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6ème CAHIER (26.6.1892 - 11.3.1894)

VI. 1892

Retraite et 1re communion à St-Clément. Ces pieuses journées me font du bien. Je trouve chez ces enfants beaucoup de droiture et de sim­plicité. J'insiste sur les fins dernières. La crainte aide ces jeunes âmes à se purifier.

Je conduis au Havre trois de nos Frères qui partent pour l'Equateur. Nous avons une journée à attendre, nous visitons Le Havre. Le S.-Cœur n'y est pas oublié. Il a son sanctuaire sur la colline qui domine la ville. L'église Notre-Dame, la principale église du Havre, est un mo­nument assez gracieux où se mêlent le gothique fleuri et la première re­naissance. Le S.-Cœur 1v y a une jolie chapelle. Comme partout à présent c'est cet autel qui a toutes les faveurs des fidèles. Les vitraux de Didron sont superbes. Sur une verrière, c'est le crucifiement avec l'ou­verture du Cœur de Jésus par Longin: Sic nos dilexit Deus (1 Jo 4,11). Sur une autre ce sont les saints du S.-Cœur: St. Augustin, St. Bernard, St. François d'Assise, St. François de Sales et un groupe de saintes: Ste Vé­ronique, Ste Catherine de Sienne, Ste Gertrude, Ste Thérèse, Marguerite-Marie: Ita et nos debemus eum diligere. La nouvelle église de Ste-Adresse a aussi un autel du S.-Cœur qui atteste une dévotion pro­fonde envers l'aimable Cœur de Jésus. Nous recommandons les voya­geurs à N.-D. des flots. Ils s'embarquent sur la Bavaria 2r.

Je passe à Fourdrain cette fête de Ste-Madeleine qui m'est si chère. Je donne le saint habit au jeune frère Christophe1), qui va s'embarquer dans 15 jours pour Bahia. Le noviciat n'est pas bien vivant pendant cette sai­son. Il y règne, hélas! un peu de négligence et de laisser-aller.

Nous avons une belle ordination à Clairefontaine, quatre sous-diacres et autant de tonsurés. Mgr l'évêque de Luxembourg2) ne nous ménage pas ses témoignages de bienveillance.

C'est la distribution des prix. Cette année scolaire se termine. Elle n'a pas été merveilleuse. La discipline a souffert et tout le reste avec elle. Mgr Duval préside la distribution. Nous avons à lui offrir comme bou­quet une trentaine de succès au baccalauréat. M. Mercier nous fait un discours 2v assez austère sur la discipline. - Mon Dieu pardonnez­-moi toutes mes fautes et toutes mes négligences de cette année. Pardonnez-moi aussi les fautes d'autrui dont je serais responsable!

Nouveau voyage au Havre pour conduire encore trois missionnaires. La population du Havre nous paraît bien gangrenée par l'indifférence religieuse et la sensualité. Les rues voisines du port sont remplies de ca­fés chantants d'assez mauvaise apparence. Quelques jours après, le cho­léra devait rappeler à cette population la justice divine.

Au retour je passai quelques bonnes heures à Rouen. C'est bien une des plus intéressantes de nos villes de province. Que de souvenirs elle rappelle: St. Ouen3), le grand 3r évêque, Ogier le danois, Rollon, Guillaume le conquérant, Richard-Cœur-de-Lion, Jean-sans-terre, Jeanne d'Arc, Pier­re Corneille, Jean-Bte de la Salle.

La cathédrale est une de ces merveilleuses églises du XIIIe siècle qui me paraissent être les chefs-d'œuvre de l'art chrétien. Elle a cent détails intéressants: les riches sculptures de ses tours et de ses portails latéraux, la galerie qui relie les piliers de la nef, les tombeaux de Rollon, de Guillaume-longue-épée, de Richard-Cœur-de-Lion, de Henri II; les monuments de Pierre et Louis de Brézé, celui-ci dessiné par Jean Cousin et Jean Goujon; le tombeau des cardinaux d'Amboise4) qui peut rivaliser avec les splendides monuments des ducs de Bourgogne.

L'église abbatiale de St-Ouen 3v ne le cède pas à la cathédrale. C'est le chef-d'œuvre du XIVe siècle. Elle est si svelte, si majestueuse, si bien éclairée!

Le palais de justice est digne de l'ancien Echiquier de Normandie. Ses tourelles, ses fenêtres, ses lucarnes, ont toute la richesse de la fin du XVe siècle. Il faudrait décrire encore l'hôtel Bourgtheroulde, l'église St­Maclou et ses portes sculptées par Jean Goujon, l'église St-Patrice et ses vitraux symboliques dessinés et peints par Jean Cousin.

Mais c'est l'excursion de Bon Secours qui laisse le souvenir le plus vi­vant. Quelle belle perspective sur la vallée de la Seine! Que d'évène­ments historiques ont peut évoquer là! L'imagination y voit passer suc­cessivement les Normands, les 4r Anglais, Jeanne d'Arc la noble mar­tyre, Henri IV le vaillant guerrier. La Ste Vierge toujours artiste a bien choisi le lieu de son sanctuaire. Le monument de Jeanne d'Arc est là tout resplendissant de fraîcheur et d'inspiration chrétienne. Elle a les fers aux mains, elle prie. Ses saintes sont auprès d'elle avec l'archange St. Michel. Quelques jours avant notre passage plusieurs évêques bénis­saient ce groupe pieux en présence de foules immenses. La France prie comme instinctivement Jeanne d'Arc. La Ste-Pucelle lui inspirera de re­courir au Cœur du Sauveur.

A peine revenu du Havre, je repartais pour l'Est. J'allais voir le bon curé de Gendreville, qui s'occupe de recruter des vocations 4v pour son diocèse et pour nous.

J'allai tout droit chez lui, sauf deux heures d'arrêt nécessaire à Neuf­château. Cette petite ville, comme beaucoup de villes de l'Est a sa statue de Jeanne d'Arc, mais ce n'est pas une œuvre d'art. Elle a deux églises des XIe et XIVe siècle et l'une d'elles est remarquable par un de ces por­ches fermés comme le XIe siècle en a laissé plusieurs. C'était là sans dou­te que se tenaient les pénitents.

Quelle délicieuse journée j'ai passée à Gendreville! Cette heureuse pe­tite paroisse est située dans une haute vallée des Vosges encore peu ac­cessible et les moeurs y sont heureusement fort en retard sur notre civili­sation voltairienne et positiviste. Le bon curé est 5r là avec son père et sa mère, c'est une famille patriarcale. On y vit simplement et pieuse­ment. En fait, sinon en droit, ce petit pays est très théocratique. Le curé est tout là. Il s'occupe des intérêts temporels de son peuple. Le conseil municipal est à sa dévotion. Il reçoit des dons en nature qui équivalent à la vielle dîme et Mr le Maire avec ses voitures en est le frère quêteur. Aussi ce bon curé parvient-il à entretenir quatre ou cinq enfants qu'il destine au sacerdoce. Il devient notre agrégé. J'en rends grâce à Dieu.

Je revenais de Rouen, j'allais à Domremy, à Vaucouleurs. Quinze jours plus tard je devais passer à Orléans et à Patay. C'est complet. J'ai passé les vacances avec Jeanne d'Arc, la sainte. 5v J'aime bien Dom­remy, c'est la seconde fois que j'ai le bonheur d'y aller prier. Cette vieil­le maison XVe siècle, avec porte basse et fenêtres à meneaux; cette hum­ble église paroissiale; ces prairies où Jeanne gardait ses moutons ou ses vaches; la colline du Bois-chenu où elle allait dans la solitude s'entretenir avec ses amis du ciel, tout cela parle chaudement à l'imagination. Le nom du village lui-même n'est pas indifférent. Dom-Rémy, dans le vieux style, c'est Saint Rémy. L'apôtre de la France est comme son ange tutélaire. On peut dire de lui comme de Samuel dans l'ancienne loi Hic est qui multum orat pro populo (2 Mac 15,14). Il a obtenu de Dieu de choisir la rédemptrice de la France dans 6r une paroisse qui lui est dédiée et qui porte son nom.

Ce qui m'a le plus frappé, dans la modeste église de Domremy, c'est un vitrail, peu artistique il est vrai, mais dont le sujet est bien inspiré. Il représente Jeanne présentant la France au S.-Cœur avec cette devise: Olim per Joannam, hodie per cor Jesu SS. C'est bien cela. Le Christ qui aime de plus en plus les Francs, malgré l'infidélité d'un grand nombre, veut leur donner de nouveau un Sauveur, comme il leur a donné Jeanne au XVe siècle; et ce Sauveur, c'est lui-même. C'est son Cœur sacré. Quand nous croirons en lui, comme la France du XVe siècle a cru à Jeanne d'Arc, nous serons sauvés. C'est mon espérance invincible 6v.

Les Pères Eudistes élèvent une basilique et un monastère au Bois­chenu. J'envie leur bonheur. La statue de Jeanne est là, elle prie, elle en­tend ses voix. C'est vraiment un pèlerinage national. Il fait bon prier là et se représenter les colloques de Jeanne avec ses célestes visiteurs. Com­me l'Archange et les vierges célestes aiment la France! Ils prient Jeanne, ils la pressent. Elle a entendu sans doute à l'église ou dans les soirées de la famille l'histoire de Débora, de Judith et d'Esther. «Va, lui disent ses voix, nous t'aiderons, tu auras une force surnaturelle, tu parleras au nom du ciel au roi et à ses lieutenants et tu les conduiras à la victoire». Jeanne a prouvé sa mission par son courage et par son succès. 7r J'au­gure bien du prestige qu'elle retrouve aujourd'hui. Il y a là un grand ac­te de foi, Dieu en saura gré à la France.

Je n'avais jamais vu encore Vaucouleurs, je n'hésitai pas, j'achevai là mon pèlerinage à Jeanne d'Arc. Le château du gouverneur était bien campé là-haut sur la colline au-dessus de l'église. Il n'en reste que quel­ques murs, le parvis et la porte de France. Toutefois, un précieux débris a échappé à la ruine du vieux castel, c'est la chapelle centrale, c'est une crypte voûtée où Jeanne priait dévotement la Mère de Dieu en attendant l'audience du Sire de Baudricourt.

C'est là que Mgr l'évêque de Verdun5) veut élever une basilique. Je pense que la France n'aura 7v jamais trop de sanctuaires élevés en l'honneur de Jeanne d'Arc. Où apprendrait-elle mieux l'amour de Dieu et de la patrie chrétienne?

Au retour, je visitai St-Mihiel et Bar-le-Duc, deux villes pittoresques: la première a ses falaises blanches le long de la Meuse; la seconde a ses collines, ses vignes, le castel de ses ducs et le torrent de l'Ornain. Je dési­rais voir dans ces villes les œuvres de Ligier Richier, le sculpteur lorrain de la Renaissance, et je n'ai pas été déçu. J'ai admiré le groupe si connu du sépulcre de l'église St-Etienne à St-Mihiel et la statue de René de Chalons à l'église St-Pierre de Bar. C'est là la vraie Renaissance, fran­çaise, pleine de réalisme et de sentiment à la fois. Je 8r préfère ce genre à celui de l'école dite de Fontainebleau, qui a copié l'antique sans gran­de originalité.

Bar a une nouvelle église dédiée à St. Jean. C'est une basilique roma­ne inachevée. On pourrait l'appeler une église du S.-Cœur. St. Jean et le S.-Cœur, St. Jean et Marie, St. Jean et Ste Gertrude tels sont les titu­laires des chapelles. J'étais là comme chez nous. J'étais heureux d'y pou­voir célébrer la sainte messe.

A mon retour, je trouve une épreuve, un orage imprévu. Mgr veut me prendre M. Mercier pour le mettre à Vervins. J'oppose à ce projet les plus vigoureuses revendications, mais je ne suis pas sans inquiétude.

Congrès d'étude au Val pour les séminaristes amis des œuvres. Réunion 8v charmante. Il y a là 25 jeunes gens pieux et distingués, l'élite de nos séminaires. Notre Seigneur en arrêtant ses regards sur ces jeunes gens a dû éprouver le sentiment qu'excita dans son Cœur le jeu­ne homme de l'Evangile: intuitus eum, dilexit illum (Mc 10,21).

Lourdes! Quelles journées précieuses! Quelles grâces j'ai retrouvées là! C'était le jubilé et je l'ai bien ressenti. Il me semble que N.-S. m'a tout pardonné. J'ai pu dire la sainte messe à la grotte. C'est une des bon­nes messes de ma vie. Marie s'est montré pour moi une bonne mère. Je la remercie. D'ailleurs mon cœur se détache de plus en plus des créatu­res pour n'avoir plus que deux amours: Jésus et Marie 9r.

Toulouse, Sorrèze, Albi, Montauban, Cahors, Orléans, Loigny, tel­les furent mes étapes au retour. J'admire toujours le grand air de Tou­louse. C'est une ville matrone, et comme la capitale du midi. C'est l'an­cienne ville sainte des Gaules, la capitale des Wisigoths et du Comté de Toulouse. Elle a son beau fleuve, son canal des deux mers, son capitole, siège des jeux floraux. Elle a surtout sa merveilleuse basilique de St­Sernin, église unique par sa richesse en reliques. Elle possède les corps de six apôtres, ceux de St-Saturnin, des premiers évêques de Toulouse, de St. Thomas d'Aquin, de Ste Suzanne, de St. Edouard d'Angleterre et une foule d'autres reliques insignes. Je ne connais que St-Pierre 9v de Rome qui ait un plus riche trésor. Il fait bon à prier là.

La cathédrale dédiée à St-Etienne est bien irrégulière. Son choeur du XIIIe siècle est vraiment beau. Il faudrait que la nef fût refaite dans ce style. La chaire rappelle les prédications si fructueuses de St. Dominique.

Sorrèze a un nom poétisé par les souvenirs de Lacordaire. Il a vécu là, il s'y est sanctifié, il y est mort. Il y est vénéré comme un saint. Son corps repose sous le choeur de la chapelle. Sa cellule est devenue un oratoire. C'était là une des plus belles intelligences de ce siècle et un des plus grands cœurs. Il a été le plus vaillant apôtre de la cause catholique en France de notre temps. Il a 9r bis contribué plus que personne à re­nouveler parmi nous l'éducation chrétienne et la vie monastique. - Il avait bien choisi sa retraite. Cette résidence de Sorrèze a quelque chose de monacal, de militaire et de seigneurial à la fois. C'est une ancienne abbaye bénédictine, qui était devenue en 1792 une école militaire. Le parc est superbe, avec ses arbres séculaires, ses pièces d'eau et la pers­pective des montagnes noires. Lacordaire était bien placé là pour prier, pour penser et pour écrire. La nature, le monument et les souvenirs for­maient là un cadre et un milieu qui convenaient à l'académicien. Les dé­faillances des derniers religieux bénédictins et oratoriens qui avaient fon­dé là l'école militaire en acceptant la 9v bis Révolution et ses moeurs ont été réparées par la vie pénitente du grand dominicain. - J'ai suivi les souvenirs de Lacordaire à Ste-Sabine, à la Ste-Baume, à N.-Dame de Paris, à Sorrèze, je retrouve partout le grand cœur, l'âme poétique de ce grand «moine d'occident» qui avait pour but et pour mission de récon­cilier le XIXe siècle avec le XIIIe.

Albi a bien des souvenirs aussi. La statue du grand navigateur Lapé­rouse orne sa promenade. Mais le grand intérêt d'Albi est sa cathédrale de Ste-Cécile. C'est une des plus originales et des plus belles que je con­naisse. C'est une vraie forteresse toute de briques, et cependant elle n'a rien de lourd ni de triste. Sa tour est un donjon. Ses contreforts sont autant 10r de tourelles élancées et gracieuses. Je la crois unique en son genre. A peine lui trouverait-on quelque analogie avec le palais d'Avi­gnon et avec certains monastères de la corniche génévoise et du Pié­mont. Toutefois «si parva licet componere magnis», je dirai qu'on re­trouve le même concept, amené par les mêmes circonstances dans nos églises forteresses du Vermandois et de la Thiérache.

Rien de délicat comme le petit porche d'Albi, le jubé et la clôture du choeur. Ces fines sculptures de la fin du XVe siècle nous reportent en Italie.

Cette église si extraordinaire a aussi le privilège d'être la seule de nos grandes églises du moyen-âge qui soit entièrement peinte et décorée. J'y étudiai avec intérêt les grandes 10v scènes du jugement dernier, pein­tes au XVe siècle et dans lesquelles les divers supplices propres à chaque péché capital correspondent aux traditions reproduites par le Dante et aux visions des mystiques.

D'Albi à Montauban, le chemin de fer longe le Tarn dont la vallée est pittoresque. La rivière est assez encaissée. Les collines qui la bordent portent çà et là des ruines de castels du moyen-âge.

Une heure d'arrêt à St-Sulpice du Tarn. L'Agout y coule dans un lit profond et rocheux. L'église a une façade XIVe siècle assez originale.

Montauban - Pont sur le Tarn à arcades ogivales du XIVe siècle. - Ancien castel du Prince noir, de la même époque, devenu hôtel de ville et musée. Cathédrale du XVIIIe siècle, assez ample mais peu artistique. - Je voulais 11r étudier Ingres à Montauban, sa patrie. Il y est en ef­fet représenté par quelques toiles. A la cathédrale, c'est le voeu de Louis XIII. Au musée, c'est Jésus parmi les docteurs, le songe d'Ossian et Ro­ger délivrant Angélique, puis des dessins et croquis. Son chef-d'œuvre, l'apothéose d'Homère est reproduit en bronze à la promenade des Car­mes. J'avoue que j'ai été un peu désappointé. Ingres a un dessin classi­que, mais il a peu de couleurs ou des couleurs fausses. Il est froid, c'est un peintre académique, un professeur de dessein. Il manque d'accent et de sentiment. Il n'est pas religieux et ne peut pas être populaire.

Cahors, ville curieuse dans un joli site a bien des choses intéressantes. Le Lot y est large et impétueux. Il coule entre de hautes collines. Le pont Valentré du XIVe siècle 11v est magnifiquement conservé. C'est un superbe spécimen d'architecture civile. Ses arches ont un beau galbe ogival. Il a ses tours de défense avec logis de garde, créneaux, escaliers et chemins de ronde. La cathédrale, du XIe siècle, est byzantine, comme celles de Périgueux et d'Angoulême. Elle a deux coupoles. On y vénère le st suaire de N.-S. - Fénelon a étudié à l'université de Cahors. Il n'a qu'un modeste buste sur les allées. Gambetta6) a un monument grandio­se, sculpté par Falguière. Il est là dans l'attitude d'un général, avec un drapeau déployé devant lui; il s'appuie contre un canon, il a un soldat mourant d'un côté, un marin qui fait feu de l'autre. C'est dommage de dépenser tant d'art pour un 12r personnage si peu honorable. La mai­son natale du dictateur est en face de la cathédrale, c'est le bazar gênois.

Orléans est comme un faubourg avancé de Paris. Aucune ville n'a un aspect plus français. Elle a de plus son fleuve majestueux et sa belle ca­thédrale en gothique fleuri où repose dans un beau mausolée de marbre son évêque si éloquent et si ardent, Mgr Dupanloup7).

Après Rouen, Domremy et Vaucouleurs, Orléans complétait mon pèle­rinage à Jeanne d'Arc. Orléans est fidèle au culte de Jeanne d'Arc. Elle a mis sa statue partout, sur la place, sur le pont, à l'hôtel de ville. Elle a eu l'heureuse idée de fonder un musée Jeanne d'Arc, où elle a réuni en origi­naux ou en copies toutes les représentations 12v de Jeanne d'Arc que l'art a essayées, en sculpture, en peinture, en gravure, en faïence ou de tou­te autre manière. Ce musée m'a réconcilié avec Ingres par une copie de son tableau du Louvre: Jeanne d'Arc au sacre de Charles VII: Ingres a montré là non seulement du savoir, mais une heureuse inspiration, de la vie et mê­me des couleurs assez chaudes. C'est une de ses plus belles œuvres.

D'Orléans, j'allai à Loigny. C'était encore Jeanne d'Arc, mais pour moi c'était plutôt un pèlerinage du S.-Cœur. C'est là qu'ont lutté nos zouaves pontificaux sous la bannière du S.-Cœur. C'est là que Sonis est tombé et que Troussure, Verthamon et tant d'autres ont été tués. Ils re­posent là tous sous le choeur de la nouvelle église, dédiée 13r au S.-Cœur. Ces ossements accumulés et apparents n'ont rien de sinistre. Ils ont quelque chose encore de puissant et de vigoureux, ce sont les osse­ments du lion tombé dans la lutte. Ils ont aussi comme un parfum de martyre. Cette chapelle est le sanctuaire de l'espérance. Le S.-Cœur abandonnera-t-il une nation où il a trouvé de si généreux amis? -Je vi­sitai pieusement le petit bois où le bataillon a été décimé et le champ où Sonis est tombé8). On y lit sur son monument:

Heic se Cordi Christi SS. mo

Hostiam dicavit

acceptissimam

Miles Christi.

2 dec. 1870.

13v A mon passage à Paris, j'allai revoir avec mon jeune compa­gnon le Salon Carré du Louvre et quelques salles du Musée. Je regarde cela comme un pèlerinage encore. Il y a tant de foi, tant d'esprit chrétien dans les peintures des meilleures écoles. Perugin, Francia, Ghirlandajo, fra Angelico, Vinci, Raphaël, Simon Memmi, Murillo, Dürer, Van Eyck, Memling, tous ces noms ne rappellent-ils pas des madones suaves, des saintes Familles gracieuses, des visions de Saints toutes célestes? - Si je voulais représenter le règne du Christ dans l'Etat et dans la cité, pourrais-je trouver un type plus parfait que le Sacre de Charles VII par Ingres et le serment du prévôt et des échevins de Paris par Philippe de Champaigne?… 14r.

Août a été pour moi un mois de pèlerinages, septembre sera un mois de retraites. Du 4 au 14 je suis à Sittard, je prêche la retraite aux novices et aux enfants. Je sens que j'ai une mission et une grâce pour cela. Ce sont de bonnes journées. Elles me font autant de bien qu'à ceux que j'évangélise. En prêchant l'esprit propre de notre vocation, l'esprit d'amour et de réparation au S.-Cœur, je constate que les âmes en sont très touchées. C'est une preuve sensible de la réalité des promesses du S.-Cœur et de notre mission.

C'est la retraite à Fourdrain, elle est prêchée par le ven. P. Braun. Il parle bien de notre vocation. «Le véritable prêtre du Cœur de Jésus dans l'Eglise est l'organe de l'amour envers le Cœur de Jésus: amour de 14v préférence, amour reconnaissant, amour compatissant… Si l'Eglise est comparée au corps de Jésus, l'œuvre en est comme le cœur mystique…». C'est vrai, mais quelle perfection il faudrait pour répondre à un si noble but.

Ces deux retraites me laissent une impression profonde et, j'espère, définitive. J'en emporte un profond esprit de pénitence, l'amour de la croix, le désir de la pureté, un grand amour pour Jésus et Marie et le dé­tachement des créatures.

Le Nouvion - Mariages de famille. En pareille circonstance, je remer­cie toujours mon Dieu de la belle vocation qu'il m'a donnée. Mais cette vocation demande une grande fidélité. Tous ces jours-ci mêmes j'ap­prends le malheureux sort de plusieurs qui ont méprisé leur vocation. 15r Les frères B.9) à Paris sont frappés de toutes manières. Le pauvre W. donne le scandale et se met dans la misère. Strentz souffre un martyre moral et physique en Algérie et va y trouver la mort. Del… est lié pour plusieurs années à une vie crucifiante. Horrendum est incidere in manus Dei viventis (He, 10-31).

Ce sont les jours de rentrée à St Jean. La maison est encore bénie mal­gré nos fautes. L'année s'annonce bien, j'ai de bons auxiliaires.

Affaires pénibles qui peuvent compromettre la maison. Je ne puis que m'humilier et je le veux faire tous les jours pour détourner les coups de la justice divine.

Mgr bénit l'orphelinat de Fayet. Sa bienveillance pour nos soeurs me réjouit. Il apprécie leur ferveur et leur zèle. Mgr de Coutances10) nous donne un beau discours sur le témoignage rendu 15v par les martyrs à Jésus-Christ. J'aime ses pensées élevées, son langage simple et noble et le véritable esprit de l'Evangile qui anime son discours.

La retraite a été donnée aux élèves par le p. Dupland. Beaucoup sont bien disposés, cependant comme nous sommes loin de la piété que je voudrais!

Notre maison de Lille s'affermit. Elle a quelques étudiants américains pensionnaires et nous pensons que c'est le commencement d'une œuvre d'avenir.

C'est fête chez nos soeurs. Ce sont les noces d'argent de la Congréga­tion. C'est le 25e anniversaire des premières vêtures. Cette pieuse céré­monie me rappelle les grâces immenses que je dois aux prières et sacrifi­ces de cette chère communauté. Ma 16r reconnaissance pour elle est bien grande. Je prie Dieu de lui rendre les bienfaits incalculables que je lui dois.

Fête touchante à St-Clément. Dixième anniversaire de la fondation. Réception et consécration des enfants nouvellement admis. La petite fa­mille s'accroît. 60 enfants, quelle belle pépinière! - Le même jour je re­mets en route une œuvre que j'avais faite autrefois, de 1873 à 1878, et qui avait donné des fruits bien précieux. C'est une réunion hebdomadai­re de jeunes gens qui ont terminé leurs études. Les réunions d'antan ont affermi la foi de ceux qui y prenaient part. Elles ont fait naître ou déve­loppé plusieurs vocations; celles de Lebée, Basquin, Maréchal, Black me reviennent à la mémoire. 16v Paul Jullien11), avant de mourir, me fai­sait remercier du bien que ces conférences lui avaient fait. Nous recom­mençons. J'ai une dizaine de jeunes gens. Dominus me adjuvet!

Le p. Captier m'écrit pour me demander pardon de tout le mal qu'il nous a fait. Le curé de H. m'envoie sa carte. C'est bien, ce sont là des réparations tardives. Je prie N.-S. de tout pardonner à ces âmes et à l'œuvre.

Nous avons quelques ordinands à Soissons, à Luxembourg, à La Ro­chelle, à Rome. Je désire pour l'avenir une formation meilleure, des âmes mieux préparées, des ordinations plus réparatrices. Je suis impuis­sant pour le moment. Quand aurons-nous des maisons 17r de forma­tion parfaitement organisées et surtout notre maison d'adoration? Sei­gneur, donnez-moi la grâce de faire mieux. C'est pour votre gloire, c'est pour votre amour.

Fêtes touchantes. Souvenirs de grâces et de fautes. Actions de grâces et réparations. Noël: N.-S. donne sa première audience aux petits et aux pauvres. Ainsi son vicaire Léon XIII témoigne une charité extrême, une véritable tendresse paternelle envers les travailleurs.

Le 26, vêtures à Fourdrain. Souhaits de fête. La St Jean m'apporte bien des marques d'affection filiale. Que je voudrais être un St. Jean pour Jésus et Marie. -Je vous aime, ô mes célestes protecteurs, mais je voudrais vous aimer mille fois plus, enseignez-moi à le faire et donnez­m'en la grâce! 17v.

L'année finit. En avançant en âge je sens plus vivement la brièveté du temps et son prix. Je redoute le jugement de Dieu. J'ai perdu pour l'Œuvre beaucoup de temps et beaucoup de grâces. Il me reste immen­sément à faire. Je ne puis espérer le salut que dans la miséricorde infinie de mon Dieu.

Les scandales de la vie publique à cette fin d'année sont pleins d'ensei­gnements. En France ce sont les escroqueries de Panama; en Italie, ce sont celles des banques12). On a voulu se passer de Dieu, de l'Eglise et de la morale chrétienne. On est revenu aux concupiscences païennes. Par­tout la convoitise est à son apogée: la convoitise du plaisir jusqu'à la dé­bauche et à la névrose; la convoitise des richesses jusqu'au vol et à la concussion; la 18r convoitise de l'orgueil jusqu'à l'anarchie. La juive­rie et le socialisme sont deux parasites mortels qui ne pouvaient se déve­lopper que sur un corps social morbide.

Je suis mis par mon ministère au courant des choses maçonniques. Un jeune homme affilié à la loge «La Fidélité» de Lille est venu me dire ses remords, son dégoût pour ce monde là. Il s'est converti. Il me renseigne sur les loges du nord, leur composition, leurs dignitaires, leurs rites, leur esprit. L'Université, les tribunaux, les diverses administrations, tout est gangrené. L'armée elle-même est entamée. Les médecins civils et mili­taires sont gagnés en grand nombre à la secte. Le but avoué de tous est la guerre à l'Eglise. Toutes les conférences faites dans les loges roulent sur ce thème. 18v Léon XIII voit juste quand il nous signale le péril de la franc-maçonnerie. C'est pour l'Eglise un ennemi redoutable, sournois, discipliné, haineux et pour lequel tous les moyens sont bons.

VI
1893

Les premiers moments de l'année sont pour Dieu, pour le S.-Cœur, pour Marie, pour nos Saints Patrons. Je rends mes devoirs à qui de droit et je reçois une infinité de souhaits. J'ai bien 200 lettres et 800 cartes à répondre, sans compter les visites. Certaines lettres sont bien cordiales. Elles font battre le cœur plus vivement au souvenir de bonnes et pieuses relations. Grâce à Dieu tout n'est pas banal et superficiel dans cette agi­tation des premiers jours de l'année 19r.

Un de nos élèves, Ch. Beauvais, est mort après une courte maladie. Il avait 17 ans. Nos enfants sont très impressionnés de cette mort. Elle lais­sera une trace profonde et salutaire. Je vais aux funérailles à Montreuil­-sur-mer.

J'ai l'occasion de revoir Etaples, Montreuil, Calais, Abbeville, Boulo­gne. Etaples, Montreuil et Calais ont des églises de style normand des XVe XVIe siècles. Ce sont des œuvres anglaises, qui ne manquent ni de grandeur, ni de richesse. Mais ce n'est plus l'art si pur du XIIIe siècle, l'art français par excellence avec son ogive élancée, ses proportions har­monieuses, la sobriété des détails et l'idéalisme de l'ensemble. Le XVe siècle est réaliste. Il manque d'élévation et de pureté. Ses sculptures sont parfois satiriques et grotesques. L'Angleterre dans ce siècle a été 19v plus féconde que ne pouvait l'être la pauvre France envahie, divisée et ruinée. C'est à l'occupation anglaise qu'Etaples, Montreuil et Calais doivent leurs belles églises.

La vallée de la Couche d'Etaples à Montreuil serait gracieuse si ce n'était l'hiver. Montreuil, campée sur sa berge crayeuse, a gardé quel­que chose de ses vieux remparts, mais elle n'a plus, l'aspect guerrier. En face de la ville, sur l'autre berge s'étale une chartreuse moderne qui a toute l'ampleur et le cachet des grandes abbayes du moyen-âge. Elle montre de loin ses deux églises, ses cellules et ses bâtiments conventuels. Les Chartreux sont les bienfaiteurs du pays. Quand le peuple voit de près les moines, il les aime.

Calais n'a pas seulement sa 20r vieille église de Notre-Dame. On y a bâti plusieurs paroisses nouvelles et entre autre St-Pierre et le S.-Cœur. St-Pierre est une église correcte, presque classique, genre XIIIe siècle, bâ­tie par M. Boeswilwald. L'intérieur est froid et ne parle guère à l'âme. L'église du S.-Cœur annonce à première vue un curé apôtre. On y tra­vaille partout. Au dehors on l'achève, au dedans on la décore. Elle est tou­te peinte. Elle a toutes les dévotions contemporaines: grotte de Lourdes, crèche grandiose, autel du S.-Cœur, Ste-Face, un beau chemin de croix, le catéchisme en images sur les murs, des ex-voto, et les noms des bienfai­teurs gravés sur le marbre. L'église était remplie par les enfants des caté­chismes et le bon curé M. Debras, que j'ai souvent rencontré dans les congrès des 20v œuvres était là distribuant aux enfants le livre des Evangiles et le portrait du nouvel évêque d'Arras13).

J'avais un temps d'arrêt à Boulogne, je fis avec bonheur mon pèleri­nage à l'église Notre-Dame. Ce n'est pas un monument artistique, tant s'en faut. C'est une œuvre bizarre et sans harmonie. Mais on y prie bien. Les ex-voto et l'édifice lui-même accusent la foi des populations. La Ste Vierge se montre là bien bonne et généreuse. Je lui expose tous mes désirs avec confiance.

Boulogne est bien située sur un coteau qui borde la Liane. Elle a de nombreuses églises, des établissements religieux de toute sorte et des souvenirs religieux importants. C'est la patrie de Godefroy de Bouillon, que je 21r vénère comme un saint et de Bauduin son frère. Hélas! l'ancienne petite Vierge noire, venue miraculeusement sur l'océan a été brûlée par les énergumènes de 1793. La précieuse relique du précieux sang envoyée de Palestine par Godefroy de Bouillon à sa mère Ste Ide a échappé aux ravages du temps et des révolutions. Elle est conservée dans une petite chapelle ogivale que je n'ai pas trouvée ouverte.

Le p. Sébastien s'embarque aujourd'hui à Bordeaux pour le Brésil. Que l'ange Raphaël l'accompagne! J'ai la confiance que cette fondation est bien dans les desseins de Dieu. N.-S. a été souvent attristé au Brésil par ceux qui auraient dû le consoler, puissions-nous remplir là notre mission et consoler réellement le cœur blessé et humilié de Jésus! 21v.

C'est le centenaire de la mort du roi-martyr, Louis XVI. On pouvait craindre des démonstrations insensées du parti révolutionnaire, il y en a peu. L'ensemble de la France se montre digne. Des messes réparatrices sont dites dans la plupart des villes. Le centenaire de l'année terrible passera sans aggraver la responsabilité de la France.

Réunion d'études sociales à Soissons. Cela se renouvellera tous les mois. L'œuvre des œuvres est de former des prêtres instruits, zélés, ver­tueux. Ces réunions ont cependant quelque utilité en faisant connaître les œuvres et la manière de les faire.

St. Polycarpe. Visite à Fourdrain. Vêture. Malgré bien des obstacles, nos petits novices sont assez bien. Ils ont pris à Fayet le goût de 22r la piété et l'amour de l'œuvre. C'est ce qui les soutient.

Je trouve dans les visions de Ste Françoise Romaine un intéressant ta­bleau de la purification. Les prêtres qui officiaient au Temple adorèrent Jésus après le vieillard Siméon. C'est le Noël des prêtres. Jésus s'est donc manifesté d'abord aux petits, aux pauvres, aux bergers, au jour de Noël, puis à ses prêtres, au jour de la Purification; et enfin aux grands, aux rois, au jour de l'Epiphanie qu'il faudrait placer vers le 15 février, à la veille de la fuite en Egypte (voir Patrizi).

Plusieurs enfants prodigues reviennent à la maison paternelle. Quel­ques enfants de Fayet s'étaient découragés. Ils étaient partis, mais le dé­goût du monde les ramène au bercail. Déjà 22v depuis quelque temps Fourdrain a reçu Witzig et Pfeiffer. Ces jours-ci Juniet14) nous revient, visiblement saisi par la grâce. D'autres regrettent la maison paternelle comme Deligny et Charpentier. Ils reviendront sans doute. Prions. N.-S. aime les enfants qui ont passé par St-Clément, et il ne les aban­donne pas facilement.

Fête de St-Mathias. Adoration perpétuelle à St-Clément. Des visions de la Bse Angèle de Foligno, de St. Arsène, de la Bse Marguerite-Marie me fournissent un intéressant sujet de méditation. A la Bse Angèle de Foligno, au XIIIe siècle, aux âges de foi et de ferveur, Jésus-Hostie se manifeste sous l'aspect d'un roi sur son trône de gloire avec le sceptre à la main. - Au temps des grands schismes, à St. Arsène, Jésus-Hostie se 23r manifeste avec les membres coupés et déchirés. - Au temps du refroidissement des cœurs qui commença à la Renaissance et qui dure encore, N.-S. se manifeste à Marguerite-Marie le plus souvent sous l'aspect de l'Ecce Homo. La royauté est méprisée et bafouée. C'est bien là le fruit de l'apostasie des nations commencée en 1682, au temps même où Marguerite-Marie avait ces douloureuses visions de l'Ecce Homo15).

Plusieurs projets ont surgi pour l'œuvre et vont s'éxécuter. Mgr de Soissons va nous confier l'œuvre de St-Médard. J'enverrai trois prêtres se former à l'institut départemental de Nantes. - La maison du S.-Cœur va être disposée de manière à y recevoir habituellement les no­vices. Nous aurons ainsi une maison d'adoration. 23v C'est fonda­mental pour l'œuvre. Sans l'adoration, notre œuvre ne remplit pas sa mission. Cela justifiera la construction de la chapelle du S.-Cœur.

Je vois avec bonheur commencer pour nous l'apostolat du livre. Le p. André publie son mois du S.-Cœur d'après Ste Gertrude. Le p. Vincent publie son petit mois de St Jean16). Nous ferons ainsi aimer le S.-Cœur par quelques âmes de plus.

Nos enfants ont représenté trois fois le drame muet de la Passion. Ils ont un grand succès d'édification. Toute la ville y court et la salle est trop petite. Ces enfants de St-Clément rendent bien des mystères qu'ils méditent tous les jours. C'est aussi un phénomène saillant 24r de la vie contemporaine que la recherche du théâtre religieux. Le Vaudeville à Paris joue la Passion! Nos enfants ont là un grand moyen d'apostolat avec des moyens très simples.

Je passe quelques jours à Paris chez mon ami l'abbé Désaire17). Il ha­bite au Cercle ouvrier de La Villette et il y fait beaucoup de bien. Sa pié­té m'édifie. C'est une âme qui avance. Une longue maladie l'a mûri.

Ce voyage a un double but: assister à la réception de mon parent La­visse à l'Académie et visiter quelques chapelles de communautés pour m'en inspirer dans la construction de notre chapelle du S.-Cœur.

C'est le 16 que Lavisse était reçu. Gaston Boissier18) lui répondait. La salle de l'Institut était comble. 24v Elle offrait un grand intérêt. L'In­stitut était là, sauf les invalides: l'évêque d'Autun19), Pasteur, Simon, le duc d'Aumale, le duc de Broglie, Maxime du Camp, etc., etc.

La salle est assez imposante. C'est la chapelle du collège des quatre­nations avec sa coupole. Quatre statues en sont le seul ornement: Bos­suet, Fenelon, Descartes, Pascal. Ces noms font assez d'honneur à la foi.

Lavisse avait un beau sujet. Il louait l'amiral Jurien de la Gravière20), un grand chrétien, un vrai français. Il l'a fait, en bons termes.

Gaston Boissier louait le patriotisme de Lavisse, ses études intéressan­tes sur l'Allemagne, son heureuse influence sur les réformes de l'ensei­gnement.

Je voulais voir à Paris un certain nombre de chapelles de communau­tés pour choisir parmi elles le modèle 25r de notre chapelle d'adora­tion. On peut les diviser en deux groupes: celles du XVIIIe siècle ou du commencement du XIXe, et les chapelles ogivales récentes. Au premier genre appartiennent celles de l'Abbaye au Bois, de St-Thomas de Ville­neuve, des Oiseaux, des Lazaristes, des Missions étrangères. Elles ont une certaine ampleur, une certaine dignité, mais en somme elles sont dé­modées. Le XVIIIe siècle n'est pas de ceux qu'on imitera jamais. Il n'avait pas l'esprit religieux. Ces chapelles pourraient servir aussi bien de temples protestants, de loges maçonniques ou de salles académiques.

La chapelle des jésuites, celle de l'Adoration réparatrice, celles des Soeurs de St Joseph, des Soeurs de Bon-Secours, des Dames du S.-Cœur sont ogivales, mais les deux premières seules sont 25v assez classiques. Celle des Soeurs de St Joseph vise à la richesse, celle des Da­mes du S.-Cœur à la délicatesse.

Les pieuses servantes du St Sacrmeent n'ont qu'une chapelle provisoi­re en bois et plâtre et cependant N.-S. y est exposé jour et nuit.

Les plus jolies chapelles modernes sont celles des Pères du St Sacrement et des Passionistes, toutes deux dans le quartier de l'Arc de triomphe de l'Etoile. C'est là que j'enverrai mon architecte prendre ses inspirations. La chapelle des Pères du St Sacrement reproduite avec l'arc ogival, dans les proportions de notre emplacement, répondrait à nos besoins.

En visitant les chapelles, j'admirais la vitalité de ces communautés. Les Soeurs de St Joseph et celles de Bon-Secours sont de vraies fourmil­lières. Les Soeurs de St-Thomas de Villeneuve 26r sont nombreuses aussi. Elles ont l'image vénérable de la Vierge Noire, une des plus an­ciennes madones de Paris, celle devant laquelle St. François de Sales ob­tint la fin de ses épreuves intérieures.

Le 17 étant un vendredi de carême j'allai vénérer les grandes reliques de Notre-Dame. J'embrassai avec foi ce palladium de la France, la gran­de couronne d'épines, enfermée dans son cercle de cristal et un beau fragment de la vraie croix.

Le 18, ayant quelques heures libres le matin, je fais mon pèlerinage à St-Denis. Le grand sanctuaire national est devenu comme un musée. On n'y prie guère. Un ou deux chanoines y célèbrent encore la messe jusqu'à ce que le chapitre soit supprimé par extinction. Entre cette situa­tion et 26v l'état de la religion en France, il y a une analogie qui fait frémir.

Le tombeau de St-Denis dans la crypte est vide comme ceux des rois. La belle église ne possède plus qu'un petit ossement du grand martyr.

Mais que cette église est belle à l'intérieur. C'est le style ogival fran­çais le plus pur et le plus délicat. C'en est le type et le chef-d'œuvre. Tout y est si svelte, si sobre, si harmonieux! Il a fallu que le XVIIe siècle fût absolument aveuglé par son engouement classique et païen, pour qualifier de style gothique cet art si français et si chrétien.

Les tombeaux sont vides. La nation affolée a jeté à la voirie les osse­ments de ses bienfaiteurs et de ses héros, car Suger, Duguesclin, St. Louis et Henri IV reposaient là. 27r Il ne reste rien que des tombes vi­des et un facsimilé de l'oriflamme: un musée au lieu d'un sanctuaire.

Parmi ces tombes, quelques unes sont des chefs-d'œuvre de l'art. Je cite de suite les trois grands monuments de la Renaissance, ceux de Louis XII, de François 1er et de Henri II, chefs d'œuvre des sculpteurs, Jean juste, Jean Goujon et Germain Pilon. On y peut suivre les progrès de la Renaissance. Elle a moins d'ampleur sous Louis XII, mais plus de grâce, de délicatesse et de naïveté.

Ces tombeaux isolés à baldaquin de marbre sont plus beaux que ceux des Papes, à St-Pierre de Rome. Leur disposition était plus favorable. Les statues symboliques sont plus expressives et plus chrétiennes que cel­les de Rome. 27v De fins reliefs racontent les grands traits de la vie des défunts. - Le monument de Dagobert 1er , refait sous St. Louis dans le beau style du XIIIe est fort remarquable aussi. Et ce ne sont là que les épaves de la Révolution, ce qui a pu échapper au marteau. Pauvre Fran­ce semblable à un malade qui dans ses crises se déchire avec ses ongles et ses dents!

Nous quittons la maîtrise. J'en suis heureux. Notre situation là man­quait de dignité. Nous étions soumis aux ordres et à la critique d'em­ployés laïques à peine chrétiens.

Je profite des vacances de Pâques pour visiter Clairefontaine et Sit­tard. Je m'arrête à Charleroi. Sa population ne vaut pas celle de la plu­part des villes belges. Elle est hélas! trop française sous le rapport de la religion et des moeurs. Le collège des jésuites 28r est beau et floris­sant. Sa belle chapelle du S.-Cœur est publique. Les dévotions moder­nes, N.-D.-de-Lourdes et St. Joseph y sont populaires. L'église princi­pale est au sommet de la colline, sur une place d'où rayonnent des rues régulières. C'est le quartier neuf tracé sous Charles II d'Espagne en 1666. L'église me rappelle St-Sulpice. Elle est plus svelte et plus gracieu­se.

A Clairefontaine, l'école est pieuse. Les scolastiques entretiennent en­tre eux des divisions mesquines et contraires à la charité. Je m'efforce d'y remédier.

L'excellente baronne de Caels, une de nos bienfaitrices, désirait me voir à Aix-la-chapelle. Je déjeune chez elle avec son frère, officier de ré­serve de l'armée allemande. Ce bon officier, fort allemand de sentiments se montre cependant assez affable et nous invite 28v à visiter à sa villa de Bruxelles ses 2.000 variétés de rose. Je revois encore avec bonheur les grandes reliques d'Aix-la-chapelle. C'est toujours un crève-cœur pour moi de penser que les révolutions ont détruit les trésors de toutes nos églises. Mais qu'y a-t-il de stable sur cette terre.

Mon séjour à Sittard me console. Les enfants prient bien. Ils aiment l'œuvre.

Au retour, je fais un pèlerinage à N.-D.-de-Hal. Il y a là une belle église du XVe siècle, c'était l'époque de la plus grande prospérité en Bel­gique. La madone a de nombreux ex-voto qui attestent ses miracles. Le diocèse de Cambrai allait jusque là autrefois.

Réunion mensuelle d'études sociales à Soissons. Il se fait là quelque 29r bien. Plusieurs paroisses essaient des syndicats agricoles chrétiens. L'association inspirée par le curé ramène les hommes à l'église. Après Etreillers, il y a d'heureux essais à Chacrise et Courmelle.

Nos enfants de Fayet vont donner leur Passion au Val-des-Bois. Le terrain est favorable, ils produisent une grande impression. Il est ques­tion qu'ils aillent plus tard à Reims.

J'ai quelques heures à passer à Paris. J'y fais un double pèlerinage: l'église Notre-Dame et le cimetière de Picpus. A Notre-Dame je veux m'unir à l'hommage national qui a été rendu là à Dieu pendant des sie­cles. Un des témoignages les plus saillants est le groupe du Voeu de Louis XIII, la Madone de la Pietà par Coustou. Des statues représen­tent Louis XIII 29v et Louis XIV offrant à Marie l'hommage de leur sceptre et de leur couronne. Autrefois la nation priait avec ses chefs, elle se donnait au Christ et à Marie. Aujourd'hui elle a apostasié.

Je désirais voir depuis longtemps la maison de Picpus. C'est une œuvre analogue à la nôtre. Les Pères et les Soeurs des S.-Cœurs y font l'adoration réparatrice. Toutefois le St Sacrement n'y est pas exposé. Leur réparation a un caractère social. C'est surtout pour les crimes de la nation révolutionnaire qu'ils font amende honorable. Ce sont les fils des martyrs de 93 et de 71 qui réparent pour leurs bourreaux.

Le cimetière de Picpus est comme le tombeau de la vieille France aristocratique et croyante. Les 1.300 martyrs de la Révolution 30r guillotinés à la place du trône reposent là. Ils appartiennent presque tous à l'aristocratie. C'étaient les Montmorency, les Rohan, les Noail­les, les Sombreuil, les Mouchy, de Maillé, de Boufflers, d'Ayen, de Cossé-Brissac, de Clermont-Tonnerre, de Grammont, de Damas, de Hautefort, de Caumont, de Broglie, Fénelon, etc.

Leurs familles ont racheté ce cimetière et ont obtenu le privilège d'y déposer leurs morts sous la Restauration. Là aussi reposent La Fayette, le prince de Salm, le général de Beauharnais, Lavoisier, André Chénier.

C'est là notre Westminster. C'est là notre vrai Panthéon, il n'est pas où reposent Voltaire, Rousseau et Victor Hugo.

Confirmation à Fourdrain. Prédication 30v.

Nous fêtons la St-Léon. C'est à Ham qu'a lieu la promenade. Nous visitons son château, beau spécimen de castel féodal du XIIIe siècle avec un donjon colossal du XVe. La châtellenie appartint successivement aux grandes familles de Vermandois, de Coucy, de Luxembourg et de Bourbon-Vendôme. Comme prison politique le château a eu des hôtes de tous les partis, entre autres, sous la Convention quelques gentilshom­mes émigrés capturés à Calais, MM. de Montmorency, de Choiseul, de Vibracé, etc; sous l'Empire des prêtres espagnols et des Vendéens; en 1830, le ministère Polignac. L'église Notre-Dame a une crypte superbe à trois nefs, due comme le château primitif à Odon IV de Vermandois au XIIIe siècle. - La fête n'a offert aucun incident fâcheux 31r.

C'est l'ordination à Reims. Je descends à la Maison Rouge. Jeanne d'Arc a logé là. J'aime à suivre ses traces partout et à la prier pour la France. - Nous avons quatre nouveaux prêtres21). Ce serait une grande grâce pour l'œuvre s'ils répondaient bien aux grâces de leur vocation.

Messes des nouveaux prêtres. Fête touchante à St-Clément. Le p. Martial est le premier élève de la maison qui soit arrivé au sacerdoce. Puisse la chère maison donner au Cœur de Jésus des milliers de prêtres vraiment réparateurs!

Voyage à Paillé pour négocier le transfert de la maison à Chef­Boutonne. je m'arrête à Poitiers. Quelle ville intéressante! Que de mo­numents et que de souvenirs! 31v Le bon abbé Bougouin22) me donne l'hospitalité au séminaire: édifice vénérable du XVIIe siècle, ancien car­mel avec de beaux cèdres dans ses cours. Je revois les principaux monu­ments de la ville que j'ai visitée déjà au temps heureux où Mgr Pie vivait encore23). Il reste une tour et une belle salle du XIVe siècle du palais des ducs d'Aquitaine. Le baptistère St Jean est un de nos rares édifices du VIe siècle en France. L'église a une nef superbe du XIIIe siècle. A Ste-­Radegonde j'aime à vénérer et à invoquer la sainte reine de Soissons.

L'abbé Bougouin me conte bien des intrigues de gens avides d'hon­neurs. Dieu me garde de ces folies 32r.

1er communion à St Jean. je n'ai pas encore vu nos enfants mieux disposés ni plus émus. Presque tous versent des larmes. Puissent-ils gar­der le trésor de grâces qu'ils reçoivent aujourd'hui.

Mgr me prie d'accepter la présidence des réunions d'études sociales à Soissons.

Confirmation au Verguier. Prédication. Il y a cavalcade, procession et assistance nombreuse. Malheureusement ce sont des coutumes locales plutôt que des actes de foi éclairée.

Réunion d'études à Soissons. Quelques laïques y prennent part: MM. Forzy, de Tassigny, Bertrand, Viéville. Très intéressant rapport de M. Jumeaux, curé de Courmelle, sur son syndicat.

Epreuves: dénonciations, calomnies. Jours de souffrances24). Le novi­ciat passe par une crise. Plusieurs 32v vocations se perdent. - Domi­ne, adjuva nos.

Distribution des prix, joyeuse et brillante25). La seizième année de St­-Jean est achevée. Il serait temps qu'un autre en prît la direction pour me laisser le loisir de diriger l'Œuvre et d'écrire. N.-S. manifestera sans doute bientôt sa volonté.

Réunion à Couvron chez Mme la Marquise de St-Chamans pour pré­parer un petit congrès des œuvres à N.-D.-de-Liesse. M. L'archiprêtre de Laon26) est là avec M. Littière, M. Médaille, M. le Marquis de la Tour du Pin27), M. le Marquis de Trétaigne, M. Paul de Hennezel. Ce monde là n'a pas encore compris les enseignements du Pape sur la situa­tion politique en France28). Il y a des préjugés et des traditions de famille qui empêchent de voir toute la vérité. 33r L'aristocratie comme insti­tution sociale est en France à l'agonie. Il faut lui substituer d'autres for­ces conservatrices et en particulier l'action de l'Eglise et les associations. Il est assez touchant de voir dans notre région l'élite de ce qui reste de cette caste chevaleresque et privilégiée travailler à organiser les forces qui doivent lui succéder.

Excursion à Villeschole. Une bonne vieille voulait voir le supérieur qui élève ses petits enfants. Ces vieilles familles de cultivateurs chrétiens ont un charme particulier. Les vieillards se croient encore au lendemain de la Révolution. Ils racontent des histoires de prêtres cachés, de pieux chrétiens persécutés. S'ils n'y étaient pas, leurs parents y étaient et le leur ont raconté. Les générations plus jeunes 33v ont quelque chose de bon et d'aimable, un reste des moeurs d'autrefois. C'est l'industrie qui a le plus contribué de notre temps à perdre les moeurs. Pour remon­ter le courant, il faut discipliner l'industrie par les œuvres et la baptiser.

Réunion des anciens élèves. Belle et bonne réunion de 40 jeunes gens. Le ton en est chrétien. St Jean a donc porté quelques bons fruits.

Voyage d'affaires. Je visite en chemin Bon-Secours, Courtrai et Valencien­nes.

A Bon Secours on a élevé un beau sanctuaire, depuis que j'y étais allé. C'est une église octogone qui rappelle par son plan et ses dispositions les édifices byzantins et carlovingiens. On prie bien là. J'irais encore volon­tiers à l'occasion y chercher le secours de Marie 34r.

Courtrai est une des rares villes de Belgique que je n'avais pas encore vues. C'est la vieille cité flamande, toute peuplée de tisserands et de marchands de toile. Son canal charrie des montagnes de lin récolté dans la plaine.

L'Hôtel de Ville, en style renaissance, est gracieux, il manque de hau­teur. L'intérieur est intéressant. En bas est la Salle des Echevins, en haut celle du Conseil. Les sculptures des cheminées et les fresques de la Salle des Echevins indiquent bien l'esprit des cités chrétiennes. Elles ont trois amours: Dieu, le roi et la commune. Pro Deo, rege et patria, ou bien encore: «Mon Dieu, mon roi, mon droit». A la Salle des Echevins, c'est Marie la Reine du ciel avec Jésus-enfant sur ses bras qui président. L'ar­chiduc Albert et sa femme sont 34v à ses côtés, avec les porte­bannières de la chevalerie de Courtrai. Les peintures, qui sont modernes et d'un bon coloris, redisent les gloires locales: St. Eloi bénissant la pre­mière pierre de l'église St-Martin; St. Amand; le comte Bauduin partant pour la Terre Sainte; le trouvère Dirk von Assenède, lisant son poème «Flore et Blanchefleur» devant la Comtesse Béatrix, dame de Cour­trai; la réunion des chefs de l'armée flamande avant la bataille des Epe­rons. - A la Salle du Conseil, c'est le Christ-Roi qui préside ayant à ses côtés Charles Quint et l'infante Isabelle. Une curieuse représentation des vertus et des vices complète l'ornementation de la cheminée.

L'église St-Martin a un de ces tabernacles isolés et pyramidaux qui té­moignent de la grande foi du Moyen- 35r âge à l'Eucharistie. Il est en pierre bleue et mesure 6m. 70 de hauteur. Il rappelle ceux de Nürem­berg et de Diest. L'église Notre-Dame, fondée par Baudouin IX a été achevée au XIIIe siècle. Elle possède un tableau magistral: l'Erection de la croix, par Van Dyck. Je voudrais le voir auprès de la Descente de croix de Rubens. Ces deux œuvres réunies manifesteraient la différence du genre des deux maîtres. Rubens est plus théatral, il a plus de fougue, de vie, de couleurs, de carnations. Van Dyck a plus d'expression, de fi­ni, de sobriété.

La chapelle des Comtes, attenant à l'église contient les tombeaux des Comtes de Flandre. Des fresques les rappellent.

Cette église a une délicieuse relique, c'est une mèche de beaux che­veux blonds du sauveur Jésus. C'est un 35v don sans doute de Bau­douin IX, et la cité en est fière. Le clergé me permit avec amabilité de vénérer la précieuse relique à mon aise et j'y éprouvai une joie profonde.

Hors de la ville, à la porte de Gand un petit oratoire rappelle le champ de bataille des Eperons où notre chevalerie française est allée se faire bat­tre par les milices bourgeoises des cités flamandes en 1302.

Je n'avais pas revu Valenciennes depuis plus de 30 ans. Elle a élevé depuis lors sa belle église de N.-D. du St-Cordon dans le style du XIIIe siècle. La Ste Vierge, dit la tradition, enveloppa la ville d'un cordon pro­tecteur dans un temps d'épidémie. Je la prie d'entourer aussi notre chè­re œuvre de sa protection.

Valenciennes a un bel hôtel de ville 36r du XVIIe siècle et un de nos meilleurs musées de province. Ce musée est riche en œuvres fran­çaises. C'est là qu'il faut étudier les Wateau et Carpeaux, qui sont loin d'être des maîtres chrétiens. Le chef-d'œuvre du musée est le grand triptyque de St-Etienne, par Rubens. C'est de la plus belle époque du maître: un des panneaux ne le cède pas pour le fini et pour l'effet à la Descente de croix d'Anvers. - Une petite toile de Brueghel-d'Enfer est toujours actuelle, c'est le travail dévoré par l'usure et l'usurier dévoré par le diable. L'ouvrier apporte ce qu'il possède en gage chez le juif qui, lui prend même son manteau en le tenant au col par les dents. Mais der­rière le juif est le diable qui lui pose les griffes sur les épaules et s'apprê­te à le dévorer. 36v Cette satire du XVIe siècle est encore pleine d'à-propos.

De Valenciennes, j'allai visiter ma famille à La Capelle et à Vervins. Je n'ai pas oublié la tombe de ma mère auprès de laquelle je trouve tou­jours du réconfort et de la consolation.

Epreuves et inquiétudes29). Le démon soulève contre nos œuvres un orage de critiques, d'accusations, de calomnies. Des défectuosités réelles y ont donné occasion. Je vais à Montmartre passer quelques heures le 22. J'y reçois des grâces bien sensibles de lumière, de force et de paix. Le Cœur de Jésus est toujours miséricordieux, il veut l'être particulière­ment dans ce sanctuaire.

Réunion du Chapitre général et retraite à Fourdrain. Elections. Le démon essaie de semer d'abord 37r la division, puis le calme se fait et la retraite est excellente. Le bon p. André nous expose bien la pratique de la vie d'amour30). Je prends des résolutions qui me seront de grandes sources de grâces si j'y suis fidèle: modestie toujours plus délicate, vigi­lance et fermeté pour mes devoirs d'état, mortification fréquente et sur­tout fidélité à mon voeu privé d'amour et de sacrifice. Je prie la très sain­te Vierge de m'aider.

Voyage à Paris pour négocier l'entrée de nos scolastiques à Issy. Je trouve à Issy un accueil aimable et hospitalier. Le supérieur, M. Monta­gny, me fait visiter la maison. L'établissement se reconstruit, il sera fort beau. La vieille chapelle n'a pas de style ni d'ornements. On dirait 37v une salle de manège, poussiéreuse et négligée. Cela m'étonne de la part des Sulpiciens. On espère la reconstruire, elle le mérite. - J'ai vu quelques instants M. Icard31), le ven. supérieur général, qui a, je crois, 86 printemps. Il est toujours vert, austère et rigoureux. On me dit que la compagnie de St-Sulpice compte 180 prêtres. Nos jeunes gens seront bien là pour les études et la piété. - Le soir du 18, j'embarquais notre jeune frère François d'Assise32) à la gare d'Orléans pour Chef­Boutonne. Le 19 messe à Montmartre. Que de choses j'ai à dire au S.-Cœur de Jésus: actions de grâces, prières, résolutions! - Visite à Auteuil, à l'œuvre de l'abbé Roussel. Il y a là de bons éléments, mais ce pauvre abbé a besoin d'être aidé, d'être soutenu. Il lui faut 38r le con­cours d'une Congrégation. J'ai pitié de lui.

Le placement de nos sujets est particulièrement difficile cette année. Nous avons trop de maisons pour notre nombre. Qui mettre à Oulchy, à Soissons, à Marsanne, à Rome? Je suis tenté de me tourmenter. Cepen­dant, il faut s'en rapporter à la Providence, faire pour le mieux avec l'ai­de du conseil et laisser agir Notre Seigneur.

Enterrement d'un de mes bons petits élèves, Georges Loiseaux, à Hesbecourt. Je rencontre là de bonnes familles, les Sauvé, les Debail, les Séverin et d'autres. C'est notre monde. Toutes ces familles chrétiennes forment la cité de Dieu dans ce pays, mais hélas! l'autre cité est plus nombreuse.

Rentrée à St Jean. Il y a 30 nouveaux. 38v Les partants sont plus nombreux. Plusieurs causes nous nuisent: nos imperfections d'abord, l'étroitesse de nos locaux, la situation pénible de la culture et de l'in­dustrie, la concurrence de plusieurs établissements qui sont en faveur: Laon à cause de ses belles proportions, Amiens à cause du genre aristo­cratique, l'école professionnelle à cause de son utilité pratique.

J'apprends la mort d'un de nos amis, M. l'abbé Sadot33), qui était une petite victime bien chère au Cœur de Jésus. Il nous aidera au ciel. C'est une grande perte pour l'œuvre de la Revue. Il en était la cheville ouvriè­re. Il a été apôtre par une longue vie de souffrances et d'anéantissement et aussi par sa plume. Son livre sur le Renouvellement de la vie chrétien­ne, ses brochures sur le Prêtre 39r et sur la Pénitence ont été des mes­sagers de grâces pour bien des âmes.

Départ pour ma retraite. Réunion diocésaine à N.-D.-de-Liesse. Je suis heureux d'y célébrer la sainte messe pour mettre ma retraite sous les auspices de la très sainte Vierge. J'y lis un travail sur l'utilité des Etudes sociales. Ces réunions font un peu de bien, mais trop peu encore et trop lentement.

Ma retraite à Braisne

Notes sur un cahier spécial.

1893

C'est sous les auspices de la Bse Marguerite-Marie, au jour de sa fête que je suis parti pour ma retraite.

Je suis allé là recommander à N.D. de Liesse en célébrant la S.te Mes­se en son sanctuaire, à l'autel du S.-Cœur de Jésus.

C'est à Braisne que je vais passer ce mois béni. Je suis ici auprès d'un sanctuaire témoin d'un grand miracle et de fêtes eucharistiques séculai­res. La très sainte Vierge y est honorée, avec St. Yved34) et Ste Victorice.

Le petit sanctuaire de l'Abbatiale est dédié au S.-Cœur, à Marie, rei­ne immaculée, et à St. Joseph. Des Saints que j'ai toujours aimés 2 tendrement y sont aussi honorés: St. Ignace, St. François Xavier, St. Louis de Gonzague et St. Stanislas. Ils m'aideront.

18 – 1ère méd. Dispositions pour la retraite:

joie, solitude, prière mortification, humilité, don complet de soi­-même, amour de N.-S.

Quelle grande grâce est pour moi cette retraite! J'allais à ma perdi­tion. Je suis devenu une terre desséchée. In terra déserta et invia et inaquosa (Ps 62, 3) N.-S. me relèvera: Me suscepit dextera tua (Ps 17,36 - 62,9).

J'ai besoin de grandes grâces et pour ma propre sanctification et pour ma mission de supérieur.

2ème méditation. Dieu et moi. Creatus est homo ad Nunc finem ut Dominum Deum suum laudet...

Dieu ne pouvait pas avoir une autre fin 3.

Les fruits de l'arbre sont pour celui qui l'a planté et à qui il appar­tient. Toutes les créatures ont pour but la gloire de Dieu et sa louange. Si je ne le loue pas sur la terre, je serai contraint de louer sa justice en en­fer, et de dire éternellement: Justus es, Domine, et rectum judicium tuum (Ps 118,137). Ai-je vraiment loué Dieu dans mes oraisons, mon office, dans mes actions, mes conversations?…

Je reconnais humblement mes fautes. Mes prières elles-mêmes étaient une louange bien imparfaite. Je ne faisais pas louer Dieu par ma mo­destie, par ma vigilance. Parce Domine! (Joel 2,17).

Louer Dieu, lui faire plaisir, être de ses amis: que cela est bon!

La Ste Trinité habite en nous. Unissons nos louanges à celles qu'elle s'adresse à elle-même 3 bis.

1er méd. Révérer et servir Dieu.

Ipsefecit nos et non ipsi nos (Ps 99,3). L'impie s'écrie: Quis noster Dominus est? (Ps XI,4). Nous le faisons souvent pratiquement. Beati immaculati in via qui ambulant in lege Domini (Ps 118,1). Le seul bonheur est là. Domine, quid me vis facere? (Act IX, 6). Doce me facere voluntatem tuam (Ps 142, 10). Si nous voulons, nous devenons les amis de Dieu, en le servant avec res­pect et avec amour. Amicus autem Dei esse si voluero, ecce nunc fio (S. Aug, Conf. 1. VIII, c 6). Et par là, je sauve mon âme. Notum fac mihi, Domine, finem meum, ut sciam quid desit mihi (Ps 38,5).

Pour moi, j'ai un double devoir: servir Dieu, le faire servir. Le servir avec amour comme St. Jean. Le faire servir par les autres. Leur prêcher l'obéissance par amour, comme faisait St. Pierre. Animas vestras castifican­tes in obedientia charitatis (1 Pet 1,22), Veiller à ce qu'ils 3 ter observent la Règle, l'obéissance, la pauvreté. Pour moi, éviter les distractions, la sensualité, les affections naturelles. Me réserver le temps pour mes exer­cices et pour la direction des autres.

Fin spéciale. Aimer le S.-Cœur de Jésus, le consoler, le faire aimer (no­te: possibilité d'adapter les exercices de St-Ignace plus spécialement à notre œuvre, d'en faire nos exercices, en y accentuant la note de l'amour du S.-Cœur et de la réparation tant dans les méditations que dans les annotations, prières, etc).

2ème méditation. Usage des créatures.

Celles qui sont belles et utiles nous invitent à louer et à remercier Dieu. Celles qui sont pénibles et invisibles nous servent d'épreuves et d'expiations.

Usage spécial: toutes doivent nous aider à l'amour et à la réparation. Elles nous disent la bonté du Sauveur, ou bien elles 4 nous servent de moyens d'expiation et d'immolation.

Tout vient de Dieu. Quant aux événements qui dépendent de la libre volonté des hommes, Dieu les permet; et quand ils sont arrivés, il veut que je m'en serve pour sa gloire et son amour.

Les créatures sont pour l'homme et non l'homme pour les créatures. Il est leur maître, non leur esclave.

je recevrai tout comme de la main de Dieu. je verrai tout venir de Dieu. je me soumettrai à sa volonté sainte avec résignation et je compte­rai sur sa bonté avec une pleine et entière confiance.

Tout mène à Dieu. Les créatures inanimées ne peuvent par elles­mêmes louer Dieu. C'est l'homme, roi et pontife de la création qui est chargé de ce devoir. Il le fait par la contemplation des créatures qui lui disent la sagesse et 5 la bonté de Dieu; par l'usage qu'il en fait pour son utilité, pour sa récréation, pour son mérite et sa purification, si elles lui apportent la souffrance; par la privation, en s'abstenant des choses agréables par les vertus de tempérance et de mortification.

Comment dois-je me servir des créatures? Quand la volonté de Dieu est manifestée par les Règles ou par la Providence et les événements, c'est facile. Quand le choix m'est laissé, je dois examiner ce qui servira le mieux les intérêts Divins…

O mon Sauveur, faites que je ne me serve plus des créatures que pour consoler votre Cœur, pour avancer dans votre amour, pour m'immoler et me sacrifier à votre gloire.

3ème méditation. Sur les exercices de piété.

Cette méditation m'affectionne davantage à nos exercices de piété. Comme il est bon de faire sa demeure dans 6 le Cœur de Jésus, de tout faire pour son amour et pour sa consolation! Il présentera nos ac­tions à son Père. Il effacera et réparera ce qu'elles ont de défectueux. Portons dans ce Cœur adorable nos joies et nos amertumes, nos crain­tes, nos besoins et nos fautes elles-mêmes. Nous y trouverons le remède à nos maux, la force en nos faiblesses, et notre refuge dans toutes nos ne­cessites.

Je m'appliquerai mieux à nos exercices et j'y porterai les autres. je re­nouvelle mon pacte'd'amour avec Notre-Seigneur.

4ème méditation. Sur l’abandon ou l’indifférence.

Les créatures ne sont qu'un moyen pour servir Dieu. Qu'importe le moyen, si la fin est obtenue?

St. Ignace nous présente les créatures ou les circonstances les plus op­posées: 7 la santé et la maladie, la richesse et la pauvreté, l'honneur et le mépris. Qu'importe ce que Dieu m'envoie! Il est le maître et tout peut servir à ma sanctification.

Ce n'est pas l'apathie des gens inertes, ni l'indifférence orgueilleuse des stoiciens qui nous est demandée. C'est l'abandon par amour. «Sei­gneur, demandez de moi ce que vous voudrez, je le ferai, parce que je vous aime». Cet abandon par amour doit être surtout la grâce spéciale des âmes vouées au S.-Cœur. D'autres auront plus directement en vue leur salut. Nous ne voulons que le bon plaisir de Notre-Seigneur et sa consolation.

Quand la passion parle, si nous la faisons taire pour n'écouter que la voix de la grâce, c'est que nous avons la vraie liberté du cœur 8. Que nous importe un chemin semé de roses, s'il ne conduit pas à la patrie? L'âme qui manque d'indifférence et de liberté est facilement en­trainée par le démon. Il la séduit par ses côtés faibles. Cette âme n'est ja­mais dans la paix. Elle est toujours troublée par ses désirs et par ses craintes.

Le monde a pour devises: quid hoc ad honorem, ad divitias, ad voluptates. Disons: quid hoc ad aeternitatem, ad gloriam Dei, ad consolationem Cordis Jesu? Veillons sur notre cœur: il s'attache si facilement! Gardons-le libre, indépendant, attaché à Dieu seul.

1ère méditation. Sur le salut.

Révision de la méditation fondamentale.

Le salut: affaire nécessaire, affaire personnelle. Incertitude du salut 9.

C'est au pied de la Croix que j'aime à méditer sur le salut.

O mon Sauveur, vous avez désiré mon salut jusqu'à mourir pour me le procurer. Tant de peine sera-t-elle perdue?

«Quaerens me sedisti lassus, redemisti crucem passus, tantus labor non sit cas­sus» (Dies Irae).

Vos craintes et vos angoisses à Gethsémani, ô mon Sauveur, avaient pour objet mon salut. Voudrais-je les justifier?

Le salut de bien des âmes m'est confié; si je les perds, sauverai-je la mienne?

2ème méditation. Le triple péché.

Moi aussi j'ai péché souvent et peut-être gravement. Où serais-je si Dieu m'avait abandonné? Je serais où sont Lucifer, judas, Luther et tant d'autres. Mon Sauveur a eu pitié de moi. Il demande mon repentir et m'offre son pardon, comme il l'a offert à Madeleine, à Pierre, 10 à Augustin.

J'éprouve de la honte et de la confusion, mais cela ne suffit pas. En ce­la encore il se mêle de l'amour-propre et de l'orgueil. Ce que je désire davantage, c'est le regret de mes fautes, le regret de mon ingratitude et de la tristesse que j'ai causée à Notre-Seigneur; c'est la reconnaissance pour Notre-Seigneur qui a été si patient, si miséricordieux, si généreux, si bon. Misericordiae Domini, quia non sumus consumpti (Thren 3,22).

Nos premiers parents voient bientôt ce que c'est que la mort dans leur fils ainé Caïn. C'est un héritage nécessaire qu'ils lègueront à tous leurs enfants, avec le péché originel et la triple concupiscence.

Je puis voir aussi les funestes effets du péché dans le crucifiement du Sauveur.

Honte, regrets, résolutions, reconnaissance 11.

J'ai surtout regret de mes attaches naturelles et de mes négligences d'administration qui blessent Jésus au Cœur et empêchent son œuvre. O mon Jésus, je me jette à vos pieds avec Madeleine, avec Pierre et Augustin, pardonnez moi.

3ème méditation. De la tiédeur.

«Ce qui m'est le plus sensible, c'est qu'il y a des âmes consacrées qui me montrent de la froideur et de l'indifférence…» Utinam frigidus aut ca­lidus esses… (Apoc 3,15).

Ce sont les péchés véniels habituels qui amènent la tiédeur. Ils vien­nent ordinairement du défaut dominant. Un religieux se laisse absorber par les œuvres, par la fatigue. Il n'a plus de ressort, il cherche consola­tion et repos auprès des créatures, il tombe dans la tiédeur.

Le péché véniel conduit à tous les 12 excès, témoin la curiosité d'Eve, celle de David, l'amour de l'argent chez judas. Dieu le punit par­fois rigoureusement, comme chez Marie soeur de Moïse, frappée de la lèpre pour un manque d'égards envers son frère; chez David, puni de sa vanité dans le recensement du peuple.

Je dois m'armer de nouveau contre mon péché dominant pendant la retraite, par amour pour le Cœur de Jésus, pour faire enfin son œuvre. O mon Sauveur, donnez moi donc la grâce de vous procurer une mai­son de vraie adoration réparatrice, une Bethanie, où vous serez aimé, consolé et servi avec délicatesse!

4ème méditation. L’enfer.

Faire un acte de foi pratique à l'enfer. Se le représenter devant nous, peuplé de millions de démons et de millions de damnés 13.

Supplice du feu: Notre-Seigneur l'a prêché plusieurs fois.

Supplice des sens. Entendre les démons blasphémer contre le Christ, contre Marie. «Tu n'as pas vaincu, ô Galiléen, tu as souffert en vain…» «Tu n'as pas écrasé notre tête, o Marie, tu n'as pas su nous en­lever ces âmes» etc. On peut se représenter les démons déchirant le corps des damnés comme les persécuteurs ont fait aux martyrs. Les schismatiques moscovites taillèrent au B. André Bobola une chasuble de chair sur son dos, une tonsure de chaire sur sa tête…

Supplice de l'âme. Elle est abandonnée, orpheline. Dieu n'est plus son père, Jésus n'est plus son frère. Marie n'est plus sa mère, son ange gardien ne la connaît plus. Les saints et les justes en détournent 14 leur regard et leur pensée. Plus rien que les démons.

Et c'est pour toujours.

Ste Thérèse regardait comme la plus grande grâce de sa vie la vision de l'enfer où ses fautes légères devaient peu à peu la conduire si elle ne s'était pas corrigée.

Craignons, mais ne nous décourageons jamais. St. Chrysostome di­sait que la plupart des damnés se sont perdus par le découragement, par l'abattement (moerore).

Notre-Seigneur dit: De maledicti in ignem aeternum, (Mat 25,41). Il fait dire au mauvais riche: ecce crucior in hac flamma (Luc 16,24). (V. aussi Apoc. XX).

Je puis y tomber encore. Une seule passion mal-combattue peut m'y conduire. Vigilate et orate (Mat 26,41 - Marc 14,38).

Je ne saurai bien que plus tard, 15 ô mon Sauveur, tout ce que vous avez fait pour me faire éviter l'enfer.

Vous m'avez averti par des épreuves, par des humiliations. Vous êtes intervenu de plusieurs manières…

Oh! merci! merci! Je vous dirai éternellement merci, si, comme je l'espère, vous me préservez de l'enfer.

1ère méditation. Mes propres péchés.

Recogitabo omnes annos meos in amaritudine animae meae. Corripies me et vivi-ficabis me (Isaie 38,15). Le nombre de mes péchés. L'énormité de mes pé­chés. Qui suis-je devant Dieu et comment Dieu m'a-t-il supporté?

Les péchés de mon enfance: tantillus puer et tantus peccator (S. Aug.). Ai­je gardé le trésor précieux de mon baptême? Que de fautes n'ai-je pas accumulées les unes sur les autres!

Après ma lère communion, que de fautes encore: 16 orgueil, gour­mandise, sensualité, paresse…

Et cependant j'étais comblé des bienfaits de Dieu. Quelle ingratitude! que de révoltes, de résistances à la volonté de Dieu…

Qui suis-je? Il y a peu de temps que je suis sur la terre et j'y serai vite oublié. En face de l'ensemble des créatures, je suis comme une goutte d'eau dans l'océan: en face de Dieu comme une poussière, un peu de boue. Et mon âme, elle est belle par sa nature, mais défigurée et rendue hideuse par le péché.

Comment Dieu m'a-t-il supporté?

2ème méditation. La mort.

Qu'est-ce que mourir? pour le corps? pour l'âme?

Certitudes de la mort: 1° je mourrai; 2° je mourrai bientôt; 3° de ma mort dépend mon éternité.

Incertitudes de la mort: quand mourrai-je? Comment mourrai-je? 17. Estote parati (Luc 12,40). Belle prière de Ste Gertrude (Dom Guéran­ger).

Colloques: avec St. Joseph, patron de la bonne mort. Avec Marie, mère de miséricorde, N.-D. du suffrage. Avec N.-S. mourant sur la Croix. Demandons-lui la grâce de pouvoir dire, avec confiance comme lui: In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum (Ps 30,6 - Luc 23,46). Confér. Du discernement des esprits.

Résumé: 1re règle. Pour les âmes en état de péché, le démon les amu­se, les distrait et les tient dans le calme. La grâce les trouble, les met dans la crainte de la mort et de l'éternité.

2e règle. Pour les âmes de bonne volonté au contraire, le démon les trouble, les décourage, les attriste, les déroute. La grâce les tient calmes, paisibles, humbles, fidèles, généreuses.

3e règle. La consolation spirituelle doit être dans l'esprit et la volonté 18 plutôt que dans les sens. Elle porte aux choses célestes, elle développe la foi, la confiance, l'amour. Elle pacifie l'âme et l'aide à avancer.

4e règle. La désolation spirituelle ou sécheresse peut être une punition de la tiédeur, ou une épreuve, ou une leçon par laquelle Dieu nous mon­tre notre néant. Pendant la désolation, il faut être fidèles à nos exercices et à nos résolutions, nous y cramponner et attendre l'heure de Dieu.

5e règle. Le démon recule si nous sommes fermes. Comme un chien enchaîné, il ne peut rien, si nous nous tenons loin de lui (St. Aug.). Il s'enfuit, s'il est découvert, et si nous nous ouvrons de nos tentations.

6e règle. Le démon scrute nos côtés faibles, nos tendances, nos dé­fauts. Il s'y prend de loin, attend l'heure 19 favorable et entre par ces brèches. C'est à nous de bien combattre nos défauts, particulièrement par l'examen quotidien.

4ème meditation. Répétition sur la tiédeur et préparation à la mort.

La tiédeur conduit à la mort. Lazarus erat languens (Joan 11,1). La lan­gueur conduit à la maladie: infirmatur; et la maladie à la mort: mortuus est (Bourdaloue). C'est ainsi que dans la vie religieuse, la tiédeur, l'attache à un péché véniel: tel que paresse au lever, lecture défendue, usage d'ar­gent, de tabac, sensualité, etc. conduit à des fautes graves et même à la perte de la vocation.

La tiédeur a deux éléments, l'un positif: commettre fréquemment et par habitude le péché véniel, l'autre négatif: faire avec négligence et sans goût ses exercices, ne pas 20 s'appliquer à la vie intérieure, à la pré­sence de Dieu, aux conseils de perfection.

La tiédeur est d'autant plus dangereuse qu'elle s'ignore elle-même: dices quia dives sum et nescis quia tu es miser… (Apoc 3,17); et qu'elle paraly­se les moyens de relèvement parce qu'elle fait mal les exercices de piété et les œuvres les plus saintes: maledictus qui facit opus Dei negligenter. St. Bernard. Multa facilius reperies multos saeculares converti ad bonum quant unum quempiam de Religions transire ad melius (ep. 76 ad Rich.).

Moyens: reconnaître le mal, vouloir en sortir, agir. Faire ce qu'on fai­sait dans la ferveur: prima opera fac (Apoc 11,5). Prier surtout: suadeo tibi emere a me aurum probatum ut locuples fias et vestimentis albis 21 induaris… (Apoc 3,18) Ego quos amo, arguo et collyrio inunge oculos tuos ut videas (Apoc 3,18-19) et castigo. Aemulare ergo et paenitentiam age (Apoc 3,19). Le collyre, c'est la méditation, la retraite. Il y faut joindre la pénitence et l'accepta­tion des épreuves. Mais Jésus est là pour nous rendre son amitié, ses consolations et le partage de sa gloire. Ecce sto ad ostium et pulso: si quis au­dierit vocem meam et aperuerit mihi januam, intrabo ad illum, et caenabo cum illo et ipse mecum. Qui vicerit, dabo ei sedere mecum in throno meo… (Apoc 3, 20-21). Relevez moi, Seigneur, de la tiédeur qui m'accable et ne m'y laissez plus tomber.

Me préparer à la mort par une vie sainte, par des journées saintes où tous les exercices sont faits avec 22 ferveur et selon mes règles. Me dé­tacher de toute affection déréglée.

Exemples de mort précieuse: St. Martin, St. Ambroise, St. Jerome, St. Augustin, St. Laurent Justinien…

Accordez-moi, ô mon Dieu, la grâce d'une bonne mort. Que je meure comme St. Joseph entre les bras de Jésus et de Marie et dans leur amour. Que je meure comme Marie dans l'ardeur du pur amour et brû­lant du désir de me réunir à mon bienaimé Sauveur. Que je meure com­me Jésus, victime d'amour pour son divin Père et pour le salut des âmes!

1ère méditation. Le jugement dernier.

Quelle journée! et quel spectacle! C'est le jour de la colère de Dieu. Dies illa, dies irae. Dies magna et amara valde. C'est pour toujours 23 que ces corps ressuscitent, les uns dans la gloire, les autres dans les supplices.

Omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur (1 Cor XV, 51). On ne se moque pas de Dieu. L'homme ne recueillera, dans l'éternité que ce qu'il aura semé, dans le temps. Celui qui sème dans la chair, recueillera dans la chair la corruption de la mort; celui qui sème dans l'esprit, re­cueillera de l'esprit la vie éternelle. Deus non irridetur. Quae seminaverit ho­mo, haec metet. Qui seminat in carne sua de carne metet corruptionem. Qui seminat in spiritu, de spiritu metet vitam aeternam (Gal 6,7-9). Comme le sort des uns et des autres sera différent! Et videbitis quid sit interj. justum et impium, inter servientem Deo et non servientem (Malachie, III 18).

La séparation se fera spontanément 24. Ceux dont le principal amour aura été pour Jésus, pour Marie, pour les Saints et les justes, chercheront à droite l'objet de leur amour. Ceux qui auront trahi Jésus et obéi à leurs passions chercheront encore l'objet de ces passions et ne trouveront que la chair corrompue et la compagnie des démons et des damnés.

Alors apparaîtra la croix: tunc parebit signum Filii hominis (Mat 24,30). Et ceux qui l'auront aimée pousseront un cri de joie. O crux ave spes unica. Ceux qui l'auront fuie sur la terre pousseront un cri de terreur: tunc plangent omnes tribus terme (Mat XXIV, 30).

Alors le Sauveur viendra dans sa majesté. Et les consciences seront ouvertes. Et libri aperti sunt (Dan 7,10). Et judicati sunt mortui ex his quae 25 scripta erant in libris, secundum opera ipsorum (Apoc XX, 12).

Là tout sera manifesté. Non seulement les péchés, mais encore les gra­ces reçues et méprisées, les prédilections divines foulées aux pieds, les charges d'âmes négligées, les appels à la perfection non suivis.

Ce sera la glorification des justes, la confusion des pécheurs et la justifica­tion de la Divine providence. Les élus reconnaîtront tout ce que Dieu a fait pour eux et s'écrieront: Misericordias Domini in aeternum cantabo (Ps 8,2). Les réprouvés reconnaîtront qu'ils sont les auteurs de leur damation par leur mille résistances à Dieu. Ils s'écrieront: c'est par notre faute que nous nous sommes perdus: Ideo erravimus a via veritatis (Sap V. 6.). Dans l'excès de leur honte, ils profereront ces imprécations: Montagnes tombez sur nous, colli­nes couvrez nous (Luc XXIII, 30) 26. Alors viendra la sentence puis son exécution. Tremens factus sum ego et timeo. O Marie, j'ai recours à vous. Je crains, convertissez-moi. Sauvez-moi. Rendez-moi fidèle à mon Sauveur, à ses grandes grâces, à ses prédilections.

2ème méditation. Le jugement particulier.

C'est auprès de notre lit de mort que se fera ce jugement. Le démon sera là pour réclamer ses droits. Notre bon ange sera là pour nous défen­dre. Vous me demanderez un compte sévère, o mon Dieu. Rex tremendae majestatis, … juste Judex ultionis, donum fac remissionis ante Diem rationis - Redde rationem (Luc 16,2).

Je crains. Ingemisco tanquam reus. «Culpa rubet vultus meus. Je rougis; que dirai-je? quid sum miser tunc dicturus? Le juge est si sévère que les justes devant lui sont à peine en sûreté, 27 cum vix justes sit securus. Les accusa­teurs: le démon. Il énumérera mes fautes, mes omissions… Nolite locum da­re diabolo (Eph IV. 27). Mon bon ange me reprochera ses conseils mépri­sés, ses regards souillés.. Observa eum, et audi vocem ejus nec contemnendum pu­tes, quia non dimittet cum peccaveris (Exod XXIII. 21). Les anges gardiens de mes frères me reprocheront mes scandales et les âmes perdues, et ils de­manderont vengeance: Exurge Deus, Judica causam tuam (Ps 73, 22).

Examen complet… examen sévère. In Die illo, scrutabor Jerusalem in lu­cernis (Sophon 1.12). Mes illusions tomberont. Peut-être ce que je crois léger est-il grave.

Conclusion. Il est encore temps de choisir. Optio vobis datur. Eligite hodie quid vobis placet, cui servire debeatis (Jos 24, 15), je ferai d'abord pénitence. Facile ergo fructus dignos penitentiae (Luc III, 8). Je me défierai de la voie lar­ge quae 28 ducit ad perditionem (Mat 7,13). J'entrerai par la porte étroite (Mat VII, 13) et je marcherai avec le petit nombre dans la sainteté et la justice tous les jours de ma vie sous le regard de mon Dieu (Luc 1, 75).

Colloque: O bon Jésus, souvenez-vous que c'est pour moi que vous êtes venu sur la terre…

Recordare, Jesu pie, quod sum causa tuae viae: ne me perdas illa die. Quaerens me sedisti lassas: redemisti crucem passus. Cantus labor non sit cassas! Que tant de travaux ne soient pas perdus!

3ème méditation. Additions et annotations sur la prière et la pénitence.

S. Ignace propose trois manières de prier qui sont des méthodes faci­les d'oraison. Chacune d'elles peut nous occuper une heure entière. Il faut toujours commencer par un moment de calme et de réflexion sur ce que je vais faire, pour ne pas passer brusquement 29 des occupations profanes à l'oraison. Il faut aussi toujours une petite prière préparatoire pour demander le fruit de l'oraison.

Le premier mode est un examen sur les dix commandements, les pé­chés capitaux, les puissances de l'âme et les sens. Trois ou quatre minu­tes sur chaque précepte suffisent pour l'examen et le repentir.

Le second mode consiste à développer et goûter chaque parole d'une prière vocale: Pater, Ave, Credo, Anima Christi, Salve Regina, etc.; en s'aidant des sens divers des mots, des comparaisons, des impressions qu'ils nous suggèrent.

Le troisième mode est plus simple encore. Il consiste à réciter lente­ment et en faisant une pause après chaque expression les mêmes prières vocales.

Tous ces moyens me seront bons, pourvu que je vous aime, ô mon Jésus 30.

De la pénitence. L'intérieure est la principale. Elle consiste dans le re­gret, la douleur de mes péchés. Il y faut joindre la mortification de l'ima­gination, le recueillement, la pureté du cœur, des affections.

La pénitence extérieure regarde la nourriture, le sommeil et les instru­ments de pénitence, tels que la discipline, les cilices, etc.

Hoc faciendum et illud non omittendum.

J'accepterai les croix que la Providence m'envoie. Je l'ai promis. C'est une conséquence de ma vocation d'immolation.

4ème méditation. Le purgatoire.

Ses peines, rigoureuses, longues et variées me disent toute la justice et la sainteté de Dieu et toute l'horreur que mérite le péché même véniel. Les Saints eux-mêmes redoutaient le purgatoire. Ex(emples:) Ste Chaterine, St. Hilarion, St. Cyprien, Ste Monique, St. Louis roi, St. Charles Borromée s'assuraient de suffrages après leur mort. Ste Vitaline Vierge apparut à St. Martin pour lui dire qu'elle était en purgatoire. St. Séverin, ev. de Cologne manifesta qu'il était en purgatoire pour avoir récité sans dévotion ses heures canoniales, étant distrait par les occupa­tions de la cour. «Non intrabit in coelum aliquid coinquinatum» (Apoc 21,27).

Peine du sens. Eodem igne torquetur damnatus et purgatur electus. St. Aug. et St. Thomas. Gravior est ille ignis quam quidquid potest homo pati in hac vita (St. Aug. in psal. 37). Illum ignem omni tribulatione praesenti existima intolerabi­liorem (St. Greg. in ps. 3 poenit. - Item St. Anselme 1. Cor III - St. Bernard Lerin. de obit. Humber). - St. Thomas ajoute que la moindre peine du purgatoire surpasse en intensité la plus grande de 32 cette vie. Minima purgatorii poena excedit maximam hujus vitae (In 4 dist. XXI q.1 a 2).

Ces souffrances peuvent être bien complexes. L'âme peut souffrir en purgatoire pour des milliers de fautes qu'elle a détestées mais qu'elle n'a pas expiées.

La durée des peines est inégale. Quelques âmes resteront au purgatoire jusqu'à la fin du monde (Bellarmin lib. 2 de purg. cap. 9). L'Eglise confir­me cette doctrine en approuvant les fondations de messes à perpétuité.

Conclusion. Je redouterai extrêmement la justice de Dieu. Je veillerai sur moi. J'aiderai les âmes du purgatoire, spécialement par l'acte d'abandon que je fais tous les matins.

1ère méd. La chute de St. Pierre

Cette méditation a pour moi une grâce spéciale. J'ai péché comme St. Pierre par faiblesse et par négligence 33. Pierre oublie le Sauveur pour s'entretenir avec des serviteurs. Il n'est pas uni à Marie comme St. Jean. Il est tiède. Il succombe.

Averti par le regard du Sauveur, il reprend confiance. Il répare, il ma­nifeste son amour. Toutes les grâces lui sont rendues. Il confirme ses frè­res. Moi aussi je veux avoir confiance dans la miséricorde du Sauveur.

Je me jette à ses pieds et j'espère son pardon. Je veux désormais lui manifester mon amour par ma fidelité et ma ferveur dans la prière, dans l'adoration, dans l'oraison, dans la vigilance et dans toutes les fonctions de ma charge.

O mon Sauveur, pardonnez moi, ne me laissez plus tomber. Donnez­moi la grâce de vous prouver mon amour et de confirmer mes frères 34.

2ème méditation. La miséricorde de Notre-Seigneur.

Je demande à Dieu une connaissance intime et profonde du Cœur de Jésus, et une confiance entière dans cette miséricorde, non seulement pour le passé, espérant de sa bonté le pardon de mes fautes, mais encore pour l'avenir, comptant sur son secours pour ne plus retomber.

La miséricorde infinie du Cœur de Jésus prévient le pécheur et le cher­che dans ses égarements. Jésus nous l'explique dans les paraboles du Bon Pasteur et de la drachme perdue. Il la pratique en allant aux pécheurs (Mat 9-13 - etc.), en gagnant le cœur de Zachée, de Mathieu, de la Sa­maritaine, de la Madeleine, etc. La miséricorde du cœur de Jésus accueille le pécheur. Jésus l'explique dans la parabole de l'enfant prodigue. Il la pratique en accueillant Zachée, Mathieu, Madeleine, Pierre après son re­niement, Thomas après ses doutes, les apôtres après leur fuite.

La miséricorde du Cœur de Jésus oublie le 35 péché. Que de grâces Jésus a données à Madeleine! Il a rendu à St. Pierre toutes ses prérogati­ves, aux apôtres leur mission. Il a fait de St. Paul un vase de prédilec­tion, etc… Spero, Domine, adauge spem meam.

3ème méditation. Les causes de nos rechutes.

Nous ne détestons pas assez le péché. Nous ne nous défions pas assez de nos mauvaises inclinations, ni de l'esprit du monde.

La retraite doit nous donner la haine du péché. Les méditations sur les grandes vérités et sur la Passion de N.-S. nous disent assez ses désordres et ses conséquences.

Je demande au Cœur de Jésus par Marie la grâce de comprendre la laideur du péché et de le détester du fond du cœur.

Je connais mes mauvaises inclinations. Il y en a deux ou trois que le démon exploite pour me faire tomber dans le péché: les affections natu­relles, la sensualité, la faiblesse de volonté, le désir de contenter 36 tout le monde. Pour vaincre ces tendances déréglées, je dois:

1° être plus as­sidu et plus recueilli à la prière: Petite et accipietis (Joan 16,24).

2° veiller habituellement sur moi-même, ut non intrem in tentationem (Luc 22, 40).

3° Renoncer à moi-même, c'est à dire à ces deux ou trois penchants et faire le contraire de ce qu'ils réclament sans cesse.

O mon Divin Maître, donnez-moi le courage et la constance dans l'emploi de ces moyens.

Enfin je dois me défier de l'esprit du monde et de l'influence qu'il a même dans les communautés. Je dois être prêtre et religieux partout et toujours et particulièrement dans mes conversations avec les personnes du monde.

4ème méditation. Madeleine aux pieds de Jésus.

Conversion, confession. Madeleine a été persuadée par la parole de Jésus et touchée par sa bonté. Elle n'hésite pas. Elle va sans respect hu­main se 37 jeter aux pieds de Jésus. Elle n'a pas besoin de dire ses pé­chés, Jésus les connaît. Déjà elle répare en faisant servir à sa pénitence les instruments de ses péchés, ses yeux, ses cheveux, ses lèvres, ses par­fums (Rom VI. 19). Elle sent qu'elle est pardonnée, car Jésus l'accueille et prend sa défense. Elle est brûlante d'amour et de reconnaissance. Jé­sus la renvoie en paix. La paix du cœur est le fruit de la pénitence. Ma­deleine restera humble et reconnaissante. Nous la retrouverons aux­pieds de Jésus chez elle, au calvaire, à la résurrection.

Je fais ce soir ma confession générale et je termine la Première Semai­ne des Exercices. Je me jette aux pieds de mon Sauveur avec Madeleine. Je lui redis toutes mes fautes et toute mes ingratitudes.

Trois fois surtout dans ma vie sacerdotale j'ai faibli comme St. Pierre 38. N.-S. veut bien encore me pardonner et mettre dans mon cœur une paix vraiment surnaturelle. Je me sens allégé d'un poids im­mense. Il faut que désormais je sois fidèle, humble, reconnaissant.

Cœur Sacré de Jésus, je vous demande, par intercession de Marie, la grâce de ne plus vous offenser volontairement, de persévérer dans votre amour et de vivre désormais entièrement uni à vous.

Sume, o Sacratissimum Cor Jesu, universam meam libertatem…

2ème semaine des exercices. 1ère méd. L’appel de N-S. Jésus-Christ.

Veni, sequere me (Mat 19,21 - Marc 10,21).

St. Ignace nous propose la parabole d'un roi temporel. Cette parabole est bien fondée sur l'Evangile où N.-S. compare sans cesse l'Eglise à un royaume dont 39 il est le chef.

Un roi temporel, puissant et aimé, entraîne à sa suite tous les coeuus vaillants et généreux. Que serait-ce si ce roi était sûr du succès et s'il pouvait promettre des récompenses éternelles? Il y aurait lâcheté à ne pas le suivre.

Le vrai roi éternel, c'est Jésus. Il est mon Dieu avec ses perfections in­finies. Il est aussi le plus beau des enfants des hommes. Il est mon roi par nature et par droit de conquête. Il m'a racheté. Il aime tous ses sujets d'un amour infini. Il m'aime avec une tendresse dont je ne puis douter.

Veni, sequere me (Mat 19,21 - Marc 10,21). Il m'appelle à sa suite. Il m'appelle à combattre ses ennemis et les miens: le démon, le monde, mes passions, mes inclinations mauvaises.

Il me demande de le suivre, de mettre 40 en lui ma confiance, de l'imiter et de supporter avec lui le travail et les fatigues et privations de la guerre.

La récompense est assurée. C'est déjà la paix du cœur sur la terre, c'est la gloire du ciel.

Puis-je hésiter? Je dois mes services et mon amour à Jésus par ses ti­tres de créateur et de rédempteur, par les liens de mon baptême et de mes voeux.

Je les lui dois aussi par reconnaissance. Il m'a tout pardonné! Il m'a supporté avec tant de patience et m'a ramené à lui avec tant de miséri­corde.

Je me donne à vous, ô Jésus.

Charitas Christi urget me (2 Cor 5,14). Je désire vous servir très généreu­sement, très fidèlement et avec un grand amour.

2ème méditation. Vocation spéciale. Le sacerdoce.

Dignité du prêtre; sainteté qu'elle exige; moyens dont il dispose; ré­compense qu'il peut espérer 41.

1. Le prêtre, élu du Christ, ami, frère, ministre du Christ, son confi­dent.

Le prêtre, envoyé du Christ, revêtu de sa puissance. Il baptise, il en­seigne en son nom, il remet les péchés.

Le prêtre à l'autel: Hoc facite in meam commemorationem (Luc 22,19; 1 Cor 11,24).

Le prêtre représentant du Christ. Qui vos audit me audit: qui vos recipit, me recipit (Luc 10,16) (Mat 10,40).

Le prêtre a des pouvoirs que lui envient les anges et qui le font ressem­bler à Marie et à Joseph.

2. Sainteté du prêtre: Il doit être séparé du monde. Il doit mépriser les plaisirs, les honneurs, les richesses. Il doit être uni avec le Christ, mettre dans le Christ sa confiance, vivre de foi, d'amour et de prière.

Il doit désirer le salut des âmes et y travailler.

3. Moyens de sanctification: il a la messe, il a l'office, il a l'union avec Jésus… 42.

4. Récompense spéciale: être au ciel auprès de Jésus: sedebitis super se­des duodecim, etc. (Mat 19,28).

La grâce que je veux obtenir dans cette retraite c'est de me renouveler dans les dispositions de mon ordination (1868) et de ma profession reli­gieuse (1878). Ce sont pour moi des dates bien chères et des époques de grandes,', grâces.

3ème méditation. Ego sum via, veritas et vita (Joan 14,6).

Pendant le reste de la retraite, je dois voir Jésus, le contempler, l'écouter, apprendre à le suivre.

Jésus est la voie par ses exemples - la vérité par ses enseignements - la vie par sa grâce. Dans cette semaine, je considérerai Jésus mon modè­le dans les diverses circonstances de sa vie. Je le contemplerai priant, tra­vaillant, souffrant, subissant les tentations ou les persécutions, conver­sant ou prêchant…

Je l'entendrai me dire sa doctrine: ego sum lux mundi; qui sequitur me non ambulat in tenebris, sed habebit lumen vitae (Joan 8,12) 43.

J'entendrai surtout ce qu'il dit aux prêtres, aux religieux. Il nous met en garde contre le monde, contre l'attrait des plaisirs, des honneurs, des richesses.

Ego sum vita (Joan 14,6). Jésus est notre vie par sa grâce, par notre union avec lui. Qui manet in me multum fructum affert (Joan 15,5). Celui qui reste dans cette union est aimé de Dieu. Ipse enim Pater amat vos quia me amastis (Joan 16,27). Il sera tout-puissant dans la prière. Quodcumque petie­ritis Patrem in nomine meo, dabit vobis (Joan 14,13).

4ème méditation. La méditation du règne une seconde fois.

St. Ignace suppose dans le premier point un roi choisi de Dieu, sûr du succès et au service duquel personne ne périra. Dès lors pourrait-on rai­sonnablement hésiter à le suivre?

Mais Jésus est plus aimable encore, plus riche, plus puissant. Nous devons le suivre et désirer de nous distinguer 44 à son service. Je le dé­sire, ô mon Sauveur, et je comprends qu'on se distingue à votre service en vous suivant et vous imitant de plus près, en suivant les conseils de perfection, en pratiquant l'humilité, le détachement, la pauvreté, la mo­destie, l'abnégation. J'entends aussi votre appel spécial qui m'invite à me dévouer à votre Cœur Sacré, aimant et blessé, par une vie toute d'amour, d'abandon et d'immolation.

1ère méditation. Contemplation de l’Incarnation.

Comme le remarque le p. de Poulevoy, dans toutes ces contempla­tions, St. Ignace nous enseigne le dévotion au S.-Cœur telle qu'on pou­vait la comprendre de son temps, avant les révélations de Paray; car il nous invite à demander dans les préludes de chacune de ces contempla­tions «la connaissance intime de Jésus, afin que nous l'aimions plus ardemment 45 et que nous l'imitions plus fidèlement».

Connaître intimement Jésus et l'aimer n'est-ce pas tout le fond de la dévotion au S.-Cœur?

Je vois dans ce mystère l'immense besoin qu'avait l'humanité de la ré­demption: toutes les passions régnant soit dans la paix soit dans la guer­re, partout la corruption et l'idolâtrie, le peuple de Dieu lui-même bien dégénéré.

La Ste-Trinité voit tous les hommes se précipiter en enfer, car ils y se­raient allés tous sans la rédemption.

Je m'aide d'une image pieuse et touchante (l'Incarnation, par Füh­rich). L'archange a un genou en terre devant Marie. Il lui montre du doigt au ciel la Trinité. Le petit Jésus descend du sein de son Père, pré­cédé par la colombe. Marie est debout auprès de son travail, mais si mo­deste et si pure! 46.

Tout est abaissement et amour dans ce mystère. Le Verbe se fait esclave. Jésus s'anéantit dans le sein de Marie. L'archange s'incline de­vant une vierge. Marie se dit la servante du Seigneur alors qu'elle de­vient sa mère.

Je désire, comme le recommande St. Ignace, goûter dans tous ces mystères l'infinie suavité du S.-Cœur: Adorari et degustare ofactu et gustu infinitam suavitatem ac dulcedinem divinitatis, animae, ejusque virtutum (Ve Cont.). La Divinité habite substantiellement et personnellement le S.-Cœur de Jésus, sa sainte âme l'anime et l'orne de ses vertus.

2ème méditation. Contemplation de la naissance de Notre-Seigneur.

Ce qui me touche le plus, ce sont les pensées qui animaient les saints cœurs de Jésus, Marie et Joseph. Marie et Joseph ne sont pas allés vo­lontairement à Bethléem, la Providence les y a conduits. Marie attend le Sauveur 47. Elle y pense, elle en parle à St. Joseph: Crastina die delebitur iniquitas terme et regnabit super nos salvator mundi (liturg. in Vig. Nat. Dom.) Joseph médite dans son cœur les paroles de sa sainte épouse. Marie jouit de son divin trésor: Mon bienaimé est à moi et je suis à lui. Elle presse son Jésus de venir: «Deus meus, ne tardaveris (Ps 39,18); veni, Domine Jesu (Apoc 22,20). Jésus lui répond: je vais venir bientôt: Etiam venin cito (Apoc 22,20).

A Bethléem, la sainte famille ne trouve pas de place: In propria venit et sui eum non receperunt (Joan 1,11). C'est la Providence qui conduit tout: Dominus regit me (Ps 22,1) qui deducis velut ovem Joseph (Ps 79,2).

Marie a toujours le même abandon: Ecce ancilla Domini (Luc 1,38) St. Joseph l'imite: O Domine, quia ego servus tuus (Ps 115,16).

Le petit Jésus en entrant au monde dit à son Père: Hostiam et oblationem noluisti, corpus autem aptasti mihi. Ecce venin: 48 in capité libri scriptum est de me ut faciam, Deus, voluntatem tuam (Heb 10, 5-7).

Il dit à sa Mère: je vous ai aimée d'un amour éternel: In charitate perpe­tua dilexi te (Jer 31,3).

A St. Joseph: l'homme fidèle sera comblé de louanges et le gardien de son Seigneur sera glorifié: Vir fidelis multum laudabitur (Prov 28,20) Et qui' custos est Domini sui, glorificabitur (Prov 27,18).

Il dit à tous les hommes, il me dit à moi-même: tout disciple sera par­fait, s'il ressemble à son maître. Bienheureux les pauvres. Bienheureux ceux qui pleurent.

Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Perfectus discipu­lus erit, si sit sicut magister ejus (Luc 6,40) Beati pauperes… beati qui lugent (Mat 5,3-5)…

L'esprit de détachement et de pauvreté est le principal fruit de ce mystère.

Les anges chantent: gloire à Dieu, paix aux hommes de bonne volonté 49.

La paix est le don de Dieu. In pace auteur vocavit nos Deus (1 Cor 7,15). La paix de Dieu est bien supérieure à la fausse paix du monde. Elle surpasse les plus doux sentiments.

Quam mundus dare non potest pacem (Joan 14,27), Pax Dei, quae exsuperat omnem sensum (Phil 4,7).

Dieu nous demande pour cela une bonne volonté, conforme à la sien­ne et soumise à ses ordres. Rien n'est plus agréable à Dieu. Nihil offertur Deo ditius bona voluntate (St. Greg. hom. V in Ev.). Et rien n'est plus faci­le. Nihil tam facile est bonae voluntati, quam ipsa sibi: et haec sufficit Deo (St. Aug. Serm. 9 de verb. Dom.).

- L'après-midi, promenade de repos.

4e méd. Le soir, contemplation de la Nativité, application des sens.

Gustate et videte quoniam suavis est Dominus (Ps 33,9). Y a-t-il rien de plus doux que de voir les saints hôtes de l'étable de Bethléem. Tout en leur attitude 50, en leurs mouvements et manières d'agir est si modeste, si pur, si bon!

Y a-t-il rien de plus suave que de les entendre. Ils parlent peu, mais que leurs paroles sont douces, harmonieuses, célestes! Qu'il est bon de goûter et de partager leurs sentiments, leur humilité, leur reconnaissan­ce, leur amour pour Dieu, leur charité pour le prochain! Mais je n'ose­rais toucher l'enfant Divin. Des Saints ont obtenu la faveur de le toucher en réalité, mais je ne suis qu'un pécheur et un grand pécheur.

1ère méditation. La circoncision.

C'est à Bethlèem encore. Joseph a mis un peu d'ordre à la grotte. J'admire comme tout se passe avec dignité, avec résignation, avec cal­me. L'enfant divin a le plein usage de sa raison et sa chair innocente est très délicate. Il souffre et il pleure 51. Quel acte humiliant pour le Sau­veur! Qu'a-t-il besoin de ce signe d'adoption au peuple de Dieu! Mais il veut accomplir toute la loi. Son regard le dit à sa Mère: Sine modo sic enim decet nos implere omnem justitiam (Mat III, 15). Il offre à son Père céleste cet acte d'obéissance et d'immolation: Deus meus, volui, et legem tuam in medio cordis met (Ps 39,9).

C'était le président de la synagogue qui était invité d'ordinaire à faire cette cérémonie à la place du père de famille.

C'est le sacrifice du matin. Jésus offre pour nous son sang, ses larmes, avec les larmes de Marie et de Joseph. Il nous enseigne déjà la mortifica­tion. Imitons-le. Ut exhibeatis corpora vestra hostiam viventem, sanctam, Deo placentem (Rom 12,1).

On lui donne le nom de Jésus: Vocatum est nomen ejus Jésus, quod vocatum est ab Angelo, priusquam in utero 52 conciperetur (Luc 2,21). Rapproche­ment mystérieux, dit St. Bernard; il lui en coûte du sang pour recevoir ce nom de Jésus. Ce beau nom vous est dû, Seigneur, car vous êtes vrai­ment notre Sauveur. Recevoir ce nom auquel seul tout genou fléchit dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (Philip 11,10).

Si je n'ai pas l'occasion de verser mon sang, du moins je dois mortifier ma chair, et résister à ses convoitises, pour conserver la pureté de cœur qui est la véritable circoncision des chrétiens. Je dois surtout par ma vo­cation spéciale de prêtre et d'apôtre du S.-Cœur pratiquer la mortifica­tion et l'immolation. «Vas electionis est mihi iste… ego enim ostendam illi quanta oporteat eum pro nomine meo pati (Act IX 15). Les marques de l'apos­tolat, c'est la souffrance. Signa tamen apostolatus met facta sunt super vos 53 in omni patientia (2 Cor XII 12). Le prêtre, le religieux immortifie est un homme stérile. Haec dicit Dominus. scribe virum istum sterilem (Jer 22,30). Il n'est point de la race de ces hommes qui sauvent Israël. Ipsi au­tem non erant de semine virorum illorum per quos salus facta est in Israël (1 Mac 5,62). Je devais souffrir comme apôtre du S.-Cœur, j'ai beaucoup aug­menté mes souffrances par mes péchés.

Jésus est remis à sa Mère. Elle le presse sur son sein. Lui-même se ser­re sur le sein de sa Mère pour la consoler. Quelle scène touchante. Jésus dit au cœur de sa Mère: j'ai soif du salut des hommes, je suis venu pour les sauver et, vous le savez, les péchés ne peuvent être remis sans effu­sion de sang (Heb IX, 22) Marie comprend le sens du cantique: Dilectus meus candidus et 54 rubicundus (Gant 5,10). Les anges sont présents, ils chantent comme au calvaire: Dignus est Agnus, et sapientiam, et fortitudinem, et honorem, et gloriam, et benedictionem (Apoc 5,12).

2ème méditation. La purification.

La Ste Famille se rend de Bethléem à Jérusalem. Tout respire la dou­ceur, le recueillement: tout annonce la soumission aux ordres de Dieu, l'obéissance à sa loi. Le tumulte de la grande ville ne les dissipe pas. Ils vont au temple, ils prient. Ils adorent le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Les prophéties s'accomplissent: Et statim veniat ad templum suum Dominator quem vos quaeritis; et angelus testamenti, quem vos vultis. Ecce venit, dicit D(omi)nus exercituum (Mal III, 1). Et veniet desideratus cunctis gentibus.. . Magna erit gloria Domus istius novissimae plus quam primae, dicit Dominus exer­cituum; et in loto isto dabo pacem (Agg. 2,8 - 10) 55. Marie présente son Fils avec un respect infini, puis elle le rachète cinq sicles selon la loi. Jé­sus s'offre pour moi, se laisse racheter pour être mon modèle à Naza­reth, il s'offrira de nouveau plus tard définitivement. L'agneau figuratif n'intervient pas, parce que le véritable agneau de Dieu est là.

Marie dit en son cœur: «Recevez, ô mon Dieu, mon fils et votre fils, mais rendez-le moi pour un temps, afin que toutes vos volontés s'accom­plissent sur lui et sur votre servante, pour votre plus grande gloire et le salut des hommes».

Siméon et Anne obtiennent la grâce de reconnaître Jésus parce qu'ils sont vertueux.

Siméon prophétise l'établissement de l'Eglise: lumen ad revelationem gen­tium et la Passion du Sauveur: tuam issius animam pertransibit gladius (Luc 2, 32). Ainsi Marie aura toujours devant les yeux son sacrifice. Elle sera une hostie toujours immolée 56.

St. Bernard et St. Bonaventure laissent ces mystères de l'Epiphanie et de la Purification aux dates où les célèbre l'Eglise latine.

Après la Purification, la sainte famille serait allée visiter Elisabeth et Jean-Baptiste. Les deux enfants se seraient là rencontrés et se seraient témoigné leur affection. De là la Ste famille partit pour Nazareth où elle voulait retourner mais la première nuit l'ange avertit Joseph qu'Hérode s'agitait à Jerusalem et qu'il fallait fuir en Egypte.

Ce que dit St. Luc (chap. 2, v. 39): reversi sunt in Galileam in civitatem suam Nazareth, doit donc s'entendre d'un voyage entrepris, interrompu et repris après sept années passées en Egypte.

3ème méditation. De l’Imitation de Jésus-Christ.

- motifs et moyens -.

1. Elle est dans les dessins de Dieu. Il nous a donné N.-S. comme mo­dèle et nous a destinés à l'imiter. Quos praescivit et praedestinavit conformes 57 fieri imaginis Filii sui (Rom 8,29). Voici mon Fils bienaimé, en qui j'ai mis mes complaisances, écoutez-le.

2. N.-S. nous y invite. Ego sum ostium (Joan 10,7): Ego sum via (Joan 14,6), N.-S. pouvait nous racheter par un seul acte intérieur. C'est pour nous donner l'exemple de la vie humble, laborieuse et cachée, de la vie d'apostolat, de la vie de souffrance qu'il a voulu vivre 33 ans au milieu de nous.

3. Cette imitation est notre gloire et notre expérience: si compatimur et conregnabimus (Rom 8,17).

4. C'est le voeu de l'Eglise: Filioli mei quos iterum parturio, donec formetur Christus in vobis (Gal 4,19).

1. Cette imitation doit être humble, le modèle est si élevé et si pur!

2. Elle doit être affectueuse, aimante. L'amour du Sauveur nous don­nera des ailes pour le suivre. Nihil fortius est amore… Amans volai, currit et laetatur, valet ad omnia et 58 mulla implet… (Imit. lib. 3 c. 5).

3. Elle doit être universelle: intérieure et extérieure: dans les pensées, dans les paroles, dans les actions. Si je prie, je verrai Jésus priant à Geth­sémani ou sur la montagne. Si je bois ou je mange, je le verrai à Naza­reth, aux noces de Cana ou dans la maison de Lazare. Si je converse avec le prochain, je penserai avec quelle douceur, quelle charité, quelle patience il traitait avec les apôtres. Quelle modestie dans ses regards! Quelle mesure dans ses paroles! Quelle gravité dans sa démarche! Quel­le maturité dans tous ses mouvements!

Et dans son intérieur, quels sacrifices constants d'adoration, d'action de grâces, d'amour, de louange, de conformité à la volonté de Dieu!

4. Elle doit être indépendante, sans faiblesse envers les hommes, sans respect humain. Pourvu que Dieu soit glorifié!

5. Elle doit être constante, persévérante 59. Les motifs sont toujours les mêmes. Nemo mittens manum suam ad aratrum, et respiciens retro, aptus est regno Dei (Luc 9,62).

4ème méditation. Contemplation sur les mêmes mystères.

J'aime à contempler la sainte famille soit à Bethléem, soit au temple. La démarche de Marie et de Joseph est si modeste, leur cœur est si pur, leurs paroles si réservées, leur prière si humble, si fervente, si pénétran­te! Que de leçons me donne le cœur du petit Jésus. (Que de vertus aima­bles et admirables j'y puis lire et goûter! Vois-tu, me dit-il, comme j'ai­me mon Père! Je viens réparer sa gloire en manifestant mon mépris pour les honneurs, les richesses, les jouissances des sens. Vois-tu, comme je vous aime tous! mon enfance vous appartient, avec toutes ses expiations, toutes ses réparations, tous ses mérites. Tout cela est à vous. Prends cet or de mon amour 60, cet encens de mes prières, cette myrrhe de mes sacrifices et mortifications. Tout cela est à toi. Te voilà bien riche pour offrir à mon Père des dons bien agréables. Vois comme j'aime Marie ma mère, et Joseph mon père adoptif: comme j'ai confiance en eux! Je m'abandonne tout entier à eux, je leur laisse les soin de ma vie. Donne leur ta confiance à ton tour. Remets-leur le soin de tes intérêts spirituels et temporels. N'es-tu pas aussi leur enfant? - Quelles leçon aussi me donne Marie, à moi prêtre! Avec quel respect, quelle révérence, quelle crainte et quel amour elle allait à Jésus et le touchait. Avec quelle joie, quelle reconnaissance elle le contemplait! Avec quelle confiance, quel bonheur elle l'embrassait, elle le prenait dans ses bras! Avec quelle pru­dence aussi et quelle humilité 61!

Est-ce ainsi que j'agis au saint autel, au saint sacrifice, à la sainte com­munion?

Pardon, pardon, pardon, ô mon Dieu, pour tout ce que vous savez, pour toutes mes négligences, mes imperfections et mes fautes.

1ère méditation. La fuite en Egypte.

La Sainte famille allait retourner à Nazareth. Le message de Dieu vient la nuit. Soyons toujours prêts à faire la volonté de Dieu. L'obéis­sance de Joseph et de Marie est parfaite, elle est simple, prompte, sans raisonnements et confiante. Nous pouvons entendre leurs paroles. Joseph dit à Marie: «C'est la volonté de Dieu que nous soyons éprouvés. Son saint ange nous ordonne de fuir en Egypte avec votre enfant, parce qu'Hérode cherche à le mettre à mort». Marie répond: «Nous tenons de Dieu tant de bienfaits, il est juste que nous acceptions aussi de sa main les épreuves. Nous 62 emporterons avec nous notre trésor, notre guide et notre lumière». Leur confiance surtout et leur abandon sont ad­mirables. Ils partent sans ressources, sans provisions, à travers le désert. C'est ainsi que je dois avoir confiance, pourvu que je fasse la volonté de Dieu: Jacta super D(omi)num curam tuam et ipse te enutriet (Ps 54,23).

C'est le fruit principal que je veux obtenir de cette méditation. Je ne veux plus jamais m'inquiéter, ni me décourager.

Marie pensa sans doute au cantique sacré: Fuge, dilecte mi, et adsimilare capreae, hinnuloque cervorum super montes aromatum (Cant 8,14).

Au désert les anges servent parfois la Sainte famille. Marie et Joseph ont sans doute la connaissance prophétique des merveilles de sainteté qui y fleuriront plus tard. Exultabit solitudo ut florebit sicut lilium (Is 35,1) 63. Ils doivent se rappeler la vision d'Isaïe: Ecce Dominus ascendet super nubem levem et ingredietur Aegyptum et commovebuntur simulacra Aegypti a facie ejus (Is 19,1).

Les délicieux détails donnés par St. Bernard et St. Bonaventure sur le séjour en Egypte me ravissent. C'est un sujet infini de contemplation. Quelles leçons de patience, d'abandon à la Providence, de soumission à la volonté de Dieu, d'esprit de pauvreté et de sacrifice!

Ce sera une des joies de notre éternité de revoir cette pauvre maison d'Héliopolis et d'y revivre dans les extases du ciel.

2ème méditation. Nazareth.

Vie cachée, obéissance, travail, vie de famille, devoirs d'état. Et erat subditus illis (Luc 2,51). Nonne hic est faber, filius Mariae (Marc 6,3). Jésus à Nazareth nous prêche l'obéissance, l'obéissance humble, parfaite et constante. Oh! que nous avons tous besoin de cette 64 leçon! Les su­périeurs eux-mêmes ont des supérieurs auxquels ils doivent se soumettre ou des règles qu'ils sont obligés de suivre.

Jésus à Nazareth nous enseigne aussi le travail. Non seulement il s'est livré au travail intellectuel de l'enseignement pendant les trois années de sa vie publique, mais encore il s'est livré pendant 20 ans au travail ma­nuel, au travail de l'ouvrier. Il voulait réhabiliter le travail des mains, qui est le lot de l'immense majorité des hommes. Il voulait nous appren­dre à sanctifier le travail, à l'offrir à Dieu, à l'accomplir par devoir et pour la récompense du ciel, plus encore que pour le salaire.

Nazareth nous enseigne aussi la perfection de la vie de famille, famille naturelle ou famille religieuse. Vie sainte et heureuse où tous aiment Dieu et s'aiment entre eux 65; vie d'abandon entier à la Providence; vie de dévouement et de charité mutuelle.

Et Joseph est le modèle des chefs de famille. Il est le mien. Il prévoit tout, pourvoit à tout, règle la vie intérieure et les relations extérieures. je ne dois pas seulement me sanctifier et me tenir uni à Dieu, mais j'ai le devoir de donner à mon œuvre des règles bien ordonnées, de pourvoir à sa direction spirituelle et de faire les visites nécessaires. Je vois là un tra­vail considérable pour lequel il me faut du temps et des aides.

Seigneur, aidez-moi. St. Joseph, soyez mon protecteur et mon guide. Saint Archange, préposé à l'œuvre, secondez-moi.

3ème méditation. Le S.-Cœur de Jésus à Nazareth.

Puer auteur crescebat et confortabatur plenus sapientia; et gratia Dei erat in illo (Luc 2,40). - Jésus enfant manifestait toujours plus de grâce et glorifiait 66 son Père en son cœur. Ascensiones disposuit in corde suo (Ps 83,6). Les anges nous ont dit quelque chose des dispositions du saint En­fant: Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis (Luc 2,14). Et l'Eglise interprète ses dispositions envers son Père et s'y unit: lauda­mus te, benedicimus te, adoramus te, glorificamus te, gratias agimus tibi propter magnani gloriam tuam, Domine Deus, rex coelestis, Deus Pater omnipotens. Le cœur de Jésus enfant aime, il répare, il souffre de voir son Père offensé, il se réjouit de le voir aimé par les Saints. «Et amet et suspiret gemitibus ine­narrabilibus, et patiatur, et exultet: Les litanies nous disent un peu ce qu'il était: Cor Jesu, Sanctae Trinitatis templum; Cor Jesu, in quo sibi Pater bene com­placuit; hostia vivens, sancta, Deo placens; propitiatio pro peccatis nostris; propter nos amaritudine repletum 67.

Il est le souverain prêtre de la création. Il offrait à son Père un sacrifice constant d'adoration, d'amour, d'abandon, d'action de grâces, de répara­tion, d'expiation, de prière, de soumission et de conformité à sa volonté. Divin Cœur de Jésus, régnez dans nos coeuus avec vos dispositions et dai­gnez nous y unir. Veni et vive in famulis titis in Spiritu sanctitatis tuae, in plenitudi­ne virtutis tuae, in perfectione viarum tuarum, in communione mysteriorum tuorum; Dominare omni adversae potestati, in spiritu tuo, ad gloriam Patris. Amen.

4ème méditation. Jésus au temple à 12 ans.

Les hommes seuls étaient obligés d'aller au temple trois fois l'an, aux fêtes de Pâques, de la Pentecôte et des tabernacles (septembre). St. Joseph y allait très fidèlement. Les jeunes garçons commençaient d'ordi­naire à y aller à 12 ans et leur mère les y accompagnait par 68 dévotion. C'est ce qui eut lieu pour Jésus. Comme ce voyage est pieux! Quels sentiments profonds animent la sainte famille! la pâque, l'immo­lation de l'agneau, tout cela leur présage le sacrifice du calvaire. Comme cette foule s'agite et prie mal! Que Jésus est beau priant au temple avec une modestie et une ferveur céleste!

Jésus perdu, cherché, retrouvé. Il y a là un mystère relatif à la vie inté­rieure. O mon Jésus, donnez-moi la grâce de vous chercher toujours et, s'il est possible, de ne jamais vous perdre!

1ère méditation. Les deux étendards.

C'est la semaine de l'élection. Cette médiation y prépare. St. Ignace nous montre les deux voies qui conduisent au ciel, la voie des préceptes et la voie des conseils. N.-S. les a toutes deux 69 honorées et consa­crées. La première, qui est la voie commune, il la consacre à Nazareth. La seconde, qui est la voie exceptionnelle, il la consacre dans le tem­ple: «Quando remansit in templo relinquens patrem suum adoptivum et matrem suam naturalem, ut aeterni Patris sui servitio pure vacaret». Aussi c'est après ces deux mystères (du 3e jour) que St. Ignace nous prépare à l'élection. Les deux voies sont belles. Elles ont N.-S. pour guide. Cherchons à en­tendre l'appel de Dieu.

Pour moi, l'élection ne porte pas sur la voie à suivre, mais sur les réso­lutions à prendre pour suivre avec ferveur celle qui m'a déjà été tracée par N.-S.

Il faut méditer sur la tactique et les moyens d'action des deux chefs d'armée. «Videbimus intentionem Christi Domini nostri et ex adverso inimici na­turae humanae». Nous saurons alors prendre les mesures 70 pour nous livrer à l'action divine et nous soustraire à l'influence diabolique. «Ut veniamus ad perfectionem in quocumque statu seu vita quam Deus D(omi)nus noster eligendam nobis dederit». Ces derniers mots marquent la liberté dans l'élec­tion. Dieu n'impose pas une vocation, il la propose: eligendam dat. «Si quis vult, post me venire» (Mat 16,24).

Ces deux camps que nous présente St. Ignace avec les plans et tactiques qu'on y suit, c'est l'histoire du monde et sa philosophie. Cette méditation est bien d'un guerrier, qui nous révèle sa science de la stratégie et son ar­deur de la conquête. Tout le plan de la Compagnie de Jésus en est sorti.

Le Sauveur est un générale d'armée humble et dévoué. Il s'avance au premier rang, exécute tout ce qu'il commande aux siens, ne combat que par des vertus et des bienfaits et ne triomphe que par le sacrifice de sa vie pour le salut de son peuple 71.

L'ennemi, lui, est rempli de haine, au lieu d'amour. C'est l'ennemi de notre race toute entière. Il n'est pas un fils d'Adam qui ne soit aimé d'une part jusqu'à la croix et de l'autre haï jusqu'à la mort. Ah! si on y pensait!

Les grâces de la méditation doivent être la connaissance des artifices de l'ennemi et un secours divin pour les éviter en veillant sur moi-même et sur les côtés faibles de ma nature. Ce doit être aussi la connaissance des vertus (mores ingenuos) de notre vrai chef et la grâce de les imiter.

Le chef ennemi invite son infernale armée à nous jeter partout des fi­lets et des chaînes (retia et catenas). D'abord des appâts pour nous trom­per. Il nous fascine par la chair, le monde et l'orgueil. Puis des chaînes, des habitudes, des passions… 72.

Notre souverain chef, lui, infiniment beau et aimable, speciosus et ama­bilis, appelle à lui des disciples, des ministres, des apôtres et les envoie dire à tous les hommes les charmes et les avantages de la pauvreté, de l'abnégation et de l'humilité. L'esprit de pauvreté est proposé à tous et dans toutes les carrières, la pauvreté réelle à ceux qui ont une vocation spéciale; et ainsi de l'abnégation, et de l'humilité.

Quels sont mes attraits, mes dispositions? C'est à cela que je reconnaî­trai quel étendard j'ai suivi et quel chef j'ai adopté.

O Marie, demandez pour moi à Jésus la grâce d'être reçu sous son étendard et de le suivre bien fidèlement et généreusement.

2ème méditation. Répétition du même exercice.

St. Antoine, dans une vision, voyant les démons tendre partout leurs pièges à tous les hommes, s'écriait: Mon Dieu, qui donc pourra être sau­vé? 73.

Les honneurs et les richesses sont des choses indifférentes en soi, mais l'amour des unes et des autres est dangereux pour notre nature corrom­pue. Ce sont des appâts et des filets qui nous conduisent à la vanité et à l'orgueil.

La pauvreté d'esprit et d'affection est nécessaire à tous les chrétiens: Sic ergo omnis ex vobis qui non renuntiat omnibus quae possidet, non potest meus es­se discipulus (Luc 14,33).

Je vous demande, O mon Sauveur, la grâce de m'affectionner à la pauvreté réelle et aux mépris, pour mieux vous suivre et vous imiter.

3ème méditation. Règles du discernement des esprits pour la 2e semaine et pour toute la vie.

1. Dieu et ses anges, quand ils agissent dans une âme, y apportent la paix et la consolation spirituelle. Le démon trouble cette paix par des subti­lités et des raisons apparentes et nous apporte le trouble, l'inquiétude et le découragement. Même après le péché 74 l'âme ne doit pas se troubler et se décourager. Elle doit se repentir et se remettre en paix avec Dieu.

2. Défions-nous du démon qui se transforme en ange de lumière pour nous proposer, sub specie boni, quelque acte qui n'est pas mauvais en soi, qui pourrait même être utile, mais qui étant dans le sens de nos incli­nations et de nos faiblesses nous conduira plus loin et nous perdra. Le démon s'y prend quelquefois de très loin pour faire tomber à la longue des âmes qui étaient ferventes.

3. Quand le démon est parvenu à nous faire déchoir de notre paix in­térieure et de notre recueillement, observons comment il a procédé, pour ne plus nous laisser prendre une autre fois…

4. La disposition favorable aux touches divines est toujours celle d'une âme paisible, recueillie et unie à N.-S.

4ème méditatioin. Répétition des deux etendards.

Une pensée qui me frappe cette fois est que 75 le démon se cache partout sous les créatures pour me tromper, me fasciner, pour égarer mes pensées et mes affections. De là la nécessité d'être bien vigilant et de me tenir bien uni à N.-S. Tant que je serai uni à N.-S., le démon n'ose­ra pas m'approcher, ou ses tentations ne me feront pas grande impres­sion. Mais je dois aussi bien graver dans mon âme les enseignements et les exemples de mon roi bien-aimé, l'amour de la pauvreté et des mé­pris, dispositions tout opposées aux séductions du démon.

Le démon cherche à me détourner de la pensée de Dieu et de l'union avec Dieu en nous proposant des choses indifférentes, la jouissance des biens temporels et les vains honneurs du monde, non pas pour le service de Dieu et le salut de mon âme, mais pour le plaisir qu'on y trouve. C'est là le piège secret. Vient ensuite la chaîne si difficile à rompre de l'attache désordonnée 76, de la passion et de la mauvaise habitude.

La tactique de l'ennemi nous fait voir quelle doit être la nôtre. Nous devons combattre nos mauvaises inclinations et nous devons aller à ce combat avec franchise, avec courage et avec persévérance.

1ère méditation. Jésus au désert.

Après que Jésus fut baptisé, il se rendit au désert. Il nous apprend qu'il faut se préparer par la retraite, la prière, le jeûne et la mortification au ministère evangélique. Ce sont là aussi les conditions par lesquelles nous obtenons cette pureté du cœur qui est le prélude de l'union avec Dieu, Beati mundo corde, quoniam Deum videbunt (Mat 5,8).

Il faut lire là-dessus St. Bonaventure, St. Bernard et les conférences de Cassiodore. Cette pureté de cœur, cette grâce de la présence de Dieu et de l'union avec Dieu, c'est la grâce par excellence. Elle contient la chari­té, l'humilité, la patience et toutes 77 les autres vertus (St. Bern. Serm. 40 super Cant. ). Aimons surtout la solitude spirituelle, que l'on peut garder partout en tenant habituellement son âme paisible et recueil­lie et en se préservant de la curiosité et de l'agitation.

N.-S. fut tenté: tentabatur a Satana et erat cum bestiis (St. Marc 1,13) les animaux n'étaient-ils pas des démons qui troublaient sa solitude? Le dé­mon ayant entendu la voix miraculeuse du Jourdain hic est Filius meus di­lectus (Mat 3,17), voulut voir ce qu'il en était. N.-S. voulut réparer la chute d'Eve en subissant les mêmes tentations: gourmandise, présomp­tion, orgueil. Le démon vaincu se retira pour un temps. Diabolus recessit ab illo usque ad tempus (Luc IV 13). Prenons garde après la retraite. Le dé­mon reviendra, veillons et prions. Les anges vinrent honorer et servir N.-S. St. Bonaventure remarque que N.-S. ne dut pas faire un miracle 78 pour lui-même en créant des aliments, il n'en faisait que pour la conversion du peuple. Sans doute il envoya les anges chercher à Nazareth un mets préparé par Marie (comme Dieu avait fait porter à Daniel un repas préparé par Habacuc). Nous pouvons nous représenter les délicieux entretiens des anges avec Jésus et avec Marie.

2ème méditation. Des trois classes d’hommes.

Le but de cette méditation est de nous rendre bien indifférents et bien libres avant l'élection et les résolutions. St. Ignace propose trois groupes de commerçants qui ont acquis une somme et y ont un attachement ex­cessif.

Tous voudraient se défaire de cet attachement déréglé et dangereux même pour le salut, parce qu'il peut pour le moment compromettre l'élection et plus tard conduire à des fautes graves. Le premier groupe n'a que des velléités et en réalité ne veut rien faire. La second veut 79 bien se corriger de l'affection déréglée, mais il ne voudrait pas se défaire de la somme, même si Dieu le demandait. C'est une disposi­tion insuffisante pour l'élection.

Le troisième groupe est prêt à quitter même la somme si Dieu lui en donne l'attrait et lui fait comprendre que c'est pour sa plus grande gloi­re. Et même pour affirmer sa bonne volonté ce groupe prie Dieu de lui demander le sacrifice complet, si c'est pour sa plus grande gloire. Ce sont des dispositions parfaites. Au lieu des marchands, nous pouvons nous représenter des voyageurs qui veulent atteindre un but et veulent plus ou moins en prendre le chemin, des malades qui veulent guérir et veulent plus ou moins prendre les remèdes.

O mon Sauveur, je me crois disposé à prendre les résolutions que vous voudrez, et celles que vos attraits m'indiqueront et celles que les motifs de raison et de foi 80 me montreront les meilleures. Affermissez mes dispositions, éclairez-moi et fortifiez-moi. Je vous le demande par l'inter­cession de Marie ma mère et avec vous je le demande à Dieu votre Père et le mien.

3ème méditation. Des trois manières de prier.

Elles sont bien fécondes. Dans la Ire: sur chaque commandement, il est bon de considérer combien ce précepte est raisonnable, juste, nécessai­re, par rapport à Dieu, à nous-mêmes, à la société; combien il serait facile de l'observer; quelle paix, quelle félicité l'observation du décalogue nous assurerait à chacun en particulier, et en général à la famille et à la société.

Nous examinerons comment nous les avons gardés et en quoi nous les avons violés. Nous demanderons pardon de nos fautes et nous demande­rons la grâce de nous corriger à l'avenir.

Sur les péchés capitaux, nous reconnaîtrons les fautes commises sous l'influence de ces inclinations vicieuses et nous en demanderons 81 pardon à Dieu.

Nous considérons les vertus contraires pour nous y porter: l'humilité, opposée à l'orgueil, la sainte émulation à l'envie, la douceur à la colère, la tempérance à la gourmandise, la chasteté à la luxure, la liberalité à l'avarice, la diligence et la ferveur à la paresse.

Sur les trois puissances de l'âme et les cinq sens, demandons-nous pourquoi Dieu nous a doués de ces facultés.

Il nous a donné l'intelligence pour le connaître, le louer, le contempler un jour face à face; la mémoire pour nous rappeler sa présence, ses bien­faits et ses lois; la volonté pour l'aimer et le servir.

Les sens nous sont d'un grand secours dans la vie, n'en avons-nous pas abusé? Pour les sens aussi nous pouvons contempler les œuvres de Dieu et y lire le reflet de sa sagesse et de sa bonté. Nous pouvons 82 lire et entendre la parole de Dieu et celles des Saints, respirer les parfums de la vertu et repousser les émanations du vice, goûter la sages­se de Dieu et la douceur de son service, éviter ce qui pourrait blesser la pureté.

Nous pourrons nous demander comment N.-S., la Ste Vierge et les Saints se servaient de leurs facultés pour louer et servir Dieu.

4ème meditation. Répétition des trois classes.

Considération sur trois classes de prêtres. La 1re classe s'acquitte de ses fonctions et de ses exercices avec tiédeur et sans fruit. On peut lui ap­pliquer les menaces de l'Apocalypse: «Tu portes le nom de vivant et tu es mort. Réveille-toi et raffermis le reste de ton peuple qui est près de mourir» (Apoc 3, 1-2). «Rappelle-toi de quelle hauteur tu es tombé; fais pénitence, reprends tes œuvres d'autrefois, sinon je vais venir et 83 j'enlèverai ton flambeau de sa place» (Apoc 2,5).

La 2e classe fait des œuvres, mais à sa fantaisie, en y cherchant sa re­nommée, sans suivre les prescriptions de Dieu et des supérieurs. Ce sont des branches qui ne sont pas mises au tronc et n'en reçoivent pas la sève.

La 3e classe travaille avec fidélité à son salut et à celui de ses frères, employant tous les moyens que la loi de Dieu et l'obéissance lui prescri­vent. C'est là la voie que je veux suivre et la résolution que je veux pren­dre. Je sais assez ce que N.-S. demande de moi et ce que nos règles exi­gent. Là est le salut et la vie pour notre chère œuvre. C'est là-dessus que doivent porter mes résolutions.

1ère méditation. Les Apôtres.

N.-S. appela Pierre et André à trois reprises différentes. La première fois quand il était près du Jourdain et qu'ils firent connaissance avec lui (Joan 1,42). La seconde sur la barque quand ils firent 84 la pêche mi­raculeuse (Luc 5,8). Ils le suivirent alors pour entendre sa doctrine, mais avec l'intention de revenir chez eux.

La troisième fois sur la barque, quand Jésus leur dit: Venez et suivez-moi et je vous ferai pêcheurs d'hommes (Marc 1, 17).

Comme il les appellait affectueusement, se rendait affable, serviable et complaisant pour eux, les conduisant dans la maison de sa mère et les vi­sitant familièrement chez eux… Touchantes circonstances de la vocation de Jean, André et Pierre où se manifestent les industries de Jésus, le pas­sage de la grâce, la parole du précurseur et la correspondance des appe­lés (Joan 1 vers. 35-42). - Jean-Bte est avec deux de ses disciples. Jésus passe, il se promène, c'est le passage de la grâce. Le précurseur le mon­tre: Ecce agnus Dei (Joan 1,29). C'est la mission du prêtre, du prédica­teur. Les deux disciples 85 vont vers Jésus pour le voir de près. Jésus arrête sur eux son regard (conversus antem Jésus) (Joan 1,38). Il leur parle, il les interroge. Ils vont plus loin, ils sont gagnés, ils demandent sa de­meure: ubi habitas? (Joan 1,38). Ils restent longtemps avec lui: ils l'ai­ment. La charité est expansive. Ils vont chercher l'un son frère, l'autre son ami, ils disent à Pierre; nous avons trouvé le Messie. Pierre vient, il est gagné à son tour.

Je me rappelle toutes les circonstances et toutes les grâces de ma dou­ble vocation au sacerdoce et à l'œuvre du S.-Cœur: comment N.-S. m'a conduit d'abord à Hazebrouck, comment il a conduit ensuite nos soeurs à S.-Quentin. Merci, ô mon Sauveur. Donnez-moi la grâce de vous suivre désormais avec la fidélité d'un cœur aimant et dévoué jus­qu'à la mort 86.

2ème méditation. Le sermon sur la montagne.

Le sermon a trois parties principales.

1. N.-S. nous enseigne les huit béatitudes, qui sont le remède aux pé­chés capitaux et qui prises dans un sens plus intime sont la voie pour l'union avec Dieu.

2. Il élève à leur perfection les préceptes contre l'homicide, la fornica­tion, le parjure, la vengeance, en nous défendant jusqu'aux pensées mau­vaises, en nous recommandant de ne pas jurer et d'aimer nos ennemis.

3. Il nous recommande l'oraison, le jeûne, l'aumône, qui sont les ver­tus chrétiennes par excellence.

Comme N.-S. est simple et affable! Comme il parle affectueusement, avec douceur et puissance, amenant ses disciples à faire acte des vertus qu'il enseigne.

Et eux, avec quelle révérence, avec quelle attention, ils le regardent et l'écoutent! Comme ils jouissent d'un bonheur 87 ineffable à le voir et à l'entendre!

Je veux être pauvre et particulièrement dépouillé de ma volonté pro­pre; doux et paisible, sous le regard de mon Dieu; rempli de componc­tion, au souvenir de mes péchés et de la Passion du Sauveur, affamé de la justice et de la sainteté, que je trouverai dans la présence de N.-S. et l'union avec lui; miséricordieux, compatissant surtout pour N.-S. qui est tant offensé; pur de cœur en évitant les péchés, les attaches déréglées et la dissipation; pacifique, en tenant mon âme paisible et recueillie sous le regard de Dieu; enfin ami du sacrifice et de la réparation, abandonné à la volonté de N.-S. et aux purifications qu'il pourra demander de moi.

Mitis et humilis corde (Mat 11,29). Tout est là et ces deux mots résument ce que doivent être toutes nos dispositions. Mitis: nous devons tenir nos âmes dans la paix et détachées des choses terrestres. Humilis corde: nous 88 devons les tenir humblement attentives à Dieu et à sa parole.

3ème méditation. La vie de N.-S. Jésus-Christ pendant les trois années de sa prédication.

C'est la vie mixte, la plus parfaite (S. Th. p. 3 q. 10a. 1), la vie active unie à la vie contemplative.

N.-S. se levait de grand matin pour faire oraison: Et diluculo valde sur­gens abiit in desertum locum ibique orabat (Marc 1,35).

St. Pierre et les apôtres se levaient plus tard et le cherchaient (Ibid). N.-S. se retirait aussi le soir et souvent il passait la nuit en prière. Et di­missa turba, ascendit in montem solus orare. Vespere auteur facto, solus erat ibi (Mat 14,23).

Quelles étaient ses prières? Des actes d'adoration, d'amour, de louan­ge, d'action de grâces, de réparation à son Père; des demandes de fa­veurs spirituelles et temporelles pour ses disciples d'alors et pour nous. Non pro eis tantum rogo 89 sed pro eu qui credituri sunt per verbum eorum (Joan 17,20).

N.-S. exerce aussi les fonctions de la vie active. Là il observe trois con­ditions nécessaires: l'édification, l'amabilité, la réserve: conditions nécessai­res pour gagner les âmes en les portant à Dieu.

Toujours il unit la contemplation à l'action. Avant d'agir il lève les yeux vers son Père, il rend grâces, il prie. Souvent l'Evangile nous le si­gnale: Mat 14, 19 - Mat 15,36 - Joan 11,41.

Régler mes prières et régler mes actions, tel sera le fruit de ma retrai­te. Je réserverai assez de temps pour mes prières afin de garder l'union avec Dieu. Je fixerai l'ordre de mes actions d'après leur importance et leur urgence, et je m'appliquerai à les faire devant Dieu dans le calme et l'esprit de foi, d'amour et de réparation, selon ma vocation 90.

4ème meditation. Répétition des méditations de la journée.

Je m'arrête particulièrement à l'une des béatitudes: Beati mundo corde (Mat 5,8).

Je comprends que c'est là le grand secret de la perfection. C'est la voie la plus courte et la plus sûre pour y parvenir. Dieu est toujours prêt à nous donner ses grâces, mais notre cœur rempli de fautes, d'imperfec­tions, d'affections désordonnées n'est pas prêt pour les recevoir. C'est à cette pureté du cœur qu'il faut sans cesse travailler, en évitant les imper­fections, en les effaçant par la componction. C'est ce que nous enseigne l'Imitation (Liv III c. 53): «Mon fils, ma grâce est précieuse, elle ne souffre point le mélange des choses étrangères».

Si donc vous voulez que je répande ma grâce en vous, il faut éloigner tout ce qui y met obstacle. Retirez-vous dans le secret de votre cœur; ai­mez à demeurer seul avec vous-même; ne cherchez la conversation 91 de personne, mais répandez plutôt de ferventes prières devant Dieu, afin de vous conserver dans la componction du Cœur et d'avoir une conscience pure.

Fête de S. Quentin, l'aimable martyr, dont j'invoque la puissante protection.

1ère méditation. Jésus marchant sur les eaux.

Je remercie N.-S. de me suggérer cette méditation qui m'est si utile. Le bon maître avait envoyé ses disciples sur la barque et lui priait à l'écart. C'est ainsi qu'il prie toujours pour nous pendant que nous som­mes exposés sur les flots. C'était bien par sa volonté, par ses ordres qu'ils y étaient. Cependant la tempête s'élève. Une autre fois déjà ils ont passé par la tempête. Jésus était avec eux et dormait. Ils l'ont réveillé, il les a sauvés.

Cette fois Jésus est absent, ils ont peur. Ils devaient cependant comp­ter sur sa protection. Jésus s'avance, nouvelle frayeur, ils le 92 pren­nent pour un fantôme. Comme il les rassure! habete fiduciam, ego sum, noli­te timere (Mat 14,27; Marc 6,50; Joan 6,20).

Pierre lui dit: si c'est vous, dites que j'aille à vous sur les eaux, et Jésus lui répond: viens, veni. Pierre marche d'abord facilement, puis il craint et il s'enfonce, il appelle Jésus à son secours et Jésus le relève.

Jésus et Pierre montent dans la barque et elle va rapidement au rivage. C'est toute mon histoire. Je me suis hasardé sur les eaux en fondant l'œuvre, mais puisque je sais que Jésus veut l'œuvre, ne devrais-je pas avoir confiance! Cependant les tempêtes sont venues, orages multiples venant de mes propres faiblesses, de mes frères, de mes supérieurs, des choses temporelles. J'ai eu peur. Jésus est venu. Je ne l'ai pas toujours reconnu. Je le prenais pour un fantôme 93. J'avais une demi-foi comme Pierre et je m'enfonçais comme lui. Pardon, Seigneur. Affermissez ma foi et ma confiance. J'ose même vous prier de me conduire par les tempêtes, pour­vu que vous m'aidiez. La barque n'en ira ensuite que plus vite et plus ra­pidement au port. Bon maître, étendez encore une fois la main et prenez­moi, et ne me laissez plus défaillir dans l'épreuve et la tentation.

2ème méditation. La mission des apôtres.

Je n'avais pas encore aussi bien compris les chap. IX et X de St. Ma­thieu. Ils contiennent tout le résumé de la formation sacerdotale. Après que N.-S. a lui-même parcouru les villes et les bourgades, en­seignant, prêchant et guérissant (Mat IX 35), il veut s'adjoindre des col­laborateurs. Il appelle ses apôtres et leur fait faire comme une retraite d'ordination, retraite mêlée d'instructions et de prières. Il leur prêche d'abord et excite leur zèle 94: Videns turbas misertus est eis, quia erant vexati et jacentes sicut oves non habentes pastorem. Tunc dicit discipulis suis: messis qui­déni multa, operarii autem pauci (Mat 9,36-37). Puis il les envoie prier: rogate ergo Dominum messis, ut mittet operarios in messem suam (Mat 9,38). Ils s'en vont et ils prient longuement. Alors il les rappelle, et leur donne leur mission apostolique: Et convocatis duodecim discipulis, dedit illis potestatem spirituum immundorum, ut ejicerent eos et curarent omnem languorem et omnem in­firmitatem (Mat 10,1).

Il les envoie deux à deux, il recommande ainsi la vie religieuse, la vie de communauté qui offre tant de secours, de force et de consolation. Il leur trace la besogne: praedicate, dicentes quia appropinquavit regnum coelorum (Mat 10,7).

Prêchez le royaume de Dieu: la pénitence qui est sa préparation, la grâce qui est son imitation, la vie future qui est sa consommation 95. Puis guérissez toute langueur et chassez les démons. Ce sont là les figu­res des sacrements que distribueront les ouvriers évangéliques.

Il leur indique comment ils doivent faire leurs voyages, en observant la pauvreté, le désintéressement, l'abandon à la Providence. Ils porte­ront la paix et Dieu bénira ceux qui les recevront (Mat 10, 7-18).

Il leur prédit des difficultés de tout genre et des persécutions. En cela il lui ressembleront. Mais qu'ils ne se découragent pas: Ne timueritis eos (Mat 10,26).

La grâce les aidera: Dabitur vobis in illa hora quid loquamini (Mat 10,19): qu'ils soient simples et bons comme des colombes; prudents comme des serpents pour ne rien perdre de leurs grâces.

Qu'ils soient courageux jusqu'à prêcher sur les toits et constants jusqu'à la fin.

Seigneur, vous m'avez chargé d'un apostolat spécial, celui de votre Cœur. Donnez-moi la grâce d'y être fidèle et de le 96 remplir avec prudence, mais aussi avec force et avec constance, pour que je n'attriste pas votre Cœur et que je ne perde pas ma récompense.

3ème méditation. Des trois degrés d’humilité.

St. Ignace entend ici par humilité, la soumission à la loi divine, ou le dévouement au service divin, ou plus simplement la vertu.

L'orgueil synthétise le vice: c'est l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu: l'humilité synthétise la vertu, c'est l'amour de Dieu jusqu'au mé­pris de soi.

Le 1er degré est nécessaire au salut. Il consiste à m'humilier et me vain­cre autant qu'il est nécessaire pour éviter le péché mortel.

Le 2e degré correspond à l'indifférence d'estime et de volonté pour les créatures qui est demandée par la Méditation fondamentale. Elle con­siste à me trouver libre d'inclination envers la richesse ou la pauvreté, l'honneur 97 et le mépris, etc., quand le service de Dieu est en question et qu'il y a péril de commettre un péché même véniel.

Au 3e degré, St. Ignace nous demande, pour imiter plus parfaitement N.-S., de préférer la pauvreté et les mépris, quand il n'y a pas de faute à le faire.

Il paraît plus parfait encore de se tenir sans préférence à la disposition de N.-S. dans un parfait abandon à sa volonté; et c'est l'esprit de notre belle vocation. C'est l'esprit de notre profession d'amour et d'immola­tion, qui nous demande de faire des actes fréquents d'abandon et de con­formité à la volonté divine.

Seigneur Jésus, je renouvelle cette profession dont j'ai fait le voeu. Je vous demande pardon de mes manquements et de ceux de mes frères. je vous demande pour nous tous la grâce d'être fidèles à cette belle profession 98.

L'Ecce venio, c'est notre devise. Nous devons l'avoir souvent sur les lèvres et toujours dans le cœur.

4ème méditation. Répétition des méditations de la journée.

Ma grâce ce soir est de me donner tout entier à Dieu. Je veux sacrifier tous mes intérêts aux siens, lui laisser le soin de tout ce qui me regarde et ne m'occuper que de son bon plaisir.

Je veux être attentif et fidèle, à sa grâce, ne lui rien refuser et obéir en tout à mon Directeur. In te, Domine speravi, non confundar in aeternum (Ps 30,2).

1ère méditation. La transfiguration.

Au Thabor, Jésus nous enseigne comment l'autorité doit se transfigu­rer et revêtir un caractère divin. Jésus n'a pas besoin de la transfigura­tion pour lui-même, puisqu'il est l'homme-Dieu, mais en laissant ainsi transparaître quelque chose de ses infinies grandeurs, il veut, comme dans ses progrès de Nazareth, nous servir de modèle 99.

La transfiguration ne s'opère que dans les hauteurs, dans la solitude et la prière. Elle est le rayonnement de la sagesse, de la bonté et de la sain­teté. Moïse et Elie s'entretiennent avec lui. Le grand Législateur et le grand Prophète figurent la parole Divine soit parlée, soit écrite, source de la contemplation et guide de l'autorité transfigurée. Ils lui parlent de sa Passion, cet excès de sa charité. C'est en effet l'amour et le sacrifice qui consacrent l'autorité.

«C'est ici mon Fils bien-aimé, écoutez-le» (Luc 9,35). Voilà l'investi­ture solennelle de l'autorité Divine et le titre authentique pour comman­der et se faire obéir. Le supérieur en reçoit communication dans la me­sure où il est lui-même fils bien-aimé de Dieu et objet de ses complai­sances.

Les apôtres sont les collaborateurs du Sauveur dans le grand ouvrage de la Rédemption du monde; et pour remplir leur mission 100, ils doi­vent aussi être transfigurés… Jésus les forme par la retraite… par la com­munication intime de ses idées et de son plan, qui n'est autre que la con­quête du monde par la croix; par la révélation anticipée de la gloire et du bonheur qui leur sont réservés pour récompense.

Effets de cette transfiguration.

1. dans le supérieur. Il sera respecté, écouté, obéi, comme Dieu mê­me, ipsum audite (Mat 17, 5). Il trouvera un concours empressé, efficace. Il exercera son autorié avec force, tetigit eos, avec une fermeté rassurante, surgite et nolite timere; avec discrétion…

2. dans les inférieurs; ils se réveilleront de leur sommeil ou de leur langueur, evigilantes; ils sentiront le bonheur de vivre sous une autorité transfigurée: bonum est nos hic esse (Mat 17,4).

Ils s'animeront par ce touchant souvenir à remplir toujours avec cou­rage leur sainte mission. O Mon Dieu, changez-moi 101, transformez­moi pendant cette retraite, afin que je devienne vraiment votre fils bien­aimé.

2ème meditation. La résurrection de Lazare.

Que Jésus est aimant, compatissant, fidèle! Seigneur, celui que vous aimez est malade: il est dans la tristesse, dans la tiédeur, dans la peine. Celui que vous avez créé à votre image ne vous ressemble plus. Celui que vous avez racheté par votre sang est redevenu esclave du péché. Ce­lui que vous avez reçu au nombre de vos enfants dans le saint baptême, est assiégé d'une multitude d'ennemis. Celui que vous avez appelé au sacerdoce, à la vie religieuse, est rempli de défauts incompatibles avec une vocation si sainte. Celui que vous avez chargé d'une belle et sainte mission manque de la foi et du courage qui lui sont nécessaires. - Cette maladie n'est pas mortelle, elle est pour la gloire de Dieu (Jn 11,4). - Seigneur, votre parole me rassure et me rend confiance. Je veux correspondre à vos grâces, aidez-moi. - Marthe a confiance en Jésus, mais elle 102 le croit encore un homme, puissant auprès de Dieu: Je sais, dit-elle, que tout ce que vous demandez à Dieu, il vous l'accorde. N.-S. exige davan­tage, avant de lui promettre le miracle. Il veut qu'elle confesse sa Divini­té. «Je suis, dit-il, la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi sera plus fort que la mort. Croyez-vous cela?».

«Oui, Seigneur, répond-elle, je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, venu du ciel en ce monde». - Seigneur, avec Marthe, je crois et j'ai confiance. Ressuscitez votre nouveau Lazare. -Jésus pleu­re et pleure encore, non seulement sur Lazare, mais sur tous les Lazare de l'avenir. Pardon, Seigneur, je vous ai souvent attristé, je le regrette, je le déplore. je ne vous quitte pas que vous ne m'ayez pardonné. - Après la résurrection du pécheur, il reste des liens, des habitudes et des inclinations. Seigneur, délivrez-moi encore de ces liens, afin que je puis­se vous suivre et vous servir en toute liberté 103.

3ème méditation. Rénovation du cœur. Pureté d’intention.

N.-S. a donné son Cœur à Ste Catherine de Sienne et à la Bse Marguerite-Marie à la place du leur. C'est ce que je le prie de faire, mo­ralement du moins, pour moi pendant cette retraite. je veux vider mon cœur de tout ce qu'il a de propre et de personnel, de mes péchés d'abord et de mes inclinations mauvaises, puis de mes vues naturelles, senti­ments et affections; puis je le donne à la conduite de l'Esprit Saint. je prie N.-S. d'y mettre ses sentiments, ses affections, ses vertus; son amour pour son Père, qui allait jusqu'à l'abandon de tout lui-même et l'abnégation de toute volonté propre; sa haine pour lui-même, par la­quelle il se sacrifiait en victime chargée de tous nos péchés; sa charité pour le prochain, qui le faisait se dépenser jusqu'au sacrifice de sa vie pour ses brebis. Hoc sentite in vobis quod et in Christo Jesu (Philip 2,5) 104.

4ème méditation. Se transformer en Dieu.

Quelle fin élevée! C'est la nôtre. Nous avions été créés ad imaginem Dei. C'est le péché qui a détruit la ressemblance. En effacant le péché par la pureté de cœur, nous la rétablissons (St. Léon serm. 1 in jejun.). C'est pour la même fin que le Fils de Dieu est venu dans le monde. Ideo Deus factus est homo, ut homo fieret Deus (St. Aug.). Efficiamur dii propter ip­sum, quoniam ipse propter nos homo factus est (St. Greg. Naz. or. 40 in pa­scha). Quelques vertus principalement sont les plus vives expressions de la divinité.

1. la pureté de cœur, qui consiste dans l'éloignement du péché et sur­tout des vices sensuels. Sancti estote quia ego sanctus sum (Levit c. 11, 44). Custoditio legum, consummatio incorruptionis est; incorruptio autem facit esse pro­ximum Deo (Sap. VI. 19-20).

2. La patience: Dieu pardonne volontiers (St. Chrys. hom. 20 in Mat).

3. La miséricorde. Estote misericordes, sicut et 105 Pater vester caelestis (Luc 6,36).

4. La pauvreté évangélique et le mépris des biens de la terre, et des vanités du monde.

5. Le calme d'un esprit paisible et tranquille.

6. La constance et la perséverance dans le bien.

7. L'amour de Jésus crucifié…

L'âme qui s'attache à Dieu, dit St. Bernard, qui veut ce que Dieu veut et ne peut plus vouloir autre chose, atteint le sommet de la perfec­tion, clausulam omnis perfectionis, la fin, le finissement de toute la perfec­tion et comme le dernier trait de pinceau qui achève le portrait de la divi­nité.

Vous voulez, Seigneur, que je sois saint comme vous, miséricordieux comme vous, patient comme vous, doux et bienfaisant comme vous, Dieu comme vous.

Da quod jubes et jube quod vis.

Estote imitatores Dei, sicut filii carissimi (Ephes 5,1).

1ère méditation. Le jour des rameaux.

Le bon Maître ne s'émeut point. C'est toujours le même 106 calme, la même humilité, la même douceur. Il est reconnu publique­ment pour le Messie et le roi d'Israël, mais il sait que ce jour passera ra­pidement et qu'il sera suivi de près du jour des ignominies et des dou­leurs. - Il envoie les apôtres chercher les deux ânes qui représentent les deux peuples juif et gentil. Ils exécutent de point en point ce qui leur a été commandé et tout leur réussit. C'est ainsi qu'ils iront prêcher l'évan­gile aux nations, fortifiés par la parole de N.-S. - Le bon Maître pleure sur la ville infidèle qui tue les prophètes et qui va bientôt demander sa mort. Le soir même il devra revenir à Béthanie parce que personne n'osera le recevoir dans sa maison. - je ne veux m'émouvoir que de ce qui importe à la gloire de mon Dieu, en méprisant ce qui concerne ma propre gloire et mes intérêts.

2ème méditation. La prédication dans le temple 107.

Le bon Maître se dépense dans ses derniers jours. Le jour il enseigne au temple: Erat docens quotidie in templo (Luc 19,47). La nuit il se retire sur le Mont des Oliviers pour prier: Noctibus vero exiens morabatur in monte qui vocatur Oliveti (Luc 21,37).

Comme il nous enseigne à unir la contemplation à l'action! - Le peu­ple simple et droit va à lui pour l'entendre: Omnis populus manicabat ad eum in templo audire eum (Luc 21, 38). Omnis populus suspensus erat, audiens eum (Luc 19,48). - Il parle avec autorité, avec douceur, avec onction. Il confond les Pharisiens: Vous croyez à Jean Baptiste, leur dit-il, croyez donc en moi puisqu'il m'a rendu témoignage (Mat XXI, 23-27). Aussi ils n'auront aucune excuse de leur péché: Nunc auteur excusationem non ha­bent de peccato suo (Joan 15,22). - Il prédit clairement sa Passion à ses apôtres: Scitis quia 108 post biduum pascha fiat, et Filius hominis tradetur ut crucifigatur (Mat 26,1).

Comme il est bon pour ses amis de Béthanie! «Si quis aperuerit mihi ja­nuam, intrabo ad illum, et caenabo cum illo et ipse mecum (Apoc 3, 20). Puisse­t-il trouver aussi chez nous sa joie, sa consolation, son repos!

Quel est le fond de la doctrine du Sauveur dans ses prédications? Le dogme d'abord: Son autorité, son Eglise, la vie éternelle. La morale en­suite: les béatitudes, opposées aux péchés capitaux, ou plus simplement l'humilité, qui résume toutes les vertus, comme l'orgueil résume tous les vices.

- Je termine ici la seconde semaine des exercices et je la résume par cette résolution, qui sera désormais la règle de ma vie;

Je tiendrai habituellement mon âme paisible et attentive à l'action de la grâce, sous le regard de N.-S. 109.

3ème semaine des exercices.

3ème méditation. Considérations générales sur la Passion.

Les grandes douleurs du Christ ont été celles de son âme, plus encore que celles de son corps. - Il s'est vu couvert de tous les péchés du mon­de, depuis la désobéissance d'Adam jusqu'au dernier blasphème de l'an­téchrist.

Il a voulu porter la malédiction que tous ces péchés méritaient. Il a vu la gloire de son Père outragée. Il a vu les âmes se perdre malgré le sacrifi­ce de sa Passion.

Donnons à notre Sauveur bien-aimé le triple tribut de la réparation: la satisfaction de la pénitence avec Madeleine, la compensation de la chari­té avec St. Jean, et la communauté de la douleur avec Marie.

4ème méditation. Réflexions sur la conformité à la volonté de Dieu.

N.-S. n'a pas fait autre chose que la volonté de son Père. Le prophète le fait parler ainsi 110: «Seigneur, l'abrégé des Livres Saints (c'est ainsi que Bellarmin et les Pères traduisent in capite libri) se réduit à dire que je dois accomplir vos volontés. Oui, mon Dieu, je les veux accom­plir; votre loi est écrite au fond de mon cœur» (Ps 39,7-8).

N.-S. l'a répété: je ne cherche pas ma volonté mais la volonté de celui qui m'a envoyé - Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père - je ne reconnais pour mes frères, mes soeurs et ma mère que ceux qui font la volonté de mon Père - Voulez-vous donc que je refuse de boire le ca­lice que m'a donné mon Père. -Je fais toujours son bon plaisir. - En effet Dieu avait tracé la vie du Sauveur par les figures et les prophèties. N.-S. est venu exécuter, jusqu'au dernier iota.

C'est qu'elle est bien belle et bien parfaite cette volonté Divine, puisqu'elle est un acte Divin. Elle surpasse toutes 111 les beautés créées réunies, y compris les Anges et les Saints. - Dieu et N.-S. ont aussi pour moi des volontés et un plan de vie. Je me donne à cette volonté. Je m'abandonne aux mains de mon Sauveur. J'ai confiance en lui. Il me conduira pour le mieux de sa gloire et de mon salut. C'est un pacte que je fais avec lui. Suscipe, Domine, universam meam libertatem…

1ère méditation. La Cène.

C'est un sujet immense. J'y veux voir surtout comment N.-S. désire souffrir pour moi et comment il commence à souffrir. C'est d'abord mal­gré le désir de sa Mère et de Madeleine qu'il est allé faire la pâque à Jé­rusalem. Elles voulaient le retenir parce qu'elles pressentaient ce qui al­lait arriver. Son amour pour moi fut donc plus puissant que le désir de sa Mère. Les apôtres sont bien émus. St. Jean est bien empressé et il s'attache 112 à Jésus plus que jamais. Au souper, N.-S. leur dit cette parole qui leur perce le cœur comme un glaive: J'ai désiré manger cette pâ­que avec vous avant que je souffre ma Passion (Luc 22,15). Et l'un de vous me tra­hira (Mat 26,21).

Jésus fait connaître le traître à St. Jean, qui pleure discrètement sur le cœur de son bon Maître.

Jésus leur lave les pieds. Comme il souffre aux pieds de judas. Le traî­tre reste insensible à cette marque de bonté.

N.-S. institue alors le nouveau sacrifice: Voici mon corps, qui sera livré pour vous, mon sang qui sera versé pour vous (Luc 22,19-20). Judas communie indignement.

Il part et Jésus, pressé de souffrir pour moi lui dit: Fais vite ce que tu dois faire (Joan 13, 27).

Que ferai-je donc pour Jésus, qui me marque tant d'amour? Je me donne de nouveau à lui pour faire et souffrir ce qu'il voudra 113.

2ème méditation. Le lavement des pieds.

Sciens quia omnia dédit ei Pater in manus… coepit lavare pedes… (Joan XIII, 3). (Quel abaissement! Quelle humilité!

Il va à judas. Les grâces n'ont pas manqué à ce malheureux. N.-S. me poursuit aussi de ses avertissements et de ses grâces: épreuves, aver­tissements surnaturels, grâce de tout genre, rien ne m'a manqué. Je prie N.-S. que ce ne soit pas en vain comme pour judas.

Jésus va ensuite à Pierre: Si non lavero te, non habebis partem mecum. Oh, oui, Seigneur, Non tantum pedes, sed manus et caput (Joan XIII,8-9), les af­fections, les actions et les pensées. Purifiez-moi tout entier pour que j'ail­le à l'autel, à la communion, à la prière avec un cœur bien pur.

Affectionnez-moi à la pureté de cœur. Je sens combien cette grâce m'est nécessaire.

3ème méditation. De l’obéissance parfaite de N.-S. à la volonté de son Père dans sa Passion 114.

Il a été obéissant jusqu'à la mort de la croix. Il n'a pas devancé l'heu­re: nondum venit bora (Joan 2,4). Mais quand l'heure a été venue, rien n'a pu le retenir. Ne boirai-je pas le calice que mon Père m'a préparé?. Son obéis­sance a été complète, joyeuse, surgite, eamus (Mat 26, 46); douce, silen­cieuse, comme celle d'un agneau. - Donnez-moi, Seigneur, la grâce d'être bien docile à toutes vos volontés, à tous les événements qui les ex­priment. Que la disposition de mon cœur soit un fiat perpétuel et une paix imperturbable!

4ème méditation. L’Eucharistie et le Cœur de Jésus.

Le Cœur de Jésus dans l'Eucharistie est le cœur d'une victime. Il s'est offert en victime à son entrée dans le monde (cf. Heb X, 5). Il conti­nue dans l'Eucharistie. Par rapport à son Père, victime d'holocauste, d'obéissance, d'amour. Par rapport à lui-même, victime d'anéantisse­ment et 115 d'humilité; et comme médiateur, victime de réparation et d'expiation. Par rapport au prochain, victime de charité et de propi­tiation. Hoc sentite in vobis (Philip 2, 5).

- Je me donne entièrement à mon Sauveur. Je m'abandonne tout à lui pour faire tout ce qu'il voudra et devenir ainsi avec lui une victime agréable à son Père. - J'imiterai par la vie intérieure, par la docilité à la grâce, les anéantissements de Jésus-Hostie et le don de lui-même à son Père.

1ème méditation. Le discours après la Cène.

Jésus ouvre son cœur à ses disciples plus pleinement qu'il ne l'a fait jusqu'alors. Ne vous attristez point (Jean 14,1), leur dit-il, je m'en vais, mais nous ne serons pas longtemps séparés. Je reviendrai. Je m'en irai encore pour un temps, mais je vous laisserai mon Esprit avec ses grâces pour vous consoler et puis je viendrai vous prendre pour vous mettre dé­finitivement avec 116 moi dans la maison de mon Père.

Affermissez votre foi. Vous avez reconnu par mes œuvres que je ne fais qu'un avec mon Père. Ayez confiance. Je vais me livrer à mes enne­mis pour que le monde sache que j'aime mon Père et que je fais ce qu'il m'a ordonné.

Restez-moi fidèle et attaché comme un cep est attaché à le vigne. Gar­dez bien mon amour. Prouvez-le en observant bien tout ce que je vous ai dit. Aimez-vous les uns les autres. Ne vous laissez pas abattre par les per­sécutions. Elles passeront et je serai avec vous pour vous aider… (cf. Jean 14-16). - Seigneur, je prends pour moi ce programme. Je vous aime ex­trêmement, je veux vous rester uni et faire votre volonté. Aidez moi.

2ème méditation. L’Agonie.

1er cause de la tristesse de Jésus: l'appréhension de ses souffrances et de sa mort. Il souffre tout d'avance et tout à la 117 fois. Il avait tou­jours sa Passion devant les yeux: Dolor meus in conspectu meo semper (Ps 37, 18). Mais maintenant que l'heure est venue, l'impression est plus vive: circumdederunt me dolores mortis (Ps 17,5).

2e cause: Les péchés dont il est chargé:

Omnes nos quasi oves erravimus, unusquisque in viam suam declinavit, et posuit onus in eo iniquitatem omnium nostrum (Is 53, 6). La honte et la confusion l'accablent: Torrentes iniquitatis conturbaverunt me (Ps 17,5).

3e cause: l'inutilité de ses souffrances et de sa mort pour un grand nombre de pécheurs obstinés, et le peu de fruit qui doivent en retirer tant de chrétiens lâches et indifférents… St. Michel vint le fortifier.

Pater non sicut ego volo, sed sicut tu (Mat 26, 39). Surgite, eamus (Mat 26, 46). N.-S. visite ses apôtres pour voir s'ils veillent et s'ils prient comme il le leur a recommandé. Je dois aussi surveiller mes inférieurs.

3ème – 4ème méditation.

L'après-midi, repos. Pèlerinage à Mt-Notre-Dame où de magnifiques ruines abritent une petite relique de la chère 118 Sainte pénitente: Marie-Madeleine.

1ère méditation. Jésus pris et conduit chez Anne.

Jésus est trahi par judas, cela nous fait horreur, et cependant est-ce que cela n'arrive pas encore journellement par des sacrilèges qui se com­mettent même parmi les disciples privilégiés! Que Jésus est bon et pa­tient! Il appelle judas son ami. Mon bon maître m'a averti aussi après mes fautes. Cette retraite encore est une grâce de conversion. Merci, ô mon Sauveur. -Jésus est toujours obéissant à son Père: L'heure est ve­nue, il accomplit les prophéties: Sed haec est hora vestra et potestas tenebrarum (Luc 22,53). Hoc autem totum factum est ut adimplerentur scripturae prophetarum (Mat 26,56). - Il ne veut pas que St. Pierre et ses disciples s'opposent à son arrestation: calicem quem dedit mihi Pater non bibam illum? (Joan 18,11). - Chez Anne, le bon Maître est insulté 119 et souffleté. Et que sont nos péchés, sinon des soufflets sur la face du Sauveur?

Seigneur, donnez-moi des larmes pour pleurer mes fautes et daignez me les pardonner…

2ème méditation. Le bon Maître comparaît une lire fois devant Caïphe au milieu de la nuit.

Il est interrogé, il est accusé de blasphème. Il est jeté en prison. Pierre le renie. Ses gardiens l'insultent, le conspuent, se jouent de son nom de Christ. Et viri qui tenebant illum, illudebant ei caedentes (Luc 22,63). Et coepe­runt quidam conspuere eum et velare faciem ejus (Marc 14,65). Et palmas in fa­ciem ejus dederunt… (Mat 26,67). Le bon Maître veut accomplir toutes les prophéties: Corpus meum dedi percutientibus, et genas meas vellentibus. faciem meam non averti ab increpantibus et conspuentibus in me (Is 50,6). Mes péchés, hélas! ont concouru plus que je ne puis le penser, aux traitements indi­gnes que souffre dans cette nuit le Fils de Dieu 120.

Le matin, le bon Maître salue cette journée rédemptrice. Le conseil se réunit de nouveau et il est condamné à mort… à cause de mes péchés.

3ème méditation. De l’humilité.

C'est le fruit de la méditation de la Passion. Obedire et humiliari. Voilà ce que N.-S. a désiré, a voulu dans sa passion, pour expier notre orgueil. Que sommes-nous en réalité? Néant et péché. Le péché seul est de nous. Les dons de la nature et les vertus sont de Dieu, Qui operatur in vobis et velle et perficere (Phil 2,13).

Nous n'avons pas besoin pour être humbles de nier ce qu'il y a de bon en nous, mais il faut en rapporter l'honneur à Dieu. Humilions notre ju­gement dans cet aveu que tout bien vient de Dieu, et notre volonté dans l'obéissance à nos règles, à la grâce, aux faits providentiels. - N.-S. avait soif des humiliations, demandons la même grâce 121.

4ème méditation. Jésus chez Caïphe. Application des sens...

O mon bon Maître, quand je vous vois accusé et condamné comme blasphémateur; quand je vous vois insulté par une tourbe de valets et de soldats grossiers; quand j'entends les grossières injures qui vous sont di­tes; quand je sens les odeurs de cette foule injuste et cruelle; quand je goûte l'amertume de votre cœur, quand je touche vos chaînes et les bâ­tons qui vous frappent; quand j'essuie les crachats qui couvrent votre vi­sage divin, je trouve bien légères les humiliations par lesquelles l'adora­ble Providence me fait expier mes fautes. De votre cœur s'élève, comme un parfum céleste, un hommage d'amour et de sacrifice qui monte vers votre Père. J'y unis les dispositions de mon pauvre cœur. Je vous l'abandonne, il fera ce que vous voudrez, avec une préférence cependant pour les 122 mépris et les souffrances, qui le rendront plus semblable au vôtre.

1ère méditation. Jésus accusé devant Pilate.

Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï le premier (Joan 15,8). - A l'exemple de Jésus, je supporterai les mépris, les humiliations. je les of­frirai avec lui à son Père en sacrifice de réparation et d'expiation. Com­bien est grande la lâcheté de Pilate. Dix fois il essaie de sauver Jésus et il n'en a pas le courage. N'est-ce pas ainsi que j'ai souvent sacrifié Jésus à cause des réclamations de mes passions, de mes affections déréglées ou du monde?

Je vous en demande de nouveau pardon, ô mon Sauveur. -Jésus af­firme sa royauté, mais c'est une royauté doctrinale, la royauté des cœurs. Je suis né et je suis venu, dit-il, pour enseigner la vérité (Joan 18,37). Mes affections et ma conduite sont-elles conformes à la doctrine de Jésus? C'est le signe auquel je puis voir si je suis de son royaume 123.

2ème méditation. Jésus envoyé à Herode.

Le bon Maître est au milieu de ses ennemis comme un agneau au mi­lieu des loups, résigné à la volonté de son Père, et prêt à souffrir de nou­veaux opprobres et de nouveaux tourments pour me sauver. - Jésus a par­lé à Pilate, il l'a mis sur le chemin de la foi. Il ne dit rien à Hérode: Hé­rode a abusé de toutes les grâces, il a tué Jean-Baptiste. Hérode repré­sente les mondains légers et sensuels auxquels N.-S. ne peut pas parler parce qu'ils n'ont aucune pureté d'intention. Comme ce silence de Jésus est effrayant. Ah! Seigneur, parlez à mon âme. Vos reproches me seront plus salutaires que votre silence. Loquere, D(omi)ne. audit servus tuus (1 Reg 3, 9-10).

3ème méditation. Sur la réforme de notre intérieur et de notre conversation.

N.-S. nous enseigne dans sa Passion par son silence et par ses paroles brèves et saintes, son union avec son Père. Il ne fait 124 que ce que son Père veut. Soyons tout à Dieu par nos pensées, nos affections, notre imagination. Ou pensons à lui, ou pensons à ce qu'il veut pour le mo­ment. Que notre conversation aussi soit de Dieu ou selon Dieu. Que no­tre cœur répète un flat perpétuel ou plutôt un hymne perpétuel de re­connaissance. Dieu est en toutes les créatures et en tous les événements ou par sa volonté positive ou par sa permission. S'il me console, je le re­mercie; s'il m'éprouve, je le remercie encore, car l'épreuve fortifie et pu­rifie.

4ème méditation. La flagellation, le couronnement d’épines, l’Ecce homo.

Les douleurs du bon Maître ont été bien excessives. Leur contempla­tion est accablante. Elles sont bien exprimées par Isaïe: (LXIII 2-5). Il n'a plus de beauté; il est tout défiguré. On ne le reconnaît plus. Il est méprisé et acca­blé de 125 châtiments comme le dernier des hommes. Il a vraiment pris sur lui nos fautes et il s'en est chargé et Dieu l'a frappé et humilié. Il a été couvert de blessu­res et broyé à cause de nos iniquités et de nos crimes. Le châtiment qui venait nous procurer la paix s'est appesanti sur lui (disciplina pans nostrae super eum) et nous avons étéguéris par ses plaies livides. - O bon Maître, je n'ai plus qu'un dé­sir, c'est de vous donner avec St. Jean la compensation de l'amour. C'est là le baume qui peut adoucir vos souffrances. Mettez cet amour dans mon cœur et rendez-le aussi intense que ce pauvre cœur le pourra porter.

1ère méditation. Ecce homo. Ecce rex vester (Joan 19,14).

Oui, Seigneur, vous êtes notre roi. Vous êtes le roi du ciel et de la ter­re, je vous salue. Je reconnais votre royauté 126 et tous ses droits. Je désire voir cette royauté universellement glorieuse. Adveniat regnum tuum. Venez, filles de Sion et voyez votre roi avec le diadème dont sa mère l'a couron­né au jour de ses fiançailles et de sa joie (Gant 3,11).

Oui, Seigneur, vous aimez cette couronne et vous en êtes fier parce qu'elle est le triomphe de votre amour. Votre cœur se réjouit d'avoir tant souffert pour prouver votre amour à votre Père et aux âmes; et à moi aussi, ô mon Sauveur.

- Dieu le Père aussi nous dit: Voici l'homme (Jn 19,5). Voici mon Fils. Si je ne l'ai pas épargné, si je l'ai livré à ces excès pour vous, ne vous ai-je pas tout donné avec lui? Pouvez-vous douter de ma bonté? N.-S. aussi nous dit: Voici l'homme. Regardez-moi et demandez tout ce que vous voulez. Tous ces tourments sont à vous. Mon sang, mes méri­tes vous appartiennent 127. Venez tous, vous qui souffrez et je vous soulagerai (Mat 11,28). - Nous aussi, nous pouvons dire à Dieu: Voici l'homme. Vous cherchiez un homme qui s'interposât entre vous et le pécheur, pour arrêter les fléaux de votre justice (Ezech 22). Voici cet homme: Pardonnez-nous.

2ème méditation. Jésus condamné à mort et crucifié.

Pilate est toujours le triste modèle de mes faiblesses et de mes conces­sions. Le Sauveur s'abandonne à son juge et à la mort, parce qu'il sait que selon l'ordre de la justice de son Père, sa mort est l'unique moyen de sauver le monde. Il s'abandonne donc sans murmure à celui qui le juge injustement (1 Pet 2,23). O mon Sauveur, que votre sang divin tombe sur moi pour me purifier de toutes mes souillures. je vous offre le mien et je suis prêt à le répandre pour celui qui a donné tout le sien pour moi 128.

3ème méditation. Jésus-Christ en croix.

Combien N.-S. a souffert sur la croix, surtout en son cœur.

1. Il considère tous nos péchés qui pèsent sur lui et cette vue l'écrase et le révolte.

2. Il voit une infinité de pécheurs obstinés qui se précipiteront en en­fer sans profiter de la rédemption.

3. Il se voit abandonné de son Père en expiation de nos fautes.

4. Il est abandonné de ses disciples.

5. Il voit souffrir cruellement sa Mère si bonne et qui méritait tant d'être heureuse… Et tout cela c'est à cause de moi. Dilexit me. - Quelle est ma reconnaissance pour un tel bienfait? Quel est mon amour, mon dévouement pour un pareil ami? Quelle est ma haine pour le péché qui est la cause de toutes ces souffrances du bon Maître? - Du haut de la croix Jésus m'enseigne l'humilité, l'obéissance, la patience, la chari­té, la mortification 129. La mort du Christ est ma vie. Son sang m'enivre d'amour et sa Passion est la source de toutes grâces et de toute force.

Que ferait de plus pour nous le Sauveur si nous étions pour lui des dieux? - Et son Cœur ne change pas. Il nous aime tout autant aujourd'hui. - A la suite de Jésus, les croix sont douces. Il a bu toute l'amertume du calice pour ne nous en laisser que la douceur. - Par ses mérites surabondants, il n'a pas seulement payé toutes nos dettes, mais il a des réserves infinies de grâces de tout genre et de tout ordre. Haurietis in gaudio (Is 12,3).

4ème méditation. La descente de croix et la sépulture.

Comme Marie et Jean en contemplant toutes les plaies du bon Maître lui donnent cette compensation d'amour que je voudrais lui donner! Marie est confiante. Elle rappelle aux amis fidèles du Sauveur la 130 promesse du prophète: non dabis sanctum tuum videre corruptionem (Ps 15,10). Marie-Madeleine et Marie de Cleophas restent fidèles auprès du tom­beau: sedentes contra sepulcrum (Mat 27,60). Et moi j'oublie trop souvent Jésus qui est en nos tabernacles comme dans un tombeau.

Mon cœur aussi est un tombeau où Jésus descend par la S. Commu­nion. Est-il toujours neuf ou suffisamment renouvelé? Est-il dans un jar­din orné des fleurs de la pureté, de la charité et de l'humilité?

1ère méditation. L’ouverture du cœur de Jésus.

Vous avez voulu, Seigneur, nous ouvrir votre Cœur. Qui dira tous ses titres, toutes ses amabilités, toutes ses richesses? Il est le sanctuaire de la Ste Trinité - le modèle de toutes les vertus - un abîme de tendresse - la source de toutes les miséricordes - le refuge et l'asile de tous: refu­gium peccatorum, fortitudo debilium, consolatio affictorum 131, perseverantia ju­storum, salus in te sperantium, spes in te morientium - Il est la source d'une eau purifiante, la source d'un sang enivrant et fortifiant

2ème méditation. Encore le S.-Cœur.

Videbunt in quem transfixerunt (Joan 19,37). Seigneur, donnez-moi la grâce de voir et de lire dans l'intérieur de votre Cœur transpercé. La con­naissance intime de votre Cœur produira dans le mien l'amour de re­tour et l'esprit de sacrifice. - Que pensiez vous en votre Cœur, ô mon Sauveur? Vous vous disiez: «Que vais-je faire pour ces enfants que j'ai­me? Je vais expier toutes leurs fautes, je vais accumuler pour eux des mérites et des trésors de grâces. Je vais gagner leurs cœurs à la compas­sion par le spectacle de mes souffrances comme je les ai gagnés à mon amitié par les amabilités de mon enfance et les bienfaits de ma vie publi­que». Et ce que vous 132 aviez projeté, ô mon bon Maître, vous l'avez accompli avec la prodigalité d'un ami passionné.

Ah! donnez-moi la vraie dévotion à votre Cœur sacré. S'il est vrai que «cette dévotion, éminente entre toutes, est et sera toujours comme un peu réservée» (P. de Poulevoy); découvrez-m'en les secrets et à tous ceux qui se consacrent avec moi à l'amour de ce Divin Cœur.

3ème méditation. Les sept paroles de Jésus en croix.

Il y eut sans doute d'abord une parole qui n'est pas reproduite par l'Evangile, et qui fait l'offrande du sacrifice de notre bien-aimé Sauveur: «Me voici, mon Père, vous m'avez demandé de m'offrir en victime pour le salut du genre humain. Me voici. Pardonnez aux pécheurs. Soyez miséricordieux pour l'amour de moi. Comblez les justes de grâ­ces. Donnez à la terre toutes les grâces promises par les prophètes 133. Ouvrez le ciel aux âmes rachetées…».

Les sept paroles ne sont que des applications de cette offrande générale:… Mon Père, pardonnez même à mes bourreaux s'il est possible, bénissez particulièrement ma Mère et mon disciple bien-aimé et ceux qui me seront fidèles comme eux - pardonnez au larron et à tous les pécheurs pénitents - voici que vous semblez m'abandonner et que ma Passion se consomme - J'ai soif de vous retrouver et d'achever l'œuvre de la ré­demption - Maintenant tout est accompli - Je vous remets l'âme et la vie que vous m'aviez données et je me jette dans vos bras et dans votre sein. 4e méd. La compassion de Marie.

Quelle soirée! les adieux au tombeau et à la croix, et la rentrée à Jéru­salem… sans Jésus! - Et quelle nuit! Nuit de larmes, de sanglots 134. Mais aussi nuit de prière et de résignation! - Et le samedi, quelle journée! Pierre vient chez Notre-Dame, puis les autres disciples, tous pleurants et désolés et confus de leur fuite et de leur lâcheté. Et toute la journée se passe dans les récits les plus émouvants, Pierre et Jean racon­tant à Marie ce qui s'est passé à Gethsémani et devant les tribunaux. Marie seule garde la foi et la confiance entière. Et le soir, après la solen­nité du Sabat, Madeleine va acheter des aromates et les prépare avec Marie. - O Marie, vous êtes ma rédemptrice avec Jésus. Apprenez­moi à le consoler en souffrant avec lui. Pour vous consoler vous-même, je comprends que je dois surtout épargner votre Fils et ne plus le blesser par mes péchés 135.

4ème semaine des Exercices

1er méd. La résurrection de NA. et son apparition à Notre-Dame. Dans cette 4e semaine, St. Ignace nous conduit au pur amour. Il nous indique comme grâce à demander à chaque méditation celle de nous ré­jouir de la résurrection et du triomphe de N.-S. par amour pour lui, en nous oubliant nous-mêmes. - Pendant que Madeleine et ses compagnes

allaient au sépulcre, notre bonne Mère priait: «Mon Dieu, disait-elle, vous êtes tout puissant et infiniment bon, rendez-moi mon Fils que j'ai donné pour le salut des pécheurs. Et vous, mon Fils, vous m'avez pro­mis de ressusciter le troisième jour, ce jour est venu, revenez, je languis loin de vous». Le bon Maître lui apparut radieux et d'une beauté ce­leste. Marie l'adora puis se jeta à son cou. Quel épanchement délicieux! Jésus raconte à sa mère sa visite triomphale aux Limbes. Il lui montre ses cicatrices 136 glorieuses. Marie rend grâces: «Béni soit Dieu, dit­elle, qui m'a rendu mon Fils. Qu'il soit loué et glorifié pendant toute l'éternité».

2ème méditation. Apparition à Madeleine.

Madeleine va au sépulcre avec Marie Cléophas et Marie Salomé. Ses deux compagnes effrayées par la vision de l'ange s'enfuient. Madeleine reste et elle est récompensée par l'apparition du Sauveur. Quand j'ai perdu la grâce de Jésus par le péché ou ses consolations par la tiédeur, si je sentais comme Madeleine la grandeur de ma perte, je le retrouverais comme elle, avec une abondance de joie qui surpasserait toutes mes espérances. St. Bonaventure pense que malgré le Noli me langere, N.-S. ne quitta pas Madeleine sans lui permettre d'embrasser ses pieds et ses mains -.

3ème méditation. Sentiments de joie et de confiance.

J'ai confiance. Le bon Maître a bien 137 voulu apparaître à Made­leine, de qui il avait chassé sept démons; à St. Pierre, le renégat. Il ne me délaissera pas non plus parce que je déteste mes péchés.

4ème méditation. Répétition.

Il faut que nos âmes, ressuscitées par la grâce, aient des qualités ana­logues à celles des corps glorieux: l'agilité, pour obéir promptement à la volonté divine et aux mouvements de la grâce; la clarté, pour édifier le prochain; la subtilité, pour passer à travers les occupations de ce monde sans perdre l'union avec Dieu; l'impassibilité, pour surmonter sans trouble et sans abattement les épreuves et les tentations de cette vie. - O mon bon Maître, donnez-moi un cœur tendre pour vous aimer, un cœur comme celui de Marie, de Madeleine, de Gertrude, de Thérèse, de Marguerite-Marie.

1ère méditation. Apparition à St. Pierre.

Pierre et Jean coururent au sépulcre avec un 138 empressement bien ardent. Ils ne virent que les linceuls et ils revenaient heureux de la résurrection mais désireux de voir Jésus.

Petrus abiit secum mirans quod factum fuerat (Luc 24,12). Un peu plus tard le bon Maître apparut à Pierre, qui se jeta à ses pieds et lui confessa sa trahison, mais le bon Maître l'embrassa et lui dit: «Aie confiance, tu es pardonné, maintenant confirme tes frères». Le bon Maître se manifesta aussi sûrement à Jean, soit en même temps que Pierre, soit quand il re­vint auprès de sa Mère après avoir été consoler Madeleine.

2ème méditation. Répétition.

Ille alius praecucurrit citius Petro et venit prius ad monumentum… non tamen introivit (Joan 20, 4-5). Jean a les ailes des âmes chastes pour courir à Dieu (St. Jerôme). Il respecte la primauté de Pierre sans tenir compte de ses fautes 139. Sachons voir N.-S. dans nos supérieurs et dans le pro­chain.

3ème méditation. La sainteté sacerdotale.

Jésus ressuscité donne à ses prêtres des pouvoirs merveilleux. Le prê­tre est l'homme de Dieu et comme un Dieu sur la terre, car il peut re­mettre les péchés et engendrer tous les jours le Fils de Dieu. Il est le sel de la terre, le canal des grâces; la lumière du monde, le docteur de l'Evangile; la cité placée sur la montagne, l'exemple et le guide de tous. Il a autorité pour enseigner et pour diriger et il doit en user: hac loquere et exhortare, et argue cum omni imperio. Nemo te contemnat (ad Titum 2,15). Il prie au nom de l'Eglise. Il offre le sacrifice pour l'Eglise. Pourquoi hélas! le sel s'est-il affadi et la lumière s'est-elle obscurcie par la tiédeur d'un 140 grand nombre?

4ème méditation. Apparition aux disciples d’Emmaüs.

Ils se laissent trop aller à la tristesse et cherchent consolation à la cam­pagne auprès des créatures. Ils manquent de foi et ne croient pas au té­moignage des saintes femmes, de Pierre et de Jean. La croix les a scan­dalisés. - Que Jésus est bon, il court après ces brebis errantes. C'est ainsi qu'il fait pour nous. - Sperabamus quia ipse esset redempturus Israël (Luc 24,21). Ils n'ont pas compris la croix, Jésus a la bonté de la leur ex­pliquer. - Jésus fait semblant de s'éloigner. Il veut être prié. O mon Sauveur, je vous répète mille fois: Mane nobiscum (Luc 24,29). Il se fait soir, la retraite touche à sa fin.

J'ai peur du monde, des tentations, des responsabilités. Mane nobiscum O bone Jesu exaudi me. Intra vulnera tua 141 (et cor tuum) absconde me. Ne permutas me separari a te. Amen.

1ère méditation. Répétition de l’apparition: St. Pierre.

Amour pénitent, amour reconnaissant et dévoué: ce sont les dispositions de St. Pierre. Elles doivent être les miennes. Elles doivent être le fruit de ma retraite et ma résolution pour tout le reste de ma vie. St. Apôtre, aidez-moi. Avec St. Jean, prenez-moi désormais sous votre pro­tection comme si je portais votre nom avec le sien.

2ème méditation. Jésus apparaît aux apôtres.

Ils sont tristes et désolés: Quando Jésus adest, totum bonum est: esse sine Je­su, gravis est infernus (Imit 2,8). Pax vobis! (Joan 20,19). Recevez la paix pour vous et donnez-la au monde par la rémission des péchés. Quelques­uns hésitent un moment. Cependant peu à peu ils se jettent à ses pieds, lui demandent pardon de leur fuite. Ils palpent ses plaies 142 et en re­çoivent mille grâces: Haurietis aquas (Isaïe 12,5). Quelle joie! quelle allé­gresse! quelle douceur! quelle pâque! Marie est là et puis Madeleine. On retient Jésus tard, il est si beau et si bon! Il aime à être retenu. Il les bé­nit. On lui demande de revenir bientôt…

3ème méditation. La sainte messe.

Précieuse et opportune méditation. Rendez-moi, Seigneur, l'intelli­gence parfaite de la grandeur du S. Sacrifice, de la sainteté infinie de cet­te action où vous êtes le principal acteur, où les anges sont présents, ado­rants et tremblants, où les plus grands intérêts sont en jeu: la gloire de Dieu, le bien de l'Eglise, le salut des vivants et des morts. Pardonnez­moi, Seigneur, toutes les négligences dont je me suis rendu coupable et ne permettez plus que je retombe dans la tiédeur 143.

4ème méditation. L’apparition aux apôtres en présence de Thomas.

Que N.-S. se montre bon encore là! Il a pardonné à Thomas son in­crédulité, son orgueil, son mauvais esprit. Il me pardonnera aussi; j'en ai la confiance. Dominus meus et Deus meus (Joan 20,28). Seigneur, je pro­clame avec Thomas que vous êtes mon Seigneur et mon Dieu. Pardonnez-moi en particulier toutes mes négligences à la sainte messe, tous mes manques de foi, d'humilité et de ferveur. Permettez-moi, ô mon Sauveur, de mettre aussi ma main dans votre Cœur pour y puiser le pardon, la force, la persévérance.

1ère méditation. St. Jean et l’Eucharistie.

Que je voudrais comme St. Jean savoir reposer avec abandon et tendresse sur le Cœur de Jésus à la sainte communion! Ego dilecto meo et ad me conversio ejus (Gant 7,10). «Je suis à mon Bien-aimé et son Cœur se tourne vers moi». Jésus est là, heureux 144 de s'immoler pour nous. Il est le Dieu de paix et d'amour. St. Jean est là, l'ami de l'époux. Ravi de la communion qu'il vient de faire, il laisse tomber tendrement sa tête sur la poitrine de son Maître chéri.

La chasteté des sens et du cœur prépare à cette union ineffable. O puissance de ce contact sacré! Jean appuie sur le Cœur de Jésus son front qui sera orné de tant de rayons merveilleux de science et de sagesse et qui sera ceint de l'auréole des apôtres, des prophètes, des vierges, des martyrs. De ses lèvres découleront les fleuves de la théologie sacrée. Sa main écrira les mystères de la pureté incréée, le Verbe de Dieu fait chair pour le salut du monde. - Il se dit là peu de paroles. St. Jean comprend ce Cœur qui devra se révéler à la fin des temps: Dieu est charité; la charité bannit la crainte; celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu (1 Joan 4,8). Jésus a pu échanger avec Jean ces paroles qu'il a échangées avec Marguerite Marie: «Voilà ce Cœur qui a tant aimé 145 les hommes. Regarde si tu trouves un père blessé d'amour pour son fils unique, qui ait pris au­tant de soin de lui donner des marques de sa tendresse que je t'en ai don­né». - «O Seigneur, blessez mon cœur, transpercez-le de part en part afin qu'il ne puisse plus rien contenir de terrestre et d'humain (Bse M.-M.).

2ème méditation. Apparition sur le bord de la mer et pêche miraculeuse.

Méditation pleine de mystères consolants et encourageants. Les apôtres ont fait un long travail infructueux, ils ne se découragent pas: je ne me découragerai pas non plus. Jésus vient et les aide. J'ai la confiance qu'il viendra aussi et m'aidera. Jean reconnaît le bon Maître parce qu' il est pur: la pureté de cœur prépare l'union avec Dieu. Pierre répare son tri­ple reniement par une triple confession. Je réparerai aussi et je veux le faire tous les jours et N.-S. me pardonnera et me rendra ses grâces 146.

3ème méditation. Le saint office.

Le prêtre priant l'office, c'est Jésus continuant son intercession sacer­dotale. C'est l'Eglise de la terre unie aux concerts de l'Eglise du ciel. C'est l'Eglise suppliante, qui fait descendre du ciel les grâces dont elle a besoin et qui éloigne les maux dont elle est menacée… «Qualem, quaeso, oportet esse sacerdotem, qui pro civitate tota, imo pro universo terrarum orbe, legatus intercedit, deprecatorque est apud Deum.. Quasi mundus illi universus concreditus, atque adeo omnium imminentium defunctionem postulans… (St. Chrys, de Sac. 6.4).

4ème méditation. Répétition de l’apparition à Tibériade.

Que Jésus est bon! Il bénit la pêche, il prépare un repas. C'est ainsi qu'il pourvoit à tous nos besoins. Il relève St. Pierre aux yeux de tous et lui 147 rend toutes ses prérogatives. Seigneur, affermissez dans mon cœur l'amour pénitent et l'amour confiant, reconnaissant et généreux qui doivent être pour moi les fruits de cette retraite.

1ère méditation. Apparition de N.-S. en Galilée.

Le bon Maître avait donné un rendez vous précis (Mat 28,16). Les disciples y vont et y attirent tous les disciples de Galilée. Le bon Maître se manifeste aux apôtres et à cinq cents disciples. Il résume la constitu­tion de son Eglise: Euntes ergo docete omnes gentes - baptizantes eos… - do­centes eos servare omnia quae mandavi vobis (Mat 28,19). - Le dogme, les sa­crements, la morale: c'est tout l'objet de la mission des apôtres. - Ecce ego vobiscum sum (Mat 28,19). Le bon Maître est avec l'Eglise enseignante pour la diriger, mais il est aussi en chaque âme fidèle par la grâce habi­tuelle… Bon Maître, faites que je 148 garde votre présence par la pu­reté de mon cœur, et que je sois toujours avec vous par mon amour pé­nitent, confiant, reconnaissant et dévoué.

2ème méditation. L’Ascension.

N.-S. pendant 40 jours s'est manifesté sans doute chaque jour à sa Mère et souvent aussi à St. Jean et à St. Pierre (St. Bonav.). Praebuit seip­sum vivum in multis argumentis (Act 1,3). Les dernières apparitions ont lieu à Jérusalem, au Cénacle, à Béthanie, au Mont des Oliviers. Au Cénacle, ce sont les adieux à sa Mère, aux Apôtres, aux disciples: Convescens, prae­cepit et s ab Jerosolymis ne discederent (Act 1,4). Adieux touchants. Marie sans doute repose sur son Cœur. Elle lui dit qu'elle aimerait à le suivre, mais qu'elle est prête à vivre et à mourir pour l'Eglise. Il embrasse ses apôtres (St. Bonav.). Il va faire ses adieux aux amis de Béthanie (Luc 24,50): adieux bien tendres aussi. Madeleine embrasse ses pieds. Enfin il s'élève au ciel sur le Mont des Olives 149, devant cent vingt disci­ples, qu'il bénit. Il a avec lui tous les justes de l'Ancien Testament, invi­sibles, mais combien heureux et bénissants aussi!

3ème méditation. Les œuvres; l’emploi du temps.

Jésus est allé au ciel, mais il vient bientôt chercher chacun de nous. Vado et venio ad vos (Joan 14,28). Il viendra bientôt: Ecce venio cito (Apoc 22,12). Faisons vite ce que nous avons à faire: Negotiamini, dum venio (Luc 19,13). Que nos œuvres soient riches par l'amour et multipliées par les saints désirs. Dum temps habemus, operemur bonum (Gal 6,10). Rachetons le temps par la ferveur et la réparation (Eph 5).

4ème méditation. Marie notre mère et notre reine.

Le bon Maître a donné Marie pour mère et pour conseillère à l'Eglise naissante, et après l'Assomption il nous l'a donnée à tous pour Mère et pour reine. O Marie, quand 150 je pense à votre maternité, mon cœur est tout brûlant d'amour et de confiance pour vous. Permettez-moi de vous aimer avec la liberté et la tendresse d'un enfant… Je remets en vos mains tous mes intérêts, mes œuvres, mon salut. Je voudrais avoir les cœurs de tous les hommes pour vous donner un amour sans mesure…

1ère méditation. Contemplatio ad amorem obtinendum.

On peut dire que la charité du Christ nous presse depuis le commen­cement des Exercices. Mais on peut comprendre plus pleinement et em­brasser plus généreusement son amour quand on a médité toute la série de ses mystères, de ses amabilités, de ses bienfaits.

Deux principes: 1. Amor debet poni magis in operibus quam in verbis. C'est ainsi que Dieu nous a aimés: sic Deus dilexit mundum (Joan 3,16). L'amour spirituel ne dort pas, ne rêve pas, il veille 151 et il agit. Les mains, dit St. Augustin, sont les servantes du cœur: cordi famulantur ma­nus. - 2. Amor consistit in communicatione ad utraque parte. C'est là l'amour mutuel ou l'amitié. Où en suis-je avec Dieu? Que lui dois-je? les biens de la nature, ceux de la grâce. Que de grâces spéciales! toute ma vie en est un tissu, un monde: lumières, support, conversion, vocation, direc­tion… grâces extraordinaires. Et ce qu'il voulait me donner était bien plus considérable encore, si je n'y avais pas toujours mis obstacle. Je ne le saurai pleinement que dans l'autre vie. - Et moi que lui ai-je donné? souvent des insultes par mes péchés, de la froideur et de l'indifférence. Que lui donnerai-je à l'avenir? Quidquid habes vel possideo. Je me donne et me voue tout entier à l'amour de mon Dieu: amour pénitent, confiant, reconnaissant, dévoué 152.

2ème méditation. Continuation.

Dieu est présent et agissant dans toutes les créatures. Présent, il les conserve et les vivifie. Il crée et conserve toutes les créatures autour de moi. Il conserve ma vie, mes facultés et fait de mon cœur un autel. Je le verrai donc en tout et partout: Providens illum in conspectu meo semper (Ps 15,8). Invisibilem Deum tanquam videns sustinere (ad Heb. 11,27). Je le ver­rai toujours en moi et dans les créatures. Glorificabo et portabo Deum in cor­pore meo (1 Cor 6,20).

Par la grâce surtout, il est en moi comme le feu dans le fer rouge, illu­minant, échauffant, purifiant. Je le respecterai et le vénérerai.

Il agit en toutes les créatures soit pour me réjouir, me nourrir, etc., soit pour me purifier, me corriger, m'immoler; soit pour me sanctifier. Je le verrai dans tous les événements. Non est malum in civitate quod Deus non fecerit (Amos 3,6). Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum (Rom 8,28) 153.

3ème méditation. Dispositions pour la fin de la retraite.

Elles ne seront pas autres pour moi que mes résolutions de ma retrai­te: je voue au Bon Maître un amour pénitent, qui sera entretenu par le souvenir de mes péchés et de la Passion du Sauveur; un amour recon­naissant, alimenté par le souvenir de ses bienfaits; un amour confiant dans la bonté de Jésus et de Marie; un amour dévoué, manifesté par la fidélité à ma règle.

4ème méditation. Le pur amour de Dieu, ou l’amour de Dieu pour lui-même.

Dieu ne me défend pas de l'aimer par reconnaissance et par un motif d'espérance, ce sont là aussi des vertus; mais il veut que je l'aime principa­lement pour lui-même et pardessus toutes choses, que je l'aime par pur amour, comme un fils aime son père, comme une épouse aime son époux; que je l'aime parce qu'il est Dieu et à cause 154 de ses perfections infi­nies dont tous les biens créés ne sont que l'ombre et le reflet. Il veut que je conserve l'habitude de ce pur amour et que je la fortifie par un fréquent exercice. - Seigneur, embrasez mon cœur du feu de votre amour, afin que je ne pense plus qu'à vous et à vos intérêts, que je vive en vous et pour vous, et que je prenne mes délices dans votre bon plaisir et votre gloire!

1ère méditation. Aimer et faire aimer le S.-Cœur de Jésus.

Lui procurer réparation et consolation, c'est ma belle vocation à la­quelle je dois et je veux me dévouer toujours davantage. Ego elegi vos (Joan 15,16). Seigneur, bénissez et fortifiez ceux que vous avez élus pour cette œuvre, et soyez avec eux. Dixi vos amicos: (Joan 15,15) dans la vie présente, Jésus est toujours ami, jamais juge. Il est encore ami dans ses rigueurs paternelles. Ayons donc confiance et joie spirituelle. - O miséricordieux Jésus, qui avez promis à 155 Ste Gertrude d'exaucer ceux qui s'uniraient à ses actions de grâces et vous prieraient en son nom, je vous prie par cette aimable sainte de suppléer aux imperfections de ma retraite, de la bénir et d'en rendre les fruits abondants et durables.

2ème méditation. Répétition de la contemplation d’amour.

Te Deum - Benedicite - Benedictus - Magnificat. Ps. 90: qui habitat Ps. 45 - Deus noster, refugium - Ps. 76 - Que Dieu fasse connaître et ré­gner son amour!

3ème méditation. Le ciel.

Encore quelques années, 15 années peut-être, selon le cours ordinaire des choses, et cette vie sera finie. Et après une purification au purgatoi­re, ce sera, j'espère, le ciel pour toujours.

Qu'importent les vicissitudes et les épreuves de ces quelques années! Que c'est peu de chose! Cela passe si vite! Ce n'est pas la peine de s'en émouvoir. Gardons seulement l'union avec Dieu et l'espérance du ciel.

Dispositions pour la retraite: joie, solitude, prière, mortification, hu­milité, don complet de soi-même, amour de N.-S.

Quelle grande grâce est pour moi cette retraite! J'allais à ma perdi­tion, je suis devenu une terre desséchée: in terra déserta et invia et inaquosa (Ps 62,3), N.-S. me relèvera: me suscepit dextera tua (Ps 17,36).

Lectures

Ad Ephesios - IV

S. Math. XVI - vers 24 et seq.

Imit. lib. I. Cap. XXI.

Omnia ad majorem Cordis Jesu gloriam.

J'éprouve de la honte et de la confusion, mais cela ne suffit pas. En ce­la encore il se mêle de l'amour-propre et de l'orgueil. Ce que je dois chercher davantage, c'est le regret de mon ingratitude et de la tristesse que j'ai causée à N.-S.; c'est la reconnaissance pour N.-S. qui a été si patient, si miséricordieux, si généreux, si bon: Misericordiae Domini quia non sumus consumpti (Thren 3,22).

Lectures

II ad Cor. VI.

S. Mat. XI - vers 20 et seq. Imit. I. 23.

Nunc sunt dies salutis - Nunc tempus acceptabile.

Au jugement, tout sera manifesté, non seulement les péchés, mais les grâces reçues et méprisées, les appels à la perfection non suivis.

Alors apparaîtra la croix: Tunc parebit signum filii hominis (Mat 24,30). Et ceux qui l'auront aimée pousseront un cri de joie. O crux ave, spes uni­ca! Ceux qui l'auront fuie sur la terre, pousseront un cri de terreur: Tunc plangent omnes tribus terme (Mat 24,30) .

Lectures

St. Mat XXIV.

ad Rom. XIII.

Imit. I. 24.

In omnibus respice finem et qualiter ante districtum stabis judicem (Imit. ).

Je souffrais de maux de tête, j'avais le cerveau rempli d'humeurs jau­nâtres, était-ce une sinusite?

Cela se guérit au milieu de la retraite sans opération par un écoule­ment nasal.

J'y vis une protection de Marie et aussi un symbole de la purification de mon pauvre cerveau.

1. Une grâce de purification. Je sens le besoin de chercher toujours la pureté de cœur, plus même que les grâces qui en sont le fruit.

2. Le détachement des affections terrestres…

3. Le discernement des mouvements de la nature et de la grâce.

4. Le besoin de tenir mon âme paisible, recueillie et attentive à la grâce.

5. La présence de N.-S.

6. Un don de prière. Des lumières multipliées dans la récitation du saint office.

7. L'attrait de la vie d'amour. Le besoin de donner à N.-S. comme ré­paration la compensation d'amour que lui donne St. Jean.

8. L'attrait du don complet de moi-même à N.-S., ce que je fais par un pacte écrit 6.

9. Un goût nouveau pour l'oraison et pour l'adoration.

10. L'intelligence de ce qui a manqué pour l'accomplissement de mes devoirs d'état.

11. Le désir de donner à N.-S., avec l'adoration réparatrice, une œuvre qui remédie à ce qu'il faut réparer.

12. Dispositions d'amour pénitent et d'amour reconnaissant et dévoué avec St. Pierre.

13. Grâce d'abandon complet entre les mains de Dieu, et pour moi et pour toutes choses: Omnem sollicitudinem vestram projicientes in eum, quoniam ipsi cura est de vobis: humiliamini sub potenti manu Dei (1 Ep. Pet V, 6-7).

Il veut que la ferveur au lieu d'être une rareté remarquée dans quel­ques membres seulement soit le ton général de la Congrégation.

Il demande que pour rétablir cette ferveur et la soutenir ensuite on re­vienne partout au véritable esprit religieux qui est un esprit de douceur, de charité, d'union fraternelle et d'obéissance pleine de simplicité.

Le jour où ces vertus seront suffisamment excitées par des efforts soute­nus, les grâces viendront et viendront abondantes. Les difficultés éprou­vées seront un signe que l'ennemi tient à garder des positions où il fait beaucoup trop ce qu'il veut et non un signe que N.-S. ne nous soutient pas.

J.Mi. s

V.C.J.

1° Tenir mon âme paisible, recueillie et attentive à la grâce, sous le re­gard de N.-S.

2° Chercher toujours la pureté de cœur, plutôt que les grâces qui en sont la suite.

3° M'interdire toute familiarité, ainsi que les regards et pensées qui y correspondent.

4° Je me réserverai fermement le temps pour l'oraison et la vie inté­rieure. Concha esto, non canalis (St. Bern.).

5° Pour mes devoirs de supérieur et la direction des autres, je ferai un examen de prévoyance après l'action de grâces; et j'exécuterai ce que la grâce divine m'aura inspiré.

Je voue au Bon Maître un amour pénitent, qui sera entretenu par le sou­venir de mes péchés et de la Passion du Sauveur; un amour reconnaissant, qui sera entretenu par le souvenir de tous les bienfaits divins et particu­lièrement de sa miséricorde à mon égard;

un amour confiant, qui sera nourri par la pensée de l'extrême bonté du Sauveur et de la tendresse maternelle de Marie;

un amour dévoué, qui se manifestera par la fidélité 10 à ma règle, à mes exercices de piété, à ma vocation, à mes devoirs d'état, et par l'esprit de sacrifice et d'abandon qui convient à une petite victime du Cœur de Jésus.

Je me donne tout entier à N.-S., pour le servir en tout et faire en tout sa volonté. Je suis prêt à faire et à souffrir ce qu'il voudra avec l'aide de sa grâce.

J'ai ma règle et mon directeur et les événements providentiels qui me diront ce qu'il faut faire. Je renonce à ma volonté propre et à ma liberté. Je supplie N.-S. d'accepter cette offrande, ce don que je lui fais et de ne pas permettre que je le lui reprenne jamais.

Je prie la très sainte Vierge, mon bon ange et mes saints patrons de m'aider à accomplir ce pacte jusqu'au dernier instant de ma vie.

1893

39v

Cette retraite marque une grande date dans ma vie. Elle doit être dé­cisive pour mon œuvre et pour mon salut. J'en reviens. Je l'ai faite de grand cœur et je crois avec peu de négligences. Je l'ai terminée avec la fête de Ste Gertrude, l'apôtre du S.-Cœur. Je me suis humilié et j'ai souffert assez rudement à certains jours. J'avais beaucoup à expier et la grâce est revenue lentement.

O mon Dieu, bénissez mes résolutions. Je me voue à votre amour pour tout le reste de ma vie. Amour pénitent, excité par la méditation de votre Passion - Amour réconnaissant, entretenu par la considération des bienfaits divins et de toutes les grâces spéciales si nombreuses et sou­vent si extraordinaires que j'ai reçues 40r. - Amour confiant en Jésus et Marie, manifesté par un abandon complet à la Providence. - Amour dévoué, qui devra se traduire par la fidélité à ma Règle, à mes devoirs d'état, aux inspirations de la grâce.

Aidez-moi, ô mon Sauveur, à vous aimer et à vous faire aimer, afin que vous trouviez dans nos maisons votre repos et votre joie.

La maison du S.-Cœur 1893.

Jour de sacrifice. Je quitte l'Institution où j'ai vécu pendant 16 ans, pour habiter la maison du S.-Cœur. J'ai le cœur bien gros et les yeux pleins de larmes. C'est une étape dans ma vie. Pendant ces 16 ans, que de grâces reçues, mais aussi que de fautes commises. Des tentations de découragement m'assaillent, mais j'ai voué au Cœur du Bon Maître un amour confiant. Je me jette à ses pieds et j'ose aller jusqu'à son Cœur 40v.

Jour de reconnaissance. Anniversaire de la fondation de nos Soeurs (1867), de celle de St-Clément (1882), de celle des Dames du S.-Cœur de Mme Barat (1800).

J'unis mon oblation à celle que fit d'elle-même l'aimable petite Vierge du temple. - N.-S. m'envoie un encouragement à la confiance par un don temporel de quelque importance.

Réunion des Œuvres sociales à Soissons. Nous rédigeons un pro­gramme d'études complet et intéressant. Il formera le plan d'une bro­chure populaire sur la question sociale que Mgr Duval nous a demandé de préparer et de publier.

Nous tenons désormais nos conseils régulièrement. C'est un grand soulagement pour moi et un grand repos d'esprit. La conseil a grâce d'état pour administrer l'œuvre. Je trouverai là une grande paix pour mon âme et un grand allègement pour ma conscience 41r.

Je prêche à St-Clément la retraite annuelle. Je m'aide des tableaux de mission. Ce sont des jours de grâces pour les enfants et pour moi. Les lu­mières reçues à ma retraite se renouvellent. Je goûte de plus en plus l'union à Marie. Je veux vivre auprès de ma bonne Mère, particulière­ment chaque matin en m'unissant au mystère de Nazareth. Pendant le temps de Noël, je remplacerai le mystère de Nazareth par ceux de Beth­léem, de l'Epiphanie, de la fuite et du séjour en Egypte.

Jubilé sacerdotal.

Jour de grâces. 25e anniversaire de mon ordination. Fête à St­Clement. Messe solennelle. Invitation de parents, d'amis, de bienfai­teurs. Je redis le sermon de mes Prémisses. J'en retrouve les impres­sions. Des dons me sont offerts. La componction, la reconnaissance et le désir de réparer se partagent mon 41v cœur. «Miserere - Deo Gra­tias - Fiat». St. Ignace disait que nous devrions avoir toujours ces trois dispositions. Je le sens particulièrement à cette grande date. Les souve­nirs de mes premières messes se réveillent, et ce sont des souvenirs sanc­tifiants. Je les ai dites au séminaire, puis à la confession de St-Pierre, à la prison Mamertine, à St-Jean-de-Latran, à Naples, à Pagani au tombeau de St. Alphonse. N.-S. m'enivrait alors de ses consolations. Je lui de­mande aujourd'hui la componction, l'humilité, mais aussi la charité et l'union avec lui.

Un bienfaiteur, M. A. invite et réunit les membres les plus anciens de l'œuvre. Cette famille chrétienne tient à cœur de remplacer un peu ma famille. Le S.-Cœur de Jésus la bénira.

Fête à St Jean. Les anciens élèves m'offrent leurs voeux et me donnent 42r un beau Christ de bronze. Les élèves actuels m'offrent aussi leurs souhaits. A la sainte messe, j'invite les élèves à remercier Dieu avec moi des grâces de ces vingt cinq années de sacerdoce. Elles ont été fécondes, malgré mon indignité. La première année s'est passée au service du Concile. La seconde année j'ai rempli les fonctions d'aumônier auprès des troupes de réserve à La Capelle. Puis j'ai donné sept ans à la paroisse et à ses œuvres et seize ans au collège St Jean et à l'œuvre du S.-Cœur.

En ces vingt-cinq ans, il y a eu environ neuf mille messes célébrées, cent mille confessions entendues, deux cent mille communions distri­buées, quinze cents baptêmes administrés, trois cents malades préparés à la mort, deux cents mariages bénis, cinq cents premiers communiants catéchisés.

Deux mille fois au moins 42v, j'ai annoncé la parole de Dieu. Au collège, un millier de jeunes gens ont reçu une éducation chrétienne. Une trentaine se sont voués à la carrière ecclésiastique. - A la paroisse les œuvres fondées se continuent: œuvres ouvrières et journal catholi­que. - l'Œuvre du S.-Cœur travaille au règne du Cœur de Jésus dans une quinzaine de maisons. -J'ai toujours eu une joie toute particulière à fonder un autel nouveau où le sacrifice rédempteur serait offert pour les âmes. J'ai eu la grâce d'en offrir déjà un certain nombre à N.-S.: à St Jean, au S.-Cœur, au Couvent, au Patronage, à Fayet, etc. - Que d'actions de grâces je dois à Dieu, mais aussi que de réparations je dois pour mes fautes! - Miserere! Deo gratias! Fiat!

VI. 1894

43r

Visite à Sittard. Mes enfants me fêtent cordialement. Messe chantée avec piété. Le chant me rappelle celui de Solesmes. Les enfants repré­sentent le drame de St. Sébastien et quelques tableaux vivants de la Pas­sion. Quelques invités viennent me faire honneur. Je raconte à mes en­fants l'histoire de ma vocation pour les encourager à répondre fidèle­ment à la leur. Cette vocation est toute une trame de circonstances pro­viedentielles. La domestique qui m'a élevé a mis ma famille en relations avec son curé35). Ces relations m'ont conduit au collège d'Hazebrouck. La retraite prêché par un Père jésuite m'a gagné à Dieu. J'ai entendu le premier appel à la nuit de Noël. La pieuse direction de mon supérieur36), de bons camarades et la Congrégation ont entretenu ma vocation. Mes parents 43v l'ont rejetée bien loin quand je la leur ai fait connaître après mes humanités. Le séjour à Paris offrait mille dangers, mais N.-S. veillait. Il me mit entre les mains d'un pieux directeur, M. Prevel de St-­Sulpice, qui commença à me parler de Rome. Les voyages aussi pou­vaient me détourner du but. Mon père favorisa ceux d'Angleterre, d'Al­lemagne et d'Orient. Ma vocation demeura. Elle s'affermit aux Lieux Saints. Je revins par Rome. Pie IX m'encouragea. Enfin mon père me laissa partir. Le S.-Cœur de Jésus me forma lui-même à son amour à Rome. J'avais un attrait marqué pour la vie religieuse, mais N.-S. se ré­servait de m'indiquer plus tard la Congrégation qu'il voulait. Je com­mençai donc par le ministère paroissial. N.-S. m'attendait à St-Quentin pour me mettre en relations avec nos Soeurs par l'intermédiaire 44r d'un Père jésuite alsacien37). Chez nos Soeurs je trouvai ma voie et Mgr Thibaudier approuva mes projets de fondation. C'était l'Eglise qui par­lait par son représentant. Comme N.-S. est admirable dans ses voies. Puissé-je répondre enfin pleinement à son attente!

Clairefontaine. - Là aussi mes enfants veulent fêter mon jubilé. Ils le font par une messe solennelle et par une séance de chant et déclamation. Je recommande à St. Joseph cette maison qui est moins bénie que celle de Sittard pour la vie intérieure et pour les ressources.

Retour par Metz et Chazelles. Il y a là des épreuves. Le cher P. aumo­nier laisse bien à désirer comme santé, et ses dispositions me peinent. Adjuva nos, Domine (2 Par 14,11).

Soissons. Réunion d'Etudes sociales. Les 44v œuvres de la famille Forzy sont bien intéressantes. Ce pauvre pays a donc encore quelques familles patriarcales et vraiment chrétiennes, où l'on observe le précepte du Créateur: crescite et multiplicamini où l'on s'intéresse au sort des ou­vriers. Ces choses sont cependant bien naturelles, mais elles deviennent si rares qu'on les admire.

Un de nos jeunes licenciés fait défection. Les ingrats sont nombreux. C'est une des peines les plus vives que j'éprouve. Hélas! ne sommes­nous pas souvent ingrats envers N.-S.!

La maison du Val-des-Bois a voulu fêter aussi mon jubilé sacerdo­tal. Il y a eu réunion de famille, toasts et compliments divers par les asso­ciations: écoles, cercles, enfants de Marie, etc. C'était une fête de famil­le, dont j'ai été fort touché 45r. Cette chère maison m'édifie toujours par son esprit chrétien. Là règnent la charité, la piété, la paix sociale. C'est une solution tangible du problème économique. Les jeunes gens cependant laissent à désirer. Je recommande aux aumôniers de soigner particulièrement cette part si intéressante de leur bercail. Je regrette de voir au Val le travail de nuit. J'en ai dit ma pensée au Bon Père38), j'espère qu'on arrivera à le supprimer.

Nos conseils se tiennent régulièrement. Celui d'aujourd'hui a mis en question la maison de Lille. Je prie N.-D. de la Treille de protéger cette œuvre lilloise, de la conserver, de la développer.

St-Clément est en souffrance: je recommande à la Sainte Famille cette maison qu'elle a tant bénie jusqu'ici.

Visite à La Capelle. Mon frère va quitter la maison de famille. C'est là 45v que je suis né, c'est là que ma bonne mère m'a appris à prier. Ces souvenirs m'impressionnent. je parcours le cimetière: que de noms connus: Ce sont presque toutes mes relations d'enfance qui sont là: mon jour viendra, il s'approche tous les jours. Domine, adjuva nos! (Ps 43,26).

Réunion d'études sociales à Soissons. Notre Manuel avance, puisse-t-il faire quelque bien: les réunions sont assez vivantes. Elles paraissent bé­nies de Dieu. Je suis humilié d'en avoir la direction.

Départ pour Rome. je déjeune à Paris chez ma nièce avec Lavisse de l'Académie. Il ne croit pas à l'élection prochaine de Mgr d'Hulst.

Je prends l'express-démocratique pour Lyon, celui qui a toutes les classes. Il conduit ses voyageurs de Paris à Marseille en 19 heures 25. Il y a 863 kilomètres 46r. Le train-rapide ne met plus que 13 heures 43 minutes. On ira, dit-on, un peu plus tard en 10 heures et même en 8 heures. Sous Louis XIV, on mettait 360 heures environ, soit une quin­zaine de jours, par les Messageries ordinaires. Sous Louis XVI, à la veil­le de la Révolution, ce trajet s'accomplissait en 184 heures, soit huit jours. On ne marchait pas la nuit, ni les dimanches et jours de fêtes. Sous Louis-Philippe, les Messageries accomplissaient le trajet en 96 heu­res. Les malles-postes mettaient 80 heures. Il en coûtait 250 francs et on sortait moulu et brisé.

Au temps des Messageries, on quittait les voitures pour prendre les bateaux à vapeur de Chalon à Lyon par la Saône et de Lyon à Avignon par le Rhône. La navigation était pittoresque, mais fort irrégulière.

La rapidité des communications aide à l'échange des idées comme aux relations commerciales. Elle facilite 46v toutes les propagandes et tous les apostolats. Elle fera disparaître tout ce que l'isolement entretenait de particularisme, de coutumes, de traditions, de doctrines locales. Elle centralisera toutes les croyances aux deux foyers du champ de bataille de l'humanité. Elle prépare la lutte finale du Christ et de l'Antéchrist.

Lyon. je revois toujours Lyon avec plaisir. C'est la ville de Marie. C'est aussi la vieille ville chrétienne des Gaules. Dans aucune ville de France la première évangélisation des Gaules n'est aussi sensible et aussi présente qu'à Lyon. Aux cryptes de S. Nizier, on retrouve l'autel primi­tif érigé par St. Pothin à la Vierge Marie. A la crypte d'Ainay, près du temple d'Auguste et de Rome était la prison de St. Pothin et de Ste Blandine 47r. L'église de St. Irénée possède le tombeau du saint doc­teur et les ossements de 19.000 martyrs lyonnais. Fourvières, c'est le vieux forum (Forum vetus) où les chrétiens furent condamnés. L'église St Jean a été le premier baptistère après la paix religieuse.

La foi des lyonnais, appuyée sur des bases si fermes, a conservé sa vi­vacité. Lyon est encore la ville des œuvres, la ville des communautés re­ligieuses. Et ce qui est bien exceptionnel par notre temps de centralisa­tion à outrance, Lyon a ses artistes chrétiens qui ont leur originalité et ne copient pas la capitale. Elle a produit dans ce siècle l'architecte Bossan, les sculpteurs Bonassieux et Fabisch, les peintres Flandrin et Orsal et l'orfèvre Caillat 47v.

Fresneau. Je passe là deux jours chez nos Pères. On prie bien à ce sanc­tuaire. La Ste Vierge y est bonne. C'est la grande aumônière royale, elle tient ainsi dans chaque province ses audiences de grâces où elle convie tous les mendiants. Je désire conserver à l'œuvre ce sanctuaire privilégié.

La Corniche. Je refais encore cette route si intéressante où je suis passé tant de fois. Je célèbre la sainte messe à Nice à l'église Notre-Dame. C'est une église de style roman, mais sur le même plan que notre église St-Martin. Elle a ses contreforts à l'intérieur. Ses chapelles alternent avec des confessionnaux. Elle a trois nefs égales et des colonnettes fort déliées mais en pierre. Elle est élégante.

Cette côte de la Corniche est vraiment le jardin de l'Europe. Je n'ai rencontré nulle part une plus belle 48r végétation avec un climat aussi doux. Sur un fond d'oliviers qui couvrent les campagnes avec leur som­bre verdure, se détachent les villas, avec leurs jardins où se mêlent les palmiers majestueux, les orangers parfumés, les gracieux poivriers, les mimosas arborescents, les magnolias si riches en fleurs, les citronniers, les figuiers, les caroubiers, les myrthes, les aloës, les glycines, les lilas. Nous ne sommes qu'en Février et déjà les roses, les géraniums et les fuchsias sont en fleurs. Il n'est pas étonnant que de tous les points de l'Europe les malades et les oisifs viennent peupler l'hiver ce paradis ter­restre. Malheureusement il arrive à la Corniche ce que l'histoire nous raconte des séjours adoptés par l'aristocratie de la Rome impériale: tous les excès de la sensualité s'y rencontrent, le jeu, l'impureté et 48v le reste. La spéculation exploite les passions et l'abus de toutes les jouissan­ces conduit souvent au suicide.

Je salue à Gênes les reliques de St. Jean-Baptiste, le Sacro Catino et la statue de Christophe Colomb et je continue mon voyage de jour et de nuit.

Sienne. - Je fis route avec un officier italien qui s'en allait prendre garnison à Barletta. Il avouait bien la faiblesse de l'organisme social ita­lien. «L'unité est faite, disait-il, mais la fusion ne l'est pas. Les provin­ces ont gardé quelque désir d'autonomie. Les grandes villes se jalousent et la dislocation est possible». Il gémissait des difficultés présentes et avait foi en Crispi. «Crispi è un uomo storico». Ceci caractérise bien les Italiens. Ils se paient souvent de mots. Ils veulent à tout prix faire grand. Crispi, à défaut 49r d'autre supériorité a celle d'être un homme histori­que. L'histoire, en effet, racontera ses trahisons, ses attentats, et les infâ­mies de sa vie privée.

L'officier et les autres voyageurs du wagon me firent remarquer la pe­tite ville féodale de San Miniato sur une colline couronnée de tours. C'est la patrie de Bonaparte. Ils habitaient là avant qu'une affaire de justice les obligeât à se réfugier en Corse. Napoléon en 1799 y visita un chanoine Bonaparte seul reste de la famille dans son pays d'origine.

Sienne est une ville d'un grand intérêt. L'Italie a quelques villes hors de pair, comme Rome, Naples, Venise, Florence. Après celles-là, Sien­ne compte parmi les plus intéressantes. Pendant les quatre cents ans de sa liberté, du XIIe au XVIe siècle, 49v malgré bien des guerres et des luttes intestines, elle avait pris un développement religieux, artistique et social vraiment admirable. Pour bien classer mes souvenirs, je vais les ranger sous plusieurs titres: les saints, les artistes, les monuments, la vie sociale chrétienne.

Deux noms couvrent Sienne de leur gloire: ceux de Ste Catherine et de St. Bernardin. Ste Catherine revit dans la modeste maison de sa fa­mille transformée en oratoire et dans l'église de St-Dominique où elle a reçu tant de dons extraordinaires. J'ai toujours eu pour cette chère sain­te une tendre dévotion. J'ai vécu à Rome près de son tombeau qui est à l'église de la Minerve et près de sa chambre qui est en face du séminaire français. J'ai contribué à fonder sous son vocable l'œuvre des caté­chismes au séminaire. Je l'invoque tous les jours depuis 30 ans 50r. El­le peut marcher de pair avec Judith, avec Esther, avec Jeanne d'Arc. El­le a purifié l'Italie, elle a ramené à Rome les Papes qui s'obstinaient à sé­journer à Avignon.

Elle vécut 33 ans, comme le Sauveur, de 1347 à 1380. Les Siennois ont fait un reliquaire de sa maison, où son père, Jacques Benincasa, un modeste teinturier éleva vingt cinq enfants. Sa vie a été toute merveilleu­se. A six ans déjà elle a des visions. C'est à la chapelle du porche à St­Dominique qu'elle reçoit la plupart de ses grâces extraordinaires. N.-S. lui donne le choix entre la couronne d'épines et la couronne d'or. Il en fait sa fiancée, il lui donne son Cœur, il lui permet de coller ses lèvres à son côté. Le crucifix qui lui communiqua les stigmates est à la maison paternelle. L'église St-Dominique possède sa tête. Rome a son corps 50v.

St. Bernardin a eu aussi une grande influence sociale. Fils de famille de la noble race des Albizesca, il quitta le monde pour revêtir le pauvre habit des franciscains. Il parcourt l'Italie en convertissant les âmes et en pacifiant les cités. Il réforma son ordre et fonda la dévotion au saint nom de Jésus. Il vécut de 1380 à 1444.

Sienne a brillé de bonne heure dans tous les arts; architecture, sculp­ture, peinture, mosaïque, ciselure. L'art à Sienne tient de la Toscane et de l'Ombrie. Il a quelque chose de doux, de pur et de délicat. Dans la peinture il brille par le sentiment et l'expression. Son école primitive au XIIIe et au XIVe siècle a surtout représenté de gracieuses madones et des saints sur fond d'or. Ses coryphées sont Guido de Sienne, Buoninse­gna, Simon Memmi, Lorenzetti.

Au XVe siècle, Ansano di Pietro se 51r rapproche du sentiment pieux du Beato Angelico. Au XVIe siècle, à l'apogée de la Renaissance, Pinturichio fait de Sienne sa patrie d'adoption; et Sodoma rivalise avec Raphaël et Léonard de Vinci.

Pour l'architecture, l'œuvre la plus importante de Sienne est la cathé­drale. Elle est du XIIIe siècle. Elle est due à Nicolas et Jean de Pise. Leurs élèves élevèrent la belle cathédrale d'Orvieto. Ces deux monu­ments sont les chefs-d'œuvre de l'art ogival en Italie. Ils n'ont pas l'am­pleur de nos grandes cathédrales, mais ils ont la grâce qui convient à un ciel plus clément, et à des matériaux plus fins. Comme les cathédrales de Pise, de Florence, d'Orvieto, celle de Sienne a des assises alternatives de pierre blanche et noire. Ces monuments ont beaucoup emprunté à l'art mauresque de Sicile. Au dôme les arcades inférieures sont à plein cein­tre, celles du haut sont ogivales: c'est une transition. Des chapel­les 51v surajoutées, comme à Florence, ont gâté la nef en masquant les fenêtres ogivales.

Pour la sculpture comme pour l'architecture, Sienne a beaucoup em­prunté à l'école de Pise. Ghiberti et Jacopo della Quercia ses grands sculpteurs ont préludé par le caractère de leur dessein, celui-ci à Michel­Ange et celui-là à Raphaël. Leur chef-d'œuvre à Sienne est le baptistè­re, le plus beau peut-être qu'il y ait au monde.

Un art encore où excelle Sienne, c'est la mosaïque de marbre. Au XVIe siècle, Beccafumi traçait sur le pavé de la cathédrale ses composi­tions bibliques si grandioses où il faisait ressortir les clairs, les demi­teintes et les ombres à l'aide de marbres divers. Les draperies sont mar­quées par des filets ou graffiti. Il faut voir ce magnifique ouvrage pour en avoir une idée juste.

La cathédrale se trouvera décrite en signalant encore: la chaire en pierre sculptée par 52r Nicolas de Pise au XIIIe siècle. Les bas-reliefs sont ti­rés de l'histoire du Christ. On y pressent déjà toute la perfection de la Renaissance. - Les ciselures et marquetteries des stalles sont du XVIe siècle. Le beau tabernacle en bronze qui a coûté sept ans de travail est du XVe. Un beau vitrail au-dessus de la porte majeure est dû à Pastorino, élève de Guillaume de Marseille. L'art des vitraux est surtout français.

La libreria, ou bibliothèque de la cathédrale, a une importance unique dans l'histoire de l'art. Ses grandes fresques sont de Pinturicchio, mais il a été aidé par Raphël qui lui a fait des croquis et il s'est inspiré des autres grands maîtres de son temps. C'est vraiment un bouquet de l'art italien au moment où il touchait à son apogée. L'artiste le sentait et dans l'une des fresques il a représenté auprès de lui Pérugin, Raphaël, Jean d'Udine 52v, Léonard de Vinci et fra Bartholoméo. C'est comme une signature collective dans ces chefs-d'œuvre. Les fresques représentent la vie d'Aeneas Sylvius, Pie II. C'est un hommage de son neveu Pie III. Sur l'une d'elles on voit Sylvius qui se rendait en Angleterre jeté par les vents en Norvège. N'est-ce pas ainsi que souvent les caravelles légères d'autrefois ont dû être conduites par la Providence jusqu'en Amérique pour y semer ces populations que Colomb y a trouvées? - A cette pério­de de l'art, la Renaissance païenne était aux portes. Déjà on trouve dans les stucs et les médaillons de la voûte à la Libreria des sujets de mytholo­gie érotique.

Mais Sienne est surtout remarquable par les témoignages de sa vie so­ciale chrétienne dans l'histoire. C'est bien la ville baptisée, la ville chré­tienne et c'est ainsi que les Siennois en jugent. Le peintre Vanni à la ca­thédrale en 1596 a représenté saint 53r Ansano, le disciple des apôtres baptisant la ville. Sienne est la ville de Marie, sa cathédrale lui est dé­diée. Les portes de la ville présentent aux pèlerins l'image de Marie. A la porta di S. Viene, c'est la Nativité peinte en 1526 par le Sodoma. A la Porta Romana, c'est le couronnement de Marie, peint en 1459 par An­sano di Pietro.

Sienne avait pour étendard à la guerre le crucifix. On conserve à la ca­thédrale, à l'autel du Crocefisso, le crucifix qui conduisit les Siennois à la victoire à la bataille du Monte Aperto39), en 1260, contre les Floren­tins. Les bannières prises à l'ennemi sont conservées aussi sous la coupo­le comme en témoignage d'actions de grâces.

Ste Catherine et St. Bernardin avaient fait de la ville une vraie cité chrétienne. Tous deux eurent une influence sociale prodigieuse. Ils 53v réconcilièrent souvent les partis politiques et les cités italiennes. Il nous reste un programme de gouvernement chrétien tracé par Ste Catherine dans une lettre au magistrat Vanni en 1370.

Le témoignage le plus étonnant de la vie sociale chrétienne d'un Etat, c'est le Palazzo Publico, ou Palais de la République de Sienne. La cha­pelle en est le centre: c'est un ex-voto à Marie à l'occasion de la délivran­ce de la peste en 1348. Un grand symbole domine la façade, c'est le nom de Jésus sur l'Hostie rayonnante. C'est le symbole cher à St. Bernardin. Il indique comme l'agneau à Florence le Roi des rois et le chef suprême de la République. La chapelle intérieure est au centre du palais, entre les salles du Conseil, de la Justice, etc, comme pour inspirer toute la vie so­ciale de la république. 54r Elle est du reste fort artistique et fort riche. L'autel a une belle Ste Famille du Sodoma; les parois ont de grandes fresques représentant la vie de la Vierge par Taddeo di Bartolo. L'autel est de marbres précieux, les stalles de marquetterie. - Chacune des stal­les a sa dédicace pieuse. A la salle du Secrétariat, c'est le couronnement de la Vierge, peint par Sano di Pietro. - A la salle du Gonfalonier, c'est la résurrection du Christ par Sodoma. - A la salle du grand conseil c'est la Madonne avec des saints par Simon Memmi, et à la porte même de cette salle, les deux grands conseillers de Sienne: Ste Catherine et St. Bernardin. - A la salle des Prieurs, c'est la Madone entourée d'anges. - A la salle des Archives, les grandes fresques de Lorenzetti sont tout à fait caractéristiques. Elles représentent le bon et le mauvais gouverne­ment et leurs conséquences. 54v Ce sont bien là les enseignements que doivent méditer les magistrats. Le bon gouvernement est exprimé par six vertus morales et chrétiennes qui accompagnent le chef de l'Etat. Les suites du bon gouvernement sont symbolisées par des scènes qui re­présentent le commerce en activité, une école studieuse, le peuple livré à des jeux honnêtes, etc. - Sous le porche du palais lui-même, la Ste Vierge et les saints Patrons s'offrent aux regards de ceux qui entrent et le Sauveur bénissant est représenté à la voûte.

Ces pensées étaient communes à Sienne. A l'hôpital aussi une belle fresque représente la Ste Vierge étendant son manteau sur la ville.

Sienne possède encore dans l'église de Fonte Giusta un petit trophée bien précieux, c'est un glaive, un bouclier 55r et un fanon de baleine offerts par Christophe Colomb à son retour d'Amérique.

Chiusi. - Cette ville a une cathédrale byzantine intéressante. On la restaure avec goût. Que d'églises les XVIIe et XVIIIe siècle ont gâtées en Italie! Les plus belles mêmes n'ont été épargnées, comme les cathé­drales de Florence, de Sienne, de Palerme, de Messine, les basiliques de St Jean de Latran, de Lorette, etc. Mais le plus grand intérêt de Chiusi est dans ses tombes étrusques. Chiusi était la grande ville de l'Etrurie. Son roi Porsenna fit trembler Rome. Les tombes dispersées autour de ses collines prouvent son ancienne étendue. Quelques-unes sont intactes avec leurs portes de fer qui roulent sur leurs gonds, et 55v des peintu­res intérieures qui représentent des repas, des jeux, des occupations do­mestiques. Ces tombes rappellent les tombeaux des rois à Jérusalem et celles de Beni-Hassan en Egypte. Plus j'étudie l'art ancien et plus je constate l'analogie des premiers monuments d'Egypte, de Syrie, de Grè­ce et d'Etrurie. C'est par les éléments de l'ordre dorique que l'art a com­mencé. Le dessin archaïque est le même en Egypte, en Grèce, en Sicile. Les peintures des tombeaux et des vases d'Etrurie rappellent celles des vases grecs et des tombeaux égyptiens. Evidemment toutes ces civilisa­tions ont la même source et elles ne remontent pas au-delà de mille à douze cents ans avant l'ère chrétienne. Je n'ai jamais trouvé de fonde­ments aux assertions d'une prétendue science 56r moderne qui veut donner au monde une antiquité fabuleuse, pour le plaisir de contester la chronologie de la Bible. Le principal argument repose sur une erreur ri­dicule. On additionne toutes les dynasties égyptiennes, tandis qu'il est évident par l'histoire et par les monuments qu'elles régnaient à trois ou quatre à la fois, dans la haute, la basse et la moyenne Egypte.

Rome. - Me voici de nouveau à Rome et c'est toujours avec bonheur. J'y ai reçu déjà tant de grâces. Rome nous prépare au ciel et nous en donne l'idée: tous les saints ne sont-ils pas là, représentés par leurs sanc­tuaires, par leurs souvenirs, par leurs reliques? Mon séjour a cette fois un but tout spécial: je veux redire quelques messes là où j'ai dit les pre­mières il y a vingt cinq ans. -J'ai la bonne fortune 56v d'assister dès le premier jour à l'office de la Chapelle Sixtine. C'était le XVIe anniver­saire du couronnement de Léon XIII. Cet office me rappelait un peu les splendeurs du passé. Le Pape fit son entrée porté sur la Sedia et accom­pagné du Sacré Collège, en passant par la salle ducale où une foule com­pacte de pèlerins l'acclama. Le corps diplomatique et la noblesse romai­ne occupaient les tribunes. Le choeur donnait ses meilleurs chants. C'est toujours un grand spectacle que celui de ces offices pontificaux où le Vi­caire de Jésus-Christ prie avec ces pontifes qui sont le sénat de l'Eglise et avec les représentants des nations catholiques.

Le choeur chanta l'introït et le graduel en plein-chant, selon la métho­de bénédictine. C'est une innovation. Les autres morceaux étaient de la musique classique de Fazzini et du Baïni, quelques 57r uns à huit voix. - L'abbé Kneipp, récemment fait prélat, assistait à l'office. - Léon XIII porte bien son grand âge. Il est pâle et tremblant mais son teint est pur et son regard toujours vif. Il prie avec ardeur. On le voit ac­centuer sa prière, il l'accompagne de mouvements de tête significatifs. Il a tant de choses à dire et à demander au Bon Dieu! En sortant, il bénit tout particulièrement le corps diplomatique, il pense sans doute à bénir toutes les nations qui sont là représentées.

Je suis installé avec nos étudiants sur les pentes du Capitole, via di Monte Tarpeo. Il n'y avait vraiment pas moyen de continuer à desservir une chapelle de Confrérie. Une congrégation a besoin de son autonomie et de sa liberté. Nous occupons un appartement de la Procure des Pères Prémontrés. Nous avons de nos fenêtres une des plus belles vues du monde. 57v Devant nous, c'est le forum et le Colysée. A droite, c'est le Palatin et l'Aventin. A gauche, c'est St-Pierre aux Liens et jusqu'au faîte de Ste-Marie Majeure et de St Jean de Latran. C'est presque toute la Rome historique, depuis ses origines, en passant par ses transforma­tions politiques et sa conversion au catholicisme. Il faudrait avoir de lon­gues journées pour relire là toute l'histoire et voir passer toutes les gêne­rations. Je laisse aux amis de nos classiques le soin d'admirer la sagesse de Numa, l'éloquence de Cicéron, la puissance d'Auguste, le génie de César, le faste de Néron et d'Adrien. Je salue les vainqueurs définitifs, les apôtres confesseurs de la foi à la Prison Mamertine et à la voie latine et les martyrs au Colysée.

Ce soir là précisément, je ne sais quelle œuvre de bienfaisance don­nait une fête au Colysée. La grande ruine était illuminée 58r aux feux de Bengale. Cela me rappelait l'incendie de Néron et ces fêtes nocturnes de l'Amphithéâtre où les chrétiens enduits de poix brûlaient comme des torches colossales pour éclairer le peuple le plus civilisé de la terre.

Excursion au Latium. - Excursion et pèlerinage. Je vais avec mes jeu­nes étudiants jusqu'à Albano, Nemi et Frascati. Ce petit coin du monde est incomparable. Les souvenirs, la nature, l'art et la religion contri­buent à l'orner et à lui donner le plus saisissant intérêt.

Ce sont d'abord les grands souvenirs classiques. C'est le Latium. Jupi­ter présidait à ses destinées du haut de ce sommet volcanique, (le Monte Cavo) où s'élevait son temple. C'est sur ce côteau que se passa tout le dra­me dépeint par Virgile dans la seconde partie de l'Eneïde. 58v Plus an­ciennement encore, c'étaient les Etrusques. Aricia montre encore des re­stes de murs pélasgiques. - Là, c'était la Voie Appienne, la reine des routes comme on l'appelait. Elle avait été le témoin de tant d'évènements historiques. C'était l'œuvre d'Appius Claudius, 300 ans avant J.-C. A Nemi était le sanctuaire mystérieux de Diane, la déesse de la nuit et des chasseurs. - Sur le plateau du Monte Cavo, Annibal vint camper et menaça Rome. - Cicéron se plaisait là à Tusculum. Il y écrivit ses meil­leurs traités. Il y recevait ses amis. Horace a dépeint le Latium et la Voie Appienne. Pompée, Clodius, Tibère, Domitien, Trajan avaient là des villas.

La nature ne donne pas moins d'intérêt à cette région que l'histoire. Ces volcans éteints, ces lacs en miniature, ces forêts de châtaigniers, ces avenues 59r d'ilex et d'ormes devaient attirer toutes les générations.

Et quelle vue merveilleuse. A droite, ce sont les côteaux de Tivoli, c'est la vallée du Tibre, ce sont les collines de l'Etrurie et le Mont Sorac­te, voilé de neige. A gauche, c'est la mer, Terracine, Fondi, Formies et le mont Circé. En face, c'est Rome et sa campagne. Rome évoque le souvenir de cet empire providentiel qui prépara la venue du Sauveur. Puis la pierre mystérieuse descendue du Calvaire renversa le colosse aux pieds d'argile. Le Christ a conquis Rome et le domine, regardant passer les barbares et les révolutions, comme la coupole de St-Pierre domine cette ville qui s'agite dans le bruit. - Ce séjour prête à la contemplation et je ne m'étonne 59v pas qu'il ait été enrichi par les bénédictins, les camaldules, les capucins, les passionistes.

Les amis des beaux-arts trouvent aussi leur régal dans cette région pri­vilégiée. Les villas des princes romains ne sont pas de la meilleure épo­que. Elles ont été élevées au XVIIe et au XVIIIe siècle. Malgré cela, quelle grandeur, quelle dignité! Quelle harmonie de lignes! Cette école était profondément aristocratique dans ses œuvres comme dans son esprit. Telles sont les villas Borghèse, Torlonia, Mondragone, Rufinel­la, etc. à Frascati; les villas Doria et Barberini à Albano, le palais Chigi à Aricia, celui du duc Cesarini à Genzano et le palais pontifical de Castel­gandolfo. Ce dernier palais est de l'architecte Carlo Maderno. La villa Borghèse à Frascati est de Giacomo della Porta. La Rufinella est de Vanvitelli. Le palais Chigi à Aricia 60r est du Bernin. Ce n'est plus la Renaissance gracieuse de Fontainebleau, de Chambord et de Blois. La Renaissance italienne a beaucoup moins d'originalité que la nôtre. Elle est vite arrivée à calquer la décadence romaine et de là elle est tombée dans le Rococo. Elle n'a pas égalé en grâce et en délicatesse les œuvres si fécondes des règnes de Louis XII, François Ier et Henri II.

L'art des jardins aussi a ses chefs d'œuvre dans ces villas. Le jardin de la villa Borghèse rappelle les splendeurs de St-Cloud.

Les peintres du XVIIe siècle, le Dominiquin, le Guide, le Guercin, les Carrache ont semé là leurs œuvres. Les grandes scènes à fresque du sanctuaire de Grottaferrata représentant la vie de St. Nil nous montrent le Dominiquin sous son plus beau jour. C'est presque la perfection. Le dessin est pur, le coloris assez chaud et 60v l'expression profonde.

La piété aussi trouve sa satisfaction dans cette excursion. Les passion­nistes, il est vrai, ne sont plus à Monte Cavo et les capucins ont été déci­més. Le beau monastère de Grottaferrata qui était devenu au XIVe siè­cle une citadelle inaccessible aux sarrasins est confisqué bêtement sans respect pour les plus grands souvenirs historiques. Mais il reste le petit sanctuaire de Galloro. On y prie bien la Madone. Elle parle bien au cœur. Elle a remporté bien des victoires sur les âmes. Elle est entourée de ses trophées, les poignards apportés par les brigands de la forêt (la Macchia). Il reste aussi le sanctuaire de St. Nil à Grottaferrata: ce saint si extraordinaire, un des principaux représentants de la science et de la civilisation en même temps que de la perfection chrétienne à l'époque 61r si troublée du Xe siècle. L'histoire de sa vie aide à comprendre ce qu'était cette époque. Ce n'était pas comme on le croit une période d'obscurantisme universel. Toute la civilisation grecque, romaine et chrétienne survivait dans les monastères et dans quelques provinces épargnées par les guerres, prête à donner son éclat avec nos grands siè­cles chrétiens qui ont produit St. Bernard, St. Anselme, St. Thomas d'Aquin, et les chefs-d'œuvre de l'art ogival. St. Nil, l'illustre abbé de Rossano en Calabre était un esprit très cultivé. Ses occupations et celles de ses moines, après la prière, étaient de lire et d'écrire les auteurs sacrés et profanes. Il possédait à fond les Pères grecs, St. Basile, St. Grégoire, St. Chrysostome. - Rossano était la capitale de la Calabre. Sa position exceptionnelle sur une hauteur inaccessible l'avait protégée des Sarra­sins. Elle 61v appartenait toujours à l'empire grec de Constantinople. Toute cette province était restée grecque de langage. St. Nil ayant refusé maintes fois l'épiscopat et les honneurs de l'Eglise de Rome, voulut mourir là auprès de quelques moines grecs dans les ruines d'une villa de Cicéron. Les papes ont tenu à garder ce monastère grec en souvenir de St. Nil et de l'ancienne grandeur de la vie monacale dans la Grande Grè­ce. Léon XIII y a rétabli la psalmodie grecque, pendant que la barbarie franc-maçonnique sécularisait la plus grande partie du monastère.

Prison Mamertine. - St Joachim - La Rome Maçonnique. - Je célébrai la messe ce matin à la Prison Mamertine, comme j'avais fait le 3e jour après mon ordination. C'est là le plus ancien monument de Ro­me, le cachot creusé par Ancus Martius (Tite-Live) 62r et agrandi par Servius Tullius (Varron).

Il date de six siècles avant Jésus-Christ. C'est là que furent enfermés et mis à mort tous les criminels de lèse-majesté et les chefs des nations vaincues: Catilina, Jugurtha, Séjan, Vercingetorix, et tant d'autres. L'escalier par lequel on y descendait en sortant des tribunaux du Capito­le était bien nommé escalier des Gémonies ou des gémissements. Mais le souvenir le plus touchant, pour nous chrétiens, c'est qu'un grand nom­bre de martyrs passèrent par là; c'est que St. Pierre et St. Paul y séjour­nèrent neuf mois, prêchant et convertissant leurs geôliers et les baptisant avec l'eau de la source miraculeuse. C'est là qu'ils ont contracté cette fraternité qui les a unis pour toujours. Je me rappelais là ma messe de 1868 et la présence de mes bons parents. C'est encore une bonne journée 62v.

Dans la journée, j'allai voir la nouvelle église de St Joachim. C'est une basilique. Ce n'est pas une copie servile de l'antiquité, mais une imitation élégante et gracieuse. Il me semble qu'une école nouvelle d'ar­chitecture se dessine en Italie. On y peut rapporter avec l'église de St. Joachim celle du S.-Cœur des Salésiens, celle du Rosaire à Pompéi, celle qui s'élève à Campo-Cavallo. -J'ai vu M. Brugidou, j'admire sa persévérance et sa confiance.

Je parcours la Rome moderne, la Rome de la franc-maçonnerie. Les Piémontais y ont fait quelques bonnes choses, mais combien ils en ont gâtées! Et comment auraient-ils fait autrement! Il leur manquait le senti­ment du respect et ils avaient les prétentions et l'engouement des parve­nus.

Certes il y avait des changements à faire. L'activité moderne deman­dait quelques voies plus larges. Pie IX avait commencé. 63r Il avait entamé la Via Nazionale. Elle eût eu sous les Papes un tout autre cachet. C'eût été une rue de Rome. C'est maintenant une rue de Turin ou de Milan. Les constructions y ont moins de gravité et partant moins de soli­dité. Les magasins y visent au luxe. La ville de Rome était une matrone chrétienne, on a voulu en faire une femme du boulevard. - A remar­quer sur la Via Nazionale: une chapelle ogivale protestante qui semble apportée là d'un village d'Angleterre; le palais des Beaux-arts, sorte de bazar sans dignité; le palais de la Banque nationale, le mieux réussi des édifices modernes, avec sa vaste façade Renaissance en marbre blanc.

Combien la via del Gesù, qui est restée intacte avec son église et ses palais a plus de cachet et de grandeur que tout le reste de la Via Natio­nale. 63v Combien pauvre aussi est la façade du théâtre dramatique, qui forme le fond de la vue au tournant de la voie. Cela paraît bâti pour dix ans, comme une gare ou un palais d'exposition. Ce n'est pas ainsi qu'on procédait dans la vraie Rome.

Le Corso Vittorio Emmanuele a prétendu utiliser, pour se donner du cachet les monuments qu'il rencontrait: l'église St-André, la Chancelle­rie, le palais Massimo, la Chiesa nuova. L'effet est manqué. La Chiesa nuova se présente de biais. La Chancellerie montre son pignon au lieu de sa façade. Le palais Massimo avait par un vrai tour de force adapté les courbes de sa façade à une ruelle tortueuse, il n'était pas fait pour un boulevard. L'église St-André laisse trop voir maintenant l'illogisme de son frontispice plus élevé que sa nef 64r et placé là comme un décor plus pompeux que sincère. - Ce Corso a cependant quelques belles maisons, en particulier le lycée Mamiani, qui s'est inspiré de la Renais­sance primitive.

Que dire du Tibre? Il y avait à faire là aussi. Il fallait au moins dra­guer le fleuve pour faciliter l'écoulement des eaux aux jours de grandes crues. On a voulu faire grand et nous donner des quais comme à l'Arno de Florence. Les quais se font. Ils devraient être bordés de maisons à portiques. On en a fait deux ou trois, des spécimens. Il faudra cent ans pour faire le reste si on y arrive jamais. Il est impossible de ne pas avoir un regret pour les groupes pittoresques de maisons qui descendaient dans le Tibre, alternant avec quelques massifs de verdure. C'est fini de ces bords du Tibre si chers aux artistes. 64v Les jardins historiques de la Farnésine et la fontaine originale de la Lungara ont été sacrifiés. - Il faut reconnaître toutefois que les quais en eux-mêmes sont un bel ouvra­ge et que les ponts nouveaux étaient utiles.

On a voulu agrandir la Piazza Colonna, c'est une faute. Ses propor­tions étaient harmonieuses. La colonne trônait au centre de la place. Elle est maintenant sur un côté et on lui donnera pour pendant quelque mo­nument hybride. C'est une sottise.

Le quartier neuf tracé entre la gare et St-Jean de Latran sur l'Esquilin ressemble à un quartier de Turin. Soit, il n'y avait pas là grand chose à gâter, mais pourquoi avoir rétréci et défigure l'avenue solitaire qui allait de St-Jean de Latran à Ste-Croix de Jérusalem? 65r.

Combien l'effet du Colysée est gâté par les hautes maisons à cinq éta­ges qu'on a laissé élever auprès de lui! Des massifs de maisons neuves campés autour de la ville ont aussi détruit la perspective des vieux rem­parts et renversé les villas qui faisaient la transition entre la grande cité et la campagne déserte. La villa Patrizi est réduite de moitié. La belle villa Albani est écrasée par les maisons qui l'enserrent. Et une grande partie de ces quartiers neufs sont inhabités et tombent déjà en ruines: c'est le châtiment de l'ambition désordonnée qui les a fait élever sans di­scernement. Et ce qui est habité de ces caravansérails qui ont la préten­tion de ressembler à des palais, l'est par une population bohème à l'aspect vulgaire et misérable.

Comme Veuillot pleurerait s'il voyait ce qu'il appelait les parfums 65v de Rome supplantés par les odeurs de la ville maçonnique! Ces grands monastères de la Minerve, du Gesù, de l'Oratoire, de l'Ara Caeli et tant d'autres qui représentaient tant de souvenirs, d'œuvres, de science, de traditions, ils sont vides et transformés en casernes ou en bu­reaux. Les églises conventuelles n'ont plus qu'un desservice mesquin et insuffisant. Les chapelles de confréries, sont fermées. Le Colysee est pro­fané, il n'a plus ni son Calvaire ni son chemin de croix. Les inscriptions, les statues, les noms des rues et des places, tout a un caractère agressif contré l'Eglise. Des caricatures impies s'affichent partout. Le juif domi­ne dans la presse et dans la finance. Ce n'est plus Rome; ou plutôt, c'est Rome profanée et se transformant en Babylone.

Cependant l'Eglise. sous les fers produit encore à Rome des œuvres 66r d'art, de science et de progrès social. On voit s'élever des églises neuves: celles du S.-Cœur et de StJoachim; de grands monastè­res et de puissantes universités: celles de St-Anselme et de St­-Bonaventure; des écoles et pensionnats, des œuvres hospitalières et pa­tronales. Des sanctuaires anciens sont restaurés, comme les église de St-­Laurent in Damaso, de St-Jean de Latran, de Ste-Marie in Cosmedin. C'est toujours la même floraison: science, art, piété, charité.

La Rome piémontaise est une Rome païenne, elle produit des cirques, des théâtres, des lupanars, des prolétaires. Gratez le païen et vous trou­verez toujours les sept péchés capitaux. L'esprit chrétien produit tou­jours les vertus sociales comme les vertus privées.

Santa Chiara. - Souvenirs et impressions. Le 6, je célébrai la messe à Santa Chiara 66v et j'y dînai. Que de souvenirs se passèrent là dans mon esprit! Ma première messe, la sainte direction du P. Freyd, et tant de grâces reçues pendant six ans; que de motifs de reconnaissance! O mon divin Sauveur, renouvelez donc ces grâces dans mon cœur!

Le P. Eschbach m'invita à prêcher la retraite de Pâques aux élèves, mais mon plan de voyage ne me permettait pas d'accepter. Je vis qu'il avait été mis au courant des cancans de Saint-Quentin, et j'en éprouvai une grande peine.

St-Paul-hors-des-murs. St-Laurent. - Messe à la confession de la basili­que de St-Paul, auprès des reliques du grand apôtre et de son disciple Ti­mothée. C'est à la fois jour de station et jour d'adoration perpétuelle: si je savais profiter des grandes grâces dont 67r je suis comblé!

St-Pierre. - Messe à la grande basilique, à l'autel de Saint Léon le Gd. Que de souvenirs! C'est à Saint-Pierre que j'ai dit ma seconde messe. C'est à l'autel de St-Léon que j'ai célébré le 11 avril 1869 à l'heure mê­me, où Pie IX disait à St-Pierre la messe de son jubilé. C'est à St-Pierre aussi que j'ai suivi tout le travail du Concile. O mon Dieu, renouvelez en moi toutes ces grâces!

St Jean-de-Latran. - C'est la fête du Précieux Sang et le vendredi de la 4ème semaine de Carême.

Je célèbre la messe à Saint Jean de Latran à l'autel de la Table du Cé­nacle. Que de coincidences! C'est l'église de mon ordination. J'y lis l'évangile du S.-Cœur, et à la fin de la messe l'évangile de la résurrec­tion de Lazare. 67v Seigneur, ressuscitez ce nouveau Lazare, et rendez-lui toutes vos grâces!

Eglise St-Ignace. Départ. - Messe à l'église de Saint-Ignace, à l'autel de Saint Louis de Gonzague. Que de souvenirs encore ici! C'est l'église du Collège Romain où j'ai passé de si bonnes années. J'ai si souvent prié là aux autels de St-Louis de Gonzague, et de St Jean Berchmans!

Je quitte Rome encore une fois, et c'est toujours avec tristesse.

Je vais vers Naples. C'est le chemin qu'ont suivi les apôtres Pierre et Paul. Ils venaient de Naples, de Pouzoles par la Voie Appienne.

Naples vénère dans sa cathédrale le bâton de Saint-Pierre.

Je descends à l'hôtel de Genève comme en 1868.

Tout ce qui réveille les souvenirs de cette période de ma vie m'est une grâce et un 68r encouragement.

Naples. Je dis la sainte messe le matin à l'église de St-François près de mon hôtel. C'est là que je l'avais dite le 28 Décembre 1868. Tout un en­semble de circonstances me font croire à une aimable intervention de la Providence.

L'église est ornée et tendue comme en 1868. C'étaient alors les qua­rante heures, aujourd'hui ce sont les prémices d'un jeune prêtre. C'était hier l'ordination du samedi de la Passion. Un fils de famille du voisinage doit célébrer sa première messe. Rien n'a été omis pour rehausser la so­lennité. Lustres, tentures, fleurs, orchestre, rien n'est épargné. La porte extérieure de l'église elle-même est tendue de soie, de velours et d'or et la rue est semée de fleurs et de verdure 68v.

L'heure venue, un grand nombre de voitures de maîtres et d'élégants landaus arrivent. Le jeune prêtre fait son entrée au milieu de l'émotion générale. L'église est comble. Un orchestre spécial a été dressé pour des amateurs.

J'assiste avec émotion à la messe chantée. Un chanoine ami du jeune prêtre nous adresse un discours vraiment éloquent. Il tire admirable­ment parti du contraste de cette fête avec le temps liturgique de la Pas­sion. Ce contraste, nous dit-il, symbolise exactement la vie du prêtre, dans laquelle se rencontrent les honneurs et les souffrances. N.-S. était acclamé au jour des rameaux et crucifié quelques jours après. Il en est ainsi de ses prêtres 69r.

Ils passent en faisant le bien. Les bons les acclament, les méchants les persécutent. La foule mobile passe de l'hosanna au crucifigatur. N'en est-il pas ainsi de Léon XIII qui préside actuellement au sacerdoce chré­tien? Il est acclamé par les uns et persécuté par les autres.

Ces persécutions sont de tous les temps. Rappelons les Athanase, les Chrysostome, les Nepomucène, les Thomas Becket, la Révolution fran­çaise et notre temps lui-même.

Qu'on ne dise pas que les prêtres s'attirent ces persécutions. Sans doute, il y a des exceptions regrettables, mais l'ensemble, le corps sacer­dotal passe en faisant le bien comme son divin maître. Le sacerdoce bril­le par sa science et par sa charité. Toutes les œuvres 69v relèvent de lui. Ces persécutions sont l'œuvre du démon. Dieu les permet pour éprouver et sanctifier ses prêtres.

L'orateur ajoutait: l'église vous fête, vous jeune prêtre, parce qu'elle espère trouver en vous aussi un digne prêtre, un prêtre qui se dépensera pour le bien du peuple, un prêtre qui sera docte et fécond en œuvres. Et vous lui donnez lieu d'espérer cela par les vertus que vous avez prati­quées jusqu'ici, par vos brillantes études et votre zèle déjà connu.

Puis quelques allusions de l'orateur à la famille, au père défunt arra­chaient des larmes à tout l'auditoire. - Quelles circonstances favorables pour me rappeler mes premières messes et en renouveler les grâces! 70r.

Je n'avais qu'une journée à passer à Naples, je n'ai pu faire qu'un pè­lerinage rapide à ses églises.

J'ai revu la cathédrale, qui est bien le centre de toute la vie napolitaine dans l'histoire. Là s'élevaient les temples d'Apollon et de Neptune, vers le milieu de la ville grecque, qui s'étendait depuis le vieux port (Porto Piccolo) jusqu'à la porte de St Janvier. C'est là que Ste Hélène fit élever la première cathédrale de Ste-Restitute et le baptistère de St-Jean. Cette cathédrale est un ensemble de monuments de tous les siècles, un musée religieux et artistique.

La basilique de Ste-Restitute et le baptistère de St-Jean paraissent bien dater en grande partie de l'époque de Ste Hélène, mais ils ont été restaurés au VIe siècle, leurs chapitaux en témoignent.

La chapelle de Ste-Marie del Principio 70v a une mosaïque et un am­bon du VIIIe siècle. La nef principale est du XIIIe siècle. Elle est ogivale et rappelle l'église de la Minerve à Rome. C'est l'œuvre de l'architecte Ma­succio. La gracieuse petite chapelle des Minutolo est aussi du XIIIe siècle avec ses curieuses fresques qui sont d'un contemporain de Cimabue.

La crypte ou confession est de 1492, de la première renaissance. Elle possède le corps dé St Janvier. Elle est soutenue par huit colonnes ioni­ques et toute lambrissée de marbres fouillés en délicates arabesques. Mais pourquoi ce mélange de figures paiennes, une Minerve, des saty­res, etc.! La chapelle de St Janvier (le, tesoro) date de 1608. C'est un voeu de la cité après la peste de 1526. Elle est de l'architecte théatin Gri­maldi. Cette époque-là était plus riche qu'artistique. On compte là sept autels décorés de marbres et de bronze, 71r 42 colonnes de brocatelle, 19 statues colossales en bronze des Saints patrons, et des peintures des grands maîtres: le Dominiquin, Lanfranc, l'Espagnolet.

Mais l'art et l'histoire ne sont pas seuls à donner à cette église un vif intérêt. Elle est aussi un sanctuaire des plus pieux et des plus vénérables. Elle possède un grand nombre de reliques: le bâton de St. Pierre, souve­nir de son passage à Naples, les corps d'un grand nombre de Saints évê­ques et de Saints martyrs, des reliques de Ste Restitute, l'illustre vierge patricienne de Carthage, martyrisée en Afrique. Mais son principal joyau est le corps de St. Janvier, évêque de Bénévent, martyrisé à Pouz­zoles. La Providence a fait de St. Janvier l'ange tutélaire de Naples. Il l'a plusieurs fois délivrée de la peste et des éruptions du Vésuve Il ré­veille sa foi plusieurs fois chaque année par la liquéfaction 71v de son sang. Aussi les Napolitains l'aiment avec une sainte passion. On prie vraiment bien dans cette vénérable basilique et je tiens pour une grande grâce de l'avoir visitée plusieurs fois (façade en restauration).

Après la cathédrale, mes pèlerinages se bornèrent à cinq églises des plus importantes: San Domenico, Santa Chiara, San Lorenzo, San Pao­lo et la Madonna del Parto.

San Domenico et Santa Chiara marquent la puissance des ordres de S. Dominique et de S. François au moment même de leur apparition. San Domenico et Santa Chiara sont de l'architecte Masuccio II. La dynastie d'Anjou était pieuse. Elle favorisa la construction des églises. Elle aimait l'art ogival et se servit surtout des deux architectes du nom de Masuccio qui étaient de l'école de Jean et 72r Nicolas de Pise. Mais la plupart des églises ogivales de Naples ont été défigurées pendant les siè­cles postérieurs.

San Domenico est surtout remarquable par les beaux tombeaux de la Renaissance qu'y élevèrent Jean de Nole et son école pour les princes d'Aragon et la noblesse napolitaine. San Domenico possède une partie du corps de St. Tarcisius, l'aimable martyr de l'Eucharistie et un cruci­fix a parlé à St. Thomas d'Aquin. St. Thomas vécut en effet au monastè­re de St-Dominique et y professa en 1272. La cellule est devenue un pieux sanctuaire.

Santa Chiara avait des peintures de Giotto inspirées par Dante, mais hélas! il n'en reste plus qu'un spécimen. Cette église possède de beaux tombeaux gothiques de la famille d'Anjou et en particulier celui du roi Robert derrière le maître 72v autel. Le pieux roi est couché sur son tombeau en costume de moine franciscain. Au réfectoire une peinture historique fait voir combien était vivante la pensée du règne social de Jésus-Christ au moyen-âge. Le Christ-roi est sur son trône et la Ste Vierge lui présente le roi Robert, son fils Charles et leurs épouses, et derrière les princes se tiennent divers saints protecteurs.

A Santa Chiara encore, le peuple se porte avec une constante piété vers le tombeau de la reine Marie Christine de Savoie, fille de Victor Emmanuel Ier roi de Piémont, et épouse de Ferdinand II de Naples, morte en odeur de sainteté en 183640).

Elle serait déjà béatifiée, si la cour de Savoie n'avait pas à Rome une situation si anormale. Puisse-t-elle obtenir de Dieu la conversion et le pardon 73r de sa famille!

San Lorenzo est une église votive, promise à Dieu par Charles Ier d'Anjou après sa victoire sur Mainfroi à Bénévent en 1266. Elle est aussi de l'architecte Masuccio II. Elle possède les tombeaux des Ducs de Du­ras de la famille d'Anjou, sculptés les uns par Masuccio, les autres par Jean de Nole.

San Paolo est l'église des Théatins, qui prirent un grand développe­ment dans l'Italie meridionale au XVIe et au XVIIe siècle. L'architecte fut le p. Grimaldi qui construisit aussi la chapelle de St Janvier, et les églises des Saints-Apôtres et de Ste-Marie des Anges au XVIIe siècle. L'art de cette époque avait de la grandeur, mais il donnait déjà dans le mauvais goût et l'incorrection qui devaient aboutir au style maniéré et ridicule du XVIIIe siècle 73v.

San Paolo a un précieux trésor, c'est le corps de St. Gaëtan si populai­re à Naples. Le tombeau de cet aimable Saint est dans une crypte très or­née. L'église supérieure possède aussi le corps de St. André Avellin.

Le tramway me transporta, par le quartier de Chiaia, tout peuplé d'Anglais, au sanctuaire de la Madone del Parto ou de Pie di grotta. Ce sanctuaire est au pied du Pausilippe si riche en souvenirs littéraires et historiques. C'est là qu'habitait Virgile, c'est là qu'il écrivit les Eglo­gues et les Géorgiques, c'est là qu'est son tombeau, visité de tout temps par les poètes. Le Pausilippe est ce promontoire délicieux qui jouit d'une des plus belles vues du monde. C'est là que les grands de Rome, Cicéron, Pompée, Marius, Lucullus, Pollion avaient accumulé leurs 74r villas. L'Eglise est bâtie dans la villa du poète Sannazar, le Virgile chrétien. Elle possède son tombeau que les artistes du XVIIe siècle ont orné de reliefs mythologiques et des statues de Minerve et d'Apollon.

J'ai trouvé l'église remplie de pieux fidèles. La Vierge del Parto est chère aux Napolitains.

Ma dernière visite a été pour le phare. Quels bons moments j'ai passés la-haute, faisant revivre toute l'histoire de Naples et admirant les triom­phes incessants du Christ qui vit et règne malgré les attaques répétées de ses ennemis.

Au pied du phare je causai avec un vieux pêcheur. C'était un beau ty­pe de vieux travailleur chrétien. Depuis 60 ans il maniait la rame et la voile. Il n'allait plus à la pêche, son âge 74v ne le lui permettait plus. Il transportait les voyageurs à bord des navires en partance. Il joignait l'esprit chrétien à la sagesse du vieillard. Il regrettait les temps où les ha­bitudes chrétiennes étaient universelles, où les familles étaient unies et se contentaient d'une vie simple et modeste. Aujourd'hui, disait-il, il n'y a plus de respect. Il n'y a plus de vie de famille. L'enfance et la jeunesse méprisent leurs parents. Naples se couvre de cafés et de perruquiers. La gourmandise et la vanité règnent universellement. Les journaux ensei­gnent à blasphémer et les moeurs n'ont plus de frein. Les pensées de ce vieillard étaient sages.

Le même jour je fis causer un collégien et je lus dans un journal le mandement d'un évêque des provinces napolitaines. L'évêque se plai­gnait à ses ouailles de la tendance à l'abandon des campagnes, à la re­cherche des plaisirs et du luxe 75r des villes. Il conseillait la simplicité. l'amour du foyer et il faisait valoir les avantages qu'offre la campagne pour l'hygiène, pour la conservation des moeurs et même pour le salut de l'âme. Puis, s'inspirant de l'Encyclique de Léon XIII, il indiquait les œuvres et les associations qui peuvent favoriser les ouvriers de culture et adoucir leur sort.

Le collégien était élève d'une maison ecclésiastique, mais je le trouvai épris d'une idée fausse qui hante le cerveau d'un trop grand nombre de catholiques italiens. Le Pape, disait-il, ne devrait-il pas accepter sa situa­tion? Ne peut-il pas vivre à Rome comme l'archevêque vit à Naples? Comment l'Italie pourrait-elle se passer de Rome capitale? C'est la capi­tale historique, etc. 75v.

J'essayai de lui faire comprendre que le Pape n'est pas seulement l'évêque de Rome qu'il est l'évêque du monde entier; qu'il doit être li­bre et accessible à tous; qu'il doit être chez lui. Dans ses états, pour trai­ter avec toutes les puissances et recevoir librement ses fils de toutes les nations. Je laissai au moins des doutes dans son esprit.

Mais la journée, s'avançait. Je montai sur le gracieux bateau l'Elettri­co qui allait m'emporter à Palerme et je continuais ma contemplation de Naples et de son histoire.

Juin 1892

1. Départ pour l'Equateur

2. Les prix. Discours de M. Mercier

3. Le Hâvre - Rouen

5. Domremy - Vaucouleurs

8. Réunion du Val. Lourdes

11. Albi -Cahors

12. Loigny

14. Retraite à Fourdrain

16. Réunions de j. gens

1893

18. Le nouvel an

20. Montreuil - Calais

21. Départ pour le Brésil Etudes sociales à Soissons

24. Paris. L'académie - Les chapelles

28. Clairefontaine - Sittard

29. Picpus

30. Ham

31. Poitiers

32. Réunion d'études à Soissons

32. Epreuves, dénonciations

32. Couvron: réunion

34. Courtrai

36. Chapitre général

37. Issy

39. Grande retraite à Braisne

40. Je quitte St Jean le 20 nov. 93

40. Le Manuel social

41. Jubilé sacerdotal

1894

43. Sittard - Clairefontaine

47. Départ pour Rome

48. Sienne

56. Rome. Monte Tarpeo

58. Le Latium

61. Rome et ses changements

68. Naples


1)
Dumont (Christophe-Marie-Henri). Né à Saint-Quentin le 2.10.1833, entré dans la congrégation le 22.6.1892; a fait ses voeux en juillet 1893 et est sorti en 1896. Avec lui est parti en Equateur un sous-diacre, reçu bachelier, Sigisbert de nom. C’étaient des professeurs valables. Mais aucun des deux n’était prêtre. Le P. Grison dans ses «Sou­venirs de l’Equateur», dit avoir éprouvé un certain désappointement parce que les deux religieux devaient faire les études de théologie et être présentés aux ordres (cf. p. 136-137, éd. It.). Avec eux le P. Dehon envoya également un frère coopérateur, Bona­venture, cordonnier de métier.
2)
Koppes (Jean-Joseph: 1843-1918), évêque de Luxembourg: 1883-1918.
3)
Ouen (Saint), évêque de Rouen, né vers 600, décédé en 684.
4)
La famille d’Amboise eut un cardinal et quatre évêques. Cinq hommes d’Eglise, tous fils de Pierre d’Amboise, seigneur de Chaumont-sur­Loire, portèrent ce nom à la fin du XVe et au début du XVIe s.: Georges, cardinal (1460-1510); Louis, évêque d’Albi (1474-1503); Pierre, évêque de Poitiers (1471-1505); Jean, évêque de Maillezais (1475), puis de Langres (1481-1497); Jacques, titulaire de diverses abbayes bénédictines, puis évêques de Clermont (1505-1516).
5)
Cf. note 11, p. 527.
6)
Gambetta (Léon), avocat et homme politique français (Cahors 1838 – Ville-d’Avray 1882). Il fut un des plus grands orateurs du parti républicain. Après la défaite de Sedan (2.9.1870), il proclama la chute de l’Empire et devint ministre de l’Intérieur dans le gouvernement provisoire de Défense nationale. Chef indiscuté des républicains, il les mena au triomphe et à la majorité sur tous les autres partis de la Troisième Républi­que. On connaît l’anticléricalisme de Gambetta et le jugement négatif du P. Dehon est compréhensible.
7)
Cf. note 34, p. 514
8)
Sonis (Louis-Gaston), général. Né à Pointe-à-Pitre (Ile de Guadeloupe, dans les An­tilles françaises) le 25.8.1825; mort à Paris le 15.8.1887. Eduqué au collège de Saint­-Cyr, il participa à différentes campagnes militaires, entre autres également contre l’Al­lemagne en 1870. Officier d’une foi profonde et exemplaire, unie à un apostolat fer­vent, prêt au devoir comme à la voix et à l’amour de Dieu, il mérite qu’on ait résumé sa vie sur sa tombe par ces paroles: «Miles Christi».
9)
Boulanger (Joseph-Patrice et Paul-Remi), cf. note 53, p. 502.
10)
Germain (Abel-Anastase: 1833-1897), évêque de Coutances: 1876-1897).
11)
Certains noms reviennent fréquemment dans les «Notes sur l’Histoire de ma Vie» du P. Dehon, cf. vol. 8: Index onomastique. Jullien Paul dans NHV est julien Paul. Rappelons que deux Black: Emile et Octave, entrent dans la congrégation, Emile est né à Saint-Quentin le 8.3.1865, est entré dans la congrégation le 8.9.1885 et a pris le nom de Quentin, a fait profession le 23.9.1887 et est mort le 2.5.1888. Octave est né à Saint-Quentin le 23.3.1859, est entré dans la congrégation le 8.4.1883. Il a pris le nom de Polycarpe. Il a fait profession le 6.4.1885 fut ordonné prêtre le 24.9.1887. Il devint maître des novices à Fourdrain en 1889 jusqu’en 1893. Il est décédé à Saint-Quentin le 21.6.1925.
12)
L’histoire économique de l’époque révèle un climat assez troublé, marqué de plusieurs affaires et scandales, entre autres le scandale du Canal de Panama. Fondée en 1880 par F. de Lesseps, la Compagnie du Canal de Panama se voit, dès 1886, en diffu­culté financière, tente d’obtenir du parlement une autorisation d’emprunt supplémen­taire, mais sera mise en liquidation en 1889. Cependant des plaintes avaient été dépo­sées, dès 1888 contre les administrateurs, et une campagne de presse mettait en cause un certain nombre d’hommes politiques (une liste de 104 «députés-chéquards»). Le tout aboutit en 1893 à une condamnation des administrateurs, qui fut aussitôt cassée sans renvoi pour vice de procédure. Le scandale, ainsi privé de sanction judiciaire, fut énorme, révélant une collusion louche de la politique et des affaires et entraînant un re­nouvelleent du personnel politique. Le radical Clémenceau entre autres, fut éclaboussé et, attaqué par Déroulède, ne fut pas réélu de 1893 à 1902. Les conséquences furent no­tables, sinon pour le régime lui-même, du moins dans l’opinion publique et pour le dé­veloppement industriel, victime de la méfiance de l’épargne. Autres scandales et affaires de l’époque: le krach financier de l’Union Générale (1882), le scandale du trafic des décorations, qui amène la démission du président J. Grévy, compromis par son gendre Wilson (1887) et l’affaire Dreyfus (à partir de 1894). En Italie, c’est le scandale de la «Banca Romana», institut de crédit fondé en 1835 et de­venu la «Banque de l’Etat Pontifical». Après la prise de Rome par les Italiens (1870), il re­prit le nom de «Banca Romana», conservant la privilège d’émettre du papier-monnaie en quantité déterminée. En 1889, des soupçons fondés amenèrent une enquête ministérielle qui révéla diverses irrégularités administratives et l’émission clandestine de billets de ban­que pour une valeur de 9 millions de lires. D’où scandale et suppression de la «Banca Ro­mana»; dont la liquidation fut confiée à la «Banca d’Italia», fondée en 1893. D’autres banques furent impliquées dans la crise de crédit qui s’ensuivit. Dans ce scandale furent impliqués des hommes politiques de premier plan, comme Giovanni Giolitti et Francesco Crispi. Du point de vue historique, ce scandale de la «Banca Romana» apparaît lié, plus encore qu’à la personnalité de certains hommes politiques, à la crise économique et financière générale, provoquée par la guerre des ta­rifs douaniers avec la France commencée en 1887-1888, elle-même liée à la crise agrico­le mondiale. De là réaction en chaîne, d’importants phénomènes «dépressifs», caracté­risés notamment par une très forte réduction du commerce avec la France et d’un dur­cissement des relations politiques. La crise financière fut l’ultime épisode exaspéré d’un ensemble de facteurs négatifs.
13)
Williez (Alfred-Casimir-Alexis 1836-1911), évêque d’Arras: 1892-1911.
14)
De ce Juniet Gaëtan le P. Dehon parle dans un manuscrit de sa vieillesse (1920?) sous le titre Via Crucis. Il se réfère à l’année 1896 et, en particulier au quatrième chapi­tre général tenu à la maison du S.-Cœur de Saint-Quentin: «Intrigues terribles au cha­pitre. Des Pères se sont laissés gagner par un gamin G… J… (Gâetan Juniet), instru­ment de Satan (suicidé après 2 divorces) par de grossières calomnies contre moi» (pp. 9-10, AD, B. 36/6). Le P. Dehon, dans une lettre au P. Falleur du 12.7.1897, écrit: «Il y a partout bon esprit, excepté au S.-C. (la maison mère dont le supérieur était le P. Blancal, adversaire à cette époque du P. Dehon, et qui aspira à le remplacer comme général). Le P. Paul (Delgoffe) est déjà converti à Sittard (c’était un des accusateurs du P. Dehon auprès de Mgr Duval, cf. Dossier Soissons, pp. 39-42, AD, B. 24/15). Il m’écrit pour s’excuser. Il avait écouté un menteur. Je suppose qu’il s’agit du fameux J. (Juniet) qui m’accusait pour se faire valoir auprès de «bailleurs de fonds» (anticléricaux) (AD, B. 20/3). La supposition du P. Dehon est erronée comme il résulte de la lettre de réparation écrite par le P. Delgoffe au P. Dehon le 6.1.1920: «Il me semble qu’il est bon de dire, en passant, que le malheureux juniet, criminel dans sa vie et dans sa mort, n’a pas été la cause de ma regrettable conduite» («Dossier Soissons», p. 43, AD, B. 24/15).
15)
En 1682 une Assemblée du clergé français réunie à St-Germain approuve la Dé­claration des Quatre Articles de Louis XIV, rédigés par Bossuet. Dans cette déclaration est affirmée l’indépendance de l’Eglise gallicane, la limitation du pouvoir papal aux affai­res spirituelles et la suprématie du concile sur le Pape lui-même. C’est le commence­ment d’un grave conflit entre la couronne française et la papauté romaine: le Pape In­nocent XI condamne formellement la Déclaration des Quatre Articles et refuse de nommer évêques les ecclésistiques qui avaient participé à l’assemblée de St-Germain; en consé­quence 35 diocèses français restent vacants.
16)
Prévot (André), dehonien, cf. note 96, p. 534. Jeanroy (Vincent-Edmond), dehonien. Né à Mangiennes (Meuse) le 1.9.1851, ordonné prêtre à Verdun (Meuse) le 18.9.1875. Il entra dans la congrégation le 6.4.1885 et a fait profession à Saint-Quentin le 17.9.1886. Il fut supérieur local de la maison de Bruxelles de 1896 à 1902 et procura­teur des missions au Congo Belge de 1897 à 1922. Il est mort à Bruxelles le 1.2.1925.
17)
Désaire (Charles), cf. note 4, p. 511.
18)
Lavisse (Ernest), historien français (Le Nouvion-en-Thiérache 1842 – Paris 1922). Professeur en Sorbonne (1888), puis directeur de l’Ecole normale supérieure (1904-1919); il fut l’initiateur des études collectives d’histoire et contribua à la rénova­tion des études historiques tout en synthétisant les recherches du XIX° siècle. Il a dirigé une grande Histoire de France (10 t.), Une Histoire Contemporaine de la France (9 vol.) et, avec Rambaud, une Histoire générale du IVe siècle à nos jours (12 vol.). On lui doit, en ou­tre, d’importants ouvrages sur l’histoire de la Prusse. Bousier (Gaston), professeur et écrivain français (1823-1908) (Acad. fr. 1876; secrétai­re perpétuel 1895; acad. des inscr., 1886). Boissier a terminé sa carrière universitaire comme professeur de éloquence latine au collège de France, dont il fut nommé admini­strateur en 1892. Ses ouvrages sur l’archéologie et l’histoire romaines, ainsi que sur la littérature latine ont autant d’agrément que de solidité.
19)
Perraud (Adolphe-Louis-Albert), cardinal en 1895, cf. note 100, p. 509.
20)
Jurien de La Gravière (Jean-Edmond), amiral français (1812-1892). Il prit part à la guer­re d’Orient (1854) et commanda les forces françaises envoyées au Mexique en 1861. Vice­amiral en 1862, aide de camp de l’empereur (1864), puis commandant de l’escadre de la Méditerranée, il protégea la fuite de l’impératrice Eugénie en 1870 et devint en 1871 direc­teur des Cartes et Plans de la marine. Il a publié de nombreux ouvrages historiques, dont la lecture éveilla bien des vocations de marin (Acad. des sc., 1866; Acad. fr., 1888).
21)
Morel (Henri-Edmond), cf. note 48, p. 500-501. Noiret (Martial-Eugène), entré dans la congrégation le 17.10.1885, profes à Noël 1890, sortit de la congrégation. Lecart (Urbain-Louis), dehonien. Né à Reims le 11. 5.1856, entré dans la congrégation le 27.6.1884, profes le 17.9.1886. Supérieur local de la maison de Saint-Quentin de 1913 à 1916. Meurt à Busséol (France) le 28.6.1941. Carré (Mammès-Prosper), cf. note 103, p. 525.
22)
Bougouin (Henri-Louis-Prosper), évêque de Périgueux. Né à La Mothe-S.-Héraye (Deux-Sèvres) le 26.8.1845, compagnon de séminaire de L. Dehon à Santa Chiara et sténographe comme lui au Concile de Vatican I (cf. NHV VI, 108; VII, 42). Il conserva l’amitié avec L. Dehon et nous possédons de lui différentes lettres écrites entre 1871 et 1885 (cf. AD, B. 17/6.4 et B. 21/3.27; NHV VIII, 134-135; IX, 69-70.164; XI, 27-28). Il devient, à Poitiers, professeur et directeur du séminaire (cf. NHV XI, 172; XII, 38-40). Dans ses mémoires (NHV), le P. Dehon parle d’autres lettres envoyées par l’abbé Bougouin (cf. NHV XIV, 43-44.119-120). Il a fait aussi l’intermédiaire entre le P. De­hon et le groupe de Poitiers (Mgr Gay et les Frères de Pascal. Il devient évêque de Péri­gueux en 1906 et meurt le 1.1.1915.
23)
En 1875, ensemble avec l’abbé H. Bougouin (cf. NHV XII, 106-107).
24)
Nous touchons à une des expériences les plus angoissantes du P. Dehon durant cette période de sa vie (1889-1896), qui fut indiscutablement plus obscure et plus dou­loureuse même que le «consummatum est». En juillet 1893 le P. Dehon est accusé d’avoir corrompu un enfant. C’est très probablement «l’affaire Vincent», nom d’un garçon de 13-14 ans du Collège Saint Jean (cf. EH, p. 50, n. 13). Voici comme en parle un témoin du temps, le chan. Maurice Weppe qui a fort bien connu le P. Dehon, étant entré à l’école Saint-Clément de Fayet en 1892. Il demeura au collège Saint Jean de 1893 à 1895. En 1893, il avait 25 ans, étant né le 17.8.1868. Il fit profession comme religieux dans la congrégation du P. Dehon en 1897 et vécut à Saint-Quentin jusqu’en 1905. Voici sa déposition: «Il y avait à Saint Jean un surveillant appelé Canoel. Il portait la soutane mais il n’était pas encore dans les ordres. Il se montrait très dur avec les élèves. Un soir, il a puni un en­fant, l’obligeant à se mettre à genoux au dortoir. L’enfant a eu peur. Il s’est sauvé chez le P. Dehon, alors qu’il était déjà en robe de nuit. Quand il est entré dans le bureau du P. De­hon, celui-ci était en train d’écrire. Le Père lui a demandé d’attendre quelques instants. L’enfant s’est assis. Le P. Dehon a continué d’écrire et il a oublié la présence de l’enfant. Pendant ce temps l’élève s’est endormi. Quand le P. Dehon s’est rappelé que cet enfant était là, il était déjà tard, plus de dix heures. Comme il fallait traverser la cour pour aller de son bureau au dortoir des enfants, et pour ne pas déranger ceux qui dormaient, le P. De­hon a gardé l’enfant dans sa chambre et il l’a déposé sur son lit. Il ne l’a pas mis dans son lit. Le P. Dehon s’est étendu lui aussi sur le lit, à côté de l’enfant, mais il ne s’est pas désha­billé. Il n’y a que les saints pour avoir des bontés pareilles. Dans sa simplicité le P. Dehon n’a pas pensé que son geste pourrait être interprété en mal. Et de fait, il n’y avait pas de mal en cela. Ce sont les circonstances qui ont voulu que la chose soit sue et mal interprétée. Quelles furent ces circonstances? Quelque temps auparavant le père de cet enfant avait demandé au P. Dehon de lui prêter de l’argent. Le P. Dehon ne lui a rien donné. Le père de l’enfant a profité de cet­te affaire pour se venger du P. Dehon et il a déposé une plainte au parquet. Un juge est venu interroger le P. Dehon. Comme ce juge a bien vu qu’il ne s’était passé rien de mal, il a fait appeler le père de l’enfant. Pour sonder ses intentions, il lui a demandé s’il consentirait à retirer sa plainte dans le cas où le P. Dehon lui prêterait de l’argent. Le père de l’enfant s’est empressé de dire que oui. Alors le juge l’a renvoyé en lui disant qu’il était un misérable et l’affaire n’a eu aucune suite. Je me rappelle que le Père Blancal m’a dit que le P. Dehon l’avait échappé belle, qu’il aurait pu être cité devant le tribunal et que des juges malveillants auraient pu le condamner alors que le P. Dehon était innocent et n’avait rien fait de mal» (EH, p. 50, n. 13). Weppe entendit raconter le fait une première fois de la part du P. Delgoffe, en ce mo­ment en rien bienveillant à l’égard du P. Dehon et enclin à voir le mal partout. Pour­tant dans cette affaire il n’avait rien vu de répréhensible (cf. EH, p. 50, n. 13); puis il l’entendit du garçon lui-même, avec une certaine fierté («parce que le P. Dehon était tout pour les élèves»: C. Weppe in EH, p. 50, n. 13), sans aucune honte et fixant son interlocuteur dans les yeux. Sa simplicité, sa candeur, sa conscience tranquille étaient évidentes. «Prise en elle-même, l’affaire est tout de même grave et on pourrait soupçonner le P. Dehon». «Non-répond C. Weppe. On ne peut pas soupçonner le P. Dehon. Il est inno­cent. Il n’a rien fait de mal. Le P. Dehon était bon, et c’est par pure bonté qu’il a agi ainsi. N’importe qui ne pourrait se permettre cela; mais les saints ont de ces gestes de bonté qui peuvent étonner… Je l’ai vu à l’œuvre, j’ai vécu longtemps avec lui. Je jure­rais sur mon salut éternel que le P. Dehon est innocent. Je suis âgé. A mon âge on pen­se à l’éternité. On ne se préoccupe plus des opinions humaines. Cela veut dire que je parle sincèrement. Parfois, en pensant à l’affaire de l’enfant Vincent, je me suis dit que le bon Dieu a permis cela comme une épreuve pour le P. Dehon. Car ce fut pour lui une rude épreuve et il a dû en souffrir. Mais je trouve qu’il faudrait être soi-même mauvais pour accuser le P. Dehon à propos de cette affaire» (EH, p. 52, n. 15; p. 53, n. 32). Mgr Duval eut connaissance de «l’affaire Vincent». De la part de qui? Nous ne le savons pas. Le P. Blancal (contraire à cette époque au P. Dehon, aspirant au généralat) avait ses entrées à la curie de Soissons. L’abbé Mercier, sévère préfet de discipline de Saint Jean est un informateur probable, certainement pas bienveillant à l’égard du P. Dehon. C. Weppe le définit: «l’âme damnée du clergé de Soissons… parce que c’est lui qui s’est laissé pousser par d’autres prêtres et qu’il voulait arriver à être supérieur de Saint-Jean» (EH, p. 51, n. 14). Un des vicaires généraux, l’abbé Turquin faisait cause commune avec les prêtres qui s’opposaient au P. Dehon (cf. EH, p. 51, n. 14). Vers le 15 juillet 1893, le P. Dehon écrit à Mgr Duval. Celui-ci attend une douzaine de jours avant de lui répondre. Finalement, le 26 juillet, se trouvant à Roquefort (Seine Inf.), il lui répond par une lettre très dure: + Rocquefort par Fauville (Seine inf.) 26 juillet 1893 Monsieur Dehon, Vous m’avez écrit il y a une douzaine de jours. Je n’ai pas répondu à cette lettre. J’ai voulu prendre le temps de réfléchir, de me renseigner et de prier. Je sens tout ce qu’il m’en coûte de vous écrire la présente lettre, mais c’est un devoir pour moi de le faire, et c’est pour vous le salut. Vous n’êtes plus possible à St. -Quentin, il faut à tout prix ménager immédiatement votre départ. Choisissez en Hollande ou en Amérique le lieu de votre séjour. Cachez-y votre vie. Les meilleurs de vos Prêtres feront face aux besoins de St Jean et à la direction de vo­tre Congrégation. Il y a 3 ans, je vous avais fortement conseillé de vous absenter pendant quelque temps. Aujourd’hui je vous commande le départ pour éviter un affreux scandale qui menace d’éclater ou qui hélas! commence à éclater déjà, je le sais. En vous parlant ainsi, c’est votre propre honneur que je veux sauver, et aussi l’exis­tence de votre Congrégation et de l’Institution St Jean. Si vous n’acceptez pas ma sentence, je référerai l’affaire au Saint-Office de Rome. Je doute que sa sentence soit plus indulgente que la mienne qui vous assure au moins le si­lence. Que Dieu vous éclaire et vous touche + J. B. Ev. (DES, pp. 31-32, doc. 15). Le P. Dehon écrit dans son journal (NQ) le 29.7.1893: «Il serait temps qu’un autre en prit la direction (de Saint-Jean) pour me laisser le loisir de diriger l’œuvre et d’écri­re» (NQ VI, 32). Ce qui surprend, c’est le comportement de Mgr Duval comme précédemment celui de Mgr Thibaudier, lorsqu’il s’agissait de fusionner la congrégation du P. Dehon avec une autre congrégation. Ce sont des «sentences» graves, décidées sur base de relations et de rapports qui, dans la suite, se révéleront, du moins partiellement, calomnieux sans que l’accusé (le P. Dehon) fût au moins entendu et eût la possibilité de se défendre. Tout cela, aussi pour l’honneur des deux évêques: l’ordre de fusion de Mgr Thibaudier s’est révélé irréalisable et s’est évanoui dans le vide; la condamnation de Mgr Duval s’évanouira, elle aussi, avec de lourdes charges pour le P. Dehon. Entretemps Mgr Duval revint à Soissons et chercha à s’informer davantage. C. Weppe est, lui aussi, convoqué par rapport à l’ «affaire Vincent» (cf. EH, p. 51, n. 13). Nous connaissons déjà l’exposé de Weppe. L’impression de Mgr Duval, «de tem­pérament sévère» (EH, p. 51, n. 14), était maintenant que le P. Dehon n’avait rien commis de mal (cf. EH, p. 51, nn. 13-14). En effet, le 2.9.1893 Dehon reçoit une lon­gue lettre de Mgr Duval qui débute comme suit: «L’état de la question a bien changé en effet depuis 15 jours. Ce qui était possible hier, ne l’est plus, sans danger, aujourd’hui» (DES, p. 32, doc. 16). Où est allé «l’affreux scandale»? Une bulle de savon. Mais pas pour le P. Dehon. Voici les lourdes conditions imposées par Mgr Duval. 1. Le P. Dehon conservera le titre de supérieur de Saint-Jean, la responsabilité fi­nancière et il présidera à la rentrée des élèves. Il n’aura plus sa résidence au collège mais dans la maison du S.-Cœur. Il s’éloignera de temps en temps pour visiter les maisons de sa congrégation. 2. Le rév. Mercier aura des pouvoirs plus étendus dans la direction morale et intel­lectuelle du collège. 3. Dans la congrégation, le P. Dehon peut conserver le titre de Supérieur Général honoraire, à la condition explicite d’avoir à ses côtés un assistant général dont les déci­sions sont obligatoires. L’assistant sera flanqué d’un conseil composé de trois pères (Le­febre, Vaillant, Delloue). Un compte rendu sur la marche de l’œuvre sera périodique­ment envoyé à l’évêque qui sera préventivement consulté pour chaque décision impor­tante. 4. Mgr Duval voit volontiers le P. Rasset comme assistant général à condition qu’il soit élu par la congrégation, non pas choisi par le P. Dehon, pour ne pas heurter certai­nes susceptibilités (il s’agit sûrement des religieux contraires au P. Dehon dont le me­neur est le P. Blancal. Au chapitre général imminent du 6-14 septembre 1893, ils agi­ront à découvert). L’élection de l’Assistant vaut pour trois ans. 5. L’évêque renonce à présider aux élections; il veut cependant que le P. Dehon fas­se connaître à toute la congrégation les conditions imposées par l’évêque et sa volonté d’être tenu au courant et consulté. La longue lettre au P. Dehon conclut en ces termes: «Que Dieu vous aide et ranime toutes les bonnes volontés. C’est le salut que Dieu vous envoie. Profitez-en. Je bénis toute la congrégation» (DES, pp. 32-35, doc. 16). Mgr Duval comme Mgr Thibaudier considéraient l’institut du P. Dehon comme une simple congrégation diocésaine, alors que, avec le décret de louange, de 1888, il était devenu de droit pontifical. Le vieux gallicanisme n’était pas mort chez les deux évê­ques.
25)
A cette occasion le P. Dehon choisit comme sujet de son discours «Le Départe­ment de l’Aisne» (cf. OS IV, 465-520). Voici comment en parle la «Semaine Religieu­se»: «M. l’abbé Dehon, le très distingué supérieur de l’Institution, a fait un de ces dis­cours qui sont un régal pour les lettrés et les amateurs de beau langage». Il a écrit l’histoire de ce qui est maintenant le département de l’Aisne à travers les âges, examinant, tour à tour, avec une grande élèvation de termes et d’idées, les évène­ments, les arts, la littérature et terminant par un cri d’espérance en cette patrie françai­se qui a toujours accompli les «gestes de Dieu» (SRSL (1893), p. 479).
26)
L’abbé Baton fut archiprêtre et vicaire général du diocèse de Soissons et Laon.
27)
C’est le célèbre marquis René La Tour du Pin, né à Arrancy (Aisne) le 1.4.1834 et mort à Lausanne le 4.12.1924. Il est le fondateur, en 1871, de l’œuvre des Cercles ca­tholiques ouvriers, avec A. de Mun; il participa le 20.2.1885 au premier pèlerinage des industriels catholiques à Rome avec L. Harmel. Sa renommée, dans le domaine social, est due au fait qu’il est considéré comme le théoricien du corporatisme.
28)
Il s’agit de la politique du «ralliement» ou de l’adhésion à la Troisième Répu­blique, conseillée aux catholiques français par Léon XIII. Le légitimiste La Tour du Pin n’adhéra jamais à la politique du «ralliement».
29)
Cf. note 24, p. 550.
30)
C’est le troisième chapitre général qui se déroule à Fourdrain du 6 au 7 septem­bre, prolongé par les exercices spirituels jusqu’au 14 septembre. Ce fut un chapitre im­portant, soit par le nombre des Pères capitulants: 18, comparé aux huit du chapitre de 1886 et aux six de 1888, soit à cause du développement rapide de la congrégation de 1888 à 1896, soit par les bourrasques déchaînées depuis 1889. Par le rapport à la con­grégation des religieux de février 1891 nous savons que les membres de l’institut entier étaient d’une centaine (cf. AD, B. 37). Le chapitre se déroula en trois sessions en tenant compte, quant au P. Dehon, des dispositions de Mgr Duval (c£. NQ IV, note 24: lettre du 2.9.1893). L’administration du P. Dehon fut critiquée, trop peu prudente pour les «économistes», non pour un homme qui avait confiance en la Providence; mais la critique plus fondée concernait les œuvres trop nombreuses et disproportionnées aux moyens de la jeune congrégation. Les forces s’éparpillaient – commente le P. L. Philippe, deuxième général de la con­grégation – et la discipline se relâchait (cf. LC n. 224-225, 227-229). Le P. Dehon admet lui-même que les œuvres sont trop nombreuses et le personnel trop réduit (cf. NQ VI, 38r; 20-30.9.1893). Néanmoins l’esprit de l’Institut était vécu avec ferveur par de nombreux religieux dans les différentes maisons. Le P. Dehon don­na sa démission comme supérieur général. Avant de procéder à une nouvelle élection, on proposa sagement au chapitre la question de savoir s’il était opportun d’accepter la démission du P. Dehon. Avec 11 voix favorables, 6 contraires et une abstention (celle du P. Dehon) la question fut reculée de trois ans, au prochain chapitre général de 1896. Les travaux du chapitre prirent leur cours sous la direction du P. Dehon. Le Conseil général fut élu. La profession d’immolation fut mieux définie. On discuta du maintien ou de la suppression de certaines maisons, de la formation des jeunes religieux et on dé­cida d’unifier le noviciat à Sittard, d’envoyer les jeunes profès à l’université de Lille ou au séminaire Saint-Sulpice à Paris ou à Rome, où il fallait avoir une maison (cf. LC Ph. pp. 224-231; Denis, p. 176). Le chapitre, ouvert dans un climat de tempête se ter­mina dans l’apaisement: une paix apparente, parce que les tempêtes et les contrastes éclateront jusqu’à la fin du quatrième chapitre général (31.8-1.9.1896).
31)
Icard (Henri,-Joseph), sulpicien. Né le 1.11.1805 à Pertuis (Vaucluse), en oct. 1827 il entra au noviciat de la compagnie de S.-Sulpice; à 22 ans et avant même d’être prêtre (1828), il se vit confier un enseignement à Issy. En 1833, il fut appelé au séminaire S.-Sulpice de Paris; il y resta 60 ans, successivement professeur de dogme, de droit ca­nonique, directeur des catéchismes paroissaux, directeur du séminaire (1865), enfin su­périeur général du séminaire et de la compagnie (1876). Il y mourut subitement, le 20.11.1893.
32)
Maréchal (François d’Assise Joseph). Né à Buironfosse le 14.1.1874, entré dans la congrégation le 29.8.1890, profès le 24.9.1892, sortit de la congrégation après 1897.
33)
Ce fut un des principaux collaborateurs de la revue du P. Dehon. Il vécut à Clermont-Ferrand (cf. NHV XV, 68, NQ III, 114). Un «apôtre aussi modeste que zélé. Il est l’auteur d’écrits de propagande qui ont eu un grand succès…: Le Renouvellement dans la vie chrétienne (30.000 exemplaires vendus), Le Prêtre et la situation actuelle de l’église; La vie d’immolation réparatrice; Le Pas­teur selon le Cœur de Jésus (brochures vendues au nombre de 30.000-50.000 exemplaires). Mais s’il était apôtre par sa plume, il l’était bien plus encore par sa vie de sacrifice et d’immolation. Il fut arrêté au seuil du sacerdoce par une maladie étrange qui le tint presque continuellement, durant 25 ans, cloué sur son fauteuil. Il n’avait qu’un souffle de vie, et cependant il a pu écrire ces opuscules si étudiés et si remplis de doctrine» (cf. RCJ (1893), 521-522).
34)
Yved (lat Evodius; fr. Yved, Evod, Evode, Evoud), évêque de Rouen, saint. La liste épiscopale de Rouen, de bonne qualité, le range à la neuvième place: son épiscopat est à situer autour de 420-430. Sa biographie, écrite assez tardivement, ne mérite pas beaucoup de foi: il suffit de noter qu’elle le fait naître au temps du roi Clotaire 1, qui rè­gnait de 511 à 561. Yved serait mort à Andelys et enterré à Rouen; au temps des inva­sions normannes (IXe s.) ses reliques ont été transportées à Braisne (diocèse de Sois­sons). En 1130 elles passèrent aux Prémontrés, qui fondèrent une abbaye à Braisne qui a duré jusqu’à la Révolution de 1789; en 1874 Braisne a remis un fragment du corps d’Yved à la cathédrale de Rouen. Sa fête se célébrait au début le 8 octobre, considéré jour de sa mort: ensuite l’occur­rence d’autres fêtes la fixèrent à d’autres jours du même mois (10, 12, 21).
35)
La domestique était Marie Joséphine Adèle Jouniaux, veuve Debouzy (1810-1887) ve­nant de Wignehies (Nord) dont le curé était l’abbé Charles Boute, devenu professeur de grec au collège de Hazebrouck (cf. NHV I, 13r).
36)
Dehaene (Pierre-Jacques-Cornelius), cf. NHV I, 13v-17r).
37)
Jenner (Antoine), jésuite, cf. NHV , 19-20.
38)
Harmel (Léon), cf. note 93 p. 508.
39)
Montaperti. La bataille se produisit au pied d’une colline appelée «Monteapertac­cio»; 10.000 Florentins tombèrent et 15.000 furent faits prisonniers. Par reconnaissan­ce à la Vierge, à qui les Siennois attribuent la victoire. «Sena vetus» prit le nom de «Civitas Virginis».
40)
Marie-Christine de Savoie, vénérable. Fille de Victor Emmanuel Ier, roi de Sardai­gne et de Marie-Thérèse de Habsbourg-Este, naquit à Cagliari le 14.11.1812 et mourut à Naples le 31.1.1836. Elle se distingua par ses dons de piété et de vertu. Devenue or­pheline, elle aurait désiré se consacrer à Dieu dans la vie religieuse, mais entre les cours de Turin et de Naples, depuis 1817, furent menées des tractations de mariage. Ce fut ainsi que Marie Christine devint l’épouse de Ferdinand II de Bourbon et reine des Deux Siciles. Elle donna jour le 16.1.1836 à l’héritier attendu qui fut ensuite François 11; mais elle mourut le 31.1.1836. Les quatre ans de vie à Naples mirent en relief la sainteté de Marie-Christine. Elle fut déclarée vénérable en 1853.
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