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21ème CAHIER (29.9.1906 – 6.11.1906)

1

Notes quotidiennes

Je passe devant la loge maçonnique. C'est une maison prétentieuse, une sorte de mairie avec ses insignes au fronton: un pélican et un trian­gle, symboles de bienfaisance et d'égalité. La loge est sur la grand-place non loin de l'église. Les maçons aiment cela au Brésil. Ils ne se cachent pas comme les nôtres. Ils sont moins sectaires. Mais je crois que les co­lons italiens leur apporteront l'esprit de là-bas.

Visite au cimetière. C'est un vrai jardin, fort bien tenu. Nos deux Pè­res Nesselrath et Hoffmann1) reposent là sous des arcades appelées cata­combes, 2 auprès de deux petits enfants du Dr Brito. En prévision de ma visite, les Soeurs ont gracieusement orné ces tombes de fleurs.

Visite aux Soeurs brésiliennes de la Soledad. Ce n'est pas une vraie congrégation. C'est une sorte de béguinage ou de refuge, avec la cohabi­tation, sans voeux. On voit cela en plusieurs villes au Brésil. Ces bonnes filles tiennent une petite école et font de la couture. Elles sont très pau­vres et peu lettrées. Leur église est un nid de chauves-souris. Elles ont au parloir l'armoire-sanctuaire (les dieux lares) avec des statuettes et des images de toutes sortes.

On y a fait un S.-Cœur avec un Ecce Homo. Je le demande comme souvenir. 3 Je visite aussi la filature. Le gérant parle anglais. Il y a 300 ouvriers. On y travaille le dimanche. Le moteur se chauffe au bois. On fabrique des sacs pour les sucreries. Le Dr Brito n'a pas encore pu intro­duire là les œuvres catholiques.

Dans la soirée, le gérant de l'usine et les Soeurs de la Ste-Famille me rendent ma visite.

Le dimanche 30, je dis la messe au Carmo à 5 heures, et j'y distribue 40 communions.

C'est grande fête à l'usine toute la journée. Un train spécial vient nous prendre. Le matin, grande messe et bénédiction de l'école; l'après­midi, compte-rendu de la Corporation et fête foraine.

Tout est vie, joie et progrès dans cette belle usine, malgré la crise des sucres. On y prépare une autre fête prochaine, la botada, mise en train de la saison de travail. 4

On travaille sur une grande échelle et il y a des profits malgré le bas prix des produits. Le Dr Brito est un homme superbe, grand et fort. Il est instruit et organisateur. Il dirige ses vastes propriétés comme un royaume. Il a de beaux enfants, grands et petits. La maison de famille est simple et sans luxe.

Aujourd'hui toute la population ouvrière est réunie. Les lignes de tramways servies par quatre locomotives vont chercher les 200 enfants des écoles dans toutes les vallées.

Le Dr Brito a un bon auxiliaire, le Dr Passos (Luiz de Brito) ingé­nieur, neveu de l'Evêque. C'est lui qui organise la fête.

Les environs de l'usine ont de beaux arbres, en particulier quelques palmiers-éventails. Des plantes 5 à feuilles rouges (Lingua de papa­gaio) semblent toujours en fleurs.

Après la bénédiction des nouvelles salles de la Corporation, la séance de compte-rendu commence. On exalte M. de Menezes et le Dr Brito et on installe leurs portraits. On me lit des compliments. Je réponds. On m'offre des fleurs. Les enfants chantent et déclament. Puis c'est le compte-rendu. La Corporation est organisée sur le modèle de celle de Camaragibe. Son budget comprend 10 contos de la Compagnie et 12 pris sur les salaires. Les œuvres sont les mêmes: culte, écoles, hygiène, récréations, secours mutuels, etc.

Grande fête foraine: courses à pied, en sacs, sur 6 les moutons, tir aux pigeons etc. Le soir, illumination vénitienne, tombola, feu d'artifice, mon­golfières. L'une d'elles porte dans les airs des pièces d'artifice qui s'allu­ment à point. Tout est bien réussi grâce au savoir faire du Dr Passos. Puis les trains fonctionnent pour reconduire le peuple dans toutes les directions.

Le 1 octobre, retour par la forêt. Nous faisons lever des volées de mer­veilleux oiseaux, notamment des Gallos de campinha, rouges et bleus. Le Dr Brito nous accompagne sur le tramway. Il nous montre avec sa­tisfaction ses beaux champs de cannes. En variant les espèces et les plan­tations, on espace la récolte sur quatre ou cinq mois. 7 Cela permet de prolonger le travail de l'usine. Nous mangeons en chemin des gravata, fruit fin cueilli sur une sorte d'aloès (bromelia).

Je note quelques noms d'arbres, de plantes et de fruits rencontrés dans cette excursion.

La gameleira, arbre colossal, ficus coliaria.

Le sabonete (saponaira), dont le suc contient de la Butta. C'est aussi un bel arbre.

Le jaca ou Jacquier, grand arbre, qui donne des fruits énormes atta­chés au tronc.

Le cajueiro (tricospenum), donne des fruits agréables, le caju.

Le saputi (saputa) donne une espèce de poire.

Le mamoeiro (papaya) donne le mammon, gros fruit qui contient de la pepsine. 8

L'abocateiro (laurus persica) donne l'abacati, fruit délicat à gros noyau.

Le pinho (anona squamosa) donne des pommes de pin dont la partie charnue a une saveur délicate.

Il y a aussi de beaux arbres à fleurs, le flamboyant, toujours empour­pré, le quiabo (hibiscus) à fleur mauve.

L'abacaxi est une plante épineuse qui donne les délicieux ananas.

Le feijoa (phaseolus vulgaris) est la petite fève chère aux Brésiliens. On mange divers concombres, comme légumes ou comme fruits.

Le girimu (cucurbita major) a la saveur de la carotte.

Le xuxu (chouchou - cucumis flexuosa) est une plante grimpante qui donne de petits fruits très fins qu'on peut cuire soit au vinaigre soit au sucre. 9

Le 2 et le 3 octobre les Pères de toute la région sont réunis à Vârzea. Je les vois en particulier, je leur adresse une exhortation et je fais les changements qu'il y a lieu de faire pour leurs résidences.

Nous sommes heureux et joyeux d'être réunis.

Le P. Graaff restera supérieur de la mission du Nord.

Les Pères Angelus et Wolff travailleront à Goyanna [Goiana].

Les Pères Schimansky et Bousquet à Vârzea avec le P. Graaff.

Les Pères Longin, Xavier Thuet et Roblot à San José de Lage.

Les Pères Bernard Wedemeyer et Placide Boesten à Camaragibe.

Les deux Cottard à Poco.

Le P. Ludvinus Richters à San Laurenço2). 10

Le plupart s'en vont dans la journée du 3. Le soir, dîner chez M. d'Almeida. Belle réception à la Brésilienne.

Le 4, je vais visiter Olinda. Quelle belle végétation sur la route! On trouve là les vieux jardins d'Olinda et quelques arbres séculaires, vestige de l'ancienne forêt.

Les manguiers sont les arbres les plus gros de la région. Ils ressem­blent à nos vieux chênes de France. Les jacquiers sont moins forts mais ils ont un plus beau feuillage, de belles feuilles larges et glacées. Les fruits du jacquier, attachés au tronc pèsent jusqu'à 24 livres. La Provi­dence s'est bien gardée de les attacher aux petites branches. 11

Le cajueiro donne de bons fruits, la pomme-cajou. Ce n'est pas cet ar­bre là qui donne le beau bois d'acajou. C'est un autre arbre de l'inté­rieur et que le peuple appelle mogno. Le cabaceira donne les calebasses, c'est un arbre de moyenne grandeur, comme le goyavier (goiabeira), qui donne de belles fleurs blanches et d'excellents fruits.

On cultive dans les jardins et les champs qui avoisinent la route, le manioc (mandioca), sorte d'euphorbiacée, dont se nourrissent les sept­huitièmes des habitants. Il y en a, dit-on, 30 espèces au Brésil.

Les bananiers abondent. Un beau pied peut porter 150 12 fruits pe­sant 70 livres.

On plante aussi les patates douces et les ignames. Des champs de ricin produisent l'huile à brûler.

Des pervenches tapissent agréablement les murs.

Les buissons réunissent les orangers épineux, les liserons, les jasmins, les lianes, la fleur de la Passion (passiflora), avec une belle fleur rouge et un fruit analogue à nos nèfles.

Le mamoeira (papayer) pousse naturellement dans toute la région. C'est un arbre au suc laiteux, dont le tronc lisse est couronné au sommet par un bouquet de feuilles découpées comme celles du figuier. Le fruit ressemblant à une courge 13 jaune est très digestif. On le mange avec du sucre.

Le bananier n'exige pas de culture non plus. Il donne ses fruits, meurt et repousse au pied. Un arpent de bananiers peut nourrir 50 personnes. Coupé, le bananier reproduit après cinq ou six mois.

Olinda est une ville morte. Recife s'est développé à ses dépens. Il en était déjà ainsi il y a un siècle, d'après les mémoires de Tollenaere pu­bliés récemment.

Olinda a 21 églises et peu de prêtres. Il y a deux Bénédictins dans la grande abbaye. Les Franciscains ont trois prêtres qui tiennent la pa­roisse.

Je vais tout droit chez les Bénédictins, qui nous reçoivent avec 14 amabilité et nous font dîner.

Le monastère de Sâo Bento est une belle abbaye du XVIIIe siècle. Beau jardin, belle vue, vaste église avec un grand autel doré qui ne man­que pas de beauté dans son genre.

Le monastère se nettoie et se restaure. Il était abandonné. Tout y est mangé aux mites (aux cupim), poutres et fivres. Quels dégâts dans la bi­bliothèque! Six Pères allemands s'y sont aventurés, il y a cinq ans. Ils sont morts en deux ans.

On assainit, on égaie la maison. Les marais environnants sont dessé­chés par la ville. Le couvent va se repeupler.

Mgr Fabricius dirige le collège que nous avions essayé de 15 reprendre en ville. Il a eu l'amabilité de m'accompagner pour visiter tout Olinda. Son collège est bien tenu. Il a pour auxiliaires deux prêtres et cinq ou six laïques. 90 élèves. Tables séparées. Enfants traités avec di­gnité. Locaux de l'ancienne Ecole de droit.

Cathédrale modeste et basse du XVIIIe siècle. Beaux azulejos (faïences) représentant les mystères de N.-S. - Meubles de sacristie en palissandre.

San Francisco, paroisse.

Deux églises, celle du couvent et celle du tiers-ordre. Azulejos plus fins: vie de la ste Vierge, de st François, scènes d'engenho dans les cou­loirs.

En haut de la ville, le séminaire. Grand établissement 16 dans un site superbe. C'est là que nous tenions le collège. Maison bien tenue. 130 élèves, grands et petits. Plusieurs professeurs ont étudié à Rome. Belles vues de tous les balcons sur la mer, la campagne, la forêt, la ville et le port de Recife.

Si nous avions pu tenir là, nous aurions un des plus beaux postes du Brésil. Vers la mer, sur un petit cône (un morro) l'ancien couvent des Carmes. On le démolit, sauf l'église.

Il y a encore des Bénédictines à la Misericordia et des Vincentines bel­ges à l'ancien palais épiscopal.

L'écrivain hollandais, Tollenaere, reçut autrefois l'hospitalité chez les Carmes, comme je la reçus 17 chez les Bénédictins. On lui offrit du bon poisson, des fruits, du vin de Porto. Il trouve ces moines instruits et avides des nouvelles de France. Il les fit causer sur l'intérieur du Brésil, qu'ils connaissaient bien. Il défend ces moines dont l'opinion demandait l'expulsion du Portugal et des colonies. Il constate qu'ils ont encore un grand empire sur le peuple qui les vénère. Il justifie les jésuites, qui furent les vrais conquérants du Nouveau Monde et que le Portugal a expulsés.

Les Carmes et les Bénédictins avaient des esclaves. L'église, dit-il, était ornée d'oripeaux ridicules comme les autres églises en général. Olinda va sans doute reprendre vie. Elle devient une station 18 de bains de mer de Recife.

Sa plage s'y prête. Le chemin de fer y arrive, on ouvre une avenue, on construit des pavillons et des hôtels. Olinda se relèvera comme servante de Recife dont elle fut Jadis la matrone.

Le 5, c'est le 1er vendredi. Repos, retraite. Des lettres m'apportent quelques nouvelles de France et me confirment la mort de Mgr Dera­mecourt3).

Je me promène l'après-midi à la campagne. Les paysans sont simples et aiment à causer. Nous demandions à un jeune homme son âge, la date de sa naissance. C'était au mois de Sainte Anne, nous dit-il. Le peuple n'a pas comme nous le respect exagéré des 19 noms classiques, de Ja­nus, de Mars, de Jules César, d'Auguste, etc. Mez de Santa Anna, c'est juillet; mez de San Juan, juin; mez das dores (de N.-D.-des-7-douleurs), c'est septembre; mez das almas (mois des âmes) c'est novembre; ruez da festa (mois de la fête par excellence, Noël), c'est décembre. On com­prend les noms de mez de Sâo José, mez mariano.

Le 6, excursion à Jaboatâo, où les Salésiens ont leur école agricole. Ja­batâo est une des meilleures bourgades de la province à une heure de 1/2 de chemin de fer de Recife. Grand marché. Beau site sur les collines.

La maison salésienne est à la campagne. Nous aurions pu 20 y aller de Jaboatâo à cheval ou même en voiture. Le bon Père Jordan a cru mieux faire de demander le trolley du châtelain du coronel. Nous mon­tons sur le trolley que deux hommes vont pousser sur les rails de l'usine. Ils ont d'abord des commissions à faire: 3/4 d'heures d'attente.

Enfin nous partons. Il y a des réparations à la voie, nous rencontrons un wagon de ballast, comment faire? On parlemente. Il faut décharger le ballast et sortir le wagon pour nous laisser passer. Les ouvriers mau­gréent et se décident. On arrive enfin.

Nous avons mis deux heures pour faire 4 kilomètres. Le dîner est froid. Le P. Jordan se confond en excuses; cela ne fait rien. 21 Il faut entendre la musique, les compliments, prendre le bain d'usage. Enfin l'on dîne. L'étiquette et le climat veulent qu'on fasse la sieste. Enfin, on visite la belle propriété. Cela s'appelle école d'arboriculture, de floricul­ture et d'horticulture. Au fond, c'est un orphelinat. Les cultures et le plantations y sont magnifiques. Un énorme rocher de granit domine la colline. Les Pères élèvent sur ce rocher une grande église. L'originalité du site frappera les imaginations. Cela deviendra un grand pèlerinage à Notre-Dame-auxiliatrice.

Mgr croit que le rocher est un bloc erratique qui descendra sur la pen­te et entraînera l'église. J'espère que non. 22

Au retour, nous avons fait la route à pied. C'était mieux. Il y a là de beaux arbres: le jambeiro (jambo de Parà) qui a l'aspect de nos cyprès, avec plus d'ampleur. Le visgueiro domine les collines. C'est un mimosa, qui ressemble aux pins d'Italie par son branchage en ombrelle.

Dimanche du Rosaire. Grande fête de confrérie à la paroisse. La place est décorée.

On me reçoit à la porte de l'église avec toute la pompe des fêtes: fleurs, fusées, discours. Les compliments sont ornés de miniatures à la main. On m'offre en souvenir un superbe rochet en dentelles du pays.

La messe est relevée par des fleurs jetées à l'offertoire, des fusées à la consécration et à l'Evangile de st Jean.

Les costumes sont blancs ou pâles. 23 Quatre vingt communions montrent que les âmes sont en rapport avec ces symboles de pureté et de joie dont elles se revêtent.

L'après-midi, notre domestique noir nous apporte un grand camé­léon, espèce de lézard de plus d'un mètre. Il l'a acheté d'un paysan pour vingt centimes. Il l'installe sur un arbre du jardin. C'est là que ces bêtes aiment à vivre. Le lendemain, il nous demande à l'emporter pour en fai­re un festin chez des amis.

Le 8, déjeuner chez Monseigneur en son palais de la Soledade. C'est une réception de fête. Mgr a eu soin de nous offrir des fruits du pays, mammon, saputi, ananas, abacati, etc.

La chapelle intérieure est 24 richement ornée, son palais est gran­diose.

J'admire dans les jardins du voisinage des cycas, petit arbuste, genre palmier, qui produit le sagou, des azeitona, arbre vert analogue à l'oli­vier, des papola, sorte de pavots aux fleurs écarlates.

Le 9, adieux à Camaragibe.

Visite aux Soeurs, aux Frères. Dîner dans la famille. Je visite à sa chambre de malade la bonne maman- de M. Collier, vénérable Dame, qui se délecte de mes petits livres de piété. M. Collier me donne des pho­tographies de l'usine et des documents sur les œuvres et sur l'industrie du coton au Brésil.

148 usines y fonctionnent avec 715.000 broches et 26.000 25 métiers à tisser. Elles emploient 37.000 ouvriers et sont actionnées par une force motrice totale de 30.000 chevaux. La production annuelle de 234 millions de mètres de tissus utilise 30 millions de kilos de coton. Le capital engagé est de 273 millions de francs. Tout cela date de peu d'an­nées et montre que le Brésil est susceptible d'un grand développement industriel. Les 300.000 quintaux de coton qu'utilisent les usines du pays sont à peu près la moitié de la production du coton au Brésil. Le reste est exporté.

Et le sucre! On le récolte surtout dans les états du Nord. Il y a environ 4.000 petits engenhos et 130 usines à vapeur. L'état de Bahia seul produit 26 32.000 tonnes de sucre et 12 millions de litres d'eau de vie. C'est trop pour la santé des Brésiliens.

Le 10, visite à la paroisse du P. Maximin4). Il habite Monteiro. Il des­sert Casa-forte et Poço da Panella. C'est là que s'est décidé le sort de la lutte entre les indigènes et les Hollandais. Ceux-ci étaient mal vus à cause de leur calvinisme et de leurs exactions. Les indigènes et les colons portu­gais s'unirent. Les Hollandais furent battus et chassés. Les femmes même furent héroïques et se firent tuer à Casa Forte pour l'indépendance.

Nous fîmes l'ascension du Morro de Manteiro, haute colline, où Mgr a fait élever le mémorial du siècle en 1900. J'y 27 allai à cheval. Quel­le belle vue de là-haut! la plaine, la mer, la forêt, les villes de Recife et l'Olinda au loin!

Le monument est manqué. La Vierge dorée, de dimensions colossa­les, est belle sur son piédestal, mais on a voulu après coup élever une pe­tite chapelle à cent mètres de là. Il fallait faire un seul monument et lui donner plus d'ampleur.

Toute la banlieue de Recife est visible de là. Elle est fort peuplée. Une guirlande de villes secondaires et de bourgades entoure la cité. De nom­breuses routes carrossables et quatre voies ferrées divergent de Recife comme les rayons d'un cercle. Au nord-ouest, la ligne de Pâo d'Alho 28 (L'arbre d'ail) met Récife en communication avec les états du nord, Parahyba et Rio Grande.

Au sud, une ligne va déjà rejoindre l'état d'Alagoas.

A l'ouest, la ligne de Jaboatâo et Carnarú sera poussée jusqu'au San (Sâo) Francisco où elle rejoindra celle qui vient de Bahia.

Des villas s'égrènent sur les bords sinueux des deux rivières, le Beberi­be et le Capibaribe et sur les coteaux voisins.

Derrière les villas, à l'entrée des bois sont des cabanes d'indiens métis­sés et à demi-civilisés. Leurs cases sont couvertes de feuilles de palmiers ou de bananiers. Elles n'ont pas de foyers. La cuisine se fait dehors, quelques pierres portent la marmite. Un four sert à cuire le pain 29 de maïs. L'intérieur est partagé en deux par une demi-cloison. La première pièce sert de salle de travail et de réception. La seconde contient les lits ou nattes et les coffres de vêtements ou de provisions.

Ces gens vivent surtout de manioc, de bananes et de maïs. Ils man­gent aussi des ignames et des patates douces. Ils ont souvent quelques poules. Tous sont armés du couteau classique.

Avant de quitter Pernambuco, je résume ici quelques notes générales.

Pernambuco, Paranà-inbuk, ou bras de mer, est ainsi nommé d'après le canal qui sépare la côte de la ligne des récifs. C'est là que les traitants français et portugais se rencontrèrent dès le seizième siècle avec les indi­gènes Tupinambo. 30

La capitale, appelée souvent Pernambuco par les Européens, se nom­me officiellement Recife, le nom de Pernambuco était réservé à l'Etat.

Olinda est la ville primitive fondée au seizième siècle par le conces­sionnaire Duarte Coelho5), à qui elle a élevé un modeste monument. Les Hollandais ont commencé à développer Recife. Le quartier de Sâo Antonio portait même le nom de Mauricea, en l'honneur de Mauri­ce de Nassau.

Le port attend de grands travaux, des brise-lames, des jetées, un canal profond, des quais, des magasins. On fait depuis 1893 des projets ma­gnifiques, mais l'exécution n'est pas commencée. 31

Pernambuco est le poste avancé du Brésil et du Nouveau-Monde. Ce devrait être le lieu d'abordage le plus fréquenté de l'Amérique du Sud, si le port était sûr et les lignes de trafic bien établies avec l'intérieur.

Huit cents kilomètres seulement séparent Pernambuco de Dakar. Des navires à grande vitesse pourraient franchir cette partie de l'Océan en trois jours.

Après l'achèvement du chemin de fer de Dakar à Oran, avec la ligne de Carthagène à Paris à travers les Pyrénées, il suffira de huit jours pour aller de Paris à Pernambuco. Et par les lignes brésiliennes on aboutira à Buenos-Aires.

Les raccordements de lignes 32 se feront, de Recife à Bahia et de Bahia à Rio de Janeiro.

Trois câbles transatlantiques partent de Recife. Douze compagnies de navigation l'ont choisi pour escale de leurs bateaux à vapeur à service ré­gulier.

Et des centaines d'autres navires viennent y débarquer les marchandi­ses d'Europe ou de l'Amérique du Nord, et y charger du sucre, du co­ton, du café, du tabac, des cuirs, des bois de teinture.

Recife vend aussi des objets d'histoire naturelle, oiseaux, papillons, coquillages, plantes et autres produits.

Recife n'est pas seulement un entrepôt de commerce; elle possède des bibliothèques, des sociétés savantes, un Institut de 33 beaux-arts et d'art industriel, et une faculté de droit.

Héritiers d'un passé de luttes et de revendications politiques les Per­nambucains ont un certain esprit d'initiative, rare dans le Brésil.

Il y a ici à noter des coutumes publiques, politiques et des coutumes privées.

Pour ce qui est des moeurs politiques, le Brésil a bien le cachet d'un peuple neuf et en voie de formation. Il y a, il est vrai, des familles d'an­ciens colons qui ont toute la dignité de vie et l'éducation de nos bonnes familles d'Europe; mais il y a aussi les masses populaires, illettrées, à peine sorties de l'esclavage, et puis les colons modernes, parmi lesquels 34 un certain nombre d'aventuriers.

La politique, en général, est menée par des coteries, elle est une affaire. Le groupe qui arrive au pouvoir dans l'État ou dans la commune pro­fite de tous les avantages que peut donner l'influence administrative. Les finances sont mal gérées. Il y a des concussions fréquentes, la douane est souvent vénale.

Beaucoup de communes et d'États sont au-dessous de leurs affaires, et des employés attendent de longs arriérés de salaires.

Une curieuse institution est celle des chefs politiques. Le chef politique est l'homme de l'État, le brasseur d'élections. Il n'a pas de rétribution, mais il jouit de tous les avantages que donne une influence dont on peut 35 user et abuser.

Il y a des prêtres qui s'adonnent à la politique. Il y en a au parlement, au sénat. Un prêtre est chef politique à Sergipe. Parahiba a eu un prêtre gouverneur.

Les francs-maçons ne se cachent pas au Brésil. Leurs loges s'affichent sur les grandes places. Ils sont moins avancés que les nôtres. Ce sont des philanthropes, comme nos maçons de 1830. Mais les colons modernes et les journaux les formeront. Ils deviendront persécuteurs.

L'État a sa loterie, comme en Italie. Cela donne des ressources au budget, mais cela détruit l'esprit d'épargne dans le peuple. C'est poussé à l'extrême au Brésil. Dans toutes les rues, dans les kiosques, dans les gares on vend 36 des billets de loterie. Les particuliers font concurren­ce à l'État. Il y a des entrepreneurs de jeux des 25 bêtes. C'est défendu, dit-on, mais cela se fait partout.

Sauf quelques rues de villes où les maisons sont accommodées à l'eu­ropéenne, l'habitation brésilienne a gardé son cachet, à la ville comme à la campagne. Il n'y a qu'un rez-de-chaussée. On ménage le courant d'air à travers la maison. Sur le devant est le salon, ordinairement bien tenu, avec un sofa canné et un piano. Derrière, la salle à manger et des chambrettes. La cuisine est presque toujours séparée. Elle est sur le jar­din et se relie à la maison par un couloir et une veranda. On évite ainsi dans la maison le 37 feu de la cuisine et ses odeurs. Un autre motif était la séparation des esclaves.

Toutes les bonnes maisons ont une salle de bains. Beaucoup ont un jardin avec quelques fleurs et des arbres fruitiers.

Il y a des lits, mais les gens aisés couchent souvent dans les hamacs et les pauvres sur les nattes. Les lits n'ont d'ailleurs jamais de matelas de laine, ce serait trop chaud et malsain, on se contente de feuilles de maïs.

On porte souvent les fardeaux sur la tête. Les femmes ont de ces pa­niers que nos grand'mères appelaient des cabas.

Le Brésilien aime les galons. On a supprimé les décorations, 38 tout le monde en avait. On se rejette sur les titres. Tout bachelier s'appelle docteur. Tout bon propriétaire achète un grade de colonel dans la mi­lice.

Les bijoux sont en grande vogue. Hommes et femmes ont de belles ba­gues avec des pierreries.

Les gens de l'intérieur (le sertâo) de la forêt (matto, les mattutos)6), mettent leur luxe dans les harnais de leurs chevaux. Les brides et les épe­rons sont des argenteries de famille. Les cravaches ont aussi des orne­ments de nacre et d'argent.

Généralement le peuple va nu-pieds. Tout les enfants aussi, même la plupart des riches.

Le paysan a de belles bottes ou des bottines, qu'il met de 39 loin en loin pour venir à la ville.

Les maisons sont toujours ouvertes à l'air. Elles ne sont pas vitrées. Elles ont leur sanctuaire, la niche de la Vierge, avec d'autres images, de­vant lesquelles brûle une lampe la nuit.

Le peuple est crédule, il n'a pas seulement de la foi, il a des supersti­tions. Il y a encore des féticheurs, des curadores, des fascinateurs de ser­pents. C'est une importation d'Afrique par les nègres. Cela règne sur­tout à Bahia. Les curadores offrent au mauvais génie le sacrifice d'une poule. Empêchés parfois d'aller jusqu'au malade, ils envoient leur cha­peau pour le guérir.

Histoire de superstition: un curador va chez une malade. Il a eu soin 40 de porter dans un sac des crapauds, lézards, insectes, etc. Il fait vo­mir la malade, il vide adroitement le sac dans le vase et fait croire qu'elle a vomi tout cela… Mais un jour le mari soupçonneux voulut assister à tout, surprit le stratagème et rossa le curador.

Les gens font des voeux curieux: balayer l'église, porter des pierres à la procession, etc.

Ils aiment à baiser les rubans qui pendent des statues et des images. Ils emportent des rubans qui ont touché aux statues.

Le spiritisme a du succès dans les villes. Recife a un journal spirite. Il y a aussi des essais de propagande protestante. A Vârzea, elle est menée par un 41 juif allemand, Salomon, devenu protestant. Il a fon­dé la secte nouvelle, setta nova, mais cela se dissout. Le P. Graaff lui a enlevé une partie de ses ouailles. Quelques enfants ont une manie, manger de la terre, cela les rend difformes et ventrus.

Plusieurs confréries catholiques, irmandades, sont dégénérées et passées aux mains des francs-maçons.

Le Brésilien, sur les côtes et près des rivières vit beaucoup de poissons frais ou salés.

A Recife, il y a la pêche maritime: les radeaux, les jangadas flottent comme des mouettes au-dessus de la vague.

Il y a la pêche fluviale qui se fait en canots (canoa, pirogues). Les piro­gues anciennes sont d'une 42 seule pièce, taillées à même dans de gros arbres, dans des mangliers, des bursères, des palétuviers, des térébinthes (Boswellia). Au sud de Recife, les marais des Afogados (les noyés) sont le refuge de myriades de crabes. Ce quartier de lagunes coupées par des di­gues forme comme un bosquet de verdure. Des pêcheurs y habitent dans des cabanes de feuillage.

Les femmes y portent des robes claires de mousseline qui leur donnent un air d'aisance. Les hommes prennent et vendent des crabes et achè­tent un peu de manioc (3 ou 4 sous pour un jour) pour vivre à peu de frais et avec peu de travail.

Cette côte est égayée par des bouquets de cocotiers et de palmiers. Le coqueiro (cocotier) est affilé. 43 C'est le plus grand des monocoty­lédones.

Son tronc s'élève à 18 ou 20 mètres. Il est herbacé et sans consistance. Il n'a pas de branches. Au sommet surgit un bouquet de feuilles de 4 à 5 mètres de long. Les plus basses se courbent élégamment. Du centre des feuilles sortent deux spathes qui portent jusqu'à 20 et 30 cocos. On a vu des cocotiers donner 150 fruits.

Le dendé (palmier à huile) est le plus fréquent des palmiers. Il ressem­ble au cocotier. Il est moins élevé. A mesure qu'il grandit, ses feuilles basses tombent en laissant une rugosité. Les fruits, semblables à des grappes d'olives, donnent de l'huile.

Les foires et marchés n'offrent pas une grande variété. On y vend 44 des cotonnades, des harnais, des conserves, morues et viande sèche, des fruits, des légumes, des poteries, des nattes, du miel. Les ru­ches sont des boîtes longues, suspendues aux murs, à l'abri des fourmis.

Victoria, dans l'intérieur de l'état de Pernambuco a de grands mar­chés de chevaux. On achète là un bon cheval pour 50 milreis.

Sur les places publiques vivent des volées d'oiseaux de proie, les Uru­bu, sorte de gros corbeaux. Ils sont respectés et protégés par la loi, pour qu'ils débarrassent les champs et les rues des charognes d'animaux et d'autres ordures. Le peuple les appelle les balayeurs.

Une amende de 15 milreis frappe ceux qui les tuent.

La chaleur n'est pas terrible au 45 Brésil. A Recife, il y a ordinaire­ment 26 degrés dans le jour et 22 la nuit. Une brise du Nord-Est rafraîchit l'atmosphère régulièrement chaque jour.

On se sert ici, comme au Portugal, de vases poreux pour rafraîchir l'eau que l'on boit. L'eau, dans ces vases, a 2 ou 3 degrés de moins que l'atmosphère. C'est assez pour donner une impression de fraîcheur sans incommoder. On connaît l'action physique de l'évaporation pour rafraîchir l'eau.

C'est seulement le matin de 8 heures à 10 heures, qu'on est un peu in­commodé par la chaleur, avant que la brise de mer se soit levée. Hors de là, on peut aller à ses affaires sans peine, même si le thermomètre mar­que de 28 à 30° à l'ombre. 46

Dans la saison des pluies, les averses sont fréquentes mais ne durent pas tout le jour. Les rayons du soleil dissipent vite l'humidité.

La transpiration habituelle est très salutaire. Les suppressions de trans­piration sont dangereuses et peuvent donner la fièvre. Au retour d'une course, il est prudent de changer de linge. On peut aussi boire une gout­te d'eau de vie.

En cas de fièvre, les médecins recommandent le lit et ordonnent des sudorifiques, de l'émétique et de la quinine.

L'usage imprudent des fruits et des limonades dérange l'estomac. L'usage modéré de quelques liqueurs et de la quinine favorise la san­té. La brise si agréable de 47 chaque jour se nomme la viraçâo (le chan­gement). Elle s'élève vers 9 heures 1/2 au 10 heures. L'air dilaté par la chaleur du matin s'élève et la brise de mer vient s'y substituer. Cela maintient la chaleur à 28 ou 30°. Sous la même latitude, on a 10 degrés de plus en Afrique et aux Indes.

Il y a ici deux saisons, l' été est de novembre à juin, où il ne pleut pas; l'hiver, saison des pluies.

Le coefficient des décès à Recife dans ce mois de septembre a été de 28 pour mille.

Un privilège de ce peuple c'est d'avoir tout consacré par la religion. Ses fêtes populaires sont des fêtes religieuses. Chaque église ou chapelle, 48 chaque irmandade a sa fête solennelle.

Les plus célèbres à Recife sont celles de Poço da Panella (souvenir patriotique7)) et de Notre-Dame-du-Mont à Olinda. A Poço va la société élégante, à Olinda, le peuple mêlé.

Des négresses richement vêtues vendent aux portes des églises ces jours-là des rubans, appelés mesures (medidas) sanctifiés par le contact avec les images miraculeuses. On se les offre, on les vole, on les dispute par jeu.

Les fêtes sont accompagnées de musique. Durant tout le jour les ban­des (bandas) exécutent marches et fanfares. Il y a des guirlandes, des dé­corations extérieures, des processions.

Les principaux moments de la 49 messe sont accompagnés de jets de fleurs et de fusées.

Feux d'artifice le soir. Un transparent illuminé (painel) pour finir. Il y a parfois un carrousel de fils de familles à Poço.

On dansait jadis dans certaines églises même pendant la nuit.

Nos missionnaires ont eu de la peine à interdire cela dans une de leurs chapelles.

Les nègres ont leurs fêtes particulières. Ils dansent avec leur musique rustique et un chant monotone. Ils ont un instrument à une corde et un xylophone à 4 palettes de bois.

Sur un théâtre rustique, ils baptisent le diable, qui fait mille contor­sions pour les faire rire. 50

Les Brésiliens aiment la guitare et la mandoline. Les créoles ont aussi la musette.

Grâce aux couvents européens, la vie religieuse est assez intense à Re­cife. Au beau monastère de Sâo Francisco, les franciscains allemands font beaucoup de bien.

A N.-D.-de-la-Penha, ce sont les Capucins italiens, au Carmo les Carmes espagnols. Les Salésiens ont un grand pensionnat.

Les Soeurs de Charité tiennent un grand hôpital. Les Lazaristes con­fessent et prêchent des retraites.

La religion est bien libre au Brésil. Il y a séparation de l'Eglise et de l'Etat, mais une séparation loyale et libérale.

J'ai envoyé à ce sujet un article à La Croix. 51

Le Brésil n'a jamais confisqué les biens ecclésiastiques. Les couvents et les paroisses ont gardé leurs biens. Toutes les fondations ont été respectées. Le gouvernement donnait un traitement au clergé. C'était purement bénévole. Ce n'était pas une dette comme en France. Il ne le donne plus, c'est tout. Il n'encourt pas de censures. Il paie encore d'ail­leurs une pension aux prêtres âgés. Les rapports diplomatiques avec le Saint-Siège sont restés plus que pacifiques. Les deux pouvoirs sont en bons termes. Evêques et prêtres ont des relations courtoises avec l'Etat et ses employés.

Les églises ont généralement quelques biens qui suffisent à leur entre­tien.

Le clergé vit du casuel. 52

L'évêché reçoit la dîme des quêtes. Les évêques ont des droits de se­crétariat avantageux:

10 fr. le celebret, chaque année;

10 fr. les pouvoirs chaque année;

5 fr. les dispenses de bans.

Dispenses de parenté, 2 % de la dot.

10 fr. mariage à domicile;

droit de confirmation, etc. etc.

Le prêtre a ses messes, souvent un dollar en ville; 2 dollars pour les messes annoncées, 7e et 30e jour, anniversaires…

- les baptêmes, souvent un dollar, au moins 2 milreis, offerts par le parrain et les bonnes paroisses ont 1000 à 1500 baptêmes.

- La fête de Noël est la grande fête populaire. Chaque église et cha­pelle a une commission qui réunit des fonds pour la fête. 53

Le prêtre reçoit sa part: 100 ou 200 francs pour chacune de ses trois messes de Noël.

Les messes de confrérie, les sermons de fêtes ont aussi des honoraires exceptionnels.

On peut vivre en se fatiguant un peu.

Avant de quitter Pernambuco, le pays du sucre, je veux encore décri­re sommairement l'ancien Engenho, la fabrique de sucre d'autrefois au temps de l'esclavage. Rien ne caractérise mieux l'ancienne vie brési­lienne.

J'emprunte le récit aux mémoires de Tollenaere, qu'on m'a si gra­cieusement donnés en hommage à la chapelle de Caxangâ.

C'était en 1816. Tollenaere va en excursion à l'engenho Salgado 54 à 15 lieues de Recife. On ne rencontre, dit-il, que le pauvre village de Boa Viagem, trois engenhos, une distillerie et quelques cabanes de torchis et de feuillages.

A l'engenho de Garapù, des femmes viennent du fond des forêts pour entendre la messe. Les chemins sont des sentiers (corredor) souvent en­través par les lianes.

Dans les cabanes, les gens vivent presque sans travail, d'un peu de manioc et de bananes. Dans les engenhos on travaille. Ces établisse­ments ressemblent aux grandes fermes de la Beauce8). La maison de maî­tre est sur un tertre. Avant d'y arriver, on rencontre la zenzala, la cité ouvrière, le logement des esclaves, long rez-de-chaussée avec une véran­da (dans les meilleurs 55 établissements). Dans le jour, on n'y voit que quelques femmes qui attendent leur maternité. Des bandes de nè­gres et de négresses travaillent aux champs de cannes sous l'ardeur du soleil, excités par la chicote (fouet) du régisseur. Là huit nègres vigou­reux coupent des cannes que cinq jeunes filles mettent en faisceaux (en bottes). Les chariots attelés de quatre boeufs vont et viennent du champ de cannes à l'engenho. D'autres chars arrivent à l'usine chargés de bois pour alimenter les fourneaux. Tout est en mouvement.

La pièce principale de l'engenho est le moulin. Huit chevaux stimulés par les cris de quatre jeunes nègres (muléqués) le font tourner. Il y a cent chevaux de réserve dans les environs. 56 Ils viennent volontiers boire l'eau sucrée qui découle des chaudières.

Cinq jeunes négresses présentent les cannes aux cylindres du moulin. On les fait passer plusieurs fois, pour en bien exprimer le jus.

Des nègres emportent ensuite les débris de cannes.

Sous le même toit que le moulin sont les chaudières, où se cuit le jus pour faire le sucre.

Le maître raffineur est un homme libre, qui fait travailler cinq hom­mes près de ces fours. Ils agitent le miel avec de grandes cuillers et font les transfusions qu'ordonne le maître. Le feu dure cinq mois jour et nuit, deux nègres l'entretiennent en v jetant du bois vert. D'autres transpor­tent les formes de sucre 57 à la raffinerie, qui est aussi dirigée par un mulâtre libre. Quatre hommes l'aident. Le sucre cristallisé est séché sur des plates-formes, qui se rentrent facilement en cas de mauvais temps. Il est ensuite mis en caisses, suivant les qualités.

Il y a près des cuisines de la maison un autre hangar avec une installa­tion et des instruments pour râper, presser et sécher le manioc.

La fabrique entière a 120 ou 130 esclaves, qui ne paraissent pas mal­heureux, malgré l'usage des fouets.

L'engenho Salgado, dit Tollenaere, peut gagner de 20 à 25% du capi­tal employé. 1816 était une année de prospérité 58 au Brésil.

Les nègres, pendant la fabrication, qui dure cinq mois de l'année, sont debout 18 heures par jour. On leur donne une livre de farinha et sept on­ces de viande. Ils sont baptisés, mais ne savent rien de la religion. Dans certains engenhos, le chapelain les marie. Dans d'autres, ils s'unissent suivant leurs caprices. Le patron peut les vendre séparément. Un jeune nègre vaut 200 francs. Certains maîtres leur font entendre la messe de di­manche. D'autres disent que c'est un exercice au-dessus de leur mentali­té. Une natte, une calebasse, des guenilles, c'est tout leur mobilier.

A l'occasion de la même excursion, Tollenaere donne ces notes sur les 59 habitants des campagnes.

Les habitants peuvent se partager en trois classes:

1. Les seigneurs d'engenhos, grands propriétaires terriens,

2. Les lavradores, laboureurs, petits propriétaires, appelés aussi ren­tiers, rendeiros;

3. Les moradores, petits colons.

Les grandes propriétés ont été données directement par la couronne. Il y a des seigneurs intelligents et bien élevés, d'autres sont durs et vul­gaires.

Ils vont jambes nues (1816), vêtus d'une chemise, de caleçons et d'une robe d'indienne, armés d'une chicote (fouet). C'est un roi, un seigneur féodal sur ses terres. Il traite les nègres comme des animaux, ses colons comme des esclaves, les petits propriétaires comme des vassaux enne­mis. 60

Ils n'ont ni jardins, ni parcs, ni pavillons de repos (c'est mieux au­jourd'hui). Les appartements n'ont pas de plafonds et ne sont séparés que par des cloisons de bois.

Le luxe consiste dans les vaisselles d'argent, la bride, les étriers, les poignées de couteaux. lis ont parfois des services de porcelaine anglaise. Le dîner comprend une soupe à l'ail, un plat de viande bouillie avec du lard et du manioc, un ragoût de poule au riz. On emplit les verres de vin à moitié et on n'invite pas à boire. Après ces plats, des douceurs, qui excitent à boire de l'eau.

Les grands engenhos ont des scieries pour faire leurs caisses.

On utilise grossièrement, les cours 61 d'eau. Un système à crémail­lère fait avancer les planches sous la scie.

Les lavradores ont une dizaine d'esclaves et du bétail, mais générale­ment ils n'ont pas de terres à eux. Ce sont des métayers. Ils sont à l'an­née. Ils fournissent des cannes à l'engenho et ils reçoivent la moitié du sucre. Ils peuvent se faire 3000 francs par an. Il faudrait qu'ils eussent des baux assez longs ou de petites propriétés. Ils se logent mal, mais ils ont un bon vêtement et des éperons d'argent pour aller à la ville.

Les moradores sont tolérés par le seigneur. Ils vivent d'un peu de ma­nioc et ne font rien. C'est la plèbe.

Il n'y a dans ces régions que quelques prêtres ignorants ou scandaleux (1816). 62

Le 11 octobre, départ précipité. Nous n'attendions le vapeur Amazo­ne que l'après-midi. Il est venu le matin et il part à 2 heures. Nous pres­sons l'emballage et le dîner. Il n'y a pas de train. Le Dr Juan nous fait conduire en voiture. La valise qui contient l'autel reste en arrière. J'arri­ve juste au bateau un quart d'heure avant le départ. L'Amazone est commode. Le commandant Lidin est catholique. Il y a à bord des Pères du Tiers-Ordre régulier franciscain d'Albv, avec des Frères. Je profïte­rai de leur autel pour dire la messe. Le commandant nous laisse l'usage de la salle de lecture jusqu'à 7 h. 1/2. Il y a aussi des Soeurs de l'Imma­culée Conception de Castres. l'ères et Soeurs vont à Cuyabâ au 63 Matto [Mato] Grosso9). Il faut qu'ils descendent à Buenos-Aires. Ils remonteront le Paraguay et le rio Cuvabâ jusqu'à la ville de Cuyaba.

Je partage une cabine avec un Brésilien qui est d'ailleurs fort discret.

Le 12, pluie tropicale toute la journée. La côte est monotone, ce sont des dunes de sable.

je lis. La salle de lecture est bien garnie de revues diverses.

Revue des deux-mondes 1er Sept. Sur notre commerce extérieur. Il est monté de 8 milliards à 9 milliards et demi en 15 ans (1890-1905). Dans la même période, celui de l'Allemagne est monté de 9 à 16 milliards; celui de l'Angleterre de 17 a 22. Conclusion: 64 Nous sommes à peu près stationnaires, en attendant que nous reculions.

L'Angleterre monte lentement. L'Allemagne monte plus vite, elle ar­rivera au premier rang.

Une autre statistique du journal. La ligne maritime (juin 1906) n'est pas plus consolante pour nous.

Tonnage des navires marchands (1906).

Angleterre:16 millions de tonnes;
Etats-Unis:4 millions «
Allemagne:3.500.000 «
Norvège:1.780.000 «
France1.720.000 «
Italie:1.200.000 «
Japon:870.000 «
Russie
Suède
Espagne
Hollande
Danemark
Autriche
} de 600.000
à 800.000
«

65 Nous avons été longtemps au 2e rang, nous sommes au 5e en at­tendant mieux.

Le navire est beau. Il a son grand salon Louis XV orné de cariatides en bois sculpté et de paysages peints sur toile. Salon de musique: Louis XVI. Tentures de soi rouge aux écoutilles. Le tillac est vaste. On y peut faire une promenade de cent mètres.

Le matin, la brise caressante nous rafraîchit. Le sillage trace une traînée de lumière agitée. Le soir, au clair de lune, c'est un sillon d'ar­gent qui nous suit.

Nous arrivons à la nuit à Bahia, la baie du S.-Sauveur. La ville d'en-­bas sur la plage et celle d'en-haut sont éclairées. C'est un magnifi­que 66 effet de lumière.

Le 13 séjour à Bahia.

Bahia est grande ville, 220.000 âmes. Archevêché, beaux édifices communaux. Nombreuses églises, parmi lesquelles celles de S.-Benoît et S.-François, riches en dorures et en ornements du XVIIIe siècle.

L'église de Bomfim est le but d'un pèlerinage très fréquenté. Tout le commerce est dans la ville basse.

Bahia a exporté en 1903:

21.500.000 Kilos de tabac;
21.200.000 « de café;
14.000.000 « de cacao;
8.000.000 « de sucre;
1.800.000 « de cuirs et peaux.

- L'importation totale comme l'exportation monte à environ cin­quante millions de francs. 67

Le marché est une merveille, non moins par l'abondance et la variété des fruits, que par la diversité des types, blancs, noirs et croisés à l'infini, qu'on y rencontre en groupes pittoresques.

L'église de la Madone élevée sur les pentes orientales du coteau est, dit-on, la plus riche du Brésil, la statue de la ste Vierge y disparaît sous les diamants.

Aperçu historique d'après Reclus10):

Bahia est l'une des vieilles cités du Brésil. Quelques traitants (esclava­gistes) s'y étaient établis en 1510, mais une ville ne surgit sur la colline du Salvador qu'en 1549, lorsque Thomé de Souza, gouverneur des capi­taineries y construisit sa résidence.

Bahia, visitée régulièrement par les navires de l'Inde, qui 68 ve­naient s'y ravitailler avant de se diriger vers le cap de Bonne-Espérance, garda son titre de capitale jusqu'en 1763, pendant plus de deux siècles, et resta longtemps sans rivale pour le nombre des habitants et l'impor­tance commerciale. En 1589 d'après une information du vénérable mis­sionnaire Joseph Anchieta, près de la moitié des blancs domiciliés au Brésil, soit 12.000 sur 25.000, habitaient Bahia.

Les noirs étaient alors beaucoup plus nombreux à Pernambuco, mais Bahia monopolisa bientôt la traite d'Afrique et jusqu'au milieu du XIXe siècle, ses commerçants furent, en dépit des lois, les grands pourvoyeurs de bois d'ébène. En certaines années, ils importèrent 60.000 esclaves. 69 La suppression de la traite africaine manqua ruiner la ville; à grand peine elle se releva du désastre par l'exportation des produits agricoles. La population de couleur prédomine encore à Bahia: la Velha mulata, vieille mulâtresse, tel est le surnom populaire de la cité.

Bahia, où s'étaient établis les Jésuites lors de la fondation a gardé son rang de métropole du Brésil. Près de cent églises et chapelles dont, il est vrai, plusieurs sont en ruines, élèvent leurs clochers au-dessus de l'am­phithéâtre des maisons.

Bien des Saints ont vécu là ou y ont passé, notamment le vén. Joseph Anchieta, le P. Nobrega son compagnon, le saint martyr Ignace de Azé­védo, qui vint là 70 comme visiteur, le vén. P. Jean d'Almeida et plus tard le P. Vieira. C'est à ces saints jésuites qu'on doit la foi si ferme des Brésiliens.

Bahia a souvenance d'avoir été au XVIIe siècle le centre intellectuel du Portugal américain, mais elle est déchue. Sa bibliothèque, ses musées et ses sociétés savantes n'ont pas l'importance à laquelle on s'attendrait dans une cité si peuplée. Elle a une des deux écoles brésiliennes de méde­cine et une école libre de droit.

Les Bahianais se distinguent parmi les Brésiliens par leur prestance, leur beau langage, et ils ont toujours eu dans le gouvernement de la na­tion une part considérable. Bahia est plus brésilienne que Rio. 71 Elle n'a pas le caractère cosmopolite de la capitale, et ses maisons, en grand nombre revêtues de faïences vernissées, ressemblent plus à celles de Lisbonne.

Le port de Bahia, défendu contre les vents de l'est par la masse pénin­sulaire où s'élève la ville, est exposé à la houle du sud. On n'a pas enco­re donné suite au projet qui enclavera devant les quais, un espace mariti­me de plus de 100 hectares, pour établir un port fermé au moyen de brise-lames.

Par les vents du sud les baleines entrent fréquemment dans le port. On en capturait jadis une cinquantaine par an. Leur huile était utilisée pour l'éclairage de la cité. 72

Les noirs amenés comme esclaves sur les plateaux miniers n'ont guère laissé de descendance, les familles n'ayant pu se constituer à cause de la rareté des femmes sur les chantiers. Ce qui existait de l'élément nègre s'est fondu dans la race métissée de l'intérieur. Mais nulle part au Brésil les africains ne sont mieux représentés que dans les districts du bas San (Sâo) Francisco et dans la cité de Bahia. Là se trouvait autrefois le centre du commerce des esclaves, les traitants n'ayant qu'à traverser l'Atlanti­que en ligne droite pour aller chercher des noirs sur la côte de Guinée, entre Loanda et Massamedes. Des nègres Minas, de la côte du Daho­mey étaient venus aussi en qualité d'hommes libres comme matelots et déchargeurs.

Les Minas esclaves réussissaient souvent à s'affranchir par les produits 73 de leur travail. Encore de nos jours ils forment à Bahia une sorte de corporation, dont les membres se distinguent par les quali­tés morales et l'esprit de solidarité, autant que par la haute stature et la vigueur physique. Leur vocabulaire comprend encore des mots nom­breux hérités des langues africaines; des termes d'origine yoruba et ca­binda se trouvent par centaines dans le parler brésilien.

A Bahia, les noirs chantent des refrains de l'Afrique en se servant du vieux langage pour leurs incantations de sorcellerie.

Le dimanche 14, messe à la salle de musique. Le commandant Lidin y assiste. Nous avons laissé des voyageurs à Bahia, on me donne une cabi­ne pour moi seul. 74 La côte brésilienne entre Récife et Rio de Janeiro se trouve en entier dans la zone des vents alizés méridionaux.

Pendant l'hiver, alors que le soleil chemine dans la partie de l'éclipti­que située au nord de l'Equateur, le courant atmosphérique maintient sa direction normale. Il souffle régulièrement du Sud-est, poussant une for­te houle sur les rivages.

Les mois d'été, d'octobre à mars amènent le vent du nord-est; mais en toute saison des irrégularités se produisent dans le va-et-vient des airs. Des calmes proviennent de la rencontre des deux courants opposés et parfois des remous aériens tournaient (tournent) sur les côtes, accompa­gnés de violents orages, c'est ce qui nous arriva.

Mais les cyclones, si fréquents sur les rivages correspondants de l'Amérique 75 septentrionale sont ici fort rares.

Nous passons sans nous arrêter devant l'état de Espirito Santo et sa capitale Victoria [Vitoria]. Cet Etat est connu en Europe par ses em­prunts. Victoria [Vitoria] prend une certaine importance commerciale grâ­ce aux travaux qui ont rendu son port accessible aux grands navires. Des colons de nationalités diverses sont venus s'y établir au nombre de 30.000.

C'est là que le vén. Joseph Anchieta avait réuni plus de 12.000 indiens dans des réductions analogues à celles du Paraguay. Il a vécu à Victoria [Vitoria] et dans un petit port appelé aujourd'hui Anchieta. Il y est mort. Son corps a été transporté plus tard à Bahia où il est en vénéra­tion. 76

Le 15, journée de calme et de lectures. Revue bleue - Quinzaine etc. Etude sur Paul Sabatier11): ses rêves d'évolution religieuse.

Il y a une évolution vraie, celle du règne de Jésus-Christ, commencé par la création et qui s'épanouira dans le ciel. (Christus heri et hodie, ip­se et in saecula) (Hebr 13.8) - Adveniat regnum tuum. - Une autre évolu­tion vraie, c'est le développement du dogme toujours mieux compris et défini par l'Eglise, sans que la substance en puisse être changée (fides quaerens intellectum).

Il y a une évolution qui n'est que faiblesse, ce sont les palinodies de la philosophie humaine, qui est tour à tour déiste, athée ou panthéiste. Il y a enfin celle des prétendus novateurs qui est empreinte de rationa­lisme 77 et de panthéisme. Selon eux, la religion se fait. Elle a passé par des stades: Moïse, Boudha, Jésus. Tout cela était mêlé de légendes. La lu­mière nous est donnée aujourd'hui par Sabatier et ses amis.

Dieu nous a dit: «Je suis celui qui est, et non pas celui qui sera». - Etude sur Alfred Fouillée. Renouvier12) et Fouillée sont les fortes têtes de la philosophie contemporaine. Ils ne sont que des plagiaires de Kant et de Spinoza. La philosophie grecque a épuisé tous les systèmes: déisme, athéisme, dualisme, panthéisme. En dehors de la vérité chré­tienne, on ne peut que revenir à ces vieilleries, en les habillant de neuf. Spinoza a inventé le monisme, avec ses monades qui évoluent sponta­nément et se développent. 78 C'est, au fond, du panthéisme.

Il n'y a pas autre chose dans les idées-forces de Fouillée. Ces idées forces évoluent et se développent. Elles existent d'elles-mêmes. Ce sont donc des dieux ou quelque chose de Dieu. C'est le polythéisme ou le panthéis­me avec leurs absurdités.

On compare ces messieurs à Platon, à Kant. Ils passeront et bien plus vite. Ce sont des sophistes faconds.

- Etude sur l'arbitrage obligatoire, pour conjurer les grèves. Projet de loi Millerand13). L'arbitrage existe au canton de Genève (loi de 1900) et en nouvelle Zélande (le pays sous grève-lois de 1894-1898). Le projet Millerand est mal accueilli. Les ouvriers veulent garder leur organisa­tion syndicale: organisation locale par la Bourse du travail, organisation générale 79 par la Fédération du travail. La loi Millerand restreint l'or­ganisation à chaque usine où les ouvriers éliraient des délégués. Les pa­trons ne veulent pas cette organisation parlementaire dans l'usine où les délégués deviendraient les maîtres ou tyrans. La solution n'est-elle pas dans l'organisation établie par l'Archevêque de Québec au Canada où les comités mixtes de patrons et d'ouvriers sont départagés par un ma­gistrat?

- La question sociale est-elle une question morale? pas uniquement. La morale est essentielle au bien social, mais elle doit être aidée par di­verses sciences, économique, financière, juridique, sociologique. L'idéal moral enseigne la justice et la charité, mais il ne nous indique pas tous les moyens de parvenir au 80 plus grand bien social. (Voir Durkheim14): Règles de la méthode sociologique). Les gens vertueux peuvent varier sur les questions d'organisation politique, de protectionnisme, d'impôts, de réglementation du travail, de système monétaire, de répar­tition des bénéfices, d'ingérence de l'Etat dans les assurances, les retrai­tes, l'assistance, etc.

Cela dépend aussi des temps, des milieux, des races, des concurren­ces, des oppositions, etc.

Donc la morale ne suffit pas à faire une nation prospère et paisible. Réciproquement Rousseau et les socialistes français (Cabet, Fourier, etc.) et les Russes (Kropotkine, etc.) sont dans l'utopie quand ils disent qu'une bonne organisation sociale suppléera à la morale. La prospérité 81 sociale n'empêche pas les vices et souvent même les fa­vorise.

Il faut à la fois la morale et une bonne organisation sociale, elles doi­vent s'entraider.

- Revue bleue du 18 août. Etude de Georges Cohen sur les taudis pari­siens. Cinq mille immeubles en divers quartiers (six régions) sont conta­minés par la phtisie, et on n'y porte pas remède. Douze mille victimes sont la rançon annuelle de l'incurie administrative. Il y a là des taudis infects et sans air, notamment dans le vieux Paris près de St-Gervais. Ce sont de vieux quartiers à raser, disait Brouardel en 1903. J'écrirai là­-dessus dans la Chronique du Sud-Est15), à mon retour. 82

Nous franchissons le cap Frio, qui porte un beau phare sur un rocher de granit. Ce n'est pas sans impression que j'aborde à la capitale du Brésil. C'est pour moi le bout du monde et probablement mon dernier grand voyage.

Je puis m'approprier les vers de Regnard16), qui après diverses aventu­res aboutissait au nord de l'Europe:

«Gallia nos genuit; vidit nos Africa, Gangem

Hausimus, Europamque oculis lustravimus omnem.

Casibus et variis acti terraque marique

Stetimus hic tandem nobis ubi defuit orbis».

Je n'ai pas vu le Gange cependant, mais Regnard n'a pas vu l'Améri­que.

Quand on approche de la baie, après avoir doublé le formidable ro­cher du cap Frio, on voit se succéder des îlots de granit, de forme ronde ou ovale, coupés de falaises 83 sur le pourtour, recouverts d'un gazon court avec quelques bouquets de cocotiers dans les creux abrités.

Sur la côte, un pic superbe frappe la vue, c'est le morne d'Itaipú, ap­pelé aussi Pico de Fora, ou Pic du dehors, parce qu'il se trouve en dehors de la baie. Des îlots, le Pae, le Mae, le Menino (le Père, la Mère et l'En­fant) se groupent en petite famille à ses pieds.

Dès l'entrée du port on est saisi par l'aspect grandiose de la baie et de la ville.

On découvre la couronne de montagnes qui encadre le golfe. On cher­che à identifier les diverses montagnes que signale la carte: Gavea, Tiju­ca, Corcovado. On en reconnaît les terrasses, 84 les saillies, les préci­pices; mais l'ensemble présente une telle variété de crêtes, de pitons et de cimes, qu'il fait oublier les formes individuelles (Reclus).

Par un beau temps, lorsqu'une lumière abondante contrastée par les ombres, éclaire diversement, mais par nuances fondues, les escarpe­ments de roches, les gazons, les forêts, et que les plans successifs azurés par l'éloignement se projettent sur l'horizon bleu des montagnes de l'in­térieur, sur la Serra da Estrella et les obélisques alignés de la Chaîne des Orgues, le massif de Rio offre un tableau ravissant par le charme du co­loris et l'infinie diversité de ses aspects changeants.

La baie merveilleuse, qui a 85 donné son nom portugais à la cité principale du Brésil, Rio de Janeiro, était bien mieux nommée par les Indiens Nichteroy, eau cachée. C'est à la fois un golfe et une lagune. A l'entrée, les roches granitiques se rapprochent ne laissant entre elles qu'une passe de 1500 mètres avec 30 mètres d'eau sur le seuil.

Des milliers d'embarcations reposent à l'ancre ou cinglent dans la baie.

Avec ses trois cents îles (d'autres disent une centaine), la nappe d'eau recouvre une superficie de 430 kilomètres carrés, dont plus du tiers ont une profondeur suffisante pour les plus forts vaisseaux.

La masse puissante du Pâo d'Assugar (Assucar) se dresse à l'ouest, domi­nant l'entrée du port. 86

La pyramide granitique, haute de 385 mètres, rappelle seulement du côté de l'est la forme pain de sucre, que lui attribue son nom populaire. Au sud, elle ressemble plutôt, avec les croupes qui la prolongent et les ren­flements de sa base, à un lion ou à un sphinx, cambrant ses reins et po­sant ses pattes énormes au bord de la mer.

A l'entrée du golfe, la presqu'île orientale, Santa Cruz, longue terrasse plate, dont les murs extérieurs percés d'embrasures se confondent avec la roche a été transformée en forteresse. C'est le principal ouvrage défen­sif de Rio.

Dans l'intérieur de la baie, d'autres batteries arment les promontoires des deux rives, tandis qu'en avant de la ville proprement dite, l'îlot al­longé de Villegaignon, également 87 fortifié, sert de caserne aux sol­dats de marine et de poste avancé à l'arsenal. C'est ou nord de Villegai­gnon que les paquebots jettent l'ancre, entourés aussitôt per une flottille de petits vapeurs et de barques.

Il faut passer là deux heures pour attendre et subir la visite de la doua­ne, de la police et de la Santé.

Lent débarquement le 16. Le P. Lux17) vient me chercher à bord. Adieux au capitaine Lidin et aux bons franciscains.

Je descends à San (Sâo) Bento, beau monastère, qui domine l'arsenal. Il y a une vingtaine de Pères, Belges, Allemands, Français. Le P. Lefè-vre de Tourcoing est sous-prieur. Le monastère est confortable. 88 L'église a de riches boiseries dorées en style rococo. La bibliothèque est riche.

Le choeur se fait bien en bon chant grégorien. Les Pères ont un grand collège gratuit que je visite avec plaisir.

L'organisation matérielle est belle, la discipline est plutôt large. Je sa­lue l'abbé, Mgr Van Caloen.

Visite aux Soeurs de charité, à la Soeur Eugénie Herr, supérieure du grand collège de l'Immaculée Conception. C'est au faubourg aristocrati­que de Botafogo, au pied du Pain de Sucre. La bonne Soeur est alerte malgré ses 75 ans.

Elle nous fait tout visiter. La chapelle est un beau spécimen d'art go­thique. C'est l'œuvre du P. Clavelin, lazariste, que je vais visiter 89 aussi et qui nous reçoit aimablement.

Rio a beaucoup d'œuvres et de communautés. Tout y était en pleine décomposition quand sont venus les religieux d'Europe. Les Lazaristes et les Soeurs de Charité ont commencé. Les Bénédictins font revivre l'ancien monastère. Ils ont dû y entrer par la force. Deux ou trois an­ciens moines brésiliens protestaient. Le grand couvent de Saint-François est encore aux mains de deux Brésiliens, un prétendu provincial et un autre qui ne veulent pas disparaître.

Les Franciscains allemands ont dû s'établir à Petropolis. C'est aussi à Petropolis et à Nova Friburgo que sont les grands pensionnats des jésui­tes, des Lazaristes, des Dames du S.-Cœur. 90

Le séminaire de Rio est nul. Il y restait trois élèves, le Cardinal les a envoyés à Rome au Séminaire Pio-Latino.

La cathédrale est modeste. La plus belle église est celle de la Candela­ria, un petit Saint-Pierre, église impériale où reposent les morts de la fa­mille impériale. C'est là que les grandes familles aiment à faire célébrer des services pour leurs morts.

C'est l'île de Villegaignon qui fut le point initial de la cité. C'est là que l'aventurier huguenot18) fonda en 1555 le chef-lieu de la France antarc­tique, défendu par le fort Coligny et destiné à devenir un jour la ville principale de l'immense Brésil.

Quelques années plus tard, le Portugais Estacio de Sâ établit 91 ses troupes victorieuses en terre ferme; près du Pâo de Assucar; après sa mort, on transféra ce poste militaire sur le promontoire dit Morro do Ca­stello, et dans la conque ouverte à sa base septentrionale se groupèrent les premières maisons de Sâo Sebastiâo de Rio de Janeiro; appelé aussi dans quelques documents Sebastianopolis.

L'église de Saint-Sébastien, sur le Morro do Castello est vénérée par les vieux Brésiliens comme le premier sanctuaire de la cité. Elle doit ce­pendant disparaître si on réalise le projet de raser le Morro.

Aujourd'hui, les noms courants de la ville sont Rio ou A Capital fédéral. Le noyau de la vieille ville s'est formé par degrés au dernier 92 siècle, dans l'hémicycle ovulaire limité au sud par les Morros de Castello et de Santo Antonio et au nord par une autre crête de coteaux, Sâo Ben­to et Conceiçâo.

Mais la ville neuve a débordé de toutes parts sur les coteaux, sur les plages et dans les vallées adjacentes.

Les anciens colons portugais forment l'aristocratie. Les noirs et mulâ­tres sont moins nombreux qu'à Bahia et à Recife. Ils travaillent au port et comme gens de service. Les Italiens, les Portugais constituent le gros de l'immigration des hommes de peine et des petits trafiquants tandis que les professions libérales sont aux mains des Anglais, des Allemands, des Américains du Nord.

Des Maronites, appelés ici Turcs, adonnés au commerce des étof­fes, 93 arrivent par leur habileté au négoce et leur solidarité, à détenir une part notable du colportage et du commerce de détail à Rio et sur les plateaux. Ils gardent assez bien leurs coutumes chrétiennes du Liban.

Au lieu d'éviter les courants d'air à Rio, on les sollicite. Les magasins sont généralement disposés en longs corridors où ne pénètrent pas les rayons du soleil et que traverse un vent léger et rafraîchissant. Dans les villas des faubourgs, les vastes salles, aux baies largement ouvertes sur la campagne, semblent elles-mêmes avec leurs fleurs, leurs feuillages, leurs parfums, un prolongement des jardins. L'eau coule en abondance dans tous les quartiers. Elle vient de la rivière Carrioca [Carioca]. On évalue à 200 litres environ l'approvisionnement d'eau par habitant. 94

Les forêts des environs, protectrices naturelles des sources, sont deve­nues propriété de l'Etat, qui en interdit l'exploitation, mais on y a tracé des chemins, entre autres les merveilleuses allées de la Tijuca, d'où l'on voit le panorama de la cité dans toute sa splendeur.

Rio n'est pas une cité de monuments. Les églises sont en style jésuite. Le Fiscal, qui dresse ses tourelles dans l'île ancienne des Ratos, en face du port de la douane, est un charmant édicule de granit dur, admirable­ment taillé, fouillé même en sculptures, un des rares spécimens d'art go­thique au Brésil.

Dans la ville, le Cabinet de lecture portugais est construit en maté­riaux apportés de la mère patrie et décoré extérieurement de statues qui rappellent les œuvres du couvent de Batalha.

Dans les faubourgs de plaisance, 95 de nombreuses demeures bien adaptées aux conditions du climat, sont fort jolies à voir, quoique sou­vent chamarrées de plâtres, simili-marbres et dorures. Leur luxe est dans la corniche, qui surpasse ordinairement la toiture en terrasse.

Rien n'égale les allées de palmiers royaux, fûts de colonnes sans dé­fauts, qui se dressent en beaucoup de jardins, hauts de 20 mètres ou da­vantage; mais ces merveilleuses propylées d'arbres ne donnent point ac­cès à des édifices dignes de leur magnificence.

Rio de Janeiro a toutes les industries d'une grande cité, mais elle n'a point de spécialité manufacturière. Elle possède des filatures de coton et des fabriques de tissus, des fonderies, des ateliers de menuiserie et de marqueterie, 96 des chantiers de construction.

Rio est une ville modèle pour la facilité des communications. Peu de rues qui ne soient sillonnées de rails pour le passage des omnibus à trac­tion de mules ou à force électrique.

Les voitures de place sont des tilburys anglais avec un vasistas derrière pour le courant d'air.

D'introduction britannique, l'omnibus de Rio a gardé un nom an­glais: on l'appelle bonde, d'après les bonds ou obligations qu'émit la Compagnie lors de sa fondation.

Rio possède les musées et les institutions principales de la Républi­que. Elle a une importante école de médecine près du riche hôpital de la Misericordia.

Les Soeurs de Charité desservent 97 l'hôpital. Le stupide laïcisme ne règne pas encore là-bas.

L'Ecole polytechnique forme des ingénieurs. Elle est considérée com­me une des fondations remarquables de l'Amérique.

Académie des beaux-arts, Conservatoire de musique, collèges de garçons et de filles, instituts pour les aveugles et les sourds-muets, Rio possède les établissements divers qu'on s'attend à trouver en toute capi­tale. Le Musée d'histoire naturelle établi dans l'ancien palais impérial de Boa Vista a de riches collections.

Le géographe Reclus disait, il y a dix ans: «Il faudrait à Rio un préfet Haussmann19) pour transformer et assainir la vieille ville». Le préfet Haussmann 98 est venu, c'est le ministre Müller qui a, pour ainsi di­re, rasé et rebâti Rio depuis cinq ans. Il en a fait une ville superbe. Il a ouvert ou élargi onze kilomètres de rues, avenues, quais ou boulevards. Plus de 1100 immeubles ont été démolis. Par des emprunts, l'Etat a fourni 200 millions et la ville 100 millions.

Toutes les rues neuves ont de 17 à 33 mètres de largeur. L'Avenue de Beiramar a plus de 5 kilomètres de long. C'est un quai, large, orné de jardinets et bordé d'une belle balustrade le long de la mer. Cela surpasse en ampleur et en beauté les quais si soignés de Genève et de Lucerne. L'Avenue de Lapa, dans le même genre a 1.500 mètres. Mais la plus belle voie est l'Avenue Centrale. 99

Plus de 500 immeubles ont été détruit pour son percement. L'Etat ri­valise avec les grandes sociétés de banque et de commerce pour y élever des palais dignes de la plus belle avenue de Rio. L'avenue va de la plage de Prainha au jardin public, de la mer à la mer, ce qui lui procure l'avantage de la brise quotidienne.

Tous les ruisseaux et les égouts ont été canalisés. Le beau canal du Mangue, a desséché le marais des palétuviers. Il est bordé de superbes palmiers royaux.

Rio devient une des plus belles capitales du monde. Elle peut rivaliser avec Naples et Constantinople pour le site, elle les surpasse pour l'agen­cement intérieur.

On a rasé déjà les Mornes du Sénat et de san Diego, 100 celui du Castilho est entamé. Ce sont des travaux d'Hercule. La brise circulera librement à travers la ville et donnera congé à la fièvre jaune.

J'ai pu visiter le beau jardin botanique, la merveille de Rio.

La splendide flore brésilienne a permis à Rio de se donner d'incompa­rables jardins, entre autres le Paseo publico au bord de la mer, le Largo da Constituçâo, près duquel s'élèvent les théâtres et le Largo da Repu­blica, entre l'ancienne ville et les nouveaux quartiers, qui s'étendent à l'ouest.

Le jardin botanique est situé non loin de la lagune Rodriguez de Frei­tas, à la base des escarpements de la Gavea. Le domaine appartenant au jardin comprend une surface énorme, plus de six cents hectares; mais les 101 neuf dixièmes de cette vaste étendue sont encore couverts d'une brousse impénétrable. Le jardin proprement dit, déjà fort consi­dérable, embrasse une soixantaine d'hectares, et s'accroît chaque année aux dépens de la forêt vierge, dont les plus beaux arbres sont respectés. Des eaux captées dans les montagnes voisines ruissellent sous les ombra­ges. Au milieu d'un fourré de verdure se montre un palmier oreodoxa de 35 mètres, apporté par de fugitifs portugais de Cayenne et planté par le roi Joâo VI en 1806, d'où son nom de palmier royal.

C'est de celui-là que descendent tous ceux que le pays possède.

Les belles avenues du jardin comptent 140 palmiers d'environ 30 mè­tres de haut. Il y a aussi 102 un sumauma de 30 mètres, analogue aux baobabes d'Afrique avec ses racines en contreforts; des cèdres du Brésil, des gamelleiras (gamaleiras) majestueux comme nos chênes, des avenues de bambous semblables à des cloîtres gothiques, des mimosas variés, le je­quitiba (couratari) l'arbre géant des forêts vierges du Brésil central, sur le­squelles son sommet se détache comme un dôme de verdure, le palissan­dre, le châtaigner du Para, le cacaoyer.

Il y a aussi une belle avenue de camphriers, des caféiers variés, l'arbre à pain, l'avocatier, le jacquier et parmi les arbres d'ornement le flam­boyant…

A citer encore des cycas, des Victoria regia aux grandes feuilles dans les pièces d'eau, des orchidées variées. 103

La constitution du Brésil date de 1891. Le président est élu pour 4 ans et n'est pas rééligible. Sont électeurs tous les citoyens qui savent lire et écrire et qui ne vivent pas de mendicité. Les soldats n'ont pas droit au vote. En fait, l'abstention des comices est presque générale.

Il y a deux chambres. Le sénat a 60 membres, 3 par Etat, élus pour neuf ans et renouvelables par tiers tous les 3 ans. Le corps législatif a 200 membres, 1 par 70.000 habitants, élus pour 3 ans.

Le Président possède le droit de veto. Il peut ainsi obliger les cham­bres à discuter les questions à nouveau et à les trancher non plus à une simple majorité, mais par une proportion des deux tiers. 104

La constitution garantit le droit d'association, la liberté de la parole et de la presse.

La république a supprimé tous les ordres et aboli tous les titres nobi­liaires.

La vanité humaine se rejette sur les titres de docteur, de colonel ou de commandant de la milice.

Les anciennes provinces sont devenus des Etats, sans tenir compte de l'étendue ou des affinités commerciales et industrielles. Chacun des vingt et un Etats a ses deux chambres et son Président20).

L'Église fut autrefois toute-puissante au Brésil. L'inquisition y sévit rigoureusement. La révolution qui renversa l'empire sépara aussi l'Égli­se de l'État.

La très grande majorité de la population se réclame de la religion ca­tholique. Dans l'état de Rio, au recensement 105 de 1892, moins d'un centième des habitants ont déclaré appartenir à un autre culte ou ne professer aucun culte.

La franc-maçonnerie acquiert ses adhérents par multitudes dans tou­tes les cités.

Dans l'état de Rio, la proportion des naissances en dehors du mariage s'élève à près de 30%.

Le Brésil a 3 archevêchés et 17 évêchés: vingt diocèses pour une na­tion grande 17 fois comme la France, cela donne des diocèses presque égaux à la France.

On compte dans tout le Brésil environ 1.900 paroisses ou freguezias. En moyenne, elles occupent une superficie de 4.200 kil. carrés, les deux tiers d'un département français. 106

Tollenaere disait il y a un siècle: «Les vocations étant plus de conve­nance et d'intérêt que de piété, il n'est pas rare que des ministres du cul­te déshonorent leur caractère religieux par leur conduite. Il y a à Recife des Capucins italiens. La mendicité a nui à la considération de ces reli­gieux.

Les Bénédictins et les Carmes ont des engenhos qu'ils administrent avec douceur. Tous les ans, ils libèrent quelques esclaves. Les religieux riches et les chanoines observent peu la chasteté».

Il n'y a pas de couvents de femmes, mais seulement des refuges (recol­himentos l'on ne fait pas de voeux).

L'armée se recrute par engagements volontaires, moyennant une pri­me que l'Etat paie pendant six ans, durée du service légal.

«L'armée est sans honneur au 107 Brésil, disait Tollenaere, parce qu'une des peines correctionnelles est de s'enrôler». (C'est encore com­me cela).

Le pays est organisé, au moins théoriquement, en milices, dont les chefs sont les grands propriétaires, de là tant de colonels, majors, capi­taines et lieutenants.

Chaque Etat a l'obligation de pourvoir à ses dépenses, aux nécessités de son gouvernement et de son administration.

Certains impôts sont réservés à l'Union, les autres vont aux Etats. A l'Union:

1°. les impôts sur l'importation étrangère;

2°. les droits d'entrée, de sortie et de permanence des navires;

3°. la taxe des timbres;

4°. la taxe des postes et des télégraphes fédéraux.

Aux Etats, les impôts:

1°. sur l'exportation 108 des marchandises;

2°. sur les propriétés foncières, urbaines et rurales;

3°. sur la transmission de la propriété;

4°. sur les industries et professions.

La plus forte part des recettes budgétaires de l'Union provient des ta­xes de la douane qui augmentent en moyenne de 60% la valeur des ob­jets importés.

Les progrès de l'instruction publique n'ont pu être rapides en un pays dont les travailleurs étaient encore en grande majorité esclaves, il y a moins d'une génération. Cependant quelques écoles et des collèges avaient été fondés par les missionnaires jésuites sous le régime colonial.

En 1834, sept années après la promulgation de la première loi relative à l'enseignement, il n'y avait dans toute la province de Rio 109 que trente écoles avec 1370 élèves des deux sexes.

Au recensement de 1872, on évalua ceux qui savaient lire à 20 hom­mes et à 13 femmes sur cent parmi les blancs; on comptait un nègre sur mille connaissant l'alphabet.

Vingt ans après, on estimait que plus des trois quarts de la population ignoraient encore les premiers rudiments.

Les hautes écoles sont entretenues par l'État à l'exception de divers établissements fondés par les religieux: tels les collèges des Jésuites à Itù, dans le Sâo Paulo, à Nova Friburgo dans l'État de Rio, à Caraça, dans les Minas Gerais - les Lazaristes à Petropolis, les Bénédictins à Rio, à Sâo Paulo, les Frères Maristes à Maceió, les Salésiens de divers côtés. 110

Toutes les villes ont de bons pensionnats de filles tenus par les com­munautés européennes.

Les belles lettres ont pris un certain essor au Brésil depuis son émanci­pation en 1808. Deux poètes surtout y sont appréciés Gonçalves Dias et Magalhaes21).

Je copie dans Néry la traduction d'une poésie écrite par Gonçalves Dias pendant qu'il était étudiant à Coïmbra. Il y chante la patrie:

- Mon pays a des palmiers verts,

Où chantent les sabias22) aimables;

L'oiseau d'ici dans ses concerts,

et à pas de chansons comparables.

- Notre ciel a des feux sans nombre,

Nos prés nous donnent plus de fleurs,

Nos bois ont plus de vie et d'ombre,

L'amour fait mieux battre les cœurs.

- Le soir, seul à ma rêverie, 111

J'avais plus de bonheur là-bas,

Sous les palmiers de ma patrie,

Où chantent les joyeux sabias.

- Mon pays a de si doux charmes,

qu'ils m'arrachent ailleurs des larmes.

J'avais plus de bonheur là-bas,

Le soir, seul à ma rêverie,

Sous les palmiers de ma patrie

Où chantent les joyeux sabias.

Dieu, ne permets pas que je meure,

Sans retourner encore là-bas,

Sans goûter, ne fut-ce qu'une heure,

des charmes qu'ici l'on n'a pas,

Sans revoir tout ce que je pleure:

Les palmiers verts et les sabias.

La capitale a de nombreux journaux aux mains des francs-maçons. Ils n'ont guère d'intérêts que pour le commerce, les nouvelles d'Europe y étant d'ordinaire travesties 112 par les agences. Il y a aussi des re­vues, littéraires, scientifiques, médicales, etc.

Parmi les journaux, citons: Jornal do Commercio, 85e année; Gazeta de noticias, 31e année; O Paiz, 21e année; Jornal do Brazil, 15e année; Correio do Manha, 5e année, etc.

Il y a quelques journaux étrangers qui végètent et qui ne sont pas mieux pensants:

L'Etoile du Sud, en français; The Brazilian review; Il bersagliere (italien); El correo gallego (espagnol); ce sont des publications hebdomadaires.

- Un journal catholique bien fait, de Sâo Paulo va un peu partout. Il paraît à Saint-Paul. 113

Le 18, départ pour Sâo Paulo par le chemin de fer, 500 kilomètres. Dix heures de route. je prends le train de jour pour voir le pays. Après une vingtaine de kilomètres, c'est la brousse. La chaîne de montagnes Serra do mar a de beaux aspects, des sommets imposants, des précipices, des cascades, mais elle est trop déboisée. Il n'y a plus que quelques gor­ges bien boisées.

On passe les montagnes grâce à une série de 18 tunnels, dont l'un a six kilomètres. Puis on descend dans la vallée du Parahyba [Paraiba] pour la suivre longtemps. Tantôt le fleuve coule paisiblement dans un lit large et profond, tantôt il se resserre en bouillonnant, et plus loin baigne une multitude d'îles couvertes de végétation. 114 (115-116)23).

Quelques villes: Rezende sur le fleuve, aspect pittoresque; Queluz, première ville de l'état de Saint-Paul. Apparecida [Aparecida], lieu de pè­lerinage où l'on vient de très loin. Grande église, monastère de Rédemp­toristes avec école et noviciat. Je me procure l'image et la notice sur l'ap­parition. Plantations de café à perte de vue.

Taubaté, la ville du café. On change de train, la voie n'ayant plus la même largeur. Il y a là un beau monastère de la Trappe. Je fais connais­sance du procureur, le P. Ducrey, qui passe quelques jours à St-Paul.

De ça et de là, beaux groupes d'araucarias, de vingt mètres de haut. 117

19 oct. Je suis logé à Sao Bento. Les bénédictins sont très hospitaliers. Sâo Paulo est grande ville: 250.000 âmes. La plupart des maisons en rez­-de-chaussée, ce qui donne à la ville une grande étendue.

Beaucoup d'Italiens, mais ils perdent leur nationalité et se mêlent aux portugais.

Ecole bénédictine: 50 pensionnaires à 1.500 milreis. Il y a des profes­seurs laïques qui coûtent jusqu'à 25 milreis par leçon.

Cathédrale modeste, un peu basse. Résidence de jésuites.

Grande maison salésienne. Eglise dédiée au S.-Cœur. Statue sur la tour.

Grands pensionnats des Soeurs de St-Joseph d'Annecy et de Chanoi­nesses belges. 118

S.-Paul n'avait que 30.000 âmes, il y a vingt ans.

La capitale de l'Etat le plus commerçant et le plus industrieux de la République annonce déjà par son aspect la prospérité de la contrée. Vue de la gare, dite do Norte, la ville que ses fils appellent Paulicea, en langage poétique, prolonge sur une colline le profil imposant de ses mai­sons blanches dominées de tours et de coupoles.

Les premières constructions, fondées en 1560 par les jésuites, occu­pent encore le centre de la cité, sur une haute berge, au pied de laquelle serpente le ruisseau du Tamanoir.

Dans une étendue d'au moins 25 kilomètres carrés (le tiers de Paris), la ville actuelle présente 119 un certain imprévu dans la disposition de ses quartiers qui se sont formés séparément et qui se prolongent au loin dans les campagnes par des avenues divergentes, bordées de villas et de fermes.

Un pont-viaduc superbe, jeté par dessus le vallon de Saracuro, avec ses olivettes et ses cultures maraîchères, unit le quartier de l'ouest à la ci­té primitive. Cela rappelle Luxembourg et Fribourg en Suisse.

A l'ouest, la belle Avenida Paulista est comme une ville haute réservée aux riches villas, aux consulats étrangers, à diverses institutions de bien­faisance. J'y ai visité une belle clinique dirigée par des Soeurs alleman­des.

A l'est, un autre quartier, 120 peuplé surtout d'Italiens, s'étend au loin dans la plaine basse et contraste par ses usines et ses rues malpropres avec les constructions élégantes et les villas des quartiers occidentaux.

Quoique située à 750 mètres d'altitude (820 à l'Avenue Paulista), sur le haut plateau que la Serra do Mar sépare de l'océan, Sào Paulo n'est pas complètement saine, à cause de ses marais qu'il faudrait canaliser.

Un beau jardin public s'étend au nord de la ville près de la gare anglai­se, et l'on travaille à la création d'un jardin botanique à côté du musée d'histoire naturelle.

L'ancien collège des jésuites a été transformé en palais du gouverne­ment, et la maison qu'ils 121 avaient bâtie pur Tebycirà, le cacique des Indiens soumis, a été remplacée par le couvent de Sào Bento, où je logeais. Dans le voisinage de ces deux édifices s'élèvent les principaux monuments: églises, hôtel des postes, banques, école de droit (nid d'ai­gles, d'où sortent en nombre les futurs politiciens du Brésil).

Grandissant d'une manière presque vertigineuse depuis trente ans, Sâo Paulo n'a pas encore fusionné ses habitants en une société urbaine ayant conscience de sa vie communale.

L'industrie pauliste comprend déjà toutes les manufactures et les usi­nes qui produisent les objets de consommation et d'usage ordinaire. Quelques colonies, Sâo Bernardo, Sào Gaetano, Sant'Anna, dites nu­cleos ou groupements de cultivateurs, 122 fournissent de légumes et de fruits les marchés de la ville, et dans la zone montagneuse qui au nord domine la cité, les établissements de Cayeiras, peuplés de 4.000 ouvriers taillent les pierres, fabriquent les tuiles, préparent les argiles et autres matériaux de construction, qui servent à élever les quartiers nouveaux. Cité capitale, Sào Paulo se complète par des lieux de plaisir et d'ex­cursion. Aux jours de fête, la population se porte vers les hippodromes ou vers la Penha, chapelle de pèlerinage, occupant le sommet d'un ro­cher à l'orient de la ville.

Tôt au tard elle se dirigera vers le beau palais d'Ipiranga, qu'édifia sur la croupe d'un coteau, l'architecte italien Bezzi, en 123 mémoire du serment d'indépendance que jura l'empereur Pedro I; mais l'édifice imposant, la plus belle œuvre architecturale du Brésil, reste encore vide, attendant les fresques, les tableaux, les statues, qui en feront un jour le Panthéon brésilien.

Je vis un peu ces abords de la ville en allant à la maison de campagne des Bénédictins, une belle ferme sur un coteau, d'où l'on a une vue éten­due sur la ville et la campagne.

Les Brésiliens de Sâo Paulo se distinguent entre toutes les populations de la République par leur esprit d'initiative: on peut dire qu'à certains égards c'est là que se trouve le centre de l'Amérique portugaise. 124

Déjà, lors des premiers temps de la découverte, un colon, Joâo Ra­malho, allié d'amitié avec les Indiens, s'était hardiment installé loin de la mer, sur les plateaux de l'intérieur. Un bourg fortifié s'élève dès 1532 à Piratininga (ou Poisson sec), non loin de l'emplacement où se construi­sit depuis la cité de Sâo Paulo, et des métis parlant portugais commencè­rent à peupler le pays, en se groupant autour des blancs.

En 1552, les missionnaires jésuites vinrent à leur tour résider au mi­lieu des indigènes et bâtirent les premières constructions du Sâo Paulo, rivale heureuse de la colonie devancière, Santo Andrès de Piratininga.

Mais entre les deux éléments étrangers, les colons et les prêtres, le conflit éclata bientôt. Les premiers, avides de richesses, asservis­saient 125 les Indiens pour leur faire cultiver la terre ou chercher de l'or, tandis que les seconds, tout en employant les Indiens à leur service, les protégeaient contre les violences des colons et contre l'esclavage. Après les avoir convertis à la foi catholique, ils n'entendaient pas que ces fidèles, les plus dociles de leur Eglise, fussent molestés par tous les aven­turiers…

Il en résulta des luttes constantes où les jésuites finirent par succom­ber quoique souvent soutenus par le pouvoir central et toujours par l'au­torité du souverain Pontife.

Muratori évalue à deux millions le nombre d'Indiens captivés par les Paulistes dans l'espace de cent trente années.

Cette indomptable énergie que les Paulistes déployaient à pour­chasser 126 l'homme, ils l'appliquent maintenant au travail et vrai­ment depuis le milieu du XIXe siècle, ils se distinguent à cet égard parmi tous les autres Brésiliens. Ils se sont adonnés à la plantation du ca­féier avec une sorte d'emportement et c'est à eux surtout que le Brésil doit sa prépondérance parmi les nations comme groupe producteur de café.

C'est à Sâo Paulo qu'il faut décrire la fazenda et le fazendeiro. J'aide mes souvenirs par le récit d'un auteur brésilien, Marguerite Pereira Pin­to, citée par Mgr Terrien (Douze ans dans l'Amérique latine).

Les plus belles fazendas de l'état de Sào Paulo sont situées à l'ouest dans la partie la plus élevée et la plus fertile.

Autrefois le fazendeiro habitait 127 la plantation toute l'année. Aujourd'hui, grâce à la facilité des moyens de communication, on va à la fazenda comme à une maison de campagne, où l'on passe quelques mois agréables: car le confort s'est établi dans les habitations, de plus, les perfectionnements apportés à la culture et l'emploi des machines ont facilité les travaux, multiplié la production, mais gâté peut-être, comme toutes les inventions modernes, l'aspect pittoresque et primitif de la fazenda.

Depuis l'abolition de l'esclavage, le 13 mai 1888, les nègres ont peu à peu quitté les fazendas, quelques-uns cependant sont restés fidèles à la terre des maîtres, ils habitent des cases séparées.

Parmi eux, plusieurs sont venus tout jeunes de la terre d'Afrique, 128 de l'Angola en particulier; ils s'intitulent malungos ou compagnons, se souviennent encore de leur pays natal, en parlent avec amour et fre­donnent quelques chants barbares dont les vibrations sont restées chères à leur oreille.

Les nègres des fazendas de l'état de Sâo Paulo ne forment donc plus qu'un petit noyau, débris d'une race qui semble appelée à y disparaître. Actuellement, c'est l'immigration italienne qui constitue l'élément agricole par excellence: les Italiens ont envahi l'état de Sào Paulo et il n'y a pas de plantation où ils ne se trouvent en majorité.

Ils y constituent ce qu'on appelle la colonie. C'est un véritable petit village formé par une agglomération de maisonnettes semblables, groupées parfois autour d'une église et entourées 129 toutes d'un enclos cultivé, qui fait vivre le colon, car il n'est payé que pour la cueillette et il reçoit alors un sa­laire proportionnel à la récolte.

Les autres travaux sont faits par les camaradas, ouvriers attachés en permanence au service du maître; ils sont nourris et reçoivent des gages fixes. Rien de plus mouvementé, de plus pittoresque, que la cueillette du café, qui se fait d'avril à septembre. L'animation se concentre alors dans la caféière ou cafezal, dont les caféiers sont rangés symétriquement et for­ment d'innombrables lignes parallèles, car les arbustes sont invariable­ment plantés à environ trois mètres d'intervalle.

L'étendue du cafezal dépend de l'importance de la fazenda. 130 Dans celle de Santa Cruz, appartenant à la famille Chaves, la superfi­cie est de 500 hectares et le nombre de pieds s'y élève à 420.000. A Sào Martinho, les plants atteignent le chiffre de deux millions.

Le Cafezal est toujours situé sur une élévation, afin de faciliter l'écou­lement des eaux. La culture du café se fait dans un terrain rouge foncé, appelé terra roxa, remarquable par sa fertilité. Ce terrain vient de la dé­composition de la diorite, d'origine éruptive.

Pendant la cueillette, les colons partent dès l'aurore; ils sont munis d'échelles, de paniers en bambou et conduisent des charrettes traînées par des mulets. La température est fraîche dans cette saison.

On appuie les échelles contre les caféiers, 131 dont la hauteur est d'environ dix mètres; les uns y grimpent et secouent les arbustes, les au­tres remplissent les hottes que l'on vide dans de grands sacs, puis sous la surveillance attentive des camarades, les sacs sont placés dans les charret­tes et transportés sur le terreiro (l'aire), vaste emplacement où le café doit être séché.

Le travail se poursuit tout le long du jour. Aux heures de repas, les Italiennes, femmes ou filles des colons, apportent sur leurs épaules une sorte d'arceau en bois aux extrémités duquel sont accrochées les marmi­tes.

La tête ornée d'un mouchoir aux couleurs voyantes, posé en triangle sur les cheveux, elles se dirigent lentement vers la caféière. Elles traînent avec elles leurs marmots, mal vêtus et fredonnent quelque chanson 132 du pays natal.

Puis, quand le jour baisse, l'armée des travailleurs reprend le chemin du village, qui semble alors se réveiller. Au silence de la journée succède la joyeuse animation; les lumières brillent aux fenêtres, et dans la chau­de atmosphère de la nuit, les chants nasillards et languissants se prolon­gent.

Le soleil s'éteint en embrasant la vue de reflets éclatants, en teintant délicatement l'azur de rose et de violet. La nuit tombe rapidement, sans crépuscule, comme dans tous les pays des tropiques… toutes les voix s'éteignent… quelques lumières encore percent l'obscurité; puis peu à peu les étoiles s'allument et dans un ciel profond et chaud la lune s'élève lentement. On entend les derniers chants du sabià. 133

C'est l'heure du silence et du recueillement de la nature: mais soudain le son d'un cor déchire l'air et le fait tressaillir: c'est le veilleur de nuit donnant le signal du repos. Il est dix heures, et demain à l'aube sonnera la cloche du travail. Au son de ce couvre-feu d'un autre âge, les lumières s'éteignent.

Tout est réglé, tout est patriarcal dans cette vie simple et tranquille. Pendant qu'on travaille au cafezal on n'est pas inactif non plus sur le terreiro.

C'est un vaste emplacement en briques cimentées, traversé par de nombreuses rigoles où l'eau circule sans cesse.

A mesure que le café arrive du cafezal, on vide les sacs dans ces rigoles où un premier lavage débarrasse le grain des matières étrangères 134 auxquelles il est mêlé. L'eau entraîne peu à peu les fruits dans des sortes de cuves, d'où on les retire en les lançant par pelletées sur le terreiro où ils sèchent bientôt. Les fruits rouges semblent autant d'émeraudes et de rubis, mais bientôt le soleil les décolore et les noircit. On les transpor­te au moyen de vagons Décauville dans un bâtiment annexe où une ma­chine par l'eau les dépouille de leur écorce. Le café subit alors un second lavage et à travers les rigoles est ramené sur les grandes aires.

On a alors le café décortiqué ou café despolbado, dont le séchage est plus long.

Pendant des semaines, le grain sèche au soleil; des ouvriers armés de racloirs en bois sont sans cesse occupés à le retourner en traçant tout le long de la couche de minces sentiers parallèles. 135 Tous les soirs le café est réuni en tas que l'on recouvre de toiles imperméables, afin d'évi­ter la pluie ou l'humidité.

Quand le café est bien sec, on l'entasse dans des hangars communi­quant avec la machine de triage que l'on met alors en mouvement. Le café passe successivement dans les tamis cylindriques variés et tombe suivant la grosseur des grains dans des boîtes différentes.

Les grains sont ensuite mis en sacs suivant leurs marques et envoyés aux maisons de commerce de Sâo Paulo et de Santos.

Le café est la grande richesse de l'état de Sào Paulo. La production qui ne dépassait pas 750 kilos en 1800, s'est élevée à 444.000 tonnes en 1892.

Les rivières ont permis d'installer dans le voisinage des terreiros des 136 scieries, où les arbres de la forêt sont transformés en planches ou en grandes roues de bois dont on se sert pour la confection des lourds chariots qui cheminent lentement traînés par des boeufs avec un grince­ment monotone.

A côté de la scierie se trouve souvent un moulin pour la farine de maïs très employée dans l'alimentation et dont les résidus servent aussi de nourriture aux bestiaux.

Quand le café a été expédié à la fin de septembre, le cafezal est net­toyé. Les détritus sont réunis comme engrais au pied des arbres. Un soir, aux dernières voiturées, on orne les têtes des mules de rubans et de feuillages, et les colons leurs outils sur l'épaule, quittent allègrement le cafezal en chantant 137 en choeur.

Il faudrait des colons plus nombreux pour étendre les cultures. Mais si les ouvriers manquent pour travailler la terre, combien plus encore pour éclairer les âmes.

Le Brésil est réellement un pays de missions et on y a grand besoin d'ouvriers dans le champ du Père de famille. Mais c'est aussi un pays d'avenir et le bon grain y lèvera.

Espérons que la moisson y sera un jour abondante et que le Brésil sera digne du nom glorieux de Terra de Santa Cruz.

En 1552, les missionnaires jésuites avaient fondé Sâo Paulo. A Sâo Vicente, près de Santos, les Pères Nobrega et Anchieta avaient sauvé les colons en demandant la paix aux guerriers 138 indiens, aux Ta­mayos, qui avaient groupé toutes leurs tribus contre les Portugais.

Les Paulistes, peu reconnaissants, poursuivaient les Indiens, malgré les jésuites. Les indigènes que les jésuites avaient réunis dans la mission de la Guayara furent décimés et pourchassés. En vain leurs pasteurs spi­rituels essayèrent de les défendre contre les chasseurs d'hommes. Ceux­ci, s'attaquant à des tribus paisibles qui avaient perdu toute initiative et qui étaient plus habituées à chanter des hymnes et à réciter des prières qu'à repousser les attaques de l'ennemi, revenaient presque toujours chargés de butin et traînant des centaines ou des milliers de captifs. Les premières incursions 139 eurent lieu en 1628, et en dix années des pa­roisses entières furent supprimées. Les jésuites durent s'enfuir et en 1641 le Père Montoya essaya de transporter tout ce qui restait de sa na­tion de catéchumènes sur les rives du bas Paranà, dans le territoire dit actuellement des Missions. Le terrible exode coûta la vie à plus de la moi­tié de ses fidèles. Après les massacres, les fatigues et les noyades, ils n'étaient plus que 12.000.

Depuis le XVIIe siècle, un grand recul s'est fait dans les contrées du haut Paranà. Plus de cent mille Indiens policés se groupaient autour des missionnaires et des villes, villes que celle de Sâo Ignacio mayor, s'éle­vaient sur les rives du Paranapanema (Paranâ-Panama). 140

Une autre mission se trouvait sur les bords du Paranà, à quelque di­stance en amont de la grande cascade.

Mais les chasses à l'homme dépeuplèrent tout ce pays. Et là où la reli­gion avait organisé une nation intéressante et prospère, la forêt et les fauves ont repris leur empire.

Le 20 après-midi, départ pour Santos. Le chemin de fer franchit la Serra do Mar à travers les plus beaux paysages de la grande nature bré­silienne. La descente se fait par des plans inclinés avec des moteurs fixes, comme dans les ascenseurs. Rien n'est au-dessus de la hardiesse et de l'activité des Paulistes. Ils sont aussi en train de faire un port superbe à Santos pour exporter leurs cafés. 141

La partie du quai déjà construite a 2.500 mètres environ; on ira jusqu'à 4.700. Douze entrepôts sont déjà installés, il y en aura vingt quatre. Les murailles du quai s'élèvent à sept mètres de hauteur à marée basse. Des rangées de bateaux de toutes nations s'y accrochent. Deux machines mettent en mouvement 40 grues qui peuvent élever de 1500 à 5000 kilos. D'autres s'y ajouteront.

Rien ne manque à ces quais: railways, éclairage électrique, etc. Santos a d'ailleurs une rade magnifique parfaitement abritée.

L'état de Sâo Paulo donne 10 millions de sacs de café par an. Cette année le Brésil en a produit 16 millions de sacs. C'est trop et il y a une crise pour les prix. 142

Le port de Santos exporte pour 70 millions de milreis par an et n'im­porte que pour 30 millions. De là vient le rapide enrichissement des Pau­listes.

- Je suis descendu chez Mme Bost, une Française, à l'hôtel Sportsman. J'apprends par elle que le commerce est plus vivant que la foi à San­tos. Je célèbre la messe à l'église du Rosario. Un vieux prélat portugais, parlant français, dessert l'église, il a été missionnaire aux Indes, il a 73 ans. Il a un vicaire.

Santos a des Capucins, des Jésuites, des Carmes, des Bénédictins. Jour d'attente. Le dimanche est bien chômé, mais peu sanctifié. On ne travaille pas au port. Les églises ont peu d'hommes. Il y a un noyau de piété. De braves 143 gens prient bien. Ils vont dévotement baiser les rubans des saints après la messe.

Le 22, 2e jour d'attente. Promenade au quai. Des centaines de voitu­res semblables, attelées de mules portent les sacs de café aux magasins et aux bateaux. A 9 heures, le travail cesse pour le déjeuner. Les femmes des vigoureux porteurs ou leurs enfants ont apporté des paniers de provi­sions. Le repas est bon: poulet, jambon, côtelettes, bouteilles de café. Ces gens gagnent de 15 à 20 milreis par jour. C'est la fortune pendant les 4 ou 5 mois de la saison, mais ils ne savent pas épargner et le reste de l'année ils s'endettent.

Le Jupiter (du Loyd brésilien) est arrivé à 2 heures. Il partira 144 le lendemain. Deo gratias!

Départ le 23, pour arriver seulement le 26 à Sâo Francisco. Il y a des escales et des chargements en chemin.

Nous passons devant Iguape où il y a un des pèlerinages les plus popu­laires du Brésil. A l'Ecce Homo. Le peuple aime les dévotions tristes, la Passion, Notre-Dame-des-Sept-Douleurs. Les missionnaires ont sans doute voulu encourager et consoler leurs premiers convertis, qui avaient beaucoup à souffrir.

A bord, jeunes officiers de marine, peu sérieux. L'un d'eux va jusqu'à Cuyabâ au Matto [Mato] Grosso pour y prendre un baccalauréat facile. Il essaiera de devenir avocat et de faire une carrière politique. 145

Il a le principal élément, l'argent. Il parle bien le français.

Grande baie, mais sans profondeur. Le bateau y chemine lentement et avec précaution. Village à tour blanche caché derrière une presqu'île. Port neuf de don Pedro.

Le chemin de fer de Curitiba aboutit là. Je voulais le prendre pour al­ler voir l'Evêque, mais il n'y est pas, il est en tournée pastorale. Chargement de maté à Paranaguâ et au port voisin d'Antonima, joli village étagé sur une colline au fond de la baie.

Nous embarquons 3.000 tonneaux de maté. Nous passons là le jour et la nuit. Ces bateaux attachent plus d'importance aux marchan­dises 146 qu'aux voyageurs.

Le maté est la richesse de l'état de Paranâ. Il en exporte la meilleure part des 50 millions de kilos que le Brésil en produit chaque année. C'est un thé rustique connu des Indiens et très goûté de l'Argentine. On le tire d'un arbuste, le congonha (ilex brasiliensis). Il croît spontanément sur certains coteaux. On ne le cultive pas. On en arrache les feuilles et les jeunes pousses, comme nous faisons pour nos mûriers.

Nous arrivons le soir à 6 h. Sâo Francisco est une île. Belle rade, port d'avenir. On y commence un chemin de fer qui ira d'abord à Sâo Bento, puis à Curitiba et dans l'intérieur.

Il est tracé jusqu'à Sâo Bento 147 et sera fait dit-on dans deux ans. Il passe de l'île au continent sur un pont à Paraty.

Sào Francisco est une belle bourgade étagée sur la côte. Clocher bleu. Ruines d'un collège inachevé sur la colline.

On sonne le rosaire.

Visite au curé Nobrega. Il a un beau nom, le nom d'un des premiers apôtres du Brésil.

Intérieur étrange. Un enfant nous reçoit (un homenino). Le curé est bien nerveux. Il nous offre le thé (le chà). Nous couchons à l'hôtel. - Messe le 26. Grande église. Diverses irmandades. Vieille argente­rie. Notre hôtesse a un nom illustre, c'est la veuve Suarez. 148

Le P. Lindgens24) est venu au-devant de nous. Nous partons en piro­gue pour Paraty. Cinq heures de voyage. Cela rappelle le Congo. La pi­rogue est baillée dans un tronc d'arbre, un palétuvier sans doute. Il faut s'accroupir dans le fond pour la lester et n'y pas bouger. Nous avons deux rameurs. Nous vaguons entre deux rives boisées comme au Congo. Les branches et les lianes descendent dans l'eau. Que d'orchidées sur les arbres! De beaux oiseaux aquatiques, des cardinaux empourprés. Le vent monte et nous inquiète. Nous stationnons une heure à la côte, à La­rangeiras où il y a une maisonnette. De grandes îles coupent la rade. Il y a des cigognes, des hérons. Sur 149 les côtes, des nids de termites.

Nous sommes le soir chez les nôtres à Paraty, encore dans l'île, un pauvre village qui espère se relever grâce à la station de chemin de fer qu'il aura.

Mais ses habitants travaillent si peu, qu'exporteront-ils?

La côte abonde en crabes, nous en mangeons d'excellents.

Séjour à Paraty le 27. L'église est grande et ancienne. Elle a une ima­ge du Bom Jésus d'Iguape. C'est aussi un pèlerinage.

Les notables viennent me visiter. Irmandades puissantes. On a com­mencé et suspendu la construction d'un presbytère. L'ancien curé avait huit esclaves.

Les registres de paroisses enregistrent les naissances et baptêmes des enfants de ces esclaves. 150

Le P. Lindgens travaille là avec le P. Ragman junior. Il y a peu d'ave­nir. Le 28, dimanche. Messes paroissiales à 7 h et à 10 h. On vient de loin, à pied et à cheval. Une partie des hommes préfèrent le cabaret à l'église.

Sonneries multiples, un carillon.

Après la messe, des malades viennent demander une bénédiction. Il y a des gens qui ont gardé une foi vive.

Nous avons loué une barque, une pirogue et nous attendons la marée. Beaucoup de braves gens assistent curieusement à notre départ. Le se­crétaire de l'Irmandade m'a donné ses images du Bom Jésus.

Paraty a un bureau de poste qui a trois courriers par mois.

Nous partons à midi. La pirogue a 1m 40 de large. Trois rameurs. 151 Nous tuons une grosse araignée venimeuse. Cinq heures de navi­gation.

Joinville, belle colonie. Bourgade prospère, bonnes rues, maisons ai­sées avec balcons, véranda, jardinets. On y cultive le chêne, il est beau mais sans grande consistance.

Joinville a beaucoup de protestants. Son fondateur est cependant un prêtre, Padre Carlos, qui la dirige encore. L'église sur la colline est son œuvre, mais il a cédé un terrain voisin à des malins qui y ont élevés la loge maçonnique.

Nous logeons à l'hôtel Müller qui est convenable.

Le bon curé travaille encore beaucoup malgré ses 75 ans. Il vient de faire une belle première communion. 152

Voyage en voiture: tapissière, quatre chevaux. Route terrible, inhu­maine, défoncée, rugueuse, cahoteuse. Cela s'appelle la route de Dona Francisca. Montagnes, lacets, route alpestre. Beaux fourrés de forêts vierges. Fougères arborescentes, maquis de fuchsias et de bégonias. Les générations d'arbres grimpent les unes sur les autres. Des orchidées les décorent, des lianes les revêtent.

Un jeune ingénieur, ami de la France, fait travailler à la route. Il a 30 soldats sous ses ordres. Nous rencontrons de nombreux chars, genre gaulois à cinq chevaux, chargés de maté.

Nous couchons au Kil. 40: auberge de bois-paillasse de maïs - repas brésilien copieux.

Orage et pluie. Bosquets 153 de catalpas et d'alteas. Les gens por­tent ici le puncho (poncho) comme à l'Equateur.

Nuit de fatigue.

Le 30, nouvelle journée de voiture. Le pays est beau, la voiture atro­ce. Légion d'araucarias de vingt mètres de haut. Conifères variés. Bos­quets de cactus en fleurs.

Couche à Campo Alegro, colonie italienne. Hôtel Espérance. Jolis oiseaux: toucans, col et crête rouge et jaune.

Le 31, nous voici chez nous à Sâo Bento. J'arrive exténué (avec des hémorroïdes saignantes). Il faudra plusieurs jours de repos.

Les Pères et quelques laïques sont venus à cheval à notre rencontre. Eglise en construction. Colonie allemande où dominent les protes­tants. 154

La foudre est tombée au presbytère et y a laissé des traces sur le mur. Au jardin, hortensias, pêchers, pommiers, saules pleureurs, fraises sau­vages. Les enfants des écoles sont à la messe, tous nu-pieds. Bonne installation, calme, travail, printemps. Les fruits viendront en janvier.

Nuit pénible. La paroisse a quatre chapelles. Les moineaux ici sont dorés comme les chantres des canaries.

1er novembre église pleine. 25% des quêtes vont à l'évêché. Une deu­xième quête se fait à la porte pour l'église neuve.

Des colons viennent me voir.

2 novembre, jour des morts. On peut dire trois messes dans les colo­nies portugaises et espagnols. J'en dis deux, je suis éreinté du voyage. 155 Je lis l'histoire du Brésil, je l'achèverai à Itajahy [Itajaí.

Je m'intéresse à ces charretiers de maté. Ils gagnent 25 milreis par se­maine.

C'est peu pour un homme et cinq chevaux.

Le Gesù Nazareno, image si souvent honorée au Brésil, en Italie, en Espagne, au Portugal, est une image miraculeuse, outragée à Fez au Ma­roc en 1632, rachetée par les Trinitaires et honorée chez eux à Madrid.

Le 3, jour d'attente. Souffrances assez vives. 1er samedi du mois. je prie la ste Vierge d'accepter mes misères, de me pardonner et de me re­mettre sur pied. je reçois des signes (certains pour moi) d'être exaucé.

Les Bohèmes allument des queues 156 de rats en assistant aux mes­ses des morts. Le 4, communion des jeunes filles. Elles viennent de 10 et 12 kilomètres.

Départ après la messe. Belle route de montagnes. Les travaux du che­min de fer avancent. Village polonais. Route faite par la Hansa de Hambourg (société de colonisation).

Morro de igreja, croupe de montagne qui ressemble à une grande église gothique.

Hansa, bourgade, ou centre d'un cirque de montagnes. Vallée du rio Itapocù.

Serpents jararaca.

Coucher à Hansa. Quel sabbat dans cette auberge: enfants, buveurs, servantes d'auberge crient, chantent, sabotent sur le plancher. 157 Cloisons de bois: nous sommes trois dans une chambre. Lits informes garnis de puces. Une cicogne s'introduit la nuit et dort sur les bancs. Un sacristain bavard de la petite chapelle de Hansa parle français. Il est Al­lemand, il a été peintre à Bruxelles, rue des XII apôtres.

Le 5, départ à 6 heures. Route atroce qui me fait souffrir. On est se­coué comme le grain dans le van. Beaux travaux de chemin de fer. Enor­me serpent. Sites superbes et portions de forêts vierges.

Repas à Jaraguâ, site alpestre. Hôtel confortable, digne de la Suisse. je voudrais avoir un mois à passer là. Dîner avec un ingénieur. 158 Animaux sauvages sur les routes: tapirs, pecaris, porcos do monte.

Le soir, arrêt chez Hermann Mathias. Beau site de montagne. Chute d'eau, moulin, scierie, beau bois rouge. Préparatifs de courses de che­vaux.

Le 6, long voyage, 60 kil. Il faut passer à un autre versant. Beau pays de montagnes. Un serpent effilé.

En approchant de Blumenau, les fermes sont plus soignées. Haies de citronniers et d'orangers.

Rio do Testo: cascade et rapides.

159

Goyanna [Goiana]: visites1 La baie 84
Fête de la Corporation3 Rio87
Retour6 Histoire90
Réunion9 Races92
Olinda, végétation10 160 Hygiène93
Olinda, ville13Description94
Repos18 Industrie95
Jaboatão19 Institutions diverses96
Fête du rosaire22Le nouveau Rio97
Chez Monseigneur23Les jardins100
Camaragibe: le coton24Le gouvernement 103
Le sucre25 La religion104
Morro de l'Im. Conc.26 L'armée106
Banlieue27 Les impôts107
Notes générales29 L'enseignement108
Coutumes publiques33 Littérature110
Coutumes privées36 La presse111
Superstitions39 Départ113
Pêche41 São Paulo117
Marchés43 La ville118
Climat44 Les Paulistes123
Fêtes populaires47 La fazenda126
Église50 Les Jésuites137
Engenho53 Santos140
Habitants des campagnes58 Sur mer144
Départ62 Paranaguá145
Pluie, lectures63 S. Francisco146
Bahia65 En pirogue148
Histoire67 Paraty149
Les noirs72 Joinville150
En mer73 En route152
Victoria75 Sâo Bento153
Lectures76 Voyage156
Arrivée à Rio82

1)
Nesselrath Joseph-Christian, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 47, p. 461. Hoffmann Jean-Ambroise, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 8, p. 463. Le P. Nesselrath est mort à peine trois mois après son arrivée au Brésil et le P. Hoffmann, terrassé par la fièvre jaune, quatre mois après son arrivée, Le P. Hoffmann, entre autres, avait acquis une quantité de choses qui n’avalent pas encore été payées et on ne pouvait même pas les sortir de la douane car l’argent manquait pour le faire. A la fin, après de grands sacrifices, tout a été arrangé. C’est ce que rapporte la chronique du P. Graaff, selon le récit du P. J. Polman, scj, dans Missâo de esperança, l’histoire de la Province du Brésil du Nord.
2)
Graaff Jean-Pierre, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 43, p. 461. Déal Joseph-Angelus, dehonien: cf. NQ, vol. 1, note 66, p. 534. Wolff (Louis ou Ludovic-Jean), né le 9.6.1877 à Ubach over Worms (Pays-Bas); profès le 24.9.1899 à Sittard; prêtre le 10.8.1903 à Luxembourg; missionnaire au Brésil du Nord (1903-1910), au Danemark (1920-1930); sorti de la Congrégation en 1940, décédé le 6.6.1952. Schimanski (François-Stanislas) dehonien, né le 11.10.1874 à Bischofsburg (Allemagne); profès le 29.9.1898 à Sittard; prêtre le 25.7.1902 à Bruxelles; mis­sionnaire au Brésil du Nord (1902-1918); décédé le 30.5.1918 à Porto Calvo (Brésil). Bousquet Emile, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 10, p. 463. Van Heugten (Théodore-Longin) dehonien: né le 19.2.1875 à Nederweert (Pays­Bas); profès le 19.9.1895 à Sittard; prêtre le 23.3.1901 à Roermond (Pays-Bas); missionnaire au Brésil du Nord (1901-1909), en Finlande (1910-1911); Econome provincial de la Prov. Néerlandaise (1911-1913); missionnaire en Suède (1913­1935); décédé le 27.11.1935 à Djursholm (Suède). Thuet (Xavier) dehonien, né le 16.12.1870 à Ammerschwihr (Haut-Rhin); profès le 22.9.1894 à Sittard; prêtre le 10.8.1896 à Luxembourg; missionnaire au Brésil du Nord (1903-1942); décédé le 9.8.1942 à Moreno (Brésil). Roblot Paul, Alfred, cf. NQ, vol. 3, note 42, p. 461. Wedemeyer (Bernard-Isidore) dehonien, né le 27.3.1876 à Bremen (Allemagne); profès le 8.9.1898 à Sittard; prêtre le 10.8.1903 à Luxembourg; missionnaire au Brésil du Nord (1903-1925); Supérieur Provincial de la Prov. Allemande (1926­1929); Maître des novices à Fünfbrunnen (1929-1934) et à Martental (1936-1937); décédé le 15.5.1939 à Düsseldorf (Allemagne). Boesten Mathieu-Placide, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 62, p. 481. Cottart Paul-Marie, dehonien: cf. NQ, vol. 1, note 73, p. 517. Cottart (Maximin), frère de Paul, né en 1868, profès en 1888, prêtre en 1894, arrive au Brésil le 3 septembre 1895. Le P. Graaff affirme, selon Polman, que le Père Maximin Cottart «était un Père très zélé, travailleur et entreprenant. Ainsi, en peu de temps, commencèrent à éclore à Camaragibe de nombreuses associa­tions. En outre, il s’employa à fonder des écoles: en 1902 l’école des Soeurs de la Sainte-Famille et en 1904 celle des Frères Maristes». Ce fut encore lui, qui en com­pagnie de Carlos Albert de Menezes, fonda la Federaçâo Pernambucana dos Trabalhadores Catolicos et participa, toujours avec Carlos A. de Menezes, au pre­mier Congrès des Ouvriers Catholiques tenu à Salvador, Bahia: le P. Maximin, sui­vant justement les indications du P. Dehon lui-même, et naturellement celles du pape Léon XIII, prit la défense des justes revendications des ouvriers et fut cha­leureusement applaudi. Attristé par certaines situations il a bien été tenté par deux fois de quitter la Congrégation. La première fois, avant sa réadmission il fut même obligé de refaire le noviciat de six mois. Enfin, après la mort de son frère Paul (le 6 juillet 1909), le Père Maximin prit la décision définitive de rejoindre le clergé diocésain. Il obtint la charge d’une paroisse dans la forêt de Pernambuco. Il décède en 1925, après avoir manifesté à plusieurs reprises le désir d’entrer de nouveau dans la Congrégation. Richters Ludvinus-Gérard, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 69, p. 481.
3)
Mgr Deramecourt Augustin-Victor, évêque de Soissons (1898-1906), décédé le 16.9.1906 à Soissons.
4)
Le P. Maximin Cottart, cf. NQ, vol. 3, cahier XXI’, note 2.
5)
Duarte de Albuquerque Coelho a écrit un livre sur sa vie au Brésil Memorias diarias de la guerra del Brésil… empecando desde 1530, publié à Madrid en 1614.
6)
Exactement: Mato, matutos.
7)
On rappelle avant tout la défaite des Hollandais. Nous rappelons qu’en 1630 Olinda fut conquise par les Hollandais qui la gardèrent jusqu’en 1654. Pendant ces quelques années, Maurice de Nassau fit venir des Pays-Bas des architectes, des géographes, des artistes. En peu de temps ils construisi­rent une ville appelée Mauritz-stadt dont il ne reste plus grand chose aujourd’hui car les Hollandais eux-mêmes la détruisirent avant de quitter la région, vaincus par les colons portugais, alliés des indigènes. Après l’expulsion des Hollandais, Olinda subit le déclin et Recife, fondée en 1526, elle devint la ville la plus importante.
8)
La Beauce est une région de plaine du bassin Parisien, entre Etampes et la forêt d’Orléans où on cultive le blé et les betteraves.
9)
Exactement: Mato Grosso.
10)
Il s’agit du livre d’Onésime le Reclus : La terre à vol d’oiseau. Le P. Dehon s’était également servi d’un manuel portugais d’histoire du Brésil.
11)
Sabatier (Paul), pasteur et historien français (Saint-Michel de Chabril­lanoux, Ardèche, 1858 – Strasbourg 1928). Après avoir exercé son ministère à Strasbourg, il devint pasteur d’un village de l’Ardèche, Saint Cierge la Serre, où il composa sa Vie de Saint François d Assise (1893), dont la publication, rénovant l’histoire franciscaine, fut un événement. Fondateur de la Société d’études francis­caines (1903), il devint, en 1919, professeur d’histoire ecclésiastique à la faculté de théologie protestante de Strasbourg (GL).
12)
Renouvier (Charles), philosophe français, né à Montpellier, un des fonda­teurs du criticisme en France (1815-1903) (PLI).
13)
Millerand (Étienne-Alexandre), homme politique français, né à Paris en 1859. Elu président de la République le 23.9.1920 (PLI).
14)
Durkheim (Émile), sociologue français (Épinal 1858 – Paris 1917). Elève de l’École normale, agrégé de philosophie, docteur ès lettres, il remplaça en 1902, à la Sorbonne, F. Buisson dans l’enseignement pédagogique. Dans ses articles de la Revue philosophique parus en 1886 et 1887, il entendait par «amorale» la science des moeurs, lesquelles sont relatives aux divers types sociaux. Sa thèse principale, De la division du travail social (1893), cherche à montrer que le développement de l’individu s’accompagne d’une dépendance toujours plus étroite à l’égard de la société. La moralité est proportionnelle à la solidarité à l’égard du groupe; Durkheim en concluait à la nécessité de favoriser les groupements professionnels. Il défendit ses principes dans les Règles de la méthode sociologique (1894). L’essentiel de sa méthode consiste à envisager les faits moraux, en tant que faits sociaux, comme des «choses», existant pour ainsi dire en dehors des consciences indivi­duelles (Représentations individuelles et Représentations collectives, dans la Revue de métaphysique et de morale, 1898). Le Suicide, étude de sociologie (1897), montre que la mort volontaire procède de causes sociales, non individuelles. La création, en 1897, de l’Année sociologique, inaugurée par un mémoire sur la Prohibition de l’inceste, instaure d’importantes recherches sur les sociétés inférieures et sur l’évo­lution des idées morales. Toute une école sociologique se fonde, qui renouvelle l’anthropologie et la critique philosophique non moins que l’histoire des reli­gions. L’expression ultime de la réflexion de Durkheim se trouve dans les Formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie (1912). Il est à noter, toutefois, que la «science des moeurs» de Durkheim n’exclut nullement le rôle de la conscience morale individuelle. Au contraire, la science des moeurs peut trou­ver son application pratique, d’une part dans la réforme des moeurs de la société elle-même, si celle-ci vient à connaître l’éclipse de quelque principe moral fonda­mental, d’autre part dans la perception, par les consciences individuelles les plus éclairées, de tendances nouvelles se faisant jour au sein d’un ensemble de moeurs devenues périmées. Durkheim reconnaît donc un rôle très important à la con­science morale dans le progrès général de la morale (GL).
15)
Cf. «Impressions d’Amérique. Paris, petite ville», nos 8-9, août-septembre 1907: OS, 1, 667-670.
16)
Regnard (Jean-François), poète comique français, né à Paris, auteur du Joueur, son chef-d’œuvre. Inférieur à Molière dans la peinture des caractères et la hardiesse de la satire, il excelle néanmoins à nouer et dénouer d’amusantes intri­gues (1655-1709) (PLI).
17)
Lux Jean-Gabriel Jacques, dehonien: cf. NQ, vol. 1, note 102, p. 525.
18)
Villegaignon ou Villegagnon (Nicolas Durand de), marin français (Provins v. 1510 – Beauvais, près Nemours, 1571). Neveu du grand maître de Malte, Villiers de L’Isle-Adam, il entra dans l’ordre (1531), participa à l’expédition de Charles Quint contre Alger (1541), ramena en France Marie Stuart (1548) et fut nommé vice-amiral de Bretagne. Coligny l’envoya, en 1555, avec six cents colons, au Brésil, où il fonda Fort-Coligny et Henryville, dans la baie de Rio, pays qu’il appela la «France antarctique». Rejoint par de nouveaux colons envoyés de Suisse par Calvin, il ne put apaiser les querelles de ses gens et rentra en France, abandon­nant sa création aux Portugais (fin 1559) (GL).
19)
Hausmann (Eugène-Georges), administrateur français, né à Paris, préfet de la Seine sous le second Empire; célèbre pour les travaux d’embellissement qu’il a fait exécuter dans la capitale (1809-1891).
20)
Il est plus exact de dire : Gouverneur.
21)
Gonfalves Dias (1813-1864), étudia à l’université de Coimbra, fut ami de J. Freire de Serpa (+ 1870), chef de file des poètes médiévalistes qui avaient idéali­sé dans la ballade la vie chevaleresque des siècles anciens. Magalhāes (Domingos José Gonçalves de), poète brésilien (Rio de Janeiro 1811 – id. 1882). Après une phase romantique (Suspiros poéticos, Paris 1836), il écrivit un grand poème épique de style classique, A Confederaçâo dos Tamoios (1857), exaltant la lutte des Indiens, aidés par les Français, contre les Portugais (GL).
22)
Le Sabià est une espèce d’étourneau qu’on compare au Brésil avec le ros­signol.
23)
Dans le manuscrit, il y a une erreur de numérotation: les pp. 115-116 ont été sautées.
24)
Lindgens Henri-Canisius, dehonien: cf. NQ, vol. 3, note 12, p. 463.
  • nqtnqt-0003-0021.txt
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