nqtnqt-0004-0030

30e CAHIER
Corée - Mandchourie - Chine - Philippines

10.11.1910 – 12.12.1910

1 Notes quotidiennes

COREE

Le soir du 9 novembre, nous nous embarquons à Shimonoseki, à l'ouest du japon, pour passer le détroit qui nous sépare de la Corée et du continent asiatique. C'est une traversée d'une nuit. Il n'y a plus de places en première. En seconde même toutes les couchettes sont rete­nues, mais on peut encore y avoir place en couchant sur la natte dans la salle commune. Nous acceptons cela plutôt que de perdre une journée.

La mer est mauvaise. Nous sommes une vingtaine, hommes, fem­mes et enfants, étendus sur 2 les nattes dans la salle commune. La plupart sont malades et vomissent. Les enfants sanglotent, les femmes gémissent. Il faut avoir un cœur d'acier ou un estomac de fer pour résister à l'entraînement. Je tiens bon cependant, mais le sommeil est court. Nous passons près des îles Tsushima, où se livra la grande batail­le navale qui prépara la conclusion de la guerre russo-japonaise.

Le matin, on nous offre le petit déjeuner réglementaire, du riz na­turellement. Personne n'a d'appétit. Moi, je vide courageusement ma coupe de riz à l'aide de mes deux bâtonnets. J'engage mon voisin à déjeuner, mais il refuse en me disant: «Je suis à moitié bien, j'ai peur de tout gâter». 3

Fusan [Pusan] - Nous voici au port: une bonne rade, des barques ou sampans de forme chinoise, une garnison japonaise, une grande gare pour filer vers l'intérieur. Toutes maisons basses avec cheminées extérieures. Le peuple, vêtu de robes blanches flottantes avec de grands chapeaux parasols de couleur noire. Les transports se font par des crochets en forme de fourches sur le dos.

En route: paysage monotone, les collines sont trop déboisées.

Nous passons à Taï-Kou [Taegu], j'aperçois la belle église blanche qui va devenir cathédrale, le St-Siège ayant l'intention de créer là un nouveau vicariat apostolique.

Nous voici le soir à Séoul, la capitale de la Corée. Grande gare, 4 quartier neuf: hôtel-terminus japonais. Je vais loger à la Mission, près de la cathédrale. Les Pères sont très hospitaliers. Mgr Mutel est absent, c'est dommage. Il y a là M. Doucet, vicaire général, le P. Vilmot, le P. Foisnel. M. Demange va devenir, dit-on, vicaire apostolique de Taï-Kou [Taegu]. Ces messieurs nous aideront à visiter la ville.

Séoul a 200.000 habitants. Elle est à 40 kilomètres du port de Tchemulpo [Inch'on]. Elle couvre une grande superficie et son enceinte de pierre, percée de portes peintes aux couleurs nationales, enferme bien des terrains vagues. Séoul est percée de deux larges rues perpendiculaires l'une à l'autre. Elle est donc marquée de la croix, c'est bon signe. Les autres rues sont étroites, tortueuses, 5 malpro­pres. Les portes de la ville aux quatre points cardinaux, la salle d'au­dience du palais et les autres édifices publics sont de style chinois, avec leurs toits aux angles relevés. La pagode de marbre à trois étages est plus ancienne.

La Corée n'est pas très artistique. L'industrie du cuivre et du bronze est une industrie nationale et de vieille date. Les cuillers de bronze que possède chaque famille sont des modèles de bon goût ainsi que les hibaschi ou brûle-parfums, en formes d'oiseaux, d'animaux, etc., que l'on exporte en grand nombre au japon. On fait aussi des pipes en bronze artistement ciselées.

Un spécimen de l'industrie du bronze, c'est la grosse cloche de Séoul 6 qui sonne, chaque jour, depuis cinq siècles, l'ouverture et la fermeture des portes. Elle est, dit-on, la troisième du monde par ses dimensions.

Les Coréens font de beaux tissus blancs pour leur costume national. L'étrangeté de leurs chapeaux est connue. Ils portent leurs cheveux en chignon. Une toque légère, qui semble être une étamine, couvre ce chignon et par-dessus ils installent un vaste chapeau qui peut leur ser­vir d'ombrelle.

Séoul a aussi de nombreux magasins de fourrures. La Mandchourie et la Sibérie ne sont pas loin. Mais ces fourrures sont mal tannées.

Il ne fait pas chaud. Séoul qui est à la latitude de Catane en Sicile, a la même température moyenne que Paris, qui est 7 à 11 degrés de latitude plus au nord. La moyenne de janvier y est de -9°; il est vrai que celle de Juillet y est de +27°.

L'été est pluvieux comme en Mandchourie. La rigueur de l'hiver a obligé le Coréen à organiser et orienter sa maison de manière à obte­nir la meilleure protection contre le froid. Les maisons sont abritées et tournées vers le midi. Le plancher est fait de dalles de pierre, reposant sur un four dans lequel on brûle des broussailles et de l'herbe. La che­minée est extérieure. Ce plancher, recouvert de papier huilé en guise de nattes, sert de chaise, de table et de lit. C'est le confortable avec le maximum de simplicité. 8

Séoul a de grandes bonzeries. Les bonzes sont généralement vêtus de noir. Les palanquins sont encore en usage. Aux voitures, on attelle de petits taureaux qui trottent comme des chevaux.

Je visite les œuvres. Séoul a des Soeurs de St-Vincent-de-Paul de Chartres avec une école, un pensionnat, un dispensaire. Ces Soeurs sont de vraies missionnaires. Quelques Bénédictins de Bavière vien­nent d'arriver, pour commencer à travailler en Corée. Mais l'œuvre la plus intéressante est le séminaire St Joseph, séminaire d'indigènes qui commence à donner des prêtres. Il y a là 40 élèves, grands et petits qui se prosternent à notre arrivée, à la manière orientale. Le site est beau, 9 les jardins grimpent sur les collines. On aperçoit de là le champ des martyrs, la plaine où furent exécutés les saints apôtres de la Corée1), Mgr Berneux2), Mgr Daveluy3), M. de Bretenières et les autres. Les corps de ces saints martyrs reposent à la chapelle du séminaire avec celui du prêtre indigène André Kim.

J'aime à prier là. Le martyr Just de Bretenières4) est pour moi une connaissance. Son frère Christian était mon condisciple à Rome en 1865-1866. Just écrivait de là-bas des lettres merveilleuses de délicates­se et de sainteté. Christian me les prêtait et je les copiais. Just soupirait après le martyre et ne l'espérait pas. Il s'en croyait 10 indigne. «Je n'aurais, pensait-il, que le martyre quotidien des petits sacrifices, des difficultés et des privations du missionnaire». Quelques mois après, nous apprenions son héroïque martyre.

C'est le moment de rappeler ce qu'a été l'évangélisation de la Corée. La pénétration du christianisme en Corée date de la grande expédition du Taïko-Sama, le dictateur japonais Hideyoshi, qui voulait conquérir la Corée et la Chine5). Il y envoya ses vassaux chrétiens. Le p. jésuite Cespedes les accompagnait. Bien des Coréens reçurent le baptême. Si le Taïko-Sama avait poursuivi sa campagne rigoureuse­ment, il eût pu conquérir politiquement et gagner à la foi chrétienne la Corée et la Chine, mais il se découragea 11 et retira ses troupes en 1598.

Quelques Coréens catholiques emmenés au japon moururent mar­tyrs dans les années suivantes.

L'évangélisation de la Corée recommença en 1784, mais c'était pour passer par un siècle de persécution et de sang avant d'arriver à la paix qui règne actuellement.

Quelques nobles Coréens attachés à l'ambassade annuelle que leur roi envoyait en Chine, avaient été gagnés à la foi chrétienne par les missionnaires de Pékin en 1784. De retour en Corée, ils se firent apô­tres et propagèrent la foi, mais bientôt l'hostilité du pouvoir civil s'é­veilla contre eux, par suite de la jalousie des prêtres bouddhistes. 12

Dès 1791 commença la première persécution. Les premiers martyrs, Paul Zoum et Jacques Kouen, sont là-bas en grande vénération.

Un prêtre chinois, le P. Tsiou, envoyé par l'évêque de Pékin, put entrer en Corée en 1794 et il y travailla beaucoup jusqu'à son martyre qui eut lieu en 1801.

La Corée resta ensuite pendant 30 ans sans prêtres, mais des chré­tiens demeurés fidèles y faisaient des recrues, et les persécutions recommençaient périodiquement comme dans la vieille Rome.

Les exécutions les plus cruelles eurent lieu en 1802, en 1815, en 1819, en 1827. Il faut lire dans les volumes du P. Dallet sur l'Eglise de Corée, le récit de ces morts tragiques où les chrétiens de Corée se montrèrent héroïques, comme ceux 13 des premiers siècles de l'Eglise.

En 1825, ils sont encore des milliers. Ils écrivent au Pape pour demander des missionnaires. - Mgr Brugière, Coadjuteur de Siam, s'offre lui-même et il est nommé vicaire apostolique de la Corée en 1831, par le Pape Grégoire XVI. On lui adjoignit un jeune prêtre chi­nois élevé à Naples.

Mais quelles tribulations avant d'arriver, même à Pékin! Le jeune prêtre chinois a pu pénétrer en Corée en 1834, mais alors les chefs du groupe chrétien en Corée hésitent à recevoir Mgr Brugière. Ils crai­gnent que sa présence ne suscite de nouvelles persécutions. Enfin, après trois ans de voyages, d'épreuves et de contradictions, Mgr Brugière meurt en Tartarie, avant d'entrer en Corée, 14 le 20 octo­bre 1835.

M. Maubout qui devait rejoindre plus tard Mgr Brugière, entre à sa place. Il était à Séoul en janvier 1836. Il eut la tristesse de devoir inter­dire le prêtre chinois Pacifique Yu, qui s'était laissé entraîner à des désordres de moeurs.

M. Chastan alla rejoindre M. Maubout en 1837, après un voyage rempli de péripéties. La même année arriva Mgr Imbert, le premier évêque qui foula le sol de la Corée. Il passa pendant la nuit, avec l'aide d'un contrebandier à la douane de Chan-Hay-Kouan, où j'ai pu passer si facilement. Après trois mois d'étude de la langue, il était en état d'entendre les confessions. Les chrétiens se multipliaient. Ils étaient neuf mille en 1838. 15

La persécution recommence en 1839. Mgr Imbert avec ses mission­naires et un grand nombre de chrétiens sont mis à mort à la capitale et dans les provinces.

Le troisième vicaire apostolique, Mgr Ferréol entre en Corée en 1841, avec M. Daveluy. Ils font de nombreux prosélytes. Mais la persécu­tion sévit de nouveau en 1846. C'est l'année du glorieux martyre du P. André Kim, un prêtre indigène dont j'ai vénéré le tombeau au séminai­re St Joseph. Mgr Ferréol est mort en 1853. Mgr Berneux lui succède et le St Siège lui donne pour coadjuteur Mgr Daveluy. Tous les deux sont mis à mort dans la grande persécution de 1866 avec presque tous leurs prêtres: MM de Bretenières, 16 Beaulieu, Dorie, Pourthié, Petitnicolas, Aumaître et Huin. Tous périssent dans les supplices les plus cruels. De nombreux chrétiens indigènes sont également martyrisés.

Trois missionnaires ont pu échapper M. Ridel, M. Feron et M. Ca­lais.

L'amiral Roze fit une démonstration au nom de la France et s'em­para du port de Kang-Hoa en octobre 1866, mais il ne put obtenir la réparation qu'il désirait.

En résumé, en 80 ans, 1784 à 1866, l'Eglise de Corée a eu cinq évê­ques dont trois martyrs, seize missionnaires dont neuf martyrs, deux prêtres coréens dont un martyr et d'innombrables martyrs séculiers.

L'Eglise de Corée a été noyée dans le sang de ses pasteurs et de ses fidèles, mais elle sortira du 17 tombeau pour se développer définiti­vement.

C'est à Mgr Ridel qu'échut la mission de tenter un nouvel apostolat en Corée. Nommé vicaire apostolique en 1869, il fut sacré pendant le Concile le 5 juin 1870. J'eus l'honneur de le connaître à Rome6).

Sa tâche était difficile. La Corée était rigoureusement fermée aux Européens. mais là comme au japon, la liberté s'imposa quelques années plus tard.

Il y a maintenant deux vicariats apostoliques et 60.000 catholiques et les conversions d'adultes sont nombreuses chaque année. Mais les missionnaires craignent que l'influence japonaise apporte des entra­ves. 18

Les Coréens, attachés à la religion de Confucius, ont une connais­sance vague du Dieu du ciel, que les Chinois appellent Siang Tiei.

Les uns croient que l'on désigne par là l'Etre Suprême, créateur et conservateur du monde.

D'autres disent que c'est le ciel auquel ils reconnaissent un pouvoir providentiel pour produire les moissons, éloigner les maladies, etc. Quand on offre des sacrifices (chèvres, porcs ou moutons) pour obtenir la pluie ou le beau temps, ou pour conjurer divers fléaux, la prière s'adresse soit à l'Etre Suprême, soit au Ciel, suivant la formule que rédige le mandarin chargé de la cérémonie (Dallet, Histoire de l Église en Corée).

Le martyr Paul Zoum, 19 en 1784, interrogé sur sa foi, disait: «J'adore le Maître du Ciel, Créateur du Ciel et de la terre, n'est-ce pas celui que les Chinois appellent Siang-Tiei, Dieu du Ciel? et qu'ils ordonnent de servir de tout cœur et avec le plus grand soin?».

Outre ce culte au Dieu du ciel, le gouvernement entretient à la capitale un temple et fait des sacrifices au Sia-Tsik. La plupart préten­dent que Sia est le génie de la terre et Tsik l'inventeur de l'agriculture en Chine, placé aujourd'hui parmi les génies tutélaires.

Pour la grande majorité de la nation, toute la religion consiste dans le culte des ancêtres.

Après la mort du chef de famille ou d'autres parents, on fabrique 20 la tablette dans laquelle doit venir résider l'âme du défunt. Ces tablettes sont ordinairement en bois de châtaignier (pour les pauvres, c'est un simple papier). La planche est peinte avec du blanc de céruse et on y inscrit en caractères chinois le nom du défunt. Elle se conserve, chez les riches, dans une chambre spéciale; chez les gens du peuple, dans une niche au coin de la maison. Pendant les 27 mois de deuil, des sacrifices se font tous les jours devant ces tablettes: on offre des ali­ments, du tabac, de l'encens.

Après le deuil, on continue à offrir des sacrifices plusieurs fois par mois sur les tombeaux ou devant les tablettes.

A la quatrième génération, on enterre les tablettes et le culte cesse. Pour Confucius et les grands 21 hommes, on leur offre des sacrifi­ces dans des temples spéciaux, non pas qu'on les regarde comme des dieux, mais parce qu'ils sont devenus des génies tutélaires.

Mais il faut quitter Séoul et partir vers le Nord. Nous trouvons à l'hôtel Sontag tous les renseignements nécessaires. On nous annonce par dépêche au petit hôtel d'Antung sur le Yalou. Nous avons un bon chemin de fer japonais jusqu'au Yalou, mais ensuite il faudra se servir du petit chemin de fer Decouville qui a été établi pour la guerre.

La Corée est vaste comme la moitié de la France. Sa population n'est pas très dense. Les évaluations varient de 6 à 16 millions. 22 Le nord et le sud ont été longtemps séparés politiquement et ils diffèrent beaucoup. Au sud, la taille est plus petite, les yeux sont plus bridés, c'est la race chinoise. Le nord tient plutôt de la Tartarie. Le sud abritait ses tombeaux par des ifs; au nord ce sont des ormes ou des peupliers.

La Corée cultive le riz, le millet, l'orge, le blé, le maïs, la pomme de terre, les pois.

Le melon d'eau est un aliment très répandu. Le sésame et le poivre servent de condiment. Avec l'huile de sésame, on rend imperméable le papier, qui est fabriqué avec le mûrier ou la Broussonatia Papyrifera. On emploie ce papier en guise de vitres ou de nattes. 23

En Corée, le thé est remplacé par une infusion de feuilles d'aubépi­ne. Le chien est utilisé comme aliment. Chaque maison en entretient plusieurs pour cela. Les taureaux sont attelés pour les transports.

Les maisons sont entourées de haies et de palissades dans les cam­pagnes, ce sont de petits camps retranchés.

Chaque famille a son cimetière dans sa propriété. Les tombes en forme de buttes ont sur le devant une niche ou une pierre pour rece­voir les offrandes.

Nous avons un arrêt assez long à Pin-Yang. - En avançant vers le nord, nous arrivons dans une région montagneuse, avec des sites alpes­tres. La région frontière est protégée par une vaste forêt de conifères et de bouleaux. 24

Ailleurs, les forêts sont moins étendues, éclaircies pour les besoins du chauffage, des constructions et des cultures. Il en subsiste surtout auprès des monastères bouddhiques: conifères, bouleaux, sur les mon­tagnes; érables, chênes, tilleuls et peupliers sur les pentes inférieures.

Les forêts du nord fournissent un produit de grande valeur, la racine de Ginseng7), racine de vie, disent les Chinois, stimulant qui irait pres­que jusqu'à ressusciter un mort. On en vend la livre de 2 à 3.000 francs.

Mais nous voici au Yalou. Un magnifique pont est en construction; en attendant on passe le fleuve sur un bac. Nous avons passé le mur de Corée, analogue à la grande muraille de Chine. 25

MANDCHOURIE

Le 13, nous voici à Antung en Mandchourie. L'hôtel Fukuzimi a quatre chambres à l'européenne, mais nous sommes cinq. Que faire? Il y a la famille Osgood, des américains: M. et Mme Osgood et le frère de Madame, et puis Mgr Tiberghien et moi. Les Américains sont envahissants. Mgr Tiberghien se dévoue et prend une chambre japo­naise. On y dort sur la natte. Les cloisons sont en papier et laissent pas­ser l'air glacial d'un hiver de Mandchourie. C'est peu confortable. Nous voyageons avec cette famille depuis S. Francisco. Ils font aussi le tour du monde. Mme Osgood aime à nous causer, elle descend 26 de parents catholiques et ses sympathies vont de ce côté-là. Elle voudrait s'arrêter à Rome au retour, mais son frère est très anti-papiste.

Le matin, promenade à Antung, port de commerce qui se dévelop­pe à la japonaise.

Les Coréens avaient la robe blanche, les Mandchous sont tous en bleu. Ils portent des fourrures. C'est qu'il fait froid. Toute la Mandchourie est déjà couverte d'un manteau de neige.

Départ pour Moukden. Il y faudra deux jours, parce qu'une partie de la route se fait encore dans le chemin de fer Decouville que les japonais avaient installé au temps de la guerre. La ligne va par monts et par vaux. Mais les japonais construisent une ligne superbe, qui sera achevée dans quelques mois. 27 Ils ont de beaux travaux de ponts, viaducs et tunnels, plus soignés même qu'en Europe. Dans un an on ne mettra plus qu'un jour au lieu de trois, de Séoul à Moukden.

Des soldats japonais gardent toutes les stations. Ils sont en Mand­chourie comme chez eux.

L'hiver est sec avec peu de neige, aussi on n'use pas des traîneaux. Les boeufs et les taureaux traînent les voitures.

Près de fermes, il y a des porcs et des chiens, les uns et les autres fournissent la viande de boucherie. Dans le sud, on cultive le riz, le coton, l'indigo. Une sorte de pois, soia hispida, donne de l'huile pour la cuisine et l'éclairage. Le résidu est comprimé en galettes 28 ou tourteaux dont on nourrit les chevaux et les porcs; le surplus est utilisé pour fumer les jardins.

Dans le nord on ne cultive que des céréales de printemps, des pois et autres plantes venant rapidement à maturité. Une variété de sorgho atteint 3 ou 4 mètres de haut. Le grain sert à faire une bouillie et à fabriquer de l'eau de vie, les feuilles sont données au bétail, les tiges servent à couvrir les habitations des paysans et on les utilise l'hiver pour le chauffage.

Dans les maigres forêts du nord, on trouve le tigre et le renard, mais surtout les animaux à fourrure: l'ours brun et l'ours gris, l'écureuil, le renard, le lièvre.

C'est dans les montagnes de l'est que se trouvent les mines d'or, 29 de fer, de cuivre et de houille convoitées par la Russie.

Les tombeaux couvrent la campagne comme en Chine, avec leurs petits autels pour les offrandes. Les roues des chars ont des jantes pla­tes en croix.

Nous passons à Wu-lung-Pi. Il y a des sources thermales qui guéris­sent les rhumatismes. C'est le Wiesbaden de Mandchourie.

A Hsia-Ma-Tang, deux heures d'arrêt. La voie est en réparation. C'est peu intéressant. Il y a là une élégante Mandchoue. Elle a les joues peintes au vermillon. Ses cheveux sont échafaudés sur un vaste peigne en éventail. Une couronne de perles complète la coiffure avec quelques fleurs en papier. Comme costume, jambières cerise, 30 jupe bleue, veste sanguine, cela ne manque pas de couleur.

Ça et là dans la campagne, de petits sanctuaires abrités par de vieux arbres.

Le 15, nous voici à Moukden. Comme à Séoul, gare japonaise avec un hôtel moderne.

Nous recevons l'hospitalité chez le Vicaire apostolique, Mgr Chaulet, un savoyard. Ses deux pro-vicaires, M. Villemot et M. Lamasse sont fort hospitaliers comme lui. Ils nous aideront à visiter la ville.

Moukden est l'ancienne capital, elle a 160.000 âmes. Kirin, la rési­dence du gouvernement en a 250.000.

Les principales rues, tracées en ligne droite, sont garnies de bouti­ques 31 et d'ateliers assombris par un rideau ou un auvent qui protè­ge la façade contre la pluie. Les enseignes représentent ordinairement les objets du commerce: vêtements pour les tailleurs, théières pour les maisons de thé, roues pour les carrossiers, etc. Les magasins de joaille­rie servent en même temps de banques. Leur enseigne parlante est une chaîne de tchokh, la monnaie courante. Il y a de grands comptoirs de peaux et de fourrures et de riches magasins de cercueils.

Moukden est entourée de murs de briques hauts de 18 mètres et percés de huit portes.

Grâce à notre consul, nous sommes autorisés à visiter le palais impé­rial, qui est un vrai musée. 32 On trouve là des spécimens de tout le vieil art chinois:

- bronzes rituels et civils: vases, coupes, brûle-parfums, statuettes, animaux symboliques;

- pierres dures: objets en jade: vases, coupes, bouquets ciselés à jour;

- émaux champlevés et cloisonnés: vases anciens, boîtes, aiguières et brûle-parfums;

- une couronne royale ornée de pierreries;

- des trompettes de guerre, en corne ou en métal;

- des arcs et des carquois richement ornée avec des ciselures et des émaux;

- des selles royales avec leurs étriers;

- des robes de soie brochées et brodées;

- des armes de tout genre, surtout 33 des sabres aux lames ciselées et damasquinées;

- des épées offertes par notre roi Louis XIV;

- mais surtout une collection de vases énorme, qui permettrait d'é­tudier toute la céramique chinoise: vases de toutes les époques et de tous les styles: services bleus, verts, roses. La collection est encore con­sidérable, quoique les Russes y aient, dit-on, prélevé beaucoup de beaux spécimens pour leurs musées.

- Belle excursion aux tombeaux des empereurs, hors de la ville. De grandes avenues d'animaux y conduisent: des lions, des chevaux, des éléphants de pierre. De hauts pylônes aux toits recourbés terminent les avenues, 34 mais le tombeau lui-même n'est qu'un tombeau de terre.

- En ville, j'ai visité une lamaserie. C'est un ensemble de sanctuaires avec de nombreuses idoles. Des moines vêtus de jaunes font visiter et ne manquent pas de demander une offrande à chaque porte et à cha­que pavillon. Tout est assez délabré, mais on y ferait encore une belle moisson d'objets intéressants: vases en émaux cloisonnés, brûle-par­fums, bronzes, vieux manuscrits.

En circulant, je rencontre un convoi mortuaire. Des pleureurs et des pleureuses suivant le cercueil en gémissant et gesticulant. C'est le deuil salarié comme en Palestine.

Visite au consul général M. Berteaux. Il est de Fourmies 35 et con­naît ma famille. Il nous invite à dîner. Nous y allons le soir avec les deux pro-vicaires et les supérieurs des grand et petit séminaire: M.M. Beaulieu et Carrère.

M. Berteaux est un collectionneur. Son appartement est un petit musée rempli de curiosités: bronzes, émaux, laques, statuettes et meu­bles chinois.

Mme Berteaux ne paraît pas, elle est tombée récemment de sa voi­turette, elle est blessée et garde la chambre.

M. Berteaux est toujours bienveillant pour les missionnaires qui for­ment la meilleure partie de ses protégés. Les autres sont quelques indochinois ou chrétiens orientaux qui revendiquent le protectorat de la France. 36

Les missions de Mandchourie sont assez prospères.

Le vicariat de Girin [Kirin] a 22.400 chrétiens. Celui de Moukden en a 24.700. Il a eu dans l'année 1500 baptêmes d'adultes et 6.350 baptêmes d'enfants païens.

On aurait beaucoup plus de résultats avec de meilleurs auxiliaires indigènes. Il y a trop peu de prêtres du pays. Les catéchistes sont insi­gnifiants et ne produisent rien.

Les Soeurs de la Providence de Portieux font un grand bien. Elles ont des œuvres variées: école, orphelinat, hospice.

Des Soeurs indigènes tiennent des écoles de filles dans les missions, mais ce sont plutôt des écoles gardiennes, ces Soeurs sont si peu instruites. Cependant le pays accueillerait 37 volontiers de bonnes écoles et de bons pensionnats.

Une œuvre intéressante est celle des séminaires, grand et petit. Il en est sorti deux prêtres cette année et on espère en avoir quatre l'an prochain. Le clergé indigène jouera un grand rôle dans la conversion de l'extrême Asie.

En route pour la Chine. C'est la continuation du transsibérien qui va vers Pékin. Champs de pois et de sorgho. Sur les pentes des collines, des vignes sauvages qui donnent un vin passable, comme au Canada.

Les stations sont gardées par des soldats japonais et chinois. Les wagons ont comme vitres des verres bleutés. C'est pour 38 éviter la fatigue que cause la vue des immenses champs de neige de la Sibérie.

Nous traversons la plaine de Chinchou où les Russes et les Japonais se sont battus si courageusement. Un monument élevé abrite les tom­bes russes.

La nuit, nous couchons sur des banquettes. Il fait froid et nos cou­vertures nous abritent mal.

Nous atteignons la Chine à Chan-Hai-Kwan. Une brèche faite à la Grande Muraille laisse passer la voie. Ces grands murs rappellent l'en­ceinte babylonienne. 39

CHINE

Notre arrivée est tragi-comique. Personne à la gare qui comprenne le français ou l'anglais. Pas de consigne pour les bagages. Une centai­ne de Chinois qui nous offrent leurs voiturettes pour nous conduire, ils ne savent où. Que faire? Nous nous déchargeons de nos bagages en les déposant dans le bureau du chef de gare et en les confiant à notre bon ange et à la conscience (?) d'un employé chinois. Puis nous voilà en face de cent pousse-pousse. Les gens nous tirent en criant et veu­lent nous hisser dans leurs voiturettes. Mais où nous mèneront-ils? Nous essayons de leur faire comprendre en français ou en anglais: 40 mission, églises catholique, mais ils restent bouche béante. Enfin, il me revient à la mémoire qu'il y a un quartier des Légations, je crie Légations! Ils ont tous compris. Nous grimpons et nous trottons. Je pen­sais bien qu'à la rue des Légations nous trouverions l'ambassade française. Mais il y a mieux que cela: à l'entrée de la rue, voici un grand établissement avec une statue de St Michel, ce n'est sûrement pas un couvent bouddhiste. Nous entrons, c'est l'hôpital St Michel dirigé par les bonnes Soeurs de Charité. Tout est pour le mieux. Nous disons la messe, nous déjeunons, et puis les bonnes Soeurs nous envoient chez le curé de St Michel, le bon P. Capy. Nous sommes en bonnes mains. 41

Le bon Père veut nous faire voir de suite l'ensemble de Pékin. Nous montons sur les murs d'enceinte: remparts immenses, un circuit de quarante kilomètres où quatre chariots pourraient marcher de front. Il fait une bise terrible là-haut. Il a gelé la nuit. Pékin est au degré de lati­tude de Corfou et des Baléares, mais on ne s'en douterait pas en hiver. Le vent de Mongolie qu'on appelle «vent jaune» souffle là et il fait descendre le thermomètre à 10 degré au-dessous de zéro. C'était le cas. Pour des gens qui venaient du Japon et d'Honolulu, c'était dur.

Nous circulons vers l'est. Nous dominons d'abord le quartier des Légations. 42

Voici la Légation du japon, avec ses casernements en face près du canal. Deux grands lions marquent l'entrée de la Légation de France, installée depuis 1861 dans le palais des ducs King et agrandie par l'a­chat de l'hôtel de Pékin et de ses jardins. C'est une demeure seigneu­riale entourée d'un vrai parc avec plusieurs pavillons et un jeu de ten­nis. Là se sont succédé des ministres qui ont eu leur célébrité et dont plusieurs ont joué un rôle politique important: M. de Bourboulon, dont la famille est alliée à la mienne8), puis MM. de Geoffroy, Berthemy, Rochechouart, Bourée, Patenôtre, Constans, Lemaire, et plus récemment, MM. Gérard, Pichon, Beau, Dubril. C'est maintenant M. de Margerie que je suis allé visiter. C'est un catholique fort aimable. 43 Son palais est un musée. Ses grands appartements sont remplis de merveilleuses chinoiseries: vases, meubles, bronzes, émaux, soieries.

Vient ensuite la caserne française: nos soldats ont bonne tenue. Puis c'est l'église St-Michel, construite en 1902, après la guerre. C'est la paroisse des Légations.

Dans les cours du casernement allemand, des soldats font l'exerci­ce, malgré le froid, avec leur correction habituelle.

Légation de Belgique, Légation d'Allemagne - Banque de Hong­Kong - Banque Russo-chinoise - Légation de Russie avec une chapelle orthodoxe - Légation des Etats-Unis avec le casernement américain. - Légation d'Angleterre, dans un beau parc, cédé par les Chinois en 1861, 44 et où se trouvent des pavillons aux tuiles impériales, jaunes vernissées. C'est là que furent réunis pendant le siège de 1900, les fem­mes, les enfants, les malades de l'hôpital et les archives. Une colonne à l'extérieur rappelle ce triste épisode: «20 juin - 14 août 1900»9).

Viennent ensuite les Légations d'Italie et d'Autriche. C'est tout une ville européenne. Du haut de la muraille méridionale on a une vue d'ensemble sur tout Pékin, la ville tartare et la ville chinoise.

«Pékin, ville de découpures et de dorures, ville où tout est griffu et cornu. Pékin, les jours de sécheresse, de vent et de soleil, fait illusion encore, retrouve un peu de sa splendeur, dans cette poussière éternel­le de ses steppes et de ses ruines, 45 dans ce voile (de lumière diffu­se) qui masque alors le délabrement de ses rues et la pouillerie de ses foules». (Pierre Loti, Les derniers jours de Pékin).

«Quand on n'a pas vue Pékin, on ne sait pas ce que c'est que la décadence. Thèbes, Memphis, Carthage, Rome, ont des ruines qui rappellent la secousse. Pékin se ronge lui-même, c'est un cadavre qui tombe chaque jour en poussière. Quand du haut des admirables murailles presque intactes qui entourent la ville tartare, j'ai jeté les yeux sur la Ville interdite et la Ville impériale renfermées dans son sein, quand j'ai sondé la splendide perspective des bastions, des portes surmontées de pagodes, de fortifications 46 aux angles des murailles, et que j'ai examiné les toits coniques et vernissés des temples qui sur­gissent au milieu d'une vraie forêt; quand, faisant un demi-tour, j'ai porté mes regards sur la ville chinoise qui fait à l'autre un véritable socle, et qu'enfin je me suis imaginé tout cela vivant, frais, vert, coupé partout d'eaux limpides, garni de canons, peuple et bruyant, j'ai rêvé que je retraçais par la pensée le Pékin d'il y a mille ans (il faut dire 500 ans), et je suis resté confondu, admirant sans restriction cette merveil­le de l'Extrême-Orient. Mais, peu à peu, j'ai pris le spectacle corps-à­-corps: j'ai parcouru ces rues ravinées par les chariots à vingt pieds de profondeur (mettons en quatre), 47 dans lesquels les anciens égouts éventrés semblent un escalier géant pour atteindre l'étroit sentier qui borde les maisons de chaque côté du précipice; descendant de ma charrette pour mieux voir, j'ai enfoncé jusqu'à mi-jambe dans une poussière fétide d'immondices séculaires, j'ai suivi le lit des fossés, des canaux et des rivières pour jamais à sec, sous des ponts de marbre rose ruinés et désormais inutiles: ces jardins, ces parcs, ces étangs autrefois merveilleux sont transformés en désert; à côté d'arcs de triomphe de marbre, des huttes éboulées de marchands misérables élevant au-des­sus d'elles une forêt de perches avec des affiches de papier qui dansent au vent; tout cela est affreusement uniformisé sous une couche épaisse et à travers un nuage incessant 48 d'une poussière âcre et étouffante;

- Non, me suis-je dit à cet aspect, cela n'est pas une ville; n'est-ce pas plutôt un camp de tartares ravagé par le simoun au milieu du désert?» (Le comte de Beauvoir, Voyage autour du monde).

Mais il faut avancer sur notre muraille. Nous voici à l'observatoire, le fameux observatoire de Pékin. Il date du 13e siècle. Il fut confié pen­dant 300 ans à des astronomes d'origine arabe, qui se transmirent de père en fils la direction de cet établissement jusqu'au 17e siècle, épo­que à laquelle la science des jésuites attira l'attention de l'empereur Chouen-Tché.

Un de ces missionnaires, le P. Verbiest, fut particulièrement remar­qué: il devint président du tribunal 49 des mathématiques, et l'empe­reur reconnut ses talents en lui décernant des titres de noblesse pour lui et sa famille. Le décret fut gravé sur une riche tablette, conservée longtemps à l'observatoire, et portée plus tard à la Légation de France. On s'occupe maintenant d'ériger un monument à Bruxelles en l'hon­neur du P. Verbiest.

Ce fut sous l'habile direction du P. Verbiest, mort à Pékin en 1688, que les anciens instruments des Mongols furent remplacés par d'au­tres plus perfectionnés en 1673. «Ils sont grands, dit le P. Le Conte dans ses Mémoires, bien fondus en cuivre, ornés partout de figures de dragons, très bien disposés pour l'usage qu'on doit en faire; et si la finesse des divisions répondait au reste de l'ouvrage, et qu'au lieu de pinnules (plaques percées d'un trou), on y appliquait des lunettes, selon la nouvelle méthode, nous n'aurions rien en cette matière qui pût leur être comparé». 50 Eh oui! Ils sont grands, ce sont de vrais monuments qui couvrent toute une terrasse. Ils comprenaient une sphère armillaire zodiacale, une sphère équinoxiale, un horizon azi­mutal, un grand quart de cercle, un sextant, un globe céleste. Mais il y a des vides. Les Allemands en 1900 enlevèrent une partie des instru­ments.

On aperçoit de là le Wai-Wou-pou, précédemment Tsong-li-Yamen, ministère des affaires étrangères où s'exerce l'astuce des bons Chinois. Près de là aussi était le collège des examens, long bâtiment 51 avec des milliers de cellules où les étudiants venaient tous les trois ans s'en­fermer deux ou trois jours pour conquérir leurs titres de licencié ou docteur. Mais on a détruit récemment ce souvenir archaïque, la Chine ayant réformé son enseignement sur le modèle de celui de l'Europe.

Après avoir dîné chez le bon P. Capy, nous allons au Pei-Tang, tem­ple du nord, ou Tien-Tchou-Tang, temple du Dieu du ciel, c'est le mot magique que j'aurais dû dire aux pousse-pousse de la gare, pour qu'ils sussent où nous conduire.

On y va par l'Avenue Voyron, une belle chaussée tracée par nos sol­dats du Génie en 1901. Si seulement les Chinois savaient l'entretenir! 52

Le Pei-Tang est la résidence épiscopale de la mission du Tcha-li, dirigée par les Pères Lazaristes. Mgr Jarlin n'était pas là, c'est domma­ge, j'aurais été heureux de connaître le vaillant successeur de Mgr Favier. C'est le Vicaire général, M. Dumont, qui nous reçut. - Le Pei­-Tang est tout un ensemble d'établissements divers: évêché, séminaire, orphelinat. Je me perdrais dans ses vastes cours. Il a été construit en 1887 sur un terrain acquis en échange du vieux Pei-Tang.

La cathédrale, Saint-Sauveur, commencée en 1887, fut consacrée le 9 décembre 1888. Elle est dans le style gothique du XIVe siècle. Sa lon­gueur est de 84 m. C'est un édifice imposant, avec deux hautes tours. 53 De chaque côté de l'entrée, des stèles rappellent les décrets impé­riaux qui ordonnèrent la construction de l'édifice.

A droite de l'église est le séminaire, il est prospère. On y préparait une ordination de quinze prêtres pour Noël.

Une chapelle qui sert aux exercices des missionnaires a été élevée en souvenir de la délivrance du Pei-Tang. Deux canons pris aux Boxeurs semblent en défendre l'entrée. Ces vieux canons portent l'in­scription: 1606, Rotterdam.

Derrière l'église, école et orphelinat des Soeurs de Charité. Grand établissement aux œuvres très diverses. Les bonnes Soeurs font faire à leurs élèves des broderies en soie et des peintures qui ne manquent pas de goût. 54

Le 29 octobre 1860, l'ancien Pei-Tang, fermé pendant trente ans, avait vu son Te Deum chanté en l'honneur des libérateurs de Pékin, l'armée française et l'empereur Napoléon. Au 8 septembre 1900, nou­veau Te Deum après la délivrance des Légations, devant la plupart des Ministres et des officiers français et étrangers.

L'histoire de la délivrance du Pei-Tang en 1900 est encore présente à tous les souvenirs. Trois mille Chinois chrétiens étaient là réfugiés. La maison fut assiégée du 15 juin au 16 août. Trente et un soldats français seulement et onze italiens dirigeaient la défense. Ce fut un siè­ge héroïque et son histoire est presque incroyable. Il faut l'entendre raconter par les vieilles Soeurs 55 qui étaient là. Les derniers jours, on mourait de faim. Chacun recevait quelques grains de riz et de l'eau saumâtre. Les projectiles chinois pleuvaient et tuaient bien des gens. L'enseigne de vaisseau Henry bon et pieux comme un saint mourut héroïquement. Les Chinois avaient miné la maison et poussé des cer­cueils dans les mines. Ces cercueils contenaient des explosifs. Ils firent tout sauter le 16 août. Un gouffre se creusa au centre de la cour. Il y est encore. 400 Chinois chrétiens étaient morts pendant le siège. Il y eut aussi trois missionnaires tués, 5 matelots français et leur chef, l'en­seigne Henry, et six Italiens; enfin neuf Français et trois Italiens bles­sés. 56

C'est la Ste Vierge qui sauva ses enfants. Pendant le siège, les Chinois païens voyaient une dame majestueuse et vêtue de blanc appa­raître par moments au sommet de la cathédrale.

Le 18, visite de la Ville. Mais je résume d'abord mes lectures sur son histoire.

Il y eut là, dit-on, une très ancienne cité nommée Ki et contempo­raine des vieilles villes d'Orient. Elle était la résidence des princes du pays de Yen. La dynastie de Han la relève de ses ruines en l'an 600 de notre ère.

Au 12e siècle, ce sont les Tartares et au 13e les Mongols qui la déve­loppent et l'enrichissent. C'est ensuite la dynastie des 57 Ming qui lui donne son nom de Pei-King. Elle est dans toute sa splendeur au 16e siè­cle.

La dynastie actuelle, sur le trône depuis l'avènement de Louis XIV, n'a apporté aucun changement dans l'aspect général de la cité des Ming; mais les événements politiques, en faisant intervenir au XIXe siècle les puissances européennes, ont amené la création du quartier des étrangers.

Déjà la puissance des Mongols avait attiré pour des causes diverses des missionnaires, des négociants de l'Occident. C'est ainsi que Monte Corvino10), Odorico de Pordenone11), Marco Polo12) et d'autres étaient venus à Pékin au XIIIe et au XIVe siècles.

Beaucoup plus tard, sous les Ming, le jésuite italien Mathieu Ricci13) parvint en 1599, dans la capitale. En 1636, 58 un Allemand, le P. Adam Schall fondit des canons sur l'ordre des derniers empereurs Ming, et put conserver en 1645 ses fonctions officielles avec les Mandchous, qui s'étaient emparés du trône de la Chine. Quelques jésuites devinrent ainsi des fonctionnaires de l'empire. Le P. Verbiest fut chargé de l'Observatoire et pourvut l'armée mandchoue d'artille­rie; enfin les jésuites français, qui déjà étaient apparus dans la capitale avec le P. Trigault à l'époque de Ricci, arrivèrent en 1688 à Pékin et furent retenus à la cour, employés pendant un siècle à divers travaux scientifiques ou mécaniques.

Ces étrangers firent connaître la Chine par leurs ouvrages; les Occidentaux y vinrent de plus en plus nombreux pour tirer profit des richesses de ce pays; ces intérêts commerciaux mis 59 en cause amenèrent, au 18e et au 19e siècle, les premiers incidents diplomati­ques bientôt appuyés par la force.

Pendant la guerre de 1860, les troupes anglo-françaises se saisirent du Palais d'été, le Versailles chinois, le 7 octobre; le 9 les alliés campè­rent au nord de Pékin. Les Chinois se décidèrent alors à ouvrir la por­te Ngan-ting-men au nord, et le 15 octobre à midi 200 Français et 200 Anglais occupèrent en même temps la muraille de Pékin. Le 24 octo­bre, lord Elgin, ambassadeur anglais signait un traité avec le prince Kong et le lendemain le traité français était conclu au Ya-men [palais] des Rites par le baron Gros, ambassadeur de France, assisté du général Montauban. Les alliés évacuèrent alors la capitale et allèrent camper à Takou. 60

A l'époque de la guerre sino japonaise, plusieurs détachements étrangers séjournèrent quelques mois à Pékin (1894-1895). En 1900, tous les européens étaient en danger en Chine, même à Pékin. La cour partageait la haine des Boxeurs contre eux. Le Pei-Tang et le quartier des Légations étaient assiégés en même temps. 419 soldats, assistés d'une centaine de volontaires se barricadèrent dans les Légations. Le 11 juin, le chancelier du japon fut assassiné à la gare; le 20, le ministre d'Allemagne fut tué à peu de distance du Tsong-li-ya­men. Le siège dura jusqu'au 14 aout. Le 13 les Russes occupèrent la porte Tong-pien-men, et le 14 les soldats hindous de l'Angleterre purent pénétrer et débloquer les Légations. Les pertes du siège 61 étaient de 164 soldats et 30 volontaires tués ou blessés.

Mais il faut visiter la ville. Tout près du Pei-Tang commence la ville rouge ou ville interdite. Ce quartier entouré par une muraille de trois kilomètres et demi est réservé à l'empereur et à la famille impériale. Je ne puis pas y entrer. J'aperçois seulement le beau pont de marbre qui y conduit en passant entre les lacs du nord et du sud. Il y a là, dit-on, toute une série de palais avec de jolis noms: Salle de la suprême concorde, où se tiennent certaines assemblées solennelles; Palais de la pureté céleste, où l'empereur donne ses audiences; Salle de l'union sublime, qui sert pour les noces; 62 Salle des fleurs littéraires, où l'empereur va con­sulter les livres sacrés. Et en dehors des palais, une foule de pavillons servent aux appartements des concubines et des eunuques, aux maga­sins de soieries et de pelleteries, aux salles de comédies, aux pagodes, etc.

Dans les jardins, le Mei-Chan ou Montagne de charbon, qu'on aper­çoit pardessus les murs, porte plusieurs pavillons qui sont des sanctuai­res au dieu Fo ou Bouddha.

En 1900, après la délivrance des assiégés de Pékin, les troupes al­liées défilèrent à travers les cours et les salles de la ville rouge interdite et y furent passées en revue par le général russe Linévitch.

Nous allons visiter les grands temples des Lamas et de Confucius. 63 C'est d'abord le Monastère du Bonheur éminent, construit à grands frais sous les Ming en 1451. Il y a cinq cours et autant de pavillons, avec des terrasses bordées de balustres en marbre. Il est dédié aux deux grandes divinités bouddhiques, le dieu Fo ou Bouddha et la dées­se Kouan-Yin. Il est en mauvais état, il était desservi par des lamas de Mongolie, il n'a plus aujourd'hui que des gardiens.

Le Temple des Lamas tibétains, résidence d'un Bouddha vivant. Pékin a voulu avoir comme Lhassa son Bouddha incarné. C'est le couvent le plus vaste et le plus somptueux de Pékin. Il a eu jusqu'à 3.000 lamas. L'enclos est divisé en six parties, avec leurs cours, leurs palais et leurs pavillons. Des lamas en robe jaune circulent 64 çà et là. A chaque porte, à chaque pavillon, il faut donner une offrande. Le frère Lazariste qui nous conduit sait très bien faire la grosse voix pour faire baisser les exigences de tous ces sous-sacristains. Les sanctuaires ont des autels en l'honneur de Bouddha, avec l'appareil ordinaire, des flambeaux en bronze, des brûle-parfums, des vases en émail, des mou­lins à prières. D'autres statues représentent les grands sages de la Chine, les huit génies déifiés.

Le culte lamaïque a beaucoup emprunté au nôtre. Les grands lamas ont la crosse, la mitre, la chape. Ils bénissent en étendant la main sur la tête des fidèles. Les offices lamaïques ont des chants à deux choeurs, des encensements, des processions. Les lamas ont des 65 exorcismes et une sorte de confession où le pénitent après avoir prié dans le par­vis du temple est admis au pied de l'autel et marqué d'un signe sacré.

Il y a toute une hiérarchie dans ces couvents. Le lama reçoit une sorte d'ordination, après avoir passé par les grades de serviteur, novi­ce, ascète. Ils font des études spéciales de philosophie, littérature, astronomie, théologie. Les couvents ont des étudiants.

Le Temple de la Littérature ou de Confucius. Là, pas de statues; des stè­les seulement qui portent les noms glorieux de Confucius et des Sages, et qui sont censés habitées par leurs esprits. Un beau portique en mar­bre. Le temple est très simple. Sur l'autel, la stèle de Confucius 66 devant lequel se trouve une table portant un brûle-parfums et deux chandeliers. Tous les ans, au printemps et à l'automne, on offre là des sacrifices. Sur les côtés sont les stèles des principaux disciples de Confucius.

Il y a autour de la ville rouge et surtout au nord, quelques rues qui ont un grand cachet. C'est la ville impériale. Les maisons étalent leurs riches magasins, leurs frises énormes de bois sculpté et doré, leurs toits recourbés, leurs enseignes pendantes comme des drapeaux. C'est ce quartier de Pékin que Loti appelle une ville de découpures et de doru­res, une ville où tout est griffu et cornu.

Là est la Tour du Tambour, grosse tour carrée du 13e siècle, de 33 67 mètres d'élévation. Elle renferme une clepsydre, qui sert à marquer les veilles.

Plus haut, la Tour de la Cloche, réédifiée au 18e siècle, de style assez lourd, comme l'autre. Elle possède une cloche du poids de 20.000 livres, sur laquelle on frappe aux veilles de la nuit pour répondre au tambour de l'autre tour.

A signaler dans les grandes rues et à la campagne, le jeu des cerfs­volants très populaire en Chine. Les hommes s'y livrent, comme les enfants. Ce sont des dragons, des aigles, des mandarins énormes. On y adapte des sifflets, des appareils éoliens, qui changent là-haut quand l'air y pénètre. Mais le Chinois, qui porte la queue, n'en met pas à ses dragons. 68

Les Chinois ne sont que tolérés à Pékin. Les Tartares y règnent en attendant la révolution. La ville chinoise est au sud, pauvre, à demi déserte, avec un mélange de belles ruines et de masures infectes. Mais il y a là, dans des parcs réservés, deux temples intéressants, le Temple du Ciel et le Temple de l'Agriculture.

Le Temple du Ciel est dans un vaste jardin, planté d'acacias, de pins et de cyprès, avec des avenues dallées de marbre, qui mènent aux autels.

Le Dieu du Ciel!! Les plus intelligents des Chinois entendent par là le Dieu suprême, celui que nous adorons. Le peuple y voit un génie des saisons, qui veille à la fécondité de la terre.

L'empereur, Fils du Ciel, se rend trois fois par an dans cet 69 enclos, pour adorer le Ciel, lui rendre compte de son administration et le prier de bénir la terre.

A la première lune, il vient pour recevoir la mission de gouverner pendant une année: au printemps, il vient pour demander une pluie suffisante et une bonne récolte; à l'automne, il vient pour rendre grâ­ces et pour rendre compte de son administration. Nos gouvernants sont loin d'avoir autant de dévotion!

Chaque fois l'empereur offre des sacrifices: papiers symboliques, chèvres, veaux et moutons. Les sacrifices se font à la première heure du jour. L'empereur vient coucher la veille dans un pavillon du parc.

Il y a là plusieurs édifices, 70 dont les trois principaux sont: la Colline ronde, le Temple du Ciel et le Temple des propitiations.

La Colline ronde, un tumulus couvert de marbre blanc, avec escaliers, plates-formes et balustres. A côté, un foyer sert à consumer les offran­des.

Le Temple du Ciel, rotonde à huit colonnes, précédée de portiques en marbre blanc. Sur les côtés, l'abattoir et les fourneaux pour les sacrifices, magasins pour les vases sacrés, les instruments de musique et les offrandes.

Le Temple des propitiations: temple circulaire, couronné d'une toiture à trois étages en tuiles bleues. C'est ici qu'on offre les sacrifices pour les biens de la terre. 71

De l'autre côté de l'avenue, l'Autel de l'Agriculture. Il y a là quatre autels carrés pour représenter les «quatre coins de la terre».

L'autel des premiers agriculteurs. Son esplanade est élevée de huit degrés, c'est le lieu du sacrifice. L'autel des esprits du ciel et de la terre. Il y a là quatre pierres de granit sur lesquelles sont gravés des dragons dans des nuages, et deux autres pierres sur lesquelles sont dessinées des rivières, et près desquelles sont des réservoirs. On offre là des sacri­fices aux génies des montagnes, des mers et des rivières. La terrasse de labour de l'empereur, devant laquelle est un champ sacré où l'empereur et ses ministres viennent au printemps tracer un sillon. 72 Enfin, l'autel de la planète Jupiter.

Le 1er jour de la seconde période du printemps, le souverain se rend au Temple de l'Agriculture avec trois princes, neuf grands personna­ges et une suite nombreuse; tout le monde a dû se préparer par le jeû­ne à cette cérémonie. Après les premières adorations, on se dirige vers le champ de labourage; le boeuf, la charrue, les instruments sont jau­nes et l'empereur commence à tracer le sillon de l'est à l'ouest, il revient quatre fois, ce qui fait huit sillons. Le président du Ministère des finances est à sa droite avec le fouet; à sa gauche se tient le pre­mier mandarin de la province avec la semence qu'un troisième sème derrière le souverain; les trois princes tracent chacun dix sillons et les neuf dignitaires chacun dix-huit; 73 ils sont accompagnés de manda­rins selon leur grade; enfin des vieillards choisis parmi les plus anciens laboureurs du peuple achèvent le travail. Les graines récoltées à l'au­tomne et conservées dans les magasins du temple ne doivent servir qu'aux offrandes.

Dans le même quartier est un sanctuaire très vénéré de la déesse Kouan-Yin, qui correspond à l'Isis des Egyptiens et qui est une contre­façon de notre douce Vierge Marie. Il y a là une image dite miraculeu­se en porcelaine flambée, de un pied de haut. Sa couronne brille, dit­on, comme si elle était de pierreries, ses habits ont des reflets éton­nants. On lui donne le nom de la Bonne Mère. Kouan-Yin est très vénérée en Chine, comme Kouan-On au japon. 74 On voit des sta­tues fort curieuses de cette divinité: l'une d'elles représente une fem­me assise, les cheveux disposés comme ceux des jeunes filles, tenant un enfant entre ses bras et foulant aux pieds un dragon; à sa gauche, une colombe; à sa droite, un vase avec une fleur ou un livre. Comment ne pas supposer dit Mgr Favier, une réminiscence de la Vierge Marie, en voyant ces emblèmes accompagner presque toutes les statues de Kouan-Yin.

Nous rentrons vers le soir. L'éclairage des maisons et des rues est à peine suffisant pour rendre l'obscurité viable. Le voyageur à Pékin est tenté d'ajouter foi à la plaisante histoire qui circule parmi les étrangers en Chine. On attribuerait, parait-il, 80.000 75 taëls14) à l'éclairage de Pékin. Le fonctionnaire chargé de cet important service en distribue 40.000 à ses subordonnés avec instruction de pourvoir à l'éclairage. Ceux-ci en distribuent 20.000 à d'autres sous-verges et, de distribution en distribution, la somme se trouve réduite à quelques sapèques remi­ses à un coolie pour aller acheter un peu d'huile et une mèche que l'on pose dans un plat en terre sur la voie publique.

Passe un mendiant, qui avale l'huile et la mèche, c'est l'éclairage de Pékin…

Les Chinois sont aux antipodes des japonais pour la propreté. Il ne fait pas bon à traverser leurs rues le matin avant 10 heures; les coolies, balançant deux seaux en équilibre aux extrémités d'un bambou, 76 emportent vers les jardins les eaux ménagères et le reste. L'odorat en est péniblement affecté.

Les meilleures rues ont un caniveau central mal joint qui couvre les égouts. Les autres rues sont d'abominables cloaques, réceptacles de tous les immondices. Il n'y a ni police, ni administration. La portion de ruelle devant chaque maison est considérée par l'habitant comme lui appartenant, pour l'employer à tel usage qui lui plaira au détri­ment de la circulation. Et ces rues qui n'en sont pas, sont encore encombrées par des files de chameaux qui portent de larges fardeaux.

Lorsqu'il pleut, la route est un canal fangeux. On voit là de malheu­reux Chinois patauger avec leurs chaussures de feutre et leurs loques trempées de boue, lutter 77 pendant des heures pour sortir leurs véhicules des fondrières où ils s'enlisent. Ils ont une patience admira­ble et ne cherchent pas comme nos Européens à se soulager par des imprécations.

Les auberges n'ont pas les ustensiles d'usage intime. Le voyageur laisse son offrande dans un coin de la chambre, et les porcs remplis­sent l'office de garçons de salles (E. Bard.).

Les champs et jardins sont arrosés par l'engrais humain acheté à la ville; les Chinois qui circulent dans la rue comme dans les champs sont habitués à tous les parfums.

Leurs wagons de chemin de fer servent à tout; mais heureusement, ils ont des voitures spéciales et des trains spéciaux pour les Européens. Les Chinois se baignent rarement. 78 Ils craignent l'eau froide; mais avant le repas, on passe aux convives des serviettes trempées dans l'eau chaude pour se laver la figure et les mains. Est-ce d'eux que nous avons emprunté l'usage des bols d'eau tiède? J'ai vu circuler les serviet­tes chaudes dans les wagons avant les repas, et on m'en a offert une fois chez les missionnaires.

La plupart des maisons sont remplies, dit-on, d'une vermine aussi nombreuse que variée.

Le 19, Mgr Tiberghien est enrhumé, je vais seul passer une journée à Tien-tsin. La voie longe d'abord les murs de la capitale, puis on ren­contre un poste italien près d'un ancien parc impérial.

Plus loin, Lang-Fang, 79 un poste allemand, puis on franchit le fleuve blanc, le Pei-ho, sur deux grands ponts. La campagne assez tris­te offre quelques cultures mêlées à des dunes arides.

A Yang-tsouen, le 6 août 1900, les Russes culbutèrent un corps chi­nois, et ce succès décida la marche immédiate des alliés sur Pékin. Pei-tsang, autre champ de bataille où l'effort principal fut donné par les Japonais le 5 août 1900.

Voici Tien-tsin. A gauche, les concessions autrichiennes et italien­nes; à droite, d'énormes étendues couvertes de tombes chinoises. La gare est près de la concession russe, que l'on traverse pour gagner le pont métallique qui va aux concessions française et anglaise. 80

Je descends chez les Pères Lazaristes, qui ont deux belles églises, St Louis et N.-D. des Victoires. A St Louis, il y a le P. Desrumeaux, visiteur, à N.-D. des Victoires, le P. Lebbe est curé.

Nos œuvres se mettent plus volontiers dans les concessions étrangè­res que sur la concession française. Où est-on moins sûr de l'avenir que sur le sol français? Les Pères ont vendu ce qu'ils avaient d'immeu­bles dans la concession française dans la crainte de les voir confisqués. C'est ainsi que nos gouvernants entendent la colonisation.

Tien-tsin est grande ville: 500.000 âmes. De beaux quartiers européens: des tramways, des hôtels, des banques, de grandes maisons de commerce: un petit Paris. 81

La principale maison française est celle de Racine et Ackermann. Ils s'occupent de commerce et de navigation, ici comme à Han-Kéou et à Shang-haï. La grande maison anglaise est celle de jardine et Matheson.

Tien-tsin a ses journaux, anglais et français. J'ai lu le Courrier de Tien-tsin et l'Echo de Tien-tsin. Très curieux, ces journaux, comme renseignements commerciaux et comme indication des moeurs gou­vernementales. Je résume deux ou trois articles: Sur le commerce japo­nais: Les cotonnades japonaises étaient, il y a quatre ans à peine, d'un placement difficile, à cause de l'infériorité des produits et de la con­currence américaine. Mais peu à peu les japonais perfectionnèrent leur production et ils envahissent le marché. 82 Il y a quatre ans la part du japon dans les importations chinoises était de 4%, elle est aujourd'hui de 40%. - Commerce général: En ajoutant au chiffre des affaires importantes de Tien-tsin, celui de quelques ports secondaires voisins, on obtient pour 1907, une valeur totale de 267 millions de francs, se répartissent comme suit: les cotonnades, 31 millions; le maté­riel de chemins de fer, 18 millions; les fils de coton, 12 millions; la fari­ne, 11 millions; le pétrole, 10 millions, etc.

Parmi les pays importateurs, l'Angleterre se place au premier rang (43 millions) avec beaucoup de cotonnades; au second rang vient le japon (39 millions); au troisième se présentent les Etats-Unis (22 mil­lions) avec de grandes quantités de pétrole, de cotonnades 83 et de farines; au quatrième rang l'Allemagne (18 millions), qui a surtout expédié des machines, des munitions de guerre, des couleurs.

Le commerce français, peu représenté à Tien-tsin, a consisté générale­ment en soieries mélangées de Lyon et en rubans de St-Etienne.

La Belgique y a vendu un matériel considérable, destiné aux voies ferrées, aux mines, aux installations électriques.

Le Courrier donne ensuite une Revue de la Presse chinoise, qui montre bien la situation et les moeurs du cher pays de Chine. Le Conseil de l'Empire se préoccupe de l'augmentation des troupes japo­naises en Mandchourie. Le gouverneur du Chang-toung étant dé­noncé par ses sujets, une enquête secrète se fera contre lui. En vue de la construction 84 des nouvelles voies ferrées, le gouvernement a l'intention de contracter un emprunt à l'étranger. Le fils de Yuan-Chi­-Kaï a quitté Pékin pour aller voir son père dans le Honan. On le dit chargé d'une mission spéciale du gouvernement qui l'aurait prié d'in­sister auprès de l'ex-Conseiller de l'empire, pour le décider à revenir à Pékin. (La cour prévoyait déjà qu'elle aurait besoin de recourir à Yuan-­Chi-Kaï). (Extraits du Courrier du 24 Sept. 1910)

L'Echo du 17 nov. n'est pas moins intéressant: Nous avions dit que le prince Tao-pé-lé avait présenté un rapport au trône demandant l'au­torisation pour tous les fonctionnaires civils et militaires de supprimer la natte et de porter le costume européen. Nous apprenons 85 qu'un décret vient d'être publié, accordant cette autorisation.

Les conduites d'eau de Pékin, confiées à une firme allemande, sont terminées. L'eau est prise à la rivière Shaho, qui a sa source dans la montagne de l'ouest de Pékin. L'importance des conduites est cal­culée pour une population de 700.000 habitants (120.000 familles). On sait que le choléra, la variole, le typhus et autres maladies conta­gieuses font chaque année de grands ravages dans la capitale. L'usage d'eau pure avec les système de nettoyage des rues introduit par le département de la Police, contribuera à enrayer la mortalité causée par ces maladies.

On prépare un nouveau code pour les fonctionnaires, etc. etc.

On voit 86 que le pauvre Régent et son gouvernement com­mençaient des réformes, mais ils n'allaient pas assez vite au gré des révolutionnaires.

Tien-tsin a beaucoup de souvenirs historiques. Les Chinois signè­rent à Tien-tsin le 27 juin 1858 des traités avec l'Angleterre et la France, révisant ceux de 1842 et de 1844; mais ils ne furent pas mieux exécutés. Les alliés firent alors l'expédition de 1860 et Tien-tsin fut occupée le 26 août par les troupes anglo-françaises.

La population hostile se rua en juin 1870 sur les établissements français: le consulat, l'église N.-D. des Victoires et l'orphelinat des Soeurs furent détruits.

En 1900, le gouvernement chinois faisant cause commune avec les Boxeurs, pour supprimer les Européens de l'Empire, envoya ses trou­pes contre les concessions 87 française et anglaise. Le siège dura 27 jours, du 17 juin au 13 juillet. Le 13 juillet, les alliés prirent la ville chi­noise. Les japonais eurent 400 hommes mis hors de combat, les Américains 200, les Russes 150, les Français 119, les Anglais 50. L'occupation de la forteresse débloqua les Concessions.

La Concession anglaise est le quartier élégant. On y remarque le Tonn Hall, l'hôtel Astor, de belles villas, de riches magasins dans le Victoria Road, et le parc Victoria.

La Concession française est vaste. C'est Mgr Favier, alors simple mis­sionnaire, qui y fit construire le consulat de France et l'église St Louis en 1871. L'église a sa façade ornée de huit colonnes monolithes en granit de 8 m. de haut. 88

Non loin de l'église, l'hôtel de la Municipalité française, les hôpi­taux français, anglais et chinois. Une usine électrique éclaire la conces­sion. Sur le fleuve, un pont métallique construit en 1903 à Fives-Lille a remplacé un ancien pont de bateaux et permet une communication commode entre les Concessions et la gare.

La Concession japonaise se peuple rapidement. Les japonais tien­nent à se mettre partout au niveau des nations d'Europe.

La cité chinoise elle-même a un petit air de civilisation moderne. On y a ouvert de bonnes rues et un large boulevard. On devine ici ce que sera la Chine de l'avenir.

Le fameux canal impérial arrive à Tien-tsin et débouche dans 89 le Pei-ho. C'est près du confluent qu'est l'église de N.-D. des Victoires ou des martyrs. Cette église bâtie en 1869, fut brûlée le 21 juin 1870 dans une émeute populaire. Les missionnaires, le consul et d'autres Français furent mis à mort. L'église fut reconstruite en 1897, à la suite des démarches de M. Gérard, Ministre de France. On y ensevelit avec honneur les restes des victimes de l'émeute de 1870. Leurs noms sont gravés sur des stèles le long des murs intérieurs de l'église. Voici ces noms: le consul de France: Fontanier; le chancelier de légation, Thomassin et sa femme; M. et Mme de Chalmaison, le chancelier du consulat Simon, les Pères Chevrier et Vincent, enfin dix Soeurs de Charité, massacrées dans 90 leur orphelinat, de l'autre côté du canal impérial. L'église a été de nouveau incendiée dans les troubles de 1900, puis elle a été encore restaurée.

Je fais quelques visites. Il y a des tramways et des pousse-pousse, mais les courses sont longues.

Le P. Duquesne est procureur des Jésuites de l'intérieur. Il est seul dans une grande habitation avec une jolie chapelle ogivale.

MM. Georges et Henri Bourboulon habitent l'extrémité de la Concession française. Ils s'occupent d'une société immobilière qui spécule sur les terrains et les immeubles à Tien-tsin. Anciens élèves de l'Institution St Jean, ils ont gardé leurs habitudes chrétiennes. 91

Je rencontre dans la rue un convoi de fiançailles. Une vingtaine de porteurs à ceintures rouges, portent chez la fiancée les cadeaux de mariage: des coffres, des glaces, des étagères, des fruits, des poulets. C'est naïf.

Les Anglais ont comme gardiens de leur concession de beaux sol­dats indiens de haute taille. Ce sont, dit-on, des Afghans.

Curieuse coutume: diverses personnes dans le quartier chinois por­tent en promenade des oiseaux dans des cages. Est-ce plus étrange que de promener des chiens?

Le 20, je fais de bonnes promenades auprès de Pékin. Il faut aller voir au nord la pagode de la grande Cloche. Sur le chemin, une pago­de à cinq 92 tours de genre hindou. J'arrive à la grande Cloche dans la campagne, par des chemins rebelles aux voitures. La cloche du 15e siècle pèse, dit-on, 50.000 kilos. Elle est énorme. On a gravé sur ses flancs tout un livre bouddhique.

Ma plus intéressante visite est au Chala, à l'ouest de Pékin. Il y a là deux établissements religieux, un noviciat des Lazaristes et un alumnat des Frères Maristes, avec de belles églises. Entre les deux est l'ancien cimetière des Jésuites. De grandes stèles rappellent des noms célèbres: Ricci 1610; Schall 1666; de Magalhaes 1677; Verbiest 1688, etc. etc. Ce sont les noms des grands jésuites qui ont eu la confiance des empe­reurs et qui ont dirigé l'observatoire et les arsenaux. 93

Chala est un des points où sévit le plus cruellement la persécution en 1900. Les Boxeurs mirent à mort des Pères, des Frères, des Soeurs et soixante enfants de l'école. Six mille chrétiens furent tués dans le district de Pékin, et pour beaucoup d'entre eux le motif religieux fut assez manifeste pour qu'on puisse préparer la cause de leur martyre. Le cri des bourreaux était toujours: abjure ou meurs. Beaucoup furent héroïques. Un vieillard, simple catéchumène, pouvait échapper à la mort en disant: «Je ne suis pas baptisé». Il préféra mourir avec les autres. Un chrétien sacrifia successivement ses mains, ses pieds, sa tête, plutôt que d'abjurer.

Les enfants, après avoir été haché à coups de sabre, ont été jetés 94 dans un puits. On a retiré leurs ossements qui portent les traces des coups de sabre. On dit que ces petits ossements font des miracles. A leur vue, une dame anglaise protestante a demandé à devenir catholi­que.

Dans un autre cimetière, plus loin, se trouvent les tombes des sol­dats français et des derniers évêques: Mgr Delaplace, 1884; Mgr Ta­gliabue, 1890…

C'est à Pékin qu'il faut parler des progrès de la foi en Chine. C'est en effet dans la province du Tché-li et en particulier dans la région de Pékin que les résultats des missions sont les plus consolants.

Pékin est un superbe diocèse, qui a cent mille chrétiens, après en avoir cédé 72.000 au nouveau 95 diocèse de Pao-ting-fou.

La province de Pé-tché-li a 320.000 chrétiens sur 20 millions d'habi­tants, elle est divisée en cinq diocèses.

La Chine est partagée en 48 juridictions (vicariats et préfectures). Les Missions Etrangères de Paris en occupent 12, exactement le quart. Les Lazaristes et les Franciscains ont chacun neuf circonscriptions. Les Pères de Scheut ou Missions Belges en ont six, dans le nord et dans la Mongolie; les Missions de Milan en ont trois; les jésuites et les Dominicains, deux; les Augustins, les Pères de Steyl, les Missions de Rome et celles de Parme chacun une.

Il y a dans l'ensemble 1.400 prêtres européens et 650 96 prêtres chinois. Ceux-ci atteindront bientôt la moitié des membres du clergé. C'est bon signe.

Je voudrais voir quelques évêques chinois, il y faudra venir. Il y a maintenant en Chine 1.300.000 chrétiens, c'est un sur 345 habitants. Patience, la Providence prépare les voies au règne de N.-S.

C'est au Pé-tché-li, que les conversions sont les plus nombreuses, 30.000 par an, au seul diocèse de Pékin. Mgr Jaldin a trouvé une bon­ne méthode. L'hiver, quand il n'y a pas de travaux aux champs, il fait catéchiser les gens des campagnes. Pendant trois mois on les instruit du matin au soir. Il faut les nourrir, mais ce n'est pas ruineux. 97 On leur donne du riz, des légumes et de l'eau. Cela revient à 20 f. pour trois mois, et ils sont alors en état d'être baptisés.

L'évangélisation a ses difficultés. Il y a l'activité protestante, qui nous entrave partout. Les pasteurs ont des ressources. mais nous porte­rons la cognée à la racine, en convertissant l'aristocratie de l'Angleterre et des Etats-Unis.

Un autre obstacle est le positivisme chinois. Ces gens n'estiment que ce qui rapporte. Patience! Ils se mêlent de plus en plus aux autres peuples, ils comprendront que Dieu bénit les nations chrétiennes et les rend prospères.

Les communautés de Soeurs apportent un grand concours aux mis­sionnaires. Il y a en Chine 98 des Soeurs de St-Vincent-de-Paul, des Franciscaines missionnaires de Marie, des Soeurs de St Paul de Chartres, etc. Il y a aussi des communautés indigènes. Les Soeurs enseignent, catéchisent et soignent les vieillards, les malades et les enfants. Elles ont déjà envoyé des millions de Chinois au ciel. Elles baptisent en un an 50.000 enfants de païens dans les seules missions des Lazaristes, et elles élèvent 17.000 enfants dans leurs orphelinats. Dans l'ensemble de la Chine, elles doivent envoyer par an 200.000 anges au ciel.

Le 21 novembre, en route pour Han-Kéou. Ce chemin de fer est relié par Moukden à celui de Sibérie. De Han-Kéou à Paris et à Gibraltar, 99 le ruban de fer est continu. On y met 18 ou 20 jours.

L'étape de Pékin à Han-Kéou est de 1.214 kilomètres que les trains directes franchissent en 30 heures. C'est du 60 à l'heure, cela va mieux qu'en Sibérie où on n'en fait que 40. Un exprès par semaine, il part de Pékin le jeudi, et il revient d'Han-Kéou le dimanche. Les autres jours il y a quatre trains omnibus pour transporter les Chinois.

Je partis le mercredi de Pékin par un semi-direct, pour pouvoir m'arrêter une journée à Pao-ting-fou et y reprendre l'express du jeudi. Cette ligne est due à l'initiative du roi Léopold, qui en obtint la con­cession pour une compagnie belge en 1897, avec le concours de M. 100 Gérard, ministre de France.

La ligne doit être continuée jusqu'à Canton, mais les Chinois ont prétendu faire cette partie là eux-mêmes, et naturellement, ça ne va plus. Les capitaux fondent dans les mains du mandarinat.

Départ Pékin-Han-Kéou: 65 dollars en 1ère classe. Le chef de gare de Pékin est catholique et parle français. Quelques employés parlent français, ils sortent des écoles de nos missionnaires.

En troisième, les Chinois paient 30 francs. Les Belges ont apporté là trois mille wagons et cent locomotives. Les Chinois ont voulu racheter la ligne, c'est prématuré, ils ne sont pas formés à nos coutumes.

Le train a bon aspect: trois voitures de 1ère classe, une de 101 deuxième, une de troisième, un wagon-restaurant et deux fourgons de bagages. La première classe se transforme la nuit en wagon-lit. Sauf le chef de train qui est européen, le service est fait exclusivement par des jaunes. C'est que les jaunes ont des prétentions plus modestes que les Blancs. Un machiniste chinois touche un salaire de 30 piastres par mois, 2 f. 25 par jour. Un chauffeur se contente de 15 piastres et les coolies de la voie de 6 piastres, moins de 0,50 c. par jour. Il est vrai qu'avec 22 centimes un Chinois peut acheter un poulet ou deux dou­zaines d'oeufs, mais ces beaux temps passeront et tout commence à augmenter.

En route. Nous longeons au départ les hautes murailles de Pékin, flanquées de tours carrées, 102 portent les produits de la Chine du nord et de la Mongolie. Voici la campagne, toute boursouflée de petits tertres qui sont des tombeaux. Chaque famille a son cimetière dans ses champs. C'était l'obstacle pour les chemins de fer. Que faire de ces tombes vénérables? On a tourné la difficulté en achetant aux Chinois le droit de transporter leurs morts un peu plus loin. Cela coûtait 50 francs par tombeau. Naturellement les Chinois en comptaient le plus possible, et en inventaient au besoin.

On ne peut rien imaginer de plus misérable que l'aspect des villages où nous passons. Comment 103 une aussi profonde misère règne-t­-elle dans un pays aussi favorisé par la nature? Serait-ce que le sol de la Chine ne suffit pas à nourrir la population la plus dense du globe? Ou plutôt, ne serait-ce pas que la glèbe est écrasée d'impôts, comme dans la plupart des pays d'Asie et même dans notre chère colonie du Tonkin? Le gouvernement chinois pressure les pauvres cultivateurs sur lesquels il prélève un milliard et demi d'impôts; mais comme il n'est point de pays au monde où le péculat se pratique sur une aussi vaste échelle, le dixième seulement du produit de l'impôt arrive à destina­tion. Et voilà comment, sur une terre opulente, la population vit misé­rablement. 104

Nous arrivons. La gare est encombrée de balles de coton prêtes à être chargées sur le chemin de fer.

Pao-ting-fou est grande ville: 150.000 habitants. C'est un des princi­paux centres intellectuels de la Chine. Il y a une école de droit et une école militaire. C'est un nouveau siège épiscopal, détaché de celui de Pékin, avec 72.000 catholiques.

Mgr Fabrique est absent, je le regrette. C'est le P. Ducoulombier qui nous reçoit, il est du nord. Il a de belles œuvres, séminaire, caté­chuménat, orphelinat. Ici, un orphelin coûte 75 f. par an pour son entretien; un catéchumène, 20 f. pour trois mois.

Pao-ting est une cité régulièrement construite, bien pavée, mieux tenue 105 que la capitale de l'empire, et très commerçante. Les cam­pagnes d'alentours, où domine la culture du millet, comme dans tout le Pé-tché-li, sont admirablement cultivées.

Près de la ville s'élèvent à Houangtou des sanctuaires, entourés de cyprès énormes en l'honneur d'un des rois, vrai ou faux, de l'ancienne Chine, Yao, qui aurait régné 2.300 ans avant le Christ, au temps d'un déluge considérable.

Pao-ting a un jardin public dans le grand style chinois, avec des ruis­seaux, des bassins, des rochers, des pavillons; les saules et les bambous croissent près des eaux; les nénuphars s'épanouissent sur les eaux et les glycines fleurissent les murailles. 106

Pao-ting a gardé un souvenir très vivant du grand politique Li-hung­Chang15), celui qui a formé Yuan-chi-Kaï.

Comme les empereurs romains, Li-hung-Chang a fondé un temple, un palais, un théâtre. Après sa mort, on y a mis ses tablettes. Pour les Chinois, c'est un héros national, sinon un saint.

Ici, comme à Tien-tsin, les bons Chinois se promènent avec un oiseau en cage. C'est une fantaisie comme une autre. Les Pères me font remarquer que les chefs de famille portent la barbe, les autres Chinois se rasent. Les familles ont des fêtes pour le passage de l'enfan­ce à l'adolescence et à la jeunesse. Les Chinois dépensent beaucoup pour ces fêtes. 107

Le P. Corset nous accompagne de Pao-ting à Tchen-ting, sa résiden­ce. Il dirige là un beau séminaire de 100 élèves. Tchen-tin est encore un évêché détaché de celui de Pékin. L'évêque, Mgr Coqset, est du diocèse de Soissons. C'est dommage de ne pas s'arrêter pour le voir, mais ces trains express ne passent que toutes les semaines, si on descend, il faudra ensuite se contenter d'un sale train de Chinois.

Tchen-tin est une immense ville aux grandes et belles murailles, située près de la frontière montueuse de Chan-si, aux escarpements couverts d'herbes médicinales appréciées. Elle est aussi une cité indu­strieuse mais déchue, où ne vivent qu'une dizaine de milliers d'hom­mes. Ses ouvriers 108 fabriquent avec le fer de Chan-si des images de Bouddha pour tout le nord de la Chine. Les idoles de ses temples sont parmi les plus remarquables de l'empire.

C'est la culture du millet qui domine dans la campagne. Auprès des petites fermes, on égraine le millet sur une petite aire par un rouleau que tirent les hommes ou les ânes.

Le peuple vit de pain de millet et de légumes. On tire aussi du mil­let un mauvais alcool.

On aperçoit dans les champs quelques arcs de triomphe, semblables aux torii du japon, c'est pour honorer le souvenir des veuves qui sont restées fidèles au souvenir de leur mari.

Nous approchons du Fleuve jaune, le Hoang-ho, et nous longeons les 109 collines de sable et d'argile que les pluies désagrègent pour salir et colorer le fleuve.

Dix fois depuis les temps historiques le fleuve a changé son cours. Autrefois, il mêlait ses eaux à celles du Fleuve Bleu; il va maintenant beaucoup plus au nord pour se déverser dans la mer près du Chan­toung. Comme d'autres grands fleuves, le Mississippi, la Loire, le Tibre, le Pô, il surpasse souvent ses digues et inonde les plaines. On le nomme le Fléau des enfants de Han.

C'est à minuit que nous passons le fleuve sur un formidable agence­ment de pièces métalliques de plus de trois kilomètres de long, que le train met vingt-six 110 minutes à franchir en marchant avec une extrême prudence. Le pont est éclairé à la lumière électrique. Construit sur des piles à six pieux, il comprend cent six travées.

Le 23, nous continuons à rouler avec de rares et courts arrêts. Dans les marais croissent les grands lotus dont la fleur largement épanouie est l'emblème sacré de la Chine. Des buffles aux grands yeux placides et à l'indolente démarche se vautrent dans l'eau. Dans les vallées humides, les paysans sont occupés à la récolte du riz.

Ce qui donne au paysage un aspect spécial, ce sont les gracieux et légers bois de bambous et d'acacias dont le vert tendre se détache sur la verdure sombre des pentes herbeuses.

La partie la plus pittoresque 111 de la ligne est la traversée d'un district montagneux. Les hauteurs n'ont pas plus de 600 mètres. Il a fallu y pratiquer de nombreux travaux d'art, des tranchées, des rem­blais, des tunnels. Ce sont de jolies montagnes, pointues, herbeuses, d'une physionomie bien chinoise, telles que nous les représentent les kakémonos, les porcelaines et les paravents, avec l'inévitable muraille crénelée, qui court sur leurs crêtes et qui tombe en ruines, sans qu'on songe à la réparer. Sur quelques sommets, des sanctuaires. Dans les val­lées, des champs de sésame, de haricots, de riz.

Le Fleuve jaune sépare le Chan-si du Chan-toung, c'est-à-dire le Chan de l'est et le Chan de l'ouest. Tout à l'heure 112 nous serons au Fleuve Bleu, qui séparera le Hou-pé et le Hou-nan, le Hou du nord et le Hou du sud.

Un employé de la grande compagnie commerciale Racine et Ackermann voyage avec nous. Nous causons du commerce de la Chine.

Le thé, l'opium, la soie, le riz, ce sont les produits principaux. Durant ces vingt dernières années, la consommation de thé à considé­rablement augmenté en Europe, en France surtout: l'anglomanie et la mode du «Five o'clock tea» n'y sont pas étrangères. En 1880, on con­sommait en France 450.000 kilos de thé par an; on est arrivé à 950.000 kilos en 1902 et à 1.240.000 kilos en 1909. La consommation est bien plus considérable dans les pays anglais et russes: 130 millions de kilos 113 en Angleterre, soit six livres et demie par habitant; 30 millions de kilos aux Etats-Unis; 77 millions en Russie.

La Chine exporte pour sa part cent millions de kilos, mais sa pro­duction est bien plus considérable, car sa consommation intérieure est énorme.

Les Indes anglaises ont produit en 1909, 120.000 kilos et Ceylan 90.000. Le japon et Formose donnent 30.000 kilos; Java, 20.000 kilos; le Caucase, 55.000.

Londres était autrefois l'unique marché de thé de l'Europe, mais maintenant il arrive aussi par Marseille, Bordeaux, Anvers, Rotterdam et Hambourg.

La culture du pavot diminue par suite des prohibitions officielles, 114 mais il y en a encore trop.

Le riz est le fond de l'alimentation en Chine. Manger son riz veut dire déjeuner ou dîner. On dit là-bas: Avez-vous mangé votre riz? Chih­kouo-fan; comme on dit chez nous: comment vous portez-vous? Dans le tiers ou au moins le quart de la Chine le sol donne deux récoltes de riz par an.

La soie aussi est un des bons produits de la Chine. Les mûriers n'y sont pas cultivés en arbres comme chez nous, mais en arbustes. Un champs de mûriers là-bas ressemble à nos champs de vignes ou d'osier. On ne laisse pas monter le mûrier en arbre.

On cultive aussi maintenant beaucoup le sésame et les fèves 115 pour l'exportation.

Mais en causant agriculture, j'arrive à Han-Kéou sur la rive du Fleuve-Bleu.

Han-Kéou est grande ville ou plutôt il y a là, au confluent du Fleuve Bleu et du Han, trois grandes villes qui n'en font qu'une: Han-Kéou, Wouchang et Hanyang, comme à l'embouchure de l'Hudson et de ses branches il y a New-York, Brooklyn et Jersey-City.

Han-Kéou avait, dit-on, deux millions d'habitants en 1860. C'était peut-être alors la ville la plus peuplée du globe; mais les Taï-ping l'ont ravagée et détruite. Elle s'est relevée et elle a retrouvé un million et demi d'habitants. Elle vient d'être encore très éprouvée par 116 un immense incendie, allumé par les troupes impériales.

Elle a un grand avenir, elle est si bien placée, au centre de la riche vallée du Fleuve Bleu. Elle dépasse déjà Tien-tsin par l'importance de ses transactions commerciales.

Han-Kéou est comme le centre. de la Chine, c'est là que se fait la croisée des grandes routes de navigation de l'est à l'ouest et du nord au sud de l'empire. Ce sera aussi un point de concentration de plu­sieurs lignes de chemin de fer.

La gare est au nord, près des concessions européennes. Il y a là un quartier de ville moderne. Je descends à la mission. L'excellent P. Piccoli est procureur. Il a une grande autorité dans le pays. 117 C'est ici la mission du Hou-pé oriental, avec 30.000 chrétiens. Elle est aux mains des Franciscains italiens. Mgr Gennaro, le vicaire apostolique réside à Wou-Chang.

Le P. Piccoli me fait visiter les Soeurs Canossiennes. Cette fondation comprend une école, un ouvroir, un asile de la Ste-Enfance, un dispen­saire… Il y a là des ateliers intéressants de tissage et de broderie. C'est un foyer de civilisation et d'apostolat. Ces Soeurs multiplient leurs fon­dations. Leur fondatrice est encore en vie.

De toutes les cités de l'intérieur de la Chine, Han-Kéou possède la colonie étrangère la plus considérable. Un beau quartier de maisons européennes à deux étages, séparé du fleuve par un vaste espace libre planté d'arbres, domine de sa masse régulière les 118 constructions chinoises et contraste avec les baraques sur pilotis de Han-Yang. On a fait des travaux énormes pour exhausser le sol de la concession européenne au-dessus des niveaux des inondations et pour construire en grès rouge la levée de défense haute de 15 mètres et longue de 4 kilomètres, à laquelle les Anglais ont donné le nom de Bund.

Il y a là des hôtels confortables, des clubs, des bureaux de poste, de vastes magasins, des maisons de commerce, des consulats richement logés. Au bord de l'eau, le quai est successivement chinois, anglais, français, russe, allemand, japonais. Derrière la ville, un champ de courses et des prairies pour le sport.

La ville chinoise grouillante et malpropre vient d'être détruite 119 par les armées impériales; elle se relèvera, mieux tracée et plus propre.

Han-kéou reçoit par ses deux rivières les cotons du Hou-pé et du Hou-nan, les soies, les peaux, les graines oléagineuses, la cire végétale, l'opium et les plantes médicinales récoltées dans les montagnes du Setchouan.

C'est surtout le grand marché de la Chine pour le thé. La colonie européenne est tenue en émoi par les oscillations commerciales du précieux feuillage. L'arrivée des premières feuilles de thé met tout le monde en mouvement. La foule se presse dans les fabriques et les comptoirs; les bateaux à vapeur viennent s'amarrer le long de la levée; jour et nuit les places et les rues du quartier européen sont encom­brées de gens affairés. 120 Cette activité dure trois mois, précisément pendant la saison la plus chaude, la plus fatigante de l'année. Londres donnait autrefois une prime au premier bateau de thé qui arrivait.

Maintenant le commerce d'exportation est surtout au pouvoir des maisons allemandes, qui apportent des machines et emportent du thé, du coton et des graines.

Les Russes achètent les thés les plus fins pour leurs villes et les thés en briques pour le peuple. Mais ils les expédient maintenant par le chemin de fer de Sibérie, ou même par les caravanes de Kolgan et de Kiakhta.

Quand Han-kéou sera reliée à Canton par le chemin de fer, son commerce augmentera encore considérablement. 121

Wou-Chang sur la rive droite est la capitale du Hou-pé. C'est la rési­dence d'un vice-roi, d'un gouverneur, d'un préfet, d'un sous-préfet. Ses vieux murs ont dix kilomètres de tour et sont percés de neuf por­tes. Ils datent de 15e ou 16e siècles. Ville aristocratique à sa manière, elle a les palais ou Yamen de tous ses administrateurs et les tribunaux de toutes ses juridictions.

Je suis allé voir le bon évêque, Mgr Gennaro. Son palais est sur la hauteur avec une belle vue sur les trois villes. Il nous a fait visiter aima­blement sa cathédrale, son séminaire, son orphelinat où les garçons apprennent divers métiers.

Nous avons pris le thé avec Mgr; et le P. Diego, avec le 122 P. Pic­coli, nous ont fait visiter la ville.

Han-Yang a de grands souvenirs. C'est là que les Pères Clet16) et Perboyre17) ont été martyrisés sur la place de la ville, le premier en 1822, le second en 1838 [1840.

Quelle figure sympathique que celle de Jean Gabriel Perboyre! Il était jeune, délicat, pieux comme un ange. Il est né au diocèse de Cahors en 1802. Dès son enfance, ses camarades le regardaient comme un saint. Il entra avec son frère Louis au petit séminaire de Montauban, où son oncle était directeur. La vue du Crucifix lui faisait désirer les missions.

Après ses humanités, il fit une neuvaine à St François Xavier 123 pour connaître sa vocation. Il se décida à entrer chez les Lazaristes. Il fit sa théologie à Paris. Il enseigna à Montdidier et à St-Flour.

Son frère mourut en voyage en allant en Chine comme missionnai­re. Il désira le remplacer et il partit en 1836. Il devait y passer à peine quatre ans. Il désirait le martyre. Il offrait à Dieu ses sacrifices quoti­diens. Il missionna dans le Hou-pé. Arrêté en septembre 1839, il passa toute une année dans les prisons et les supplices. Rien ne lui fut épar­gné: la cangue, les fouets, les coups de bâton. Son corps fut tout déchiré de plaies. Il fut étranglé le 11 septembre 1840. J'ai vu le tribu­nal que les missionnaires voudraient racheter, et le lieu 124 du sup­plice où est plantée une pauvre croix.

Une barque nous passa de l'autre côté du fleuve à Han-Yang. C'est la vraie ville chinoise avec son animation, son peuple grouillant, l'en­train de son commerce et de ses petites industries, dans des ruelles malpropres, des culs-de-sacs et des rues mal entretenues dont aucune n'a plus de 5 mètres de large. J'y essayais le palanquin dans toute la longueur d'un interminable bazar. On est bercé et secoué là-dedans. Le siège a des brancards en bambou qui reposent sur les épaules de deux bons Chinois. Ceux-ci alternent avec deux autres qui aident en attendant leur tour. Il faut crier pour se faire ouvrir un chemin dans ces ruelles 125 commerçantes encombrées de gens qui n'ont pas envie de se déranger. Si l'on croise un autre palanquin, comment fai­re? Il faut que l'un des deux se fourre comme il peut dans une étroite boutique, pour laisser passer l'autre.

On en sort, non sans peine.

Le Han sépare Han-Yang de Han-Kéou. La rivière est couverte de jonques dont beaucoup servent d'habitation à des familles nombreu­ses.

Derrière la ville est l'arsenal, le grand arsenal chinois, où l'on fabri­que des fusils Mauser, des canons à tir rapide, des cartouches et une poudre sans fumée. Les trois villes et l'arsenal sont le théâtre des gran­des luttes actuelles entre les révolutionnaires et les conservateurs. 126

Les Pères attirèrent mon attention sur la forme curieuse des colli­nes sur lesquelles sont bâties Wou-Chang et Han-Yang. Les Chinois voient là un feng-choui, ou un bon présage. Ils attribuent la prospérité de Han-Kéou, non pas précisément à sa situation exceptionnelle au centre d'une des plus vastes et des plus fertiles vallées du monde, sur les bords d'un fleuve accessible à la grande navigation, mais surtout à la configuration de son sol, dont les rares reliefs reproduisent à mira­cle les trois emblèmes dont la conjonction est considérée comme la plus heureuse pour un feng-choui de la meilleure condition: le dragon personnifiant la force, le serpent emblème de l'astuce et de la longé­vité, et la tortue qui symbolise la stabilité dans la puissance. 127

Le coteau de Han-Yang forme la carapace de la tortue; la tête est représentée par une petite roche à fleur d'eau, au point de réunion de la rivière et du Yang-tzé. Sur ce rocher a été bâtie une mignonne pago­de, aujourd'hui fort dégradée, qui devait avoir pour effet d'immobili­ser le précieux animal. Sur l'autre rive, la ligne sinueuse des collines, que couronnent les remparts crénelés de Wou-Chang, ne serait autre que le dragon couché. Quant au serpent, sa tête apparaît, parfaite­ment reconnaissable pour les initiés, à l'extrémité d'un promontoire escarpé sur lequel, au temps des Ming, il fut jugé à propos de construi­re une grande pagode à quatre étages, dont le poids s'opposerait à la fuite du reptile. Hélas! la pagode fut incendiée il y a dix ans, mais 128 le serpent est demeuré à son poste et avec lui les présages de pro­spérité (Monnier: l'Empire du Milieu).

Le Fleuve Bleu est de beaucoup le plus important des fleuves de la Chine et l'un des principaux fleuves du monde. Pour le débit de ses eaux, il ne le cède qu'à trois rivaux, l'Amazone, le Rio de la Plata et le Congo. Son bassin comprend presque la moitié de la Chine, avec 200 millions d'habitants. Marco Polo disait déjà que sur le Kian18) flottaient plus de navires portant plus de richesses qu'on n'en aurait trouvées sur les mers et les rivières de toute la chrétienté.

Maintenant encore, le port d'Han-Kéou est rempli de bateaux à vapeur battant tous les pavillons de l'Europe avec ceux de la Chine et du Japon. 129 On y compterait bien 3.000 jonques.

On dit qu'un incendie allumé par la foudre dans le pays de Wou-­Chang en 1850, dévora 700 grosses jonques et des milliers de barques. Cinquante mille matelots trouvèrent la mort dans les eaux ou dans les flammes. Un seul négociant de la ville fit faire 10.000 cercueils à ses frais.

On l'appelle Fleuve Bleu. Il est bleu à sa source dans les montagnes du Thibet, mais il est bien jaunâtre dans son cours inférieur. Son nom a une raison mystique: le bleu est la couleur du principe mâle, et les Chinois regardent le Yant-zé comme le représentant de ce principe dans la fécondité de la Chine.

C'est à Itchang, au-dessus de 130 Han-Kéou qu'il devient naviga­ble. Il rencontre ou côtoie plusieurs lacs, notamment le Toungting qui sépare les deux provinces Hou-nan et Hou-pé. Ces deux noms veulent dire: nord du lac et sud du lac.

Les plaines du fleuve sont les greniers de la Chine. «Ici, c'est la planturosité, dépassé nulle part, c'est l'opulence incroyable de la natu­re, la production universelle: tout y vient à souhait, plantes du nord et plantes du midi, non pas sous le plus chaud, mais probablement sous le meilleur climat de la Chine… On ne peut guère trouver autre part, dans n'importe laquelle des cinq parties du monde, une grande région mieux faite pour donner, sans se lasser, 131 tout ce qu'on lui demande: la fécondité la plus inouïe du sol, la bonne disposition des saisons, les pluies, les rivières, les lacs, les canaux d'arrosage, rien ne manque à la plaine du Yang-tzé inférieur. Comme la Hollande et les Flandres, c'est une sorte de Ville agricole et maraîchère, en même temps que commerçante, avec une extraordinaire densité de popula­tion. La variété des «biens de la terre» y étant comme infinie, le riz, le mûrier, le coton, le tabac, l'arbre à thé, le bambou d'usage universel, y priment les autres cultures» (Reclus).

La pisciculture y est pratiquée depuis les temps les plus reculés. Les Chinois ont dressé le cormoran 132 à la pêche, comme nos aïeux avaient utilisé le faucon à la chasse. J'ai vus ces oiseaux, tous munis d'un collier de fer qui les empêche d'avaler la proie. Ils plongent régu­lièrement de la barque au fond de l'eau et remontent avec un poisson dans le bec.

La flore des collines et des îles est merveilleuse: les roses, les pivoi­nes, les daphnés, les azalées, les camélias, les glycines, recouvrent les furrés et les haies de leurs fleurs en bouquets, en nappes ou en guir­landes. Aucune région sauf le japon, n'offre une telle variété de plan­tes aussi remarquables par la beauté du feuillage, l'éclat des fleurs et la douceur des parfums (Reclus). 133

J'avais le désir de retrouver en Chine le souvenir de mon ancien condisciple et ami de Rome, le P. Aubry. Il a passé là à Han-Kéou, il a remonté le Fleuve Bleu depuis son embouchure, jusque bien haut dans le Kouy-Tchéou.

Comme le dit la préface de ses lettres, c'était une âme riche entre toutes, d'une pureté parfaite, d'une ardeur incroyable, passionnée pour l'immolation d'elle-même au salut du prochain, âme de prêtre, d'apôtre, de martyr; un cœur fort, limpide comme le diamant et d'u­ne tendresse débordante; une intelligence merveilleusement douée, abreuvée aux meilleures sources de la doctrine sacrée, constamment en éveil, et 134 dont les pensées, fortes et originales, s'incarnaient dans un style primesautier, simple, clair, alerte, ému, plein de saveur et d'humour.

Tous ces trésors, J.-B. Aubry les sacrifia au service des âmes les plus misérables et les plus abandonnées, dans la pauvre province chinoise du Kouy-Tchéou. Distingué par son évêque dès le début de ses études théologiques, envoyé par lui au collège romain, où il conquit, à la suite des examens les plus remarqués, le diplôme de docteur, entouré de disciples qu'il enthousiasmait pour les études saintes, réservé aux dignités et aux honneurs, il obéit quand même à la voix de Dieu qui, le jour de sa première communion, l'appelait déjà aux Missions Etrangères. «Il se jeta tête baissée, comme il disait, dans 135 l'abîme du sacrifice qu'il voyait s'ouvrir devant lui…» Il partit, résolu au marty­re et aussi au long martyre de l'apostolat.

C'était en 1875. Il avait 31 ans. Il arriva à Han-Kéou. Il prit le costu­me chinois: la robe bleue en coton, le caraco noir par-dessus; la queue, la pipe, l'éventail.

Deux mois en barque sur le fleuve. Une barque de 15 m. de long, sur 4 de large, comme toutes les jonques que j'ai vues là. La barque a deux mâts, elle a 14 hommes d'équipage. Deux vieux missionnaires l'accompagnent jusqu'au Setchouen: trois cent cinquante lieues. Ils ont avec eux deux courriers chrétiens et un cuisinier.

A Tchong-Kin, il quitte ses 136 compagnons et la barque, pour aller en palanquin au Kong-Tchéou. Après un travail pénible de sept années, il meurt là, le 19 septembre 1882 à 38 ans, seul, momentané­ment éloigné de ses confrères, épuisé de fatigues, dévoré d'inquiétu­des sur le sort de sa chère mission, après avoir connu toutes les souf­frances qui peuvent torturer un apôtre, frappé et lapidé jusqu'au sang. Il meurt sans savoir que son évêque, Mgr Lions venait de le demander au Souverain Pontife pour son coadjuteur…

Il y a là au Kong-Tchéou une jolie chapelle ogivale à toitures chinoi­ses, élevée par Mgr Faurie, en l'honneur de N.-D.-de-Liesse. C'est un lien entre ce pays-là 137 et mon pays natal.

25 novembre. En route sur un bateau anglais de la Cie jardine. Il faut descendre le Fleuve Bleu jusqu'à Nankin.

Fleuve majestueux, un kilomètre de large. Collines au loin, sur la rive droite.

Arrêt à Kiou-Kiang, port d'escale. On nous donne quelques heures pour aller à terre. C'est une préfecture avec 50.000 âmes. Une conces­sion étrangère est installée en avant de la cité chinoise dont les murs d'enceinte ont un développement de 5 kilomètres. Kiou-Kiang appar­tient à la mission des Lazaristes français de Kiang-si. Le Vicaire aposto­lique, Mgr Ferrand est mort récemment. Un jeune Père chinois, fort aimable, nous fait 138 visiter la cathédrale et nous conduit ensuite chez les Soeurs et au Séminaire. Les Soeurs ont l'œuvre de la Ste­-Enfance, avec école-hospice, dispensaire. Comment les Chinois ne voient-ils pas là une religion idéale, toute de charité et de sacrifice.

Au séminaire, le P. Lefèvre, de Tourcoing, un vieux missionnaire, qui n'a plus revu la France depuis de longues années, nous montre ses étudiants occupés à jouer à la balle chinoise, jeu curieux où les jeunes gens lancent adroitement la balle d'un coup de talon. Il nous recon­duit au bateau à travers la ville. Il nous fait remarquer les clubs provin­ciaux, hôtels ou cercles où se retrouvent les gens d'une même provin­ce 139 qui viennent à la ville pour le commerce. Nous rencontrons des vendeurs de sorts, une chapelle dédiée à quelque saint moine, avec une stèle et des ex-voto.

Les rues, comme souvent en Chine, sont étroites, mal pavées et mal­propres.

En route vers Ngan-King. Le fleuve est majestueux. Des îles et des rochers lui donnent de la variété. Comme chez nous, les sommets por­tent des sanctuaires.

Un rocher isolé, haut de 90 m. se nomme l'orphelin. On y monte par un escalier taillé dans le roc et on trouve au sommet une pagode, but de pèlerinage.

Au loin à droite, les monts du Kouling, alpes chinoises où l'aristo­cratie de la province 140 a ses villas dans des sites délicieux. Ces montagnes sont, dit-on, transformées au printemps en immenses bou­quets d'azalées, de rhododendrons et de glycines. On y chasse le fai­san, le lièvre, le chevreuil, le renard.

Il y a là des grottes ornées de stalactites où les Chinois croient reconnaître des figures de Bouddhas formées par la nature. Ngan-King. La ville a la forme d'une barque. Une tour au bord du fleuve porte à ses flancs deux énormes ancres. Les habitants ne sup­portent pas parmi eux les gens qui portent des noms compromettants, comme Peng (voile) ou Tsiang (rame), parce que ces voiles et ces rames pourraient entraîner la ville à la dérive. 141

Ngan-King est capitale de la province de Ngan-Houai, elle a 130.000 habitants. Ses murs ont cinq kilomètres de développement. Elle est entourée d'eau.

La tour est comme le mât de la cité. La ville a beaucoup souffert de la révolte des Taï-ping19) et plus d'une brèche à la muraille en témoigne encore. Un tertre hors de la ville recouvre un monceau de cadavres.

De vastes bonzeries trouvent place dans l'enceinte. Une pagode pos­sède une curieuse représentation de l'enfer bouddhique.

Nous allons descendre vers Wou-hou, mais nous perdons six heures à l'ancre, l'hélice du bateau ne fonctionne plus, il faut la réparer. La compagnie jardine 142 fera bien d'améliorer son matériel.

Toute cette région a été ruinée au milieu du 19e siècle par les rebel­les. La population indigène a presque disparu. Des colons sont venus de Hou-pé et de Hou-nan. Ils ont apporté ici leurs meurs et leur dia­lecte.

Wou-hou a 80.000 habitants. La ville est entourée de murs et sé­parée du fleuve par la concession européenne. En avant de Wou-hou, une tour pagode, les élégantes constructions des missionnaires améri­cains au milieu des rochers et de la verdure, la mission catholique des jésuites de Kiang-nan, avec son majestueux portail à rosace, le consulat anglais, etc.

C'est le P. Rouxel qui est là curé.

Un curieux convoi d'oies sur 143 le fleuve, elles sont bien 500. Elles voyagent à bon marché, une barque leur trace le chemin. Dans la campagne, des biches et des faisans.

Wou-hou a un grand commerce et de nombreux établissements industriels. Sa ficelle rouge est connue dans tout l'Empire, et depuis deux siècles on vante ses couteaux et autres objets en acier. Dans une des vallées voisines, on fabrique le meilleur papier de la Chine pour l'écriture et le dessin: l'écorce de l'arbre à suif, le liber du mûrier et la paille de froment sont les matières premières qu'on y emploie.

Nous passons à Taï-ping qui a donné son nom aux révolutionnaires du siècle passé.

C'est la province du Kiang-sou, 144 une des régions les plus peu­plées du monde. On lui attribue 20 millions de population sur ses dix millions d'hectares. Elle est fertilisée par un grand nombre de rivières et de canaux. C'est une Hollande sous un soleil semi-tropical.

Nankin! J'arrive le soir. Il y a un hôtel du Pont, demi-américain, près du port et de la gare. On y est passablement. Naturellement des petits marchands viennent de suite nous offrir des chinoiseries.

Le 27, messe à l'église de la mission. Le P. Gibert, jésuite, est là, seul. Il a une œuvre de Soeurs indigènes, dites de la Présentation. - C'est dimanche20), les chrétiens chinois sont accroupis pendant la mes­se. Ils chantent 145 presque constamment, à leur manière. - A la messe, je me coiffe de la petite mitre chinoise, c'est l'usage.

Le pauvre père est bien seul en face d'une population de 200.000 âmes!

Nankin fut pendant un temps la métropole de la Chine entière, au 14e et au 15e siècle. Longtemps aussi ce fut la plus populeuse cité du monde. Même lorsque la capitale fut transportée à Pékin, la cité des bords du Yangtzé resta sa rivale par le nombre de ses habitants et sa supérieure en industrie et en commerce.

En 1853, Nankin reprit son rang de capitale pour dix ans, c'était la résidence du souverain des Taï-ping, mais la ville fut prise et détruite 146 en 1864. Elle s'est relevée de ses ruines, mais l'espace enfermé par son énorme enceinte de 30 ou 35 kilomètres, comprend encore bien des champs où je me perdais et où les gens se livrent à la chasse.

On a pu comparer la Nankin des empereurs «jaunes» à la Rome des Césars pour les vastes solitudes, les ruines et les débris.

Elle est à 1.000 kilomètres de Pékin dont elle envie le prestige. Elle a récupéré 200.000 habitants de races diverses, au lieu des 800.000 qu'elle avait en 1850, mais elle a perdu tous les édifices qui faisaient sa gloire. La pagode dite «de porcelaine» jadis si fameuse, fut réduite en débris pendant la guerre des Taï-ping. Ces gens eurent autant d'esprit que nos révolutionnaires en 93. 147 La belle tour, revêtue de porce­laines coloriées avait neuf étages et 80 mètres de haut. Elle dépassait les cent pieds de hauteur au-dessus desquels un édifice incommode le feng-choui, le génie du lieu. Ce fut sa perte. Les Taï-ping la regardaient comme funeste à leur cause.

La ville est industrieuse. Elle possède un arsenal. On y fabrique aus­si des papiers, des tissus de soie et ces étoffes de coton qui, sous le nom de «nankins», ont servi jadis de modèles aux tisseurs d'Europe. Les plus beaux satins proviennent aussi de Nankin.

Des imprimeries et des bibliothèques s'y sont ouvertes. Douze mille jeunes gens y viennent chaque année subir les examens. 148

Parmi les nouveaux habitants, on ne compte pas moins de 50.000 musulmans. C'est peu encourageant pour l'évangélisation chrétienne. Li-hung-Chang21) y a fait bâtir un grand temple à Confucius, mais le culte du philosophe est suranné et le temple, peu visité, commence à se ruiner.

Comme Pékin, la capitale du Sud a son hypogée royal. A quatre kilomètres à l'est de la ville repose le second empereur de la dynastie des Ming, mort à la fin du 14e siècle.

Une longue avenue conduit à la tombe royale qui n'est qu'un tertre de maçonnerie sans ornements. Il y avait là des palais et des temples qui ont disparu. 149 Le long de l'avenue se dressent des effigies colossales d'hommes et d'animaux: mandarins, cavaliers, hommes de guerre; chameaux, éléphants, dragons fantastiques. Des propylées abri­tent une stèle colossale.

Nankin avait son exposition universelle. Pourquoi pas? La Chine se modernise rapidement. Ouverte depuis le 5 juin, l'exposition allait se clore le 29 novembre. Je la visitai le 27.

L'exposition a ses hôtels, ses restaurants, un théâtre, un cirque, un cinéma, des fontaines lumineuses. On se croirait à Bruxelles.

Les divers pavillons sont disposés dans un vaste parc. Chaque pro­vince de la Chine a le sien. C'est ingénieux. Quelques-uns 150 offrent peu d'intérêt, mais d'autres sont de vrais musées. Les vice-rois et gouverneurs ont envoyé des meubles et objets d'art de leurs résiden­ces. Il y a là des vases de tous styles, des soieries, des ivoires, des cloi­sonnés, des bronzes. Les pavillons de Pékin et de Canton sont les plus riches en œuvres d'art. Nankin expose ses soieries; le Hou-nan, ses broderies; le Kwantung, ses vases de tous styles.

Nous ne pouvions pas avoir une meilleure occasion pour apprécier la situation de l'art industriel en Chine.

Le chemin de fer relie Nankin à Shang-Haï. Il sera continué de l'au­tre côté vers Pékin. Mais patience! On ne va pas vite en Chine. 151

En route vers Shang-Haï, on aperçoit au loin les pagodes de Sou­-Chou. Des canaux nombreux arrosent les champs et servent de routes pour la navigation commerciale. Des tombes partout, même des cer­cueils qu'on laisse à découvert. Les campagnards pêchent dans les canaux avec l'aide de cormorans.

Je descends à la procure des Lazaristes, rue Chapsal. Le P. Bouvier22) est procureur. Le P. Guillout vient d'être nommé visiteur. Mgr Reynaud, vicaire apostolique du Tsé-Kiang est de passage.

Près de la procure est un grand établissement des Soeurs de Charité, avec des œuvres de toutes sortes.

Chang-Haï [Shang-Hai] a quatre églises catholiques: la cathédrale, dédiée à St François 152 Xavier, l'église du S.-Cœur, celle de St Joseph, où l'on prêche alternativement en anglais et en français, et une autre au faubourg de Tong-ka-dou.

D'autres missionnaires encore ont leurs procures à Shang-Hai: les Missions Etrangères de Paris, les Missions belges, les Augustins espa­gnols. Nos prêtres travaillent, mais nos ennemis ne se reposent pas: Shang-Hai n'a pas moins de 14 loges maçonniques! Il y a aussi des mis­sions protestantes et une mosquée.

Shang-Hai a 600.000 âmes. Les concessions européennes entourent la ville chinoise. C'est toute une grande ville européenne avec ses hôtels, ses banques, ses bureaux de poste, ses journaux anglais et 153 français.

Les concessions datent de 1842. La Chine les accorda par le traité de Nankin. Shang-Hai avait été pris par les Anglais pendant la guerre dite de l'Opium. L'amiral Parker disposait de 4.000 hommes. Il trouva à Wou-song et à Shang-Hai 580 pièces de canon. Il me semble que le temps viendra bientôt où la Chine ne craindra plus guère les «diables d'Occident».

La concession française a bien 100.000 habitants, mais ils sont pres­que tous Chinois. Il y a 700 Français. Le quai de France, sur le bord de la rivière, a de belles constructions: le consulat général de France, la Banque de l'Indo-Chine, les Bureaux 154 des Messageries Maritimes et la Compagnie allemande de navigation, la Procure des Missions Etrangères. Plus loin, ce sont les docks.

Ce quai est comme un boulevard agréablement planté. Au bord du fleuve il y a le Bureau météorologique qui dépend de l'observatoire des jésuites de Zikaway. Des cartes y indiquent les renseignements reçus de tout l'Extrême-Orient. Les typhons sont signalés à temps pour la navigation. Il y en a un en cours, c'est peu rassurant pour notre pro­chain départ vers les Philippines. Une grosse boule d'osier, reliée à l'observatoire par un fil électrique tombe d'un mât au moment exact du passage du soleil au méridien et permet ainsi le réglage des chro­nomètres. 155

Du côté des concessions étrangères, à signaler le Bund, l'endroit le plus sélect, large quai bien planté, promenade publique, terminée par un jardin où la musique donne des concerts.

Sur le Bund, le Shang-Hai club, le consulat d'Angleterre, la Banque russe et divers monuments, notamment celui qui rappelle «l'armée toujours victorieuse» commandée par Ward contre les Taï-ping en 1863.

La rue la plus commerçante est le Nanking Road. Elle conduit jusqu'à la campagne, aux sources chaudes, lieu de plaisir où se trou­vent des villas, des cafés, des jardins.

Le faubourg de Hong-Kéou a de nombreuses filatures. 156 Shang­-Hai n'est pas sur le Fleuve Bleu, cependant elle sert de port à l'entrée du fleuve. Elle est sur la rivière Houang-pon, qui est reliée au Fleuve Bleu par un canal.

Au port de Shang-Hai, une foule de barques servent de demeure habituelle à leurs propriétaires. Il y a là environ 20.000 âmes, qui n'ont pas d'autre domicile.

Les jonques de mer ont encore ces hauts châteaux d'arrière qu'a­vaient les nefs ou bateaux d'Europe du 15e au 17e siècle. C'est là qu'ha­bitent les gens de l'équipage, autour d'un sanctuaire dédié aux dieux protecteurs.

Intéressante visite à Zikaway. C'est là qu'est le grand observatoire des Jésuites, avec d'autres établissements 157 importants.

Le nom de Zi-ka-way vient de la famille Zi ou Sin. C'était là un fief de la famille. Un des Sin, secrétaire d'Etat au 16e siècle, était ami du P. Ricci et il devint catholique. Il établit là les jésuites, mais plus tard les religieux et la famille elle-même furent expulsés. Les jésuites sont ren­trés en possession de leur bien par le traité de Nankin en 1842. Ils s'in­stallèrent en 1847. L'établissement comprend l'évêché du Kiang-Nan, le séminaire, le collège St-Ignace et une bibliothèque importante. La basilique est à peine achevée. C'est une grande église ogivale dont la façade n'est pas heureuse 158 parce que les deux tours débordent sur la partie centrale, au lieu de faire un tout avec elle.

L'observatoire météorologique, achevé en 1900, se tient en commu­nication au moyen de signaux, avec l'observatoire astronomique qui est à Cho-Chan à 20 kilomètres plus loin. J'ai visité là de beaux instru­ments de précision, la galerie des cartes, une bibliothèque importante.

Le musée d'histoire naturelle avec toute la faune de l'Extrême­-Orient est très curieux: collection de serpents, sauriens, nids d'oiseaux de toutes sortes, etc.

Un peu plus loin, l'orphelinat de garçons avec des ateliers variés, une grande imprimerie, des sculptures sur. bois, des meubles, des pein­tures.

Les Dames Auxiliatrices des âmes du Purgatoire ont là une maison 159 considérable, c'est toute une ville: orphelinat, hospice, Sainte Enfance, ateliers de broderies et de dentelles. La maison compte un millier d'habitants.

Enfin de pieuses Carmélites sont venues là aussi pour demander à Dieu la conversion de la Chine.

J'ai eu le plaisir de faire connaissance avec le P. Dugout23) qui est un spécialiste en philologie.

Le 1er décembre, je visitai le collège de l'Aurore et j'y dînai. Le P. de Lapparent que j'avais connu à Paris à la rue des Postes me fit les hon­neurs de la maison. Un Père japonais enseigne les mathématiques. 160

LES PHILIPPINES

Nous avons un magnifique paquebot japonais, le Korea. Il vient de Yokohama, il va à Hong-Kong, mais il passera par Manille, c'est ce que nous désirions. Il y a à bord des employés et des pasteurs pour les Philippines. Ce sont les américains qui dominent. Cela me rappelle le Chiyo-Maru qui nous conduisit de San Francisco à Yokohama.

L'embarquement est difficile. Les grands navires ne viennent pas à quai à Shang-Hai; le Korea est dans la rade. Un petit vapeur, l'Alexandre, nous y conduit. Il est très agité, nous sommes à la fin d'un typhon qui a sévi les jours derniers.

Nous longeons toute l'île Formose. 161 La grande île a bon aspect. Au centre, une chaîne de montagnes volcaniques est blanche de neige. La côte est verte et fraîche, on y cultive le riz, le maïs, etc. Les coteaux sont boisés. L'île nourrit, dit-on, trois millions d'habitants.

Çà et là, j'aperçois des feux de broussailles, je m'informe, on me dit qu'il s'agit de la récolte du camphre. On chauffe des récipients pleins d'eau. La vapeur monte à travers des claies qui portent des copeaux de camphriers, elle entraîne avec elle le camphre qui va se sublimer dans des pots renversés placés au-dessus des copeaux. C'est ingénieux.

J'arrive le 5 à Manille. Mgr Agius nous reçoit aimablement à sa rési­dence. 162

Je passe là trois bonnes journées. Mgr Agius était un des prélats les plus distingués de la diplomatie pontificale. Maltais de naissance, il savait plusieurs langues. Il appartenait à l'ordre bénédictin. Il devait, hélas! mourir dans l'année. Il avait une tâche difficile, il fallait réorga­niser le clergé des Philippines, décimé par le départ des Espagnoles.

Il y a là huit millions de catholiques, c'est la seule nation catholique de l'Asie, et il y a peu de prêtres.

Ce qui entrave tout, c'est qu'il n'y a pas de ressources. Le nouveau gouvernement a pris les biens d'Eglise. Il a donné quelques millions d'indemnité, mais les grands ordres anciens qui étaient là, les Dominicains, 163 les Augustins, les Récollets ont gardé presque tout. Le St-Siège a reçu deux millions. Qu'est-ce que cela pour soutenir une Eglise de huit millions de fidèles.

Les prêtres font défaut. Mgr Agius appelle des congrégations, mais il n'a pas de ressources à leur fournir. Des prêtres américains sont venus pour essayer, mais ils sont repartis. Ils ont trouvé le climat trop chaud et les moyens de vivre insuffisants.

J'ai vu là Mgr Petrelli, ancien secrétaire du délégué. Il est devenu évêque de Lipa. Il a 500.000 catholiques dans son diocèse et seulement 70 prêtres, et encore la moitié sont invalides. Le bon évêque a des vil­les de 20.000 âmes sans prêtres. Il se désole. 164

Les protestants voient la situation et en profitent. Ils ont introduit là de nombreux pasteurs et on dit qu'ils ont déjà gagné 100.000 âmes au protestantisme. Mais ils inscrivent facilement les gens sans les avoir bien persuadés.

Le grand collège des Jésuites, l'Ateneo est très prospère. Le recteur, le P. Claus, nous fait voir sa chapelle, ses collections, et nous promène en ville. Il a une carriole légère et de bons petits chevaux. Nous traver­sons la plaza Mayor, où la statue de Charles IV rappelle le passé. Nous allons voir le grand pensionnat des Dames du S.-Cœur, puis le labora­toire d'analyses et de recherches scientifiques. C'est 165 un établisse­ment américain de premier ordre. Le P. Lefèvre de Scheut travaille là en amateur. Il nous fait voir à la loupe les microbes du choléra et de la peste. Brrr! J'avais peur que quelque poussière se détachât et vint me rejoindre. Cette maison prépare et vend tous les sérums possibles.

Les Pères de Scheut ont une paroisse de faubourg et des missions dans l'île.

Les gens que nous rencontrons sont tous vêtus de blanc. Ils ont des vêtements légers, de serge ou d'étamine. C'est la race malaise qui domine. Il y a aussi en ville quelques milliers d'Espagnols et de métis, et de nombreux Chinois. On parle dans les îles des dialectes divers. Il y a dans les montagnes 166 des Dayaks à demi sauvages, race indigène, presque blanche et de haute taille. Ils sont encore fétichistes.

Il fait chaud à Manille! La température varie de 21 à 32°. Mais on se baigne journellement.

Visite à la Tabacalera, grand établissement industriel où l'on fabri­que cigares et cigarettes. Les directeurs sont des gentlemen ou des hidalgos distingués qui représentent une riche société de Barcelone. Leurs ateliers sont bien intéressants. Nous avons vu la préparation, le séchage, le classement des feuilles de tabac, puis la fabrication des cigares et des cigarettes de toutes sortes. Pour les cigarettes, on connaît là tous les systèmes: les machines américaines, 167 les machines françaises et la fabrication à la main. Avec les machines, les cigarettes tombent toutes faites l'une après l'autre, c'est plus rapide et plus exact qu'avec les doigts. On fait là 150.000 cigares par jour, et combien de cigarettes!

Nous repassons par le collège le soir; c'était le salut de la neuvaine de l'Immaculée Conception. Sermon, chants, illuminations, tout était très solennel, comme savent faire les jésuites. La façade et les tours étaient aussi brillamment illuminées et cela se voyait de toute la ville.

Le lendemain, Mgr Agius a voulu nous promener lui-même en auto­mobile. En restant en ville, nous n'aurions pas eu une idée exacte des Philippines. Manille 168 est une grande ville espagnole de 200.000 âmes.

Les faubourgs ont déjà le cachet du pays. Il y a de riches résidences avec des parcs superbes, mais il y a aussi de pauvres maisons malaises, toutes primitives. Quelques poteaux et des nattes, cela fait une maison avec un toit de feuilles de palmiers. On dit qu'une maison coûte envi­ron 50 francs à bâtir. Le pays est si chaud! La vie y est si facile. Les fruits viennent abondamment et coûtent si peu! Mais on comprend qui si l'Eglise n'est pas dotée, et s'il faut demander le denier du culte à ces pauvres gens, le prêtres ne sera pas très à l'aise.

Nous parcourons les faubourgs de Binondo, de Tondo, 169 de Santa Ana. Celui-ci a un pèlerinage à la bonne sainte.

Les Chinois sont nombreux, ils s'occupent de blanchissage et de certains petits commerces, mais les Malais n'ont pas voulu les laisser introduire ici l'usage des pousse-pousse, parce que cela ferait tomber l'industrie des cochers, que conduisent gaiement leurs petits chevaux, agiles et nerveux.

Nous allons jusqu'au fort Mac-Kinley. Il y a là tout un camp améri­cain dans un beau site. Les casernes sont semées dans un parc immen­se, agréablement boisé. Les officiers ont de gracieuses résidences avec des vérandas ombragées de lierre terrestre et fleuries d'orchidées. 170

A 6 heures une sonnerie de clairon salue le drapeau, et e drapeau s'abaisse pour la nuit. Il est d'usage que tout le monde sur les routes qui avoisinent le camp s'arrête et salue. C'est l'angélus civil et militai­re.

Nous rentrons par la ville. La musique joue à la place de la Luneta et la foule est nombreuse.

A la maison, on dit le chapelet en commun avant le souper. C'est l'usage de toutes les familles aux Philippines.

Nous voici au 7, fête de St Ambroise, c'est la fête de Mgr Agius: souhaits, fleurs et cadeaux affluent. Les journaux offrent leurs voeux. Mgr Agius est populaire. 171

Nous avons une réunion de fête avant de partir. Mgr a quelques invités. Qui aurait pu prévoir que la Providence se préparait à trancher sa vie quelques mois plus tard.

Nous allons quitter la Venise tagale24). Nous remontons à bord du Korea. Mgr nous accompagne. Les distingués directeurs de la Tabacalera viennent nous saluer à bord et nous font apporter des boî­tes de leurs plus fins cigares. Je remercie sans avoir l'intention d'en user.

Un groupe de musiciens du pays vient jouer à bord avant le départ: violoncelle, guitare et mandoline, c'est gracieux et bien méridional. Quel contraste avec les cuivres du nord! 172

Nous longeons d'abord les côtes. Puis peu à peu nous voyons s'éloi­gner les sommets dénudés et volcaniques.

Sur une longueur de 1.500 kilomètres, se développe l'archipel des Philippines, avec ses 1.200 îles de dimension très diverses, que peu­plent huit millions d'habitants, la plupart de race malaise.

Les missionnaires espagnols ont bien travaillé là, comme dans l'Amérique Latine. Ils s'étaient bien relâchés depuis le 18e siècle et leur expulsion paraît bien être une punition providentielle.

Les Philippines se trouvent dans une des parties les plus tour­mentées de l'écorce terrestre. De nombreux volcans et des tremble­ments de terre fréquents en témoignent.

Le climat est très chaud, mais 173 assez égal: 25° en moyenne en janvier, 29° en mai. La végétation spontanée est très riche. Une sorte de bananier donne l'abaca ou chanvre de Manille, filament très pro­pre à la fabrication des cordages, de chapeaux et de vêtements.

Les principales cultures sont celles du riz, du café, de la canne à sucre et du tabac. Le cocotier est cultivé pour l'huile qu'on extrait de son amande. Les fruits sont très variés, les oranges sont délicieuses et les papayes rafraîchissantes.

La population des Philippines ne contient pas moins, dit-on, de 84 peuples ou tribus de langues différentes. Cela ne facilite pas l'œuvre des missionnaires. 174 Les négritos, au nombre de 25.000 sont peut­-être la population primitive. Ils vivent de chasse et quelques-uns habi­tent sur les arbres.

Les maros, dans les îles Soulou et Mindanao, sont musulmans. Ce sont les derniers venus.

Les Tagals, du type malais, race souple et intelligente, sont au nom­bre de sept millions et tous catholiques. Si on pouvait en faire des apô­tres pour toute l'Asie méridionale où dominent les Malais! Le Père Recteur du séminaire à Manille nous disait qu'avec une éducation soi­gnée, on peut en faire de très bons prêtres. 175

HONGKONG ET CANTON

10 décembre. Nous voici de retour en Chine.

Avant d'entrer, nous saluons au loin la presqu'île de Macao où Camoëns acheva les Lusiades et d'où l'on expulse bêtement aujourd'hui les moines et les religieuses, et l'île de Sancian où mourut St François Xavier, le modèle et le patron des missionnaires.

L'Espagne et le Portugal d'aujourd'hui ne produisent plus d'hom­mes de cette trempe.

L'île de Hongkong a un grand aspect. Du côté de la pleine mer, les beaux établissements des missionnaires et quelques villas fleurissent de leurs blanches murailles le fond boisé de la côte. 176 Du côté du continent, le chenal sert de port et la grande ville anglaise de Victoria s'étend au milieu d'une végétation luxuriante, au pied du Peak qui s'élève à 1.200 pieds.

Je descends à la Procure des Missions Etrangères, Caine Road 34. Le procureur, le P. Robert, a une grande influence. Il nous fera visiter la ville.

La cathédrale, de style gothique est près de la procure. Ce sont les Missionnaires de Milan qui desservent Hongkong. Ils ont 16.000 catho­liques. Mgr Pozzoli habite près de la cathédrale avec quelques Pères. Il

y a une chapelle de St Patrick pour les catholiques irlandais de l'autre côté du Jardin public.

Près de la cathédrale, les Soeurs Canossiennes avec leurs œuvres. 177 Je rencontre à l'évêché des Salésiens expulsés de Macao où les Portugais agissent comme des goujats. Ce peuple était pourri depuis longtemps. Macao a été longtemps un marché d'esclaves. La ville actuelle est encore caractérisée par ses maisons de jeu, par sa corrup­tion, par la préparation et la consommation de l'opium.

Hongkong a ses grands hôtels, ses clubs et ses banques. La ville s'é­tage sur les pentes assez raides des rochers qui forment l'île. La partie haute, semée de villas, est habitée par les Anglais, tandis que leurs bureaux sont installés dans les quartiers voisins de la plage, la New Praya. Tout l'ouest de la cité est habité par les Chinois.

Derrière les nouveaux quais, 178 la rue des Voeux était autrefois sur le bord de la mer, avant la construction du nouveau quartier mari­time. Dans l'intérieur, la Queen's road est la grande rue commerçante. On y peut trouver toutes les curiosités de la Chine, de l'Inde et du japon.

Une statue de bronze de la reine Victoria rappelle son jubilé de 1887.

Sur le quai, à l'est, bel établissement de la Ste Enfance, admirable­ment tenu par les Soeurs de St-Paul de Chartres. Ces Soeurs savent tirer parti de tous les déchets de la société. Elles ont des aveugles qui cousent et qui tricotent. J'ai vu une orpheline sans bras, qui coud avec ses pieds.

La race malaise et celles qui y confinent ont manifestement des for­mes simiesques: des doigts grêles, des 179 pieds agiles, des mâchoires proéminentes.

Plus loin, à l'est, le champ des courses et des sports, Happy Valley. Il y a par là six cimetières différents: ceux des Hindous, des Parsis, des Protestants, des Catholiques et des Mahométans, et chacun y observe les coutumes de sa race et de sa religion.

Le jardin public est superbe, il est tout tropical et si pittoresque avec ses rochers et ses ravins. J'admire les araucarias du japon, les hibiscus à fleurs mauves, des plantes à brartées [?] coloriées de brun, des bohinia à fleurs rouges, des banians à racines adventives, des fougères arbores­centes, des manguier, des caoutchoucs, des flamboyants de la famille des mimosas, des palmiers-éventails. - Ce sera un des plus beaux jar­dins que je verrai. 180

Excursion au Peak avec le funiculaire. De là, descente aux établisse­ments des missionnaires: Béthanie avec son sanatorium et Nazareth avec sa grande imprimerie. Ces maisons sont dans un site superbe, en vue de l'océan. Nous revenons à pied en tournant le Peak. Les Anglais ont fait de cet îlot sauvage un pays enchanteur.

Mgr Mossard, de Saïgon, se reposait à Béthanie, il nous accompa­gnera le lendemain à Canton. Il a un serviteur annamite, dévoué com­me un chien. Il le surnomme Bayard, ce qui veut dire, je crois, «grand­mère» en annamite.

181 Table des matières

Corée Environs de Pékin 91
Fusan, 10 novembre 1Progrès de la foi 94
Séoul 3Le chemin de fer belge 98
Les oeuvres 8Pao-ting-fou 104
Evangélisation de la Corée 10Tchen-tin 107
Le paganisme en Corée 18Le Fleuve jaune 108
En route 21Au coeur de la Chine 110
Les produits de la Chine 112
Mandchourie Han-Kéou 115
Antung 25Le commerce 119
En route 26Wou Chang 121
Moukden 30Les martyrs 122
Le Consul 34Han-Yang 124
La mission 36Le feng-choui 126
En voyage 37Le Fleuve Bleu 128
Souvenirs du P. Aubry 133
Chine Kiou-Kiang 137
Pékin, 17 novembre 39Ngan-King 139
Les Légations 42Wou-hou 141
Impressions 44Nankin 144
L'observatoire 48Exposition 149
Le Pei-tang 51Chang-Haï [Shang-Hai] 151
Historique 56Zi-ka-way 156
La Ville Rouge 61
Les Temples 62Les Philippines
Quartier du nord 66Le Korea: Formose 160
La ville chinoise 68Manille 162
Kouan-Yin 73Excursions 167
Eclairage et propreté 74L'archipel 172
Tien-tsin 78
Lesjournaux 81Hongkong et Canton
Les Concessions 87Hongkong 175

1)
Corée (Bienheureux martyrs de). La Corée, évangélisée par les prêtres de la Société des Missions étrangères de Paris, a donné de nombreux martyrs à l’Eglise dans le cours du XIXe s. Soixante-dix-neuf d’entre eux ont été béatifiés par Pie XI le 5 juillet. 1925: 1 évêque, 2 prêtres français, 1 prêtre coréen et 75 chrétiens ou chrétiennes. Voici une petite notice sur les quatre premiers. Laurent Imbert. Né le 23 mars 1796, à Marignane, dioc. d’Aix; entré au séminaire des Missions étrangères de Paris le 8 oct. 1818; ordonné prêtre le 18 déc. 1819; parti le 20 mars 1820 pour le Se-Tchoan (Chine); vicaire apostolique de la Corée en 1836; décapité à Sai-nam-hte près de Séoul le 21 sept. 1839. Pierre Maubant. Né le 20 sept. 1803, à Vassy, choc. de Bayeux; prêtre le 13 mai 1829; entré au séminaire des Missions étrangères de Paris le 18 nov. 1831; parti le 5 mars 1832 pour la Corée; décapité à Sai-nam-hte le 21 sept 1839. Jacques Chastan. Né le 7 oct. 1803, à Marcoux, dioc. de Digne; prêtre le 23 déc. 1826; entré au séminaire des Missions étrangères de Paris le 13 janv. 1827; parti le 22 avril 1827 pour le Siam; envoyé en Corée en 1833; décapité à Sai-nam-hte le 21 sept. 1839. André Kim. Né en 1821 dans la province de Tchyoung-Tchen (Corée); ordonné prêtre à Shanghaï le 17 août 1845; rentré en Corée, il fut décapité le 16 sept. 1846.
2)
Berneux (Mgr François-Siméon), vicaire apostolique de Corée, martyr. Il naquit le 14 mai 1814 à Château-du-Loir où son père était coutelier, entra au grand séminaire du Mans en 1830 et, ordonné prêtre le 20 mai 1837, fut répétiteur, puis professeur de philosophie au grand séminaire. Le 15 juill. 1839 il fut reçu au séminaire des Missions étrangères; il embarquait six mois plus tard pour le Tonkin occidental où il arriva le 16 janv. 1841. Dès le jour de Pâques, il fut arrêté à Phuc-Nhac avec M. Galy, autre missionnaire, et conduit en cage à Narn-Dim, puis dirigé sur Hué où devait l’attendre une condamnation à mort. L’intervention d’un marin français, le capitaine Lévêque, le fit libérer et diriger sur la France. Mais, arrivé à l’île Bourbon, il obtint de retourner à Macao, s’embarqua sur la corvette l’Alcmène et arriva à destination le 23 août 1843. Deux mois plus tard, il fut envoyé comme pro-vicaire en Mandchourie. Mgr Verrolles le prit comme coadjuteur en 1854 et, en déc., le pape le nommait vicaire apostolique en Corée et évêque in par­tibus de Capse. Sacré le 27 déc. 1854, il se mit en route le 17 janv. de l’année suivante par Chang­-Haï. En mars 1856 il se cachait à Séoul pour apprendre le coréen. Il commença ensui­te la visite de son diocèse où les conversions au catholicisme étaient interdites sous peine de mort. Le nombre des chrétiens s’accrut cependant de plusieurs milliers; un séminaire et deux imprimeries furent établis. Le 23 févr. 1866, Mgr Berneux fut arrêté ainsi que MM. de Bretenières, Beaulieu et Dorie; le 8 mars, il fut martyrisé avec ses compagnons. Il avait, avant d’être décapité, subi de cruels supplices. Ses restes, recon­nus le 30 oct. 1899, furent déposés dans la cathédrale de Séoul.
3)
Daveluy (Marie-Nicolas-Antoine), évêque missionnaire. Né le 16 mars 1818 à Amiens, il fit ses études au petit séminaire de St-Riquier et au séminaire St-Sulpice à Paris. Ordonné prêtre le 18 déc. 1841, il devint vicaire à Roye, puis entra au séminaire des Missions étrangères, le 4 oct. 1843. Il partit le 6 févr. 1844 pour le japon, mais fut affecté finalement à la Corée, où il aborda le 12 oct. 1845. Après avoir étudié la lan­gue, il commença ses tournées apostoliques en 1846 et fut quelque temps, en 1848, chargé de la direction du séminaire. Il rédigea un dictionnaire chinois-coréen­-français, traduisit plusieurs ouvrages coréens d’histoire et de chronologie. En 1857, il fut nommé coadjuteur du vicaire apostolique de Corée, avec le titre d’évêque d’Acônes, et fut sacré le 25 mars à Séoul. Il composa alors différents ouvrages pour l’instruction des chrétiens et rédigea des notes biographiques sur les martyrs et les «confesseurs» coréens. C’est avec ces documents, envoyés au séminaire des Missions étrangères à Paris, que M. Dallet a écrit l’Histoire de l’Eglise de Corée. La persécution sévissant, Mgr Daveluy fut arrêté avec plusieurs autres missionnaires au début de 1866. Son vicaire apostolique, Mgr Berneux, ayant été décapité le 8 mars, il lui succéda et, comme lui, fut traduit devant des juges. II fit l’apologie du christianisme, fut longue­ment torturé et enfin décapité, à son tour, dans des conditions atroces, à Syon-Yang, le 30 mars 1866. Ses restes reposent dans la cathédrale de Séoul depuis 1900.
4)
Bretenières: il s’agit de deux frères, Just et Christian, fils du magistrat Edmond, dont le grand-père avait acquis la seigneurie de Bretenières. Le premier, Simon-Marie­-Antoine-Just, né à Chalon-sur-Saône le 28 févr. 1838, entra au séminaire des Missions étrangères en 1861, fut ordonné prêtre le 21 mai 1864 et partit pour la Corée le 15 juillet suivant. Arrivé à Séoul en 1865, il fut arrêté et emprisonné le 25 févr. 1866 avec son évêque Mgr Berneux et deux compagnons. Tous les quatre furent décapités près de Séoul le 8 mars 1866; leur procès de béatification est en cours. Christian, né le 27 avr. 1840, prêtre et professeur, eut une vie active d’apostolat populaire et d’éducateur, à Fontaine-lès-Dijon, puis aux écoles de St-Ignace et de St­François de Sales à Dijon, au milieu des difficultés causées par les mesures de politi­que antireligieuse de 1880 et par la mésentente avec le nouvel évêque de Dijon, Mgr Le Nordez, qui servait plutôt la politique gouvernementale que les intérêts de l’Eglise. Le prélat voulut modifier profondément l’institution dirigée par l’abbé de Bretenières. Appel fut fait à Rome des décisions épiscopales; le prélat convoqué par Pie X refusait d’obéir, ne partit que contraint et forcé, et dut se démettre de son évê­ché. Cette affaire fut l’un des prétextes de la dénonciation du Concordat. M. de Bretenières mourut le 28 févr. 1914. (Cf. NHV IV, 145; V, 38.108; VI, 257-258; VIII, 34.35; IX, 166; X, 56; XI, 6. 13 bis. 32. 33. 173; XII, 41; XV, 68).
5)
En 1592, les ambitions territoriales du dictateur japonais Toyotomi Hideyoshi le poussèrent à envoyer ses troupes en Corée, d’où elles devaient attaquer la Chine des Ming. Grâce à la supériorité technique de leur marine, dotée des premiers cuiras­sés, les Coréens infligèrent deux importantes défaites aux envahisseurs; ceux-ci se retirèrent en 1598.
6)
Cf. NHV VII, 25; VIII, 30-34.
7)
Ginseng (du chinois Jen-chen, plante-homme). Racine d’une plante du genre panax (Aralia ginseng). Les Chinois considéraient jadis cette racine comme un merveil­leux tonique, et ses ressources les plus précieuses après le thé.
8)
La nièce du P. Dehon, Marthe Marie Louise (1865-1951) avait épousé en secondes noces, en 1899 le comte Alphonse André Robert de Bourboulon (1860­1931), grand chambellan du roi de Bulgarie.
9)
En 1900 les membres d’une société secrète, celle des Boxers, mènent contre les étrangers, dans le Chan-long, une violente campagne dont les missionnaires sont les premières victimes. Le mouvement s’étend jusqu’à Pékin, où les Légations sont assiégées et isolées, les renforts envoyés à leur aide ayant été repoussés. La Cour impé­riale laisse faire, et le ministre d’Allemagne est assassiné. Il faut une expédition inter­nationale pour délivrer les Légations (1900). Les puissances imposent à la Chine des sanctions, des mesures pour la sauvegarde des étrangers et une indemnité de près de 2 milliards de francs-or.
10)
Giovanni di Monte Corvino (1247-1328), franciscain, un des premiers grands missionnaires de l’Asie. Il reçut de Nicolas IV un large mandat pour la propagation de l’Evangile en Asie. En 1294, il arriva à Khànbaliq (Pékin) et remit au Grand Khan les lettres de Nicolas IV. Il s’adonna avec ardeur à la prédication de l’Evangile. Célestin V le nomma archevêque et patriarche de tout l’Orient et envoya pour le sacrer sept fran­ciscains, évêques suffragants, accompagnés de plusieurs prédicateurs. Nombreux d’entre eux moururent en Inde, une bonne partie parvinrent à Pékin. Le Frère Giovanni fut sacré archevêque de Pékin. II y mourut à l’âge de 81 ans, en 1328.
11)
Odorico da Pordenone (v. 1265-1331), franciscain. Il a laissé le récit de ses voyages et de son apostolat en Orient, et aussi dans le Cathay (la Chine). De Canton, en pas­sant par diverses villes chinoises, il arriva à Khànbafq (Pékin), où il resta trois ans. Il a laissé d’importantes notes sur les us et coutumes de la Chine médiévale. Comme pré­dicateur de l’Evangile, il convertit et baptisa environ 20.000 infidèles
12)
Marco Polo: voyageur italien (v. 1254-1324). Avec son père et son oncle, il entre­prit un voyage qui, à travers la Mongolie, les mena jusqu’en Chine (Khànbaliq, auj. Pékin, 1275). Ils demeurèrent plusieurs années à la cour du Gran Khân Kûbilây (fils de Gengis Khân). Il dicta à son retour (1298) le Livre des merveilles du monde. Il fut sur­nommé «Messer Milione».
13)
Ricci (Matteo: 1552-1610). Jésuite, missionnaire en Chine. Entra dans la Compagnie de Jésus en 1571. II fit ses études à Goa (Inde) où il fut ordonné prêtre. En 1582, il arriva à Macao (Chine) et étudia la langue et la littérature chinoises. En 1598, il arriva à Pékin où il choisit sa demeure à partir de 1601. Il fut bien accepté et protégé par l’empereur Wanli. La méthode de l’apostolat de M. Ricci est simple: la plus grande sympathie et le respect des valeurs spirituelles et intellectuelles chinoises, la connaissance la plus parfaite possible de la langue, l’emploi de la science pour ouvrir la voie à l’évangélisation, l’apostolat par la plume et par la conversation, l’atten­tion aux classes cultivées desquelles dépend le gouvernement du peuple.
14)
Taël: unité monétaire chinoise.
15)
Li-Hung-Chang [Li Hong-tchang], homme politique chinois (Ho-pei 1823 -Pékin 1901): il fut gouverneur du Kiang-sou, vice-roi du Tch’o-li (1870), où il réprima la xénophobie, puis chef des forces opérant contre la France (1883). A la tête de la diplomatie, il négocia les traités de T’ien-tsin (1884), de condominium sur la Corée (1885) et de Shimonoseki (1895). Très dévoué à la Russie, il lui réserva l’influence en Mandchourie et la cession à bail du Leao-tong (1898). Vice-roi de Canton (1899), puis du Tch’ô-li (1901), il liquida la guerre des Boxers par le traité de Pékin. Il était le type du mandarin de l’époque impériale, lettré et habile, très préoccupé de ses intérêts personnels.
16)
Clet (François-Régis), bienheureux. Dixième enfant d’une famille de quinze, il naquit à Grenoble le 19 août 1748; entré chez les lazaristes, il prononça ses voeux le 18 mars 1771 et fut ordonné prêtre le 27 mars 1773. Son premier poste fut celui de professeur de morale au grand séminaire d’Annecy; il y resta quinze ans. Le 10 avril, il s’embarqua à Lorient pour la Chine. Il se rendit au Kiang-Si dont il fut le premier mis­sionnaire européen; il y resta jusqu’en 1793, date à laquelle il partit pour la province du Hou-Kouang. Devenu supérieur de la mission, il eut à subir les persécutions de 1805, 1811 et 1818. Arrêté aux environs de Nan-Yang-Fou, le 6 juin 1819, emprisonné et torturé à diverses reprises, il fut condamné à la peine de mort par strangulation. Son martyre eut lieu dans la nuit du 17 au 18 févr. 1820 à Ou-Tchang-Fou. Il fut béati­fié le 17 mai 1900.
17)
Jean-Gabriel Perboyre fut proclamé bienheureux par le pape Léon XIIl, le 9 novembre 1889.
18)
Yang tzu Chiang ou Fleuve Bleu.
19)
T’ai-p’ing (Grande Paix), mouvement politique et religieux qui agita la Chine de 1851 à 1864. Son fondateur, Hong Sieou-ts’iuan, voulait sauver la Chine, alors en pleine décadence. Il souleva les mécontents, paysans du Kouang-si, prolétaires des ports, et rencontra l’appui de sociétés secrètes, comme celle des Triades, opposées à la dynastie mandchoue. Pour ceux qui le suivaient, Hong fonda la secte des «Adorateurs de Dieu», qui mêlait à quelques notions tirées de la Bible de très vieilles traditions chi­noises. En janvier 1851, il annonça la fondation de l’Etat T’ai-p’ing et prit, avec le titre d’empereur, le nom de Tien Wang («Roi du ciel»). Il émancipa les femmes, organisa un collectivisme agraire, détruisit le pouvoir des mandarins et utilisa la Bible comme livre d’examen pour ses fonctionnaires. Son armée, disciplinée, lui permit de conqué­rir la basse vallée du Yang-tseu (fin 1852 – début 1853) et d’installer sa capitale à Nankin (1853), mais ses auxiliaires se divisèrent, et il ne put conquérir la Chine du Nord. T’ien Wang condamna les Triades et finit par confier tous les postes clefs à ses proches parents. Le mouvement T’ai-p’ing rencontra l’hostilité des missionnaires catholiques, qui n’y voyaient qu’une parodie de leur religion, puis des commerçants français et anglais, qui préféraient appuyer la faible dynastie mandchoue. En 1862 commença l’offensive générale contre les T’ai-p’ing, qui menaçaient Chang-hai; les troupes impériales, aidées par des aventuriers européens (l’«armée toujours victorieu­se» de l’américain Ward et de l’anglais Gordon), prirent Nankin (19 juillet 1864), où T’ien Wang venait de se suicider. Les derniers rebelles se réfugièrent au Tonkin.
20)
Le 27 novembre était un dimanche (comme c’était le cas réellement en 1910). C’est donc inexact ce que dit le P. Dehon à la p. 99 concernant l’express Pékin – Han­kéou qui part de la capitale le jeudi et arrive à Han-kéou le dimanche. En plus, il affir­me que les trains directs mettent 30 heures à 60 km / heure. En réalité, en divisant 1214 km (la distance entre Pékin et Han-kéou par 30, nous obtenons la moyenne de 40 km heure. En outre, de jeudi à dimanche, nous avons quatre jours, deux journées incomplètes (jeudi et dimanche) et deux journées complètes (vendredi et samedi = 48 heures). Il y avait donc suffisamment de temps pour 60 heures et non seulement pour 30. On peut remarquer encore que le 21 novembre 1910 était un lundi et non pas un mercredi comme écrit le P. Dehon aux pp. 96-99: «Le 21 novembre, en route pour Han-kéou… Je partis le mercredi de Pékin par un semi-direct, pour pouvoir m’arrêter une journée à Pao-ting-fou et y reprendre l’express du jeudi». Le séjour du P. Dehon à Han-kéou, Won-Chang, Han-Yang doit être au moins de deux journées environ. Les 25-26 novembre, il navigue sur le «Fleuve Bleu» et arrive le soir du 26 à Nankin. Le 27 novembre, dimanche, il célèbre la messe à Nankin
21)
Cf. ci-dessus, note 15 de ce même Cahier XXX.
22)
M. Bouvier, missionnaire lazariste en Chine, responsable de la procure des laza­ristes à Shang-Hai. On garde de lui une lettre en réponse aux remerciements du P. Dehon pour l’hospitalité qu’il avait reçue. Elle est datée du 23 mars 1912. Il rappelle surtout la révolution des Boxeurs dans le Chan-Tong (cf. ci-dessus, note 9). «Que d’évé­nements, dit-il, depuis votre voyage en Chine et dans l’Extrême-Orient. Et que de disparus parmi ceux que vous avez rencontrés» (AD, B.88).
23)
Dugout (Fleury), missionnaire en Chine et philologue. On garde de lui une let­tre datée: «Zi-ka-wei, près Shang-Hai, le 2 Mai 1911». C’est pour répondre à une lettre du P. Dehon sur l’origine des langues. En voici le texte: «Je vous suis vraiment recon­naissant de la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire le 6 avril au sujet de mon petit Atlas philologique. Si les quelques pages de ma préface ont pu vous montrer que je n’entendais point proposer de théories mais bien examiner un fait, le fait actuel de la diversité des langues, je n’ai pu me dispenser d’adopter certains termes reçus de tous les philologues, tels que les noms des 3 grandes familles de langues flexionnelles (ou plutôt de deux d’entre elles). Il est également certain que la solution que vous indiquez à propos de l’origine des langues monosyllabiques et agglutinantes séduit par sa simplicité: elle n’est toutefois pas nécessaire, dans l’état actuel de la science, pour expliquer la différentiation des idiomes et, comme le résume très bien Vigouroux (Dictionnaire de la Bible, article «Déluge»), il est prudent de s’en tenir encore à l’opinion contraire…» (AD, B. 21/6-2).
24)
Tagal est synonyme de Philippines. Tagal(s), population des Philippines. Principal groupe de l’île de Luçon (où se trouve la capitale, Manille), les Tagals sont des Malais, parfois croisés avec des Chinois ou des Négritos. Tagal: langue nationale de la république des Philippines. On dit aussi Tagalog.
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