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10ème CAHIER (31.3.1894 – 23.12.1894)

1 Le revers de ces fameuses tables n'a pas moins d'intérêt. On y trouve un état de partage et de location de biens religieux appartenant aux temples de Bacchus et de Minerve. Tout y est réglé, le mode de cul­ture, les garanties à exiger des tenanciers, les constructions à élever, les plantations de vignes et d'oliviers. Vraisemblablement la liberté reli­gieuse était plus grande dans ces provinces romaines qu'en notre Fran­ce. On n'y redoutait pas tant la main-morte et on ne l'entravait pas par des impôts d'accroissement et d'abonnement.

C'est à Héraclée qu'est né Zeuxis 2, le Raphaël de la peinture an­cienne. Apollodore avait trouvé l'art de donner de l'expression à ses fi­gures. Zeuxis parvint à donner par les ombres du relief à ses tableaux. Zeuxis, en peignant des Vénus, des Diane et des Hélène pour les temples de la Sicile et de la Grande Grèce préparait de loin les voies à nos pein­tres chrétiens. Raphaël s'inspira des peintures anciennes qui étaient sou­vent des copies ou des imitations de Zeuxis et de son école.

Pline raconte que les oiseaux allaient béqueter les raisins peints par Zeuxis, tant ils paraissaient naturels. Il est vrai que les peintures ancien­nes de Pompeï et de Rome, imitées de Zeuxis, ont de la grâce et du natu­rel dans les natures mortes, mais elles sont bien inférieures aux 3 peintures modernes pour la perspective, les ombres et l'expression.

C'est auprès d'Héraclée que se passa cet épisode de l'histoire dont tous les écoliers gardent le souvenir. Pyrrhus avait amené là des élé­phants et il les lança sur les Romains. C'était la première fois que les élé­phants intervenaient en Occident. Les historiens romains avouent que leurs légions furent rompues et leurs chevaux épouvantés. Ils auraient pu ajouter aussi sans doute qu'ils ont eu peur autant que leurs chevaux; mais ces choses là ne se disent pas, quand on écrit sa propre histoire.

D' Héraclée à Métaponte règne une végétation luxuriante, qui me rappe­lait les vallées de la Grèce. Les myrtes se mêlent 4 aux lentisques et aux lauriers-roses. Les Grecs devaient se retrouver là comme chez eux.

Des tours de guet semées sur la côte rappellent les excursions des Sar­rasins. C'est pour le même motif que la côte est devenue déserte et que les populations se sont retirées sur les montagnes, assez loin de la mer.

1er avril. - Me voici à Métaponte, le plus ancien foyer de la civilisa­tion sur ce rivage fameux. Métaponte était une colonie de Pylos, patrie du sage Nestor. Pylos n'était pas bien loin. Elle est située près de Nava­rin sur la côte occidentale de la Morée. En remontant d'abord les côtes de Grèce jusqu'en Epire, les barques devaient passer facilement en Ita­lie. Métaponte se disait 5 fondée par Epeus, le grec artificieux qui con­struisit le cheval de Troie. Au retour de la guerre, Epeus vint échouer sur la côte italienne à Métaponte et pendant des siècles cette ville garda comme des reliques les outils qui avaient servi à Epeus à bâtir ce cheval merveilleux.

Métaponte a disparu comme Héraclée et Sybaris. On sent que la main de la providence s'est appesantie sur cette terre et qu'un arrêt de mort a condamné ces foyers de corruption comme il est arrivé pour Ba­bylone et Ninive, Tyr, Sidon, Carthage et Pompeï. Les vallées fertiles de cette côte sont devenues des marécages malsains. Le gouvernement ita­lien a donné à des stations de chemin de fer les noms de Métaponte et Sybaris, mais 6 ces stations ne desservent que quelques fermes misera­bles. Il faudrait un nouvel Hercule pour dessécher ces marais et rouvrir aux torrents un lit profond et régulier. Le royaume d'Italie sera-t-il cet Hercule? L'état de ses finances ne le laisse guère espérer.

Il y a là comme en Sicile d'immenses propriétés particulières des lati­fundia. Les barons de Saracco à Crotone, les princes de Gerace entre He­raclée et Métaponte ont des domaines grands comme des royaumes. Ils vivent à Naples et ils sont représentés au milieu de ces exploitations par des intendants que le peuple compare aux proconsuls d'autrefois 7.

Il reste peu de traces de l'antique cité de Métaponte. Un bras de riviè­re formait son petit port, il est ensablé. Trois temples et le théâtre se re­connaissent à leurs débris. Non loin de la gare, le temple d'Apollon Ly­cien a quelques colonnes doriques enduites de stuc. A une heure de di­stance, quinze colonnes du même style appartenaient sans doute à un temple extérieur à la ville. Les campagnards appellent ces ruines les ta­bles des paladins, Tavole paladine, et la légende rapporte que quinze chefs arabes en auraient fait leurs tables à manger.

M.de Luynes, dans un ouvrage sur Métaponte a proposé une restau­ration de ce beau temple. Sa situation était superbe, sur le plateau 8 qui domine le cours du Bradano c'est d'où la vue plonge dans les gorges de l'Apennin et s'étend sur la mer et ses rivages. Ce tem­ple devait être un lieu de pèlerinage comme l'Olymplium à Syracuse. Il était peut-être dédié à Neptune et on priait là le dieu de la mer de proté­ger les vaisseaux, qu'on voyait partir du port comme autant de mouettes et de goélands déployant leurs ailes grises ou blanches.

Des tombeaux anciens entourent ce vieux temple. C'est sans doute là qu'a reposé Pythagore, puisqu'il est venu mourir à Métaponte. Je salue en lui un sage et un apôtre et je pense que Dieu a fait miséricorde à cette âme qui fut naturellement chrétienne, malgré bien des erreurs 9.

Dix lieues plus loin seulement c'est Tarente.

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Tarente s'avance sur son rocher au milieu de son golfe, entre deux an­ses qu'elle appelle la Grande mer et la Petite mer. Elle a survécu à toutes les péripéties de l'histoire.

Elle a encore un peu de vitalité et compte 40.000 habitants. Ancienne colonie des Crétois, elle s'était accrue par la venue des Parthéniens exilés de Sparte en 707 avant le Christ. Son commerce et son industrie lui ont donné une grande puissance et une longue prospérité.

C'était une petite capitale, elle commandait à toute la Japygie. Son port était l'entrepôt du commerce de l'Orient.

Les coquillages de la côte donnaient la pourpre, les troupeaux des col­lines fournissaient 10 une laine fine. Les ateliers de la ville produi­saient des tissus recherchés et des poteries qui s'exportaient au loin.

Tarente avait la spécialité de fins tissus fabriqués avec les filaments que porte en forme de houppe un mollusque de son port, la pinna nobilis (pinna, aigrette).

On en fabrique encore des objets de fantaisie, des bourses, des gants, des coiffures. Il y en avait à nos dernières expositions sous le nom de La­na penna. Ces étoffes seraient-elles le byssus ancien? C'est un problème qui n'est pas résolu.

Tarente était à l'apogée de sa puissance au IVe siècle avant J.-C. quand elle était régie par le philosophe et mathématicien Archytas, disci­ple de Pythagore 11.

Comme tous les états maritimes et enrichis par le commerce, elle em­ployait à la guerre des troupes auxiliaires et mercenaires. Elle appela les Spartiates pour faire la guerre aux Lucaniens. Elle s'allia avec Pyrrhus et avec Annibal contre Rome.

Tarente a passé par les mêmes péripéties que toutes les villes des Deux­-Sicile. Quand elle fut prise par les Romains, après la seconde guerre puni­que, Fabius Maximus vendit 30.000 de ses habitants comme esclaves. Au­guste la releva. Sous Justinien, elle passa à l'empire d'Orient et redevint une ville grecque. Les Sarrasins s'en emparèrent et la pillèrent en 927.

Nicéphore Phocas la reprit quarante ans après. Robert Guiscard s'en 12 rendit maître en 1063 et la donna à son fils Bohémond en fon­dant à son profit la principauté de Tarente. Frédéric II de Hohenstaufen y bâtit le donjon qu'on y voit encore, la Rocca imperiale.

Aujourd'hui Tarente a encore un commerce assez actif d'huile, de fruits et de céréales. Son port a de beaux établissements d'ostréiculture, mais l'avenir parait plus favorable à Brindes, qui a toutes les faveurs de l'Etat et qui est mieux placée sur la route de l'Orient.

Il reste bien peu de choses des monuments de la ville antique. On re­trouve dans une maison de confrérie deux colonnes d'un temple dorique de l'art grec le plus ancien. Le musée a de belles têtes de marbre de Vé­nus et d'Hercule, des bas-reliefs, 13 des verres, des ivoires, des pierres gravées, des vases de Corinthe et de Tarente, et ce qui est caractéristique un grand nombre d'ex-voto, statuettes et bas-reliefs qui datent du VIe au IIIe siècle avant J.-C., les premiers d'un style austère et archaïque, les derniers d'un style gracieux et efféminé. C'est un témoignage de la dé­votion des Tarentins aux dieux de l'Olympe.

Près de Tarente coule le Galèse chanté par Horace et Virgile. La val­lée du Galèse était une station de campagne des Romains. C'était un sé­jour plus modeste et plus à portée des petites bourses que les environs de Naples. Horace et Virgile y ont demeuré tous les deux. Horace y trou­vait ce qu'il aimait, une belle nature et de bon vin. Virgile aimait une nature douce et tranquille 14 loin des agitations politiques. Ecoutons-­les tous les deux:

«J'aime, disait Horace, le rivage hospitalier du Galèse, où tant de gras pâturages nourrissent les plus blanches toisons. Ce riant petit coin du monde est pour moi d'un charme ineffable. Ille terrarum mihi praeter omnes angulus ridet. Ici l'abeille distille un miel égal à celui de l'Hymette; ici l'olive est comparable à l'olive de Vénafre; un printemps de six mois, un hiver de six jours; un coteau, mon voisin, cher à Bacchus, dont la vigne et le vin sont dignes des treilles de Falerne» (Odes, livre II. 6). Le style, c'est l'homme.

Virgile fait aussi passer son âme dans le tableau qu'il a tracé de la val­lée du Galèse.

Non loin des murs de la superbe 15 Tarente, aux lieux où le noir Galèse arrose de brillantes moissons, j'ai vu, il m'en souvient, un vieil­lard cilicien possesseur de quelques arpents d'un terrain longtemps abandonné, sol rebelle à la charme, peu propre aux troupeaux, peu fa­vorable à la vigne. Toutefois au milieu des broussailles le vieillard avait planté quelques légumes, bordés de lis, de verveines et de pavots. Avec ces richesses, il se croyait l'égal des rois; et quand le soir assez tard il ren­trait au logis «il chargeait sa table de mets qu'il n'avait point achetés… Il avait même disposé en allées régulières des ormes déjà vieux, des poi­riers durcis par le temps, des pruniers dont la greffe a changé la nature sauvage et des platanes qui abritaient 16 les buveurs sous leurs ra­meaux hospitaliers… Le tilleul et le pin lui offraient partout leur ombra­ge» (Georg. IV. 125).

La vallée a toujours de riches villas comme au temps d'Horace et le co­teau a toujours de blancs troupeaux. Les moutons, toutefois ne portent plus comme jadis un manteau destiné à protéger la finesse de leur laine (Oves pellitœ; Hor.). Sur la hauteur, l'humble domaine du vieillard de Cilicie est toujours là. Comme au temps de Virgile, il y a là un vieillard philosophe, un jardinet modeste avec ses carrés de légumes entourés de plates-bandes où poussent la verveine, le lis et le pavot, quelques arbres fruitiers, une allée de platanes, un bosquet 17 de tilleuls et de pins.

Le vieillard d'aujourd'hui, c'est un pauvre capucin qui garde sa mai­son dévastée par le fisc depuis 1866.

Virgile aimait la solitude et la paix. Il a vécu loin de Rome, c'est (comme le remarque M. Beulé dans son étude sur le siècle d'Auguste) ce qui sauva sa dignité personnelle et ce qui conserva la fraîcheur de son imagination et la force de son génie. Quand Mécène lui eut fait rendre son domaine de Mantoue, il avait pour voisin le terrible vétéran, d'au­tant plus irrité. Il vendit son bien, partit avec sa famille et mit toute l'Ita­lie entre lui et son persécuteur. Il se fixa à Tarente 18.

C'est là et en Campanie qu'il passa le reste de sa vie. C'est à Tarente qu'il a écrit ses églogues et ses georgiques. Properce l'apostrophe ainsi dans ses élégies: «O Virgile, c'est au pied des pins de la rive ombreuse du Galèse que tu chantes Thyrsis et Daphnis, Tityre et Corydon… et que tu redis les préceptes du vieux poète d'Ascrée: dans quelles plaines et sur quelles collines mûrissent le blé et la vigne…» (Elégie XXXIV).

Mais si je comprends bien Properce je le trouve peu respectueux pour Virgile quand, en comparant ses églogues à l'Eneide, il dit qu'il préluda par le cri de l'oie au chant du cygne: Tu canis umbrosi subter pineta Galesi. Anseris indocto carmine cessit olor 19.

Tarente est encore connue du monde entier par son araignée la taren­tule. Cette fameuse araignée fait des piqûres cuisantes. Mais au XIVe siècle, au moment où la foi baissait, la superstition, la névrose et peut-­être aussi quelque diable s'en mêlant, le tarentisme envahit l'Italie.

Comme la danse de St-Guy se propageait dans le nord, le tarentisme sévit au-delà des Alpes. Le peuple se mit dans l'esprit que la musique et la danse pouvaient seules guérir la piqûre de la tarentule.

Les gens piqués étaient pris d'accidents nerveux qui se communi­quaient par l'imitation. La contagion fit tant de progrès qu'on organisa des fêtes et des danses pour guérir les tarentolati. On dansa la tarentelle avec frénésie et cela dura jusqu'au 20 XVIIe siècle. La mort ne fit pas de grands profits dans cette épidémie, mais la morale n'y gagna pas non plus.

Les souvenirs chrétiens de Tarente, sans être fort abondants, ne man­quent pas d'intérêt. La foi y fut apportée par St. Pierre et St. Marc, qui abordèrent là, suivant la tradition, en venant d'Antioche. Tarente au­rait donc le privilège d'avoir reçu la première la foi en Italie et en occi­dent.

Le grand saint de Tarente est un évêque du Ve ou VIe siècle St. Catal­dus. C'était un évêque d'Irlande, antérieur même à St. Patrice. Il fit le pèlerinage des lieux saints et à son retour on le retint à Tarente dont il 21 devint l'archevêque, par la volonté du St-Siège. L'invention de ses reliques au XIe siècle fut l'occasion d'une infinité de miracles; dès lors son culte s'est répandu dans l'Italie méridionale, en Sicile et à Mal­te. Le Pape Grégoire XIII en fit le patron de Tarente et de la province.

Une autre gloire de Tarente est le vaillant prince Bohémond fils de Robert Guiscard.

C'est bien une croisade que les Normands avaient faite en Sicile et dans la Pouille. C'étaient les précurseurs des croisés. C'est eux qui déli­vrèrent l'Italie de l'invasion sarrasine. L'histoire ne leur en sait pas as­sez gré. C'est eux aussi qui ont prêté à la lère croisade un des plus pré­cieux concours 22.

C'est Bohémond qui a pris Antioche en 1096, et il fonda là, avec l'as­sentiment de Godefroy de Bouillon, un petit empire qui subsista deux siècles. Tous nos chants héroïques ont glorifié Bohémond. Le Tasse lui a consacré ses plus belles pages. Sa vie a un épisode qui rappelle les strata­gèmes d'Ulysse et des Grecs. Il voulait revenir d'Antioche pour chercher des renforts, mais la flotte des Grecs gardait la mer. Le rusé normand se fit passer pour mort et la flotte ennemie laisse passer avec respect et sans doute avec une joie secrète le vaisseau qui portait les dépouilles d'un en­nemi. Il arriva dans la Pouille, mais il mourut pendant qu'il organisait une puissante armée.

Je retrouverai son glorieux tombeau à Canosa 23.

Je n'allai pas jusqu'à Brindes. Ce que m'en avait dit autrefois mon vieil ami Palustre ne m'y encourageait pas. «Le site est favorable, m'écrivait-il. La position est superbe pour un port de commerce, si l'on savait en profiter. Mais les Italiens n'ont su construire encore ni un pha­re, ni une jetée. Encore s'il existait une véritable ville! Mais puis je don­ner ce nom à un amas confus d'ignobles masures d'où l'on voit de temps en temps sortir quelques pâles figures, infortunées victimes d'un climat meurtrier? Le sol est à moitié abandonné aux serpents et aux figuiers d'Arabie, et on dirait le campement d'une tribu de Bédouins au milieu des ruines d'une cité célèbre de l'Orient sacré. D'innombrables forçats traînant leurs chaînes font seuls un peu de bruit dans les cours 24 du château de Frédéric II et de Charles-Quint, et de ce point élevé le voya­geur peut jeter un regard mélancolique sur ce morne paysage, si bien fait, semble-t-il, pour la vie et l'activité… qu'avais-je à faire au milieu de ce sépulcre? Le souvenir du trépas de Virgile ne pouvait seul me retenir… ».

Des travaux ont été faits depuis le voyage de Palustre. Le port a été protégé par une jetée et l'on va aujourd'hui s'embarquer à Brindes pour l'Orient comme autrefois les Romains allaient à Brindes par la voie Ap­pienne s'embarquer pour Dyrrachium, aujourd'hui Durazzo, d'où ils gagnaient la Grèce.

Je laissai Brindes et j'allai directement de Tarente à Bari. Je n'y 25 perdis point. Cette route est très variée et fort agréable. Elle traver­se d'abord la riche campagne de Tarente puis elle s'élève sur les derniè­res ramifications des Apennins pour redescendre dans la plaine de Bari. Toutes les végétations s'y succèdent, depuis les palmiers de Tarente ju­squ'aux ilex de l'Apennin. La voie ferrée enjambe sur ses ponts de fer des gorges profondes. Des bourgades, comme Massafra et Palagianello, s'élèvent sur des pics de rochers, semblables à des nids d'aigles d'où les habitants pouvaient narguer les corsaires sarrasins.

La route traverse l'ancienne voie Appienne qu' Horace nous a décrite avec tant d'esprit dans le récit de son voyage à Brindes, où il allait, en compagnie de Mécène pour réconcilier Octave et Antoine 26.

Mais Bari m'attirait plus que les souvenirs païens. J'avais hâte de prier au célèbre sanctuaire du grand saint Nicolas. Bari s'est vraiment transformée depuis la domination piémontaise. On en a fait un petit Tu­rin. Et cela s'est exécuté comme par la baguette d'une fée. En 1865, le guide Joanne disait encore: «Bari est située sur une langue de terre au bord de la mer Adriatique. Ses rues sont étroites et tortueuses». Trois ans après, en 1868, mon ami Palustre m'écrivait: «Bari est une ville su­perbe, percée de larges boulevards plantés de beaux arbres et bordés de grandes et riches habitations. Les rues sont droites, propres, et étalent un luxe que Naples seule dans le royaume semblait pouvoir offrir 27. Je parle des nouveaux quartiers, bien entendu, ajoutait-il: la vieille cité, au contraire, refoulée dans sa presqu'île, offre plus que partout ailleurs un inextricable labyrinthe de ruelles étroites et de passages obscurs».

Tout l'intérêt archéologique et chrétien est resté cependant dans la vieille cité. L'ancienne enceinte existe encore. Non plus celle qu'Horace avait signalée: Bari mœnia piscosi (1. Sat. V); mais celle du moyen-age avec son castel délabré devenu une prison d'Etat. Sur les vieilles portes, Frédéric II avait fait graver une inscription latine où il accusait les Ba­riens de trahison et de mauvaise foi. Ces vers sont fort curieux par leur système de rimes qui se reproduisent tantôt à la fin des vers, tantôt dans le vers lui-même: 28.

«Gens infida Bari, verbis tibi multa promittit,

quae velut impudens statim sua verba remittit.

Ideo quae dico tenebis corde pudico:

Ut multos enses studeas vitare Barenses;

quum tibi dicit ave, velut ab hoste cave».

Frédéric II voulait sans doute que l'inscription vengeresse se gravât dans la mémoire du peuple.

Bari a un double port, abrité par sa péninsule. Elle compte 60.000 ha­bitants et elle fait un grand commerce avec Trieste et la Dalmatie. Elle a toujours gardé une certaine prospérité, même dans les âges bar­bares. Les Sarrasins en convoitaient la possession. Ils la prirent deux fois. Ils furent repoussés la première fois par l'empereur Louis II1) et la seconde par les Normands.

Il est curieux l'épisode du siège de Bari par Louis II. Le noble chef des Francs faisait là à vrai dire 29 la première croisade. Il reprit en cinq ans aux Sarrasins le duché de Bénévent et la Calabre. Il fut arrêté pen­dant quatre ans devant Bari où il attendait le secours de son allié Basile empereur de Constantinople. Basile était dévot mais peu brave.

Il avait grand peur des Sarrasins. Il priait et jeûnait et comptait sur Dieu seul et il blâmait par ses messagers la vie un peu facile de l'armée franque. Louis II qui était d'ailleurs un empereur pieux et grand fonda­teur de monastères, lui répondit assez vertement: «Nous étions en petit nombre, dit-il, et pourquoi cela? Parce qu'après une ennuyeuse attente de votre arrivée, j'avais renvoyé mon armée et retenu seulement une poignée de guerriers d'élite, afin de continuer le siège de la ville. S'ils se sont amusés à donner des fêtes en 30 face des dangers et de la mort, ces fêtes ont-elles nui à la vigueur de l'entreprise? Est-ce par vos jeûnes que les murs de Bari ont été renversés? Les Francs valeureux, affaiblis comme ils l'étaient par la fatigue et la maladie, n'ont-ils pas repoussé et vaincu les trois plus puissants émirs des Sarrasins? Et leur défaite n'a-t­-elle pas précipité la chute de la cité? Maintenant Bari est tombée, Taren­te tremble; la Calabre sera délivrée, et, si nous commandons la mer, la Sicile peut être arrachée aux mains des infidèles. Mon frère, accélérez vos secours maritimes, respectez vos alliés et chassez vos flatteurs!».

Cette lettre citée par Gibbon nous révèle une fois de plus l'attitude fai­ble et déloyale des Grecs. Si la papauté n'avait pas trouvé des amis et des défenseurs chez les peuples nouveaux, l'Italie entière serait tombée aux 31 mains des Sarrasins.

Après le siège de Louis II, il faut citer celui de Robert Guiscard2). Je m'arrête avec complaisance aux souvenirs de ces héros normands, bra­ves comme des lions, amis des arts et de la religion et précurseurs des croisades.

Robert fut retenu quatre ans au siège de Bari. Pour se venger de servi­ces mal récompensés par les Grecs, il conquérait la Pouille et la Calabre et il devait poursuivre ses ennemis jusque sur les côtes de l'Albanie.

L'histoire Gibbon nous trace ce portrait de Robert: «Sa stature excé­dait celle des hommes les plus grands de son armée; son corps avait les proportions de la beauté et de la grâce; au déclin de sa vie, il jouissait en­core d'une santé robuste, et son maintien n'avait rien perdu de sa no­blesse; il avait le 32 visage vermeil, de larges épaules, de longs che­veux et une barbe couleur de lin, des yeux vifs; et sa voix comme celle d'Achille, inspirait la soumission et l'effroi au milieu du tumulte des ba­tailles».

Mais la vigueur corporelle n'était pas son seul privilège; comme le dit son surnom normand, Robert Guiscard était fin et adroit. Il était doué d'un bon jugement et d'une grande pénétration d'esprit. Il était aussi généreux et reconnaissant; il traitait paternellement ses soldats, et on le vit au siège de Bari, pendant les quatre années qu'il fut retenu sous la place, partager volontairement les fatigues du dernier de ses compa­gnons d'armes. Il resta tout le temps, nous disent les chroniqueurs, dans une mauvaise baraque faite de branches et couverte de paille, exposé aux 33 rigueurs de l'hiver et aux traits de l'ennemi.

Les Grecs ne résistaient d'ailleurs que derrière leurs remparts, car les Normands avaient chez les peuples de l'Italie et de la Sicilie une réputa­tion de courage qui suffisait à disperser leurs ennemis. Lorsque les fils de Tancrède parurent en Sicile sous la conduite du patrice George Mania­cès, ils déployèrent une telle valeur, que les Grecs et les Lombards les prirent pour des êtres surnaturels.

Mais il est temps de parler de l'objet principal de ma visite à Bari, l'il­lustre St. Nicolas. Le grand évêque de Myre repose là dans sa belle basi­lique. Il jouit à Bari et dans tout le midi du royaume d'une vénération au moins égale à celle dont St. Antoine est l'objet à Padoue 34 et le men­diant d'Assise en Ombrie. Aux fêtes de sa translation, au 8 mai, la foule innombrable des pèlerins, venus de l'Italie, de l'Espagne, de l'Albanie et de la Russie même se dispute la manne miraculeuse distillée de son corps.

Le cher Saint était né à Patare en Lycie. Sa vie a été enrichie de traits d'une authenticité douteuse par les légendaires et notamment par Jac­ques de Voragine, mais il y a quelques faits principaux rapportés par toutes les anciennes biographies et qui méritent toute créance.

Ses pieux parents et un saint évêque son oncle l'élevèrent dans la pié­té. Devenu prêtre, il fut mis à la tête d'un monastère à Patare, où il in­struisait et dirigeait avec une grande bonté les petits enfants 35.

Il fut élu évêque de Myre sur une indication miraculeuse. Comme St. Vincent de Paul, il distribua de grandes aumônes, fonda des dames de charité et se fit l'aumônier des grands.

Il souffrit persécution sous Dioclétien, il fut emprisonné et exilé. Il rentra à Myre sous Constantin et prit part au Concile de Nicée. Il n'est pas porté sur les listes que nous avons en Occident, mais d'autres listes en Orient portent son nom parmi ceux des 318 évêques du Concile de Nicée.

On sait le trait des trois jeunes filles qu'il dota pour les arracher à la séduction du vice. D'autres traits sont un peu moins connus: celui des trois citoyens de Myre qu'en allait faire mourir injustement 36 et qu'il délivra de sa propre autorité et retira de la main du bourreau; celui des trois tribuns militaires qu'on avait accusés injustement auprès de Con­stantin et qui allaient être condamnés quand le Saint, à leur prière, ap­parut à Constantin et les sauva.

Mais ce ne sont pas là les traits qui sont rappelés par les trois enfants que les traditions de l'art chrétien représentent dans un baquet aux pieds du Saint. Ce sont bien les trois enfants de la légende qui a fourni le thè­me de la ballade populaire: les trois petits enfants que leur mère envoyait au Saint pour les bénir. Une hôtesse sur le chemin les tua et les mit au saloir. La mère ne les voyant pas revenir alla chez le Saint qui se mit à leur recherche avec elle. A l'hôtellerie du 37 chemin, il demanda le sa­loir et ressuscita les enfants.

En Italie, on représente le plus souvent le Saint portant à la main trois bourses qui rappellent les dots données par lui à trois jeunes filles.

Le Saint mourut en 328. Son tombeau secréta dès lors un liquide mi­raculeux qu'on appela la manne de St. Nicolas et qui guérissait les ma­lades.

C'est en 1087 que quarante marchands de Bari allèrent avec un vais­seau chercher le corps de St. Nicolas pour l'arracher aux mains des Sar­rasins. Le fait surnaturel de la manne et de nombreux miracles de guéri­son furent constatés par le Pape Urbain II, qui vint en 1089 bénir la ba­silique élevée par le 38 comte Robert. On conserve encore là à gauche de l'autel, le tonneau dans lequel on rapporta de Myre les ossements mi­raculeux.

L'église, commencée en 1087 sous le comte Robert et achevée en 1139 sous le roi Roger est une grande basilique byzantine avec quelques res­souvenirs normands. Les princes normands aimaient les arts. Ils couvri­rent la Sicile et la Grande Grèce de monuments de tous genres: églises, palais, monastères. Ils se servaient des artistes qu'ils avaient sous la main, grecs et arabes en Sicile, byzantins dans la Pouille.

Que d'influences diverses a subies l'art de l'Italie méridionale!

Les vieux temples doriques sont restés sur les côtes dans toute leur ma­jesté jetant un défi au temps et à l'art 39 des siècles suivants. Les tem­ples romains sont venus nombreux. Quelques uns se survivent, les au­tres ont passé leurs colonnes aux églises chrétiennes. Les âges chrétiens ont préféré la basilique, qui allait se développant et s'enrichissant, se couvrant de mosaïques et de marquetterie, se meublant de balustres, de ciborium et d'ambons. Les grecs byzantins ont agrandi la basilique, ils l'ont exhaussée et souvent ils l'ont couverte d'une ou plusieurs coupoles. Les Lombards apportaient leurs formes romanes et leurs épais rinceaux. Les Arabes adoptaient la coupole byzantine et ils multipliaient les orne­ments délicats. Les Normands apportaient l'esprit du Nord. Ils aimaient la croix latine, les grandes voûtes, les tours élancées et le cachet féodal marqué 40 par les créneaux. Puis la dynastie d'Anjou est venue avec ses ogives gracieuses, ses voûtes élevées et ses vitraux. Enfin la Renais­sance italienne a fait revivre le style des Romains en le faisant passer de nouveau par toutes les phases anciennes, depuis les formes délicates et soignées de la bonne époque jusqu'à l'ampleur prodigue et vulgaire de la décadence.

Aux époques de transition, ces influences diverses se sont combinées. La Pouille a plusieurs églises à coupoles qui rappellent le goût byzan­tin. A Molfetta, c'est encore la coupole basse et percée d'étroites fenê­tres, comme à Ste-Sophie de Constantinople et à St-Marc de Venise. A Trani, à Canosa, ce sont des coupoles multiples et élevées comme à Padoue 41.

Mais je reviens à l'église de St-Nicolas. C'est la grande basilique by­zantine modifiée par l'influence normande. Elle a son pendant à Trani, à Troja, à Ruvo. Elle est en forme de croix potencée ou de tau, avec un transept étroit, un chœur sans profondeur élevé au-dessus de la crypte et trois absidioles. Les colonnes de la nef sont accouplées. Au-dessus des bas-côtés une autre colonnade éclaire de vastes tribunes. Plusieurs arcs traversent la nef pour soutenir le plafond. Certains prétendent qu'ils ont été ajoutés plus tard. L'intérieur est vaste mais lourd et peu gracieux.

L'autel a un ciborium analogue à celui de St-Georges au Velabre de Rome, qu'on attribue au VIIIe siècle. Sur l'architrave du ciborium 42, Roger II s'est fait représenter en émail, recevant la couronne des mains de St. Nicolas.

La crypte est d'une grande richesse, elle a plusieurs rangées de colon­nes. Elle a été surchargée au siècle dernier d'ornements de mauvais goût, et les cicerones italiens ne parlent pas sérieusement quand ils la comparent à la célèbre mosquée de Cordoue.

L'autel de la crypte est couvert de hauts reliefs d'argent qui furent donnés par le roi serbe Orosius en 1319 et qui furent restaurés au XVIIe siècle. Ces beaux reliefs sont un livre toujours ouvert où les pèlerins peu­vent étudier la légende du Saint. J'eus la joie de dire là la sainte messe.

Sous l'autel, au-dessous du sol se trouvent les ossements du Saint. En s'inclinant jusqu'à terre et en 43 laissant descendre une bougie dans une étroite ouverture on aperçoit les ossements nageant dans l'eau au fond d'un sarcophage. C'est cette eau qui est la manne miraculeuse. Elle est inépuisable, les chapelains en retirent au gré de tous les pèlerins.

La critique a cherché à nier ce miracle. Elle a supposé qu'il y avait là tout simplement une source. J'ai voulu me rendre compte et je suis allé me renseigner auprès du pieux et savant évêque qui est actuellement prieur de la basilique.

Il faudrait, m'a-t-il dit, pour toucher du doigt le miracle, démolir l'au­tel, mais n'avons nous pas assez de preuves sans cela? Comment peut-on supposer qu'il y aurait une source dans un sarcophage? Comment aurait-on là une source d'eau 44 douce à 30 ou 40 mètres de la mer quand tous les puits voisins sont salés ou saumatres? Le miracle n'a-t-il pas déjà existé en Syrie pendant des siècles? L'histoire ne rapporte-t-elle pas que les ossements furent rapportés de Syrie dans un tonneau à cause de cette manne et le tonneau n'est-il pas conservé comme un témoigna­ge? N'a-t-on pas dès l'arrivée du corps à Bari constaté de nombreux mi­racles opérés par cette manne, comme le constatent les documents du temps d'Urbain II? Comment expliquer la vénération séculaire des pèle­rins pour cette manne sans une base historique?

Ces arguments me paraissent irréfutables.

Une noble famille russe était là en même temps que moi et m'édifiait par sa piété 45.

Le trésor de l'église est très riche. Il y faut signaler un beau bréviaire manuscrit de Charles II d'Anjou. Les bréviaires aujourd'hui ne tentent plus guère nos rois, fussent-ils même ornés de délicieuses miniatures. Il y a aussi une couronne de fer, analogue è celle de Milan, qui a été faite à Bari même pour le roi Roger et qui a servi au couronnement de ce roi, de l'empereur Henri VI, de Mainfroi et de Ferdinand 1er d'Aragon, qui ont été couronnés dans cette basilique. J'ai remarqué encore un tableau byzantin de la Madone, don du roi Orosius et le trône épiscopal du XIe siècle soutenu par trois statuettes courbées d'esclaves sarrasins; une reli­que de la vraie croix et épine de la St. Couronne données par Charles d'Anjou; des cheveux de la Ste Vierge données par Ste Brigitte.

L'église St-Nicolas est encore une basilique royale et son chapitre est à la nomination du roi. Elle doit à ce titre le privilège d'avoir conser­vé 46 ses revenus dans la grande liquidation italienne.

La cathédrale San Sabino à Bari lutte avec la basilique de St.-Nicolas, mais avec un succès fort inégal. C'est aussi une grande église normande, mais toute défigurée au XVIIIe siècle.

Elle a sa crypte, la tombe vénérée du Saint et une Madone populaire. Son haut clocher imite le campanile de Venise.

Mais il faut quitter l'intéressante Bari pour courir au Mont Gargano. Je laisse à gauche Bitonto et Ruvo, dont j'ai cité tout à l'heure les églises d'après les descriptions que m'en donna Palustre. Je passe à Molfetta et à Trani qui possèdent des églises normandes.

Barletta est un centre d'excursions. C'est de là qu'il faut aller à Cano­sa et à Cannes, et même, si on en a 47 le loisir, à Venosa et Melfi. Barletta rappelle un trait d'histoire intéressant, un épisode caractéri­stique de la chevalerie. J'en emprunte le récit à Palustre.

Tous, nous connaissons l'histoire des Horaces, et nos cœurs ont sou­vent battu au récit de la victoire du dernier de ces nobles romaines, sur­tout lorsque Corneille venait y mêler ses sévères accents. Qui s'est ima­giné toutefois de chercher dans nos annales un fait presque identique? Cependant il s'y trouve et Bayard en est le héros.

En effet, durant la lutte de Louis XII contre Ferdinand le Catholique pour la possession du royaume de Naples, le duc de Nemours vint met­tre le siège devant Barletta, occupée alors par le célèbre Gonzalve de Cordoue. Des deux côtés, la même habileté et la 48 même vaillance faisaient craindre que la guerre ne se prolongeât indéfiniment lorsque les deux chefs résolurent de remettre à un tournoi la décision de leurs mu­tuelles prétentions. De part et d'autre, la brave et chevaleresque nobles­se, l'élite des deux camps, présenta aussitôt onze valeureux champions, et la France puit compter, pour la défendre, sur Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche, d'Urfé, seigneur d'Orose, Torcy, La Palisse et Mondragon; tandis que l'Espagne remettait ses destins à Don Alonzo de Sotomayor, Don Garcia de Paredes et Diego de Vera.

Les Vénitiens, maîtres alors de Trani, et à l'impartialité desquels il était permis d'avoir foi, furent priés de constater la victoire, et le lieu du combat fut fixé à 6 km d'Andria où il y a un Epitaffio. Au premier choc, les 49 Français au nombre de sept, mordirent la poussière; mais Bayard et ses trois compagnons se défendirent, malgré leur infériorité, avec une telle bravoure, que les juges, après un combat de six heures, se­parèrent les ennemis et déclarèrent le résultat égal. Nonobstant, un inci­dent remit de nouveau la lance au poing de l'illustre Bayard. Soto­mayor, son prisonnier, s'était enfui au mépris de sa parole, et cherchait à voiler son infamie sous la prétendu sévérité dont il aurait été victime entre les mains de son vainqueur. Un dernier combat singulier, en pré­sence des deux armées, décida la querelle, et le trépas de Sotomayor fut applaudi même par les Espagnols, qui virent un jugement de Dieu dans la punition infligée à la mauvaise foi de leur concitoyen.

Barletta a encore son vieux château feudal, 50 mais il est bien déla­bré. Sa belle église Sainte-Marie est intéressante pour l'histoire de l'art. Sa nef est normande, mais d'un art assez avancé et probablement du temps de Guillaume 1er (1150-1166).

Elle a un gracieux triforium, tel qu'on en voit à Eu et à Rouen. Le chœur au contraire est évidemment l'œuvre de la dynastie d'Anjou. Il est svelte, élancé, inondé de lumière. C'est un des plus beaux spécimens de notre belle architecture ogivale en Italie. Il y a là un élan et un symbo­lisme mystique que l'art italien n'a pas su exprimer.

C'est près de Barletta, entre Canosa et la mer, sur les bords de l'Aufi­dus, (Ofanto) que s'est livrée la bataille de Cannes, un des principaux drames de l'histoire du monde 51.

Le «De Viris» nous a résumé Polybe, et Tite-Live et notre enfance a été nourrie de ces récits autant que des contes de Perrault.

On comprend aisément ici le plan de la bataille. Annibal, qui avait passé l'hiver au nord de l'Apulie, vers Campobasso, descendit brusque­ment au printemps vers l'armée romaine qui campait sur les bords de l'Aufidus. Il la tourna par le sud et s'empara d'abord des collines de Cannes et de sa forteresse bien approvisionnée.

Varron avait le gros de son armée au nord de la rivière. Annibal du haut de sa colline méditait le coup qu'il allait frapper et remarquant que les vents qui descendaient du Vulturne soulevaient la poussière et enve­loppaient d'un nuage le camp romain, il eut un éclair de génie. Il tourna par l'ouest 52, passa le torrent et attaqua l'armée de Varron, qui rece­vait les flots de poussière dans les yeux. La belle armée romaine perdit 70.000 (40.000) hommes, et le fils d'Amilcar put croire un instant son rêve accompli. Mais il compromit son prodigieux succès par d'impar­donnables lenteurs, et quand la route de Rome lui était ouverte, il ne sut pas en profiter.

Au delà de cette plaine de Cannes, c'est Canosa, l'ancienne Canu­sium. C'est une ville d'un aspect oriental. Les maisons blanches sont étagées sur un cône élevé. Elle me rappelle Syra, dans l'archipel, la pa­trie du fidèle Eumée, loué par Homère, et comme Syra elle fourmille d'animaux malodorants et peu aimables.

Canosa a trois attraits principaux: 53 sa cathédrale, ses hypogées et ses souvenirs d'Horace.

La cathédrale est dédiée à St. Sabinus, illustre évêque de Canosa, qui fut l'ami de St. Benoît et de St. Germain de Capoue et qui fut envoyé comme légat du Pape à l'empereur Justinien. Les nombreuses coupoles de cette cathédrale, ses marbres, ses belles colonnes de vert antique rap­pellent St-Marc de Venise.

Mais le grand intérêt de cette église, c'est le tombeau d'un des princi­paux héros de la croisade, Bohémond, fils de Robert Guiscard, qui héri­ta de la principauté de Tarente et qui alla se créer un empire en Orient sous le nom de Prince d'Antioche. Il est mort à Canosa pendant qu'il préparait une nouvelle expédition. Son tombeau adossé à l'église dans le vieux cimetière est un monument 54 analogue à ceux de la vallée de Josaphat. C'est un dé surmonté d'une pyramide. Le style en est latin et les détails arabes. Il est fermé par de belles portes de bronze, qui ont été fabriquées à Amalfi par un artiste normand du nom de Roger, comme l'indique l'inscription: Mefiae campaniae Rogerius fecit has januas.

Les louanges du héros sont gravées sur le bronze, avec le cachet de l'emphase italienne: «De quelle race sortait Bohémond, y est-il dit, et quel homme il était, la Grèce le raconte et la Syrie l'atteste. Il a vaincu celle-là, il a protégé celle-ci contre l'ennemi. Aussi la Grèce se réjouit de la perte que tu fais, o Syrie! que cette joie de la Grèce, que cette douleur de 55 la Syrie qui pleure son héros, soient pour toi, juste Bohémond, des motifs de salut. Bohémond a surpassé les richesses des rois et des puis­sants et par le droit de son épée a mérité le titre de seigneur. L'univers n'aurait-il point cédé à l'homme qui a rempli la terre de son nom? Je ne puis l'appeler homme, je n'ose l'appeler Dieu».

Non hominem possum dicere, nolo Deum.

Il y a là la trace de cette croyance populaire des Grecs qui devant l'au­dace et la valeur des Normands les prenaient pour des êtres surnaturels, des héros ou des demi-dieux.

Canosa offrait naguère encore un autre intérêt, c'étaient ses hypo­gées, ses tombeaux greco-romains, mais hélas! ils ont été si bien fouillés, remués et bouleversés, qu'il n'en 56 reste plus rien qu'un amas de dé­combres. Tous les objets intéressants ont été transportés à Naples. On aurait dû au moins garder là comme spécimen un ou deux tombeaux complets, comme on l'a fait en certaines villes de Toscane.

Ces riches sépultures des peuples antiques étaient une marque de la croyance à l'immortalité. L'homme se disait-on, ne descend dans le cer­cueil que pour ressusciter et reprendre une vie nouvelle. A proprement parler, il n'est pas mort, mais il est comme endormi d'un long sommeil et le tombeau est une demeure que chacun s'efforçait d'orner de son mieux et de placer à l'abri des profanations. C'est là le secret des grandes tombes royales et princières de l'Egypte, des tombeaux étrusques et en 57 particulier des hypogées de Canosa.

Les sépulcres creusés dans le sol étaient formés de plusieurs salles, précédées le plus souvent d'un élégant portique où le rude coussinet des chapiteaux doriques se voyait souvent rapproché des gracieuses volutes d'Ionie. Tous les murs étaient tendus de toile de lin brodée d'or; des fe­stons de fleurs descendaient des plafonds, et tout autour des apparte­ments étaient rangés des statues de marbre, des bustes de terre cuite et des vases d'une grande dimension et d'une grande beauté.

Comme si les plaisirs de la table étaient les plus grands que nous puis­sions goûter, les chambres funéraires affectaient en général l'apparence d'un triclinium. Au centre, sur des tables, étaient disposés avec art des plats de formes diverses, des tasses, des coupes, des lampes, des fleurs 58 et des fruits. Sur des lits de bronze, aux pieds d'ivoire riche­ment travaillés, les défunts, a demi couchés, semblaient prendre part à un éternel banquet. Tous les costumes étaient de drap d'or, et les fem­mes, la tête ceinte de la tiare ou du diadème, étalaient un grand nombre de colliers et de bracelets. Telles étaient la disposition et l'ornementation des hypogées les plus remarquables de Canosa; et si l'un d'eux seule­ment fut demeuré intact, rien n'eut présenté plus d'intérêt dans tout ce que l'antiquité nous a laissé. Malheureusement, il ne reste plus ici qu'un souvenir. Tous les objets retrouvés ici sont dispersés soit au musée de Naples, soit dans des galeries particulières.

Il me reste à signaler à Canosa le souvenir d'Horace. C'est là qu'était Canusium, dont parle Horace 59 dans le récit de son voyage à Brin­des. Il la dit fondée par Diomède, le héros de la guerre de Troie, qui au­rait aussi fondé en Italie, à son retour de la guerre, les villes d'Arpi et de Bénévent. C'est à Canosa que Varius se sépara en versant des larmes de ses amis Virgile et Horace. Mécène était envoyé à Brindes par Octave pour y négocier un rapprochement avec Antoine qui arrivait avec une flotte considérable. Mécène, toujours généreux, avait emmené avec lui, aux dépens de sa bourse, Horace, Virgile, Varius et d'autres personna­ges. Horace n'avait que 28 ans. Il se fit l'historiographe du voyage.

Je n'étais pas loin à Canosa du pays de naissance d'Horace. Il est né à Venosa, dans la même vallée de l'Aufidus (Ofanto), mais plus haut près de la source, au pied du mont 60 Vulturne et sur les bords d'un petit affluent, le Daunus.

C'est bien le même paysage. C'est le rapide Aufidus (Odes III. 30). Sur les collines, ce sont les lauriers et les myrtes, dont les poétiques co­lombes semèrent un jour les feuilles sur le poète enfant pour le dérober pendant son sommeil au venin des vipères et à la dent des ours (Odes III. 4). Sur les coteaux, c'est l'arbre de Minerve, le pâle olivier, qui rè­gne en maître dans la contrée et qui étend son ombrage découpé sur d'innombrables ceps de vignes auxquels des roseaux plantés en fai­sceaux servent de frêles soutiens.

Horace ne nous séduit tant que parce que la Renaissance a réveillé en nous tout ce qui restait de sang gallo-romain dans 61 nos veines. Ho­race est le vrai chantre de l'Italie, le trouvère du siècle d'Auguste. Il est nôtre en tant que nous sommes les enfants du grand empire. Mais com­bien les choses chrétiennes et plus étroitement patriotiques nous iraient mieux au cœur, si nos poètes du grand siècle n'avaient pas été noyés dans ces souvenirs classiques! Il me semble qu'ils n'ont fait que des de­voirs d'écoliers, des copies et des imitations, et qu'un autre grand siècle viendra où l'on chantera avec le même art et avec une inspiration plus vraie nos gloires chrétiennes et nationales.

Ce pauvre Horace n'est guère édifiant dans ses écrits. Il valait peut­-être mieux que la morale de ses vers. Il a bien parlé de la vertu: «La ver­tu, écrivait-il, est la seule 62 condition du bonheur, il faut la suivre et planter là toutes les vulgaires voluptés» (Epit. I. 6). Ce qu'il dit de son éducation et de son vieux père est charmant, c'est cela surtout qu'il faut faire traduire à nos élèves.

«Si mes défauts, dit-il, sont en petit nombre et si mon naturel est vrai­ment bon (la belle affaire de relever quelques tâches légères sur un beau corps); si personne à cette heure encore n'est en droit de me reprocher l'avarice et ses hontes, la luxure et ses bassesses; si ma vie, à tout pren­dre, est honnête et pure (il faut bien me passer ma propre louange); en­fin si mes amis trouvent en moi un ami véritable, c'est à mon père, à lui seul, que je le dois».

«Il vivait du revenu très restreint d'un petit domaine, et pourtant il 63 trouva indigne de Monsieur son fils l'école publique de Fabius, où se rendaient chaque jour de tout petits centurions, portant, suspen­dus à leur bras gauche, la bourse aux jetons, leurs cahiers d'étude; et chaque mois les minces honoraires du maître d'école».

«Encore enfant, ce père intrépide me conduisit à Rome, où il me fit partager l'éducation réservée aux fils de nos chevaliers, de nos séna­teurs! A me voir traverser la foule ainsi vêtu, accompagné et suivi de mes gens, qui donc eût douté qu'il eût sous les yeux l'unique héritier d'un ri­che patrimoine? Infatigable surveillant de mes moindres actions, ce di­gne père m'accompagnait chez tous mes maîtres. Il fit mieux: il m'éleva dans cette extrême innocence, la première fleur de l'honnêteté. Grâce à lui 64 j'évitai non seulement le renom, mais l'apparence même du vi­ce. Ainsi, tout de suite, il se mit à l'abri du reproche de n'avoir si bien élevé qu'un simple crieur de vente à l'encan ou le digne héritier de sa pe­tite charge. Au fait, de quel droit me serais-je plaint d'entrer dans la condition de mon père?».

«Plus il a fait pour moi, plus je lui dois de reconnaissance et de respect. Aux dieux ne plaise aussi, tant que je serai dans mon bon sens, que je ne sois pas fier d'un tel père, et que je cherche, à la suite de tant d'ingrats, une excuse à mon origine, en disant: «Ce n'est pas ma faute! Honte à ce triste langage, à ces raisonnements impies!» (Satir. Liv. II. 6).

Horace nous a dit aussi mieux que personne le rôle moral de la 65 poésie: «La poésie, dit-il, est une institutrice admirable. Elle ex­celle à façonner les premiers bégaiements d'une bouche enfantine; elle accoutume l'oreille aux saines paroles; elle abonde en sages conseils uti­les à notre esprit, à notre cœur; elle corrige le mauvais caractère, elle dompte l'âme irritée! Elle enseigne à se méfier de l'envie, à honorer les grands hommes; elle instruit sur l'avenir par l'exemple du passé; elle est un allègement dans la maladie, une espérance dans l'adversité» (Epit. liv. II. 1).

C'est très bien. Horace parle bien de l'éducation, de la poésie et de la vertu; Cicéron a écrit un superbe traité des devoirs; Sénèque a des lettres qui rappellent St. Paul. Mais ces païens de Rome, comme ceux d'Athè­nes et comme les Pharisiens 66 de Jérusalem auraient dû ajouter à tous leurs beaux discours cette conclusion: «Faites comme je vous dit, mais ne faites pas ce que je fais».

Mais il faut quitter les bords de l'Aufidus et leurs souvenirs si variés. J'allais enfin faire mon pèlerinage à St-Michel du Mont-Gargan, com­me je le désirais depuis bien des années.

Je m'arrètai à Manfredonia, hôtel Manfredi.

Un des charmes de tout ce voyage des Calabres et de la Pouille, c'est d'y rencontrer peu d'étrangers.

Les auberges y sont primitives, mais combien la solitude est avanta­geuse pour réfléchir à son aise, pour donner cours à son imagination et faire revivre le passé!

Manfredonia a succédé à l'antique Sipontum qui était à trois ou 67 quatre kilomètres à l'Ouest. Elle fut bâtie par le roi Mainfroi au XIIIe siècle. Elle a encore ses vieux remparts. Sa situation abritée au Sud du Gargano lui vaut un climat très doux et une végétation qui rap­pelle la Sicile.

De grand matin je me mis en route pour Sant'Angelo. J'étais pressé, je voulais arriver là-haut pour dire la sainte messe, je pris une voiture. Un chemin de 17 kilomètres de long y conduit. Il traverse d'abord des plantations d'oliviers, puis il monte en lacets interminables. Nous tour­nions et montions toujours, et l'horizon s'élargissait et la vue devenait splendide. La belle chaîne des Apennins se développait bien au delà du poétique Vulturne. Tous les souvenirs classiques se réveillent 68 â la vue du cours de l'Ofanto, le vieil Aufidus, sur les bords duquel Rome fléchit une dernière fois devant Carthage.

Plus loin au bord de la mer, ce sont les villes de Barletta et de Trani où l'imagination fait revivre les luttes héroïques du moyen-âge.

Horace a dû faire aussi cette ascension, en touriste ou en pèlerin, car il y avait déjà de son temps un pèlerinage, non point à St. Michel, mais à un oracle fameux qui formulait ses présages dans la même grotte: Plu­sieurs fois Horace parle de ce mont Matinus. Il en avait remarqué les abeilles butinant sur le thym fleuri, et il se comparait à elles. Comme el­les, il butinait et travaillait mais devant un autre horizon près 69 des bois et des eaux de Tibur.

Ego apis Matinae

More modoque

Grata carpentis thyma per laborem

Plurimam, circa nemus uvidique

Tiburis ripas, operosa parvus

Carmina fingo.

Odes. IV.2.

Horace aussi aimait à faire revivre le passé. Il évoquait le souvenir d'un sage de l'antiquité, le savant Archytas, émule et ami de Platon et de Pythagore, qui vint mourir dans un naufrage sur ce rivage de la Pouille.

Cet homme prodigieux qui fut la gloire de Tarente avait inventé l'aviation et deviné la sphéricité de la terre. Et Horace s'étonnait qu'il n'eût pas un monument sur ce rivage et que ses restes 70 n'eussent pas d'autre abri que le sable poussé par la mer.

Te maris et terrae numeroque carentis arenae

Mensorem cohibent, Archyta,

Pulveris exigui propre litus parva Matinum

Munera: nec quidquam tibi prodest

Aerias tentasse domos, animoque rotundum

Percurrisse polum, morituro.

Cinq siècles après Horace, c'est la population de Sipontum qui gravis­sait la montagne, appelée là haut par un prodige.

C'était sous le pontificat du pape Gélase. Comme des bergers faisaient paître leurs troupeaux sur les hauts plateaux du Gargano, un toureau di­sparut tout à coup et fut retrouvé, après de longues recherches, à l'entrée d'une grotte profonde et sauvage. Un des pasteurs lança une flèche pour punir l'animal 71 réfractaire, mais le trait, par une action divine, au lieu de suivre la direction donnée se retourna contre l'agresseur. Toute la population de la montagne s'émut de ce fait miraculeux et alla consul­ter l'évêque de Siponto. Le pieux évêque Laurent ordonna trois jours de jeûne et de prières afin d'obtenir de Dieu l'explication de ce fait merveil­leux.

Ce temps écoulé, l'archange St. Michel apparut en songe à l'évêque et lui dit que cette grotte était sous sa protection et qu'il avait témoigné par ce qui était arrivé son désir de voir un culte rendu à Dieu en ce lieu, sous sa propre invocation et celle des saints Anges. Sans plus tarder, le véné­rable pontife, suivi de nombreux habitants de la cité, se dirigea vers la montagne 72 et pénétra dans la grotte. Là comme il priait et s'apprê­tait à consacrer la grotte, St. Michel lui apparut de nouveau, et lui dit que la grotte avait été consacrée par les Anges et qu'il y pouvait célébrer de suite le saint-sacrifice.

Mais pendant que je chevauchais et je réveillais en mes souvenirs les principaux traits de l'histoire locale et de la légende, j'arrivais moi-­même auprès du sanctuaire.

Depuis le temps de l'évêque Laurent, les pèlerinages n'ont pas discon­tinué. Toutes les générations sont venues là prier le grand archange, le protecteur des âmes et des nations chrétiennes. Les Normands ont beau­coup contribué à développer ce culte. Ils trouvaient là une dévotion qui leur était chère et la ressemblance 73 de cette pieuse montagne avec le pèlerinage fameux de St. Michel au péril de la mer leur donnait comme l'illusion de la patrie absente. Robert Guiscard vint là avec ses Nor­mands pour implorer le secours de l'Archange avant d'entreprendre la conquête de la Pouille.

Le sanctuaire est en haut de la petite ville de Sant'Angelo, au bout de sa grand'rue et près de son vieux castel féodal.

Sant'Angelo est une bourgade très rurale où fourmillent les animaux les plus grossiers qui y vivent familièrement avec les habitants. N'y cher­chez ni un libraire ni un magasin de souvenirs plus ou moins artistiques. On y trouve seulement aux portes du sanctuaire des sculpteurs fort pri­mitifs de statues de l'archange en albâtre 74. La civilisation n'a pas en­core passé par là.

Ne cherchez pas non plus une basilique imposante et vaste, le sanc­tuaire est souterrain.

Une grille ouverte sur la rue donne entrée dans une vaste cour, à droi­te de laquelle s'élève un haut clocher bâti par Robert d'Anjou. Au fond, sous un portique, commence l'escalier, dont les cinquante cinq marches taillées dans le roc conduisent à un petit atrium entouré d'un double étage de galeries, vestibule de la grotte où l'archange voulut être invo­qué. Sur les côtés de l'escalier, des tombeaux de prélats, de chevaliers et de bienfaiteurs sont taillés dans le rocher.

Dans l'atrium, diverses inscriptions arrêtent et impressionnent le pè­lerin en lui rappelant les grands événements 75 qui se sont passés là. Voici les principales:

Haec est toto orbe terrarum divi Michaëlis celeberrima crypta, ubi mortalibus ap­parere dignatus est. Hospes humi procumbens saxa venerare, locus enim in quo stas terra sancta est.

- C'est ici la grotte de St-Michel, célèbre dans le monde entier, où l'Archange daigna apparaître aux mortels. Pèlerin, prosterne-toi et vé­nère ces rochers, car le lieu où tu te trouves est une terre sainte.

Haec est domus specialis in qua noxialis quaeque actio diluitur. UN saxa pan­duntur, ibi peccata hominum diluuntur.

- C'est ici un séjour spécial où toute faute est effacée. Là où les ro­chers s'ouvrent, les péchés des hommes sont effacés (Il y a là, je crois, une allusion 76 au rocher fendu du Calvaire).

Sacra huic domui a Deo facta est, ex quo Magnus Sacerdos Michaël Archangelus quam condidit et sacravit.

- La consécration de ce santuaire a été faite par Dieu lui-même, quand son Grand Prêtre l'Archange Saint Michel l'a fondé et consacré. - Une inscription italienne rappelle qu'en 1656 des pierres de la grotte portées aux villes voisines préservèrent les habitants de la peste. Avant d'entrer dans le sanctuaire, il faut encore admirer ses superbes portes de bronze. L'artiste qui les a faites nous prie de les examiner avant d'aller plus loin. «Je vous supplie, dit une inscription, vous qui ve­nez ici pour y prier, d'examiner d'abord un si bel ouvrage, et après être entrés d'implorer à genoux le Seigneur 77 pour l'âme de Pantaleone qui commanda ce travail». Et le pieux donataire nous propose lui-même cette prière à son intention. «O grand prince St. Michel, nous te deman­dons, nous qui venons implorer tes faveurs, d'exaucer nos prières pour l'âme de celui qui commanda ce travail, afin qu'il jouisse avec nous des joies éternelles, lui qui fit ainsi orner ces portes pour sanctifier ton nom».

Ces portes ont été fondues à Constantinople en 1076. Les vantaux sont divisés en vingt-quatre panneaux sur chacun desquels se trouve fi­guré un fait relatif aux diverses apparitions des anges Michel et Gabriel. La plupart de ces représentations sont empruntées à la Sainte Ecriture. Deux seulement sont relatives à l'histoire de la grotte. Dans l'une 78 l'archange apparaît en songe à l'évêque Laurent de Siponto et lui adresse ces paroles: «Tu as bien fait de demander à Dieu ce que les hommes ne pouvaient découvrir». Dans l'autre, St. Michel apparaît au saint-évêque dans la grotte et lui dit: «Tu n'a pas besoin de consacrer cette grotte, car celui qui a fondé ce sanctuaire en a fait aussi la dédicace».

Un autre panneau rappelle une apparition des anges à St. Martin, alors qu'il était attaqué par des voleurs dans un passage des Alpes. Les anges lui disent: «Martin, le Seigneur nous a envoyés te porter secours».

Le travail de ces portes ne rassemble pas à ce que l'on voit ailleurs. Les panneaux ne présentent aucun relief. L'artiste s'est contenté de 79 tracer profondément dans l'airain les contours des figures qu'il voulait nous offrir. Puis il a introduit dans toutes les parties creusées un fil d'argent, destiné à faire ressortir les sujets. Le dessin a des formes hié­ratiques et dures, mais l'effet décoratif général est saisissant.

Le généreux bienfaiteur Pantaleone a recommandé avec insistance aux recteurs de l'église St-Michel de faire nettoyer ces portes au moins une fois l'an, afin qu'elles soient toujours claires et resplendissantes. Il avait même montré comment il fallait le faire; mais il y a longtemps que cette bonne habitude est perdue.

Voici le teste de la recommandation:

Rogo et adjuro rectores sancti Angeli Michaelis, ut semel in anno detergere faciatis has portas, sicuti 80 nos nunc ostendere fecimus, ut sint semper lucidae et clame.

Mais il est temps de pénétrer dans le sanctuaire. Une large nef ogivale élevée par Robert d'Anjou précède la grotte miraculeuse. Au fond de la grotte la statue d'argent du saint Archange brille au milieu des lampes et des bougies. La pierre de l'apparition sert d'autel. Le rocher sombre de la grotte laisse tomber ça et là l'eau qui suinte de ses brisures. Je fus vi­vement impressionné et je pensai que ce spectacle saisissant n'en était pas seul la cause et que la grâce divine agissait réellement sur les âmes des pèlerins de St-Michel.

De bons chanoines chantaient l'office, car il y a encore à Sant'Angelo comme à Bari un Chapitre royal 81. Je célébrai la sainte messe et je re­trouvai à la sacristie les mœurs du vieux temps. Cette sacristie est taillée dans le rocher et il fait bien froid là-haut. De bons chanoines se chauf­faient au brasero. Ils me demandèrent des nouvelles de la France et m'offrirent la petite tasse de café traditionnelle. On voit bien que les tou­ristes ne vont pas souvent jusque là. Tout y est encore primitif.

Je visitai la grotte en détail. Le rocher de l'autel porte l'empreinte du pied de l'archange. Un repli de la grotte offre de ces cailloux qu'on em­porte comme un pieux talisman contre les maladies. Le trésor a encore des reliques, mais hélas ses reliquaires ont été disparu je ne sais dans quelle 82 réquisition gouvernementale.

Je redescendis à Manfredonia et je courus voir dans la plaine l'ancien­ne cathédrale de Siponto. C'est une église romane fort curieuse. Les trois bras de la croix à l'église comme à la crypte sont terminés au carré; une petite coupole éclaire le centre. Une Madonne vénérée attire les pè­lerins. Le tombeau du saint évêque Laurent a été transporté à la cathédra­le de Manfredonia.

Je quittai Manfredonia le soir pour arriver le lendemain matin à Lo­rette.

J'étais le premier à la basilique à son ouverture et j'eus la faveur de cé­lébrer la sainte messe dans la Santa Casa. J'ai visité les lieux saints. J'ai prié et fait la sainte communion à Bethléem, à Nazareth et au Saint­-Sépulcre, mais je n'étais pas prêtre 83 et peut-être ne dirai je jamais la sainte messe au Calvaire! Mais la messe à Lorette est bien émouvante aussi. Il est bien doux de posséder Jésus entre ses mains dans l'humble maison où il a vécu, prié, travaillé. souffert, aimé. Et puis j'avais passé là avec mon père et ma mère, quelques semaines avant mon sacerdoce, et j'y avais passé encore en 1877 avec Mgr Thibaudier, quelques mois avant de fonder la Congrégation. Je faisais revivre tous ces souvenirs et ils m'étreignaient le cœur.

C'est donc là le berceau de la grande famille chrétienne! C'est là que le Verbe s'est fait chair et qu'il a habité parmi nous.

J'aime la mention toute simple qui est faite au martyrologe romain: Laureti in Piceno, translatio Domus Dei genitricis Maria, in qua Verbum caro fac­tum est 84.

C'est bien là la maison de la Mère de Dieu, que les anges apportèrent de Galilée en Dalmatie et de Dalmatie en Italie et qu'ils déposèrent là dans un bosquet de lauriers le 9 décembre 1294.

La petite maison a dix mètres 60e de long et 4mt.30 de large: c'est là le palais du Roi des rois, ou plutôt la cellule du grand pénitent, du redemp­teur qui a expié toutes nos fautes dans l'humilité et la pauvreté.

La critique la plus sévère n'a pas de prise sur la réalité du miracle de la translation. Les enquêtes les plus précises ont été faites par les contem­porains du fait lui-même.

D'ailleurs, comme le dit L. Veuillot3), «ceux qui ont fait le pèlerinage ont senti au fond de leur cœur une preuve de son authenticité. Quand on s'agenouille là, le cœur est changé, la lumière 85 s'y fait, le repos y descend, je ne sais quelle paisible ardeur pour tout ce qui est justice, de­voir, charité, s'en empare; et tel qui est arrivé timide et lâche, repart plein de force demandant à Dieu les épreuves qu'il redoutait».

Les Papes et les pieux fidèles l'ont bien soignée, cette chère petite mai­son. Elle a un double vêtement qui la protège: son revêtement de marbre qui est comme une blanche robe de fiancée toute brodée par les artistes les plus habiles; et puis la basilique du XVe siècle, qui est comme un grand manteau impérial.

Sixte Quint, Paul V, Léon X ont prodigué là leur faveurs, par dévo­tion envers Marie.

La Renaissance était encore dans son beau. C'est Bramante qui a des­siné les monuments et les sculptures de la Santa Casa et il a contribué à la construction de la basilique. Sansovino, Lombardo, Sangallo, Bandi­nelli, della Porta ont sculpté les statues 86 et les reliefs de la Santa Ca­sa. Quels gracieux sujets, que ceux de l'Annonciation, la Nativité, les Epousailles, Bethléem et comme ils sont traités délicatement!

Mais pourquoi faut-il que même dans un sanctuaire où tout devrait être si pur et si surnaturel, la Renaissance ait mêlé quelques sujets païens!

Pourquoi ces masques et ces chimères aux belles portes de bronze de la basilique? Pourquoi des sphynx, des tritons, des satyres même à la Santa Casa!

Les Sibylles elles-mêmes y sont-elles bien à leur place?

Ajoutons à l'honneur des pieux sculpteurs qu'ils ont fait à la Ste Vier­ge l'offrande gratuite de leur travail.

La basilique se prépare au jubilé du septième centenaire de la transla­tion. Elle est toute livrée aux ouvriers pour 87 être rajeunie et il me semble que les restaurations se font avec goût. St. Joseph a une belle chapelle dans le transept. J'aime ses belles fresques de Saïs avec ses Saints auréolés d'or, et sa belle grille en fer forgé et ses vitraux dans le style du XIVe siècle.

Le trésor est encore intéressant, mais l'ancien trésor vendu par l'em­pereur en 1800 contenait les dons accumulés par les princes et les fidèles pendant plusieurs siècles et tout cela a disparu.

La Vierge noire elle-même, qu'on attribue à St. Luc, était allée au Louvre: barbarie et sottise!

Comme ces ex-voto parlent à l'âme! Que de joies pures ils représen­tent! que de douleurs apaisées, de pieux souhaits accomplis, d'infortunes secourues!

Lorette m'offre bien des souvenirs 88 patriotiques. St. Louis a vé­néré la sainte maison à Nazareth même, cinquante ans avant qu'elle ne fût apportée en Occident par les anges. Le saint roi avait voulu s'appro­cher de la sainte maison en pratiquant l'humilité et la pénitence, c'est-à­-dire à pied, à jeun et revêtu d'un cilice. Il s'agenouilla quand il aperçut le sanctuaire, il y fit chanter les offices: c'était le 25 mars, le jour de l'An­nonciation; et il y laissa des dons généreux.

Aussi on fait à la Sainte Maison la fête de St. Louis chaque année. Anne d'Autriche envoya des présents et fit une fondation à l'occasion de la naissance de Louis XIV.

La basilique a deux chapelains français, et une de ses plus belles cha­pelles, au transept face de celle 89 de St. Joseph, est attribuée à la France.

Je ne viens jamais à Lorette sans aller à Castefidardo. C'est encore un pèlerinage. C'est là que se sont vaillamment battus les Macchabées mo­dernes, c'est là que sont tombés les martyrs de la cause pontificale, le 8 septembre 1860.

Les Italiens ont élevé le monument qui domine la croupe de la colline à leurs soldats tombés dans la lutte, à ceux qu'ils appellent les martyrs de l'unité italienne. Mais non, ceux là n'étaient pas des martyrs, le martyre demande la foi, la conviction, l'esprit de sacrifice; et les soldats piémon­tais, allaient là avec la conscience troublée, et sans aucun noble senti­ment. On leur disait, pour les faire avancer qu'ils allaient occuper les états pontificaux pour y faire régner la paix dans l'intérêt 90 du Pape, est-ce là le martyre? Ce sont de douloureux souvenirs. Ils sont pénibles au cœur de la Ste Vierge dont cette région est le domaine particulier; et voici que depuis trois ans, à quelques kilomètres de Lorette et de Castel­fidardo, au petit village de Campocavallo, au pied de la colline qui porte la ville d'Osimo, la très Sainte Vierge Marie vient manifester sa douleur par des miracles répétés.

Une modeste image de N.-D. des douleurs donne fréquemment des larmes. Des fidèles innombrables y viennent prier et obtiennent bien des grâces, et Mgr l'évêque d'Osimo fait élever une belle et majestueuse église à coupole pour recevoir la modeste image qui était jusqu'ici dans une pauvre chapelle de hameau.

J'ai voulu y aller aussi: j'ai prié là un bon moment avec 91 quelques pèlerins qui paraissaient fort émus. Je me suis entretenu avec le chape­lain du concours des pèlerins, des grâces demandées et reçues. On peut dire que le doigt de Dieu est là.

C'est encore une source de grâces de plus que la très Sainte Vierge est venue nous apporter.

Il m'a semblé aussi que le regard de Marie prenait une signification particulière, j'ai cru le comprendre et je lui en suis humblement recon­naissant. J'emploie sa bonté et sa miséricorde et je sollicite son interces­sion auprès du Divin Cœur de Jésus.

Je quittai le soir Lorette et j'étais avant le jour à Padoue. Je parcourais la grande ville déserte pour chercher le sanctuaire du grand thaumaturge. Jadis il y avait à tous les angles des rues des indications qui guidaient les pèlerins.

Un main 92 leur indiquait la direction à prendre. Auprès de la main il y avait ces deux mots: Al Santo, au Saint, et l'on allait au Saint, sans s'égarer et sans perdre de temps; mais l'esprit sectaire du jeune royaume a fait effacer tout cela.

J'arrivai à l'église de Saint Antoine dès son ouverture et j'eus la gran­de joie de célébrer la messe à l'autel du Saint.

Comme il est bon ce cher Saint! Comme il est puissant sur le Cœur de Jésus! Comme il en reproduit la charité et la miséricorde. Il se montre bienfaisant partout, mais combien plus on aime à le prier là sur son tom­beau!

Je n'ai que les heures matinales à passer à Padoue, je ne reverrai pas tout ce que cette ville a d'intéressant. Je m'arrête seulement aux deux grands sanctuaires de 93 St-Antoine et de Ste Justine. Ce sont deux églises votives, deux hommages populaires à la religion. Elles portent à leur entrée cette inscription qui est un acte de foi publique:

Respublica paduana dédit.

Ce sont deux églises colossales: St-Antoine a 115 mètres de long. Ste­Justine en a 111 à l'intérieur. St-Antoine a six coupoles: le style byzantin s'y unit au style gothique. Ste Justine a sept coupoles: trois sur la nef, quatre sur le transept et le chœur.

Padoue avait en vue en élevant ces grandes basiliques byzantines de rivaliser avec Venise.

C'est une des villes les plus intéressantes pour l'étude de l'art italien. Nulle part on ne peut mieux étudier Giotto, d'Avanzo, Mantegna et le Titien, quatre grands peintres qui caractérisent leurs époques 94. Ils n'ont pas là seulement des œuvres isolées, mais des épopées entières tra­cées de leurs mains.

Giotto a peint à l'église de la Madonna dell'Arena toute la vie de Notre-Seigneur et de la Ste Vierge. C'est là qu'on peut s'expliquer sa popularité, qui n'a été surpassée en Italie que par celle de Raphaël. Il étonne par sa fécondité; il charme par la piété de ses tableaux, par son coloris clair et brillant; il a fait sortir la peinture de l'ère byzantine et hié­ratique en donnant à ses compositions du mouvement et de la vie. Giotto a vécu de 1276 à 1337. Il fut le contemporain et l'ami du Dante, il repré­sente la plus belle période de la vie sociale chrétienne en Italie.

Les deux peintres d'Avanzo et Altichieri représentent la seconde moi­tié du XIVe siècle. Ils ont peint 95 la chapelle St-Félix à St-Antoine et la chapelle St-Georges, voisines de la basilique. Ces vastes peintures re­présentent des légendes de la vie des Saints et des scènes de la vie de N.-S. Elles sont plus savantes que celles de Giotto. Elles ont plus de per­spective, un dessin plus correct et plus de réalisme dans le détail, mais combien elles sont inférieures par la piété, la délicatesse du sentiment et même la fraîcheur des couleurs?

André Mantegna et l'école du Squarcione du XVe siècle, ont des œuvres partout à Padoue, mais surtout à l'église des Augustins. Ils ont em­prunté beaucoup à l'antiquité: Squarcione était collectionneur. Leurs œuvres ont une grande richesse de détails et de décors, mais elles man­quent de sentiment et d'expression. Ils ont, paraît-il, donné le ton à l'école de Venise 96.

Le Titien est largement représenté à la salle de réunion de la Confrérie de St-Antoine, Scuola del Santo. Il a peint là plusieurs miracles du Saint. C'est d'un peintre habile et de la pleine Renaissance, mais la piété n'y brille pas.

Pour la sculpture, Padoue a des belles œuvres de Donatello: la statue équestre de Gattamelata, l'autel du chœur à l'église du Saint, avec le crucifix de bronze et une mise au tombeau.

La chapelle du Saint est de Sansovino (1512-1530) ainsi que plusieurs des hauts-reliefs en marbre qui tapissent cette chapelle. D'autres reliefs sont des frères Lombardo. Ce petit sanctuaire peut rivaliser de grâce et de délicatesse avec le revêtement de la Santa Casa de Lorette.

Mais ce qui est étrange, c'est le 97 candélabre de bronze du cierge pascal dans le chœur. Il a été sculpté en 1507 par Riccio et la moitié des petites scènes qui l'entourent représentent des sujets de la mythologie païenne. Les Renaissants perdaient le sens chrétien.

Padoue a bien des souvenirs historiques. C'était la grande ville du Nord de l'Italie sous Auguste. Tite Live y est né. Le Dante y a vécu. Le Tasse, l'Arioste, Pétrarque et Galilée ont étudié à sa célèbre université.

Avant St. Antoine, elle vénérait pour sa grande patrone Ste Justine, une vaillante martyre, disciple de l'évêque Prosdocime que St. Pierre avait envoyé pour fonder l'église de Padoue. L'église de Ste-Marie des servites a un crucifix qui a versé du sang un jour qu'il était l'objet d'un sacrilège 98.

Je vais rapidement à Milan. Je passe à Vérone que je n'ai pas le temps de revoir. Cette ville était comme la sentinelle de l'Italie au Nord. Theo­doric le Grand s'y tenait, puis Alboin roi des Lombards. Pépin le roi des Francs y séjourna. Il y fonda la cathédrale de St-Zénon qui porte encore à sa façade les vieilles statues des paladins: Charlemagne, Roland et Oli­vier. C'est là que trôna Ezzelin le cruel dont la férocité ne s'arrêta que devant St. Antoine de Padoue…

Je longeai le lac de Garde, quelle délicieuse perspective! La vue s'étend et se perd sur ces eaux calmes et pures qui reflètent le ciel azuré, et le regard soupçonne au loin la gracieuse cité de Riva, un des plus déli­cieux séjours de 99 l'Europe.

Je salue au passage Brescia, son beau dôme, une des plus belles églises du XVIIe siècle, ses clochers et coupoles, son vieux temple de Vespasien.

J'ai déjà décrit Milan dans mes notes. Je ne désespère pas d'y revenir encore pour étudier davantage ses souvenirs chrétiens. Ses deux princi­paux édifices, la basilique de St-Ambroise et la cathédrale rappellent deux grandes époques chrétiennes. A St-Ambroise c'est l'âge des doc­teurs et le triomphe de l'Eglise après les persécutions.

A la cathédrale, c'est la renaissance catholique qui a suivi le Concile de Trente. Elle a en effet été consacrée par St. Charles Borromée en 1577. Quel merveilleux édifice, malgré les mignardises de sa façade et de ses toitures! Son intérieur a une 100 ampleur qui saisit. C'est l'œuvre du génie allemand marié à l'art italien. Elle emprunte à ces deux sources un ensemble de grandeur et de grâce. J'admire les petites voûtes des transepts, aux reliefs si fouillés et si gracieux. Ce sont ces reliefs si beaux et si riches qu'on a imités par des bariolages dans les nefs du Dôme lui-même et dans une foule d'églises d'Italie. Le pavé tout incrusté de mar­bres attire aussi mon attention.

Que de reliques et de souvenirs religieux on trouve à Milan! A la ca­thédrale ce sont les corps de St. Julien, de Ste Pélagie et de St. Charles Borromée. A St-Ambroise, ce sont ceux des Saints Gervais et Protais et de St. Ambroise. Une autre église a les corps des Saints Nazaire et Cel­se, une autre celui de St. Satire, frère de St. Ambroise, 101 une autre, l'église de St-Eustorge a le corps de St. Pierre-martyr.

La porte de la ville vers la gare a gardé sa dédicace à la Vierge Marie, B.M.V., c'est ainsi que N.-S. et sa sainte Mère régnaient autrefois dans toutes nos cités chrétiennes.

Je désirais depuis longtemps, visiter Monza, la vieille cité lombarde. J'ai pu y aller passer deux heures. Sa cathédrale rappelle celle de Floren­ce. Sa façade ogivale est plaquée de marbres en assises blanches et noi­res. Son trésor est un des plus curieux de l'Italie et de l'Europe. Il possè­de la couronne de fer des rois lombards. Un clou de la Passion du Sau­veur a été étiré pour en faire un cercle et il est recouvert d'un large ban­deau en or, tel qu'en portaient les rois francs et germains 102.

La reine Théodelinde a été la fondatrice de cette cathédrale et son sou­venir y revit à chaque pas. Sa statue est au-dessus du portail, son sarco­phage dans une des chapelles. Le trésor a plusieurs objets qui la rappel­lent: un éventail, un peigne qui lui ont appartenu; une poule en or et ses poussins, qui symbolisaient les provinces lombardes; des papyrus; une croix, un corporal donnés par St. Grégoire le Grand. On y voit aussi de curieux objets du IVe au VIe siècle, ivoires, diptyques, reliures et reli­quaires. C'est toute une civilisation qu'on peut là évoquer et faire revi­vre.

Je pressai mon retour et je partis pour Zürich. Dans la soirée je pus jouir encore de quelques échappées de vues sur les lacs de Come et Lu­gano et sur le lac Majeur. C'est vraiment là un coin du monde 103 bien privilégié. La région des lacs du Nord de l'Italie est abritée du froid par l'immense écran des Alpes. Elle a de belles eaux, une douce température et les plus merveilleux horizons. Le panorama des Alpes avec ses cimes neigeuses s'y déroule avec des aspects toujours variés. Les populations aiment la couleur et leurs bourgades ont un air joyeux. L'aristocratie de toute l'Europe vint bâtir là des palais. Milan est la di­gne capitale de ce pays enchanteur et elle surpasse aujourd'hui en pro­spérité et en activité toutes les autres villes de l'Italie.

Ces lacs offrent aux voyageurs épris des beautés de la nature ou fati­gués du séjour de nos villes usinières 104 des sites enchanteurs. Sur le lac de Garde c'est Riva en fond du lac, au pied des pics alpins, ou Desen­zano vers la plaine, ou encore Sermione sur sa presqu'île en face du mont Baldo.

Sur le lac de Come, c'est Bellagio. Sur le lac Majeur, c'est Baveno, Pallanza ou Laveno.

La Providence a voulu par ces sites privilégiés raviver nos regrets de l'Eden et exciter notre désir du ciel.

Je passai de nuit le St-Gothard qui est pour moi une vieille connais­sance. Je ne l'ai pas oublié depuis 30 ans que je le passai à pied et sac au dos en vrai touriste.

J'allai célébrer la messe à l'église catholique de Zürich. Cette église est simple mais pieuse et j'y retrouve toute la foi, la dignité et le respect 105 des pays du Rhin et de la Hollande. Les catholiques ga­gnent du terrain à Zürich. Ils font construire une grande église ogivale du côté de la gare.

Je visitai l'ancienne cathédrale, grande église romane du XIe siècle. C'est là que Zwingle commença à prêcher la réforme et Zürich est restée un des centres du protestantisme. La vieille cathédrale a encore sa crypte et sa chapelle des martyrs, mais il n'y a plus ni autels ni reliques, c'est une salle confortable où le pasteur donne ses conférences religieuses et fait chanter des psaumes en langue vulgaire.

Le souvenir de la grande bataille de Zürich gagnée par Masséna sur les Russes en 1799 m'émeut médiocrement.

Je n'ai pas le temps de gravir l'Utli pour jouir de la vue d'ensemble du lac. Je pars pour 106 Lauffen pourvoir la Chute du Rhin que je dési­re visiter depuis 30 ans.

Ces grands jouets du Bon Dieu parlent à l'âme et l'impressionnent fa­vorablement. Ils nous rappellent notre petitesse et nous font mieux con­naître le divin artiste qui a crée le monde en se jouant. C'est un instinct de race qui attire là tant de touristes, c'est parce que nous sommes les fils de celui qui est l'infinie beauté. C'est pour cela aussi que de nobles fa­milles élevèrent ces castels qui se sont posés là pour jouir tous les jours de ce spectacle grandiose. C'étaient des châteaux au temps jadis, ce sont des hôtels dans notre siècle démocratique.

Quel nid d'aigle que ce castel de Lauffen sur la pointe d'un 107 rocher au-dessus de la chute! L'imagination aime à l'élever encore, à denteler davantage ses tours et ses murailles et à les animer par quelques chevaliers vêtus de la cotte de mailles et lançant leurs flèches sur les as­saillants.

La chute est belle, elle a cent mètres de large et trente mètres de haut. On dit qu'elle n'est qu'un jeu d'enfants auprès de celle du Niagara. Les gran­des chutes de Norvège, celle de Trollhœten par exemple, m'ont impres­sionné davantage. Elles sont mieux encadrées dans leurs rochers sauvages et altiers et leurs grands pins. Elles ont plus de soubresauts et de variété.

Après Lauffen, on voit encore Tivoli avec un charme infini. Il y a là les souvenirs, le soleil, les ruines, 108 les fleurs et ces antres mysté­rieux où se cachait la Sibylle.

Je retourne vers Bâle et je salue en passant le vieux castel de Hab­sbourg. C'est là qu'a été choisi de Dieu le noble chevalier Rodolphe qui adorait si pieusement le St. Sacrement, pour fonder cette illustre famille qui s'étiole aujourd'hui sur le trône d'Autriche.

C'est à Montmartre que je voulus clore ce beau voyage, qui me laisse de bons souvenirs et bien des enseignements dont je désire profiter.

Je trouve à mon retour bien des correspondances à reprendre. La joie de revoir mes confrères se mêle à quelques peines amères.

Le 24, réunion d'études sociales à Soissons.

Les enfants de Fayet sont avides 109 d'entendre les récits de mon voyage. Ils suivent sur l'atlas. Je tâche de les instruire en les édifiant.

Fête de St. Léon et de St. Jean. Excursion avec le collège à Beaure­voir. Visite aux ruines pittoresques du vieux castel où la sainte héroïne fut prisonnière.

Congrès des cercles d'études d'ouvriers à Reims au pensionnat des Frères. C'est un beau spectacle, il y a là l'embryon d'une démocratie chrétienne. Ces hommes sont peu instruits, mais ils ont cependant étu­dié les questions sociales et ils sont dociles au prêtre. Ils veulent relever la classe ouvrière, mais ils ne veulent pas outrepasser la loi chrétienne. Il y a là de riches natures: Robert, le serrurier de Reims, ardent, aimant et patient dans sa pauvreté; Leclerc, le mécanicien de Lille, homme 110 de caractère, intelligent, réfléchi, et d'une volonté tenace…

Voyage à Paris. Pèlerinage à Argenteuil, visite au Salon de peinture. Je ne vais pas chaque année au Salon. Ces collections d'un art déca­dent et sensuel ne méritent guère la visite d'un prêtre, mais cette année le Salon a un attrait exceptionnel. Une grande salle est réservée à l'illu­stration de l'Evangile par James Tissot. C'est une série de 270 tableaux. Ils seront complétés jusqu'au nombre de 350.

M. Tissot a mis dix ans à ce travail. Ce sont des études faites en Pale­stine. Le peintre a voulu se rapprocher de plus en plus de la réalité en re­cherchant dans le pays même tous les détails de sites, de mœurs, de co­stumes et de types 111 qui rappellent l'Evangile. Il donne des vues, des scènes qui rappellent l'enfance de N.-S., sa prédication, ses parabo­les, sa passion, ses apparitions.

C'est d'un intérêt incomparable. Tous ces détails réalistes aident à mieux comprendre la vie de N.-S. L'auteur n'a pas pu éviter toujours le trivial et le vulgaire. Plusieurs de ses toiles manquent d'idéal. Beaucoup ne sont qu'esquissées. C'est une œuvre à compléter et à parfaire et ce sera la meil­leur illustration de l'Evangile. Elle prendra place à côté et sans doute au­dessus des œuvres de Führich et de Hofman. Fürich a illustré les mystères de Bethléem; quelques scènes sont bien touchantes, mais c'est d'un réalisme de convention. L'auteur n'a pas vu l'Orient. - Hofman n'a pas 112 la moindre prétention au réalisme. C'est un idéal qu'il nous donne, mais quel idéal gracieux, suave et tout céleste! C'est du fra Angelico, avec moins de candeur, mais avec toute la science de la composition, de la perspective, du dessin, du clair-obscur que l'art a pu acquérir dans ces derniers siècles.

On faisait à Argenteuil l'ostension solennelle de la sainte Tunique de N.-S., j'allai la vénérer. Ce sont de larges lambeaux d'une étoffe légère comme un voile. Ils sont brunis par le temps et tachés de sang. Leur cul­te est immémorial. C'est un don de Charlemagne au monastère d'Ar­genteuil, dont sa fille Théodrade était abbesse.

Les pièces qui établissent son identité sont: 1° une charte de Hugues, archevêque de Rouen, de 1156, écrite à l'occasion 113 d'un transla­tion solennelle faite en présence du roi Louis VII, des princes et de nom­breux évêques et abbés. La robe y est appelée Cappa pueri Jesu. 2° la bulle des indulgences accordées par Innocent X. - 3° l'acte de la translation faite dans une nouvelle châsse donnée par Mlle de Guise en 1680. - 4° la déclaration du card. Caprara4) 1804 en.

La forme de la tunique était celle d'une grande dalmatique.

Les chroniqueurs du XIIe siècles (v.g. Robert de Morigny, abbé du Bec) l'appellent la robe sans couture faite par la glorieuse Mère de Dieu quand Jésus était encore enfant. Ils ajoutent que les documents trouvés avec elle en 1156 l'attestaient.

Les traditions rapportent que Charlemagne l'avait reçue de Constan­tin fils de l'impératrice Irène (voir dom 114 Gerberon, «Histoire de la tunique d'Argenteuil», publiée en 1677). Ce renseignement devait venir des documents trouvés avec la relique en 1156.

Une charte de Westminster de 1066 nous fait remonter plus haut, elle signale une parcelle de la tunique sans couture que le roi Alfred avait re­çue de Charles le Chauve au IXe siècle.

Les chroniques du IXe siècle nous disent bien que Charlemagne reçut de Constantin fils d'Irène des reliques de la Passion. Grégoire de Tours et Frédégaire rapportent son invention à Jaffa et sa translation à Jérusa­lem en 590.

Une étude scientifique faite en 1892 y a reconnu un tissu de laine lé­ger, une sorte d'étamine, fait avec un métier primitif et taché de sang. Que penser de la sainte tunique de Trèves? C'est une autre tunique 115 de N.-S. apportée par Ste Hélène au IVe siècle. Elle peut être aussi sans couture. Elle paraît être plutôt une robe ou tunique supé­rieure.

Mais les annales de l'Orient en signalent encore une autre, dont on n'a guère parlé en ces dernières années. Elle se conserve en partie à Con­stantinople et en partie à Moscou (église de l'Assomption). Elle vient de Géorgie. L'Ibérie, appelée depuis Georgie, avait une colonie de juifs dans la ville de Mtsketh. Un d'eux, Elias, descendant du grand prêtre Héli, alla à Jérusalem lors de la Passion et en rapporta la sainte Robe.

Au IIIe siècle, Ste Nina ou Chrétienne, apôtre de la Georgie (fête le 14 déc.) la retrouva miraculeusement. Ste Nina était nièce du grand martyr St. Georges dont ces pays d'Ibérie et Colchide 116 (auj. Transcauca­sie) ont pris le nom. Mtsketh est devenue la métropole de la Georgie à la­quelle Constantin envoya des prêtres au temps de Ste Nina. La Georgie porte la sainte Robe dans ses armes. En 1618, Chab-Abas envahit la Georgie. Il envoya la Ste Tunique en présent au roi des Russes, Michel Romanov. La Russie fête la déposition de la Ste Tunique le 10 juillet.

C'est peut-être un troisième vêtement de N.-S., aussi vénèrable que ceux d'Argenteuil et de Trèves.

La tunique d'Argenteuil est déposée dans un riche reliquaire moder­ne. Les pèlerins affluaient. J'ai prié là de bon cœur comme à Trèves. Je dus ensuite faire un voyage rapide à Lille et aller voir M. Gervais, avocat, pour rendre service 117 à un ami.

Le 18, j'apprends la mort du générale de Montluisant, notre châtelain et bienfaiteur de Marsanne. Je garderai le souvenir de sa foi ardente et de son amour d'enfant pour la sainte Vierge. C'était un vrai chevalier de Marie. Rien ne lui coûtait pour elle, veilles, sacrifices, dépenses. Il serait allé au bout du monde pour son culte. Il l'a invoquée dans la guerre, il lui a dû son salut. Il lui a bâti un sanctuaire. Il a demandé à l'empereur des canons de Sebastopol pour orner le parvis de la chapelle. Il a deman­dé au Pape des indulgences et le couronnement de la Madone. Il invitait les évêques et les recevait. Il a établi les chapelains. Il allait chaque jour au sanctuaire et il communiait. Ainsi faisaient 118 les preux au temps des croisades.

Le 21, nous inaugurons avec Mgr Mathieu la Maison de retraite des Dames de St-Erme. C'est encore une petite œuvre de plus à St-Quentin. Le 23 et le 24, première communion à Fayet et à St Jean. C'est tou­jours un spectacle tout céleste de voir des enfants bien préparés recevoir leur divin ami. Mais les enfants des collèges sont jetés trop vite dans l'agitation des congés et des fêtes.

Le 27, première communion à Vervins. J'ai là, à Fontaine les Vervins de bien bons parents. Ils ont préféré la campagne à la ville et l'agricultu­re aux carrières libérales. Ils conservent la simplicité patriarcale avec la foi et les traditions des ancêtres.

Le 29, réunion d'études sociales à Soissons 119.

Le 30, fête de famille à La Capelle. Mon frère m'a demandé d'aller lui dire la sainte messe pour le 30e anniversaire de son mariage. Nous ré­veillons nos vieux souvenirs. Nous parlons de nos bons parents, que nous espérons revoir au ciel, et du gracieux voyage que nous avons fait ensemble à l'occasion de son mariage en 1864. Nous sommes allés à ce temps-là prier à Fourvières et de là à Genève, à Chamonix, aux glaciers du Montanvers et de la Mer de Glace, au Mauvais pas, à Martigny, à Lausanne, à Lucerne. Je n'ai jamais refait ce voyage du Mont Blanc. Il m'a laissé une profonde impression.

Cérémonie de vêture et profession chez nos Sœurs. Pieuse fête à la­quelle se mêle le regret de bien des grâces perdues 120.

1ère communion au Val. La petite fille de M. Félix y prend part. J'ex­horte de mon mieux ces chers enfants. Belle réunion de famille. Les bé­nédictions de Dieu sur cette maison se touchent du doigt. C'est une oasis dans les tristes régions de notre monde industriel.

Réunion annuelle de l'Œuvre des Cercles à Paris. La réunion se tient Rue des Sts-Pères 76, salle St-Germain. La réunion n'est pas nombreu­se, mais elle est intéressante. C'est une élite, c'est un état-major qui est resté fidèle à l'Œuvre. Il y a là un groupe unique d'économistes chré­tiens. Une Chambre ainsi composée ferait une besogne excellente. M. de Mun5) préside, avec MM. de La Tour du Pin6) et de la Guillonnière. je remarque: le R. P. du Lac7), le P. Adéodat, le P. Gardair, le 121 chanoine Brettes; M. M. Louis Milcent (de Poligny), G. Mar­tin, de Marolles, Raoul Ancel, Nogues, Delalande, Lorin, de Bonvou­loir, de Villebois, Savatier, Garnot. Presque tous font partie du Comité de l'Œuvre.

L'attention est appelée sur les abus du capitalisme: l'usure, l'accapa­rement, la spéculation, le jeu.

Les œuvres rurales sont étudiées avec soin, elles prennent un grand développement. On passe en revue les syndicats, les coopératives, les as­surances; les caisses de secours, de prévoyance, de crédit, les secréta­riats, les confréries. On traite de la représentation des intérêts.

Le rapport de M. Louis Durand8) sur les caisses de crédit agricole est un des plus intéressants. Il nous rappelle que l'Allemagne a déjà 122 4.000 caisses Raiffessen, pour le plus grand avantage des paysans. Ces caisses prospèrent, elles font un chiffre d'affaires énorme. En un an, on a établi dans la région de Lyon 61 Caisses, dont 56 ont été fondées par des prêtres.

M. l'abbé Fontan fait la même propagande dans les Hautes Pyrénées. Pour ma part on m'a demandé d'exposer ce que nous faisions dans nos réunions d'études sociales du diocèse de Soissons.

La question des Conseils de conciliation et d'arbitrage est étudiée avec soin. Les syndicats séparés se multiplient; les coalitions de guerre des ou­vriers d'une part et des patrons de l'autre entretiennent l'antagonisme. Les Conseils permanents de conciliation et d'arbitrage peuvent seuls y 123 remédier. En Angleterre, ils ont apaisé bien des conflits. MM. de Mun et Lecour-Grandmaison9) ont déjà déposé un projet de loi dans ce sens. MM. Victor Pierre, Boyer de Bouillane, Miron de l'Epinay, l'abbé Rabier et le R. P. Breck échangent sur cette question des observa­tions intéressantes.

Je prends un nouvel intérêt à ces réunions que je n'avais pas suivies pendant plusieurs années.

J'assiste à Soissons à l'ordination où j'ai des fils spirituels et d'anciens élèves.

Devant aller au Val pour le congrès d'études des Séminaristes du 2 au 5, j'emploie mes deux jours de loisir à visiter à Bar un ancien élève de St­Clément, qui est soldat et que j'espère voir revenir au bercail.

J'ai vu Bar plusieurs fois. J'aime 124 son cachet de vieille ville pro­vinciale. En haut, sur la falaise de l'Ornain est la vieille cité ducale, avec la grande tour de l'horloge de l'ancien château. Le castel féodal a dispa­ru. La grande tour est du XVIIe siècle. Les communs du château sont devenus un pensionnat de religieuses dominicaines. Près du château est l'église St-Pierre. Elle porte le cachet du XIVe siècle. Ce style est moins élevé, moins pur, moins noble que celui du XIIIe siècle. C'est la bour­geoisie riche et terre-à-terre, qui succède à l'élan et à la foi de la chevale­rie.

Dans cette église est la curieuse statue de René de Châlons, représenté debout sur son tombeau, comme un mort à demi décomposé et mangé par les vers. C'est l'œuvre de Richier, un de nos renaissants français qui ne 125 le cède pas aux Italiens.

La ville haute a encore de vieilles maisons de la Renaissance.

Dans le bas, c'était l'ancienne commune. Elle a aussi son église du XIVe siècle, St-Nicolas, sous laquelle passe un bras de l'Ornain. C'était l'église des marchands; elle a conservé de beaux vitraux.

Dans le quartier neuf, sur une belle esplanade, près de la gare, un prê­tre pieux et zélé, M. Lagrelette a fait construire une église nouvelle, St­Jean. Elle sera grandiose, mais elle n'est qu'à moitié faite. Elle est d'un beau style roman. Elle a une vaste crypte. Je ne connais guère d'église qui porte mieux le cachet de la dévotion au S.-Cœur. Le maître-autel est dédié au S.-Cœur. Ceux du transept à la Ste Vierge et à 126 St. Jo­seph; ceux des deux petites absides à St. Jean et à Ste Gertrude, les amis du S.-Cœur. L'église est un centre de dévotion à Ste Gertrude et a St. Jean. Ces saints y ont leurs confréries et des ex-voto témoignent de leur puissance et de leur bonté.

Bar-le-Duc possède un pensionnat ecclésiastique et des couvents de dominicaines et de Dames de la Croix. La Meuse est encore un de nos bons diocèses.

J'eus le temps d'aller passer quelques heures à Toul, que je désirais voir depuis longtemps. Il y a là deux belles églises de nos grands siècles chrétiens, la cathédrale et St-Gengoult. Toutes deux ont été commen­cées au XIIIe siècle par le chœur et terminées au XVe par le portail. St­-Etienne, l'ancienne cathédrale a un beau cloître du XIIIe siècle. St­-Gengoult en a 127 un du XVIe avec de doubles arcades à colonnettes lisses et torses alternées. La cathédrale est de celles qu'on peut compter parmi les plus belles de France.

Le Val-des-Bois. Congrès d'études sociales. C'est une réunion de sé­minaristes. La plupart viennent de Cambrai ou de St-Sulpice. C'est une élite de jeunes abbés intelligents et zélés. Rien de plus aimable que cette réunion. M. le chanoine Perriot10) préside avec moi. Le P. aumônier di­rige les travaux avec l'abbé Bethléem, jeune prêtre du diocèse de Cam­brai.

Le programme comporte l'historique du régime du travail et des corporations par le P. aumônier et l'étude sommaire de la question sociale d'après mon Manuel. Le P. Jules, franciscain, parlera du Tiers-ordre; et le Bon Père11) de l'usine.

Le P. aumônier12) emprunte ses 128 renseignements à Fustel de Coulanges (La Cité antique), Paul Allard (Les esclaves chrétiens), Mazaroz (Histoire des corporations), Pelletan (Les associations ouvrières dans le passé), Moulion (L'église et le droit romain), Lechaud (La civilisation), Babeau (Le village sous l'ancien régime), Demolins (Le mouvement communal au Moyen-âge), Ribot (Le rôle social des idées chrétiennes), etc. - Son travail est intéressant.

Les soirées se partagent entre des entretiens avec les délégués d'ate­liers, une causerie sur la réparation au S.-Cœur, une séance récréative. Le matin, à la messe, M. Perriot et moi donnons alternativement une instruction.

Rien ne manque à ce charmant congrès, ni les toasts chaleureux, ni l'adresse au Pape. L'impression générale est excellente 129.

Paray-le-Monial - Réunions de la société des Fastes eucharistiques. - J'ai là l'occasion de passer trois bonnes journées à Paray. Nous ne sommes que quatre ou cinq travailleurs et la société parodienne vient nous écouter. Le R. P. Delaporte, d'Issoudun, préside avec moi. Le R. P. Sanna-Solaro, jésuite, est venu de Turin. Les Pères Rey, Zelle et Cretin prennent part également à nos études.

M. le baron de Sarachaga, M. le comte d'Alcantara et M. le baron de Maricourt sont les colonnes de l'œuvre.

Le but de nos travaux est de populariser l'idée du règne social de Jésus-Christ et du S.-Cœur pour y ramener la France.

Le local où nous siégeons est en lui-même un hommage éclatant à la royauté du Christ 130. Le Baron de Sarachaga a fait de ce palais com­me l'illustration du poème séculaire de la royauté eucharistique. Une salle centrale, Aula fastorum sert aux grandes réunions. Elle est entourée des salles du musée eucharistique.

La grande salle est précédée d'un vestibule d'honneur où sont réunis les portraits des plus vaillants promoteurs du règne-social de Jésus­-Hostie: Constantin le grand, Clovis, Charlemagne, St. Ferdinand de Castille, le vainqueur de Cordoue, Jean ler de Portugal qui prit Ceuta aux Maures et fonda la marine portugaise, Isabelle la Catholique, la protectrice de Colomb, Colomb lui-même et Vasco de Gama, Dom Henrique de Bourgogne (+1112) qui en bataillant contre les Sarrasins 131 mérita à sa famille le trône de Portugal. - Jeanne d'Arc, les doges Vénier et Cicogna, l'amiral Bragadino, le vainqueur de Famagauste, Garcia Moreno, le martyr du S.-Cœur.

La salle elle-même est ornée d'inscriptions et d'armoiries. Deux textes sacrés rappellent la royauté du Christ: Postula a me et dabo tibi gentes haere­ditatem tuam (Ps, II, 8) - Dignus est Agnus qui occisus est, accipere virtutem et ho­norera et gloriam (Apoc, V, 12).

Les écussons rappellent les états chrétiens qui ont accepté dans le cours des siècles le règne du Christ.

L'inscription trilingue placée par Pilate sur la croix domine le vestibu­le. J'aime cette réflexion de Bossuet: «Il fallait que la royauté de Jésus 132 fut écrite en la langue hébraïque, qui est la langue du peu­ple de Dieu; en la langue grecque, qui est celle des doctes et des philoso­phes; et en la langue romaine, qui est celle de l'empire et des maîtres du monde». On pourrait dire aussi que la langue hébraïque représentait le clergé; la langue grecque l'aristocratie et la science; la langue latine, le peuple et le césarisme.

Les quatre salles du musée renferment des tableaux, des cartes, des souvenirs et objets d'art classés de manière à correspondre à quatre grandes idées: 1° le droit social de Jésus-Hostie; 2° le fait historique du règne de l'Hostie; 3° la règle de ce règne ou les pactes sacrés des nations avec le Christ; 4° les promesses du Christ aux nations et parti­culièrement 133 celles de Paray.

Cette division est du moins dans l'intention du pieux fondateur du Musée, mais il n'en faut pas chercher la réalisation trop rigoureuse. Les cartes qui représentent les miracles eucharistiques et leur action sociale à travers les siècles sont d'une géographie toute mystique. J'ai longtemps hésité à admettre cette idée, j'y suis maintenant tout à fait porté. Je crois que quand Dieu se plaît à accorder à une région quelque grand miracle et spécialement un miracle eucharistique, c'est qu'il a pour telle région et pour telle époque un dessin particulier: c'est qu'il faut réveiller là la foi, ranimer les croyants, les prémunir contre l'héré­sie, les exciter à l'apostolat et à la défense de la chrétienté 134. On a pu sur ces données établir des tableaux qui ne manquent pas de vraisem­blance. St. François de Sales lui-même a dit quelque part, paraît-il, que les trois grands miracles eucharistiques de l'Est de la France avaient pour but de montrer que J.-C. est roi ici-bas.

De nos travaux à cette réunion, je ne rappellerai ici que le thème d'un rapport sur la chrétienté. La chrétienté était une famille d'Etats chré­tiens. Les nations sont comme les âmes l'œuvre de Dieu. Elles doivent à Dieu leurs hommages et leur obéissance. Elles doivent s'unir dans la paix sous la main paternelle du Vicaire de Jésus-Christ.

Le libéralisme social est une forme de l'athéisme, il éloigne les nations de leurs devoirs envers Dieu 135. Ce serait procurer une grande gloire au Christ que de remettre sous son sceptre la France avec son prosélytisme, l'Espagne avec son unité religieuse et sa science théologique, l'An­gleterre avec son zèle pour les missions et son respect du dimanche, la Russie et sa vigoureuse autorité, l'Allemagne et son grand esprit d'union. - La chrétienté a subi les assauts du byzantinisme, des légi­stes, de la réforme, du césarisme et de la révolution. - A qui sera le XXe siècle? à Israël? à la Franc-maçonnerie? Nous travaillerons à ce qu'il soit au S.-Cœur.

Congrès eucharistique à Reims. - Quelles belles réunions, et comme leur but est noble et pur: adorer Jésus-Eucharistie et parler de son amour! Le cadre en est superbe: c'est 136 l'antique palais des arche­vêques de Reims, c'est la merveilleuse cathédrale de Notre-Dame de Reims, c'est la vieille basilique de St-Remi.

Cette cathédrale de Reims est bien la reine des cathédrales gothiques. Quel admirable coup d'œil que celui du portail tout couvert de statues, de dais, de pinacles, de dentelles, de feuillages et de clochetons. Et cette galerie des rois avec ses fines sculptures; ce baptême de Clovis qui domi­ne tout l'ensemble du fronton; ces admirables tours découpées à jour, à travers lesquelles on aperçoit, en une merveilleuse perspective les contre­forts et les arcs-boutants, comme une forêt de pierres découpées et fleu­ries. Et ce portail qui raconte le martyre de St. Nicaise!

Au dedans, ce sont les verrières étincelantes et les antiques tapisseries où la vie de 137 la Sainte Vierge est tracée par les fils multicolores de la soie.

Il faut se tenir vers le soir au fond de l'abside pour admirer le jeu des derniers rayons du soleil qui pénètrent par la rose du portail et vont for­mer des contrastes de clair-obscur sous les voûtes et à travers les galeries, les nefs et les colonnes. C'est une perspective saisissante.

Quand le regard s'est rassasié de ces beautés, la pensée se reporte aux grands jours des origines de la France. Elle assiste au baptême de Clovis et des Francs. Elle repasse les fastes de l'histoire, elle prend part au joyeux couronnement de quarante-quatre rois, sacrés sous cette voûte avec l'huile de la sainte Ampoule. Elle voit Jeanne d'Arc debout près du gentil Dauphin devenu Charles VII, et l'oriflamme de St-Denis avec la bannière de la Pucelle 138.

Puissions-nous voir un jour la bannière du S.-Cœur flotter là au mi­lieu d'un peuple enthousiaste auprès du baptistère de Clovis et de la France!

C'était le neuvième de ces grands congrès eucharistiques organisés par le comité franco-belge. Le premier eut lieu à Lille en 1879 sous la di­rection de Mgr de Ségur13). Le second se tint en 1882 à Avignon. Les so­lennités de Liège en 1883 et de Fribourg en 1885 eurent un grand éclat. A l'appel de Mgr Mermillod14) la foule acclame le règne social de Jésus­-Hostie en s'écriant: Vive Jésus-Christ au Saint Sacrement: qu'il règne sur nous et sur notre peuple. Vingt mille mains se levèrent, et après ce serment solennel la foule s'inclina et le Roi des nations bénit son peuple.

Le cinquième congrès se tint à Toulouse 139, le sixième à Paris. Celui-ci fut le congrès du S.-Cœur. Au jour des hommages la montagne du S.-Cœur se couvrit de fidèles venus pour témoigner leur reconnais­sance et leur amour au S.-Cœur dans la sainte Eucharistie. 1886-1888.

Au septième congrès, à Anvers, le culte extérieur du St. Sacrement se déploya dans toute sa splendeur comme à Liège et à Fribourg. Les repo­soirs, les arcs de triomphe rivalisaient de richesse et la ville toute entière fut illuminée. C'était en 1890.

En 1893, le comité des œuvres eucharistiques résolut de suivre le pèle­rinage de Jérusalem. Là est le Cénacle où Jésus institua l'Eucharistie et le Calvaire où il nous en mérita les grâces. Ce congrès prépara le mouve­ment d'union des orientaux. Ils y ont pris part sous la présidence du Cardinal 140 Langénieux15) légat du Pape.

Quelle belle réunion c'était à Reims: C'était comme un résumé et une quintessence de l'Eglise. Il y avait là des cardinaux, des évêques d'Orient et d'Occident, des abbés, des prélats, des religieux de tous les ordres, des prêtres, des hommes d'œuvres. Quelques noms me rappelle­ront mieux la physionomie de ce petit concile eucharistique.

Le cardinal Langénieux, le cardinal Lecot16). Mgr Duval, de Soissons; Mgr Renou, d'Amiens; Mgr Bouvier de Tarantaise; Mgr Theuret de Monaco; Mgr Stonor archevêque latin de Trébizonde; Mgr Potron, franciscain, ev. de Jéricho; Mgr Bernard, vic. apost. de Norvège; Mgr Lechaptois, des Pères Blancs, ev. d'Utique; vic. apost. du Tanganika - Mgr de Liège17) - Mgr Marmarian, archev. grec de Trébizonde; Mgr Hoyek, ev. maronite d'Arca - Mgr Homsy, archimandrite grec 141. Dom Augustin, abbé d'Igny. Des protonotaires ou prélats: Mgr Pêche­nard, Mgr juillet, Mgr Puyol, Mgr Garot, Mgr Cartuyvels, Mgr Cau­ly. Le R. P. Charmetant, Dir. des Ecoles d'Orient. Les PP. Boué, Zelle, etc, jésuites; le P. Lagrange18), dominicain; le P. Van Calœn, bénédic­tin; le P. Tondini, barnabite; le P. Deckers, prémontré; le P. Jérôme, franciscain; le P. Michel, Père Blanc; le P. Bailly, de l'Assomption; les PP. Tesnière et Durand, du St. Sacrement; le P. Lémius, oblat de Ma­rie; MM. Bernard, Thiébaut, de St-Sulpice. Le chanoine Lémann. M. Garnier - M. Naudet - M. de Leudeville - M. Villeneuve, américain. M. de Nicolaï, M. de Pélerin, M. de Damas, M. Harmel, M. E. Michel 142.

Toutes les autorités, toutes les forces vives de l'Eglise étaient là repré­sentées par quelques délégués.

Le programme était beau. On traitait de l'histoire de l'Eucharistie, de son culte, de ses miracles, de ses monuments. On parlait des œuvres eu­charistiques, de l'Eucharistie et des œuvres sociales, de l'Eucharistie et de l'Orient.

Il y eut des réunions spéciales d'enfants à l'église St Jacques. Le P. Durand savait si bien les intéresser, les toucher, les faire prier et chanter! Il a mille traits qui se rapportent à l'enfance et à l'Eucharistie.

Le matin du 26, rapports intéressants sur le symbolisme de l'autel, sur l'apostolat de la prière, sur la messe réparatrice, sur la communion répa­ratrice. M. l'abbé Gerbier, directeur au séminaire de Poitiers, rappelle les rapports intimes 143 de la dévotion au S.-Cœur avec la dévotion eucharistique. L'Eucharistie est le don du S.-Cœur. La dévotion au Cœur eucharistique de Jésus n'a pas été du tout condamnée à Rome, mais seulement les images représentant le Cœur de Jésus dans l'Hostie. Le card. Lecot appuie cette motion et rappelle qu'à Genazzano un gra­cieux tableau représente le S.-Cœur donnant l'Eucaristie.

A 2 heures, dernière section. On rappelle des souvenirs régionaux: le culte eucharistique et ses miracles à Reims, à Châlons, à Braine, à Sois­sons, à Laon.

Le R. P. Delaporte devait lire un rapport sur l'Eucharistie et la vie na­tionale de la France. Ce rapport a fait defaut, mais nous l'avons au compte-rendu. Il est rempli de vues élevées et de faits intéressants sur le règne social de J.-C. en France 144.

Le soir, à l'église St-André nous entendions un beau discours du P. Lémius19) sur les desseins du S.-Cœur de Jésus sur la France. Le Père me dit qu'il s'était inspiré de notre Revue.

Le vendredi, rapports des plus intéressants sur les églises d'Orient. Toute cette question est là pleinement élucidée. Ces rapports resteront comme un fond de renseignements précieux sur les églises orientales et sur l'union.

Le samedi, continuation des mêmes études. Rapport plein d'intérêt du P. Tondini, sur les espérances d'union de l'église russe. Allocution de M. Thiébault du Cercle de Reims sur l'Eucharistie et l'Ouvrier. C'est là un signe des temps, le mouvement démocratique a pénétré 145 jusque dans les congrès eucharistiques.

Le cardinale20) m'invita à faire partie du bureau d'honneur et à dîner à l'archevêché. C'était trop d'honneur. Je passai là trois journées bien édi­fiantes.

Distribution des prix de St Jean. M. Salembier nous préside. Dieu veuille soutenir et bénir cette chère œuvre de St Jean!

Réunions sacerdotales au Val-des-Bois. Ces réunions sont organisées par le groupe des prêtres de la Démocratie chrétienne du Nord. M. le chanoine Perriot préside avec moi. M. Six21) dirige les travaux. M. Naudet22) nous apporte sa chaude parole et son expérience de l'action po­pulaire. M. Villeneuve nous intéresse vivement en nous parlant de son cher Canada et de l'Amérique. Le premier jour, rapport excellent du 146 P. Aumônier23) sur la famille. C'est un vrai traité. D'excellents travaux sont lus par de jeunes prêtres du Nord, sur la propriété, les fi­nances, le commerce. Le Bon Père, M. Léon Harmel, nous parle du sa­laire et des moyens de le développer. M. Perriot improvise d'intéressan­tes conférences sur le ministère sacerdotal et les auteurs chrétiens. M. Naudet parle de la presse, M. Villeneuve du Canada, M. le curé d'Avri­court de ses œuvres paroissiales.

C'est un ensemble excellent. Les sujets y sont traités par les hommes les plus compétents. J'en garde des notes qui me fourniraient de bons thèmes de conférences.

Pour ma part, je faisais chaque jour une instruction à la messe sur l'apostolat et le zèle et je fis un soir une causerie sur la réparation au S.-Cœur 147.

Le dimanche, nous allâmes prendre part au congrès ouvrier régional de Charleville. Un employé, Dombray-Schmidt présidait. M. Naudet nous fit un chaleureux discours sur le programme social chrétien.

Il y a là quelques ouvriers bien intéressants, comme Robert, le serru­rier de Reims; Leclerc, le mécanicien de Lille; Decopman, le tisseur de Tourcoing. Ils s'étaient laissé séduire par les idées socialistes, mais ils sont revenus à la saine doctrine de l'Evangile…

Notre ami, M. Niderberger, de Gladbach, m'envoie le récit de son pèlerinage à la Madone de Campocavallo. La Ste Vierge a souri à ses prières pour notre œuvre. Elle a semblé pleurer quand il lui a montré ma photo­graphie. Il pense charitablement qu'elle compatit à mes épreuves. Je pense, moi 148, qu'elle déplore mes faiblesses; je m'en humilie profon­dément et lui demande pardon de toute l'ardeur de mon cœur.

Ce récit me laisse une impression profonde, dont je voudrais profiter pour me convertir et me sanctifier.

Réunion des anciens élèves de St Jean. C'est toujours un bonne jour­née. Nous avons semé un peu de foi chrétienne dans ces âmes. Je de­mande pardon a N.-S. de n'avoir pas fait mieux.

Le Manuel social chrétien se publie avec les approbations de Mgr de Soissons24) et du card. Langénieux. Il paraît appelé à faire un peu de bien. Deo gratias!

Notre retraite. Elle est prêchée par le P. Tardif de Moidrey, profes­seur à jersey. Il nous donne à la lettre les exercices de St-Ignace. Les fruits de la retraite sont bien sensibles 149, puissent-ils être durables!

Réunion annuelle des œuvres diocésaines à N.-D. de Liesse.

Mgr nous remercie d'avoir publié le Manuel. Il nous demande de le compléter par une partie pratique, nous le ferons. - Je parle du Manuel, de sa composition et de son but. Beaucoup de congressistes l'achètent. Ils commenceront à étudier la question, ce sera, je crois, le meilleur fruit de ce congrès. - M. de Hennezel parle des Cercles, mais la question est déjà connue et la diocèse a donné à peu près sous ce rapport ce qu'il pouvait donner. - Le P. Charcosset nous donne un rapport intéressant et bien écrit sur les Cercles d'études sociales. C'est là une œuvre nouvelle qu'il faut développer. - M. Croisille, le vaillant et aimable rédacteur de la 150 Croix picarde revendique les avantages des vieilles méthodes d'apostolat. Il veut, je crois, animer la discussion. La conclusion est celle de St. Paul: Oportet hoc facere et illud non omittere (Mt 23,23). - M. Marchal dé­crit avec esprit un syndicat agricole. - M. le Mis (Marquis) de Trétaigne parle du crédit mutuel et des caisses rurales en financier consommé. Il dit ces choses trop savamment et l'œuvre si utile des caisses rurales sera encore trop peu comprise cette année. On y reviendra l'an prochain.

Le meilleur de ces réunions, c'est de passer une journée à N.-D. de Liesse et de s'y retremper dans la dévotion à Marie.

Le soir, je m'arrête à Couvron avec M. de La Tour du Pin. Nous cau­sons des œuvres et faisons de beaux 151 projets pour la continuation de nos études sociales.

J'apprends la mort de mon ami Palustre25). Rarement une mort m'a fait autant d'impression. Palustre avait 55 ans. Nous avions vécu ensem­ble autrefois pendant trois ans comme des frères. Nous avions fait en­semble les voyages d'Angleterre, d'Allemagne, d'Orient. Nous nous étions revus souvent depuis. Il était pour moi comme un demi-frère. Il part au jugement de Dieu, mon tour viendra. Il laisse une réputation d'archéologue et d'artiste. Il a présidé la Société française d'archéologie. Il a publié de beaux ouvrages et notamment son étude sur la Renaissan­ce en France. Mais ce qui vaut mieux, c'est qu'il était un homme de foi et qu'il est 152 mort chrétiennement.

Je vais à Fourdrain recevoir un frère à la vêture26) Je vais rarement maintenant à cette maison où nous n'avons plus d'œuvre pour le mo­ment.

Visite à Clairefontaine et Sittard. Il y a là de belles espérances, des en­fants et des jeunes gens ardents pour les missions. Le diable essaie bien de semer là-aussi l'ivraie du chauvinisme, qui crée des divisions. J'espè­re que le S.-Cœur de Jésus y maintiendra l'union nécessaire.

Réunion d'études sociales à Laon dans la belle salle du Cercle. Cette année ces réunions se tiennent à Laon. Nous y trouvons quelques ecclé­siastiques nouveaux, mais plusieurs des habitués de Soissons nous dé­laissent. Nous n'avons plus les messieurs Littière, les MM. Forzy, le chanoine 153 Duchatel. Nous préparons les chapitres pratiques que nous devons ajouter au Manuel.

Ce sont les anniversaires de mes ordinations, tonsure, sous-diaconat, sa­cerdoce. Le souvenir de mes premières messes m'apporte toujours des impressions profondes et des grâces de renouvellement mais pas autant que je le devrais si j'étais plus fidèle.

L'année s'achève, elle a eu pour moi des épreuves souvent cuisantes, des tentations, des faiblesses. Mon Dieu, pardonnez-moi encore, ne me rejetez pas. Je désire vous aimer. Je voudrais consoler le S.-Cœur de Jésus des tristesses infinies que je lui ai causées!

154 N.27) Cette année et les suivantes j'écris longuement mes récits de voyage qui encombrent mes cahiers, c'est parce que j'ai à fournir à la rédaction de la revue, et ces récits de voyage m'apportent un appoint im­portant.

155

Héraclée 31 mars
Metaponte, Tarente, Bari 1er avril
Brindes, Bari „    
Barletta, Cannes 2 avril
Canosa, Venosa „    
Le Mont Gargan „    
Lorette, Campocavallo 3 avril
Padoue, Milan, Monza 4 avril
Les Lacs „    
Zurich, Schaffouse 5 avril
Congrès ouvrier à Reims 12 mai
Le Salon, Argenteuil 16 mai
Congrès des Cercles 5 juin
Bar-le-duc
Réunion de Séminaristes au Val 2 juillet
Paray - L'oeuvre des Fastes 10 juillet
Congrès eucharistique à Reims 25 juillet
Réunion de prêtres au Val 6 août
Congrès de Liesse 2 octobre
Clairefontaine, Sittard 5 novembre
Laon, réunions d'études 5 décembre

1)
Louis II (825-875), empereur d’Occident (855-875). Fils aîné de Lothaire ler , nommé roi d’Italie par son père (844) et associé à l’Empire (849), il consacra sa vie à lutter contre les Sarrasins qu’il chassa de Bari en 871.
2)
Robert Guiscard («l’Avisé») (v. 1015 – Céphalonie 1085), comte (1057-1059), puis duc de Pouille, de Calabre et de Sicile (1059-1085). Fils de Tancrède de Hauteville, il rejoint en Italie (v. 1046) ses demi-frères Guillaume Bras de Fer et Onfroi, mais s’en­tend mal avec eux. Il enlève peu à peu aux Grecs la Calabre, écrase à Civitate les trou­pes du pape Léon IX, qu’il fait prisonnier, mais auquel il rend la liberté (1053). Ayant contribué à la conquête de la Pouille, il en devient comte à la mort d’Onfroi (1057). En échange d’un tribut annuel et d’un serment de fidélité, il obtient alors du pape Nicolas II, qui espère trouver en lui un allié utile contre les prétentions impériales, l’investiture des duchés de Pouille, de Calabre et, pour l’avenir, de la seigneurie de Sicile (1059). Il chasse les Byzantins de l’Italie du Sud (prise de Bari, 1071) et enlève la Sicile aux Sarra­sins avec l’aide de son frère Roger, qu’il crée comte de Sicile; mais il demeure son suze­rain et conserve Messine et Palerme, occupées en 1061 et 1072. Maître, dès cette époque, de la presque totalité des terres qui formeront le royaume de Sicile en 1130, Robert se consacre dès lors à leur pacification, brisant les révoltes lo­cales et mettant en place une administration assez puissante pour contraindre la féodali­té normande d’importation à se soumettre à l’autorité centrale. Excommunié par Gré­goire VII (1075) pour ses incursions en territoire pontifical, il s’empare d’Amalf, puis de Salerne (1076). Il accepte alors de se reconnaître vassal du Saint-Siège (1080); mais, au lieu de le soutenir dans sa querelle contre l’empereur Henri IV, il entreprend une expédition en Illyrie (1081-1082), dans l’espoir de s’emparer finalement de Constanti­nople; vainqueur de l’armé d’Alexis Comnène (1081), il occupe Durazzo (1082), mais il doit regagner l’Italie, son adversaire byzantin s’étant allié avec Henri IV, qui assiège Grégoire VII dans le château Saint-Ange (1083). Robert Guiscard délivre le pape (mai 1084); cependant, ses troupes pillent la Ville éternelle, ce qui contraint Grégoire VII à se réfugier finalement à Salerne, où il meurt (mai 1085), tandis que son protecteur, parti au secours de son fils Bohémond, occupe Corfou; Robert meurt durant le siège de Céphalonie (juill. 1085) (Larousse).
3)
Veuillot (Louis), publiciste catholique français, fondateur de «l’Univers» (1813­1883). Il écrivit «Les Odeurs de Paris», «Le Parfum de Rome». «Le pape et la diplo­matie», etc. Fougeux défenseur de l’ultramontanisme, il a montré dans ses livres, à cô­té d’inévitables partis pris, le talent robuste, hardi et clair d’un écrivain de race.
4)
Caprara (Giovanni Battista), card.: 1733-1810. Il fut nonce à Cologne, à Lucerne et puis à Vienne (1785-1792), où il se montra trop conciliant envers la politique ecclésia­stique de Joseph II. Il parvint à empêcher une rupture ouverte entre l’Autriche et le Saint-Siège. Créé cardinal par Pie VII (1792), il obtint l’évêché de Iesi (1800). Le con­cordat avec la France signé, Caprara fut désigné comme cardinal-légat chargé de son exécution. Certes, dans ses rapports avec Napoléon il ne se montra guère agressif, au contraire, en Italie il avait la réputation d’être cardinal jacobin. En tout cas, il s’acquit­ta avec dignité de sa considérable tâche. Toutefois, il ne réussit pas à empêcher la pro­mulgation des fameux 77 articles organiques jamais approuvés par le Saint-Siège. En 1802 Caprara fut transféré à l’archevêché de Milan où, le 26 mai, il couronna Napo­léon roi d’Italie. Il fut nommé sénateur et comte du nouveau royaume, tout en gardant l’autorité de légat pontifical. Il mourut à Paris le 21.05.1810 et fut enterré à Ste-­Geneviève.
5)
Mun (Albert comte de), né à Lumigny (Seine-et-Marne) en 1841. Il choisit d’abord la carrière militaire. Sorti de Saint-Cyr en 1862 il prit part à la guerre de 1870-1871. Prisonnier en Allemagne, avec le marquis de La Tour du Pin, il lut les œuvres de Mgr Ketteler et en fut profondément impressionné comme il fut impressionné par la violente répression de la Commune. Il se consacra donc entièrement à l’action politique et so­ciale, espérant réconcilier les ouvriers avec la société et les éduquer dans l’esprit de l’Evangile et contre le courant révolutionnaire. En 1871 il fonda les Cercles Catholi­ques ouvriers. La revue «L’Association catholique» (1876-1891) fut le moyen de diffu­sion de la doctrine sociale de de Mun qui évolua du corporatisme chrétien et du pater­nalisme vers l’union syndicale des patrons et des ouvriers. Plusieurs fois député (1876­1878; 1881-1893; 1894-1914). A. de Mun tenta en vain la constitution d’un parti ca­tholique (l’Alliance catholique, 1881). Monarchiste d’abord, il accepta, à l’invitation de Léon XIII, le Ralliement (à la IIIe République). Il fut alors considéré par la droite comme socialiste, les socialistes le regardant à leur tour comme réactionnaire. Orateur brillant, il contribua au vote de nombreuses lois en faveur des ouvriers et se battit con­tre la politique anticléricale de la IIIe République. Ses principaux ouvrages: Contre la sé­paration (1905) et Ma vocation sociale. A. de Mun mourut à Bordeaux le 06.10.1914.
6)
La Tour de Pin, René né à Arrancy (Aisne) le 1.4.1834 et mort à Lausanne le 4.12.1924. Il est le fondateur, en 1871, de l’œuvre des Cercles catholiques ouvriers, avec A. de Mun; il participa le 20.2.1885 au premier pèlerinage des industriels catholi­ques à Rome avec L. Harmel. Sa renommée, dans le domaine social, est due au fait qu’il est considéré comme le théoricien du corporatisme.
7)
Du Lac (Stanislas). – Né à Paris, le 21 nov. 1835, fils d’un conseiller référendaire à la Cour des comptes, il entra dans la Compagnie de Jésus en 1853. Il fut nommé rec­teur du collège du Mans en 1870; durant les batailles de l’Ouest, il hébergea dans cette maison, tour à tour caserne ou hôpital, plus de vingt mille soldats. En 1871, il succéda au p. Ducoudray, fusillé parmi les otages de la Commune, à la direction de l’école Ste-­Geneviève (rue des Postes, à Paris). A la suite de l’expulsion des jésuites, il devint rec­teur du collège Ste-Marie de Cantorbéry. Rentré en France (1889), il demeura à Paris ou à Versailles, sans charge de supérieur, mais exerça une grande influence. Ses rela­tions personnelles avec le général de Boisdeffre le signalèrent, lors de l’affaire Dreyfus, aux accusations de Joseph Reinach, dans son Histoire de l’affaire Dreyfus. Il prit une gran­de part au mouvement social des catholiques. Ami et directeur spirituel d’Albert de Mun, il facilita ses études et soutint son courage. Grâce a lui, Lyautey entra en rela­tions avec de Mun. En 1886, à la fondation de l’Association catholique de la jeunesse française, il sollicita Robert de Roquefeuil d’en accepter la présidence. En 1889, il de­vint aumônier de l’Œuvre des cercles et, l’année suivante, du syndicat de l’Aiguille, dont il fut un agent très actif. Il publia: Jésuites 1901, pour défendre son ordre, et France, 1888, où il recueillit des lettres écrites de Cantorbéry. Il mourut à Paris; le 30 août 1909 (C H A D).
8)
Durand (Louis). – Né le 15 oct. 1859, mort le 16 oct. 1916. Avocat à la cour d’ap­pel de Lyon. Un des pionniers du catholicisme social dans les milieux agricoles entre 1880 et 1900. Un des fondateurs et animateurs, avec Émile Duport, de l’Union du Sud-Est des syndicats agricoles. Ami de Marius Gonin et de la Chronique sociale. Se consacra surtout aux problèmes de crédit agricole et adapta à l’agricolture française le système des caisses rurales de crédit mutuel dû au catholique social allemand Raiffei­sen. D’où le nom de Caisses Raiffeisen-Durand porté aujourd’hui encore par ces cais­ses (elles furent, par la suite, adaptées aux conditions canadiennes par M. Desjardins). Le système des caisses agricoles devait mieux réussir en Suisse, en Belgique et au Cana­da qu’en France. Louis Durand prit aussi une part importante à la fondation de la So­ciété coopérative agricole, dont il rédigea les statuts (1893). Il a laissé un ouvrage sur la question du crédit agricole, devenu classique: Le crédit agricole en France et à l’étranger, Pa­ris, 1891. Autres ouvrages: Essai de droit international privé, Paris, 1884; La philosophie du droit, traduit de l’Italien, de D. Lioy, Paris, 1886 (C H A D).
9)
Le Cour Grandmaison (Charles). – Né à Nantes le 12 févr. 1848; mort à Paris le 17 janv. 1901. Ardent catholique, fidèle aux traditions de la monarchie, il a tout de suite marqué la voie où il allait s’engager en mêlant à ses activités d’homme d’affaires des préoccupa­tions sociales qui firent de lui un des émules les plus laborieux et persévérants d’Albert de Mun. Dès 1877, il est conseiller général de Vertou, dans la Loire-Inférieure, où se déroula sa carrière politique. Député de 1884 à 1893, sénateur de 1895 à sa mort, il traduit en actes ou, en tout cas, en interventions qui prennent date, sa volonté de soustraire le monde contemporain aux rigueurs abusives du libéralisme économique. Avec plusieurs de ses amis, il attache son nom à des propositions de loi qui visent à adoucir le travail des enfants et des femmes, à protéger les salaires, à faciliter l’arbitrage des conflits entre patrons et ouvriers. Institutions de prévoyance, assurances et retraites ouvrières, organisation corporati­ve (une de ses grandes idées) sont des matières qui retiennent son attention et pour les­quelles il se dépense. Il intervient vigoureusement au Sénat dans les débats relatifs à la loi de 1898 sur les accidents du travail. On a dit qu’avec lui «le catholicisme social était entré dans la Haute Assemblée» (H. Rollet). Deux points révèlent particulièrement la fermeté courageuse de Le Cour Grandmai­son et son désintéressement. Plus d’une fois il a pris ses positions sociales en désaccord avec des amis politiques qui le jugeaient trop «hardi». D’autre part, songeant à la dis­proportion entre ses efforts et leurs résultats immédiats, voire inscrits à son actif, Geor­ges Goyau a pu le placer au premier rang de ces «initiateurs catholiques qui laborieuse­ment, presque obscurément, jetèrent des germes et laissèrent à d’autres, non catholi­ques, l’honneur des moissons» Très intéressé par les questions du travail en Angleterre, Le Cour Grandmaison avait traduit en 1892 l’ouvrage de G. Howell sur les Trade-Unions et publié plusieurs études relatives aux conseils d’arbitrage et à la législation sur les associations ouvrières dans ce pays (1883) (C H A D).
10)
Perriot (François) né le 2 août 1839 à Pressigny (Hte-Marne), mort à Langres le 25 mai 1910. – Issu d’une famille profondément chrétienne, il fit de brillantes études au petit et au grand séminaire de Langres. Ordonné prêtre, le 28 juin 1863, il fut nommé professeur d’humanités à la célèbre maîtrise, où il donnait déjà des cours; en cette oasis musicale, il approfondit l’étude du plain-chant, s’initia à l’harmonie et à la composition du genre palestinien. En avril 1869, il devint professeur d’histoire de l’Église au grand séminaire; en 1870, maître de chant, professeur de théologie dogmatique et maître de cérémonies à la cathédrale; en 1878, supérieur du séminaire. En avr. 1892, Mgr Larue lui retira sa fonction. Il avait publié, en 7 volumes, un cours complet de théologie dogmatique, Praelectiones theologiae dogmaticae, Langres 1876-1886, refondant totalement les synopses existantes. La doctrine en est pénétrante, claire, déductive et très analytique, mais les textes de l’Écriture et des Pères ne sont pas assez mis en valeur (lacune d’autodidacte). Écarté du séminaire, il se consacra tout entier à L’Ami du Clergé (1, 46 so.), dont il était le «guide doctrinal» et auquel il donnait déjà beaucoup de son temps: son expèrien­ce de la formation des prêtres, sa psychologie, sa spiritualité éclairée y trouvaient leur emploi. L’attachement à l’Église l’engagea dans l’apologétique populaire. Les Lettres à mon frère sur le concile œcuménique du Vatican en justifient la convocation (Semaine religieuse du dioc. de Langres, 1870, 14 lettres, entre p. 19 et 365); puis, avec un laïque, il fonda, pour un temps, un journal local de «défense sociale et religieuse»; ultérieurement il collabora à La Croix de la Haute-Marne. En 1877, il publia, dans L’Univers, une série d’articles soli­des, assez «orientés», sur le libèralisme doctrinal, qui s’affichait alors massivement. Le commentaire de Rerum novarum manifeste un sociologue profond et réaliste; ses ex­posés concernant la personne humaine, la propriété privée, les monopoles, le rôle de l’État, le travail, le salaire et sa justice impérieuse restent d’une lucidité actuelle. Ami de Léon Harmel, il collabora au Catéchisme du patron et, «des 1887, des séminaristes de Langres» venaient au Val-des-Bois «discuter avec Harmel des problèmes sociaux» (P. Pierrard, L’Église et les ouvriers en France (1840-1940), (1984, p. 368, 372) (C H A D).
11)
Léon Harmel, dit le «Bon Père» (1829-1915), un des hommes les plus extraordi­naires du XIX siècle. Industriel filateur du Val-des-Bois (Marne), il est connu comme le précurseur de l’action sociale chrétienne en France. Il était grand ami du Père Dehon (cf NHV X, 69-70, 156, 159, 161-162, 165 et 170-171; XI, 100 et 127; XII, 48, 63, 66­67 et 69; XIII, 46 et 65; XIV, 40; XV, 59 et 66).
12)
Charcosset (Claude: 1848-1912) naquit à Chissey-les-Màcon (Saône-et-Loire) le 20 juillet 1848. En 1874 il est ordonné prêtre et nommé vicaire de Charolles, paroisse du diocèse d’Autun. Par la suite il fut mis en relations avec Mère Marie Véronique (Lio­ger), et à sa mort il entra chez nous le 8 décembre 1884. Pour la Noël, le P. Charcosset fut reçu novice par le P. Dehon à Saint-Quentin et prit le nom de Barnabé. Le 26 dé­cembre 1885 il émit ses premiers vœux. Dix années durant il occupa les hautes fonc­tions d’Assistent Général de notre Institut, et le 29 décembre 1912 il mourut à Nice. (cf NHV XII, 170: XIV, 126 et 128; XV, 16, 20-22 et 66).
13)
Ségur (Gaston, de) né à Paris en 1820, fils de la célèbre comtesse de Ségur (Sophie Rostopchine) qui a écrit beaucoup de beaux livres pour les enfants. Gaston fut éduqué surtout par sa grand-mère maternelle, convertie elle aussi de l’orthodoxie. Il s’orienta vers le sacerdoce et fut ordonné en 1847. Auditeur de la Rote à Rome en 1852, il fut un confident de Pie IX. Il devint aveugle en 1853. Il fut nommé chanoine-évêque du cha­pitre de St.-Denis sans recevoir la consécration épiscopale à cause de sa cécité. Il prêcha beaucoup comme chapelain du collège Stanislas et confesseur de nombreuses commu­nautés religieuses. Il a beaucoup écrit sur des sujets ascétiques et apologétiques. Il est mort en odeur de sainteté à Paris, le 9.6.1881.
14)
Mermillod (Gaspard: 1824-1892) naquit le 22 septembre 1824 à Carouge, aux por­tes de Genève. Il fut ordonné en 1847 et nommé vicaire à Saint-Germain, la seule pa­roisse de Genève. Le 22 septembre 1864 il devint évêque d’Hébron in partibus et auxi­liaire de Mgr Marilley, évêque de Lausanne et Genève. Exilé entre 1873 et 1883, il ne resta pas inactif, mais il prêcha beaucoup en France. Léon XIII au consistoire du 23 juin 1890 le créa cardinal du titre des Saints Nérée et Aquilée. Il mourut à Rome le 23 février 1892. Gaspard Mermillod a exercé sur les âmes de son siècle «une action dont il n’y a pas d’exemple dans l’histoire» (cf NHV 1, 61r; VI, 116; VII, 14, 34, 46, 55, 125 et 159; VIII, 38-39, 58 et 61; XI, 31-32; XIII, 33, 102,103, 180-185; XIV, 70: XV, 60). Bartolini (Dominique. 1813-1887) naquit à Rome le 16 mai 1813. Avant d’être revêtu de la pourpre, il avait été successivement chanoine de la basilique mineure de Saint­-Marc, votant de la Signature, Secrétaire de la Sacré Congrégation des Rites. Le Pape Pie IX le créa et le publia cardinal diacre du titre de Saint-Nicolas in carcere, dans le consistoire du 15 mars 1875. Il opta pour le titre de Saint-Marc, dans le consistoire du 3 avril 1876, en passant dans l’ordre des prêtres. Parmi les qualités de cœur dont le car­dinal Bartolini était doué, on citait sa générosité. Son hospitalité était proverbiale. Il mourut à Florence le 2 octobre 1887 (cf NHV IX, 37).
15)
Langénieux (Benoît-Marie: 1824-1904) naquit à Villefranche-sur-Saône (Rhône) le 15 octobre 1824. Il reçut sa formation sacerdotale au Séminaire de Saint-Sulpice et fut ordonné prêtre le 21 décembre 1850. Après la guerre (1870-1871), Mgr Guibert, suc­cesseur de Mgr Darboy, le prit comme vicaire général. Le 25 juillet 1873, il fut élu évê­que de Tarbes, et le 21 décembre 1874 nommé archevêque de Reims. Le 7 juin 1886 il fut créé cardinal-prêtre du titre de Saint-Jean de la Porte-Latine. Il est dit «le cardinal des ouvriers». Pour le ralliement à la République, il se conforma aux instructions de Léon XIII, et au sujet des décrets fiscaux contre les Congrégations, il s’opposa avec énergie. Il mourut le 31 décembre 1904 au retour de Rome. Il était ami et protecteur du P. Dehon (cf NHV XI, 149; XII, 150; XIII, 46-47, 50 et 65; XIV, 103, 133-134, 136, 139-142, 179 et 181; XV, 7, 10, 46-47, 60-64, 66, 69 et 80 et NQIII, 64: 26 octo­bre 1886; NQIII, 83: 8 janvier 1887; NQIII, 115: 14 septembre 1887; NQIII, 118: 24-25 octobre 1887; NQ IV, 18v: 1 février 1888; NQ IV, 28r: 14 mars 1888).
16)
Lecot (Victor-Lucien-Sulpice: 1831-1908), évêque de Dijon: 1886-1890 archevêque de Bordeaux: 1890-1908. Cardinal: 12.6.1893.
17)
Doutreloux (Victor Joseph), évêque. Né à Chênée (Liège, Belgique) en 1837; études à l’université Grégorienne où il obtient le doctorat en théologie. Ordonné prêtre en 1861, vicaire général à Liège en 1874, succède en 1879 comme évêque de Liège à Mgr de Montpellier. Lutta beaucoup pour l’école catholique. Il diffusa le culte au Cœur du Christ et le culte eucharistique. Il s’intéressa beaucoup à la question sociale. Trois con­grès sociaux se tiendront à Liège. Sa pensée évolua de la responsabilité patronale à la participation autonome des ouvriers. Il soutint pour cette raison le chan. Pottier et l’école de Liège ainsi nommée contre celle d’Anger de Mgr Freppel. Il mourut après une vie intense d’activité en 1901.
18)
Lagrange (Albert; en religion Marie Joseph) – né à Bourg-en-Bresse (Ain) le 7 mars 1855. Après des études de droit couronnées par le titre de docteur, il entra en oct. 1878 au séminaire de S.-Sulpice à Issy, où il se lia d’amitié avec les abbés Batiffol et Hyver­nat; mais, le 5 oct. 1879, il prit l’habit dominicain au noviciat de la province de Tou­louse à S.-Maximin (Var). Il émit sa profession religieuse le 7 oct. 1880. Il fit ses études de théologie au couvent de San Esteban et à l’université de Salamanque et fut ordonné prêtre le 23 déc. 1883 à Zamora (Espagne). Après quelques années d’enseignement à Toulouse, il fut envoyé en 1888 à l’Université de Vienne où il étudia l’assyrien et l’hé­breu avec D. H. Müller, l’égyptien avec Reinisch, l’arabe avec Wahrmund. Moins de deux ans après, ses supérieurs lui confièrent la fondation d’une École biblique attachée au couvent dominicain qui s’était installé quelques années auparavant sur le lieu tradi­tionnel du martyre de S. Étienne à Jérusalem. «L’École pratique d’études bibliques» ouvrit le 15 nov. 1890. Elle demeura le centre de la vie, du travail et des affections de son fondateur. Il en fut le directeur de 1890 à 1923, puis de 1931 à 1935. Il y enseigna pendant 45 ans, interrompus seulement par 10 mois d’exil en France (sept. 1912 juin 1913) et par la première guerre mondiale. Il y forma un groupe de disciples qui, peu à peu, le déchargèrent d’un enseignement qu’il assuma d’abord presque entièrement. Dès l’origine, il avait clairement fixé les tâches et la méthode de son École: on y étudierait la Bible dans le pays de la Bible, avec toutes les rigueurs de la critique textuelle et littéraire, avec tout l’équipement des langues bibli­ques et orientales, avec toutes les ressources de la géographie, de l’histoire, de l’archéo­logie, toutes ces études étant placées sous le contrôle et au service de la théologie. L’École n’a jamais dévié de ce programme. Le père Lagrange mourut le 10 mars 1938 (C H A D).
19)
Lémius (Jean-Baptiste). – Né à Montfort-en-Chalosse (Landes) le 23 mai 1851, décédé à Talence (Gironde) le 23 juill. 1938. Entré chez les Oblats de Marie Immaculée en 1871, prêtre en 1876, successivement professeur au scolasticat des Oblats et prédica­teur de missions paroissiales, il devint, en 1891, supérieur des chapelains de N.-D. de Pontmain et fonda, en 1892, le Annales de Pontmain. Supérieur des chapelains de Mont­martre, de 1893 à 1901, il lança avec succès une souscription pour la construction du dôme de la basilique, créa l’œuvre des «Pauvres de Montmartre», donna un grand es­sor à l’adoration de jour et de nuit à Montmartre et la fit rayonner en France et dans le monde. Il lança, avec M. Degrelle et l’abbé Reymann, l’«Union catholique du person­nel des chemins de fer» (1898); le mensuel Le drapeau du Sacré-Cœur (1898-1903); l’asso­ciation «Les hommes de France au Sacré-Cœur» (1899). Il devint ensuite provincial de la province de Paris et poursuivit, jusqu’à sa mort, une active carrière de prédicateur, participant à de nombreux congrès eucharistiques nationaux et internationaux, ainsi qu’au «Vœu de l’univers catholique au Sacré-Cœur», dont il avait rédigé la formule. Le P. Lémius fut un grand apôtre du Sacré-Cœur, à la manière de son époque. Il fut avant tout un orateur puissant (C H A D).
20)
Le card. Langénieux, arch. de Reims.
21)
L’abbé Paul Six est le fondateur de La Démocratie chrétienne, revue mensuelle, fon­dée à Lille. En mai 1894, avec les abbés Glorieux, Ninke, Bataille, Dehon, Leleu, Vanneufville, Tiberghien, elle succédait à Terre de France. Sociale, démocratique et chrétienne, elle en­tendait coordonner les activités qui, notamment dans le pays industriel et chrétien du Nord, travaillaient à résoudre les problèmes sociaux. Son programme comportait des principes généraux: justice sociale, religion, famille, propriété; des réformes économi­ques: relèvement de l’agriculture, organisation professionnelle; des réformes politi­ques: représentation professionnelle, décentralisation. Menée par des hommes hardis et prudents, d’une incontestable compétence doctri­nale et sociale, la revue fut un élément essentiel du progrès des idées sociales chrétien­nes. Se tenant près de l’autorité pontificale, elle se garda des excès où quelques-uns s’égarèrent. En 1897, elle fit partie de la réunion des Revues sociales catholiques, qui grou­pa sept publications pour établir un programme commun. Elle appuya les Semaines so­ciales dès leur fondation. A son avènement en 1903, Pie X bénit l’abbé Six en encoura­geant sa thèse en faveur des syndicats parallèles de patrons et d’ouvriers. La revue di­sparut en 1907 en se donnant pour héritière La Chronique du Sud-Est, qui est devenue, en 1909, La Chronique sociale de France. En 1907, La Chronique du Sud-Est avait été doublée par un hebdomadaire, La Démocra­tie du Sud-Est, avec Gonin comme directeur et Valensin pour secrétaire; mais elle ne du­ra pas (C H A D).
22)
Naudet (Paul). – Né à Bordeaux le 27 juin 1859, d’un père cordonnier, fils ainé de quatre enfants. Enfance pauvre et studieuse, dont la lecture est le plaisir favori. Deux prêtres exercent sur lui une influence décisive: son oncle paternel, qui l’accueille l’été dans sa cure de campagne, et l’Abbé Estève (1851-1891), dont il a écrit la vie et qui, mort prématurément, lui légua ses rêves de justice et de démocratie. Études classi­ques, au petit et au grand séminaire, ordination sacerdotale en 1883. Professeur au pe­tit séminaire de Mussonville, il pense à une carrière classique. Un carême prêché en 1891 dans la banlieue de Bordeaux l’entraînera sur une voie nouvelle et imprévue, hors des chemins battus: l’église est pleine, mais de femmes, sans un seul homme; il organise alors une réunion publique qui est un franc succès mais ne lui vaut pas un seul auditeur le lendemain à l’église. Dès lors, il ira chercher les auditoires populaires sur leur terrain et prendra l’habitude d’y affronter les dirigeants socialistes. A l’heure de Rerum novarum et du Ralliement, il se révèle comme un orateur influent, pionnier de la jeune «démo­cratie chrétienne» et l’un de ces «abbés démocrates» qui vont devenir la bête noire des conservateurs. A la demande de Léon XIII, il prend en octobre 18941a direction d’un quotidien en difficulté, Le Monde, mais ne réussit pas à le sauver et, en juillet 1896, ac­cepte sa fusion avec l’Univers, lui aussi en situation précaire. Il aura plus de chance avec un hebdomadaire. La Justice sociale (1893-1908), qui disparaîtra dans la crise moderni­ste, après condamnation, le 13 févr. 1908, par le Saint-Office. Les beaux jours de la Démocratie chrétienne durèrent peu: avant Pie X, Léon XIII se chargea lui-même de tempérer ses enthousiasmes (encyclique Graves de communi, 1901). Le Sillon de Marc Sangnier et l’Action libérale populaire de Jacques Piou se partagè­rent ses dépouilles. L’Abbé Naudet continua, en «missionnaire apostolique» hors ca­dre, sa carrière de journaliste, de conférencier, de prédicateur et aussi de professeur au Collège libre des sciences sociales où, de 1897 à 1925, il occupa une chaire de doctrine sociale catholique. Ce dernier enseignement lui fut beaucoup reproché: à cause de son orientation; plus encore à cause de l’institution, initiative privée accueillante à toutes les familles de pensée que n’effarouchait pas la présence de libres penseurs notoires et de rationalistes. Le talent, la générosité, la bonté, la pieté de l’abbé Naudet sont incontestables, malgré les attaques sans ménagement que lui valurent ses positions engagées: sur le plan social et politique, la cause populaire, la démocratie chrétienne, le régime républicain, «l’esprit nouveau» appelé à régler les rapports de l’Église et de l’État, des croyants et des laïcs: mais aussi sur le plan religieux, de l’américanisme au modernisme. Il appartenait à une époque où l’on pouvait être sans contradiction un prêtre très traditionnel dans ses habitu­des et en même temps d’idées très avancées. De ce point de vue, son comportement ap­pelle une observation. Il ne fut pas, comme d’autres prêtres en ces années difficiles, un «nicodémite», dissimulant ses sympathies modernistes sous une apparence orthodoxe; il les manifesta au contraire ouvertement, vulgarisant les thèses modernistes jusqu’à leur condamnation par l’encyclique Pascendi en 1908 (Nos Livres Saints. Lettres à un intellectuel, Paris 1906). Ensuite, il fut prudent: ne voulant ni se désavouer, ni se retirer du combat, ni provoquer une nouvelle condamnation, il choisit l’anonymat (Ce qu’on a fait de l’Église, Paris 1913). Bientôt la guerre mit fin à ces débats. Il entra dans le silence et mourut dans son diocèse, où il s’était retiré, le 15 oct. 1929). (C H A D).
23)
Le P. Barnabé-Charles Charcosset, dehonien, cf. NQ vol. 2°, note 12, pag. 609.
24)
Duval (Jean-Baptiste-Théodore), évêque, né au Havre le 6.7.1824, élu évêque de Soissons le 30.12.1889. Consacré évêque à Rouen le 24.2.1890, entra solennellement à Soissons le 16.3.1890. Il venait de la pastorale: il avait été en effet curé là Notre-Dame du Havre. Il demeura évêque de Soissons jusqu’à sa mort: 23.8.1897. Il fut la cause de beaucoup de souffrances pour le P. Dehon.
25)
Cf. NQ vol. 2°, note 5, p. 604.
26)
Probablement Edouard Gorrée, né à Boulogne le 9.4.1853, entré le 3.9.1894, il prit l’habit le 2.11.1894 et quitta l’Institut en mai 1895
27)
Note ajoutée ultérieurement.
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