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XIV Cahier

=====Notes sur l’histoire de ma vie

VIIe Période: Saint-Quentin – Congrégation et Institution: 1877-­1893

Année scolaire 1879-1880 (suite)

Comme en beaucoup de collèges ecclésiastiques, nous avons vou­lu former une petite Académie d'élèves particulièrement dévoués aux belles-lettres. C'est un stimulant pour le travail. C'est aussi pour les grands un préservatif ou un dérivatif pour les passions de leur âge en occupant leur esprit d'idées élevées.

L'Aigle du 29 février 1880 donnait cette note: «Le mardi 24 s'est fondée sans bruit l'Académie de l'Institution. Outre le but commun à toutes les académies, l'encouragement au travail et la récompense du mérite, celle de St Jean aura l'initiative de tout ce qui intéresse notre petit journal. Ses membres formeront / le conseil de rédac­tion et c'est à eux qu'incombera le soin de composer des articles ou d'en demander à leurs condisciples. Voici quelles sont les condi­tions requises pour être admis à faire partie de l'Académie: 1° ap­partenir au grand quartier; 2° occuper dans sa classe un rang assez distingué; 3° N'avoir pas eu depuis trois mois de notes inférieures au trois (bien); 4° présenter un travail que les membres actuels re­steront libres d'agréer ou de refuser. Ce travail, laissé au choix de chacun, devra être soit une composition française, soit une pièce de vers latins, soit la traduction d'une page intéressante des littératures grecque, latine, anglaise ou allemande. - Membres fondateurs, MM.Cornilus, Delloue, G. Lefèvre, Lamour-Damey, Damiens, Hazard, Mercier, Baudelot. - 14 mars: l'Académie a élu pour Président M. Albert Delloue (1), et pour assistants MM. Gustave Lamour-Damey et Georges Lefèvre. Elle a reçu dans sa der­nière séance MM. Pierre Courtois, Louis Vilfort et Florent Martigny.

- A la fête de S. Léon, ce sont les membres de l'Académie qui in­terprétaient / et avec un véritable succès le drame de Henri de 3 Bornier: la Fille de Roland.

L'Aigle du 16 mai disait: «L'Académie de l'Institution allait faire ses premières armes. C'était bien audacieux à elle d'inaugurer ses modestes séances par la représentation d'un drame aussi justement célèbre qu'est la Fille de Roland. Comment des jeunes gens peu exercés à la déclamation, obligés de prendre sur de bien courts loi­sirs le temps d'apprendre et de répéter un rôle, pouvaient-ils espérer quelque succès auprès d'un public, sympathique sans doute, mais devant lequel ils osaient se présenter dans des condi­tions si défavorables? D'autre part, on va répétant que la France se meurt à cause de l'abaissement des caractères et de la faiblesse des volontés; on dit que jamais l'ambition et la cupidité ne firent com­mettre plus de forfaitures et de félonies. Rappeler à une génération qui l'oublie, la loi trop méconnue du sacrifice et de l'expiation, la secouer sur cet oreiller de l'égoïsme où l'endorment si complaisam­ment 4 l'orgueil et la mollesse, pour la ramener à ses traditions de / vaillance et d'honneur, pour lui apprendre qu'il y a au monde des devoirs dont rien ne peut affranchir… oui, rappeler toutes ces choses était bien opportun à l'heure présente, et pour les rappeler, nous ne pouvions rien trouver de plus saisissant que le drame «La Fille de Roland.»

De fait, la plupart des acteurs firent très bien.

Pour montrer comment nos jeunes académiciens profitaient de leurs travaux et de leurs récréations littéraires, je citerai une pièce de vers de Gustave Lamour-Damey, où l'on sent l'influence du style de Henri de Bornier et de ses pensées chevaleresques. La pièce de vers était adressée à Madame Mauduit de Fay, à la fête de Saint Léon:

Ah! si j'étais poète!

Aux antiques festins, quand, déposant le fer,

Chacun trempait sa lèvre à la coupe de fête

Et racontait ses exploits d'outre-mer;

Quand se vidait le hanap de cervoise

Et que pour mieux rêver

On dégainait ces glaives d'une toise

Que les mains d'aujourd'hui ne peuvent soulever,

Un hurrah ébranlait les voûtes de la salle,

Le fer frappait le fer et de sa blanche stalle /

5 Un homme, un chevalier se levait à son tour,

Tout se taisait dans la salle bruyante

Pour mieux écouter la sirvente

Qu'allait chanter enfin le noble troubadour.

En vers harmonieux, de l'hospitalité

Il célébrait la fête;

Et tous pleuraient quand il avait chante.

Que ne suis-je poète!

Ah! si j'étais poète!

Ces beaux jours ne sont plus, cet âge s'est enfui,

Plus de combats et partant plus de fête,

Tout est morne aujourd'hui!

De loin en loin pourtant, en ce siècle de prose

Où la muse n'a plus d'abris,

Dans le sentier des jours, l'âme fait une pause

Et du grand Moyen-âge admire les débris.

Ces débris on les trouve en ces vieilles familles

D'ancêtres pleins d'honneur saintes et nobles filles

Et qui, pures comme leur nom

Sans tache, ont su garder leur antique blason

Au fond de son sépulcre, et grâce â vous, Madame,

Nous avons pu le voir ressuscité.

Vous nous l'avez montré poétique et plein d'âme

Paré comme jadis de l'hospitalité!

Fille des chevaliers, fille du Moyen-âge

Vous les avez montrés sous leur vrai jour; /

Il ne nous manque hélas! pour finir cette page 6

Que les chants d'un vrai troubadour.

Ah! si la sainte poésie

Pouvait faire vibrer ma voix!

Mais non: le froid du siècle l'a saisie;

Ils ne sont plus, les Bardes d'autrefois!

Merci, merci pourtant de cette aimable fête,

Que vous, fille des Preux, vous venez de donner;

Si je n'ai su chanter, daignez le pardonner!

Que ne suis-je poète!

Deux fois nous avons eu cette année les pieuses émotions d'une première messe: le 24 février et le 1er juillet. La seconde était celle du Père Jacques (Ernest Herr) (I) - L'Aigle disait: «Notre-Seigneur a des tendresses particulières pour les enfants de St Jean, puisqu'il leur accorde deux fois dans la même année l'auguste spectacle d'une première messe. Aux religieuses impressions que laisse ordi­nairement au fond des cœurs une pareille cérémonie se sont ajoutées cette fois des tressaillements particuliers. J'aurais voulu voir là un de ces indifférents qui doutent de la vitalité de l'Eglise ou de ces impies qui cherchent à la détruire. Qu'auraient-ils 7 pensé à la vue de ce jeune prêtre qui / montait en triomphe à l'autel, à une époque ou le Thabor est si près du Calvaire? Qu'auraient-ils dit à la vue de ce frère, prêtre aussi, austère religieux, qui ne connaît plus sa famille depuis de longues années, mais qui vient aujourd'hui contracter une nouvelle fraternité, celle du sacrifice? - Et devant cette mère chrétienne, qui donne ainsi à Dieu tous ses plus chers trésors, auraient-ils crié au fanatisme! Et ces enfants qui s'agenouil­lent sous la main bénissante du nouveau prêtre, espérez-vous pouvoir les ravir facilement à son Cœur? Oui, l'Eglise vit toujours, pui­sque les fils s'arrachent des bras de leurs mères pour voler sur les pas de Jésus, et que des mères cultivent avec mille soins la fleur sor­tie de leur tige pour l'offrir tout embaumée au céleste Epoux. L'im­piété arrache bien parfois les fils à leurs mères pour les faire entrer dans les synagogues de Satan; mais quelle différence! Là, c'est le vi­ce ou la haine qui sépare des cœurs dénaturés; ici, c'est l'amour humain qui s'incline avec adoration devant un amour plus fort, l'amour divin. - Cette première messe avait un cachet particulier de grandeur qui a du frapper tous les esprits sérieux. /

A l'heure même où Jésus-Christ est tant outragé en France, que 8 se propose ce jeune prêtre? Veut-il seulement goûter dans l'extase les joies de la Cène? Non, nouveau Saint Jean, il apporte la consola­tion au Cœur de son Maître; et toute sa pensée en montant à l'au­tel est d'élever la Victime réparatrice entre le ciel et la terre… Aussi que de bénédictions ont dû se répandre sur nous! En allant baiser les mains consacrées du nouveau prêtre nous sentions que Dieu ou­bliait nos offenses passées et nous recevait dans son amitié…

Pour cette fête encore j'ai des notes dans l'Aigle et j'en use:

«Une grande faveur était réservée cette année à l'Institution St­-Jean. Sa Grandeur Mgr l'évêque de Soissons, qui a patronné cette œuvre dès sa fondation, qui a souri aux premières fleurs épanouies dans ce nouveau champ, a daigné venir en contempler aujourd'hui la troisième moisson. Et cette moisson, la bénédiction épiscopale l'a rendue bien riche; chaque année, avec le nombre des élèves, s'ac­croît la belle assistance de parents et d'amis qui viennent se presser en foule dans la salle St Joseph, au Patronage…

L'orphéon de l'Institution exécuta trois choeurs: Le choeur 9 d'Oedipe fut enlevé avec un entrain / tout martial. On applaudit vi­vement «Jeanne d'Arc», la belle œuvre musicale de M. l'abbé Planque.

Le palmarès annonçait cinq bacheliers, cinq vainqueurs sur six candidats présentés.

Le discours avait pour thème: L'éducation chrétienne et les ver­tus de l'enfance. (J'avais choisi des traits gracieux et intéressants dans les vies de pieux écoliers publiées par divers collèges ecclésia­stiques ou congréganistes de Besançon, Nîmes, Toulouse, St­-Acheul, Poitiers, etc. - Le discours est dans mon volume sur l'Education chrétienne).

Sa Grandeur couronna la cérémonie par des paroles de félicita­tions et d'encouragement:

«En paraissant pour la première fois dans cette assemblée, nous avons à remercier la divine Providence, qui a daigné établir l'Institution St-Jean au milieu de cette cité de St-Quentin, si noble, si vaillante et si laborieuse; nous avons à remercier toutes les per­sonnes qui ont contribué a la création de cet établissement et qui unissent leurs efforts pour lui faire atteindre des développements aussi larges et aussi élevés qu'il sera possible: en particulier M. l'ar­chiprêtre, dont les œuvres sont trop connues dans cette cité 10 pour que / j'en fasse l'éloge; M. le chanoine Dehon, qui a mis dans les fondations… que dis je, il s'y est mis lui-même tout entier, avec tous ses talents et tout son zèle. Nous savons cependant, et d'autres savent, même au loin, que des œuvres plus brillantes et plus dignes de ses labeurs étaient proposées à son activité. Nous remercions aussi les pères et les mères de famille, chez qui l'Institution St-Jean trouve tant de sympathies. Et vous, nos chers enfants, nous vous féli­citons d'avoir été choisis par Dieu pour recueillir les premiers dans cette maison les bienfaits de l'éducation chrétienne.»

Sa Grandeur a ensuite rappelé aux parents les graves obligations qui résultent pour eux de ce bienfait signalé: «Vous trouverez dans les maîtres chrétiens des remplaçants, qui n'ont pas, il est vrai, une tendresse aussi vive, qui n'ont pas le mêmes soins minutieux pour les détails de la vie de vos enfants, mais qui ont autant de clair­voyance pour découvrir leurs véritables intérêts et autant de zèle pour réaliser leurs progrès et leur bonheur.

Pendant ces mois de vacances où vos enfants sont à vous exclusi­vement, soyez les dignes auxiliaires de ceux qui sont vos aides toute l'année; par vos exhortations et par la pratique /fidèle 11 des de­voirs du chrétien, continuez à développer en eux les belles vertus que leurs maîtres ont cultivées dans leurs cœurs…»

Les œuvres se continuaient: Patronage, Cercle, Maison de famil­le.

J'allais de moins en moins au Patronage, le P.Rasset s'habituait à me remplacer. La bonne Soeur Véronique était la providence de la Maison de famille. Un de ses petits gamins y trouva la vocation ec­clésiastique.

Bon nombre de jeunes gens du Patronage venaient encore se confesser chez moi le samedi.

Je présidais encore le Comité du Patronage et quelques réunions de patrons.

Je présidais toutes les semaines au Cercle un vrai cercle d'études sociales et j'y donnais une conférence sur les principales questions d'économie sociale. Je prenais l'économie sociale au point de vue intégral: progrès moral, intellectuel, économique. Je voudrais avoir le temps de reprendre et de compléter ce travail.

On fêta encore cette année la Saint-Léon au Patronage. Les jeu­nes 12 gens du Cercle nous jouèrent «Le Revenant» à la St-Jean; mais à la Saint-Léon, ils cédèrent le tour aux élèves de St-Jean qui jouaient «La Fille de Roland».

Notre glorieux Pontife continue la série de ses encycliques socia­les. C'est tout un traité sur le manage qu'il nous donne dans sa belle encyclique Arcanum divinae Sapientiae, du 10 février 1880. Le Concile du Vatican avait préparé cet enseignement doctrinal. Léon XIII le complète et le publie. Le mariage est le fondement de la fa­mille. C'est un acte sacré de sa nature, élevé par le Christ à la di­gnité de sacrement. Ce n'est pas à l'État, mais à l'Église, qu'il appar­tient de légiférer sur le mariage chrétien.

Malheureusement les sociétés modernes qui sont sous la coupe des Juifs tendent toutes à détruire les conditions du mariage chré­tien.

Un autre acte du Saint-Père est son Bref du 4 août qui donne St Thomas d'Aquin pour patron aux écoles catholiques (1).

Oh! qu'il est temps qu'on revienne à la méthode serrée de Saint 13 Thomas, à sa philosophie du bon sens, si on ne veut pas / voir le chaos des idées préparer le chaos des sociétés modernes.

Les mauvaises lois se multiplient. La franc-maçonnerie règne en maîtresse.

La loi de 1814 sur le repos du dimanche dans les travaux de l'Etat est rapportée malgré de beaux discours prononcés à la Chambre. L'aumônerie militaire est supprimée. Le Conseil supérieur de l'Instruction publique est entièrement laïcisé. Jules Ferry, dans une loi sur l'enseignement primaire, propose son fameux article 7 pour enlever aux jésuites la liberté d'enseignement. Il ne réussit pas à le faire passer. Alors il remet en vigueur de prétendues lois existantes, des décrets de la Révolution pour disperser les religieux (1). De là une série de discours éloquents à la Chambre, et partout en France des expulsions violentes qui l'ont une impression favorable sur tous ceux qui ne sont pas sectaires.

Beaucoup de magistrats honnêtes aimèrent mieux donner leur démission que de se prêter à ces expulsions.

On ne s'inquiéta pas de nous et on nous laissa en paix, nous étions si nouveaux, si peu nombreux et si peu connus / comme reli­gieux. 14 Ce ne furent pas moins des mois d'angoisse et de trouble pour nous, et nous résolûmes de transporter à la première occasion notre noviciat à l'étranger.

Monseigneur Pie vieillissait et peu à peu disparaissaient les évêques qui avaient bien voulu me témoigner de la bienveillance ou de l'amitié au Concile (2).

Le dernier acte public de Mgr Pie fut sa lettre pastorale à l'occasion des persécutions religieuses. Comme toujours il appliquait fi­nement et spirituellement aux événements contemporains quelques passages de l'Écriture. «Un jour, disait-il, que le roi d'Israël avait interpellé le prophète Elie par ces mots: N'etes-vous pas celui qui met le trouble dans Israël! - le prophète répondit avec assurance: Ce n'est pas moi qui ai troublé Israël, mais c'est vous et la maison de votre père, quand vous avez abandonné les commandements du Seigneur et que vous avez suivi Baal. - Aujourd'hui aussi on nous reproche de troubler le pays. La preuve qu'on en donne, c'est l'incompatibilité des doctrines de l'Église avec les principes fondamen­taux de l'ère nouvelle, et par suite notre opposition aux pouvoirs publics tels 15 qu'ils sont constitués désormais / dans la société civile. Sur le premier chef, nous n'avons point à nous défendre. Si nos adversaires sont de ceux qui embrassent et proclament des dog­mes sociaux en contradiction formelle avec les droits de Dieu et les enseignements de l'Évangile, et qui visent à introduire dans les lois et dans les pratiques administratives de leur pays toutes les consé­quences de ce dogmatisme, il ne nous reste rien à leur dire, sinon que la condamnation portée contre l'État moderne ne procède pas de nous, mais d'eux-mêmes. Car, aussi longtemps que Dieu sera Dieu, et que l'homme ne sera qu'homme, toute prétention humai­ne inconciliable avec les droits et les déclarations de Dieu, demeu­rera sans valeur autre que celle qui s'appuie sur la force brutale, et son règne n'aura de durée que la durée plus ou moins courte de la violence et du mensonge.- Sur le second chef, l'Eglise accepte toutes les formes de gouvernement, en réclamant de tous sa liberté et ses droits…»

Le saint prélat mourait au mois de mai à Angoulême. La veille même de sa mort, au retour d'un voyage à Rome, il avait dominé 16 fatigues et souffrances pour présider une réunion générale / des catholiques du diocèse d'Angoulême. Il avait rappelé comment St Hilaire enseignait déjà aux catholiques poitevins au IVe siècle, à se servir résolument des lois existantes pour défendre leur foi et les droits de l'Eglise. «C'est, disait-il, grâce au respect religieux dont les Romains entouraient les sépultures et les associations qui s'y rap­portaient, que les chrétiens purent demeurer trois cents ans au mi­lieu des tombeaux, sans en être expulsés par la police d'alors…». Puis, affirmant une fois de plus avec sa haute autorité, l'importance des œuvres ouvrières, l'illustre orateur avait montré l'ignorance de ceux qui accuseraient des œuvres ayant pour but le rapprochement des classes d'être des nouveautés. C'était en effet un usage universel chez les Juifs de saluer au passage tous les groupes de travailleurs, et le Roi-prophète indique comme marque de perversité des mé­chants, qu'ils passent sans dire aux ouvriers: «La bénédiction du Seigneur soit sur vous!» Malheur à moi, malheur à vous, s'écriait St Augustin commentant ce psaume devant son clergé, si nous omet­tions de souhaiter nous aussi la bénédiction aux travailleurs…» (Ps. 128,8).

Le saint prélat mourut la nuit suivante après s'être pieusement confessé. Fidèle à / toute la direction de sa vie, il mourait en 17 confessant les doctrines et conseils donnés par le St-Siège.

Chaque année devait être marquée par la croix. Celle-ci fut bien partagée sous ce rapport. J'étais moins souffrant mais avec des ma­laises fréquents. Ma mère avait eu l'été dernier une attaque de pa­ralysie. Elle restait dans un état pénible à voir. Mon père attristé avait contracté une maladie d'estomac qui allait préparer sa mort.

Nous avions perdu en quelques mois quatre de nos Soeurs: la Sr Marie de Jésus le 27 août (1879), la Sr Marie de St-Francois-Xavier le 11 octobre, la Sr Marie de Gonzague le 1 mars (1880), la Sr Marie des cinq Plaies, le 12 avril.- C'était un grand deuil; mais le pu­blic chercha des explications. Les commérages marchaient. On par­lait d'empoisonnements pour couvrir des crimes. On pensait à une exhumation. C'était un Tolle. Des reporters de la presse maçonnique de Paris étaient venus pour monter un grand scandale. Je passai plusieurs mois dans ces angoisses.

- Autre épreuve.- La Soeur Marie des cinq Plaies étant morte, 18 son testament était attaqué par sa famille. C'était la / ruine pour les Soeurs et pour moi la perte des ressources sur lesquelles j'avais compté en fondant St-Jean. De plus ce procès faisait crier par les francs-maçons à la captation de testament. C'est encore sur moi que pesait cette croix. C'était une année bien riche en réparations.

Nos quatre chères Soeurs mortes cette année ont été de pures vic­times de l'amour de N.-S. Elles s'étaient offertes bien sincèrement en victimes de réparation. C'était leur pensée de tous les instants. Elles ont accepté leurs longues souffrances dans cet esprit. Elles sont mortes dans cette disposition en donnant d'admirables exem­ples de patience, de sacrifice, d'abandon à la volonté divine. La Soeur Marie Xavier est morte en poussant un grand cri d'amour.

Au moment de l'odieux Tolle, le journal «Le Conservateur de l'Aisne» donna cette note: «Pour la quatrième fois depuis quelques mois, les religieuses Servantes du Cœur de Jésus conduisaient jeudi à sa dernière demeure la dépouille mortelle d'une de leurs Soeurs. Nous suivions ce convoi, nous allions dire cette marche triomphale et sur le parcours nous recueillîmes diverses appréciations. Toutes 19 étaient / sympathiques, quelques-unes étaient de plus inquiè­tes. On s'étonnait des coups répétés que la mort frappe au milieu de ce couvent du faubourg St-Martin, en donnant à ces décès multi­pliés différentes explications. Il n'y en a qu'une seule véritablement exacte. Les humbles Servantes du S.-Cœur sont des victimes volon­taires; elles offrent leurs prières, leurs travaux, leurs souffrances et par-dessus tout leur vie pour la gloire de Dieu, la persévérance des justes et la conversion des pécheurs. Dieu prend au sérieux cette immolation quotidienne et les pauvres Soeurs deviennent ainsi les bienfaitrices de l'Eglise et spécialement de la cité. A ce titre, en échange des services que rend cette réparation incessante et des maux qu'elle détourne de nous, nous devons à ces religieuses l'hommage de notre reconnaissance et l'expression de notre véné­ration. Nous les leur offrons au nom de tous ceux qui apprécient comme nous leur mission surnaturelle et ses conséquences tutélai­res.

Le Tolle n'eut pas de suites. Le médecin des Soeurs, le Dr Cordier apaisa l'opinion en attestant la mort toute naturelle des Soeurs.

Ceci est un fait providentiel bien extraordinaire.

Monsieur Lecot était agrégé à l'Œuvre sous / le nom de Joseph 20 d'Arimathie (1). Notre pieuse Soeur (2) avait le pressentiment qu'il y avait quelque mystère providentiel caché sous ce nom. Or, il y avait près de la maison du S.-Cœur un vaste jardin qui pouvait seul fournir l'emplacement nécessaire pour une communauté. Le propriétaire ne voulait pas vendre et d'ailleurs nous n'avions pas d'argent. M.Lecot sa décida d'une manière inattendue à l'acheter pour nous si cela devenait possible. Le jour du vendredi saint, le propriétaire fut tout à coup décidé à vendre, mais à un prix élevé, 90.000 francs. Il fit dire au notaire qu'il voulait en finir de suite et que si ce n'était pas tait pour trois heures il ne vendrait plus. M.Lecot accepta ces conditions et le contrat se signa à 3 heures. C'était le jour et l'heure où Joseph d'Arimathie avait donné son jar­din pour la sépulture du Christ…

Les vocations nous venaient. Celles de cette année furent de bon­nes et solides vocations.

Le P.Mathias Legrand et le P.Stanislas Falleur entrèrent le 4 octo­bre 1879.

Le P.François Xavier Lamour entra le 21 novembre.- Le P. Paul Philippot entra le 20 fév.1880. Celui-ci eut une fin malheureuse. Que Dieu ait son âme!

21 Le P.Jacques Herr se donna le 1er mai / et entra le 7 mai (1).

Les vues d'oraison de la Sr Marie de St-Ignace avaient été fré­quentes encore cette année. La petite Soeur Marie de Jésus n'était plus là pour les traduire, la Chère Mère les traduisait elle-même. En voici les sujets:

15 octobre. - Les trois saints Cœurs modèles des victimes. C'est le plus souvent le vendredi, le samedi et le mercredi que la Sainte Famille viendra chercher ses victimes.

18 octobre. - La pureté, vertu spéciale des victimes.

29 octobre. - L'Écriture comprise par les humbles.

1er nov. - Pasteur et jardinier, c'est le caractère des Prêtres du S.­Cœur.

9 nov. - La dédicace.

Deux demeures de Dieu: l'Église, les âmes.

L'autel en est l'objet essentiel.

La communion est la nourriture des âmes.

Bonheur d'habiter la maison de Dieu.

Abus qu'on peut en faire.

Dieu fait aussi ses délices d'y habiter.

Perfection que les matériaux et ornements en doivent avoir… Ce lieu est saint et redoutable. C'est la porte du ciel.

Les sacrifice de J.-C. dans l'Eucharistie. Son amour … Ses invita­tions à le visiter, / à l'honorer, à l'aimer, a le recevoir. 22

Nos dispositions pour communier: foi, confiance, abandon, amour.

Zèle pour la maison de Dieu. Notre désir d'élever des temples au S.-Cœur. Jésus ne sera pas ingrat.

17 novembre. - Abus des grâces, perte de la vocation.

19 novembre. - Soumission à l'Église.

2-3,janv. 1880. - Zèle à la récitation de l'office.

13 janv. - Confiance en Dieu dans les contradictions. Providence de Dieu pour notre vocation.

Les dons des Mages symbolisent nos sacrifices.

26 janv. - Les mystères de N.-S.

Visite quotidienne à Nazareth, au Calvaire, à l'Agonie.

8 fév. - Ne point puiser à une source étrangère: la congrégation a son esprit propre.

15 fév. - N.-S. au désert prie pour ses apôtres. Nous devons prier pour la sanctification du prêtre.

24 fév. - Neuf jours de préparation à l'exposition quotidienne du St Sacrement.

28 fév - N.-S. veut un lieu de repos et de consolation.

29 fév. - Les messes réparatrices.

Hoc est praeceptum meum. Les caractères de la charité mutuelle; ses fruits. Beati pacifici. - Pratique de la charité qui s'immole: in patientia. /

23 1 avril. - Confiance dans la persécution et les épreuves. Amour des croix.

3 avril. - Les saintes femmes au sépulcre.

avril. - Visites aux parents: (rares, courtes, édifiantes).

25 avril. - Contre les âmes dissimulées, indifférentes, tièdes.

29 avril. -La confiance et la fidélité sont notre sauvegarde.

14 juillet. - Le sacrifice du Moriah est souvent demandé. (Les Soeurs avaient craint d'être expulsées) (1).

3 octobre. - Du soin de gagner les indulgences.

25 octobre. - (Nous avions demandé à Mgr à faire frapper une mé­daille des trois saints Cœurs.)

- Le côté de votre médaille qui présente l'image de Notre­-Seigneur ne fait aucune difficulté. Sur l'autre côté, je reconnais que le cœur fleuri de St Joseph est un symbole plein de grâce et de piété, mais je me demande s'il est bien théologiquement permis de placer ces trois cœurs comme objet d'un culte analogue, sur une même ligne horizontale… Je n'ai pas assurément l'ombre d'un dou­te sur la correction de votre pensée. Je n'ignore pas non plus que l'Eglise accepte ou tolère certains symboles imparfaits; c'est là une question de degré et d'opportunité. Toutefois / je n'oserais pas in­nover ni 24 autoriser l'innovation dans l'objet que vous me présen­tez…

P.S. J'ai lu avec intérêt et souvent avec édification une partie nota­ble des deux cahiers que vous m'avez fait tenir. Je ne crois pas de­voir vous en dire autre chose. Vous savez que mon avis et mes in­structions sont que, en matière tant soit peu grave, on se détermine indépendamment des indications qui viennent de cette source (1). Notre-Seigneur ne demande pas autre chose, et il demande cela tant qu'il n'aura pas fait plus de lumière que je n'en aperçois enco­re.»

2 déc. 79. - «Les deux pages que vous me communiquez sont d'un caractère édifiant, et je reconnais avec plaisir que la voix entendue par Sr M. Ignace dans la solitude est bien d'accord avec celle qui s'est fait entendre au commencement et qui continue de parler par la bouche de l'Église…»

3 déc. 79. - Je n'ai aucun reproche à vous adresser au sujet du pauvre jeune homme (un novice) qui devient pour vous l'objet d'une douloureuse déception et dont la conduite m'afflige moi-même (il nous jouait tous les tours). Apparemment non erat ex vobis. - Que devient-il?…

25 24 mars 80. - (Au sujet de la mort des Soeurs)- / «Est-ce que Notre-Seigneur continuera longtemps de transplanter ainsi les jeunes plantes du S.-Cœur? Peut-être faut-il commencer à se plaindre. Que du moins on ne l'aide pas matériellement à les déraciner, en leur refusant la terre végétale dont cette pépinière a besoin pour devenir un peu verger dès ici-bas. Pour parler sans figure, qu'on ait un soin suffisant des santés chez nos bonnes Soeurs. Je suis d'ailleurs très édifié de ce que vous me dites de Sr M. de Gonzague, et j'espère qu'elle dit maintenant d'une voix plus persuasive que jamais: Adveniat regnum tuum! Répétons nombreux, ses Soeurs et autres: Amen! … »

5 avril 80. - (Au sujet des expulsions) - «Nos bonnes Soeurs sont en effet bien menacées; mais il y aura, j'espère, supposé que les décrets s'exécutent, des accommodements possibles. Je n'incline pas plus que vous vers une demande d'autorisation; on pense d'ailleurs généralement qu'il n'en sera pas présentée. Je ne pourrais pas refuser, le cas échéant, à nos chères Filles de se retirer quelques-unes en Angleterre. Nous causerons de tout cela 26 et peut-être en connaissance moins imparfaite de cause à St-Quentin. / En attendant, il faut être prudent, pour ne pas aiguillonner la malignité. Que les bonnes Soeurs redoublent de dévouement aux pauvres du quar­tier: Quant au Sacré-Cœur (notre maison), je le défendrai énergi­quement. Vous n'êtes pas encore une congrégation … vous n'êtes réellement qu'une congrégation en formation dans un groupe d'ecclésiastiques et de laïques que l'évêque de Soissons destine et prépare à des ministères spéciaux pour son diocèse…

12 juillet 80. - (A l'occasion du Tolle) - «Je n'ai pas l'habitude, grâ­ce à Dieu, de choisir le moment où ceux que j'estime et que j'aime sont dans l'affliction pour les affliger davantage. Ne voyez donc point de reproche grave ou amer dans l'appel à la prudence que j'ai cru pouvoir vous faire en écrivant à M. Mathieu.

Voici mes petits griefs qui ne changent rien à mon affectueux dé­vouement pour vous et pour les bonnes Soeurs. On a, ce me sem­ble, trop divulgué des communications peut-être surnaturelles, 'mais qui ne réclamaient pas une telle diffusion. Je crains qu'on n'ait pas suffisamment prévenu par la visite des médecins et qu'on n'ait excité de plus / belle par les explications publiques qu'on a données 27 (la note du journal), les suppositions misérables qui ont été faites sur la mort de deux ou trois saintes filles…

Charly - 18 sept. 80. (Au sujet de quelques apostoliques que nous avions déjà groupés et qui passaient leurs vacances à la maison des Soeurs à Fourdrain en attendant l'achat de Fayet). - Si vous m'en croyez, Vous prendrez des mesures pour que votre petit séminaire apostolique ne vous attire aucune misère du côté de l'Académie. Vous ne pourriez pas présenter les enfants qui le composent, ainsi que nous en sommes convenus pour les ecclésiastiques du S.­Cœur, comme un groupe de clercs destinés par moi à des œuvres spéciales et qui s'y préparent. Vous êtes, je crois, obligé, ou de les rattacher à St-Jean, ou d'en l'aire une institution à part à laquelle il faut un chef qui remplisse les conditions légales … (Nous avons, se­lon le conseil de Mgr, rattaché ces enfants à S.-Jean en attendant la fondation de l'école apostolique de Fayet.)

Je fis une bonne retraite de fin d'année chez les Pères Jésuites de N.-D. de Liesse. /Je notai mes impressions et résolutions, partie 28 en latin, partie en français (1). Je les reproduis:

I. Erravi sicut ovis quae periit (Ps 118, 176). Ovis, ovis electa et diletta - sacerdos et vittima!

Sensus enim et cogitatio hominis in malum prona sunt… (Cf Gn 8, 21).

Undequaque diffluimus. In me nihil sedet (S.Bern.). Nec Phantasma, nec cogitatio, nec sensus, nec cor sedent. - Pax! Pax!

Defecit spiritus meus (Ps 76, 4).

Quantum mutatus! Ubi fervor initii? Ubi pax? Ubi charitas?

Olim digne, attente ac devote officium recitabam. Nunc autem qua ratione?

Olim ex Missae sacrificio gaudium cum pace, gratiam et consolationem obtinebam. Nunc autem quid?

Olim in receptione sacramenti paenitentiae vere sitiebam et esuriebam ju­stitiam. Nunc autem iners et tepidus evasi. Neque raro scandalum evasi.

Quam vero longanimis fuit misericors et miserator Dominus! Quomodo sustinuit me justus judex? Infinitae offensiones meae. 29 Ingratum cor meum semper. Debita mea / quomodo exsolvam?

Virtutis firmae et vitae interioris et regulae conabor

Paratum cor meum, Deus!

In te, Cor Jesu, speravi, non confundar in aeternum.

II. Ipse fecit nos et non ipsi nos.

Il a fait la terre pour l'homme et l'homme pour Lui. Comme la fleur regarde le soleil, il faut que l'intelligence humaine regarde Dieu qui est son soleil.

L'homme voyant la beauté sensible des créatures élève son regard vers le soleil qui les illumine. De même voyant l'action de l'intelli­gence divine dans la création et la providence, il élève son âme vers ce soleil des esprits.

Domine, Dominus noster, quam admirabile est nomen tuum in universa terra!

Notre faculté dé louer et d'admirer doit être absorbée principale­ment par la divinité. Repleatur os meum laude, ut cantem gloriam tuam, tota die magnitudinem tuam.

Seigneur, que dois-je faire de ces facultés, de cette vie que vous m'avez donnée? Quid me vis facere? Eduxisti me de nihilo. Servus tuus ego sum. Ecce venio ut faciam, Deus, voluntatem tuam. /

Quid me vis facere hodie? Quid crac? 30

Quid quotidie? Quid hac hora?

Quid me vis cogitare? Quid dicere? Quid agere?

Viam tuam demonstra mihi.

Dilate cor meum.

Da mihi intellectum. Inclina cor meum.

Dilexit anima mea testimonia tua vehementer

Mirabilia testimonia tua, ideo scrutata est ea anima mea.

III. Les créatures pour l'homme: l'homme pour Dieu.

Les créatures: non seulement les objets matériels, mais les événe­ments, les faits, les accidents de chaque jour, tout ce que Dieu veut ou permet.

Dieu veut que de chaque créature, entendue dans ce sens, nous nous élevions à Lui, pour reconnaître son autorité divine - pour pratiquer une vertu - toujours pour aimer.

Dieu est dans ses créatures: on y lit sa sagesse dans les merveilles de l'ordre, de la variété, de l'unité; sa bonté dans les merveilles de sa providence, dans la fin de la création et de la rédemption; sa beauté dans l'harmonie, dans la grandeur, dans l'ordre, dans la grâ­ce de ses œuvres.

Invisibilia ejus per ea quae facta sunt intellecta conspiciuntur. / 31 IV. Combien l'homme abuse des créatures! Au lieu d'avoir égard à la nécessité, a l'utilité, ou au moins â l'honnête récréation, a l'exerci­ce de ses facultés, il suit ses convoitises.

Si praestes animae tuae concupiscentias ejus, faciat te in gaudium inimicitiis tuis.

N'est-ce pas trop souvent ma manière de faire?

N.-S. m'appelle à la réparation, je dois accepter humblement, pa­tiemment, généreusement les croix que la divine Providence m'en­voie.

La mortification est la condition de toutes les grâces.

V. Abneget semetipsum.

Qui non odit animam suam non potest meus esse discipulus.

Je veux être indifférent à mes satisfactions naturelles et ne cher­cher que Dieu et sa volonté.

Omnia vanitas praeter amare Deum et illi soli servire.

Stude cor tuum ab amore visibilium abstrahere et ad invisibilia te transferre.

Quid te magis impedit et molestat quam tua immortifïcata affectio cordis. Vere bene doctus est qui Dei voluntatem facit et suam relinquit

(De Imitatione Christi). Non est pax in corde hominis carnalis.

32 Si essemus nobis perfecte mortui, tunc / possemus etiam divina sapere.

Quis est qui melius habet? Utique qui pro Deo aliquid pati valet.

Ma vocation spéciale étant la réparation, j'aimerai mieux, autant qu'il plaira à Dieu, et que cela sera utile a son œuvre, qu'il me con­duise par la souffrance plutôt que par la santé, par la pauvreté plutôt que par les richesses, par les mépris plutôt que par les hon­neurs.

Aut pati, aut mori.

Cupio anathema esse pro fratribus meis.

Potius pati cum Christo quam laetari cum mundo.

VI. Le péché, quel mal odieux!

Comme l'harmonie du ciel était belle après la création des anges!

Tous louaient Dieu, avec quelle sublimité!

Tous l'adoraient, avec quel abaissement!

Tous l'aimaient, avec quel ardeur!

Tous lui obéissaient, avec quelle soumission!

Dieu déroule devant eux les plans de sa Providence. Il leur mon­tre le Verbe Incarné et Marie leur reine et les hommes qui devien­draient leurs frères. Satan se révolte: o profond mystère de la liberté! Il fallait alors que Satan / fût maudit et que toute 33 créatu­re lui devînt ennemie.

Quel immense désordre et quelles conséquences!

- Et le péché d'Adam!

Dieu aime Adam et lui parle. Toutes les créatures lui sourient. Les anges sont familiers avec lui. Il va devenir leur frère, s'il est fidè­le, mais il désobéit!

Troubler l'harmonie du plan divin, résister à l'autorité infinie, être ingrat envers l'amour sans bornes de Dieu, quel désordre! Et quelle malédiction encourue! Et quel déluge de maux déchaîné! L'ignorance, la concupiscence, la souffrance, la mort! Tous les dé­sordres qui désolent la terre sont la conséquence de ce péché.

O péché! quelle horreur tu devrais inspirer à tous les hommes! Toute souffrance est ton œuvre.. jusqu'à Jésus en croix!

Plutôt mourir que de commettre encore un péché volontaire et délibéré!

VII. Confusion et repentir.

Domine, ne in furore tuo arguas me!

Anima mea, turbata est valde.

Miserere mei, Domine, quoniam infirmus sum.

34 Ne derelinquas me, Domine Deus meus, ne / discesseris a me.

Afflictus sum et humiliatus sum nimis.

Domine, ante te omne desiderium meum.

Domine, clamavi ad te, sana me

VIII. O Marie, vous qui avez eu tant d'horreur pour tout péché, pour toute offense à Dieu, pour toute négligence même, aidez-moi à concevoir cette horreur!

Obtenez-moi une grande délicatesse de conscience, un grand amour de la pureté, la haine de mes fautes passées

O Jésus, par Marie, je vous supplie de ne plus permettre que je vous offense. Vous, si grand, si saint, si bon, je vous ai tant offensé déjà! Je devrais en mourir de douleur et de honte.

Pardonnez-moi! Je veux désormais avec l'aide de votre grâce vous aimer et vous consoler.

IX. Dissipavit omnem substantiam suam.

Que sont devenues les grâces de mon baptême, celles de ma pre­mière communion, de ma conversion, de mes retraites, de ma voca­tion, de mes ordinations?

Nemo tam prodigus fuit. Nonne immensam substantiam iterum atque iterum dissipavi? «Cupiebat pasci siliquis» - Nonne ego quoque saepesaepius usque huc deveni ut anima mea miserrimis alimentis pasceretur? / «Surgam et ibo ad patrem». Surgam citius et ibo confidenter 35 ad amatissimum Patrem et confitebor peccatum meum.

Redde mihi,pater amantissime, stolam primam et annulun et calceamen- ta.

X. «Dilexi te, ideo attraxi te miserans.»

Dilexisti me amore gratuito, licet nihilo amorem sim meritus, imo cum odium plane merebar.

Dilexisti me generose, dilexisti me vehementer.

Dilexisti me quotidie amore illo quo Lazarum amicum tuum suscitasti, amore quo Joannem apostolum tuum diligebas, cui permisisti in coena sup pectus tuum recumbere.

Attraxisti me miserans, ita vere miseratus super miserias meas infinitas. Attraxisti me gratia, attraxisti Eucharistia, attraxisti vocatione.

Attraxisti me quum toties intus mihi dicebas: Sequere me.

Attraxisti me et attrahis me ut Cordi tuo amantissimo et moestissimo amo­rem et consolationem exhibeam.

XI. O Jésus, ô mon Roi, me voici à votre service. Je veux marcher à vos côtés, au travail, au combat, à la souffrance. /

Quelques-uns de vos ministres combattent mollement ou vous 36 trahissent. Je veux vous compenser et vous consoler par mon amour, par mon zèle et par une réparation constante, avec le se­cours de votre grâce, sans laquelle je ne puis rien.

Vous avez pour trône une croix et pour couronne des épines. Je veux vous suivre jusque là, étendre votre règne par la croix et par le sacrifice.

Je m'offre tout entier à vous.

Vous avez embrasse la pauvreté et les mépris, je veux les embras­ser comme vous.

Je veux combattre vos ennemis jusqu'au dedans de moi et sou­mettre en moi la sensualité, les affections naturelles et toutes les va­nités.

Agréez mon sacrifice, aidez-moi à le consommer.

XII. Ecce venio - Ecce ancilla.

L'Auguste Trinité contemplait la terre, ce n'était plus l'heure du déluge, c'était l'heure de la rédemption. L'iniquité était à son com­ble. Le règne de Dieu paraissait détruit sur la terre. Le Verbe pro­nonce l'Ecce venio.

Marie contemplait également la terre. Dans une extase d'amour et de souffrance, elle disait: Veni Domine, et salva populum tuum. Elle appelait le Dieu-victime, le roi annoncé par Isaïe et Jérémie./

37 Elle l'aimait d'avance, se promettait de lui être dévouée. Son cœur se fondait d'amour pour cet instrument divin de la gloire de Jehovah, pour ce réparateur suprême, pour ce sauveur des hom­mes.

Elle disait: Ecce ancilla, Je serai sa servante pour l'aimer, l'imiter, me dévouer.

Et l'ange lui dit: Vous serez sa mère.

Ecce venio, Ecce ancilla, c'est la vocation des oblats, des victimes: s'offrir pour aimer, réparer, s'immoler; offrir sa volonté, son cœur et tout son être.

Ecce venio, Ecce servus Domini.

XIII. O Jésus, par Marie, affermissez dans mon cœur l'esprit de paix et de sainte joie. Que ce soit le fruit de cette contemplation de la Nativité!

Pax hominibus bonae voluntatis!

Dieu réalisait dans les cœurs de Marie et de Joseph ce qu'il an­nonçait par ses anges.

Marie contemple dans la paix et dans l'amour.

Elle comprend toujours mieux l'Ecce venio.

Elle redit l'Ecce ancilla et s'unit à l'agneau divin, à la divine victi­me réparatrice qui vient de naître.

O Marie, par votre puissante intercession allaitez du lait de la grâ­ce l'œuvre réparatrice qui vient de naître. C'est encore Jésus / qui renaît dans ses œuvres. Il veut vous devoir encore 38 l'accroisse­ment et les soins maternels. Voici que cette œuvre vous tend avide­ment les bras. Aidez-la, nourrissez-la, aimez-la.

XIV. Le mystère de la sainte Cène est tout amour et sacrifice. C'est le Cœur de Jésus tout entier en action: Les derniers entretiens à Béthanie, la séparation d'avec Marie, Marthe et Madeleine; le tran­sport de l'agneau; sur le chemin, les recommandations données a Jean pour le moment du sacrifice; la dernière préparation des apô­tres au sacerdoce, à leur première communion; le lavement des pieds, dernière purification; l'institution du sacrement de l'amour, le desiderio desideravi l'hymne d'actions de grâces; le dernier di­scours, effusion du divin Cœur; Jésus allant à l'agonie renouveler son Ecce venio… C'est bien le comble de l'amour que cette veille sa­crée. C'est le chef-d'œuvre de l'amour infini se sacrifiant pour nous.

Cum dilexisset suos, in fïnem dilexit eos.

XV. A Gethsémani, Jésus n'a pas même un de ses apôtres pour prier avec lui. Un jour comme celui-là!… Après la Cène! Après le la­vement des pieds! Après l'Eucharistie! Après l'institution du sacer­doce!

Après le discours où il leur a dit tout son amour et leur a prédit / toutes ses souffrances! 39

Il pense aux apôtres de l'avenir, aux prêtres. Il pense à leur froi­deur, à leur ingratitude, à leur indifférence.

S'il trouvait encore des saint Jean, qui reviennent à lui après un moment de sommeil et de faiblesse, et qui le suivent ensuite jusqu'au Calvaire, jusqu'à la croix!

Fiat! Fiat

Ecce mater tua!

Que cette pensée est douce!

Qu'elle est enivrante, même! La mère de Jésus devient ma mère!

Elle me permet de l'aimer et je suis aimé d'elle!

Elle m'adopte, elle veille sur moi, elle me protège, elle m'aime, el­le est ma mère!

Quid retribuam! Que ferai-je pour elle, pour son honneur, pour son culte?

Je l'aimerai comme ma mère.

Je serai fidèle à lui rendre hommage.

Je travaillerai à étendre son culte, à la faire connaître et aimer .

Ecce mater! Ecce filius!

Tota es mihi, tutus tibi esse volo!

40 Tibi laus, honor, reverentia, dilectio, / devotio.

Totum Cordi tuo me trado, ut totum me Cordi Jesu trades.

Quelques lettres pour compléter l'exposé de cette année scolaire.

M.Demiselle m'encourage. Il m' écrit du Val-des-Bois, 26 sept.79: «Je passe encore cette année quelques semaines chez M.Harmel. C'est une charmante retraite au sein d'une famille dont je fais désormais partie. Le R.P.Cornaille, Recteur du pensionnat de S, Joseph de Reims, m'a parlé de votre maison. Il la croit appelée à un bel avenir, il sait que vous avez un bon personnel… M.Harmel voudrait toujours vous voir sur un autre théâtre, dans une Université catholique par exemple. Je lui dis que l'œuvre que vous fondez à St-Quentin est une œuvre capitale et il finit par se rendre à mes rai­sons. On imprime la 3e édition de son Manuel…»(1).

Mon ancien supérieur, M.Dehaene m'écrivait ses dernières lettres, il devait mourir l'année suivante (2).

27 août 80. - Cher M. le Supérieur et digne ami, je vous remercie beaucoup de votre lettre de l'autre jour et de l'affectueuse invitation que vous voulez bien me faire. Je vous conserve / toujours 41 un attachement spécial et je porte le plus vif intérêt à votre œuvre que je n'ai fait qu'entrevoir et que la Providence, comme je l'en supplie, semble vouloir vous faire conduire à bon terme. J'entends quelquefois des prêtres bien capables et bien pieux dire autour de moi: A quoi bon ces nouvelles congrégations? - Et cependant que peut-on faire de sérieux, de durable sans ce lien? La parole de Jésus «Ubi duo vel tres congregati sunt in nomine meo ibi sum in medio eorum» sera toujours vraie et se vérifie chaque jour. Courage donc! Quand pourrai-je aller vous voir au milieu de votre œuvre? Depuis quelque temps je souffre beaucoup des nerfs. Les médecins m'interdisent toute parole publique, toute fatigue considérable au confessionnal. Il faut que je m'habitue à ne rien faire ou plutôt à faire des riens, ce qui n'est pas une petite peine. Je demande à Dieu et vous prie de de­mander pour moi une parfaite patience, et j'ose ajouter: le calme, la joie dans la souffrance. Adieu pour cette année encore ma visite à St Quentin et encore plus la petite retraite 42 que vous désire­riez. Je / m'en sens tout à fait physiquement incapable. Et vous, quand vous verrons-nous encore à St-François?(1) Aimons-nous toujours à tort et à travers in Xto…

29 sept. 80. «Bien cher ami et Père, Je vous remercie de me dire un mot de votre œuvre. Vous mettez S. François dans le Cœur sa­cré de Jésus … Votre but est de faire pénétrer avec St-François lest maîtres de la jeunesse dans le Cœur Sacré du Sauveur qui dit: Laissez venir à moi les enfants. Courage! J'espère que Jésus et François sont avec vous. Je vous remercie encore de m'avoir rappelé au souvenir amical de votre excellente famille que je ne pourrais ja­mais oublier. Je me rappellerai toujours l'amabilité de votre si bon père, la douce et digne piété de votre tendre mère, la bonté de vo­tre aîné Henri. A l'occasion, mes meilleurs souvenirs à toutes ces chères personnes.

Ma santé se raffermit, je dompte avec plus de succès la bizarrerie de mes nerfs, et je conserve le ferme espoir de pouvoir aller un jour vous voir à St-Quentin, au milieu de vos œuvres, pour revenir ensuite par La Capelle. Tenez-moi au courant de la marche de votre Congrégation. Prions énormément les uns pour les autres!…»

- Ce saint prêtre, qui avait été mon directeur pendant quatre 43 ans, ne devait plus m'écrire, il s'en allait / au ciel l'année suivante.

Une lettre de M.Bougouin (de Poitiers), du 16 mars 80, me con­firmait, ce que je savais déjà, que le même esprit de réparation au S.-Cœur par la sanctification du clergé soufflait aussi ailleurs. «Votre lettre m'a bien intéressé. J'ignorais les détails touchants que vous m'y donnez; vous me faites regretter de plus » n éloignement de vous. Laissez-moi vous dire toute la part de vive sympathie que je prends à cet essai généreux de vie religieuse. Votre but est élevé, di­gne d'être patronné, puisqu'il y va de l'honneur de Jésus, Souverain Prêtre, et de celui de notre ordre sacerdotal. Vous reprenez pour notre pauvre siècle amoindri, la pensée de M. Olier, du P.de Condren et de leur école sur la sanctification du clergé, et donnez à votre œuvre une forme spéciale en lui attribuant la réparation pour les offenses qui affligent le plus le Cœur de N.-S.

Peut-être ne savez-vous pas qu'outre les Pères de N.-D. du S.Cœur d'Issoudun, qui entrent aussi, me dit-on, dans cette même pensée, mais moins exclusivement peut-être, une Congrégation des Prêtres de la Sainte Face, dont le but est également la réparation, se fonde à Tours, sous la direction du doyen du chapitre, M Janvier, et pour / continuer l'apostolat de M. Dupont.- Je sais que, de son côté, le P. 44 de la Passardière, supérieur de l'Oratoire de St-Philippe de Néry en France, et en résidence à Draguignan, reli­gieux jeune encore, d'un beau talent et tout de flamme, donne à son œuvre un but parallèle, sinon identique au vôtre.. J'ai lu avec émotion votre lettre, conjecturant vos joies, vos espérances, mais aussi vos préoccupations et les sollicitudes inséparables d'une œuvre de cette importance à ses débuts. J'ai senti votre courage et une volonté déterminée. Vous avez les encouragements de votre évêque et l'appui de son suffrage auprès du Pape, c'est une force précieuse.. J'ai nommé votre œuvre et (lit vos espérances à notre Cardinal: sa sympathie est acquise à votre personne; pour le reste, vous savez sa prudence… (1). Soyez assuré, cher ami, de mon concours tout faible et petit qu'il soit. J'entrerai de cœur et par la prière en des intentions qui nous intéressent tous à un si haut point…/ 45 Année scolaire 1880-1881

Je lis dans l'Aigle du 24 octobre: «Notre chère communauté a repris son petit train. Intéressante est l'inspection des cinq études et des quinze classes, où l'on se dispute avec un acharnement enthousiaste, mais avec une courtoisie parfaite, les palmes de ces nouveaux jeux olympiques, non moins clignes d'être célébrés que ceux exaltés par Sophocle, Euripide et Horace.

«Voyez maintenant ces lutteurs s'ébattant dans les deux cours, où ils se trouvent rassemblés et serrés sous les yeux de leurs maîtres, disons mieux de leurs pères; et dites-nous si, dans l'entrain général, il vous est possible de discerner les nouveaux venus des anciens de la maison…

Les constructions de l'aile nouvelle se continuaient, trop lentement au gré de nos désirs. Nous avions eu de la peine à loger notre excédent de trente nouveaux.

«Mercredi soir, ajoutait l'Aigle, est arrivé pour rehausser par 46 sa présence l'éclat de / la neuvaine à Saint-Quentin, Monseigneur notre évêque. Il veut nous donner une nouvelle marque de sa pa­ternelle bonté, bien connue et appréciée de notre petite famille, en célébrant samedi prochain la messe du Saint-Esprit à notre inten­tion. Le lendemain, nous assisterons à la grande solennité de l'après-midi: Vêpres pontificales, sermon par M. l'abbé Lemann - Cinq évêques seront présents…

L'année suivit son cours ordinaire, avec son labeur régulier, ses fêtes, ses examens.

J'avais pris l'instruction religieuse des grands. Je faisais la médita­tion le matin, la lecture spirituelle à l'étude le soir. Je donnais les notes le samedi et je présidais le conseil des pro (N.B pag 1595).-

professeurs. Je pouvais exercer sur les élèves une action assez sui­vie. J'en confessais un grand nombre.

Au mois de mars, nous perdions un de nos jeunes professeurs, l'abbé Joseph Marchal, frère de M.Eugéne Marchal. C'était un petit Louis Gonzague. Il s'éteignait de la phtisie. J'allai à ses funérailles avec un groupe d'élèves à Douilly. Il me fut facile d'adresser aux as­sistants quelques paroles d'édification à l'occasion de cette mort. - «Videbunt finem sapientis et non intelligent quid cogitaverit de / illo Deus (Sap 4, 17): les hommes verront la mort du 47 sage et ils se deman­deront à quoi a pensé Dieu.- N'est-ce pas le cri qui s'échappe de nos lèvres, en voyant le coup que la mort vient de frapper? Une in­telligence d'élite, un cœur riche des plus nobles affections, une vo­lonté ferme et énergique pour le bien, et tous ces dons à l'âge où l'homme entre dans la vie, plein d'ardeur et de générosité; quel tré­sor perdu pour le monde! quel ouvrier enlevé à l'œuvre de Dieu sur la terre! A quoi a pensé Dieu, et quel peut être son secret? Avant de relever ce secret divin, unissons-nous à la douleur de cette famille si cruellement éprouvée… Mais à cette douleur il est une puissante consolation que nous trouvons dans le texte même in­spiré par l'Esprit-Saint. Ah! le secret de ces morts qui nous éton­nent, c'est que Dieu, lui aussi, aime ces amer: lui qui a mis au fond du cœur de l'homme les plus saintes affections, n'a pas voulu se priver du droit d'aimer. Voilà pourquoi, lorsqu'il rencontre une bel­le âme, il se hâte parfois de la transporter dans son ciel pour la faire jouir plutôt du bonheur des élus. (Placens Deo factus est dilectus, et vivens inter peccatores translatus est… Placita enim / erat Deo anima illius: propter quod properavit educere illum de medio iniquitatum (Sap 4, 10­-14). Qu'elle était 48 belle, en effet, cette âme de jeune homme candide et pur, et comme N.-S. devait l'aimer. Il appartenait à cette chaste génération de vierges pour lesquelles N.-S. a toujours montré tant de prédilection…

Le 27 décembre, nos élèves jouaient le Revenant. C'était toujours grande fête à la Saint-Jean, nous invitions M. l'archiprêtre et quelques amis.

Au Carnaval, ce fut le Cercle qui nous joua M. de Pourceaugnac.

La grande fête de St-Léon nous transporta cette année à Coucyle­Châtéau. Nous avions loué des voitures. Le programme comme toujours était superbe: Messe à Folembray, visite du parc et de la verrerie. A Coucy, jeux, dîner dans les ruines, montgolfières, etc.

C'était pour nos enfants des journées inoubliables. Ils les méritaient par l'affection filiale qu'ils témoignaient a leurs supérieurs. La journée d'excursion était toujours précédée d'une journée de prière et de communion.

Le Jeudi-Saint aussi, nous avions toujours une bonne réunion. M.l'archiprêtre venait dîner et proclamait les prix d'excellence.

49 Le 12 juin, belle journée de première / communion. Vingt-deux enfants y prennent part. Monseigneur a bien voulu présider lui-même la première communion, puis il a donné la confirmation à nos enfants.

M. Labitte préparait admirablement les enfants à ce grand acte.

Monseigneur m'écrivit souvent cette année au sujet d'Edgard Thibaudier qui nous fut retiré à Pâques. Mgr montra dans ces rela­tions une bonté et une sagesse héroïques, mais il n'obtint aucun ré­sultat apparent avec ce petit créole.

Il m'écrivit aussi au sujet des professeurs. Il me donna M.Vaillant a la rentrée, et plus tard M. Leclaire et M. Bray.

Le 2 janvier, il m'écrivait: «J'ai été sensible beaucoup plus que je n'ai le loisir de vous le dire à l'expression de vos sentiments et de vos voeux: croyez que mon cœur répond au vôtre, et tenez pour bien dit ce que je me trouve condamné à dire très mal…

Le 24 février: Je crains de ne pouvoir ajouter l'an prochain aucun professeur à ceux que vous avez déjà du diocèse. Ne concevez de la aucune inquiétude; je suis pour tout au moins ce que j'ai été pour le passé; mais je crains de me trouver très gêné.- / Je compte 50 passer à Liesse le 7 et le 8 mars, je ne vous y oublierai pas…

21 avril - (Edgard nous est retiré, il est confié a son oncle qui le mettra au lycée de Montpellier). Mon cher supérieur, L'intention du père d'Edgard est formelle, les quelques lignes qu'il m'a écri­tes ne contiennent pas même un remerciement. Je n'ai donc pas fait la moindre objection; j'ai reçu avec bienveillance M. Lachapelle (son oncle) qui se présentait poliment. La visite d'Edgard me sera pénible; mais je ne pouvais la refuser. Faisons le bien jusqu'au bout; que le cœur ne saigne pas de remords, c'est l'essentiel. Dieu fera peut-être sans nous ce qu'il n'a pas daigné faire par nous. En tout cas il ne nous demande pas ce qui ne dépend pas de nous. Bien vo­tre en N.-S.

12 juin (après la lère communion). «Je comptais annoncer dans la cour, avant mon départ, a vos chers enfants, le congé dont nous étions déjà convenus: la visite de votre nouveau bâtiment m'a fait perdre de vue cette équitable intention. Veuillez je vous prie, répa­rer cet oubli, si vous ne l'avez pas encore fait, et assurer grands et petits que je les bénis tous les jours du fond du cœur…

C'était le 3 août. Belle fête comme / toujours. Mgr Hautcœur, 51 Recteur des facultés catholiques de Lille préside en grand costu­me. M. Rigaut fait le discours d'usage sur l'éducation chrétienne. Mgr Hautcœur parle sur l'Université catholique de Lille. Je me re­pos cette fois.

Nous avions cinq bacheliers a proclamer:

Gustave Hazard, de la Fère,

Charles Mercier, de Bone;

Paul Cornilus, de St-Quentin;

Georges Lefèvre, de Laon;

Jules Damiens, d'Hirson.

Il se faisait beaucoup de bien à St-Jean, surtout dans ces premiè­res années. Je pourrais le montrer par des centaines de lettres où des élèves exprimaient des sentiments chrétiens et délicats, soit pen­dant leurs vacances, soit après leurs études. Quelques spécimens suffiront.

Gustave D. m'écrivait en 1880: «M. le Supérieur, je viens vous re­mercier des bontés toutes particulières que vous avez pour moi (il avait des conditions de faveur pour la pension). Je sens ce que vous faites et vous n'avez pas recueilli un ingrat. L'année qui va commencer me donne l'occasion de vous dire que je vous aime comme 52 l'enfant aime son père et que je n'oublierai jamais / ni la no­blesse., ni la délicatesse de votre Cœur. Vous me donnez les moyens d'arriver aux plus ardentes de mes aspirations. Ce n'est pas avec des paroles, c'est avec des faits que je prouverai ma reconnaissance et comme il me sera impossible de rémunérer tout ce que j'ai reçu de vous, je suis sûr que le S.Cœur se chargera de compléter ce que je ne pourrai faire. Depuis que je suis près de vous, je vous ai déjà donné bien des inquiétudes, causé bien des peines, avec mon ca­ractère léger; oh! je vous en demande bien pardon et je vous pro­mets de me surveiller si bien que personne n'aura plus rien à redire à ma conduite. Je ne suis pas assez chrétien, je le deviendrai; je ne travaille pas assez, je travaillerai et avec la grâce du S.-Cœur, je serai reçu, pour vous et pour St-Jean.- Mes souhaits, vous les connaissez tous: Que le S.-Cœur conserve la santé de tous ceux que vous ai­mez, qu'il comble de ses bénédictions St-Jean et votre congréga­tion; qu'à vous-même il rende la santé, qu'il vous donne une multi­tude de ces joies qu'aiment le prêtre et le supérieur, et que l'épreu­ve si elle doit venir passe bientôt…

Le même m'écrivait pendant les vacances: «Merci des bonnes pa­roles que vous m'avez envoyées; si vous saviez comme elles m'ont fait du bien!… / Vous savez bien que vous avez toute ma confiance 53 et mon affection filiale…»

Il est resté bon.

- Le bon Charles G. a trouvé chez nous la vocation sacerdotale. Son père qui soupçonne la chose nous le retire après la rhétorique, et le met, comme moyen d'attente, professeur au collège de Rethel. Il m'écrit souvent:

Janvier 80. - «Je viens vous demander quelques conseils et m'ouvrir un peu à vous. Depuis l'envoi de ma dernière lettre, j'ai étudie la maison, je me suis bien demandé si je devais rester ici et ce que j'y devais faire. Je n'y suis guère édifié… Je suivra tous les conseils que vous me donnerez. J'ai été tiède depuis quelques jours, mais je vais m'armer de courage et je remplirai tous mes devoirs. Ecrivez­-moi, s'il vous plaît.

Mai 80. (Il a quitté Rethel et obtenu de son père l'autorisation d'aller faire sa philosophie au petit séminaire de Charleville). «Je suis au petit séminaire de Charleville depuis mardi soir. Les com­mencements ont été un peu durs, car la règle est sévère, mais j'y suis déjà habitué. L'esprit des élèves est excellent. On prie ici et l'on travaille beaucoup. On vient déjà de me recevoir / dans la 54 congrégation des Enfants de Marie.. J'ai pensé beaucoup à S. Jean le 11. Je regrettais de n'y être plus, et je me consolais en priant pour cette chère maison.

Juin 80. «J'ai reçu, il y a quelques jours des nouvelles de St-Jean par M.G. Il m'a appris que vous étiez loin d'être tranquille, et quel ces jours sombres qu'on prévoit devoir arriver bientôt, étaient déjà, pour ainsi dire, commencés pour vous (à cause des craintes d'ex­pulsion). On veut vous priver de professeurs. Mais s'arrêtera-t-on là? Je vous assure que ces nouvelles m'ont fait beaucoup de peine. J'ai­me toujours St-Jean, et tout le mal qu'on pourra vous faire, je le res­sentirai comme si j'étais encore votre élève…»

août 80. «Mon père consent à me laisser entrer au séminaire au mois d'octobre prochain. Je suis heureux, mais je ne sais pas encore où j'irai, à Issy ou à Soissons…»

- Pierre C. était une nature d'élite. Il a été bien éprouvé… A ses va­cances de Pâques il m'écrivait: «M. le Supérieur et vénéré Père, Vous voyez que Pierre ne vous oublie pas et qu'il vient vous confier ses peines. Je suis arrivé a M. à 10 heures samedi; et 55 aussitôt, j'ai reçu une semonce pour mes notes, parce que j'ai / eu un «Presque très bien». Aussi je n'irai pas à Paris pour cela… e crains de ne plus vous revenir à Pâques, car maman m'a demandé si je vous avais dit adieu, ainsi qu'à M. Rigaut. Je lui ai demandé pourquoi elle me faisait cette question: «On ne sait pas ce qui peut arriver, a-t-elle répondu.» Si je vous quitte, soyez persuadé que si je ne suis pas à St-Jean de corps, j'y serais toujours d'esprit. La croix que je porte en ce moment est lourde, demandez a Dieu de m'aider à la supporter. Toutes les fois que je prie, je lui demande cela. Je ne sais pas pourquoi, mais pendant ces vacances, je me sens mieux disposé à prier. Il est vrai que pendant la Semaine Sainte, j'avais puisé des grâces qui me fortifient maintenant. Je suis résolu a me conserver tout entier à Dieu, surtout depuis quelque temps. Je ne sais comment je pourrai mieux me donner à lui. J'espère que je parviendrai à le savoir. Priez bien pour moi; si vous saviez comme j'ai besoin de prières!…»

- Paul L. est allé en vacances avec de bonnes dispositions. «Je profite d'un moment de loisir pour vous écrire quelques lignes. Je m'occupe à des travaux manuels pour / me bien reposer la tête afin 56 de mieux travailler lorsque je serai rentré auprès de mes bons maîtres.. Je ferai tous mes efforts pour être agréable à Dieu et aussi a mon Supérieur…- Mes parents ne sont pas disposés à remplir leur devoir pascal. Ils n'y arriveront pas cette année, ils n'ont pas encore assez de convictions pour cela. Mon père m'a parle de ma vocation, je lui ai répondu, comme c'était convenu, que je verrai à cela lorsque j'aurai conquis mon diplôme…»

Je laissai presque entièrement cette année le Cercle et le Patronage à la direction du P. Rasset. Je n'y allais plus guère. Le bien se faisait quand même.

Les jeunes gens du Cercle nous jouèrent une comédie aux jours gras. Le collège y assista.

Saint-Jean et la Congrégation absorbaient mon temps. J'allais de plus souvent au Couvent où la vie surnaturelle était intense. C'était pour moi un grand charme et une grâce d'y aller.

Je ne pouvais plus assister aux réunions annuelles de l'Œuvre des Cercles à Paris, j'y envoyais un rapport sur notre œuvre, /cette 57 année et les Suivantes.

Nous avons eu cette année, le synode diocésain à Soissons, du 29 août au ler septembre, pour la préparation des Statuts. Mgr m'y nomma secrétaire avec M. Mignot, je contribuai à la rédaction des procès-verbaux…

Le Saint-Père mène de front sa grande œuvre doctrinale, c'est-à-dire la théologie de la vie sociale chrétienne, et les œuvres accidentelles qui répondent aux besoins courants.

Pour son œuvre doctrinale, il a déjà donné les années précédentes ses encycliques:

Inscrutabili: sur le malaise social (21-4-1878);

Quod apostolici: sur les erreurs contemporaines (28-12-1878);

Aeterni Patris: sur la philosophie chrétienne (4-8-1879);

Arcanum divinae Sapientiae: sur le mariage et la famille (10-2-­1880).

II commence maintenant ses enseignements sur la vie sociale chrétienne proprement dite par l'encyclique Diuturnum, sur l'origi­ne du pouvoir civil (29-6-1881).

«A toute communauté, il faut des chefs. La nature et la raison le veulent, et Dieu est l'auteur de la nature et de la raison. La 58 sour­ce du pouvoir dans l'État vient donc / de Dieu, la détermination seule du sujet de ce pouvoir se lait par les hommes. Les princes exercent l'autorité au nom de Dieu et doivent un compte à Dieu. Ils ont droit à l'obéissance, sauf le cas d'un précepte manifestement contraire au droit naturel ou divin. Les princes et les peuples trou­veront dans cette doctrine un soutien puissant. Les princes verront leur autorité affermie, les peuples verront leurs droits respectés.»

Comme œuvre concomitante a ses grands enseignements, le Pape, cette année, recommandait les œuvres de la Propagation de la foi, de la sainte Enfance et des Écoles d'Orient par l'Encyclique Sancta Dei civitas (1). Il accorde par l'encyclique Militans (12-3-1881) un jubilé extraordinaire, à cause du grand besoin de grâces qu'ont l'Église et les peuples chrétiens…

Les merveilles de Lourdes se multiplient. C'est comme un arc-en­-ciel au milieu de l'orage qui gronde partout.

Dans les familles religieuses, c'est partout expulsion ou menace d'expulsion. Puissent les souffrances des justes obtenir le pardon des tyrans.

Les loges maçonniques deviennent les/ maîtresses du pouvoir, les 59 Chambres et le ministère sont à leur dévotion. Elles préparent dans leurs convents le programme du Kulturkampf.

La France est en guerre en Chine et au Tonkin, espérons que ce­la servira au développement de la foi catholique.

Un vaillant lutteur meurt le 21 novembre, c'est le P. d'Alzon, dont j'ai beaucoup aimé le caractère vaillant et intrépide.

Cette année aussi apportait ses croix: periculum ex latronis, periculum ex falsis fratribus, etc. - Crainte quotidienne de dissolution et d'expulsion - Continuation du Tolle et des calomnies Procès intenté à la Chère Mère et gagné en première instance et en appel par l'héritier de la Soeur Marie des cinq Plaies, et par suite perte de toutes nos ressources.- Difficultés intérieures: le diable se sert de deux caractères faibles que nous avons parmi les nôtres pour susciter bien des peines et des difficultés.

Les vocations nouvelles sont une consolation. Elles sont assez nombreuses cette année et il y en a de bonnes. / Les agrégations de 60 pieux laïques nous apportent aussi un grand concours de prières, de bonnes œuvres et quelquefois d'aide temporelle.

Nous recevons cette année: le 23 oct. P.Barthélemy Dessons; le 21 nov. P.Thadée Captier; le 25 déc. f. Martin Waguet et f. Marc Stempfel; le 7 janv. f. Augustin Herr et Michel Venet (1); en février: f. André Ozenfant et Paul Delgoffe; en mars: P. Ignace Lefèvre; en avril: f. Léonard Flament - Bernardin Blanqueniaux et Clément Defuida; en mai: f. Patrice Boulanger; en juin: f. Pierre Bertrand.

- Plusieurs ne persévérèrent pas. D'autres devaient nous apporter de grandes croix (2).

Le P. Captier nous venait d'Issoudun. C'était un homme original, un peu étrange et qui croyait avoir eu déjà des grâces extraordinaires. Il avait des qualités qui parlaient en sa faveur, notamment des vues souvent bien; belles sur la dévotion au S.-Cœur.

Il eut la plus grande responsabilité dans les épreuves qui nous assaillirent bientôt. Après avoir été d'abord orthodoxe dans sa doctrine, il se mit à soutenir avec obstination une sorte de quiétisme. Il / ne m'obéissait plus et nous voulait éloigner de l'obéissance 61 simple et humble à Monseigneur.

Pourquoi l'avais-je reçu? J'avais une confiance très grande aux vues de Sr Ignace et elle lui était favorable. Il était venu nous voir et avait demandé à la Soeur une lumière sur sa vocation. Il désirait savoir si notre congrégation était bien l'Ordre du S.-Cœur qu'il avait rêvé. Les voix de N.-S. lui répondirent par le mot de N.-S. aux envoies de Jean-Bte: Renuntiate Joanni quid vidistis … (Mt 11, 4). Le P. Captier s'appelait justement Jean-Baptiste, c'était lui dire que l'Œuvre qu'il avait vue était bien l'œuvre divine. Il vint. Dieu l'a permis…

Parmi les amis du S.-Cœur qui s'unirent a nous par les liens de l'agrégation, je cite les premiers; nous leur donnions un nom de religion. Ils recevaient la croix ornée du S.-Cœur comme nous la portions. Ils prononçaient un acte d'oblation d'eux-mêmes au S.Cœur, en union avec nous et avec les Soeurs Servantes du Cœur de Jésus.

Voici leurs noms: /

62 M. Mathieu, archiprêtre: Jean-Marie Quentin;

M. Genty, vicaire : Siméon;

M. Léleu, vicaire : François;

M. Petit, curé : Joseph;

M. Quentin, aumônier: Jean de Dieu;

M. Vilfort : Simon de Cyrène;

M. Lhermitte, curé : François du S.-Cœur;

M. Charle de Montenon: Generosus;

M. Ruandel (de Paris) : Pierre;

Melle de Clisson : Marie du S.-Cœur;

Mme Lecot : Ste-Chantal;

Melle Martin : St Joseph;

Mme Demont ( ma parente): St-François;

Mme Agombart :St-Antoine de Padoue;

Mme Thiébaut :St-Thomas;

Melle h. Caplain :Ste-Thérèse;

Molle Bocquillon :St Jean;

Mme Baudouin :Ste-Félicite;

Mme B. de Clacy :Marie de l'Incarnation;

Mme Herr :Ste Monique;

Melle Joncourt :Ste-Madeleine;

Mme Penant (ma tante) : Marie de l'Imm.-Conc.;

Mme Malézieux : Marie de l'Épiphanie;

Mme Nivoit : S.-François de Sales;

M. l'abbé Desseille : St Joseph;

M. l'abbé Beckerhoff : Claude-Marie;

Mme Dehon (ma mère) : Stéphanie…/

63 Plusieurs de ces personnes ont vu vraiment leur offrande ac­ceptée et leur immolation se réaliser par des croix de Providence. Plusieurs étaient comptées parmi les personnes les plus édifiantes de la ville.

Monseigneur avait eu des difficultés avec les Frères qui diri­geaient l'œuvre de S.-Médard. Il nous appela pour les remplacer au moins provisoirement. J'envoyai les Pères Philippot et Falleur se former un peu à Nantes au métier de professeur des sourds-muets.

Le 1 octobre, Mgr m'écrivait: «Je suis extrêmement touché de ce que vous voulez bien, vous et les vôtres, faire pour St Médard; j'espère bien que votre cher petit groupe sera récompensé par le divin Maître du sacrifice considérable et multiple que vous vous disposez à présenter à son Cœur sacré dans 1'interêt de ces pauvres petits, qui croient en lui.- Il est à désirer que MM. Lamour, Philippot et Falleur arrivent vendredi prochain. Je compte sans peine non seule­ment sur leur courage et leur mortification, mais sur leur humilité et leur docilité. Sous la direction générale de M.chanoine Bourse, ce sera le P. Donat, de Cîteaux, qui dirigera l'œuvre. C'est un hom­me / expérimenté et d'un sens supérieur, mais qui ne s'est jamais 64 occupe de sourds-muets ni d'aveugles.

Le 8 oct. - «Votre chère petite trinité est installée à St-Médard; elle vous dira elle-même combien modestement, mais avec quelle con­venance relative pour conserver ses relations essentielles. J'espère que d'ici peu de temps, nous ne fonctionnerons pas trop mal; mais avant de nager convenablement, il faudra sans doute boire plus d'une goutte d'eau salée…»

Plusieurs lettres de Mgr étaient relatives à l'œuvre du S.Cœur.

Au mois de décembre, je l'avais prie de vouloir bien signer avec d'autres évêques une supplique au Saint-Père pour que la fête du S.-Cœur fût élevée au rite de lère classe. Il me répondit: «J'étais bien résolu à demander l'élévation de la fête du S.-Cœur au rite double de 2e classe. Irai-je plus loin? Je ne sais. Assurément, par la dignité de son objet, qui est l'amour divin et son organe spécial, cette fête mérite la plus haute solennité; mais je me demande si, par son abstraction, l'idée de cet objet ne doit pas le céder aux con­ceptions plus concrètes de la divinité et 65 de Notre-Seigneur quel l'Eglise nous présente / en d'autres fêtes. Quand on pense que la fête même de la Sainte-Trinite n'est qu'un double de 2e classe! La raison en est, je suppose, l'abstraction de son objet précis et spécial. Pour les bienheureux du ciel, la plus grande fête chrétienne est, je pense, le 25 mars: elle ne le sera probablement jamais sur la terre. Il me semble donc jusqu'ici que même après la faveur providentiel­lement, miraculeusement procurée de notre temps à la dévotion envers le S.-Cœur, sa place logique dans la hiérarchie des fêtes chrétiennes est encore après les premières… Mais je conçois très bien que cette fête soit élevée au ler rang, non seulement dans cer­taines communautés et paroisses, mais dans quelques diocèses: à Autun, par exemple, qui est le foyer d'où sont partis de nouveaux et éclatants rayons; à Marseille… à Paris, où l'univers chrétien s'efforce d'élever la forteresse de Montmartre…»

Le 22 janvier. (Je lui avais parlé de quelques vocations de Lyon) «A Lyon, plus qu'ailleurs peut-être, je dois m'abstenir de toute pro­pagande: je crois qu'on en prendrait bien vite quelque ombrage. Mais 66 je / recevrai avec grande joie tout ce qui en arrivera de bon: et chez vous il ne peut venir, du reste, rien que d'excellent.- Le Prado est l'œuvre d'un saint, une sainte œuvre, faite encore aujourd'hui, je crois, par des hommes d'une grande piété et d'un grand dévouement (1). Tous pourtant ne sont pas des hommes commodes… Voyez vous-même, mon cher Supérieur, ce que vous avez à faire, seulement ne perdez pas de vue la crise que nous tra­versons; ayez peu de monde à la fois au S.-Cœur.- Au besoin, je vous offrirais volontiers un presbytère ou deux pour votre trop-plein, avec des titres de curés qui n'imposeraient pas trop d'occupations extérieures…»

Le 27 février. - «Vous paraissez menacés d'une nouvelle ligne d'approche. Voyez s'il n'y a rien à faire chez vous … (Mgr était interrogé au sujet de notre congrégation).

Le 16 mai. - «Je suis très heureux des excellentes attestations de M.Captier. Nous traiterons la question de son ordinaire à St­-Quentin. En attendant, vous pouvez lui taire et lui confier ce que vous voudrez.»

Le 5 juillet. - (M.Didiot m'avait écrit une lettre encourageante re­lativement au surnaturel de St-Quentin, mais il paraît qu'en d'au­tres circonstances il était moins affirmatif.) Mgr écrit à M.Mathieu: / «Mon cher vicaire général, M.Demiselle vient de me faire une visi ­67 te, pour me rendre compte de ce qui s'est passé au Congrès eu­charistique, où il a été dit et fait des choses très édifiantes. Il a ajouté que M.Dehon l'avait prié de se mettre en rapports avec M.Didiot et de l'entretenir de ce qui se passe à St-Quentin: ce que le digne cha­noine n'a pas manqué de taire. La seule chose que je détache de notre conversation, c'est l'opinion exprimée par M. Didiot sur les révélations de Sr M. Ignace. D'après une de ses dernières lettres, M. Dehon croyait cette opinion absolument favorable; or, M.Demiselle m'a dit et répété que M. Didiot est très en défiance à l'égard de ce surnaturel; qu'il croit M. Dehon dans une fausse voie; qu'il ne vou­drait lui voir lier aucune partie de son œuvre à ces manifestations. Mon attitude et mon langage ont été tels que le cher chanoine Demiselle n'a rien pu connaître de ma pensée… Quant à moi, qui n'ai jamais été rassuré, sinon par la réserve et le secret sur lesquels je comptais en attendant plus de lumières, mon inquiétude s'ac­croît chaque jour, en voyant d'une part une véritable publicité et l'habitude 68 prise de faire reposer toute / une grande œuvre sur des fondements si incertains, d'un autre coté ces fondements eux-mêmes perdre de leur apparente consistance.

Je serai, s'il plaît à Dieu, père et père dévoué jusqu'au bout. On le mérite d'ailleurs, il y aurait injustice et ingratitude à le méconnaî­tre. Je n'ai pas à me plaindre de la docilité volontaire, j'ai à louer de grandes vertus, parfois poussées jusqu'à l'héroïsme; j'ai à rendre grâce à Dieu d'une grande œuvre, l'institution S .Jean; des progrès en piété et mortification d'une belle petite famille religieuse, enfin du germe déjà vigoureux d'une association sacerdotale, à laquelle Dieu pourra imprimer un grand caractère. Un évêque, à plus forte raison un ami, ne saurait perdre cela de vue. Mais il faut que pour un temps du moins on se renferme dans une grande réserve et un grand silence. M. Dehon (il ne manquera pas de raisons à alléguer pour cela) descendra rarement, tous les 15 jours au plus, au fau­bourg. Le service des bonnes Soeurs sera fait constamment par le même aumônier et le confesseur ordinaire. On ne communiquera aucune révélation à l'aumônier. On n'enverra personne au couvent dans l'intention qu'il soit aperçu de Sr M. Ignace.- L'œuvre 69 ca­pitale du moment doit / être l'institution: telle est la mission que je donné. Si Notre-Seigneur le veut, les autres auront leur tour dans nos soins: qu'il daigne suppléer en attendant à ce que nous ne pou­vons point faire pour elles. Elles ont du reste au moins les éléments conservateurs. Elles sont actuellement en hiver, qu'elles dorment un peu; tandis que leur campagne (l'institution) recevra la culture du moment…»

6 juillet. - «…Tant que nous n'aurons pas de signes beaucoup plus manifestes, je tiens absolument à l'observation des deux règles que j'ai toujours tracées: 1° le secret; 2° abstention de tout souvenir des écrits ou des paroles de Sr M. Ignace dans la conduite administrati­ve. Je reconnais toujours d'ailleurs, dans les écrits de la Soeur, de très belles choses et une doctrine irréprochable…»

10 août. - «Mes bons souhaits pour votre voyage de Lyon. J'aime beaucoup le Prado. Permettez-moi de vous engager à ne rien entre­prendre qui puisse amener un état financier plus difficile ou retar­der le dégagement de votre situation actuelle. Ne perdez pas de vue que le collège est pendant la période militante que nous traversons, votre camp retranché. Attachez- / vous tout d'abord 70 et pardes­sus tout à le fortifier.»

19 août 81. «J'ai revu de M. Didiot une bonne lettre au sujet du S.-Cœur. Il conclut cependant à une grande circonspection… M.Dehon voudrait de moi une lettre qu'on puisse présenter à Mgr de Lausanne et Fribourg à l'effet d'obtenir dans ce diocèse l'autorisa­tion d'un établissement de refuge. (J'allai en effet jusqu'à Fribourg avec le P. Captier, nous cherchions un refuge pour le noviciat.) Je suis prêt assurément à attester le très grand mérite et les hautes ver­tus de notre cher supérieur; mais je craindrais, je l'avoue, que le nouvel établissement ne devînt tout autre chose qu'un moyen de sécurité, savoir, un prétexte d'attribuer au S.-Cœur des affiliations étrangères, qui seraient devant le gros public et, les jours devenant plus mauvais, devant l'autorité, d'un effet très malheureux. Si donc une création de ce genre avait lieu, je voudrais l'ignorer et pouvoir dire que je n'approuve rien que pour mon diocèse. Je crois d'ail­leurs devoir répéter que, dans les jours mauvais que nous traver­sons, le maintien, la bonne direction, le progrès indispensable de St-Jean imposent des obligations qui doivent laisser dans l'esprit et dans la vie de M. Dehon peu de place pour / d'autres préoccupa­tions et 71 d'autres travaux. Le P. d'Alzon se borna longtemps, si je ne me trompe, et dans de meilleures conditions, à être supérieur de l'Assomption. Quel malheur si, après avoir si bien débuté, nous venions à échouer ou à reculer! or, à peu près sûrement de grandes difficultés nous attendent…

Cette année encore je fis ma retraite à Notre-Dame de Liesse, chez les Pères Jésuites, du 16 au 24 septembre.

Mes notes:

I.- Importance de cette retraite: chaque fidèle devrait faire sainte­ment la retraite annuelle! Et le prêtre! et le religieux! Et moi qui ai une si grave mission! … Réparation au Cœur de Jésus pour les retrai­tes omises ou mal faites…

Exemple: Moïse au Sinaï; François d'Assise à l'Alverne; Ignace à Manrèse.

N'ai-je pas une montagne d'infidélités et d'ingratitudes à répa­rer? Qu'ai je été à l'oraison, au st-office, au st-sacrifice depuis un an? Quelle grande grâce m'est offerte: une semaine de repentir et de larmes.

Et pour l'avenir: il faut que je devienne un saint. Le Cœur de Jésus l'attend de moi. Ma mission l'exige. Il faut que je prenne déjà 72 cette semaine des habitudes de saint. / Il faut que la nature meure!…

II.- Fin de l'homme - Ma fin propre: louer et servir Dieu - exacte­ment, totalement, attentivement - le louer dans la paix, dans la joie, dans la ferveur - aimer et consoler le Cœur de Jésus.

Faire louer et servir Dieu - Faire aimer et consoler le Cœur de Jésus par tous ceux qui me sont confiés, mes Soeurs, mes fils dans le Cœur de Jésus…

Pour les maîtres et élèves de l'institution: zèle à leur égard; de­voirs d'état; m'assurer qu'ils remplissent leurs devoirs; y veiller.

Tout cela pour sauver mon âme; pour que je jouisse éternelle­ment de l'amour de Jésus, mais aussi et d'abord pour l'amour de son Cœur et sa consolation…

III.- La fin des créatures: Aider l'homme à atteindre sa fin.

Elles publient la gloire de Dieu: protestons contre les matériali­stes et les impies.

Elles ne doivent nous servir que pour notre fin, selon la nécessité, l'utilité ou l'honnête récréation: réparons pour tous les abus qui en sont faits.

Je voudrais voir partout consacrer ce que la création offre de plus riche et de plus beau à la gloire du Cœur de Jésus. /

Me suis-je servi depuis un an des créatures pour ma vocation 73 propre? des âmes pour les gagner au Cœur de Jésus, des croix pour réparer, de ma pensée, de ma parole, de mon temps, pour le servi­ce et l'amour du Cœur de Jésus?

Que d'omissions? que d'infidélités!… IV.- Conclusion pratique. Nous faire indifférents à toutes les choses créées considérées en elles-mêmes. Ne voir en elles que des moyens pour atteindre notre fin.

Je me servirai des créatures pour croître dans l'amour du Cœur de Jésus. Toutes me disent sa bonté et ses souffrances.

Pour ce qui lie dépend pas de ma volonté, je serai indifférent. N.-S. sait mieux que moi si c'est la santé ou la maladie, la richesse ou la pauvreté, la réussite ou l'insuccès qui me conduira le mieux à ma fin.

Je veux ainsi vivre dans l'abandon habituel à la volonté divine, me tenant même pour heureux quand N.-S. m'impose un peu sa croix pour que je coopère avec lui à la réparation et au règne de son Cœur. V.- Le triple péché.

Scito et vide quia malum et amarum est reliquisse te Dominum Deum tuum (Jr 2, 19). /

74 Implete mensuram patrum vestrorum ((Mt 23, 32).

Spiritus ubi vult spirat (Jo 3, 8).

Nescio quando et quo auferetur spiritus gratiarum efficacium specialiumque favorum Dei: et horum enim apud Deum mensura est

L'ingratitude est proportionnée aux grâces reçues, aux faveurs, aux privilèges, aux avertissements.

Combien les fautes de certaines âmes sont plus amères au Cœur de Jésus!

VI. Obstacles à la perfection.

1° Négligence à préparer l'oraison - distractions.

2° Négligence de la préparation spéciale de la sainte messe - pré­cipitation, routine.

3° Action de grâces tiède, informe.

4° Office retardé, précipité, distrait.

5° Affections naturelles.

6° Devoirs d'état pas assez considérés; âmes négligées; reformes omises.

7° Manquements a la charité par jugements et critiques.

8° Pas assez de mortification habituelle

9° Examens quotidiens négligés, mal faits.

10° Pour le temporel, sollicitude trop naturelle et qui envahit les exercices spirituels.

11° Omission trop fréquente du but spécial de notre vocation amour et réparation au Cœur de Jésus.

Imit. 1.IV. C.VII. n°2 (1).

VII.- L'enfant prodigue - Unam petii e / Domino… ut inhabitem in 75 domo Domini omnibus diebus vitae, meae (Ps 26, 4).

Vos enfants prodigues, Seigneur, sont innombrables. Que d'hom­mes usent des biens paternels comme s'ils étaient leur héritage! On en trouve même dans la vie religieuse et j'ai souvent été de ceux-là.

Je devrais et je voudrais réparer et vous consoler pour toutes ces infidélités.

Il faut pour cela que je revienne entièrement à vous, à ma voca­tion, a votre bon plaisir; et le plus le faire avec confiance, votre bonté est si grande! votre Cœur est ouvert pour me recevoir.

VIII. Le règne de Jésus-Christ.

Vous nous exhortez, Seigneur, à combattre avec vous pour éten­dre votre règne et vous nous promettez la récompense.

Oui, je le veux, je veux travailler à étendre le règne de votre Cœur. Je le veux par amour pour vous plus encore que pour la ré­compense.

Vous êtes le Fils du Roi et nous sommes des esclaves rebelles. Vous vous êtes présenté à votre Père pour demander notre pardon. Au lieu de vous être reconnaissants, nous vous avons blessé, cou­ronné d'épines, percé / au Cœur. Vous nous présentez ce Cœur 76 ainsi blessé même par des amis, et vous nous demandez si nous voulons aimer et consoler ce Cœur, le faire aimer et consoler.

IX.- Imitation de Jésus-Christ.

1° C'est la loi nouvelle ajoutée au décalogue. 2° C'est le but prin­cipal des mystères de N.-S.: Exemplum dedi vobis (Jo 13, 15). 3° C'est notre bien, notre espérance, notre gloire. 4° C'est le voeu de l'Eglise et le but de son action.

Il faut une imitation sérieuse, constante, affectueuse.

Pour moi, c'est le Cœur de Jésus que je veux et dois particulière­ment imiter: Hoc sentite in vobis…(Ph 2, 5) son intérieur, sa vie d'amour, de réparation, d'immolation, d'abandon à la volonté de son Père.

C'est ce qu'il demande de tous aujourd'hui, de moi particulière­ment.

Dans tous ses mystères, je trouve son Cœur. Il en est le centre et la vie, ce qu'indique St Paul quand il dit: Hoc sentite in vobis… (Ph 2, 5).

X.- L'Incarnation.

Tout y est anéantissement, amour et abandon. Ecce venio, ecce ancilla.

77 Jésus s'abandonne à son Père pour l'immolation, / par amour pour son Père et pour les âmes.

Marie s'abandonne à la volonté divine en prévoyant toutes les hu­miliations et les souffrances que lui vaudra son union avec la divine victime.

Fiat mihi secundum verbum tuum! (Lc 1, 38).

N.-S. demande de moi le même abandon, pour la réparation, pour le règne de son Cœur, pour lui donner des prêtres selon son Cœur, pour sa consolation. Il avancera l'œuvre en proportion de cet abandon, de cet amour, de cet anéantissement. Fiat! Fiat!

XI.- La naissance de Jésus-Christ.

La pauvreté, les mépris, les souffrances, voilà l'idéal du Cœur de Jésus victime, voilà la pierre précieuse, voilà le trésor.

Jusque là, je n'ai pas compris Jésus, la réparation, l'immolation. Que mon idéal était différent du sien!

Que je suis loin de la voie, de la vérité, de la vie!

Je suis à peine à l'a-b-c de la vraie doctrine.

Domine, da mihi intellectum, ut sciam eligere bonum et reprobare malum (cf Ps 118, 125; Is 7, 15).

Après tant de grâces reçues! tant d'oraisons! tant de saintes mes­ses! /

XII La vie cachée de N.-S.

78

Puer autem crescebat (Lc 1, 80 - 2, 40).

Jésus manifestait toujours plus à Marie et a Joseph les secrets de la vie d'immolation. Tout les y portait: l'amour croissant de leurs pour Dieu, la vue des iniquités du monde à réparer, l'intelligence des Ecritures et des sacrifices figuratifs.

Chaque jour, mais surtout chaque année à la Paque, N.-S. devait redire son desiderio desideravi (Lc 22, 15). Tout devait l'inviter à s'en­tretenir de ses excès: par ex.: la lecture des Ecritures, les rites hébraï­ques, le jour de Vendredi, l'heure de trois heures, la vue des pé­cheurs, etc

Depuis l'âge de douze ans, le reçois N.-S. dans la sainte commu­nion. Depuis mon sacerdoce, je m'entretiens chaque jour familièrement avec lui. Quels progrès ai-je faits dans son esprit?

XIII.- Jésus au temple.

Quelle belle et fervente prière! Louange parfaite, action de grâ­ces universelle, réparation totale, impétration souveraine.

Tout rappelle encore là à Jésus sa passion: les impiétés des Juifs, les sacrilèges, les lieux, les personnes, les prêtres, les scribes, les pharisiens: / 79 Dolor meus in conspectu meo semper (Ps 37, 18). Quae patris mei sunt (Lc 2, 49): rien de la nature, la volonté de son Père, le sacrifice, l'immolation.

Je dois dire avec Jésus: Oui, toute la terre dût-elle s'élever contre moi, il faut que j'accomplisse tout ce que Dieu attend de moi, tout ce qu'il m'inspire, toute ma mission: quae Patris mei sunt (Lc 2, 49).

XIV. - De deux étendards.

Je ne suis pas oublié dans les recommandations de Lucifer. Il voit les côtés faibles et les signale à ses satellites.

N.-S. a tout prévu. St Jean a annoncé les grâces de l'heure présen­te. Le Cœur de Jésus s'est révélé lui-même, avec son amour, ses souffrances, sa plaie la plus sensible.- La voie est tracée: c'est une vie d'amour, de réparation, d'immolation, de zèle pour la tribu sa­crée et le peuple choisi..

XV. - Résolutions.

1° Préparer, ne serait-ce qu'un instant le soir, l'oraison. Se servir pour cela des paroles de N.-S. - Y penser en me couchant, dans les insomnies, au réveil.

2° Me préparer à la sainte messe par quelques réflexions confor­mes à ma vocation. /

80 3° Dire les petites heures et le chapelet à 6 h.1/4 - vêpres et le reste à 1 h.3/4 à l'oratoire ou à la chapelle - attention littérale.

4° Devoirs d'état: à 9 h. et à 3 h. en faire un petit examen spécial.

5° Examen particulier sur le but de ma vocation, quelques in­stants avant midi et le soir.

6° Mortification habituelle dans les petites choses: rien d'inutile pour la bouche.

7° Affections naturelles supprimées totalement: tout en N.-S. et pour lui.

8° Charité dans les jugements et paroles; l'exiger de mes infé­rieurs.

9° Pour le temporel, vigilance et confiance en Saint Joseph.

XVI. - La Cène, l'Agonie, le Calvaire.

Toujours abaissement et amour: aimer, se sacrifier, s'immoler.

Toujours le prêtre est le préféré et entre tous St Jean. Lui seul est au Calvaire et il reçoit là des grâces toutes spéciales. II reçoit, d'une manière spéciale, le Cœur de Jésus, sa Mère et le don de l'amour, mais aussi la souffrance, le martyre de l'amour et de la réparation.

Il est l'ami, parce qu'il aime fidèlement jusqu'au Calvaire. Nemo tam unanimis (cf Ps 54, 14). /

O saint Jean, que votre part est enviable! Que ne voudrait-on 81 pas faire pour la partager!

Trahe me post te, ut saltem fiam discipulus discipuli quem diligebat Jésus. Amen.

XIV Cahier

=====83 Notes sur l’histoire de ma vie

VIIe Période: Saint-Quentin – Congrégation et Institution : 1877­-1893 (suite)

Année scolaire: 1881-1882

C'est l'année de la grande épreuve, l'année de l'incendie.

A la rentrée, nous prenions possession de l'aile nouvellement bâ­tie, où nous trouvions des dortoirs, des études, des classes.

Mgr m'écrivait le 6 octobre: «Mes meilleures félicitations pour vo­tre belle rentrée: Que Notre-Seigneur daigne bénir maîtres et élè­ves!»

«Je vais tâcher, ajoutait-il, de faire travailler au moins quelques de­mi-bacheliers à la seconde partie de l'examen, afin de n'être pas trop pris au dépourvu devant les exigences légales qui nous mena­cent (pour les grades des professeurs). Vous ferez également bien de pousser ceux que vous avez sous la main.»

- «Avec ma bénédiction, mon cher chanoine, veuillez transmettre à vos collaborateurs la recommandation que j'emprunte à St Paul: Labora sicut bonus miles Christi Jesu. Le Père de famille a 84 visible­ment travaillé à Saint-Jean avec les ouvriers qu'il s'y était / donnés: à sa bonté ne plaise que l'œuvre périclite par la faute de ceux qu'il honore de la mission d'y collaborer et de la défendre avec lui!, Piété, dévouement et prudence.

Le 27 déc., il m'écrivait: «Merci de vos bons souhaits, je vous pré­sente de mon coté ceux que j'ai déjà offerts à Dieu, pendant les bonnes fêtes, du meilleur de mon cœur. - Je bénis en Notre­-Seigneur votre personne, l'institution St-Jean, maîtres, élèves et fa­milles, et le Sacré-Cœur»

-A propos de la maison du S.-Cœur, il ajoutait: «Vous avez bien fait de me rappeler votre adoration nocturne, quoique le souvenir m'en fût certainement bientôt revenu: je l'autorise ici, comme elle était déjà autorisée dans ma pensée, peur une fois le mois.»…

Le 29 déc. c'était la grande épreuve de l'incendie.

Nous étions tous, le soir au Patronage, maîtres et élèves pour assi­ster à une séance dramatique à l'occasion de la Saint-Jean. Un jeu­ne professeur avait laissé un grand feu dans sa chambre au troisiè­me étage du bâtiment neuf. Le feu s'était répandu sur le plancher / et s'était rapidement communiqué aux meubles et à la toiture. 85 Vers 10 h.1/2 des flammes sortaient du toit, des voisins avertirent le P.Falleur qui gardait la maison. Lui-même d'ailleurs sortait alors dans la cour et s'apercevait du feu. On vint me prévenir au Patronage. Quel nuit terrible! Tout le troisième et le deuxième éta­ge brûlèrent. Les pompes ne portaient pas si haut.

On m'exprima beaucoup de sympathie, mais dans le peuple il y eut bien quelques voix discordantes, quelques réflexions anarchi­stes.

M.Mathieu ne me quitta pas. Je ne pouvais que contempler l'in­cendie et offrir au S.-Cœur le sacrifice qu'il me demandait.

Mon père et ma mère étaient malades, je leur envoyai le matin des dépêches aussi rassurantes que possible.

Il y avait une assurance insuffisante et la perte était grosse.

Il y eut un fait bien extraordinaire, sinon miraculeux. Tout le se­cond étage fut brûlé sauf un point, à l'endroit où était la statue du S.-Cœur. Les vitres mêmes d la fenêtre devant laquelle 86 était la statue restèrent toutes intactes. / Tout le monde en fut frappé.

Je reçus beaucoup de bonnes lettres.

Monseigneur, prévenu par dépêche, écrivait à M.Mathieu: «Je partage toute votre douleur et m'associe à vos prières. Combien il me tarde d'avoir des détails! Je crains vivement que l'on ne fût pas encore assuré. Comment loger maintenant tous les élèves…»

Le saint prélat venait le lendemain me voir, m'encourager et m'apporter mille francs qu'il avait dans sa caisse. Le bon M.Santerre m'apportait un billet de 500 francs.

Le 14 janvier, il écrivait à M.Mathieu: «Je suis bien vivement peiné que M.Dehon ne puisse recevoir qu'une si incomplète indemnité. Je prie Dieu d'inspirer à quelques âmes généreuses la pensée de lui venir en aide. Son œuvre est si bonne, si nécessaire en ce pays! Combien je regrette de ne pouvoir rien ajouter à l'obole que je lui ai portée!»

Nous pûmes rentrer cependant au 15 janvier et il y eut 15 élèves de plus. On taisait un dortoir au S.-Cœur et on utilisait celui du premier étage de l'aile brûlée. Il y eut là encore un fait 87 providentiel qui tient du / miracle. Les travaux de reconstruction durèrent jusqu'à Pâques et pendant tout ce temps il ne tomba pas de pluie ni de neige. L'étage qui n'avait pas de toit et qui n'était protégé que par son plafond put être habité. Sous un pareil climat, c'est un fait bien anormal.

L'année se passa assez bien, mais nous avions maintenant trop d'élèves, il était plus difficile d'entretenir le bon esprit.

C'était le 1er août. M.Mathieu présidait.

Deux jours après Mgr écrivait: «Je viens de lire avec grand intérêt les deux discours de St-Jean, et j'apprends avec plaisir que l'assistan­ce a été nombreuse et sympathique. Les espérances qu'il est permis de concevoir pour la prochaine rentrée ne me sont pas moins agréables…»

Mon discours avait un peu résumé les événements et les impres­sions de l'année. «Cette cinquième année de notre maison, disais­-je, a eu, vous le savez, ses jours d'angoisse et de crainte. Un instant nous avons pu croire, pendant la nuit terrible du 29 décembre, en face du spectacle le plus sinistre dont la ville ait été le témoin de­puis longtemps, que notre / œuvre allait être interrompue par un 88 secret dessein de la Providence, mais notre confiance n'a pas été trompée en bientôt après, nous avons pu reprendre l'ordre de nos paisibles travaux.

«Un projet de loi est venu aussi nous apporter quelque crainte en menaçant la liberté de l'enseignement, mais il a pris déjà une for­me adoucie en passant par les délibérations de l'une de nos assem­blées politiques et, bien que ses dispositions aient encore besoin en quelques points d'être rendues plus conformes à l'équité, elles n'ont déjà plus rien qui puisse nous inquiéter pour l'avenir.

«Grâce à Dieu, ces épreuves, au lieu de nous abattre nous ont for­tifiés. L'empressement d'un si grand nombre à nous témoigner leur sympathie et à nous prêter leur concours au jour du désastre, la dé­marche si touchante de Monseigneur qui s'arrachait aux occupa­tions des premiers jours de l'année pour venir nous donner coura­ge, nous ont prouvé une lois de plus que nous avions des amis fidè­les et dévoués sur lesquels nous pouvions compter. Nous avons trouvé là un motif de nouvelles obligations, mais aussi nous y avons puise une force nouvelle et une confiance plus ferme en l'avenir. /

89 «Nous avons cru aussi, dans la simplicité de notre foi, pouvoir considérer comme un signe providentiel ce fait remarqué par tous, que les flammes se sont arrêtées devant la statue du S.-Cœur de Jésus et ont respecté intégralement la travée qu'elle protégeait.

«Nous pouvons donc nous livrer, sans arrière pensée, à la joie de cette fête scolaire; je devrais dire: de cette fête de famille; c'est le ca­ractère propre de ces solennités dans les maisons chrétiennes, où les maîtres, unis intimement aux parents, les représentent auprès des enfants pour donner à ceux-ci, avec la culture de l'esprit, l'édu­cation du cœur.

«Pour donner selon l'usage à cette réunion un caractère littérai­re, nous devons traiter devant vous quelque sujet relatif à l'ensei­gnement. Nous vous avons décrit déjà les principaux traits de l'éducation chrétienne, son but, son idéal, et l'aptitude des maîtres chrétiens à le réaliser, l'influence de la religion sur les lettres, sur le patriotisme et sur les vertus de l'enfance.- La 90 grande objection nouvelle, ou plutôt l'erreur; qui est au tond de toutes les hostilités récemment soulevées contre la religion, c'est l'indépendance de la science.

«La science prétend suffire à tout. Enflée par ses découvertes ré­centes, elle veut régner sans partage sur l'esprit humain. Elle pré­tend en être la seule lumière. Elle veut reléguer la foi parmi les fictions dont le temps a lait justice. Elle se donne comme ayant seule une puissance et une autorité positives. Tel un parvenu éclabousse toutes les autorités sociales, tel un serviteur arrogant s'attribue tou­te l'autorité dans la maison de son maître. Cette révolte de la scien­ce enivrée d'elle-même et parée du nom prétentieux et faux de positivisme est l'agent le plus actif de toutes les luttes engagées contre la religion, et en particulier contre l'enseignement chrétien. «Montrer, autant que le permet la brièveté d'un discours, le vrai rôle de la science, qui est de travailler sous le regard de la foi, com­me une soeur respectueuse, et d'aider la révélation dont elle reçoit elle-même un puissant concours, tel est notre but.

«Nous considérerons la science en elle-même et dans ses repré­sentants, et nous verrons / successivement la science et les savants 91 rendre témoignage à la religion et reconnaître l'autorité de ses lumières et de sa direction.»

Et après avoir développé ma thèse je terminais en disant:

«Après cela, que devons nous penser de ceux qui prétendent que la foi est inconciliable avec la science? Ils ne seraient que ridicules, s'ils n'avaient pas conçu le dessein, devenu réalisable, grâce à l'igno­rance et aux illusions d'un grand nombre, de plier toute la jeunesse française sous le joug tyrannique d'un enseignement athée.

«Pour nous, messieurs, nous opposerons toujours aux négations contemporaines la fière déclaration de l'illustre mathématicien Cauchy:

«Nous sommes chrétiens, c'est-à-dire que nous croyons à la divi­nité de Jésus-Christ, avec Descartes, Copernic, Newton, Pascal, Euler, Guldin, Gerdil; avec tous les grands astronomes, tous les grands physiciens, tous les grands géomètres des temps passés.- Nos convictions sont le résultat d'un examen approfondi. Nous sommes catholiques / sincères comme l'ont été Corneille, Racine, La Bruyère, 92 Bossuet, Bourdaloue, Fénelon; comme l'ont été et le sont encore les hommes les plus distingués de notre époque, ceux qui ont lait le plus d'honneur à la science, à la philosophie et-aux lettres.

«Comme hommes d'éducation, nous croyons que les vertus aima­bles et fortes proposées chaque jour à nos enfants, tant dans leur exemplaire parfait qui est le Cœur de l'Homme-Dieu, que dans les vies admirables des Saints, sont plus aptes à former leurs cœurs que les préceptes de la morale civique.

«Comme Français, nous demeurons convaincus que le bien de la société est attaché au respect de la religion, de cette religion catho­lique, à laquelle un grand patriote, le vaillant général Lamoricière, rendait cet éclatant témoignage: «Elle a pour elle la science l'histoi­re, la philosophie, les arts, les grands hommes; elle a pour elle le passé, le présent et l'avenir; elle peut seule résoudre les difficultés du temps actuel; elle répond aux besoins de tous les jours, de tous les cœurs, de toutes les volontés, de toutes les classes, de tous les malheureux. Elle est seule capable d'assurer 93 bonheur présent / et le bonheur futur.»

Ce fut encore une grande épreuve de cette année, si féconde en croix.

Mon père souffrait depuis deux ans. L'état de ma mère, amoin­drie par la paralysie, avait provoqué ou aggravé la maladie d'esto­mac da mon père. Ils étaient si unis!

Mon père était revenu à Dieu depuis mon sous-diaconat. La foi s'était peu à peu affermie dans son âme. Dans ses dernières années, il était bien à Dieu et priait volontiers.

Il avait souffert aussi de me voir engagé dans l'entreprise de l'Institution St-Jean et de la Congrégation. L'incendie lui avait en­core causé une impression douloureuse. J'allai le voir plusieurs fois. On voyait bien que sa maladie était sans remède. M. l'abbé Petit, curé de Buironfosse, le voyait et lui faisait du bien. Ce bon abbé ne me cachait pas ses prévisions au sujet de mon père, quand il m'écri­vait de Sains, où il était devenu doyen, le 1er janvier après l'incen­die:

94 «J'ai voulu vous écrire toute la journée / d'hier pour vous di­re la part que le prends à votre nouvelle épreuve. Je n'ai pas eu un moment de loisir; jamais journée plus remplie. je savais, bien cher ami, votre calme et votre résignation; votre lettre me confirme et me laisse sous le coup de l'admiration! Vous êtes vraiment ce sage qui se voit sans émotion sur le point de disparaître sous les ruines du monde! Que j'aime et j'admire votre calme et je veux m'efforcer de l'imiter. Oui, bien cher, je veux marcher avec vous dans la voie du sacrifice et y faire marcher les âmes d'élite qui me sont confiées. Je veux leur faire apprécier l'importance du voeu de victime et le leur faire désirer; mais avant peu j'en admettrai vingt au tiers-ordre des Oblats à notre agrégation, je vous en écrirai. -J'irai bien cer­tainement dans ce mois de janvier voir votre excellent père; c'est aussi pour moi un besoin d'aller lui faire, hélas! mes adieux. Qu'il est bien vrai que le Bon Dieu châtie ceux qu'il aime! C'est pour vous l'indice de nouvelles bénédictions.»

J'étais près de mon père dans ses derniers jours. Il priait, il était résigné, il était d'une douceur et d'une patience admirable, / lui qui avait été autrefois si vif et si sensible à la souffrance. 95 - Je ne l'ai pas w mourir. Le médecin m'assurait qu'il avait bien encore huit jours à vivre. Je partis pour Soissons pour voir Mgr qui allait se rendre à Rome, et quand je rentrai le soir à La Capelle mon père avait rendu son âme à Dieu. La Sr Ignace eut cette impression que mon père était privé d'avoir l'assistance de son fils prêtre à sa mort parce qu'il s'était opposé à ma vocation.

Je reçus de partout des témoignasses de vives condoléances.

Le 13 février, surlendemain de la mort, Mgr m'écrivait: «Je prends une vive part à votre douleur et je m'unis à votre sacrifice, en remerciant aussi Notre-Seigneur de la grande consolation dont il assaisonne votre amertume (la fin chrétienne de mon père). Offrez, je vous prie, mes religieuses condoléances à votre respecta­ble et bonne famille, particulièrement à madame votre mère, pour qui je prends la liberté de joindre ici un des petits signets confec­tionnés à St-Médard. Demain, jour commémoratif de la Passion, je célébrerai le St Sacrifice pour votre bon père.» /

Le Pape a été moins fécond cette année. Il a donné seulement au 17 sept. 82 l'encyclique Auspicato (Concessum) sur le Tiers-ordre de St-François. Il modernisait un peu le Tiers-ordre, pour qu'on pût y faire entrer beaucoup de monde, persuadé que les associations catholiques étaient le seul moyen de faire contrepoids aux associa­tions impies et subversives.

En France, le Kulturkampf se continuait. On vota la loi sur l'en­seignement obligatoire et laïque. On supprimait l'enseignement de la religion dans l'école. On créait l'école neutre (1). Notre épiscopat aurait pu comme en Belgique condamner l'école neutre et peut­-être que le peuple aurait suivi et que la maçonnerie aurait reculé. Les évêques se consultèrent. Quinze seulement étaient disposés à agir…

On se contenta de créer des écoles libres qui devinrent une char­ge écrasante pour les catholiques, mais qui manifestèrent aussi ce qui restait de vitalité et de générosité chez les catholiques.

C'est cette année que s'accomplit l'occupation du Congo belge 97 jusqu'aux Falls par Stanley, je le signale parce que la / Providence nous préparait là une mission.

Chaque année de l'œuvre est marquée par la croix. Celle-ci a eu sa large part. L'incendie et la mort de mon père ont été deux grands coups.

Les difficultés d'argent grossissaient. Il fallait payer les bâtiments neufs, l'indemnité au locataire Michel, etc. Cependant aux mo­ments les plus difficiles la Providence intervenait toujours. Plusieurs ex-voto que je mis à la chapelle de St-Jean en témoignent.

J'avais à souffrir aussi du côté de Monseigneur. La question des révélations le troublait. Il craignait d'avoir des difficultés avec nous, comme il en avait eu à Lyon avec Soeur M. Véronique… (1) Cependant, au fond, il nous aimait toujours bien.

Il m'écrivait le 13 octobre:

«Je ne m'oppose pas à ce que vous envoyiez à Lille un petit grou­pe des vôtres comme clercs du diocèse de Soissons. Seulement l'in­suffisance de nos ressources ne me permettra pas de contribuer à la dépense…

J'ai lu votre projet de constitutions et je le porterai à St-Quentin­ pour vous présenter quelques: observations;- mais je / vous 98 dirai tout d'abord qu'il m'a paru grave, beau et tout rempli du véritable esprit religieux. Un doute m'est venu et persiste. Il regarde votre quatrième voeu: ce voeu a-t-il tin objet assez déterminé et détermi­nable dans la pratique? Sans doute il a un objet réel et excellent, mais comment les surets et les supérieurs reconnaîtront-ils et fixe­ront ils l'étendue de ses obligations? Il serait déjà délicat de le pro­poser et de le permettre à telle ou telle personne en particulier; à plus forte raison est-il difficile d'en faire le caractère distinctif d'une famille religieuse. Je comprends très bien le conseil de prati­quer l'esprit de victime; le voeu m'en semble vague et inquiétant. Je vous engage, si vous ne l'avez déjà fait, à consulter à Rome.

A la fin de février, Monseigneur allait lui-même à Rome. Il crai­gnait les responsabilités et voulait consulter le Saint-Siège. Son ne­veu, M.Etienne Thibaudier l'accompagnait. Ils visitaient Milan et Florence: Mgr était artiste et il aimait beaucoup Florence.

Le 14 mars, il écrivait de Rome à M.Mathieu: «Le Saint-Père a 99 été extrêmement / bon et s'est fort intéressé à toutes les questions que je lui ai présentées. Je compte le revoir avant mon départ, qui aura lieu, j'espère au commencement de la semaine prochaine. Passant par Lyon et Paris, je ne pourrai être à Soissons tout au plus que pour le dimanche des Rameaux.- Vous êtes sans doute désireux de savoir ce qui s'est passé relativement au S.-Cœur. J'ai remis au Saint-Père la lettre de M. Dehon (une adresse de dévouement au nom de la Congrégation et de l'Institution), et lui ai parlé du cher chanoine, de l'Institution, du S.-Cœur, des Franciscaines, de Sr. M. Ignace, comme j'en parle à vous-même, c'est-à-dire dans les ter­mes de la plus haute estime et les plus affectueux sur les personnes, avec quelque réserve sur les projets du digne supérieur et sur la na­ture des faits que vous savez. Sa Sainteté m'a adressé; pour en cau­ser plus longuement, à un cardinal (card. Ledochowski), avec qui j'ai déjà eu un premier entretien et dois en avoir un second. Je lui ai remis le cahier des Constitutions et celui qui contient les plus ré­centes communications, en lui offrant les / précédentes, qu'il 100 n'a pas cru devoir accepter pour le moment. Il est très bon et très grave. Je dois le revoir et craindrais d'être indiscret en m'étendant davantage … Ici on m'a demandé avec empressement des nouvelles de M.Dehon. On est bien heureux de ses succès; on prend part à ses épreuves…

J'ai déjà demandé au St-Père les plus amples bénédictions pour le diocèse, ses prêtres, ses communautés et ses œuvres. J'entrerai dans plus de détails, si je le puis, à ma seconde audience, et vous aurez certainement votre tonne part, ainsi que tout St-Quentin.»

A son retour, Mgr m'écrivait de Lyon le 28 mars: «Mon séjour à Rome, malgré l'activité assez grande que j'y ai déployée a été insuf­fisant. De médiocres affaires y ont exigé des courses nombreuses. Vous savez aussi que l'hospitalité d'un séminaire ne permet pas d'utiliser toutes les heures de la journée où l'on trouverait certains personnages… (1).

Ne vous étonnez pas de mon silence au sujet de vos propres affai­res. A une seconde audience, le Saint Père m'a dit que, après que le cardinal auquel il m'avait renvoyé et avait personnellement remis votre lettre lui aurait rendu compte de ses impressions, il y aurait /! probablement une communication quelconque, et que jusque là 101 je ne devais donner aucune réponse. Ce cardinal est un hom­me bien vénérable… J'ai fait et fais encore pour St-Quentin bien des voeux et des prières, dont deux objets principaux sont votre santé et celle de M.Mathieu… Mes compliments pour les nouvelles espé­rances du cher St Jean.»

Le 1er avril, il écrivait de Paris à M.Mathieu: «A ma dernière au­dience, le St-Père à daigné me dire qu'il bénissait très spécialement l'Institution St-Jean et les œuvres de la Basilique de St-Quentin. Le divin Maître, j'en ai la confiance, donnera une grande efficacité à cette bénédiction de son Vicaire.- Vous avez, ainsi que M. Dehon, regretté que je n'eusse pas communiqué au cardinal désigné par Sa Sainteté tous les cahiers que j'avais entre les mains. N'espérant pas que Son Eminence eût le loisir de les parcourir tous, j'ai cru bien faire en choisissant le plus récent avec le projet fraîchement retou­ché des Constitutions. Elle m'a avoué en effet à notre second entre­tien, qu'elle n'avait pu tout lire, ni l'un ni l'autre des documents; Elle croyait néanmoins avoir une opinion 102 prudemment / formée sur les points les plus essentiels. Si M.Dehon le juge à pro­pos, il pourra ultérieurement, et même dans un voyage à Rome, communiquer la totalité et y ajouter des explications orales ou écri­tes: Postérieurement à L'expression de votre regret, j'ai cru bien faire en remettant pour deux jours toutes les pièces entre les mains d'un des meilleurs amis de M.Dehon, le P.Daum, du Séminaire français. Je pense que, sur la demande de M.Dehon, il ne refusera pas de lui rendre compte de l'impression qu'il a revue de cette communication confidentielle.»

Le cardinal auquel le St-Père m'avait renvoyé était le vénérable confesseur de la foi, le cardinal Ledochowski, prisonnier au Vatican, non moins éminent à ce qu'il m'a paru par son esprit de piété et de sagesse que par son courage (1). Sa réponse m'arrive à Paris, je vous en adresse le texte. Vous voudrez bien me le retourner à Soissons…»

La lettre du card. Ledochowski, écrite au nom du Pape, à la date du 28 mars nous assurait des meilleures bénédictions du Saint-Père pour l'Institution St-Jean. Pour le reste, elle disait qu'il fallait rester sur la réserve, agir avec prudence et discrétion et se tenir / sous la direction de Mgr l'évêque de Soissons et de Mgr 103 l'archevêque de Reims.

Le P.Daum consulté m'exprimait ainsi ses impressions, avec sa modestie habituelle: «Cher monsieur le Supérieur, Vous me deman­dez mon impression au sujet de quelques cahiers apportés au Séminaire Français par S.G.Mgr l'évêque de Soissons. J'avoue n'y avoir jeté qu'un coup d'oeil extrêmement rapide. Ces cahiers ne sont restés qu'un jour et demi à ma disposition et j'étais surchargé d'occupations. Les questions se rattachant à l'ordre surnaturel exi­gent un examen sérieux et prolongé, et ce n'est pas pour me pro­noncer sur le caractère surnaturel de ces communications que j'en ai parcouru quelques pages. Du reste, après la lettre de S.E. le card. Ledochowski, les appréciations de Mgr de Soissons et le senti­ment de M.le chanoine Didiot, mon avis ne saurait avoir d'impor­tance. Je vous en parlerai uniquement pour vous répondre et vous offrir mes hommages. Les Constitutions dont je n'ai pu étudier les différents détails, me semblent encore incomplètes sous quelques rapports. Le temps et l'expérience se chargeront de corriger ces imperfections. /J'y ai 104 entrevu une des dispositions que l'état actuel de la jurisprudence approuve difficilement: l'émission d'un quatrième voeu. Quant aux communications consignées dans les autres cahiers, voici mon impression générale: 1° Il semblerait que pour l'administration de la communauté, on s'en réfère à ces com­munications. Ne redoutez-vous pas pour l'institut les conséquences de ce mode d'administration? 2° On consigne parfois sur les cahiers des jugements et appréciations sur certaines personne. C'est bien délicat et peut avoir de graves inconvénients. 3° Il me semble enfin qu'il y a des prédictions qui n'ont pas toujours un ca­ractère assez sérieux: sur la vocation et le nom future de certains enfants …Il vaudrait mieux pour vous vous tenir sur la réserve, lais­ser Dieu faire son œuvre… L'excès de prudence ne saurait nui­re…»(1)

Monseigneur était bien d'avis que nous ne devions pas nous mon­trer trop nombreux à St-Quentin pour ne pas effaroucher les pro­scripteurs, il hésitait cependant à nous laisser essaimer. J'avais parlé de la Suisse, j'avais envoyé le P.Rasset étudier un peu le terrain en Angleterre. Monseigneur m'écrivait le 10 avril: 105 «Etes-vous assez / nombreux pour essaimer? Avez-vous un bon chef de colonie, qui ne vous soit pas nécessaire ici? Dans les circonstances critiques où nous nous trouvons, n'est-il pas sage de ne perdre aucune des for­ces qui peuvent devenir utiles à l'Institution St-Jean? Croyez-moi, nous ne saurions trop nous préparer à soutenir les épreuves qui la menacent. Il y a d'ailleurs à St-Quentin d'autres œuvres qui pour­raient vous occuper; on en trouverait ou l'on en fonderait dans la diocèse…»

Le 11 juin, il hésitait a laisser prêcher au couvent le P.Villalard, parce que ce Père était mêlé à certaines manifestations surnaturel­les au diocèse de Bourges (à Henrichemont). «Il m'a été recom­mandé, écrit Mgr à M.Mathieu, d'user de circonspection et de fermeté. Je désire être désormais informé de tout ce qui aura quelque importance; et si Dieu ne me fait la grâce de voir clairement des choses surnaturelles, je jugerai suivant les règles de la prudence or­dinaire. En chaque cas particulier, je me dirai: Si j'avais un jour à rendre compte de ma décision al Saint Siège, serait-elle trouvée sa 106 ge et solidement motivée? … La docilité de M.Dehon / m'édi­fie; je la trouve bien digne de lui, mais je suis obligé de l'accepter…»

Le 7 août, il autorisait la fondation de Fayet: «M.Dehon me propo­se de commencer un petit collège apostolique à Fayet. Je ne m'op­pose pas à l'essai, mais sous la condition qu'on remplisse toutes les formalités requises pour l'autorisation d'une institution libre.»

Nous avons reçu en septembre 81 les frères Benoît Lequeux; Irénée Blanc; Bruno Blanc; Sixte Camus; Denis Guérillon;

- en octobre, f. Bernard Leclercq, qui devait me causer bien des ennuis (1) et f. Claude Lobbé;

- en novembre, f.Remy Boulanger;

- en décembre, f.Pothin Montredon; l'. Ponticus Lombart; L Jean Eudes Groult;

- en juin 82, f. Zacharie Bouré;

- en août 82, f. Thadée Passaplan, et f. Antoine Pacaud (2).

Nos Soeurs perdirent encore cette année deux pieuses religieu­ses: Sr St Raphaël le 14 juin et Sr St Augustin le 14 juillet. Elles moururent comme les autres dans les dispositions de saintes et pu­res victimes, mais leurs morts si rapprochées soulevèrent encore un peu l'opinion. /

Nous perdîmes aussi un pieux novice, le f. Zacharie (Valmire Bouré), 107 c'était le premier des nôtres qui nous quittait pour al­ler au ciel. II avait 20 ans. Il fit ses voeux in extremis le 20 sept. et mourut le 23. Il nous édifia pendant toute sa maladie par sa rési­gnation et par l'offrande de sa vie pour l'œuvre.

Mon ami l'abbé Bougouin de Poitiers avait parlé de notre œuvre à ses connaissances et cela provoqua tout un mouvement de ce côté-là. Mgr Gay s'en préoccupa et plusieurs de ses pénitents vou­laient venir à nous. Le P.Vincent de Pascal, qui quittait les Dominicains nous arriva bientôt comme auxiliaire. Un peu après son frère Alexandre vint au noviciat, puis M.Charles de Montenon, puis M.Lhoumet (1).

Je fus invité à aller voir Mgr Gay. Il passait l'été au château de Traforêt, en Limousin, chez ses neveux. J'allai là au mois d'août 82 et j'y rencontrai Alexandre de Pascal.

Mgr Gay m'écrivait le 11 août pour me dire qu'il ne pouvait pas 108 accepter de prêcher la neuvaine de St-Quentin / et qu'il atten­dait ma visite à Traforêt: «M. l'abbé, Il m'eut été bien difficile en toutes circonstances d'accepter l'œuvre pourtant si belle et si ten­tante que veut bien me proposer M. l'archiprêtre de St-Quentin, mais cette année la chose est particulièrement impossible, car du 13 au 31 octobre, je dois prêcher dans quatre couvents de carmélites le triduum du centenaire de Sainte Thérèse … L'espoir de vous voir ici m'est très doux, vous êtes l'ami de deux de mes chers amis, l'abbé Bougouin et l'abbé de Pascal; mais vous êtes surtout l'ami et le ser­viteur dévoué jusqu'à l'immolation de Celui qui nous a dit à nous, consacrés: Vos non dixi servos sed jam dixi amicos, et qui à tous les ti­tres est l'ami par excellence; c'est pourquoi je pressens dans notre rencontre plus de grâces encore que de joies. En attendant ce jour béni, daignez vous souvenir quelquefois de moi dans vos prières, et agréez… (1)

Je passai là, à Traforêt, plusieurs bonnes journées. C'était un inté­rieur délicieux dont Mgr Gay était toute l'âme. Il travaillait le matin et il donnait l'après-midi à sa famille. Nous fîmes avec lui un déli­cieux pèlerinage à Rocamadour, / pour y demander à La Sainte 109 Vierge d'avoir pitié de la France et de bénir nos œuvres.

Nous allâmes aussi avec sa famille en promenade à Grandmont où St Etienne de Muret a fondé son ordre d'ermites contempla­tifs. C'est un beau site, maintenant désert sur une montagne boisée.

Le château de Traforêt dépend de la paroisse d'Ambazac et c'est là dans une église du XIIe siècle que repose maintenant le corps de St Etienne, dans une belle châsse, émaillée, du XIIe siècle.

J'allai aussi avec Alexandre de Pascal visiter Limoges, la vieille ca­pitale de la province, avec sa belle cathédrale du XIIIe siècle et son jubé où la Renaissance a sottement sculpté les travaux d'Hercule.

Je m'arrêtai aussi à la Souterraine où est la maison-mère des Filles du Sauveur fondées par la vénérable Marie de Jésus du Bourg (2). On me raconta les extases et les miracles de la sainte fondatrice et on me laissa lire quelques pages de ses écrits prophétiques.

110 Elle avait beaucoup désiré la fondation / d'une œuvre de prêtres dans le même esprit que la nôtre. La supérieure actuelle, Sr Marie de la Croix, était regardée aussi par Mgr Gay comme ayant des grâces peu communes. Elle m'écrivit plusieurs fois à la suite de cette visite. Le 19 sept.. elle demandait le concours de nos prières pour aider ses Soeurs en retraite à «obtenir l'esprit de leur vocation de réparation et d'amour…»

Le 22 nov. elle me parlait de ses difficultés et me disait: «Je per­drais courage, si nous n'avions pas les promesses de la Mère Marie de Jésus; si nous n'avions pour première fondatrice la plus aimée, la plus aimable, la plus aimante des mères, qui nous gardera sous son manteau. Son nom, comme son cœur, ne devra aussi jamais nous manquer. Je le regarde comme un bouclier sacré, sur nos œuvres, jusqu'à la fin des temps…»

Le P.Vincent de Pascal nous fit tort sans le vouloir, il parlait trop (1).

Le 10 oct. 81, il m' écrivait: «Je ne saurais vous dire mon père, combien j'ai été touché de tout ce que j'ai vu, senti et comme tou­ché du doigt à St-Quentin. Oui, Dieu est là, ou il n'est nulle part.

111 / Priez pour moi, mon père, je sens toute la grâce qui m'est faite et il m'est impossible de vous exprimer combien je vous suis reconnaissant…»

Le 29 oct.: «Tous ceux auxquels j'ai parlé dans ce pays-ci (la Touraine) de l'œuvre de St-Quentin: évêque, directeurs du grand séminaire et de Pont-Levoy, sont merveilleusement disposés. En Provence, je ferai aussi de mon mieux…»

Le 8 nov. J'ai reçu les documents. J'en fais copier quelques exem­plaires afin de pouvoir les communiquer plus facilement. Tous ceux que les ont lus sont très touchés. Le rosaire du S.Cœur touche tout le monde» (1).

Cette diffusion dépassait les limites de la prudence.

Le bon Père Sébestien Wiart, abbé de la Trappe, encourageait beau­coup nos commencements (2). Il écrivait à Alex. de Pascal après son entrée chez nous: «J'ai reçu tous vos documents et je vous en re­mercie beaucoup. Votre Directorium (du P.Captier) m'a plu, sans objection aucune, mais avec quelque étonnement par ci par là. Ce Directorium nourrira ma dévotion au S.-Cœur, c'est une nourriture délicieuse.

Aurez-vous des tertiaires comme tous les autres ordres: Je deman­de humblement à votre / vénéré supérieur la faveur d'être reçu 112 le premier tertiaire …et je m'engage à réciter chaque jour votre petit office…»

Un peu plus tard (fév.83), il m'écrivait: «Je me recommande à vos prières et à celles de votre pieuse communauté. Nous avions à notre tête un très saint abbé, et puisque Dieu m'a choisi pour son succes­seur, je désire marcher sur ses traces. Veuillez m'obtenir cette gran­de grâce du S. Cœur de Jésus. Ayant le bonheur de vous connaître, vous et plusieurs de vos disciples, je désire vivement que nos deux communautés soient unies étroitement d'amitié pieuse, de prières et de sacrifices. Que Dieu bénisse toutes vos démarches, surtout en cour de Rome! Et que le Cœur de Jésus soit glorifié par votre com­munauté dans le monde entier!»

Mgr Fava, évêque de Grenoble m'écrivait le 13 mai 82: «Bien cher Père, je me réjouis avec vous de la bénédiction que le bon Maître donne à l'Œuvre Réparatrice … J'en ai parlé au P. de la Passardière, qui prêche notre mois de Marie à la cathédrale, et il m'a dit son vif désir d'aller à St-Quentin, lorsque ses missions le lui 113 permet­tront. Jamais le besoin de réparer les ruines / morales de notre, pays et de la chrétienté en général, ne s'est montré pressant comme aujourd'hui. A mesure que la franc-maçonnerie socinienne poursuit ses travaux contre l'Église et son divin Fondateur, et qu'elle multi­plie les destructions, nous devons sentir grandir notre ardeur et no­tre ferveur dans la prière. Adveniet regnum tuum! doit être notre cri incessant.- Ah! Cher Père! Que de chutes lamentables! Fasse le ciel qu'un jour nous puissions réparer les vides et refaire l'Idéal, là où il est défiguré. Sanctifions-nous en attendant, prions et travaillons, en union d'âme et d'amour, dans le Cœur sacré, objet de tous nos dé­sirs …Le P. Jourdan de la Passardière vous salue avec moi dans le Seigneur.»

A son tour, le P. Jourdan de la Passardière (depuis évêque) m'écrivait le 20 juillet 1882: «Mon Rev. et cher Père, Il me tardait de vous re­mercier de nouveau de votre si cordial et sympathique accueil à St­-Quentin. Il m'a été bien doux de me reposer quelques heures près de vous, et de m'initier aux détails d'organisation de votre œuvre. Laissez-moi vous prier aujourd'hui du recommander à vos Pères de­vant le Très Saint-Sacrement, une / affaire qui m'est confiée 114 en ce moment et qui navre mon cœur de tristesse Il s'agit hélas! d'une de ces plaies intimes du Cœur du Maître bien-aimé, que vous êtes spécialement voués à consoler.. Je me suis arrêté en vous quit­tant chez les bons Prêtres de la Ste-Face de Tours. Eux aussi sentent tout spécialement à l'heure présente le besoin de se mettre en rela­tions avec les œuvres analogues; et voici ce qui me semble absolu­ment providentiel et ce que j'écris aujourd'hui même à Mgr de Grenoble. Mgr Gay invite les directeurs et supérieurs des diverses œuvres réparatrices se formant actuellement en France à venir lui faire une visite ensemble à la fin d'août à son château de Traforêt… Il ne s'agit pas bien entendu d'autre chose que d'une en­tente purement libre, spontanée et confidentielle sur les diverses œuvres réparatrices, leur origine, leur progrès actuel, leurs moyens d'actions, etc. Mais il peut sortir de là des résultats très considéra­bles comme union et w es d'ensemble. Et vous serez certainement très frappé, comme je le suis moi-même, de la coïncidence de cette ouverture avec le mouvement général dont nous nous sommes en­tretenus …En union de vos prières et saints sacrifices, je demeure /115 d'un cœur profondément et sympathiquement dévoué, vo­tre humble et affectionné serviteur et confrère…

A Bourg, les âmes privilégiées qui fondaient et propageaient la Garde d'honneur nous étaient très unies aussi. La Soeur Marie du S. Cœur (1) m'écrivait le 3 sept. 81: «Mon Rev.Père, Depuis notre ren­contre providentielle (j'étais passé là en allant à Fribourg), mon âme n'a pas cessé de bénir le divin Cœur de cette grâce, que je considère comme l'une des plus importantes de ma vie. C'est vous dire, mon vénéré Père, combien je vous suis unie, et à la chère Œuvre de St Quentin, dans l'intime du Cœur de Jésus; quels sont mes voeux ardents pour le développement, l'accroissement et le perfectionnement de cette Œuvre d'amour et de réparation et la sainteté de chacun de ses membres.- Que j'ai été frappé et consolée de vous entendre nous dire: «Nul n'est en tête, c'est le Roi qui est tout.» Puis de toucher du doigt que vraiment N.-S. se réserve de fai­re l'Œuvre lui-même, de préparer les sujets et après les avoir com­me façonnés d'avance, de les diriger vers son cher petit Cénacle de St-Quentin. 116 Je jubilais / surtout, mon très digne Père, en vous entendant prononcer ces mots de pur amour, dépouillement total de la personnalité, réparation et vie intime avec l'Époux. Quelle belle vie, toute céleste, sera celle de ces élus de l'amour, mais au prix de quelles immolations! Puisse le grain de sénevé, déposé par l'Esprit Saint dans ce petit coin de terre devenir bientôt un grand arbre! Je vous remercie de votre bonne lettre et des écrits commu­niqués. Il y a de bien pieuses pensées dans ces pages. C'est comme un lait spirituel distillé à des nouveaux-nés…

Vous apprendrez avec consolation que le 2 octobre Mgr notre évêque espère poser la première pierre de la basilique du S.-Cœur. Que la Providence est admirable dans ses voies…»

Au 13 nov.: «Mon Très Rév. Père; J'aurais dû bien plus tôt vous fai­re participer au bienfait dont le Seigneur nous a gratifiées le 24 juin, jour où nous placions à notre tête l'élue de son Cœur, notre très honorée Mère Anne Marie Bouvet, cette jeune soeur qui m'as­sistait au parloir lorsque nous eûmes l'insigne honneur de recevoir votre visite. Mais peu après cette date je lis une très grave maladie dont je sors à peine; puis notre nouvelle Mère elle-même se vit clouée sur la croix peu / après son élection; comment écrire 117 alors? Il m'a fallu rien moins pour nous faire rompre le silence que cet éclair lumineux et consolant qui a brillé sur notre Calvaire hier, par l'arrivée de votre digne et excellent fils, M.l'abbé de Pascal. Comment vous dire, mon vénéré Père, la jubilation de mon âme en écoutant la récit des merveilles qu'opère à St-Quentin le divin Amour en faveur de son œuvre bien-aimée? Quels pas ont été faits, précisément pendant ces mois derniers, où nous avons été ici si profondément immolées! Il nous semblait bien que ce martyre al­lait à enfanter quelque chose de grand et que nous ignorions…

Faut-il vous féliciter, mon Père, oui certes la magnificence que Dieu déploie sur votre œuvre nous y convie assurément; mais ne faut-il pas davantage encore vous soutenir de nos humbles prières et vous dire surtout: Courage! A de telles missions correspondent ordinairement de si effrayantes épreuves! Je sens toutes les agonies de votre âme, toutes les immolations de votre esprit et de votre cœur: c'est un calice de bénédiction pour vos enfants bien-aimés. 118 O Père, courage! Comme le / Maître vous aime!… Nul plus que votre chétive servante n'aspire à l'éclosion complète de la fa­mille sacerdotale issue de la blessure du Cœur de Jésus, afin de pouvoir déposer entre ses mains l'étendard de la Garde d'Honneur et chanter son Nunc dimittis… Il paraît que nous rencontrons dans le même espoir pour 1883,..» Ce fut pour nous l'année du consum­matum est.

A Paris, Melle Prouvier, (Sr Marie de l'Eucharistie), fondatrice d'un pieux institut (1), était venue nous voir et se tenait aussi très unie de prières et de sacrifices avec nous. Elle m'écrivait le 10 sept. 82: «Je viens vous dire encore ma religieuse et bien profonde gratitude pour le bien que j'ai rapporté de mon beau voyage. Cette préoccu­pation sur la volonté de Dieu, relativement à l'avenir de notre chè­re Œuvre, elle n'existera plus désormais, et je pourrai dans la re­connaissance me livrer à mon doux attrait d'abandon. Comment n'être pas confondue de tant de bontés de la part du Cœur de Jésus, de notre cher Cœur eucharistique, surtout lorsqu'on l'a si peu mérité… Nos faibles prières s'uniront aux vôtres pour 119 le but commun, faibles comme mérite, / elles seront ardentes par le désir et pour cela peut-être seront-elles puissantes…»

M. Bougouin me donnait aussi de curieux renseignements de Poitiers: «Je me hâte, disait-il, de vous envoyez ces notes avant votre départ pour Rome (11 juin 82). Le Recteur du collège, le P.Mercier, prêchait ces jours-ci au S.-Cœur, le jour de la fête. Je crus voir une allusion à St-Quentin dans son discours. Je pris la liberté de lui en parler. Ce n'était pas à votre couvre qu'il faisait allusion, mais à une inspiration analogue. Une religieuse d'un des couvents d'ici (de; la Visitation je présume), aurait eu dès 1866, une révélation sur le «Cœur de Jésus aimant le sacerdoce.»

Le Père me dit que N.-S. demandait une congrégation sous ce vo­cable avec la réparation peur but. Une médaille devait être frappée représentant le S.-Cœur d'un côté, et de l'autre un calice et un lys (allusion sans doute a St-Jean). Dans ma pensée, la révélation de 1866 était la prophétie de votre institut … Je suppliai le bon Père de donner suite à ces communications et j'en reçus un manuscrit dont je vous envoie copie. En résumé, N.-S. demande une Congrégation / qui porte le nom de Jésus aimant. Une association serait établie 120 dans les séminaires et les paroisses. On aurait des expositions du St-Sacrement pendant les retraites des séminaires et aussi dans les paroisses des villes et dans les chapelles des communautés cha­que jeudi ou vendredi. On obtiendrait par là de grandes grâces pour le clergé.. Je transmettrai au P.Mercier vos appréciations…»

Par les relations du P. Captier, un jeune prêtre de Paray-le-Monial, un petit saint, M. Meurice Picard se donnait à nous en esprit, mais la maladie et la mort l'empêchèrent de réaliser son pieux désir.

Le 15 nov. 80, il écrivait au P. Captier: «Je suis heureux de votre propre bonheur et je remercie le divin Jésus de vous avoir enfin conduit dans l'asile béni de son divin Cœur. Vous faites votre novi­ciat, c'est le temps de la lumière, de la ferveur, de l'amour géné­reux, priez beaucoup pour moi…J'ai dû quitter le cher Paray et son doux sanctuaire, Monseigneur m'a nommé maître d'études des pe­tits à Semur.» Le 13 mai 81, il m'écrivait: «Votre prévenance à mon 121 égard me remplit de confusion, et je ne saurais trop / vous en remercie. Par votre bonne lettre d'avant-hier, vous m'avez fortifié et décidé à marcher résolument, malgré les petites épreuves, dans la voie qui me conduira au Cœur Sacré du bon Maître. J'espère avoir bientôt le bonheur de vous demander mon admission … Le cher M.Captier vous a fait de moi, j'en suis sûr, un éloge bien peu mé­rité. Sa bonne amitié l'a égaré, car, croyez-moi, cher monsieur, je suis bien peu digne de votre si bienveillante sympathie; un pauvre malade ne sait que languir dans tout ce qu'il fait… » Il nous écrivait encore le 22 mai, puis il allait déclinant et mourait le 13 août.

Un vicaire de Paray m'écrivait: «Le cher abbé Picard est allé habi­ter un monde meilleur, il est maintenant uni au S.-Cœur qu'il a tant aimé. Notre pauvre malade n'a pu terminer son année à Semur; la maladie de poitrine faisait des progrès rapides, il est venu se reposer à Autun dans sa famille, et le 13 août, sans agonie, il con­sommait son sacrifice, pour aller Fêter Marie au ciel. Je n'ai rien à vous apprendre de la grande piété et de la sainteté de celui qui 122 devait être le P. / Barnabé… Envions sa place, tout en priant pour lui…»

La bonne Mère St-Dominique, supérieure des dominicaines de Mirecourt, nous était aussi très unie (1). Elle vint nous voir en no­vembre 81. Elle m'écrivait le 17 janv.82 pour me dire la part qu'elle prenait à nos épreuves (incendie de St Jean) et pour m'offrir ses voeux: «C'est de toute l'ardeur de mon âme, disait-elle, que je prie N.-S. de répandre tous les trésors de son Cœur sacré sur vos chères familles spirituelles et de vous accorder avec surabondance tous les dons et les faveurs qui peuvent l'aire l'objet de vos désirs de père, de pasteur, de prêtre, de victime et d'ami de Jésus, pour sa plus grande gloire et la sanctification des âmes…»

Son attrait était l'adoration réparatrice. Elle finit par quitter Mirecourt et se fixa à Montmartre, où elle contribua beaucoup à or­ganiser et à soutenir l'adoration réparatrice de jour et de nuit. Elle nous mit en relations avec M.Ruandel, M.Dumoulin, M.Pacaud. M.Dumoulin vint au noviciat et ne resta pas, nous l'aidâmes à ses études tardives. M.Pacaud vint aussi et devint prêtre … (1)» /

123

M. de Cissey s'intéressait aussi à notre œuvre, et quand dans ses courses d'apôtre du S.-Cœur il recentrait quelques faits surnaturels qui eussent quelque rapport avec notre but, il m'écrivait. Ainsi le 15 juin 83: «Je rentre d'une mission d'une quinzaine de jours entrepri­se pour la gloire de notre divin Sauveur. Je trouve ici une montagne; de lettres …A Paris, le dim .3 juin, fête du S.Cœur, à l'église St­-Séverin, le prêtre qui devait parler à l'exercice du S.-Cœur après vê­pres, a voulu que le prisse sa place pour entretenir les fidèles et les encourager à se dévouer au S.-Cœur de Jésus. Me voici presque des vôtres: je me suis bien uni à vous en invoquant le Cœur Sacré de Jésus par le Cœur immaculé de Marie. Les prières et neuvaines de­mandées par la sainte Vierge se sont laites et se continuent en un grand nombre de villes…A Paris, j'ai vu beaucoup une personne très privilégiée de Marie qui jouit de toute la confiance de l'ar­chevêque. Elle m'a assuré que l'intercession de la Sainte Vierge sau­verait la France et que l'église aurait un beau triomphe… mais les plus grandes grâces accordées aux pécheurs 124 sont les souffran­ces / qui les rapprochent de Dieu, et nous ne pouvons espérer que les châtiments annoncés nous soient épargnés. Anne Marie, de X, a eu de nouvelles révélations. C'est la troisième qui m'a décidé à pu­blier une notice, mais le cardinal lui a imposé le silence. La mère d'Anne Marie m'a dit, il y a deux mois en pleurant que la Sainte Vierge était mécontente qu'on ne tînt pas plus compte de ses de­mandes. «On demande un signe, aurait dit la Sainte Vierge, est-ce que la guérison n'est pas une preuve assez éclatant?» Puis la Sainte Vierge aurait annoncé dés châtiments…

Le cardinal a écrit à Paris qu'il ne doutait pas de la guérison mi­raculeuse d'Anne Marie, mais que quant à l'apparition, la prudence lui défendait de se prononcer… J'ai offert déjà plus de 5000 de ces Récits dans la France entière, mais les demandes arrivent par mil­liers.

Le 20 juin il m'écrivait encore: «Nul ne sait au juste ce que la Sainte Vierge a dit à Anne Marie dans ses dernières apparitions, sauf les prêtres qui la dirigent. La Sainte Vierge a paru sévère, a fait des plaintes et paraît-il bien positivement, a annoncé des 125 cata­strophes plus ou moins prochaines. / C'est ce que me dit la famille d'Anne Marie. On parle de plaintes contre le clergé et de plaintes vives à son endroit … Il y a une autre extatique bien positivement éclairée par l'esprit de Dieu, qui a souvent exprimé les plaintes que lui adresse N.-S. contre l'indifférence du clergé, etc. Il s'agit de Marguerite Place, de La Capelle-Viescamp près Aurillac. Il faudrait un volume, m'écrit le baron de Bonafos, habitant le château de Viescamp, pour relater tout ce qui depuis 6 ans se passe de si prodi­gieux chez cette personne si humble qui est restée 4 ans en rien di­re, si ce n'est à son directeur.» Elle a eu plus de 50 fois l'apparition du S. Cœur… Tous les vendredis des inscriptions latines ou françai­ses se gravent sur ses bras. J'ai vu ces phénomènes se produire sous mes yeux. Ces caractères qui se forment petit à petit et qui mettent environ deux heures pour devenir complètement rouges, sont formés par le sang en dessous de la peau et rien ne peut les faire disparaître. Deux ou trois jours après, ils disparaissent peu à peu d'eux-mêmes, et dans la nuit du jeudi au vendredi il s'en forme d'autres. Voici quelques-unes de ces inscriptions: /

«Je me sers des plus faibles pour confondre les plus torts 126 - O ma bien-aimée, ne doute pas … Je veux être honoré en ce lieu

- Advenient et adorabunt.- » D'autres fois, à la place des inscrip­tions se trouve un cœur entouré d'une couronne d'épines, un cali­ce, un ostensoir, etc. Quelquefois, dans l'apparition de N.-S., le Cœur saigne. L'an dernier, à Pâques, N.-S. a montré ses mains percées. Il a parlé à Marguerite de la France, de Rome et surtout de la dévotion au S.-Cœur qui n'est pas assez pratiquée. L'apparition s'est plaint plusieurs fois du clergé et demande des prières au clergé et une réforme … Mgr de St-Flour a envoyé à son clergé une circulaire basée sur ce qu'a dit Marguerite et lui-même est allé à Rome entretenir le Saint-Père de ces faits…»

Nous commencions aussi à avoir des relations avec les Victimes du S.-Cœur fondées par la mère Véronique. Cette sainte âme désirait une œuvre de prêtres (1). Elle avait déjà quelques prêtres qui se te­naient dans l'attente: MM.Prévot, Charcosset, Galley, etc. M.Prévot avait fait à Rome un séjour de deux ans et le vénérable P.Laurençot / lui avait préparé des Constitutions pour une œuvre de 127 Prêtres-Victimes. J'ai ce projet, en français et en latin. La base était la règle des Jésuites. L'institut devait avoir deux ordres: les prêtres­-adorateurs et les prêtres-zélateurs. Il devait aussi avoir un 4e voeu, de victime, et un 5e d'obéissance et de dévouement au Pape et au St Siège.

Le voeu de victime était défini ainsi: «Ils font le voeu de victime pour que Dieu tire de leur oblation les 4 fins du sacrifice, qui sont l'adoration, l'action de grâces, l'expiation et la supplication. Par ce voeu, ils s'engagent à user leur vie au salut de leurs frères dans le sa­cerdoce en y consacrant leurs forces et leurs talents et en acceptant dans cette vue toutes les peines intérieures et extérieures qu'il plai­ra à Dieu de leur envoyer. C'est l'entière et habituelle union de l'âme à Jésus-victime, c'est un état de sainteté universelle…» Ce n'était guère précis et le St-Siège n'aurait jamais accepté cela. Le but assigné était de se dévouer au clergé et aux âmes religieuses par la direction des séminaires, les retraites, l'asile donné aux prêtres tombés, la direction des communautés religieuses, etc… /

128 Les pieuses Soeurs Victimes avaient alors leur centre à Villeneuve-les-Avignon. Elles avaient bien des épreuves. La sainte fondatrice connut notre fondation et après elle, la Mère prieure Marie Joseph encouragea les prêtres avec lesquels elles étaient en relations à se diriger vers nous. Le P. André Prévot commença à m'écrire, puis le P. Charcosset. M.Galley vint bientôt et prit le nom P. Jean de Ste-Véronique mais sa mauvaise santé ne lui permit pas de continuer le noviciat. Un autre entra chez les Bénédictins à Pélissanne (Bouches-du-Rhône), où il prit le nom de P.Lazare.

C'est à la Trappe du Mont des Cats que j'allai faire ma retraite de vacances. Je passai là quelques bonnes journées avec le bon Père Sébastien Wiart, qui m'édifia par sa douceur et sa charité. Il me pria de faire une fois la conférence spirituelle à ses religieux. Il croyait comme moi au surnaturel de St-Quentin. /

Année scolaire: 1882-1883 129

Ce fut vraiment l'année de Via crucis, année pénible, inquiète, douloureuse. Mgr Thibaudier était inquiet, il devenait sévère, exi­geant, tout en voulant rester bienveillant.

Je perdis ma mère, que j'ai aimée plus que personne sur la terre. Le P. Captier devenait difficile, il subissait une influence diaboli­que et voulait, au nom des anges, nous imposer des doctrines su­spectes de quiétisme. Il avait eu d'abord des vues très belles sur le S.-Cœur et qui nous paraissaient venir de Dieu. Où commençait l'erreur? Qu'y avait-il de divin? Tout était-il illusion? Il faut avoir passé par ces angoisses pour savoir combien elles sont poignantes.

Un autre prêtre nous faisait clos misères (M.Lecl…) et com­mençait une campagne de dénonciations et de calomnies (1).

Mgr avait demandé: à Rome une direction et le St-Père remettait l'affaire / au Saint-Office. Le consummatum est se préparait. 130

Les lettres de Monseigneur donneront toute la physionomie de l'année.

Le 3 octobre. A M. Mathieu: «Mon cher ami, Pardonnez-moi,vous et le cher M.Dehon, mes agaçantes importunités. Vous savez si je vous estime et vous aime: c'est pour cela que je vous laisse si peu de paix. C'est aussi parce que je pressens de graves dangers pour une œuvre dont j'achèterais la conservation du plus haut prix qu'il me serait possible; permis, d'y mettre. Il s'agit de St Jean contre lequel j'en­tends gronder les orages de l'opinion. La maison souffre, dit-on, le supérieur est trop absorbé par d'autres œuvres… Les hommes les moins malveillants prennent part au Tolle ou l'expliquent. Comme tous les hommes d'expérience, je fais une grande part à l'exagéra­tion; mais je ne crois pas non plus que cette épreuve, fût-elle surna­turelle, soit tout-à-fait imméritée; et j'ajoute que si, en pareilles cir­constances, l'admirable M.Dehon ne se donne pas tout entier, as­sidûment, persévéramment, charitablement à toute sa maison, elle doit naturellement 131 décliner. Je ne regarde pas les faits surna­turels sur lesquels il s'appuie / comme assez certains pour lui per­mettre de braver à ce degré la loi consacrée par l'expérience: Qui trop embrasse, mal étreint. Je ne veux rien prescrire, mais je le Conjure de laisser complètement, au besoin, les bonnes Franciscaines, le Sacré-Cœur, Fayet, et d'appartenir, pour cette année, absolument à St-Jean. Je vous bénis tous deux tendrement.»

Le 8 octobre, à M.Mathieu: «MM. de Pascal m'ont produit une ex­cellente impression. J'ai vivement regretté de ne pouvoir les inviter à déjeuner. Ma réponse a été conforme aux principes qui me diri­gent à l'égard du Sacré-Coeuir. Je les accepte, soit avec une autorisa­tion de résidence venant de leur Ordinaire, soit par incorporation canonique, s'ils la demandent avec des documents qui la rendent possible… Mais comme je ne les accepte que dans leur intérêt et dans celui du Sacré-Cœur, je les laisserai et je laisserai M. Dehon di­sposer d'eux, soit dans le diocèse, soit en dehors, à la différence des sujets diocésains d'origine, que je veux pouvoir montrer sous ma main tant que durera cette période de formation et d'épreuve. -J'ai été touché de l'humble et doux mea culpa du cher 132 P.Dehon (j'avais répondu humblement à ses / observations du 3 octobre)… scio cui credidi… Mais qu'il n'oublie pas que St-Jean est sa grande tâche, sa mission d'obéissance, qui a été, dans mon esprit et ma volonté, la condition du commencement de l'autre œuvre, et dont le religieux, charitable, diligent et vaillant accomplissement lui méritera peut-être la fondation définitive de celle qui tient le premier rang dans sa pensée et dans son Cœur. Qu'il aille en Chanaan par le désert!

- Veuillez prier le P. Captier de m'écrire un résumé de sa bio­graphie spirituelle en ce qui n'est pas matière de la confession sa­cramentelle, et une description, autant qu'elle lui est possible, du mode de ses communications présumées angéliques…»

Le 3 nov.: «Mon bien cher chanoine, je prie comme vous et avec vous N.-S. que sa lumière vous éclaire tous en toute choses, particu­lièrement sur les faits qui ne m'apparaissent pas sous la même ca­ractère qu'à vous-même.- J'ai tant de peine à déchiffrer l'écriture du P.Captier que j'accepte avec plaisir la proposition que vous me faites de m'envoyer en un cahier copie des documents précédents. Il ne serait / d'ailleurs pas possible de communiquer utilement à Mgr 133 de Reims (1), comme j'ai l'intention de le faire, les manu­scrits originaux.- Je voulais répondre à la bonne lettre de la Chère Mère, pour lui exprimer mon regret de n'avoir pu à mon dernier séjour à St-Quentin faire une visite à la pieuse communauté. Vous savez comme mes journées ont été prises. Mon intention était aussi de dire à la Chère Mère que je ne crois pas devoir autoriser, pour le moment, la communication des révélations de Sr M. Ignace aux tierces personnes qu'elles paraissent intéresser. Seulement je prie la Chère Mère de m'envoyer, quand elle le jugera utile la traduction de ces fragments avec le texte allemand… Ne croyez pas, mon bien cher chanoine, que vous avez été calomnié auprès de moi. La ca­lomnie a pour objet des fautes: or personne, à ma connaissance, ne vous en impute. Je serais bien malheureux d'ailleurs, et j'aurais été singulièrement trahi par mes actes et mes paroles, si je n'avais pu vous persuader que vous avez ma profonde estime, mon respect et mon affection. Ce qui est vrai, c'est que plusieurs personnes, dont l'opinion n'est 134 pas sans poids, / ont trouvé que votre collège souffrait beaucoup du temps et des soins que vous donniez au Sacré-Cœur… Puissent ces explications vous consoler et vous ré­conforter! Si la Providence permet que nous différions de senti­ments sur des choses d'importance, demeurons au moins per­suadés, vous que j'ai à votre égard le cœur d'un père et d'un ami, moi que je puis compter de votre part sur une confiance cordiale…»

Le 17 nov. à M.Mathieu: «A l'égard des prières et formules four­nies par le P. Captier et dont M.Dehon me demande à se servir, je ne m'oppose pas a ce qu'on s'en serve hors de la chapelle et sans l'habit de choeur; mais là doit pour le moment se borner mon au­torisation.. Je ne puis voir qu'avec plaisir que le cher chanoine por­te directement à Mgr l'Archevêque de Reims des documents et des explications que je dois avoir déjà moi-même…»

Le 19 nov.: «Voilà donc M.Captier directeur de l'Ecole apostolique de Fayet. Je ne crois pas pouvoir laisser passer cette occasion sans vous ouvrir enfin ma pensée sur ce bon prêtre et vous marquer mes intentions sur quelques points à son endroit.- 1° Je 135 regarde / plus que jamais comme invraisemblable l'origine angélique de ses communications. Par suite je désire qu'elles ne reçoivent cette qua­lification ni dans le langage, ni par écrit. 2° Veuillez ne lui commu­niquer ni permettre qu'on lui communique rien de ce qui se passe à l'Institution St Jean. Je vous supplie de ne prendre aucune déci­sion, comme directeur de cet établissement, en conséquence des communications dites angéliques, non plus que de celles de Sr M. Ignace. 3° Comme cela est dans l'ordre à tous les points de vue, je désire que le P.Captier soit le directeur réel de Fayet et y réside. 4° Vous ne recevrez dans cette maison, non plus qu'au Sacré-Cœur, aucun sujet diocésain sans mon autorisation.. Croyez, mon bien cher chanoine, que je ne prends ces dispositions que-dans un intérêt d'ordre canonique, dans celui de notre sécurité commune, du bien des âmes et de l'honneur de l'Eglise. Mon dévouement à votre personne et à la partie de vos œuvres qui m'inspire confiance doit vous être connu. Votre loi, votre vertu profonde, votre héroï­sme sacerdotal, le but si apostolique de toute votre vie, j'apprécie cela autant, / ce me semble, que Dieu 136 m'accorde les grâces nécessaires pour le discerner et l'aimer. J'ai seulement quelquefois un autre avis que le vôtre sur le choix des moyens ou sur leur op­portunité présente. Surtout je ne pais, malgré un extrême bon vou­loir, prendre confiance dans les deux sources toujours ouvertes de révélations, où vous puisez heureusement beaucoup de forces, mais en même temps, selon moi, une direction qui ne vient pas réelle­ment de Dieu, quoiqu'elle ne manque peut-être jamais de piété et ne soit pas toujours sans discernement et sagesse… Aussi je suis heu­reux que Mgr l'Archevêque (de Reims) partage avec moi les re­sponsabilités qui m'incombent de ce chef…»

Je portai donc à Mgr de Reims nos documents. Il nomma pour les examiner une commission composée du Rév. Père Modeste S.J., de M.le Supérieur du Séminaire et de M.l'aumônier de la Visitation. Ils avaient entre les mains les écrits de Sr Ignace et ceux du P.Captier.

La commission ne rendit pas un jugement formel. Elle était d'avis cependant que les écrits de Sr Ignace surpassaient, comme / 137 élévation de doctrines et comme sainteté de vues, les forces humai­nes.

Les deux prélats jugèrent prudent d'en référer au Saint Père. Ils en écrivirent au cardinal Ledochowski.

Le 2 avril, Mgr m'écrivait: «J'avais écrit au cardinal Ledochowski, pour lui demander si je pourrais lui envoyer les documents relatifs à votre affaire, qu'il aurait ensuite remis, à d'autres mains, s'il le fal­lait, selon les intentions du Saint-Père. Il en a parlé au Pape et m'a répondu d'envoyer directement au St-Office.

Dans ma pensée et mon désir, il ne s'agit toujours que de recevoir une direction paternelle et secrète. On est plus sûr du secret là qu'ailleurs. Je ferai l'envoi avant mon départ pour la visite pastora­le…»

Le 28 avril, après l'affreux accident de voiture où mon oncle Alfred Dehon trouva la mort, Mgr m'écrivait: «On m'avait fait crain­dre que la victime du douloureux accident dont vous me parlez ne fut une personne qui vous est unie par des liens encore plus étroits 138 (mon frère)… e prends part à / votre affliction et me suis déjà uni à vos prières…» Il ajoutait: «J'ai envoyé à Rome: 1° Ce que vous aviez porté à Reims, ainsi que le rapport de la commission; 2° tou­tes les communications de Sr M.Ignace que vous m'aviez transmises dans des cahiers cartonnés; 3° la relation de ce qui est arrivé à Léon Bachelard; 4° des lettres de quelques personnes; 5° mon propre ex­posé concluant à une demande de direction… Vous donnerez direc­tement vos explications au St-Siège, puisque vous allez être repré­senté auprès de lui de P.Alex. de Pascal allait à Rome pour offrir des renseignements si on nous les demandait…)

En mai, Mgr me priait d'intervenir pour obtenir la démission d'un doyen dont le ministère ne pouvait plus être fructueux. Je le fis.

Le 30 mai, il m'écrivait: «Merci de votre bonne et utile interven­tion. La démission est entre mes mains.» Il ajoutait: «Avez-vous des noms acceptables devant Dieu et devant les hommes pour La Capelle?»

- En juin, j'étais appelé à Rome heur donner des explications au St-Office. Le voyage ne m'était pas possible à cette date a cause de mes occupations a St-Jean. /

Le 25 juin, Mgr m'écrivait: «Il serait vraiment trop peu raisonna­ble 139 de laisser votre grand établissement sans chef en un mo­ment aussi critique de l'année. Je ne puis y consentir. Priez le Saint-Siège d'attendre le temps des vacances ou le commencement de l'hiver.»

Au mois de juillet, Mgr nous autorisait à avoir l'exposition du St Sacrement a la chapelle du S.-Cœur, les nuits du jeudi au vendredi.

Je vais relater aussi toute la correspondance de Mgr l'Archevêque de Reims relative au même sujet. En décembre, je lui portai nos textes.

- Le 7 déc. 82: «Mon cher abbé, Vous serez reçu à Reims avec un cœur ouvert et paternel. Venez le jour qui vous conviendra le mieux. Avertissez-moi seulement la veille, afin que ma voiture soit à la gare et que votre chambre soit prête à l'archevêché où vous voudrez bien descendre. Je bénis cordialement votre âme et vos oeuvres.

Le 3 janv. 83: «Mon cher abbé, Je verrai Mgr de Soissons dans les premiers jours de la semaine prochaine. Prions pour que Dieu dirige les cœurs et les intelligences dans les voies qu'il veut nous voir suivre. Je bénis paternellement votre chère âme et je 140 me / réjouis à la bonne parole tombée de votre cœur: Oui, vous êtes l'un de mes prêtres, puisque vous m'avez l'ait pénétrer jusque dans le sanctuaire de vos pensées intimes, et sans rien enlever à votre vénérable et si sage évêque, je vous bénis comme un vrai père.»

Le 17 janvier: «Mon cher abbé, Le travail d'examen s'avance, et j'espère que nous serons bientôt prêts a vous le communiquer par l'entremise de Mgr de Soissons. Vous m'avez envoyé dernièrement votre Directorium, dites-moi ce que vous en pensez, il a des passages qui nous ont surpris … l'

Le 17 fév.: «La commission chargée: d'examiner les pièces que vous m'avez confiées a terminé son travail; et hier, j'ai fait remettre tout le dossier à Mgr votre vénérable évêque. Que Dieu l'inspire, dans l'étude plus complète que réclament les documents nom­breux où sont consignées les origines de votre œuvre et les per­sonnes à qui des grâces extraordinaires ont été accordées. Le Saint-­Siège sera notre juge. Mais en attendant, continuez à ouvrir en tou­te simplicité votre cœur et votre esprit a celui qui est pour vous le premier représentant de l'autorité de l'Église. Cette confiance / 141 filiale est le gage des bénédictions qui éclairent et dirigent les âmes dans les voies providentielles. Je vous envoie mes meilleurs voeux…

Il y avait eu évidemment un changement d'opinion à Reims entre le 17 janvier et le 17 Février. Le 17 janvier, on allait me donner le ju­gement de la commission; le 17 Février, on ne me donnait plus rien et on envoyait tout à Rome. Mgr Thibaudier était intervenu. Des souvenirs de Lyon lui étaient revenus. Il avait eu à Lyon un blâme de Rome au sujet de ses rigueurs pour les Soeurs Victimes du S.­Cœur, il craignait quelque chose comme cela à St-Quentin, il me l'a dit ensuite (1). Il a donc changé les dispositions de Mgr de Reims. Le bon Dieu l'a permis. J'accepte tout cela, mais c'était alors pour moi le sujet d'une grande; souffrance.

Le 7 mars, Mgr de Reims me confirme l'envoi à Rome: «J'ai remis à Mgr de Soissons toutes les pièces que vous m'aviez confiées. C'est à lui que vous voudrez bien vous adresser pour les avoir. J'ai cru en agissant ainsi me conformer à notre convention… La pensée de Mgr votre évêque est très sage. / Il y a dans votre œuvre des intérêts di­vers dont quelques-uns touchent à des questions très délicates qui ne peuvent être résolues que par le Saint-Siège. C'est là, du reste, que vous désiriez aller chercher le conseil et la lumière. Vous l'y trouverez dans sa plénitude, et votre tendre piété, votre foi vive se­ront satisfaites, parce que Dieu lui-même vous aura dit ses volontés que vous suivrez fidèlement. Je vous envoie, cher et vénérable abbé, tous mes voeux et mes meilleures bénédictions…»

Nous avons ouvert l'École apostolique de Fayet le 21 nov. 82, jour de la Présentation de la Sainte Vierge au temple. Nous avons vu là un fait providentiel.

Nous préparions cette ouverture depuis le mois de juillet. Nous avions rencontré des obstacles. Le P.Captier avait perdu son diplô­me, il avait fallu en chercher un duplicata. Enfin nous étions parve­nus à réunir toutes les pièces vers le 15 Oct. seulement et nous les avions envoyées au Recteur. Celui-ci, en nous en accusant réception nous disait que nous pourrions ouvrir la maison le 21 novembre. C'était donc l'autorité académique qui nous indiquait la date fixée par la Providence au jour / de la Présentation de la Sainte Vierge. 143

L'œuvre commença modestement, mais avec une vraie ferveur. Elle avait dès le début une vingtaine d'enfants, dont plusieurs avaient été ramenés par le P.Captier de Lyon et de la Loire. D'au­tres avaient été envoyés par M.Petit, doyen de Sains, et quelques-uns venaient d'Alsace, par les relations de nos Soeurs.- La Chère Mère donna des Soeurs pour les soins matériels.

Le noviciat de Sittard commença le 2 fév.83. C'est le P.Alexandre de Pascal qui en fut l'occasion. Ayant lu dans les journaux des of­fres de maisons en Hollande, il avait reconnu le nom d'un de ses anciens compagnons aux zouaves pontificaux. Il était allé voir. J'y étais allé ensuite avec lui en décembre et j'avais loué le castel de Watersley. La dévotion à N.-D. du S.-Cœur, si vivante à Sittard, nous attirait et nous pensions que la Sainte Vierge voulait nous protéger dans notre exil d'Egypte.

Le P.François Xavier (Lamour) et le P.Stanislas (Falleur) com­mencèrent là dans une grande pauvreté. Bientôt nous leur envoyâ­mes 144 quelques novices, puis ils ne tardèrent pas à / recruter là quelques apostoliques. Nous devons beaucoup de reconnaissance aux Soeurs Ursulines de Sittard, qui nous ont toujours montré beaucoup de bienveillance.

La Congrégation paraissait maintenant bien établie. Elle avait sa maison-mère au Sacré-Cœur (maison d'adorateurs et de prédica­teurs), l'école apostolique à Fayet, le noviciat à Sittard. L'avenir pa­raissait assuré, c'est alors que vint le Consummatum est.

Il y avait eu trois ans que ma mère avait eu son attaque de paraly­sie. Elle s'était remise un peu. Elle se préparait doucement à la mort. Elle m'était toujours très unie. Quand j'allais la voir, trois ou quatre fois l'an, elle me demandait toujours d'avoir avec elle quel­que entretien sur la vie intérieure. Elle voulait être au courant de mes œuvres. Elle finit par s'agréger à nous par la profession de vic­time du S.-Cœur. J'étais loin, j'avais prié M.Petit, curé de Buironfosse de la voir quelquefois et de me remplacer auprès d'el­le. Voici ce qu'il m'écrivait.

30 avril 80: «Bien cher ami, Fidèle à ma promesse, je suis allé, dans l'après-midi / d'hier, rendre visite à votre tonne mère. 145 Je l'ai trouvée mieux qu'à mon dernier voyage. Nous avons encore beaucoup causé et avec une édification nouvelle.- Que n'êtes-vous plus prés de nous, me disait-elle, je vous verrais plus souvent, votre visite me fait du bien.- Je suis heureux d'être utile à une âme qui vous est si chère et que je trouve si avide des choses de Dieu. Je me suis bien gardé de dire à Mme votre mère vos épreuves du moment; malgré sa foi et sa résignation présente, son cœur de more en eut trop souffert. Toutefois, comme elle m'a parlé des révélations, je luit ai dit que N.-S. vous annonce des épreuves dans les jours plus mau­vais qui se préparent, mais qu'il promet aussi d'être avec vous, de vous assister et de vous en faire sortir victorieux, le cœur embelli de nouveaux mérites. Elle a reçu cette confidence avec calme et rési­gnation. Nous avons parlé de votre force d'âme en face des choses contraires, et nous sommes convenus qu'elle s'efforcera de vous imiter en s'appliquant à demeurer toujours en paix, quoi qu'il arri­ve.- Aujourd'hui, vous ne me voyer pas pleurer, disait-elle, ou si des larmes me viennent, c'est lit joie intérieure / et le calme de la 146 résignation qui les tait naître…»

Le 11 mai 80: «J'ai revu votre bonne mère, nous étions seuls, nous avons causé longuement et avec une édification croissante. Après une conversation sur les moyens d'acquérir la paix de l'âme et de s'y maintenir, nous avons lu et commenté un chapitre de l'Imitation en rapport avec les confidences intimes de votre bonne mère. Comme je la vis s'ouvrant tout entière aux influences de la grâce, j'ai cru le moment favorable pour lui parler du voeu de victime. Je lui ai expliqué la chose aussi clairement que possible. Elle accepta avec empressement et bonheur de marcher sous votre étendard qui est celui du S.-Cœur. Je lui ai remis votre formule. Dès maintenant elle se regarde comme votre novice. Elle a dû ce matin commencer a faire son premier acte d'immolation. Elle doit vous en écrire et vous demander à émettre son voeu le jour de la fête du S. Cœur.

Son regret est de ne pouvoir, comme les années précédentes, cir­culer pour amener quelques personnes à faire la sainte communion pendant le mois du S.-Cœur. Mais elle se propose d'envoyer des bil­lets, 147 pour ne pas perdre / l'occasion de faire honorer le culte du Sauyeur.

- Parlant de la libre acceptation et même de l'amour des souffran­ces pour l'acquisition de la paix véritable, j'ai vue comprenant si bien le prix de l'union parfaite à la sainte volonté de Dieu, que j'ai cru pouvoir lui dire que N.-S., qui éprouve ceux qu'il aime, vous fait annoncer de grandes épreuves pour un temps rapproché, mais que vous présentant le remède avec le mal, il vous encourage par la pro­messe que vous sortirez sain et sauf du danger.

Je l'ai vue faire son acte d'immolation et accepter avec le plus grand calme cette confidence.

Le 5 janvier 81: «Je suis allé hier à La Capelle offrir mes voeux à votre bonne mère. Nous avons pu causer en tête-à-tête. Elle a paru très heureuse et m'a rappelé ce que je lui disais un jour, que vous me l'aviez confiée, comme N.-S. confia sa divine Mère à St Jean. Nous avons parlé longuement de la grandeur de Dieu, de la vraie ri­chesse et de l'union à la pensée et à la volonté de Dieu. La pieuse lettre que vous lui avez écrite pendant ses jours de solitude lui fait grand bien. Elle la lit et la relit dès qu'elle est 148 seule et chaque fois elle / en éprouve un grand bien-être spirituel. A chacune de mes visites, je crois constater que N.-S. perfectionne cette belle âme et l'épure pour le ciel. Ici encore que de grâces découlent du divin Cœur!»

C'est le 19 mars 83, que N.-S. appela ma mère à lui. Le 19 mars! le beau jour de St Joseph, patron de la bonne mort. Elle avait tant aimé et tant honoré Saint Joseph! Elle avait fondé et soutenu pen­dant trente ans l'Œuvre de St Joseph, société de charité des dames de La Capelle. Sa vie a été une vie de travail, de piété, de vertu. Vraie femme forte, elle était toujours levée la première et tenait ad­mirablement sa maison. Lille a toujours été douce et patiente. Elle avait une grande dignité. C'était une matrone chrétienne. Elle avait contribué à fonder à La Capelle la confrérie des mères chrétiennes. Elle était admirablement fidèle à toutes ses pratiques de piété: Chapelet, lecture spirituelle, prières de confréries. Elle se ser­vait du Manuel de piété des élèves du S.-Cœur, des Prières de Sainte Gertrude, de l'Imitation, de lectures pour l'Avent et le Carême. Elle avait reçu une forte éducation chez les Dames de la Providence de Charleville, qui ont / fusionné peu après avec les Dames du S. Cœur (1).149 Elle est restée toute sa vie ce qu'elle avait promis à Dieu dans ses retraites du pensionnat. Elle pouvait di­re en mourant: fidem servavi, cursum consummavi (2 Tm 4,7).

Elle a préparé indirectement ma vocation, elle obtiendra mon sa­lut.

C'est en mai 82 que le P.Captier commença à nous dire qu'il en­tendait des voix angéliques. Il nous écrivit d'abord quelques belles prières, puis des projets de messes au Cœur de Jésus Enfant, au Cœur de Jésus souffrant, au Cœur de Jésus Eucharistique, et un directorium de la dévotion au S.-Cœur. Ce directoire avait de belles pa­ges, il était tout brûlant d'amour pour le S.-Cœur. Mais il avait quelques passages qui n'étaient pas acceptables.

Il écrivit aussi un projet de Constitution.

L'Ordre du S.-Cœur attrait eu trois branches: les Contemplatifs, les Actifs et les Mixtes, et plusieurs branches de Soeurs. Ce n'était pas réalisable.

Le pauvre Père avait sûrement des hallucinations. II devenait dif­ficile et peu obéissant. Il rêvait une vie d'amour pour le S.-Cœur 150 sans sacrifices et sans / mortification.

Les enfants sous sa direction étaient d'abord très fervents, mais c'était surchauffé et cela ne pouvait pas durer. Il les portait à em­brasser souvent leurs petites statuettes du S.-Cœur, ce n'était pas mal en soi, mais cela devenait une pratique trop multipliée.

Un des enfants, Léon Bachelard, eut une angine. On attribua sa guérison a la Sainte Vierge et il commença à avoir des espèces d'ex­tases. Cela dura trois jours. II disait que l'Enfant Jésus venait jouer avec lui et il en faisait toute la mimique, puis il semblait souffrir les douleurs de la Passion. Il semblait avoir une seconde vue. Il devinait des reliques cachées dans des papiers qu'on lui présentait. Mgr pré­venu envoya même quelques plis fermés pour éprouver la clair­voyance de l'enfant, mais les extases cessèrent.

J'étais loin d'accepter tout du P.Captier. Le 8 mai 83, je lui écri­vais: «Votre billet d'hier était bon et je désire que vos dispositions soient un peu stables. Ne nous donnez plus le ridicule de croire que nous prenons des autorités douteuses pour juges de la dévotion au S.-Cœur. Nous en prenons le sens dans les paroles de 151 N.-S. / lui-même à Marguerite-Marie.- Défiez-vous de votre jugement et obéissez. Comment pouvez-vous encore avoir tant de confiance en votre jugement après toutes les influences imaginaires et diaboli­ques que vous avez subies depuis un an? Soyez simple et humble et surtout obéissant. Comme cela tout ira bien. N.-S. vous éclairera lui-même si vous avez l'esprit de docilité envers vos supérieurs. Je prie le S.-Cœur de Jésus de mettre dans votre cœur le véritable amour de lui-même et des âmes, qui ne va pas sans l'humilité, l'obéissance et le sacrifice…»

Je reconnaissais cependant de belles choses dans les prières - et le directorium. On en convint à Rome.

Quelques vocations nous vinrent cette année. Le P.Sacerdos de Pascal en octobre 82. Il était très nerveux. Il nous quitta en 1884 et alla mourir en maison de santé après avoir essayé de la Cong. des Assomptionnistes.

Le f. Jean Dumoulin nous quitta aussi après les épreuves de 84 et devint prêtre séculier.

- Angelus Deal - Sanctus Accary - En décembre, P.Modeste Roth. En fév., f.Philippe Wallerand - Avril 83, P. Polycarpe Black -Juillet, fJacob Boulanger, f.Wenceslas Otto, f.Hermann Schmitz (1). /

N.-S. prit encore cette année une petite victime chez nos 152 Sœurs: La Sr St-Alphonse, assez âgée déjà, bien modeste et bien serviable mourut pieusement au couvent le 13 mars.

Un de nos petits novices de Sittard, le f.Sanctus Accary mourut comme un petit saint le 10 août 83. J'allai assister a ses derniers mo­ments. Son esprit d'abandon était merveilleux. Il souffrait en sou­riant et répétait sans cesse: «Comme Jésus voudra.» Il donna sa vie pour l'œuvre et pour le règne du S.-Cœur.

Le P. Modeste de la Compagnie de Jésus était mon directeur (2). Je n'ai rien fait sans lui. Je lis cette année ma retraite avec lui.

Il vint donner les retraites pendant ces années extraordinaires au couvent. Il suivait tout de très près. C'était un religieux très vénéra­ble, très estimé dans la Compagnie de Jésus, un saint. Il croyait ab­solument aux communications de la Soeur (St-Ignace) j'y crus avec lui. Après l'incendie de S.-Jean, il m'écrivait: «Lés promesses cruci­fiantes du Cœur adorable de Jésus s'accomplissent: épreuve sur épreuve, croix sur croix. Quelle confiance cela doit vous inspirer pour l'avenir de votre œuvre! Après les bénédictions de la croix 153 viendront / immanquablement les bénédictions du succès et de la joie.» Il appréciait si haut notre belle vocation qu'il disait: «Si je n'étais pas jésuite, je me ferais oblat du Cœur de Jésus…» Il nous a été fidèle après l'épreuve jusqu'à sa mort.

N.-S. a permis ces pieuses illusions de bon Père, de la Soeur Ignace, de la Chère Mère et de plusieurs personnes de grande auto­rité pour nous crucifier jusqu'au fond de l'âme… Il n'y avait pas il­lusion complète, mais seulement un attachement trop grand aux vues d'oraison de Sr Ignace que nous prenions pour des révélations littérales de N.-S. (1).

Le Pape donna au 23 juin 1883 sa nouvelle règle du Tiers-Ordre séculier. Avec son admirable fermeté de caractère, il poussait cha­que question à fond. Il devait revenir souvent sur l'opportunité du Tiers-Ordre pour le temps présent. Il donna au 18 août son Bref sur les études historiques (2). Il déclarait fièrement que l'Église n'a rien à craindre de la vérité et qu'elle n'avait besoin en rien du men­songe et de la dissimulation.

Il commençait le 1er Sept. sa série d'encycliques sur le Rosaire, imitant le grand Pape S.Pie V et manifestant par là sa foi profonde et sa grande piété envers Marie (1).

154

J'eus l'occasion cette année de voir deux saints personnages, Louise Lateau et don Bosco. Au mois de mars, j'allai à Bois d'Haine. Je communiai Louise Lateau le matin, j'assistai à son exta­se à 3 heures et je la vis aussi après l'extase avec M. le Curé. L'Eglise n'a pas encore jugé les laits qui la concernent. J'ai constaté les stig­mates, l'extase, la connaissance des objets bénis. Tout m'a paru ad­mirablement édifiant et profondément touchant. Si c'est du diable, c'est qu'il est un parfait comédien. Louise Lateau m'a dit son im­pression sur notre œuvre, elle la croyait bien divine. Ce jour là pen­dant son extase, elle vit N.-S. souffrir tout spécialement pour les ou­trages qui lui sont les plus sensibles comme lui venant des âmes pri­vilégiées, selon l'esprit de notre œuvre. N.-S. le lui dit plusieurs fois

Au mois de mai, don Bosco vint a Paris. Beaucoup de personnes allaient le voir, se recommandaient à ses prières et lui laissaient une offrande pour ses œuvres. J'allai le voir avec le P.Alex. de Pascal. Nous lui recommandâmes notre œuvre. Son / impression était 155 qu'elle était bien divine.

Louise Lateau mourut quelques mois plus tard, le 25 août, le jour de la fête de son saint patron.

Le Comte de Chambord mourut deux jours avant, le 23 août. Il alla sans doute au ciel le 25 partager la gloire de son aïeul S.Louis. C'était la fin de la légitimité en France pour la famille des Bourbons (1). Il restait les d'Orléans, mais ils ont tant de fois trahi leur famille qu'ils sont assez mal venus à en revendiquer l'héritage. Ce fut pour un certain nombre de catholiques le signal du rallie­ment a la République, mais ce ne fut pas assez général…

Ce qui concerne M. Vincent, vicaire général, mérite d'être si­gnalé.

La Sr Ignace avait eu la vue ou l'impression qu'il était appelé à l'œuvre. Il le savait et il acceptait en principe.

En avril 83, il a le bras malade, il me fait écrire par M.Pabbé Magnier, son secrétaire: «Pendant ses heures de souffrances et de méditation, M. Vincent a pris une résolution absolue, irrévocable: 156 une donation complète de lui-même / à N.-S. pour exécuter tous les désirs du divin Cœur, aussitôt que N.-S. aura manifesté sa volonté et que cette manifestation aura reçu son cachet légitime par l'agrément et pour ainsi dire le visa de l'autorité hiérarchique… M. Vincent n'a eu qu'une communication confuse des derniers messages envoyés à Mgr, il voudrait les connaître intégralement.»

Le 1er mai, mêmes dispositions: «Aussitôt que N.-S. aura manife­sté ses intentions précises en préparant l'esprit et le Cœur de Mgr et en disposant les événements, l'obéissance la plus ponctuelle suivra…

Le 30 mai, M. Magnier m'écrit: «M. Vincent me prie de vous dire qu'il s'est entretenu hier avec Mgr de la détermination qu'il avait prise sous l'influence d'un goût intérieur et d'une inspiration irrési­stible du S.-Cœur. Sa Grandeur a bien compris toutes choses et lui a donne approbation et liberté. M. Vincent désirerait que l'initia­tion de sa vie religieuse datât de la fête même du S.-Cœur, mais il sait que vous ne pouvez pas venir ce jour-là. Il soumet son désir a votre appréciation.»

- Cette décision du 30 mai venait à la suite d'une vue de la Sr Ignace. N.-S. lui avait / fait comprendre que si M. Vincent ne 157 se donnait pas, il deviendrait incapable de rien faire. Ayant tardé ju­sque là, il était devenu incapable. Non seulement son bras, mais tout son corps était douloureusement paralysé et il vivait sur son fauteuil.

Après cette décision de Mgr, je suis allé à Soissons recevoir M. Vincent postulant chez lui. Mgr ayant réfléchi revint sur sa permission M. Vincent recula et me lit écrire: «Dans ces conditions il pen­se que son postulat ne peut plus avoir le caractère d'un postulat proprement dit, puisqu'il n'est pas tenu envers vous à l'obéissance dans là vie extérieure. Il pense rester attaché à l'œuvre par l'esprit, le Cœur, et tous les actes qui ne seraient pas incompatibles avec sa charge de vicaire général. Il demeurera uni d'amitié avec vous et il attend votre visite pour s'expliquer et s'entendre avec vous…» (15 juin).

J'allai le voir, il m'expliqua que, vu les restrictions de Mgr, il ne se donnait plus. Son état s'aggrava.

Le 21 juin, M. Magnier m'écrit: «Après votre départ a commencé une faiblesse / qui présageait naturellement une fin très prochaine. 158 L'intelligence était à peu près obscurcie. Le mardi matin, les idées étaient plus nettes, il me disait: «Si je guéris, il me faudra vivre comme N.-S. veut.» La maladie se développait toujours. Le médecin était épouvante dans sa visite le soir, il déclara à la soeur de M. Vincent la situation très grave; il s'attendait à la mort dans deux ou trois jours. La nuit du mercredi changea complètement la situation, il a pu prendre quelque aliment, et dans la matinée j'ai eu avec lui une conversation très suivie … Il m'a demandé s'il y avait quelque chose de St-Quentin. Il vous attend dans huit jours à l'occasion de l'ordination. Il n'y aura aucune opposition de la famille aux déter­minations qui seront prises.»

M. Vincent va mieux parce qu'il a pris la décision de venir à St­-Quentin, en disant en public qu'il se retire chez nous a cause de sa santé.

Le 4 juillet, M. Magnier me confirme ces bonnes dispositions de son malade: «M. Vincent me prie de vous dire que Notre-Dame, le jour de la Visitation, lui a apporté des grâces spéciales 159 relative­ment a la / santé corporelle et aussi pour l'âme. Depuis, il continue a aller mieux. Il me prie encore de vous dire qu'il se considère com­me appartenant a l'œuvre et qu'il y prendra une part active aussitôt que N.-S. lui en donnera les mayens; qu'il a annoncé à sa soeur sa ré­solution de prendre sa retraite auprès de vous et qu'il lui a commu­nique les arrangements qu'il a pris à ce sujet, qu'il vous donnera sa bibliothèque et son mobilier… Toutes ces dispositions sont écrites et vous en recevrez communication quand vous viendrez à Soissons… e ne finirai pas (ajoute M. Magnier), sans offrir avec vous ma louange pleine de reconnaissance à N.-S. peur sa conduite misé­ricordieuse et efficace envers les serviteurs qu'il se choisit: «attingit omnia fortiter et suaviter» (cf. Sap 8,1) .

Le 10 juillet, Mgr hésite de nouveau. M. Magnier m'écrit: «M. Vincent a parlé hier à Mgr de ses projets de fixation à St-Quentin.

Sa Grandeur a garde le silence, n'approuvant pas et ne désap­prouvant pas. M. Vincent en a conclu qu'il faudra peut-être atten­dre.

Il continue à désirer de se rendre chez vous aussitôt que le bon Dieu lui en ouvrira / le chemin.» 160

Le 11 août, M. Vincent peut m'écrire lui-même: «J'espère que le bon Dieu daigne me rendre peu à peu à la santé. J'ai dit la sainte messe aujourd'hui et hier. Avez-vous à me manifester quelqu'une des volontés du bon Maître? Custos quid de nocte? (Is 21, 11).

Mais Mgr ne cela pas et n'autorisa pas la fixatíon à St-Quentin. M. Vincent retomba et s'en alla à Dieu après quelques semaines (1).

Ce qu'il y avait de vraiment surnaturel dans ces vues de la soeur, Dieu le sait.

Mgr Gay nous était très uni depuis ma visite à Traforêt. Il m'écri­vait souvent. Sa nièce, Madame Pouquet nous était agrégée. Mgr Gay m'écrivait de Biarritz le 21 juin:

«Le cher P. Alex. de Pascal m'écrit de Rome et je ne saurais vous dire combien ses lettres m'édifient et me réjouissent. Je trouve qu'il fait de si grands progrès ! Son âme mûrit en Dieu; il est humble, sage, doux, livré à la garce…- Ce cher ami m'a demandé une lettre d'introduction auprès du card. Bilio, que j'ai connu dans mon année de consulteur pour le concile; je la lui ai immédiatement envoyée. Ce que l'on pouvait prévoir arrive, tout va lentement. Ma 161 prière se joint aux votre et j'attends avec confiance / la mani­festation des volantes de Dieu sur votre chère œuvre… Alfred Pouquet et les siens sont arrivés hier ici pour quelques jours. Après un pèlerinage fait ensemble à Lourdes, nous nous séparerons pour nous retrouver en août et septembre dans notre cher manoir de Traforêt. Un mot d'une de vos lettres nous a fait penser que peut-être vous nous donneriez alors la joie et la grâce d'une visite. Mon cher Père, venez s'il vous est possible; vous nous rendrez tous heu­reux et peut-être sortirait-il quelque nouveau bien de notre rencon­tre. Il y aurait a tout le moins cette précieuse consolation de nous entretenir de Dieu, du Sacré-Cœur, de votre œuvre et de tout ce qui touche a la sainte Église…»

A ma demande, Mgr Gay se prêta à susciter dans le clergé une croisade de prières et d'œuvres réparatrices.

J'ai donne un compte-rendu complet de cette croisade dans la re­vue «Le Règne du Cœur de Jésus.» La situation de Mgr Gay lui permet­tait d'écrire à tous les évêques. Je lui avais donné le thème de la let­tre et nous en fîmes les copies à St-Quentin. 162 Trente trois évê­ques / donnèrent suite à sa demande et adressèrent sa lettre à leur clergé, soit par leur Semaine religieuse, soit par une lettre pastorale spéciale. Il eût fallu un centre pour entretenir le feu sacre. Malheureusement nous étions trop faibles à St-Quentin. J'étais trop absorbe par St Jean, et notre chapelle du S.-Cœur ne pouvait guère devenir le point d'attache d'une confrérie parce qu'elle était toute intérieure et peu vivante. L'évêché de Soissons ne nous autorisa ja­mais a avoir chapelle ouverte.

La circulaire de Mgr Gay a été éditée en tract et répandue dans les séminaires et dans les retraites.

(Copie du tract sur la Croisade de prières réparatrices)

Résolutions proposées par un Prélat français pour une union du clergé dans la prière réparatrice au S. Cœur en vue du triomphe de l'Église, du salut de la France et du monde.

(Résumé pratique avec des Réflexions sur la Pénitence) (1).

l. Le Prélat qui, dans une lettre adressée à beaucoup d'évêques et publiée par un bon nombre de Semaines religieuses, propose ces réso­lutions (les voir sur le feuillet détaché), les appuie sur les motifs tout à fait péremptoires que voici:

Confident de saints prêtres et de saintes âmes, il les voit, pénétrés de la gravité de la situation, se fondre devant Dieu en prières et en larmes. Mais tous pensent que devant la grièveté et l'universalité de l'offense il ne peut suffire de dévouements isolés et qu'il faudrait une union de tout le clergé dans la prière et la réparation.

En plusieurs endroits des Ecritures, Dieu demande cette prière des prêtres. Les prêtres n'ont-ils pas des titres nombreux et tout spéciaux à être exaucés? Cette pieuse conjuration serait donc con­tre le mal une force incalculable, et obtiendrait que la catastrophe qui semble imminente fût au moins adoucie et fécondée.

Et le Cœur de Jésus étant notre refuge, ne serait-il pas naturel d'en faire l'objet et le médiateur de cette prière?

Si sans délai et tant que durera la crise actuelle, tout le clergé entou­rait ainsi N.-S., l'adorait, le consolait, l'implorait, et l'offrait au Père pour le salut du monde, ne pourrait-on avoir la confiance d'être exaucé et de rétablir sur la terre le règne de Dieu?

Tel est le résumé de la lettre. Un grand nombre d'Evêques ont adhéré à cette pensée. A eux seuls appartient de provoquer la priè­re sacerdotale; et le but de la présente feuille est uniquement de mettre au service du clergé, là où NN. SS. le permettront, un résumé pratique et portatif sur cet ordre d'idées.

II. Toutefois les espérances de salut ne sembleraient-elles pas en­core plus certaines si à la prière et à la réparation affective était jointe la pénitence proprement dite? /

163 Jamais dans la société chrétienne le mal n'a été si profond. Cette haine de Dieu, qui selon S. Thomas est le plus grave des pé­chés, se trouve partout et a organisé pour la destruction de tout bien la plus effroyable conjuration qu'on ait jamais vue. Comme l'impiété, l'immoralité est à son comble.

N'est-il pas indispensable, en face de tels excès, d'en venir à la pé­nitence positive? Dans sa bonté Dieu voudrait nous sauver, mais nous avons à sa justice des obligations dont rien ne dispense, et si on ne lui offre une véritable satisfaction, quoi qu'on fasse, la Miséricorde reste enchaînée. Sine sanguinis effusione non fit remissio (Heb 9, 22) . Sans la douleur, au moins sous sa forme négative, la privation, il n'y a pas d'expiation. Et pourquoi? parce que la délec­tation que le péché a cherchée en dehors de Dieu et contre sa loi, doit, de par la nature des choses, être compensée par son contraire.

Or, tandis que le besoin d'expiation est si extrême, par suite de diverses causes et notamment de la fascination du progrès matériel, la pénitence qui expierait a presque disparu de nos moeurs (nous parlons des chrétiens en général). Même admettant la prière et la réparation, nous avons la tendance de renfermer cela dans un mon­de idéal, et de n'en rechercher pas moins dans a vie réelle le confor­table qui est la négation de la pénitence; et nous disons: le progrès le veut.

Quel mot! Le progrès n'est-il pas de faire croître la vie de Jésus en nous (Eph. 4, 15)? Et, selon la pensée de S. Jean de la Croix,; quand un ange descendrait du ciel pour nous enseigner la vie com­mode, que pourrait-il en face des paroles et des exemples d'uni Dieu?

On a donc à revenir à la pénitence parce qu'elle est la base de l'Evangile, et parce qu'il faut offrir à la justice divine une expiation; et de ces deux motifs celui-ci renchérit sur l'autre pour des âmes délicates: que de choses, comme les réunions ou les repas de réjouissance, les jeux prolongés, qui, n'eussent-elles pas d'inconvé­nients en temps ordinaire, semblent peu compatibles avec la tristes­se présente!

Il ne peut suffire d'inscrire sur la pierre Gallia Poenitens, si la péni­tence ne revient dans les moeurs (1). En disant à N.-S. Sauvez Rome et la France il faut lui offrir l'expiation dont il a besoin pour les sau­ver, et seconder ainsi par amour pour lui, le désir que, par amour, il a de le faire. Cette expiation est le moyen d'arriver à tout, le moyen à la fois indispensable et infaillible; car, par elle et par elle seule, sera détruit l'obstacle qui arrête tout, en sorte que c'est d'elle que dé­pend la question du salut (2).

III. Or dans ce recours à la Pénitence, qui serait si nécessaire, l'honneur et du premier rang et de l'impulsion revient au clergé.

En effet: 1°. Celui qui est prêtre avec J.-C. n'est-il pas appelé à être victime avec Lui, et en l'offrant à s'offrir à ce titre?

2°. Le prêtre ne doit-il pas être sauveur avec Jésus? Or c'est en étant victime que Jésus est sauveur.

3° Le prêtre étant médiateur, n'est-il pas, selon la doctrine de l'Ecriture et des Saints (3), chargé de porter et d'expier devant Dieu les péchés du peuple? Et il est si lourd aujourd'hui ce fardeau! (4).

Labia sacerdotis custodient scientiam et legem requirent ex ore ejus (Ml 2, 17). C'est à lui que revient la noble fonction de prêcher après Jésus: Faites pénitence (Mc 1, 15); d'exposer dans tout son jour la né­cessité de ce grand devoir, avec une force de conviction qui entraî­ne; et de montrer toute la vanité de nos illusions sur ce sujet. Si l'on ne prêche pas la pénitence, comment les fidèles y seront-ils portés

5° Au prêtre aussi d'entraîner par l'exemple. La parole ne peut suf­fire, car l'Évangile, pour la plupart, c'est la vie du prêtre (Massillon). Et ne doit-il pas s'appliquer d'autant plus à pratiquer la pénitence que sa mission est d'y ramener un siècle qui en est plus éloigné?

Quant aux moyens de la pratiquer, ils ne manquent pas. Il y a, avec ses mille formes, la mortification volontaire: elle est indispensable. Il y a la fuite de tout ce qui y est opposé; et ce point est très important. - Il y a tous les travaux du ministère: confession, préparation des ser­mons, visite des malades le jour et la nuit, instruction des enfants, devoir aujourd'hui si grave. Il y a toutes les peines de la vie, et les difficultés que crée au prêtre la situation présente. Quel trésor si tout cela est offert en esprit d'expiation pour l'Église et notre patrie; et quel malheur ce serait de le laisser-perdre, faute de l'offrir!

O prêtres, ô ministres du Seigneur, votre puissance est grande. Elle l'est auprès des hommes, même dans un siècle comme le nôtre, si vous employez tous les moyens d'action qui sont en votre pouvoir: nous parlons des moyens surnaturels. Mais elle est grande surtout auprès de Dieu. En vous faisant devant Lui les répondants de son peuple, ne doit-il pas avoir mis dans vos mains de quoi obtenir son salut, quels que soient ses égarements?

Ce qui pourrait être un obstacle, ce serait si Dieu cherchait en vain ce complément de la Passion de Jésus, qui est nécessaire pour l'Eglise (Col. 1, 24). Mais si cette condition est remplie, si avec vos prières et le sacrifice de vous offrez vos propres sacrifices, ne devez-vous pas avoir la confiance assurée; d'être en Jésus et avec Jésus sauveurs de votre peuple et d'amener enfin sur la terre ce règne de Dieu auquel-nous aspirons?

N.B. Les réflexions qui précèdent sur la pénitence ne sont que l'écho de la pensée du S.-Père et de NN.S.S. les Evêques, puisque le S.-Père invite tous les chrétiens à entrer dans le Tiers-Ordre de la Pénitence et en a donné lui-même l'exemple; que le cardinal Guibert vient d'adopter pour le Voeu national l'Œuvre du S.-Cr de Jésus pénitent pour nous, établie à Dijon; et que plusieurs évêques viennent de recommander à tout leur clergé cette Œuvre, qui semble le moyen providentiel qui doit nous sauver.

Ces faits nous rappellent aussi que l'organisation et l'association soutiennent la volonté. Et cela pourrait même faire sentir aux prêtres appartenant au Tiers-Ordre ou à l'Œuvre de Dijon, ou spécialement désireux de suivre les résolutions dont on parle ici et qui s'allieraient très bien du reste à ces Œuvres, le besoin de former des réunions entre eux.

IMPRIMATUR, Jul. 1883 VU et APPROVE, Juin 1883

Augustinus, Ep. Virdunensis

Augustin, Arch. d'Aix

Petrus, Ep. Molinensist Louis, Ev. de Nîmes.

UNION DANS LA PRIERE ET LA REPARATION AU S.-CŒUR

164

1° Chaque matin, à cette intention, une prière, et l'offrande de toutes les œuvres de la journée.

2° Chaque jour, visite au Saint-Sacrement, avec acte de réparation et prières pour l'Eglise et notre patrie.

3° Chaque mois une messe de réparation (le 1er vendredi, et en sacrifiant l'honoraire, sauf obstacle).

(Peut-être pourrait-on ajouter:

4° Chaque jour, à la messe, cette intention au 1er rang de celles dont on peut disposer; joindre a l'oblation de Jésus, celle de soi-mê­me avec ses travaux, peines et pénitences, en esprit de victime.)

On pourra s'aider si l'on veut, des formules suivantes:

Acte d'Offrande pour le matin.

Mon Dieu, puisque vous avez daigné me faire près de vous pour une part le répondant de votre peuple, je viens, dans l'amertume de mon cœur, déplorer devant vous les pêchés de ce peuple, et sur­tout ceux des âmes qui me sont confiées. Pour la satisfaction qui est due à votre justice, je vous offre, avec l'amour du Sacré-Cœur, ses divines expiations; mais puisque nous devons compléter ces expia­tions par les nôtres, je vous offre en union avec elles mes travaux, mes peines et mes pénitences, et je renouvellerai mon offrande en tenant dans mes mains l'adorable victime. Daignez agréer cette of­frande avec celle de tous mes frères dans le sacerdoce, pour la ces­sation de nos maux, le triomphe de l'Église et le salut de notre bien-aimée patrie.

O Cœur adorable de mon Maître, vous à qui j'ai consacré toutes les puissances de mon âme et toutes les forces de ma vie; cœur, foyer et victime de l'amour, Océan de charité dont les flots débor­dants voudraient couvrir le monde; hélas! en retour, vous ne rece­vez d'un grand nombre que cette haine qui, s'adressant à vous, est le plus horrible des péchés, comme le plus inexplicable des mystè­res. Et ce qui achève ma douleur en comblant la vôtre, c'est de voir beaucoup de vos propres enfants si peu sensibles a ces outrages qui vous sont faits.

Pour moi du moins que vous avez mis au rang de ceux qui repré­sentent près de vous vôtre peuple, je réunis en moi tout ce qu'il peut y avoir dans un cœur humain de vénération, de tendresse et d'amour, pour vous en faire un souverain hommage en réparation. Que par le cœur de votre prêtre, du moins, vous soyez le plus aimé de tous ceux qui sont aimés! Que toutes les gouttes de mon sang, tous les battements de mon cœur, tous les soupirs de ma poitrine soient autant de voix qui crient: «O Maître, je vous aime!»

Et puisque dans votre immense désir de nous sauver et pour cela d'offrir une satisfaction à votre Père, vous avez soif à présent com­me sur la Croix d'âmes qui achèvent en elles ce qui manque à vôtre Passion, me voici, ô mon Maître et mon Roi, Prêtre avec vous, je veux être victime avec vous: je vous offre dans cet esprit toutes mes actions, mes peines et mes pénitences.

Daignez me remplir, ainsi que tous mes frères dans le sacerdoce, de cet esprit de victime; et présenter a votre Père nos sacrifices unis à ceux de votre divin Cœur et du Cœur de Marie, pour la répara­tion de sa gloire, la délivrance de votre Eglise, la régénération chré­tienne de la France et l'avènement de votre règne dans le monde! Ainsi soit-il!

IMPRIMATUR, Jul. 1883 VU et APPROVE:

Augustinus, Ep. Virdunensis Louis, Ev de Nîmes

Petrus, Ep. Molinensis. Augustin, Arrh. d'Aix.

Un autre archevêque écrit (9 uillet): Si tous les Evéques de France mettaient leur nom a vos feuilles si édifiantes, il ne resterait plus de place.

La croisade fût bien accueillie partout par les bons prêtres.

Mgr l'évêque de Viviers a bondé une association de réparation qui se continue.

Un de mes bons amis, M. de Quincy, vicaire général d'Annecy m'écrivit: «J'ai été bien touché de votre bon souvenir Les années de Sainte-Claire de Rome me sont restées trop chères pour que j'ou­blie jamais moi-même ceux qui ont partage de plus près avec moi / ces joies si douces et dont la sainte amitié était la meilleure 165 source; Je me rappelle si bien votre ordination, votre première messe, madame votre mère mêlant ses larmes aux vôtres dans vos mains consacrées, pendant le Magnificat, qui suivit cette première grand messe

Vous avez reçu, il y a plusieurs jours déjà sans doute, 12 exemplai­res de la lettre de Mgr d'Annecy (1) sur la Prière sacerdotale, que je vous ai expédies. Certes, rien n'est plus opportun que de faire mieux comprendre aux prêtres et de comprendre mieux nous-mê­mes de grand devoir de médiateur que nous avons accepté et qui est si terrifiant pour notre lâcheté dans ses conséquences pratiques. Ah! cher ami, faisons-nous saints, afin qu'il puisse être dit de nous: In tempore iracundiae factus est reconciliatio (Eccles, 44, 17). Faisons­ nous saints: c'est là surtout la bonne année que je vous souhaite de tout Cœur. Ne formez pas d'autres voeux, n'adressez pas à Dieu d'autre prière pour votre tout dévoue confrère in Corde Jesu.» /

C'était le 2 août. Monseigneur nous fit l'honneur de nous prési­der, il voulait nous encourager.

Nous avions quelques bacheliers à proclamer: Charles Mercier, Henri Dupuy, Gustave Macon, Pierre Courtois, Hector Gamard.

Je fis un discours sur l'étude de l'histoire. Je continuais mon plan. J'avais traité déjà de l'éducation, de l'étude des lettres, des sciences, du patriotisme. Je voulais donner successivement une apo­logie complète de l'éducation chrétienne.

Je ne reproduirai ici que quelques paragraphes de ce discours.

«Je me propose, disais-je en commençant, de vous parler aujourd'hui de la science de l'histoire dans ses rapports avec la reli­gion. J'ai pour but de vous rendre, s'il est possible, plus attachés en­core que vous ne l'êtes à l'enseignement chrétien et plus fiers de votre foi. J'ai aussi en vue de laisser aux aînés de cette famille d'étu­diants une direction utile pour les lectures sérieuses qu'ils pourront faire pendant ces vacances. Mais avant 167 de m'engager dans ce sujet, je veux offrir le plus cordial / remerciement à Monseigneur, dont la présence est encore un témoignage d'une bienveillance déjà ancienne et toujours hautement appréciée. Je veux aussi remer­cier mes confrères du clergé, dont l'union avec nous est si nécessai­re, puisque nous ne sommes que leurs auxiliaires et comme leurs suppléants pour la direction chrétienne des âmes pendant la pério­de de l'éducation.

Après avoir rappelé les découvertes historiques relatives aux an­ciens peuples de l'Orient, je mettais nos jeunes gens en garde con­tre la thèse des évolutionnistes. «Vous lirez, leur disais-je, la synthèse qui a été faite de ces découvertes, seulement il faut user là de di­scernement. Les hommes qui n'avaient pas une foi éclairée ont fait là un singulier naufrage. Ils n'ont vu que le dehors de ces civilisations et ils en ont été séduits. Ils n'ont remarqué ni le culte absurde sur lequel elles reposaient, ni la corruption des moeurs, ni la viola­tion de toutes les lois naturelles. Et n'appréciant qu'un certain per­fectionnement des arts et de l'organisme politique, ils en sont ve­nus à nous donner cette belle école historique et religieuse qu'on appelle / l'école des évolutionnistes 168 Ces messieurs trouvent, qu'après tout, ces civilisations ont du bon, et que la philosophie re­ligieuse qui les a produites peut bien en valoir une autre. Il n'y a pas loin de la à dire que toutes les doctrines religieuses sont égale­ment bonnes, que ce sont de simples et naturelles évolutions de l'e­sprit humain; théorie commode qui dispense de toute étude de la religion et de toute gêne, et qui semble assurer un accord universel dans le monde des esprits, - Mais le bon sens vous enseigne qu'il faut a ces hommes, si érudits d'ailleurs, une forte dose de naïveté philosophique et religieuse pour mettre au même niveau Moïse et les adorateurs d'Apis, Daniel et les prêtres du Soleil, Jésus-Christ et Bouddha. - Ce ne sont pas d'ailleurs les plus grands esprits, parmi les savants adonnés à ces études, qui ont méconnu la vérité religieu­se. Champollion écrivait: «Les monuments égyptiens n'offrent rien de contraire aux traditions sacrées. J'ose même dire qu'ils les con­firment sur tous les points.» - M. Lenormant, dans la préface de son grand ouvrage où il a donné la plus complète et la plus magnifique synthèse des découvertes historiques en Orient, formulait / ainsi sa profession de foi: «En histoire, je suis de l'école de Bossuet. Je vois dans les 169 annales de l'humanité le développement d'un plan providentiel qui se soit à travers tous les siècles et toutes les vicissitu­des des sociétés. J'y reconnais les desseins de Dieu respectant la li­berté des hommes et faisant invinciblement son couvre par leurs mains libres, presque toujours à leur insu et souvent malgré eux. Pour moi comme pour tous les chrétiens; l'histoire ancienne tout entière est la préparation, l'histoire moderne la conséquence du sa­crifice divin du Golgotha» (Histoire ancienne de l'Orient).

Passant ensuite à l'histoire romaine, je stigmatisais la tendance de l'école rationaliste allemande et de M Duruy, qui exaltent la civilisa­tion romaine au point de faire presque regretter que les chrétiens soient venus se mettre à la traverse. Tacite lui-même et nos vieux apologistes leur donnent la réponse, qui est confirmée par les étu­des récentes de l'école historique chrétienne et en particulier de M. Paul Allard.

170 Pour ce qui est de notre histoire / nationale, je faisais allu­sion au projet d'élever à St-Quentin une statue à Henri Martin (1). «Vraiment les Gaulois ne manquent pas non plus de grandeur, et la théologie de leurs prêtres avait sur quelques points une certaine élévation. Nous le reconnaissons volontiers, mais de là à bouder l'Eglise et à renier nos apôtres et nos martyrs, qui ne se sont pas contentés des vagues croyances du druidisme à l'immortalité de l'âme et à l'unité divine, il y a loin.

Et si vous rencontrez, chers élèves, quelque historien qui ait eu cette faiblesse ou cette naïveté, vous pourrez louer son érudition et imiter son travail, mais vous saurez vous délier de son jugement, fût il parvenu à la célébrité, eût-il été académicien, et dût-il même avoir une statue sur quelque place publique…»

Je montrais ensuite la déraison historique de ceux qui ont mé­connu nos plus beaux siècles français, le XIIIe et le XVIIe. «Le XIIIe siècle, disais-je, s'il ne fut pas plus grand que le XVIIe, fut cer­tainement plus fiançais. Sa gloire fut plus originale. Il vécut moins d'emprunts et 171 d'imitations. C'est lui surtout, avec / toute l'époque dont il fut l'apogée, qui fût étrangement méconnu.

Ses grandeurs étaient aussi incomprises que les hiéroglyphes de l'Egypte. Mais la lumière se fait. Nous avons découvert nos épopées et nos cathédrales, et avec elles l'art, la littérature, la science et les institutions de cette époque. Un jugement nouveau se formule. «Cette France féodale et communale du XIIIe siècle, dit M. Weiss, on la juge d'ordinaire avec une phrase toute laite, une phrase imbécile, les ténèbres du moyen-age. Eh bien! sachez-le: cette France-là, avec d'autres vertus, d'autres qualités, d'autres sources d'émotions et de jouissances, a valu, tout au moins, pour l'éclat jeté dans le monde, la France de Louis XIV et la France d'aujourd'hui.» M. Vitet, comparant les siècles de Saint Louis et de Louis XIV avait dit déjà: «Les deux époques, à n'en considérer que les dehors, se valent pour le moins; et quand vous allez au fond, quand vous sondez le cœur, l'âme de ces deux siècles, quand d'un côté vous voyez une politique plus humaine, un peuple moins pressure, l'Evangile plus respecté, les grands devoirs / mieux accomplis, 172 comment ne pas franchement reconnaître que la vraie grandeur est du côté de St-Louis?»

- Il m'était facile ensuite de donner quelques pages vibrantes sur la chevalerie et sur Jeanne d'Arc, puis je concluais ainsi: «Il est tem­ps de terminer, chers élèves, je le ferai par une dernière allusion à la chevalerie chrétienne. Le travail mystérieux de la transformation dés idées et des langues a voulu que le couronnement de votre édu­cation fit de vous, mais dans un autre sens, ce que faisait l'éduca­tion du moyen-âge des fils de barons chrétiens, des bacheliers. Le bachelier, c'était le jeune chevalier, ou l'aspirant à la chevalerie. Les bacheliers furent la fleur des armées de nos preux. Au grand com­bat d'Aspremont, dit la légende, Ogier se démenait superbement à la tête de deux mille bacheliers; et dans cette suprême bataille con­tre l'émir, où Charlemagne venge catin le désastre de Roncevaux et la mort de son neveu Roland, le premier s de son armée est compo­sé de quinze mille bacheliers de France, 173 de nos meilleurs vaillants. Je voudrais que / ce mot rappelât toujours à vos oreilles et à votre cœur cet idéal. Là où le monde ne verra que la garantie, d'une certaine somme de connaissances littéraires, vous verrez, vous, le souvenir, qu'il faut faire revivre, du courage chrétien, de l'amour de l'Église et de la patrie.

- Puisse notre chère maison de St Jean, pour l'honneur de la France et le triomphe de la foi, faire de ces quinze ou vingt bache­liers qu'elle commence à donner chaque année, de vrais chevaliers chrétiens par leur dévouement fidèle et généreux à l'Église et à la patrie.»

Le thème de ce discours indique assez à quelles études j'avais consacré mes loisirs de l'année. / (1)

Année scolaire: 1883-1884

175

C'est l'année du Consummatum est, l'année terrible. Quelles an­goisses! quels déchirements! J'avais tout quitté, tout prisé, tout sacri­fié pour fonder l'œuvre de réparation au S.-Cœur, tout, ma carriè­re séculière, ma fortune, bien des amitiés, les espérances et la paix de ma famille, Dieu avait paru accepter mon sacrifice par bien des grâces et même par ce qui me paraissait être des encouragements formels et des paroles divines. J'avais l'appui de mes directeurs de conscience, d'hommes éminents et de beaucoup d'âmes saintes Et voilà que l'Église remettait tout en question. On m'appelait au St Office. On me laissait craindre une destruction. Après des mois d'attente anxieuse, le décret de mort arrivait. Nous restions au tom­beau, non pas trois jours, mais trois mois, puis venait une petite ré­surrection, un Bethléem; mais / pendant toute l'année, il 176 re­stait comme un écho de la sentence de mort, qui se répercutait tous les jours. C'était des étonnements, des découragements autour de moi, une sorte de désillusion comme celle des disciples d'Emmaüs.

Je ne saurais pas dire du tout ce que j'ai souffert cette année, sur­tout pendant les mois d'hiver, avant l'humble résurrection du 26 mars (1). Sûrement, il m'a fallu un secours surnaturel pour que je n'y trouvasse ni le découragement ni la mort.

Je fus donc appelé à Rome, et j'y allai passer le mois de septem­bre. J'étais brûlé par le soleil et dévoré par les insectes, mais cela n'est rien. J'allai bien des fois chez le commissaire du St-Office, Mgr Sallua, pour répondre à ses interrogations (1). Je jurai le secret et je suppose que cela m'oblige toujours je ne puis donc noter aucun détail. Je croyais à la réalité des révélations de Sr Ignace. Je défen­dais mon sentiment (2). On me renvoya lin septembre pour atten­dre la décision à Saint-Quentin.

J'écrivais à Mgr pour lui rendre compte. Je lui disais doucement 177 qu'il nous avait un peu / chargés, surtout en joignant au dos­sier quelques lettres qu'il avait reçues contre nous et qui n'étaient pas bien justes. Il écrivait à NI. Mathieu le 28 sept.:

«Le bon supérieur m'écrit, - sans amertume, il est vrai que je les ai un peu chargés. Je n'ai pas chargé leurs personnes, que j'estime et que j'aime beaucoup; j'en ai parlé dans les termes d'une haute esti­me et d'une grande affection, et j'ai demandé qu'on leur fût très paternel; mais j'ai dit et je devais dire ma pensée sur les choses qui ont été de ma part, depuis cinq ans, l'objet de tant de doutes, de perplexités, de réserves… Ce que je désire surtout, c'est que nous ayons une ligne de conduite nette et que tout le monde soit encou­ragé au bien.»

Le décret a été porté le 2S nov. 83, il m'est parvenu le 8 déc. Voici la lettre du Card, Bilio à Mgr Thibaudier: «Ill.me ac Rev.me Domine, Emi Patres una mecum Inquisitores generales in Congregatione habita Feria IV, die 28 nuper elapsi novembris ad no w m examen revocarunt volumina ab Amplitudine tua variis tempo­ribus Supremae hujus / Congregationis judicio remissa, 178 quoad praetensas revelationes Sororis Ignatiae, sacerdotis Captier, Leonis Bachelard eorumque fautorum, necnon quoad Directorium Spirituale novae Congregationis Oblatorum S. Cordis Jesu, ejusque fondationem, constitutiones, aggregationesque, ac tandem quoad scholam, quae dicitur Angelica, in urbe S. Quintini a sacerdote Dehon institutam.

Porro iidem Em. Patres habita relatione tum examinis quod in Supremo hoc tribunali subiit praefatus sacerdos Dehon, tum voti emissi a Commissione deputata a Rev.mo archiepiscopo Rhemensi, exceptis Rev.morum D.D. Consultorum suffragiis, ac singulis con­sueta maturitate perpensis, decreverunt:

l° - Ea quae continentur in scriptis Supremae huit Congregationi exhibitis, iis quoque comprehensis, quae sac. Dehon in praefato suo examine tradidit, habenda non esse ut divinitus revelata.

2° - Eadem scripta retinenda esse in S.O.; atque ab Amplitudine tua retrahenda et ad sacrum hoc tribunal remittenda omnia seu au­tographa seu exemplaria, quae tum a Sororibus S. Quintini, tum a sacerdotibus Dehon ac Captier, tum / a quibuscumque aliis vel fau­toribus 179 vel adhaerentibus quocumque titulo retineantur.

3° - Societatem seu Ordinem Oblatorum ac quae dicitur Schola Angelica non esse omnino permittenda. Has autem dispositiones communicandas esse singulis interesse habentibus.

Quapropter ad normam praefati decreti volant iidem Em. Patres, ut Amplitudo tua ea prudentia ac circumspectione quam res ipsa suadet, ac quatenus opportunum duxerit, collatis consiliis cum Rev.mo archiepiscopo Rhemensi, ne admirationes ac scandala oriantur, ac membrorum fama laedatur, ad societatis Oblatorum et fa­miliae ac Scholae Angelicae solutionem deveniat; ac Rev.mo Episcopo Ruremondensi de mandato ac nomine Supremae hujus Congregationis significet, ut eadem prudentia tyrocinium in sua dioecesi institutum dissolvat.

Quoad vero earumdem societaum institutores ac fautores decreverunt Em. Patres, ab Amplitudine Tua, nomine S. Sedis, Sacerdoti Dehon praecipiendum esse, ut a praefata institutione vel perficien­ 180 da vel promovenda / quovis praetextu aut titulo in posterum omnino desistat. Insuper removeatur a directione spirituali monia­lium S. Francisci in S. Quintini coenobio degentium, eique interdi­catur quaevis sive directa, sive indirecta, aut voce, aut scriptis com­municatio cum sorore Ignatia, caeterique sanctimonialibus. Monasterio autem Eadem Amplitudo Tua alium pium, doctum, prudentemque moderatorem assignet. Attamen Soror Ignatia si fie­ri poterit, in alia Religiosarum Sororum S. Franciscí claustra tran­sferatur, facto quocumque in casu ei praecepto nunquam in poste­rum cum sacerdotibus Dehon ac Captier communicandi. Demum eidem Sorori caeterisque S. Quintini monialibus injungatur, ut pri­maevam observatiam ac S. Francisci regulam ab ipsis professam, quavis modificatione aut innovatione reclusa, religiosissime servent.

Quoad vero attinet ad sacerdotem Captier, intimetur ei ut e S. Quintini urbe discedat, ac, si fieri potest, praescribatur ut extra Suessionensem dioecesim domicilium statuat. Tandem quoad alum­num 181 Leonem Bachelard, executioni mandetur / decretum fer. IV, 18 elapsi Julii, id est in aliud collegium transferatur, in quo sub peculiari docti piique moderatoris vigilantia maneat.

Decretum autem Supremae hujus Congregationis ac praefatas di­spositiones Amplitude tua R.mo archiepiscopo Rhemensi pro sui norma caute communicet, earumque sub secreto participem quo­que reddat Episcopum Ruremondensem pro novitiatus in sua dioe­cesi existentis dissolutionem. Scias demum SS.mum D.N. in auden­tia ejusdem feriae ac diei singulas Em.orum Patrum dispositiones adprobasse ac jussisse ut executioni mandentur.

Dum igitur ab Amplitudine Tua praestoler ut de earum executio­ne ac de resultantibus me certiorem reddat; interim impensos ani­mi mei sensus eidem Amplitudini Tuae testatos volo, cui fausta om­nia a Dno precor.

Amplitudinis tuae

Add.mus uti Frater

Aloisius Card. Bilio

Romae, die 3 decembris 1883. /

Je reçus cet arrêt de mort à la belle fête du 8 décembre. J'étais 182 atterre et broyé. Je m'étais donc trompe. Qu'allais-je devenir? Il me restait l'institution, mais ce n'était pas là qu'étaient mes at­traits et ma vocation. Je ne l'avais fondée que pour voiler le reste. Je ne pourrais pas la soutenir sans l'ouvre religieuse, parce que les professeurs me coûteraient trop cher et je n'en trouverais pas. Je se­rais déconsidère. J'étais couvert de dettes et c'était sans remède. Comme religieux, je pouvais quêter; comme chef d'institution je ne le pourrais plus. Dieu sait ce que j'ai souffert pendant ces jours de mort. Sans une grâce spéciale, j'aurais perdu la raison ou la vie.

J'écrivis humblement à Mgr. J'acceptais tout, j'exprimais mes re­grets. Mgr écrivait à M Mathieu le 17 dec.:

«Les remords de M Dehon ne me paraissent pas légitimes parce qu'il était de trop bonne foi. C'est moi peut-être qui n'ai pas été as­sez ferme en certaines circonstances.»

J'exposai humblement à Mgr toutes les conséquences qui me pa­raissaient résulter du décret de Rome: le scandale, la déconsidéra­tion, 183 l'impossibilité de continuer / l'œuvre de St-Jean.

Il était atterré comme moi. Il n'avait demande qu'une direction sur la question des révélations, et il avait vu venir avec effroi le dé­cret de Rome. Il partit pour Rome après les fêtes de janvier pour tenter de nous sauver. Il causa longuement avec le cardinal Ledochowski et lui laissa toutes ses demandes à soumettre au Saint­-Office, Il voulait que notre bonne foi fût mise hors de cause et que nous pussions revivre sous forme de congrégation diocésaine, en ré­servant l'avenir.

La réponse du St-Siège est datée du 29 mars 1884. En voici le tex­te. Elle est adressée a Monseigneur:

Ill.me ac Rev,me Domine, In congregatione habita die 26 verten­tis Martii, Em.is Patribus una mecum inquisitoribus generalibus proposita sunt ab Em.o cardinali Mieceslao Ledochowski ad mentem Amplitudinis Tuae quae sequuntur dubia circa societatem Oblatorum SS. Cordis in ista dioecesi institutam ejusque auctores ac fautores. Et primo quidam a sacro ordine requisitum est, utrum declarari possit 184 praefatam societatem ob / intrinsecum consti­tutionis vitium, non propter aliquod sociorum crimen fuisse disso­lutam.

Huic dubio Em. Patres respondendum mandarunt «affirmative», nempe societatem de qua agitur dissolutam fuisse non vitio per­sonarum, sed vitio intrinseco institutionis, utpote fundatae, directae et gubernatae per praetensas revelationes minime admittendas.

Secundo expetitum est utrum Tibi liceret ex sacerdotibus dissolu­tae societati addictis novam aggregationem exclusive dioecesanam ab ea penitus diversam sub alio titulo instituere, quae scilicet aggre­gatio sub tua peculiari vigilantia continuo permaneat.

Responsum est «affirmative» in omnibus, dummodo sac. Dehon huic societati moderandae non praeponatur nisi prius se illusum fuisse vere recognoscat et sincere fateatur.

Tertio petitum fuit utrum urere possis scripta jam collecta, quae non surit nisi exemplaria eorum quae jam ad Supremum hunc ordi­nem remissa sunt et responsum fuit «affirmative».

Quarto, dubitatum est, utrum sub immediata tua directione ac omnimoda dependentia servari possit, quae dicitur / Schola angeli­185 ca, veluti alicui ex parvis seminariis adnexa, quod quidem Em. Patres remiserunt prudenti tuo arbitrio ac conscientiae, mutato ta­men ejusdem scholae nomine.

Tandem quinto loco postulatum est, utrum ad convicia evitanda differri possit tyrocinii Ruremondensis dissolutio ac permitti ut pau­latim ex se illud finem habeat postquam praefata societas in dioece­sanam aggregationem immutata sit. Em. Patres reposuerunt «Firmo dissolutionis decreto, tempus ac modum ejusdem exequendi remit­tenda esse prudenti arbitrio ac conscientiae Amplitudinis Tuae de intelligentia Rev. Episcopi Ruremondensis.

Cum autem SS. Dnus Noster has Em.orum Patrum resolutiones approbare ac confirmare dignatus sit, eas Amplitudini Tua significo; ac interim impensos animi mei sensus Tibi testatus volo cui fausta omnia a Dno precor.

Card. Monaco

Roma - 29 martii 1884 -

La petite œuvre revivait. C'était un nouveau Bethléem. Nous devenions société diocésaine, nous n'avions jamais / été autre 186 chose en droit, et nous pourrions toujours dans l'avenir, comme toutes les sociétés diocésaines, devenir une congrégation plus étendue.

L'école de Favet était sauvée.

Le noviciat de Sittard obtenait un répit qui devait plus tard devenir définitif.

J'acceptai tout humblement et me remis entre les mains de Monseigneur. Il m'écrivit le 5 avril:

«Votre réponse à la communication de M. l'archiprêtre est telle que je pouvais l'attendre, c'est-à-dire absolument et magnanimement sacerdotale. II y a des devoirs héroïques qui n'en sont pas moins des devoirs; mais Dieu, à qui rien n'echappe du mérite des justes, proportionne ses bénédictions et ses récompenses à leur générosité. Je vous bénis du plus profond de mon âme.» Il ajoutait: «Je bénis les pâques et la semaine sainte de tout le cher personnel de St-Jean Que nos enfants passent de bonnes vacances, sagement chrétiennes…»

Il y eut cependant bien des souffrances, ce fut chez les miens un désappointement, une désillusion. On s'exagérait les choses, / 187 on désespérait de redevenir plus tard une congrégation plus éten­due. Ceux qui n'étaient pas originaires du diocèse répugnaient a s'y aggreger.

C'était une vie souffrante, mais c'était la vie

Toute l'année alla passablement à St Jean. Nous perdîmes un de nos meilleurs élèves, Cephas Mennechet de Oestres. Je lus quelques pages sur sa tombe, j'en donne ici un extrait: «…Il était si aimable! Il avait reçu de Dieu des thons si précieux de l'esprit et du cœur! Il était bon, doux, modeste, intelligent, ferme dans la vertu, et par dessus tout aimant, affectueux. Ces qualités avaient reçu de la plus délicate éducation dans la famille un accroissement constant. L'af­fection des siens grandissait encore à la vue de celle qu'ils lui voyaient porter par tous, Compatriotes, maîtres, condisciples l'ai­maient et l'estimaient tant! N'a-t-il pas conquis chaque année tous les suffrages de l'Institution pour ce prix qui a un si beau nom, le prix d'honneur, et qui n est / donné qu'à celui qui 188 réunit des qualités bien précieuses et bien aimables, la piété, le travail, la di­gnité de conduite, l'urbanité.

Il était arrivé à l'âge où le jeune homme demeuré pur est ce qu'il y a de plus beau sur la terre… Quel soulagement apporter à une pa­reille douleur, si ce n'est de la partager d'abord? et ce soulagement vous est largement donne, parents infortunés: on ne vit jamais une épreuve plus unanimement ressentie… Mais la foi vous offre des consolations d'un ordre plus élevé. Il était si pieux, il a été si fidèle à Dieu, il aimait tant la Très Sainte Vierge, il s'est si bien préparé au dernier moment, qu'il ne faut pas parler d'espérance mais bien de certitude pour son bonheur éternel. Il est auprès de Dieu, ou bien il ira après une courte épreuve; n'est-ce pas la plus solide consola­tion pour des parents chrétiens?…»

Nous eûmes une très belle solennité pour les prix le 2 août.

M. Didiot nous présidait, avec son costume original de professeur de l'Université catholique de Lille.

Je fis un discours sur l'étude de la géographie. Il eut assez de succès, / Monseigneur m'écrivit: Votre discours est un petit 189 chef d'œuvre, Deo gratias.

Nous avions de beaux succès à proclamer, neuf bacheliers: Henri Dupuy, Louis Vilfort, Emile Black, Cephas Mennechet, Auguste Cailleret, Alcide Venet. Gustave Macon, Louis Vilfort, Emile Black, ces trois derniers avaient conquis la lère partie en août dernier après les prix, et la seconde partie en août 84.

Je fis ma retraite aux vacances, et j'écrivis ces résolutions, qui m'auraient fait saint, si je les avais toujours parfaitement gardées: Esprit de foi, de religion. Recueillement. Attention littérale dans la prière. Sainte messe préparée, recueillie. Action de grâces fervente. Confiance, simplicité vis à vis de Dieu. Pur amour - intention pure - oblation continuée. Union avec le Cœur de Jésus. Vigilance - fer­meté - activité bien réglée. Zele et chante vis à vis du prochain. Conversation édifiante. Modestie des yeux, de l'esprit. Mortification du corps…

Hoc fac et vives (Lc 10, 28) .

Table des matières

Année scolaire 1879 / 1880 (suite)
L'académie de St Jean
Premières messes 6
Les prix 8
Autres œuvres 11
Evénements contemporains 12
France - Le Kulturkampf 13
Mgr Pie 14
L'Œuvre du S.-Cœur: les croix de l'année 17
Les Victimes volontaires 18
Le jardin de Joseph d'Arimathie 19
Vocations 20
Vues d'oraison 21
Lettres épiscopales 23
Ma retraite 27
Correspondance 40
Année scolaire 1880 / 1881
St Jean: rentrée 45
M. Joseph Marchal 46
Nos têtes 48
Lettres de Monseigneur 49
Les prix 50
Elèves 51
Œuvres 56
Evénements contemporains 57
France 58
L'œuvre du S.-Cœur : croix et consolations 59
Vocations 60
Agrégés 61
St-Médard 63
Lettres de Monseigneur 64
Ma retraite

Table des matières

Année scolaire 1881 / 1882
Saint-Jean 83
L'incendie 84
Les prix 87
Mort de mon père 93
Evénements contemporains 96
L'œuvre du S.-Cœur 97
Monseigneur à Rome 98
Directions de Monseigneur 104
Vocations et morts 106
Mgr Gay et les de Pascal 107
Hauts encouragements: P S. Wiart 111
Mgr Fava 112
P. Jourdan de la Passardière 113
Bourg: la Visitation 115
Mademoiselle Prouvier 118
M Bougouin 119
Paray: l'abbé Picard 120
Mère St-Dominique 122
M. de Cissey 123
Les Soeurs Victimes du S.-Cœur 126
Retraite 128
Année scolaire 1882 / 1883
L'année et ses croix 129
Lettres de Monseigneur 130
Lettres de Mgr de Reims 139
St-Clément à Fayet 142
Sittard 143
Mort de te more 144
Affaires Captier CL Léon 149
Vocations et morts 151
P. Modeste 152
Evénements contemporains - Le Pape 153
Louise Lateau et don Bosco 154
M. Vincent 155
Mgr Gay 160
Croisade de prières réparatrices 161
Les prix 166
Année scolaire 1883 / 1884
Consummatum est 175
Rome 176
La condamnation 177
La résurrection 183
Réorganisation 186
St.-Jean 187
Les prix 188
Ma retraite 189
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