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NOTES QUOTIDIENNES IVe VOLUME

Le quatrième volume des Notes Quotidiennes du P. Dehon est entière­ment consacré au plus long voyage de sa vie: le tour du monde. Ce voyage commença le 8 août 1910 et finit le 2 mars 1911. Sa raison principale, même si ce n'était pas la seule, était la participation au Congrès eucharistique de Montréal (6-11 septembre 1910). Il écrit dans son journal: «Mes amis de Montréal et de Québec, Mgr. Bégin, Mgr. Marois, le chanoine Martin, vic. général, et M. Volbart sulpicien m'avaient invité avec insistance à y aller. Mon ami, Mgr. Tiberghien, membre du Conseil des Congrès eucharistiques, y allait aussi. Nous avons fait nos plans à Rome. Nous voulions visiter les Etats-Unis et le Canada, et pousser jusqu'à notre mission de l'Alberta vers le Pacifique. Là nous examinerions s'il n'y avait pas lieu de revenir par l'Asie» (NQ XXV, 51).

Ils avaient rendez-vous à Cherbourg, pour partir ensemble par le navire à vapeur Adriatic le 10 août 1910.

La traversée de Cherbourg à New York dura neuf jours. Ils arrivè­rent en effet le soir du 18 août à Coney Island, à l'entrée de la rade de New York. Mais comme il était déjà tard, ils entrèrent dans le grand port seulement le jour après, le 19 août.

«Nous saluons la statue de la liberté, écrit le P. Dehon, un symbole véridique et sincère à l'entrée d'un pays libre» (XXV, 64).

New York fait naître dans son âme des impressions fortes et favora­bles: «Nous abordons la grande ville, nous apercevons les maisons cyclopéennes qui montent vers le ciel, les ponts qui ne finissent pas, les agglomérations immenses. C'est évidemment la ville la plus étonnante du monde, la ville des géants» (XXV, 65).

Après New York c'est le tour de Philadelphie, de Baltimore, et Atlanta, la capitale de la Georgia, un des Etats où il y a le plus d'hom­mes de couleur; et c'est là, à Tuskegee, que Boiker Washington a placé son grand institut pour l'éducation des nègres (XXV, 120). Et c'est sur­tout à l'œuvre sociale de ce grand éducateur que le P. Dehon est inté­ressé.

Il reste étonné de l'organisation, de la discipline, de la formation donnée aux 1500 élèves. Il y a un hôpital, géré de façon exemplaire; il y a une bibliothèque, une chapelle. Le P. Dehon, qui admire l'œuvre de Boiker Washington, regrette qu'il n'y ait pas d'aumônerie pour les catholiques et souhaite qu'ils puissent organiser à leur tour une œuvre si utile.

Après Tuskegee, le P. Dehon traverse les plaines de la Louisiana en direction de New Orléans, St. Louis et Chicago, où il arrive le 31 août. De là il fait une excursion à Dubuque, dans l'Etat de l'Iowa, dans le but de négocier une fondation pour nos confrères allemands.

Le même voeu il l'avait exprimé à New Orléans, étonné de la fécon­de activité apostolique des Soeurs italiennes du S. Cœur, fondées par Ste Francesca Cabrini: «J'espère, écrit-il, que nos Pères italiens les sui­vront plus tard» (XXVI, 5).

Après Dubuque le P. Dehon rentre à Chicago, et son voyage se poursuit à Detroit, Toronto et Montréal, où il arrive le soir du 6 sep­tembre. Et il note: «C'est une grande étape de mon voyage» (XXVI, 34).

Les manifestations prévues pour le Congrès eucharistique sont nom­breuses, et le P. Dehon y participe avec grande émotion. Il est forte­ment impressionné par la foi profonde que manifestent les catholiques du Canada français. Le premier dimanche du mois il y a 15.000 person­nes recueillies dans la grande église de Notre-Dame: «Les hommes chantèrent avec un ensemble de voix formidable le chant de la Ligue, une sorte de marseillaise canadienne… Ce n'est pas d'une riche poésie, mais c'est un cri de foi et une généreuse résolution» (XXVI, 38 s.).

Il relève aussi les forts contrastes entre les Canadiens de langue française et les Canadiens de langue anglaise. Dans les bureaux publi­ques on parle anglais, de même que dans les trains, les tramways, sur les bateaux, mais la plupart de la population, dans le Canada oriental parle français. Et voilà que même à l'ouverture du Congrès, ce patrioti­sme français, un peu «chauviniste», s'exprime à travers l'abbé Baillargé: «Le Congrès de Montréal ne doit pas être seulement un succès religieux; il doit être encore un succès canadien-français. C'est un droit, dont la revendication ne peut blesser personne, car l'anti­quité, la terre et le nombre, ici, sont à nous» (XXV, 48-49).

Le P. Dehon, qui par tempérament, détestait tout extrémisme, souli­gne que même dans l'Ouest du Canada la plupart des catholiques sont de langue française.

Pendant le Congrès, à part les grands discours, il participe aux réu­nions d'étude: jeudi, le 8 septembre, il s'intéresse particulièrement à la dévotion eucharistique au Canada; le vendredi à la dévotion eucharisti­que des jeunes; le samedi aux relations sur les œuvres de réparation.

Impressionnantes sont les processions, grandioses et magnifiques: «Quelle heureuse idée que celle de ce défilé des enfants!… Ils ont le brassard blanc et portent des étendards et des bannières… Ce ne sont pas, hélas!, nos villes de France qui pourraient présenter à l'Eglise une pareille armée d'enfants» (XXVI, 118-119).

Grandiose aussi est la messe pontificale célébrée dans le Parc same­di, le 10 septembre: «A huit heures la foule se masse, immense, au pied du Mont Royal paré de sa riche végétation. Le reposoir s'élève en for­me de ciborium sur ses colonnes élancées, enveloppées de rouge et d'or… Mgr. Farley, archevêque de New York, officie. Le cardinal vien­dra pour terminer, donnant la bénédiction papale à la foule agenouil­lée» (XXVI, 143-144).

Parmi les nombreux discours cités dans le journal, je rappelle seule­ment celui de Mgr. Rameau, évêque d'Angers (1899-1940), en repor­tant quelques-unes de ses réflexions, si souvent partagées par le P. Dehon: «Je suis venu du pays de la grande tribulation, comme parle le Voyant de l'Apocalypse. Je suis venu sur cette terre de foi et de liberté consoler mes tristesses, sécher mes larmes et, en m'associant à des joies qui furent nos joies, ouvrir mon cœur à l'espérance… Pour nous, Français, nos cœurs sont broyés par d'inénarrables douleurs… La divi­ne constitution de l'Eglise, ses droits les plus essentiels, ses libertés les plus saintes, son patrimoine sacré, tout a été méconnu, contesté, vio­lemment supprimé… Que nos épreuves soient pour vous une leçon…» (XXVI, 166.168.169).

A un discours si affligé répond l'archevêque de Montréal Mgr. Bruchési, avec des expressions de sincère participation, et tous les fidè­les présents se lèvent debout en acclamant, profondément émus.

Les célébrations solennelles se terminent le dimanche, 11 septem­bre, avec la messe pontificale d'action de grâces, avec les discours du card. Gibbons et de Mgr. Touchet et avec une grandiose procession qui traverse les principales rues de la ville.

A la fin du Congrès, le 12 septembre, le P. Dehon part pour Québec, où il a des amis à visiter. Il y reste deux jours, il se réjouit d'une ville qui lui rappelle la France d'autrefois, avant la Révolution, même dans la langue parlée.

Le 16 septembre, avec Mgr Tiberghien il arrive à Winnipeg, hôte de Mgr. Langevin, évêque de Saint-Boniface qui forme une seule ville avec Winnipeg. Ce sont deux quartiers, séparés par le fleuve Red. Saint-­Boniface se trouve sur la rive droite et est habité pour la plupart par des catholiques de langue française. Les noms des rues sont aussi en français, tandis qu'à Winnipeg ils sont en anglais.

On est en pleins préparatifs pour accueillir le Cardinal-Légat V. Vannutelli.

Le soir du 18 septembre les deux voyageurs partent de Winnipeg pour Wainwright, dans l'Alberta (XXVII, 21).

Les pères Gaborit et Carpentier les attendent. Deux autres pères sont à Edmonton.

Wainwright est un faubourg en construction et en croissance conti­nue. C'est le centre de la mission. Tout est au début. Mgr. Tiberghien est logé à l'hôtel près de la gare, tandis que le P. Dehon veut rester avec ses pères: ils lui préparent un lit dans la salle à manger.

Les pères sont en train de construire une maison-chapelle: habita­tion en bas, chapelle en haut. Il leur faut 1000 dollars: on va les recueillir par une souscription. La vie des missionnaires est très pau­

vre: du lait, des neufs, des pommes de terre forment le menu de tous les jours. Leurs apostolat s'étend, par delà Wainwright, à d'autres fau­bourgs, où ils vont de temps en temps célébrer.

Le 21 septembre le P. Dehon et Mgr. Tiberghien sont à Edmonton, «la Reine de l'ouest, la capitale de l'Alberta. C'est une ville en croissan­ce, à l'américaine» (XXVII, 28).

A Edmonton ils rencontrent le P. Grandin, vicaire général de Mgr. Legal et neveu du fameux Mgr. Grandin, que le P. Dehon avait rencon­tré à Rome pendant le Concile Vatican I, et qui depuis est devenu l'apôtre des Indiens du Canada occidental.

Après une visite à St. Albert, siège de l'évêque Mgr. Legal, à quel­ques kilomètres d'Edmonton, le 22 septembre les deux partent pour Calgary, avec destination Vancouver.

Le 24 septembre ils arrivent à Vancouver, ils visitent la ville et le merveilleux Stanley Park avec les sequoias géants. Le soir du même jour ils prennent le bateau pour Seattle, rentrant ainsi dans les Etats­-Unis, mais dans la partie occidentale; se trouvant sur les côtes occiden­tales de l'Amérique, ils en profitent pour visiter les Montagnes Rocheuses et la Sierra Nevada (26 et 27 septembre).

Le 28 septembre, en arrivant à San Francisco, ils trouvent hospita­lité chez les Pères Maristes et le P. Dehon a la joie de rencontrer trois des anciens élèves de Lille, qui dans les jours qui suivent s'offrent de les accompagner en visite à San Francisco, à Los Angeles, à San Diego et même à une excursion au Mexique (XXVII, 60-63).

Le P. Dehon ressent une sincère admiration pour l'esprit d'initiati­ve, pour l'organisation, pour le caractère laborieux des Américains de San Francisco. Après le désastreux tremblement de terre du 6 avril 1906, qui rasa la ville au sol: 28.000 maisons détruites et la population réduite de plus que de la moitié, «on pressa les constructeurs et ces gens ont travaillé avec tant d'énergie depuis 1906, qu'aujourd'hui (1910) plus de 30.000 édifices sont terminés et chaque jour les entre­preneurs jettent de nouvelles fondations. Ils procèdent par séries et groupes de maison et l'on voit un beau jour surgir du sol tout un quar­tier neuf… toutes les deux heures une maison était achevée: cela faisait douze maisons par jour. Naturellement ils ont profité de l'occasion pour embellir, ils disent «beautifier» San Francisco… Quel exemple d'éner­gie ils offrent aux bons Siciliens de Messine» (XXVII, 77-79).

Le P. Dehon est sur le point de quitter l'Amérique. Mais avant de reprendre son récit, il désire exprimer quelques-unes de ses impres­sions. Des choses vues et des nombreuses rencontres qu'il a eues, il a rapporté une impression positive, non sans enthousiasme, à l'égard des Américains, surtout pour leur esprit d'initiative, pour leur caractè­re laborieux et ingénieux. Ils penchent, peut-être, peu à la contempla­tion, mais personne ne les dépasse en ce qui concerne l'action… (Cf. XXVI, 7).

Cela dit, il en vient à examiner les publications de plusieurs experts qui ont étudié de près la situation socio-religieuse des Etats-Unis au début du XXe siècle. De celle très positive de l'abbé Félix Klein dans les deux œuvres Au pays de la vie intense et L'Amérique de demain, à celle tout à fait négative de George Moreau, à la description plus réaliste de Claude Jannet, disciple du grand sociologue catholique F. Le Play. Et enfin le livre d'un écrivain américain, Henry van Dyke, Le génie de l'Amérique, à propos duquel P. Dehon écrit: «C'est une étude qui a beaucoup de vrai, avec une teinte de flatterie» (XXVII, 157).

Le soir du 6 octobre, départ de San Francisco sur le Chiyo Maru: «Nous sommes 280 passagers en première» (XXVIII, 1). Il faudra 17 jours pour arriver aux côtes de l'Asie.

Le 11 octobre le bateau passe devant l'île de Molokai. Le P. Dehon rappelle le P. Damien, mort victime de son dévouement aux lépreux. Ce même jour les deux touristes débarquent à Honolulu et le jour après, avec l'évêque, ils visitent le centre de l'île, en admirant les arbres merveilleux, les fleurs et les fruits.

Le 12 octobre on reprend le voyage et le 15, écrit le P. Dehon, «nous arrivons aux antipodes, à 180 degrés de latitude de Greenwich. On sait que le voyageur qui va à l'est perd un jour en faisant le tour du monde… Naturellement, il y a la réciproque: à celui qui vient vers l'ouest comme moi gagne un jour… Comment rectifier cela? Les anglais ont adopté une règle à laquelle tout le monde se conforme. C'est au 180° degré qu'on double le jour si on va à l'est, et qu'on sup­prime un jour si on vient à l'ouest. Nous étions le dimanche 15 au 180° degré. Fallait-il supprimer le dimanche?» (XXVIII, 17-18). C'était l'avis du capitaine. Mais à bord tous protestent. On a donc supprimé le lun­di. Après le dimanche on est passé tout de suite au mardi.

Le 28 octobre on débarque à Yokohama. Le P. Dehon écrit: «Comme pour les Etats-Unis, je vais donner mes notes journalières; puis j'analyserai deux ou trois volumes» (XXVIII, 21).

De Yokohama ils vont à Kamakura, capitale du japon de 1192 à 1338. Ce sont 50 minutes de chemin de fer et de Kamakura le P. Dehon et Mgr. Tiberghien commencent la visite touristique du japon.

Le journal du P. Dehon devient à ce moment si varié et minutieux qu'il n'est pas possible choisir des passages ou essayer de faire une synthèse. Pour se rendre compte de la variété et de l'importance des thèmes traités, il suffit de lire son journal avec attention, systématique­ment. Les villes, les monuments, les temples, la nature dans laquelle ils sont en général plongés sont décrits avec richesse de détails et avec grande participation:

Yokohama, Kamakura, Hakone (Miyanositha), Kawasaki (Haneda), Tokyo, Nikko, Kirifuri, etc. ce sont des villes auxquelles nous ne pou­vons pas nous arrêter, mais qu'il est facile de localiser dans un bon atlas.

A Nikko, après une journée passée entre temples et mausolées, le P. Dehon se sent comme étourdi et écrit: «C'est fini de cet éblouissement de merveilles; il faut se reposer le soir à l'hôtel» (XXVIII, 104).

Les alentours de Nikko, qui se trouve à 600 mètres d'altitude, sont pittoresques. La région est appelée la Suisse du japon. Le P. Dehon et Mgr. Tiberghien prennent deux légères calèches (riksha) tirés au petit trot par les conducteurs (kurumaya) et visitent le lac Chuzenji et la cascade Kirifuri. «Dans les montées nous allons à pied pour ménager nos conducteurs» (XXVIII, 105).

La visite à Nikko a duré deux jours: le 28 et le 29 octobre. «Il faut dire adieu à Nikko, une des villes les plus merveilleuses du monde» (XXVIII, 108).

Le 30 octobre les deux touristes sont de nouveau à Tokyo. Puis, le soir, à Yokohama. «La nuit la terre tremble; il fallait cela pour bien connaître le Japon» (XXVIII, 112). «Les japonais disent qu'il y a, sous leur pays, une baleine qui se remue souvent» (XXVIII, 54).

Le 1er novembre le P. Dehon et Mgr. Tiberghien partent pour Nagoya. Ils passent par la ville de Fuji et il peuvent contempler la plus célèbre montagne du japon, le Fuji-Yama ou Fouji-San, un volcan éteint en forme de cône parfait, dont la cime neigeuse atteint l'altitu­de de 3776 mètres.

C'est un célèbre lieu de pèlerinages. Le Fuji-Yama apparaît souvent dans la peinture de paysages japonais.

Ils sont à Nagoya, le 2 novembre. Le 3, à Tsu ils rencontrent le P. Birraux et ils vont ensemble à Yamada visiter les temples de la région d'Ise; le 4 ils sont à Nara, première capitale fixe du Japon de 710 à 794 après Jésus-Christ. L'époque dite «de Nara» (645-794 après Jésus­-Christ) fut l'époque d'or de la civilisation japonaise. Dans ses temples sont conservés de précieux trésors d'art et dans son parc il y a des arbres séculaires.

Le 5 et 6 novembre le P. Dehon est à Kioto, où il reste deux jours, en visitant seulement six des trois mille temples de la ville. Le 7 novem­bre il est à Osaka et rencontre l'évêque Mgr. Chatron, qui se dit dispo­sé à offrir une partie de son diocèse pour promouvoir l'évangélisation. Le 8 novembre il visite Kobe et le 9 il est à Shimonoseki, le port le plus proche de la Corée.

Le P. Dehon part du japon avec une très bonne impression. Il a été frappé par la religiosité des japonais, par leur amour pour la nature, par une architecture harmonieusement intégrée dans l'habitat, en par­ticulier les temples. Les références symboliques sont partout: elles rap­pellent le soleil, le ciel, la mer. Le P. Dehon, qui était venu au japon avec des préjudices négatifs, en particulier à l'égard de ses habitants, quitte ce pays avec une opinion bien diverse: il a rencontré un peuple religieux, qui aime la nature et l'art. Son désir profond est la conver­sion de ce peuple à l'Evangile.

Le soir du 9 novembre le P. Dehon et Mgr. Tiberghien s'embar­quent à Shimonoseki avec destination Fusan (Pusan: Corée). Il n'y a pas de place en première classe. Ils doivent se contenter d'une natte étendue dans le salon de deuxième classe, avec une vingtaine d'autres passagers: hommes, femmes et enfants. Arrivés à Fusan (Pusan) le matin du 10 novembre, ils prennent le train pour Séoul où ils arrivent le soir, hôtes des Pères des Missions étrangères de Paris.

A Séoul le P. Dehon s'intéresse surtout à la colline des martyrs. Il se souvient de son condisciple du séminaire Christian de Bretenières, dont le frère juste est un des 79 martyrs de la Corée au XIXe siècle.

Il fut décapité le 8 mars 1866 près de Séoul. Le P. Dehon, quand il était séminariste, avait lu avec émotion et dévotion les lettres que juste envoyait à son frère Christian (Cf. notes 1 et 4 du XXXe cahier) et, entre les livres de sa bibliothèque, figuraient presque certainement les deux volumes de Ch. Dallet, Histoire de l'Eglise de Corée, Paris 1874 (Cf. surtout vol. 2, pp. 501-557), qui décrivent le martyre de juste de Bretenières, de Beaulieu et de Dorie (Cf. AD, Rome, 266, 56/D).

De la Corée, les deux touristes passent en Mandchourie. Ils arrivent à Antung le 13 novembre et le 15 ils sont à Moukden, puis ils traver­sent la Grande Muraille et le 17 ils sont à Pékin.

La ville, riche d'histoire, de palais et de temples, est d'une saleté incroyable, écrit le P. Dehon; tout le contraire du japon, où la pro­preté est sacrée. C'est comme dans les wagons des trains, où les Chinois en font voir de toutes les couleurs.

Le 21 novembre, le P. Dehon et Mgr Tiberghien quittent Pékin pour aller à Han-Kéou sur le Fleuve Bleu, où ils arrivent le 25 novem­bre.

Han-Kéou est la typique ville chinoise, avec les rues étroites et tor­tueuses, invariablement sales. C'est la ville où Gabriel Perboyre a été martyrisé. Le P. Dehon la parcourt en palanquin: «On est bercé et secoué là dedans… On en sort, non sans peine» (XXX, 124.125).

Le même jour le P. Dehon et Mgr. Tiberghien prennent un bateau anglais pour Nankin: un voyage fluvial sur le «Yang Tzu Chiang» ou Fleuve Bleu. Ils s'arrêtent à Kion-Kiang, passent par Ngan-King et Wan­Hou et le soir du 26 sont à Nankin. Le dimanche 27 le P. Dehon célè­bre la Messe avec une petite mitre sur la tête, selon l'usage de cette église, pendant que les chrétiens chinois, accroupis, chantent sans ces­se leurs cantilènes. Dans la mission il y a un seul père jésuite, le P. Gibert, pour 200.000 fidèles!

A Nankin, le P. Dehon et Mgr. Tiberghien reprennent le chemin de fer pour Shang-Hai, à peu près 200 Km. Le ler décembre ils prennent un bateau japonais, le Korea, pour les Philippines. Ils côtoient l'île de Formose et arrivent à Manille le 5 décembre. L'intérêt principal du P. Dehon est la situation de l'église et l'évangélisation. Dans les Philippines il y a huit millions de catholiques: c'est la seule nation catholique de l'Asie, mais il y a très peu de prêtres.

Le 7 décembre, les deux voyageurs quittent Manille, et retournent encore en Chine, en s'arrêtant quelques jours à Hong-Kong, «la ville la plus caractéristique de toute la Chine» (XXXI, 5).

Puis, le 14 décembre 1910 ils s'embarquent sur un navire avec desti­nation Singapore, en donnant l'adieu au Céleste Empire.

Le P. Dehon rédige ses observations personnelles sur la Chine, en s'aidant souvent des livres qu'il a lus, comme ceux de Pierre Loti, Les derniers jours de Pékin; de S. de Beauvoir, Voyage autour du monde, etc. Le jugement, dans l'ensemble, est positif: «Les chinois me paraissent valoir mieux que leur réputation. Ils sont mal gouvernés et la vie socia­le en souffre énormément; mais comme hommes privés, ils sont labo­rieux, vigoureux, assez honnêtes» (XXXI, 17).

«Il faut dire, à l'honneur des Chinois et de Confucius, que ses livres sacrés enseignent une morale sérieuse et solide. Ils honorent vraiment toutes les vertus et flétrissent tous les vices. Ils prêchent le respect des parents, le mépris des richesses, l'horreur de l'injustice, la patience dans les épreuves, l'humilité, la charité, l'amour du travail et de l'étu­de… Le peuple chinois doit beaucoup à Confucius. La réputation fâcheuse de la Chine vient surtout de sa mauvaise administration… Les scandales d'en haut sont un voile qui cache les vertus des petits en fai­sant croire au mal universel» (XXX, 36-37).

Les observations du P. Dehon sur la Chine, sur la vie et sur les usa­ges chinois sont très intéressantes: on les lit avec intérêt. On s'aperçoit que l'on connaît très peu ce grand peuple, très loin de notre monde occidental en ce qui concerne mentalité, us et coutumes.

Le P. Dehon aurait aimé visiter l'Indochine française, mais il aurait dû prolonger de quinze jours au moins un voyage qui avait déjà duré des mois. Ainsi, il doit se contenter de contempler du navire les côtes de l'Annam (Viêt-nam) et le 18 décembre, 43e anniversaire de son ordination sacerdotale, il débarque à Singapore et visite le sultanat voi­sin de Djohor (Johor Baharu). Il contemple, enchanté, la végétation luxuriante, la beauté des fleurs, la variété des fruits de la zone équato­riale, contemplation et merveille qui s'accroissent pendant la visite de l'île de java.

Le Père arrive à Batavia (Jakarta) le 23 décembre. «Batavia, la ville basse, humide et fiévreuse, n'est plus guère habitée que par des Malais et des Chinois» (XXXI, 123). La ville haute, au contraire, et en particu­lier le siège du gouverneur à Buitenzorg (Bogor), à 300 mètres à peu près au-dessus du niveau de la mer, est une merveille.

Le jour de Noël le P. Dehon peut célébrer ses trois messes dans la chapelle des Soeurs Ursulines et faire deux longues promenades dans le jardin du gouverneur «qui est le plus beau jardin du monde et une sorte de paradis terrestre» (XXXI, 130). Le 26 décembre il visite Bandeng (Bandung) et le soir il arrive à Moentilan, près de «la grande merveille de java» (XXXI, 130), le temple bouddhiste de Boro­-Boudour, qu'il visite le 27.

Le P. Dehon n'est jamais seulement un touriste: il désire connaître personnellement les missions catholiques, tenues par les jésuites hol­landais. Il s'intéresse aux conversions, aux œuvres missionnaires, même à celles tenues par les soeurs, et en particulier aux écoles.

Enfin il visite les temples bouddhistes (chandi) de Brambanam, de Lambung, de Sebo etc. Beaucoup d'entre eux tombent en ruine, en particulier après le tremblement de terre de 1867, mais conservent encore de grands trésors artistiques.

Et pour conclure, un éloge à l'excellente administration hollandai­se: belles rues et chemins de fer, villes ordonnées et une tolérance reli­gieuse loyale, avec la généreuse aide financière aux missions protestan­tes et catholiques.

Le 30 décembre les deux voyageurs font leurs adieux à java et par­tent sur un bon navire de la royale compagnie de navigation hollandai­se, le Rembrandt, avec destination Colombo (Ceylan).

Ils y arrivent le 5 janvier, après un arrêt, le 2 janvier, à Sabang, «la pointe de Sumatra, sur l'île de Poulo-Weh: un port de passage, un petit Singapore. Nous nous promenons dans la bourgade et au-delà… Nous prenons un chargement énorme de tabac de Sumatra: 6.000 balles de 1.000 kilos. A 2 francs le kilo, cela fait un chargement de valeur. Les Hollandais pourront se délecter longtemps» (XXXI, 158).

L'île de Ceylan est un paradis terrestre, comme l'île de java, pour la végétation, les oiseaux, les fleurs. En plus, elle a une atmosphère de mystère, en particulier dans l'ancienne capitale des rois cingalais Kandy: «Qu'il est difficile de comprendre l'état d'âme habituel de la race qui se perpétue sous ces palmes et dont les vagues aspirations s'expriment par ces architectures, par la quotidienne offrande des fleurs au Bouddha souriant! A quoi rêvent, tout le long du jour, ces moines qui errent sur les parvis de marbre?… Ils sourient avec mystère, un sourire d'une douceur et d'un sérieux inexprimables» (XXXI, 175).

De Kandy, Mgr. Tiberghien désire aller à Batticaloa, où se trouvent comme missionnaires deux de ses cousins. On loue donc une voiture pour quatre jours et on voyage sur une bonne route qui traverse la forêt vierge peuplée de singes et d'éléphants. L'arrivée à Batticaloa est solennelle. Des vedettes ont signalé l'arrivée. Son de cloches, éclat de pétards: tout le peuple s'est réuni et l'évêque Mgr. Lavine est sur le seuil de l'évêché avec tout le clergé. Les deux hôtes sont arrosés avec des jets d'eau de rose. Le P. Dehon croit que c'est de l'eau sainte et fait le signe de croix avec dévotion. Ils sont presque couverts de fleurs et enfin on partage un grand déjeuner. Le retour se fait encore à travers la forêt vierge, par Badulla jusqu'à Kandy, puis par chemin de fer jusqu'à Colombo.

Le soir du 13 janvier ils s'embarquent sur le navire Pentakota qui, en 16 heures, les portera en Inde, à Tuticorin. Que peut-on dire du voyage en Inde? Villes, temples, missions: de Maduré à Trichinopoly, à Tanjore, à Pondichéry, Madras, Calcutta … et puis l'excursion jusqu'aux pieds de l'Himalaya, à Darjeeling (à peu près 2.000 m.), en passant par toute la variété de la végétation et de la jungle indienne, que le P. Dehon admire et décrit poétiquement,… jusqu'à l'apparition soudai­ne, et qui durera seulement une demi-heure, du Kitchijunga ou Kanchenjunga, qui s'élance imposant dans le ciel avec ses 8598 mètres: «Au centre, en face de nous, le Kitchijunga déroule les jungles douces de sa vaste base, soulève ses rochers, ses glaciers bleuâtres, et profile là­-haut, à vingt six mille pieds, sa crête aiguë sur la pâleur froide du ciel… Mais l'extase ne dura que l'espace d'une demi-heure à peine, et puis des nuées arrivèrent pour voiler ce spectacle grandiose, comme le rideau d'un théâtre met fin à une apothéose. Je restai très impres­sionné. Il me semblait que nos belles montagnes d'Europe, le Mont Blanc, le Mont Rose, le Bernina, étaient petites auprès de ces colosses de l'Asie» (XXXII, 73-74).

Le 27 janvier le P. Dehon est à Bénarès, la ville sainte, la Kasi, c'est à dire la «resplendissante» de l'Inde, une ville extraordinaire pour son mysticisme, une ville fantasmagorique, en particulier si on la contem­ple pendant la nuit, en descendant sur une jonque le fleuve sacré, le Gange. Le jour, on est frappé par les longs rites, les cérémonies, les prières que chaque brahmane (il y en a 25.000 à Bénarès) accomplit avec recueillement et gravité. Le P. Dehon conclut: «Ces gens-là prient plus que beaucoup de chrétiens, avec plus de foi et de gravité. Dieu est juge de leur bonne foi et de la valeur de ces actes. Qui sait combien d'entre eux seront sauvés?» (XXXII, 93).

Après Bénarès ils visitent une autre ville sainte, Allahabad, où ils arrivent le 29 janvier; puis c'est le tour de Luknow, une grande ville, avec peu de monuments intéressants. Le 1 février il sont à Agra, la ville préférée par les Grands Moghols (musulmans), avec Delhi. Le P. Dehon ressent une profonde impression à Agra, avec son palais du Fort, sa Mosquée de la Perle et surtout le Taj-Mahal, mausolée élevé par le Shah Jahan à la reine Muntaz-i-Mahal. «On descend de voiture devant un noble portique de grès rouge, percé d'une puissante ogive, couverte d'arabesques blanches. On pénètre sous la voûte et l'on aperçoit le Taj qui se dresse à huit cents mètres de distance. Probablement nul chef-d'œuvre d'architecture ne produit une émo­tion qui ressemble à celle-ci» (XXXII, 130-131). L'architecture des monuments d'Agra est si riche, si simple, si délicate qu'elle semble au P. Dehon un rêve asiatique; ce sont des constructions de Mille et une nuit.

Le 3 février il est à Delhi, la ville sainte des musulmans, comme Bénarès l'est pour les hindous.

A Delhi les mêmes merveilleuses architectures d'Agra, ou mieux, la mosquée de Delhi est la plus belle de l'Inde et le P. Dehon la décrit avec précision, avec goût artistique, en s'inspirant du livre sur l'Inde de A. Chevrillon.

Le voyage dans le «royaume des Mille et une nuit» (XXXII, 153) continue avec la visite de Jaipur et de la vieille capitale du Rajputana, Amber. «Monuments et moeurs, tout est ici très indien et très original: A Calcutta l'Inde anglaise; à Bénarès, l'Inde des Brahmes; à Agra l'Inde des Grands-Mogols; ici à Jaipur, l'Inde des radjas, l'Inde des romans, de l'Opéra, féerique et paradoxale» (XXXII, 154-155).

A Jaipur même les noms des monuments sont des noms de rêve: Palais du Vent, Palais des Nuages, Temple du Soleil, Porte des Rubis… Tout est féerique, comme un conte oriental, justement…

Ahmédabad (ou Ahmadabad), où le P. Dehon et Mgr. Tiberghien arrivent le 8 février, est la ville des paons, des pigeons et des singes; dans cette ville il y a de merveilleuses mosquées, tombeaux et mau­solées. Les quelques voitures sont tirées par de petits ânes ou de petits boeufs très agiles.

Enfin ils arrivent, le 9 février, à Bombay, la deuxième ville de l'Inde, après Calcutta. Ils sont les hôtes de l'archevêque Mgr. Jürgen. Pendant la visite de la ville, le P. Dehon se dit épaté de voir un hôpital pour les animaux et un spectacle funèbre à Malabar Hill. Le lieu est merveil­leux. Il y a le cimetière des Parsi: «Au milieu d'arbres centenaires, les tours du silence reçoivent les cadavres des morts. Il y a l'étage des hommes, celui des femmes et des enfants… Ce site ravissant est gâté par ce spectacle funèbre» (XXXII, 184185).

La dernière visite est à l'île d'Elephanta, avec des grottes où se trou­vent les plus beaux temples souterrains de l'Inde. La longue et sugge­stive pérégrination aux lieux et aux temples les plus célèbres de l'Inde se conclut à son tour.

Le 11 février départ de Bombay sur le bateau Delta, en direction d'Aden, où on arrive le 16 février. Ce sont six jours de navigation, et jusqu'à Port Saïd, où on arrivera le 20 février, neuf jours complets. Le P. Dehon les utilise en faisant ses exercices spirituels: «Je me recueille et j'écris des notes de retraite que j'ai transcrites sur un autre cahier» (XXXII, 186).

Le 16 février le P. Dehon touche Aden, le 19 (soir) il est à Suez et le 20 (soir) à Port Said. Combien de souvenirs lui reviennent à l'esprit du voyage en Orient qu'il avait fait dans le lointain 1864-1865, quand on travaillait encore au percement du Canal de Suez! A Port Saïd une heureuse surprise tant à la poste française qu'à celle autrichienne: « J'ai des flots de lettres. Je ne savais plus rien de l'Europe» (XXXII, 87).

Le même soir, 20 février, départ immédiat sur le seul bateau qui va en Palestine, le Goritzia et le matin du 21 février débarquement à Jaffa et d'ici, le même jour, arrivée à Jérusalem par le chemin de fer.

Comme c'est différent de la visite en 1865! Jadis, tout était plus cal­me, plus silencieux, plus religieux. Maintenant, il y a toute la confu­sion et la bousculade d'une gare moderne. «Le contraste entre le pré­sent et le passé est profond et m'attriste» (XXXIII, 94). L'hospitalité lui est offerte au Couvent de St. Etienne, et il l'accepte avec vive grati­tude. Il rencontre, entr'autres, le grand exégète Lagrange. Le matin du 22 il peut célébrer la messe au Saint Sépulcre: «Depuis longtemps je désirais offrir là le saint sacrifice sur la pierre du tombeau, d'où Jésus est sorti glorieux pour aller nous préparer une place au ciel. Quelle demi-heure! Comme le cœur est gonflé d'émotions! Je pense aux quatre fins du sacrifice. C'est tout: adorer, aimer, réparer, prier! J'allonge un peu le memento, j'ai tant de grâces à demander! Les épanchements qu'inspire ce Saint des saints se continuent dans l'action de grâces…» (XXXIII, 96-97).

Le P. Dehon et Mgr. Tiberghien restent à Jérusalem jusqu'au 25 février. Ils visitent avec dévotion les grands sanctuaires de la ville et aus­si Bethléem et Béthanie. Mais il est temps désormais de rentrer en France. Dans les lettres que le P. Dehon a reçues il y avait, peut-être, quelques plaintes pour son absence prolongée. Il écrit en effet: «Il faut partir, on trouve en Europe que j'ai déjà été absent bien longtemps» (XXXIII, 132).

Le 25 février il part donc de Jaffa pour Port Saïd, et de la il poursuit vers Marseille.

Ils passent le détroit de Messine et les Bouches de Bonifacio entre la Corse et la Sardaigne, et le soir du ler mars ils arrivent près de la France, mais ils doivent s'arrêter au Château d'If, que François ler avait fait construire (1524) sur un îlot calcaire situé juste devant Marseille; et seulement le jour suivant, ils peuvent entrer dans le port de Marseille et débarquer.

Le P. Dehon écrit dans son journal: «Le voyage est bouclé. Je reprends la chère soutane que j'avais quittée à Cherbourg pour le costume de clergyman. Ma bonne Mère, la très Sainte Vierge, m'a con­duit et protégé. Je remercie aussi mon bon ange qui m'a gardé, com­me Raphaël a gardé Tobie, et qui m'a ramené sain et sauf' (XXXIII, 141).

Il monte au sanctuaire de Notre-Dame-de-la-Garde de Marseille: «Je salue Notre-Dame-de-la-Garde à mon retour, comme j'ai salué Notre­-Dame-du-Voeu à Cherbourg au départ» (XXXIV, 1). De ce jour-là, le 10 août 1910, jusqu'au 2 mars 1911 se sont passés six mois et 24 jours, en dehors des deux jours de Paris à Cherbourg.

Ce volume de NQ, complètement occupé par le voyage autour du monde, a demandé au P. Dehon un effort spécial. Il s'était préparé en lisant des livres et des guides touristiques des pays à visiter et, puis, en programmant en avance les lieux et choses à voir, et en prévenant insti­tutions ou personnes auprès desquels il aurait pu trouver logement. Aux archives dehoniennes il y a de nombreuses lettres de personnes amies qui lui répondent en promettant un accueil chaleureux. Puis, pendant le voyage, P. Dehon notait souvenirs ou impressions des lieux visités et des personnes rencontrées, et même ses évaluations personnelles sur les caractéristiques humaines, sociales, religieuses des populations qu'il contactait. Il enregistrait tout cela avec une fidélité méticuleuse.

Terminé le voyage, il disposait donc d'un matériel énorme (livres de spécialistes, guides touristiques, notes personnelles). Mais tout cela devait être ordonné, réélaboré et exposé dans un langage clair et discursif, pour qu'on puisse le lire avec plaisir. C'est la méthode que lui-même nous a exposée: «Comme pour les Etats Units, écrit-il, je vais donner mes notes journalières; puis j'analyserai deux ou trois volu­mes» (XXVIII, 21).

Le P. Dehon commença ce fatiguant travail au mois de juin 1911 (cf. NQ 34, 15). «Il y en a pour un an», remarque-t-il. De ce travail, pour rédiger ce récit de son voyage autour du monde, il parle encore trois ou quatre fois dans le cahier XXXIV mais seulement à la p. 84 il dit qu'il est vers la fin.

Il consulte beaucoup de livres et d'articles, aux-quels il peut puiser des informations exactes sur l'histoire, les coutumes, les religions ou les œuvres artistiques des pays ou des villes visitées. Souvent il cite seu­lement le nom de l'auteur ou le titre du livre d'où il puise ses informa­tions.

Mais sa dépendance à l'égard de ces sources est parfois excessive et il se laisse porter à de longues digressions qui n'ont rien à voir avec le style sobre et sec d'un `journal de bord».

On rencontre un premier livre auquel P. Dehon s'inspire de près, dans le cahier XXVI, en parlant du Canada. C'est: A. Siegfried, Le Canada. Les deux races, Paris 1907. Dans l'AD est conservée la copie dans laquelle, de p. 11 à p. 68, on peut encore voir les signes au crayon faits par le P. Dehon lui-même, à côté des morceaux qui l'intéressaient. Pour ses évaluations sur les Américains USA il s'inspire de deux auteurs: un très critique, l'autre très indulgent; après cela, il donne une importance peut-être exagérée à Claude Jannet, Les Etats Unis con­temporains, 1876 (un résumé de 30 pages dans le cahier XXVII), et un autre résumé de 15 pages pour Henri van Dyke, Le génie de l'Amérique (dans le même cahiers XXVII, 157-174).

Pour l'histoire de l'art japonais, il puise tout spécialement à Ribaud, Ruines et mausolées japonais (XXVIII, 87) et à Louis Gonse, L'art japo­nais (XXIX, 28). Pour l'histoire et les coutumes, il s'inspire de J.V. Loti, Madame Crisanthème, et encore plus de Japoneries d'automne (XXIX, 87; 94 s.). Un ample commentaire est réservé à l'œuvre de Francisque Marnas, La religion de Jésus, ressuscitée au Japon, en deux volumes, qui décrit la renaissance de la religion chrétienne au japon à partir de 1844. Parmi les livres de sujet religieux les plus vendus dans cette période au japon (XXIX, 128), il signale: La vie de Jésus par M. Ebina; Ma religion de Tolstoï et La vie de St. Paul par Fischer et Satomi. Non content de tout cela, le P. Dehon conclut ses évaluations sur le japon avec une bibliographie de 17 titres (XXIX, 183-185).

Pour la Chine aussi, le P. Dehon puise à plusieurs auteurs, comme Mgr. Reynaud, Une autre Chine (XXXI, 36); M. Bard, Les Chinois chez eux (ib. p. 62); Reclus, Le partage du monde (ib. 88); Cl. F. Bastiat, Harmonies (ib. 95); E. L. M. Grandidier, La céramique chinoise (ib. 104); et peut-être le Comte de Beauvoir, Voyage autour du monde, Paris 1902.

Une grande place également est donnée par le P. Dehon, à l'histoi­re de l'Eglise de Corée, en puisant probablement dans les deux volu­mes de Ch. Dallet, Histoire de l'Eglise de Corée, Paris 1874, œuvre dans laquelle on expose en détail la persécution pendant laquelle fut tué le missionnaire, fils du baron de Bretenières, Simon-Marie-Antoine-Juste Ranfer de Bretenières, dont le frère Christian était condisciple du P. Dehon à Rome en 1865-1866.

Pour décrire les peuples, les religions et les monuments artistiques de l'Inde le P. Dehon a rempli les cahiers XXXII et XXXIII. Entre les auteurs les plus cités on peut rappeler: André-Louis Chevrillon, Dans l'Inde, 1891, et par le même auteur Sanctuaires et paysages d'Asie, 1905 (XXXII, 50 ss.); et encore M. Bernier, Mémoires sur l'empire du Grand­-Mogol, Paris 1671.

La discussion sur les rapports entre révélation biblique et traditions religieuses indiennes est très vivace dans ces cahiers. Le P. Dehon abor­de ces problèmes en s'inspirant d'auteurs comme Fr. Laouenan, Du brahmanisme et de ses rapports avec le judaïsme et le christianisme, 2 volumes, Pondichéry 1884 et 1885 (XXXIII, 3); Jarollet, La Bible dans l'Inde (ib. 21); Ermoni, La religion de l'Egypte (ib. 22). Mais d'après le P. Dehon «ce qu'il y a de plus complet pour montrer comment la révélation pri­mitive, plus ou moins altérée, s'est conservée parmi les peuples païens», ce serait l'œuvre du Dr. Lueken, Les traditions du genre humain ou la révélation primitive de Dieu parmi les nations. Et il en donne lui-même un long résumé, de p. 26 à p. 68.

Le nombre des auteurs cités et la grande variété des thèmes traités nous montrent les intérêts et la «curiositas» intellectuelle très vaste du P. Dehon.

Participer à un congrès international, visiter des pays lointains et inconnus, revoir, après un long temps, amis et condisciples de sa jeu­nesse sont certainement des motivations plausibles, et toutes plus ou moins présentes dans le « journal» du P. Dehon. Mais ce qui est du plus grand intérêt pour nous c'est une ligne de lecture selon une perspecti­ve «missionnaire». Elle est du reste présente dès le commencement, même si elle était encore en sourdine. Le P. Dehon lui-même écrit en effet: «Nous voulions visiter les Etats-Unis et le Canada et pousser jusqu'à notre mission de l'Alberta, vers le Pacifique» (XXV, 51).

Et encore avant son départ, le 1er juillet 1910, au P. Amacher il écrivait: «Je ne pense pas aller en Bohème cette année. Je dois partir pour un long voyage au Canada et en Amérique. Vous savez que nous allons commencer quelques fondations là-bas. La Province Allemande est en négociation pour fonder une œuvre à Dubuque aux Etats Unis. L'autre Province va commencer au Canada… Trois Pères vont partir demain pour cette fondation» (cf. AD 7/3, p. 574).

Cette perspective «missionnaire», qui était au début seulement une hypothèse, s'éclaircit avec le temps.

En effet, déjà le 31 août, quelques jours après son arrivée aux Etats­-Unis, il écrit de Chicago au P. Falleur: «Je vais ce soir à Dubuque pour négocier la fondation des allemands» (AD.B. 20/7.3; inv.299.03). Le 2 septembre, premier vendredi du mois, il est à Dubuque pour traiter avec l'évêque. Dans le cahier il note: «Ce qui m'y a attiré c'est un projet d'œuvre… L'évêché nous céderait pour cela une belle pro­priété… hors de la ville… J'ai vu l'évêque, Mgr. Kean. Il est en mauvaise santé, il est trop âgé pour traiter une affaire importante… On verra plus tard» (XXVI, 17-18). Quelques jours après, de Chicago au P. Charcosset (lettre 4/9/1910), il écrit: «J'ai préparé les choses à Dubuque, mais il faut attendre encore… Tout s'arrangera d'ici quel­ques mois» (AD.B. 20/7.13).

Il exprime le même souhait à New Orleans. En voyant le zèle apo­stolique des Soeurs italiennes en faveur des immigrés, il écrit: `J'espère que nos Pères italiens les suivront plus tard» (XXVI, 5).

Et dans sa lettre au P. Charcosset il insiste: «Que de belles œuvres j'ai rencontrées. Tous les ordres religieux prospèrent ici et prennent la vitalité américaine. Il nous faudra plus tard une Province Américaine» (lettre du 4/9/1910).

Une étape importante prévue par le P. Dehon pour ce voyage était la visite à nos missionnaires, arrivés seulement depuis quelques semai­nes à Wainwright (Alberta). En effet, une fois terminé le congrès de Montréal, il passe deux jours à Québec; mercredi, le 14 septembre il part pour l'ouest et vendredi, le 16 il est à Winnipeg, hôte de Mgr. Langevin, l'évêque qui avait accueilli nos premiers confrères au Canada.

A Wainwright, siège de nos confrères, le P. Dehon arrive le lundi, 19 septembre, vers le soir. Ainsi, dans son cahier, il rappelle cette rencon­tre: «Nos Pères m'attendaient, le P. Gaborit et le P. Carpentier. Les deux autres sont à Edmonton. Ils sont canadiens depuis la fin de juil­let. Ils ont loué une modeste maison et le dimanche on fait le culte dans un magasin d'épicerie».

«Il y a un hôtel près de la gare, Mgr. Tiberghien y logea. Nos Pères me dressèrent un lit dans leur salle à manger. Je voulais loger chez eux» (XXVII, 22 ss.) .

Dans quelques pages suivantes, P. Dehon décrit la petite ville de Wainwright, qui compte 1700 habitants, mais en croissance continue. Nos Pères ont commencé la construction d'une maison-chapelle. La somme prévue est de mille dollars. Mais «tout se fait par souscription. Les catholiques nomment un comité. Ce comité se charge de tout. On quête chez les catholiques et même chez les protestants. Ils donnent volontiers; c'est, disent-ils, pour l'accroissement du pays» (XXVII, 24).

Le P. Dehon commente encore: «Nos Pères ont commencé mode­stement. Ils n'ont personne à leur service. L'un d'eux fait la cuisine. Oh! Ce n'est pas compliqué: de la soupe au lait, une omelette et des pommes de terre. C'est le menu de tous les jours… Mais le lendemain nous avons eu une surprise: une voisine protestante, sachant que nos Pères avaient du monde, envoya une poule et du gâteau. Cela porte bonheur d'aider les missionnaires!» (XXVII, 25-26).

Nos Pères, conclut le P. Dehon, ne se contentent pas de travailler à Wainwright. Ils ont déjà formé des comités dans plusieurs autres bour­gades. Ils y vont célébrer quelquefois, et ils y feront des paroisses» (ib. 28).

Ce même jour, le 20 septembre, dans une lettre au P. Falleur, le P. Dehon ajoute: «Je verrai les deux autres demain. Ils apprennent tous l'anglais. Le P. Gaborit visite tout le pays, recherche les catholiques, prépare des comités, des églises, des paroisses. En mars ils se partage­ront en deux (groupes). Il leur faudra alors deux frères… Je vais ce soir à Edmonton», évidemment pour voir aussi les deux autres Pères (AD. B. 20.7.3; inv. 299.05).

Il ne demeura, donc, qu'un jour à Wainwright et il ne dit rien de la rencontre qu'il avait en programme à Edmonton avec les Pères Steinmetz et Soyez.

Pour le P. Dehon, pendant ce voyage, l'intérêt culturel est prédomi­nant. Et toutefois on ne peut pas oublier que, dans tous les pays qu'il a visités, les personnes qu'il approchait étaient des gens d'Eglise: évê­ques, prêtres, frères et soeurs missionnaires. C'est ainsi qu'on lui rap­pelait continuellement, et dans les formes les plus diverses, le thème de la pratique religieuse, et encore plus, l'instance missionnaire.

Combien il se laissait captiver par l'instance missionnaire, cela appa­raît clairement, entre autres, dans une lettre qu'il écrit au P. Guillaume alors qu'il est près de Formose en voyage vers Manille. La lettre porte la date du 3 décembre 1910, fête de St. François Xavier. Il écrit:

«Je vais de mission en mission et j'y trouve une grande édification.

Les missionnaires sont bien généreux et dévoués. Ils ont de beaux résultats en Chine cette année-ci: 50.000 baptêmes d'adultes. Le sang des martyrs est fécond. Six mille chrétiens ont perdu la vie à la révolu­tion de 1900. Soixante petits apostoliques, élèves des Maristes, ont préféré la mort à l'apostasie. J'ai prié sur leur tombe pour vos enfants.

A Séoul, à Pékin, à Tientsin, nos églises et nos cimetières sont rem­plis de martyrs, évêques, prêtres et fidèles. Que de traits héroïques on raconte, comme celui de cet enfant que sa mère encourageait en lui disant: «C'est pour aller au ciel » et l'enfant agenouillé présentait son cou au bourreau.

A Séoul, à Tientsin, à Wou-Chang, j'ai visité le champ des martyrs, le lieu d'exécution de nos grands missionnaires: les bienheureux Perboyre et Clet, le vén. Daveluy, de Bretenières etc. - Lisez à vos enfants les belles vies de ces héros. Près d'ici est l'île de Lancian où mourut St. François Xavier. J'espère visiter son tombeau à Goa en retournant.

Dans tous ces pays les résultats des missions consolent l'Eglise des tristesses qu'elle éprouve en Europe.

Nous pourrions faire beaucoup aussi pour la joie de N.S. et de l'Eglise, si nous avions plus de missionnaires au Congo, au Canada, etc. Cherchez beaucoup de vocations, faites bien prier vos enfants pour cela.

Soyez tous bénis. Devenez fervents et saints… Je vous bénis cordiale­ment…» (signé L. Dehon).

Il a envoyé une autre lettre, la même date, dans laquelle il utilise presque les mêmes expressions et manifeste les mêmes sentiments, au P. Schulte (cf. B. 22/8).

Dans la perspective du futur des missions scj, la lettre que le P. Dehon écrivit au P. Kusters hollandais, lorsqu'il était «près de Sumatra», et datée 30 décembre 1911 (mais c'était 1910!), est sûre­ment encore plus importante.

Dans cette lettre au Supérieur Provincial de Hollande, il s'exprime ainsi: «Etant à Singapore, j'ai désiré visiter ces belles colonies, pour voir s'il y aurait quelque chose à faire là pour vous. Certainement nos chers hollandais trouveront beaucoup à faire ici. Il y a 50 Jésuites et quelques Capucins pour 40 millions d'âmes… Les jeunes javanais sont très sympathiques… Les Jésuites parlent tous français; nous avons par­tout logé chez eux; ils sont très aimables et m'ont reçu comme un demi-hollandais… Bon courage là-bas. Ménagez-vous… Soyez tous bénis. J. Dehon» (B.74/2).

Et à la même date du 30 décembre 1910 (cette fois-ci il n'y a pas d'erreur!) le P. Dehon écrit une autre lettre, adressée au supérieur de Louvain le P. Guillaume, dans laquelle il précise: `J'ai voulu voir java où il y aura place pour nos hollandais plus tard» (le texte complet est rapporté dans le cahier XXXI, note 26).

Ces lettres du P. Dehon, adressées aux diverses communautés de la Congrégation, ne pouvaient qu'alimenter un vif idéal missionnaire. On en trouve un clair témoignage dans une lettre que le Supérieur Provincial de Hollande écrivit au même P. Dehon le 1 février 1918, dans laquelle il rappelle ses promesses d'autrefois, c'est-à-dire les pro­messes d'ouvrir une mission dans les Indes orientales hollandaises en la confiant aux confrères de la Province de Hollande.

Le P. van Halbuk écrit textuellement: «Nous nous souvenons de vos lettres écrites en 1910, lors de votre voyage aux Indes Hollandaises, dans lesquelles vous nous souhaitiez et faisiez espérer une mission aux Indes Orientales néerlandaises pour notre Province. C'est un désir exprimé par tous, dans nos réunions du dernier chapitre provincial… Cette œuvre est dans le cœur de tous les membres de la Province. L'état actuel de nos maisons et de nos œuvres en Hollande en permet la réalisation» (AD B.101/1).

L'attention continue aux problèmes et aux besoins des missions, qu'il a pu visiter pendant son voyage, a permis au P. Dehon de mûrir aussi quelques convictions, que plus tard il a mises par écrit avec le titre «Quelques notes de voyage» et que par la suite il a consignées à la congrégation de Propaganda Fide comme modeste contribution à la cause de l'évangélisation (cf. NQ XXXIV, 2). Mais voici le texte com­plet de ces «Notes», d'après l'exemplaire dactylographié qui est con­servé dans les Archives Dehoniennes de Rome, sous le sigle AD, B 24/12. Et c'est, peut-être, la meilleure façon de conclure ce para­graphe sur la perspective «missionnaire» du P. Dehon dans son voyage autour du monde.

I. Aux Etats-Unis, à Dubuque, Mgr. Kean archevêque n'est plus en état de gouverner. Il n'a plus de mémoire. Il dit lui-même qu'il a per­du la tête. Il demande un coadjuteur depuis un an, cela paraît urgent pour le bien du Diocèse.

II. Au Canada, à Ottawa, j'ai trouvé les catholiques qui les 4/5 sont français, fort désolés de recevoir un archevêque de langue anglaise.

III. Au japon, espérons que le nouvel archevêque de Tokyo va don­ner une nouvelle vie à la mission. Il y à là plusieurs missionnaires doc­tes et vénérables, mais un peu âgés.

Les œuvres d'enseignement ont du succès. Les Marianistes font très bien. Il y a place à côté d'eux pour d'autres collèges à Kyoto, à Kobé, à Nagoya. Les Jésuites y pourvoiront peut-être.

III/bis. Des réunions d'évêques seraient très utiles au japon. Il y a des questions communes à étudier: uniformité du catéchisme, des livres de prières, des livres scolaires, moyens d'apostolat, œuvres cen­trales (collèges, séminaires). Les réunions sont faciles, les chemins de fer ne manquent pas.

IV. Il faut pousser à la formation du clergé indigène et même à l'éducation soignée de quelques hommes de valeur pour en faire des évêques. Les japonais n'aiment pas à être conduits par des étrangers. S'ils voyaient chez eux un premier évêque indigène, cela ferait grande impression.

V. En Chine aussi, il faut des réunions d'évêques. Il y en a eu quel­ques-unes par régions. Une réunion générale est difficile à cause des distances, mais on pourrait faire à Pékin une réunion avec un ou deux délégués de chaque région. Ceux-ci apporteraient les vues de leur région et y reporteraient les impressions du Conseil central.

VI. Le Vicariat apostolique du Kiam-Nan est trop grand. Les Jésuites ont là des œuvres admirables, mais ils ne sont pas assez nombreux. Ils ne parviennent à mettre à la grande ville de Nankin qu'un seul Père, sans écoles, sans un frère convers.

On ne fait pas assez de prêtres chinois.

VII. La méthode apostolique de Pékin réussit admirablement: 20.000 baptêmes d'adultes par an. On réunit l'hiver des catéchumènes pendant trois mois et on les prépare au baptême. Il faut leur donner du riz, cela coute peu: dix francs par mois. Cette méthode est à recom­mander aux autres missions chinoises.

VIII. Je remarque en passant que les Missionnaires de Milan sont très bons missionnaires mais peut être pas assez nombreux. L'Italie a trois sociétés de missions, est-ce une force ou une faiblesse?

IX. Les pères de Scheut en Mongolie et au Nord de la Chine se dispersent beaucoup et vivent pauvrement et isolément. Peut-être auraient-ils plus de résultats en se groupant et en adoptant la méthode de Pékin.

X. L'œuvre de la Ste. Enfance donne des instructions trop strictes. Elle oblige les missionnaires en conscience à n'employer ses dons que pour recueillir les enfants abandonnés. Si elle pouvait étendre cela au moins aux petits séminaires, aux écoles apostoliques?

XI. Aux Philippines, manque de prêtres. Cent mille catholiques sont passés au protestantisme. L'excellent délégué et les évêques font appel à toutes les Congrégations, mais ils n'ont pas de ressources à offrir. Où sont passés les trente millions donnés par les Etats-Unis? Il y a des villes de 10.000 et de 20.000 âmes sans prêtres.

XII. Le Japon et la Chine n'ont pas de délégués apostoliques, pas de visiteurs.

Mgr. Agins n'est pas loin, ne pourrait-il pas recevoir la mission de visiter une fois la Chine et le Japon?

XIII. A Ceylan aussi on désire des réunions d'évêques.

Les Sylvestrins sont trop faibles comme nombre à Kandy. Les protes­tants en profitent et s'implantent.

Le délégué des Indes a donné tout ce qu'il peut donner depuis quinze ans, le temps est venu ut promoveatur

XIV. Aux Indes également, des réunions d'évêques seraient utiles. Les jésuites font des merveilles au Naypur; ils feraient encore plus s'ils étaient plus nombreux. Il y a là 50.000 catéchumènes qui attendent des catéchistes et le baptême.

Les capucins de Bologne dans la même région pourraient faire beaucoup s'ils étaient plus nombreux.

XV. Les juridictions portuguaises aux Indes constituent un embrouillement dont il faudra sortir.

XVI. Le protectorat français s'exerce encore assez bien partout et les missionnaires en sont satisfaits. Le Ministre de France à Pékin, le consul à Mukden, le Consul général à Jérusalem sont des catholiques et ils sont très bienveillants pour les missions.

XVII. Le recrutement du séminaire des Missions Etrangères de Paris est baissé d'un tiers. Dans deux ou trois ans commencera le marasme dans nos belles missions d'Asie, si on ne presse pas le recru­tement du clergé indigène.

XVIII. Mgr. Tiberghien a fait avec moi ce grand voyage. Il connait déjà beaucoup de missions et il voyagera encore. Il serait peut être uti­le comme consulteur à la Propagande. Il a été partout assez généreux pour les missions.

1. Le texte de cette édition reproduit tel quel l'original manuscrit du P. Dehon.

2. Les numéros indiqués en noir dans le texte, ex. 25, se réfèrent à la pa­gination du manuscrit original.

3. Dans la marge en haut de chaque page, le numéro romain indique le cahier manuscrit, et le numéro arabe l'année correspondante.

4. Le P. Dehon n'est pas très régulier dans l'usage des majuscules/minus­cules, ou bien de certains signes comme traits d'union, accents, quelquefois ponctuation etc. Il y a aussi quelque lapsus calami…

Dans cette édition on s'est conformé aux usages reçus en bonne ortho­graphe. Mais les cas les plus importants seront signalés par crochet…

5. On a uniformisé les titres intercalés dans le texte avec les titres repris dans la table des matières.

6. Quelquefois le P. Dehon cite la Sainte Ecriture de mémoire, et souvent il n'indique pas le livre biblique d'où la citation est tirée. Dans cette édition on suit fidèlement le texte manuscrit, mais entre parenthèse on ajoute la réfé­rence à la Bible, en indiquant livre, chapitre et versets. Cette référence est précédée par le sigle Cf. s'il s'agit de citation tout à fait libre, ou bien de para­phrase.

7. Dans ce volume les mots ésotériques (japonais, chinois, indiens) sont assez fréquents. Dans le manuscrit la graphie de ces mots n'est pas constant. On a, par ex., shogoun et shogun; Shang-Hai et Chang-Hai, etc. Dans cette édi­tion on a gardé cette même variété.

8. Les notes d'explication du texte sont imprimées à la fin du volume, sui­vant les pages du volume lui-meme et l'ordre des cahiers manuscrits.

Ce volume des Notes Quotidiennes était mis en programme déjà en 1994 par le P. Giuseppe MANZONI. Après sa mort imprévue, le travail pour la prépara­tion du texte critique et pour la rédaction des notes a rencontré beaucoup de difficultés.

Mais grace à la collaboration très valide et désintéressée de M. Stanislas SWIERKOSZ on a pu assurer la publication.

Un grand merci à lui et à tous ceux qui ont prêté leur collaboration.

Andrea Tessarolo scj

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