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36e CAHIER

1915: janvier – février

Quelle longue carrière j'ai déjà fournie: 1843-1915. Que de défail­lances sur le chemin! Mais ce qui est fait est fait. Je ne puis que deman­der pardon à N.-S. des misères passées, en le remerciant d'une infinité de grâces reçues.

Cette année s'ouvre dans des conditions bien dramatiques1). Une sal­ve d'infanterie et de fusillade nous l'annonçait à minuit. Mais l'année commence par le 1er vendredi du mois, c'est de bonne augure. Ce sera l'année du S.-Cœur. L'œuvre 2 du S.-Cœur sera épargnée par la justi­ce divine, et elle reprendra un nouvel essor après la paix.

Je consacre cette année au S.-Cœur. Je veux que toutes mes respira­tions, tous les battements de mon cœur, tous mes mouvements soient autant d'actes d'amour, de réparation et de prière qui lui soient adres­sés. Je consacre aussi cette année à Marie et à tous mes célestes protec­teurs. Je voudrais sanctifier tous mes instants par autant de commu­nions spirituelles.

Le 3, on fait à la Basilique un service pour nos soldats morts à la guerre. L'église est comble. Le Conseil municipal est là en corps dans le choeur. Il y a donc quelque chose de changé en France. La société politique revient à Dieu. 3 Cela vaut plus qu'une victoire pour le salut du pays.

Je relis plusieurs volumes sur la franc-maçonnerie, qui a la haute main dans cette guerre et dans toutes les ruines sociales de notre temps. Sont-ils impudents! ces gens-là. Havin, un de leurs hommes, écrivait dans le «Monde maçonnique» en 1878, lors du fameux centenaire de Voltaire: «Comme Maçons, comme libres-penseurs, comme membres d'une association dont le but principal est d'asseoir sur des bases in­destructibles la tolérance religieuse, le respect des consciences, notre devoir est de rendre un solennel et public hommage à ces principes dans la personne de celui qui en fut le plus intelligent, le plus géné­reux et le plus ardent 4 défenseur…». M. Havin était un de ces écri­vains bornés, capables d'énoncer les bourdes les plus grossières pour la clientèle épaisse du journal «Le Siècle». Que parle-t-il de tolérance religieuse et de respect des consciences? Est-ce qu'elle respecte ma conscience, sa franc-maçonnerie! Ma conscience demande l'éducation chrétienne des enfants, la liberté de la vie religieuse et tant d'autres choses que la tyrannie maçonnique nous refuse. Voltaire était de la loge des Neufs Soeurs (1778), comme Rousseau, Helvétius, D'Alembert, Diderot et le fameux duc d'Orléans. C'est là que mijotait la Révolution, comme le premier congrès maçonnique de Cologne en 1535 concourait au développement 5 du protestantisme avec Carlton, De Coligny, Melancton, etc. On trouvera toujours la secte mêlée à tou­tes les luttes contre l'Eglise. Elle n'est pas étrangère à la guerre actuel­le. Elle aime à pêcher à l'eau trouble. Son but final est d'établir une fédération de républiques, sous la primauté du président de la République romaine, qui serait le Grand Maître de la Maçonnerie. On verra cela plus tard, au temps de l'Antéchrist, mais le moment n'est pas venu. L'Eglise aura encore de beaux jours (Voir Alex de St Albin, Les Francs-maçons).

Je relis mon histoire de l'Eglise pour avoir une idée assez nette de la fameuse question romaine2). 6 La donation de Constantin ne paraît pas historique, mais en fait il se retira à Byzance pour laisser à Rome la majesté pontificale sans rivale. L'administration restait romaine: Rome et l'Italie avaient des Préfets et des Exarques.

Après la chute de l'Empire romain d'occident, l'Italie appartint suc­cessivement:

aux Hérules: 476-491;

aux Ostrogoths: 491-552;

aux Grecs: 552-568.

Puis les Lombards survenant, elle fut partagée entre eux et l'Em­pire d'orient. Rome avait été ruinée. L'Italie grecque ou romaine était gouvernée par l'Exarque de Ravenne.

En 726, les violences de l'empereur Léon III l'iconoclaste provoquèrent la fondation de la République 7 romaine, gouvernée en fait par les Papes.

En 752, le Pape Etienne III ayant à souffrir des violences des Lombards, appela à son secours le roi Pépin le Bref. Pépin défit les Lombards et donna au Pape en 756 le duché de Rome.

Le Pape conféra à Pépin et à ses fils le titre de Patrice de Rome, qu'avaient porté les Exarques de Ravenne et qui indiquait seulement une mission de protectorat relativement au Saint-Siège.

En 800, le titre d'Empereur concédé à Charlemagne par le Pape Léon III entraînait forcément l'idée du dominium mundi. L'Empereur avait une suprématie au moins nominale sur les princes de l'occident chrétien. 8 L'Espagne d'abord et ensuite la France sous la dynastie capétienne n'ont pas reconnu la suprématie de l'Empire.

De Charlemagne à Othon le G.d [= le grand], l'Empire est bien instable. Le titre d'empereur est porté alternativement par des rois de France, d'Allemagne et d'Italie. Même sous Charlemagne, Pépin son fils encore mineur est fait roi d'Italie. Bernard, fils de Pépin, hérite de ce titre.

813, Louis le Débonnaire est empereur.

840, Lothaire son fils „

855, Louis II le jeune ”

875, Charles le chauve „

877, Charles le gros. ”.

Après Charles le gros, 888, jusqu'à Othon le grand, 962, le titre d'empereur fut sans cesse disputé, et la papauté eut beaucoup 9 à souffrir de ces luttes.

Au Xe siècle, la famille Marozia avec les comtes de Tusculum et les ducs de Toscane trafiquaient à prix d'argent du siège de Pierre.

Des princes italiens prirent tour à tour les titres d'empereurs et de rois d'Italie.

888, Bérenger, duc de Frioul, petit-fils par sa mère Gisèle de Louis le Débonnaire,

889-894, Gui de Spolète,

894-915, Bérenger à nouveau,

915-926, Rodolphe de Bourgogne,

926-945, Hugues de Provence,

945-950, Lothaire son fils,

950-962, Bérenger II, M.is [= Marquis] d'Ivrée.

A ces rois obéissait l'Italie franque, Italie du nord et du centre. Bénévent était aux Lombards et le midi restait aux Grecs.

A partir d'Othon le grand, 962, 10 la couronne impériale qui avait été successivement portée par des rois de France, d'Allemagne et d'Italie, appartint exclusivement à l'Allemagne. Othon fonda le saint empire romain de la nation allemande. Mais ce n'était déjà plus le domaine mondial de Charlemagne, l'occident en restait séparé. Ce titre cessa en 1806 par l'abdication de François II.

Le saint empire n'était pas du reste fixé d'une façon incontestée en Allemagne. François ler de France le disputait à Charles Quint, et Henri IV de France projetait avec le Pape Clément VIII de rétablir l'empire de Charlemagne en France.

Grégoire VII en 1077 libéra le St-Siège en luttant contre l'empereur Henri IV dans 11 la querelle des investitures, aidé par la comtesse Mathilde de Toscane, qui força l'empereur à s'humilier à Canossa.

1140-1149, la paix de Rome est troublée par la révolte républicaine d'Arnaud de Brescia.

De 1159 à 1495, l'Italie est constamment troublée par les querelles des guelfes et des gibelins: les guelfes, dynastie de Bavière puis de Hanovre, qui favorisait la liberté municipale et l'indépendance italien­ne; les gibelins, dynastie de Souabe, favorable à la suzeraineté impériale.

Il y eut dans cet intervalle le séjour des Papes à Avignon, 1309-1377, pendant lequel Rome était livrée aux luttes des partis: les familles Colonna et Orsini, 12 et la démocratie avec le tribun Cola de Rienzo, 1347.

L'agitation dura jusqu'au XVIe siècle. Tantôt les empereurs alle­mands tantôt la noblesse ou le peuple de Rome s'y rendaient maîtres et méconnaissaient l'autorité politique du Pape.

Enfin quelques Papes politiques au XVIe siècle, Alexandre VI, Jules II, Léon X, Clément VII, 1492-1534, affermirent le règne du Pape. C'est de cette époque-là que date la pleine indépendance temporelle du Pape. Elle a duré jusqu'en 1870, sauf les courts intervalles de l'oc­cupation républicaine en 1798, de la tyrannie impériale en 1803 et de la révolution de 1848.

Il va sans dire que l'empire 13 allemand fondé en 1871 n'a rien à voir avec le Saint Empire. Il en est la négation. Les disciples de Luther et les apostats de la Chevalerie teutonique ne peuvent pas prétendre à la protection du Pape et de l'Eglise. C'est un empire né de la force militaire, il lui manque le ciment de la vérité religieuse et de la justice chrétienne.

Le pouvoir temporel donnait à la papauté un grand éclat et une pleine liberté. Il avait ses inconvénients: préoccupations temporelles pour le Pape et la prélature, occasion de critiques acerbes, difficulté de concilier l'indépendance de Rome avec les aspirations de l'Italie vers l'unité nationale. En tout cas, la situation actuelle n'est 14 pas tenable. Le Pape n'est pas chez lui à Rome. Il n'est pas respecté dans la ville même où il habite, il n'y peut pas sortir, il ne peut pas donner aux fêtes religieuses la pompe extérieure qui convient pour la capitale du monde chrétien.

Que fera la Providence? Les uns espèrent une restauration du pou­voir temporel, d'autres pensent qu'une Loi des garanties revue et approuvée dans un congrès européen pourrait suffire…

Le 10, réunion de nos jeunes séminaristes. Les enfants ont besoin d'une détente dans ces jours sinistres. On tire les rois, les enfants se récréent.

Le canon tonne toujours. Les vivres deviennent rares et chers. 15 Nous donnons l'hospitalité à M. le curé de Curchy, prisonnier sans savoir pourquoi. Nous sommes douze à vivre.

J'apprends la mort de mon parent Lavisse, puisse-t-il avoir eu le temps et l'inspiration de se rapprocher de Dieu!

On se passe un article de René Bazin, qui est réconfortant. «La France prie!». La guerre a réveillé chez nous la foi qui n'était qu'assou­pie. La France se souvient de Dieu et de l'histoire qu'elle a vécue. Les populations retrouvent le chemin de l'Eglise. On va sans respect humain à la messe, à la communion, au chemin de la croix, au salut du soir. On attend de Dieu la vraie victoire, «celle qui est douce pour tous et qui ouvre 16 enfin les cœurs à la justice». Des milliers d'hom­mes se sont confessés avant de partir pour la guerre. On a mêlé aux adieux déchirants des promesses de prière, on visite les autels et les sanctuaires privilégiés. On prie en famille, on dit le chapelet et les lita­nies pour les soldats. Ceux-ci se munissent du signe de croix dans les tranchées quand le canon gronde.

Bien des âmes s'offrent en victime pour la France, dans les cloîtres, dans les familles et sur le champ de bataille. «Un ferme espoir doit nous venir de là!».

6-13. C'est l'Epiphanie. Je vois les rois représentés à notre crèche. A leur place, je mets en esprit nos rois chrétiens, ceux d'Espagne, d'Autriche, de Belgique, 17 de Bavière, etc., ceux même des peuples schismatiques et hérétiques, qui ont le baptême et quelque bonne foi, et les républiques chrétiennes de l'Amérique, et les missions. J'y vou­drais voir tous les rois et tous les peuples. Dieu n'a-t-il pas dit à son Christ: Dabo tibi gentes haereditatem tuam et possessionem tuam terminos terrae (Ps. 2,8). Que votre règne arrive, Seigneur! Que tous les peuples vous connaissent et vous honorent! Mon cœur brûle de ce désir insatiable.

Malgré les tristesses3) de l'heure présente et les récentes persécutions religieuses, il faut reconnaître qu'il y a depuis un siècle un change­ment considérable en faveur de la religion. Au commencement 18 du XIXe siècle, il arriva que Bernardin de St Pierre prononça avec respect le nom de Dieu à l'académie, sa déclaration excita tellement les huées de l'assemblée, que ses collègues, au milieu des cris et des vociféra­tions les plus atroces, allèrent jusqu'à outrager la vieillesse, le traitant d'homme faible, superstitieux, et le menaçant de le chasser de l'assem­blée. L'un d'eux s'emporta au point de l'appeler en duel pour lui prouver, l'épée à la main, que Dieu n'existait pas (Récit du M.is de Puységur4)). Aujourd'hui l'académie admet des hommes comme Bazin, de Mun5), Bourget, etc. Elle n'est pas loin de donner la majorité à Dieu. Ce serait vite fait, si nous 19 avions la liberté d'enseignement, et cela viendra.

Dans ces dernières années, on avait exclu du Concours général à Paris le collège Stanislas, parce qu'il était catholique et ecclésiastique. Les prix du Concours général avaient été fondés par le chanoine Legendre, historien de Louis XIII. Si nos ministres ne savent pas cela, ils sont ignorants; s'ils le savent, ils sont sectaires et injustes et ils vio­lent les intentions du fondateur des prix. Les graves leçons que nous donne la Providence dans cette guerre vont-elles ramener nos gouver­nants à des idées plus justes sur ce point là et sur tant d'autres? Voilà trente cinq années d'iniquité depuis 1880, combien faudra-t-il de semaines pour les expier? 20

Encore deux mois et j'entrerai dans ma 73e année. Les païens ont bien décrit la vieillesse.

«Les incommodités s'accumulent, dit Horace, les forces s'en vont; chaque année fait son œuvre de destruction: Multa senem circumve­niunt incommoda… Debilitans animi vires mutansque vigorem (senectus); sin­gula de [die] nobis anni praedantur euntes.

Le vieillard devient un homme inutile et sans forces, disent Virgile et Ovide:

V. Inutilis annis…

O. Anni fragiles et inertior aetas…

Juvénal semble penser comme ceux qui délivraient leurs vieillards de la vie: Morte magis metuenda senectus…

Ils n'ont pas su formuler une prière ou exprimer un sentiment de résignation et de confiance. Combien David leur est supérieur! Dans les psaumes 70 et 91, il 21 nous dit ses pensées sur la vieillesse. Le psaume 70 est une prière: «Ne me rejetez pas, Seigneur, au temps de ma vieillesse; et maintenant que ma force s'est affaiblie, ne m'aban­donnez pas… O mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi… Je ne cesse­rai jamais d'espérer en vous et je vous donnerai toujours de nouvelles louanges… Je ne connais pas la sagesse humaine et la littérature païen­ne, je m'appuie sur Dieu seul et je mets ma confiance en sa puissance et sa justice. Seigneur, vous m'avez instruit dès ma jeunesse, et je publierai vos merveilles jusque dans mon extrême vieillesse. Ne m'a­bandonnez pas, Seigneur. Soutenez-moi jusqu'à ce que j'aie annoncé la force de votre bras à la génération qui doit venir… Vous m'avez éprouvé 22 de bien des manières à cause de mes fautes, puis vous vous êtes de nouveau tourné vers moi et vous m'avez redonné la vie et retiré des abîmes de la terre. Vous avez fait éclater à mon égard la grandeur de votre bonté et en me regardant de nouveau vous m'avez rempli de consolation. Je vous glorifierai donc encore et je publierai la fidélité de vos promesses…».

C'est le résumé de ma vie. David était la figure des âmes qui ont re­çu de Dieu de grandes grâces et qui malgré leurs défaillances ont obte­nu miséricorde.

Au psaume 91, c'est la confiance du vieillard qui s'appuie sur la miséricorde divine: «Que vos œuvres sont magnifiques, 23 Seigneur! L'homme insensé n'en a pas l'intelligence… Les pécheurs se multiplie­ront comme l'herbe, mais ils périront comme elle. Vos ennemis seront dissipés, Seigneur; mais ma force se conservera vaillante comme celle de la licorne, et ma vieillesse se renouvellera par votre abondante miséricorde. Le juste (et le pénitent) fleurira comme le palmier et se multipliera comme le cèdre du Liban; car ceux qui sont plantés dans la maison du Seigneur fleuriront dans les parvis de notre Dieu. Ils se multiplieront de nouveau dans une vieillesse comblée de biens, et ils seront remplis de patience et de vigueur pour annoncer la justice et la bonté du Seigneur». 24 Telle est ma prière, ô mon Dieu. Me voici vieux, je vais avoir 72 ans. Conservez-moi assez de vigueur pour travail­ler encore à votre œuvre, pour y faire entrer des âmes généreuses, et pour achever d'enseigner à mes fils spirituels les voies de l'amour, de la réparation et de l'immolation.

Voilà quatre mois et demi que nous sommes dans une sorte d'état de siège, dont les conditions vont en s'aggravant. Les vivres deviennent rares et fort chers. On ne donne plus de laisser-passer pour aller même aux communes voisines. Nos communications avec Fayet deviennent difficiles. J'avais des lettres de quelques-unes de nos maisons par un aumônier allemand, 25 on y oppose le veto. Fiat! Il faudra prier davantage pour que N.-S. nous fasse miséricorde. La paix sans la con­version ne serait pas une grâce de Dieu. Il faut préparer la paix par la souffrance et le retour à Dieu.

Il y a des monstres6) partout dans la nature. Aujourd'hui une mère de famille est allée aujourd'hui revendiquer la neutralité de l'école et se plaindre de ce que la maîtresse ait parlé de Dieu avec respect. Si cet­te femme n'est pas soeur-maçonne, qu'on l'inscrive bien vite à la loge. L'homme est un animal religieux. Si cette femme n'est pas de l'espèce humaine, qu'on élève sa fille à la basse-cour. Mais les oiseaux eux-­mêmes ne 26 semblent-ils pas, tous les matins, offrir à Dieu leurs pre­miers chants comme une prière?

Le patriotisme est une vertu facilement exaspérée et dépassée par la passion. En Corse, en Italie, l'amour exagéré de la famille et du clo­cher produit la vendetta. Partout l'amour exagéré de la patrie produit la guerre et la violence. Lors de la guerre du Transvaal, l'archevêque de Londres exalta la justice de la cause anglaise, c'était du patriotisme outré. Quand les Etats-Unis se jetèrent sur les colonies espagnoles, il y eut des évêques aux Etats-Unis qui condamnèrent la résistance espa­gnole. Tel le loup de La Fontaine accusait l'agneau de troubler son eau. Aujourd'hui on 27 voit des prêtres allemands qui croient à la justice de leur cause. Mais qui donc a voulu la guerre? Ce n'est pas nous, ni les Anglais qui ne s'y décidèrent qu'après l'envahissement de la Belgique par les Allemands. Les deux grands homicides sont Berchtold et Bethmann-Hollweg. L'histoire le proclamera et Dieu fera justice.

I. Je lis avec un grand charme la vie de la Soeur Elisabeth de la Trinité, du Carmel de Dijon. Elle a sa mission à remplir de notre tem­ps comme la Sr Thérèse de l'Enfant Jésus. La Sr Thérèse inspire à ceux qui lisent sa vie la simplicité et l'esprit d'enfance spirituelle, en même temps qu'elle prodigue les grâces temporelles. Sr Elisabeth décrit elle-­même sa grâce. 28 «Au ciel, je le crois, dit-elle, ma mission sera d'atti­rer les âmes dans le recueillement intérieur, en les aidant à sortir d'el­les-mêmes pour adhérer à Dieu par un mouvement tout simple et tout amoureux; de les garder en ce grand silence du dedans qui permet à Dieu de s'imprimer en elles, de les transformer en lui». Vénérée Soeur, aidez-moi à vivre de cette vie intérieure qui vous a fait sainte!

II. Elle aussi a été victime pour l'Eglise et pour les pécheurs. Avant d'entrer au Carmel, elle disait à sa mère: «Ah! ma chère maman, puis­-je résister à la voix de Dieu qui m'appelle? Il me tend les bras et me dit qu'il est méconnu, outragé, délaissé. Puis-je l'abandonner, moi aussi? Il veut des victimes, il faut que 29 je parte malgré mon chagrin de vous laisser, de vous plonger dans la douleur. Il faut que je réponde à son appel».

III. Son éducation l'avait amenée à faire pas mal de voyages. Elle y trouvait un grand charme et savait s'en servir pour s'édifier. On lit dans sa vie: «L'été de 1899 se passa comme d'habitude de différents côtés; en France, puis en Suisse dont les sites enchanteurs ravirent Elisabeth. Facilement enthousiasmée par les merveilles de la nature, elle se perdait volontiers dans la contemplation des œuvres du Créateur. «Jouissez bien de ces beaux panoramas, écrira-t-elle de sa petite cellule de carmélite; la nature porte au bon Dieu. J'aimais tant ces montagnes, elles me parlaient de Lui». Puis à sa soeur en villégiatu­re dans les 30 Pyrénées et sur les rivages du golfe de Gascogne: «N'est-ce pas qu'on ne se lasse pas de contempler la mer? Te rappelles-tu la dernière fois que nous l'avons vue ensemble au rocher de la Vierge à Biarritz? Quelles bonnes heures j'ai passées là! C'était si beau de voir ces lames de fond envahissant les rochers; mon âme vibrait devant ce spectacle grandiose; jouis-en bien, et pense qu'au Carmel, je retrouve en Dieu tous ces vastes horizons»».

Une âme qui s'est comme élargie dans les contemplations de la nature et de l'art comme dans les horizons qu'ouvrent la science et l'é­tude n'a-t-elle pas plus d'ampleur pour concevoir et pour aimer son Créateur?

IV. Sr. Elisabeth était toute innocente. 31 A peine fut-elle troublée par la tentation, comme on lit au Cantique spirituel de St Jean de la Croix: « Le Seigneur permet que le démon soulève parfois, dans la par­tie sensible, bien des agitations; qu'il suscite à l'âme mille tracasseries spirituelles ou sensibles, dont elle n'a pas la possibilité de s'affranchir, tant que Dieu n'envoie pas autour d'elle l'ange qui protège et délivre ceux qui le craignent».

Elle encourageait et consolait les pécheurs et les âmes souffrantes. Elle écrivait à une amie: « Il me semble que le bon Dieu vous demande un abandon et une confiance sans limites. A ces heures pénibles où vous sentez ces vides affreux, pensez qu'il creuse en votre âme des capacités plus grandes pour le recevoir, 32 c'est-à-dire, en quelque sor­te infinies comme Lui-même; tâchez alors d'être, par la volonté, toute joyeuse sous la main qui vous crucifie; je dirai même: regardez chaque souffrance comme une preuve d'amour qui vous vient directement du bon Dieu pour vous unir à Lui. Lorsque le poids du corps se fait sentir et fatigue votre âme, ne vous découragez pas, mais allez par la foi et l'amour à Celui qui a dit: «Venez à moi et je vous soulagerai». Pour ce qui regarde le moral ne vous laissez jamais abattre par la pensée de vos misères. Le grand saint Paul dit: «Où le péché abonde, la grâce sura­bonde»; donc il me semble que l'âme la plus faible, même la plus cou­pable, est celle qui a le plus 33 lieu d'espérer. Et cet acte qu'elle fait pour s'oublier et se jeter dans les bras de Dieu, la glorifie plus que tous les retours sur elle-même et tous les examens qui la font vivre avec ses infirmités, tandis qu'elle possède au centre d'elle-même un Sauveur qui veut à toute minute la purifier».

Je m'applique ces conseils réconfortants.

V. La grâce la plus signalée est l'union avec Dieu vivant en elle ou ce qu'elle appelle sa vie dans son ciel intérieur. Elle se nourrissait de St Paul qui prêche avec tant d'instance cette vie intérieure: «Je vais vous dire mon secret, écrit-elle. Pensez à ce Dieu qui habite en vous, dont vous êtes le temple: c'est St Paul qui parle, nous pouvons le croire. Petit à petit, l'âme s'habitue à vivre en 34 sa douce compagnie; elle comprend qu'elle porte en elle un petit ciel où le Dieu d'amour a fixé sa demeure; alors elle respire comme en une atmosphère divine; je dirai même que son corps seul est sur la terre; son âme habite au-delà des voiles, en Celui qui est l'immuable». «L'amour habite en nous, disait-elle; aussi mon seul exercice est-il de rentrer au dedans et de me perdre en Ceux qui sont là. Je suis Elisabeth de la Trinité, c'est-à-dire Elisabeth disparaissant, se laissant envahir par les Trois. Livrons-nous à eux, nous immolant de minute en minute, sans rechercher des choses extraordinaires, et puis faisons-nous bien petites, nous laissant porter comme l'enfant dans les bras de sa mère par Celui qui est notre Tout». 35 Et encore: «Quand tu seras distraite par tes nombreux devoirs, pour te ressaisir, à chaque heure tu entreras au centre de ton âme, là où demeure l'Hôte divin; tu pourras penser à la parole que je t'ai dite: «Vos membres sont le temple de l'Esprit Saint qui habite en vous». Et à celle-ci qui est du Maître: «Demeurez en moi et moi en vous». Il est dit de sainte Catherine de Sienne qu'elle vivait toujours en cellule, quoi­que au milieu du monde, car elle vivait en cette habitation intérieu­re …».

Et plus loin: «Si tu lis l'Evangile selon Saint Jean, tu verras sans cesse le divin Maître insister sur ce commandement: «Demeurez en moi et moi en vous». Et encore: «Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure»». 36 «St Jean, dans ses épîtres, souhaite que nous ayons société avec la Sainte­-Trinité: ce mot est si doux et c'est si simple! St Paul le dit, il suffit de croire. Dieu est esprit, et c'est par la foi que nous nous approchons de Lui. Pense que ton âme est le temple de Dieu, c'est encore St Paul qui l'enseigne; à tout instant du jour et de la nuit, les trois Personnes divi­nes y demeurent; tu ne possèdes pas la sainte Humanité comme quand tu communies, mais la divinité, cette essence que les Bienheureux ado­rent dans le ciel, elle est en ton âme; quand on sait cela, une intimité tout adorable s'établit: on n'est plus jamais seul… Rappelle-toi ces mots de l'Evangile: Le royaume de Dieu est au-dedans de vous. Entre en ce petit royaume 37 pour adorer le Souverain qui y réside ainsi qu'en son propre palais. Il t'aime tant! Il t'en a donné tant de gages, en te demandant souvent dans le chemin de la vie de l'aider à porter sa croix! … ».

VI. Il faut lire cette vie pour bien goûter la dévotion à la Sainte Trinité. La Soeur avait reçu une grâce spéciale pour cette dévotion. La Sainte Trinité s'était révélée à elle. Un jour d'Ascension, elle dit à sa Mère Prieure à l'infirmerie: «O ma Mère, n'ayez aucune peine à mon sujet; le bon Dieu m'a fait une grande grâce. Dans la matinée, cette parole me fut dite au fond de l'âme: «Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera; nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure». Et au 38 même instant j'ai vu combien c'était vrai. Je ne saurais dire comment les trois divines personnes se sont révélées; mais pourtant je les voyais tenant en moi leur conseil d'amour, et il me semble que je les vois encore ainsi. Oh! que Dieu est grand et que nous sommes aimés! ».

Croyant la mort prochaine, elle écrivait à sa soeur: «Je te laisse ma dévotion pour les Trois; vis au-dedans avec eux dans le ciel de ton âme; le Père te couvrira de son ombre, mettant comme une nuée entre toi et les choses de la terre, pour te garder toute sienne; il te communi­quera sa puissance pour que tu l'aimes d'un amour fort comme la mort. Le Verbe imprimera en ton âme, ainsi qu'en un cristal, l'image de 39 sa propre beauté, afin que tu sois pure de sa pureté, lumineuse de sa lumière. L'Esprit Saint te transformera en une lyre mystique; le silence, sous sa touche divine, produira un magnifique cantique à l'a­mour; alors tu seras la louange de sa gloire».

Dans les notes de sa retraite, elle écrivait: «Comment imiter, dans le ciel de mon âme, l'occupation incessante des Bienheureux dans le ciel de la gloire? Comment poursuivre cette louange, cette adoration inin­terrompue? St Paul me donne une lumière là-dessus lorsqu'il écrit aux siens (aux Ephésiens) : «Que le Père vous fortifie en puissance par son esprit, quant à l'homme intérieur, en sorte que Jésus-Christ habite par la foi en vos cœurs et que vous 40 soyez enracinés et fondés en l'a­mour». L'âme qui pénètre et demeure dans les profondeurs de Dieu, qui fait tout par Lui, avec Lui et en Lui, s'enracine plus profondément par chacun de ses actes en Celui qu'elle aime; tout en elle rend hom­mage au Dieu trois fois saint; elle est pour ainsi dire un Sanctus perpé­tuel, une louange de gloire incessante…».

Sa prière à la Très Sainte Trinité est merveilleuse, je voudrais la reproduire sur une image et la distribuer. Je la copie:

«O mon Dieu, Trinité que j'adore, aidez-moi à m'oublier entière­ment pour m'établir en vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l'Eternité; que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de vous, ô mon 41 immuable, mais que chaque minute m'emporte plus loin dans la profondeur de votre Mystère. - Purifiez mon âme; faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos; que je ne vous y laisse jamais seul; mais que je sois là toute entiè­re, tout éveillée en ma foi, tout adorante, toute livrée à votre action créatrice. - O mon Christ aimé, crucifié par amour, je voudrais être une épouse pour votre cœur; je voudrais vous couvrir de gloire, je vou­drais vous aimer jusqu'à en mourir. Mais je sens mon impuissance, et je vous demande de me revêtir de vous-même, d'identifier mon âme à tous les mouvements de votre âme, de me submerger, de m'envahir, de vous substituer à moi, afin que ma vie ne soit qu'un rayonnement de votre vie. 42 Venez en moi comme Réparateur et comme Sauveur. O Verbe éternel, parole de mon Dieu, je veux passer ma vie à vous écou­ter, je veux me faire tout enseignable afin d'apprendre tout de vous; puis, à travers toutes les nuits, tous les vides, toutes les impuissances, je veux vous fixer toujours et demeurer sous votre grande lumière; ô mon Astre bien-aimé, fascinez-moi pour que je ne puisse plus sortir de votre rayonnement. - O Feu consumant, Esprit d'amour, survenez en moi, afin qu'il se fasse en mon âme comme une incarnation du Verbe; que je lui sois une humanité de surcroît, en laquelle il renouvelle tout son mystère; et vous, ô Père, penchez-vous vers votre pauvre petite créature, couvrez-la de votre ombre, ne voyez en elle que le 43 Bien-Aimé en lequel vous avez mis toutes vos complaisances. - O mes Trois, mon tout, ma béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à Vous comme une proie, ensevelissez-vous en moi pour que je m'ensevelisse en Vous, en attendant d'aller contempler en votre lumiè­re l'abîme de vos grandeurs» (21 nov. 1904).

VII. Cependant la sainte victime mûrissait pour le sacrifice. Devenue plus malade, elle écrivait à une amie: «N'as-tu jamais vu de ces images représentant la mort moissonnant avec sa faucille? Eh bien! c'est mon état; il me semble que je la sens me détruire ainsi; pour la nature c'est pénible, et je t'assure que si je restais là, je ne sentirais que ma lâcheté dans la souffrance; 44 mais ceci c'est le regard humain, et bien vite j'ouvre l'oeil de mon âme sous la lumière de foi, cette foi me dit que c'est l'amour qui me détruit, qui me consume lentement; et ma joie est immense et je me livre à lui comme une proie. Lorsque l'on contemple notre éternelle prédestination, les choses visibles semblent si méprisables! Ecoute Saint Paul: «Ceux que Dieu a connu en sa pre­science, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils» (aux Rom.). Mais pour devenir conformes à l'image de Jésus res­suscité, ne faut-il pas d'abord nous laisser crucifier comme lui?».

VIII. C'est pour l'Eglise surtout que la Soeur Elisabeth s'offrait en victime, mais cette fille 45 d'officier ne pouvait pas oublier la France, elle l'exprime plusieurs fois. Lettre Ve à M. le Chanoine A.: «Oui, Monsieur le Chanoine, comme vous me le dites, il y a beaucoup à expier, beaucoup à demander, et je crois que pour suffire à tant de besoins, il faut devenir une prière continuelle et aimer beaucoup; elle est si grande la puissance d'une âme livrée à l'amour. Madeleine en est un bel exemple, un mot lui suffit pour obtenir la résurrection de Lazare; nous avons grand besoin que le Bon Dieu opère des résurrec­tions dans notre chère France; j'aime la mettre sous l'effusion du sang divin. Saint Paul dit que nous avons en lui la rémission des péchés selon la richesse de la grâce qui a surabondé en nous».

Quelques 46 Madeleines comme la Sr Elisabeth obtiendront la résurrection de la France, qui était aimée du Sauveur, comme lui, et qui est morte en se séparant de l'Eglise.

En janvier 1906, elle écrit à son saint ami: «Combien on sent le besoin de se sanctifier, de s'oublier pour être tout aux intérêts de l'Eglise. Pauvre France! J'aime la couvrir du sang du Juste, de Celui qui est toujours vivant afin d'intercéder pour nous et de demander miséri­corde. Qu'elle est sublimé la mission de la Carmélite! Elle doit être médiatrice avec Jésus-Christ, lui être comme une humanité de surcroît en laquelle il puisse perpétuer sa vie de réparation, de sacrifice, de louange et d'adoration…». 47

Dans ses poésies, c'est la même pensée; elle offre pour la France le sang du Juste:

«Oh! oui, pour accomplir sa volonté suprême,

Restaurons dans le Christ et la terre et les cieux:

Le ciel, il est en nous, et l'Esprit-Saint lui-même

Veut le renouveler dans l'ardeur de ses feux.

Puis restaurons aussi le royaume de France;

Offrons le sang du Juste; il est notre rançon:

Par lui nous obtiendrons la paix, la délivrance,

Et Dieu prononcera le suprême pardon».

Avec la sainte carmélite, je vous offre, ô mon Dieu, le sang du juste pour ma patrie. Il est notre rançon. Par lui nous obtiendrons la paix, la délivrance et le pardon.

Je garde de cette lecture une dévotion mieux comprise envers la Sainte Trinité. Je contemple les Trois, tenant leur conseil d'amour soit au ciel, soit dans mon cœur. 48 Le Père nous aime extrêmement. St Paul en était si touché qu'il nous appelait souvent les bien-aimés de Dieu, dilecti Dei. Notre Père nous a aimés, dit-il, et il nous a donné une conso­lation éternelle et une solide espérance en sa grâce, spem bonam in gra­tia (2 Thes. 2,16). - Dieu nous a tellement aimés qu'il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous: ne nous a-t-il pas tout donné avec lui (Rom. 8,32). - Dieu qui est riche en miséricorde, à cau­se du trop grand amour dont il nous aimait, propter nimiam charitatem suam, nous a vivifiés dans le Christ, pour nous ressusciter avec lui et nous faire partager sa gloire, en manifestant dans tous les siècles les richesses de sa grâce dans sa bonté pour nous par le Christ (Eph. 2,4­7).49

Le Fils m'a aimé et il s'est livré pour moi (Gal. 2,20). - Imitez Dieu et vivez dans l'amour, comme le Christ nous a aimés et s'est livré pour nous en victime à son Père (Eph. 5,1-2). - Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans nos cœurs, pour nous permettre de crier: Abba, mon Père (Gal. 4,6). -Je fléchis le genou devant le Père de N.-S. J.-C. pour qu'il vous donne d'être fortifié par son Esprit dans l'homme intérieur (Eph. 3,1416). - N.-S. avait dit: Vous recevrez la vertu du St-Esprit planant sur vous (Act. 1,8).

Tel est le conseil d'amour des Trois. Le Père invite le Fils à se donner. Le Fils se donne en victime pour nous. L'Esprit d'amour plane sur nous 50 pour faire vivre en nous J.-C. et accroître constamment en nous le corps mystique du Sauveur, comme il a plané sur Marie pour faire naître en elle le Verbe incarné: Spiritus Sanctus superveniet in te (Luc. 1,35). Accipietis virtutem supervenientis Spiritus Sancti (Act. 1,8).

Que dois-je répondre à ce conseil d'amour, sinon d'aimer autant que j'en suis capable et jusqu'à mourir d'amour, s'il est possible.

C'est dans notre intérieur que l'Esprit Saint nous donne l'esprit et la grâce des divers mystères de N.-S., in interiorem hominem; mais parfois ces grâces sont si puissantes, qu'elles se manifestent même extérieure­ment, comme la Passion dans St François et d'autres, l'Ascension 51 en Ste Madeleine et d'autres… (Voir Olier: Introduction à la vie chré­tienne et mémoires inédits).

Dès que j'ai connu l'élection de Benoît XV, j'ai pensé qu'il serait le Pape du S.-Cœur, et je le lui ai écrit naïvement. Il commence à le manifester. Il nous envoie cette magnifique prière au Sacré-Cœur pour la paix:

«Saisis d'effroi à la vue d'une guerre qui ravage les peuples et les nations, nous recourons, ô divin Jésus, à votre Cœur tout aimant com­me à notre unique refuge. C'est à vous, ô Dieu de miséricorde, que nous demandons en gémissant la fin de ce terrible fléau; c'est à vous que nous adressons tous nos voeux pour obtenir la paix tant désirée. Par votre divin Cœur, vous avez allumé sur la terre le feu de l'amour, afin que, toute discorde cessant, 52 la seule Charité régnât parmi les hommes. Pendant votre vie sur la terre, vous étiez rempli de compas­sion pour le sort de l'humanité. Oh! que votre Cœur sacré daigne s'é­mouvoir à cette heure rendue si douloureuse par les haines désastreu­ses qu'elle provoque et les flots de sang qu'elle fait verser. Ayez pitié de tant de mères qui tremblent sur le sort de leurs fils; ayez pitié de tant de familles qui se voient privées de leur chef; ayez pitié de la malheu­reuse Europe ensevelie sous tant de ruines. Inspirez aux gouverne­ments et aux peuples des sentiments pacifiques. Mettez fin aux discor­des qui déchirent les nations. Faites que les hommes se tendent de nouveau les mains dans la paix, vous qui les avez rendus frères au prix de votre précieux sang. 53 Lorsque l'apôtre Saint Pierre jeta vers vous un cri suppliant: «Sauvez-nous, Seigneur, nous périssons», vous avez accueilli sa prière et apaisé les flots de la mer en courroux: écoutez aujourd'hui avec la même bonté nos prières pleines de confiance et rendez au monde bouleversé la tranquillité et la paix.

Et vous, ô Bienheureuse Vierge Marie, comme dans les terribles épreuves d'autrefois, secourez-nous, protégez-nous, sauvez-nous. Ainsi soit-il! ».

Je lis les deux gros volumes de M. Faillon sur l'apostolat de Ste Madeleine et des amis de N.-S. en Provence. C'est une œuvre de béné­dictin. Nos traditions provençales y sont admirablement confirmées.

Ce que j'y goûte le plus pour mon édification, c'est l'apologie de 54 Sainte Madeleine et la description de son haut degré de gloire au ciel. J'avais déjà lu dans la vie d'une des mystiques contemporaines que N.­S. estimait plus l'amour témoigné par Madeleine dans les mystères du Calvaire et de la Résurrection que celui des Apôtres. Il était plus pur et désintéressé. Madeleine cherchait Jésus pour lui-même et sans aucune vue personnelle; les apôtres avaient en vue la fondation de l'Eglise et le royaume des cieux. Mais ce que je lis dans les citations de M. Faillon élève Madeleine jusque dans les plus hauts rangs du ciel.

Voici une déclaration étonnante de M. Olier: «Après la bienheureu­se Mère de Dieu, Madeleine est l'âme du plus grand amour pour Jésus­-Christ 55 et de Jésus-Christ pour elle qui soit au ciel» (Mémoires iné­dits, t. 3, p. 26). Cette déclaration s'appuie sur un passage d'Albert le grand et sur l'ancienne liturgie. Elle est confirmée par les grands mystiques des XVIe et XVIIe siècles, St François de Sales, M. de Bérulle et le P. de Condren.

Albert le grand, dans son commentaire sur St Jean, nous dit que Dieu a fait deux grands luminaires: la Mère du Seigneur et la soeur de Lazare; un luminaire plus grand, la très Sainte Vierge, pour présider au jour, c'est-à-dire pour éclairer les âmes innocentes; et un luminaire moindre, Marie la pénitente, pour présider à la nuit, en donnant aux pécheurs l'exemple de la pénitence.

Cette doctrine est consignée dans les anciennes liturgies de Lyon, Tours, Paris, etc. 56 Dans la prose usitée pour la fête de Ste Madeleine dans ces églises, on dit expressément que «Madeleine étant appelée Etoile de la mer à cause des exemples qu'elle donne aux pécheurs, est assimilée en cela à la Mère du Sauveur, quoiqu'elle lui soit inférieure en gloire». On faisait le même parallèle dans l'office romain au rap­port de St Vincent Ferrier qui donna à Madeleine le titre de capitaine des âmes pénitentes: ipsa enim fuit capitanea.

Une pensée du Cardinal de Bérulle n'est pas moins saisissante. Il donne de la prédilection de N.-S. pour Madeleine une raison tirée du dessein de l'Incarnation, dont l'un des effets devait être d'humilier Satan, l'auteur de toute malice. Il assure que pour exalter ce mystère 57 de son amour, Jésus-Christ a voulu non seulement réparer sur la terre, dans Sainte Madeleine, le plus haut degré d'amour créé, qui eût été donné au ciel dans la création des anges; mais encore rallumer par la grâce de l'Incarnation, dans le cœur de cette bienheureuse péche­resse, un amour plus grand que celui même qui s'était éteint au paradis dans la personne de Lucifer. «Entrant dans la vie glorieuse et immor­telle, le premier acte qu'en fait N.-S., dit le Cardinal de Bérulle, est une visite d'amour rendue à l'excellence et à l'amour de Madeleine. Et comme si l'évangéliste St Marc voulait insinuer que J.-C. exalta de la sorte une pécheresse pour humilier Satan, après avoir dit qu'il apparut premièrement à 58 Marie Madeleine, il ajoute incontinent: de laquel­le il avait chassé les sept démons».

A propos des grâces extraordinaires que la tradition attribue à Madeleine à la sainte Baume et de sa vie toute angélique, le P. de Condren écrit: «La principale grandeur de Sainte Madeleine, c'est d'a­voir eu le bonheur et la grâce de voir la première Jésus-Christ dans sa nouvelle vie et d'en recevoir les prémices de l'Esprit, immédiatement de lui-même. C'est un avantage qui surpasse de beaucoup celui des autres saints, puisque Ste Madeleine n'a pas reçu cette grâce seule­ment pour elle, mais pour toute l'Eglise; et c'est elle qui lui annonce ce mystère et J.-C. lui en donne la commission». 59 C'est ce qui l'a fait surnommer par les saints docteurs: l'Apôtre des apôtres.

Madeleine au désert mène une vie à la fois céleste et terrestre, céles­te par son union avec N.-S. et terrestre par ses privations. Elle est la plus parfaite des âmes contemplatives. «Voilà pourquoi, dit le P. de Condren, N.-S. la retire dans une grotte le reste de sa vie. Jusqu'à sa mort, elle demeure cachée dans sa ruche, afin que par cette séparation elle puisse être dans un état semblable à celui de J.-C. dans les cieux, séparé de toutes les choses de ce monde et tout consommé dans son Père» (Conférences manuscrites).

«Bien plus, J.-C. la traite dès la terre, ajoute M. Olier, comme il trai­te les bienheureux dans le ciel, qu'il nourrit 60 et rassasie immédiate­ment, se les appropriant parfaitement selon son état divin, et leur four­nissant par lui-même tout ce qu'ils eussent pu recevoir par le secours des créatures destinées à l'entretien et à l'aliment des hommes» (Mé­moires inédits).

«Et comme elle vit en la façon même des saints, dit encore le P. de Condren, elle n'a pas besoin de communier sacramentellement, non plus que les saints qui sont retirés dans l'état de la gloire. Aussi ne reçoit-elle la communion sacramentelle, en toute sa vie de trente ans dans la grotte, qu'une seule fois à sa mort, pour montrer qu'elle est de l'Eglise militante. Et J.-C. dit qu'elle a choisi la meilleure part qui ne lui sera point ôtée. Sa part est meilleure que celle de Marthe, que celle de Saint 61 Pierre, que celle de Saint Jean; puisque l'Eglise doit être ôtée à Saint Pierre parce qu'elle ne doit pas toujours être militante. La très Sainte Vierge a été aussi ôtée à St Jean en la manière qu'il la possé­dait sur la terre; mais pour Sainte Madeleine, rien ne doit lui être ôté, parce qu'elle a choisi la meilleure part, qui est d'être retirée dans le sein de Dieu avec J.-C. dans son état divin» (Conférences manuscrites).

Je copie ces pages avec bonheur parce que j'ai une dévotion arden­te pour Ste Madeleine, à qui je dois des grâces extraordinaires. Je vou­drais aimer Jésus comme St Jean parce que je suis prêtre, et comme Madeleine parce que j'ai été beaucoup pardonné.

-J'ai de bonnes nouvelles de la famille. Deo gratias! 62

Le jeudi 28 nous faisons l'Heure Sainte comme toutes les semaines. J'éprouve un vif sentiment de tristesse et d'ennui: tant de fautes dans ma vie passée! tant de grâces manquées! La dernière heure qui s'ap­proche; et puis cette horrible guerre, qui durera encore longtemps et les surprises que la paix m'apportera en me révélant des vocations per­dues, des œuvres compromises, des maisons chargées de dettes. Hélas! hélas! Si fieri potest!… Mais je dois m'abandonner aux soins aimants de N.-S. Il a tant fait pour moi pendant toute ma vie. Il m'a mille fois sauvé et relevé. Il le fera encore. Il arrangera toutes choses. Il ne peut avoir que des desseins de miséricorde sur l'œuvre du Sacré-Cœur. 63

Je relis le volume du P. Froget7) sur l'habitation du St Esprit dans les âmes justes. J'en copie quelques passages saillants comme je ferais dans une retraite.

I. Présence de Dieu. - Quoique Dieu soit partout, et tout entier par­tout, il n'est cependant pas également partout, il y a certains lieux où il réside d'une manière si particulière, qu'on peut les appeler la demeure de Dieu. Et si vous demandez quels sont ces lieux privilégiés, Saint Jean Damascène vous répond: Ce sont ceux où l'opération divine est plus manifeste. C'est ainsi que le lieu où Jéhovah daigna se manifes­ter jadis à Jacob par des visions singulières est appelé la maison de Dieu et la porte du ciel (Gen. 28,17).

Comment ne pas reconnaître également une présence particulière de la divinité 64 même au simple titre de cause efficiente, dans les prophètes, auxquels l'Esprit Saint dévoilait l'avenir? dans les apôtres et les auteurs inspirés qu'il éclairait de sa lumière? dans les saints, qui reçoivent plus abondamment les bienfaits de sa grâce? dans l'Eglise qu'il assiste pour la préserver de l'erreur…? partout en un mot où il répand ses dons avec plus d'abondance, tant dans l'ordre de la nature que dans celui de la grâce? Et parce que c'est au ciel que l'action de Dieu apparaît plus clairement et s'exerce d'une façon plus splendide, Dieu, suivant la pensée de St Bernard, s'y trouve d'une manière si spé­ciale que, comparativement parlant, il n'est pour ainsi dire pas ailleurs; voilà pourquoi nous disons: Notre Père, qui êtes aux cieux. 65 Cette présence est en qualité de cause et à titre d'agent qui exerce une action immédiate.

II. Présence spéciale dans les âmes justes. - Au-dessus de cette pré­sence générale par laquelle Dieu est dans tous les êtres comme leur créateur et conservateur, il en est une spéciale pour les créatures rai­sonnables, dans lesquelles il se trouve comme l'objet connu et aimé est dans l'être qui connaît et qui aime. On dit alors qu'il habite en ces âmes comme en son temple (S. Th. 1a, q. 43, a. 3).

Il s'agit ici d'une présence substantielle. Le mode de cette présence, c'est à titre d'hôte et d'ami; la condition, c'est l'état de grâce. L'Ecriture rappelle souvent cette habitation de Dieu en nous, avec mission du Fils et du St-Esprit 66 et donation spéciale du St-Esprit. Rappelons seulement le testament de N.-S.: «Il vous est expédient que je m'en aille, car si je ne m'en vais pas, le Paraclet ne viendra pas à vous; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai. Quand sera venu le Paraclet que je vous enverrai du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il vous rendra témoignage de moi, et vous aussi vous me rendrez témoi­gnage, car vous êtes avec moi dès le commencement» (Jo. 16,7; 15,26­27). Il leur disait encore: «Si vous m'aimez, gardez mes commande­ments, et, à ma prière, le Père vous donnera un autre Paraclet, pour qu'il demeure éternellement avec vous: l'Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas, mais vous, vous le connaîtrez, parce qu'il sera en vous 67 et y fixera son séjour. Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous» (Jo. 14,15-18).

«La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint­-Esprit qui nous a été donné» (Rom. 5,5). «Si quelqu'un m'aime, il gar­dera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous établirons en lui notre séjour» (Jo. 14,23).

Dieu se trouve donc dans les justes d'une manière spéciale, il y habi­te comme en un temple: «Le temple de Dieu est saint; et ce temple, c'est vous-même». Si quis templum Dei violaverit, disperdet illum Deus: Templum enim Dei sanctum est quod estis vos (1 Cor. 3,17).

III. Nature de cette présence. - C'est bien une présence substantiel­le. Nous ne recevons pas seulement les dons 68 de Dieu, mais Dieu lui-même. Parlant de la pentecôte, St Augustin a dit: «L'Esprit Saint vint donc en ce jour à ses fidèles, non plus par une simple opération ou une grâce de visite, mais par la présence même de sa Majesté; et ce ne fut pas seulement l'arôme du parfum sacré, mais sa substance même qui s'écoula dans le vase de leurs cœurs» (Serin. 185, de temp.).

«C'est la propre substance du St-Esprit, écrit Didyme d'Alexandrie, qui habite dans les justes et qui les sanctifie, et il n'appartient qu'aux trois personnes de la Trinité de pouvoir, par leur substance, pénétrer dans les âmes».

Le démon peut suggérer de mauvaises pensées, il ne peut pas péné­trer l'âme et la diriger. Dieu seul, 69 dit St Thomas, par son action créatrice et conservatrice et par son absolue souveraineté sur les esprits créés, peut seul pénétrer, par sa substance, jusqu'au plus intime de leur être pour le soutenir, et dans le sanctuaire de la volonté, pour la faire agir à son gré, l'inclinant à tel ou tel acte, sans jamais lui faire violence: Cor regis in manu Domini; quocumque voluerit, inclinabit illud (Quaest. XXII, de veritate).

Les Pères se servent de gracieuses comparaisons pour expliquer la nature de la présence de Dieu en nous:

C'est un parfum (spiritalis unctio) dont les pénétrantes émanations s'insinuent dans nos âmes pour les imprégner, les transformer, les divi­niser et les rendre capables de répandre autour d'elles la bonne odeur de J.-C. (St Cyrille).

C'est un sceau qui nous marque 70 à l'effigie de Dieu et qui réfor­me en nous l'image de Dieu détériorée par le péché, et fait de nous les images vivantes de la divinité (St Cyr. et St Bas.).

C'est un feu qui nous pénètre et nous communique ses propriétés, son éclat, sa chaleur, son rayonnement.

C'est un or très pur qui dore les âmes et les rend belles aux yeux de Dieu et des anges (St Cyr.).

C'est une lumière qui tombant sur le cristal de nos âmes les rend elles-mêmes lumineuses et capables de répandre autour d'elles la grâ­ce et la charité (St Bas.).

C'est un hôte plein de douceur (dulcis hospes animae), qui vient nous réjouir, converser avec nous, nous consoler, nous incliner au bien, nous remplir de ses dons. Mais cet hôte étant Dieu veut un 71 tem­ple pour démeure (St Cyrille et St Epiph.).

C'est Dieu donnant à notre âme une forme divine, Dieu se faisant la vie de notre âme, comme l'âme est la vie du corps, sans toutefois que l'Esprit Saint soit le principe formel de notre vie spirituelle, mais il en est la cause efficiente et intérieure (St Aug., Serm. 156).

Prière: O Esprit Saint, combien de fois n'êtes-vous pas venu dans mon âme! Avec quel incompréhensible amour n'avez-vous pas daigné y fixer votre demeure! Et je ne le savais pas; ou, du moins, cette adora­ble vérité ne m'apparaissait que d'une manière vague et confuse com­me dans un rêve. Aussi quel accueil avez-vous reçu! Et cependant vous ne m'avez pas abandonné. Daignez, je vous en conjure, me donner, avec l'intelligence de vos dons, 72 un cœur pur et vraiment filial, afin que mon âme vous fasse fête à chacune de vos visites, qu'elle mette sa joie et son bonheur à vous recevoir, à vous tenir compagnie; qu'elle oublie tout le créé pour ne plus se souvenir que de vous, son hôte plein de douceur, son ami, son consolateur ici-bas, en attendant que vous soyez un jour l'objet de sa béatitude (Froget).

IV. Explication du mode de cette présence. - Cette union par la grâ­ce est une inchoation de la gloire future (S. Th. 2a 2ae q. 24. a. 3). Le juste entre en contact avec la substance divine par la connaissance et l'amour et il commence à jouir de Dieu. C'est ce qui a lieu par la con­naissance expérimentale et savoureuse qu'est le fruit du don de sages­se, et surtout par l'amour de charité: connaissance 73 et amour qui supposent, non pas la vue, non pas la pleine possession et l'entière jouissance, mais la présence réelle et sentie de l'objet connu et aimé.

Dieu nous aime et veut que nous l'aimions. Pour nous faire ses amis, Dieu s'est abaissé en descendant jusqu'à nous pour nous élever jusqu'à lui; il s'est fait, pour ainsi dire, notre égal en prenant notre nature; il nous a emprunté notre indigence et nos misères, pour nous enrichir par son dénuement (2 Cor. 8,9). Il nous a amoureusement départi des biens immenses en nous communiquant sa nature (2 Pt. 1,4), en nous donnant le titre et la qualité d'enfants adoptifs, avec droit à l'héritage paternel (Rom. 8,17).

La charité réalise les conditions d'une vraie et parfaite amitié entre Dieu et les hommes. 74 Elle est un amour de bienveillance, un amour mutuel fondé sur une communauté de nature, en attendant la com­munauté de bonheur dont elle est le gage. Ce qu'elle effectue dans la mesure du possible, c'est l'union réelle et intime, c'est la vie en com­mun, c'est la jouissance réciproque des deux êtres qui s'aiment.

La dilection que Dieu porte à l'âme juste lui impose comme un besoin de venir à elle, de demeurer en elle et de lui donner la consola­tion de sa présence. N'est-ce pas ce que l'apôtre bien-aimé donnait à entendre par ces paroles: «Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui». N'est-ce pas ce que le Sauveur lui-même a pro­mis: «Si quelqu'un m'aime, il gardera mes commandements, et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous ferons 75 en lui notre séjour».

Les choses étant ainsi, qui s'étonnera d'entendre St Thomas affir­mer qu'il y a dès cette vie, dans les Saints, un commencement impar­fait de la béatitude future (la 2ae q. 69. a. 2). Mais il faut pour cela que l'Esprit Saint leur soit uni en qualité d'hôte, d'ami, d'époux plein de ten­dresse, qu'il habite réellement dans leur cœur comme dans un temple vivant, où il reçoit leurs adorations et leurs hommages, et se livre à eux pour être dès maintenant, au moins dans une certaine mesure, l'objet de leur jouissance: sicut amatum in amante.

Dieu est aussi l'objet de leur connaissance, une connaissance expe­rimentale, qui ne s'acquiert que par une union intime avec Dieu et qui est le fruit du don de la sagesse. 76

Comment reconnaître la présence du St-Esprit? «Vous me deman­dez, dit St Bernard, comment je peux connaître la présence de Celui dont les voies sont impénétrables. Sitôt qu'il est présent, il réveille mon âme endormie: il meut, il amollit, il blesse mon cœur dur com­me la pierre et malade; il se met à arracher et à détruire, à édifier et à planter, à arroser ce qui est sec et aride, à éclairer ce qui est dans les ténèbres, à ouvrir ce qui est fermé, à réchauffer ce qui est froid, à redresser ce qui est tortueux, à aplanir ce qui est raboteux. Et ainsi, quand l'époux entre dans mon âme, je reconnais sa présence au mou­vement de mon cœur».

St Thomas indique un triple signe de cette présence: 1° le témoi­gnage de la conscience, si l'on a la conscience 77 d'aimer Dieu et d'ê­tre prêt, moyennant sa grâce, à tout souffrir plutôt que de l'offenser; 2° l'empressement à écouter et à mettre en pratique sa parole: qui ex Deo est, verba Dei audit; enfin ce savourement intérieur de la divine sagesse, internas gustus divinae sapientiae, qui est un avant-goût de la féli­cité future (Opusc. 60, de Humanitate Verbi, c. 24).

C'est ce qu'éprouvait St Augustin quand il s'écriait: «Qui me donne­ra, ô mon Dieu, cette grâce, que vous daigniez venir dans mon cœur, l'enivrer de délices, et que j'oublie mes maux pour vous embrasser, vous qui êtes mon unique bien! » (Confess., L. V).

V. L'inhabitation divine par la grâce est l'œuvre commune de la Ste-Trinité, mais elle est attribué au St-Esprit, à cause de son caractère personnel. 78 - La Sainte Ecriture attribue tantôt à l'une, tantôt à l'au­tre des personnes divines, le séjour que Dieu daigne faire dans les justes. Ainsi le même apôtre qui avait écrit aux fidèles de Corinthe: «Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et l'habitacle de l'Esprit Saint?» enseignait aux Ephésiens «que le Christ habite en nous par la foi». Et N.-S. lui-même disait à ses disciples: «Si quelqu'un m'ai­me, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous établirons en lui notre demeure». L'on ne saurait toutefois méconnaître que c'est le St-Esprit qui est le plus souvent désigné com­me l'hôte de nos âmes.

Il faut d'abord admettre que là où est une personne, là sont 79 aus­si les autres, à cause de l'inséparabilité des personnes divines. «L'Esprit Saint, dit St Jean Chrysostome, ne saurait être présent quelque part sans que le Christ y soit aussi, car partout où se trouve une personne divine, la Trinité y est toute entière».

Les deux personnes divines, dit St Thomas, qui en vertu de leur procession éternelle, peuvent être envoyées et données à la créature raisonnable pour la sanctifier, ne le sont jamais l'une sans l'autre; jamais le Fils ne vient éclairer l'intelligence sans que l'Esprit Saint ne vienne enflammer la volonté. Leurs missions invisibles, quoique distinctes, si l'on considère les effets particuliers suivant lesquels elles s'opèrent et le mode d'origine des personnes, se trouvent cependant unies dans une racine commune, la grâce sanctifiante, 80 qui ne per­met pas que l'une ait lieu sans l'autre. Quant au Père, il est présent lui aussi, en vertu de la circumincession; et s'il n'est pas envoyé, parce qu'il ne procède de personne, il vient néanmoins de lui-même, se donne à l'âme juste et habite en elle avec le Fils et le Saint-Esprit pour la sancti­fier de concert avec eux.

Pourquoi donc l'Ecriture et les Pères attribuent-ils presque cons­tamment à l'Esprit-Saint la présence de Dieu en nous par la grâce? C'est en vertu de la loi d'appropriation.

Cette loi nous aide à comprendre la Sainte-Trinité par la distinction des attributs personnels. Nous attribuons au Père la puissance, l'éter­nité, l'unité, parce qu'il ne procède d'aucun autre. Au Fils, la sagesse, la beauté, l'égalité, parce qu'il procède du Père 81 par voie d'intelli­gence et qu'il est sa parfaite image. Au Saint-Esprit, l'amour, la bonté, la jouissance, parce qu'il procède par voie d'amour.

Pour les œuvres ad extra, nous attribuons au Père la création et tout ce qui porte l'empreinte de la puissance et du premier principe; au Fils, l'illumination des intelligences et tout ce qui est du ressort de la sagesse; au Saint-Esprit, les œuvres de la bonté et de l'amour, les inspi­rations, les bons mouvements, la vie de la grâce, les dons spirituels, la rémission des péchés, la sanctification des âmes, la filiation adoptive, l'inhabitation de Dieu en nous.

Mais il ne faut jamais oublier que les trois personnes n'ont qu'une puissance, qu'une essence, et que tout ce qu'elles opèrent en nous est l'œuvre des trois personnes comme d'une seule cause efficiente. 82

VI. Les fruits de l'inhabitation divine:

1° Le premier fruit de la venue de l'Esprit Saint dans une âme où il ne résidait pas encore, c'est un entier et généreux pardon. En perdant la grâce, le pécheur avait tout perdu et il avait encouru la colère divi­ne. En recevant le Saint-Esprit, il rentre en possession des biens dont il avait été dépouillé; Dieu lui pardonne ses offenses et lui rend ses bon­nes grâces. - Le pardon est accompagné de la justification. Non con­tent d'apporter à l'âme qu'il daigne visiter une grâce de pardon, Dieu s'empresse de la purifier, de la guérir de ses plaies, de la revêtir d'une robe d'innocence, de lui accorder un don précieux qui en la justifiant la rend toute belle, toute sainte, l'objet de ses complaisances divines, la fille adoptive de Dieu et l'héritière de ses promesses (Col. 1,13). 83

2° La grâce et la participation à la nature divine. - Un autre effet de l'inhabitation divine et de la mission de l'Esprit-Saint en nous, c'est notre déification par la grâce. C'est là le chef-d'œuvre de la bonté divi­ne. La grâce est l'eau vive dont parlait N.-S. à la Samaritaine. C'est un don gratuit, un surcroît divin par lequel la nature se trouve non seule­ment fortifiée et perfectionnée dans sa sphère, mais encore agrandie et élevée à une sphère supérieure. C'est une communication réelle, physique, formelle de la nature divine; non pas une communication semblable à celle par laquelle Dieu le Père transmet à son Fils unique sa propre substance, mais une communication analogique de la nature divine par une certaine participation de ressemblance qui consiste dans un don créé, distinct de 84 cette nature, dont il est cependant la vivante image (S. Th. 3a, q. 2. a. 10). C'est une imitation physique mais finie d'une perfection qui est en Dieu à l'état infini (Conc. Trid.). L'œuvre de notre déification comprend donc un double élément: l'un créé, servant en quelque sorte de lien, de trait d'union entre Dieu et l'âme, et disposant celle-ci à la possession des personnes divines, c'est le rôle de la grâce; l'autre incréé, constituant comme le couron­nement de notre perfection, le terme de nos aspirations, le bien dont la jouissance même initiale est déjà un avant-goût du ciel; c'est Dieu lui-même se donnant à nous, s'unissant à nous, venant habiter dans nos cœurs. Est autrm haec deificatio, ad Deum, quanta fieri potest, assimila­tio et unio (St Dion., Hierarch. eccl., c. 1. n° 3). 85

3° L'adoption divine. - Voyez, dit St Jean, quel amour le Père nous a témoigné en nous accordant non seulement le titre, mais encore la qualité véritable d'enfants de Dieu: Videte qualem caritatem dedit nobis Pater, ut filii Dei nominemur et simus (1 Jo. 3,1) .

Aux yeux de St Léon, tout autre bienfait s'éclipse devant la gran­deur de cette filiation divine. «Que Dieu, dit-il, appelle l'homme son fils, que l'homme donne à Dieu le nom de Père et que cette appella­tion réciproque soit l'expression de la réalité, voilà le don qui surpasse tous les dons» (Serm. VI de Nativ.).

Et pour exciter le chrétien à repousser courageusement la tenta­tion, St Cyprien ne trouve pas de motif plus puissant que celui de sa filiation divine. «Lors donc que la chair te sollicite à des plaisirs hon­teux, réponds: Je suis 86 fils de Dieu, appelé à de trop hautes destinées pour me faire l'esclave de viles passions. Quand le monde te tente, réponds-lui: Je suis fils de Dieu; des richesses célestes me sont réservées, il est indigne de moi que je m'attache à une motte de terre. Quand le démon cherche à t'attaquer et te promet des honneurs, dis-­lui: Je suis fils de Dieu, né pour un royaume éternel, retire-toi, Satan. Ne déchois jamais des hautes pensées qui siéent à des enfants de Dieu» (Lib. de spect. II. IX).

«O chrétien, ajoute St Léon, reconnais ta dignité et, devenu partici­pant de la nature divine, ne va pas retourner par une conduite indigne de ta céleste origine à ton ancienne bassesse» (Serin. I de Nat.).

4° L'héritage du ciel. - Le ciel c'est le royaume de Dieu promis à ceux qui l'aiment (Jac. 2,5). Qui dit 87 royaume dit richesses, puissance, gloire, affluence de tous les biens. - Le ciel, c'est la patrie, la maison de famille, le rendez-vous de tous les enfants de Dieu, l'innombrable société des anges et des Saints (Heb. 12,22). Le ciel, c'est un banquet, un festin, donné par le Père de famille à l'immense multitude de ses enfants réunis autour de lui: Beati qui ad menant nuptiarum Agni vocati sunt. - Le ciel, c'est le repos, c'est la paix, c'est la vie. La vision de Dieu engendrera l'amour, et l'amour débordant de nos cœurs éclatera en actions de grâces et en louanges… Dieu sera donc la fin de nos désirs, lui qu'on verra sans fin, qu'on aimera sans dégoût et qu'on glorifiera sans lassitude (St. Aug., In Ps. 85).

VII. Effets de l'habitation du St-Esprit: et d'abord les vertus infuses. - 88

Ce sont d'abord les trois vertus théologales. «Dans la justification, dit le Concile de Trente, l'homme reçoit, avec la rémission des péchés, les trois vertus de foi, d'espérance et de charité, infuses en même temps dans son âme par J.-C. sur lequel il est greffé».

C'est aussi l'enseignement commun que les vertus morales et parti­culièrement les quatre vertus principales ou cardinales sont infusées par la grâce avec les vertus théologales. Le catéchisme du Concile de Trente nous dit que le très noble cortège de toutes les vertus nous est donné avec la grâce. Je n'avais pas remarqué jusqu'ici que la Ste Ecriture signale les vertus cardinales comme un fruit de la Sagesse divi­ne ou de la grâce. «C'est elle, la Sagesse, qui enseigne la tempérance, la 89 prudence, la justice et la force, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus uti­le en cette vie» (Sap. 8,7).

St Augustin déclara aussi que les vertus qui doivent diriger notre vie sont au nombre de quatre, selon la doctrine des sages et les enseigne­ments de l'Ecriture. Ces vertus, dit-il, nous sont données de Dieu avec la grâce dans cette vallée de larmes (In Ps. 83).

Il est bien clair que les vertus infuses se distinguent par leur origine, par leur mode d'accroissement et par leur objet formel. Vg. la tempé­rance naturelle nous fait garder une juste mesure dans l'usage des ali­ments; la tempérance infuse nous porte au jeûne et à la mortification pour châtier notre corps et le réduire en servitude (S. Th. 1a 2ae q. 63. a. 4).

- Au-dessus des vertus, il y a les dons 90 qui les perfectionnent. Ce sont des qualités, des forces conférées à notre âme en vue de certains actes surnaturels. St Grégoire le grand nous dit que par ses dons l'Esprit-Saint réside d'une façon stable dans les élus, tandis que par la prophétie, les miracles et autres grâces gratuites, il ne s'établit pas à demeure en ceux auxquels il les communique.

Les dons correspondent aux vertus.

Foi - Intelligence

Espérance - Science des biens futurs

Charité - Sagesse: goût des choses divines

Prudence - Conseil

justice - Piété qui rend à Dieu ce qui est juste

Force - Force

Tempérance - Crainte du péché et de ce qui y conduit.

St Thomas met la différence 91 des vertus et des dons en ce que ceux-ci nous disposent à faire des actes supérieurs aux actes purement humains. Par exemple, la foi nous aide à comprendre les choses de Dieu par le miroir des créatures et par des concepts empruntés à l'or­dre sensible. L'intelligence nous communique une certaine percep­tion de la vérité et nous fait saisir comme à découvert les choses divi­nes. Elle nous élève au-dessus de notre mode naturel de connaître.

Les fruits du St-Esprit ne sont pas des forces ou des facultés nouvel­les mais des conséquences avantageuses qui accompagnent la pratique des vertus.

Les Béatitudes sont classées à un autre point de vue. C'est la grada­tion des actes qui nous rapprochent de 92 la béatitude initiale et qui nous préparent à la béatitude future. St Thomas les réduit à sept parce que la huitième résume le tout. Ces sept degrés dans l'ascension vers la béatitude pourraient faire l'objet des méditations d'une retraite de sept jours. Les trois premières béatitudes concernent la vie purgative. La pauvreté spirituelle nous purifie de l'attachement aux biens terres­tres. La douceur nous guérit de l'orgueil et de l'amour propre. Les lar­mes spirituelles sont l'opposé des jouissances sensuelles.

Les deux suivantes concernent la vie active. La justice et la miséri­corde règlent nos rapports avec le prochain.

Les deux autres, la pureté de cœur et la paix, nous préparent à la vie contemplative qui est comme 93 un commencement de la béatitu­de future.

Conclusion: quelle force, quelle générosité, quelle vigilance et aussi quelle consolation et quelle joie m'inspirerait cette pensée habituelle! L'Esprit-Saint habite dans mon cœur avec le Père et le Fils. Il est là, protecteur puissant, toujours prêt à me défendre contre mes ennemis. Ami fidèle, il est toujours disposé à me donner audience. Sa conversa­tion apporte l'allégresse et la joie (Eph. 4,30). Il est là, témoin attentif de mes efforts et de mes sacrifices pour les récompenser un jour. Je suis son temple, le temple de la sainteté par excellence. Je dois vivre d'une manière digne de Dieu, en m'efforçant de lui plaire en toutes choses et de porter toutes sortes de fruits de bonnes œuvres. 94

Le 2, messe au couvent. Fête de l'oblation de N.-S. - Cette fête me montre l'application de cette vie d'union à Dieu que j'ai méditée les jours précédents. Siméon était rempli de l'Esprit-Saint. Il avait été aver­ti par l'Esprit-Saint de la venue du Rédempteur. Il était conduit au Temple par l'Esprit-Saint. Il vivait donc habituellement sous la direc­tion de l'Esprit de Dieu. - Journée d'oblation, journée de paix et de confiance.

Je relis le volume de l'abbé De Bretagne8) sur la Vie Réparatrice9). J'y trouve beaucoup de bonnes choses.

La vie réparatrice est le véritable esprit chrétien, l'esprit de la croix, l'imitation du Sauveur.

Les grands exemples de sacrifice 95 et d'austérité avaient fait l'é­tonnement des païens aux premiers jours du christianisme.

Pendant trois siècles, les martyrs donnent leur sang, à l'exemple de N.-S.

Après la paix, on reproduit en occident, et particulièrement dans les grands monastères de Lérins et de Ligugé, la vie ascétique inau­gurée par les Religieux de la Thébaïde.

Du sixième au treizième siècle c'est la période bénédictine pendant laquelle domine l'influence exercée par les fils de St Benoît et les suc­cessifs réformateurs de son ordre. Les moines se soumettent à une règle austère, au travail des mains, à la transcription des manuscrits. Ils sont initiés à l'étude des lettres et à l'apostolat. Ils sont à la fois les apô­tres et les réparateurs de cette 96 longue période pendant laquelle les peuples d'occident sont formés à la civilisation.

Au XIIe siècle, l'Eglise est en souffrance. Les évêques et les abbés étaient devenus, selon la loi du temps, de grands propriétaires ter­riens, détenteurs d'une part de l'autorité civile. La conséquence fatale fut que l'esprit du monde se répandit dans l'Eglise. Trop mêlés aux affaires et aux intérêts du siècle, les dignitaires ecclésiastiques se laissè­rent aller aux habitudes des grands seigneurs, en oubliant la simplicité et les autres vertus de l'Evangile. St Bernard offrit à Dieu, par sa réfor­me, une magnifique réparation. Et N.-S. suscita deux grands fonda­teurs, François et Dominique, 97 pour ressusciter l'esprit de détache­ment, d'humilité et de zèle des premiers apôtres. «Va, François, disait N.-S., et répare ma maison que tu vois tomber en ruines». Les Franciscains et les Dominicains se répandirent dans toute l'Europe. Avec des légions de Soeurs, ils furent les réparateurs de cette période.

Au XVe siècle, tout se gâte à nouveau, par les suites du schisme d'oc­cident et par le réveil de l'esprit païen suscité par l'hellénisme. La pseudo-réforme nous donne l'horrible protestantisme, dont Bossuet a si bien caractérisé la destinée: «Chacun s'est fait un tribunal où il s'est fait l'arbitre de sa croyance; et encore qu'il semble que les novateurs aient voulu retenir les esprits en les enfermant 98 dans les limites de l'Ecriture Sainte, comme ça n'a été qu'à la condition que chaque fidè­le en deviendrait l'interprète et croirait que le Saint-Esprit lui en dicte l'explication, il n'y a point de particulier qui ne se voie autorisé par cette doctrine à adorer ses inventions… dès lors on a prévu que la licence n'ayant plus de frein, les sectes se multiplieraient jusqu'à l'infi­ni, que l'opiniâtreté serait invincible, et que, tandis que les uns ne ces­seraient de disputer, et donneraient leurs rêveries pour inspirations, les autres, fatigués de tant de folles visions, ne pouvant plus reconnaî­tre la majesté de la Religion déchirée par tant de sectes, iraient enfin chercher un repos funeste et une entière indépendance dans l'indif­férence des religions 99 ou dans l'athéisme» (Oraison funèbre d'Henriette de France, nov. 1669)…

Dieu pourvoit toujours aux besoins de son Eglise. Pour combattre les effets désastreux de l'erreur protestante, il fit surgir une légion de saints: Pie V, Charles Borromée, Ignace de Loyola, François Xavier, François Régis, Thérèse de Jésus, et encore: Gaëtan de Thienne, Antoine Marie Zaccaria, Philippe de Néri, François de Sales, Jeanne de Chantal.

Au relâchement du clergé, N.-S. oppose les Vincent de Paul, les Eudes, les Bérulle, les Condren, les Olier…

Par suite des fureurs de l'hérésie et du naturalisme de la Renais­sance, le Saint Sacrement était ou profané ou négligé. Il fallait là aussi une réparation. Diverses œuvres y pourvoient. Dès 1625, 100 Jeanne de Matel en fondant son institut du Verbe Incarné déclarait que son dessein était d'honorer Jésus principalement au St Sacrement et de lui faire réparation pour les outrages des hérétiques et l'indifférence des mauvais chrétiens.

M. D'Authier fondait à Avignon en 1632 une Congrégation de prê­tres pour faire connaître et aimer le mystère d'amour de l'Eucharistie. Le P. Leguien, dominicain, inaugurait à Marseille, en 1639, l'institut de l'Adoration perpétuelle. M. de Condren et M. Olier avaient voulu faire du Séminaire de St Sulpice une société d'adorateurs du St Sacrement. Une confrérie du St Sacrement se répandit dans les provin­ces. Enfin Catherine de Bar, en 1654, fondait à Paris le couvent des Bénédictines de l'Adoration perpétuelle… 101

C'est maintenant le Cœur de Jésus, qui sollicite nos réparations et notre amour compatissant. «N'y aura-t-il personne, disait N.-S. à Marguerite Marie, qui ait pitié de moi, et qui veuille compatir et pren­dre part à mes douleurs?». De là sont nées toutes les œuvres que nous connaissons: les instituts de l'Adoration réparatrice, et de Marie Réparatrice, la Société des Filles du Cœur de Jésus et celle des Victimes du Cœur de Jésus, la Congrégation des Pères du St Sacrement, l'Archiconfrérie de la Garde d'honneur et plusieurs autres.

L'autel, élevé de terre, est le lieu du sacrifice et de la réparation, le lieu de la rencontre du ciel et de la terre. Mais il y a un autel dont tous les autres ne sont pour ainsi dire qu'une image, qu'une 102 ombre; cet autel, c'est le Sacré-Cœur. Là s'est faite la véritable rencontre du ciel et de la terre. Sur cet autel, la victime, annoncée et figurée si long­temps, a été offerte. Elle est encore offerte tous les jours, soit dans l'Eucharistie, soit au ciel, et ne cesse pas de se consumer dans les flam­mes inextinguibles de l'amour. Là Dieu demeure, présidant au sacrifi­ce et s'en déclarant satisfait. Là tous les biens de la grâce, le pardon, la paix, la sainteté s'accumulent pour se répandre sur le monde. La misé­ricorde et la vérité ont fait ici leur jonction, la justice et la paix ont pu enfin s'embrasser (Ps. 84,11). «C'est à ce temple, écrivait St Bernard, à ce Saint des Saints, à cette arche du Testament que j'adorerai et que je louerai le nom du Seigneur. 103 David disait: j'ai trouvé mon cœur pour prier mon Dieu; et moi j'ai trouvé le Cœur de mon Roi, de mon frère et tendre ami Jésus… Daignez seulement recevoir mes supplica­tions dans ce sanctuaire où vous nous exaucez, ou plutôt attirez-moi tout entier dans votre Cœur!». Ce divin Cœur est en effet comme le grand et définitif autel où se célèbre la messe solennelle de l'humanité, où se dit le cantique éternel de la louange divine, autour duquel tous doivent se grouper et sur lequel tous doivent déposer leurs offrandes…

Le sacrifice du calvaire et de l'autel était annoncé et figuré par les sacrifices de l'ancienne loi. Le quatorzième jour de Nisan, vers le soir, l'agneau pascal était immolé, attaché à deux branches de grenadier, dont l'une le traversait 104 tout entier, tandis que l'autre plus courte tenait les pieds de devant étendus en croix; après avoir été cuit dans le four, il était mangé à la table de famille, avec du pain sans levain et des laitues amères. Ce qui restait de l'agneau devait être consumé par le feu. L'offrande du pain et du vin, qui suivait l'immolation de l'agneau, figurait le sacrifice eucharistique, continuant si mystérieusement le sacrifice du Calvaire.

Tous les chrétiens doivent être hosties de religion avec N.-S. L'Eglise ne forme qu'un seul corps en Jésus-Christ. «Jésus-Christ s'offre et attire à lui son Eglise dans les flammes de son holocauste, l'embrassant com­me une épouse bien-aimée, se l'unissant et l'offrant à son Père, et l'Eglise, mille fois heureuse d'un tel sort, 105 se donne et se livre à l'Epoux immortel, en se perdant pour ainsi dire en lui, en son unité, pour ne faire avec lui qu'un seul et même sacrifice consumé dans les mêmes flammes qui sont celles de l'infinie charité, de l'Esprit-Saint lui-même, et s'élevant vers le Père pour être comme Jésus sa gloire, sa sa­tisfaction et ses complaisances» (P. Giraud: Prêtre et hostie).

«La mort des vrais chrétiens, consacrés dans le baptême pour être de vraies victimes, dit Bossuet, est devenue dans celle de J.-C. un sacri­fice parfait… S'unissant alors, non seulement au corps adorable du Sauveur dans son Sacrement, mais encore à son Esprit et à son Cœur, entrant par soumission et par adhérence dans tous ses desseins, vou­lant disposer de son être et de sa vie, comme le grand sacrificateur en dispose, le chrétien 106 devient prêtre avec lui dans sa mort et achève dans ce dernier moment ce sacrifice, qu'il a dû continuer tous les moments de sa vie» (Réflexions sur l'agonie de J.-C).

L'immolation du chrétien profite à toute l'Eglise dont il est mem­bre, surtout s'il s'agit de ces chrétiens qui en s'offrant plus généreuse­ment ou en devenant l'objet d'un choix divin plus particulier, sont appelés à une plus entière immolation. Ce sont les victimes réparatri­ces. «Par sa présence intime en elles, N.-S. les communie à l'état le plus parfait de sa religion, qui est d'hostie consommée à la gloire de Dieu, d'hostie qui ne vit plus en soi de sa vie propre et de la vie de la chair, mais qui vit totalement de la vie de Dieu» (Olier: Introd. à la vie chrétienne). 107

Il y a plus d'une étape sur le chemin qui mène à la Montagne Sainte de l'immolation. Que d'efforts à faire avant d'y parvenir! D'abord dégager notre âme souffrante de tout ce qui l'aigrit et l'envenime; l'humilité éclaire nos ténèbres et adoucit nos douleurs. Rien de plus nécessaire que de nous incliner devant l'épreuve en la reconnaissant méritée, et d'offrir notre sacrifice sans nous poser en victime… La per­fection est de se soumettre entièrement, d'entrer dans les pensées et les jugements de Dieu, de nous abandonner à son adorable volonté, d'unir enfin notre sacrifice à celui de N.-S., dans l'humble aveu de notre faiblesse et de nos fautes et l'amour plein de confiance en notre Maître et modèle… L'âme finit par vivre en paix avec l'épreuve, 108 les déboires quotidiens, les fréquents insuccès, les deuils se succédant, et, dans les dernières années peut-être l'habituelle souffrance. «Nous subissons toutes sortes de tribulations, dit St Paul, mais nous n'en som­mes pas accablés; nous sommes dans la perplexité mais non dans le désespoir; nous sommes persécutés mais non abandonnés; nous som­mes renversés mais nous ne périssons pas. Toujours et partout nous portons dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste aussi dans nos corps» (2 Cor. 4,8-10).

Ce que voulait l'apôtre, c'est que partout brillât la lumière de l'Evangile et la gloire du Christ; et, tandis que la mort opérait en lui, il savait que cette mort était la vie de son apostolat (2 Cor. 4). Glorifier Dieu au prix de leurs souffrances et faire vivre leurs frères, voilà l'es­poir réconfortant des âmes réparatrices. C'est seulement 109 quand nous exhalons notre dernier souffle que s'achève notre immolation. La mort est fatale, il faut la subir, mais elle devient méritoire par l'ac­ceptation qu'on en fait et par l'union au sacrifice de N.-S. J.-C.

L'Eglise bénit particulièrement les associations de réparation sacer­dotale, la nôtre par exemple, et celle des Lazaristes (95, rue de Sèvres).

N.-S. multiplie ses appels à la réparation. «Un bruit sourd d'impiété vient frapper nos oreilles, disait déjà Fénelon, et nous en avons le cœur déchiré. O Dieu! que vois-je, où sommes-nous?». Et il n'avait pas vu ce que nous voyons de nos jours: la haine déchaînée contre le Christ et l'Eglise, et les profanateurs eucharistiques que la franc-­maçonnerie pratique dans ses repaires.

L'activité des œuvres n'est nullement 110 incompatible avec la préoccupation spéciale de la réparation … Une âme réparatrice se dépensera dans les œuvres de l'apostolat, si elle a cette vocation. Elle y donnera son temps, ses forces et ses ressources, elle s'y épuisera, s'il le faut… Mais il faut que sa règle lui réserve un aliment spirituel solide par des heures de silence et de recueillement. Notre âme n'est capable de déployer une certaine puissance de pensée et de volonté qu'à la condition de vivre en elle-même. Toute vie forte est une vie profonde et recueillie; or, ce recueillement n'est pas aisé dans le monde, où tant d'impressions différentes se succèdent et se heurtent, parce que mille objets se présentent à toute heure aux regards. En ce milieu, l'on a besoin d'efforts continuels pour se 111 soustraire au danger de la dis­sipation.

«Seigneur, donnez-moi un signe de mon union avec vous», ainsi priait St Angèle de Foligno. N.-S. lui répondit: «Laisse-moi le choix… Ce signe, le voici: c'est le signe le plus assuré qui soit, le signe de ma présence, le signe authentique, et personne ne peut le contrefaire… Voici que je plonge l'amour en toi: tu seras chaude, embrasée, ivre, ivre sans relâche; tu supporteras pour mon amour toutes les tribula­tions. Si quelqu'un t'offense en paroles ou en actes, tu crieras que tu es indigne, indigne d'une telle grâce. Cet amour que je te donne pour moi, c'est celui que j'ai eu pour vous, quand je portai pour vous jusqu'à la Croix la patience et l'humilité. Tu sauras que je suis en toi si toute parole et toute 112 action ennemie provoquent en toi, non pas la patience, mais la reconnaissance et le désir. Ceci est le signe certain de ma grâce» (Liv. des Visions, ch. 29). Seigneur, vous avez daigné me donner quelque chose de ce signe, affermissez-le en moi.

Note sur la vie mystique ou sur les ascensions de l'âme vers Dieu. - Après les premières épreuves destinées à les purifier, Dieu l'appelle d'abord, la recueille doucement et la rend attentive à la manifestation de sa présence; l'âme cependant saisie, charmée, se tient dans l'attitu­de silencieuse du respect et de l'admiration. L'amour croissant fixe la volonté en Dieu; l'âme goûte alors plus intimement la sainte présence; elle en savoure plus longuement la joie dans un état surnaturel de quiétude; elle se repose sur son objet divin. 113 Cette heureuse absorption la remplit de grâces qui augmentent ses désirs; elle se sent percée de traits qui la blessent suavement, l'enivrent, et la jettent hors d'elle-même. Ce sont de vifs transports, de saintes impatiences qui l'em­brasent de plus en plus, et la précipitent vers lui. Enfin elle est élevée à la conscience de l'union avec Dieu, conscience qui peut être d'abord faible et passagère, pour devenir plus fréquente et enfin se continuer sans interruption. Cette union connue, goûtée, savourée qui met tou­tes les facultés en possession de Dieu, cette communication profonde, stable, permanente de la vie divine, non plus seulement assurée par la foi et témoignée par les œuvres, mais accompagnée de ce reflet des grâces intimes, de ces impressions de joie et de paix que l'union cons­ciente peut 114 apporter à l'âme, voilà le terme des ascensions crois­santes de la vie mystique, dans la lumière et dans l'amour. Domine, da mihi hanc aquam (Jo. 4,15).

11 février10). N.-D. de Lourdes. Pénitence, pénitence, pénitence! N.-S. me donne de vives lumières sur la nécessité de la pénitence. Toute sa vie a été pénitence. Il a pleuré dans sa crèche, à la Circoncision, en Egypte. Il a dû pleurer souvent à Nazareth sur les péchés des hommes. Il a pleuré pendant sa retraite au désert, au Gethsémani, au Calvaire. Je m'unis à ses larmes, à celles de Marie, à celles de Madeleine et de tous les pénitents. Je me revêts de ces larmes pour obtenir miséricorde.

J'aurais dû me faire saint. Ma mission l'exigeait et les grandes grâces que j'ai reçues m'en donnaient 115 le moyen. Mais j'ai été bien infidèle. J'ai beaucoup offensé Dieu. J'ai fait pleurer N.-S. et sa sainte Mère. Il ne me reste qu'à faire pénitence jusqu'à mon dernier jour, ne ipse reprobus efficiar! (1 Cor. 9,27).

Pardon, Seigneur! Pardon pour moi, pour ma patrie, pour tous les miens, Votre miséricorde est infinie. In te, Cor Jesu, speravi.

Omnia cooperantur in bonum (Rom. 8,28). Cette guerre me fait faire une retraite de six mois: pas de journaux, pas de correspondances, pas de voyages, pas de visites; lecture spirituelle du matin au soir. La guer­re inspire la crainte de Dieu, le besoin de prier, de réparer, l'abandon, la confiance à la Providence. Dieu a bien des moyens pour sanctifier et sauver les âmes. 116

Je relis une brochure de M. Sauvé: «La Carte des âmes sur la terre». Il y a là des pages sur le péché et la tiédeur qui fourniraient les éléments de bonnes instructions de retraite. Autour du pécheur des créatures dont il n'aurait plus le droit de jouir; au-dessous de lui, l'enfer qui l'at­tend. Le péché mortel, désordre contre l'obéissance due à Dieu, con­tre la justice, contre la religion, contre la reconnaissance, contre l'a­mour intéressé [désintéressé?]11), contre la charité; attentat contre la gloire de Dieu. A l'égard de l'incarnation c'est un déicide, une félonie, un divorce, un sacrilège. Pour le présent, c'est un suicide spirituel; pour le passé, la perte des grâces; pour l'avenir, Dieu pardon…!

L'auteur résume les états mystiques: 117 «Nous parlerons d'abord de la montagne de la quarantaine, c'est-à-dire du recueillement divin, de la quiétude divine, de l'union divine, de l'extase, du ravissement… Nous parlerons ensuite du Carmel et du Thabor ou du mariage spiri­tuel qui fait naturellement suite à la quiétude divine; puis de l'Horeb et du Sinaï, c'est-à-dire des lumières données aux âmes pour elles-­mêmes ou pour les autres; puis du jardin des Oliviers et du Calvaire, ou des divines purifications».

Mais pourquoi peu d'âmes s'élèvent-elles à ces sommets? C'est sur­tout à cause du manque de componction et de simplicité.

«Les âmes n'ont pas assez l'humilité profonde, mêlée de vive com­ponction, que devrait leur inspirer le misérable 118 état où elles seraient tombées sans une providence toute particulière de Dieu. Elles ont confessé leurs fautes et ne se préoccupent pas assez de se purifier et d'expier toujours davantage, tandis qu'il devrait toujours rester au plus intime de ces âmes un souvenir paisible, mais profondément humilié de leurs fautes: Peccatum meum contra me est semper (Ps. 50,5). En général, il n'y a qu'une componction extraordinaire pour attirer des grâces extraordinaires… Ces âmes ne prient pas assez; le désir et la prière ne sont pas chez elles assez intenses. Elles manquent de simpli­cité et de pureté».

Sainte Catherine de Sienne demandait un jour à Dieu pourquoi il ne se communiquait plus familièrement aux hommes comme au temps des patriarches. 119 C'est, lui répondit Dieu, parce que les hommes ne sont plus assez simples. Ils s'approprieraient les lumières et les dons de Dieu. Dieu seul peut donner cette simplicité et une pureté parfaite.

Je m'applique ces conseils: Seigneur, donnez-moi la grâce de répon­dre à tous vos desseins d'amour envers moi!

Ces lectures m'aident à comprendre la vie de Dieu en nous. La Sainte Trinité vient en nous et y fait sa demeure en y versant ses grâces. Et comme médiateur entre l'âme et la Ste Trinité, l'âme voit au centre d'elle-même apparaître Jésus dans son humanité. Ce n'est pas une pré­sence substantielle de Jésus en nous comme dans l'Eucharistie, mais c'est une présence de rayonnement, d'influence, de communication, de lumière et de vie. 120 Bien qu'à distance, il vient de l'adorable Humanité à cette âme un rayonnement et comme un contact d'in­fluence si énergique, si vivifiant et si transformant qu'il lui semble que Jésus soit présent en elle. Les dons extraordinaires ne sont qu'un rayonnement plus puissant de la grâce, des vertus et des dons du Saint­-Esprit… J'ai soif de cette eau surnaturelle. Seigneur, donnez-la moi!

Ma lecture spirituelle dans les Proverbes confirme ces vues: Dieu donne la sagesse à ceux qui sont simples et doux: Deus dat sapientiam, proteget gradientes simpliciter… cum simplicibus sermocinatio ejus (Prov. 3,32 vulg.).

Je lis les deux volumes in 4° d'Amort12) «De revelationibus». Cela me confirme dans la résolution 121 d'être très prudent vis-à-vis des révéla­tions privées. Les meilleures peuvent être mêlées d'illusions. L'auteur trouve des choses étranges même dans celles de Ste Gertrude.

J'y trouve des règles bien claires du Card. De Lauria sur la contem­plation. «La contemplation, nous dit-il, est un regard simple et sans discours de l'intelligence sur un objet ou une vérité. L'état contempla­tif peut être purement naturel. S'il est surnaturel, il peut être acquis ou infus. L'aliénation des sens et l'extase peuvent se rencontrer dans la contemplation acquise».

L'auteur donne des signes probables pour distinguer la contempla­tion infuse de celle qui est acquise. Celle-ci ne demande pas d'autres dispositions que celles qui sont requises pour 122 une bonne médita­tion. La contemplation infuse suppose une longue préparation par la vie purgative, l'acquisition des vertus, la victoire sur les passions, le détachement du monde.

La contemplation commune et acquise est la suite de l'oraison; l'au­tre peut être soudaine. La contemplation infuse comporte une lumiè­re supérieure à l'intelligence humaine, qui est alors comme obscurcie. La cont. infuse est accompagnée des dons d'intelligence et de sagesse. Elle est connexe avec l'union à Dieu. Elle produit le goût surnaturel de la divinité. La cont. acquise peut être assez commune si les âmes en sont instruites. Elle ne met pas l'âme hors de soi. L'âme reste conscien­te. Elle peut entrer dans l'oraison de quiétude 123 et de silence.

«Qui veut avoir la vie contemplative avec la vie active, dit St Bonaventure, qu'il se recueille, qu'il considère Dieu en son cœur et ne cherche que lui». Dans la cont. acquise, la volonté seule est fixe: l'intelligence et l'imagination peuvent faire quelques actes. Elle est déjà une marque de sainteté. St Bernard en indique la préparation: la pureté de cœur habituelle; les passions surmontées par la pratique des vertus morales; le détachement du monde; l'amour de la solitude et du silence; ne pas se livrer à la joie dans le succès ni à la tristesse au sujet du prochain, mais prier pour lui; parler peu et avec calme; ne pas rester oisif mais prier et lire; faire chaque exercice à son temps… 124

C'est là pour moi un règlement de vie, auquel je dois m'attacher plus fidèlement que par le passé.

Je relis Sauvé13) «Élévations sur les mystères de Jésus». - «Méditer Jésus, tout voir en Jésus, c'est la meilleure méthode spirituelle. Qu'est­-ce donc que le devoir, qu'est-ce que la perfection? C'est Jésus qui com­mande ou qui désire. - Que sont les vertus chrétiennes? C'est Jésus imité. - Qu'est-ce que la joie ou la souffrance chrétienne? C'est la joie goûtée ou la souffrance endurée en union avec Jésus; c'est Jésus qui vient en nous avec les mystères de ses joies ou de ses croix. - Qu'est-ce que la vraie vie, sinon Jésus qui vit en nous? - Qu'est-ce que la mort chrétienne? Ce n'est pas seulement aller à Jésus, mais partager le mystère de sa mort. - 125 L'enfer, c'est Jésus pour jamais absent. Le ciel, c'est Jésus possédé, aimé. - Qu'est-ce que la grâce et la gloire, sinon Jésus dont la vie éternelle s'écoule en nous et y demeure, et nous rend vivants d'une vie dès ici-bas divinement belle et sainte, et dans le ciel glorieuse et ravissante? - Mais ces vérités sur Jésus et sur la vie chrétienne, il faut les contempler et les vivre…».

«L'union à Jésus, c'était la spiritualité des anciens jésuites, Petau, Saint Jure, Corneille de Lapierre… Le clergé de France y était entré avec M. Olier, le P. de Condren, le tard. de Bérulle, le P. Thomassin…, quand le jansénisme est venu arrêter ce mouvement auquel on est plus que jamais disposé par la dévotion au Sacré-Cœur». 126

«Jésus, c'est la vie même. C'est de lui, de sa grâce, de ses vertus que je veux vivre. C'est avec lui que je veux me lier d'amitié et ne faire qu'un… Il nous aime de la même charité dont son Père l'a aimé et dont il aime son Père. Nous avons reconnu sa charité en ce qu'il a donné sa vie pour nous… Et ainsi, ô Jésus, nous allons nous aimer d'un amour réciproque: paternel de votre côté, filial du mien».

Le Magnificat: «La miséricorde de Dieu s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent. O Mère de miséricorde, obtenez que la miséri­corde infinie de Dieu, sa pitié, ses pardons soient sur nous, sur moi. Ils y seront si nous nous repentons de nos péchés: timentibus eum. Oh! donnez-moi l'humilité, la componction, le repentir». 127

Respexit humilitatem: «O Vierge, si humble à l'image de votre Fils le Verbe incarné, humble comme doit être la mère d'un tel fils, rendez-­moi humble à votre exemple. Rendez humbles bien des âmes. Quelles bénédictions de lumière et d'amour descendront alors du Père des lumières et de tout don parfait sur nous!».

Je trouve là un récit de St Jérôme qui me va au cœur et qui répond à mes soucis de ces jours-ci. «Une nuit de Noël, St Jérôme était dans la grotte de Bethléem, tout absorbé dans la contemplation; l'enfant Jésus lui apparut resplendissant de lumière et lui dit: Jérôme, que me don­nes-tu pour mon jour de naissance? - Divin Enfant, je vous donne mon cœur. - C'est bien, mais donne-moi encore quelque chose. - Je vous donne toutes les prières et toutes les affections de 128 mon cœur. - C'est bien encore, mais donne-moi quelque chose de plus. - Je vous donne tout ce que j'ai et tout ce que je suis. -je désire que tu me don­nes encore quelque chose. - Divin Enfant, je n'ai plus rien, que voulez­-vous que je vous donne encore? -Jérôme, donne-moi tes péchés. - Que voulez-vous en faire? - Donne-moi tes péchés afin que je te les pardon­ne tous. - Divin Enfant, vous me faites pleurer. - Et Jérôme se mit à san­gloter d'amour pour le divin Enfant». N.-S. m'a fait rencontrer cette page pour m'encourager. je désire unir désormais la joie du pardon à la componction incessante pour les fautes passées.

«L'Epiphanie, c'est la manifestation 129 qui commence… Peu à peu, ô Jésus, le monde vous connaîtra dans votre royauté de sacrifice et d'amour, dans vos enseignements et vos prodiges, dans votre divi­nité, dans votre Personne; bien plus, il sera initié à l'intime de votre âme, de votre Cœur. Peu à peu se découvriront à nos yeux les trésors admirables de votre intelligence, de votre cœur, de vos souffrances invisibles, de vos vertus. Et c'est notre devoir, bien pressant et suave, d'entrer plus avant chaque jour dans ce Sanctuaire dont l'infini est la limite, dont l'immensité est la mesure, dont le centre est l'amour…».

«Le culte de la jeunesse de Jésus. Jésus à vingt ans: voilà peut-être une idée qu'on ne songe guère plus à contempler qu'à représenter. Et 130 pourtant quelle vision ravissante de beauté, de toutes vertus, de charité, d'humilité, de modestie, de mansuétude, de prudence, de courage, de sacrifice! ».

Ame chrétienne, si vous languissez, venez vous ranimer, vous réchauffer à ce foyer: le Cœur de Jésus à vingt ans! Comme ses ardeurs divines condamnent toutes les langueurs, toutes les négligen­ces, toutes les tiédeurs dans l'amour et le service du Père et du pro­chain!

2e partie: La vie publique de N.-S.

Au baptême de Jésus, Dieu dit son amour paternel pour lui: «Voici mon Fils, en qui j'ai mis toutes mes complaisances». Mais l'amour que Dieu a pour son Fils s'étend sur nous, parce que nous sommes incor­porés au corps mystique de Jésus. N.-S. lui-même l'a dit: «Mon Père, je suis en eux, 131 et vous en moi… afin que l'amour que vous avez pour moi soit en eux, ainsi que je suis en eux moi-même» (Jo. 17,23.26). Mais pour que nous participions ainsi à l'amour de Jésus, les condi­tions sont les mêmes qu'au temps de l'Evangile: «Faites pénitence, par­ce que le royaume de Dieu est proche». La componction, le regret, l'humilité, l'expiation: voilà ce que réclament nos péchés, si nous vou­lons qu'ils ne soient pas un obstacle à l'entrée de la lumière de Jésus en nous et à la participation à son amour.

C'était le soir, Jean voit Jésus venir à lui, et songeant, sans doute, au sacrifice de l'agneau qui s'accomplissait à cette heure dans le Temple, il s'écrie devant la foule: 132 «Voici l'Agneau de Dieu, voici Celui qui ôte les péchés du monde! ». Le Messie est l'Agneau: il est l'innocence, il est la douceur, il est la patience, il est la miséricorde. Le Messie est l'Agneau, ce n'est point par les conquêtes éclatantes de la force humai­ne qu'il doit régner, mais par le sacrifice. Le Messie est l'Agneau voué au sacrifice, et toujours une âme bien éclairée doit le voir, comme Marie, allant par chacun de ses pas à l'immolation…

«Il en choisit douze pour être avec lui» (Mc. 3,14). Cette parole dit tout un monde d'amour, d'intimité, de grâces chaque jour plus riches que Jésus allait rayonner en ses disciples. Et c'était entre Jésus et cha­cun des apôtres une intimité qui prenait un caractère particulier selon leur 133 tempérament, leurs vertus, leurs défauts même… N'est-ce pas pour être avec lui aussi que Jésus prend chacun de ses prêtres et qu'il m'a pris moi-même?

«C'est moi qui suis le pain de vie, disait Jésus. Celui qui vient à moi n'aura pas faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif» (Jo. 6,35). Jésus ne parle pas encore ici de l'Eucharistie, mais de sa personne ado­rable. Nous devons nous unir à Jésus, ne faire qu'un avec sa divine per­sonne en nous nourrissant d'elle, de ses enseignements, de ses mystè­res, de sa vie, par la réflexion, la méditation et l'imitation…

La chananéenne est un admirable modèle de la prière la plus con­fiante, la plus humble, la plus insistante, 134 de la prière quand même, de la prière qui est un cri et qui part des profondeurs du cœur: «Ayez pitié de moi»; de la prière qui regarde Dieu comme un père, même alors qu'il semble, par ses retards ou ses rebuts, nous dire le contraire; qui regarde Dieu comme le père de tous, même les plus méprisés, les plus abandonnés…

La vie avec Jésus: à deux sous le même joug. «Venez à moi, vous tous qui vous fatiguez au travail et portez un fardeau, et je vous ranimerai. Prenez mon joug sur vous, apprenez de moi que je suis doux et hum­ble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau léger» (Mt. 11,28-29). Vous voulez bien me dire, ô Jésus, que je suis lié, si je le veux, 135 au même joug que vous; c'est votre joug porté à deux, par vous et par moi. Sublime idée! C'est le même fardeau porté par nous deux, la même croix soufferte ensem­ble! Ensemble, et comme à deux, et liés au même joug, le sillon des mêmes travaux apostoliques. Ensemble, et à deux, la pratique des mêmes vertus, et tout particulièrement de la douceur et de l'humilité qui vous sont si chères. Ensemble aussi les bonnes joies de cette vie, ensemble les joies du ciel…

Jésus est l'idéal de la vie active comme de la vie contemplative. Celui qui sert Jésus dans les œuvres ne négligera pas ce qui est l'âme des ver­tus, c'est-à-dire le retour fréquent, par la contemplation, le colloque, à cette adorable Personne. Vous, ô adoré Jésus, vous toujours, vous par­tout! 136

N.-S. nous a demandé le détachement. Comme il a été entendu! Il y avait trois cents mille religieux de St François à l'époque de St Bernardin de Sienne; il y en a encore trente-cinq mille maintenant.

Comme les leçons de N.-S. sur la prière sont touchantes! (Lc. 11). Son Père et lui sont vis-à-vis de nous comme un père et un ami. Et combien cette amitié, du côté de Dieu, est vraie, sincère, libérale, bien­faisante et puissante! Dieu veut, par amitié, que nous l'importunions: «Demandez et vous recevrez; frappez et on vous ouvrira». Dieu est père: «Quel est le père qui donnerait à son fils une pierre quand il lui demande du pain?… Si vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, 137 combien plus votre Père, qui est dans les cieux, donnera-t-il ce qui est bon, un esprit bon, à ceux qui le demandent! ».

O Dieu, ô Jésus, notre Père et notre ami, donnez-nous cet esprit bon, comme vous nous avez appris à le demander. 138

139 Table des matières

1915 Heure sainte 62
Dieu en nous 63
Janvier 1
On prie 2 Février 94
Les francs-maçons 3 La vie réparatrice 94
L'Italie 5 L'autel 101
Journées d'attente 14 Les victimes 104
La France prie 15 Réparation 109
L'Epiphanie 16 Union avec N.-S. 111
Evolution religieuse 17 Vie mystique 112
Justice! 19 Pénitence 114
Vieillesse 20 Retraite 115
Etat de siège 24 Carte des âmes 116
Monstruosité 25 Des révélations.
Patriotisme 26 La contemplation 120
Sr Elisabeth de la Trinité 27 Ch. Sauvé: Elévations 124
Dévotion à la Ste-Trinité 47 Encore M. Sauvé:
Le Pape du Sacré-Coeur 51 Vie publique 130
Ste Madeleine 53

1)
Conditions dramatiques: «Cette année s’ouvre dans des conditions bien dramati­ques». Presque tous les pays de l’Europe sont en état de guerre et dès le début des hostilités l’aile droite allemande a réalisé l’occupation de Lièges (16 août) et repous­sé les belges sur Anvers (20 août). Sur le front français on a eu une bonne résistance devant Nancy et Charme, mais dès le 23 août, Laurezac, attaqué et battu par Bülow, a dû arrêter le combat, entraînant ainsi la retraite générale de l’armée française jusqu’à la Marne. La France a stoppé donc l’avance de l’armée allemande, mais l’invasion d’u­ne partie essentielle de son territoire amoindrit son potentiel humain et économique, au début d’une guerre dont on n’entrevoit plus la fin. Le P. Dehon est bien conscient des aspects dramatiques de la situation, mais il ne perd pas sa confiance. L’année 1915 commence par le 1° vendredi du mois, dit-il; «c’est de bonne augure» (cf. NQXXXVI, 1).
2)
La «question romaine» et l’histoire. Durant ce long hiver 1915, le P. Dehon s’inté­resse aussi à l’histoire de l’Eglise en Italie, pour avoir une idée assez nette au sujet de la «question romaine». D’une manière très synthétique il expose l’histoire du statut juridique de la ville de Rome. Après la chute de l’Empire romain d’occident, Rome et l’Italie grecque étaient gouvernées par l’exarque de Ravenne. En 726, les violences iconoclastes de l’empereur d’orient provoquèrent la fondation de la République romaine, gouvernée de fait par les Papes. En 756, Pépin le bref, roi des Francs, donna au Pape, formellement, le duché de Rome. En 800, le couronnement de Charlemagne entraîna l’idée du dominium mundi, attribuant au Pape une suprématie spirituelle et à l’empereur une suprématie temporelle. En 1077, Grégoire VII, par la querelle avec Henri IV sur la question des investitures, libéra entièrement le Saint­-Siège de la tutelle de l’empereur et, dans la suite, les Etats pontificaux seront officiel­lement reconnus comme Etats indépendants et souverains. Le P. Dehon reconnaît que le pouvoir temporel donnait au Pape une pleine liberté; mais il y a aussi des inconvénients, dit-il, surtout la difficulté de concilier l’indépen­dance de Rome avec «les aspirations de l’Italie vers l’unité nationale» (n. 13). D’autre part il fait remarquer que cette situation anormale pour l’époque n’était plus tenable. Et il n’hésite pas à suggérer une loi de garanties, à condition qu’il y ait une reconnais­sance et une validité «internationales». C’est, en substance, dans cette ligne qu’on est arrivé avec les accords du Latran du 11 février 1929 qui reconnaissent à la Cité du Vatican la dignité et les droits d’un Etat tout à fait indépendant.
3)
Malgré les tristesses de l’heure . Le P. Dehon souligne, au jour le jour, des situa­tions ou des faits qui se prêtent à une évaluation à la lumière de l’Evangile. Cela arri­ve, par exemple, dans les premiers numéros de ce cahier XXXVI: a) réunion de jeu­nes enfants… Malgré ces jours tristes, ils ont besoin d’une détente (n. 14); b) La France prie… La guerre a reveillé la foi, qui n’était qu’assoupie… C’est réconfortant (n. 15); c) Evolution du sentiment religieux au sein de l’Académie française. Au commence­ment du XIX siècle, c’était l’intolérance; aujourd’hui on y admet des hommes com­me Bazin, de Mun, etc. (n. 18).
4)
Marquis de Puységur. Il s’agit de Jacques François de Chastenet, marquis de Puységur, lieutenant général (1704), au service de l’Espagne jusqu’en 1707, dès 1715 il fut membre du conseil de guerre et à partir de 1734 maréchal de France. Il est l’au­teur de L’art de la guerre, par principes et par règles.
5)
Mun (Albert de): cf. II,606,5.
6)
Il y a des monstres partout: Souvent on juge négativement ce qui est «différent». D’où la facilité de blâmer ou de condamner, sans aucun souci de vérifier pour savoir s’il y a quelque chose de positif aussi dans les différences. On ne peut pas louer le mal ou le mensonge. Mais si on veut favoriser la paix et le dialogue entre les gens, il faut adopter un langage toujours respectueux envers les personnes, même si elles ont une religion ou une conception de la vie différentes des nôtres.
7)
Froget (Auguste, Barthélemy): dominicain (1864-1905), professeur de théologie dogmatique au Siudium generale O.P. de Carpentras. Il a publié le livre: De l’habitation du St-Esprit dans les âmes justes, qui connut un succès énorme (Bl. LD 235/15: édition de 1938, pp. 442). C’était un thème nouveau en ce temps-là. Le P. Dehon l’a lu et relu avec avidité. Il aimait, il adorait cette divine présence. Il lui ouvre son cœur pour l’ac­cueillir à titre d’hôte et d’ami. C’est la raison pour laquelle, dans son journal, il nous donne cette longue synthèse: de p. 63 à p. 93 dans le cahier manuscrit. Il s’agit d’un traité clair, avec des chapitres sur la présence de Dieu dans l’univers; sa présence spé­ciale dans les âmes justes; la nature et les modes de cette présence; les fruits de l’inha­bitation divine, c.à.d. le pardon des péchés, la vie de grâce, l’adoption filiale, les ver­tus etc. Et il conclut: «Quelle force, quelle générosité, quelle consolation et joie m’inspirerait cette pensée habituelle. L’Esprit Saint est là, protecteur puissant. Il est là, ami fidèle et témoin attentif de mes efforts et de mes sacrifices pour les récompen­ser un jour».
8)
Le Roux de Bretagne, Louis: né à Doué 1836, mort en 1915. Ordonné prêtre en 1860, il est envoyé à Sainte Madeleine. Rien à signaler le long de son ministère. Il fai­sait son devoir de prêtre, et le faisait en prêtre, surtout par la direction spirituelle dans laquelle il excellait. Très tôt une pensée s’empara de son esprit: la nécessité de réparer les outrages faits à Dieu et les ravages exercés dans les âmes par le péché. Et c’est la pensée qui fut à l’origine aussi bien de son ouvrage Vie réparatrice, que de la fondation, en 1894, de la congrégation des Franciscaines Réparatrices de Jésus Hostie, vouées à l’adoration du St-Sacrement et aux œuvres paroissiales
9)
Je relis le volume «Vie réparatrice»: Il s’agit de l’ouvrage Vie réparatrice, par Louis Le Roux de Bretagne (cf. Bl. LD: 3/D 20; exemplaire réédité à Paris, 196/4°, pp. 368). Un thème qui est au cœur du P. Dehon. Et ce livre de Bretagne était l’étude la plus exhaustive dont on disposait de ce temps-là. Le P. Dehon le lit et le relit. Et dans son Journal il nous en donne une longue synthèse (dix pages dans son manuscrit). L’auteur dans la vie de réparation voit d’abord l’esprit de sacrifice et d’austérité: les martyrs qui ont donné leur sang; les moines du M.A. qui sont à la fois «apôtres et réparateurs». Le renouveau de la vie chrétienne par l’action de St François et St Dominique est interprété comme œuvre de réparation «pour une Eglise en souffran­ce». On parle, après, d’une œuvre de réparation «pour combattre les effets désas­treux de l’erreur protestante». On peut voir, dans cette expression, une intention oecuménique certainement sincère, mais exprimée, hélas, dans un langage qui est la négation du véritable oecuménisme (cf. la citation qui vient tout de suite après: «Au xve siècle, tout se gâte à nouveau… La pseudo-réforme nous donne l’horrible protes­tantisme, dont Bossuet etc.»). Ici on voit comment le point de départ de toute inten­tion oecuménique, doit être la conversion de notre mentalité à l’esprit de l’Evangile. L’autel, lieu du sacrifice et de la réparation, explique alors l’auteur, est «le Sacré­-Cœur du Verbe incarné. Là s’est faite la véritable rencontre du ciel et de la terre… Ce divin Cœur est en effet comme le grand et définitif autel, où se célèbre la Messe solennelle de l’humanité» (n. 102-103). Mais si le sacrifice du Calvaire est l’unique source de notre salut, tous les chré­tiens, et l’Eglise entière, doivent être «hosties de réparation avec Notre-Seigneur» (n. 103). Les étapes sur le chemin qui mène à la montagne sainte sont: conversion, humi­lité, abandon plein de confiance, un amour qui conduit à la vie d’union au Cœur du Sauveur. Vers la fin du volume on a une liste de personnes qui ont vécu ou bien répandu l’idéal de la vie de réparation, comme: Jeanne de Matel, M. D’Hautier, P. Leguien, M. de Condren, M. Olier, Catherine de Bar…, avec des citations de Sylvain M. Giraud, Prêtre et hostie (n. 105); Bénigne Bossuet, Réflexions sur l’agonie de Jésus (cf. III, 507,97); Angela da Foligno, Livre des visions (n. 111).
10)
Février 1915: Toujours la guerre. Notre-Dame, la Mère du ciel, veille sur nous. «A Lourdes elle nous a invités à la prière et à la pénitence». Le comité diocésain des pèlerinages avait proposé, pour l’occasion, une neuvaine, à partir du 2 février. Une autre occasion pour vivre et témoigner l’esprit de répara­tion. Voici le texte proposé: «Pour la paix… par Notre-Dame de Lourdes: L’attention et les yeux du monde entier sont tournés vers nous. N’est-ce pas le département de l’Aisne qui est le lieu où les Allemands ont le plus avancé en France, où se sont massées les troupes les plus nombreuses, réunis les armements les plus formidables et où vont se jouer, à l’heure des convulsions suprêmes, les destinées de notre Patrie et de l’Europe? Nous sommes enfermés dans un vaste et énorme cercle de fer. Qui nous dégagera de notre captivité? De quelque côté qu’on se tourne, là bas à l’horizon ce sont des millions d’hommes armés, des millions de baïonnettes et des canons sans nombre prêts à semer la dévastation, les ruines et la mort!… Notre bonne Mère du Ciel veille sur nous. Elle prie. A Lourdes, elle nous a invités à la prière et à la pénitence. Eh! bien en ces jours critiques, dressons nous tous dans une attitude qui corresponde au cri d’alarme de notre sentinelle d’amour: Debout, pour la prière et la pénitence! Une neuvaine commencera partout le 2 Février, jour de la Purification de Marie, en union avec la neuvaine qui se fait à Lourdes. Chaque jour récitation du chapelet, visites au Très Saint Sacrement, sacrifices, actes de pénitence. Le Mercredi – 10 -jour de jeûne ou autre pénitence: Chemin de la Croix. Le jeudi – 11 – Fête de l’Apparition de la Sainte Vierge à Lourdes. Messe solennelle – Sainte Communion, chapelet ininterrompu, récitation du Rosaire de 6 heures du matin à 6 heures du soir. Qu’on l’organise avec un ou plusieurs groupes de personnes de bon­ne volonté. C’est possible partout en s’y prenant d’avance et en se donnant un peu de peine. Intercaler la récitation des Litanies de la Sainte Vierge, la prière à Notre-Dame de Lourdes, le Parce Domine, des invocations au Sacré-Cœur et au Saint Cœur de Marie. Le soir: Salut – Litanies du Sacré-Cœur, Ave Maris Stella, Parce Domine, Ave Maria. A besoins exceptionnels, prières exceptionnelles. Souvenez-vous, ô Marie, des bontés que vous avez eues pour la France le 11 Février».
11)
L’amour intéressé (désintéressé?): On se demande si, par l’expression «amour intéressé», on vise un amour «soucieux du vrai bien de soi-même» (qui serait empê­ché par le péché), ou s’il s’agit tout simplement d’une méprise ortographique, et donc qu’il faudrait lire: «dés-intéressé».
12)
Amort (Eusèbe): «Je lis les deux volumes in 4° d’Amort». Amort est né à Bibermühle (Bavière) en 1692, mort à Pollingen en 1755. Chanoine régulier, il eu l’occasion d’accompagner le card. Leccari à Rome, où il noua d’intimes relations avec le Pape Benoît XIV, avec des cardinaux et d’éminents théologiens, entre autres St Alphonse de Liguori. Rentré dans son monastère à Pollingen, il fit fleurir en Bavière une sorte de renaissance littéraire et scientifique, dont il devint le centre d’action. Il édita une foule d’ouvrages de tous genres, mais surtout de théologie morale. Entre autres, le précieux travail de théologie mystique De revelationibus, 2 volumes in 4° (Augsbourg 1744), un ouvrage qui a confirmé le P. Dehon «dans la résolution d’être très prudent vis-à-vis des révélations privées» (n. 121).
13)
Charles Sauvé, sulpicien, 1848-1925, est peut-être l’auteur le plus cité par le P. Dehon dans les cahiers des années 1915-1917. Chargé du cours de dogme à Dijon, Sauvé y resta 28 ans. Et vers la fin de son magistère (1895-1900) il commença à éditer les fruits de ses études, mais ré-exprimées dans une perspective pastorale et spirituelle. En tout, 24 ouvrages, distribués en deux séries: «Elévations dogmatiques» et «Le chré­tien intime»; mais il a souvent remanié le titre lors de réédition. On a, ainsi: Dieu inti­me, ou La Sainte Trinité, Jésus intime, ou L’incarnation (3 voll.); Le S.-Cœur intime (3 voll.; trad. it. 1922); L’Eucharistie intime, Marie intime, etc. Pour l’exposé doctrinal il s’inspire de St Thomas et d’auteurs de l’Ecole française (Bérulle, Olier, Bossuet, Faber, Gay) pour les exposés plus savoureux et spirituels. La pensée et la méthode de Sauvé on peut les voir comme résumées dans l’expres­sion: «Méditer Jésus, tout voir en Jésus: c’est la meilleure méthode spirituelle» (n. 124).
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