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26ème CAHIER. Le Congrès Eucharistique de Montréal (29.8.1910 – 10.9.1910)

1 Notes quotidiennes

J'arrive de bonne heure. Messe chez les Maristes, qui ne sont pas loin de la gare, puis visite à l'évêché. Mgr Blenck nous retient. C'est l'a­mabilité même, nous serons ses hôtes pendant deux jours.

Qu'il fait chaud dans cette ville. Heureusement qu'à l'évêché et par­tout on a à sa disposition de l'eau glacée et des éventails! Monseigneur fait chercher une automobile et va nous montrer lui-même toute la ville. C'est la ville méridionale et comme le Marseille de l'Amérique, avec son ciel bleu, ses quais animés et son soleil éblouissant. 2 La vieille ville, aux rues malpropres est la ville latine, demi-française et demi-espagnole. Elle a ses maisons à deux étages, des balcons en fer forgé, des cours intérieures avec de l'eau et des fleurs. On y parle beaucoup encore la langue de France et les moeurs y sont empreintes d'une courtoisie qui fait contraste avec le caractère froid des gens du Nord.

L'élément français a persisté là-bas. Plusieurs associations ont pour but sa conservation. La vieille colonie ne connaît pas nos divisions politiques et religieuses, et tout ce qui est français s'unit dans une sym­pathie toute naturelle.

Des écoles de garçons et de filles conservent notre langue. Plusieurs communautés religieuses parlent 3 français

Les Anglo-saxons ont créé des quartiers neufs, dont l'avenue St­-Charles est le centre. Là les rues sont larges et plantées. Les riches rési­dences sont entourées de jardins. On se croirait là dans les beaux quar­tiers de New York ou de Chicago.

La grande ville a 400.000 habitants, dont 100.000 de couleur. Son nom rappelle le Régent qui gouvernait la France au temps de sa fonda­tion.

Plus de la moitié de la ville est catholique, les couvents et les œuvres y abondent. Nous ferons une visite rapide avec l'automobile de Monseigneur. Commençons par la cathédrale St Louis. C'est un édifi­ce du XVIIIe siècle, au 4 vieux quartier. L'intérieur est pieux et n'a rien d'artistique.

Les œuvres s'adressent à toutes les classes de la société. Pour l'ari­stocratie, il y a le grand collège des jésuites, vaste, riche, avec son élé­gante chapelle en style mauresque. Nous y sommes reçus avec une grande affabilité. Il y a aussi ce qu'on appelle l'académie du S.-Cœur, un grand pensionnat pour les jeunes filles avec un beau parc.

Les Soeurs de charité ont un vaste hôpital. Aucune œuvre ne man­que à New-Orleans.

Les Rédemptoristes ont trois églises, pour satisfaire leurs paroissiens de diverses langues, l'une est anglaise, l'autre française et la troisième allemande.

Près d'eux un orphelinat tenu par des Soeurs. Les enfants nous donnent une gracieuse séance d'exercice militaire. 5 Ils sont bien costumés. L'esprit militaire s'acclimate aux Etats-Unis.

Les Ursulines sont au vieux quartier. Elles ont un grand pensionnat près de la digue qui protège la ville contre les envahissements du Mississippi. Je leur souhaite de se transporter sur les coteaux mieux aérés du quartier neuf. C'est là que nous trouvons les Soeurs italiennes du S.-Cœur, si zélées et si prospères. Elles se développent étonnam­ment aux Etats-Unis. J'espère que nos Pères italiens les suivront plus tard.

Les Soeurs noires de la Sainte-Famille sont bien intéressantes. Elles ont déjà 17 maisons, tant en Louisiane que dans les Antilles. Cela mon­tre le bon parti qu'on peut tirer des nègres.

Le quartier français a son théâtre, 6 son hôpital, ses clubs et ses journaux (l'Abeille et la Guêpe). On y trouve les rues ou avenues de l'Esplanade, du Rempart, Royale, Bourbon, Condé et Toulouse. On montre, à la rue Royale, une maison où ont habité Lafayette1), Ney et Louis-Philippe. Une autre maison, rue St-Charles, était préparée en 1815 pour y recevoir Napoléon, que le mayor Girod espérait délivrer de Ste-Hélène.

On se sent vraiment là dans une ancienne colonie française.

Mgr avait pour hôtes deux évêques mexicains qui se rendaient à Montréal, Mgr Guilho [Gillow], archevêque de Oaxaca, et Mgr Herrera, évêque de Tulacingo. Ils parlaient français tous deux, surtout le premier. Ils m'offraient des œuvres dans leurs diocèses. Partout la moisson est 7 grande et les ouvriers manquent.

Je vais remonter le cours du Mississippi jusqu'à Saint-Louis. Le «Père des eaux» traverse orgueilleusement toute l'Amérique du Nord. C'est le plus grand fleuve du monde. Il a 4.200 kilomètres de cours, et même 7.000, si l'on compte depuis la source du Missouri, son affluent. De Saint-Paul à la Nouvelle-Orléans, sa largeur est toujours d'un kilomètre environ…

Les premiers explorateurs de ce fleuve furent Joliet et Marquette2), et celui-ci était un jésuite laonnais.

La vue du grand fleuve me rappelle ce que j'en lisais, au temps de mon adolescence dans les pages de Chateaubriand mais le poétique écrivain a passablement embelli cette région, qu'il n'a sans doute pas visitée. Il n'y voit que 8 lianes et fleurs, oiseaux-mouches et colibris, hérons blancs et flamants roses.

Il y a un peu de tout cela, mais aussi de vastes marais, des broussail­les infinies et des dunes incultes déposées par les inondations du fleu­ve.

Je traverse plusieurs Etats: la Louisiane d'abord, l'Etat du Pélican, à cause de ses grands oiseaux, qui figurent dans ses armoiries; le Mississippi est l'Etat des Bayous, on appelle ainsi les canaux naturels qui forment comme autant de bouches du fleuve; le Tennessee est l'Etat des volontaires, à cause de la vaillance de ses habitants. C'est à Memphis, sa capitale, que le chemin de fer passe le fleuve sur un beau pont; l'Arkansas est appelé Bear State, l'Etat des ours; le Missouri, dont St-Louis est le chef-lieu, est le Bullion State, 9 Etat des lingots, par allu­sion à la richesse de ses mines.

J'arrive le matin du 303) à St-Louis et j'y célèbre la messe chez les Pères Lazaristes. Quelques instants au séminaire, puis causerie avec Mgr Glennon, le jeune archevêque, et visite de la ville.

Saint-Louis est une grande ville, la 4e ville des Etats-Unis, avec 600.000 âmes. Elle est de fondation française et à moitié catholique. Elle a 90 églises.

Bâtie sur la rive du Mississippi, elle a un pont superbe, analogue à celui de Brooklyn: 1884 mètres de long; trois arches d'acier de 150 m. d'ouverture; deux étages, dont l'un pour le chemin de fer et l'autre pour les voitures et les piétons.

St-Louis a la même latitude que Palerme. 10 Magnifique station centrale, genre château-fort: 5 millions de dollars.

Une nouvelle cathédrale s'élève en style byzantin. Je suis monté en haut des échafaudages. La ville, avec ses parcs et ses avenues, est gra­cieusement boisée, les Belges diraient arborée et ils auraient raison.

Les jésuites ont une grande université avec une église dédiée à St Xavier et richement décorée.

Les Frères des Ecoles ont aussi une université imposante: édifice à coupole, musée d'histoire naturelle, collection de coupes d'honneur et autres prix gagnés dans les concours de base-ball et de sport.

Les Rédemptoristes ont une grande église paroissiale bâtie en belles assises de pierre. Ils sont puissants aux Etats-Unis. 11

La ville est fière de son grand parc, Forest Park, où paissent des buf­fles et des élans.

Saint-Louis a une spécialité, ce sont des rues réservées, on appelle cela à Paris des cités, mais à Saint-Louis ces cités sont comme des squares avec de gracieux jardins.

La ville a beaucoup d'Allemands. C'est une des villes les plus catho­liques d'Amérique. Elle ambitionne d'avoir un jour son congrès eucha­ristique comme Montréal. Elle a eu en 1904 sa grande exposition pour solenniser le centenaire de sa fondation, qui date de 1804.

De St-Louis à Chicago, à travers tout l'Etat de l'Illinois, qu'on appel­le l'Etat de la Prairie.

Chicago n'est pas uniquement, comme beaucoup le pensent, une grande 12 ville d'affaires, c'est aussi un centre de culture intellectuel­le et artistique et un foyer actif de vie religieuse.

Le diocèse, pour plus de moitié compris dans la ville, compte un million de fidèles, 450 prêtres séculiers et 200 réguliers, 300 paroisses, 115 chapelles de secours, 125 écoles paroissiales, 33 pensionnats ou collèges avec 100.000 élèves.

C'est un archevêché avec trois évêchés suffragants. Les prêtres sont zélés. Ils ont de la tenue, ce qui s'exprime là-bas en disant qu'ils sont gentlemen.

Chicago a une grande université, une splendide bibliothèque, des sociétés savantes et artistiques.

C'est la plus jeune des grandes capitales et déjà elle compte deux millions d'habitants. Elle s'étend sur la rive du lac Michigan 13 et n'a pas moins de 40 kilomètres de longueur.

Son histoire n'est pas longue. En 1831, c'est un village de 100 habi­tants. En 1840, elle en a 4.400 - en 1850, 30.000 - en 1870 elle atteint le chiffre de 300.000 et elle est déjà l'un des plus grands centres du commerce du Nouveau Monde. En 1880, elle franchit le chiffre de 500.000 habitants et en 1890, celui d'un million. Elle n'a pas fini de grandir.

En 1893 [1892] elle fêtait par une Exposition les 500 [400] ans de la découverte de l'Amérique.

J'arrive par la grande gare de l'Illinois. C'est près du parc nouveau conquis sur la rive du lac.

Je descends chez le Dr Kelly, l'aimable Directeur de la grande 14 association pour l'extension de l'Église catholique. Je reparlerai de son œuvre.

Pour cette première journée, nous visitons le Musée et la Bibliothè­que et nous faisons une promenade en auto pour voir l'ensemble de la ville.

Ma première visite cependant est chez les Pères Lazaristes, pour dire la messe à leur église St Vincent. C'est un modèle de mission avec toutes ses dépendances, écoles, clubs et associations…

Le Musée ne vaut pas évidemment ceux de nos capitales, mais il s'enrichit sans cesse. Il a de bons tableaux flamands: deux van Dijck; un Rembrandt, portrait de jeune fille; Hobbema, paysage boisé; Ruysdael, un château dans une forêt; Van Ostade, une Kermesse.

L'Espagne est représentée par 15 une Immaculée Conception de Murillo et un portrait de Philippe IV de Vélasquez.

Comme tous les musées d'Amérique, celui de Chicago est riche en œuvres françaises contemporaines: des paysans de Millet, des paysages de Corot, un marché de Troyon, des officiers de Détaille, le chant des alouettes de Breton et quelques œuvres caractéristiques de Meissonnier, de Gérôme, de Couture, de Fromentin, de Munkacoy. C'est toute la gamme.

La Bibliothèque publique est luxueuse. L'intérieur est surchargé de marbres et de mosaïques, l'installation très pratique et américaine. Au premier, la salle des souvenirs patriotiques, objets souvent de peu de valeur, qui rappellent les guerres nationales. 16

Le 1er Septembre, excursion à Dubuque. C'est l'État d'Iowa, Etat des yeux d'autour (Hawkeye State). Ce nom vient sans doute d'une an­cienne tribu d'Indiens.

Dubuque est une ville peu importante, elle a 40.000 âmes. Ce qui m'y attire, c'est un projet d'œuvre. Le curé de St Mary, M. Heer nous propose d'ériger là un orphelinat professionnel, on appelle cela ici un training school. L'évêché nous céderait pour cela une belle propriété avec une ferme dans un site pittoresque hors de la ville. Je suis descen­du chez le bon curé de St Mary. Il est allemand, la moitié de la ville est allemande. C'est une population pieuse et sérieuse. J'ai vu l'évêque, Mgr Kean. Il est en mauvaise santé, il est trop âgé pour traiter une affaire 17 importante, il a demandé un coadjuteur. On verra plus tard.

Je vais voir la propriété, c'est une excursion. Nous allons en char­à-bancs, guidés par un des principaux catholiques de la ville, M. Nicolas Gonner, un Luxembourgeois, rédacteur du journal Catholic Tribune.

Nous poussons notre excursion jusqu'à la trappe de Key West, le seul couvent d'hommes du diocèse. C'est un monastère de trappistes irlandais, fondé il y a une trentaine d'années. Ils ne se recrutent pas. Le Père Abbé a 78 ans, il est encore alerte, il nous reçoit avec affabilité et nous fait visiter son monastère, conçu sur un grand plan, mais resté inachevé. Les Américains ne sont pas faits pour la vie contemplative.

M. Gonner nous explique qu'il y a 18 à Dubuque une grande asso­ciation catholique allemande (Central Verein) avec 150.000 chefs de famille. C'est une puissance.

Je visite les églises, la cathédrale, le S.-Cœur. Les églises ont leurs clubs et leurs écoles de Soeurs et de Frères.

Le 2 sept. c'est le ler vendredi du mois. Il y a 400 communions à St Mary. Cette paroisse serait au nombre des meilleures en Europe. Je serais heureux d'avoir plus tard une fondation à Dubuque.

Il faut achever la visite de Chicago. Quelques églises d'abord: la cathédrale du St Nom de Jésus, vaste et peu artistique, plusieurs églises franco-canadiennes. Celle de Notre-Dame est originale, décorée de peintures et fière d'un éclairage électrique à grand effet. 19

Chicago a plusieurs sociétés françaises et un petit journal français quotidien.

Comme New York, elle a ses hauts édifices, mais ils sont moins har­dis. Les règlements municipaux défendent d'élever des maisons de plus de vingt étages. Je trouve cela fort sage. De cette façon, quand on se trouve sur le lac, ou sur le parc central, on a devant soi l'avenue de Michigan avec ses constructions de 10 à 20 étages qui font croire à une ville de géants, sans présenter ces contrastes des rues de New York où les gratte-ciel sont entremêlés de maisons anciennes de cinq étages, qui ont l'air de taupinières.

Une de ces grandes maisons d'affaires, la Rookery ou Nid de 20 cor­neilles a ses vestibules et escaliers revêtus de marbre, elle compte 600 chambres.

A signaler le temple maçonnique, édifice colossal avec 21 étages. La Maçonnerie veut manifester sa force. Heureusement des sociétés catholiques, notamment celle des chevaliers de Colomb lui font équili­bre. Elles sont franchement chrétiennes et honnêtes, mais avec quel­que mystère pour se rendre intéressantes et solliciter la curiosité.

Avec M. Rae, auxiliaire du Dr Kelly, nous faisons une grande prome­nade en automobile. Nous allons jusqu'au Lincoln Park et son jardin zoologique. Les avenues nouvelles ont une foule de belles résidences, castels avec tourelles ou cottages avec vérandas, entourés de jardins.

L'Université a coûté 18 millions 21 de dollars, elle rivalise avec Oxford par la richesse de ses collèges, de sa bibliothèque et de ses col­lections.

Je visite en passant les bonnes Soeurs italiennes de l'hôpital Columbus. Cette pieuse congrégation de la mère Cabrini, se multiplie rapidement en Amérique.

Le musée ethnographique a un grand intérêt. Des peuples de tou­tes les latitudes y sont représentés, aussi bien que les anciennes tribus indiennes de l'Amérique.

Je remarque un bateau égyptien de 32 pieds de long, à deux mâts et 12 rameurs, du temps de la 12e dynastie. Du pays des Esquimaux, des fourrures et des statuettes grossièrement taillées dans le bois.

De Bornéo et Java, des costumes et des figurines qui servent à faire 22 des ombres chinoises au théâtre.

De Manille, des cuillers dont le manche forme des figurines variées. De la Mélanésie, des masques de danses, des instruments de musi­que.

La province de l'Arizona est représentée par des vases anciens, rou­ges et gris, à figures géométriques ou symboliques. Ces vases viennent des ruines de Hopi. Les Indiens de cette région, comme ceux du Mexique, venaient de l'Asie, tandis que ceux du nord semblent venir des pays scandinaves.

On a représenté au musée les sacrifices anciens de l'Arizona: le prê­tre fait l'aspersion avec un goupillon, il offre de la farine; des orantes pieux, les bras étendus. Ces traditions viennent des populations primi­tives de l'Asie. 23

Les Apaches sont là représentés par leurs coiffures de plumes, des corbeil­les, des hachettes de fer, des raquettes pour marcher sur la neige.

De l'Illinois, il y a des silex taillés qui servaient de houes pour la cul­ture et un Totem, sorte de fétiche, colonne de bois taillée avec des figu­res plus ou moins décentes. Ces tribus plantent cela dans leurs campa­gnes pour être protégées contre les grizzly, les ours du nord.

Je verrai sur les places de San Francisco et de Seattle de ces Totem que ces villes ont achetés aux sauvages, moyennant force dollars.

Une visite intéressante à Chicago est celle des grands abattoirs, les Stockyards. Il y en a deux principaux, la maison Armour et la maison Swift. 24 J'ai visité la maison Swift. On sait l'importance de ces Stockyards. Les parcs à bétail occupent une superficie de 200 hectares. Les auges ont 40 kilomètres et les abreuvoirs en ont 30. Il entre là par an environ 4 millions de têtes de gros bétail, 8 millions de porcs, 4 mil­lions de moutons et 100.000 chevaux, représentant une valeur totale de 300 millions de dollars.

Les maisons d'exportation occupent environ 25.000 ouvriers et la valeur annuelle de leurs produits s'élève à 320 millions de dollars. 25.000 fermes fournissent les animaux.

Avec un employé j'ai visité toutes les salles d'abattage et de prépara­tion des viandes et des conserves. Tout se fait avec l'aide de machines ingénieuses. La propreté est extrême, partout 25 l'eau coule limpide et emporte tout ce qui est malpropre. Il n'y a pas de mauvaise odeur. La viande préparée aboutit dans des glacières où elle garde sa fraî­cheur. Elle est expédiée par des wagons réfrigérants, mais une partie est préparée sous forme de conserves et de salaisons.

Il y a là un bel exemple d'industrie moderne. Ce n'est pas le seul à Chicago, qui a aussi des aciéries, des fabriques de locomotives et de machines aratoires, et des entrepôts énormes pour les céréales. La valeur des produits manufacturés à Chicago s'élève à 1 milliard de dol­lars par an. Les greniers à blé, au bord du fleuve, ont une capacité totale de 30 millions de boisseaux.

J'ai réservé pour ma dernière page la Catholic Church extension 26 society (Société de propagande de l'Eglise catholique).

C'est une œuvre nouvelle et pleine d'espérances. Elle a été fondée en 1905. Son président, le Dr Kelly, unit la distinction du gentleman au zèle des apôtres. Cette œuvre a ses pendants en Europe: l'œuvre de St-François-de-Sales en France et l'Œuvre de St-Boniface en Allemagne, pour la propagation de la foi à l'intérieur.

Mais naturellement, en Amérique, elle est menée à l'américaine. Son bureau central est installé dans un des beaux palais de Chicago sur le Parc. En entrant là, vous voyez en mouvement tous les procédés modernes de communication: téléphones, sténographie, machines à écrire. C'est bien un centre d'apostolat américain.

Le but de la Société est de 27 contribuer à élever partout des égli­ses et des écoles pour les émigrants de culte catholique qui affluent chaque année aux Etats-Unis. On en compte de six à sept cent mille par an.

Si l'on pourvoit à la conservation de la foi chez ces nouveaux arri­vants, il semble assuré que la moitié de la population des Etats-Unis sera catholique, dans 25 ou 30 ans.

Un bulletin trimestriel, l'Extension fait connaître les besoins de l'œuvre. Les ressources arrivent. Elles se chiffrent aujourd'hui par 6.000 dollars par mois.

La Société a son wagon pullman qui sert de chapelle ambulante et qui va porter partout dans les campagnes les missionnaires au service de l'œuvre. Les compagnies américaines le transportent 28 gratuite­ment. Tous les congressistes de Montréal, y compris le Cardinal-Légat [Vincenzo Vannutelli] ont visité le wagon-chapelle à la gare. J'eus le plaisir de faire dans ce wagon le voyage de Chicago à Détroit.

Je quitte le chapel-car à Détroit et je prends le train pour Niagara Falls, où j'arrive le 5 au matin. J'ai la journée pour visiter cette grande merveille de la nature. J'étais seul, j'arrive, après m'être un peu égaré, au beau pont de fer qui passe le Niagara et aux merveilleux points de vue du Victoria Park.

Les Indiens ont bien nommé cette masse d'eau qui est le déversoir d'un lac dans un autre. Niagara veut dire «Tonnerre des eaux»: 1200 mètres de large, 47 mètres de haut. C'est la proportion 29 de cette chute d'eau. Tivoli est un jouet à côté de cela. La chute du Rhin est dix fois moindre.

Mais comme le cadre est supérieur à Schaffouse! Niagara est en­touré de collines. Schaffouse est dans les montagnes, avec ses castels du Moyen Age et son panorama des Alpes neigeuses dans le lointain. Je reverrai encore volontiers Schaffouse après Niagara. Tout est plus vaste à Niagara, tout est plus varié et pittoresque à Schaffouse.

Le Niagara a été découvert par le franciscain belge Louis Henne­grin de l'expédition La Salle4) en 1678.

Il tombe là 400.000 mètres cubes d'eau à la minute. Les cataractes reçoivent un million de visiteurs par an.

Les grands hôtels s'y établissent. 30 Niagara devient ville d'été pour les habitants de New York et des autres grandes cités. Les foules y arrivent. On aimerait plus de solitude pour une curiosité purement naturelle.

J'y étais précisément un jour d'encombrement. C'était le premier lundi de septembre. C'est la fête du travail, le labour day. C'est le pen­dant de notre premier mai. Seulement les ouvriers américains ne pas­sent pas ce jour-là à s'échauffer la tête dans des démonstrations sociali­stes et anarchistes. Pas si bêtes! C'est un jour de fête. Ils se baladent comme on dit en argot, et, s'il y a quelque beau site dans la région, ils y vont passer le temps et faire un dîner. C'était le cas au Niagara.

Aussi le soir le difficile était de partir. 31 Une foule énorme à la gare. Des trains à n'en plus finir, des appels faits avec un porte-voix. On se poussait et on grimpait où on pouvait. Je suis monté dans un train qui n'était pas le bon, mais à la première station je suis descendu, et là c'était moins encombré, j'ai eu bientôt un train pour Toronto.

Dans le train, des scènes de buveurs, des ouvriers déjà gris conti­nuent à vider en chantant quelques bouteilles de wisky [whisky] mais rien qui choque ni les moeurs ni la religion. Les émigrants ont emporté en Amérique le sens du respect, qui animait autrefois la vieil­le Europe.

J'arrive à Toronto à 11 h. Je tombe de Charybde en Scylla. Il y a ici une grande foire, une exhibition 32 et tous les hôtels sont archi-pleins, comme autrefois à Bethléem. Où aller? Il n'y a pas de grotte ni d'éta­ble. Enfin le Directeur du Queens hôtel a pitié de moi et me propose d'ajouter un lit dans son salon où l'on a déjà mis 5 ou 6. J'accepte avec bonheur, j'aime mieux dormir dans ce dortoir que sur le trottoir des rues.

Toronto est grande ville, la cité-reine, la seconde ville du Canada. Elle est toute américaine par sa grande vitalité industrielle et commerciale. C'est un beau port sur le lac Ontario. Elle aura bientôt 300.000 habi­tants, et elle compte une église par 1.000 habitants. C'est une cité puri­taine, le protestantisme y domine. Le dimanche y est strictement observé.

Une de ses grandes rues s'appelle 33 la rue des églises. On y trou­ve la cathédrale St-Michel des catholiques, la cathédrale St James des protestants, la métropole des Méthodistes, toutes églises dans le style du XIVe siècle, avec de beaux vitraux.

Je vais dire la messe à St-Michel. L'église est richement décorée, elle a une belle flèche.

La province d'Ontario, dont Toronto est la capitale, passe pour la plus riche du Canada, elle a deux millions et demi d'habitants, environ 40% de tout le dominion.

Je reprends le train à Toronto. Je longe quelque temps le lac d'On­tario. Ces lacs sont de vraies mers intérieures. Ils sont bien plus éten­dus que ceux de Suisse.

J'arrive le soir à Montréal. 34

Me voici à Montréal, c'est une grande étape de mon voyage.

Je trouve une chambre chez les bonnes Soeurs de Ste-Croix, 351 av. Monroyal-est.

Je vais saluer M. Martin, vic.-gén. à l'archevêché; Mgr Legal5), chez les Oblats de Marie; Mgr Tiberghien à l'hôtel Windsor. Je retiendrai le numéro de sa chambre, 1830. C'est dire que cet hôtel est un édifice colossal, installé tout à fait à l'américaine.

Je me mets au courant des commencements du congrès.

Le Cardinal-Légat est ici depuis le samedi 3. On lui avait préparé une réception triomphale qui a été gâtée par la pluie.

Aux diverses étapes du fleuve St-Laurent, à Québec, à Trois-Rivières, 35 à Lorel, il a été acclamé par un peuple débordant de foi et d'enthousiasme.

Mgr Bruchési, les Ministres, les représentants de la nation sont allés jusqu'à Québec au-devant du représentant du Pape et ont pris place à bord avec lui. Des yachts et d'autres embarcations pavoisées accompa­gnent le vaisseau du gouvernement. Sur les rivages on agite les dra­peaux, on multiplie les détonations joyeuses.

A Montréal, toutes les cloches sonnent joyeusement. On a préparé un kiosque d'honneur sur le quai, mais la pluie ne permet pas de s'y arrêter. On se rend en voitures à l'hôtel de ville. La salle des fêtes est ornée de fleurs rares, le Maire et le Cardinal lisent les discours de bienvenue. 36 Quelques mots seulement du discours du Maire:

«De la Rome du vieux monde, Eminence, vous venez dans la Rome du nouveau monde, car c'est ainsi que notre ville de Montréal, la ville des églises, a été heureusement surnommée… Ce nous est un orgueil de le rappeler. La première idée des fondateurs de Montréal a été d'élever un autel sur ces plages encore sauvages de Ville-Marie. C'est à l'endroit où Votre Eminence daigne nous entendre que monsieur de Maisonneuve6) aborda, il y a deux cent cinquante huit ans, et que, pen­dant le saint sacrifice de la messe, en présence du Saint des Saints la ville de Montréal s'élança dans la vie. La prophétie que prononça alors le jésuite Vimont s'est réalisée: Nous sommes un grain de sénevé, il va croî­tre et 37 se multiplier. A l'ombre de la ravissante montagne se pres­sent maintenant des populations de toutes langues et de toutes natio­nalités… La bonne entente et le respect des droits de chacun sont la caractéristique de toute la population… Au nom de tous les citoyens de Montréal, je prie Votre Eminence d'entrer dans notre ville avec l'assu­rance d'y recevoir respect profond et cordiale hospitalité…».

Le lendemain dimanche fut comme il convenait, une fête populai­re. Réunion à la grande église Notre-Dame des corporations ouvrières, les femmes dans l'après-midi, les hommes le soir. Ils étaient au moins quinze mille à chaque réunion. Le Cardinal reçut les acclamations de ce peuple et le bénit.

Les hommes chantèrent avec un 38 ensemble de voix formidable le chant de la Ligue, une sorte de marseillaise canadienne:

«En avant, marchons, soldats du Christ à l'avant-garde!

En avant, marchons, en avant marchons!

Le Seigneur nous regarde,

En avant, bataillons!

Guerre à l'indifférence.

Que Jésus en nos cœurs

Vienne par sa présence

de l'enfer nous rendre vainqueurs.

Guerre à l'intempérance!

Elle abrutit les cœurs,

Et pour l'homme en démence

Ouvre un abîme de malheurs.

Sous la noble bannière

du Dieu clément et fort

Restons par la prière

Unis à la vie, à la mort».

Ce n'est pas d'une riche poésie, mais c'est un cri de foi et une 39 généreuse résolution.

Le 6, jour de mon arrivée, le congrès s'ouvre le matin par une mes­se pontificale à la cathédrale.

Le prince de Croy donna lecture de la lettre du Souverain Pontife qui nommait le Cardinal Vannutelli son légat. Celui-ci prononça un discours important, plein de cœur et de bonne grâce. J'en copie quel­ques lignes. «Je savais bien déjà avec quelle sollicitude pleine d'amour se préparait en cette illustre cité, si digne d'être appelée Ville-Marie, la célébration du 21e congrès eucharistique international. Mais, je le confesse bien haut: devant le spectacle qui se déroule sous mes yeux, mon attente et mes prévisions sont surabondamment dépassées. Ah! qu'il est beau le spectacle que donne en ce jour 40 à l'univers tout entier l'Eglise catholique en cette terre fortunée d'Amérique! L'Europe tend la main à l'Amérique et dans un élan sublime s'unit à elle pour exalter ensemble le plus grand des sacrements sous la con­duite et avec les encouragements du Pasteur Suprême!… Le jour où il permit la découverte de l'Amérique, Dieu dit à son Eglise, comme il avait dit à son Divin Fils: Je te donnerai en héritage toutes les nations de la terre… Je susciterai des apôtres qui, du nord au midi, répandront dans ces terres nouvelles mon Evangile. Ici particulièrement dans cette belle vallée du St-Laurent, viendront de la France des champions de la foi et de la civilisation, qui transformeront cette île déserte et y fonde­ront une colonie pour y établir la religion catholique et travailler à la conversion des peuples sauvages…». 41

Et maintenant pourquoi convient-il de célébrer ici à Montréal ces premières assises des congrès eucharistiques en Amérique? L'histoire nous raconte «qu'un jeudi de février 1642, quelques âmes d'élite: tren­te-cinq prêtres ou laïques, s'étant assemblés en la grande église Notre-Dame de Paris, ceux qui portaient le saint caractère du sacerdo­ce dirent la messe et les autres communièrent à l'autel de Marie, Reine des miracles. Là, ayant le Sauveur du monde avec eux, ils dédièrent à la Ste Famille l'île de Montréal, qu'ils allaient évangéliser et voulurent qu'elle se nommât «Notre-Dame de Montréal»».

C'est donc au St Sacrifice de la messe et dans la communion que les héroïques fondateurs de Montréal prirent la résolution de réaliser leur noble entreprise.

Le 18 mai de la même année, 42 arrivés à Montréal, ils dressèrent aussitôt un autel; leur premier acte fut la célébration de la messe. Le Saint Sacrement resta exposé pendant tout le jour sur cet autel impro­visé, comme pour permettre à N.-S. de prendre possession sur son trô­ne du nouveau royaume qui lui était offert. N'était-ce pas comme un premier congrès eucharistique du Canada et de l'Amérique?

Le missionnaire qui prêcha à cette messe mémorable prophétisa les triomphes eucharistiques d'aujourd'hui en disant: «Ce que vous voyez n'est qu'un grain de sénevé; je ne fais aucun doute que ce petit grain ne produise un grand arbre, ne fasse un jour des merveilles, ne soit multiplié et ne s'étende de toutes parts… Puisse notre congrès être la source d'une 43 nouvelle fécondité eucharistique pour l'Amé­rique!… Enfin, pourquoi n'exprimerais-je pas cette espérance? De même que Ste Geneviève rendait la vue à sa mère, de même que Jean­ne [d'Arc] la Bienheureuse rendait la vie à sa patrie, ne serait-il pas permis d'évoquer le voeu que cette nation, fille de la France, qui s'ap­pela jadis la nouvelle France, la nation canadienne dis-je, qui procure à Jésus dans l'Eucharistie un triomphe incomparable, obtienne de la divine clémence au pays qui lui donna le souffle de vie, de voir comme auparavant, de recouvrer, avec la liberté religieuse, la vie de foi de ses ancêtres? Je salue encore, sur l'étendard populaire canadien, un emblème sacré, qui est un nouveau motif de confiance. 44 C'est le Cœur sacré de Jésus, source eucharistique par excellence, fontaine intarissable, d'où jaillit le fleuve de sang dont St Jean Chrysostome a dit qu'il purifie, embellit et embrase l'univers tout entier: Christi san­guine lavatur, ornatur et incenditur orbis… ».

Après l'office, le Cardinal, au nom du congrès, envoyait des télé­grammes d'hommage au Pape et au Roi, c'était justice.

- Les drapeaux… Il y a une question des drapeaux. Chacun arbore les drapeaux qui lui plaisent, ceux du Pape, de l'Angleterre, de la France; mais à l'hôtel de ville, le Maire qui est de race irlandaise a relégué à l'arrière le drapeau français. Toute la presse canadienne-française s'a­gite, et le Maire doit rendre 45 une place d'honneur au drapeau français, qui est celui de la population canadienne-française.

Les Canadiens restés fidèles à la France ont dû changer de drapeau comme nous. Par loyalisme, ils prennent le drapeau que la France choisit. Aujourd'hui c'est le tricolore. On le voit partout à Montréal pendant le congrès. Beaucoup de Canadiens cependant sont restés fidèles au vieux drapeau, celui que défendit Montcalm7) au siège du fort de Carillon8) (1758). C'est le drapeau bleu avec une croix blanche. On y ajoute maintenant le S.-Cœur sur la croix blanche. On l'appelle le Drapeau de Carillon.

- Les journaux… J'achète les journaux franco-canadiens, ils me 46 tiendront au courant de tout ce qui se fait au Congrès.

Les journaux vont de toutes les nuances de l'extrême droite au cen­tre gauche. On a essayé de fonder des journaux antireligieux dans la province de Québec, ils n'ont pas pu vivre. La proscription formulée par les évêques a éloigné d'eux les acheteurs.

A Montréal, le Canada est libéral, la Vérité est conservatrice.

Le Bulletin me parait ultra-libéral, le drapeau du S.-Cœur lui agace les nerfs. Le Pays est également libéral et ne trouve pas notre gouver­nement français si mauvais.

Le Devoir (directeur H. Bourassa) est intégriste en religion et ardent défenseur de la nationalité française.

L'Action sociale de Québec est 47 pleinement orthodoxe.

Le Nationaliste est de droite. La Presse plus modérée a également bon esprit.

C'est un heureux ensemble, mais c'est encore la division, même entre catholiques, et les polémiques entre ces diverses feuilles n'ont pas toujours un ton de courtoisie.

- Les langues. La ténacité des Canadiens-français à garder leur lan­gue agace les Anglais. Ce qui est fâcheux, c'est que ce dissentiment gagne les catholiques. Les Irlandais voudraient bien avoir tous les siè­ges épiscopaux et remplacer peu à peu les Français. La question était à l'état aigu au moment du Congrès eucharistique. On apprenait que le St-Siège venait de donner un archevêque de langue anglaise 48 au diocèse d'Ottawa dont la population catholique est aux quatre-cinquiè­mes de langue française.

Les journaux de Québec et de Montréal avaient publié cet appel de l'abbé Baillargé au moment de l'ouverture du Congrès: «Le congrès de Montréal ne doit pas être seulement un succès religieux, il doit être encore un succès canadien-français. C'est un droit, dont la revendica­tion ne peut blesser personne, car l'antiquité, la terre et le nombre, ici, sont à nous. Pour arriver au succès désiré, il faut, à tout prix, que le français partout s'affirme. Oui, les deux rives du St-Laurent doivent se couvrir non seulement des drapeaux du Pape, de ceux de France et du pays; elles doivent se couvrir aussi d'inscriptions en français. Il faut que le Légat 49 du Pape et les autres congressistes d'Europe restent non seulement édifiés, mais de plus convaincus qu'ils ont traversé une France nouvelle, une vraie France. Il faut que le français s'inscrive fiè­rement partout et qu'il se fasse entendre dans les acclamations…».

Il faut dire qu'on parle anglais dans les chemins de fer, les bateaux, les tramways, les bureaux de poste, les grands hôtels, parce que l'admi­nistration est anglaise, mais la grande masse de la population parle français.

Au Congrès, deux Anglais, Mgr Bourne et le P. Vaughan ont tenté de justifier les prétentions des Irlandais, ils ont été pris à partie par l'é­loquent député nationaliste Henri Bourassa dans une des grandes séances du soir à Notre-Dame. 50

Pour l'est-canadien, on sait que presque tous les catholiques y sont de langue française. Pour l'ouest, c'est moins connu. Mgr Langevin9), archevêque de St-Boniface vient de publier une étude sur cette que­stion dans les diocèses de sa province. Au diocèse de St-Boniface, pour 29.595 catholiques de langue française, il y a 9.485 catholiques de lan­gue anglaise. Au diocèse de Régina, pour 15.964 cath. de langue française, il y a 4.211 cath. de langue anglaise. Au diocèse de St-Albert les chiffres sont: 18.470 et 15.150. Au diocèse de Prince Albert: 9.500 et 3.500.

Il est vrai que les autres colons catholiques, Allemands, Polonais et Ruthènes, apprendront plutôt l'anglais que le français, mais il y faudra du temps. 51

«On s'est demandé, dit Mgr Langevin, pourquoi il y avait si peu de prêtres de langue anglaise dans l'ouest? La réponse est bien simple: c'est que, d'abord, il y a eu jusqu'ici très peu de catholiques de langue anglaise dans le pays, et ils étaient souvent mêlés, comme ils le sont encore, à des catholiques parlant une autre langue. Alors il fallait et il faut encore avoir des prêtres parlant l'anglais et une autre langue, comme le français ou l'allemand, et l'on sait que les prêtres de langue anglaise ou bien ne savent pas d'autre langue ou bien se prêtent diffi­cilement à ce genre de ministère bilingue. En outre, il faut que dans un pays nouveau et pauvre, les prêtres vivent à l'apostolique et se con­tentent souvent de la nourriture et du vêtement. Or il a toujours été 52 plus facile de trouver, pour ce genre de vie, des prêtres de langue française (français, canadiens, belges) ou d'autres langues (allemands et polonais) parlant cependant assez bien l'anglais pour se faire com­prendre de leurs paroissiens.

Maintenant que la population catholique de langue anglaise a aug­menté, des prêtres de langue anglaise seront les bienvenues au fur et à mesure que les besoins se feront sentir et il appartiendra aux évêques du pays de recruter eux-mêmes cette section de leur clergé…».

Le mercredi 7, les dignitaires ecclésiastiques et laïques entrent en relations d'amitiés avant les travaux du Congrès. A midi un dîner est offert dans la grande salle de l'hôtel Windsor par Sir Lomer Gouin, premier ministre de la Province de Québec, 53 au Cardinal-Légat, aux évêques et aux principaux invités du congrès. Il y a là 400 invités, parmi lesquels les ministres fédéraux, les députés et sénateurs de la vil­le, les ministres provinciaux, les juges, le Maire et les échevins de Montréal. Cette union des deux pouvoirs contraste avec l'esprit sectai­re de notre gouvernement français.

Dans le cours du dîner, le Cardinal-Légat porte la santé du Roi et Sir Lomer Gouin propose un toast au Pape. J'en copie quelques lignes, cela repose du spectacle habituel de la mauvaise éducation de nos gens au pouvoir:

«J'ai un devoir bien doux à remplir, celui de dire à S.E. le Cardinal la vénération que nous avons tous pour le chef de la plus grande com­munauté 54 de chrétiens qui existe sur la terre, pour ce pontife qui possède dans les regards du monde une royauté inviolable qu'aucune puissance ne pourra jamais lui ravir, pour ce pilote que J.-C. lui-même a mis sur une barque qui a connu toutes les tempêtes, mais jamais le naufrage… A votre retour dans la ville éternelle, nous vous prions, Eminence, d'exprimer à Sa Sainteté notre filiale reconnaissance. Vous lui direz que vous avez trouvé dans cette province de Québec des mil­liers et milliers de croyants dociles à ses enseignements. Ces croyants - et j'en suis - savent qu'il est sur la terre une colline auguste qui, com­me le Sinaï, lance des éclairs, et que ces éclairs illuminent la marche de la civilisation depuis dix neuf cents ans. Ils savent que sur cette colli­ne, qu'on appelle le Vatican, règne un 55 roi qu'on a pu dépouiller de ses états, mais non de ses vertus et de sa majesté. Ils savent que ce roi est le représentant de J.-C. sur la terre… Ils savent, avec le prote­stant Macaulay10), que la papauté est toujours pleine de vie et de jeunes­se vigoureuse; qu'elle a vu le commencement de tous les gouverne­ments et de tous les établissements qui existent aujourd'hui, et qu'elle en pourra voir la ruine… Ces vérités, nous les croyons avec les docteurs et les conciles, avec l'histoire et la tradition, avec la science et la vertu, avec les martyrs et les saints, avec les Sully11), les Pitt12), les Guizot13) et les hommes d'Etat les plus remarquables que le protestantisme ait pro­duits, avec la foule des pauvres, des simples et des pèlerins que depuis dix neuf cents ans vont baiser la sandale du Divin Pêcheur et qui 56 se relèvent en disant: Très Saint Père.

On nous accuse parfois d'obéir, en la personne du Pape, à un chef étranger. Etranger! peut-il l'être pour quelqu'un, celui qui est bienfai­teur universel, celui qui a relevé la dignité humaine, celui qui a donné au monde, après les avoir recueillies au Calvaire, la vraie liberté, la vraie égalité et la vraie fraternité? Nous reconnaissons l'Etat libre et indépendant dans les choses temporelles; mais dans les choses spiri­tuelles, nous admettons que le Pape a le monde pour royaume, qu'il est le père de la catholicité toute entière; et comme nous sommes ses enfants, c'est notre droit autant que notre devoir de tresser autour de sa tête une couronne faite de confiance, d'amour et de prière».

Voilà certes de nobles paroles qui font du Congrès de Montréal un bel 57 épisode du règne du Christ et de son Eglise.

Le soir du même jour, le gouvernement fédéral donnait une récep­tion à l'hôtel Windsor en l'honneur du Légat. Mais on ne sait pas orga­niser ces réceptions à Montréal comme à Rome. Tout le monde vint au même temps. Quatre ou cinq mille personnes se coudoyaient dans le vestibule et les salons de l'hôtel. Je parvins à peine à saluer deux ou trois évêques de connaissance.

A Notre-Dame, nous avons une heure d'adoration et la messe de minuit. Spectacle merveilleux: messe pontificale, vingt évêques assi­stants, un grand déploiement d'enfants de choeur et de pages; la musi­que exécutée par 300 voix et 40 instruments; le choeur 58 tapissé jusqu'à la voûte de guirlandes de fleurs entremêlées d'ampoules élec­triques, c'était féerique.

Un beau discours de Mgr Roy, évêque auxiliaire de Québec. Je le résume en quelques lignes:

«L'Eucharistie, nous dit-il, c'est le triomphe de la foi. Nul mystère ne soumet notre foi à une plus rude épreuve que le mystère d'un Dieu caché et comme anéanti dans l'Hostie. L'humiliation où il fait descen­dre Dieu déconcerte notre orgueil. La raison humaine se heurte aux miracles qu'il suppose. Et cependant le monde a accepté ce mystère, et en présence de ces étonnants miracles, il a cru. Et le fondement iné­branlable de sa foi c'est la parole de Jésus-Christ: Ipse dixit. Oui, il l'a dit. Et telle est la confiance du peuple chrétien, que la parole du Maître a résisté à 59 tous les assauts de l'incrédulité, triomphé de tous les efforts de l'enfer, qui depuis vingt siècles cherchent à prévaloir contre elle…

C'est le triomphe de l'expiation. Avec la foi, c'est l'expiation qui triomphe sur cet autel, où un prince de l'Eglise, venu des antipodes, va lever vers le ciel la sainte Victime, pendant que quinze mille âmes se tremperont au sang du calice pour se purifier et pour expier. L'Eucharistie, en effet, c'est le sacrifice rédempteur perpétué à travers le temps et l'espace: c'est l'Agneau de Dieu fixé en permanence sur la table de l'immolation pour y porter les péchés du monde. Et voilà pourquoi un Congrès eucharistique n'est pas seulement un grand acte de foi. Il est aussi une solennelle et efficace expiation. 60 C'est l'Eglise toute entière groupée au pied d'un autel, réunissant dans son cœur et sur ses lèvres tous les cris de repentir de la terre pour les mêler à la prière de Jésus, qui implore le pardon de son Père en faveur du monde coupable.

C'est le triomphe de l'amour De tous les triomphes qui illuminent cet­te nuit eucharistique, le plus merveilleux et le plus doux au Cœur de Jésus, c'est le triomphe de l'amour. Et il convient qu'il en soit ainsi. L'autel est surtout le trône de l'amour, puisque dans l'Hostie qu'il por­te, vit, s'immole Jésus qui est Dieu et donc charité et amour. Et si vous voulez savoir l'extrême limite de cet amour, l'excès incompréhensible où il consomme ici-bas son triomphe, écoutez ces paroles: Prenez et mangez, ceci est mon Corps livré pour vous… 61 Prenez et buvez, ceci est mon Sang (Lc 22,19).

On chercherait en vain, dans l'histoire de l'humanité, un discours et un acte qui rappelle, même de loin, celui-là. Jamais l'amour humain n'a pu pousser aussi loin sa conquête. Pareil langage ne peut se trou­ver que sur des lèvres divines; pareil cri d'amour ne peut jaillir que d'un cœur divin. Il fallait, pour que l'homme l'entendît, que le Verbe de Dieu se fît chair et habitât parmi nous…».

C'est une belle pensée d'avoir réuni pour une messe solennelle tou­tes les communautés religieuses de Frères et de Soeurs. Toute la cathé­drale en était remplie. Les divers costumes présentaient un aspect pit­toresque… Je copie quelques lignes du beau discours de Mgr Heylen14), cela me fera une 62 bonne lecture spirituelle:

«Religieux moi-même, dit-il, j'aime à me retrouver au milieu de mes Frères et Soeurs en Jésus-Christ et à me rappeler les années si douces et si regrettées que j'ai passées dans la vie monastique. Vous attendez de moi que je vous parle de la sainte Eucharistie. Rattachant ce sujet, dont les horizons sont si vastes et si variés, à la nature spéciale de cet auditoire, je me propose d'étudier en la sainte Eucharistie le modèle de la vie religieuse. Jésus résidant en la sainte Eucharistie est le parfait exemplaire de la pratique de la chasteté, de la pauvreté et de l'obéis­sance, les trois vertus qui sont l'objet de vos voeux et qui ont pour but de vous conduire à la perfection.

- L'Eucharistie est d'abord le modèle 63 de la chasteté. Il est doux, dans les heures d'adoration devant la sainte Eucharistie, de méditer quel est celui qui est contenu réellement et en vérité dans la Sainte Hostie: c'est Jésus, Vierge et Roi des Vierges, qui a choisi parmi les Vierges sa Mère et son père nourricier, qui a témoigné une prédilec­tion toute spéciale à St Jean, l'apôtre vierge. « Jésus l'aima, dit la litur­gie, plus que les autres, par un privilège que lui avait mérité sa cha­steté», car choisi par Jésus étant vierge, il l'est resté à jamais. Il est doux de se rappeler encore comment c'est Jésus qui a introduit dans le monde le culte de la virginité… Voyez aussi comment Jésus a pris soin de marquer par les apparences mêmes de ce grand sacrement, son amour de la pureté. L'Eucharistie a été 64 instituée sous les espèces d'un pain et d'un vin très purs. De tout temps on a compris l'impor­tance de ce symbolisme et on en a gardé fidèlement la tradition. L'Eucharistie doit être conservée dans des vases très purs et dans des linges immaculés, dont la manipulation est réservée aux seules mains sacerdotales. L'Eucharistie est, de plus, traitée exclusivement par les prêtres qui, au moins dans l'Eglise latine, ont fait le voeu de chasteté. Ce n'est pas tout. L'Eucharistie donne et entretient la chasteté. Elle est le «vin qui fait germer les Vierges». Et si l'Eucharistie fait les âmes cha­stes, elle n'est en revanche goûtée dans toute sa suavité que par les âmes chastes. L'union de vos âmes à Jésus vivant dans l'Eucharistie vous méritera d'accomplir fidèlement 65 toutes les obligations qui découlent du voeu de chasteté, comme de respecter la clôture, de vous tenir à l'écart des relations trop mondaines, de pratiquer la modestie, la prudence et la réserve qui sont l'ornement et la sauvegarde de la vie religieuse.

- L'Eucharistie est en second lieu notre modèle pour la pratique de la pauvreté. L'Eucharistie contient ce même Jésus, qui a été pauvre et dénué durant toute sa vie mortelle, ce Jésus, de la bouche de qui est tombée un jour cette parole qui renversait tous les préjugés de l'an­cien temps: «Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux leur appartient» (Mt 5,3), c'est-à-dire heureux ceux qui étant dans l'opulence sont détachés des richesses, ceux qui étant dans la pauvreté la supportent 66 avec patience, et surtout ceux qui renon­cent aux richesses pour embrasser la pauvreté volontaire… Considérez ensuite que l'Eucharistie a été instituée sous des apparences étonnan­tes de pauvreté. Elle a pour matière les substances les plus communes, le pain et le vin qui sont l'aliment des pauvres. Enfin si Jésus ne refuse pas les richesses dont on l'entoure, il ne les réclame pas non plus com­me indispensables. Et s'il accepte de reposer dans les tabernacles et les vases sacrés précieux, sur les linges les plus fins, au milieu des produits les plus brillants des arts, il ne dédaigne cependant pas la tente en feuillage du missionnaire et le mobilier pauvre qui compose sa chapel­le. Puissent les exemples de pauvreté que nous donne Jésus dans l'Eucharistie nous 67 amener à la pratique irréprochable de ce voeu qui réglemente si sagement chez nous l'usage des biens temporels en nous en enlevant la propriété ou bien l'administration… Bienheureux les pauvres! Jésus l'a dit: Où est votre trésor, là est votre cœur (Mt 6,21). Cette parole est grande, ajoute Bossuet. Où est votre trésor, c'est-à-dire où se tournent naturellement vos pensées, là est votre cœur. Si c'est Dieu, vous êtes heureux. Si c'est quelque chose de mortel, que la rouil­le, la corruption ou la mortalité consument sans cesse, votre trésor vous échappe et votre cœur demeure pauvre et épuisé.

- Jésus est encore dans l'Eucharistie le modèle de l'obéissance; de cette obéissance que le religieux a solennellement promise, non seulement à Dieu, mais à son supérieur, et par laquelle 68 il renonce à sa propre volonté, et se remet au gouvernement de celui qui a la mission de lui commander. C'est cette obéissance qui comporte notamment l'obser­vance de la règle, et pour atteindre son plein mérite, elle doit être non seulement matérielle, mais formelle, et comporter une entière confor­mité de volonté et de jugement. Pour nous convaincre que l'Eucharistie est le modèle de l'obéissance religieuse, il suffit de rappe­ler qu'elle contient celui dont l'enfance s'est résumée en un seul mot: Il était soumis (Lc 2,51); celui qui, par obéissance et pour donner l'exemple a voulu accomplir toutes les cérémonies de la loi judaïque; celui qui a déclaré n'avoir d'autre mission que d'accomplir la volonté de son Père et trouver dans cette soumission sa nourriture, 69 sa con­solation et son unique joie; celui, enfin, qui pour nous s'est fait obéis­sant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix. Il faut considérer souvent la soumission entière, étonnante, avec laquelle, dans l'Eu­charistie même, Jésus obéit à la voix du prêtre. Celui-ci peut, à son gré, le faire descendre des cieux, l'exposer ou le soustraire à la vénération des fidèles, le laisser à la solitude des lieux saints, ou le transporter dans les rues et les places publiques. Ni le démérite du prêtre, ni l'indi­gnité du sujet ne seront jamais un obstacle à une cérémonie pour laquelle Jésus s'est fait dépendant du ministère sacerdotal. Ainsi l'a voulu notre Sauveur, pour notre enseignement. Aussi, c'est dans la méditation de Jésus Eucharistie que l'âme religieuse doit trouver le 70 secret de l'obéissance prompte, joyeuse, spontanée, qu'ont louée les Saints et qui conduit aux victoires promises par la Sagesse inspirée…».

Mgr Bruchési, archevêque de Montréal, ajouta un mot bienveillant, pour ses communautés: «Vous êtes bien, leur dit-il, la portion privilé­giée de mon troupeau; sur vous je me repose pour accomplir des œuvres nombreuses et importantes. Le zèle que vous déployez sans cesse fait ma consolation… Au nom des enfants que vous instruisez, des pau­vres que vous secourez, des malheureux que vous consolez, des mala­des que vous soignez; au nom de la religion et de la patrie, soyez tous remerciés et bénis…».

Enfin le Cardinal-Légat voulait aussi encourager les religieux et reli­gieuses: «Vos évêques, dit-il, doivent se réjouir 71 du grand nombre de vocations religieuses qu'il y a dans ce cher Canada. Je dirai au Saint Père votre zèle, votre dévouement à l'Eglise, vous êtes l'élite de la gran­de famille catholique, laquelle vous confie ses œuvres les plus chères. Vous faites le bien dans le saint ministère, dans les œuvres de charité…

Soyez la bonne odeur de Jésus-Christ. Tout le monde vous regarde pour vous imiter, comme vous-mêmes vous regardez Jésus-Christ pour marcher sur ses traces»…

Les séances d'études commencent, elles se tiennent dans plusieurs salles à la fois. Deux grandes salles sont destinées aux réunions françai­ses, la salle des promotions de l'Université Laval et le théâtre du Monument National, salles très vastes dans chacune desquelles peu­vent tenir de 1800 à 2000 personnes. 72 Il y a aussi des salles pour les réunions de langue anglaise. Les après-midi sont réservés pour des réunions spéciales, celles des prêtres, des dames, des hommes et des jeunes gens. Il fallait choisir, entendre quelques rapports et se passer des autres.

Le jeudi, je me suis intéressé particulièrement à ce qui concerne la dévotion eucharistique au Canada; le vendredi à ce qui concerne la dévotion eucharistique dans la jeunesse; le samedi aux œuvres répara­trices.

Le jeudi, j'ai entendu trois rapports avec le plus grand intérêt, j'en vais donner des extraits.

1er rapport: Histoire de l'Eucharistie au Canada, ou rôle de l'Eu­charistie dans l'histoire et le développement religieux de la nation canadienne, par M. l'abbé Gosselin, Recteur 73 de l'université Laval à Québec. J'en copie quelques extraits.

Les directeurs de la Compagnie des Cent-Associés15) écrivaient au Père Le Jeune en 1637: «Nous avons appris et tenons pour règle certai­ne que pour former le corps d'une bonne colonie, il faut commencer par la religion; elle est en l'Etat comme le cœur en la composition de l'homme, la première et vivifiante partie; c'est sur elle que les fonda­teurs des grandes républiques ont jeté le plan de leurs édifices, qui ne dureraient pas s'ils avaient eu un autre fondement: ainsi, nous prote­stons qu'elle sera toujours précieusement traitée, et qu'en toute ren­contre, nous la ferons présider en la Nouvelle France».

Ces beaux sentiments, ce désir si franchement manifesté de voir la religion catholique fleurir en ce pays sauvage 74 qu'était le Canada, n'étaient pas particuliers aux membres de la Compagnie. C'étaient les sentiments et le désir de François Ier, de Henri IV, de Louis XIII, com­me aussi des découvreurs et des fondateurs, des missionnaires et des premiers colons. Tous avaient en vue l'extension du royaume de Dieu. C'est au nom de Jésus-Christ, en effet, que Jacques Cartier16), le grand navigateur malouin débarquant à Gaspé en 1534, y prit possession du pays en plantant une croix. C'est au nom de Dieu et pour l'extension de son règne, que les missionnaires, Récollets, jésuites, ou prêtres séculiers, allant à la conquête des âmes, s'enfonçaient dans les bois, y vivant de la vie sauvage, s'exposant à toutes les humiliations comme à toutes les souffrances, prêts à donner leur vie pour la foi qu'ils avaient mission de prêcher…

L'Eucharistie étant le 75 fondement de la vie catholique, il n'est pas étonnant que dès le commencement de la colonie, les pasteurs aient cherché à en inspirer le respect et l'amour aux fidèles confiés à leurs soins, et leurs efforts furent couronnés de succès. En 1685, Mgr de Saint-Vallier, visitant son futur diocèse, n'hésitait pas à dire, après avoir parcouru toute la colonie: «Le peuple communément parlant, est aussi dévot que le clergé m'a paru sain. On y remarque je ne sais quoi des dispositions qu'on admirait autrefois dans les chrétiens des premiers siècles».

De son côté, le P. Charlevoix, jésuite né à St-Quentin, après avoir fait remarquer avec quel soin on avait choisi les premières familles envoyées au Canada, ajoutait: «Je crains d'autant moins d'être contre­dit 76 sur cet article que j'ai vécu avec quelques-uns de ces premiers colons presque centenaires, de leurs enfants et de leurs petits-fils, tous gens plus respectables encore par leur probité, leur candeur et leur solide piété, que par leurs cheveux blancs et le souvenir des services qu'ils avaient rendus à la colonie (Histoire de la Nouvelle France, Paris 1744). Parlant de la population de Montréal en 1667, le même auteur disait: «Toute l'île de Montréal ressemblait à une communauté reli­gieuse. On avait eu dès les commencements une attention particulière à n'y recevoir que des habitants d'une régularité exemplaire».

Très lents furent les progrès de la colonie durant les premières années. Le groupe de Québec comptait à peine 200 âmes en 1640 et cependant la petite ville renfermait déjà cinq 77 églises ou chapelles. On sait à quelle manifestation religieuse donna lieu la fondation de Montréal et comment avant même qu'on ait pu élever une chapelle, le jour du débarquement, des mains pieuses avaient érigé et orné l'autel où l'on célébra la première messe qui ait jamais été dite en cette île.

Toute cette journée s'écoula en dévotions, actions de grâces et hym­nes de louange au Créateur. Grâce à l'accroissement de la population, des églises et chapelles s'ouvrirent peu à peu dans les campagnes et les colons eurent bientôt assez de facilités pour remplir leurs devoirs reli­gieux. Les communions étaient nombreuses et le peuple aimait à assi­ster aux bénédictions du St Sacrement. Les autorités civiles prenaient part aux 78 processions solennelles du St Sacrement.

Et où trouver un plus beau témoignage de foi et de confiance envers Jésus-Hostie que dans les prières publiques faites devant le St Sacrement exposé durant les temps de calamités, comme la guerre, la famine, les épidémies, etc. Nous pourrions citer de nombreux exem­ples de ces appels touchants à la bonté et à la miséricorde du Dieu eucharistique; nous nous contenterons de quelques-uns. Le 13 février 1661, le feu s'étant déclaré dans une maison de la basse-ville à Québec, Mgr de Laval se rendit sur les lieux, portant le St Sacrement, «à la pré­sence duquel, écrit le P. Lalemant, quelques-uns remarquèrent que le feu s'abaissa».

Au printemps de 1737 la saison froide et tardive empêchant la semence des grains, M. de Miniac, 79 vicaire général, commande des prières publiques avec exposition consécutive du très Saint Sacrement, dans les cinq églises de la ville. Les insectes menacent-ils la récolte des blés comme en 1743, l'évêque fait donner pendant quinze jours la bénédiction du Saint Sacrement dans sa cathédrale.

Deux ans plus tard, en 1745, le bruit s'étant répandu que l'ennemi se préparait à envahir le Canada, Mgr de Pontbriand ordonne aussitôt: «Que dans toutes les églises du diocèse le Saint Sacrement soit exposé le premier dimanche de chaque mois; à Québec tous les dimanches dans quelques-unes des églises de la ville».

Mais la vraie dévotion envers la sainte Eucharistie ne consiste pas seulement dans le culte extérieur, elle s'affirme encore et surtout dans la réception du Pain de vie, 80 dans la communion fréquente faite avec les dispositions convenables. Et tel était bien l'usage du Canada.

On lit dans la Relation des Pères Jésuites de 1640: «Les habitants de ce nouveau monde fréquentent souvent les sacrements de vie». Le Père Ragueneau rapporte, dans la relation de 1651, qu'à Québec cha­que maison avait pris un Saint pour Patron et fait un voeu public que chacun se confesserait et communierait au moins une fois le mois. M. Dullier de Casson rapporte que les soldats en garnison au fort Sainte­-Anne, durant l'année 1666, communiaient très souvent.

Vingt ans plus tard, Mgr de Saint-Vallier, tout surpris de trouver tant de ferveur dans les missions, écrivait: «Les Français s'y sont conservés dans la pratique du bien, 81 et lorsque le missionnaire qui a soin d'eux fait sa ronde pour aller administrer les sacrements d'habitation en habitation, ils le reçoivent avec une joie qui ne se peut exprimer; ils font tous leurs dévotions, et on serait surpris si quelqu'un ne les faisait pas. «Rien de plus fréquent que la communion dans cette colonie», s'é­criait un jour M. de la Colombière dans un sermon sur l'Eucharistie. L'établissement des quarante-Heures et l'épanouissement de la dévo­tion au Sacré-Cœur, dévotion qui remonte, au Canada à plus de deux siècles, sont venus à temps pour raviver et étendre cette dévotion au Saint Sacrement, à laquelle les décrets récents de Sa Sainteté Pie X devaient donner un nouvel élan». 82

Je me suis complu à copier ces notes qui marquent la persistance de la dévotion au Saint Sacrement depuis le premier établissement de la colonie jusqu'à nos jours. Le jansénisme n'y a guère eu d'influence, et c'est ce qui explique la différence de la situation religieuse du Canada d'avec celle de la France.

Le discours de Mgr Emard17) sur l'influence de l'Eucharistie dans la conversion des Indiens offre des traits charmants: L'unique ambition des premiers missionnaires au Canada, dit-il, était de conquérir un royaume immense à N.-S… Ces peuples étaient, pour la plupart, noma­des, polygames, matériels, superstitieux, d'instinct cruel, grossiers dans leurs croyances… S'ils croient en la vie future, s'ils espèrent aller au ciel, c'est pour y manger du 83 champignon ou pour y jouir de tous les plaisirs des sens. Toujours en guerre les uns contre les autres; ils savourent la vengeance dans les abominables tortures qu'ils infligent à leurs prisonniers… Tout bon sentiment qui pourrait devenir vertu leur est étranger; tous les vices, même les plus honteux, leur sont familiers. En fait de religion, ils ont le culte du Manitou, la fête des morts, les sacrifices offerts par intervalle à certaines divinités, les festins et les danses, les jongleurs et les sorciers; mais impossible de voir en tout cela un point d'appui à l'action d'un prêtre qui se présente pour prê­cher la religion chrétienne, ses mystères, ses préceptes, ses beautés et ses promesses de vie éternelle.

Leurs langues aussi offrent des difficultés particulières. Elles n'ont pas de termes 84 pour les idées abstraites… Comment leur expliquer ce que c'est que la grâce, les mystères, les sacrements, etc.?

Cependant les nouveaux apôtres arriveront à leur communiquer le feu sacré de l'amour dont ils sont embrasés pour l'Eucharistie…

Avant toutes choses, quand ils arrivent au milieu d'une tribu, leur première préoccupation est d'ériger un sanctuaire. Oh! ces premières chapelles, érigées sur le sol canadien, que leur histoire est touchante! C'est d'abord une simple cabane, celle même du missionnaire, et dont il fait deux pièces, séparées par des couvertures. Le prêtre habite avec son Dieu. Sur un modeste autel les anges adorent tous les jours ce qu'ils voient de plus auguste au ciel. Une autre forme de chapelle, ce sont des écorces jetées sur 85 cinq ou six perches, on y dresse un pe­tit autel; sur le terrain humide et fangeux, on étend une robe de cari­bou pour servir de marche-pied…

Les premiers fidèles sont bien vite épris du bonheur de posséder le sanctuaire où réside le Maître du monde. «Viens, disent-ils au Père, nous te ferons une petite église pour y célébrer la messe». Elle sera bâtie en deux heures. Dix ou douze perches et quatre ou cinq rou­leaux d'écorces composeront tout l'édifice. Le capitaine de la tribu arrive et fait mettre tout le monde en campagne. Les jeunes hommes vont abattre des arbustes pour faire les poutres et les chevrons, qui ne sont que des perches. Les femmes apportent les écorces qu'elles ont arrachées aux vieux arbres tombés dans la forêt vierge. 86 Les jeunes filles fournissent les tentures qui sont des branches de sapin. Une fem­me a fait un bénitier avec un cornet d'écorce de bouleau. Les Pères fixent à l'autel quelque image apportée de France qui suscite la curio­sité des Indiens.

Du sein de ce palais, Jésus étend graduellement son empire. Les âmes viennent à lui par un attrait irrésistible, et les chapelles se multi­plient. Une femme offre sa robe de castor: «J'en fais, dit-elle, le sacrifi­ce à N.-S., ce sera pour tapisser sa chapelle». Le dogme de l'Eucha­ristie va droit au cœur de ces pauvres gens. La chapelle leur est parti­culièrement chère. Ils y vont fréquemment pour prier. Ils se tournent vers elle pendant le travail comme s'ils y étaient attirés par une force surnaturelle. 87

Ils expliquent avec naïveté leur foi aux mystères: «Dieu est au-dessus de l'homme, dit un chef. Si un chien voulait chercher quelles sont les pensées de l'homme, il ne pourrait dire qu'une chose: c'est que l'hom­me est au-dessus de lui. De même l'homme ne peut comprendre les pensées de Dieu. S'il les comprenait, Dieu ne serait pas au-dessus de lui. Nous croyons que Jésus-Christ est dans l'Hostie. Il est proche de nous, et même en nous quand nous communions. Il s'est voulu cacher comme le petit enfant dans le sein de sa mère. Si la mère ne croyait pas à la vie de son enfant et qu'elle voulût le voir avant le temps, jamais elle ne le pourrait voir que mort et elle se ferait mourir elle-même. Ainsi quiconque refusera de croire que 88 Jésus-Christ est dans l'Hostie, parce qu'il ne le voit pas, jamais ne méritera de le voir. At­tendons que lui-même veuille se découvrir, et alors nous l'envisagerons avec autant de joie qu'une mère voit son enfant dont elle a patiem­ment attendu la naissance».

Ce qui est étonnant c'est que de telles pensées viennent d'el­les-mêmes à ces braves gens. Ce qui fait voir que leur foi est un ouvra­ge de Dieu seul. Le mystère du St Sacrement a trouvé le chemin de leur cœur. Ils lui rendent souvent visite et lui rendent grâces en ter­mes touchants. Ils lui apportent leurs enfants et les lui présentent avec les sentiments d'une tendresse vraiment amoureuse. Ils parlent tout haut, on entend cette prière: «Toi qui as tout fait, tu sais tout, tu vois au-delà, bien loin, tout ce qui arrivera; voici mon enfant, 89 si tu con­nais qu'il ne veuille point avoir d'esprit quand il sera grand, s'il ne doit point croire en toi, prends le devant qu'il t'offense; tu me l'as prêté, je te le rends; mais comme tu es tout puissant, si tu veux lui donner de l'esprit et me le conserver, tu me feras bien plaisir».

Les sauvages ne partent jamais en voyage sans aller à l'église deman­der la bénédiction du Maître. Si la chapelle est fermée, ils se mettent à genoux devant la porte. Les catéchumènes aussi éprouvent devant le tabernacle un sentiment indéfinissable, dont ils se rendent compte plus tard quand ils ont goûté à la communion: «C'est donc cela, disent-ils, que j'avais tant de plaisir à m'approcher du tabernacle». C'est bien la réflexion attendrie des disciples d'Emmaus. 90

Plusieurs fois le jour, quand on frappe sur le chaudron qui sert de cloche, ils viennent de partout pour la prière.

Le dimanche, non seulement les gens de la bourgade viennent pour la messe, mais on vient de loin, même de cinq heures, même si on est au plus fort de la pêche ou de la chasse, par la neige, par le froid, par l'orage, ou au risque d'être attaqué par des tribus hostiles: «Si je meurs en allant à la messe, disent-ils, n'irai-je pas droit au ciel?». Pour leurs fautes publiques, ils demandent et acceptent des pénitences publiques: «Je vous supplie, Seigneur, disent-ils, que les coups de fouet effacent les péchés que j'ai écrits mal à propos sur votre livre divin».

S'il n'y a pas de messe le dimanche, un des anciens ou des chefs lit devant 91 tous les prières de la messe. Dans les chrétientés organi­sées, ils vont, autant qu'ils le peuvent, à la messe quotidienne: «Nous savons que ce n'est pas nécessaire, disent-ils, mais il nous suffit que cela plaise à Dieu». Ils sont vite debout au son de la cloche et la cou­verture qui leur servait de lit leur servira aussi de robe.

S'il n'y a pas le matin de prêtre qui sache leur langue pour entendre leur confession, ils attendent à jeun jusqu'à l'après-midi. Leur humilité est si sincère, qu'ils ne craignent pas de se proclamer indignes de com­munier, exagérant même les fautes légères qui leur ont échappé et se confessent plusieurs fois avant de s'approcher de la sainte table. Ils comprennent que le Fils de Dieu se cache sous la blancheur du pain pour éprouver notre foi: 92 «Il vient dans notre cœur, disent-ils, pour voir ce qui s'y passe. Il se cache afin de découvrir si nous croyons par feintise ou non, et si nous avons de la malice dans l'âme».

Ils comprennent ce que c'est que la grâce sanctifiante, qui rend l'â­me belle aux yeux de Dieu et qu'il faut posséder pour communier dignement. Ils trouvent autour d'eux des termes de comparaison typi­ques: «La grâce est comme une peau de castor très belle et très fine qu'un père aimant donne à son fils en récompense de sa bonne con­duite. Celui-ci est tout fier d'être ainsi vêtu et tout le monde l'admire. Il conserve sa robe tant qu'il se comporte bien, mais s'il lui arrive de se montrer ingrat et d'offenser son père, celui-ci la reprend, mais il ne la déchire ni ne la brûle. Il la tient au réserve et attend dans la 93 tri­stesse que son fils revienne à de meilleurs sentiments et lui demande pardon. Au fils repentant et absous le père rendra la peau de castor». C'est comme une paraphrase de la parabole de l'Enfant Prodigue.

Ils disent tout haut au sortir de la Sainte Table, que Jésus-Christ est le maître de leur cœur, qu'il possède leur esprit et les rendra robustes: «Après que j'ai reçu N.-S., mon cœur est plein de joie, je ne sais ce qu'il dit, mais je sens bien qu'il parle. Il va plus vite que ma pensée. Il me semble que ce que Dieu me fait est admirable. Je tremble, tant j'ai peur de salir ce qui est en moi. Il m'est avis qu'on me dit dans l'âme qu'il faut que je sois bon, puisque je crois en lui, et que je ne commet­te aucun mal».

Ils reviennent de voyage aussitôt qu'ils 94 le peuvent pour retrem­per leurs âmes dans la communion: «Je viens, Père, te dire qu'il me semble que je ne sens plus rien dans mon cœur, il y a trop longtemps que j'ai reçu celui qui a tout fait, je t'en prie, fais-moi communier de nouveau pour renouveler mon courage».

Ce sont les malades surtout qui sentent le besoin de recevoir un ali­ment qui leur tiendra lieu parfois de nourriture corporelle, et dans lequel ils puiseront la force de supporter leurs souffrances. Autant qu'ils le peuvent, ils se font transporter de leur cabane à la chapelle pour y recevoir Celui qui a tout fait, Celui qui est le Maître de la santé et de la maladie; et souvent leur foi est récompensée par une guérison surprenante. Une jeune fille impotente, couchée sur une peau d'ori­gnal, est portée à l'église par sa mère, aidée d'une autre femme, 95 pour y recevoir une dernière communion.

Quelle explosion de foi quand on porte le viatique aux malades à domicile! Ils s'écrient: «Oh, que vous êtes bon, ô mon Sauveur, d'être venu me visiter! Je ne vous vois pas maintenant, vous vous cachez, mais je vous verrai bientôt. Vous m'avez promis le paradis, j'attends la mort joyeusement quand il vous plaira de me l'envoyer. Je vous aime, j'irai avec vous et je vous prierai pour tous ceux qui m'ont fait du bien».

Les processions de la fête-Dieu étaient très touchantes. C'était com­me une fête de la tribu. Les païens eux-mêmes y prenaient part. Les chefs enviaient l'honneur de porter le dais. Une escouade d'arquebu­siers faisait retentir des salves d'escopettes. Le peuple chantait. Ces traits se reproduisaient partout. Le Canada est bien une terre euchari­stique. 96

J'ai reproduit avec plaisir ces traits cités par Mgr Emard, c'est la meil­leure description du Canada.

Un autre discours, celui de Mgr Gagnon18), nous dira le développe­ment actuel du culte eucharistique au diocèse de Québec. Ce sont sur­tout des statistiques qu'il faut noter ici.

A. Pratique de la sainte communion. - Etat actuel.

Voici pour l'an de grâce 1909 le nombre des communions dans le diocèse de Québec:

Dans les 212 églises paroissiales……………………4.352.000
Dans les chapelles et couvents……………………….1.469.000
Au total …………………………..5.821.000

Mais c'est la proportion qu'il faut voir. Le diocèse compte 369.616 âmes, parmi lesquelles 244.018 communiants.

Cela fait une moyenne de 24 communions chacun in globo et de 97 19 si on ne compte que les paroisses.

Comment se repartissent ces communions? Pour les jours ouvriers, la moyenne va de 4 à 20% suivant les paroisses.

Les jours de dimanches et de fêtes, c'est une moyenne de 10 à 36%. Chaque premier vendredi-du mois, nous comptons 45.000 commu­nions. C'est une moyenne de 18%. Quelques paroisses vont bien plus haut: quarante vont à 25%, quarante autres à 35%, dix à 50 et 5 à 66 ou 70%. Heureuses paroisses!

B. Progrès accompli en dix ans. Il y a dans la plupart progression inespérée:

Une paroisse passe de 6.000 à 22.600

Une autre « de 17.000 à 62.000

Une autre « de 58.000 à 113.000

Une autre « de 150.000 à 266.000 98

Dans les communautés et maisons d'éducation, la progression est la même; dans un collège classique, le nombre des communions est monté, dans les trois dernières années, de 35.000 à 55.000.

La moyenne pour le diocèse est montée en dix ans de 13% à 24.

Le bien augmente en proportion des communions. Bien des désor­dres ont cessé ou à peu près, depuis les décrets de 1905. Ici, c'est l'ivro­gnerie qui diminue beaucoup, là ce sont les blasphèmes; ce sont les danses mauvaises qui disparaissent. Bon nombre de jeunes gens sont guéris de leurs tentations par la communion fréquente. Les enfants sont plus soumis, les parents plus exemplaires et plus vigilants. Le peu­ple tout entier est plus chrétien dans sa conversation et dans ses moeurs.

La parole du Sauveur ne peut faillir: 99 Qui manducat meam car­nem, in me manet et ego in illo (Jo. 6,56).

Mais qu'en est-il des pâques? Dans 81 paroisses, tous les commu­niants sans exception font leurs pâques. Dans l'ensemble du diocèse, l'abstention est de 6 pour 1.000, et c'est surtout dans les villes.

Dans les pensionnats, six rapports disent que la moitié des élèves communient chaque jour. Onze rapports affirment que les trois-quarts des élèves font la communion quotidienne. Résultat: il y a plus de piété, de travail, de régularité, de bon esprit. Le nombre des vocations a augmenté.

C'est la vraie France cela, la France de St Louis, de Philippe-Auguste, de Louis XIII. Elle n'est plus sur les bords de la Seine et de la Loire, elle est sur les rives du St-Laurent. 100

Le soir du jeudi réception offerte au Cardinal à l'hôtel de ville par la Municipalité. Vingt mille personnes défilent dans les salons avec un grand ordre, protestants et catholiques, militaires et civils. Le Cardinal reçoit et salue pendant plus de deux heures.

Le vendredi, il devait y avoir la messe en plein air, mais le temps était pluvieux, la fête fut remise au lendemain.

Je m'intéressai ce jour-là aux rapports qui traitaient de la dévotion eucharistique dans les collèges et parmi la jeunesse.

Ces rapports sont nombreux et ont pour titres:

- L'adoration du très Saint Sacrement dans nos maisons d'éduca­tion.

- La communion dans les collèges classiques. 101

- La confession, la communion et la liberté de conscience dans les pensionnats de garçons.

- La communion après la sortie du collège.

- La communion durant les vacances…

Le rapport sur l'Adoration du St Sacrement est de M. Papineau, préfet d'études au séminaire de Ste Thérèse. J'en donne un court aperçu.

L'adoration du St Sacrement est un devoir pour tous les chrétiens»: «L'Agneau qui a été mis à mort, dit St Jean, est digne de recevoir la puissance et la divinité, la sagesse et la force, l'honneur, la gloire et la bénédiction» (Ap. 5,12). Elle devient une source de grâces pour le fidèle adorateur: «Heureux l'homme qui, chaque jour, est de garde à la porte 102 de mon tabernacle, il aura de moi la vie et le salut» (Prov. 8,34). Ainsi l'ont toujours compris les vrais disciples de Jésus-Christ. Les premiers chrétiens voulaient avoir avec eux le Très Saint Sacrement. On a vu des Saints vivre presque continuellement au pied des autels.

L'adoration du St Sacrement est-elle pratiquée comme il convient dans nos maisons d'enseignement secondaire? Elle y est en grand hon­neur. Une visite commune se fait quotidiennement, des saluts sont donnés fréquemment; le premier Vendredi du mois et les Qua­rante-Heures sont l'occasion de belles et touchantes cérémonies.

La visite commune pourrait se faire avec plus d'uniformité. Elle serait bien à la place après la prière du soir: une page des visites de St Alphonse, par exemple, serait 103 lue devant le tabernacle ouvert; viendrait ensuite le chant du Tantum ergo, et la visite se terminerait par la bénédiction avec le ciboire.

Nous devons initier peu à peu nos élèves à la pratique si importante de la méditation devant le St Sacrement. C'est là un lieu de propitia­tion, de lumière et de force. Un quart d'heure d'attention à la voix discrète du Docteur des docteurs qui se cache sous les voiles eucharisti­ques, leur en apprendrait plus que la lecture des savants ouvrages et la conversation des hommes les plus instruits.

C'est un fait d'expérience que, dans la vie chrétienne, l'homme finit bientôt par n'être plus touché de ce qu'il fait, s'il n'est ranimé de temps en temps par quelque chose d'extraordinaire. Il nous faudra donc profiter des Quarante- 104 Heures et des Premiers Vendredis pour donner à nos cérémonies religieuses tout l'éclat possible, tout l'intérêt de la nouveauté.

L'érection de l'Archiconfrérie du St Sacrement dans les collèges serait encore un grand moyen d'entretenir la vie eucharistique de nos élèves. Le prêtre directeur réunit souvent les associés et zélateurs pour leur parler de l'Eucharistie. La solennité du Premier Vendredi est l'objet d'une attention particulière. Dès le mercredi soir les confes­sions sont préparées par une visite d'un quart d'heure devant le taber­nacle ouvert. Une revue générale est d'abord faite sur le mois écoulé. Puis tous ensemble et à haute voix nous demandons pardon des péchés commis pendant le mois. Vient ensuite un second examen: Ai-je été fidèle à mes communions et à mes visites? Si j'ai failli à mes résolutions, 105 quelle en est la cause? Le second «cinq minutes» se termine par une prière à N.-S., le suppliant de conserver toujours vive et puissante dans la maison, la dévotion à l'Eucharistie. Le troisième «cinq minutes» est consacré au «mot d'ordre» donné par le directeur pour le mois qui commence.

Ainsi préparée, la communion du Premier Vendredi est devenue une revue générale. L'heure d'adoration qui clôt cette journée est toujours très solennelle. Les zélateurs recueillent des offrandes pour l'illumination. Cette solennité est toujours la source d'un regain de vie spirituelle pour les élèves.

Voeux adoptés:

1° Faire une visite commune quotidienne et la terminer par le chant du Tantum ergo et la bénédiction du Saint-Ciboire.

2° Favoriser les visites individuelles 106 et facultatives; initier les élèves à la sainte coutume d'une courte méditation devant le St Sacrement.

3° Donner spécialement aux cérémonies des Quarante-Heures et des Premiers Vendredis tout l'éclat possible et l'attrait de la nouveauté.

4° Eriger dans les collèges l'archiconfrérie du St Sacrement et fai­re une fois le mois l'adoration solennelle en commun.

Autre rapport de M. l'abbé Hallé, directeur du collège de Lévis. Quatre questions principales: la communion, les résultats, l'organisa­tion, les moyens à prendre.

1° La communion.

Avant le décret de 1905, la communion fréquente et quotidienne ne se faisait guère que dans un seul collège. Les autres se contentaient de la communion hebdomadaire ou de quinzaine. Depuis 1905 il y a progrès partout. 107 Depuis deux ans surtout, il n'y a pas une mai­son d'enseignement secondaire qui ne soit pas complètement dans le mouvement de la communion fréquente et quotidienne. La plupart des élèves communient au moins deux fois par semaine. La commu­nion quotidienne varie de 20 à 200 par jour suivant l'importance des collèges.

2° Les résultats.

La piété est devenue plus solide, plus tendre et plus générale: tenue plus recueillie à la chapelle, messe mieux entendue, confessions mieux préparées.

La moralité est beaucoup plus grande: plus de modestie dans les paroles; conversations mauvaises à peu près disparues.

Le travail est supérieur à celui des années précédentes; les élèves sont plus studieux. 108

Pour la discipline et l'obéissance, il y a un progrès remarquable: plus de coteries, de mutineries, de mauvais esprit. On est plus charitable entre condisciples.

La culture des vocations est devenue plus facile. On se décide plus jeu­ne. Le nombre des vocations ecclésiastiques et religieuses augmente partout.

La formation pour l'avenir donne de grandes espérances. Les caractè­res sont plus fermes. On se compromet dans le bien et on se prépare à être des hommes de foi et des chrétiens fervents. Ces énergies se con­serveront, si elles sont groupées dans les Associations de jeunesse catholique.

3° Organisation.

En général, on entend les confessions des internes plusieurs fois par semaine le soir; dans quelques maisons, le 109 mercredi et le samedi; dans d'autres tous les soirs.

Dans plusieurs collèges, il y a la confession le matin à la chapelle, avant la communion; c'est l'idéal.

Pour l'heure, il est mieux de faire communier les élèves au com­mencement de la messe. Cinq minutes de préparation suffisent. Une courte lecture faite par le maître qui préside peut les aider. On fera bien aussi de les aider de temps en temps à faire l'action de grâces et de leur en rappeler au moins les points principaux. C'est le moment favorable pour leur faire prendre de bonnes résolutions.

Aller les bras croisés est plus viril que les mains jointes. Ne pas sur­veiller la sortie des bancs, respecter la liberté. 110

Lorsqu'il y a affluence, le célébrant doit se faire aider pour distri­buer la communion, autrement la messe durerait trois quarts d'heure.

4° Voeux adoptés:

1. que les règlements des collèges soient modifiés pour favoriser la communion des élèves. Que la messe de communion soit la messe de communauté au moins pour les internes; qu'on choisisse le meilleur moment pour distribuer la communion.

2. que les prédicateurs, confesseurs et directeurs exhortent fré­quemment à une pratique si salutaire. Que les professeurs eux-mêmes disent un mot à l'occasion.

3. que le directeur agisse par lui-même ou par les confesseurs pour gagner les élèves influents ou difficiles et pour amener à une vraie ouverture de cœur ceux dont la 111 conduite laisse à désirer.

Pour les pensionnats de Frères, l'aumônier du pensionnat St-Louis à Montréal nous proposa des voeux excellents à noter:

Que l'aumônier, en continuant à promouvoir la communion fré­quente évite les abus:

a) en ne donnant jamais en chaire de note infamante à ceux qui s'abstiennent de communier;

b) en prévenant toute intervention intempestive des professeurs;

c) en entendant les confessions au moins deux fois par semaine;

d) en évitant toute familiarité avec les élèves, et en leur procurant un confesseur extraordinaire tous les mois ou au moins tous les trois mois.

M. le chanoine Roy a des conclusions analogues pour les pension­nats 112 de jeunes filles.

C'est là un problème très ardu. Nos jeunes gens, à la sortie du collè­ge arrivent à l'âge des passions et ils tombent dans un milieu froid ou hostile. Il faudrait en faire des héros, et l'héroïsme n'est qu'une excep­tion.

Les associations et les œuvres peuvent être un moyen de persévé­rance: les Sociétés de jeunesse catholique, les conférences de St-Vin­cent-de-Paul, les tiers-ordres.

Il faudrait aussi que la piété de nos écoliers ne fût pas une piété de surface, mais qu'elle résultât de convictions profondes. Quelques moyens y peuvent aider: les catéchismes bien faits, la petite méditation du matin donnée par le supérieur et la conférence spirituelle 113 du soir. Il faut surtout l'exemple des directeurs, professeurs et confes­seurs. Il faut qu'ils soient des hommes de foi profonde, des hommes de sacrifice et de vie surnaturelle.

Le rapport de M. l'abbé Groulx préconise aussi un Bulletin de per­sévérance, une petite revue périodique où les anciens élèves écriraient eux-mêmes et où la note religieuse garderait de la vitalité. C'est une œuvre délicate, mais qui peut être efficace.

M. l'abbé Camiraud traite une question délicate et un peu attristan­te: la communion des enfants pendant les vacances.

Il est certain que nos écoliers habitués à la communion fréquente au collège la délaissent pendant les vacances. Hélas! les familles 114 même chrétiennes ne comprennent pas l'utilité, voire même la néces­sité de la communion fréquente. On pouvait rester chrétien autrefois en faisant ses pâques. On ne le peut guère dans notre société dissolue. Des chrétiens ardents et fervents garderont seuls la foi. Dans les famil­les, on veut que les enfants se reposent et se lèvent tard, ou bien on ne songe qu'aux excursions et parties de plaisir.

Et puis souvent l'église est loin. Que faire? Il faut d'abord préparer aux enfants un milieu favorable en formant les familles à la vie chré­tienne intense. Pour cela, c'est le clergé des paroisses qui doit répon­dre aux désirs de Pie X, en exhortant les fidèles à la communion fré­quente et aux vertus qui en sont l'accompagnement.

Il faut aussi que le curé porte 115 personnellement à l'enfant pen­dant ses vacances un intérêt particulier. Il faut qu'il s'applique à con­naître l'enfant de nos collèges pendant ses vacances, qu'il l'attire à lui, qu'il l'engage souvent à être fidèle à ses pratiques de piété. Il faut que ces enfants sentent qu'on les aime pour leur âme et pour l'amour de N.-S.

Le curé pourrait quelquefois les inviter à dîner et à quelques récréa­tions qu'ils prendraient ensemble.

Une union plus intime et toute sacerdotale entre les prêtres de l'en­seignement et ceux du ministère contribuera aux mêmes résultats.

Il faut aussi que la sainte communion puisse être donnée facilement et à des heures favorables.

Enfin l'année scolaire doit préparer l'âme et le cœur du jeune homme 116 à ce passage difficile des vacances.

L'enfant doit savoir qu'il aura besoin de toute son initiative et de toute son énergie pour passer cette… mer de glace. Il faut qu'il sache vouloir et se déterminer par lui-même. Il faut lui présenter d'avance toutes les hypothèses où il se trouvera et lui demander quelle décision il prendra.

«Un jeune homme qui ne délibère jamais, dit Lacordaire, qui ne choisit jamais, qui est passif dans tous ses actes, ne sera propre un jour qu'à obéir lâchement aux hommes et aux choses qui le domineront par l'effet du hasard» (32e lettre à des jeunes gens).

Il y a quelques moyens signalés par le rapporteur:

La retraite de fin d'année: une courte retraite pendant laquelle on rap­pellera aux élèves les dangers des vacances et 117 les résolutions à prendre.

La correspondance avec le directeur de conscience: un échange de deux ou trois lettres pendant les vacances aidera beaucoup à la persévérance. La distribution d'un billet souvenir qui résume les principaux devoirs des élèves en vacances, et sur lequel l'élève écrit aussi ses promesses de communion. Les parents qui verront ce billet seront ainsi initiés aux résolutions de l'enfant.

Le billet de confession: l'enfant devra rapporter un billet de confes­sion pour chaque mois ou chaque quinzaine.

Les recommandations aux parents: les parents pourraient être avertis par une lettre circulaire des désirs du directeur relativement aux prati­ques de piété de l'enfant. 118

Il y a là bien des vues pratiques. Mais c'est assez pour les réunions d'études du vendredi. Parlons de la procession solennelle des enfants et de la séance du soir.

Quelle heureuse idée que celle de ce défilé des enfants! Les petits garçons sont massés au champ de mars. Ils ont le brassard blanc et por­tent des étendards et des bannières. Un groupe de pages habillés de satin bleu ou rouge accompagnent une immense corbeille de chry­santhèmes, portée sur un brancard doré. Les petites filles en robe blanche sont réunies à l'église Notre-Dame, elles portent des drapeaux et des fleurs.

Trente mille enfants vont défiler devant le portique de la cathédrale où se tiennent le Cardinal et divers prélats. Spectacle 119 ravissant. Toute cette blonde jeunesse a un air si candide! Ce ne sont pas hélas! nos villes de France qui pourraient présenter à l'église une pareille armée d'enfants.

Le soir, c'est le tournoi d'éloquence à Notre-Dame. On a de la pei­ne à trouver place. Mr. Volliart de St-Sulpice me fait entrer par la sacri­stie. L'église est pleine à déborder. Nous acclamons le Cardinal et les prélats à leur arrivée.

Après quelques mots de bienvenue de Mgr Heylen et de Mgr Bru­chesi, le P. Bailly lit des notes fort longues sur le nouveau décret relatif à la communion des enfants, mais le public est impatient d'entendre les discours annoncés. 120

Voici M. Wilfrid Laurier, premier ministre du Canada. Applaudis­sements chaleureux suivis d'une grande attention.

Le Ministre est heureux d'être revenu à temps de son voyage dans l'Ouest, pour offrir la bienvenue au Cardinal et à tout le congrès, dans ce pays de liberté, «de la plus complète liberté civile, politique et reli­gieuse».

Il développera deux idées: Le Canada est un pays de liberté, le Canada est un pays religieux. «La liberté, dit-il, n'a trouvé nulle part une conception plus noble et plus noblement exécutée que sur cette terre du Canada».

Le Canada est la terre des contrastes: contrastes dans la nature par la variation extrême des saisons; contrastes aussi dans les institutions: Nous sommes une monarchie et en même temps une démocratie, dans le sens le plus large 121 du mot. Nous n'avons aucune classe privilégiée dans ce pays; nous sommes tous sur un pied d'égalité de­vant la loi, à commencer par le Souverain lui-même, le premier servi­teur de la loi. Nous pouvons offrir au monde la preuve que la monar­chie et la démocratie ne sont pas incompatibles. Notre Souverain ne professe pas le même culte que nous, mais dans ses vastes états le culte que nous professons a plus de latitude que dans maints pays catholi­ques. C'est à bon droit que je revendique pour mon pays cet honneur d'être par dessus tout et entre tous, le pays de la liberté, et cette reven­dication n'admet aucune exception, pas même la grande république qui partage avec nous ce continent, qui a été la première dans le mon­de à affirmer la liberté moderne, mais qui n'a pas 122 la même éten­due de tolérance que chez nous. Quant à nous, Canadiens d'origine française, nous avons conservé, simplement mais précieusement, la foi de nos ancêtres, la foi apportée ici par Jacques Cartier, par Cham­plain19), par Maisonneuve, par les missionnaires, les marchands, les navigateurs, qui découvrirent le pays et fondèrent la nation… Nous sommes restés de l'opinion de Chateaubriand, qui écrivait qu'il n'y a pas de honte à croire avec Newton et Bossuet, avec Pascal et Racine.

Aujourd'hui l'Europe est tourmentée par le doute, non pas les Iles britanniques qui sont restées chrétiennes (?) mais l'Europe continen­tale. Quant à nous, nous avons conservé la foi de nos ancêtres et dans cette foi nous trouvons la solution de tous les problèmes qui agitent la société moderne. 123 Il y a en Europe une école qui affirme que là-haut il n'y a rien et que pour l'homme tout se borne à la terre. Si cette doctrine pouvait prévaloir que deviendrait la société et quel serait le bonheur de l'individu. Si la nation devait croire que l'homme n'a plus de responsabilité envers son Créateur; si on enlevait à ceux qui peinent et qui souffrent, la croyance qu'il y a là-haut une Provi­dence qui voit, qui juge et qui console, que resterait-il à ceux-là, sinon la soif inassouvie de tous les appétits, de tous les intérêts matériels? Si la jeune mère qui a perdu son enfant et qui le dépose dans la tombe n'espérait pas le revoir là-haut, que lui resterait-il au cœur sinon une plaie toujours saignante? Si l'homme qui souffre de l'injustice de ses semblables, 124 qui voit ses pensées dénaturées et ses actes calom­niés, n'avait pas l'espoir et la certitude qu'il y a là-haut une justice suprême, que lui resterait-il sinon le morne désespoir et le regret d'a­voir vécu? Non cette pensée qu'il n'y a rien là-haut n'est pas noble.

Nous avons baissé encore depuis Proudhon qui écrivait en 1848 ses «Confessions d'un révolutionnaire». Il racontait que le désespoir avait rempli son cœur d'amertume et il se retournait vers le ciel en citant le psalmiste: «Levavi oculos meos in montes, j'ai levé les yeux vers les monta­gnes d'où me viendra le secours» (Ps 120,1). Là-haut, il y a la vie, selon la dernière pensée de Tolstoï. Plus noble encore est la pensée que Veuillot indique pour sa tombe: «J'ai cru, je vois». 125

Nous, hommes du Canada, nous voulons appuyer la sécurité de l'Etat et le bonheur même de l'individu sur la responsabilité humaine devant Dieu, sur la religion même du Christ.

Lorsque le général Washington était à la présidence des Etats-Unis, dans un discours qu'il adressait à ses concitoyens, il leur rappelait avec force et insistance «qu'il n'y a pas de prospérité pour un peuple, si la base de l'édifice social n'est pas fondée sur la religion»; et lorsque la République fondée par Washington était tenue en échec pendant qua­tre années par la plus formidable guerre civile que le monde ait vue, Abraham Lincoln ne faisait aucun mystère d'avouer comme le psalmi­ste, comme Proudhon, que lui aussi était tombé à genoux, quand le salut de la nation était confié à sa garde, 126 croyant que si le salut devait venir de quelque part, il ne devait venir que de là-haut. Lincoln était convaincu, comme Bossuet, que la Providence dirige l'humanité et que «si l'homme s'agite, Dieu le mène».

Telles sont les pensées de foi de Wilfrid Laurier. On le dit catholi­que libéral. Il est à cent lieues au-dessus des pleutres qui nous gouver­nent. Ceux-ci croient peut-être comme lui, mais ils sont trop lâches pour le dire.

Mgr Ireland20) fait ensuite un chaleureux discours en anglais. Il est encore vaillant, mais on sent que la vieillesse le menace. C'est, comme disait Bossuet, le reste d'une ardeur qui s'éteint.

M. Lomer Gouin, premier ministre de la province de Québec, parle à son tour. C'est un acte de foi et de piété qu'il 127 exprime: «L'invitation de Sa Grandeur, dit-il, me fournit une heureuse occasion d'exprimer ma foi en l'Eglise. Un poète a dit que «Tout homme a deux pays, le sien et puis la France»; comme il serait plus juste de dire que tout croyant a deux maisons, le sienne et celle de Dieu. Pour ma part, jamais je ne l'ai mieux compris que ce soir, dans ce temple maje­stueux, tout débordant de fidèles, où je suis venu bien des fois m'age­nouiller aux pieds de notre Père commun et où, aujourd'hui, j'ai l'honneur de parler debout, à des catholiques, à des frères accourus de pays divers et même très lointains. Quel magnifique privilège que celui d'être enfant de l'Eglise du Christ, d'appartenir à la grande famille des rachetés. Dans cette famille, si les bouches ne parlent pas toutes la même langue, une fraternité étroite 128 réunit cependant toutes les âmes; les esprits se rencontrent, les volontés s'entendent, les efforts se coalisent. Quand l'Eglise enseigne, nous croyons; quand elle commande, nous obéissons; quand elle est attaquée, nous la défen­dons. Les rois et les peuples, les riches et les pauvres, le génie et la ver­tu, la piété et le dévouement, les sciences, les lettres, les arts, les lois, en un mot tout ce qu'il y a de grand, de beau et de saint dans l'huma­nité a salué le Christ, comme la nature reconnaissante, au sortir des ombres et des engourdissements de la nuit salue le soleil qui l'abreuve de sa lumière et la pénètre de sa généreuse chaleur.

Grâce à Dieu, personne en ce pays ne songe que croire à Jésus et à son Evangile soit une déchéance, qu'avoir pour premier Maître celui devant qui les savants et les génies s'inclinent soit un abaissement, que servir celui que toute civilisation admire et bénit 129 puisse faire de nous des êtres inférieurs, puisse nous rendre moins utiles à nos sem­blables et à notre patrie…

Un jour de fête nationale, un de mes prédécesseurs, après avoir parlé du caractère affable et bon des Canadiens-français, après avoir décrit leurs moeurs douces et simples, et fait le tableau du bonheur dont jouissent nos patriarcales familles d'agriculteurs, concluait en disant: «La France a passé là». A qui s'étonne de notre vitalité, à qui cherche le secret de notre bonheur comme peuple, ne pouvons-nous pas dire, à notre tour, l'Eglise a passé là, ou mieux encore: l'Eglise est restée chez nous. Elle a passé avec ses missionnaires, avec ses martyrs dont le sang a fécondé le sol de notre patrie; elle est restée avec ses apôtres et ses saints, avec ses évêques et ses prêtres, ses religieux et ses religieuses, qui ne cessent de semer le 130 bienfait de leurs enseigne­ments et de leurs exemples sur tous nos rivages. L'Etat reconnaît sans arrière-pensée les droits de l'Eglise et il la laisse se mouvoir librement dans sa sphère. Loin de la regarder comme une ennemie à combattre ou une rivale à contenir, il la traite en alliée, il la tient pour son meil­leur appui dans la poursuite des intérêts supérieurs; car il sait qu'elle est à jamais la gardienne vigilante et indépendante de tous les droits, des droits des gouvernants comme de ceux des gouvernés, et que sui­vant le mot d'un publiciste, «il n'est pas d'instrument plus puissant que la religion, pour obtenir des hommes en société tous les genres de sacrifices que l'intérêt public puisse réclamer». Puissent l'Eglise et l'Etat vivre toujours chez nous dans l'harmonie la plus parfaite et dans le 131 respect sympathique l'un de l'autre. Puisse l'Eglise illuminer sans relâche la route des destinées de notre chère patrie! »

Telles sont les expressions du patriotisme chrétien proféré par M. Gouin.

Le bouquet de la soirée fut le discours de Mgr Touchet21). Il a été superbe. C'est une page d'éloquence. Tout ce qu'il a dit du Pape, du Cardinal, de l'Archevêque et de Jeanne d'Arc était si délicat, si noble­ment pensé et si bien dit.

Et d'abord quel bon petit mot pour le Cardinal: «La première fois que je rencontrai votre Eminence, elle revenait de sa mission en Russie, et faisait route pour le Portugal, où elle aplanit si heureuse­ment et si rapidement de fort graves difficultés. Depuis lors elle a con­tinué 132 sa carrière glorieuse et utile, parmi les plus hauts ministè­res de la Sainte Eglise romaine. Les années sont venues, elles ont passé sans briser ni même courber le grand chêne; elles n'ont fait que le vêtir d'une majesté plus vénérable et plus sacrée…»

Et comme il parle bien du Pape: «Pie X, suprême prêtre, suprême docteur, suprême pasteur. Pie X, pour l'Eglise de France, le sauveur de la hiérarchie, c'est-à-dire de l'institution même de J.-C. par sa clair­

voyance et son intrépidité; Pie X, pour l'Eglise universelle, le Père très auguste, très vigilant, très bon; le vengeur de la doctrine et de la disci­pline catholique; Pie X, auquel se pourraient appliquer les paroles adressées par Jéhovah à l'antique prophète: `Je t'ai posé comme un bastion inexpugnable, comme une colonne d'airain. Les temps sont mauvais, 133 beaucoup combattront contre toi, sectaires d'ici, faux docteurs de là, étranges diplomates d'ailleurs. Mais ce sera en vain: les sectaires seront déçus, les faux docteurs démasqués, les étranges diplo­mates se prendront à leurs propres pièges, parce que je suis avec toi, dit le Seigneur» (cf. Jer. 1,18).

Et à Mgr de Montréal [Mgr Bégin22)]: «C'est au séminaire canadien de Rome que vous prîtes l'initiative de m'inviter en termes dont ma gratitude ne me permet pas d'oublier l'obligeance. Vous vous promet­tiez, il m'en souvient, des spectacles de religion incomparables. Vous en preniez pour garant la piété de ce magnifique peuple; et la belle jeunesse cléricale qui vous écoutait, sentant passer sur son front et son âme une brise accourue des plages de la patrie, leur patrie aux grands lacs, 134 aux grands prés, aux grands cœurs, aux grands blés, aux grands fleuves, au grand présent, au grand passé, au grand avenir, vous applaudissait avec passion… Et alors, tout plein de la bienheureuse Jeanne d'Arc, dont la cause m'avait amené à Rome, j'acceptai sous l'u­nique réserve de vous parler d'elle et de ses relations avec l'Eucha­ristie».

Puis vint un long et beau discours sur Jeanne d'Arc. Je l'abrège. Cela vaut une lecture spirituelle:

La bienheureuse Jeanne d'Arc! A son culte j'ai voué ma vie. Depuis seize ans je l'étudie. Plus je l'ai connue plus je me suis enfoncé dans la passion qu'elle m'inspira. Elle m'a pris la moitié de mes jours et une part de mes nuits; elle m'a causé des sollicitudes de tout genre, plus d'u­ne alarme, plus d'une lutte; ce 135 n'est pas trop, tant elle est belle!

Ce goût ne m'est pas exclusivement personnel. Godefroy Kurth me disait aussi: Monseigneur, il y a quarante ans que j'étudie l'histoire. Eh bien, me souvenant que j'ai prêté serment tout à l'heure entre vos mains, je puis vous dire ceci: Depuis le Christ et la Vierge Marie, per­sonne ne m'apparaît, sur ce théâtre que j'ai tant fréquenté, qui soit plus digne des autels que Jeanne d'Arc. Jeanne étonne et séduit. Devant elle on tombe à genoux pour lui baiser les pieds, et on ne peut se retenir de lui donner des noms très tendres, de Soeur, de petite Sœur. Elle est très haut au-dessus de nous, et néanmoins nous la sentons comme très voisine de nous. Elle est la Jeanne miraculeuse de l'é­popée et du Paradis; 136 elle est la Jeannette de Domrémy. «C'est un agneau et un lion», a écrit Pie X, traduisant admirablement la nature contrastée de cette enfant. Elle fut pure comme un lys, humble com­me une marguerite de ses vallées meusiennes. Elle priait Dieu, la Vierge, Notre-Seigneur, avec une candeur de foi que rien ne troubla. Elle aimait ses compagnons, les malheureux, ses frères, ses soeurs, son rude et honnête père, sa mère, «sa pauvre mère» ainsi qu'elle s'expri­mait à plein cœur. Elle se meut dans le surnaturel, comme nous dans l'air où nous respirons. Sept années durant, elle fut en contact quoti­dien perpétuel avec St Michel, Ste Catherine, Ste Marguerite… Elle fut brave comme une épée de chevalier, et si douce dans la bataille, si généreuse, si apôtre! Jamais elle n'a frappé personne… Dans sa mort, elle imita de très près la passion 137 du Christ. Trahie comme lui, vendue comme lui, jugée comme lui, exécutée comme lui au milieu des cris de la haine et des larmes de pitié, après avoir été la foi, la cha­rité, la justice, la vérité, l'honneur même, avec au front le rayon des prophètes et sur ses épaules la pourpre de son sang, après avoir repré­senté la France en ce que la France a de plus exquis, et l'humanité en ce que l'humanité a de plus haut; après avoir été Jeanne d'Arc.

Toutefois dans cet ensemble de vertus, il en est une qui marque d'un trait plus profond sa physionomie morale, c'est la vertu de force. Aucune opposition ne l'arrête: `J'aurais eu cent pères et cent mères, dit-elle, je serais partie». Elle a la force de grouper et d'entraîner les armées et leurs chefs… Elle a la force de relever 138 le roi de son ato­nie et de ressusciter le peuple de son marasme… Et maintenant, elle va de victoire en victoire, et elle n'est qu'un enfant, elle a dix-sept ans! France, jette-lui à pleines mains des lauriers et des roses; Angleterre, ne lui refuse ni les roses ni les lauriers. Il fallait qu'il subsistât une France et une Angleterre dans l'Univers. Toutes les deux ont leur destin; elles attendent l'heure que prophétisa de Maistre quand il a dit: «Quand la France sera redevenu chrétienne et l'Angleterre catholi­que, le monde verra de grandes choses»…

D'où provient cette force à cette enfant? De l'Hostie surtout, répond hardiment l'Eglise dans la liturgie qu'elle lui a consacrée; pane coelesti qui toties Johannam aluit ad victoriam… Dans tout l'ordre des cho­ses, nous ne connaissons que deux 139 forces autonomes libres:. la première est absolue, éternelle, surabondante, nous l'appelons Dieu. Les secondes sont relatives, immortelles, subordonnées: ce sont les consciences libres, anges et hommes… La fidélité des consciences libres est souvent gênée par notre aptitude à défaillir. Or, dans ces lut­tes, nous pouvons appeler à notre secours la force éternelle. Dieu l'a ainsi voulu. La prière et les sacrements ont cette puissance de nous fai­re communier à lui et à ses énergies infinies. Mais parmi tous les sacre­ments, l'Eucharistie, nourriture par le pain et le vin mystique, signifie et réalise plus excellemment l'union de la suprême puissance avec notre suprême faiblesse. «Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, vivra» (Jo. 6,51). La vie, c'est la force… Jeanne fut une âme eucharistique, comme les héros de la colonisation 140 canadienne… comme Ste julienne, comme Ste Catherine de Sienne, (comme la Bse Marguerite Marie).

Sa petite maison de Domrémy jouxtait l'église. Je me suis agenouillé devant l'étroite fenêtre par laquelle Jeanne voyait le sanctuaire. J'y ai prié plus d'une fois, longuement. Elle y a prié souvent, surtout à la veil­le de son départ pour sa formidable aventure. Une plaque rappelle à l'église le lieu où Jeanne fit sa première communion. Le pèlerin essaie de se représenter là l'enfant qui a déjà connu l'extase, qui a entendu ses saintes lui parler de la grande pitié du royaume de France. Quel dut être le premier contact de Jeanne et de Jésus! A dater de ce jour, Jeanne communia souvent, si souvent qu'au village on la trouvait un peu trop dévote. 141

Au cours de ses campagnes, elle entendait la messe quotidienne­ment plutôt deux ou trois fois qu'une, et s'approchait du Sacrement autant qu'elle pouvait. Elle n'assistait pas à un salut sans fondre en lar­mes. Pendant son long emprisonnement, elle n'avait qu'un regret, elle eût voulu assister à la messe et y communier. Deux heures avant le sup­plice, Pierre Cauchon23) dit: «Donnez-lui tout ce qu'elle demandera». Elle demanda la communion. On la lui apporta. Elle la reçu, elle pleu­ra et demeura en action de grâces jusqu'au dernier moment.

Elle remerciait encore quand s'éleva autour d'elle la colonne terri­ble de fumée suffocante et de sombre flamme. Elle remerciait encore quand elle cria d'une voix forte comme si elle avait aperçu quelqu'un: Jésus! Jésus!.. Elle 142 ne finit son remerciement qu'en paradis.

C'est l'Eucharistie qui fit l'héroïsme de Jeanne. Elle ne dit pas le mot de Sonis24): «Quand on porte Dieu dans sa poitrine, on ne capitule pas», mais elle le vécut. Chrétiens, consciences libres, mais consciences tentées, nous pouvons nous restaurer du même pain que Jeanne, et comme Jeanne triompher de tous nos ennemis.

Consciences libres mais défaillantes, nous tombons parce que nous sommes seuls. Appelons à notre secours la force infinie et nous mar­cherons d'un pas ferme par les plus rudes chemins… En France actuel­lement, les temps sont durs comme au siècle de Jeanne. Nos prêtres et nos fidèles sont admirables dans leur générosité et leur union au St-Siège. Vous Canadiens, héritiers de Jacques 143 Cartier, de Champlain et de Montcalm, priez pour nous devant l'Hostie, afin que l'Eucharistie, qui fut la force de Jeanne, devienne la force de la France catholique dans sa nouvelle épreuve….

Quand l'orateur s'assied, la foule enthousiasmée lui fait une ova­tion. Il est tard, les autres discours sont remis au lendemain, et tout le monde debout termine cette inoubliable manifestation au chant de: O Canada, terre de nos aïeux…

Journée du samedi 10 septembre. Il fait beau. Un gai soleil de sep­tembre éclaire la fête. Un vent frais fait flotter les drapeaux. A huit heures, la foule se masse, immense, au pied du Mont Royal paré de sa riche végétation. Le reposoir s'élève en forme de ciborium sur ses 144 colonnes élancées, enveloppées de rouge et d'or. Tout autour de l'au­tel, une riche décoration florale, soixante évêques, deux mille prêtres, un choeur puissant de trois cent voix. Tout près un carillon de cinq cloches, installé de la veille, annonce la cérémonie. Mgr Farley, archevêque de New York officie. Le Cardinal viendra pour terminer donnant la bénédiction papale à la foule agenouillée. A l'Evangile, Mgr O'Connel, archevêque de Boston, fit le sermon en anglais. Après la messe, le P. Hage, provincial des Dominicains, parla en français.

Quelques mots seulement du P. Hage. Ils rendent bien les senti­ments qui faisaient vibrer tous les cœurs.

«Chantez au Seigneur un cantique nouveau, car il a fait des choses merveilleuses! Le Seigneur a manifesté son salut. 145 Les fleuves bat­tront des mains et les montagnes bondiront d'allégresse…

O fleuve majestueux du St-Laurent, réjouis-toi d'avoir apporté, aux bruits applaudissant de tes eaux, des milliers d'adorateurs eucharisti­ques, conduits et précédés, sur la nef privilégiée dont le vrai pilote fut Jésus-Hostie, par le premier et le plus pieux des adorateurs, l'éminen­tissime Légat du Saint-Siège.

O Montagne de Montréal, tressaille de bonheur; tu reçois en cet instant, après tes soeurs aînées du Sinaï, du Thabor, du Golgotha, la visite de Dieu qui se plaît à opérer des merveilles!

O fleuve, ô montagne, ô terre, ô mer, chantez au Seigneur un canti­que nouveau! Et que ce cantique de tout un peuple, parvenu à la 146 gloire de la virilité, soit bien l'écho retentissant et reconnaissant du modeste cantique qu'à l'heure de sa naissance ce peuple chante au Dieu de l'Eucharistie.

Voilà deux cent soixante huit ans que la première messe fut célé­brée sur cette plage. Le grain de sénevé s'est multiplié. Une autre mes­se se célèbre à ciel ouvert, un autre autel s'élève pour recevoir la Sainte Victime, et à cette messe assiste une grande foule que personne ne peut compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue (Ap. 7,9), et autour de ce reposoir les vieillards du sacerdoce, nos Pon­tifes, sont assis, revêtus de vêtements étincelants, et portant sur leurs têtes des couronnes d'or, et en face de cet autel, l'univers catholique tout entier a tenu à honneur 147 de se faire représenter pour chanter l'hymne triomphal au Christ-Roi qui gouverne les peuples: Christum regem adore­mus dominantem gentibus».

Je ne citerai qu'un des rapports lus le samedi. Il s'agit des œuvres de réparation eucharistique.

M. l'abbé Bouquerel nous donne une esquisse de ces œuvres, plutôt qu'une étude complète.

Le Grand Réparateur, nous dit-il, c'est Jésus qui a racheté le monde par le sacrifice du calvaire.

Après lui vient Marie, la co-rédemptrice et par conséquence la coré­paratrice pour les péchés des hommes.

Les apôtres, puis un grand nombre de chrétiens, ont versé 148 pour l'Eglise un sang réparateur.

La paix étant venue, la réparation s'est faite par la pénitence au désert, par la louange perpétuelle dans les cloîtres et tout le long des siècles par un apostolat aussi inlassable que fécond; et toutes ces répa­rations étaient intimement liées à l'Eucharistie, qui donnait à tous ces réparateurs la force et le courage.

En 1264, sur les instances de Ste julienne de Cornillon, la Fête-Dieu est instituée par Urbain IV.

En 1311, le Concile de Vienne impose cette fête à toute l'Eglise. Alors commence vraiment avec la louange la Réparation officielle eucha­ristique.

En 1537, à la demande du P. Joseph de Fermo, capucin, St Charles Borromée institue à Milan les prières des Quarante-Heures; en l'hon­neur des 149 Quarante-heures que le corps du Sauveur demeura dans le tombeau. St Philippe de Neri les introduisit à Rome en 1548.

En 1592, Clément VIII régla les prières des Quarante-Heures pour offrir à Dieu des réparations et des supplications, dans les circonstan­ces pénibles où se trouvait l'Eglise et particulièrement la France. La conversion de Henri IV fut regardée comme le fruit de ces prières.

Depuis le XVIIe siècle surtout, bien des œuvres de réparation spé­ciale ont surgi. Elles sont eucharistiques dans leurs moyens, par la mes­se, la communion, l'adoration eucharistiques.

Plusieurs de ces œuvres ont les cloîtres pour théâtre, les autres sont proposées aux fidèles des paroisses. 150

A la racine de chacune de ces œuvres se rencontre une âme vive­ment impressionnée par une idée. Quelle est la nature de cette idée? Est-ce une inspiration du ciel? Est-ce simplement la résultante, toujours surnaturelle d'une intelligence vivement éclairée par la foi et d'un cœur épris d'un ardent amour? Le résultat est toujours une œuvre voulue de Dieu.

M. Bouquerel parle des congrégations d'hommes, des congréga­tions de femmes et des œuvres séculières.

Pour les congrégations d'hommes, il ne cite guère que les Pères de Picpus fondés en 1800, avec une simple allusion aux Pères du St­-Sacrement fondés par le vén. P. Eymard.

Il oublie notre modeste Cong. 151 des Prêtres du S.-Cœur, qui a pris la suite des essais et projets de Paris, de Marseille et de Grenoble. Notre chère œuvre est bien réparatrice dans son but, dans ses con­stitutions, dans ses pratiques, dans tout son être.

Nos Constitutions nous donnent bien cette fin spéciale. Nous ajou­tons à nos voeux une formule d'oblation, nous faisons dans nos mai­sons l'adoration réparatrice, nous récitons quotidiennement l'amende honorable, nous faisons l'Heure Sainte et le jeûne du vendredi, et nous célébrons solennellement le 1er vendredi.

La sainte fondatrice25) de Grenoble nous a bien reconnus comme l'œuvre de prêtres qu'elle avait en vue.

Pour les cong. de femmes, M. Bouquerel cite les Sacramentines de Marseille (1639), les Bénédictines 152 du St-Sacrement de Paris (1654), les Picpusiennes, les Soeurs de Ste-Anne de Rome (1804), l'a­doration réparatrice de la rue d'Ulm (1848), les Soeurs de Marie Réparatrice (1854). Il omet les Victimes de Marseille fondées par le P. Jean d'Arbaumont (1865)26), desquelles sont sorties les Soeurs Victimes de Grenoble (1870) et les Filles du Cœur de Jésus (1873). Il omet aus­si nos Soeurs de St-Quentin, les Servantes du Cœur de Jésus (1869), les Dominicaines de Luxembourg (vers le même temps). Les Missionnaires de Marie sont une branche détachée des Soeurs de Marie Réparatrice.

Parmi les associations séculières, l'orateur cite: l'Adoration noctur­ne de Rome (1810), l'œuvre de la Ste Face de Tours (1843), l'adora­tion 153 nocturne et l'œuvre sacerdotale de Lyon (1849), la com­munion réparatrice de Paray (1854), l'œuvre du Cœur eucharistique, la Garde d'honneur (1863), la Messe réparatrice (1862), l'association de prières et de pénitence de Dijon (1871), la Confrérie de la Ste Trinité de Paris, l'œuvre de l'adoration universelle des nations catholi­ques à Rome, les prêtres victimes, dirigés par les Lazaristes.

Il omet notre belle association d'amour et de réparation au S.­Cœur honorée d'un Bref de Pie X du 11 avril 1910.

Un voeu a terminé cette belle étude: que l'on fasse connaître aux âmes qui désirent se donner à Dieu les congrégations religieuses de réparation eucharistique! 154

Dès une heure après midi, les jeunes gens se dirigent de toutes les parties de la ville vers la cathédrale. Ils défilent par groupes, portant leurs bannières et leurs drapeaux et rythmant leur marche de chants pleins d'entrain.

A deux heures, tous les abords de l'Eglise sont envahis. Il y a là plus de vingt mille jeunes gens, entourés d'une foule immense et sympathi­que.

Les bravos éclatent, les acclamations s'élèvent quand le Cardinal paraît avec Mgr l'Archevêque, et prend place dans sa voiture. Puis c'est la procession, la marche vers l'Arena. Dans la vaste salle, des milliers ont déjà pénétré; d'autres en plus grand nombre attendent aux portes. Tous font au légat qui arrive une incomparable ovation. Mgr l'Arche­vêque présente ses chers jeunes gens. 155

Le Cardinal leur adresse une allocution dont je ne citerai que quel­ques mots: «Cette marche triomphale qui vient de m'accompagner jusque dans cette salle m'a ému jusqu'au fond de mon âme.

Multiples ont été les manifestations de foi, les motifs de consolation que j'ai eus de la part des catholiques canadiens depuis que j'ai mis les pieds sur ce sol béni; mais celle d'aujourd'hui laissez-moi vous le dire, dépasse toutes les autres… Un pays qui a une telle jeunesse a son ave­nir assuré… je ne regrette qu'une chose, qui serait un grand plaisir pour moi, c'est que le Saint-Père ne vous voie pas lui-même, qu'il n'ait pas sous les yeux un spectacle si touchant, si imposant que donnent ses enfants de prédilection». 156

Mgr Langevin, si populaire parmi les jeunes gens, succède au Cardinal Légat: «Il y a deux ans, mes chers amis, on découvrait dans l'Ouest, sur les bords du Lac des Bois, un autel et des tombeaux, un autel élevé par les jésuites, et les tombeaux de vingt-et-un braves, tombés sous les flèches des farouches Sioux. Cette découverte a une signification, elle veut dire qu'il y a une mission donnée à notre peu­ple de répandre partout la foi en Jésus-Christ.

C'est sur vous, jeunes gens au cœur noble et pur, que nous comp­tons pour défendre l'autel, mais aussi pour défendre la patrie… Vous êtes de la race de ceux qui savent mourir pour le drapeau. Eh bien, ce drapeau de la foi catholique, ce drapeau de la patrie canadienne, vous devez l'arborer aujourd'hui. Ce drapeau, 157 il a reçu son baptême, c'est le drapeau des vieilles gloires de notre pays, c'est le drapeau de Carillon27). Et sur un drapeau Notre-Seigneur a marqué aujourd'hui son Cœur. Ce drapeau du S.-Cœur a reçu son baptême de la main autorisée du représentant du Pape. Mettez dans les plis de ce drapeau tout ce que la Sainte Eglise vous a accordé de grâces et de bénédic­tions; mettez dans ce drapeau tout ce qui vous est cher, tout ce qui est cher au foyer domestique; mettez dans ce drapeau l'avenir du pays au point de vue catholique, pour ne pas dire au point de vue français; arborez ce drapeau et défendez-le vaillamment, l'avenir est à nous…».

Un mot chaleureux, maintenant de M. Henri Bourassa, le député 158 nationaliste: «Un grand écrivain catholique et français, parcou­rant un jour les rues de la ville éternelle et foulant aux pieds les ruines du palais des Césars, évoquait la mémoire de ceux qui l'avaient con­struit et disait: En faisant raser le sol pour y bâtir cette maison, César avait dit: «Que l'herbe disparaisse!» Et le brin d'herbe avait répondu: `J'ai le droit de vivre». César avait dit: `J'ai le fer». Et l'herbe répondit: `J'ai le temps».

Il y a cent cinquante ans, il ne restait plus sur cette vieille terre de Québec qu'une petite semence bien humble. Le tronc avait été coupé, les racines avaient été entamées, et les puissants du jour disaient: «Sur cette terre d'Amérique, la foi catholique et l'idée de la France sont passées». Le fer a 159 passé, mais l'herbe a vécu; et cet herbe produit aujourd'hui, Eminence, les fruits de jeunesse, de vitalité religieuse et de vitalité nationale que nous venons déposer à vos pieds, pour que vous les transmettiez à l'autorité suprême dont vous êtes parmi nous le représentant. Jeunes gens de l'Association catholique de la jeunesse Canadienne-française, qui avez pris l'initiative de cette manifestation grandiose, il n'y a pas longtemps que vous existez et déjà votre œuvre se fait sentir… Vous mettez votre foi au service de votre patriotisme et vous fortifiez votre foi par le maintien des traditions nationales. Nés du terroir, héritiers de six générations qui pendant longtemps ont souf­fert pour conserver la seule existence, vous voulez maintenant 160 donner à la patrie et donner à l'Eglise, un peu des germes de cette semence féconde, de cet héroïsme silencieux, qui fut pendant un siè­cle la seule vie nationale de ceux qui furent vos pères. Vous vous êtes unis dans une pensée nationale comme dans une pensée religieuse, non pas pour combattre les races étrangères qui habitent avec vous le Canada, mais parce que vous croyez que la Providence a eu ses des­seins en faisant se rencontrer ici les deux grandes races qui se sont longtemps disputé la suprématie en Europe; et le moyen de seconder les desseins de la Providence, c'est de laisser vivre ces deux rameaux, égaux l'un à l'autre, dans la fraternité la plus complète, sans que l'un d'eux s'abaisse devant l'autre… Soyez fermes et soyez conciliants, mais aussi 161 soyez convaincus et soyez combatifs. Soyez enthousiastes. N'écoutez pas la voix refroidissante, qui vous dit: l'enthousiasme, la foi, c'est bon pour la jeunesse. Restez jeunes, restez enthousiastes. Pour le bien de la patrie et de l'Eglise, il est avantageux qu'il s'en trou­ve qui soient toujours prêts à embrasser follement la cause des idées, la cause de l'idéal».

On applaudit alors comme savent faire les jeunes gens.

Quelques mots maintenant de M. Gerlier, le brillant président de la jeunesse catholique française: «Je ne sais pas si l'on vit jamais pareille assemblée de jeunes gens faisant retentir acclamations semblables en l'honneur du Pape et en l'honneur de l'Eucharistie.

Ce n'est pas la première fois que la jeunesse canadienne et la jeu­nesse 162 française se rencontrent aux pieds du Pape. Il vous sou­vient, il y a des années de cela: Rome était menacée, et le grand vieil­lard, qui était assis là-bas sur le siège de Pierre avait poussé un cri d'a­larme; et ce cri d'alarme franchissant les Alpes, était venu faire tressail­lir dans la vieille France tous les cœurs de la jeunesse catholique; et ce cri d'alarme, franchissant les océans, était venu faire tressaillir dans le Canada français tous ces hommes qui se souvenaient encore de Rome parce qu'ils se souvenaient de la France. Et à ce moment-là ils se sont levés, ces vaillants qui s'appelaient les zouaves pontificaux, et la pre­mière alliance des deux jeunesses, elle s'est scellée sur le champ de bataille où vos ancêtres et les nôtres ont mêlé joyeusement leur sang sous l'étendard pontifical. Et voici qu'aujourd'hui ces deux jeunesses sont encore réunies 163 ici. Il ne s'agit plus pour elles d'offrir leur sang, mais elles viennent cependant dire que si demain il le fallait, joyeusement elles le donneraient encore. Elles viennent dire que puis­que l'heure présente est moins tragique, mais que d'autres devoirs les sollicitent, tous ces jeunes gens et tous ceux que j'ai aujourd'hui l'im­mense honneur de représenter, jurent encore leur dévouement, leur obéissance, leur amour, leur soumission, quoi qu'il en coûte, au suc­cesseur de Pierre. Et c'est une joie profonde pour les jeunes catholi­ques de France de venir ici acclamer l'Eucharistie. Si nous avons pu réveiller un peu l'âme vibrante des vieux chrétiens français, nous le devons à l'Eucharistie, et toute notre reconnaissance va au Pape Pie X qui nous a montré la Table Sainte comme le chemin de toutes les vic­toires». 164

Pour terminer, quelques mots du baron de Xivry, représentant la jeunesse catholique belge. «Permettez à un des fils de la grande Université catholique, l'Alma Mater de Louvain, d'être l'interprète de tous ses amis de Belgique, en vous apportant, et de tout son cœur, un hommage d'admiration pour votre initiative féconde, un souhait de bonheur pour l'avenir chrétien de votre beau pays.

Il vous intéressera sans doute, Messieurs, d'entendre quelques ren­seignements sur l'activité religieuse qui existe au sein de l'Université de Louvain… Le travail et la piété y règnent également. Nulle part la conduite des jeunes gens n'est plus régulière et plus morale. Des cen­taines d'étudiants se pressent chaque semaine à la réunion de la Sodalité ou Congrégation de la Sainte Vierge, dirigée par les Pères jésuites. Par centaines, aussi, à l'occasion 165 du premier vendredi de chaque mois se comptent les communions que les membres de la sodalité offrent au Sacré-Cœur.

L'association eucharistique est très florissante parmi nous, chaque deuxième mercredi du mois le secrétaire de cette œuvre relève de 600 à 700 présences à la demi-heure d'adoration demandée aux membres de cette sodalité. Chaque matin par centaines se comptent dans les églises de Louvain, les jeunes gens qui assistent à la messe, et je crois même pouvoir affirmer que plus de la moitié des 2.500 étudiants de l'Université catholique fait chaque jour une visite au très Saint Sacrement de l'autel. C'est à la formation de cet état-major chrétien, sorti de l'Alma Mater que notre Belgique doit de résister jusqu'ici victo­rieusement aux assauts des ennemis de l'Eglise…». 166

Le soir, nouveau tournoi d'éloquence à l'église Notre-Dame. Exhortation du R.P. Lémius à la célébration solennelle de la fête et du mois du S.-Cœur. Le S.-Cœur et le St Sacrement sont si intimement unis, qu'il fallait bien qu'on parlait du S.-Cœur dans un congrès eucharistique.

Discours de Mgr Rumeau28), évêque d'Angers. J'en reproduis deux ou trois pensées seulement: «Je suis venu, dit-il, du pays de la grande tribulation, comme parle le Voyant de l'Apocalypse. Je suis venu sur cette terre de foi et de liberté consoler mes tristesses, sécher mes lar­mes, et en m'associant à des joies qui furent nos joies, ouvrir mon cœur à l'espérance.

Oh! Messieurs, quel spectacle s'offre à mes regards éblouis! Est-ce une 167 vision de la terre? Est-ce une vision du ciel? J'ai vu, s'écrie l'Aigle de Pathmos, j'ai entendu une multitude immense que person­ne ne pouvait dénombrer, de toute tribu, de toute nation, de toute lan­gue; et à leur tête étaient vingt quatre vieillards habillés de blanc. Et une voix se fit entendre: «Voici le Tabernacle de Dieu avec les hom­mes» et aussitôt les vingt quatre vieillards et toute l'assemblée de se prosterner et d'entonner un cantique, qu'accompagnaient des harpes et des cithares: «A l'Agneau qui a été immolé, gloire, honneur, puissan­ce, actions de grâces, salut et bénédiction dans les siècles des siècles» (Ap 7,9-12).

S'agit-il des fêtes du ciel ou des splendeurs de nos congrès euchari­stiques? Ici, à Montréal, l'illusion est permise, tant la ressemblance est frappante et le tableau fidèle! Je vois ici les 168 foules prosternées devant l'Agneau. Elles sont de toute race et de toute nation. A leur tête sont les vénérables vieillards de l'épiscopat. En des accents qui vibrent comme l'enthousiasme, ces foules n'ont cessé, pendant cette grande semaine, de redire devant le trône eucharistique: «A l'Agneau qui a été immolé, gloire, honneur, puissance, action de grâces, salut et bénédic­tion dans les siècles des siècles!» (cf. Ap 5,12-14). Pour nous, Français, nos cœurs sont broyés par d'inénarrables douleurs… La divine consti­tution de l'église, ses droits les plus essentiels, ses libertés les plus sain­tes, son patrimoine sacré, tout a été méconnu, contesté, violemment supprimé. Nos ennemis ignorent que les tribulations sont pour l'église la loi de son existence, et les persécutions sa plus belle auréole. 169 Déjà nos douleurs portent leurs fruits, et la tempête rajeunit notre vigueur. Que nos épreuves soient pour vous une leçon. Nous avions négligé l'enseignement de la religion et notre zèle pour l'Eucharistie s'était refroidi. Ne cessez pas de puiser la force de Dieu à sa vraie sour­ce. Demeurez les amis de l'Eucharistie et les fils dévoués de la Vierge Marie, et le Canada gardera sa vitalité religieuse, avec toutes les béné­dictions divines»…

«Mgr l'évêque d'Angers, dit l'archevêque de Montréal, vos éloquen­tes paroles nous ont profondément émus, et au nom de tout ce peuple qui vous a écouté si religieusement, je vous en remercie du fond du cœur. Nous savons ici les grandes douleurs dont souffre votre patrie; nous y sympathisons tous, 170 mais laissez-nous vous assurer que nous ne désespérons pas d'elle. Il n'y a personne dans l'Eglise à qui il soit permis de désespérer de la France, mais nous, nous avons des rai­sons que d'autres n'ont pas de ne pas désespérer.

Un enfant ne désespère jamais de sa mère. Et dans votre France, Monseigneur, c'est la mère du Canada que nous aimons. Il y a en France des sources de vie, des sources de salut que nous connaissons bien: la générosité, le zèle, le courage, l'admirable abnégation de ses évêques, et surtout leur union parfaite avec le Souverain Pontife. Il y a comme une autre source de salut, le réveil de la jeunesse catholique française. Vous entendez ici son illustre président M. Gerlier, dites­-vous, messieurs, qu'ils sont là-bas des milliers et des milliers qui pen­sent comme lui, qui travaillent comme lui et sont prêts à donner, s'il le faut, leur vie pour l'Eglise. 171

Et vous avez encore, Monseigneur, d'autres sources, surnaturelles, celles-là; vous avez Paray-le-Monial et Notre-Dame de Lourdes, le Sacré-Cœur et la Sainte Vierge. Comment voulez-vous que la France chrétienne puisse périr avec de tels protecteurs!…».

Après ces mots émus, tout l'auditoire debout acclame la France.

- Discours du juge Doherty, « du député Tellier, de Mgr Bourne, archevêque de Westminster, de l'honorable Chapais,

de l'honorable O'Sullivan.

Mgr Bourne n'a pas été heureux. Il a jeté le froid sur l'auditoire. Il a cru devoir conseiller aux Canadiens de se mettre à la langue anglai­se, parce que, dit-il, ils devront y arriver quand même à la langue, et 172 cela les mettrait plus vite en relations avec toute la nation.

Mais voici le tour de parole de M. Henri Bourassa et il donne au mi­lieu de son beau discours une chaude réponse improvisée à l'honora­ble archevêque. C'est un discours superbe et si plein de choses qu'il sera difficile d'y faire des coupures. Que de leçons bien appliquées! Que de traits lumineux sur une foule de questions! Un acte d'humilité d'abord:

«Permettez-moi de prendre ce soir la tâche humble, mais non moins nécessaire à moi qui ne suis rien, à moi qui sors de cette foule, d'énoncer quelques-unes des résolutions que nous devons prendre comme peuple aujourd'hui que nous sommes unis dans la commu­nion eucharistique».

Il va parler au nom de l'âme canadienne: «Que la première de ces résolutions 173 soit que notre religion, celle qui fait battre nos cœurs soit non seulement une religion individuelle, mais qu'elle soit notre religion comme peuple.

Prenons la résolution de combattre chez nous le danger de la dou­ble conscience qui fait que souvent des hommes qui adorent Dieu avec sincérité au foyer, à l'église, oublient qu'ils sont les fils de Dieu lor­squ'il faut proclamer sa foi dans la vie publique, dans les lois et dans les assemblées.

Au culte de l'argent, au culte du confort, au culte des honneurs, opposons le culte du devoir, le culte du sacrifice, le culte du dévoue­ment (Voilà un coup droit porté à l'américanisme).

L'illustre archevêque de St-Paul nous disait hier que l'Amérique était appelée à résoudre plusieurs des problèmes des sociétés futures. 174 Cela est vrai, mais je crois également que l'Amérique peut encore apprendre quelques leçons des vieilles sociétés chrétiennes de l'Europe; et qu'il me soit permis, comme Canadien, de demander à l'Europe de nous donner encore un souffle de son apostolat et de son intellectualité dans la recherche de ce culte de l'honneur, du dévoue­ment et du sacrifice; je crois que même nous, les Français de la nouvel­le France, nous pouvons apprendre encore quelque chose à l'autel de la vieille patrie, dont l'évêque d'Orléans et l'évêque d'Angers nous ont parlé ce soir comme des hommes qui ne sont pas les chefs d'une nation morte…»

Puis l'orateur oppose aux organisations ouvrières américaines dont le but est trop matériel, les œuvres de mutualité chrétienne de la catholique Belgique. 175

Puis vient la question délicate dès écoles et des langues. Je résume: «Nous avons - et permettez, Eminence, qu'au nom de mes compatrio­tes de la province de Québec, je revendique cet honneur - nous avons les premiers accordé, à ceux qui ne partagent pas nos croyances reli­gieuses, la plénitude de leur liberté dans l'éducation de leurs enfants (applaudissements). Nous croyons avoir bien fait; mais nous avons acquis par là le droit et le devoir de réclamer la plénitude des droits des minorités catholiques dans toutes les provinces protestantes de la confédération» (applaudissements prolongés; l'auditoire fait à l'ora­teur une longue ovation).

A propos de l'éducation neutre, «ne laissons pas pénétrer chez nous, dit-il, cette notion fausse que la religion est bonne à l'école pri­maire 176 et dans les collèges classiques, mais qu'elle n'a rien à voir à l'école scientifique ou dans l'école des métiers; conservons intact dans notre vieille province de Québec, ce trésor de l'éducation chré­tienne qui ne consiste pas seulement dans l'enseignement pendant quelques minutes des dogmes théoriques de la religion, mais qui con­siste surtout, au point de vue de la foi pratique et vécue, dans la péné­tration de toutes les sciences et de toutes les notions humaines par l'idée religieuse, par l'adoration du Christ…».

Puis, abordant spécialement la question des langues: «Soyez sans crainte, vénérable archevêque de Westminster; sur cette [terre] cana­dienne, nos pasteurs, comme ils l'ont toujours fait, prodigueront aux

fils exilés de votre noble patrie, comme à ceux de l'héroïque Irlande, tous les secours de la religion dans la langue 177 de leurs pères. Mais en même temps permettez-moi de revendiquer le même droit pour mes compatriotes, pour ceux qui parlent ma langue, non seulement dans cette province, mais partout où il y a des groupes français qui vivent à l'ombre du drapeau britannique, et sous l'aile maternelle de l'Eglise du Christ, qui est mort pour tous les hommes et qui n'a impo­sé à personne l'obligation de renier sa race pour lui rester fidèle» (l'auditoire debout fait à l'orateur une longue ovation).

M. Bourassa montre encore la mission apostolique de l'Eglise Canadienne, dont les séminaires de Québec et de Montréal ont élevé une partie du clergé d'Amérique et dont les communautés religieuses enseignantes rayonnent partout.

La nouvelle France a comme la vieille France une grâce spéciale d'esprit 178 apostolique…

Pour les Canadiens français, le discours de M. Bourassa a été, sans conteste, le clou du congrès de Montréal.

Messe pontificale d'action de grâces à la cathédrale avec de beaux discours du Cardinal Gibbons et de Mgr Touchet.

Celui-ci nous donne encore un discours superbe, une véritable légende eucharistique des siècles. Il nous rappelle la promesse de l'Eucharistie au lendemain de la multiplication des pains: «Je suis le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts. Ici est le pain descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, ce sera ma chair, vie du monde» (Jn 6,48-51).

Puis c'est l'institution de l'Eucharistie au Cénacle: «Ceci est mon corps, prenez et mangez; ceci est mon sang, 179 prenez et buvez; fai­tes ceci en mémoire de moi» (Lc 22,19 et suiv.). «Par cette institution le mosaïsme a virtuellement fini. Elle a réalisé les vieilles prophéties qui annonçaient la substitution du sacerdoce de Melchisédech à celui d'Aaron. Elle a inutilisé le temple de Salomon et le tabernacle de Moïse. Elle a abrogé les sacrifices sanglants de taureaux, de génisses, de boucs. Elle a destitué les fils de Lévi du privilège d'entrer dans le Saint des Saints, d'y offrir la coupe sanglante et sacrée. Elle a remplacé l'immense et rude figurisme de la loi ancienne par les réalités mysti­ques et immaculées de la nouvelle loi.

Elle a détruit le paganisme, amas colossal de luxure et de cruauté. L'Eucharistie créa l'énergie des martyrs et c'est l'énergie des martyrs qui eut raison du paganisme… 180

Le Moyen Age vint. Il aima, il exalta l'Eucharistie. Il lui bâtit les cathédrales-palais de Strasbourg, de Cologne, de Notre-Dame et de Saint-Pierre. Les Pères de l'Eglise avaient dû parler discrètement de l'Eucharistie à cause de la discipline du secret. Mais la science théolo­gique du Moyen Age avec Thomas d'Aquin à sa tête prend sa revan­che. Les peintres traduisirent cette haute dogmatique: de l'Angelico à Raphaël, de Raphaël à Vinci, de Vinci à Van Eyck, de Van Eyck au Poussin, du Poussin à Hippolyte Flandrin. Les poètes firent comme les peintres: de Dante au Tasse, de Tasse au Camoëns, de Camoëns à Corneille, de Corneille à Chateaubriand. Aux négations des prote­stants et de la libre-pensée, la Providence opposa la parole triomphan­te de Bossuet, de Massillon, 181 de Bourdaloue, de Lacordaire. Les mystiques ont aimé et ont chanté: tels François d'Assise, Dominique, Ignace, François de Sales, Jean Bte Vianney, Brigitte, Gertrude, Catherine de Sienne, Marguerite-Marie, julienne de Liège, Jeanne d'Arc, Rose de Lima, Thérèse de Jésus!…»

Et en terminant, l'éloquent évêque appelle les bénédictions de l'Eucharistie sur la belle Eglise canadienne, sur les deux Amériques, sur l'Afrique brûlante et aussi sur la vieille Europe et en particulier sur le Pontife de Rome, successeur du Christ et sur la France, la fille aînée de l'Eglise.

La messe solennelle n'est pas encore terminée à la cathédrale que déjà, aux abords de l'église Notre-Dame, les rues sont envahies. Les différents 182 groupes ont été convoqués aux endroits qu'ils doivent occuper avant le départ de la procession. De tous côtés, depuis onze heures, sociétés chorales et fanfares, délégations paroissiales et associa­tions pieuses affluent. Les bannières et drapeaux de toutes couleurs et de toutes formes, laissent voler au vent leurs soieries et briller sous le soleil leurs broderies d'or. Le long des rues, le peuple se presse et attend. Cent quinze trains spéciaux sont venus pendant la nuit, et qua­tre cent mille personnes sont entrées dans la ville. Avec ce que les jours précédents ont amené de monde, cela donnera un million de specta­teurs. Ils sont massés sur des estrades qui s'élèvent jusqu'à trente et quarante degrés, du trottoir aux gouttières. Dans les fenêtres, aux bal­cons, sur le toit des maisons 183 et dans les arbres, on voit des grap­pes humaines. Cette multitude immense se tiendra calme et respec­tueuse pendant les cinq ou six heures que durera le défilé, heureuse de donner un témoignage de sa foi.

A midi et demi, le bourdon de Notre-Dame s'ébranle. Le vent emporte ses notes graves au loin dans la vallée. La procession se for­me. A une heure elle est en mouvement. Elle s'avance entre deux haies de spectateurs dans les rues pavoisées et fleuries. Elle passe sous les arcs de triomphe élevés à grands frais. Toutes les maisons sont tapis­sées, de la base au faite, de draperies et de banderoles. Les fanfares résonnent et bien des yeux se mouillent de larmes.

Cinq mille hommes marchent 184 en procession. Je ne puis décri­re tous ces groupements. J'en citerai quelques-uns seulement:

Le bataillon des zouaves,

La jeunesse catholique,

Les Forestiers,

Les Chevaliers de Colomb,

La fanfare des artisans de Montréal,

Les sociétés de tempérance,

Les cadets des zouaves,

Les ligues du Sacré-Cœur,

Les paroisses de Montréal,

Les délégations des diocèses,

Les groupes européens,

Les fraternités du tiers-ordre,

Les Indiens en costume, avec leurs plumes sur la tête et leurs vête­ments rehaussés de miroirs et de grelots,

Les Chinois en costume,

Les communautés religieuses,

Les enfants de choeur par centaines, 185

Les prêtres en surplis,

Les chanoines en costumes,

Huit cents prêtres en ornements sacerdotaux,

Les évêques en chapes et en mitres avec leurs assistants,

Les pages et thuriféraires,

Le Cardinal Légat portant le Saint Sacrement sous le dais,

Les Cardinaux,

Les prélats romains,

Les autorités civiles: administrateurs et gouverneurs avec leurs états-majors, ministres, députés, magistrats, avocats,

Les corps professionnels,

Les confréries du St Sacrement

et comme arrière-garde, les zouaves pontificaux du Cercle paroissial de l'Enfant Jésus.

A quatre heures et demie seulement, le St Sacrement quittait Notre-Dame porté par le Cardinal, 186 et nous n'arrivions qu'à six heures et demie au grand reposoir du Parc Maure. Là Mgr de Montréal nous invite à de pieuses acclamations et prières. Il s'aide d'un porte-voix. La montagne retentit de nos cris. Puis le Cardinal bénit avec l'Hostie cette foule d'un million de chrétiens, et le St Sacre­ment est reporté à l'Hôtel-Dieu.

Le congrès est fini. Il finit dans un soir d'enchantement, dans une journée de paradis où personne ne pense à la fatigue d'une longue cérémonie29).

187

29 Août, Nouvelle Orléans 1 La communion après
Le Mississippi 7 a sortie du collège 112
Saint-Louis 9 Pendant les vacances 113
Chicago 11 Procession des enfants 118
Dubuque 16 Réunion solennelle à N.-Dame 119
Encore Chicago 18 Discours de M. Wilfrid Laurier 120
Niagara 28 Discours de M. Gouin 126
Toronto 31 Discours de Mgr Touchet 131
Montréal, 6 septembre 34 Messe pontificale au Parc 143
Le Congrès 39 Sermon du P. Hage 144
Notes et réflexions 44 La réparation eucharistique 147
Réceptions et messe de minuit 52 Séance des jeunes gens 154
Les communautés religieuses 61 Le Cardinal-Légat 155
Séances d'études 71 Mgr Langevin 156
Mgr Emard: l'Eucharistie Henri Bourassa 157
chez les Indiens 82 M. Gerlier 161
Mgr Gagnon: la dévotion Le baron de Xivry 164
eucharistique à Québec 96 Séance du soir 166
Séances du Vendredi 100 Mgr Bruchési 169
L'adoration du St Sacrement Discours divers 171
dans les collèges 101 Henri Bourassa 172
La communion Le dimanche, Mgr Touchet 178
dans les collèges 106 La procession 181
Pensionnats de Frères 111

1)
La Fayette (Marie-Joseph… Gilbert Mortier, marquis de), général et homme politique français (1757-1834). Lieutenant (1773), lié avec Franklin, il partit en Amérique pour aider les insurgés (1777) et se joignit aux troupes de Virginie. De retour en France, il contribua à décider le gouvernement à apporter son aide officielle à la guerre d’Indépendance américaine et repartit aussitôt pour l’Amérique (1780) où il fut nommé maréchal de camp (1782).
2)
Joliet (Louis), explorateur français (1645-1700). Elève des jésuites à Québec, il reçut les ordres mineurs, puis vint à Paris étudier la cosmographie. De retour au Canada (1668), il explora la région de Grands Lacs (dont il prit possession au nom du roi de France) et les cours du Wisconsin, du Mississippi (fleuve Colbert) et de l’Illinois (1672). Il explora encore la région du Labrador (1694). Marquette (Jacques). Missionnaire jésuite et explorateur français (1637-1675). Arrivé au Canada vers 1666, le Père Marquette explora avec Joliet les cours du Wisconsin, puis de Mississippi (appelé alors fleuve Colbert) et remonta l’Illinois (1672) (Découverte de quelques pays et nations de l’Amérique septentrionale, publié en 1682).
3)
Le P. Dehon écrit dans son journal qu’il arriva à New Orleans le 29 août et qu’il y resta, invité de l’Evêque (Mgr Blenck), deux jours (cf. NQ XXVI,1), donc les 29 et 30 août. On ne comprend pas comment il peut affirmer qu’il arriva à Saint-Louis le 30 août le matin, qu’il poursuivit son chemin jusqu’à Chicago, pour faire, le premier septembre, une excursion à Dubuque, dans l’Etat d’Iowa (cf. NQ XXVI, 16). Certes, il s’agit d’une erreur. D’après une carte, écrite au P. Falleur, nous savons qu’il est resté à New Orleans les 28 et 29 août. Le 29, il prit le train de nuit pour arri­ver à St Louis le matin du 30 août (NQ XXVI,9). Le 31 août, il resta à Chicago et le ler septembre il fit l’excursion à Dubuque.
4)
La Salle (René Robert Cavalier de). Explorateur français (1643-1687). A partir de 1669, il explora successivement le cours de l’Ohio, les Grands Lacs et leur région, puis descendit le Mississippi jusqu’au Golfe du Mexique (1681-1682).
5)
Legal (Emile-Joseph), oblat de Marie Immaculée, né à St Jean de Boisseau, dioc. de Nantes, en 1849, prêtre en 1874, évêque de St-Albert (Alberta, Canada), coadjuteur (1897) et en 1902 successeur de Mgr Grandin. C’est lui qui accueillit «de grand cœur» nos premiers confrères au Canada (cf. lettre au P. Dehon, AD.B.21/9.B; – note 2 du Cahier XXV).
6)
Maisonneuve (Paul de Chomedy de). Gentilhomme français (1612-1676). Venu au Canada avec J. Mance, il y fonda le bourg de Ville-Marie (aujourd’hui Montréal, 1642). Il dut revenir en France à la suite d’intrigues, en 1665.
7)
Montcalm De Saint-Véran (Louis Joseph, marquis de), général français (1712-1759). Commandant des troupes françaises au Canada en 1756, il prit plusieurs forts aux Anglais, mais fut mortellement blessé en tentant d’assurer la défense de Québec.
8)
Carillon, fort construit par les Français en Nouvelle-France, au Sud du lac Champlain (1756). Montcalm y remporta une importante victoire sur les Anglais, mal­gré la faiblesse de ses effectifs (1758).
9)
Langevin (Louis-Philippe-Adélard), oblat de Marie Immaculée, né à St-Isidore de la Prairie (dioc. de Montréal) en 1855, prêtre en 1882, évêque en 1895, succéda à Mgr Paché (cf. sa lettre du 27 nov. 1909 à Mgr Marois et la note 2 du Cahier XXV).
10)
Macaulay (Thomas Babington, baron); historien, publiciste et homme politique anglais (1800-1859). A partir de 1847, il se consacra à la rédaction de l’Histoire d’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II (1849-1861), qui adopte le point de vue libé­ral et vaut par la beauté de son style imagé. La technique historique, centrée sur la psy­chologie des grands protagonistes, éclairée par les événements historiques de son temps (Essais critiques et historiques, 1843), sera largement employée.
11)
Sully (Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de), homme politique français (1560-1641). D’une famille protestante, il fut un des plus anciens compagnons d’Henri IV. Conseiller écouté, il se rendit d’abord utile par ses talents d’ingénieur militaire, puis fut chargé de superviser les finances. La gestion rigoureuse lui permit de rétablir l’équilibre financier.
12)
Pitt (William, 1er comte de Chatham), dit le Premier Pitt pour le distinguer de son fils. Homme politique anglais (1708-1778). Pitt (William), dit Second Pitt. Homme politique anglais (1759-1806).
13)
Guizot (François Pierre Guillaume), homme politique et historien français (1787­-1874). Il publia une Histoire des origines du gouvernement représentatif (1821-1822) et Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (1858-1867) .
14)
Heylen (Thomas-Louis), évêque de Namur, né à Casterlé (dioc. de Malines), en 1858, prémontré, abbé de Tongerloo, sacré évêque en 1899; (cf. son petit mot au P. Dehon: «L’évêque de Namur a bien reçu votre «Année avec le S.Cœur»; il vous en remercie de tout cœur; il s’en servira avec bonheur» (AD.B.62/9).
15)
Cent-Associés (Compagnie des), ou Compagnie de la Nouvelle-France, compagnie groupant cent actionnaires et fondée en 1627 par Richelieu pour développer la jeune colonie du Canada. Elle reçut le droit d’exploiter un immense territoire, allant du cer­cle arctique à la Floride, et de Terre-Neuve au lac Huron. Moyennant un monopole commercial de quinze ans, elle devait établir 4 000 colons avant 1643. Ses débuts se trouvèrent paralysés par la conquête temporaire du Québec à la suite de l’agression anglaise de 1629. La colonie ayant été restituée à la France en 1632, la compagnie reprit son activité, mais se révéla incapable de remplir ses obligations. En 1645, elle céda ses privilèges à la compagnie des Habitants, et, en 1663, le Canada fut rattaché directement à la Couronne.
16)
Cartier (Jacques), navigateur français (Saint-Malo 1494 – Limollan v. 1554). Parti à la recherche d’une route vers l’Asie par le nord du Nouveau Monde, il atteignit Terre-Neuve (1534) et la côte du Labrador, et prit possession du Canada au nom de François Ier.
17)
Emard (Joseph-Médard, né à St-Constant de La Prairie (dioc. Montréal) en 1853, élève du Séminaire français à Rome, prêtre en 1876, sacré évêque à Valleyfield en 1892.
18)
Gagnon (Charles-Octave), aumônier de l’hospice St-Charles à St-Roche de Québec.
19)
Champlain (Samuel), explorateur et colonisateur français (entre 1567 et 1570 – 1635). Après avoir étudié la cartographie, il fut envoyé (1603) par Aymar de Chastes, vice-amiral de France qui avait obtenu en 1602 le monopole de la traite au Canada, en reconnaissance au Canada où il explora le Saint-Laurent, jusqu’aux Rapides de Lachine, en amont de Montréal. De retour en France (où il publia le récit de son voya­ge: Des sauvages), il repartit dès 1604 pour explorer la côte canadienne, en dresser la carte et pour établir une colonie française. Après avoir fondé Québec (1608), son séjour au Canada fut consacré à l’exploration du pays et surtout à l’organisation de la colonie dont il fut nommé lieutenant-gouverneur par le duc de Montmorency, en 1619. Pour J. Cartier, cf. NQ XXVI, note 17 et pour le P. Maisonneuve, cf. NQ XXVI, note 7.
20)
Ireland (John), prélat américain (1838-1918). Evêque (1884) puis Archevêque de Saint Paul (Minnesota – 1888), il fut le promoteur de l’américanisme, tachant de con­cilier le catholicisme et le libéralisme américain, sans toutefois tomber dans les excès qui furent condamnés par Léon XIII. En 1892, Léon XIII le chargea d’une tournée en France où il appela les catholiques au «ralliement» au gouvernement républicain. N’ayant pu empêcher la guerre hispano-américaine (1898), il prit part aux négocia­tions qui suivirent sur les Philippines (cf. A. Rasset, Le rôle social du prêtre, «Le Règne» 1894, 70-71).
21)
Touchet (Stanislas-Arthur-Xavier), évêque d’Orléans et cardinal. Né à Solier (dioc. Bayeux) en 1848, évêque en 1894, succéda à Mgr Coullie; il est mort en 1926. Cf. sa lettre du 10 mai 1899 au St-Père pour solliciter l’approbation du St-Siège pour notre Congrégation. Il écrit: «Cum praedicti presbyteri in pluribus dioecesibus Galliae, Belgii et Hollandiae sint diffusi, ac Romae ab anno 1891 sedem habeant, atque pietate, bonis moribus, regularique disciplina fulgeant, et egregiam conférant operam reparandis Jesu Cordi SS. offensis illatis, fovendae devotioni augustissimae Eucharistiae Sacramenti, missionibus ac scholis, idcirco eos Sanctitati Vestrae enixe commendo ut pii voti compotes fiant» (AD.B.36/16A.20).
22)
Bégin (Louis Nazaire : 1840-1925). Condisciple du P. Dehon au Séminaire Français de Santa Chiara (cf. NHV IV, 147), il devint l’Evêque de Chicoutimi, en 1888. Transféré à Québec comme coadjuteur (1891), il fut promu archevêque de la ville, en 1898, et cardinal en 1914. Cf. note 14 du Cahier XXIV des Notes Quotidiennes, vol. III, p. 498; cf. aussi «Communications scj», mars 1990.
23)
Cauchon (Pierre), prélat français (v. 1371-1442). Evêque de Beauvais, il embrassa le parti des Bourguignons et des Anglais, et présida le tribunal ecclésiastique qui con­damna Jeanne d’Arc. Elle fut jugée à Rouen comme hérétique et comme sorcière, et condamnée à être remise au bras séculier et à être brûlée vive (le 29 mai 1431). Elle fut béatifiée en 1909 et canonisée en 1920.
24)
Sonis (Louis Gaston, de), général français (1825-1887). Il servit en Afrique, parti­cipa à la campagne d’Italie de 1859, fut chargé de la répression du soulèvement maro­cain à Laghouat (1869). Général de division, il fut nommé commandant du 17e corps d’armée de la Loire par Gambetta lors de la guerre franco-allemande et se distingua à Loigny à la tête des zouaves pontificaux (le 2.12.1872). Il fut blessé et fait prisonnier. Le général de Sonis fut un catholique convaincu. Commandant en chef des trou­pes à Rennes, il envoya à Paris sa démission afin de ne pas prêter sa collaboration à l’expulsion manu militari des religieux de leurs maisons. A une foi profonde et exem­plaire, il unit une activité apostolique intense qui lui ont valu le titre de «Miles Christi» apposé sur sa tombe et qui résuma bien sa vie (cf. L. Dehon, Œuvres sociales, IV, 448­453).
25)
Mère Marie Véronique du Cœur de Jésus (Caroline Lioger), née à Lyon en 1825 et morte à Les Avenières en 1883. Elle se sentit poussée à fonder un Institut des Soeurs Victimes et l’Evêque de Grenoble, Mgr J. Ginoulhiac, lui en donna l’autorisation. Fondées le Vendredi Saint, 10 avril 1857, les Soeurs Victimes obtiennent l’approbation de leur institut par Rome en 1870. Avec le P. Giraud, la Mère Véronique désirait fon­der un institut de prêtres-victimes. Le projet ne se réalisa jamais. Dans la Congrégation fondée par le P. Dehon, la Mère Véronique reconnut l’institut de prêtres-victimes qu’elle souhaitait. Lorsqu’elle eut connaissance de la fondation du P. Dehon, elle s’écria: «Nos prières ont été exaucées» (cf. G. Bertrand scj, Vers le cloître et la sainteté. Vie du R.P. André Prévot…, Lille 1920, p. 97 ss.).
26)
La fondatrice en est Julie-Adèle de Gérin-Ricard (1793-1855). L’abbé Louis Maulbon d’Arbaumont (1813-1882) aida la fondatrice à rédiger les constitutions des Soeurs Victimes du Sacré-Cœur, de Marseille.
27)
Cf. ci-dessus, note 9 de ce même Cahier XXVI.
28)
Rumeau (Joseph), né en 1849 à Tournon (dioc. d’Agen), sacré évêque en 1899, mort en 1940. Le 16 avril 1911 il appuyait la demande du P. Dehon pour l’introduc­tion de St Irénée au calendrier universel de l’Eglise (cf. AD.B.17/b.44/17).
29)
L’essentiel de ce cahier XXVI a été résumé dans trois articles parus dans la revue «Le Règne» / Louvain, 1912: fév., pp. 42-45; mars, pp. 78-83; avril, pp. 11-115.
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