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42e CAHIER

1918

C'était bien un exode. Je quittais un pays où régnaient l'occupation militaire, la disette et la tristesse. J'allais vers Rome, ma seconde patrie. Je partis de Bruxelles le 13 décembre après une longue et inexplica­ble attente. Le P. Bertrand, le P. Morel et le P. Jeanroy me conduisirent charitablement à la gare d'Etterbeek où je dus subir une visite policiè­re et attendre cinq heures sur les quais.

Il y avait quelques St-Quentinois, la famille Berteaux et la famille Legrand-Hugues.

On part le soir à 5 heures, nous voilà en route pour deux jours. Le train marche mal, il a des arrêts qu'on ne s'explique pas, il aura cinq heures de retard. Il est peu chauffé et seulement par moments. 2 Peu importe, on avance lentement vers la liberté.

Nous passons par Arlon, Luxembourg, Sarreguemines, Strasbourg, Kehl, Offenbourg, Fribourg, Mulheim. Il y a des enfants bruyants, un ou deux vomissent, ce n'est pas un voyage d'agrément. On nous offre un brouet qu'on appelle de la soupe et une infusion de glands qui a le nom de café, mais chacun a quelques provisions.

Bâle, le 15 après-midi. C'est la joie, c'est la liberté. La gare est pavoi­sée. Les dames suisses de la Croix-Rouge nous font un accueil cordial et nous offrent un bon déjeuner. Le Consul nous salue, la population nous acclame.

Il vient deux trains par jour de rapatriés et l'on dit que l'accueil de la Suisse est toujours aussi aimable. 3

En voiture dans un train suisse. Nous allons à Lausanne et nous tournons le lac par St-Maurice. L'effet est manqué, les cinq heures de retard nous font faire ce beau voyage la nuit.

Evian! C'est la patrie. Bonne réception au Casino. Souper commun. Les longues formalités gâtent l'arrivée. De 9 heures à minuit nous pas­sons de bureau en bureau pour avoir une carte d'identité et le reste… Je loge à l'hôtel de France, qui n'est pas chauffé. J'avais trouvé le P. Black à la gare. Nous étions descendus en ville au son du clairon, cela nous donnait des jambes. Une fanfare jouait des airs nationaux pen­dant le souper et le sous-préfet nous harangua avec éloquence.

Il fallait sortir d'Evian, c'était tout un problème. 4 Je me fis récla­mer télégraphiquement à Paris par mon neveu. Le bon docteur Bordet, médecin de la famille à Evian, abrégea les délais en interve­nant auprès du commissaire de police de la ville.

Je passai quatre jours à Evian. Je vis le bon doyen, qu'on appelle le plébain. Je célébrais la messe à l'autel de N.-D. des grâces. St François de Sales a prié et prêché là.

Le 19, je quitte Evian, c'est mon anniversaire d'ordination.

J'arrive le 20 à Paris: trois heures de retard, pas de messe, grande déception.

Il me faudra huit jours à Paris pour avoir un passe-port.

Aimable accueil dans ma famille où je suis heureux de voir mes deux officiers en bonne santé.

Messes à N.-D. des Victoires. Le 22, pour l'anniversaire liturgique de ma 1ère messe et 5 le 27 pour la fête de St Jean j'ai l'autel de la Vierge miraculeuse, c'est une attention maternelle de la Ste Vierge qui a per­mis cela.

Visite au cardinal Amette1). Il loue le discours du P. Sertillanges et en partage les idées. Il constate une évolution religieuse en France, il espère en l'avenir. Il me parle de la voyante de Vendée2), il doute de sa mission, il pense que ses directeurs ont été trop crédules, il ne croit pas à la possibilité du drapeau du S.-Cœur3)

Visite à Lavisse4), qui est toujours vaillant, il écrit, il se rapproche un peu de la religion, mais tout n'est pas fait. Je prie pour lui.

Visite avec mon neveu au duc de Vendôme qui me donne ses petites commissions pour Rome, c'est un prince pieux, très romain, ennemi du gallicanisme et du ralliement… 6

Je dîne chez les Nivoit avec le ministre Lebrun, qui se montre fort aimable…

Je vois aussi M. Mazerolle, archiviste de la Monnaie, collectionneur de Bons municipaux du Nord, et plusieurs anciens élèves: Damez, Leduc.

Leduc publie le Trait d'Union5), une petite revue qui donne des nou­velles de nos anciens élèves. L'esprit de la revue est excellent, on y fait prier. C'est un beau fruit de l'œuvre de St-Jean.

Je reçois un courrier de trois ans accumulé à Château-Thierry depuis que St-Quentin est bloqué: lettres, journaux et revues de 1914. Tout cela est bien curieux: que de vaines espérances et de fausses nou­velles! Tout cela paraît antédiluvien.

Le 28, messe à Montmartre: je ne voulais pas oublier le 7 Sacré­-Cœur. Il neige, c'est une fatigue. J'ai enfin mon passe-port et je pars le soir. Le 29 au soir seulement je suis à Turin. J'en pars le 30 à 11 h.

J'arrive à Rome le 31 à 10 h. et je dis la messe avec bonheur à Santa Chiara.

Le soir du 31, les souhaits au bon P. Lefloch6). Le salut du Te Deum. Me voici à Rome. Je regrette mon humble vie de séminariste. Je ne connaissais que l'étude et la prière. Maintenant il faut aller et venir, écrire et faire des visites. Les correspondances vont affluer, fiat! Tout cela, c'est le devoir, c'est le sacrifice quotidien pour le règne du S.­Cœur…

Je dirai la messe tous les jours au petit oratoire de Mater admirabi­lis. J'y ai prié autrefois. 8

Le P. Barthélemy7) me soigne. Je vois nos prélats du Nord qui sont de fidèles amis.

Le 2 j'annonce mon arrivée au Vatican, je fais visite à Mgr Zamper et à Mgr Mignone et dès le soir je reçois le billet pour l'audience.

Le 3, je suis auprès du St-Père qui me reçoit cordialement et s'inté­resse à mes trois années de réclusion… Nous causons beaucoup de la Belgique. Ce pauvre pays est un des plus éprouvés par la guerre. La famine l'épuise et l'affaiblit. Les Belges sont mal renseignés sur les choses de Rome. Ils ne savent pas combien le St-Père leur porte intérêt. Ils ne lisent que des journaux censurés et faussés. Le texte même des propositions de paix du Pape leur a été donné tronqué.

Le Nonce pourrait beaucoup pour relever le moral des Belges, 9 mais il est souffrant…

Il importe que le St-Siège ne tienne pas compte de la requête qu'il a reçu du prétendu Conseil flamand.

Le Pape pourrait faire un grand plaisir aux Belges s'il demandait à l'empereur d'adoucir les rigueurs de l'occupation en Belgique… J'offre au Pape les hommages de l'excellent duc de Vendôme, digne fils de duc d'Alençon par sa piété.

En sortant de chez le Pape je vois le cardinal Gasparri8) et je l'infor­me aussi de la situation en Belgique.

Le lendemain, je visite M. Van den Heuvel, ministre de Belgique, qui s'intéresse beaucoup à tout ce que je peux lui dire. Il ne connais­sait pas la prétendue entrevue prêtée au card. Secrétaire d'Etat par le journal allemand «Illustrierte Kriegszeitung»… 10

Un autre thème de mon audience auprès du St-Père fut l'appel au Saint Cœur de Marie. Les Rites ont oublié de mettre cette fête au bré­viaire. Ce sera la grâce de Benoît XV. Au soir de la fête du S.-Cœur on ajouterait à la consécration au Sacré-Cœur un appel au St Cœur de Marie qui est l'intermédiaire de toute grâce… Le St-Père paraît favora­ble à ce recours à Marie.

Le 6, jour de l'Epiphanie, touchante cérémonie à la salle du Consistoire, c'est la lecture du décret sur les miracles de la Bse Marguerite Marie, en vue de sa canonisation. Le St-Père m'avait fait donner un billet de premier rang. Un prélat lut le décret, puis le St-­Père nous adressa un chaleureux discours. Il attend un grand progrès de la dévotion au S.-Cœur après 11 la canonisation de Marguerite Marie, il recommande l'intronisation du S.-Cœur dans les familles comme préparation du règne social du S.-Cœur. Il loue et encourage ceux qui ont la mission et la vocation de travailler au règne du S.­Cœur, et je ne puis guère douter qu'il ait eu un peu en vue ma présen­ce. En sortant, il a voulu me bénir spécialement parce que j'étais, disait-il, le supérieur des Prêtres du S.-Cœur.

J'ai reçu la visite de M. Guichard correspondant de l'agence Havas. Je suis allé voir le cardinal Vannutelli9), toujours très bienveillant et confiant dans l'issue de la guerre.

J'ai vu les bonnes Soeurs Sacramentines belges, via Sistina. Je leur apportais des nouvelles de leur maison de Bruxelles, rue de la Concorde. 12 J'ai vu aussi les Soeurs Auxiliatrices dans leur magnifi­que villa de la via Nomentana: belle communauté au costume simple et sévère. Je les avais vues à l'œuvre déjà à Cannes et à Shanghaï.

Visite aux Pères du St-Sacrement. Je remplis les promesses que j'ai faites à Bruxelles de donner ici des nouvelles de là-bas.

Je suis allé voir Mgr Lapérine d'Hautpoul. Il est devenu évêque et il continue les traditions de Mgr Mouret.

La Marquise de La Tour du Pin est venue me voir et me donner des nouvelles de son cousin d'Arrancy. Mon noble ami s'est montré héroï­que, comme on pouvait attendre de lui. Il a repris du service en 1914 à l'âge de 82 ans. Il a été fait prisonnier à Laon.

Réclamé par le St-Père, il est en Suisse à Lausanne, où il 13 doit souffrir beaucoup moralement. Son château d'Arrancy est pillé. C'est une belle vie qui s'achève dans le sacrifice pour la patrie.

La famille Harmel paie aussi sa bonne part des dettes nationales. La grande usine est en ruines. Messieurs Léon et Pierre sont retenus dans les pays occupés, je fais ce que je peux au Vatican pour les faire rapa­trier.

Le règne du S.-Cœur se prépare. Benoît XV veut être le Pape du S.­Cœur10), comme je le présageais au moment de son élection. Dans son discours de l'Epiphanie, il a parlé du S.-Cœur ex abundantia cordis. Il prépare la canonisation de Marguerite Marie. Il recommande l'intro­nisation du S.-Cœur dans les familles comme une préparation pour son règne social. 14 Il encourage Mgr Virili11) pour l'érection d'un autel du S.-Cœur à Saint-Pierre. Il a béni le projet de la Marquise de La Tour du Pin qui fait une propagande mondiale pour l'organisation de l'adoration quotidienne du St-Sacrement à Saint-Pierre.

J'ai vu aussi une noble dame hollandaise qui prépare l'érection d'u­ne basilique nationale du S.-Cœur à Nimègue.

J'ai propagé toutes ces idées depuis quarante ans, surtout dans notre petite revue et auprès le Pape. Je vois que tout se réalisera, j'ai l'impression de Siméon qui se contentait d'entrevoir le règne du Messie avant de mourir.

C'est un milieu intéressant et édifiant où je puis passer quelques mois dans le repos et la paix de l'âme. C'est une atmosphère de grâces où se 15 réveillent les douces impressions que j'ai reçues ici, il y a un demi-siècle. La P. Freyd y est peut-être un peu trop oublié, c'était un saint. C'est lui qui a fait le séminaire au point de vue spirituel, je vou­drais voir son portrait honoré dans la maison.

Le P. Lefloch est supérieur: un vrai breton, très porté pour l'Action Française, bien côté au Vatican et consulté pour les nominations d'évê­ques.

Le P. Eschbach et le P. Daum, mes anciens répétiteurs, sont encore là, très âgés et toujours édifiants. La P. Eschbach a bien mérité du séminaire en dirigeant sa reconstruction.

Le P. Rozerot, mon ancien condisciple et ami, est chargé de la Procure et de la réception des étrangers.

Le P. Wüsler est un économe très entendu. 16

Il y a un Père spirituel, le P. Voegtli. Autrefois c'était le supérieur qui dirigeait la plupart des élèves.

Parmi les Pères plus jeunes, je note le P. Hoegy, maître des cérémo­nies, les PP. Frank, Frey, Le Rohellec, répétiteurs. Plusieurs sont con­sulteurs de diverses congrégations romaines.

On est ici très romains, en grande défiance contre le libéralisme et fort portés pour l'Action Française.

Il y a quelques hôtes dont le principal est le cardinal Dubois. je suis heureux de passer quelques jours avec lui. Il est fort goûté à Rome et il est romain de cœur. Il est aimable, il a la bonne grâce et la politesse françaises. Il est heureusement doué. Je n'ai qu'à me louer de sa bien­veillance.

Mgr l'évêque d'Arras nous arrive, ancien curé du Havre, qui se for­me aux allures épiscopales. Il aura bien des ruines à relever. 17

Deux anciens élèves, Mgr Pillet et Mgr Saint-Clair, sont là pour quel­ques semaines. Tous deux sont aimables et de bonne compagnie. La Savoie, riche en vocations, peut donner de ces prêtres qui travaillent hors de leurs diocèses et qui reçoivent une prélature en récompense de leurs travaux.

Il y a aussi un prêtre russe uniate, qui travaille à la Secrétairerie d'Etat. Il est là fort utile en ce moment de transformation religieuse en Russie.

Il y a peu d'élèves, 35 à 40. Plusieurs sont étrangers: hollandais, irlandais. Les Français ne peuvent être que des jeunes gens fort jeunes ou maladifs. Les autres sont soldats. Il y a un Legrand de Fourmies et de bons jeunes gens d'Arras et d'Amiens. Ce petit nombre permet de maintenir les bonnes traditions de la maison. 18

Le séminaire a été agrandi, mais la chapelle est restée la même, j'y retrouve le coin où je priais et méditais, l'autel de ma première messe, le chemin de croix, les autels de la nef où j'ai souvent célébré… Merci, mon Dieu, vous avez voulu ce séjour pour renouveler en mon âme bien des grâces.

Deux livres décrivent bien les souffrances des pays occupés: l'ouvra­ge de M. Nothomb sur la Belgique et la Lettre de M. Prüm à Erzberger. Cette guerre rappelle toutes les horreurs des pays de mis­sions. Je ne veux rien en rapporter ici.

Le livre de René Bazin12) «Aujourd'hui et demain» est encourageant, il est optimiste. Il a tant de bonnes choses à nous dire sur l'attitude de nos soldats au front, sur leur correspondance pleine de foi et de géné­rosité, sur la mort héroïque de plusieurs. 19

De pareils livres valent une prédication. J'ai souvent essuyé une lar­me en en parcourant les chapitres. La guerre nous montre la France meilleure qu'on ne le pensait. On la jugeait sur son sinistre gouverne­ment.

Ce sont des articles écrits au jour le jour et réunis en volume. En lisant ce livre, on a la jouissance comme d'une conversation élevée avec un grand chrétien sur toutes les questions du jour. J'en cite quel­ques bribes.

I. L'enfant de patronage. - «Je voudrais, dit René Bazin, que plusieurs de ceux qui connaissent peu la vie catholique pussent apercevoir ce qu'il y a de magnifique dans ces pauvres petites œuvres de la ville et de la campagne, et quel service elles rendent en ce moment à la France tout entière… Dix mille patronages de plus, dans les années encore voisines 20 de nous, lui eussent été plus précieux qu'une récol­te abondante, ou qu'une colonie nouvelle augmentant son empire… (On y a semé tant de foi, d'honnêteté, de patriotisme!)… Tous les jeu­nes gens ne persévèrent pas, mais vienne une grande douleur, vienne la guerre qui est faite de tant de douleurs assemblées, et tous ils se sou­viendront. Ils se réveilleront de la vie ordinaire et ils seront prêts».

Bazin cite quelques lettres. J'ai la même expérience. Mes anciens de patronage m'écrivent et leurs lettres sont pleines de nobles sentiments. Nous leur faisions jouer autrefois «Les zouaves à Patay», il est resté, dans leur sang, quelque chose de l'amour de l'Eglise et de la patrie. L'amour du drapeau du Sacré-Cœur a été nourri dans les patronages, il nous apportera le salut. 21

II. Sentence pontificale. - Le Pape Benoît XV, dans une lettre que le Cardinal Secrétaire d'Etat a écrite par son ordre à M. Van den Heuvel, ministre de Belgique, blâme et condamne, ou plutôt déclare expresse­ment qu'il a déjà blâmé et condamné la violation, par l'Allemagne, de la neutralité de la Belgique. Le Pape déclare, pour que désormais il ne subsiste aucun doute, qu'il avait en vue cette violation lorsque, dans l'allocution consistoriale du 22 janvier 1915, «il réprouvait hautement toute injustice, pour quelque motif qu'elle pût avoir été commise». On ne sait pas cela suffisamment en Belgique.

III. Familles françaises13). - Le roman et le théâtre calomnient trop les familles françaises et font croire à l'étranger qu'elles sont désagré­grées. Il est vrai qu'elles sont battues en brèche par le divorce, l'égoï­sme, l'enseignement sans Dieu et la vente 22 de l'alcool, mais beau­coup restent bonnes, comme l'atteste la correspondance des soldats du front. C'est aussi une erreur que la critique des romans contre la vie inutile des châteaux. «Hobereaux tant qu'on voudra; ils peuvent avoir leurs défauts, comme nous tous; mais trois fois sur quatre, s'ils sont de race ancienne et attachée au sol, ils sont une force familiale, trop repliée sur elle-même, une école de vertus, sinon de toutes, du moins des plus rares: l'honneur, le désintéressement, l'acceptation des charges lourdes et de la vie effacée, le sentiment de la continuité, le goût des armes et la passion de la France».

IV. Le minimum des salaires. - Il s'agit de la loi du 10 juillet 1915. Personne ne se désintéresse plus de l'action sociale. L'école d'Albert de Mun, de M. de La Tour du Pin et mon Manuel social dans le clergé 23 ont donné le sens de l'action sociale chrétienne. Bazin fait remar­quer que ces lois sont un pis-aller. Si nous avions une organisation pro­fessionnelle sérieuse, l'Etat n'aurait pas à régler les questions profes­sionnelles, mais seulement à surveiller cette organisation.

Cette loi de 1915 confie la fixation des salaires à des comités délé­gués par les Conseils de prudhommes, sous la présidence d'un juge de paix. C'est un tâtonnement, un essai, il faudra arriver à l'organisation professionnelle.

V. Des enfants. - Nous périssons par la stérilité volontaire des familles. Des lois fiscales peuvent atténuer légèrement le mal. «On ne repeuple­ra la France qu'en rétablissant tout d'abord les notions faussées de la conscience, en développant, par l'enseignement, les vérités naturelles, en favorisant 24 le réveil de la foi, témoin cette lettre d'une jeune fille chrétienne de la Beauce: Je serai heureuse de peupler le ciel en éle­vant une famille nombreuse. Je ne veux pas être une mère inutile. Je me vois au milieu de tous mes petits anges, leur donnant à manger, raccommodant, nettoyant. J'aime beaucoup la vie de la ferme. J'aurais beaucoup de peine s'il fallait un jour quitter nos grandes plaines de Beauce». Instruisez les consciences, et il y aura des femmes et des hom­mes, et plus que vous ne croyez, pour comprendre ces mots familiers à tout peuple chrétien: multiplier les saints, ajouter des témoins à la gloi­re de Dieu».

Lu aussi avec intérêt un livre d'Henri Dimier14) sur les préjugés de l'histoire. Il a mille fois raison de condamner la prétention des moder­nes de faire commencer la 25 liberté et la civilisation à 1789. Les rois ont eu leurs erreurs et leurs fautes, mais ils ont fait la France et ils avaient ordinairement en vue son bien et son accroissement.

Je pense comme lui que les Francs n'ont pas opprimé les Gaulois. Ils se sont adaptés eux-mêmes au régime gallo-romain. Ils ont partagé les magistratures et les charges avec l'élite des habitants de la région.

Il ne faut pas voir dans l'art gothique et dans la renaissance des sur­sauts et des dominations de races. Les croisades nous ont révélé l'ogive des Arabes et nous en avons tiré un parti merveilleux en l'assouplis­sant à nos besoins religieux et civils. Nos relations avec l'Italie et la venue en Occident des Grecs chassés de Constantinople nous ont appris à goûter l'art et la littérature d'Athènes et de Rome. Il y a eu excès. La renaissance a dévié. 26 Elle pouvait prendre dans l'art ancien et dans les lettres la perfection de la forme et les règles ensei­gnées par la nature sans se laisser imprégner de paganisme. La premiè­re renaissance italienne était irréprochable, mais il était difficile de se frotter au paganisme sans tomber dans le sensualisme.

Le gothique avait son charme, même dans l'architecture civile. Allez voir Edimbourg, on n'y fait que du gothique et la ville a un grand cachet.

Le grand siècle chez nous est superbe en littérature parce qu'il a su se servir de l'antique sans céder à la sensualité.

Même dans l'art religieux, les Invalides, le Val de grâce, le Panthéon avaient de la grandeur.

Nous revenons au byzantin avec Montmartre et cela prendra 27 parce qu'un architecte du midi, Abadie, a su renouer et montrer dans son beau l'église Saint Front de Périgueux.

Dimier montre qu'on a beaucoup exagéré la critique de l'ancien régime. Dans l'ensemble, la France était prospère et heureuse. Les serfs étaient des fermiers, le plus souvent contents de leur état. Les périodes de misère ont été occasionnées par les guerres ou par des famines qu'amenait l'intempérie. Les rois étaient aimés, l'absolutisme était généralement doux et personne ne s'en plaignait. Il y a d'ailleurs toujours un absolutisme, c'est-à-dire un maître. Aujourd'hui c'est un parlement irresponsable qui s'est accroché au pouvoir par la fraude, la violence et la corruption…

C'est Rousseau et Montesquieu qui ont tué la royauté en exaltant la nature et les libertés anglaises. 28

Beaucoup de biographies très attachantes commencent à paraître sur les jeunes héros qui se sacrifient à la guerre. J'ai lu celles des Gailhard-Bencel, de Jacques Barth, ami de mes neveux, de l'abbé Delos… il y en aura des centaines. La France n'était pas aussi malade qu'on le pensait. Le gouvernement ne représentait que les bas-fonds de la société.

J'ai lu une brochure sur Claire Ferchaud, la voyante de la Vendée. Sa mission paraît sérieuse, cinquante évêques l'encouragent.

En tout cas il y a un mouvement général de dévotion au S.-Cœur en France: grande neuvaine à Lyon, journées de prières et de pénitence à Montmartre, distribution d'images et de scapulaires au front, appel des évêques, préparation de drapeau… Un beau jour le feu qui couve éclatera, l'étendard sacré sera 29 arboré par les combattants et la pro­tection divine répondra à notre foi.

Je vois avec plaisir que toutes les églises de Rome ont un autel du S.­Cœur, excepté St-Pierre, mais on y songe. L'image la plus répandue est celle du peintre Battoni15). On dit que le peintre a pris pour type un mendiant qui tendait la main. C'est bien, en son image Jésus tend la main droite, c'est un mendiant d'amour, mais je n'aime pas à le voir tenir son Cœur en sa main gauche. Beaucoup de copies du tableau primitif, qui est au Gesù, ont corrigé cela: la main gauche du Christ ne tient pas son Cœur, elle le montre, c'est mieux. Battoni était du XVIIIe siècle, il a fait le Christ un peu mignard. Les peintres et sculpteurs qui s'inspirent de Battoni doivent rendre le Christ plus viril. 30

Quelques bonnes visites. Le 17 j'ai vu le card. Scapinelli16), qui est fort aimable. Il a été nonce à Vienne, il connaît le prince Ferdinand et ses fils, il estime le jeune Boris. Il espère que la Bulgarie reviendra à l'u­nion avec Rome. Il craint que le prince Ferdinand, influencé par le Kaiser, ne donne à Boris une femme protestante…

Le card. Tonti17) est mon ancien condisciple et collègue de sténo­graphie. Conversation amicale, il connaît bien le Brésil et le Portugal, où l'aristocratie, dit-il, est miguéliste. Au Brésil, on fonda partout des séminaires qui font du bien, et pour chaque nouveau diocèse le St­.Siège exige qu'un envoie deux séminaristes à Rome. Le séminaire por­tugais fait également beaucoup de bien et aidera à la rénovation du Portugal.

Le card. Vico18), ancien nonce à Bruxelles et à Madrid, s'intéresse 31 beaucoup à ce que je puis lui raconter de la Belgique. Il est inquiet pour l'Espagne où la démagogie s'agite soutenue par les francs­maçons. Le roi est faible. Son fils aîné est peu intelligent et le second est sourd…

Mgr Laurenti19), à la Propagande, me parle du Cameroun et de la Suède. La situation est pénible en Suède20), où l'évêque demande des changements qu'il ne peut pas obtenir.

Le P. Esser me raconte la fin de l'Index. On l'a fait évêque. Tout s'est fait sans lui. Il est content de la mesure qu'on a prise.

J'ai vu quelques religieux français. Le P Geny et le P Steiger, profes­seurs à la Grégorienne, et le P. Lépicié, des Servites, consulteur de diverses congrégations, font honneur à la France. 32 Le 21, il y a un thé chez Mgr Thiberghien, où je rencontre le card. Dubois, le ministre de Belgique, un amiral japonais catholique, plusieurs prélats et reli­gieux français.

Le 23, réception au séminaire en l'honneur du card. Dubois. Ce sont en partie les mêmes invités.

Le 26, déjeuner offert par M. Van den Heuvel, ministre de Belgique, à l'hôtel Bristol.

Ces bonnes réunions sont réconfortantes. On s'encourage et on se raconte les motifs de tristesse et d'espérance dont chacun est impres­sionné.

Pour moi, je fonde mes espérances sur la miséricorde du S.-Cœur qui se laissera toucher par les sacrifices généreux de beaucoup d'âmes françaises.

Dans l'épreuve on se rapproche. Beaucoup de mes vieilles relations se réveillent, c'est toute ma vie qui repasse sous mes yeux. 33

I. Le ministère paroissial. -J'ai été sept ans vicaire à St-Quentin. J'avais beaucoup de relations. Beaucoup de familles ont disparu, et dans les loisirs de cette période d'occupation ennemie, celles qui survivent me visitent ou m'écrivent, les Desjardins, Jourdain, Faroux, Hugues, Maréchal, Vermersch… Mgr Mignot, l'abbé Quentin, les communautés de la Croix, de l'Hôtel-Dieu, des Augustines… De braves gens du peu­ple m'accostent à St-Quentin, à Enghien, à Evian… L'un me rappelle un sermon, l'autre mes catéchismes. Ne sera-ce pas ainsi au ciel? On y reverra avec satisfaction les âmes avec lesquelles on aura eu quelque communion de prière ou de ministère.

II. Les Patronages de St Joseph et de St Martin. - C'était alors des enfants et des jeunes gens. Ce sont des hommes maintenant. Ils sont au front. Ils m'écrivent: 34 Lesage, Galliègne, Graux, Nicolas… Leur foi revit et s'accentue. Ils ont appris dans les œuvres à aimer Dieu et la France, ils s'en souviennent. Tout ce qu'on a semé ne meurt pas, beaucoup de plantes poussent et fleurissent à leur temps.

III. L'Institution. -Je n'ai pas assez suivi mes jeunes gens, j'ajoutais toujours une œuvre à l'autre, la Providence m'y poussait. J'aurais pu correspondre avec plusieurs d'entre eux et les visiter. Heureusement quelques-uns de mes professeurs, comme M. Rigaut, y suppléaient. Mais la guerre a réveillé l'âme de l'Institution, elle a refait de nos anciens une famille. Cela est dû en bonne partie à Leduc, le président de l'Association. Il publie le «Trait d'Union». C'est une correspondance mensuelle, qui relate les faits de guerre de nos jeunes gens, la mort héroïque de plusieurs, les blessures, les citations, les promotions. 35 On s'écrit. Plusieurs envoient des poésies patriotiques. L'union s'est refaite. La famille et les affaires absorbaient toutes ces âmes. Après les séparations qu'impose la guerre et devant la gravité des événements les sentiments de foi et de patriotisme reprennent le dessus. Plusieurs sont venus me voir à St-Quentin, à Bruxelles, à Paris, comme Leduc, Demez, Flinois, Lami, Charlier, d'autres m'ont écrit. J'en rencontrais quelques-uns à la Commandanture de St-Quentin, c'étaient les maires de leurs communes… Il faudra entretenir cette union pour relever l'Institution de ses ruines.

IV. Quelque chose revit aussi du groupe d'action sociale où la Providence m'avait donné le rôle de représenter et d'entraîner le clergé. Les Harmel, M. de La Tour du Pin m'écrivent. Je revois des prêtres que j'ai connus dans les congrès, le P. Venance, l'abbé Chapelle… M. de La Tour du Pin 36 est bien le preux des anciens âges. Il avait repris du service à 80 ans. Il est maintenant exilé à Lausanne. Ces familles de noblesse militaire ont été un des principaux instruments de la force et de la gloire de la France. La nation les méprise depuis un siècle et cependant elles sont encore un élément de salut dans la lutte actuelle. Elles ont fourni la meilleure part de nos officiers.

V Relations de piété. - Redevenu libre je reprends ma correspondance avec beaucoup de nos Pères, avec nos missions, avec nos scolastiques et nos élèves soldats. L'isolement aurait pu avoir pour beaucoup des con­séquences désastreuses; en fait l'union des cœurs s'est bien conservée: la famille du S.-Cœur est bien une réalité.

Reprise aussi des relations avec nos Soeurs. Celles de Fayet sont à Souy le Grand (Oise); celles du Val 37 à Seurre (Côte d'or).

Quelques lettres me viennent des amies de nos Soeurs Victimes: la Soeur Prévot d'Aix, les Ursulines d'Aix, la Visitation d'Aurillac, Mlle Baume de Raguevaire, Mlle Borderie de Paris.

Toutes mes œuvres et mes divers ministères retrouvent dans l'é­preuve un regain de vitalité. J'y vois l'occasion de m'humilier pour tou­tes les fautes par lesquelles j'ai entravé les œuvres auxquelles m'appe­lait la Providence.

Par mon Manuel social et mes livres, par ma collaboration à la Chronique du Sud-Est, par ma participation à beaucoup de congrès et de réunions sacerdotales et par mes conférences à Rome, n'avais-je pas la mission de propager dans le clergé les principes et les œuvres de la vie sociale chrétienne, comme M. de Mun et M. de La Tour du Pin pour les classes dirigeantes et aristocratiques, 38 comme M. Harmel et M. Vrau pour le monde de l'industrie? La Providence m'y avait pré­paré par mes études de droit à Paris et par mon Patronage à St­-Quentin.

J'aime Rome, qui est ma seconde patrie. Je souffrais depuis quel­ques années de la voir éventrée partout par des travaux que l'on com­mençait et qu'on ne poursuivait pas.

Il y a beaucoup de progrès depuis quatre ans: les quais s'achèvent; le long des quais, des maisons élégantes se sont construites, séparées par des jardinets, comme en Amérique. L'affreux pont de fer qui gâtait le quartier du château St Ange, a été enlevé; la promenade archéologique prend bonne tournure, quoique ses plantations soient encore maigres. On crée une large avenue sur le chemin de Saint-Paul; le ghetto est rebâti et régularisé.

Pour les églises, plusieurs paroisses 39 nouvelles ont élevé des basili­ques constantiniennes, comme Ste Croix au Ponte Milvio et St Joseph à la Porta Trionfale, ou des églises romanes, comme St Camille. Ces sanctuaires sont simples et un peu tristes, mais peu à peu l'art y entre­ra avec des peintures et des autels plus ornés.

Les Pères d'Issoudun ont complété l'œuvre du P. Jouet par une jolie église gothique, une réduction de la cathédrale de Milan.

Les Dominicains font de grands travaux à Ste Sabine, ils veulent lui rendre tout son cachet de basilique du 5e siècle. Ils enlèveront même le beau baldaquin du moyen-âge, n'est-ce pas aller trop loin? Toutes les vieilles basiliques ont des baldaquins qui font bonne figure et qui ont un grand sens liturgique. 40

Ma chapelle du séminaire a quatre tombes: il y a là le P. Lannurien, fondateur du séminaire, mort à 32 ans en 1854; Mgr Luquet, qui a essayé de fonder les Prêtres de l'adoration réparatrice: j'ai toujours pensé qu'en faisant mon séminaire auprès de sa tombe, j'avais un peu hérité de son désir et de son esprit. Il est mort en 1858 à 48 ans. Henri Lucas du Coudray, un jeune prêtre, mon condisciple et ami. Il est bien dépeint dans son épitaphe: humilis, pius, mitis. Je le veillais dans ses derniers jours: il est mort entre mes mains. Le quatrième est un pieux séminariste canadien.

Il manque dans la chapelle un monument au P. Freyd. C'était un saint, comme le disait Pie IX. Il est trop oublié.

Trois supérieurs ont contribué à donner à ce séminaire tout son 41 développement. Le P. Freyd y a cultivé la piété et la vie intérieure, il en a fait une maison de sanctification. C'était un vrai directeur spirituel. Il s'inspirait de Rodriguez, de St Liguori, du P. Saint Jure, du vén. Libermann. Son moyen de sanctification était l'union avec N.-S.

Le P. Eschbach a construit le palais que nous admirons et qui est digne du séminaire français.

Le P. Lefloch a fortifié les études en invitant les évêques à lui don­ner de jeunes élèves qui puissent passer ici six ou sept ans, pour se for­mer à la scolastique et à l'esprit de Rome, au lieu d'envoyer de jeunes prêtres qui venaient en deux années d'études indigestes conquérir un doctorat.

Le séminaire a la primauté parmi ceux de Rome pour le plain-chant et la liturgie. 42

Mois de naissances et de morts. C'est le 14 mars, aux premières vêpres de St Longin, que je suis né, et le 24, aux premières vêpres de l'Annonciation, que j'ai été baptisé. C'était l'heure de l'Ecce venio.

La Chère Mère est née et a été baptisée le 25, au jour de l'Ecce Ancilla. Elle est morte le samedi 17 mars 1917 pour aller prendre part aux fêtes de St Joseph au ciel.

Mon père était né le 15 mars. Ma mère est morte le 19 mars, à la fête de St Joseph qu'elle avait tant aimé. Elle avait fondé à La Capelle la société charitable des Dames de St Joseph.

C'est au ler mars que la Soeur Marie de Jésus a offert sa vie pour prolonger la mienne. C'est le 12 mars 1917 qu'une de nos Soeurs les plus dévouées, Soeur Marie-Claire, est morte, l'an 43 dernier, quel­ques jours avant la Chère Mère.

Dans ce mois nous avons deux bonnes visites d'évêques: Mgr Rivière de Périgueux, que j'avais rencontré autrefois chez Mgr Gay, et Mgr Guillet, de Limoges, autrefois professeur à l'Université de Lille.

Mgr Rivière loue beaucoup son prédécesseur, Mgr Bougouin, d'a­voir organisé dans chaque paroisse des catéchistes volontaires.

Mgr Guillet avait avec lui M. Monpetit, ami du Bon Père Harmel, qui a passé sa fabrique de chocolat à Limoges à une communauté de Soeurs.

J'ai suivi presque toutes les stations de carême avec le P Barthélemy. Quelle ville pourrait présenter comme Rome une quarantaine de vieil­les basiliques élevées sur les tombeaux des plus illustres martyrs et por­tant encore pour la plupart le caractère 44 de l'art des premiers siè­cles et de la liturgie ancienne? Ces édifices sont d'imposants témoins de notre foi.

C'est le temps de pâques dans la liturgie, c'est encore le temps de la pénitence dans la guerre: patience et confiance toujours.

La France offre au S.-Cœur bien des âmes victimes. Elle a même, dit-on, actuellement une dizaine de stigmatisées. Les dix justes ne manquent pas pour le salut de la nation…

Je lis une brochure du P. Peeters'21) sur la spiritualité ignatienne com­parée à la piété liturgique des bénédictins.

Notre siècle a bien des misères, mais il a aussi ses grâces, puisque les méthodes de spiritualité sont devenues une question du jour et les miracles abondent.

Il y a toute une littérature sur les méthodes de spiritualité. On oublie trop de montrer qu'elles 45 ont un fond commun et qu'elles font toutes des saints. J'aime mieux les thèses qui rapprochent les âmes dans la charité que celles qui les divisent. Combien on a déjà retardé le règne de N.-S. par les querelles d'écoles!

Il y a deux facteurs de la sainteté, la grâce divine et la volonté libre qui y correspond.

L'école ancienne, dit-on, laissait l'action plus libre à la grâce. L'âme se laissait conduire par les touches divines qui l'impressionnaient à l'occasion de la prière liturgique. Elle se livrait à ces impulsions de la grâce.

St Ignace a certainement modifié cette méthode. Il ne pouvait pas donner autant d'importance à la liturgie. Chaque institut a sa voca­tion. Le soin délicat de la grande liturgie est la part des chanoines réguliers et des communautés bénédictines. Les jésuites sont plus 46 militants. St Ignace, qui ne laissait pas à ses fils le loisir de goûter les douces impressions de la liturgie et des longs offices, a dû pourvoir autrement à leur sanctification. Il leur a donné une bonne méditation le matin, repérée et complétée par les examens de midi et du soir. Conformément à son caractère chevaleresque, il cultive beaucoup la volonté, il veut de fortes résolutions contrôlées par les examens, mais il n'oublie pas que c'est la grâce qui donne le vouloir et le faire et il fait prier avant chaque oraison pour obtenir la grâce de faire ce qu'on veut faire.

Mais notre volonté n'est jamais seule. Elle va au devant des lumiè­res, au commencement de l'oraison, par l'exercice de ses facultés, et dès qu'elle a trouvé les lumières et les impressions de la grâce, elle s'y livre, elle s'en nourrit, elle s'applique à en vivre toute la journée. 47

C'est ce que remarque le P. Peeters: d'un bout à l'autre des Exercices, reviennent les avertissements tels que ceux-ci: «Si l'on trou­ve de la dévotion, il faut s'y arrêter sans souci d'épuiser le sujet de l'o­raison… Ce n'est pas la science qui rassasie l'âme, mais le goût intime… Il faut chercher par sa propre expérience l'attitude qui favorise le mieux la dévotion, la garder tant qu'elle est utile, ne point passer à une considération suivante si l'on trouve une source abondante de saintes affections… Si une parole du Pater, par exemple, provoque des goûts spirituels, des comparaisons, il faut s'y arrêter; insister dans les répétitions sur les endroits où l'on aura eu de plus abondantes consola­tions ou des désolations salutaires…».

St Ignace fait faire, chaque soir des Exercices, une application des sens, pour que l'âme en s'unissant au mystère en goûte le charme pénétrant. 48 L'exercitant regardera, écoutera, touchera respectueu­sement la crèche, les instruments de la passion… Il se laissera embau­mer par le parfum des vertus, par la suavité des émanations célestes…

En somme, à part quelques labourieux efforts au début de la carriè­re, à ce stade de purification qui est le point de départ de toute vie spi­rituelle sérieuse, durant les trois-quarts de la retraite, les contemplations se feront toujours de la manière simple et pénétrante qui est décrite au commencement de la seconde semaine: «Je me considérerai com­me un petit pauvre, un modeste serviteur, contemplant les personnes, les écoutant, leur offrant mes bons services…». C'est presque littérale­ment la méthode toute franciscaine des Méditations sur la vie de J.-C. attribuées à St Bonaventure.

L'oraison préparatoire de St Ignace avant chaque exercice porte l'â­me 49 à s'offrir à l'action divine avec toutes ses intentions et ses opéra­tions.

St Louis de Gonzague, modèle des jeunes religieux et des disciples de St Ignace, est bien loin de vivre de sa volonté et de négliger les motions de la grâce, lui qui notait chaque jour pour s'en nourrir les lumières et les impulsions qu'il avait reçues: Notabo lumina et proposita.

Il faut regretter que la vraie direction de St Ignace ne soit pas toujours donnée clairement par les prédicateurs de retraites et les directeurs. C'est un abîme de grâces qu'on laisse ainsi se perdre au grand détriment des âmes. Pour moi personnellement les meilleures périodes de ma vie intérieure sont celles où j'ai été le plus fidèle à cet­te direction que m'avait bien enseignée le P. Freyd.

Il y a deux sources de sainteté: la volonté de Dieu connue par le devoir quotidien et les motions de la grâce reçues dans l'oraison du matin et l'oraison habituelle. 50

Je reçois des notes sur Claire Ferchaud, elle a des vues d'oraison très édifiantes et impressionnantes, notamment sur la sainte messe où le Sang de N.-S. est répandu sur nous d'une manière mystique. Il sem­ble bien qu'elle est une des victimes choisies par N.-S. pour préparer l'heure du pardon et de la miséricorde…

Gertrude-Marie nous a dit que N.-S. se préparait une douzaine de ces victimes…

Combien de pieuses religieuses partout qui prient de tout leur cœur! Rome en est inondée!

Il y a ici, dit-on, environ 260 couvents de femmes, et dans ce nom­bre au moins 40 maisons françaises.

A propos de la spiritualité, certains auteurs, jésuites et autres, ont bien enseigné la voie d'union avec Dieu par la docilité aux grâces de lumière et aux goûts spirituels. Tels: Grou, Maximes spirituelles, etc.; 51 Lallemant, Doctrine spirituelle; - le P. Nouet; - le P. St Jure.

De Caussade: l'abandon à la Providence.

Piny: de l'abandon.

Massoulié: de l'oraison.

Libermann: écrits spirituels.

Le P. Watrigant, au contraire, parait se défier de cette voie spirituel­le et goûte davantage la partie active et combattive de la dévotion igna­tienne.

Le 25 avril, audience d'adieu. Une bonne demi-heure de causerie amicale, confiante. La Belgique, la France, la Congrégation sont nos sujets d'entretien. Le St-Père a fait tout ce qu'il a pu pour atténuer les maux de la guerre. Outre les grandes causes de paix, d'échange de pri­sonniers, de respect des villes ouvertes, outre ses plaintes au sujet des agissements de guerre en Belgique et ailleurs, il est intervenu pour demander des grâces, des commutations de peine de mort, des dimi­nutions 52 de temps de prison, des rapatriements à l'infini. Ses corres­pondances à ce sujet s'élèvent déjà au chiffre fabuleux de 60.000, et il a souvent obtenu gain de cause. Il vient encore de décider les occu­pants à ne pas insister pour décrocher toutes les cloches des églises de Belgique.

Quel beau volume on fera après la guerre sur l'action bienfaisante du Pape pendant cette période douloureuse. En attendant, le sectaris­me maçonnique continue à dénigrer et à condamner le Pape et beau­coup de braves gens suivent comme les moutons de Panurge.

Le Pape s'est intéressé à notre Congrégation, à sa situation en Belgique, en Hollande, aux missions. Il nous engage à propager la consécration des familles au S.-Cœur, c'est notre vocation.

Je lui ai insinué qu'il pourrait faire mettre un autel 53 du S.-Cœur22) à Saint-Pierre, ce serait le signe de la consécration du Vatican au S.­Cœur. Il a bien goûté ce projet. Il m'a demandé si tous les autels n'a­vaient pas déjà leurs mosaïques, je lui ai parlé de l'autel dédié à St Pierre devant Néron, au pilier des grandes reliques. Il n'y a là qu'un médiocre tableau de toile, on pourrait y mettre une mosaïque repré­sentant l'apparition du S.-Cœur à Marguerite Marie. Il va en parler à Mgr Di Bisogno, qui est chargé de l'économat de St-Pierre et de l'ate­lier des mosaïques. J'ai la confiance que quelque chose se fera…

Le Pape m'a parlé de Claire Ferchaud, il a des renseignements con­tradictoires. Ses grâces paraissent sérieuses, mais il est à craindre que ses directeurs ne la troublent en paraissant lui donner trop 54 d'im­portance et en publiant trop tôt ses vues d'oraison…

Il a causé aussi de l'Autriche, du prince Sixte et de l'imbroglio récent. L'empereur Charles avait bien le désir d'avoir la paix, mais aurait-il été suivi par son collègue de Berlin? Le prince Sixte a une bonne presse en France. La France reverra-t-elle la monarchie? Il fau­drait une intervention divine extraordinaire…

Puis le Pape a de nouveau béni toutes les personnes et les inten­tions que je lui recommandais…

J'ai lu une étude sur la scolastique par le P. Richard, dominicain.

Le St-Siège demande que l'on reprenne St Thomas d'Aquin pour guide des études de philosophie et de théologie dans nos séminaires. Ce n'est pas qu'il faille le suivre pas à pas et article par article. Le St­-Siège demande qu'on explique la méthode de la 55 Somme et ses principaux articles. Beaucoup d'articles étaient exercices scolaires qui n'ont plus d'actualité. D'ailleurs la scolastique n'exclut pas la théolo­gie positive, elle la suppose et en donne, autant que c'est possible, l'ex­plication rationnelle.

J'aime la méthode du card. Franzelin. Il donnait un bel et large exposé de la thèse positive, d'après l'Ecriture et la tradition; puis il arrivait à la raison théologique selon la méthode scolastique.

La scolastique est une excellente discipline intellectuelle. C'est la gymnastique de l'esprit. Elle forme nos esprits à la logique. Elle a son processus nécessaire: exposition et définition, division, preuves, répon­se aux objections.

C'est un exercice purement intellectuel, elle ne vise ni les affec­tions, ni les volontés. Elle y prépare cependant les âmes, car la vérité connue 56 est la base des affections et des résolutions légitimes.

La scolastique est nécessaire, mais elle ne doit pas être exclusive. Les étudiants doivent être exercés à écrire en langue vulgaire sur quel­ques thèses principales. C'est une préparation indispensable pour répondre aux erreurs contemporaines.

La scolastique ne suffit pas pour préparer au ministère. Il faut enco­re dans un séminaire des cours de pastorale et des cours de prédica­tion. Alia intelligendi, alia dicendi est disciplina (Cicéron: de Oratore).

Lire Monsabré: Avant, pendant et après la prédication; - Bouchage: L'orateur sacré.

La prédication fait souvent appel au sentiment, à la volonté. La phi­losophie scolastique aide l'orateur à donner à son discours une char­pente logique.

La théologie morale et la théologie 57 ascétique doivent compléter la théologie scolastique.

St Thomas, sans avoir pour but l'ascétisme, fournit dans la Somme des pensées qui prêtent à la méditation. Lire: Medulla s. Thomae, par Mézard23).

Comme exemples de vulgarisation et d'exposé en français de thèses scolastiques on peut lire: Sertillanges: St Thomas; M. Gardoir, Mgr Farges, Mgr Mercier.

Pour la méditation et la vie intérieure, une connaissance globale et sommaire de Dieu et des mystères sert plus qu'une étude analytique qui donne trop de part à l'intelligence, aux dépens des affections et de la volonté.

Les orateurs qui veulent émouvoir aiment les lieux communs, les idées qui passionnent: la patrie, l'honneur, le sacrifice… avec des exemples.

St Thomas s'appuie sur le bon sens, sur le sens commun, c'est sa force. Les philosophies modernes renversent le bon sens. 58

Sa théorie de la connaissance est une de ses thèses fondamentales. Il voit en nous l'intellect agent, ou la faculté de penser et de compren­dre, qui agit sur les images fournies par les sens et en tire par l'abstrac­tion les idées intellectuelles.

«L'objet connu doit être en quelque manière dans le connaissant. Il doit y être par lui-même ou par quelque chose qui le représente. La présence réelle étant écartée, il reste la présence par similitude. Voici en deux mots ce qu'il faut entendre par là: l'intelligible étant mis en lumière par l'intellect agent, l'esprit reçoit l'empreinte de l'objet. Cette empreinte ne peut être que la copie immatérielle, la reproduc­tion intime de l'objet lui-même, en vertu de ce principe: Omne agens agit simile sibi. Mais l'esprit n'est pas un simple récipient: il s'assimile et conçoit activement l'objet qui l'a mis en branle. Cette conception qui s'enfante en lui ressemble à l'objet, elle en est 59 la représentation. La question du passage de la pensée interne à l'objet externe est alors facile à résoudre. Il n'est pas nécessaire d'en chercher la solution, avec Descartes, dans le critère suprême de la véracité divine, ou dans la révélation avec Malebranche, ou encore dans l'harmonie préétablie avec Leibnitz. Cette solution se trouve dans la nature même et la fonc­tion de l'idée, dans la relation qui existe entre elle et l'objet…».

Lue aussi une étude sur Bergson de Mgr Farges. Bergson est aux antipodes de St Thomas, il nie l'autorité de la raison et du sens com­mun. Il a dépassé les sophismes d'Héraclite.

Il admet l'intuition, non pas l'intuition classique qui est la claire vue de la vérité, mais une intuition nuageuse qui rappelle le spiritisme.

Il voit dans la nature un perpetuel divenir, une évolution créatrice. «Dieu se fait», c'est une forme 60 de panthéisme. C'est une créa­tion sans Créateur, un mouvement sans moteur premier.

Tout est déraisonnable chez lui et cela ne le trouble pas, puisqu'il renie la raison.

D'où vient son succès? du plaisir de démolir, d'un certain chatoie­ment du style, de l'attrait de la nouveauté.

Il passera vite. On ne s'insurge pas longtemps contre le bon sens. Avec les livres de Mgr Farges, lire: Maurice Pujo: La fin du Bergsonisme; - Maritain: La philosophie bergsonienne; - Dumesnil: La so­phistique contemporaine…

Journées d'été. - Bonne visite au card. Gusmini24), beau modèle d'ac­tion sociale. Ses lettres pastorales: la 1ère: Mission de l'évêque de nos jours.

Carême 1915: La famille chrétienne et sa fonction sociale.

Carême 1917: Croisade contre le blasphème et les mauvaises lectu­res. 61

Carême 1918: Allons aux hommes.

En 1916, après une réunion des évêques de la région, lettre épisco­pale de la région flaminienne sur «Les catholiques militants et la pré­paration des catholiques à l'heure présente».

La pastorale de 1918 est un programme complet d'apostolat social. L'Union populaire italienne l'a fait sien, on en a déjà tiré 3000 exem­plaires.

Je voudrais voir ces opuscules traduits et publiés en France. Avec quelques nuances, nous trouverions là un beau programme d'action. Pour l'an prochain, le cardinal pense à nous donner une pastorale sur la paroisse à l'heure présente.

Le Pape a bien choisi son successeur à l'évêché de Bologne.

Je reçois la visite de Mme de Feugères, femme du consul. Ils étaient à Sofia avec mon neveu… Elle me présente le prince 62 Louis de Bourbon, neveu du prince de Caserte. Il est simple sous-lieutenant à l'armée italienne et il est employé ici au bureau de la censure… Sic transit gloria mundi.

Le bon cardinal Gusmini a aussi écrit la vie d'une jeune sainte, la Mère Clelia Barbieri25), fondatrice des Soeurs Minimes de l'Addolorata. La pieuse Soeur est morte à la veille de la guerre, le 13 juillet 1870. Ce qui la caractérise, c'est qu'elle vient souvent chanter et prier avec ses Soeurs. On entend sa voix, il y a de nombreux témoins. Comme la Soeur Thérèse, elle continue son apostolat après sa mort…

Bologne: J'aime cette grande ville, noble comme une matrone. Elle est bien posée, près d'un torrent aux eaux claires avec un cirque de montagnes verdoyantes et fleuries, semées de villas et de sanctuaires. Bologne a une physionomie 63 unique, avec ses interminables galeries où les promeneurs s'abritent contre la pluie et le soleil. Elle a ses nom­breuses tours féodales et ses clochers qui valent bien les cheminées à vapeur des villes modernes.

Elle a eu ses grands siècles, ses périodes artistiques. Le groupe des sept églises de St Etienne comprend la vieille cathédrale et le baptistè­re byzantin. Le XIIIe siècle a laissé ici plus d'édifices gothiques qu'en aucune ville d'Italie. Il y a St Pétrone, St François, St Dominique, St Jacques.

Ste Marie des Servites est de la première renaissance. Mais le 17e siècle a laissé encore une empreinte plus large et plus imposante. Il en reste de nombreux palais avec une architecture noble et harmonieuse. Les habitants de Bologne doivent reconnaître que les Papes l'avaient faite grande et belle. Son université rivalisait avec celle de Paris. Ses humanistes 64 et ses juristes ont trop cédé à l'influence païenne de la Renaissance.

La ville est prospère, la vie y est facile et plutôt sensuelle. Les étu­diants sont de leur temps, ils aiment le plaisir et l'émancipation.

Nous avons les fêtes de la Madonne de St Luc. On l'a descendue de sa colline, elle est exposée à la cathédrale, qui ne désemplit pas de visi­teurs et de pèlerins.

Il reste un fond de personnes pieuses, mais les hommes sont pris par la crainte des charges de famille et par le respect humain.

Notre chapelle est un des sanctuaires où s'entretient la piété.

Je relis et médite une feuille pieuse éditée à Namur sous le titre: Message du S.-Cœur26), et qui paraît bien être une communication surna­turelle.

Quelle affection, quelle tendresse N.-S. y témoigne à ses prêtres! Il veut vivre en eux, au fond de leur âme, 65 s'entretenir avec eux, les diriger affectueusement. C'est cette familiarité étonnante que signale l'Imitation: familiaritas magna nimis!

N.-S. veut accentuer cette union avec nous pendant le règne du S.­Cœur. Que faut-il pour cela? Une âme pure, l'habitude du recueille­ment, des pensées de foi et la correspondance calme et fidèle aux impressions, aux lumières qui nous viennent quotidiennement dans la prière, la méditation et les lectures pieuses.

Je sens bien que ce «Message», N.-S. me l'adresse à moi-même d'u­ne manière pressante, mais je suis toujours si faible et si inconstant… Il y a cinquante ans, en 1868, c'était la belle année de ma vie, la pré­paration au sacerdoce et les grands jours de l'ordination. Cette année­-ci est la préparation à mon jubilé sacerdotal, cette pensée doit m'aider tous les jours à renouveler les efforts et les grâces de 1868. Je sens que N.-S. m'y convie. 66

Les journaux nous annoncent que le St-Père fait préparer un autel du S.-Cœur à St-Pierre. Ma supplique a été accueillie. Deo gratias!

Le retard du visa de mon passeport me donne des loisirs; je relis le volume du P. Billot sur les Vertus infuses.

J'en note les thèses principales, les pensées directives. Les habitudes sont des dispositions bonnes ou mauvaises par rapport à la nature de chacun et à sa fin. Les bonnes habitudes qui donnent la facilité et l'in­clination pour bien agir sont les vertus. Les vertus de l'ordre naturel s'acquièrent et s'accroissent par la fréquentation des actes. (Elles ont cependant un fondement dans la nature, mais un fondement affaibli par la déchéance du péché).

Les habitudes et vertus surnaturelles ont une source spéciale, la grâ­ce, l'élévation de notre âme au-dessus de sa nature, la participation à la nature divine (aux dispositions et tendances divines). (cf. 2 Pet. 1,4). 67

Ce sont des inclinations nouvelles de nos puissances, qui compren­nent l'attachement à la vertu et l'inclination à son exercice. Il est clair que ces vertus surnaturelles sont un don de Dieu. Nous ne pouvons pas les acquérir par nous-mêmes, mais nous pouvons nous y disposer en écartant les obstacles, et mériter leur accroissement en les prati­quant. La fréquence des péchés véniels, qui constitue la tiédeur, prépa­re les âmes à la perte de la grâce et des vertus surnaturelles.

Deux textes de la Ste Ecriture décrivent particulièrement l'origine divine des vertus surnaturelles:

2 Pet. 1,3 seq.: Omnia nobis divinae virtutis suae, quae ad vitam et pietatem faciunt, maxima et pretiosa nobis promissa donavit, ut per haec efficiamini divinae consortes naturae…

Et St Paul, 1 Cor. 13,13: Nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec; major autem horum est caritas. 68

Outre les vertus théologales, il y a les vertus morales infuses. Elles se rapportent aux vertus morales naturelles, mais elles ont un mobile plus élevé, la grâce, et une fin supérieure, la sainteté et la vie éternelle.

Elles sont indiquées au livre de la Sagesse 8,7: Sobrietatem (id est temperantiam), et prudentiam docet, et justitiam et virtutem (id est fortitudinem). La principale de ces vertus est la prudence qui considère les raisons d'agir. La justice règle nos actes ou opérations. Les deux autres sont relatives à nos passions. La tempérance réprime ou contient leurs excès, la force stimule leur nonchalance..

«Le Christ, dit St Augustin, est un chef dans notre âme; dès qu'il y habite, il se sert de ces vertus morales comme de ses ministres» (Tract. 8 sur l'ép. de St Jean) .

Outre les vertus infuses, il y a les dons, qui sont comme des instincts, des suggestions, des inspirations de 69 l'Esprit Saint, pour faciliter la pratique des vertus. Quatre se rapportent à l'intelligence et trois à la volonté. L'intelligence nous aide à pénétrer les vérités de la foi. La sagesse nous y fait trouver du goût et de la complaisance. La science se rapporte aux créatures pour nous aider à nous élever d'elles jusqu'à Dieu. Le conseil nous aide à juger ce qu'il faut faire ou éviter. Le don de piété répond à la vertu de justice, il nous porte à rendre nos devoirs à Dieu et à aimer les hommes en Dieu. La force agit contre la crainte des périls et le respect humain. La crainte nous met en garde contre l'attrait des créatures.

Les dons ont des degrés supérieurs qui se manifestent dans la vie contemplative. Ces dons sont la quiétude, l'union simple, l'union exta­tique, l'union consommée. Ils ne sont pas une partie essentielle 70 de la sainteté, mais ils lui sont ordinairement unis. Ils sont une effloraison des dons d'intelligence, de science et de sagesse. (Cf. Meynard, Traité de la vie intérieure, t. 2).

L'âme qui reçoit ces dons n'est pas purement passive; contempler c'est agir, mais les actes de la contemplation sont délicats, tranquilles et doux, au point que l'âme y parait plus passive qu'active…

Les béatitudes sont des actes de vertus aidés par les dons et par lesquels l'homme se rapproche de la béatitude éternelle et en reçoit un avant-goût.

La philosophie ancienne a connu trois formes de vie: la vie volup­tueuse (les Epicuriens), la vie active (les Stoïciens), la vie contemplati­ve (les Platoniciens et Péripatéticiens).

La volupté est une fausse béatitude à laquelle Dieu oppose les actes de la vie purgative, à savoir: l'esprit de pauvreté, opposé à la concupiscen­ce des yeux; 71 la douceur et l'humilité, opposées à l'orgueil de la vie; les larmes de la pénitence, opposées à la concupiscence de la chair.

La vie active consiste dans les œuvres de justice et de miséricorde envers le prochain. La vie contemplative est le fruit des deux précé­dentes. Elle suppose la pureté de cœur et la paix sociale qui donnent un avant-goût de la béatitude céleste.

Les vertus et les dons nous aident ainsi à gravir les degrés de la per­fection.

Les fruits du St-Esprit sont des œuvres vertueuses dans lesquelles l'homme se complait. Les béatitudes sont aussi des fruits, mais elles naissent plutôt des dons. Les fruits naissent des vertus.

La perfection qu'on peut atteindre en cette vie n'est que relative. Elle doit nous rapprocher de la vie des esprits célestes qui sont toujours occupés à contempler et à aimer Dieu. Les conseils de perfection nous sont donnés pour écarter les obstacles et pour faciliter l'union à Dieu. 72

Ces notes peuvent servir de sujets de méditations. Elles montrent bien ce que nous pouvons attendre de Dieu et ce que nous devons accomplir généreusement pour avancer dans la vertu et dans l'union avec Dieu.

Il est bien clair que les vertus infuses ne nous dispensent pas du tra­vail personnel et de ce que St Ignace et Scupoli appellent le combat spirituel. Le travail personnel prépare nos âmes à la réception des ver­tus infuses en écartant les obstacles et en luttant contre les concupis­cences. C'est encore le travail personnel qui nous mérite l'accroisse­ment des vertus infuses par la pratique assidue de ces vertus dans le degré où nous les possédons. St Ignace a bien dit: «Tout attendre de Dieu, mais tout faire comme si tout dépendait de nous-mêmes». Que de batailles une âme perd par la mollesse de son action personnelle! Vos in me et ego in vobis: il faut une coopération constante de notre âme avec la grâce. 73

Le visa du passeport a été difficile à décrocher. Le Père Ottavio27) a dû faire des voyages fatigants à Florence et à Padoue.

Enfin j'ai pu me mettre en route avec lui le 4. Nous couchions à Plaisance, hôtel Croce bianca.

Messe le 5 à la cathédrale. Encore une de ces grandes églises ogiva­les assez nombreuses en Italie. Elles sont ordinairement en briques, sauf à Milan. Elles n'ont pas la richesse des nôtres en sculptures et en vitraux, mais elles ont une grande allure et une noble harmonie de dessin.

D'un trait je vais de Plaisance à Chambéry, où je loge à l'hôtel de France qui est fort convenable.

Le 6 je pars de bonne heure pour Lyon par le Dauphiné: gracieux paysage du lac d'Aiguebelette, impression pénible en passant près du massif de la Chartreuse, d'où la France a chassé ce qu'elle avait de meilleur. 74 J'arrive à Lyon à 11 heures et j'ai la consolation de dire la messe à Fourvières. Je passe quelques heures avec le P. Duborgel. J'arrive le soir à Paray, juste pour la fête du S.-Cœur. J'en remercie la Providence.

J'ai une bonne pension de famille chez les Soeurs des Saints Anges, je dirai la messe deux fois par semaine à la Visitation.

Belle fête du S.-Cœur. Mgr Berthoin préside. Le P. Villedieu nous fait un sermon patriotique. J'ai l'honneur de dîner avec Mgr Berthoin. L'après-midi procession du St-Sacrement, nombreuse et recueillie. Bien des familles sont venues de la campagne en voiture. Il y a vrai­ment un mouvement de foi et de prière à Paray. 75

Le dimanche 9, seconde procession de la fête-Dieu. La ville fait son devoir, les maisons sont gracieusement ornées de draps piquetés de fleurs. On s'arrête à trois reposoirs et à la Visitation.

Le 13 service funèbre pour l'excellent baron Alexis de Sarachaga.

J'ai lu la vie de la fondatrice et de la 3e supérieure des Soeurs de Marie Auxiliatrice28). Ces Soeurs ont aussi l'adoration réparatrice, elles sont dans le courant des grâces du S.-Cœur. Par quelles épreuves a passé cette fondation: divisions intestines, difficultés d'argent!

La fondatrice, dominée puis exclue par une intrigante, a dû aller mourir dans une autre communauté, chez les Dames de Charité.

J'ai vu aussi des intrigues qui ont failli prévaloir un jour en se 76 basant sur les calomnies d'une petite canaille. J'ai d'ailleurs toujours pensé que j'étais bon à mettre au rebut et que j'étais indigne d'être supérieur. Plusieurs fois au Chapitre j'ai donné ma démission, mais on m'a renommé. Je redoute beaucoup, beaucoup, le compte que j'aurai à rendre de ma charge, cependant je dois me confier à la miséricorde divine.

J'ai ici une grande correspondance, j'ai trouvé à Paray une cinquan­taine de lettres qui m'attendaient.

J'organise les études pour quelques scolastiques29) dispersés, j'aurai deux philosophes à Moulins, un théologien à Tours…

Je suis allé passer deux jours à Moulins chez Mgr Penon30). Il est de nos amis, il a été le disciple et le dirigé du P. André Prévot. Il s'inspire encore de ses lettres, il en a des extraits dans son bréviaire. 77 M. le Supérieur du séminaire de Moulins est dans le même esprit, il se nour­rit des écrits du P. André.

Mgr est très intéressant. Il a été le professeur de Maurras31) à Aix, il est encore en relations avec lui. Il a de nombreuses lettres de Maurras, qui était pieux jusqu'à l'âge de 18 ans. La philosophie subjectiviste et kantienne l'a perdu pendant ses études à Paris. Il ne parvient pas à rat­traper la philosophie du bon sens. On espère que son positivisme le ramènera à la religion. Daudet est pratiquant.

Moulins a été très abîmé par une explosion de munitions. Les pau­vres vitraux de la cathédrale et de l'église du S.-Cœur sont en lam­beaux.

La cathédrale a deux parties d'âge différent qui forment une gran­de nef ogivale. L'autel tourné vers le peuple avec un baldaquin 78 est l'œuvre de Mgr de Dreux-Brézé.

La ville a du cachet: de vieilles maisons, un campanile genre italien, le beau couvent de la Visitation devenu lycée.

Il y a deux chefs-d'œuvre: le Mausolée du duc de Montmorency qui rappelle nos merveilleux tombeaux de St-Denis, de Nantes, de Dijon, de Bourg, d'Avignon. Et le tryptique du Maître de Moulins32), peinture du XVe siècle qui égale ce que la Flandre et l'Italie ont de plus fin et de plus pieux.

Le 29 juin, le monde entier prie en union avec le Pape.

Je prêche le 2 à la Visitation. C'est émouvant de prêcher là où N.-S. s'est manifesté et a préparé les voies au règne du S.-Cœur. J'esquisse ici mon sermon.

Exsurgens Maria abiit in montem cum festinatione in civitatem Juda 79 et intravit in domum Zachariae et salutavit Elisabeth (St Luc, chap. 1,39-40). Marie se leva, elle partit pour les montagnes de Juda, elle entra chez Zacharie et salua Elisabeth.

Comme prélude, je décrirai le mystère, puis je proposerai trois con­sidérations: 1° le sens symbolique et mystique de la visite de Marie; 2° les vertus à imiter dans ce mystère; 3° les espérances que nous donnent les nouvelles visites de Marie.

Prélude: quel beau mystère! Il dure trois mois, nous en fêtons la clôture au 2 juillet.

Marie a reçu au 25 mars la visite de l'ange Gabriel, elle ne fait qu'un avec Jésus, ils ont un seul cœur. Marie porte Jésus et Jésus conduit Marie. Ils partent saluer Dieu au Temple et le Précurseur au pays de Juda. Jésus à peine conçu veut rayonner et esquisser le salut du mon­de. 80

Marie ne va pas seule en Judée. A quinze ans! Elle a son trousseau pour trois mois, le voyage dure trois jours et l'on couche dans les hôtelleries. St Joseph est trop délicat pour la laisser partir seule. D'ailleurs, c'est la pâque, Joseph et Marie iront tous les ans à Jérusalem à cette occasion, sauf pendant les pénibles années du séjour en Egypte. Ils partent, le petit âne traditionnel porte Marie. Ils vont au Temple, c'est la première visite de Jésus et de Marie, elle est pour Dieu. Marie offre un petit agneau blanc, avec quelle émotion! C'est la figure de l'Agneau divin qu'elle porte dans son sein et qui sera aussi immolé à son heure. Quelle belle journée de prière! Ensuite Marie dit à Joseph: «Laissez-moi chez ma parente Elisabeth qui a besoin de mes soins; pour vous, retournez à vos affaires 81 à Nazareth et vous revien­drez me chercher dans trois mois».

Ils allèrent jusqu'à la bourgade de Juda où vivait Zacharie, à quel­ques kilomètres de Jérusalem.

«Marie entra chez Zacharie et salua Elisabeth», dit St Luc. Re­marquez ce langage. Marie ne salue pas Zacharie, il est muet, il est puni de Dieu, il est comme excommunié, il a manqué de foi à la révé­lation de l'ange au Temple. Marie salue Elisabeth, Jean-Baptiste tres­saille dans le sein de sa mère. Elisabeth prophétise et prononce ces paroles que l'Eglise répètera jusqu'à la fin des siècles: «Vous êtes bénie entre les femmes et le fruit de votre sein est béni».

Marie prophétise à son tour. Elle chante le cantique sublime du Magnificat qui fera toujours la joie de l'Eglise. C'est une journée mer­veilleuse de grâces, 82 un grand jour dans l'histoire de l'Eglise, puis le mystère va se continuer dans le calme pendant trois mois. Marie est là devant ce muet, elle voudrait le guérir, elle pleure sans doute chaque jour et prie, elle qui obtiendra si vite le miracle de Cana! Mais l'eau ne résiste pas et l'homme résiste. Zacharie est retenu par le scepticisme, par le respect humain, par la crainte des railleries des pharisiens. Il n'ose pas reconnaître la vision qu'il a eue dans le Temple. Cependant Elisabeth s'avance vers la maternité. Elle devient mère au 24 juin, et Zacharie est toujours muet.

Ce n'est qu'au jour de la circoncision de Jean-B.te, au 2 juillet, qu'il se rend. Il fallait du sang pour le toucher. On va donner à l'enfant le nom de Zacharie, ce sera aller formellement contre la vision qui lui a dit que l'enfant 83 s'appellerait Jean. Le moment est solennel. Toute la famille est là, St Joseph est venu. Ste Anne et St Joachim sont là pour la fête de famille. Tout le monde prie pour la circoncision. Zacharie est vaincu. Il demande le roseau et il écrit: «Jean est son nom».

Cet acte de foi et d'humilité le guérit, il parle, il reçoit un don subli­me de prophétie et il chante le beau cantique du Benedictus. C'est un grand jour qui clôt la Visitation, comme le jour du Magnificat l'a com­mencée.

I. Le sens symbolique de ce mystère. - «Tout était figure dans l'Ancien Testament», dit St Paul, et l'Ancien Testament va jusqu'à la Pentecôte, jusqu'à la fondation de l'Eglise. Voyez à Bethléem, il y a quelques bergers et trois princes arabes, mais toute la tradition chré­tienne nous 84 enseigne que les bergers représentaient le peuple juif et les rois représentaient les païens; de plus les bergers représentaient le petit peuple, les pauvres et les humbles; les rois représentaient les riches et les puissants.

A Cana, le changement de l'eau en vin figurait le mystère eucharis­tique, il en est de même de la multiplication des pains. La guérison du paralytique et la résurrection de Lazare symbolisaient la rémission des péchés. Au Calvaire, Jésus confie Jean à sa Mère et la tradition catholi­que voit là une promulgation de la maternité de Marie vis-à-vis des prê­tres et des fidèles.

Quel est le symbolisme du mystère de la Visitation? On ne le remar­que pas assez.

Jésus à peine conçu veut esquisser le salut du monde. Son action est unie à celle de Marie. Il sanctifie Jean-B.te qui représente le clergé, 85 Jean-Baptiste est lévite et prophète. Il sanctifie Elisabeth, qui représen­te l'Eglise et les femmes chrétiennes. Il se heurte au mutisme de Zacharie. Zacharie, c'est le chef de famille, c'est l'homme influent, l'homme d'Etat, il est de la première catégorie des prêtres qui entrent à leur tour dans le Saint des Saints..

Marie et Jésus sont là cependant. Marie pleure et prie, et comme elle ne fait qu'un avec Jésus, on peut dire que Jésus pleure et prie. Et Zacharie résiste. Ils sont durs à convertir ces hommes d'Etat muets. Ainsi les nôtres ne veulent pas dire le nom de Dieu, ils ne veulent pas prier, et l'épreuve dure toujours.

Cependant Zacharie y arrive, mais il faut du sang et une prière intense. Ainsi nos grands muets y arriveront. Marie s'y emploie et elle ne sera pas vaincue. 86

II. Comment nous devons imiter la visite de Marie. - C'est votre grâ­ce, mes Soeurs. St François de Sales vous a fait Soeurs de la Visitation. Il avait en vue principalement la visite au prochain par des soins dévoués.

Mais le Maître divin a changé cela. Il est jaloux, il a voulu avoir le meilleur de vos visites, visites d'adoration, d'amour, de réparation.

Il vous a laissé quelques petites œuvres, l'éducation de quelques jeunes filles et puis la visite de toutes les infirmités par la prière.

Vous visitez surtout Jésus et Marie. Vous les louez, les consolez, les aimez.

Vos douces psalmodies sont pour N.-S. le chant de la colombe. Vous visitez Jésus dans tous ses mystères, mais spécialement dans ceux de la passion et de l'eucharistie.

Les pieux fidèles de Paray participent à votre grâce, 87 ils ont part à l'esprit de la Visitation.

Et puis vous visitez le prochain dans tous ses besoins et toutes ses souffrances, mais ces visites se font dans la prière.

M. l'aumônier vous présente chaque jour, à la lecture des recom­mandations, comme l'hôpital général des souffrances de l'humanité. Il y a les grandes intentions, qu'on ne répète pas tous les jours, mais qui sont les premières dans nos cœurs.

Le Pape avec ses tristesses. Pie X portait sur le visage comme un masque de tristesse à cause des épreuves de l'Eglise. Benoît XV s'effor­ce de sourire, mais il a le cœur brisé.

L'Eglise avec ses grandes douleurs: des milliers de prêtres au front, des paroisses sans pasteurs, les missions désorganisées, les chrétientés d'orient détruites par les massacres auxquels se livrent les Turcs: religio depopulata. Notre bon évêque du Congo m'écrit que sa mission agonise parce qu'il n'a pas assez de missionnaires… 88

La France! Elle est toujours officiellement sceptique. Toutes les lois de persécution subsistent. Nos communautés exilées meurent de faim à l'étranger…

La France, c'est une grande mutilée, ses provinces du nord sont envahies et ravagées. De splendides cathédrales sont en ruines, des vil­les incendiées, des paroisses détruites, des populations entières éva­cuées, exilées et ruinées. Il a fallu tout laisser là-bas. Il faudrait un Jérémie pour décrire cet exode.

La France! Elle est au front pour sacrifier tous les jours des milliers de ses enfants. Elle est un immense hôpital. Toutes nos villes sont rem­plies de blessés. J'ai vu un défilé sinistre de quatre-vingts amputés.

Que de veuves! que de cœurs déchirés et tentés de désespoir! que d'enfants qui cherchent en vain un père pour 89 les diriger dans la vie!

Vous avez aussi le purgatoire à visiter, mes Soeurs, il déborde, cha­que jour tant de milliers d'âmes y descendent! Délivrez-en quelques­-unes…

Soyez de bonnes visiteuses…

III. Espérances que nous donnent les nouvelles visites de Marie. La visite de Marie à Elisabeth était un mystère de grâce. Zacharie l'a chantée: «Béni soit le Dieu d'Israël parce qu'il a visité son peuple pour le sauver!» (cf. Luc 1,68).

Mais il y a aujourd'hui un nouveau mystère de grâce et comme une seconde rédemption, c'est le règne du S.-Cœur qui se prépare. Marguerite Marie en a été le précurseur. Nouveau St Jean, elle a été visitée par Jésus et par Marie. Elle a reçu l'annonce du règne du S.­Cœur, mais N.-S. lui a prédit qu'il faudrait du temps et qu'il y aurait de longs obstacles. 90

Il y a des muets qui devraient parler et qui ne le veulent pas.

La France doit être l'instrument du règne du S.-Cœur. Elle a des conditions à remplir, comme Zacharie avait à confesser sa foi dans la venue du Messie et du Précurseur.

La visite de Marie a fini par gagner Jean-Baptiste.

Marie recommence ses visites pour gagner la France. Depuis un siè­cle elle est toujours chez nous. Les pieux fidèles de Lorette disent aux pèlerins: «Nous, nous avons la maison de la Ste Vierge, mais vous, en France, vous avez la Sainte Vierge elle-même».

En 1830, Marie visite la Soeur Labouré, elle annonce des châti­ments mais elle donne un talisman, la médaille miraculeuse où il y a déjà le signe du S.-Cœur. La France a répondu, elle s'est couverte de médailles. L'armée d'Orient la 91 portait et la Ste Vierge lui a donné la victoire à Sébastopol, au jour de sa fête de la Nativité.

La Ste Vierge annonçait de grands malheurs, mais elle ajoutait: «Ne craignez pas, je serai avec vous».

En 1846, c'est à La Salette. Marie pleure, elle ne peut plus retenir le bras de son fils, elle se plaint des blasphèmes et de la profanation du dimanche, elle annonce des fléaux.

La France a répondu. Aux blasphèmes elle a opposé la belle confré­rie de la Ste Face de Tours. Pour le dimanche, un apôtre laïc, M. de Cissy, a remué partout l'opinion et sa croisade a amené le parlement à voter la loi du repos hebdomadaire.

Les larmes de Marie à Lourdes ont suscité des communautés répa­ratrices, celles des Victimes de Marseille et de Villeneuve, celles de St­Quentin, l'Adoration réparatrice et d'autres œuvres… 92

En 1858, c'est à Lourdes. La Ste Vierge demande des pèlerinages de pénitence. Oh! Comme on y a bien répondu! Ce sont des centaines de mille pèlerins, chaque années, et à certaines années ils ont dépassé le million.

En 1871, c'est à Pontmain. La Ste Vierge promet une paix relative, une trêve, mais elle demande la conversion sociale. On lui a bien obéi. Nous avons eu un parlement introuvable, qui a remis partout le Christ dans la vie publique. Mais le démon a trouvé le moyen de tout gâter.

En 1875, voyant que nous commencions à baisser, la Ste Vierge nous apporte un signe de salut à Pellevoisin, c'est le scapulaire et l'i­mage du S.-Cœur. Nous avons répondu encore à sa demande. Le sca­pulaire se propage étonnamment, l'image du S.-Cœur est partout, les 93 insignes du S.-Cœur ont été distribués au nombre de quinze mil­lions pendant la guerre.

Marie est chez nous depuis un siècle, comme elle était pendant trois mois à la bourgade de Juda.

Non fecit taliter omni nationi. Elle n'a fait cela pour aucune autre nation. Elle a aussi ailleurs des pèlerinages, mais ses visites sont pour nous.

Le miracle ne va plus tarder, tout l'indique. Les muets parleront et nous chanterons le Benedictus.

Zacharie, prêtre et prophète, a glorifié Jean-Baptiste en lui disant: «Tu seras le prophète du Très-Haut». L'Eglise glorifie le nouveau pré­curseur, le prophète du règne du S.-Cœur, Marguerite Marie, en la canonisant.

Nous pouvons dire aussi à Marguerite Marie: «Toi aussi, tu es l'en­fant du Très-Haut et le prophète 94 de la nouvelle rédemption. Tu nous annonce la visite du Seigneur par les entrailles de sa miséricorde, par son Cœur divin, per viscera misericordiae».

L'attente est longue, comme elle était au pays de Juda, mais le sang coule et l'heure approche. Nos muets parleront. Prions pour cela. Unissons-nous aux instances du cardinal Luçon. Bientôt nous chante­rons le Benedictus.

O France! quel nom faut-il te donner? Faut-il t'appeler la nation qui ne prie pas, comme disent les Arabes, par dérision? Ton vrai nom n'est-il pas «le Royaume très chrétien, la Fille aînée de l'Eglise, le royaume de Marie, le royaume du S.-Cœur»?

Nos grands muets vont parler. Ils s'uniront à nos prières, et nous chanterons le Benedictus. Fiat! Amen. 95

Nous avons faim et soif de cette prière nationale. Elle sera le gage de la paix que nous désirons. Elle viendra. Le card. Luçon33) a bien avancé les choses par sa demande sage et prudente au gouvernement. Il reçoit des adhésions, il insistera. Il faut y arriver. Il y aurait une occa­sion le 4 août pour l'ouverture d'une nouvelle année de guerre. La France aurait une journée de prières comme l'Angleterre. Nos évê­ques inviteraient le gouvernement et les municipalités à y participer. Nos gouvernants ont bien pris part aux prières publiques des Polonais et des Américains.

J'ai écrit humblement aux cardinaux de Paris et de Rouen et à Mgr de Moulins, pour appeler leur attention sur cette occasion du 4 août. On prie bien ici à Paray pour cela. Espérons que nos muets parleront. 96

Le 16, messe au sanctuaire de N.-D. de Romay. Allocution sur la confiance.

«Confitemini Domino quoniam bonus, quoniam in saeculum mise­ricordia ejus» (Ps. 105 et 106). Reconnaissons que Dieu est bon et que sa miséricorde est sans limites.

Lorsqu'on m'eut demandé cette messe, je repris mon bréviaire et je lus les psaumes 105 et 106. C'était une indication de l'Esprit Saint pour l'exhortation que je devais faire. Ces deux psaumes sont des chants d'espérance.

Le Ps. 106 est un cantique d'espérance avec quatre strophes et ce refrain qui revient quatre fois: «Ils ont crié vers Dieu dans leurs tribula­tions et Dieu les a exaucés». Le psalmiste passe en vue les épreuves par lesquelles les fidèles peuvent passer.

La première est l'exil, la privation 97 du foyer. Nous le sentons bien, nous qui sommes éloignés de nos foyers où nous avons laissé tant de souvenirs et que nous retrouverons dévastés et ruinés.

Mais les exilés ont crié vers Dieu et il les a exaucés.

La seconde épreuve est celle de ceux qui ont faim et qui sont appauvris.

Nous souffrons aussi des restrictions pour les aliments. Nous som­mes appauvris par la ruine de nos maisons et par la crainte que nous éprouvons pour ce que nous avons laissé dans les dépôts des banques du nord.

Mais les affamés ont crié vers Dieu et Dieu les a exaucés.

La troisième épreuve est celle des souffrances physiques et morales. Parmi nous, que de blessés! Que d'âmes dans le deuil! Et depuis quatre ans, quelle somme de peines morales, d'angoisses, de craintes, d'incertitudes! C'est une interminable agonie… Mais ceux qui souf­frent ont crié vers Dieu et il les a exaucés… 98

Et comme pour résumer dans un tableau poétique toutes les souf­frances qu'on ne peut pas énumérer, le psalmiste décrit une tempête en mer: Des voyageurs sont partis pour leurs affaires, mais en mer l'ou­ragan éclate, le vaisseau s'élève sur les vagues soulevées comme des montagnes et retombe vers l'abîme. Les passagers titubent sur le pont. Il leur semble qu'on leur arrache l'âme. Ils crient vers Dieu. On prie bien en mer pendant l'orage. Et Dieu les entend et change le vent de tempête en un zéphir, il les conduit au port.

Le psaume multiplie les paroles de consolation et d'encourage­ment: Dieu vient en aide aux pauvres. Il réunit ceux qui l'invoquent comme le pasteur réunit ses brebis et ses agneaux. 99

Au Ps. 105, il s'agit des épreuves nationales. Le psalmiste prend ses exemples chez les Hébreux.

Les Israélites, délivrés du joug de l'Egypte, se sont livrés au désert au culte du veau d'or, et Dieu a résolu de les exterminer. Mais Moïse priait et Dieu a fait grâce.

Plus tard, dès leur contact avec les tribus de Chanaan, les Israélites se sont livrés au culte obscène de Baal, mais Phinées34) et les fils d'Aaron priaient et Dieu pardonna encore.

Une fois entrés dans la terre promise, les Hébreux se sont laissés gagner par les erreurs et les vices des tribus qu'ils auraient dû éloigner. Et cette fois Dieu les livra aux mains de leurs ennemis qui les accablè­rent de souffrances et de ruines.

Pour les sauver, il 100 fallut que Dieu fut comme pris de compas­sion: «Il vit leurs souffrances et il se repentit selon la multitude de ses miséricordes, et il pardonna encore» (Ps. 105,45).

Il y a là toute notre histoire depuis un demi-siècle et plus.

Sous l'Empire, la France adorait le veau d'or et Baal, en se livrant à la passion des richesses et des plaisirs. Le châtiment fut rude en 1870, mais les âmes simples priaient et Dieu pardonna.

Depuis lors, la France s'est livrée à toutes les erreurs et à tous les vices des nations avec lesquelles elle était en contact: elle emprunta la maçonnerie anglaise, le carbonarisme italien, l'illuminisme allemand, le scepticisme et la critique de Luther et de Kant. Et les pouvoirs se sont livrés à une persécution hypocrite et raffinée qui a duré quarante ans et 101 qu'ils n'ont pas encore répudiée. Et cette fois Dieu a livré la France à ses ennemis qui l'ont accablée de tribulations.

O France! tu n'avais donc rien compris aux leçons de l'histoire? Ignorais-tu que les outrages faits à Dieu par les nations sont payés au centuple?

Tu as expulsé de leurs foyers 50.000 prêtres et évêques, et voilà que la Providence expulse de leurs foyers cinq millions de tes fils, de Dunkerque à Montmédy et de Maubeuge à Paris. Ils viennent dans les provinces du midi comme les hérauts du jugement de Dieu.

Tu as exilé les religieux et les religieuses avec une cruauté honteuse et tes fils sont exilés par centaines de mille en Belgique.

Tu as volé les biens de l'Eglise 102 et les biens des Congrégations. Tu croyais trouver un milliard chez les couvents, et voilà que la guerre t'impose plus de cent milliards de dettes.

Tu as pris au Christ ses enfants qu'il aime tant. Tu as chassé les maî­tres qu'il leur avait donnés, les Frères et les Soeurs, et voici que la justi­ce divine te prend tes fils, ta belle jeunesse héroïque et victime des fau­tes du pouvoir, et tes fils sont fauchés au front comme une moisson par centaines de mille.

O Dieu, en voyant souffrir votre peuple d'Israël, vous vous êtes sou­venus de votre pacte avec lui et vous lui avez pardonné. Souvenez-vous de votre pacte avec Clovis, à qui vous disiez, par St Remy, que vous puniriez les fautes des Francs mais que vous ne les rejetteriez pas. 103

Souvenez-vous de votre pacte avec Jeanne d'Arc, qui viendrait enco­re bien mourir pour nous si elle le pouvait.

Souvenez-vous de votre pacte avec Marguerite Marie. Vous lui avez demandé de souffrir pour le règne du S.-Cœur. Elle a souffert et main­tenant vous lui devez de réaliser le règne du S.-Cœur par la France.

O Christ, regardez vos saints et pardonnez-nous.

Le psaume ne s'adresse qu'à Dieu, nos prières vont aussi à Marie.

O Marie, nous savons que vous vous souvenez de la France qui vous a toujours aimée et qui vous a élevé ces beaux palais de pierre que la guerre détruit aujourd'hui. Elle vous a été consacrée par ses rois, Louis XIII et Louis XIV Prenez-la sous 104 votre manteau et sauvez-la. Son impiété l'a couverte comme d'une lèpre. Purifiez-la de ce blasphè­me par lequel elle dédiait ses rues à tous les ennemis du Christ et des bonnes moeurs, à Voltaire, à Renan, à Zola. Refaites-en le royaume du Christ et le vôtre…

On m'a demandé au Carmel une instruction pour la belle fête de N.-D. du Carmel, je m'y suis prêté volontiers. Le Carmel a une maison nombreuse, fervente et très aristocratique à Paray. Un essaim de Paray

va aller refaire un Carmel à Paris où il n'y en a plus. Ce sera à Montmartre.

Je résume ici ce que j'ai dit:

«Quae est ista quae ascendit sicut aurora consurgens, pulchra ut sol, terribilis sicut castrorum acies ordinata (Apoc.)35)… Quelle est celle-là 105 qui s'élève, gracieuse comme l'aurore, brillante comme le soleil et terrible comme un chef d'armée».

Cette vision de St Jean reproduisait la promesse adamique et la vision d'Elfe au Carmel.

Trois grandes manifestations de la gloire de Marie encadrent l'Ancien Testament. Il s'ouvre par la promesse de l'Eden. Pendant que Dieu expliquait sa promesse, Adam eut sans doute une double vision: il vit la Vierge immaculée et la Vierge Mère, car ces deux visions sont restées comme la tradition et l'espérance de tous les peuples.

La Grèce la connaissait car elle honorait dans ses mystères du Parthénon et d'Eleusis la Vierge fille de Dieu dont le culte était relevé par des processions de jeunes filles.

Rome avait son Palladium, le culte de la Vierge protectrice 106 avec des vestales toujours vierges. Auguste vit au Capitole la Vierge Mère qui allait enfanter le sauveur.

Les Celtes vénéraient à Chartres, à Romay et ailleurs la Vierge rédemptrice.

Mais ce que les nations gardaient par à peu près, Dieu voulut que cela fût gardé dans toute sa pureté par son peuple; et au milieu des temps, il montra la Vierge immaculée à Elie sur le Carmel et la Vierge Mère à Isaïe.

Le Carmel était comme un ressouvenir du Paradis terrestre, gra­cieuse montagne, symbole de beauté. Les pins et les bouleaux ornent sa cime, mais ses flancs sont couverts d'arbres fruitiers, oliviers et figuiers; à ses pieds croissent les roses, les lis et le baume.

Le Carmel regarde au nord vers la Méditerranée et les peuples d'Occident, au sud vers la plaine d'Esdrelon jusqu'à Nazareth. 107 Sur la cime, Elie eut la vision de Marie, semblable à une nuée, blanche comme la vision de Lourdes. Isaïe plus tard vit la Vierge Mère, pour compléter la tradition divine.

Elie forma dans les grottes du Carmel un groupe d'ascètes, l'école des prophètes, pour conserver les traditions. L'école des prophètes rayonnait autour du Carmel. Marie et Joseph en furent sans doute des pèlerins. Les Esséniens s'y rattachaient.

St Jean revit à Pathmos la grande vision d'Elfe, l'apothéose de Marie, et ce fut la clôture de l'Ancien Testament, du Testament de la promesse.

Nous allons nous arrêter à trois considérations: 1° le développe­ment du règne de N.-D. du Mont Carmel; 2° la mission de Ste Thérèse; 3° la mission actuelle des carmélites. 108

I. Le règne de N. D. du Carmel. - L'école des prophètes au Carmel con­servait les traditions d'Israël et se livrait à la vie ascétique. Les ascètes du Carmel furent les premiers disciples de St Jean-Baptiste et des apô­tres. Ils rendaient un culte à Marie qu'ils avaient eu le bonheur de con­naître.

St Jean et St Jacques, amis et parents du Sauveur, ont connu les ascè­tes du Carmel. St Jean apporte à Ephèse le culte de N.-D. du Carmel; St Jacques36), son frère, le porte en Espagne à Saragosse. Les disciples de St Jean, Irénée et Pothin, l'apportent en Gaule, à Lyon.

Nous avions le culte de Marie en Occident, mais la règle ascétique du Carmel était restée en Orient. Quelques croisés l'apportèrent chez nous, mais ils étaient critiqués par nos ordres d'Occident. 109 La Ste Vierge prit la défense de ses serviteurs. Elle apparut au Pape Honorius III qui bénit et confirma la règle du Carmel.

La réforme de Ste Thérèse propagea le Carmel, Ste Thérèse eut vingt années d'un apostolat puissant et fécond, de 1562 à 1582. Son œuvre s'étendit à l'Espagne et plus tard en France et partout. Je l'ai retrouvée récemment en Palestine, au beau Carmel du Pater, au pieux Carmel de Bethléem. Nos Carmels de Paris sont à Bruxelles et à Namur, les pieux Carmels d'Aix et de Moulins sont à Lens en Belgique, à Dussen en Hollande; j'ai vu d'autres Carmels du centre de la France qui offrent les souffrances de la pauvreté et de l'exil à Berg op Zoom et à Enghien pour le salut de la France. J'ai prié avec regret à Paris dans la chapelle 110 abandonnée du beau Carmel de la rue Denfert.

Le Carmel est partout répandant les parfums des lis, des roses et du baume, de la ferveur, de la pureté et de la réparation.

Et le monde entier est conquis au Carmel par le scapulaire de Marie que nous portons tous.

II. La mission de Ste Thérèse. - Cette mission est comme une nouvelle rédemption.

Dieu a semé par les apôtres le sel qui conserve et le ferment qui se développe. Mais il arrive que le sel s'affadit et alors Dieu suscite un nouveau semeur. St Benoît, puis St Bernard ont semé les conseils de perfection qui étaient oubliés. St François a semé les grandes vertus évangéliques, surtout le détachement. Marguerite Marie sèmera l'a­mour du S.-Cœur.

Ste Thérèse a semé la vie 111 ascétique. Elle a renouvelé l'Espagne par son influence sur St Jean de la Croix et sur les premiers jésuites, qu'elle aidait par ses prières.

Elle a préparé le relèvement de la France. Elle aimait tant la France! Elle avait sur son bureau la statue de N.-D. de France, elle disait: «Je donnerais mille vies pour sauver les âmes que l'hérésie de Calvin veut perdre en France».

Le Carmel de France avec M. de Bérulle a eu une grande influence sur l'essor de sainteté qui a élevé la France si haut. Ste Thérèse par le Carmel fut une mère pour nos saints: le P. de Condren, M. Olier, François de Sales et la Visitation, St Vincent de Paul. Le Carmel a pré­paré le grand siècle de Louis XIII et de Louis XIV. 112 Ste Thérèse aime encore sa France. Elle pleurerait au ciel si on y pouvait pleurer en voyant nos épreuves, elle nous aidera.

Le Carmel a concouru à la grande réforme inaugurée par le Concile de Trente et St Charles Borromée.

III. La mission actuelle du Carmel. - Votre mission, mes Soeurs, est la même que celle de Ste Thérèse: vie d'union à N.-S., vie d'amour et de sacrifice, vie de prière.

- Vie d'union. - N.-S. veut des consolatrices sur la terre; avec Marie il avait les saintes femmes qui le suivirent de la Galilée jusqu'au Calvaire! Il veut vous donner la grâce d'union que Ste Thérèse a décrite dans ses beaux livres: le Château intérieur, les Demeures de l'âme. Il faut s'éle­ver par le détachement de la vie commune à la vie toute céleste 113 de l'union. Il faut gravir ce que St Augustin appelle les sept degrés de l'amour, et vous savez qu'on y arrive en un an ou en trente ans, suivant la ferveur qu'on y met. Il faut arriver à l'union croissante à Jésus dans ses mystères.

- Vie d'amour et de sacrifice. - Ste Thérèse était heureuse de souffrir pour le salut des âmes. «Ou souffrir ou mourir», disait-elle. Si on ne devait que louer et aimer Dieu, on le fera mieux au ciel, mais souffrir pour lui, on ne peut le faire que sur la terre et c'est notre privilège.

Ste Thérèse vit toujours et souffre toujours pour l'Eglise, pour les âmes, pour la France fille aînée de l'Eglise.

Aujourd'hui, elle s'appelle Thérèse de l'Enfant Jésus, Elisabeth de la Ste Trinité, 114 Aimée de Jésus, Marie de Jésus crucifié. Elle s'ap­pelle de tous vos noms, mes Soeurs. En vous elle souffre et elle mérite. Nous avons la confiance qu'elle mérite pour la France: les âmes mysti­ques que j'ai citées en donnent l'assurance dans leurs écrits.

- Vie de prière. - L'office de la fête nous le dit. Nous invitons Marie notre Reine à prier pour le peuple, pour le sacerdoce, pour les âmes consacrées, et nous prions avec elle.

Priez, mes Soeurs, priez pour le Pape dont la tâche est bien dure, pour les prêtres, qui devraient être des saints pour travailler au règne du S.-Cœur après la guerre. Priez pour la France, la grande mutilée dont plusieurs provinces sont occupées par l'étranger. Une âme mysti­que a vu N.-S. avec son bras gauche presque 115 détaché, son bras gauche près du Cœur, séparé du Christ comme la France par nos lois. N.-S. demandait à cette âme de prier pour le rattachement de la France à l'Eglise.

Priez pour tant de souffrances, tant d'âmes en deuil, pour toute cet­te belle jeunesse qui offre sa vie tous les jours.

Priez pour les grands, pour les âmes possédées du démon muet. L'Evangile décrit en détail la guérison du sourd-muet, c'était un sym­bole. Ceux qui nous gouvernent sont sourds-muets, ils ne veulent pas entendre les paroles de l'Eglise, ils ne veulent pas dire au peuple de prier, prions pour leur guérison…

Priez pour la victoire. Vous avez entendu St Jean: Marie est puissan­te comme une reine avec son armée. Les anges sont à son service. Prions-la pour la victoire de la France… 116

Me voici à Lyon. J'y suis passé souvent, mais un séjour de quelques semaines me fera mieux apprécier cette grande ville catholique.

Il me semble que Lyon est la ville de St Jean, comme Rome est la vil­le de St Pierre et de St Paul. Cela est bien exprimé dans une des gran­des mosaïques de Fourvières. St Jean et St Polycarpe bénissent le départ de St Pothin et de ses compagnons qui viennent aborder sur la Saône au pied de la ville romaine, de Lugdunum, sur laquelle plane l'apparition de la Ste Vierge.

Les Eglises d'Ephèse et Smyrne37) sont les filles de St Jean; celle de Lyon est sa petite-fille. St Pothin a inauguré ici le culte de Marie, Lyon est restée la ville de la Ste Vierge.

St Jean a dû dire à St Polycarpe: «La terre des Gaules est chère au divin Maître, il aime la droiture de ses habitants, leur tempérament 117 charitable et zélé, il leur a envoyé ses amis de Béthanie, tu y enver­ras des disciples de choix pour fonder à Lyon, sa métropole, une Eglise qui sera après Rome un grand centre d'œuvres et d'aposto­lat… ».

Lyon a conservé dans ses rites quelque chose de son origine grecque. (Son grand docteur, St Irénée, a écrit en grec ses belles pages de théo­logie).

Lyon a conservé l'esprit de St Jean: la dévotion à Marie et l'amour du prochain. Après Rome vous ne trouverez pas une ville qui ait plus d'œuvres que Lyon. Un volume suffit à peine à énumérer ses œuvres en faveur de l'enfance, de la jeunesse, des adultes, des vieillards, œuvres de piété, de zèle, de propagande: communautés de toute sorte, patronages, cercles, 118 hospices, écoles libres, écoles cléricales. La Sainte Vierge veille particulièrement sur la jeunesse de Lyon, elle y multiplie les vocations.

On parle de diocèses organisés, comme Bergame et plus récem­ment Versailles. Le grand diocèse organisé, c'est Lyon. Chacune de ses quarante paroisses a des œuvres qui répondent à tous les besoins: asi­les, écoles, patronages, maîtrises, cercles et secours de tout genre à toutes les infortunes.

La ville a sa belle université, et ses communautés adoratrices: Carmels, Clarisses, Adoration du S.-Cœur, Adoration réparatrice, Bénédictines, Marie Auxiliatrice, les SS. Cœurs, la Visitation…

Quant aux œuvres hospitalières, elles fourmillent. Fourvières est la colline sainte toute peuplée de couvents.

C'est dans la province de Lyon, à 119 Paray, que le S.-Cœur est venu prendre possession du cœur de la France et affirmer sa royauté…

Je suis allé passer la fête de l'Assomption au Puy, auprès de Mgr Boutry, mon ancien condisciple.

C'est encore là une de nos vieilles villes, où tout était autrefois piété, vie religieuse et aussi, je crois, aisance et bonheur familial. La cathédrale est une merveille de l'art roman, qui rappelle celles d'Angoulême et de Périgueux. C'est ce style qui a inspiré Montmartre. Au Puy, comme partout en France, l'œuvre maçonnique crie vengean­ce: évêché et presbytères volés; couvents confisqués où l'Etat laisse quelques vieilles Soeurs se consumer sans pouvoir se recruter, écoles laïques, abstention des autorités aux prières publiques. Et cependant la foi se survit dans le peuple. Les communions sont innombrables. 120 Les électeurs votent mal. «Putas, reviviscent ossa ista?» (cf. Ez. 37,3). Mgr a plutôt de tristes pressentiments.

Moi, je veux espérer quand même que le S.-Cœur achèvera son œuvre et refera la France chrétienne.

L'esprit de victime est la grande grâce du temps présent. Ce sera le salut de la société contemporaine.

Une notice du P. Crozier38) me tombe ici sous la main. C'était un émule du P. Chevrier, il fut une vraie victime du S.-Cœur. On lui doit des opuscules qui ont fait un bien immense: «Comment il faut aimer le Bon Dieu» - «Que votre règne arrive!» - «Excelsior!» - «Méthode et pro­gramme pour me sanctifier plus vite».

Il répétait chaque matin son oblation, qui était à peu près la nôtre: «O Jésus, souverain Prêtre, je vous offre et consacre, par le Cœur Immaculé 121 de Marie, toutes mes actions et toutes mes peines par amour pour vous, en union avec votre Sacré-Cœur, à toutes les inten­tions de votre Sacré-Cœur». Il a vécu de 1850 à 1916.

Lu également «Une âme réparatrice» , Simone Denviel, chez Vitte. C'est une petite Véronique, une victime dans le genre de Thérèse de l'Enfant Jésus, Elisabeth de la Trinité, Gertrude-Marie39), Céline de la Présentation40), Valentine Biaut, Marie-Anne Hervé-Bazin41)… Ses notes sont délicieuses: «L'œuvre réparatrice, dit-elle, c'est moins la souffran­ce elle-même que l'abandon absolu d'une âme à toutes les volontés divines». - «Je me tais, je supporte, je m'abandonne, parce que j'ai­me!». - «Je voudrais être vraiment apôtre et donner Jésus aux âmes. Pour cela il faut vivre d'union intime avec Dieu, alors il rayonnera». 122

Un des nôtres, le P. Lambert42), trouve au Mons une âme ardente qui a groupé toute une association de victimes, qu'elle unira à nos œuvres. Je fais rééditer le règlement de nos Agrégés, qui forme bien à l'e­sprit de victime.

Cette âme privilégiée unit son oblation à la nôtre au 8 septembre. Ce concours est une grâce que le S.-Cœur nous a ménagée.

Les bonnes Soeurs de la Compassion m'ont demandé une confé­rence pour le 1er dimanche du mois. Je leur rappelle la grâce spéciale de l'Eglise de Lyon, comme je l'ai décrite quelques pages plus haut.

C'est l'esprit de St Jean qui doit régner à Lyon, c'est donc un grand amour de N.-S., comme St Jean nous en a donné le précepte et l'exem­ple; c'est une grande et filiale dévotion à Marie, dont St Jean a été le 123 fils adoptif; c'est un grand amour pour le prochain, comme le saint apôtre l'a tant prêché et comme il en a donné l'exemple en cou­rant jusque dans sa vieillesse après la brebis égarée.

Je retrouve à Caluire les Soeurs de Charité de St-Quentin avec leurs orphelines. Elles n'ont pas de chapelain, j'y vais chaque semaine du mercredi au samedi pour leur donner la messe. Le maire de Lyon a mis à leur disposition une magnifique propriété au bord de la Saône, ancienne maison de campagne des archevêques, devenue propriété communale, avec parc, pièces d'eau, bosquets et jardins. Je suis édifié par le bon esprit des Bonnes Soeurs, leur simplicité, le bon ordre de la maison. Je suis là dans le calme pour préparer les instructions que je devrai donner au séminaire de Moulins. 124

Je lis un livre intéressant de M. Pourrat43) sur la spiritualité dans les premiers siècles de l'Eglise.

L'Evangile contenait tous les principes de la spiritualité, mais la théorie se forma peu à peu.

On imitait la virginité de Marie, la pénitence de Jean-Baptiste, on quittait tout suivant les conseils du Sauveur. On s'exerçait aux vertus chrétiennes, résumées dans les Béatitudes. On tendait à l'union au Christ, demandée par N.-S. lui-même dans l'Evangile de St Jean et prê­chée par St Paul.

St Antoine et St Pacôme en Egypte, St Hilarion en Palestine, St Basile en Asie mineure sont des chefs d'écoles. Ils propagèrent la vie solitaire et la vie conventuelle, ils en donnèrent les règles.

Le fond était le même: abstinence, travail, prière fréquente et même nocturne. 125

En Occident, nos législateurs sont Jean Cassien, Saint Augustin, Saint Martin et Saint Benoît.

Les règles de Saint Augustin et de Saint Benoît, revues et modifiées, forment le fond de toutes les règles religieuses.

Comme spiritualité, les anciens attachaient beaucoup d'importance à la méditation des fins dernières et à la lutte contre les défauts. C'est ce que nous appelons la vie purgative qui dominait, avec d'abondantes pratiques de pénitence.

Les abbayes de Lérins et de St Victor de Marseille ont été de gran­des écoles de vertu et de science ascétique. Beaucoup de nos saints évêques du haut moyen-âge sortaient de là.

C'est St Augustin qui a préparé la législation des trois voeux (pau­vreté, chasteté, obéissance) qui forment le fond 126 de toutes les règles religieuses des siècles postérieurs.

Les anciens enseignaient la lutte contre les vices capitaux, mais ils en comptaient huit. St Nil: de octo spiritibus malitiae, Evagre: de octo vitio­sis cogitationibus; Jean Cassien: Conf. V 2. Octo sunt principalia vitia.

St Grégoire le grand et St Bernard comptent également huit vices capitaux. Le huitième est la tristesse.

Au bréviaire romain, fête du St Nom de Marie, est cité un sermon de St Bernard (hom. 2 super Missus est) où il n'oublie pas la tristesse. Comme remède à chaque défaut, il indique le recours à Marie. Il ajou­te: «Si troublés par la gravité de vos péchés, confus par les souillures de votre conscience, effrayés par la crainte du jugement, vous commencez à être absorbés par le gouffre du désespoir et l'abîme 127 de la tristes­se, pensez à Marie».

St Thomas d'Aquin n'a retenu que sept défauts pour mettre le nom­bre en harmonie avec celui des dons du St-Esprit.

Il serait utile de maintenir dans les directions religieuses le défaut de la tristesse qui vient du découragement, du désespoir, des conces­sions à la nature.

Dans la grande controverse sur la grâce entre St Augustin et Pélage, on peut voir l'origine des diverses écoles de spiritualité.

St Augustin, dans son zèle pour combattre le naturalisme de Pélage, a laissé un peu dans l'ombre notre action personnelle.

Certaines écoles appuient davantage sur l'action et la lutte, d'autres sur l'influence du St-Esprit et de la grâce.

St Athanase et Jean Cassien insistent surtout sur la lutte 128 contre les défauts et la haine du vice. St François de Sales dit au contraire: «Tout par amour et rien par force: il faut plus aimer l'obéissance que craindre le désobéissance».

Pour la mystique, les anciens connaissaient déjà la prière extraordi­naire et sublime, que décrivent Ste Thérèse et St Jean de la Croix. Dans son ravissement, l'âme adresse à Dieu des prières qu'elle ne peut exprimer et que le St-Esprit produit en elle à son insu par des gémisse­ments ineffables. St Antoine dit que la prière n'est pas parfaite dans laquelle le moine se comprend et comprend ce qu'il dit à Dieu.

Hezychius (de temperantia et virtute) a décrit l'illumination pro­gressive de l'âme, à mesure que celle-ci se détache de ses sens et s'unit plus étroitement au Christ Jésus. La lumière, qui est d'abord comme une lampe, s'élève à la clarté 129 de la lune, puis à l'éclat d'un soleil radieux…

Au IVe ou Ve siècle, nous avons les livres de Denys, dit l'Aréopagite. Sa théorie de la connaissance de Dieu par la contemplation mystique ressemble à celle de St Jean de la Croix.

Au VIIe siècle, Saint Maxime le Confesseur, dans son Livre ascétique et ses autres ouvrages, a bien décrit l'union au Christ. En combattant les monothélites il montre dans le Christ la volonté humaine soumise à la volonté divine. Ainsi en nous la volonté doit être soumise à celle du Christ qui nous conduit par l'Esprit Saint.

Autre lecture: Résumé de spiritualité par le P. Foch (frère du géné­ral). C'est un opuscule fort concis mais très précieux. Je n'ai vu nulle part les bases théologiques de 130 la spiritualité exposées aussi claire­ment: le Christ vit en nous parce que c'est lui qui nous envoie cons­tamment le St-Esprit par la grâce, comme il l'a envoyé à la Pentecôte.

Et comme c'est au Cœur de Jésus qu'on attribue sa volonté et son amour, c'est le Cœur de Jésus qui vit en nous et qui est la source de toute sainteté et de toute vie surnaturelle en chacun de nous et en l'Eglise. Le Christ vit en nous comme chef de son corps mystique. Le St-Esprit qui était comme l'âme du Christ est aussi comme l'âme de son corps mystique. Mais le Verbe dirige cette âme dans tous ses mem­bres. Jésus vit en nous par l'Esprit Saint. Le Cœur de Jésus doit régner en nous et dans la vie sociale des peuples.

131 Table des matières

L'exode 1 Mai. Bologne 60
Rome 7 P. Billot 66
L'audience 8
Marguerite Marie 10 Juin. Paray 73
Visites 11 Lectures 75
Nunc dimittis 13 Moulins 76
Le séminaire 14
Lectures 18 Juillet. Visitation 78
Le S.-Coeur 28 Vers la prière nationale 95
Relations 30 Romay 96
Réveil du passé 32 Le Carmel 104
Ma Rome 38 Lyon 116
Le Puy 119
Mars 42 Victimes 120
Avril. Spiritualité 44 Le 1er
Audience 51 septembre 122
La scolastique 54 Caluire 123
Bergson 59 Spiritualité 124

1)
Amette, Léon Adolphe, cardinal: cf III,479,57.
2)
Voyante de Vendée. C’est Claire Ferchaud dont on parle aussi dans la suite (cf. dans ce même cahier, aux un. 28; 50; 53). Elle manifestait des vues d’oraison très édi­fiantes notamment sur la sainte messe.
3)
Le drapeau du Sacré-Cœur. Après 1870 va se développer, surtout en France, un mouvement en faveur de la royauté du Christ et aussi du Sacré-Cœur Roi. Les dévots du Sacré-Cœur désirent fêter cette royauté comme chrétiens mais aussi comme citoyens. Et donc des groupes de fidèles, et même des communes et des villes vont mettre sur leurs drapeaux l’image du Sacré-Cœur et ils voudraient la mettre aussi sur le drapeau national. Pour développer ce mouvement, un journal est fondé: Le Drapeau du Sacré-Cœur. Pendant la guerre 1914-18 des insignes et des drapeaux du Sacré-Cœur sont distribués par millions. Le P. Dehon appuyait ce mouvement avec enthousiasme. Dans nos archives on garde plusieurs lettres qui lui sont adressées, datées 1921-1922, concernant la confection d’un drapeau du Sacré-Cœur (cf. AD B. 88).
4)
Lavisse (Ernest), historien français: cf. NQ I,510,116; I,549,18.
5)
Le «Trait d’union»: feuille périodique des jeunes qui avaient été élèves au St­.Jean. Il était publié par M. Leduc, président de l’association (cf. ici bas, n. 34).
6)
Le P. Lefloch: On a de lui comme un portrait, quelques pages après. Ici le P. Dehon nous dit qu’il était le supérieur du séminaire français de Santa Chiara, «un vrai bréton, très porté pour l’Action française. Bien côté au Vatican et consulté pour les nominations des évêques» (NQ XLII, 15). Une telle sympathie pour l’Action française était partagée par la plupart des prêtres français vivant à Rome ce temps-là (1918), «très romains, écrit le P. Dehon, et fort portés pour l’Action française» (NQ XLII, 16) … On est un peu étonné de constater, parmi des prêtres, une telle sympathie pour ce mouvement politique «ultra-royaliste et très proche du totalitarisme», dont les chefs, écrit le P. Dehon, étaient «impies et corrupteurs», et le mouvement comme tel était sur le point d’être condamné par l’Eglise (cf. NQ XXXV,68; et XXXV, note 17).
7)
P. Barthélemy Dessons, notre procureur près du St-Siège; pendant la guerre 1914-18 il logeait au collège français.
8)
Gasparri, Pietro, cardinal: cf. III, 477,29.
9)
Vannutelli, Vincenzo, cardinal: cf. II, 615,9.
10)
Le Pape du Sacré-Cœur C’est l’appellation que le P. Dehon attribue au Pape Benoît XV Nous l’avons rencontrée la première fois dans NQ XXXVI, 51; et en note on l’a expliquée par le fait que Benoît XV avait diffusé une prière au Sacré-Cœur pour la paix. La deuxième fois on la rencontre en NQ XLII, 10-11, et c’est parce que le Pape a prononcé un très beau discours en vue de la canonisation de Marguerite Marie. Maintenant c’est la troisième fois (NQ XLII, 14) et c’est à cause du beau ser­mon que le Pape a prononcé à l’occasion de l’Epiphanie et parce qu’il encourageait Mgr Virili à ériger un autel du Sacré-Cœur en St-Pierre. Voir également la lettre que le P. Dehon écrivit au P. Gasparri le 11 janvier 1918.
11)
Virili, Raffaele, Mgr, né à Supino (Ferentino) en 1849, sacré évêque titulaire de Troade en 1904, nommé chanoine de Ste Marie Majeure en 1905 et chanoine du Vatican en 1914.
12)
Bazin, René, romancier, vandéen mais né à Angers en 1853. Certains de ses romans ont connu un grand succès parce qu’ils attiraient toujours l’attention sur des problèmes concrets, comme Aujourd’hui et demain cité par le P. Dehon; mais aussi Les Oberlé pour l’irrédentisme alsacien, La terre qui meurt sur le drame des paysans qui abandonnent la terre, L’isolé sur le drame de l’expulsion des religieuses, Le blé qui lève, peinture de la misère sans espérance de ceux qui se sont livrés au matérialisme, etc. Ces romans suscitèrent dans le monde du laïcisme une hostilité très vive à son égard, parce que beaucoup ne lui pardonnaient pas cette affirmation très claire de ses con­victions religieuses.
13)
Familles françaises: On se demande quelquefois si le P. Dehon a continué de s’occuper de la question sociale, même après 1903, c.à.d. après la mort du pape Léon XIII. La période la plus riche de son engagement en faveur de la promotion des ouvriers et pour la formation sociale du clergé est certainement entre 1893 et 1903. Après cette date lui-même reconnaît d’avoir ralenti ces activités, à cause des change­ments intervenus dans la société et dans l’Eglise, et aussi à cause de son âge. Et quand même, il a toujours cultivé un intérêt très grand pour les questions sociales de la justi­ce et de la paix. Dans ce cahier (XLII, 21-25) on en a une démonstration: il rappelle la condamnation par Benoît XV de toute injustice; il souligne les problèmes sociaux des familles en France; il dénonce le problème de la natalité, etc. Un autre indice du fait qu’il n’a jamais oublié la question sociale on peut le voir dans les «souvenirs» de sa participation aux congrès et aux débats, au niveau national et international, dans la période la plus active de sa vie: souvenirs très souvent répétés; par ex. ici aux un. 34­-38 et, quelques fois, aussi dans les cahiers suivants, et même dans la dernière page de son Journal.
14)
Henri Dimier. Dans notre bibliothèque de Rome on a un exemplaire de son livre «Les préjugés ennemis de l’histoire de France», Paris 1917, pp. 468.
15)
Battoni et l’image du Sacré-Cœur. Il s’agit de Pompeo Girolamo Batoni (1708­1787) et de l’image du Sacré-Cœur de cet artiste, qui exagère un peu les traits du sentiment (cf. I, 528,23).
16)
Scapinelli di Leguigno, Raffaele, cardinal, né à Modène, prêtre en 1884, attaché à la Secrétairerie d’Etat pour des services aux nonciatures de Lisbonne, La Haye, Paris, etc. En 1915, créé cardinal et nommé préfet des religieux.
17)
Tonti, Giulio, évêque titulaire depuis 1892; nonce en Portugal depuis 1906; mais à la suite de la révolution portugaise en 1910 il rentra à Rome, où en 1915 il a été créé cardinal et en 1917 nommé préfet de la Congrégation des religieux (cf. XXXIV, note 39).
18)
Vico, Antonio, cardinal, né à Agugliano (Ancône) en 1847, nonce apostolique en Belgique et en Espagne. Créé cardinal en 1911, et peu après nommé préfet des Rites.
19)
Laurenti, Camillo, né à Monteporzio (dioc. de Senigallia) en 1864, prêtre en 1884, depuis 1911 il était secrétaire de la Propagande. En 1922 il sera nommé préfet des religieux.
20)
Situation pénible en Suède, parce que l’évêque de Stockholm désire des change­ments qu’il ne peut pas réaliser. Mais on ne dit pas ici la cause de ce malaise. Une explication pourrait nous venir d’une lettre, datée du 11 février 1918, que le P. Dehon a envoyée au secrétaire de Propaganda Fide Mgr Laurenti. «Monseigneur, écrit-il, vous avez paru désireux de connaître mon sentiment sur la mission de Suède; je vais vous dire avec simplicité ce que j’en connais. I. Un fait public et attristant, c’est que la mission de Suède ne progresse pas; elle recule plutôt, tandis que les missions de Norvège et Danemark font de grands pro­grès; il est vrai que la législation suédoise met bien des obstacles à l’apostolat, mais il y a d’autres motifs? II. Il y a, à Stockholm, deux œuvres, celle de l’évêque et celle des jésuites. Il n’y a pas d’union entre ces œuvres. Il y a le parti de l’évêque et le parti des Jésuites. Trois fois déjà les jésuites étaient sur le point de partir, le jour était fixé. Quelques person­nes qui tiennent à eux sont intervenues et ils sont restés. Le ridicule est retombé sur l’évêque. Il a besoin de beaucoup de patience». Après cela, le P. Dehon explique que dans les pays du nord (Suède et Finlande) il y a des préjugés violents contre les jésuites; et donc ils peuvent avoir une œuvre discrète pour une élite, «mais ils ne seront pas populaires». Et il conclut: «Je crois que l’évêque (Mgr Bitter) a raison de désirer à Stockholm une œuvre qui puisse devenir populaire», mais «ma documentation est insuffisante pour que je puisse donner des conclusions précises» (cf. AD 4A1-60: P.J. Dalbec scj, «fartas escritas por et Siervo de Dios et P. Dehon a la Propaganda Fide»).
21)
Peeters Louis: Dans notre bibliothèque de Rome on a un exemplaire de son livre «Spiritualité ignatienne et piété liturgique», Tournai, Casterman 1914.
22)
Un autel du Sacré-Cœur. Le 25 avril 1918 le P. Dehon a une audience d’adieu du Pape Benoît XV (XLII,51-54). Elle est un écho de celle qu’il avait eue le 3 janvier, seulement trois jours après son arrivée de Bruxelles. Le dialogue est très cordial. Il est invité par le St-Père de propager la consécration des familles au Sacré-Cœur. «C’est notre vocation», commente le P. Dehon; et il en profite pour insinuer que le Pape pourrait, à son tour, «faire mettre un autel du Sacré-Cœur à St-Pierre», et ce serait le signe que… le Vaticano aussi est consacré au Sacré-Cœur. Et le St-Père «a bien goûté le projet». Dans ce même cahier, au n. 66, le P. Dehon annote que les journaux annoncent la préparation d’un autel du Sacré-Cœur à St-Pierre, et il commente: «Ma supplique a été accueillie. Deo gratias». N.B.: A la page 13 de ce cahier, l’initiative d’ériger un autel au Sacré-Cœur dans la basilique de St-Pierre est attribuée au Pape Benoît XV; ici, au contraire, elle paraît être dûe au P. Dehon lui-même. Comment concilier cette double affirmation?
23)
Medulla s. Thomae par Mézard. Dans notre bibliothèque de Rome on a une tra­duction française de cet ouvrage: «La Moelle de St Thomas d’Aquin», 2 voll., pp. 452 + 351, Paris 1930.
24)
Gusmini (Giorgio), cardinal. Né à Gazzaniga (Bergame) en 1855, sacré évêque de Foligno en 1910, en 1914 le Pape Benoît XV seulement deux jours après son élec­tion l’appela à lui succéder dans le diocèse de Bologne. Après une activité pastorale très intense, il mourut en 1921.
25)
Barbieri (Clelia), sainte. Né à Budrie (dioc. de Bologne) en 1847, encore très jeune se dévoua à l’éducation des petits-enfants et jeunes filles de sa paroisse. Deux de ses amies s’unirent à Clelia, pour collaborer ensemble et vivre et prier ensemble. Ainsi presque sans s’en apercevoir elle devint la fondatrice de la congrégation des Soeurs Minimes de l’Addolorata (N.-D. des sept douleurs). Morte à l’âge de 23 ans, elle a été déclarée «sainte» par le Pape Jean Paul II.
26)
Message du S.-Cœur, de Namur: Une feuille éditée par les Soeurs Victimes de Namur.
27)
P. Ottavio Gasparri: cf. XXXIV, note 36.
28)
Soeurs de Marie Auxiliatrice. Cette congrégation a été fondée par Mère Marie Thérèse Soubiran La Louvière. Elle avait commencé avec un petit groupe une expé­rience de vie communautaire laïcale sur le modèle des anciens béguinages. Mais en 1864, après une retraite de 30 jours, elles décidèrent d’adopter la forme canonique de congrégation religieuse au sens strict. Pendant dix ans Mère Marie Thérèse se dédia surtout à la formation de ses consoeurs; mais en 1874 elle est accusée par une intrigante de mauvaise administration et, exclue de la congrégation qu’elle-même avait fondée, pour continuer sa vie de consécration elle a dû chercher un accueil dans une communauté eudiste de N.-D. de la charité, en renouvelant sa profession avec le nom de Marie du Sacré-Cœur.
29)
«J’organise les études pour quelques scolastiques»: A ce sujet on peut prendre vision des lettres que le P. Dehon écrivit, entre avril et juin 1918, au P. Joseph Mounier scj (1897-1972): le 13 avril, de Rome: «Préparez-nous quelques bonnes vocations»; – le 15 mai, de Bologne: «Quand serez-vous libre? Venez avec Gobin. Nous trouverons un séminaire pour ceux qui sont prêts à entrer en philosophie: Versailles, Le Mans, Nantes»; – le 8 juin, de Paray-le-Monial: «Je vais trouver un séminaire pour Gobin et pour vous. Trouvez quelques vocations»; – le 13 et 17 juin, ibid.: «Vous pourrez entrer, avec Gobin, au séminaire de Moulins vers le ler octobre»; – le 29 juin, ibid.: «Rentrée à Moulins, le 2 octobre» (AD B. 62/9).
30)
Penon (Jean-Baptiste), né à Simiane (dioc. d’Aix) en 1873, sacré évêque de Moulins en 1911, succédant à Mgr Lobbedey transféré.
31)
Maurras (Charles), écrivain français (1868-1952). Après une période de collabo­ration avec un journal monarchiste, il aboutit au mouvement L’Action française, caractérisé par un nationalisme intolérant et même vénéneux envers ses adversaires. Déjà en 1913 le Pape Pie X songeait à condamner ses œuvres les plus païennes. Pendant la guerre 1914-18 il est au premier rang pour la politique de guerre. Vers 1925 il atteignait son apogée, mais l’année suivante (1926) Pie XI, par un décret du St-Office, condamna ses livres et aussi L’Action française. Aux yeux du pape, en fait, la formule de Maurras: «Politiquement soyez catholique, métaphysiquement soyez ce que vous voulez», cache le danger d’un catholicisme déchristianisé.
32)
Le Maître de Moulins: Le trésor de la Cathédrale de Moulins abrite le célèbre tryptique, chef-d’œuvre du Maître de Moulins. Y est représenté le couronnement de la Vierge. Il a été exécuté vers 1502 à la demande de Pierre II duc de Bourbon et d’Anne de France sa femme, dont les portraits figurent sur les volets latéraux.
33)
Luçon (Louis-Henri-Joseph), Né à Maulévrier (dioc. d’Angers) en 1842, sacré évê­que de Belley en 1888. Il fut promû archevêque de Reims en 1906, succédant au card. Langénieux. Lui-même l’année suivante fut créé cardinal.
34)
Phinees et les fils d’Aaron: cf. le livre des Nombres 25,11. Mais il faut noter que le nom de ce personnage est écrit différemment dans les versions modernes de la Bible: Finees dans la Vulgate; Pinhas dans la Bible de Jérusalem; Phinehas dans la New American Standard; Pincas dans la Bible liturgique italienne, etc.
35)
Sicut aurora consurgens: Ce texte biblique le P. Dehon le suppose emprunté à l’Apocalypse, et donc concernant la vision de St Jean dans Apoc. 21,2. Mais au con­traire c’est un texte emprunté au Cantique (6,9 vulg.; BJ 6,10).
36)
St Jacques en Espagne: Ici le P. Dehon fait écho aux légendes du M.A. concer­nant les origines pré-chrétiennes des ascètes du Carmel, auxquels se relieraient aussi les Carmes. Parmi ces «précurseurs» des Carmes il arrive à inclure l’apôtre St Jacques qui, d’après Act. 12, 1, a été tué par Hérode avant le départ de St Pierre de Jérusalem, mais qui, toujours d’après une autre légende du M.A., aurait apporté le culte de N.-D. du Carmel en Espagne, à Saragosse.
37)
Les Eglises d’Ephèse et de Smyrne. Dans les manuscrits du P. Dehon il est très rare de rencontrer des corrections au texte. Ici on est alors bien étonné d’en rencontrer quatre dans deux pages: à la page n. 116, deux ajoutes: Les Eglises de et celle de, et, dans la page n. 117, d’après l’écriture originale au lieu de charitable il y avait affectueux, et au lieu de Lyon a conservé on avait Lyon a gardé.
38)
Crozier (Antoine), prêtre du diocèse de Lyon (1850-1916). En 1886 il entra dans la société des prêtres du Prado. Mais en 1891 il quitta le Prado et devint d’abord directeur spirituel d’un collège ecclésiastique et ensuite aumônier d’un pensionnat des Frères des Ecoles chrétiennes. Ses dernières années il se consacra aux publica­tions et à la direction spirituelle. L’opuscule qui le fit connaître comme auteur spiri­tuel est intitulé Comment il faut aimerDieu, édité en 1890.
39)
Sr Gertrude-Marie, de la congrégation de St-Charles (1870-1908): cf. cahier XL, note 8.
40)
Sr Marie Céline de la Présentation: Dans notre bibliothèque de Rome on a de cet­te religieuse clarisse une biographie intitulée: Fleur du cloître ou vie édifiante de Soeur Marie Céline de la Présentation, morte en odeur de sainteté à l’âge de dix-neuf ans, au monastère de Sainte-Claire de l’Ave Maria de Bordeaux-Talence (par «une pauvre cla­risse»), 3ème édition. La première édition porte le «permis d’imprimer» de 1904. Cette 3ème édition est présentée par une «lettre du T.R.P. Dehon, supérieur général des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus, consulteur de la S. Congrégation de l’Index». C’est une lettre de quatre pages, datée: Saint-Quentin 21 août 1898. Le volume est de pp. 306.
41)
Marie-Anne Hervé-Bazin: Une religieuse réparatrice, par Mme S.S., avec une préfa­ce de M. René Bazin, deuxième édition, Paris 1904, pp. 368. Aussi de ce volume on a un exemplaire dans notre bibliothèque de Rome.
42)
Lambert (Théodore Michel), scj, 1867-1917. Il a été missionnaire au Zaïre de 1904 jusqu’en 1917, avec deux interruptions en 1905 et 1910. C’est lui qui, dans une lettre datée le 27 octobre 1918, transmet au P. Dehon des «communications d’une sainte âme» de Mons (cf. AD B. 40/2).
43)
Le livre de M. Pourrai: Il s’agit de l’ouvrage La Spiritualité chrétienne. De cet ouvrage on a maintenant une édition en quatre volumes, éd. Lecoffre, Paris 1947.
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