr l'évêque [Eberhard] de Trèves demandé que les évêques aient la liberté d'intercaler des additions dans le catéchisme.
Mgr Zwerger, évêque de Seckau, expose le sentiment de la commission sur cette faculté d'ajouter au catéchisme des additions.110)
3. [49e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 4 MAI.
Rapport de Mgr Zwerger, évêque de Seckau, sur des observations et amendements qui ont été proposés directement à la commission.
Vote de plusieurs amendements.
Vote du schéma entier.111) 591 votants: 491 placet; 56 non placet; 44 iuxta modum.
4. [50e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 13 MAI.
Rapport sur les modi proposés. Le rapporteur est Mgr Marilley, évêque de Lausanne. 173
Tout a déjà été jugé, dit-il, par la majorité. Il n'y a rien de nouveau à proposer aux votes. Le Saint-Siège tiendra compte de ce qui est demandé par les Orientaux.112)
Rapport de Mgr Pie sur l'introduction du 1er schéma de l'Église.113) Long discours plein d'autorité et très goûté.
Il analyse le schéma. Il est frappé de cette idée qu'avec la manière dont on traite aujourd'hui l'Écriture Sainte et la Tradition on n'arriverait plus à définir certains dogmes comme les sacrements d'extrême-onction, de la confirmation et même la présence réelle. Heureusement le Concile de Trente et les autres ont défini tous ces dogmes.
Il se demande ensuite comment en traitant des prérogatives du Pape on n'aurait pas défini son infaillibilité. Il supplie enfin qu'on n'oppose plus cette prétendue séparation possible du Pape d'avec les évêques. Saint Pierre n'a pas été décapité. Il porte sur son chef, qui figure la papauté, tout son corps qui figure l'Église (Lettre de S. Léon IX au patriarche de Constantinople).
5. [51e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 14 MAI. 174
Discussion générale.114)
Le cardinal Vicaire [Patrizi]. Discours plein d'autorité. Il convenait, dit-il, qu'il affirmât, à titre de doyen des cardinaux; sa foi aux prérogatives de Pierre. Les attaques récentes ont troublé la paix de l'Église, il faut la rétablir.
Mgr Alemany, évêque de S. Francisco, est favorable.
Mgr Natoli; de Messina: Hoc unum in corde fidelium, hoc, unum in ore… Les Messanais ont reçu cette foi des Apôtres. Leur foi est garantie par la protection de la Sainte Vierge, à laquelle les. premiers, citoyens de Messine convertis sont allés rendre hommage. Elle accepta le patronage de la ville et leur donna un gage de son affection (sa lettre).
Mgr Dusmet, de Catane: même sens..
Mgr Rivet, de Dijon: long discours anti-opportuniste. Ton grave et morose. Trois points: 1. la définition est pluribus intolerabilis; 2. nociva (plusieurs y perdent la foi); 3. inutilis; on est assez dévoué à l'Église. Il rappelle les précautions prises pour la définition de l'Immaculée-Con-ception, les ménagements qu'on a eus à Trente pour les gouvernements.
Mgr Ranolder, Veszprimiensis: la définition serait nuisible. Il espère crue Pie IX, qui ne l'a pas introduite, la retirera. Les 175 catholiques et les prêtres ont déjà trop souvent la honte d'affirmer des vérités qu'ils ne savent pas prouver!!!
Mgr Conde y Corral, de Zamora [Espagne], est favorable.
Mgr Celesia, Pactensis, id. Il y a une conspiration générale contre l'autorité civile et ecclésiastique. Il faut y mettre ordre. Autrement elle grandirait. On voit déjà des associations «del clero emancipato», contre l'autorité ecclésiastique.
6. [52e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 17 MAI.
Mgr Dechamps, au nom de la commission. Discours serré et bien rempli, répondant principalement à l'évêque de Dijon: «Non est infallibilitas absoluta, sed relativa ad depositum fidei; non personalis, sed officii; non separata; non per revelationem sed per assistentiam, per gratiam status. Non est onus importabile: an Evangelium est onus importabile? Qui quaesierunt difficultates historicas, «in illa nocte nil invenerunt», quia non in verbo Dei laxarunt rete. Non est tempus arcani, sed praedicanda veritas super tecta quia error praedicatus est super tecta. Nec dicendum «non possumus portare modo», quia est constans praxis Ecclesiae, etiam 176 Galliae, etiam saeculi XVII… ».
Mgr David: il faudrait d'abord traiter de l'Église; ensuite ne pas infliger la note d'hérésie même matérielle à tarit d'illustres théologiens: ne pas définir une opinion, si probable et si respectable qu'elle soit:
Mgr Greith, de Saint-Gall: «omittenda definitio duplici ex capite, o difficultates temporis praesentis et ob difficultates quaestionis ipsius ».
Mgr Hefele: on n'a pas répondu victorieusement aux difficultés tirées des Conciles. Le Concile de Chalcédoine a approuvé la lettre de Saint Léon, donc il pouvait la désapprouver… Il y a aussi la question d'Honorius.
7. [53e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 18 MAI.
Mgr Garcia Gil, de Sarragosse, répond au nom de la commission aux difficultés de la veille.
Lé cardinal Schwarzenberg tire ses objections de l'historique de la controverse actuelle. Elle a été soulevée par les journaux catholiques de Rome et de Paris. On doit tenir compte de 137, évêques qui représentent 177 47 millions de fidèles. L'histoire prouvera qui avait raison des deux partis.
Le cardinal Donnet: discours peu intelligible. Les vrais catholiques accepteront volontiers la définition. Il espère que le Saint-Esprit convaincra les inopportunistes.
Le cardinal Rauscher: discours lu recto tono par Mgr Hefele. L'infaillibilité n'est contenue ni dans l'Écriture ni dans la tradition, qui n'a pas connu ce mot.
8. [54e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 19 MAI.
Le cardinal Cullen répond pendant une heure trois-quarts aux objections de la veille. Il réfute Mgr Hefele par ses propres écrits. Il répond en toute liberté, avec facilité et énergie aux cardinaux Schwarzenberg et Rauscher.
Le cardinal Moreno défend avec animation l'opportunité. La vérité est attaquée. Le Concile est provoqué: s'il ne définissait. pas, la vérité recevrait un terrible échec.
Mgr Jussef, patriarche melchite, ne dit rien de l'infaillibilité. Il voudrait que pour la primauté on se contentât de répéter le décret de Florence, pour ne pas éloigner davantage les Grecs. La 178 juridiction directe et immédiate du Pape ne peut s'exercer en Orient que dans des cas tout à fait extraordinaires.
9. [55e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 20 MAI.
Mgr Simor, combat l'opportunité, bien qu'elle soit jugée par cela même que le schéma est distribué. Il le fait pour ne pas avoir la responsabilité des périls que courront les Orientaux, spécialement en Hongrie: «ne me canem non valentem latrare exhibuerim. Inimicus homo seminavit zizaniam». Le Saint-Père n'avait pas indiqué cette question, elle n'est pas assez préparée.
Mgr Mac Hale, archevêque de Tuam: long et ennuyeux discours contre le projet. Ces questions sont soulevées par esprit de réaction contre les oppositions au Saint-Siège et ne doivent pas être définies.
Mgr Maddalena, évêque de Corfou: on a exagéré les dangers de cette définition pour les Grecs. C'est un peuple pétrifié, orgueilleux et ignorant, qui fait de la religion une question de nationalité. Leurs prêtres ne savent que lire et n'enseignent pas. Si quelquefois on explique l'Évangile dans leurs églises, c'est un laïque, 179 souvent le pharmacien de l'endroit. Il n'y a rien à espérer d'eux à moins que l'athéisme y pénétrant par l'indifférence ne les prépare à un retour complet.
Mgr Darboy: il faudrait donner une formule convenable et non une formule obscure qui renvoie à l'infaillibilité de l'Église. Il faudrait exprimer la nécessité dé l'assentiment des évêques, qui est toujours requis même pour que les fidèles acceptent les Conciles généraux. Il faudrait prouver cette formule par l'Écriture et par la Tradition constante: quod semper, quod ubique, quod ab omnibus, avec tous les Pères évêques et théologiens. Enfin il faut redouter les conséquences de cette définition.
10. [56e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 21, MAI.
Mgr Leahy, archevêque de Cashel, répond au nom de la commission. Il rappelle la foi de l'Irlande, reçue de Saint Patrice, qui leur a dit de recourir à Rome dans les difficultés. Il répond aux objections des jours précédents sur le fond et l'opportunité. La définition est nécessaire. Si elle offre quelque danger en Allemagne, 180 la non-définition en offrirait partout pour l'Église et le Saint-Siège, qui perdraient leur autorité. Mgr Raess, de Strasbourg: même thèse. La définition est nécessaire et sera bien reçue des vrais croyants. Sa nécessité est prouvée par l'attitude même des protestants et des mauvais chrétiens qui en ont peur, et qui ne désirent qu'une chose, c'est que le Concile se taise et se sépare. (Mgr Haynald dit à son voisin, l'évêque de Baltimore: ce sont des indignités, des impertinences, il en aura de moi. Un peu après il dit à demi-voix: «numquam erit opportunum».
Mgr Trucchi, de Forli, prouve l'opportunité: 1. ex necessitate; 2. ex desideriis piorum.
Mgr Petagna, de Castellammare: le gallicanisme n'est pas l'opinion de la vraie Église de France ni du vrai clergé français. Il demande un canon et une définition formelle.
1.1. [57e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 23 MAI.
Mgr Hassun, patriarche maronite, répond au nom de la commission au patriarche 181 grec sur trois chefs: 1. Le schéma serait contraire au type de l'Église selon les Pères; 2. contraire aux Saints Canons; 3. contraire au Concile de Florence.
Ad 1um: le type, qui poussé à l'extrême est hérétique, considère l'Église divisée en cinq patriarcats, de sorte que le Pape soit seulement le 1er patriarche. C'est opposé aux Pères de l'Orient qui ont toujours considéré le Pape comme le seul chef, le juge des patriarches, etc. (nombreuses citations).
Ad 2um: les patriarches sont d'institution ecclésiastique, et c'est seulement au patriarcat de Rome et non à la primauté de Rome qu'ils sont comparés…
Mgr de Ketteler. On n'a pas eu de bonnes raisons de présenter d'abord et séparément ce schéma. Il faut traiter ensemble de toute l'Église, pour calmer les esprits, et parce que la primauté, «Pasce oves», n'a été instituée qu'après l'Église et que les théologiens n'en traitent qu'après l'Église. L'infaillibilité est une doctrine pieuse que l'orateur a toujours enseignée, mais pas assez certaine pour être définie. Les dogmes fondamentaux seuls doivent être définis et seulement quand ils ont 182 toujours été admis et par tous.
Mgr Cousseau, d'Angoulême, prouve la nécessité de la définition par la question du jansénisme, de la Petite Église, etc. qui n'auront plus d'échappatoire.
Mgr Ginoulhiac: le schéma est maigre et incomplet. Le Pape y est trop séparé. Les Pères ne le considéraient pas comme tel, mais s'en tenaient à l'autorité des églises apostoliques, du corps des pasteurs, etc. (citations). Il faudrait représenter ainsi le Pape comme juge avec le collège apostolique et épiscopal…
12. [58e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 24 MAI.
Mgr de Preux, évêque de Sion, au nom de la commission répond éloquemment à l'évêque de Saint-Gall. Il n'y a rien à craindre pour la Suisse. À défaut de ce prétexte pour persécuter les catholiques, le gouvernement en trouverait d'autres. Si même il y avait à souffrir, il faudrait le faire pour le bien de l'Église. C'est le bien de l'Église que l'autorité de son chef, le développement de son dogme, la condamnation des erreurs rendue plus facile; plus prompte. C'est l'honneur du Concile de ne pas craindre 183 de définir… Il remercie l'évêque de Saint-Gall d'un ouvrage sur l'Irlande dont il lui a fait hommage et qui défendait l'infaillibilité.
L'évêque d'Urgel répond à quelques difficultés. Saint Léon a expliqué l'utilité des Conciles non pas «ad definiendum», ce qu'il pouvait faire seul, mais pour que l'erreur soit plus efficacement détruite pleniori Concilio. Les évêques ont jugé les définitions dés Papes comme au jugement dernier les Apôtres jugeront après le jugement particulier prononcé par Notre-Seigneur…
Mgr Salas, évêque Chilien [Concepción]: discours éloquent et plein d'esprit. Toute l'Amérique du Sud désire cette définition. On oppose les grands diocèses, il y en a aussi de grands qui la désirent, et puis: an potentiorum civitatum etiam potentiores Ecclesiae? An ubi potentiores civitates, ibi scientia, veritas, etc.? «Non multi sapientes, non multi nobiles… infirma mundi elegit Deus ut confundat fortia». On écarte les missionnaires apostoliques, que peut-on leur opposer: Ministri Christi sumus, ils répondront: plus ego… in multis laboribus, in carceribus, in vigiliis, etc. Qui sunt isti magistri episcoporum, qui 184 viennent dans des libelles gratuits, hospite insalutato, et s'introduisent chez les évêques pour leur donner des leçons de morale…
Mgr Rota, de Guastalla: la doctrine de l'infaillibilité est certaine et n'est condamnée par aucune école, aucun auteur; l'autre est proche de l'hérésie. Que les opposants prennent garde à leur conscience… Quant aux autres s'ils se trompent, ils auront droit de le reprocher à Dieu, qui a muni cette doctrine de tant d'autorité et d'arguments.
13. [59e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 25 MAI.
Mgr Manning [de la députation] laisse aux autres la question théologique. Il parle des protestants. Il a une double expérience: il a vécu quarante ans dans le protestantisme et vingt dans le catholicisme. Il a eu et il a encore avec eux les plus intimes relations. Ils s'étonneraient si l'Église ne définissait pas ce qu'elle croyait et ce qu'elle avait dans sa Tradition, elle qui tient pour révélé ce que tiennent la Tradition et l'École. Lui-même avant sa conversion était éloigné de l'Église catholique parce qu'il voyait les ultra-montains et les gallicans divisés sur le sujet de l'infaillibilité et sur l'œcuménicité de certains Conciles. 185
Mgr Mac Evilly, Galviensis, irlandais: discours énergique dans le même sens. Il atteste la foi de l'Irlande. Il a assisté, il y a vingt ans, à un concile national où on a affirmé ce dogme. Toute l'Irlande demande cette définition, même les réunions de laïques. Il condamne ces brochures, anonymes ou non, qui font la leçon aux évêques contre la foi de l'Église.
Mgr Clifford, évêque de Clifton, suppose (avec raison) qu'il est importun en venant encore parler de l'inopportunité. Il s'étend sur les conditions du gouvernement anglais, le serment prêté autrefois et approuvé par Rome «qu'on n'était pas obligé à tenir l'infaillibilité du Pape». Il abandonne les arguments des grands évêchés et de l'opinion.
14. [60e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 28 MAI.
Mgr Senestrey, évêque de Ratisbonne: au nom de la députation. Cette croyance a été donnée à l'Allemagne par Saint Boniface. Il cite Albert le Grand etc.
NN. SS. [Gérault de] Langalerie et Maupoint renoncent à leur tour de parole.
Mgr Vérot. La définition serait un sacrilège! La foi des Irlandais ne prouve rien. Ils 186 croient même à l'infaillibilité de leurs curés et battraient qui la nierait. Les incrédules rient des pratiques et croyances religieuses. A quelqu'un qui riait de voir bénir les ânes, il a répondu que pour en comprendre l'efficacité, il fallait se mettre à leur place… L'orateur est interrompu plusieurs fois par des exclamations générales. Le cardinal Capalti lui dit: «Si non habeas nisi nugas addendas, cedas locum alteri». On donne la parole au suivant.
Mgr Bonnaz, Csanadiensis, au nom des orientaux: «doctrina talis de primatu et infallibilitate est nova et inaudita».
Mgr Bravard, de Coutances, développe les inconvénients extrinsèques de la définition. Il rapporte que l'évêque d'Evreux s'estimait heureux d'avoir envoyé à Rome ses observations contre cette définition et de mourir avant la discussion.
Mgr Papp-Szilágyi, évêque de Gross-Varadin. Il n'y a rien à craindre pour les Orientaux. Cette doctrine est dans leur liturgie et dans les Pères Grecs.
15. [61e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 30 MAI.
Mgr Spalding, de Baltimore, au nom de la députation: il n'y a rien à craindre pour 187 les protestants. On ne demande pas l'infaillibilité séparée. L'Église ne peut pas être décapitée ni mourir. On a cité son prédécesseur Kenrick, il prouve qu'il a tenu l'infaillibilité et qu'il a écarté seulement l'hypothèse dé la séparation.
Mgr Le Breton, évêque du Puy, renonce à son discours. Il demande seulement qu'on abrège la discussion générale. Il condamne les brochures actuelles.
Mgr Lachat, de Bâle, atteste la foi de son diocèse. Si ses prédécesseurs avaient tenu cette doctrine, il n'aurait pas à pleurer le triste état de ce pays.
Mgr Lenti, de Nepi, renonce aussi à son discours et demande qu'on arrive à la discussion spéciale. L'opportunité de la question a été jugée par le Pape après les deux postulata. Peu dé Pères, un ou deux, contredisent le fond: qu'on arrive à la discussion spéciale.
Mgr Gastaldi, de Saluces, est heureux d'avoir à défendre les prorogatives de Pierre toujours vivant dans ses successeurs. Il est triste de voir la division de l'épiscopat qui serait déjà terminée si on avait commencé par cette question. Il passe en revue éloquemment les difficultés 188 tirées de l'Écriture, des Pères, de la raison…
Mgr Garrelon, Nemesinus (vicaire apostolique de Quilon), lit rapidement un discours favorable.
16. [62e] CONGRÉGATION GÉNÉRALE DU 31 MAI.
Mgr Schaepman, archevêque d'Utrecht, au nom de la commission. L'épiscopat hollandais est unanime et ne craint rien pour les protestants. L'abbé de Saint-Paul renonce à la parole.
Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem. Beau discours. Il compare le gallicanisme au monothélisme, les objections des gallicans à celles de Sergius et de Pyrrhus, la marche de l'hérésie, la définition…
Mgr Claret y Clarà, Traianopolitanus in part. (espagnol). Discours favorable.
Mgr Purcell, de Cincinnati, tient et a souscrit dans les conciles particuliers qu'on doit obéir aux décisions du Pape et qu'on ne doit pas en appeler aux Conciles; mais il ne peut en conscience souscrire au décret. Il ne sait pas quand le Pape parle ex cathedra. Parle-t-il toujours ainsi? Les Papes se sont souvent trompés et ont été contredits par l'Église, tels Vigile, Zosime, etc. Et puis on n'a pas encore déclaré avec autorité que l'Église renonçait au droit sur les royaumes. 189 Bonïface VIII, Paul III, Pie V ont cru avoir reçu de Dieu ce pouvoir. On objecte les Conciles de Lyon et de Latran, mais ceux-ci ne parlent pas de droit divin. Les peuples et les rois s'opposeront à l'Église, craignant qu'on ne déduise de l'infaillibilité cette autorité sur lés nations.
Mgr Connolly, archevêque d'Halifax, oppose à Mgr Manning le péril qu'offre la définition pour les protestants d'Amérique. Il ne s'oppose qu'à l'opportunité. Lé gallicanisme n'est noté par les Papes d'aucune censure, quoi qu'en ait dit Mgr Manning. Les censures données par les théologiens ont été déclarées plusieurs fois par les Papes n'avoir pas de valeur. C'est une question libre. Lui rejette la définition et ne permettrait pas d'enseigner cette doctrine.
17. AUTOUR DU CONCILE EN MAI.
Au 2 mai, L. Veuillot écrivait: «Il est question de cinq ou six notes dans le goût de la note Daru.115) Elles ont été, dit-on, remises ces jours-ci au cardinal secrétaire d'État par diverses puissances plus ou moins catholiques: France, Autriche, Prusse, Bavière, Portugal. L'Angleterre aurait daigné apostiller la note 190 française. L'Angleterre se trouve en droit d'intervenir, sans doute pour garder la religion d'Irlande! A ce titre, nous ne voyons pas pourquoi la Russie s'est abstenue; n'a-t-elle pas à garder la foi de la Pologne, menacée par l'infaillibilité? Un évêque me disait: je pense que le Saint-Père, réunissant toutes ces notes, leur donnera la bénédiction de l'encens: ab illo benedicaris in cujus honore cremaberis. Non, les notes ne seront pas brûlées. Elles passeront aux archives, réunies à beaucoup d'autres du même genre, qui depuis un siècle attestent la sagesse des gouvernements chrétiens de l'Europe, et leur servent de monument mortuaire».116)
Au 25 mai, L. Veuillot recevait un magnifique bref du Pape comme récompense de sa vaillante campagne. Au 8 mai, il avait remis au Saint-Père l'adresse suivante: «Très Saint-Père, prosterné à vos pieds, j'apporte une nouvelle offrande fournie par la souscription ouverte dans les bureaux de l'Univers afin de vous aider à subvenir aux frais du Concile (100.000 fr.). Cette souscription, qui continue, est alimentée par l'obole du pauvre, surtout par l'obole du prêtre, plus pauvre en France que les plus pauvres, mais plus généreux que les plus opulents. Ces oboles sont des actes de foi et d'amour envers 191 le Vicaire de Jésus-Christ. Elles confessent votre mission d'autorité et de salut. Elles remercient notre Sauveur qui a donné Pierre au monde, et qui, en nos jours inquiets, vous a mis sur ce trône de lumière et de justice pour abattre, pour confirmer et pour édifier, de telle sorte que par ce magistère infaillible nos esprits reçoivent la certitude et nos âmes la paix. Pour lés souscripteurs; pour les collaborateurs de l'Univers et pour moi, leur heureux intermédiaire, j'implore humblement la bénédiction apostolique». Louis Veuillot.117)
Le Saint-Père a daigné répondre par le Bref suivant: «A notre cher. fils Louis Veuillot, Pie IX, Pape. Cher fils, salut et bénédiction apostolique. Les marques de dévouement et d'amour que Nous avons reçues de vous, en votre nom et au nom de vos collaborateurs lorsque vous Nous offriez la riche souscription confiée à votre journal par les fidèles, Nous ont été très agréables, et l'offrande elle-même Nous a fait un vif plaisir, parce qu'elle est le gage de la piété filiale d'un grand nombre et aussi parce qu'elle est le fruit du combat que vous soutenez depuis longtemps pour la religion et pour ce Saint-Siège. 192 Ce don Nous a paru encore plus beau et plus noble, lorsque Nous avons appris que c'est principalement par le clergé secondaire de France, si dénué de ressources, que ces secours ont été réunis pour Nous. Le nombre de ceux qui ont concouru à cette couvre d'autant plus grand que les offrandes individuelles ont dû être plus petites, d'où il résulte clairement que l'antique simplicité de la foi vit dans la plupart, et que ce clergé est tel qu'il travaille ardemment à confirmer et à promouvoir l'union étroite des âmes avec cette Chaire de Vérité. Rien ne peut Nous être plus doux en ce temps où, le cœur rempli d'affliction, Nous voyons quel péril font courir aux âmes les erreurs qui se multiplient partout, et par quels efforts les ennemis de l'Église et de ce Saint-Siège travaillent à séduire nos fils et à les séparer de tous. C'est pourquoi Nous vous félicitons, vous et vos collaborateurs, de l'heureux résultat de vos travaux: Nous félicitons ceux qui le font servir à l'affermissement de leur propre piété; Nous félicitons le Clergé qui, uni dans une action commune, vous soutient par son exemple et par son zèle, et Nous demandons pour tous une récompense digne de leur religion et de leur charité. Comme gage de la faveur divine et de notre bienveillance paternelle, Nous donnons avec 193 amour la bénédiction apostolique à Vous, cher fils, à vos collaborateurs, à votre famille et aux autres, objet de nos louanges.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 19 mai 1870, de notre Pontificat l'an vingt-quatre ». Pie IX, Pape.118)
Le Pape avait voulu encourager ses amis et montrer une fois de plus la voie à suivre. Il constatait la foi du clergé de France et son union au Saint-Siège.
Le 25, c'était la belle fête de l'Ascension. Le Saint-Père se rendit à Saint-Jean de Latran, et du balcon de la basilique il bénit la foule immense qui remplissait la place. On entendait sa voix pleine et harmonieuse jusque dans l'avenue qui s'en va vers Sainte-Croix de Jérusalem.119) Le 27, il se rendit à Saint-Philippe de Néri. L'accueil populaire a été comme toujours aussi enthousiaste qu'ému.120)
Une nouvelle brochure anonyme a paru sous ce titre: L'unanimité morale nécessaire dans les Conciles.121) C'est habile: Les arguments sont tirés de Bossuet dans sa Défense de la déclaration de 1689.122) 194 En fait on a recherché à Trente l'unanimité morale. C'était facile. Les protestants s'étaient retirés. S'ils avaient pris part au Concile, il aurait bien fallu passer outre et les condamner quand-même.123)
TABLE DES MATIERES
Le Concile: lère session, 8 décembre 1870 1
La salle du Concile 11
Composition du Concile 12
La langue commune 13
Schismatiques et protestants 14
Les nations 17
Les vicaires apostoliques 18
Quelques noms 28
L'opposition et ses causes 36
Mes fonctions 42
Les grandes commissions 44
Les premiers travaux 48
La Ile session: 6 janvier 53
Prédications à St-André 54
Nos travaux en janvier 57
Autour du Concile en janvier 71
Travaux de février 78
Autour du Concile en février 96
Travaux de mars 106
Autour du Concile en mars 119
Travaux d'avril 123
A la veille de la IIIe session 132
La IIIe session 136
Autour du Concile en avril 139
Les fêtes de Pâques 139
21 avril: la luminara 142
Correspondance 145
Ma famille 151
Travaux de mai 170
Autour du Concile en mai 189