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34e CAHIER

1911-1912

Notes quotidiennes

Le 2 mars, me voici à Marseille. Je salue Notre Dame de la Garde à mon retour, comme j'ai salué Notre Dame du Voeu à Cherbourg au départ.

Sans m'arrêter à Marseille je vais à Cannes où ma famille se trouve réunie. C'est une visite de condoléance à Mme M.1) qui a perdu récem­ment sa soeur, et une visite de retour à mon frère qui est là avec tous les siens.

Deux jours me suffisent à Cannes. Je vais remercier Notre Dame du bon Voyage et je fais une promenade avec mon frère vers les jardins gracieux et fleuris 2 du Cannet. - Le 4, séjour à Nice pour voir le Bon Père Harmel et mon assistant le Père Charcosset, qui a été souffreteux tout l'hiver. Nous avons tant de choses à nous dire pour me remettre au courant des choses de la Congrégation!

Le 6 j'arrive à Rome. Mon voyage se trouve ainsi bouclé depuis le mois de mai que j'avais quitté Rome. Je suis heureux de me retrouver en famille. Je fais à Rome mes pèlerinages aux basiliques et aux princi­paux sanctuaires. Je vais voir nos amis. Je remets au secrétaire de la Propagande des notes sur les missions2). Le Cardinal Gotti3) me remer­cie par une lettre très bienveillante.

Chez les Pères Blancs, je vais voir 3 le P. Joseph Birrano, dont j'ai vu le cousin au japon. Je porte au P. Esser, au secrétariat de l'Index, des nouvelles de son neveu, missionnaire oblat à Ceylon.

Voici qu'arrive à Rome Mgr l'archevêque d'Allahabad4) avec son secrétaire le P. Joseph. Je suis heureux de les revoir, ils ont été si aima­bles pour moi là-bas aux Indes. Mgr Tiberghien5) m'invite à dîner avec eux, et avec un Père capucin anglais qui est nommé archevêque de Simlah6).

Rome et Turin célèbrent le cinquantenaire de la proclamation du royaume d'Italie7). On pousse fiévreusement à Rome les travaux com­mencés, le Monument de Victor Emmanuel, le Pont du même nom, la Promenade archéologique, etc. 4 Rien n'est fini, on inaugurera quand même et on achèvera après. Rome a son Exposition. Elle n'est pas prê­te, c'est un fiasco. Rome n'est pas faite pour ces travaux hâtifs et ces foires modernes. L'exposition des Beaux-Arts est pauvre aux Monts Parioli. Il restera cependant quelque chose de ce brouhaha: un achè­vement du Pont Victor Emmanuel, ce qui permettra d'enlever l'horri­ble pont de fer; un redressement de la voie flaminienne; le nettoyage et quelque arrangement au Château St-Ange et aux thermes de Dioclétien… J'aime toujours à voir ma vieille Rome se nettoyer et s'em­bellir un peu.

Le Vatican suspend les pèlerinages cette année, il ne veux pas que 5 les fêtes religieuses se mêlent aux fêtes profanes. On a craint beaucoup que ce cinquantenaire ne fût l'occasion de violences contre le Vatican et l'Eglise, mais le gouvernement parait disposé à éviter toute esclan­dre.

Le sentiment des catholiques italiens a bien évolué. On aime la grande Italie, tout en désirant qu'il y ait un arrangement avec le Pape pour qu'il retrouve plus de respect et d'indépendance sans cependant compromettre l'unité italienne.

J'ai une bonne audience du Saint-Père le 11, c'est le mardi saint8). C'est une longue causerie sur le tour du monde et les missions. Je trou­ve le Saint-Père très renseigné sur les personnes et les choses. 6

Après quelques mots échangés sur le succès du Congrès de Montréal, je lui parle de l'évangélisation de l'Ouest Canadien. Les émigrants affluent, de toutes races et de toutes langues. Le Pape sait combien les Ruthènes manquent de prêtres là-bas, il encourage tout ce qui se fait, notamment à St-Boniface, pour leur donner un clergé national et non marié.

Je lui fais remarquer l'utilité qu'il y aurait d'évangéliser les colons Chinois et Japonais qui affluent aux Etats-Unis. Nous avons déjà laissé les protestants nous devancer pour l'évangélisation des nègres améri­cains, ferons-nous la même faute pour les jaunes?

J'exposai au Saint-Père les difficultés actuelles de l'apostolat au 7 Japon. Ce peuple est sans grâces en ce moment parce qu'il est trop orgueilleux. Il y a cependant des missionnaires dévoués et de bons col­lèges de Marianistes. Il faudrait pousser davantage à la formation d'un clergé indigène.

Le Pape nous rappelle qu'il est propriétaire au japon. Il a reçu en don une colline… mais elle a peu de valeur. Il espère qu'une œuvre de science allemande réussira là-bas. Il a envoyé des Jésuites. Attendons.

Pour la Corée, la Mandchourie, la Chine, nous lui donnons de bon­nes nouvelles. Les missions marchent. Il faudrait là des réunions d'évê­ques. Il n'y a pas d'entente pour les méthodes d'apostolat, pour le tex­te du catéchisme et des classiques, etc. 8

Ces Pays n'ayant pas de délégués apostoliques, celui des Philippines ne pourrait-il pas y avoir au moins une fonction de visiteur?

Aux Philippines, quelles difficultés! Le manque de prêtres et de res­sources est alarmant. Les Etats-Unis ont donné une belle indemnité pour les biens d'églises, environ 30 millions; mais les ordres religieux espagnols ont revendiqué cela. Le Saint-Père a pu avoir à peine deux millions pour aider au relèvement de l'Eglise des Philippines, et enco­re est-on venu le supplier de donner un demi-million pour l'Université des Dominicains à Rome.

A Ceylan, le Diocèse de Kandy9) est aux mains d'un institut religieux qui se recrute trop peu et les protestants y gagnent du terrain. 9 Le Saint-Siège avisera.

Aux Indes, il y a des progrès consolants, surtout dans le Nagpur, mais les ouvriers évangéliques ne sont pas assez nombreux. Il y a là 60.000 catéchumènes qui demandent l'enseignement du catéchisme et le baptême.

Les enclaves portugaises dans les diocèses indiens sont bien gênan­tes. Le St-Siège le sait, et les événements du Portugal auront peut-être cet effet salutaire de permettre d'arranger cela.

Le St-Père aimait à prolonger cet entretien. On s'en étonnait dans Fanti-chambre, puis on reconnut que c'était une audience exception­nelle.

Je quitte Rome le 28 avril. Je passe quelques heures à Florence. 10 Il y a là une exposition toute spéciale, mais combien plus intéressante que celles de Rome et de Turin. C'est l'exposition du portrait au Palazzo Vecchio. Ce palais lui-même vaut une exposition. Il est tout ouvert: grands et petits appartements. Tout y est digne de Florence. Le vieux palais, c'est Florence avant le luxe et le paganisme de la grande Renaissance. C'est la Renaissance telle qu'elle aurait dû rester: fine, sobre et chrétienne.

Au-dessus de l'entrée du palais est représentée l'Hostie rayonnante avec cette inscription: Rex regum et Dominus dominantium (Apoc. 19,16). Florence et Sienne ont glorifié le règne du Christ-Eucharistie.

Dans la chapelle du palais, 11 on voit encore l'Hostie régnante avec ces mots: Sol Justitiae, Christus Deus noster regnat in aeternum.

Dans la salle du Conseil: Quaerite primum regnum Dei et haec omnia adjicientur vobis (Mat. 6,33). C'est partout le règne de Dieu.

Les trente salles du palais sont remplies par l'exposition du portrait. On a réuni là des portraits de princes et des portraits d'artistes de tou­tes les écoles. Les cours d'Europe en ont prêté et puis les châteaux et palais d'Italie en ont tant, depuis Naples jusqu'à Turin. Il y a là bon nombre de chefs d'œuvres et un ensemble qu'on trouvera difficile­ment une autre fois.

Une exposition de peintures qui 12 ne blesse en rien la modestie, c'est rare!

Après Florence, Turin. Messe à l'autel du Saint-Suaire. Visite à l'Exposition. Le site est merveilleux, c'est sur les rives du Pô, dans un vaste parc, avec le charme d'un beau fleuve et de collines boisées. Les pavillons s'achèvent, rien n'est fini, et je ne trouve rien qui me séduise. Palais de ciment, de plâtre et de carton, cela devient monotone. Cela a son charme, comme un décor de fête, mais il y manque l'impression de la stabilité et de la durée.

Albino - Visite à la petite œuvre. Tout est ici en voie de progrès. Puisse la moisson de l'automne correspondre aux espérances du prin­temps!

je passe à Paris que j'avais quitté le 6 août précédent pour Cherbourg, 13 cela fait neuf mois, de Paris à Paris. Visites d'actions de grâces à Montmartre, à Notre Dame des Victoires, à St Sulpice. Paris me semble étroit, entassé et resserré, en comparaison des villes améri­caines, avec leurs avenues infinies et leurs résidences semées dans les jardins. Paris a 500 ans de trop. On ne parviendra plus à l'adapter aux moeurs modernes, aux automobiles, aux bicycles, aux autobus. On croit faire une grande œuvre quand on élargit les rues de Paris d'un mètre ou deux, il faudrait des entailles nombreuses qui seraient trop coûteuses. On tracera sans doute plus largement les quartiers neufs qui vont remplacer les remparts.

je rentre à St-Quentin. 14 Le 16 mai, M. Elie Fleury vient m'inter­viewer et donne dans son journal un article sur mon long voyage. Il a bien compris que mon impression dominante est le contraste entre les servitudes de la religion dans la pauvre France et la liberté dont elle jouit ailleurs, même chez les païens.

Le 22, il y a Conseil10), nous organisons notre province de Hollande. C'est un peu vite, mais les Hollandais y tiennent. Ils y trouveront un sti­mulant pour leur initiative.

Visite à toutes nos maisons belges. Il y a généralement de la vie, mais nous manquons de ferveur et de vie intérieure. Les fruits de la retraite de rénovation sont déjà loin, il faudra recommencer.

Je trouve à Louvain une 15 situation bien lourde. Il y a de grosses dettes. On a été vite et grandement. Ce serait à désespérer, s'il n'y avait pas une providence spéciale du S.-Cœur pour ses œuvres.

Je commence à écrire mes notes de voyage11), il y en a pour un an. Des récits sommaires que je donne dans nos maisons intéressent tout mon monde.

La Russie persécute nos missionnaires de Finlande12) et les expulse brusquement. Ce pays est incorrigible. Il a promis la liberté religieuse, mais c'étaient de vaines paroles. La Providence interviendra.

Le 1er juillet, le P. Mailier et le Fr. François13) s'embarquent à Anvers pour le Congo. C'est le 26e départ depuis 15 ans. 16

Du 8 au 16, je prêche la retraite de nos ordinands à Louvain. Ils sont fatigués, c'est la fin de l'année scolaire. Je ne retiens leur atten­tion qu'en leur donnant beaucoup d'exemples concrets. La grâce agit visiblement, ils sont bien disposés.

Le 17, belle cérémonie de première messe. Le souvenir de la mien­ne est encore pour moi le meilleur réveil de grâce. Comme je com­prends bien le mot de St Paul à Timothée: Admoneo te ut resuscites gra­tiam Dei, quae est in te per impositionem manuum mearum (2 Tim. 1,6) .

Le 19, grande épreuve! Un de mes économes a gaspillé de grandes sommes. Je ne puis rien dire, cela causerait scandale et décourage­ment. Il faut que je porte seul cette croix et que je cherche quelque remède. 17 Le 26, je vais à Paris, rue Méchain 21, chez les Soeurs de St Joseph de Cluny. La Soeur Rasset (Sr Dominique du St Rosaire) est revenue d'Haïti. Elle aime à me parler de son frère14), dont elle a con­nu mieux que personne les solides vertus. La bonne Soeur me parle aussi de ses souffrances à Haïti. Sa maison a été incendiée. Le peuple là-bas est composé en grande partie de mulâtres, qui unissent à une foi chrétienne peu éclairée les superstitions de l'Afrique. Ils ont leurs sor­ciers, leurs sacrifices. Ils savent user du poison contre leurs ennemis. «La religion des Blancs est bonne, disent-ils, mais celle de la 18 Guinée est bonne aussi».

Conseil le 6. Nous décidons d'accepter les propositions que nous fait Mgr le Vicaire apostolique de Suède15) pour l'aider dans sa mission. Le 6, réunion des anciens élèves à St Jean. Ils sont peu nombreux, M. Crinon leur parle à la chapelle. Au repas, je leur signale le contras­te entre la persécution française et la liberté religieuse qui règne par­tout en Amérique et en Asie.

Le 9, au Val des Bois, réunion des prêtres sortis du Val16). Ils sont peu nombreux cette année. Je leur propose pour modèle l'Eglise naissante au Calvaire. A l'heure du tremblement de terre et des ténèbres, la populace s'est retirée. Les amis du Sauveur se rapprochent de la 19 Croix, ils reçoivent le sang de ses plaies et de son cœur. St Jean repré­sente le sacerdoce; Marie représente les âmes consacrées. Joseph d'Arimathie et Nicodème sont les hommes d'œuvres; leurs serviteurs qui les aident à la descente de Croix sont les ouvriers fidèles. Ceux qui partagent au sort les vêtements du Christ sont les socialistes. Ils s'a­perçoivent vite que l'égalité absolue n'est pas possible, ils tirent au sort la robe sans couture. Joseph d'Arimathie est l'homme de caractère (audacter introivit ad Pilatum: Marc 15,43); c'est lui qui ordonne et diri­ge toute cette scène de la sépulture du Christ.

Aimons Jésus, lavons ses plaies, embaumons son corps avec ses amis du Calvaire. 20

L'art chrétien se plaisait à représenter cet événement capital de la naissance de l'Eglise. Des centaines de nos églises avaient le tombeau en sculptures. On connaît aussi les beaux calvaires de Bretagne. St-­Mihiel a le tombeau de N.-S. par Richier Ligier. L'abbaye de Solesmes a celui de Michel Colombe. Rubens a peint ses calvaires. Raphaël a peint l'ensevelissement. J'aime surtout à Sienne la peinture de Duccio qui représente le moment psychologique où les amis du Sauveur se serrent près de la croix du bon larron, tandis que les blasphémateurs forment groupe auprès du mauvais larron.

Le 22, je vais à Mézières, pour essayer de ramener à de bonnes dispositions le jeune Brisnot. 21 J'aime la vieille église de Mézières avec son porche ogival si ouvragé et sa tour Renaissance. Charleville a sa curieuse place régulière qui rappelle la Place des Vosges de Paris.

Le 23, à Paris, Musée Guimet: très intéressante étude sur les divi­nités japonaises et chinoises.

Ce musée qui me disait peu de choses auparavant, m'intéresse vive­ment après le voyage d'Asie. On y peut étudier l'art de la Chine, et sur­tout les religions de l'Inde, de la Chine et du Japon17).

Pour l'art, on y trouve toutes les formes successives de la céramique chinoise.

Comme procédé de fabrication, à noter les céladons, ces grands 22 vases de couleur vert-pâle, qui ont été moulés sur des formes de bron­ze, avant qu'on ait appris à modeler et à tourner la porcelaine.

Autre forme ancienne, les terres cuites, improprement appelées Boccaros, à cause de leur ressemblance avec les vases portugais de ce nom. Elles sont moulées et de couleurs variées, souvent revêtues d'un émail coloré.

Puis viennent les porcelaines blanches, fabriquées avec le kaolin.

Les premières couleurs employées pour décorer la porcelaine ont été le bleu de cobalt, les rouges d'oxyde de cuivre ou de fer mêlés d'or. Après cela seulement viennent les trois grandes familles de vases si connues, la famille verte, 23 la famille jaune, la famille rose. C'est dans les trésors des palais chinois comme à Moukden ou dans leurs expositions comme à Nankin, qu'il faut voir ces écoles d'art de la céramique repré­sentées par des milliers de spécimens d'un grand prix.

La famille verte est caractérisée par l'emploi du vert de cuivre grâce a la haute température des feux de moufle.

La famille jaune est caractérisée par les jaunes de manganèse et de fer.

La famille rose, la plus délicate est due au rose d'or.

Le XVIIe siècle vit éclore un nouveau genre dit de la Compagnie des Indes, imitation de l'occident avec des armoiries ou des sujets profanes, ou bien avec des sujets religieux fournis par les jésuites. 24

La grande manufacture impériale est depuis le XIe siècle à King-té­tchin, mais ses produits sont envoyés pour être décorés à Nankin ou à Canton.

Depuis 1840, on ne fabrique plus à King-té-tchin que des vases d'ex­portation pour les diables des mers.

La céramique du japon est très variée. Cet art comme tous les autres a été emprunté à la Chine par le Japon.

C'est au XVVIe siècle que deux potiers célèbres, Ninzei et Kenzam, dont on copie encore aujourd'hui les œuvres, introduisirent au japon la décoration en bleu, vert, rouge et or, et firent faire les plus grands progrès à la fabrication japonaise. 25

Au XVIIIe siècle, la palme revient aux faïences de Satsuma, dues à l'initiative du prince de ce nom, remarquables par leur fond crémeux et de légers décors d'or ou de couleurs avec des tons très doux.

Avant le XVIIe siècle, il n'y avait que la porcelaine ancienne à décor bleu de la province de Hizen, dont l'art avait été apporté de Chine par le potier Shonsui.

De nos jours, les japonais produisent beaucoup. Le potier Makoudsou a brillé aux expositions de 1878 et 1889, avec des produits imités de toutes les écoles, vases, statuettes et reliefs.

Comme art, il y a encore, au Musée Guimet, une belle collection de laques anciennes et modernes: boîtes à thé, boîtes à médecine ou à 26 parfums, plateaux, boîtes à trésor, etc. Quelques statuettes de bronze ou de bois, des boutons de ceintures ou gardes de sabre en ivoire, bois, etc.

Des peintures sur albums et kakémonos (tentures qui remplacent nos tapisseries).

A signaler un kakémono et un paravent ancien: sur le kakémono, le paradis d'Amida. Le japon a souvent représenté le paradis et l'enfer. Sur le paravent: arrivée d'un navire portugais au japon. Le comman­dant est reçu par des jésuites. On croit y reconnaître St François Xavier.

Avant de passer à l'étude des religions, je signale encore comme trait de moeurs une collection de marionnettes articulées de java, qui servent à représenter, en ombres chinoises, des mystères et des drames religieux. 27 Cette série se rapporte à un drame tiré du Ramayana, le grand roman national de l'Inde. Dans la section de Chine, il y a égale­ment des marionnettes, servant à jouer des mystères dans la cour des temples les jours de grande fête.

Il n'est pas facile de s'y reconnaître dans les religions de l'Inde et de la Chine.

Ce qui est le plus remarquable, c'est la croyance traditionnelle, et qui se ravive encore davantage aujourd'hui, en un Dieu suprême, Créateur et Maître absolu de toutes choses.

Dans le Védisme, qui est la religion primitive de l'Inde, il y a un Dieu suprême, Para-Brahma, ou le Brahma supérieur. On lui donne plusieurs noms qui concordent avec les 28 traditions primitives de la Chaldée, conservées et épurées dans le judaïsme. On l'appelle Avyata, l'invisible; Nirrikalpa, l'incréé; Svayambhu, ce qui est par soi-même, l'absolu (Ego sum qui sum: cf. Ex. 3,14).

Le Védisme est devenu plus tard le Brahmanisme philosophique, et enfin le Brahmanisme sectaire ou l'Hindouisme, actuellement exis­tant, avec ses deux sectes rivales des Vichnouites et des Sivaïtes.

Tous les monuments de l'Inde appartiennent à ce Brahmanisme sectaire.

Le Bouddhisme, né aux Indes, en a été expulsé au XIe siècle de notre ère. Il se survit à l'île de Ceylan, au nord-est de l'Inde (Ca­chemire, Bhoutan, Népal, Sikkim) et dans une grande partie de la Chi­ne. 29

Le Védisme s'est peu à peu embrumé. Au Dieu suprême Para­-Brahma, s'est joint Indra, Dieu du ciel et de l'atmosphère, armé de la foudre et protecteur des Aryas; puis Agni, le dieu du feu et des sacrifi­ces, représenté avec un bélier. Mais les superstitions de l'Hellénisme arrivaient jusque là, Alexandre est allé aux Indes. A Brahma on a joint Sarasvati, sa fille et son épouse, déesse de la parole et de la science, représentée avec un paon (Junon ou Minerve); puis Soma, dieu de la lune; Surya, dieu du soleil, avec des flèches, comme Apollon; Ushâ, déesse de l'aurore.

Vichnou et Siva viennent ensuite. 30

Le Brahmanisme sectaire forme sa Trinité avec Brahma, Vichnou et Siva, mais Brahma est laissé dans la paix du ciel. Vichnou et Siva se par­tagent les fidèles et les temples, non sans quelque rivalité, et chacun d'eux se forme tout un olympe dans l'esprit de ses partisans.

Vichnou est pour les siens comme un dieu tout puissant, il est cou­ché sur le serpent, symbole de l'infini. Il a pour épouse Lakmî, déesse de la beauté et de la fortune; elle est née de l'écume de la mer comme Vénus Aphrodite.

Garuda, le dieu oiseau, porte Vichnou sur ses ailes, cela rappelle l'é­pisode de Ganimède et de l'aigle.

Vichnou a des avatars, il 31 s'incarne en Krichna, j'y reviendrai tout à l'heure.

Siva est pour les siens le dieu suprême, on l'appelle Mahadéva, le grand dieu. Il s'appuie sur un boeuf C'est le dieu de la génération, on le représente par le Lingam.

Parvati, sa compagne, est la déesse de la terre.

Siva a sept Saktis qui sont comme ses épouses; ce sont les forces de la nature.

Les Sivaïtes ont aussi un dieu de la guerre Kartikaya, et deux divi­nités burlesques, Ganéça à tête d'éléphant et Hanuman à tête de sin­ge.

Vichnou a eu bien des avatars ou incarnations. Il s'est incarné en poisson (Matsya) pour sauver du déluge 32 Manu, le père du genre humain (réminiscence des traditions bibliques).

Mais sa principale incarnation est celle de Krichna, sauveur de l'Inde. La légende de Krichna parait empruntée aux traditions bibli­ques. Au Musée Guimet, on voit Krichna enfant, dans un panier ou un

van, porté par son père de l'autre côté de la rivière Jumna, pour échapper au massacre des enfants mâles, ordonné par le tyran Kamça; légende qui rappelle Moïse ou le Christ enfant fuyant en Egypte et le massacre des Innocents.

Krichna allaité par sa mère.

Krichna terrassant le serpent qui désolait les bords de la Jumna, mythe d'Héraclès ou symbole du Christ. 33

Krichna-Govinda jouant de la flûte en gardant les troupeaux, mythe d'Orphée ou d'Apollon chez Admète.

Krichna-Jagannâtha, le Vulcain indien.

Rama frère de Krichna est une autre incarnation de Vichnou et le héros principal du poème Ramayana.

Le Sivaïsme a introduit partout dans l'Inde le culte indécent du Lingam. Il y en a de nombreux spécimens au Musée Guimet. Les Anglais n'ont pas eu le courage de prohiber ces saletés aux Indes. Les japonais plus modestes ont supprimé ce culte depuis trente ans. L'Angleterre mériterait bien de l'humanité en montrant 34 la même énergie que le Japon.

Le Djaïnisme est une prétendue réforme du Brahmanisme. Oubliant le dieu suprême, ils honorent surtout leurs saints, leurs génies et ils aspirent au Nirvana, le repos éternel par l'ascétisme, les mortifications et la science.

Le Bouddhisme n'a plus aux Indes que Ceylan et les provinces du nord-est, mais il est souvent aussi mêlé au Brahmanisme dans l'Inde, au Confucianisme en Chine, au Shintoïsme au Japon.

Le Bouddhisme omet le culte de la Sagesse infinie, mais il honore ses incarnations, parmi lesquelles celle de Sakya-Muni, le grand législa­teur. Cet homme-dieu est né près de Bénarès. 35 Il prêcha dans le Cachemire, fit de nombreux disciples, se livra à l'ascétisme et mourut après une longue méditation pour entrer dans le Nirvana en commu­nion avec le Bouddha éternel.

Mais le Bouddhisme est conciliant, il a adopté une foule de dieux et de héros pour peupler son ciel. On trouve chez lui le temple des cinq­-cents dieux et le temple des mille divinités.

Le culte du japon est abondamment représenté au Musée. Le japon a deux religions, le Shintoïsme, religion nationale et le Bouddhisme importé de Chine.

Le Shintoïsme semble être l'adoration du dieu 36 suprême, il n'ad­met pas l'adoration idolâtrique des images. Ses fidèles prient devant un rideau, qui indique le caractère mystérieux de la divinité. Cela rap­pelle le culte de Jéhova en Judée. Dans les temples shintoïstes de la province d'Isé on remarque des représentations symboliques de la divi­nité, le miroir, le globe, l'épée. Cela rappelle les attributs de la justice et de la puissance divine.

Les Bouddhistes ont des sectes nombreuses au japon. Ils y comptent six écoles principales avec de nombreuses sous-divisions.

En général, ils mettent bien en relief la croyance au dieu suprême, tout en honorant plus d'un millier de Bouddhas. 37 Plusieurs de leurs sectes honorent Amida comme le Bouddha suprême. D'autres l'appel­lent Daïnichi Nyoraï.

Un fils divin ou une émanation d'Amida est très honoré au japon sous le nom de Kouan-on, comme en Chine sous le nom de Koan-In (dieu en Chine, déesse au japon).

Le Bouddha suprême, qu'il s'appelle Amida ou Daïnichi Nyoraï, est souvent représenté entouré de divinités secondaires. Sakya Muni n'est qu'une émanation du Bouddha suprême.

La représentation si connue du Daï-Boutsou, grand Bouddha, n'est qu'une des formes d'Amida (Catalogue du Musée, p. 168).

Enfin je veux signaler à 38 ce Musée plusieurs représentations du paradis et de l'enfer. C'est une croyance traditionnelle qui s'est préci­sée depuis que les missionnaires chrétiens ont pénétré dans l'orient.

Au Musée, un moulage du temple indo-chinois d'Angkhor-vat représente les supplices de l'enfer. Un kakémono ou tableau japonais peint sur papier représente l'enfer et ses huit divisions, sous les mêmes couleurs que les enfers du Moyen-âge, avec plus de variété encore dans les supplices. Yama, le roi des enfers (Pluton ou Minos), assis à son tri­bunal, juge les morts que lui amènent les démons, ses aides. On voit auprès de lui un miroir où se reflètent les actions de la vie et une balance où se pèsent 39 les bonnes et les mauvaises actions.

Les Brahmanistes connaissaient aussi le paradis d'Indra, demeure des héros.

Les Bouddhistes du japon font du dieu Amida le président du para­dis de Sukhâvati. C'est le nom d'un lac où les âmes des justes se repo­sent sur des lotus parfumés.

Il faut encore signaler dans ce Musée un fauteuil en bois, dont le siège, le dossier, les accoudoirs et la tablette pour les pieds sont héris­sés de longs clous pointus. Les ascètes usent de ces fauteuils par morti­fication et l'on dit qu'on y asseoit aussi les possédés pour les exorciser. 40

En revenant de Paris, je m'arrête à Verberie pour voir ma parente qui habite là. Je revois volontiers la vieille église du XVe siècle, qui est classée comme monument historique et cependant en assez mauvais état.

Le 29, visite à La Capelle. Mes neveux sont là. Ils me disent que la jeunesse parisienne est plus exposée encore aujourd'hui qu'autrefois.

Les 5 et 6, je suis à Domrémy. Belle fête, bénédiction des statues du père et de la mère de Jeanne d'Arc. Beau discours de Mgr Foucault18) sur la famille et l'éducation. Promenade à Neufchâteau, une petite vieille ville avec deux églises intéressantes du XVe siècle et un tombeau du Christ avec une dizaine de personnages de grandeur naturelle, dans le genre 41 de celui de St-Mihiel.

Au retour, je dis la messe à la cathédrale de Reims. Il fait bon prier dans ce merveilleux sanctuaire où toute la vieille France a prié si pas­sionnément.

A l'église de Domrémy, j'ai relu cette devise du vitrail: Olim per johannam, hodie per SS. Cor Jesu. C'est un stimulant pour notre vocation. A Reims, un grattage a mis à découvert cette inscription au premier pilier: Tronc pour les captifs. On quêtait partout autrefois pour aller racheter les captifs en Barbarie, aujourd'hui les nations chrétiennes conquièrent les pays barbaresques. C'est plus radical.

Du 8 au 15, nous avons la 42 retraite à Louvain. Je note mes impres­sions dans un cahier spécial19), en m'aidant de mes souvenirs d'Asie, qui m'ont déjà servi à faire une demi-retraite sur mer, de Bombay à Marseille.

C'est le P. Bouvier s,j. qui prêche la retraite. C'est un orateur de retraites ecclésiastiques, intéressant et pratique.

Le 9, nous faisons un bout de conseil. Le P. Kusters est énervé par ses grandes occupations à Maastricht, il démissionne20).

Ces jours-ci, éclate la guerre italo-turque. Les Turcs n'auront plus pied en Afrique, c'est bien. Puissent-ils également bientôt quitter l'Europe!

Tout plein du souvenir des tombeaux du Christ de 43 Neufchâteau et de St-Mihiel je vais voir celui de Sissy, à quelques kilomètres de St­-Quentin. Il est fin et artistique, plus que je ne croyais. Je le connaissais de réputation depuis longtemps par le livre de M. de Caumont sur l'ar­chéologie chrétienne.

Le peuple appelle cela la chapelle des dormeurs à cause des soldats accroupis et somnolents auprès du tombeau. C'est une chapelle du XIVe siècle qui abrite ce tombeau. L'Etat devrait classer ce monument et le peuple devrait y chercher des grâces de miséricorde.

Le 28, Conseil à Mons. Le P. Hermans21) est élu au Conseil pour rem­placer le P. Kusters. Le P. Assistant nous donne à craindre pour sa santé. 44

Dans les premiers jours d'octobre, je visite mes maisons de Hollande. A Maastricht22), une grande œuvre commence, un asile pour les jeunes garçons sans famille, dans une belle propriété sur les côteaux de la Meuse. Depuis longtemps nous avions pensé à ces œuvres d'adoption. On pourra y faire un grand bien.

A Sittard, la maison se développe, la revue a plus de 20.000 abonnés. C'est une belle propagande pour le règne du S.-Cœur.

A Asten, bon petit groupe dirigé pieusement.

A Bergen-op-Zoom, l'école a grandi vite, trop vite peut-être, elle a tant de charges!

Tous les journaux nous parlent de révolution en Chine. Les mis­sionnaires m'avaient fait pressentir cette révolte 45 antidynastique. Je suis ces nouvelles avec intérêt parce que l'avenir des missions y est engagé. Je connais toutes les villes où se livrent des combats: Han-­Kéou, Han-Yang, Wou-Chang, Nankin. Je redoute pour la Chine un gouvernement sceptique et positiviste comme au Japon.

J'écris mes notes de voyage. Je lis bien des livres sur les pays que j'ai visités. J'aime à scruter les progrès et les espérances de l'Eglise et les obstacles qu'elle rencontre. S'il n'y avait pas eu de divisions dans l'Eglise, si le protestantisme n'avait pas été amené par le relâchement et les désordres du XIVe et du XVe siècles, l'Eglise du Christ régnerait partout, il n'y aurait qu'un troupeau et qu'un pasteur. 46 L'Eglise catholique profiterait pour ses missions de la richesse des Etats-Unis. Le japon et la Chine seraient venus à l'Eglise au XVIIe siècle, si les cal­vinistes hollandais n'avaient pas fait craindre à ces peuples une inva­sion des peuples de l'Europe à la suite des missionnaires catholiques.

Conseil le 24 octobre. Une partie des élèves de Louvain n'arrivent pas à payer leur pension23), c'est une gêne pour la maison et une souf­france pour moi. Cette maison a des charges très lourdes, comment arriverons-nous à la relever? J'éprouve les angoisses de la pauvreté au sujet de plusieurs de nos maisons.

Visite le 27 à Tervuren. Il y a là un bon petit groupe d'élèves, mais l'œuvre belge devrait être plus avancée. 47

Le 30, visite au cimetière à St-Quentin. C'est le passé. Il y a là des Pères, des Soeurs, des amis, des parents, des élèves, des collaborateurs dans les œuvres. Bientôt, ce sera mon tour. Quelle bonne méditation on fait là! Je trouve là bien des souvenirs édifiants et réconfortants.

Les difficultés de Hollande me donnent beaucoup à souffrir. Nos Allemands préparent la mission du Cameroun24). Je vais le 11 novembre à Paris pour voir Mgr Le Roy et pour obtenir de lui une portion de la mission de l'Oubanghi25), la boucle du Lagone. Il est très accommodant et me signe cela de suite, mais il faudra en référer au Préfet apostoli­que de l'Oubanghi. Le gouvernement de Berlin autorise 48 notre installation au Cameroun et spécialement à Binder, dans le Congo cédé. Tout est en bonne voie.

Je continue à écrire mes notes de voyage.

Le 22, Conseil à Louvain26). Les difficultés de Hollande ne sont pas résolues. De braves gens peuvent passer par une crise de mauvais esprit.

Depuis 34 ans que l'œuvre est fondée, je n'ai manqué ni de pain ni d'asile, mais j'ai souffert les angoisses les plus vives de la pauvreté, à l'occasion des dettes de nos maisons et des difficultés temporelles par lesquelles l'œuvre a passé.

Le 3, je vais à Paris, c'est une occasion pour visiter le musée Cer­nuschi, si intéressant pour l'étude des arts et des religions en Asie. Ce musée dépasse mes prévisions. Il y a là une étonnante collection de bronzes japonais et chinois 49 de toutes dimensions, des céramiques de toute espèce, des peintures, des meubles que le style moderne cher­che à imiter. Un grand Bouddha superbe trône au milieu du musée. Il y a beaucoup de vases liturgiques, d'idoles de toutes formes et d'objets provenant des temples. Il y manque un catalogue avec des explica­tions.

On parle beaucoup ces temps-ci de la petite sainte du Carmel de Lisieux, Sr Thérèse de l'Enfant Jésus, qui répand à profusion les grâces et les miracles.

A ce propos, je repasse dans ma mémoire27) tout le mouvement de sainteté, de dévotion au S.-Cœur et de vie réparatrice, qui se dévelop­pe depuis un siècle.

J'ai été en rapports avec la plupart 50 de ces groupes et de ces âmes saintes, mais j'ai été bien inférieur à tous dans ma correspondance à la grâce.

I. A Marseille. - C'est une terre aimée par le S.-Cœur. Lazare, Made­leine et Marthe, les amis du Sauveur ont vécu là. Belzunce a consacré Marseille au S.-Cœur. Madeleine de Rémusat y a reçu les confidences du Sauveur. De notre temps, ce sont les Victimes du S.-Cœur qui nais­sent là, avec un essai d'œuvre de prêtres tenté par un homme de Dieu, le P. Jean du S.-Cœur. Les Filles du Cœur de Jésus sont sorties de la même souche. J'ai demandé aux deux communautés l'union de priè­res dès le commencement de notre œuvre.

II. A Grenoble. - Il y a eu là l'influence des apparitions de la Salette. 51 Quelques-uns des Pères de la Salette voulaient faire l'œuvre des Prêtres réparateurs. Le P. Giraud, avec qui j'étais en relations, a écrit avec le secours manifeste de la grâce sur la vie d'immolation des prê­tres. Mgr Fava était dans ce courant d'idées, avec son auxiliaire Mgr Jourdan de la Passardière. Ils m'ont encouragé tous les deux. L'abbé de Bretagne a puisé là l'esprit de son livre sur la vie de réparation. C'est là qu'est née l'Œuvre de la Mère Véronique. Elle voulait aussi des Prêtres victimes, et elle m'a envoyé ceux qu'elle avait préparés.

III. Lyon devait avoir aussi son mouvement d'œuvres réparatrices.

Pauline Jaricot, fondatrice de la Propagation de la foi, fut une victime. La Mère Véronique 52 a beaucoup souffert à Lyon. Les prêtres du Prado étaient bien dans l'esprit de la réparation. Je fus en rapports avec eux et avec leur saint fondateur. Il faut unir au courant de grâces de Lyon le mouvement d'Ars. Une grosse épreuve nous vint de ce côté­-là. Le P. Captier, qui se croyait soutenu et inspiré par le Curé d'Ars, le P. Chevrier du Prado et la Mère Véronique, vint nous troubler avec son faux mysticisme.

IV. Dijon. Le Carmel de Dijon était dans le même courant. Il nous a donné récemment une petite sainte, Sr Elisabeth de la Ste Trinité (1880-1906). Mme Royer de Montbard, très unie avec nous, recevait sa direction de Lyon.

V. A la Visitation de Bourg naissait la Garde d'honneur. Je fus là très encouragé par la Soeur 53 privilégiée et par son directeur du séminai­re de Brou.

VI. Paray, qui avait eu Marguerite Marie et Claude de la Colom­bière, devait avoir sa part de grâce réparatrice. C'est là que le P. Drevon fonda la Communion réparatrice. Paray est au diocèse d'Autun où sont conservées les reliques de St Lazare.

VII. A Tours, l'esprit de réparation était très ardent. La Sr St Pierre le faisait régner au Carmel et le saint homme de Tours propageait le culte de la Ste Face.

VIII. A Bordeaux, c'est parmi les Clarisses de Talence que l'esprit de réparation suscita de saintes âmes, parmi lesquelles brilla surtout la Soeur Céline. Ces bonnes Clarisses transportées à Mons veulent bien nous accorder une union intime de prières et de sacrifices. 54

IX. Toulouse a beaucoup contribué au règne du S.-Cœur et à la réparation par son Apostolat de la prière, fondé par le P. Ramière. Toulouse avait aussi une congrégation diocésaine de Prêtres du S.­Cœur, qui nous a donné son supérieur, le P. Blancal.

X. On peut unir Lourdes et Bétharam. La très Sainte Vierge a demandé la réparation et la pénitence à Lourdes. On a répondu à son appel et les Pères de l'Assomption y ont bien contribué. Le vén. Garricoïts a fondé à Bétharam la congrégation apostolique des Prêtres du S.-Cœur.

XI. Quelques liens unissent Poitiers, St-Jean d'Angély et La Souterraine. Mgr Gay a été notre collaborateur par son appel à la réparation adres­sé aux Evêques et aux Prêtres de 55 France, appel que nous avions rédigé ensemble. Il était supérieur et visiteur des communautés du diocèse de Poitiers, il avait trouvé là les mêmes aspirations, notamment chez les Bénédictines du S.-Cœur de Marie à St Jean d'Angély, où vivait la Soeur Marguerite M. Doëns28) qui recevait de N.-S. en 1876 un appel à la-réparation pour les prêtres. Mgr Gay était aussi l'ami de la Mère du Bourg et des Filles du Sauveur à La Souterraine, où l'on dési­rait aussi une œuvre de prêtres.

XII. A Limoges, c'étaient les Filles du Verbe Incarné. On essaya au petit séminaire d'Ajain une œuvre de prêtres. Je fus en rapports avec eux, mais cela n'eut pas de suite.

XIII. Issoudun et Pellevoisin. - A Issoudun, les Missionnaires du S.­Cœur 56 commencèrent vingt ans avant nous. Leur but était l'aposto­lat plutôt que la réparation. - A Pellevoisin la Très Sainte Vierge recom­mandait le scapulaire du S.-Cœur. J'ai été aussi en rapports avec la voyante.

XIV. Troyes. La Soeur Marie de Sales Chapuis était bien de la parenté spirituelle de la Bse Marguerite Marie. Elle a eu des grâces analogues et elle a contribué à la fondation des Oblats de St François de Sales. J'étais aussi en relations avec les fondateurs. L'un d'eux, le P. Gilbert, était de mes condisciples.

XV. Paris a eu sa grande part dans ce mouvement d'œuvres répara­trices.

Les Pères des SS.-Coeuus ou de Picpus s'y étaient fondés vers 1800. - La Soeur Marie du S.-Cœur, chez les Soeurs de Notre-Dame (aux oiseaux) avait 57 eu ses vues sur le règne du S.-Cœur en 1823. - Les Soeurs de l'Adoration réparatrice, à la rue d'Ulm, essayèrent une œuvre d'hommes qui n'eut pas de suite. - Les Soeurs de Marie Réparatrice se dédoublèrent et donnèrent les Soeurs Franciscaines missionnaires de Marie, qui joignent l'adoration à l'apostolat. - L'Institut du Cœur Eucharistique de Jésus se fonda rue Nicolo. J'étais en union avec la fondatrice. - Puis vient la grande œuvre de Montmartre: le voeu national, l'adoration perpétuelle établie à l'insti­gation de la Soeur Marie Dominique, l'apostolat des Oblats et surtout du pieux père Yenveux.

XVI. Turin - Vérone. Les mêmes grâces abondaient dans les nations étrangères. Don Bosco, que j'ai bien connu, fondait les Salésiens. A Vérone se fondaient les Fils du S.-Cœur. 58

XVII. Anvers - Manage. - Les Filles du Cœur de Jésus fondaient à Anvers la gracieuse basilique du S.-Cœur. - Louise Lateau était une vraie victime à Bois d'Haine, elle aimait bien notre œuvre. Je la vis en 1873 et en 1883.

XVIII. Portugal et Espagne. Porto avait la Soeur de Droste zu Vischering, qui induisit Léon XIII a faire la consécration du monde au S.-Cœur en 1900.

L'Espagne fondait les Prêtres du S.-Cœur de Marie et elle faisait une ardente propagande pour le règne de l'Eucharistie et du S.-Cœur.

XIX. A l'Equateur, Garcia Moreno vouait sa nation au S.-Cœur, et le prêtre Matovelle, avec lequel nous avons collaboré quelques années, fondait les Oblats du S.-Cœur et construisait la basilique nationale. 59

XX. Au Luxembourg, les Dominicaines et leur sainte fondatrice Soeur Clara inauguraient aussi la vie réparatrice. - Dans ce grand con­cert, St-Quentin a eu sa petite part. J'y amenais en 1873 les Soeurs Servantes du Cœur de Jésus, qui venaient de Colmar. C'était un foyer ardent de vie réparatrice. - Notre petite œuvre commençait en 1877 et s'avançait à travers les écueils et les tempêtes.

Le monde s'agite. Il y a révolution à Pékin, querelle diplomatique au Maroc, guerre à Tripoli et en Perse.

Comme à toutes les époques troublées on recherche les prophéties anciennes et nouvelles.

C'est d'abord la série des Papes, qui aurait été donnée par St Malachie et qui a été commentée par un moine 60 de Padoue. Le pro­chain Pape serait Paul VI et la caractéristique de son règne serait religio depopulata.

D'autres prophéties annoncent pour 1913 des épreuves pour l'Allemagne et le relèvement de la Pologne. - Rohrbacher et d'autres commentateurs de l'Apocalypse placent à notre époque la fin de l'em­pire ottoman. Le fait est qu'il recule terriblement, au Maroc, à Tripoli, en Bosnie, en Crète, etc. - Les voyants et voyantes qui ont vécu depuis un siècle ont annoncé un grand bouleversement, guerre, peste, etc. vers notre temps et puis un grand Pape pour l'Eglise et un grand roi pour la France. Tels le P. Necton en 1790; un trappiste de N.-D. des Gardes en Anjou, en 1720; la Sr Marianne des Ursulines de Blois en 1804; 61 une religieuse de Belley en 1820; l'abbé Souffrand en 1828; Mariane Galtier en 1830; Marie Lataste en 1847; le curé d'Ars en 1859; St Benoît Labre; Marie des Brotteaux en 1843; Marie des Terreaux en 1832; la Mère du Bourg; Anna Maria Taïgi (1837); Elisabeth Canori Mora; Agnès Steiner (1863); le vén. Bernard Clausi; Rosa Colomba de Taggia. - Holzhauser, mort en 1658, disait: il y aura un grand change­ment. Dieu enverra un grand monarque, qui de concert avec une puis­sance du nord exterminera la race des impies. Dieu suscitera un saint Pontife. L'empire du Turc sera brisé et toutes les nations adoreront Dieu dans la foi catholique.

Il adviendra ce que le ciel voudra. Prions et sanctifions-nous. 62

Je quitte St-Quentin le 21 et je passe les fêtes de Noël et de St Jean à Albino. Tous ces jours sont marqués par le souvenir de mes ordina­tions et de mes premières messes.

Le 24, dîner chez Mgr Radini, qui est toujours bienveillant pour notre œuvre.

Je chante la messe à minuit. Il y a là 45 enfants qui donnent des espérances.

Le 29, messe à Bologne au tombeau de St Dominique, protecteur de la pureté.

Arrivée le même soir à Rome.

1912

J'aurai ici trois mois de vie calme avec les bienfaisants souvenirs de mon séminaire.

J'achèverai toutes mes notes sur mon grand voyage.

Je rencontrerai beaucoup d'évêques français, c'est l'année où ils doivent venir pour leur visite ad limina.

Je revois Mgr Le Roy au séminaire français et chez nous. Nous som­mes toujours d'accord pour une modification de frontières des mis­sions de l'Oubanghi29). Il faut attendre la réponse du P. Cotelle, préfet apostolique.

Nos Pères d'Autriche30) m'annoncent qu'ils sont enfin autorisés par le gouvernement. 64

Le 11, réunion de l'Index, j'ai un rapport à faire et on me donne encore un volume à apprécier.

J'ai de gros soucis au sujet de la maison de Louvain. Elle est inter­provinciale, mais les Hollandais n'arrivent pas à aider à la dépense pour leurs 28 étudiants. J'insiste: Insta opportune, importune, obsecra, increpa (2 Tm. 4,2) … Patience!… et prière!

J'ai le plaisir de voir ces jours-ci les deux Vicaires apostoliques de Bulgarie, Mgr Doulcet et Mgr Menini. Tous deux veulent du bien au roi, tout en déplorant son erreur passée au sujet du prince Boris. Ils gardent un pieux souvenir de la princesse défunte. Ils estiment le chambellan 65 et en parlent très amicalement.

Mgr Menini a la charité et la simplicité des saints. Il voudrait rame­ner tout le monde à l'Eglise, le prince Boris, l'exarque bulgare et le peuple. Il est en bons termes avec l'archevêque bulgare de Phi­lippopoli et avec l'exarque bulgare de Constantinople. Tous deux reviendraient bien à l'union, dit-il, mais ils craignent la Russie et l'agi­tation populaire.

Là, comme dans le monde entier, il y a une fermentation qui prépa­re de grands événements.

Je rencontre M. Ollé-Laprune secrétaire de l'ambassade française. Il dit que ses sentiments chrétiens n'y sont pas contrariés. Il sait que le gouvernement 66 français sent le besoin de renouer des relations avec le St-Siège, à l'occasion du protectorat des chrétiens d'Orient et des missions du Maroc, mais comment faire?

Le 18, j'ai le plaisir de recevoir Mgr Mignot avec quelques amis. Il commence à sentir le poids des années. Nous allons vers le jugement de Dieu.

Le 19, je rencontre Mgr Gauthey de Besançon31) chez Mgr Tiber­ghien. Il a connu à Autun mon Père Assistant. Le monde est petit et les relations s'entrecroisent.

Le 20, visite au Cardinal Rampolla, il est toujours bienveillant. Il a un projet magnanime: orner de marbre les piliers de la nef de Saint­-Pierre: 60 piliers à 35.000 frs chacun. 67 Il fera un appel dans l'été. Il est d'ailleurs pessimiste et n'attend rien d'autre de la situation généra­le qu'un triomphe de la franc-maçonnerie.

Installation du card. Billot à Sainte Marie in via. Son humilité édifie tout le monde. Il nous fait un beau discours où il nous montre les des­seins de la Providence dans l'apostolat de St Paul à Rome. St Paul est ici comme auxiliaire de St Pierre et il meurt avec lui pour que les hom­mes ne soient pas tentés d'opposer quelque part une succession de St Paul à celle de St Pierre à Rome.

Le 28, visite au card. Van Rossum32), pour recommander à sa bien­veillance nos œuvres de 68 Hollande qu'il connait déjà un peu.

Le 29, je bénis le mariage de l'avocat Gasparri33). Je me hasarde à prononcer une petite allocution italienne. Il y a là le conseiller Bianchi, président des Assises de Viterbe, le directeur de la banque d'Italie, l'assesseur Vanni. Cela se passe chez les bonnes Soeurs Franciscaines Missionnaires. J'ai vu leurs consoeurs à Changhaï et ail­leurs.

Le 31, visite à Mgr de Ligonnès, toujours bon, édifiant, surnaturel. C'est un saint évêque.

On parle beaucoup de miracles, de prophéties, de grâces extraordi­naires. La Congrégation des rites est débordée, le 19e siècle a eu beau­coup de saints. Quelques jeunes saints et saintes sont particulièrement populaires: en France la Sr Thérèse de l'Enfant Jésus 69 de Lisieux, la Sr Céline de Talence; en Italie, le Fr. Gabriel de l'Addolorata et Gemma Galgani…

Des prophéties annoncent de grands événements providentiels. On peut en profiter pour s'exciter à la conversion, à la prière, à la péniten­ce.

La curiosité nous porte à rechercher nos origines. J'ai retrouvé bien des renseignements sur la généalogie et les armes de la vieille famille des de Hon34). Le nom vient du fief de Hon dans le Hainaut français. Le nom de ma mère est Vandelet. C'est un nom flamand, il y a des Vandelet à Gand. Quelle en est l'éthymologie? Peut-être celle-ci: l'em­pire romain avait constitué sur sa frontière du nord, le long de la Meuse et 70 du Rhin, des colons volontaires (laeti), demi-cultivateurs et demi-chevaliers, qui défendaient la frontière contre les barbares. C'étaient les Lètes. Ils eurent ce nom pendant des siècles, et ceux qui descendaient vers le sud gardaient leur nom d'origine. Ils venaient des Lètes, on les appelait Van de lets ou Vanlett. Quelques pays portent un nom analogue: Lède, Lèdebourg, Lèdeberg, Lèdeghem, est-ce la même origine?

Je rencontre encore dans ce mois quelques évêques, soit en visites soit à dîner chez Mgr Tiberghien. C'est Mgr Monestes, évêque de Dijon, qui a une succession difficile. Son prédécesseur Mgr Dadolle était un homme exceptionnel 71 par la science et l'éloquence. Mgr Douais, évêque de Beauvais: chez lui aussi le petit séminaire s'est relevé, mais les résultats seront-ils considérables? Beaucoup d'enfants essaient, mais plusieurs quittent à la fin de l'année.

Mgr Fuzet. Il se loue aussi de la reprise des vocations. Il a gardé un bon souvenir de son vicaire de Villeneuve (un saint homme d'un zèle extrême…); il ne désire pas témoigner dans le procès de la Mère Véronique.

Mgr Lobbedey d'Arras: son diocèse est bien vivant.

Mgr Béguinot de Nîmes: il est bien favorable à la Mère Véronique. Il est troublé par la sécularisation de beaucoup de Frères et par les périls que courent les religieux 72 isolés. Quelques diocèses du midi ont peine à vivre. A Mende on ne donne plus que 500 frs aux prêtres et cependant le diocèse reçoit 150.000 frs de la caisse commune.

Mgr Meunier d'Evreux. Son diocèse ayant peu d'enfants a peu de vocations. Il a une grande confiance dans la petite sainte de Lisieux. Il a été prier à son tombeau, où l'on va beaucoup en pèlerinage.

J'ai fait visite au cardinal Ferrata. Il est toujours très sympathique à nos œuvres et se réjouit de leurs progrès.

Le P. Ottavio35) va chez le Pape et en reçoit une bénédiction et une recommandation écrites pour son œuvre d'Albino. 73

Le 21, j'ai mon audience du Pape. Elle est importante. J'en note les détails.

Je mets sous les yeux du Pape une note écrite lui exprimant les hommages de la Congrégation et lui demandant sa bénédiction: «Très saint Père, humblement prosterné aux pieds de Votre Sainteté, le Supérieur général des Prêtres du Sacré-Cœur, en son nom et au nom des 450 membres de son Institut, renouvelle l'hommage du plus profond dévouement au Saint-Siège, de l'affection filiale envers Votre Sainteté et de la plus grande fidélité à ses directions.

Il sollicite une bénédiction pour toutes les œuvres de la Congrégation: pour les 400 élèves de ses écoles apostoliques; pour ses trois provinces: allemande, 74 hollandaise et franco-belge; pour ses missions du Congo belge, du Brésil, de la Suède, du Canada, du Cameroun;

pour les 20.000 nègres du Congo convertis à la foi chrétienne et pour leur vénérable Vicaire apostolique, Mgr Grison;

pour les 2.000 ouvriers évangélisés dans les usines du Val des Bois en France et de Récife au Brésil;

pour les 40.000 abonnés à ses bulletins publiés en cinq langues; pour les 20.000 adhérents, prêtres et fidèles, de son Association de réparation au S.-Cœur de Jésus.

Il attend de la bénédiction du St-Père pour les membres de son Institut une nouvelle force pour répondre au but de la Congrégation, qui est, avec le travail ardent de l'apostolat, 75 l'adoration réparatrice du Saint-Sacrement et l'oblation quotidienne d'eux-mêmes dans l'es­prit de sacrifice et d'immolation, conformément aux Constitutions de l'Institut…».

Le St-Père s'intéressa à toutes nos œuvres. Il se réjouit des progrès de la mission du Congo dont il a vu le cher évêque. Il sait combien les missionnaires sont utiles au Brésil, où les vocations locales sont rares et trop souvent défectueuses. Il s'attriste des persécutions de la Russie. Il nous parle de l'Argentine, qui est un refuge pour beaucoup de gens dévoyés et même de défroqués. Il loue la grande foi des provinces du Rhin, Cologne et Münster, et des provinces catholiques de Hollande. Il n'est pas satisfait de 76 l'enseignement philosophique et théologique qui se donne actuellement dans les universités catholiques d'Alle­magne.

Il espère que la Belgique gardera son gouvernement catholique. Nous causons de M. Harmel. Il s'informe de sa santé, il serait con­tent de le revoir encore.

Je lui dis que je vais entrer dans ma 70e année. Il me rappelle un proverbe populaire italien: al sessantesimo anno, tutti saltano - cela indique qu'il faut se préparer à l'autre vie. - Il priera pour un de nos prêtres36) qui a donné dans le modernisme.

Après cette bonne causerie il écrit sur mon papier cette petite page37):

Impartiamo di cuore a tutti 77 i diletti figli, colle più vive congratu­lazioni, l'Apostolica Benedizione, col voto ardente, che alle loro opere di zelo apostolico non manchi mai lo spirito per la propria santificazio­ne nella adorazione riparatrice, nell'oblazione quotidiana di se mede­simi, nello spirito di vero sacrifizio e nella immolazione per la propria e per la salute delle anime.

Dal Vaticano, li 21 febbraio 1912 Pius PP. X.

Je tenais mon petit trésor, je quittai le St-Père tout ému.

J'ai vu aussi ces jours-ci Mgr Mac Ferlane, évêque de Dunkeld en Ecosse. Il était sténographe au Concile. Nous étions vingt. La moitié sont morts. Outre Mgr Mac Ferlane, nous avons deux autres 78 évê­ques, Mgr Bougouin et Mgr Tonti38). Allen a été aussi évêque en Angleterre, il est mort. Mgr Zonghi, directeur de l'Académie ecclésias­tique, le sera sans doute aussi bientôt. Volpini, qui était secrétaire des lettres latines et qui avait été nommé secrétaire du Conclave, est mort à la veille d'être cardinal. J'espère revoir tout ce cher monde là-haut.

Je reçois de bonnes lettres de l'Extrême Orient, de Tokyo, de Changhaï, de Ceylan. Je me suis fait des amis en voyage, j'espère que leurs prières m'aideront.

Je visite l'Institut biblique39). C'est, dit-on, l'emplacement de l'ancien temple du soleil, c'est bien. C'était un hôtel particulier, où l'on retrou­ve quelques fresques du Poussin. 79 Il y a une vingtaine de Pères jésuites sous la direction du P. Fonck. Ils sont de plusieurs nations. La bibliothèque est bien aménagée, le Vatican a donné les livres. Il y a beaucoup de revues de toutes langues et un embryon de musée. C'est bien en train.

A l'occasion de mon entrée dans ma 70e année, j'écris une lettre cir­culaire à tous mes religieux, je la fais imprimer sous le titre «Souvenirs»40). C'est mon testament spirituel. Je leur rappelle les débuts de la Congrégation, les marques de la volonté divine, les encourage­ments surnaturels, les épreuves, l'approbation des évêques et du St­-Siège… Puis je me sers des bonnes paroles que le Pape a bien voulu écrire 80 sur ma supplique de la dernière audience, pour rappeler à tous les résolutions que nous avons à prendre.

Cette petite brochure n'est qu'une esquisse. Il y aurait encore beau­coup à dire sur le même thème, mais cela suffisait pour le moment.

Je voudrais former davantage dans l'œuvre l'esprit de corps au sens surnaturel, la foi dans l'œuvre, l'estime de son but et de sa mission, l'union des pensées et des cœurs pour le travail commun.

J'envoie ces brochures pour le 14 mars. Je reçois des lettres émues et reconnaissantes, il en sortira quelque bien.

Le 14 mars, Mgr Bougouin et Mgr Pillet viennent dîner avec 81 nous, c'est une fête de famille. Mgr Bougouin fait un toast gracieux où il rappelle les souvenirs de ma première messe.

J'ai 69 ans accomplis: longum aevi spatium! Je devrais avoir acquis bien des vertus et accumulé bien des mérites, mais hélas! tout est à fai­re, et bientôt il sera trop tard! Je me sens bien écrasé par un long passé de fautes, de faiblesses et de misères de tout genre… De profundis clama­vi ad te, Domine… Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam (Ps. 129 et 50).

Le 19, à la chapelle du Séminaire français, cérémonie du sacre de Mgr Malleret, nommé évêque de la Martinique. Il est assisté par Mgr Augouard et Mgr de Durfort.

Rien n'est touchant comme cette 82 cérémonie. Le prélat a prêté d'avance le serment de fidélité au Pape et à son Eglise. Il est interrogé sur sa foi. Il se prosterne et on chante les litanies des saints. Puis l'évê­que consécrateur commence une préface où il rappelle le sacerdoce symbolique d'Aaron et pendant le Veni creator qui coupe la préface a lieu l'onction sacrée. La préface reprend ensuite sous forme d'une sublime prière pour demander à Dieu de bénir et sanctifier son élu. Bénédiction de la crosse, symbole de l'office de pasteur; bénédiction de l'anneau, symbole des épousailles du prélat avec son église.

Le nouvel évêque avait commencé la messe à son autel spécial, de l'introït au graduel. Il la continue 83 au coin du maître autel, il consa­cre avec le célébrant, il communie avec lui, sous les deux espèces. Après la bénédiction, le consacré reçoit la mitre, les gants, l'anneau, et pendant le chant du Te Deum, il va bénir toute l'assemblée, dans laquel­le il rencontre ses parents émus.

Toute cette cérémonie m'impressionnait mais en même temps ces deux heures passées là dans ces stalles du séminaire me rappelaient tant de souvenirs: les six ans d'études que j'ai passés là, tant de grâces reçues, et ma première messe du 20 décembre 1868, en présence de mes bons parents, et la mort de ma mère, dont c'est l'anniversaire aujourd'hui 19 mars… 84 Ah! si j'avais été fidèle à tant de grâces reçues ici!…

Le prélat consécrateur était le cardinal Merry del Val41), il fait les cérémonies avec dignité et piété.

Le 21, dîner à Santa Chiara, en l'honneur du nouvel évêque. Je retrouve là les dignitaires de toute la colonie française: le supérieur des Oblats de Marie, ancien évêque de Vancouver, l'archevêque élu d'Athènes, Mgr Petit42)… Mgr Bougouin est encore là avec Mgr l'ar­chevêque d'Auch.

Le 25, dîner chez les Lazaristes, je suis à table auprès du prince Ghika, un roumain intéressant.

J'ai achevé d'écrire les notes de mon grand voyage43). Ces notes m'ont pris une année, mais sans ce travail j'aurais gardé un souvenir bien vague de tant de choses intéressantes. 85

Mon séjour va se prolonger à cause d'une réunion de l'Index qui aura lieu le 25.

Nous avons fait ici le mois de rénovation, nous terminons à Pâques. Cela fait quelque bien, mais une retraite mêlée à la vie de travail n'a pas grande action sur les âmes.

Je n'ai pas de bonnes nouvelles de St-Quentin, de mon économe, de ses procédés. J'ai de gros soucis et des souffrances que je ne puis pas dire.

En semaine sainte, visite à la Scala Santa et aux reliques de Ste Croix de Jérusalem et de St Jean de Latran. Cela soutient de penser à la Passion de N.-S., à sa patience, à ses humiliations… 86

Promenade au cimetière anglais. On y enterre encore les luthé­riens, les calvinistes, les Russes: étrange sympathie des hérésies. La par­tie ancienne est comme païenne, des cippes, des colonnes, pas de croix; la partie nouvelle ressemble à un cimetière catholique, par ses croix, ses symboles et ses inscriptions: question d'évolution.

Le 9, promenade à Frascati, à Tusculum44). Le temps est beau. Nous respirons l'air pur des montagnes et nous nous reposons. Les anciens aimaient ces lieux, Caton, Cicéron, Lucullus… Tusculum avait son acropole où deux beaux temples élevés en l'honneur de Jupiter et des Dioscures profilaient leurs colonnes sur le ciel bleu. Assis sur les degrés du théâtre de Tusculum, je lis à mes jeunes gens des pages de Cicéron:

1 ° Sur l'immortalité de l'âme. A la suite de Socrate, il fait valoir avec abondance les arguments métaphysiques: 87 l'immatérialité, la simpli­cité, l'unité de l'âme: In animi cognitione dubitare non possumus, nisi pla­ne in physicis plumbei sumus, quin nihil sit animis admixtum, nihil concre­tum, nihil copulatum, nihil coagmentatum, nihil duplex. Quod cum ita sit, certe non secerni, nec dividi, nec discerpi, nec distrahi potest: nec interire, igi­tur. Est enim interitus quasi discessus, et secretio ac diremptio earum partium, quae ante interitum junctione aliqua tenebantur (Tusc. 1.26)45).

Il ajoute l'argument moral: il y a deux voies pour l'âme après la mort. Les gens vicieux et débauchés, les concussionnaires, ne peuvent pas aller vivre avec les dieux: iis devium quoddam iter esse, seclusum a con­cilio deorum46). Mais pour ceux qui se sont 88 conservés chastes et qui ont vécu exempts de toutes souillures, comme des esprits célestes dans des corps humains, pour ceux-là, le retour au ciel n'est-il pas tout natu­rel? Qui auteur se integros castosque servavissent, quibusque fuisset minima cum corporibus contagio, seseque ab his semper sevocassent, essentque in corpo­ribus humanis vitam imitati deorum; his ad illos, a quibus essent profecti, redi­tum facilem facere47). Un chrétien ne parlerait pas mieux.

Sur l'astronomie. Cicéron, avec quelques anciens, a pressenti nos grandes découvertes scientifiques: la sphéricité du globe terrestre, le mouvement de la terre autour du soleil. Il en savait là-dessus autant que Christophe Colomb et Galilée: Dicitis esse e regione nobis, e 89 contra­ria parte terme, qui adversis vestigiis stent contra nostra vestigia, quas antipo­dors vocatis… ista non aspernor.. - Hicetas syracusius solem stare censet, neque praeter terrain, rem ullam in mundo moveri; quae cum circum axem se somma celeritate convertit et torqueat, eadem effici omnia, quae si stante terra coelum moveretur48). - Platon dit cela dans le Timee, quoique moins clairement. Ces lignes n'indiquent pas seulement la rotation de la terre mais aussi l'excentricité de son orbite, se convertit et torqueat. Je m'étonne que ces découvertes refaites au 16e siècle aient tant étonné la science et l'Eglise (Questions académiques, liv. IV. 39).

3° Sur sa villégiature à Tusculum. Il écrit, en plaisantant, à son 90 ami Papirius. Il lui dit les avantages qu'il trouve à Tusculum, il y refait son âme et son corps, son âme par des exercices de rhétorique, son corps par le repos, la bonne table et la promenade. «Je mange plus de paons ici, lui dit-il, que tu ne manges de pigeons, là-bas. Viens, si tu es un homme, tu feras un peu de philosophie, etsi sus Minervam… Il te reste au moins un mulet pour aller à Rome, quoique tu aies mangé tes rosses». - Cicéron sait plaisanter, quand il est en dehors des affaires sérieuses.

Le peuple de Frascati va en foule faire là haut un déjeuner sur l'her­be en souvenir de la prise de Tusculum par les Romains en 1191. Les traditions populaires sont tenaces. 91 Quels temps que ceux-là! Les Comtes de Tusculum imposèrent à Rome une douzaine de papes, même un enfant de 12 ans, qui en eut bientôt assez. C'est beau la féo­dalité, secundum quid!

Nous descendons par les Camaldules. On vit vieux là dans la solitu­de: 80, 85, 90 ans. Ce sont les soucis du monde qui nous rongent.

La Renaissance a ressuscité Tusculum. Les princes romains, neveux des Papes, ont construit là des palais qui surpassent ceux de Caton et de Cicéron. Les Aldobrandini, les Altemps, les Borghèse, les Ruffini, les Piccolomini ont prodigué là les millions et joué au Louis XIV. C'était dans les moeurs du temps. 92 L'Eglise est de tous les temps, elle a essayé de baptiser la barbarie, la féodalité et même la renaissan­ce; elle s'exerce aujourd'hui à baptiser la démocratie49).

Le 10, dîner chez Mgr Tiberghien avec le Ministre de Belgique et quelques prélats. Les catholiques belges ont bon espoir pour leurs pro­chaines élections. Que Dieu les entende!

Je vois plusieurs évêques: Mgr Foucault et Mgr de Nancy s'occupent de faire ériger Nancy en archevêché. J'ai bien fait ce que j'ai pu pour lancer cette idée-là.

Mgr Penon est un ami de nos œuvres, un dirigé du P. André, prélat très pieux, il aime l'esprit de victime au S.-Cœur.

J'écris pour tout mon monde deux circulaires50): Une sur l'ordre 93 et la propreté; l'autre sur la charité, la politesse et le bon esprit. Insta opportune, importune.

Le 17 est mort le père Gabriel Glod51) à Albino, j'en ai été très ému. Il est mort en vraie victime du S.-Cœur, patient et souriant, offrant sa vie pour l'œuvre. Il avait reçu des grâces peu communes de victime. Il a été inégal, mais il a bien fini, il nous aidera au ciel.

J'ai la grippe tout ce mois et j'en suis passablement affaibli. Fiat! il y a tant à expier.

Réunion de l'Index le 25. Départ le 26.

Messe à Gênes à la belle église de l'Annunziata: marbres précieux, or donné par Colomb. Quelques franciscains seulement. L'Etat conser­ve 94 les monuments de l'art chrétien, mais il réduit le culte au mini­mum. L'Eglise ainsi tenue en lisière ne sera plus en mesure d'élever et de produire des œuvres d'art. La vie sociale s'abaissera d'autant et se matérialisera.

Deux jours à Cannes. Messe aux Auxiliatrices le dimanche et chez les Soeurs de St Thomas de Villeneuve le lundi: une communauté aris­tocratique et une communauté populaire…

Promenade à la corniche, à St-Raphaël, à Fréjus, à l'Estérel. Les vil­las se multiplient sur la corniche, c'est le monde moderne, le monde de la finance, de la littérature et du théâtre qui domine là.

St-Raphaël a une église neuve, 95 dans le style byzantin. C'est un courant. Marseille, Alger, Hippone etc. ont leur église byzantine. Fréjus a son vieux port et son amphithéâtre. Les conquérants romains ont débarqué là, mais aussi les apôtres de la Gaule.

L'Estérel a été béni et surnaturalisé par Ste Madeleine. Le moyen­âge y a eu l'auberge des Adrets. Ces barons de montagne préludaient aux Mandrin et aux Bonnet de nos jours.

Lyon: messe à Ste Croix. J'y ai prêché autrefois sur le caractère social de l'Evangile.

Paris: Notre Dame des Victoires. Visite à Mgr Le Roy. 96

Il y a une épreuve assez pénible à Fayet, des escrocs (Motte et Blancard) se donnant pour de pieux candidats à la vie religieuse souti­rent au Bon Père des sommes de quelque importance.

Le 3, élections communales en France. Elles ne sont pas pires que précédemment, cependant le corps électoral est de plus en plus gâté par l'école sans Dieu.

Nombreuses scènes d'anarchie, des bandits dévalisent les banques et pillent les villas écartées. Nous retournons à la barbarie.

Conseil le 8: nous encourageons la province de Hollande à cher­cher les ressources pour faire sa part des dépenses du scolasticat com­mun, et nous réprimandons un économe dont les imprudences 97 m'ont fait beaucoup souffrir.

Mgr Cottel [Catel Pierre], préfet apostolique de l'Oubanghi52), accepte nos projets de délimitation au Cameroun, espérons que cette mission pourra s'organiser.

L'évêque de Taubaté, au Brésil53), nous demande un personnel pour son séminaire, c'est à voir. Ce serait une mission intéressante.

Le 16 j'assiste à la première communion de mon petit neveu Robert de Bourboulon à Stanislas.

Le Supérieur, M. Pautonnier m'a invité. Mgr Baudrillart, recteur de l'Institut catholique, officie et prêche. Le cardinal Amette donne la confirmation.

Le soir, dîner en famille. Je rencontre là un député royaliste 98 de l'Anjou, très convaincu, M. de la Vrignais, mais j'apprends d'autre part que nos candidats au trône ne brillent pas par leur conduite privée ni par le gouvernement de leur fortune patrimoniale…

Le 17 excursion dans la vallée de Marne, à St-Cyr sur Morin, à Jouarre, à Meaux: frais paysages, pays indifférents.

A Meaux, en cinq cents ans, les évêques n'ont pas su ajouter la tour qui manquait au portail. J'admire le monument de Bossuet. Il a du bon, mais qu'il est mal placé! On ne met pas un évêque ainsi dans un coin à l'entrée de l'église, comme un catéchumène.

Meaux est une ville bien tenue avec des promenades et des 99 ave­nues soignées. Toutes les villes de la région du nord, Meaux, Com­piègne, Amiens, Reims, etc. sont mieux administrées que notre pauvre St-Quentin. Nous gardons des ruelles, des impasses, des rues en zig­zag. Nous ne savons pas ouvrir de larges rues et les planter, dresser un quai le long de la Somme, faire les ponts nécessaires, etc. L'esthétique est au niveau de la culture morale…

Meaux a d'étranges moulins sur pilotis le long de ses ponts sur la Marne. Nos vieilles villes ont encore bien des curiosités, malgré le van­dalisme de la révolution.

Visite à Jouarre54). L'ancienne abbaye a eu un grand passé. 100 Il y a dix ans, il y avait encore là un grand couvent avec pensionnat. C'est fermé: notre république maçonnique a passé là comme un vampire.

Il reste une crypte étrange, une petite nef gallo-romaine avec une dizaine de sarcophages variés qui ont gardé des corps saints pendant des siècles. Ces tombes sont de tous les styles, du 7e au 14e siècle. Les corps saints sont maintenant dans l'église paroissiale. Il y avait là sainte Ozanne, princesse d'Ecosse et moniale bénédictine, etc. etc.

Toutes nos grandes abbayes avaient de ces trésors avant 101 qu'ait passé la trombe révolutionnaire…

Tous ces temps-ci sont attristés par des négociations difficiles à Louvain pour régler les intérêts des deux provinces et par les graves ennuis que me causent les imprudences d'un économe.

Le 23 mai, le tribunal de St-Quentin, jugeant maçonniquement, met à la charge du Comité de l'église St Martin tous les frais du procès, qui a fait réduire de 80.000 frs les exigences d'un entrepreneur ami des loges.

Ce sera un mois de visites canoniques à beaucoup de nos maisons. Le 3, visite de famille à La Capelle. C'est un pèlerinage au lieu de séjour et au tombeau des pieux ancêtres. 102

Le 5, visite à Mons. J'approuve ce qu'il y a de bon, j'encourage, je voudrais plus de vie surnaturelle, plus d'initiative, plus d'entrain.

Du 6 au 8 à Bruxelles: Conseil, projets d'arrangements pour Louvain.

Le 9, Tervueren: la maison est en bonne voie, elle se libère un peu de ses charges. J'y voudrais plus d'élèves, pour suffire à la mission du Congo.

Le 11, réunion des anciens élèves à St Jean. Monseigneur préside. Fête de famille, réunion cordiale. Les anciens confient leurs enfants à l'Institution. L'œuvre continue à faire le bien.

Du 12 au 15, visite à Luxembourg: maison prospère et régulière. Le zèle des missions y règne, les élèves sont attachés à la maison et à la congrégation. 103

Le 16, visite au couvent des Soeurs à Chazelles. On y prie beaucoup. La Mère supérieure met là toutes les Soeurs faibles de santé. C'est un hôpital de pieuses réparatrices, qui se consument dans la prière, la patience et l'amour du Sauveur.

Le 17, Clairefontaine. La maison est sérieuse, les enfants sont bons, et le temporel n'est pas en souffrance. C'est une pieuse solitude sur laquelle la Mère de Miséricorde veille avec tendresse.

Le 18, Cinq-fontaines: belle maison, avec une chapelle où se reflète notre esprit, dans le symbolisme des autels, des vitraux, des statues. Quelques bons frères convers.

Le 21, visite à Brugelette: quinze novices bien en train. 104 La mai­son s'arrange pour le matériel. Patience! Le noviciat est assez bien là. 23-25, Louvain: cinquante scolastiques, dont la plupart se préparent pour les ordinations de juillet. Le démon de la tiédeur a fait quelques ravages, j'essaie de réagir. Je compte sur l'infinie miséricorde du Cœur de Jésus. Nous en avons besoin.

Le 30, solennité de saint Pierre. Pèlerinage à Quévy55). Un millier de pèlerins. Beaucoup prient avec une grande foi et une grande simpli­cité. On dit que bien des grâces, même miraculeuses, sont obtenues à ce sanctuaire.

Visite à Maastricht. Il y a eu des nuages dans les rapports avec la province hollandaise, cela se dissipe. Une grande œuvre 105 se prépa­re à Maastricht, œuvre bien sociale, une maison de protection pour les jeunes gens sans famille, ce que les Anglais appellent Protectory. Deux cents gamins pourront trouver là une éducation chrétienne qui les relèvera.

Visite et séjour à Sittard du 4 au 7. Le noviciat est fervent. L'école va bien et progresse. On en double les bâtiments. La revue a 25.000 abonnés. On prépare la mission du Cameroun, mais il y a des diffi­cultés administratives.

8-9, Asten, pieux noviciat qui doit grandir aussi. Il y a là un couvent des Soeurs de Notre-Dame. Elles sont une trentaine, dont huit seule­ment sont valides, 106 et les novices ne viennent pas. Que de commu­nautés françaises s'étiolent ainsi en Belgique et en Hollande!

Le 11, réunion à Bruxelles, au Gesù, de tous les supérieurs des con­grégations qui ont des missions au Congo. Mgr Roelens préside. Echange de vues intéressant sur la défense des missions56), sur la créa­tion d'un groupe de protection des missions au Parlement, sur l'orga­nisation d'une procure générale. Nous constituons un Comité qui se réunira tous les mois et prendra les décisions utiles.

Le 14, belle ordination à Louvain: dix prêtres des nôtres. C'est toujours trop peu pour nos œuvres, mais s'ils sont fervents c'est un grand progrès pour la Congrégation. 107

Le 15, cérémonie touchante de premières messes. Si nous savions dire toutes nos messes comme la première!

Conseil57) où nous réglons la séparation des scolasticats français et hollandais.

16-17, visite à Bergen. La maison a grandi. Trop de vocations se per­dent dans le cours des études. Les petites classes sont nombreuses et il y a bon espoir pour l'avenir.

Le 21, au Val des Bois, réunion des Conférences de St Vincent de Paul du diocèse. Le bon cardinal Luçon préside. C'est la bonté même. Il sait gagner la sympathie des ouvriers. Il est bien ardent pour toutes les œuvres. Il nous édifie par sa simplicité et sa charité. 108

Quelques pèlerinages avec le P. Guillaume. Ce sont les meilleures vacances, elles profitent à l'âme comme au corps.

Le 5, messe matinale à N.-D. des Victoires. On y trouve toujours un accroissement de confiance, de paix et de bonne volonté.

Arrêt à Moulins. C'est là qu'est la première grande église du S.­Cœur, le centre de l'archiconfrérie: architecture de Lassus, vitraux de Lolain.

La cathédrale est l'ancienne chapelle des ducs de Bourbon, allon­gée par Viollet-le-Duc. Tombeau et souvenirs de Mgr de Dreux-Brézé, l'évêque gentilhomme. Autre tombe réaliste avec un cadavre rongé par des vers, c'est un bon sujet de méditations.

Naturellement le musée est dans l'ancien collège des jésuites et 109 le lycée à la Visitation. Le mot de Proudhon, « la propriété, c'est le vol» n'est pas toujours faux.

A la chapelle du lycée, beau mausolée renaissance du duc Henri II de Montmorency. Hercule et Mars y figurent. La Renaissance avait des instincts païens.

Le soir, Paray-le-Monial. Pour nous, c'est le berceau de notre voca­tion. Nous vivons de Paray-le-Monial. Nous voulons entendre journelle­ment les plaintes et les désirs de N.-S., et ses consolantes promesses. La chapelle de la Visitation est toute parfumée de piété. La Bienheureuse repose là où elle a eu ses visions. Le petit sanctuaire est rempli de ban­nières et d'ex-voto. 110

Visite à la grande église abbatiale, souvenir d'un âge de prière et de vie claustrale.

Le Musée eucharistique est un grand acte de foi, il rappelle avec édification les pactes que les nations ont conclus avec le Christ.

Je vénère le corps du P. de la Colombière, un précurseur et un modèle pour les Prêtres du S.-Cœur.

Le 6, messe à l'autel de l'apparition. Déjeuner monacal et rustique chez les Clarisses avec le P. Jules58). Les divisions dans l'ordre franciscain sont bien regrettables.

Grand déraillement vers Lyon, au train que nous pensions prendre d'abord. Nous sommes obligés de tourner par Saint-Etienne. Courte visite à Roanne: église ogivale moderne de N.-D. des Victoires; 111 église ogivale du XIVe siècle dédiée à St Etienne. Roanne élargit ses rues et se nettoie. Le socialisme ouvrier y fait de larges brèches à la vieille foi. Le soir à Lyon.

Lyon: la ville de Marie, la ville des saints. Messe à Fourvière le 7. Qu'elle est belle cette église! C'est un éblouissement de blanches sculptures, de mosaïques et d'or à l'intérieur. C'est toute l'épopée de la Sainte Vierge, racontée par les vitraux, les mosaïques, les autels et le symbolisme des sculptures. L'extérieur est moins réussi. Bossan a voulu que le sanctuaire fût comme la citadelle protectrice de Lyon, mais ses quatre 112 tourelles d'angles sont maigres et n'expriment pas l'idée de la force, comme l'artiste l'aurait voulu. L'intérieur exprime bien la pureté et la grâce, l'extérieur exprimerait mieux la force, si les tours étaient plus amples.

Que de souvenirs à Lyon! Au deuxième siècle, St Irénée, St Pothin, Ste Blandine et un groupe admirable de martyrs. Plus tard, St Bonaventure passe là, puis St François de Sales et St Vincent de Paul. De notre temps, Ampère et Ozanam, Pauline Jaricot, la Mère Véronique, le P. Chevrier.

St Irénée a apporté là l'esprit de l'apôtre St Jean. Je recherche tous les souvenirs 113-115 des martyrs: St Irénée et sa crypte remplie d'os­sements, l'hospice St Pothin et ses prisons, les églises de St Nizier et de Notre-Dame d'Ainay, avec leurs caveaux sacrés où ont vécu St Pothin et Ste Blandine.

Je visite en passant la vieille cathédrale, moins brillante que celles du nord, mais aussi intéressante dans son ensemble. Elle est hélas! dépouillée de ses reliques qu'on a enlevées pour les soustraire à l'in­ventaire. Nos Jacobins sont des sauvages malhonnêtes.

Je vais à la Providence du Prado vénérer la tombe du P. Chevrier et visiter sa pauvre chambre. Il fut un admirable disciple du Curé d'Ars. Après le disciple, il fallait voir le maître, j'étais à Ars le 7 au soir.

Ars - les 7 et 8. - Le Saint Curé! C'est l'honneur des prêtres, c'est leur modèle, c'est leur joie! Il a passé en faisant le bien, comme le bon Maître.

Je revois sa pauvre maison, son pauvre lit, ses meubles de pauvre. On me raconte un beau miracle. Récemment une enfant bossue s'est couchée dans le vieux cercueil de plomb du curé, on a prié et l'enfant s'est relevée, redressée et guérie. Ce miracle aidera à la canonisation du saint.

Le nouveau sanctuaire est de Bossan, comme la basilique de Fourvière. C'est une coupole triomphale. Très beau en soi, ce choeur aurait dû être séparé de la 117 petite vieille église pour satisfaire les artistes, mais les pèlerins pensent que le St Curé préfère voir sa tombe glorieuse étroitement unie au vieux sanctuaire où il a vécu.

D'Ars à Bourg, je passe par les Dombes. Curieux étangs où les habi­tants cultivent alternativement les poissons et les gazons. Ils inondent ou dessèchent ces vallons en se servant de barrages et de vannes.

Nous passons à Châtillon où St Vincent de Paul était curé et fonda les Filles de la charité. Je regrette de n'avoir pas le temps de m'arrêter. J'aperçois l'église du St Curé avec son haut transept accoté de tourelles renaissance. 118 Châtillon a élevé au grand apôtre de la charité une belle statue en bronze de Cabuchet.

Je revois encore Bourg et Brou que j'ai déjà vus tant de fois. Brou! la merveille du gothique flamboyant. Son jubé, ses galeries et ses tom­beaux sont une vraie dentelle. J'ai connu là le séminaire, les jacobins en ont fait une caserne, et l'on dit que nous sommes en république et en liberté!

Sur les miséricordes des stalles, les artistes ont donné essor à leur verve et à leur critique. Il y a là tout un monde affublé d'oreilles d'â­nes ou livré à la raillerie par des grimaces.

L'église Notre-Dame à Bourg a aussi de riches stalles en boiseries. 119 Les princes de Savoie savaient faire grand. Ils ont été plus artistes en Savoie qu'en Piémont.

Les 8-9 et 10. -J'ai vu en France les églises et les séminaires désaf­fectés. Je vois à Genève l'église Notre-Dame rendue au culte catholi­que. Elle n'avait guère souffert de son passage à l'hérésie. Un simple nettoyage la remettra en bon état.

Je dis la messe à la grande chapelle des Paquis où le peuple prie bien. Je revois l'église du S.-Cœur, l'ancien temple maçonnique, assez bien adapté à notre culte. Le catholicisme gagne beaucoup de terrain à Genève. On s'y habitue à la soutane.

Genève étend ses jardins publics aux dépens du lac, c'est habile. 120

Le soir du 9 à Chamonix. La grande nature parle de Dieu comme l'art chrétien et les souvenirs des saints. Les Bossons! Le Mont Blanc! La Mer de glace! Le temps était suffisamment clair. Les Bossons descendent du Mont Blanc comme une cascade de glace. Ce sont sans doute les plus grands glaciers d'Europe.

Je monte à la Mer de glace par le funiculaire. En 1864, je montais là à dos de mulet avec mon frère. Il y a presque cinquante ans.

Avant Chamonix, c'était la vallée de l'Arve, gorge profonde, som­bre, tumultueuse et impressionnante.

Après Chamonix, c'est la Mer de glace, qui fait suite au 121 Glacier du Géant ou au Géant des glaciers. - Nous quittons la vallée de l'Arve au col de Balme, pour suivre le torrent du Trient qui descend de ses glaciers. - A Vernagaz nous pénétrons dans ces gorges du Trient qui laissent voir le soleil à 500 mètres au dessus de nos têtes. L'eau a mis des siècles à ronger la pierre pour former là ces immenses excavations, qui ressemblent à des salles de palais ou d'églises.

Le 11, visite à St-Maurice. J'ai souvent prié là depuis 1864. C'est sur le chemin du Simplon. Un chanoine nous fait visiter le merveilleux trésor: châsses byzantines, coupes de Charlemagne et de Saint Louis, 122 crosses, calices et reliquaires, qui datent du 6e au 19e siècle. On est heureux de retrouver un trésor d'église, échappé aux barbares de la Révolution, qui en ont détruit bêtement et brutalement des centaines. Les chanoines d'alors avaient caché leurs précieux souvenirs dans les rochers de la montagne. Aujourd'hui, ils les protègent par un coffre-fort colossal.

Montreux: un vallon de Tempé, un coin de l'Eden au fond du lac de Genève.

Montreux, Stresa, Nice et Cannes, l'humanité d'aujourd'hui cher­che là un resouvenir du Paradis perdu, comme les vieux Romains allaient à Capoue, à Tibur, à Capri, à Sybaris. 123 Quelques-uns en abusent, d'autres ne demandent à ces lieux privilégiés que le repos et le bon air, après une période de fatigue.

De Montreux, nous allons à Interlaken par l'Oberland bernois, tou­te cette ligne est superbe. Nous gravissons les Alpes de Gruyères et nous descendons par la gorge du Simmen vers le lac de Thun.

C'est ici encore un coin de l'Eden. La ville est remplie de visiteurs aristocratiques. La Providence a réuni là toutes les merveilles de la nature: lacs, montagnes et glaciers, et l'industrie moderne rend tout cela accessible par les chemins de fer les plus audacieux. Quel domma­ge que Calvin règne là! Mais depuis mon dernier voyage les catholi­ques ont élevé une 124 jolie église ogivale, sur un plan hexagonal qui favorise l'acoustique. Il est permis d'emprunter aux hérétiques quel­que chose de leur sens pratique.

Nous montons au Schynige Platte à 2000 mètres, et nous trouvons là un des plus merveilleux panoramas du monde: derrière nous les deux lacs de Thun et de Brienz, devant nous la grande chaîne de montagnes blanches. Au centre la Jungfrau, la Vierge au grand voile tout blanc, et son glacier infini qui s'appelle la Mer de glace, comme celui de Chamonix. Le Monsch et le Egger font cortège à la Vierge et plus à droite se dresse bien isolé et bien regulier le Breithorn qui 125 est si beau avec son glacier qui descend comme un grand plastron blanc.

Nous allons le soir à Lucerne, par le beau lac de Brienz et par la ligne de Brünig si hardie et si riche en perspectives surprenantes.

Les 13 et 14. La villa St Charles, à Meggen près Lucerne, est un séjour de villégiature et de repos pour des ecclésiastiques et des per­sonnes pieuses. Je n'avais pas écrit d'avance et on nous loge dans le galetas d'une ferme. Le parc est beau, mais il pleut. On pourrait vrai­ment passer là quelques bonnes journées. Ce serait un des beaux cen­tres d'excursion de la Suisse, mais il y faudrait le beau temps. Il y a 126 là des prêtres d'un joyeux caractère. Un bon chanoine de Versailles répond trois messes à la fois.

Je reçois un grand courrier, il y a, comme tous les jours de l'année, des épines mêlées aux roses. Tout le monde a sa croix quotidienne, les supérieurs surtout et les Oblats du Sacré-Cœur.

Nous ne voulons pas passer le jour de l'Assomption dans cette gre­nouillère, où la pluie rend tout maussade, nous partons pour Ein­siedeln.

Le grand sanctuaire est bien vivant le jour de l'Assomption. Les pèlerins affluent dès la veille et toute la matinée. Quelques-uns ont les vieux costumes de la Suisse. Les confessionnaux sont assiégés, ils rem­plissent une 127 vaste chapelle.

Le sanctuaire de la grande Vierge Noire rappelle la chapelle de Lorette. On y célèbre des messes jusqu'à midi. Les fidèles sont avides d'y entrer et d'y prier.

L'église est le bouquet du style rococo. Les stucs, les grilles, les pein­tures, les vitraux, tout prend les formes contournées qu'aimaient le Bernin et Borromini. Cet art a une analogie réelle avec l'art japonais. Est-ce fortuit, est-ce imitation? L'imagination humaine inclinerait-elle spontanément à ces formes maniérées, dans les pays riches et déca­dents?

Les orgues mues par des touches électriques peuvent donner des sons de tonnerre. 128

Le plain-chant est pur et pieux. Une touchante cérémonie est le chant du Salve Regina après complies. Le clergé se rend à la petite cha­pelle: en tête sont les apostoliques, puis les novices, les étudiants et les prêtres. Tout le monde s'avance pieusement comme un cortège angéli­que. Le chant à plusieurs voix est délicieux, la Sainte Vierge doit être contente.

Je visite l'abbaye. Il y a la salle des Princes avec portraits en pied donnés par les souverains. Napoléon III est là avec l'impératrice Eugénie.

La bibliothèque est riche en incunables, en miniatures, en vieilles éditions de la Bible.

Un moteur électrique fait 129 sonner le bourdon. Il épargne la fati­gue de six hommes.

Excursions aux collines du Herrenberg et de St-Meinrard, pour voir de loin les grandes Alpes, mais il y a de la brume.

16-17. - Retour à Lucerne par le haut du lac. A Flüelen, le massif du Gothard se laisse entrevoir. Pèlerinage à la chapelle de Guillaume Tell. Les catholiques prient là. Tous les Suisses devraient se rappeler que leur passé est tout catholique. Quelle variété a ce lac de Lucerne! Il va à droite et à gauche, comme les doigts d'une main. Il nous montre tour à tour le Gothard, les Mythen, le Righi, le Pilate. Il est bordé de castels et de villas. 130 C'est une des régions les plus gracieuses de l'Europe.

Lucerne se dit la «perle de la Suisse». Elle partage cet honneur avec Genève et Interlaken. Elle est presque toute catholique. Elle a diverses églises: sa grande collégiale, St Pierre, l'église des Jésuites, etc. Elle a ses quais merveilleux, son vieux pont, ses parcs et ses musées…

Au vieux pont, peintures religieuses qui marquent la foi de la vieille ville.

Au musée de la ville, une curieuse danse des morts - costumes et armes de la Suisse - peintures anciennes et modernes. Les Suisses d'aujourd'hui imitent toutes les bizarreries et tous les essais des ate­liers parisiens. 131

Le musée de la paix et de la guerre mérite une visite. On y voit tout le progrès des armes depuis l'âge préhistorique jusqu'à nos jours. J'aime à voir comment les Romains et le Moyen-âge avaient une sorte d'artillerie qui lançait des boulets de pierre par la force de contraction des cordes, comme un arc lance des flèches.

Le Parc des glaciers offre un grand intérêt. On y voit au naturel comment les pierres roulées sous les glaciers creusaient des rigoles, des trous, des marmites, des moulins. C'est une bonne aubaine pour Lucerne d'avoir trouvé ce travail de la nature aux portes de la ville, près du beau 132 Lion de Thorwaldsen, qui témoigne de la fidélité des Suisses.

Après Lucerne, Zürich et Schaffhouse. Zürich est une grande ville allemande, très calviniste et très étonnée de voir la soutane se prome­ner hardiment dans ses rues. Elle s'étend au bout de son lac, sur les rives de la Limmat. Nous allons jusqu'au port où une belle promenade laisse voir le lac et le groupe de montagnes de l'Utli. - Au centre de la ville, le vieil acropole préhistorique. Les anciennes églises ont été acca­parées par la secte. Les catholiques ont construit une belle église en forme de basilique romaine, non loin de la gare.

La cathédrale a ses auditions d'orgue, comme celle de Lucerne; j'al­lais oublier de noter que 133 j'ai pris part à une de ces fêtes de l'oreil­le à Lucerne: morceaux des grands maîtres et composition fantaisiste avec des échos et des effets d'orage et de tonnerre.

Après Zürich, c'est Schaffhouse. C'est encore là une des merveilles de la nature. Le créateur est le plus grand des artistes. Il fait les paysa­ges, et Courbet, Hobbéma, Poussin et Daubigny les représentent sur la toile.

Les catholiques s'infiltrent partout en Suisse. Ils ont élevé une belle église à Schaffhouse et ils en achèvent une autre à Neuhausen.

Je revois le Rheinfall après le Niagara, cela me paraît petit, mais le cadre est beau avec le castel de Laufen. 134 Je grimpe encore au rocher qui sépare les eaux. Je vais voir le soir les illuminations, c'est une récréation féerique. La cascade toute simple raconte mieux la puissance divine.

Après cela, je descends le Rhin à Bâle, il faut courir, il faut avancer, et le soir du 18 nous couchons à Belfort.

Le 19. - Curieux groupe de commis-voyageurs, qui discutent sur la valeur de tous les hôtels et de tous les restaurants de France. Belfort se modernise, mais ses grands industriels, protestants ou indifférents, met­tent des obstacles aux œuvres catholiques. Visite au fameux lion. L'idée en est prise de celui de Lucerne, mais à Lucerne c'est du grand art 135 et ici c'est… de l'à peu près. Le lion a le train de derrière fort grêle.

Troyes est une de nos plus curieuses villes de province, avec Rouen, Dijon, Reims, toutes capitales des provinces d'antan.

Troyes a une demi-douzaine de belles églises. Sa cathédrale, com­mencée au XIIIe siècle, est imposante, avec ses grandes baies qui la rendent si légère et si claire, sa rose majestueuse, ses vieux vitraux du XIIIe, avec de petits sujets bien conservés.

L'église St Urbain est une merveille de l'art le plus délicat du XIIIe siècle.

L'Île de France, la Champagne, la Picardie et le Bourbonnais tien­nent un rang dans l'art 136 religieux qui leur permet de se mesurer avec n'importe quelle région du monde. Un peuple qui a si bien loué le Sauveur peut espérer d'en obtenir miséricorde.

On va voir à Ste Madeleine son jubé en dentelle de pierre et son Christ de Girardon.

St Jean est aussi une belle église ogivale dont la tour et le portail se sont effondrés récemment; la nef aussi se crevasse; mais les Troyens ont d'autres soucis, ils font du radicalisme.

Le soir, nous rentrons à Paris.

Le 20 août. C'est un pèlerinage. Il y a là une petite âme, Thérèse de l'Enfant Jésus, morte au Carmel le 30 sept. 1907 [1897!], à l'âge de 24 ans, dont l'action surnaturelle met en 137 mouvement le monde en­tier.

Sa grande vie a déjà 60 éditions et la petite 80. Elles sont traduites en Allemand, en Anglais, en Hollandais, en Italien, en Polonais, en Portugais, en Espagnol.

Ses poésies, ses pensées, ses images circulent partout; c'est un eni­vrement général. La prieure du Carmel de Lisieux reçoit 300 lettres par jour, il lui faut tout un bureau de propagande. Les bienfaits de la petite sainte se multiplient. On publie des recueils des faveurs obte­nues. Les pèlerins affluent, les voitures vont et viennent de la gare de Lisieux au cimetière.

Cette petite sainte est très sympathique, elle inspire 138 confiance, j'ai voulu lui faire aussi mon pèlerinage.

Je vais au cimetière, les dévots de la petite sainte apportent à sa tom­be des fleurs, des couronnes, des billets où ils mettent leurs suppli­ques.

Au Carmel, je vois une Soeur ancienne et la tourière; on me donne des images et des reliques. Je vais voir la maison de famille, les Buissonnets, la chambre où Thérèse a été visitée par la Ste Vierge.

Toute la ville est en émoi et deviendra plus croyante. On vend les portraits de la petite sainte jusqu'à la gare et dans les bureaux de tabac.

Je demande à la petite sainte une faveur spirituelle, j'espère qu'elle me l'accordera. 139

Le 21, c'est Fontainebleau. Il y a là une belle nature, de grands sou­venirs historiques, un palais de la renaissance d'une grande envergure et une collection unique de mobilier d'art français de toutes nos gran­des manufactures.

D'abord le palais. On entre par la Cour du cheval blanc et l'escalier du fer à cheval. C'est là que Napoléon a fait venir violemment le Pape Pie VII, c'est de là qu'il est parti pour l'île d'Elbe.

St Louis avait là un château de chasse, il en reste quelques murail­les. François 1er et Henri II se sont épris de ce séjour délicieux, et ils y ont élevé un vrai palais, avec des galeries de fêtes. 140 Napoléon s'y plaisait beaucoup, mais il y commit une lourde faute qui lui retira les bénédictions divines, ce fut la captivité de Pie VII.

Comme art, Fontainebleau est bien français, quoique François 1er et Henri II aient appelé pour le décor des peintres italiens, le Primatice, le Rosso et Dell'Abate, qui ont reproduit là les sujets païens chers à la Renaissance.

Comme mobilier, ce château est un vrai musée de tapisseries des Gobelins et d'Arras, des soieries de Lyon, des tapis de Beauvais, des porcelaines de Sèvres. Il est plus riche même que ceux de Versailles et de Compiègne.

Nous fîmes une belle 141 promenade de quelques heures en forêt. La Suisse étonne, Fontainebleau plait et récrée. Ce n'est pas une natu­re aussi grandiose et aussi mouvementée que celle des Alpes; c'est un parc naturel et infini de 17.000 hectares, avec de belles futaies, des chaos de rochers, des essences variées et de vieux arbres qu'on laisse mourir de leur mort naturelle.

Nous passons aux gorges d'Apremont, à la Croix des veneurs, au point de vue de St-Germain. Il y eut de ces côtés-là des mystères druidi­ques, plus tard un monastère, et au dernier siècle une grotte de bri­gands.

Barbizon est une collection 142 de villas souvent modestes. Nos peintres du XIXe siècle cherchaient là des paysages gracieux. Millet y a peint son Angélus et bien d'autres scènes. Les Anglais visitent tout cela beaucoup plus que nos Français.

Le 22, c'est Orléans, après une bonne messe à Montmartre. Notre but est surtout un pèlerinage à Jeanne d'Arc, dont le souvenir est si vivant là-bas. Sa statue n'est-elle pas à tous les carrefours de la ville d'Orléans.

La cathédrale a un grand air quoique sa façade, détruite par les stu­pides huguenots, ait été refaite en gothique de fantaisie sous Louis XV par l'architecte Gabriel.

On s'essayait encore au gothique sous le règne de l'art néo-roman, 143 témoin les voûtes de la basilique de St-Quentin, refaites sous Louis XIV.

L'intérieur de Ste Croix d'Orléans a un aspect grandiose: cinq nefs et 33 mètres de hauteur. J'ai vu avec plaisir le monument de Mgr Dupanloup. Le grand évêque est couché sur son mausolée, accompa­gné de deux statues, qui m'ont paru être celles de la science et de la force. Elles le caractérisent bien.

Le Musée de Jeanne d'Arc, dans la rue du Tabourg, occupe une maison de la Renaissance, dite d'Agnès Sorel. Ce musée s'enrichit tous les jours de souvenirs et d'objets d'art qui représentent Jeanne d'Arc: tapisseries, bannières, faïences, dessins, etc. etc. 144

L'art évolue dans la représentation de Jeanne d'Arc; jusqu'à nos jours, on nous montrait surtout l'héroïne, maintenant c'est plutôt la sainte, et cela s'accentuera encore.

Le soir, coucher à Chartres.

Le 23. -J'aime à revoir Chartres. Sa cathédrale est si belle! C'est un rêve, un songe mystique, exprimé par la pierre. On y trouve toutes les étapes du gothique, du XIIe au XVIe siècle, mais tout y est grand et beau. L'église qui possède le vêtement de la Ste Vierge est devenue sa plus belle maison de pierre. J'aime toutes les traditions de Chartres et j'en voudrais à la critique de les ébranler; il y a là le souvenir de la 145 Vierge des Druides, et il y a le vêtement de Marie rapporté d'Orient. J'ai voulu célébrer la messe à la crypte, au vieil autel de la Vierge de France, et j'ai vénéré à la Maîtrise, la relique du vêtement de Marie.

La cathédrale a les plus riches poèmes chrétiens exprimés sur ses grands vitraux du XIIIe siècle, sur la clôture du choeur, sur les portails latéraux du XIVe siècle. La clôture du choeur est une imagerie complè­te en dentelles de pierre de la vie du Sauveur et de la Ste Vierge. La pureté du dessin et le caractère ascétique des statuettes montrent que l'art chrétien avait plus à perdre qu'à gagner, de la fameuse Renaissance. 146

Au portail du nord, c'est la vie de la Ste Vierge; au portail du sud, c'est le jugement dernier. «Le beau style et la sveltesse des grandes sta­tues, l'expression étonnante et bien surnaturelle des statuettes, la variété et la vie des bas-reliefs, le fini des moulures, tout concourt à fai­re de ces portails de magnifiques modèles de sculpture monumentale». L'église de Chartres n'est-elle pas la première cathédrale du mon­de? Huysmans l'appelle «la cathédrale», sans épithète.

Chartres a encore une œuvre de premier ordre, ce sont les émaux de la vieille église St Pierre, les grands émaux de Léonard le Limousin, qui représentent les apôtres: on a tout dit de ces émaux, 147 les plus

beaux que l'art ait produits. Ce que j'aime, c'est qu'ils donnent aux apô­tres l'air de dignité, de grandeur et de sainteté que j'aime à leur voir. Retour le soir à St-Quentin avec une moisson de souvenirs.

Au retour, je m'occupe de réunir les souvenirs de la Soeur Marie de Jésus59), la petite sainte qui a offert sa vie pour moi en 1878 (25 nov.) et qui est allée au ciel le mercredi 27 août 1879, aux premières vêpres de St Augustin.

Nous avons ses lettres, ses billets de direction, le journal des der­niers mois de sa vie et une biographie écrite par la Sr Marie de St G. Je retrouve le porte-plume 148 de fer que le démon a contourné entre ses doigts. Nous pourrions faire une biographie bien intéressan­te.

En causant de Marie de Jésus, la chère Mère me révèle qu'une autre Soeur encore a offert sa vie dans les mêmes conditions, la Sr Marguerite Marie, nièce de la Soeur Marie-Ignace.

En relisant de vieux papiers, je retrouve ce souvenir: «M. Blake Dehon de Boston m'écrivit en 1901 que leur aïeul Théodore Dehon a quitté Dunkerque à 16 ans en 1750, gagné par les Anglicans. Il laissait à Dunkerque sa famille catholique. La famille catholique garde cette tradition qu'un Dehon du nord a été guillottiné en 1793». Ce trait 149 ne m'a pas frappé quand j'ai reçu cette lettre, mais aujourd'hui je suis impressionné en la relisant. J'offre à N.-S. pour ma conversion cet acte héroïque d'un parent.

Rév. P. Reimsbach, ancien professeur à la Grégorienne. Le 8 au soir, sous les auspices de Marie.

I° méd. Videte vocationem vestram (1 Cor. 1,26). - Voyez, considérez votre vocation de chrétien, de prêtre, de victime du S.-Cœur. Voyez, réfléchissez, c'est la vue qui prépare les affections et les résolutions. Voyez votre vocation qui est l'union avec N.-S., sa vie en vous, une incar­nation morale du Sauveur en vous afin que vous entrevoyez l'immen­sité de sa charité et que vous receviez la plénitude de ses grâces. 150

II° méd. Credo in unum Deum creatorem caeli et terrae. - C'est la premiè­re vocation. Dieu était seul, dans son éternité, il se suffisait, il lui a plu de créer les hommes et de m'appeler à la vie; mais de nous-mêmes nous ne sommes absolument rien, nous sommes entièrement dépen­dants, nous recevons la vie pour l'employer à la louange et au service de Dieu. Nous n'avons donc rien d'autre à faire qu'à accomplir en tout la volonté divine. Dieu nous a dit: «Voilà la vie et voilà l'usage que vous en ferez». Est-ce ainsi que j'ai agi? Où est mon entière dépendan­ce, mon union, ma soumission filiale?…

III° méd. Encore notre vocation. St Paul aux Ephésiens: v. 3 et suiv. 151 «Béni soit Dieu qui nous a comblés en J.-C. de bénédictions spiri­tuelles. Il nous a élus en lui par charité, pour que nous fussions saints; il nous a prédestinés par un pur effet de sa bonne volonté, pour nous rendre ses enfants adoptifs par Jésus-Christ…». Vocation gratuite à la vie chrétienne, au sacerdoce, à notre vocation spéciale. Devoir de reconnaissance, mais aussi responsabilité et devoir de fidélité.

IV°. La vie de victime. - C'est la vie du chrétien. Déjà le peuple de Dieu s'unissait aux sacrifices de l'ancienne loi. Il devait avoir l'esprit de victime. Il était gens sacerdotalis. Le peuple chrétien est uni davantage au sacerdoce, il est victime avec le prêtre et l'Hostie. Mais il 152 y a une grâce nouvelle de victime, un esprit nouveau, ou plutôt un déve­loppement de l'Evangile en ce sens, et l'Eglise approuve nos Constitutions dans ce sens… Encore ici reconnaissance, obligation et responsabilité…

. Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, etiam peccata (cf. Rom. 8,28). - Tout peut et doit nous aider au bien. Donc, pas de plain­tes, pas de murmures; l'abandon à la volonté de Dieu toujours. Si nous sommes bénis, rendons grâces; si nous souffrons, soyons patients; si nous avons péché, humilions-nous et soyons pénitents.

VI°. Les obstacles à l'idéal du prêtre. - D'abord le péché. L'affreux péché! Le péché des anges! Ils étaient si éclairés, si conscients! Le péché d'Adam lui est presque égal. 153 Le péché des prêtres est con­traire à leur dignité, aux grâces reçues, à ce que Dieu attend d'eux, à l'édification du prochain!

VII°. Encore le péché: Tibi soli peccavi (Ps. 50,6). - Combien il est contraire à la sagesse de Dieu qu'il contredit, à sa puissance dont il abuse en faisant servir son concours à l'acte matériel du péché, à sa bonté qu'il méconnaît. Combien contraire surtout à l'amour du Cœur de Jésus, qu'il contriste, qu'il blesse et déchire!

VIII°. Autres obstacles: la tiédeur, les inclinations au péché, la négli­gence, la mondanité.

Vince teipsum. Ces inclinations, on peut cependant les vaincre, si on s'y oppose de suite 154 et en priant…

Négligence: vie molle, sans efforts, laisser aller… Peut-on encore après une période de tiédeur se relever et se faire saint? Oui, il faut s'y mettre et avoir confiance en N.-S.

Mondanité: on se laisse aller au courant: curiosité, relations inutiles, amitiés naturelles, lectures futiles, perte de temps, amour des bibelots, des livres, etc…

Tous ces jours-ci je me délecte des Maximes du P. de la Colombière. C'est un petit livre d'or. J'en pourrais tant copier. Ce qui me touche le plus, c'est sa confiance en la miséricorde divine. J'ai tant besoin de cet­te miséricorde! Si je sauve mon âme, je serai au ciel le plus grand pro­dige de cette miséricorde. 155

IX°. Les divines vengeances: l'enfer. N.-S. nous avertit plusieurs fois de la vengeance divine: il y a le figuier stérile arraché, le sarment brûlé, etc.

Visitons l'enfer: en haut, les pauvres païens qui n'ont pas observé la morale naturelle; plus bas les juifs infidèles â la grâce et ingrats envers Dieu; plus bas encore les chrétiens qui ont abusé de grâces plus gran­des; mais au fond les prêtres et les religieux qui ont été comblés de grâces toutes spéciales et poursuivis par l'amour de N.-S. Ils souffrent davantage et leur désespoir est plus atroce…

X°. La mort. - 1° C'est une séparation, une liquidation. Il faudra tout quitter. Pourquoi nous attacher 156 aux choses de la terre? Nous n'emporterons rien. N.-S. nous parle du riche qui fait des projets de profits et de repos, et voilà qu'on vient l'avertir qu'il mourra la nuit même. - 2° C'est un passage… Par la mort, on va dans un autre séjour, lequel? Il y faut penser. La mort est l'acte le plus important de la vie, il la faut prévoir sans cesse. - 3° Il s'y faut préparer, il faut être toujours prêt. Les saints l'attendent et l'acceptent à toute heure, prêts à conti­nuer le travail, mais joyeux d'aller au ciel.

XI°. Autre obstacle à l'idéal religieux: la médiocrité. C'est le con­traire de la perfection. Médiocrité dans la prière, dans les entretiens avec Dieu! Médiocrité dans l'accomplissement des règles et des 157 voeux, dans la réforme du caractère, dans le travail, dans les œuvres, dans les devoirs d'état. - Maledictus qui facit opus Dei negligenter.

XII°. Ecce Mater tua (Jo. 19,27). Marie est la Mère de tous les chré­tiens représentés par St Jean. Mère naturelle du Christ, elle est morale­ment Mère de son corps mystique, c'est logique. Mais elle est spéciale­ment Mère des prêtres, qui sont plus unis à Jésus et plus remplis de lui que les fidèles.

Elle est tout spécialement Mère des Prêtres du S.-Cœur. Une Mère! Quel sujet à méditer! Comme nous devons être unis à Marie, aimants et confiants envers elle. Ne craignons pas, une mère aime et pardonne toujours. 158

XIII°. Tu, sequere me (cf. Jo. 21,22). - Suivre Jésus. Il est le frère aîné, le nouvel Adam, le chef moral de la famille humaine. Suivons-le. Il a connu toutes les difficultés du chemin, la souffrance, la tristesse, les croix, le travail, l'immolation et la mort. Suivons-le. C'est pour Dieu, c'est pour le règne de Dieu. C'est aussi pour gagner le ciel; c'est pour y conduire les âmes…

XIV°. L'incarnation. - Le décret divin, la part de Marie, l'humilité du Sauveur. Quelle infinie bonté le Seigneur nous a témoigné! Sic Deus dilexit mundum (Jo. 3,16) … Il a tout considéré: misères, ingratitude, rien ne l'a arrêté. Le Verbe a tout accepté. Marie est choisie gratuitement. 159 Elle s'humilie: Ecce Ancilla Domini! (Lc. 1,38). - Le Fils de Dieu nous montre une humilité infinie: Exinanivit semetipsum (Phil. 2,7). Résolutions: reconnaissance, repentir, zèle, humilité…

XV°. Nazareth. Ecce agnus Dei (Jo. 1,29). - C'est la petite victime de Dieu. Jésus se donne à la vie toute simple et humble. Il semble un enfant comme les autres. Il obéit, il obéira toujours, même à Pilate. Il ne lui dit pas: «Vous n'avez pas le pouvoir de me commander», mais il lui dit: «Vous n'auriez pas dé pouvoir s'il ne vous était pas donné d'en haut». Il progresse devant Dieu et devant les hommes. Il progresse par son immolation quotidienne. - Prenons des résolutions pratiques pour progresser. 160

XVI°. La foi et la confiance. Credite in Deum et in me credite (Jo. 14,1). - La foi est la base de tout. Elle impose le respect de Dieu, la prière, la crainte du péché… La confiance nous assure les secours et les bénédic­tions du Sauveur. S'il n'accorde pas ce que nous demandons, il accor­dera quelque chose de meilleur. «O mon Jésus, je vous adore et je vous aime; je crois que votre amour pour moi va jusqu'à la tendresse. Vous m'accorderez tout ce que vous pourrez et tout ce qui est bon. Donnez­-moi votre pardon, ma conversion, votre bienveillance et celle de Marie, et cela me suffit».

XVII°. Charitate perpetua dilexit me (Jer. 31,3). - Combien Dieu m'a aimé en me donnant son Fils! Combien Jésus m'a aimé et m'aime tous les jours! 161 L'Enfant de la crèche pense à moi et me voit spirituelle­ment. L'Enfant de Nazareth vit pour moi. La vie publique est toute pour moi. Jésus guérit les aveugles et les sourds pour m'encourager. La Passion est une folie d'amour pour moi. L'Eucharistie est toute pour moi. Et la grâce quotidienne! La vocation, la patience du Sauveur! Comme une mère aime son petit enfant même s'il la bat, ainsi Jésus m'aime encore si je l'offense. O charité incompréhensible! Sic nos amantem…

XVIII°. L'Eucharistie: présence, sacrifice, communion. - Présence: il semble que N.-S. ne pouvait pas se passer de nous, comme une mère ne peut pas se séparer de son enfant. 162 Mais combien il est oublié et négligé dans ses tabernacles! - Le sacrifice, c'est le même que celui du Calvaire. N.-S. a voulu cela. Quelle source de grâces! Mais combien de messes où N.-S. n'est pas honoré!… - Il faut en dire autant de la communion. Elle est le baiser matinal du Sauveur. Y trouve-t-il toujours sa consolation?

XIX°. Les tentations. - Le démon est bien habile et bien rusé, il tire parti de tout. On a besoin de quelques récréations, de quelques soins de santé et soulagements, et il en profite pour inspirer la sensualité. On pratique la charité et la bonté pour gagner les âmes, et il nous por­te aux affections dangereuses. - Nous employons les moyens humains pour nous aider dans le ministère: science, éloquence, etc., et il nous 163 pousse à la vanité et à l'orgueil…

XX°. Les trois couples de St Ignace. - Il s'agit des résolutions et des conséquences de la retraite. Un couple n'a que des velléités et des résolu­tions vagues, tout sera fini dans huit jours. Le second couple voit plus clair, mais ne prend que des demi-mesures: v.g. [= verbi gratia] Ste Thérèse vit que le parloir lui nuisait, elle y renonça et reçut de grandes grâces. Si elle avait pris des demi-mesures en disant: «Je n'irai qu'avec pru­dence, je prierai avant, je m'imposerai une pénitence si je faiblis, etc.», elle n'aurait pas eu de grandes grâces et n'aurait pas été Ste Thérèse. - Le 3e couple prend les résolutions nécessaires et les observe. 164

XXI°. Le S.-Cœur et le prêtre. - Le prêtre doit être pour le S.-Cœur l'ami et le réparateur. L'ami, parce que le S.-Cœur aime tant le prêtre: Jam non dicam vos servos sed amicos (Jo. 15,15). Le S.-Cœur aime tant ses prêtres, il les a élevés si haut! Il les a unis à lui si intimement. Ils ne font qu'un avec lui. Ils ont des pouvoirs divins: ils absolvent, ils consacrent. Ce sont ses familiers, ses officiers, ses frères. - Le réparateur: c'est le devoir du prêtre, c'est sa mission. Il doit réparer même pour le mau­vais prêtre, et pour tous les pécheurs. - Le prêtre ne doit avoir qu'un cœur avec le Cœur sacerdotal de Jésus. Avec lui, il doit aimer Dieu, il doit travailler et se sacrifier pour les âmes… 165

XXII°. Les premières étapes de la Passion. - Souffrances et peines du Cœur de Jésus. Les apôtres sont sans ferveur, même après la com­munion. Ils dorment à Gethsémani. Ils se sauvent au moment de l'é­preuve. St Pierre renie le bon Maître. Jésus est seul. Cette solitude, cet état d'abandon, il les retrouve dans nos tabernacles et souvent dans nos cœurs…

XXIII°. La croix. - C'est un ostensoir, un autel et un trône. Un ostensoir qui nous révèle la bonté, la puissance et toutes les vertus du Sauveur. Un autel où la victime devient la source de toutes les grâces. Un trône d'où Jésus doit régner sur les âmes et sur les nations… 166

XXIV°. La charité pour le prochain. - La charité purement naturelle est sans mérite. L'amitié particulière est dangereuse. La charité surna­turelle seule est bonne. La plus méritoire est celle qui s'adresse aux êtres les plus pauvres et les plus déshérités. Aimons le prochain com­me le dit St Paul: Charitas benigna est, patiens est… non cogitat malum, etc. (1 Cor. 13,4ss).

XXV°. Le ciel. - La nature a de belles choses. Nous avons le beau ciel d'orient et la belle végétation des tropiques,, mais toutes les beautés naturelles réunies, même les beautés intellectuelles et morales ne valent pas le moindre degré de joie céleste et de beauté céleste. Au ciel, nous verrons Dieu, 167 la beauté infinie et toutes choses en Dieu. - Il y a des demeures variées, des demeures modestes et des palais. Ayons confiance, conquérons au moins une petite place…

XXVI°. Ad amorem. - Rappelons-nous les bienfaits de la création, ceux de la Providence, ceux de la grâce. Dieu lui-même se donne, puis­qu'il est dans tous les êtres qui nous servent. Et notre vocation! Tant d'autres ne l'ont pas eue ou ne l'ont pas réalisée! - Aimons Dieu prati­quement, en le servant de tout notre cœur et de toutes nos forces…

Je remercie N.-S. des grâces de cette retraite. Jamais retraite ne nous a été donnée aussi conformément à notre vocation. 168 Le P. Reimsbach a bien l'esprit de victime. Il dirige une association sacerdo­tale dans le même esprit.

J'espère que cette retraite me vaudra une grâce définitive de déta­chement.

Au retour, je continue à préparer la biographie de la Sr Marie de Jésus. J'ai laissé trop longtemps cette Soeur dans l'oubli, elle avait une mission toute spéciale pour notre œuvre.

Le 23, messe au couvent des Servantes du Cœur de Jésus. Ce sont les noces d'argent du P. Black. je voudrais faire revivre les grâces innombrables que j'ai reçues là.

Le placement de notre monde se fait sans trop de difficultés. 169 Un arrangement intervient avec les Hollandais, ils organisent leur sco­lasticat à Liesbosch près de Bréda60).

Départ de quatre Pères pour le Congo, à Anvers le 5. Il en faudrait davantage encore.

Conseil à Bruxelles le 7.

Le scolasticat italien s'établit à Bologne. Mgr Della Chiesa nous prê­te une aile de son séminaire, en attendant notre installation à l'église de la Madonna dei Poveri.

Le 17, fête de Ste Marguerite Marie, messe au couvent. N.-S. veut me rendre bien des grâces d'union que j'ai négligées. Je ne saurais dire combien la grâce travaille mon âme tous ces jours-ci. 170

Les choses sont en bonne voie à Rome pour l'impression de la vie de Sr Marie de Jésus. Mgr Nicolo veut bien s'en charger. Espérons que le diable ne suscitera pas d'obstacles.

Une surprise! J'ai lancé en 1882 l'appel aux prêtres pour la répara­tion, que Mgr Gay a bien voulu prendre à son nom. Plusieurs diocèses ont commencé quelque chose, mais l'organisation centrale manquait. Nous avions été trop brisés en 1884 pour nous mettre en avant.

Mais le S.-Cœur y veillait. Des groupes s'unirent. On fonda la Ligue de Sainteté sacerdotale61) qui a des centres à Thieu (Belgique) et à Bar­le-Duc. C'est vraiment notre œuvre, 171 issue de l'appel de Mgr Gay. Il y a 3.500 prêtres unis. Ils disent des messes réparatrices, ils tendent à avoir l'esprit de victime. C'est toute notre œuvre. Nous vivions sans le savoir. C'est une surprise, comme celle qu'ont donnée les chrétientés du japon. Nous fusionnerons le plus possible. L'important est que l'œuvre se fasse.

En vieillissant, je prends plus de goût à faire de longs colloques avec tous nos amis du Ciel: Jésus par dessus tout, puis Marie et Joseph; St Michel et mes Anges gardiens; St Jean, mon patron et mon modèle; puis tant de saints aimés - et mes parents, mes anciens maîtres, direc­teurs, condisciples, confrères et 172 amis; et la petite Soeur Marie de Jésus, qui est morte à ma place le 27 août 1879. je vis sa vie. N'est-il pas juste que je lui sois uni, que je m'inspire de sa pensée, de son désir et que je sanctifie cette vie qui est à elle plus qu'à moi?

Le 5, à Sittard, départ de six missionnaires pour le Cameroun. Bonne fête de famille. Je rappelle à mon auditoire la dernière page des quatre évangiles, l'envoi des apôtres par N.-S. à toutes les nations. Au nom du Saint-Père, j'envoie mes prêtres au Cameroun.

Le 9, nouvelle croix. Mon économe a encore risqué des spécula­tions désastreuses, malgré mes défenses absolues. La croix 173 est lourde. -je lis les lettres du Vén. P. Huchant62), elles sont remplies de l'amour de la croix: «que si nous souffrons, nous devons en triompher d'aise; que celui-là est pour ainsi dire dédaigné du ciel qui n'est pas miséricordieusement châtié; que c'est un grand bien que de connaître le prix des souffrances et que nous devons les désirer pour ressembler davantage au Sauveur (qui oppressus oppressos salvat) ».

Je sens le besoin d'observer de plus en plus toute notre règle, jusqu'en ses détails. N.-S. le veut. C'est là une condition des grâces de choix. Il faut nous faire saints. La lecture des lettres du P. Huchant m'encourage beaucoup. Il faut 174 nous faire saints, et ce n'est pas si difficile, il faut vouloir. Il ne faut pas rechercher ni désirer les grâces extraordinaires, qui peuvent donner de l'orgueil et gâter tout. Il faut aller droit à l'union avec N.-S., toujours et en tout, selon nos règles et nos devoirs d'état. L'union active dépend de notre bonne volonté. N.-S. y correspond toujours…

Depuis la retraite, la grâce m'aide beaucoup. L'oraison m'est deve­nue facile et l'union avec N.-S. est intense. Deo gratias! A l'oraison et à l'adoration, c'est le seul à seul avec Jésus présent dans l'Eucharistie. C'est un colloque facile et ardent. Pendant le travail du matin, je m'u­nis à Marie et à Joseph 175 auprès de Jésus. J'offre souvent à Jésus des actes d'amour et de réparation.

L'après-midi, je suis auprès de Jésus en croix avec Marie, Jean et Madeleine. Avec Marie, la compassion profonde; avec Madeleine les larmes de pénitence; avec Jean la tendre affection.

Le soir, la nuit, je suis Jésus dans sa passion avec St Jean, toujours aimant, dévoué, compatissant. Je ferai cela tous les jours de ma vie, et à la fin Jésus m'invitera à le suivre aussi dans sa résurrection, après l'a­voir tant suivi dans les épreuves de sa vie mortelle.

Epreuve ou punition, plutôt punition. J'ai été vingt ans de 1892 à 1912 livré à 176 l'aridité et à la lutte. N.-S. a permis au démon de me livrer des assauts incessants. J'étais comme à la porte du Divin Cœur. Je recevais des grâces pour les autres, mais pas beaucoup pour moi-­même. Je lis dans les lettres du P. Ed. Huchant que son pieux Frère Ignace eut comme cela une période de luttes. Ste Thérèse a eu 20 ans de demi-tiédeur, si parva licet componere magnis. Tout se refait depuis la retraite de septembre. C'est une autre vie. C'est la vie d'union qui est revenue et qui s'accentue. Est-ce la préparation de la fin? N.-S. me con­duit vite, sensiblement, clairement, à une grande union… 177

Le 12, suite des épreuves que me cause le P. S. Il reçoit une assigna­tion pour une somme importante. Hélas! Si N.-S. n'était pas offensé en tout cela!

Nous avons commencé l'œuvre des vocations tardives à Brugelette sous les auspices de St François Xavier. Cette œuvre sera bénie.

Je voudrais bien porter quelque ceinture ou cilice, mais la santé m'oblige depuis 20 ans à porter une ceinture qui est dure et gênante, je la prends comme instrument de mortification.

J'aime toujours les voyages et j'en fais un beau chaque jour dans la meilleure compagnie. Je fais le chemin de la Croix, avec Jésus, Marie et Jean. Oh! le beau voyage! le beau 178 pèlerinage, plein d'émotions, de grâces, de larmes! Je ne voudrais pas en faire un pèlerinage de qué­mandeur, j'y pense peu à moi et je multiplie les actes de réparation et d'amour. Pourvu que N.-S. soit content!

Je repense aux grâces de 1878-1879. Si j'avais à écrire la vie de Sr Ignace, voici ce que je dirais: En 1877, ses vertus étaient admirables et toujours croissantes. Quelle piété! quelle douceur! quel zèle pour tous ses devoirs! Puis les épreuves sont venues: souffrances cruelles, aridités. Elle eut à plusieurs reprises des faiblesses, je fus appelé à lui donner l'extrême-onction. C'était une mort mystique. Un sommeil surnaturel s'emparait d'elle à l'oraison. A partir du 2 179 février 1878, il lui sem­ble que N.-S. lui parlait: tantôt des mots brefs semblables à des locu­tions divines, et dans le but d'encourager l'œuvre naissante; tantôt de longues instructions qui coulaient comme de source et qu'elle écrivait facilement.

Qu'était-ce que cela? La Mère supérieure appelait tout cela «révéla­tions». Le Père Modeste (s j.), et moi, qui manquions d'expérience des choses mystiques, répétions «révélations». Cela dura deux ans et demi. Mais voici que Mgr Thibaudier s'émut de tout cet extraordinaire. Il en parla à Léon XIII, qui remit le tout à l'examen du Saint-Office. Nous dûmes envoyer tous les écrits de la Soeur 180 et y joindre aussi de pré­tendues révélations du P. Captier, qui contribuèrent à troubler les affaires. Je fus appelé à Rome pour m'expliquer devant le St-Office.

Le jugement fut bientôt porté. La doctrine de la Soeur était irrépro­chable, ses écrits d'un spiritualisme très élevé, mais on ne pouvait pas admettre que ce fussent là des révélations parce que N.-S. ne fait pas de ces longues révélations en forme d'instructions spirituelles.

Le Commissaire, Mgr Sallua, me dit: «Si vous nous aviez présenté cela comme des vues d'oraison, nous n'aurions rien eu à dire». Je lui demandai: «Ne 181 pensez-vous pas que cela vienne de N.-S.?». Il répondit: «Je ne le nie pas, mais vous ne pouvez pas appeler cela des révélations». Conclusion: on décida que nous laisserions tout cela au Saint-Office sous clef et que nous ferions nos œuvres comme si cela n'existait pas.

Il me fallut longtemps pour comprendre les desseins de N.-S. en cette affaire. Voici maintenant ce que je crois y reconnaître. - N.-S. vou­lut nous donner le secours des lumières célestes sans nous en donner l'honneur. Nous vivons en effet des vues de Soeur Ignace. Nous avons remis tous les textes à Rome, 182 mais les années 78-81 étaient celles où nous écrivions les Constitutions, les prières, le Directoire, tout cela est imprégné des vues d'oraison de Sr Ignace et ce n'en est pas moins approuvé à Rome. Les Constitutions sont approuvées, les prières et le Directoire ont l'Imprimatur. N.-S. a donc voulu nous donner des lumiè­res, mais il a voulu aussi que nous en fassions le sacrifice officiel. Œuvre réparatrice, nous devions passer toujours par le Consummatum est. Nos grandes grâces ont été des croix. N.-S. a pour chaque œuvre une conduite particulière…

J'ajouterai que dans ces écrits de la Soeur, il semblait bien y avoir quelques courtes locutions de N.-S. 183 La plus grande partie étaient des vues d'oraison, des lumières d'oraison sur les mystères de N.-S. On en pouvait faire des méditations pour les fêtes de l'année. Il y avait aus­si des instructions sur les vertus propres à notre vocation. Je suis aussi porté à croire qu'il y avait de simples impressions naturelles. Nous demandions à la Soeur de prier pour telle ou telle vocation, elle avait l'impression que cette vocation était accordée. Que valait cette impres­sion?

Maintenant peu importe, tout est dans le secret du St-Office, nous obéissons et nous ne nous prévalons en rien de ces grâces, mais N.-S. a voulu quand même que nous en vivions. 184

Je lis dans la vie de Ste Thérèse qu'elle eut beaucoup à souffrir à l'occasion de ses projets de fondation de la maison de St Joseph à Avila. Comme elle exprimait sa peine à N.-S., il lui dit: «Eh! bien, ma fille, tu peux avoir ainsi l'idée de ce que les fondateurs d'ordres ont eu à souffrir. Il te reste à endurer des persécutions plus grandes que tu ne peux te l'imaginer; mais ne t'en inquiète point».

Les procédés divins ne sont pas changés.

Aujourd'hui 22, me prend une petite maladie fort douloureuse, une cystite. Il y a des expiations nécessaires. Il y a tant à réparer pour soi et pour les autres! C'est une bonne préparation à Noël. 185

Le 29, mon bon Assistant63), le P. Barnabé Charcosset, est mort à Nice. C'est une grande perte pour la Congrégation. Il laissera la répu­tation d'un très bon prêtre, un homme de Dieu. C'était un disciple de Mère Véronique. Il a fait 25 ans d'un ministère très fructueux au Val des Bois. Nous prions partout pour lui.

A ma mort, en voyant quelques meubles un peu bourgeois dans ma chambre, on dira que je n'aimais pas la pauvreté. Mais je n'ai rien acheté. Ce sont des dons ou des héritages de famille et je ne tiens à rien de tout cela. 186

187 Table des matières

1911 Visites 92
Mars. Rome. 1 Retour 93
Avril. Rome 3 Mai: épreuves 96
Audience 5 Seine et Marne 98
Retour 9 Juin: Visites canoniques 101
Mai - St-Quentin 12 Juillet: id 104
Juin - Belgique 14 Août: Moulins 108
Juillet - Epreuves 15 Paray le Monial 109
Août - Le Val 18 Lyon 111
Musée Guimet 21 Ars et Bourg 116
Les religions de l'Asie 27 Genève. Chamonix 119
Brahmanisme 30 Saint-Maurice 121
Bouddhisme 34 Interlaken 123
Le culte du Japon 35 St Charles 125
Septembre. Retraite, etc. 40 Einsiedeln 126
Oct. Hollande 44 Lucerne et son lac 129
Nov. difficultés 47 Schaffhouse 132
Déc. Paris 48 Belfort. Troyes 134
Grâces de sainteté 49 Lisieux 136
Prophéties 59 Fontainebleau 139
Vers Rome 62 Orléans 142
Chartres 144
Sr Marie de Jésus 147
1912 Sept. Retraite 149
Janvier: visites 63 Après la retraite 167
Février: évêques 70 Octobre 169
Audience 73 Novembre 171
Mars: mes souvenirs 79 Décembre 177
Avril: rénovation 85 Sr Ignace 178
Frascati 86 Mort du P. Charcosset 185

1)
Condoléances à Mme M.: Il n’est pas possible d’identifier cette Madame. On a seulement des indices. A Cannes vivait Marthe-Louisa Dehon, nièce du P. Dehon, mariée en premières noces avec André Malézieux et, en secondes noces, avec Alphonse André Robert de Bourboulon. Mais, nous explique le P. François Le Penven qui se connaît en la «matière», s’il s’agissait de sa nièce Marthe, le P. Dehon aurait probablement écrit «ma nièce», et même «ma nièce Marthe». D’autre part sa nièce Marthe en 1911 ne s’appelait plus Mme Malézieux, mais depuis douze ans déjà «la Comtesse de Bourboulon». Alors le P. Dehon aurait dû écrire non «Mme M.», mais «Mme de B.». Le P. Dehon, d’autre part, parle de «condoléance à Mme M.» pour la mort de «sa soeur». Mais Amélie, la soeur cadette de Marthe, était décédée depuis 1896. Enfin, si l’on regarde de près le texte de ce passage et la construction de la phra­se, nous voyons qu’il s’agit de deux visites différentes: la première, celle des condoléan­ces (à cette Mme M.) «et» une autre visite à son frère «qui est là avec tous les siens». S’il s’agissait d’un des «siens», pas de doute qu’il l’aurait nommé avec précision. Dans nos archives scj à Rome, on garde des cartes, adressées de Cannes au P. Dehon par Robert de Bourboulon en 1908, et on rencontre 23 fois le mot Cannes comme lieu d’où on envoie des cartes postales. On peut supposer que Madame M. était une de ces correspondants.
2)
Notes sur les Missions: De ces «notes» que le P. Dehon remets au secrétaire de la Propagande (Mgr Camillo Laurenti) après son voyage autour du monde, on garde un exemplaire dans les A.D. de Rome et une version anglaise dans les archives de la Congrégation pour l’évangélisation. Un résumé de ces «Notes» est aussi dans la bro­chure Souvenirs (1912), parce que le P. Dehon a exposé ces mêmes problèmes au St-­Père dans l’audience qu’il a eu le 11 avril suivant (cf. NQ XXXIV,6-10). Le texte de ces «Notes», d’après l’exemplaire gardé dans A.D., a été édité à la fin de l’introduc­tion du volume IV de «Notes Quotidiennes» (pp. XXVII-XXX).
3)
Le card. Gotti (Girolamo Maria): carme déchaux, préfet de la Congrégation de Propagande (cf. 11,632,19; 669,49), a envoyé une lettre de remerciement au P. Dehon l’informant que sa relation a été lue avec beaucoup d’intérêt et en cas d’échéance, ajoute-t-il, on se souviendra de ces sages suggestions (lettre datée: Roma, 18 mai 1911).
4)
L’Archevêque d’Allahabad en 1911 était Mgr Pietro Francesco Gramigna, capu­cin, né à Castel Bolognese en 1843, sacré évêque en 1904. De ce temps-là, Allahabad était, hors d’Europe, le diocèse le plus peuplé: 38.000.000 habitants, dont 11.680 catholiques.
5)
Mgr Jules Tiberghien: cf. 11,636,36; 111,487,10. Voir aussi l’oraison funèbre, à l’occa­sion de sa mort, prononcée le 19 janvier 1923 à St-Quentin par Mgr L. Glorieux.
6)
Le Père capucin anglais, nommé tout récemment archevêque de Simla (Hindoustan), était Mgr Edouard Jean Kenealy, né à Newport (GB) en 1864, direc- teur des Annales Franciscaines, sacré à Rome en 1911 par le card. Gotti. Il a été le pre­mier archevêque de Simla.
7)
En 1911, à l’occasion du premier cinquantenaire de la proclamation du royaume d’Italie, à Rome on a organisé une exposition internationale d’art contemporain; une autre à Florence sur le portrait italien entre `400 et `700, et une exposition industriel­le à Turin. A Rome, on avait placé les pavillons des Beaux-Arts aux Monts Parioli et Valle Giulia, mais les pavillons des fêtes et le forum des Régions dans l’ancienne Piazza d’Armi, et c’est dans ce même endroit que, par après, s’est developpé le quar­tier «della Vittoria» et du «Viale Mazzini». Il n’était pas prévu d’y bâtir une église; mais après la première guerre mondiale, le P. Ottavio Gasparri a obtenu d’édifier l’é­glise paroissiale: au début sous le titre de temple votif du S. Cœur pour la paix. Le 18 mai 1920 le P. Dehon y prononça un sermon pour la pose de la première pierre. Maintenant elle est connue comme basilique du Christ Roi. Le projet, style moderne, est de l’architecte Marcello Piacentini (1881-1944), le même qui a projeté le plan urbanistique du quartier de PEUR, Via della Conciliazione, Via Bissolati et beaucoup de théâtres et palais en plusieurs villes d’Italie.
8)
Le 11 avril le P. Dehon est reçu en audience par le St-Père Pie X. Il profite de la cordialité du saint Pontife pour exposer ses évaluations et suggestions à propos des diocèses et des missions qu’il a eu l’occasion de visiter durant son long voyage autour du monde. On y voit, ici, comme un résumé du document «Notes sur les missions» qu’il avait déjà remis au secrétaire de la Propagande (cf. supra, note 2).
9)
Kandy (Ceylan), évêché depuis 1886, hab. 809.000, catholiques 28.000; en 1910 était confié aux Bénédictins Sylvestrins. Il y avait aussi un séminaire général pour les Indes avec 19 Jésuites professeurs et 97 élèves.
10)
Le 22 il y a Conseil: Ici le P. Dehon se trompe. D’après les «Actes» du Conseil général, et aussi d’après la correspondance, la réunion du Conseil général a eu lieu le 16 mai 1911. Dans le registre manuscrit on lit: «Les conseillers sous la présidence du T.R.P. Général sont tous présents, excepté le P. Assistant qui est souffrant». Et après on dit que dans cette réunion il y a eu: la réélection du P. Prévot comme Provincial de la Province franco-belge; l’élection du P. van Halbeek comme premier Provincial de la Province néerlandaise; la nomination du P. Guillaume comme recteur de la mai­son de Louvain. Pour l’érection de la Province néerlandaise, le consentement du Conseil général avait été donné le 3 d’août 1910; le décret du St-Siège pour l’érection canonique est du 8 avril 1911; le 16 mai on a l’élection du premier Supérieur provincial.
11)
Dans ce mois de juin 1911, le P. Dehon commence à écrire ses «Notes de voyage». «Il y en a pour un an», remarque le P. Dehon lui-même. Il en parlera encore aux pages 45; 48; 63; et seulement à la page 84 il dit qu’il est vers la fin. A la page 42 il y a une allusion à un «cahier spécial», pour sa «Retraite sur mer».
12)
Le début d’une œuvre scj en Finlande est sollicité en 1906 par l’abbé W. von Christierson. Né d’une famille dont le père était protestant et la mère catholique, cet abbé était devenu catholique à l’âge de 18 ans. Il a été le premier prêtre finlandais depuis la Réforme. Nommé curé de Helsinki en 1905, l’année suivante il s’adresse au P. Dehon pour solliciter une aide. Très nombreuses les lettres, surtout du P. Dehon à l’abbé von Christierson, en 1906/07. Enfin, après une visite du P. Dehon sur place, le 17 d’août 1911 le Conseil général accepte la mission de Finlande. Le premier scj, envoyé là-bas pour cette tâche, fut le P. Joannes van Gijsel. Par après, petit à petit, le groupe augmente. Entre autres, en 1909 y arriva le P. Michel Hugo Buckx, qui sera le vicaire apostolique de 1923 à 1934. Mais entre-temps, le culte catholique était toujours entravé par les autorités russes. Et en 1911 c’est l’expulsion brusque dont parle ici le P. Dehon. Trois de nos confrères (W. Meijerink, Th. van Heugten et J. van Hommerich) avaient dû quitter la Finlande déjà le 14 avril de cette année (1911), le vendredi de la semaine sainte. Ils s’étaient réfugiés provisoirement en Suède. Après l’indépendance de la Russie on a connu tout de suite plus de compréhension. Mais seulement à partir de 1929 l’Eglise catholique obtiendra clairement droit de cité en Finlande et la présen­ce des catholiques pourra se développer.
13)
Le P. Mailier et le Fr. François: P. Victor Remis Mailier, belge, né 1878; première profession 1897; ordonné prêtre à Rome en 1904; conseiller de la Province occidenta­le (1909-1911); missionnaire au Zaïre (1911-1921). – Fr. François Sal. Berger, français, né 1882; première profession 1911 au Manage; missionnaire au Zaïre (1911-1913) et au Canada (1914-1930).
14)
Soeur Rasset (Sr Dominique du St Rosaire): était la soeur du P. Alphonse Rasset, dont le P. Dehon a écrit une biographie en utilisant souvent les lettres que Sr Dominique avait écrites à son frère. On garde, de cette Sr Dominique, une lettre assez curieuse à son frère Ernest. Elle a l’intention de faire un acte de donation de ses biens en faveur des enfants de son frère Ernest. Mais avant de faire son testament, elle lui écrit: «Je voudrais bien savoir si toi et Célina consentirez à envoyer vos garçons, quand ils auront douze ans, à l’école apostolique de Louvain, pour en faire des prê­tres ou des Frères, si ces bons Pères (scj) trouvent en eux de bonnes vocations» (lettre datée: 13 oct. 1911). Quelques mois plus tard, voici la lettre qu’elle adresse au P. Dehon: «Je vous suis bien reconnaissante d’avoir la bonté de vous charger de l’éducation des enfants d’Ernest. Certainement je veux avant tout qu’ils soient de bons chrétiens; cependant je conjure la très Sainte Vierge de les prendre sous sa maternelle protection et qu’il se rencontre parmi eux quelques bonnes et solides vocations religieuses… J’aime à espé­rer qu’Ernest comprendra un jour, mieux qu’il ne fait en ce moment, le grand bien que je veux faire à sa petite famille» (lettre datée: le 11 janvier 1912).
15)
Le vendredi saint 1911 nos confrères W. Meijerink, Th. van Heugten et J. van Hommerich, expulsés de Finlande, se réfugièrent en Suède chez les PP. Jésuites alle­mands. Ils ont rendu visite aussi à Mgr Albert Bitter, vicaire apostolique en Suède depuis 1886. La mission de Suède, de ce temps-là, était confiée surtout aux PP. Jésuites; mais depuis quelque temps ils avaient manifesté l’intention de se retirer. Et donc ils proposèrent de céder leur mission à nos Pères. Mgr Bitter, en voyant dans la présence occasionnelle de nos Pères à Stockholm une possible solution pour le départ des PP. Jésuites, le 19 juin 1911 écrit une carte au provincial de Hollande P. van Halbeek pour solliciter une aide. «Je me trouve dans une situation très difficile, écrit-il, parce que le premier septembre deux Pères vont nous quitter et en 1912 qua­tre ou cinq Pères et trois ou quatre Frères nous quitteront. Mon premier contact avec votre Congrégation je l’ai eu à travers le P. van Gijsel; et cette année 1911, en prin­temps, j’ai connu les PP. van Hommerich, van Heutgen et Meijerink. J’aimerais les garder en Suède… Je prie Dieu qu’il m’envoie vos révérends Pères». Les voeux du Vicaire apostolique et le désir de nos confrères expulsés de Finlande ont trouvé tout de suite un bon accueil et le 6 août le Conseil général décidait d’accep­ter les propositions avancées par le Vicaire apostolique. Le premier départ a eu lieu au début de septembre (P. Meijerink); et le mois de novembre arriva le P. Buckx. La pré­sence scj en Suède, commencée en 1911, continua ininterrompue jusqu’en 1939.
16)
Réunion d’élèves le 6, réunion de prêtres le 9. A la réunion des anciens élèves c’est l’abbé Crinon qui prononce une allocution, lui aussi ancien élève. On n’a pas gardé le texte de son allocution; mais quand même de cet abbé on garde une petite lettre qu’il a adressée au P. Dehon en 1923 à l’occasion de son 80° anniversaire; et aussi une allocution, prononcée toujours aux anciens élèves du St-Jean, mais le 15 nov. 1925. Au prêtres sortis du Val, au contraire, parle le P. Dehon et il aime montrer, dans les personnes autour de la croix, une image des catégories de chrétiens qui forment l’Eglise.
17)
L’art de l’Inde, de la Chine et du Japon: Une description assez minutieuse des por­celaines et céramiques japonaises et chinoises, que le P. Dehon nous donne ici, pourrait être complétée par l’aide de publications plus récentes et même spécialisées. Ici on préfère signaler un ouvrage très bien soigné, du temps du P. Dehon, c.à.d.: La Cina. Viaggi di J. Thompson e T. Choutzé, Fratelli Treves Editori, Milano 1895. On y trouve une ample description des aspects artistiques et de l’évolution historique de cet art en Chine et Japon, avec 167 illustrations sur les sujets plus spécifiques.
18)
Mgr Foucault, cf. 11,645,82.
19)
Je note mes impressions: Première allusion à un «cahier spécial», qui n’est pas inclus dans la série des «Notes quotidiennes». Il s’agit du cahier qui a comme titre «Retraite sur mer». On en parlera encore dans la suite (cf. AD B.5/a+b).
20)
P. Kusters, cf. III,469,37.
21)
P. Hermans, cf. III,470,45.
22)
A Maastricht… une grande œuvre commence. Il s’agit d’une maison d’adoption pour adolescents à risque. Elle a commencé à Heer (aujourd’hui Cadier een Keer), près de Maastricht. Voici comment elle est présentée aux lecteurs dans une brochure éditée à Bruxelles en 1920: «Notre société moderne rejette les pauvres enfants qui ne sont ni orphelins ni abandonnés, mais que les autorités judiciaires jugent à propos de soustraire à l’influence de ceux qui devraient être leurs guides et protecteurs natu­rels… Si l’on n’en prend pas un soin chrétien, nombre de ces déshérités risquent de devenir des microbes du monde criminel… Aussi la Congrégation des Prêtres du S. Cœur a-t-elle accepté le soin de pourvoir à la rééducation morale et religieuse, aussi bien qu’à la formation professionnelle de certains enfants dont les parents ont été reconnus inaptes à ce but; puis d’autres ayant eu des démêlés avec la justice avant l’â­ge majeur. Les pensionnaires y séjournent jusqu’à l’âge de 21 ans, traités non en prisonniers, mais en orphelins. Ceux d’entre eux dont la conduite exige un régime plus strict sont rendus à la justice qui les dirige sur le centre spécial d’Amersfoort. Le but de cet insti­tut c’est: réparer les dommages causés à ces enfants par leurs ascendants, ou remettre dans la voie droite ceux qui par inconscience s’en seraient écartés… Trente-deux ate­liers de métiers différents, ayant tous à leur tête un laïc chef d’atelier, initient les pen­sionnaires aux moyens de gagner honnêtement leur vie. A l’âge de 21 ans on les pourvoit d’un emploi en rapport avec leurs aptitudes» (cf. brochure «La congréga­tion des Prêtres du S.-C. dans le passé et dans le présent», Bruxelles 1920, pp. 42-45).
23)
La pension des élèves: Dans la maison de Louvain il y avait des élèves qui n’arri­vaient pas à payer leur pension. Il fallait donc suppléer par une contribution de la part des deux Provinces: franco-belge et hollandaise. La nouvelle Province hollandai­se s’était engagée à assurer une certaine contribution, mais elle ne suffisait pas à payer ses dettes, les intérêts et les pensions. Il y avait un autre problème: l’érection de la Province hollandaise comportait aussi le partage des biens; et dans ce partage, les hollandais réclamaient leur «part de la maison de Louvain»… D’où un contentieux très fort entre les deux Provinces. Pour trouver une solution, en date 2 décembre 1911, le P. Dehon écrit au Provincial hol­landais une longue lettre qui mérite d’être citée en entier: «Mon cher Provincial, nous sommes dans un moment périlleux pour l’honneur et pour le bien de la Congrégation. Faisons tout pour arranger les choses à l’amiable. Demander un visi­teur apostolique c’est une grande humiliation et cela reste comme une tache dans l’histoire de la Congrégation. La première chose c’est de prier et d’y mettre, des deux côtés, l’esprit de justice et de charité. Le conseil général est le juge ordinaire et régulier de toutes ces questions internationales. C’est lui qui a tout réglé et toutes les Provinces devraient obéir. Le Conseil central a fait bâtir la maison de Louvain pour la Province qu’on appelait occi­dentale. Les hollandais, les français, les belges, les Alsatiens ont le droit d’y mettre leurs élèves, en payant la pension nécessaire. Le Conseil central a voté à plusieurs reprises que cette pension devait être payée par chaque école. Voilà pour la Le question. Pour la seconde: la maison de Sittard a été fondée par les français pour leur novi­ciat, au moment des difficultés politiques de 1880. Elle a reçu, peu à peu, des alle­mands et des hollandais. Au moment du partage, le Conseil central a pensé que la France avait des droits comme fondatrice et comme propriétaire. L’Allemagne, ayant contribué beaucoup par la quête au développement de la maison, entrait au partage en recevant la maison elle-même et une partie des capitaux. On a peu quêté en Hollande parce que les évêques ne le permettaient pas. Cependant nous avons assi­gné 40.000 frs à la Hollande et 15.000 à la Belgique. Le Conseil central avait toute autorité pour cela. Troisièmement, vous voulez bien contribuer à la pension des élèves tant que la quête ne suffit pas; mais c’est précisément le cas. La quête ne suffit pas. Le P. Kusters le sait bien. Le Conseil de la maison de Louvain nous l’affirme. Que faire? Vous n’êtes pas riches, ni nous non plus, mais montrez de la bonne volonté. Le Conseil central vous demande seulement 200 frs de pension. Quel est le séminaire qui se contenterait de cela? Vous demandez que la Province franco-belge vous rachète votre part de Louvain, mais elle n’en a pas besoin, elle a assez de la moitié. Je propose qu’au Conseil de 19 à Bruxelles vous soyez entendu avec le Provincial franco-belge et que ce Conseil arrange tout à l’amiable. – Votre dévoué L. Dehon». Peu après, le P. Dehon revient sur ce même sujet et fait appel au bon cœur de tous, «autrement, dit-il, nous gâtons tout: la charité, l’union, la paix et l’honneur de la Congrégation… Il faut arriver en tout cas à une solution à l’amiable. L’esprit du S.­Cœur n’est pas un esprit de division et de guerre… Le S.-Cœur demande de vous que vous aidiez à la paix dans les circonstances actuelles. Pour moi, j’aimerais mieux mou­rir que de voir la paix et la charité se perdre parmi nous». Et pour ce qui concerne la maison de Louvain il proteste: «La maison appartient tout entière aux deux Provinces: tout entière, avec ses terres, ses constructions, ses meu­bles et ses dettes».
24)
Le Cameroun: C’est la première fois que nous rencontrons le nom de ce pays. Mais dans la suite le P. Dehon en parlera souvent. Et c’est beau de lire ici la première lettre, datée le 30 avril 1910, par laquelle le Supérieur général scj sollicita la Congrégation de la Propagande pour obtenir une mission dans le Cameroun pour nos confrères allemands. Voici le texte: «Eminentissime Seigneur, le Supérieur général de la Congrégation des prêtres du S. Cœur de Jésus, baisant très humblement la Pourpre de Votre Eminence, expose qu’il y a quelques-uns de ses prêtres de nationalité allemande désireux d’aller en mis­sion dans l’une des colonies de l’empire allemand. Ils ont appris à Berlin, au Ministère des Colonies, qu’il n’y a pas encore de missions catholiques dans le nord du Cameroun, tandis qu’il y a des missions protestantes florissantes. Cette région, qu’on appelle Adamaua et Mandara, ne fait pas partie du Vicariat Apostolique du Cameroun. Elle appartient canoniquement aux Missionnaires de Vérone, appelés les Fils du S.-Cœur. On lit en effet dans les «Missiones Catholicae» de 1907, page 358: Notandum quod territorium situm ad Septentrionem Jolae usque ad lacum Tchad, quamvis politice sit pars colo­niae germanicae de Kameroun, tamen ecclesiastice adhuc pendet a Vicariatu de Sudan vel Africae Centralis. Nous demandons l’autorisation d’aller commencer là des missions, dans les condi­tions que la S. Congrégation de la Propagande daignera nous indiquer». La Congrégation de la Propagande approuva sans difficulté cette proposition du P. Dehon. Et déjà le 5 novembre 1912 dans son journal il note: «Le 5 (nov.), à Sittard, départ de cinq missionnaires pour le Cameroun. Belle fête de famille. Je rappelle à mon auditoire l’envoi des apôtres par N.-S. à toutes les nations. Au nom du St-Père, j’envoie mes prêtres au Cameroun» (pour l’histoire très complexe de cette mission, cf. R. Grasser, La place de la Région du Cameroun dans l’histoire de notre Congrégation, Bafoussan 1989).
25)
Une portion de la mission de l’Oubanghi: C’est une région de l’Afrique centrale, toute proche au nord-est du Zaïre. On a une allusion à cette région dans les «notes» que le P. Dehon envoie au Ministère des cultes le 18 sept. 1901, où il dit que sa Congrégation «a des missions au Congo et au Brésil; elle en prépare d’autres aux Etats-Unis et à l’Oubanghi». C’était donc un projet que le P. Dehon cultivait depuis longtemps. Ici il en parle encore, en connexion avec le projet du Cameroun; mais il n’a jamais été réalisé.
26)
Le 22 (nov.), Conseil à Louvain: En cette occasion le Provincial hollandais solli­cite l’érection d’un noviciat pour «frères convers» distinct de celui pour clercs et aussi l’autorisation de faire un emprunt au profit des constructions de Heer. A propos de Louvain, le P. Général soumet au Conseil «un projet de statut réglant la situation financière de la maison». Mais «avant de statuer définitivement, on convient d’atten­dre les avis des deux Conseils provinciaux». Les difficultés de Hollande donc, en con­clut le P. Dehon, «ne sont pas résolues». En effet, la situation financière était vraiment très lourde. D’après l’examen des comptes exposé par le P. Prévot au Conseil du 19 décembre suivant, la maison de Louvain, à elle seule, avait une dette de 334.000 francs!
27)
Je repasse dans ma mémoire. Une page que l’on pourrait définir comme une «géographie» de la dévotion au S.-Cœur et de la réparation du XIX siècle. En plu­sieurs occasions le P. Dehon aime rappeler les institutions et les initiatives de son temps caractérisées par la dévotion au S.-Cœur et l’esprit de réparation. Une liste très proche à celle-ci a été dressée aussi dans la brochure «Souvenirs» (cf. Lettere circolari, 342-362).
28)
Doëns Marie (en rel. Marguerite M.): bénédictine (Rouen 1841 – St-Jean d’Angély 1884). Favorisée par une dévotion très particulière à l’eucharistie, qui mar­qua toute sa vie, elle consigna ses lumières d’oraison dans un petit livre: Récit des grâces, que de bons juges n’hésitèrent pas à déclarer extraordinaire et théologique­ment exacte.
29)
Les missions de l’Oubanghi: cf. ci-dessus, note 26; et aussi peu après, dans ce même cahier, note 53.
30)
Nos Pères de l’Autriche: En 1911, notre Congrégation a obtenu l’autorisation légale pour sa présence et son activité en Autriche. C’est la «statliche Anerkennung».
31)
Gauthey (MgrFranfois-Léon), évêque de Besançon, né en 1848, en 1880 il fonda la société des Chapelains de Paray-le-Monial; élu évêque de Nevers en 1906, il est pro­mu à Besançon le 20 janvier 1910. C’est à lui que l’on doit la publication du gros ouvrage: Vie et Œuvre de Ste Maguerite Marie, in 2 volumes.
32)
Van Rossum (card. Wilhelm), né en Hollande en 1854, religieux rédemptoriste, il est promu cardinal en 1911. Il a été professeur de théologie dogmatique et consul­teur de la Commission pour la réforme du Code de droit canonique.
33)
Mariage de l’avocat Gasparri, frère du P. Ottavio Gasparri. Pour l’occasion P. Dehon a prononcé une petite allocution en italien, dont on garde le texte dans «Manuscrits divers, Discours» (6e cahier dactylographié, 4/A,35).
34)
La généalogie et les armes des de Hon: cf. G. Manzoni, L. Dehon e il suo messaggio, p. 49-50.
35)
P. Ottavio: c.à.d. le P. Ottavio Gasparri scj, né à Monteleone Calabro (aujourd’hui Vibo Valentia) en 1884. Il a été le premier religieux de la Province ita­lienne. Première profession à Sittard en 1904; ordonné prêtre à Rome en 1907; supé­rieur de la maison d’Albino (1911-1914) et de Bologne (1914-1919), et premier supé­rieur provincial de la Province italienne (1920-1923), et finalement conseiller général (1926-1929). Il a joué un rôle très important pour la construction du Temple de Christ Roi à Rome (viale Mazzini 32).
36)
Un de nos prêtres… dans le modernisme. Probablement c’est le P. Henri Bodin, première profession 1895 et ordonné prêtre en 1900. Il avait un frère dans la Congrégation, Albert Bodin. Assez nombreuses les lettres que le P. Dehon envoyait à ce dernier (surtout entre 1909 et 1912), en lui demandant de prier pour son frère, par­ce qu’il «semble perdre la foi» (B.19/9B). Henri a quitté la Congrégation en 1911. A cette occasion-là le P. Dehon écrit à son frère: «Mon cher enfant, acceptez tous mes voeux pour votre sanctification. Vous devez être saint pour deux. Il faut sauver votre frère. C’est votre mission. Offrez chaque jour bien des petits sacrifices en réparation pour lui je ne désespère pas de son retour. Sanctifions-nous doucement, dans la paix, dans la vie intérieure… Je vous bénie affectueusement. Signé. Jean du C. de J.
37)
Bénédiction apostolique. Trad.: «Nous accordons de tout cœur à tous les fils bien-aimés, avec les plus vives félicitations, la bénédiction apostolique, avec le voeu ardent qu’à leurs œuvres de zèle apostolique ne manque jamais l’esprit pour leur sanctification personnelle dans l’adoration réparatrice, dans l’oblation quotidienne d’eux-mêmes, dans l’esprit de vrai sacrifice et dans l’immolation pour leur salut per­sonnel et celui des âmes».
38)
Tonti (Mgr Giulio), né à Rome en 1844, condisciple du P. Dehon et avec lui sté­nographe au Concile, évêque titulaire de Samos en 1892, transféré archevêque tit. d’abord de Sardes et, après, d’Ancyre. Entre temps il a été nonce apostolique d’abord au Brésil (1902) et après en Portugal (1906). Mais à cause de la révolution en 1910 il rentra à Rome. En 1918 le P. Dehon le rencontre à Rome devenu cardinal (cf. NQ XLII,30).
39)
L’Institut biblique avait été souhaité encore par Léon XIII; mais il ne débuta qu’en 1910 par la volonté de St Pie X, qui l’a confié, pour la gestion, à la Compagnie de Jésus. Son premier recteur fut P.-L. Fonk, qui resta en charge pour plusieurs années. Parmi ses successeurs on peut rappeler le card. Augustinus Bea, le P. Vogt et, plus récemment, Carlo Maria Martini.
40)
A l’occasion de son entrée dans sa 70° année, le P. Dehon annonce la lettre cir­culaire Souvenirs, qu’il envoie à tous ses religieux comme son «testament spirituel». Il y expose comme une «revisitation» des fondements de l’Œuvre, un cadre assez bien soigné de son développement et de son extension en Europe et dans les missions, et surtout il souhaite pour tous ses membres une vraie rénovation qui ait comme buts: l’esprit de corps au sens surnaturel, la foi dans l’Œuvre, l’estime de son but et de sa mission, l’union des pensées et des cœurs pour le travail commun. Un confrère (peut-être L. Héberlé, professeur à Mons), l’avait remercié pour cette circulaire; le 6 mai 1912, le P. Dehon lui répond: «Mon cher ami, je suis très touché de votre bonne lettre. J’ai écrit les souvenirs parce que les jeunes ne savaient rien des origines de l’Œuvre. Ce n’est qu’une esquisse. Ce sont les jalons d’une histoire qu’il faudra développer plus tard, mais il fallait quelque chose pour nous unir tous dans un même but et une même pensée, je crois que le résultat sera favorable. Notre mission est bien belle dans l’Eglise, mais nous y répondons bien faiblement. N.-S. n’a jamais fait de plus grand acte de miséricorde que celui de nous supporter. Ayons confiance quand même. Demandons notre conversion à la Très Sainte Vierge. Encouragez bien les enfants à la piété. Prions l’un pour l’autre. Je vous bénis paternellement. L. Dehon» (B.20/13).
41)
Merry del Val, card. Raphaël: cf. III,462,50.
42)
Mgr Petit, Louis, des Augustins de l’Assomption, archevêque d’Athène, dépen­dant directement du S.-Siège. Né près d’Annecy, prêtre en 1891, après 1895 il est directeur des Echos d’Orient, va au Mont-Athos et publie avec le P. Pargoire le Recueil des inscriptions chrétiennes du Mont-Athos et les Chartes des monastères grecs; en 1902 il reprend et continue la collection des Conciles de Mansi en éditant 11 volumes in folio; après 1908 il est à Rome, à la Propagande, pour préparer le Concile arménien catholique (1911). Le 4 mars 1912 est élu délégué apostolique de Grèce et archevê­que d’Athènes.
43)
Vers la fin du mois de mars 1912 le P. Dehon achève d’écrire «les notes» de son grand voyage. «Sans ces notes, écrit-il, j’aurais gardé un souvenir bien vague de tant de choses intéressantes» (p. 84).
44)
La promenade à Frascati et Tusculum, du 9 avril 1912, donne au P. Dehon l’occa­sion de rappeler quelques réflexions de Cicéron sur l’importance des vertues morales («un chrétien ne parlerait pas mieux!») et sur sa conception de l’univers, anticipatri­ce sous certains aspects de «nos grandes découvertes scientifiques» (p. 89). Cette promenade lui donne l’occasion de rappeler aussi certaines traditions popu­laires, en souvenir de la prise de Tusculum par les Romains en 1191, décidés de se débarrasser des Comtes de Tusculum.
45)
Trad.: Cependant, à moins d’être d’une crasse ignorance en physique, on ne peut douter que l’âme ne soit une substance très simple, qui n’admet point de mélan­ge, point de composition. Il suit de là que l’âme est indivisible et par conséquent immortelle. Car la mort n’est autre chose qu’une séparation, qu’une désunion des parties qui auparavant étaient liées ensemble (Tusc. 1.29).
46)
Trad.: (Les âmes mauvaises prennent) un chemin tout opposé à celui qui mène au séjour des dieux.
47)
Trad.: Pour celles qui ont, au contraire, conservé leur innocence et leur pureté, qui se sont sauvées tant qu’elles ont pu de la contagion des sens, et qui, dans des corps humains, ont imité la vie des dieux, le chemin du ciel d’où elles sont venues, leur est ouvert (Traduction de l’Abbé d’Olivet et Bouhier).
48)
Trad.: Vous dites qu’il est une région de la terre directement opposée à celle-ci et dont les habitants se trouvent naturellement sur le sol dans une position inverse à la nôtre, en telle sorte que vous les nommez nos antipodes… Je ne méprise pas vos conjectures… Hicetas de Syracuse soutient que le soleil est immobile et que rien n’est en mouvement dans le monde, si ce n’est la terre, qui, tournant et roulant avec une extrême rapidité sur son axe, produit exactement les mêmes phénomènes que si le ciel entier tournait autour de la terre immobile (Trad. de M.A. Lorquet).
49)
Il est très important de souligner cette attention du P. Dehon à la dimension aus­si «sociale» de l’Eglise le long de toute son histoire. On est déjà en 1912. Depuis de plus de dix ans le P. Dehon a quitté son engagement direct dans l’action sociale des chré­tiens. Mais il n’a pas oublié l’importance de la dimension sociale même dans la mis­sion de l’Eglise. «Elle est de tous les temps, dit-il; elle a essayé de baptiser la barbarie, la féodalité et même la renaissance; elle s’exerce aujourd’hui à baptiser la démocratie»!
50)
Vers le 15 avril 1912, le P. Dehon a envoyé à toute la Congrégation deux lettres circulaires qui dans la suite ont été publiées en annexes du «Directoire Spirituel», par­mi les «Avis et Conseils». Voir O.Sp. VII, p. 142: «La charité, la politesse, le bon esprit» (pp. 142-145); et «L’ordre et la propreté» (pp. 45-48).
51)
Le Père Gabriel Glod: né à Esch sur Alzette en 1879; première profession à Sittard en 1903; prêtre en 1907, il avait été supérieur à Clairefontaine (1910-1911). Le 5 avril de cette même année 1911 le St-Siège avait autorisé le début du noviciat à Albino pour les novices italiens et comme maître des novices avait été nommé le P. Comte; mais de fait, cette charge a été assumée par le P. Glod, même si pour lui on n’a aucun papier de nomination. Malheureusement il mourut le 17 avril de l’année suivante. On garde de lui une lettre adressée au P. Dehon. Elle n’est pas datée. «Nous lisons en ce moment, dit-il, la petite vie de Sr Thérèse: elle plait beaucoup. C’est la voie que… j’essaie de faire comprendre aux enfants d’ici, avec la dévotion au S. Cœur». Mais après il confesse l’impression de «n’être utile en rien», surtout parce qu’il a l’im­pression que les novices dans l’école d’Albino «ne seront jamais formés: pas de silen­ce observé; contact journalier avec les leurs; pas de frottement de caractère; pas de formation religieuse… Je souffre beaucoup de cette situation, … (parce que) nous avons tant besoin de compter sur de bons religieux».
52)
Catel Pierre (non Cottel) était préfet apostolique de l’Oubanghi, d’après l’Annuaire pontifical catholique de 1912. Il était de la Congrégation du St-Esprit, nommé préfet apostolique en 1909. Il faut noter encore que dans l’Annuaire de 1909, sous la voix «Oubanghi», on lit: «Voir Congo français supérieur», et c’est une zone reconnue comme Vicariat, et vicaire apostolique était Mgr Augouard, évêque titulaire de Sinide et résidant à Brazzaville. Dans l’Annuaire de 1912 il n’est plus question d’un Vicariat «Congo français supérieur». A sa place on rencontre la voix: «Oubanghi-Chari», pré­fecture apostolique, érigée en mai 1909 par séparation du vicariat apostolique de l’Oubanghi.
53)
L’évêque de Taubaté au Brésil: Ce diocèse a été érigé en 1908, par démembre­ment du diocèse de Sào Paulo. Son premier évêque fut E. Nunes de Avila et Silva, sacré évêque de Taubaté le 8 septembre 1909. Il demanda aux moines trappistes de Taubaté, réfugiés au Brésil depuis 1903, de chercher des prêtres en Europe pour son diocèse. Ces moines écrivèrent au monastère de Feluy Arquennes, et un moine de ce couvent, Dom Léon van Hoorne, s’adressa à nos confrères de Mons ou Quévy par une lettre datée le 10 mai 1912. Il dit: «Mgr l’évêque de Taubaté (Brésil) cherche des prêtres pour diriger le séminaire de la ville épiscopale. Cette œuvre ne pourrait-elle pas intéresser votre Congrégation? C’est le rév. Père Abbé de notre monastère du Brésil qui me charge de m’informer à ce sujet en Belgique». Et dans un post-scriptum il demande: «Votre Congrégation de Prêtres du S.-Cœur est-elle celle qui a été fondée par le rév. Père Dehon?». Le P. Dehon, dès qu’il connaît ce projet, écrit tout de suite: «Ce serait une mission intéressante». Mais seulement en 1920 il aura la possibilité d’envoyer une équipe de religieux pour assumer la direction du séminaire diocésain de Taubaté.
54)
Jouarre, ancienne abbaye près de Meaux, fondée en 634 par St Adon, frère de St Ouen. Au M.-A. fut le siège d’écoles célèbres. La dernière abbesse fut Henriette de Montmorin. L’ancien couvent fut presque complètement détruit au début de la Révolution.
55)
Le pèlerinage de Quévy-Aulnois (Hainaut, Belgique). C’est un sanctuaire en hon­neur de la Vierge de Lourdes. Nos confrères ont assumé l’animation de ce sanctuaire en 1903, à cause de l’expulsion des religieux de la France. C’était, en même temps, paroisse et communauté pour le ministère. Le P. Charles Kanters en 1906 a écrit une petite brochure intitulée: «Au pieu visiteur du Sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes» (Quévy-Aulnois).
56)
La défense des missions. Entre 1900 et 1915 on a eu, en Belgique, une campagne de dénigrements et d’accusations contre les missionnaires du Congo Belge, censés coresponsables des atrocités de l’armée belge pour dompter l’opposition des indigè­nes. Des atrocités il y en a eu, et de toute sorte; mais les missionnaires étaient d’habi­tude plutôt de la part des opprimés. Et donc la campagne d’accusations était orches­trée surtout par la franc-maçonnerie anticléricale. La réunion des supérieurs des congrégations missionnaires avait comme but d’éta­blir une ligne de conduite vis-à-vis de cette campagne de dénigrements. A cette ques­tion le P. Dehon avait donné par écrit une réponse très appréciée par Mgr Roelens qui présidait la réunion. Et il l’a remercié très cordialement: «Je vous remercie de tout cœur, lui écrit-il, de la bonne lettre que vous m’avez envoyée, en réponse à la demande que je vous avais adressée. Je vois avec plaisir que vous partagez mes idées et que vous croyez, comme moi, que les missionnaires ne pourront pas continuer toujours à se renfermer dans le mutisme dans lequel ils se sont cantonnés jusqu’à ce jour. Le ministère se montre impuissant à préserver nos œuvres contre les menées audacieuses de la franc-maçonnerie, mais même à réprimer les actes hostiles de ses adeptes… Il me semble qu’il ne nous reste d’autre moyen de nous défendre que de faire appel à l’opinion publique. Nous sommes sûrs d’être soutenus par elle. Elle est puissante en Belgique, etc.» (Anvers, le 21 déc. 1912).
57)
Conseil où nous réglons la séparation des scolasticats: La réunion de ce conseil eut lieu le 14 juillet, non le 15. Le différend entre les deux Provinces s’est composé: la maison de Louvain devra payer 110.000 frs à la Province de Hollande si les scolasti­ques quitteront Louvain cette même année. Les Hollandais auront la possibilité de trouver une autre maison pour les loger. La somme indiquée pourra être payée par cotisations successives.
58)
Le Père Jules du Sacré-Cœur de l’Ordre de St François, commissaire général du Tiers-Ordre, mort en 1914. Il était en rapport très cordial avec le card. Giacomo Della Chiesa, et aussi avec notre P. Fondateur. Ces rapports étaient favorisés parce que quel­quefois les rencontres avaient lieu chez nos confrères de la communauté de Rome, via Monte Tarpeo. Ainsi «le premier dimanche dé Carême de 1895, écrit le P. Dehon, Mgr Della Chiesa vint dîner chez nous au Monte Tarpeo, avec M. Harmel, M. Féron­Vrau, Mgr Mauray, Mgr Laperrine-d’Hautpoul; de même, un soir de janvier 1897, mais cette fois en compagnie de P. Jules du Sacré-Cœur, de Mgr Tiberghien, de Mgr Glorieux et de M. de Palomera» (note à la plume, du P. Dehon, dans la brochure Benoît XV et le Père Jules du Sacré-Cœur, Montpellier 1917, pp. 4 e 5). Le P. Jules sollicita la collaboration du P. Dehon surtout en vue des congrès du Tiers-Ordre. Le P. Dehon participa d’abord au congrès des Franciscains qui a eu lieu à Reims, 17-22 août 1896. C’était un congrès national. A cette occasion, note le P. Dehon, «le P. Jules du Sacré-Cœur est admirable d’entrain et de dévouement» (NQ XI, vol. II, p. 276). Au congrès international qui eut lieu à Rome en 1900, le P. Dehon fut chargé d’un discours sur la «mission actuelle du Tiers-Ordre» (texte dans La rénovation sociale chrétienne, Paris 1900, pp. 285-293). Le 22 janvier 1897 le P. Jules participa à l’audience du Pape Léon XIII avec Léon Dehon et Léon Harmel (NQ XII, 27). Ensemble ces trois ont réfléchi et travaillé en vue d’une réforme du Tiers-Ordre, pour souligner davantage sa mission sociale. A propos de ces rapports entre le P. Jules et notre Fondateur, cf. aussi: Lettre du P. Jules au P. Dehon (OS, IV,641-644), et Lettre du P. Dehon au P. Jules (OS, IV,639).
59)
Sr Marie de Jésus: La biographie de Sr Marie de Jésus, «la petite sainte» dont parle ici le P. Dehon, a été éditée en 1914, et maintenant on peut la trouver dans le volume IV° des «Œuvres Spirituelles» du P. Dehon.
60)
Le 9 septembre 1912: on ouvre en Hollande le Scolasticat de Liesbosch. Le mois suivant, en octobre, les scolastiques hollandais quittent définitivement Louvain.
61)
On fonda la Ligue de Sainteté sacerdotale: Dans le manuscrit on lit: «Ligue de sanité»; mais évidemment il s’agit d’un lapsus calami. Cette Ligue a été fondée à Thieu en Belgique. Le P. Dehon y est très lié. «C’est vraiment notre œuvre», dit-il, une œuvre issue de l’appel de Mgr Gay, avec qui il avait collaboré avec dévouement. Dès qu’il entendit parler de cette ligue, le P. Dehon sollicita tous les renseignements possibles. L’abbé Reimsbach de Metz, directeur général, lui a répondu en disant: «Par le fait de l’entrée régulière dans la ligue, on a droit à ses privilèges et aux prières des associés; mais on n’est formellement dans la ligue que si on est en état de grâce; en sorte que, si on avait le malheur de pécher gravement, on devrait se hâter de se réconcilier avec Dieu pour appartenir de nouveau à la ligue; et on aurait l’obligation de le faire le plus tôt». L’aggrégation peut être individuelle ou bien de toute une communauté. C’est ce que l’abbé Reimsbach souhaite (lettre datée: 18 oct. 1912).
62)
Je lis les lettres du vén. P. Huchant: Le P. Huchant est très peu connu. Son nom n’apparaît ni dans le «Grand Larousse» ni dans le «Dict. de biographie française» ni dans le «Dict. de spiritualité». Seulement on a édité ses lettres et poésies dans un livre intitulé: «Sursum Corda: Lettres et Poésies du serviteur de Dieu le P. Huchant, c.ss.r.». Mais pas un mot sur la vie ou les aspects typiques du personnage. Seulement un petit «portrait» avec les indications ultimes: né 1815, mort 1888. Un exemplaire de ce volu­me, édité à Malines en 1907, est arrivé entre les mains du P. Dehon et il le lit avec avi­dité. Cet exemplaire, utilisé par le P. Dehon, on le garde encore dans nos archives de Rome. Dans la dernière page, le P. Dehon y a noté, à la plume, les passages qu’il avait goûté davantage: ceux qui exaltent la valeur de la croix, ou bien ceux qui concernent la vie religieuse, la lutte contre le démon et, encore davantage, ceux qui parlent de l’union de sa propre volonté avec la volonté de Dieu.
63)
Le P. Charcosset, un très bon prêtre: Il a été très proche du P. Dehon soit dans sa vie de prière soit pour son dévouement pour la promotion sociale des ouvriers. Pendant 25 ans il a été «aumônier des ouvriers» au Val des Bois. Après sa mort, le P. Dehon le propose au P. Albert Bodin comme un modèle à imiter: «Mon cher petit Albert, vous savez bien que je vous aime paternellement. Soyez bien fidèle. Votre per­sévérance sauvera l’âme de votre pauvre frère. Je désire qu’on puisse dire de vous plus tard comme on dit du P. Charcosset: «C’était un très bon prêtre et un pieux religieux, il a fait un bien énorme». Les vieux s’en vont. Hâtez-vous, ceux qui sont jeunes, d’être en mesure de prendre la tâche pour faire plus et mieux que nous. Mais pensez que seule l’humilité assure et prépare les grâces. La maison de Louvain est mon espérance. Soyez tous bien fervents. Je vous bénis bien paternellement. Jean du C. de J.».
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