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LA DEMOCRATIE ET LE SACRE-CŒUR

«J'ai pitié des foules (Marc, VIII, 2);

Venez à moi, vous tous qui souffrez (Matth., XI, 28)».

Ces paroles du saint Evangile nous révèlent le Cœur de Jésus; toute sa doctrine et toutes ses œuvres nous manifestent sa tendresse et sa compassion pour les pauvres, pour ceux qui travaillent et qui souffrent.

L'histoire entière du christianisme est la manifestation de cet esprit du Sauveur. Les œuvres de miséricorde caractérisent la véritable vie chrétienne.

Mais après la révélation du Sacré-Cœur, la charité du Christ devait se répandre avec une puissance nouvelle, capable de renouveler la société.

Cet article n'est qu'un essai sur cette action sociale du Sacré-Cœur. Nous voudrions en esquisser les principales phases et comme les étapes.

I. L'éveil et la source. - On peut faire remonter l'influence sociale du Sacré-Cœur à saint Vincent de Paul. Sans doute il n'a pas connu les révélations de Marguerite-Marie. Il est mort en 1660, et la bienheureuse confidente du Sauveur n'avait alors que treize ans. Mais il a été l'ami de saint François de Sales et l'aumônier de la Visitation. Il a puisé dans ces relations l'esprit du Sacré-Cœur, le même esprit qui devait prendre, par la mission confiée à Marguerite-Marie, son plein épanouissement. Il a connu aussi le vénérable père Eudes, le précurseur de Marguerite-Marie, qui avait fondé déjà, en 1643, la Congrégation de Jésus et de Marie, toute vouée à l'amour des sacrés Cœurs du Sauveur et de sa sainte Mère.

Les œuvres de saint Vincent de Paul sont le fruit de la tendre pitié qu'il a puisée au Cœur du Sauveur pour tous les déshérités de ce monde. Il suffit de nommer ses Filles de la charité, ses Prêtres voués aux missions des campagnes, ses confréries de charité, ses hospices pour les enfants trouvés, pour les vieillards, pour les pauvres de Paris.

Il a été, par ses prodigieuses aumônes, la Providence des populations agricoles de plusieurs de nos provinces, ravagées par la guerre et la famine.

L'esprit de saint Vincent de Paul lui survécut. C'est le même souffle qui animait, dans le même siècle et au suivant, Jean-Baptiste de la Salle, l'apôtre des enfants du peuple, Alphonse de Liguori, le grand missionnaire des campagnes, l'abbé de L'Epée, l'initiateur des œuvres de sourds-muets. C'est parce qu'ils étaient les disciples du Sacré ­Cœur qu'ils devinrent les apôtres des classes populaires.

II. Le sommeil et la contrefaçon. - La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus se répandait rapidement au XVIIIe siècle. Elle gagnait surtout les populations simples et croyantes des campagnes; la Vendée en a fourni la preuve, dans les jours de la Révolution. Cependant son action sociale paraissait sommeiller. L'esprit de Louis XIV et de Louis XV lui opposait de grands obstacles. Le règne de Louis XIV fut le règne du faste, de l'ambition, du luxe et de la vanité. Ce fut aussi le triomphe de l'antiquité païenne remplaçant dans la littérature et les arts, l'esprit chrétien qui avait dominé aux âges précédents, comme dans les moeurs, le faste remplaçait la simplicité. Le règne de Louis XV fut le règne de la licence et de l'incrédulité.

Cependant l'essor donné à la charité par saint Vincent de Paul avait frappé les esprits. Le diable et la nature si puissants au XVIIIe siècle se hâtèrent d'en donner une contrefaçon. Rousseau spéciale­ment fit, à cet égard, le bon apôtre. Quant à Voltaire, il n'entra guère dans ce mouvement; sans se gêner davantage, il continua à dire que les hommes du peuple sont dignes de manger du foin et qu'il faut les laisser dans leur ignorance. Quoi qu'il en soit, la partie du monde lettré qui, marchant plutôt avec Rousseau, n'afficha pas un tel mépris pour le peuple, chercha dans les classiques païens le pendant de l'Evangile et opposa la philanthropie à la charité. Platon et Sénèque fournirent de belles sentences et les Gracques de brillants exemples. La liberté, l'égalité et la fraternité étaient sur toutes les lèvres.

On sait ce qui en résulta: quelques mesures généreuses, comme l'abolition des privilèges, l'égalité devant l'impôt et devant la loi. Mais à côté de cela, quelle explosion de haines et de folies; les massacres, les pillages, la ruine générale, la suppression de toutes les œuvres et de toutes les fondations de charité, la guerre sans fin et la misère noire.

III. Le renouveau. - Louis XVI avait compris trop tard que le salut était dans le Sacré-Cœur. Mais les vrais fidèles pendant la Révolution s'étaient tournés davantage vers cette dévotion pleine de promesses et d'espérances. Le Sacré-Cœur était le signe de ralliement des Ven­déens, dont nous rappelions tout à l'heure le souvenir. Avec la Restauration cette dévotion prit un essor nouveau. Elle provoqua cet épanouissement prodigieux de bonnes œuvres qui a rempli notre siècle.

Citons seulement, entre cent œuvres diverses: la Propagation de la foi, l'apostolat des noirs par la Congrégation du Saint-Esprit et du sacré Cœur de Marie, les innombrables Congrégations de femmes vouées à l'enseignement ou au service des malades, des vieillards et de toutes les infirmités physiques et morales; la Société de Saint-Vincent de Paul, les patronages, les Cercles, les orphelinats et le reste.

Ce fut un courant qui gagnait toutes les âmes généreuses, sans qu'elles en connussent la source; et cela, même en dehors du monde religieux.

La pitié, la compassion devint comme la Muse de notre littérature nouvelle. L'antiquité grecque et romaine n'avait pas connu cette inspiration-là. Elle célébrait la puissance, le bonheur, la beauté, la force. Pas une voix ne s'était élevée pour plaindre les millions d'êtres humains écrasés sous la splendeur apparente de ces civilisations impitoyables. Quel poète d'Athènes ou de Rome a jamais songé à pleurer en ses chants les souffrances de l'esclave, du vaincu, du prisonnier ou du pauvre? Mais sous l'action du souffle de charité qui passe sur le monde, la faiblesse, l'infortune, la défaite, toutes les disgrâces, toutes les misères sont devenues de plus en plus les préférées de la poésie et de la littérature.

Il faut reconnaître en ceci un heureux signe des temps. L'esprit démocratique, vainqueur des longs dédains qui le tenaient en infériorité dans les Lettres comme dans la vie réelle, revendique sa place dans celles-là comme dans celle-ci, et commence à mettre la poésie en accord avec nos mœurs et nos institutions. C'est un programme nouveau et il dérive plus qu'on ne pense de l'esprit chrétien.

Le poète Manuel le formule ainsi dans sa préface des Poèmes populaires: «Que notre poésie ne craigne pas de se hasarder plus avant et plus bas dans l'expression des mœurs et des souffrances du pauvre peuple: l'Ignorance, le travail pénible, toutes les détresses, toutes les résignations, les sacrifices inconnus, les héroïsmes cachés et par là plus sublimes, voilà le thème de cette poésie où ne manqueront ni les grâces inattendues, ni les poignantes émotions, ni les sévères enseigne­ments».

C'est cette compassion pour la souffrance qui fit le succès colossal .de quelques livres de notre temps: Mes prisons de Silvio Pellico, - c'est l'élégie des nationalités opprimées; - La Case de l'oncle Tom, qui a tant contribué au renversement du vieux régime de l'esclavage; la chanson de La Chemise, qui a retenti en douloureux frissons dans toute l'Angleterre avec le nom de Thomas Hood; voire même Les Misérables de Victor Hugo, et la France juive de Drumont.

C'est pareillement ce qui a fait la popularité du Forgeron de Coppée, de sa Marchande de journaux, de ses Sauveteurs; et aussi des Ouvriers d'Eugène Manuel, de sa Robe, de sa Rive, de sa Mort du saltimbanque.

Ces sujets sont le thème favori de la pléiade bretonne, de Brizeux, de La Villemarqué, et des poètes de leur école, José Parker, Ludovic Jan et vingt autres. Ils ont chanté les marins, les pêcheurs, les faucheurs, les moissonneurs, les carriers, les faneuses, les fileuses, les chevrières. Un pieux sentiment anime ces poèmes; une compassion admirative pour les souffrances et les mérites des humbles, pour toutes ces peines dévorées en silence et tous ces sacrifices ignorés. Tant l'âme des Bretons est naturellement chrétienne!

IV. L'abus et le péril. - Il y a cependant un danger d'illusion. Ce péril est conjuré aujourd'hui par l'Encyclique de Léon XIII. Il était plein de menaces au milieu de ce siècle et particulièrement dans la période de 1841 à 1849. Quelques catholiques généreux avaient cru à une conciliation possible de l'Evangile avec le socialisme. Les doctrines économiques de la pléiade communiste et socialiste, Augu­ste Comte, Saint-Simon, Enfantin, Cabet, Proudhon, avaient quelque chose de séduisant pour les esprits superficiels et les hommes d'imagination. Dans la période que nous avons indiquée, il y eut une pluie de brochures et une série de journaux qui proposaient à la France étonnée une alliance imprévue entre le Christ et le socialisme.

Les journaux, le Christ républicain, le Christ démocrate et socialiste, le Vrai catholique, le Droit du peuple, le Peuple constituant, nous annonçaient une «société nouvelle, à laquelle rien n'était comparable dans le passé». Ils avaient pour principaux rédacteurs Chené, Segretain, l'abbé Chautaine. Plusieurs finirent par être condamnés par l'Eglise, ils glissaient insensiblement vers l'hérésie. Et ce qui est plus étrange, c'est que le journal l'Ere, nouvelle, qui avait alors pour rédacteurs Lacordaire, Ozanam et De Coux, s'associait à ces espérances vagues qui devaient enfanter tant de déceptions.

Montalembert avait signalé le péril. Il se plaignait de la naïveté de ces catholiques qui pactisaient avec des doctrines où se mêlaient des erreurs si dangereuses. Louis Veuillot indiquait la source d'où l'hérésie se précipitait: «Ces gens, disait-il, ont l'orgueilleuse préten­tion de mieux comprendre l'Evangile que ne l'a fait l'Eglise» (Univers, 5 mai 1849).

Le socialisme s'appuie sur des erreurs fatales: il place la fin de l'homme en ce monde et il attaque directement la loi divine du Décalogue, au moins en ce qui concerne la propriété. Or le Décalogue est irréductible et il est la base de toute prospérité et de toute paix sociale.

V. La juste mesure. - La solution des difficultés sociales n'est donc pas dans le socialisme. Une certaine sorte de communisme est possible entre personnes animées de l'esprit de sacrifice. Cela a été réalisé dans la primitive Eglise et cela se pratique toujours dans les communautés religieuses. Mais c'est une exception. La propriété est de droit naturel. Léon XIII en a rappelé les preuves rationnelles et théologiques dans son immortelle Encyclique sur la question sociale.

La vraie mesure est dans la pratique de la justice et de la charité. Le riche ne doit pas oublier qu'il n'est devant Dieu qu'administrateur de ses biens et qu'il doit donner à ceux qu'il emploie une juste part des produits de leur travail, en même temps qu'il doit exercer vis-à-vis d'eux une paternité affectueuse, se traduisant par des actes effectifs.

Rien n'empêche, du reste, que nous nous rencontrions avec les socialistes pour une foule de réformes utiles, dont ils nous ont d'ailleurs le plus souvent emprunté la pensée première.

Un des chefs ou des docteurs du socialisme belge, M. Vandervelde, interrogé par un journaliste, a bien caractérisé la situation. «Que pensez-vous, lui demandait-on, de la ligue démocratique catholique? - Elle constitue, répondit-il, une véritable force que nous ne pouvons pas enrayer. Les catholiques sont nombreux et nous n'avons aucune action sur eux. Dans tous les cas, que les réformes viennent des catholiques ou des autres, peu nous importe. Le principal est que les ouvriers puissent mettre du beurre sur leurs tartines».

C'est bien; jusque-là nous sommes d'accord avec M. Vandervelde. Mais le journaliste ajouta: «Vous pensez donc que les catholiques sont à même de faire droit aux revendications des ouvriers? - Oui, reprit-il, la ligue démocratique donnera satisfaction aux ouvriers, mais l'entente avec eux ne nous est pas moins impossible. Le socialisme n'est pas seulement une question matérielle. Nous différons essentiellement d'avec le christianisme au point de vue philosophique. Nous avons d'autres théories sur la propriété et la famille».

Voilà un aveu sincère. Avec la tartine de beurre il faudrait à l'ouvrier autre chose encore: l'oubli de Dieu, la facilité du divorce, l'éducation laïque et la guerre violente au capital. - Nous avons mieux que cela à lui offrir. Nous lui donnerons le respect de la famille et de la propriété, les joies de la religion, l'espérance du ciel; et la tartine de beurre par surcroît.

VI. Un exemple. - Cette Ligue démocratique de Bruxelles, que nous venons de nommer, nous donne un exemple de zèle courageux et hardi pour l'amélioration du sort des ouvriers, uni au respect profond et pratique des enseignements religieux. On a vu là des ouvriers discuter sagement, demander, sans blesser les droits de personne, des réformes qui améliorent leur situation et acclamer les enseignements du Pape. Nous parlerons encore de leurs revendications dans la Chronique.

Ils veulent que la religion soit la base de l'enseignement public, et demandent que les écoles libres soient soutenues par les pouvoirs publics dans la même mesure que les écoles officielles. - Il est équitable, disent-ils aussi, d'accorder au travailleur, en surplus du juste salaire, une part dans les bénéfices de l'entreprise, parce que le travail est un facteur indispensable à l'industrie, dont il porte dans une large mesure, les risques et les périls. C'est là, peut-être, un des points les plus délicats des revendications de ce Congrès, mais il n'a rien qui heurte ouvertement les saines doctrines et nous connaissons d'heureux essais de cette participation.

Ils ont des vues fort justes sur le développement des corporations, et des syndicats ouvriers ou mixtes, sur la réforme des impôts, sur la répression du jeu et de l'agiotage, sur la représentation des ouvriers dans les Conseils publics, sur la lutte contre le socialisme et les mesures à prendre contre l'alcoolisme. - Ils s'avancent hardiment, ils ont raison. N'y a-t-il pas trop d'apathie parmi ceux qui devraient les aider? Et s'ils gardent leur docilité envers l'Eglise, qu'ont-ils à craindre?

Avec eux, saluons de nouveau, pour donner à ces considérations un digne couronnement, l'Encyclique de Léon XIII sur La condition des ouvriers. Elle est le code des réformes nécessaires, elle est, comme disait M. Leroy-Beaulieu, «un baiser du Christ à ses pauvres et l'embrasse­ment du pauvre par l'Eglise». Elle est la charte des vrais droits de la démocratie, la formule autorisée et pratique de cette sollicitude pour les souffrances du peuple, qui émane du Cœur sacré de Jésus.


Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, novembre 1892, pp. 521-528.

UNE CRISE DU REGNE SOCIAL DE JÉSUS-CHRIST EN FRANCE

Restauration et décadence
(1815-1830)
(Cinq livraisons)

(Septembre 1893)

En feuilletant ces jours-ci quelques vieux livres, je rencontrai un recueil des documents administratifs écrits par le Procureur du Roi à Saint-Quentin, de 1815 à 1830.

Rien de plus curieux que ces pièces officielles. C'est de l'histoire et en même temps c'est un véritable tableau des mœurs à cette époque. Je vous ferai remarquer d'abord, chers lecteurs, qu'il ne s'agit pas du premier venu des Procureurs. M. Fouquier-Cholet mérite de vous être présenté. Il appartenait à une ancienne famille de magistrats. Il avait trente ans quand le siècle commença. Il avait été témoin de tous nos bouleversements sociaux. Il était de l'ancienne société par son éducation et il ne répugnait pas à ce que la nouvelle avait de bon.

C'était un érudit et un lettré. Il n'a pas laissé moins de dix volumes d'histoire générale ou locale et de mélanges littéraires et moraux. Les classiques de l'antiquité et du grand siècle lui étaient merveilleuse­ment familiers. Sans doute ce n'est ni un Bossuet, ni un La Bruyère, ni un Montesquieu, mais il est de leur école. Son nom n'a pas été au-delà d'une notoriété locale: il n'en a pas moins des pages fines et profondes et partout en lui on retrouve un homme de caractère, un grand chrétien et un gentilhomme.

N'est-ce pas son portrait qu'il traçait involontairement, quand il proposait pour modèle aux avocats de Saint-Quentin, «l'ancien barreau, dont sa jeunesse a vu luire les derniers jours».

«Il ne s'est pas évanoui, disait-il, cet ancien barreau, sans laisser de sa supériorité des traditions glorieuses, mieux encore de ses qualités morales des souvenirs précieux qui attachent de la vénération à sa mémoire. L'histoire de notre province fait sa richesse d'un grand nombre de noms heureux qu'il a donnés…

C'est là que l'homme de talent était encore l'homme de bien; que le jurisconsulte, qui s'était illustré à l'audience, était vu l'instant d'après se sanctifiant à l'église comme chrétien…

Aussi, dans ces temps-là, le barreau de Saint-Quentin fournissait-il à la législation, d'habiles interprètes; à la jurisprudence, des autorités; à la magistrature, des personnages distingués; à la littérature, des écrivains d'une érudition profonde; à la société, des citoyens recom­mandables.

C'était là que l'on allait prendre tout ce qui pouvait honorer un emploi. C'était là que les suffrages publics, qui décernaient les offices municipaux, allaient chercher des sujets pour les remplir. De là sortirent ceux de nos Echevins qui furent plus particulièrement l'honneur de l'administration et la lumière des conseils de la ville.

De là tant de ces Mayeurs vénérables, … magistrature tellement encore vivante de renommée que, malgré le temps et malgré notre indifférence pour le passé, certains faits glorieux, relatifs à notre ville, datent non de telle année, mais de l'année de tel majorat…

Ils avaient, ces avocats distingués, une position qui les égalait à toutes les supériorités civiles: de l'aisance, avec un noble emploi des moyens qu'elle procure; ce qu'on appelait alors une maison, c'est­à-dire une représentation extérieure et des rapports de haute société; une vie grave et réservée; un choix sévère dans les délassements; des moeurs franches et austères; des habitudes douces et réfléchies…

Alors la considération publique était le prix des soins que nous prenions nous-mêmes pour mettre notre vie en rapport avec les choses qui commandent partout l'estime».

M. Fouquier était bien de ceux que les suffrages publics allaient chercher pour remplir les fonctions administratives. Nous le voyons membre du conseil d'administration des hospices et président du Conseil de fabrique.

A l'heure de sa disgrâce en 1830, il pouvait dire fièrement: «C'est un orage qui m'emporte, non une faute. J'expie le crime de mes affections, crime irrémissible aux jours des tempêtes politiques. J'expie le crime non moins grand de mon âge, qui me fait enfant d'un autre siècle, avec des idées sur les choses de la religion; de la morale et de la politique qui ne sont pas celles du nôtre»; et il ajoutait avec une fière ironie: «le nôtre, qui est le siècle par excellence, comme chacun sait».

Je vous ai présenté mon héros, chers lecteurs, et je l'ai dépeint avec

«Je viens de prendre, Messieurs, dit-il, les rênes du Ministère public.

Je ne pouvais le faire dans de plus heureuses circonstances.

A la Royauté, retrouvée dans des ruines, a été rendu le soin de faire encore fleurir et prospérer notre noble France.

Des institutions, généreuses comme le Pouvoir qui les conçut, vont naître pour remplir le vide affreux opéré dans la société par la Révolution.

Des personnalités malheureuses, dont l'emploi dans les rouages de l'Administration était un obstacle à une véritable régénération, redescendent des sommités du pouvoir dans l'ombre.

Les lois sont sages, la religion est honorée, l'éducation a rattaché sa chaîne au Ciel; les mœurs s'améliorent, l'instruction se répand; la confiance règne parmi les hommes; la concorde dans les familles, l'abondance dans le pays.

L'industrie déploie des prodiges, le commerce enfante une aisance universelle; la mendicité s'aperçoit à peine; aucune main, propre au travail, n'est oisive…

Qu'avons-nous à faire dans un tel état de choses? conserver et maintenir. Ce soin ne demande que de la vigilance, de l'exactitude, de la fermeté; et tout cela est en vous. Vous suivez, dans une route facile et aplanie, un char dont l'impulsion est heureusement donnée…

Mais, si des obstacles naissaient, si des contrariétés et des embarras venaient rendre plus difficile votre marche, plus pénibles vos mouve­ments, serrez-vous autour de moi, Messieurs, comme votre appui naturel; toute ma force, qui n'est que celle des lois, deviendra la vôtre, et malheur au perturbateur qui en aura rendu nécessaire l'exercice!».

C'était là le tableau d'une société heureuse, en pleine voie de prospérité morale et temporelle. Nous ne l'avons pas lu sans émotion, en le comparant à l'état plein de tristesses, de souffrances et de périls où nous nous trouvons aujourd'hui.

Au 3 janvier 1822, six mois après sa prise de possession, M. Fouquier-Cholet se félicite encore de la prospérité sociale, mais déjà il entrevoit une légère voie d'eau au navire de l'Etat et il cherche à y remédier. Le gouvernement a gardé les juges de paix nommés sous un autre régime. Leur zèle pour l'ordre moral n'est pas ardent. M. Fouquier les stimule. Il craint avec raison que le sommeil du pouvoir n'encourage le vice.

«On ne manie pas, dit-il, pendant six mois, les affaires d'un Arrondissement, sans être à même d'en porter un jugement éclairé et certain. Le bien et le mal peuvent être appréciés avec vérité; les une certaine complaisance. Ce n'est pas que sa personnalité ait à elle seule une grande importance historique, mais il représente un type, un caractère, un rôle, le Procureur du Roi dans la société chrétienne restaurée en 1815.

Le recueil que j'analyse contient bien une quarantaine de circulai­res et discours de M. Fouquier. Ces documents sont adressés au tribunal, aux juges de paix, aux officiers de police judiciaire, aux officiers ministériels, aux maires d'arrondissement, - voire même aux desservants.

Vous remarquez déjà qu'alors nous étions gouvernés, et ce n'est certes pas une mauvaise chose, quand on l'est sagement et chrétienne­ment. Une direction ferme était imprimée à tous les ressorts de l'administration par le représentant de l'autorité centrale.

Les premiers documents que nous analyserons nous décrivent l'heureux état social dont jouissait la France pendant les premières années de la Restauration.

La patrie respirait enfin et se reposait après les luttes incessantes de l'Empire et les souffrances de l'occupation étrangère. La religion refleurissait, le commerce se relevait, Dieu bénissait une société qui revenait à lui.

Mais bientôt cet édifice moral d'un si admirable aspect est ébranlé par l'excès même de la prospérité, par le développement de l'industrie et l'immoralité qui résulte des agglomérations d'ouvriers.

Puis le philosophisme et l'incrédulité du XVIIIe siècle relèvent la tête. L'esprit de révolution et les-doctrines socialistes se propagent dans la classe ouvrière.

C'en est fait de la Restauration, elle succombe dans la crise révolutionnaire de 1830.

Notre éminent Procureur voyait grandir le mal. Il s'en plaignait. Il signalait le péril. Il indiquait les remèdes. Mais l'autorité centrale manquait de vigueur ou en usait à contretemps, et l'orage prévu éclata.

Reprenons ces documents par le détail. Comme nous le disions en commençant, ils nous dépeignent une crise du règne social de Jésus-Christ en France sous la Restauration.

Au 1er juillet 1821, le Procureur du Roi de Saint-Quentin annonce à MM. les Officiers de Police judiciaire de cet arrondissement sa prise de possession.

espérances et les craintes mesurées avec exactitude…

C'est ainsi que l'importance et la prospérité toujours croissante du commerce du pays, offrant, par le travail, des moyens abondants et assurés d'existence, aucune main n'est oisive, aucune imagination n'est déréglée, aucune nécessité n'est sans soulagement, aucune prévision n'est inquiète; partant, aucun germe vicieux ne fermente dans les esprits.

C'est ainsi qu'avec la certitude de vivre honorablement et sans peine, et d'élever facilement des enfants qui, dès l'âge le plus tendre, seront eux-mêmes, dans les ateliers, des moyens d'aisance pour leurs pères, peu d'hommes redoutent le mariage.

Or, Messieurs, vous n'ignorez pas que, partout où se forme une famille, là est une garantie plus certaine d'ordre public. Quand on est époux et père, on ne demande point au crime ce que l'on peut obtenir, sans honte et sans péril, du travail.

Aussi ai-je remarqué que dans la classification des transgressions sociales, l'Arrondissement de Saint-Quentin entre habituellement pour très peu dans les crimes.

Les délits y sont moins rares, il est vrai, mais pourtant dans des proportions très naturelles avec l'espèce de population qui le remplit. Les contraventions seules y sont nombreuses; elles attestent la facilité de vivre, puisqu'elles sortent presque toujours du sein des fêtes, des plaisirs et des cabarets.

N'attestent-elles pas aussi en même temps le sommeil du pouvoir auquel est spécialement confié le soin de leur répression? Conclurons-nous de leur multiplicité que votre action est impuis­sante ou inactive?

Si elle est impuissante, Messieurs, demandez-moi des moyens, et remontez vers moi comme vers la source de votre force.

Si elle est inactive, que penserai-je alors de vous?

La paix publique se compose de tous les éléments d'ordre particulier, disséminés sur toute la surface du Royaume. S'ils sont altérés sur un point, il y a dérangement dans l'harmonie générale de la société.

Comme cette obligation vous impose encore davantage le devoir de la vigilance!

Veillez donc, Messieurs, veillez sans cesse. Il suffira souvent que l'on vous sache attentifs pour s'abstenir du mal. La renommée de votre exactitude vous dispensera d'être sévères: il est toujours plus agréable de prévenir le mal que d'avoir à le punir».

M. Fouquier met le doigt sur la plaie et signale, comme une vigie attentive, les périls qu'il entrevoit.

L'aisance croissante apporte des tentations qui ne sont pas contrebalancées par des habitudes religieuses.

Le pouvoir central est mal servi. Les représentants de la justice dans les campagnes ne sont ni assez vigilants pour prévenir le mal ni assez fermes pour réprimer les désordres.

La Restauration n'a pas trouvé assez d'hommes de principes, d'hommes dévoués et fermes pour la servir; ou bien elle n'a pas su les discerner et les employer. Son œuvre sera ainsi minée par la base jusqu'à ce qu'elle s'écroule.

(Octobre 1893)

En 1822, la Restauration était à son apogée. La religion avait fait d'immenses progrès. Chateaubriand l'avait présentée sous l'aspect le plus séduisant à une génération prévenue. Joseph de Maistre et de Bonald atteignaient les lettrés et les philosophes. Lamennais secouait la torpeur des indifférents.

Lamartine et Victor Hugo électrisaient les masses et y faisaient pénétrer le sentiment religieux. M. Vitet remettait le moyen âge en honneur par ses études sur les beaux-arts et sur l'histoire.

M. de Frayssinous, de 1815 à 1822, retenait la jeunesse de Paris au pied de sa chaire. «Orateur suscité par la Providence, disait M. de Lamennais, pour confondre l'incrédulité, il lui ôtait tous les moyens de se refuser à l'évidence des preuves de la religion. L'erreur se débattait vainement dans les liens dont l'enchaînait sa puissante logique. On pouvait, après l'avoir entendu, n'être pas persuadé; il était impossible qu'on ne fût pas convaincu».

M. de Boulogne donnait les derniers éclats de son talent et les derniers rayons de son ardeur. Le P. Rauzan et son groupe de missionnaires parcouraient la France. Orléans, Angers, Bordeaux, Grenoble, Clermont, le Midi, Brest, Toulon et Paris avaient été évangélisés tour à tour. Le P. Rauzan entraînait les multitudes. Les esprits cultivés restaient sans défense devant son impitoyable logique et les intelligences populaires étaient gagnées par sa parole chaleureu­se et sympathique. Si ce mouvement progressif ne s'était pas heurté aux obstacles que nous dirons dans un prochain article, nous étions à l'aurore du plus beau des siècles religieux.

Cependant notre vaillant procureur de Saint-Quentin, M. Fouquier-Chollet, continuait à représenter dignement et noblement le pouvoir chrétien dont il était l'organe.

En 1822, des ecclésiastiques de l'arrondissement appellent son attention sur quelques désordres qui demandent à être réprimés.

Il leur répond au 9 février: «Les faits que vous m'exposez sont graves, je leur consacrerai tous mes soins.

Je tiens à honneur la confiance que vous placez, messieurs, dans mes principes. Si, comme homme, j'ai été assez heureux pour respecter toujours la religion, même dans des temps où la manifesta­tion de ce sentiment n'était pas sans péril; comme magistrat, je ferai tout mon possible pour le faire également respecter par les autres».

Puis il prend occasion de cette circonstance pour rappeler le rôle e l'Etat vis-à-vis de la religion. Le pouvoir ne doit pas dominer les consciences, mais il doit un respect particulier à la vraie religion, non seulement parce qu'elle est divine, mais encore parce qu'elle apporte à l'Etat lui-même les plus étonnants bienfaits.

Mais laissons-le parler.

«Loin de moi la pensée de vouloir, en matière d'opinions religieu­ses, dominer la conscience de qui que ce soit! Nul n'a le droit d'imposer sa croyance à ceux qui ne veulent pas la recevoir, ni de faire servir le pouvoir, dont il peut être armé, d'instrument à ses affaires personnelles.

Ce n'est point parce que la religion que vous enseignez est la mienne; ce n'est point parce qu'elle a partagé les douces joies de mes parents sur mon berceau, et mes larmes sur leur poussière, que ma vigilance, comme magistrat, s'éveillera toujours dans son intérêt. Membre de la grande famille dont elle est la reine et le nœud, je ne puis guère, il est vrai, voir d'un oeil indifférent tout ce qui la concerne; mais, officier public, elle m'apparaît sous un autre point de vue.

La religion, qui a mes hommages privés, comme divine à mes yeux, a des droits à mes services publics, comme étant dans l'ordre de la société ce qu'il y a de plus auguste; comme étant à la tête de toutes les institutions, sans même excepter les lois qui ne lui sont qu'un supplément; comme étant le plus sûr moyen d'ordre public; et encore parce que, partout où elle règne, l'enfance est docile, la jeunesse obéissante et studieuse, l'esprit doux et complaisant, le cœur simple et austère, l'action du pouvoir facile et ses commandements respectés.

C'est pour les bienfaits dont elle est la source ici-bas, que les lois civiles, qui ne sont faites que dans des intérêts temporels, lui doivent leur protection, et conséquemment que lui doivent la leur les officiers publics qui en ont l'exécution».

Que nous sommes loin aujourd'hui de ces doctrines si saines et si fécondes!

Les hommes qui sont au pouvoir n'ont pas seulement une indifférence que l'ignorance excuserait, mais ils subissent l'influence de la franc-maçonnerie, ils partagent ses haines pour tout ce qui est chrétien et s'inspirent de son esprit satanique.

En 1824 avaient lieu des élections législatives.

Un gouvernement a toujours droit aux suffrages de ses fonctionnai­res. Ils le lui doivent en vertu de leur serment de fidélité, s'ils l'ont prêté, et à titre de reconnaissance.

C'est ce que rappelait M. Fouquier dans une circulaire aux officiers ministériels de son ressort.

Ce n'est pas qu'il désire une chambre aveuglément soumise, une chambre servile et sans indépendance. Il reconnaît «qu'une opposi­tion loyale et respectueuse, dans les gouvernements représentatifs, est une source de lumières».

Mais ce qu'il redoute de rencontrer dans l'opposition, c'est «une résistance opiniâtre, une attitude haineuse, qu'on ne pourrait plus appeler même une opposition, mais une véritable hostilité, dont le but unique et le résultat indispensable seraient d'apporter à la marche de l'administration tous les obstacles qui pourraient l'embarrasser, la contrarier, la gêner, l'arrêter même dans l'essor de ses plus généreuses pensées».

Mais ce qu'il y a de plus curieux dans cette circulaire, c'est le jugement qu'on portait alors sur la Révolution et l'Empire, jugement formulé par M. Fouquier en termes vraiment éloquents.

«Tout esprit de justice et de sagesse, dit-il, s'était retiré de nous. Nous fûmes abandonnés aux tempêtes les plus effroyables; les tyrans les plus féroces se jouèrent de nous.

Nous eûmes la guerre civile, la guerre étrangère, la famine, le sans-culotisme, les délateurs, les assignats, les réquisitions, les abjura­tions, les profanations, le maximum, la loi des suspects, celle des otages, l'athéisme, les temples décadaires, les déesses de la Raison, l'apothéose de Marat, les massacres de septembre, les mitraillades du midi, les noyades de Nantes, les déportations de la Guyane, les comités, les commissions et les tribunaux révolutionnaires, vingt mille maisons de réclusion, les échafauds révolutionnaires, des milliers de forfaits et de misères que nous appelâmes la liberté, l'égalité et la fratenité! digne châtiment de nos fureurs et de nos attentats[».

Après ce tableau de la Révolution, voici celui de l'Empire.

«Quand, par une succession d'évènements toujours malheureux et toujours sans expérience pour nous, nous eûmes été ramenés par la force des habitudes et par l'impérieuse nécessité des choses humaines à ces formes naturelles de gouvernement qu'on ne viole jamais impunément, nous tombâmes de la plus excessive licence dans les mains d'un maître dont l'administration vigoureuse et éblouissante nous dérobant la vue du précipice, nous y enfonçait pour toujours. Mais des évènements inattendus, qui ne furent pas encore pour nous une leçon, lui ravirent cette puissance redoutable et pernicieuse qu'il lui avait été donné de déployer pour le malheur du genre humain…

Nous l'avons vu, messieurs, nous l'avons vu tomber une seconde fois cet énorme colosse, non moins terrible à la nation qu'il avait attelée à son char, qu'aux peuples qu'il avait écrasés de son orgueil. Ce pouvoir qu'il avait créé avec le fer, le fer l'a détruit, et c'est dans le sang de cent mille enfants de la France qu'est venu s'éteindre ce superbe et sanglant météore, qui ne doit le bruit qu'il a fait dans le monde, qu'à la valeur surhumaine de ces Français dont il avait prodigué avec tant d'insolence et si peu de réserve, la vie et les trésors.

Avec lui disparut cette guerre éternelle qui nous séparait des peuples de l'Europe; qui nous rendait tantôt leurs oppresseurs, tantôt leurs victimes; qui fut le tombeau de tant de jeunes générations, qui sera l'épouvante de la postérité.

Avec lui disparurent les entraves de la pensée, les gémissements de la religion, les douleurs des pères, les angoisses des mères, le deuil des familles, les alarmes des propriétaires, et toute cette masse de corruption, d'immoralités et de misères, déguisée sous les noms pompeux de gloire, d'indépendance et d'honneur national, vaines fumées auxquelles nous avons follement sacrifié pendant vingt-six ans nos enfants, nos fortunes et la paix de nos tristes jours».

A ce tableau de l'Empire, le procureur opposait celui du régime nouveau.

«La Providence, qui tenait en réserve le père de famille, disait-il, nous l'a ramené par un de ces coups soudains qui sont ses voies; elle nous l'a ramené pour nous retirer du gouffre, pour éteindre le dernier foyer des révolutions, pour nous rendre nos enfants, pour assurer nos fortunes, pour être le gage de la paix universelle, pour nous restituer des mœurs, pour nous réconcilier avec la terre et avec le ciel, pour nous faire enfin goûter ce repos, cette sécurité, ce calme, ce bonheur domestique qui sont la véritable vie de l'homme sur la terre». Puis M. Fouquier comparait les effets des deux régimes.

«Nous étions, dit-il, les serfs d'un maître sans entrailles; nous sommes les sujets d'un prince qui est toute bonté.

Nous étions les agents et les victimes des passions effrénées d'un ambitieux; nous sommes l'objet et la sollicitude des passions généreu­ses et des vues libérales d'un roi simple, modeste, doux et pacifique.

Nous n'avions de bras que pour servir l'orgueil d'un despote; nous n'en avons aujourd'hui que pour notre prospérité personnelle et pour celle de notre patrie.

Nos fortunes étaient la proie d'un dissipateur et nos enfants celle d'un conquérant insatiable; nos enfants sont comme nous les fils respectés d'un souverain paternel et légitime; et nos fortunes leur héritage.

Adorons la Providence qui nous a ramené comme par la main celui-là seul qui pouvait nous sauver».

Malgré son éloquent appel, M. le procureur ne vit pas ses désirs réalisés dans l'arrondissement de Saint-Quentin. Le candidat de l'opposition fut élu.

Il est vrai que M. Fouquier fut trahi par plusieurs des officiers ministériels dont il réclamait le concours. Il le constate dans une lettre subséquente.

Cependant le résultat général des élections fut très favorable au pouvoir. L'opposition n'avait pour elle qu'une faible minorité.

Mais cette heureuse situation allait s'affaiblir de jour en jour. La cour elle-même manquait de fermeté et d'une religion solide. Les partis d'opposition étaient nombreux. Il y avait les amis de la République et ceux de l'Empire. Les émigrés avaient rapporté d'Angleterre des idées de parlementarisme.

La presse entretenait et développait tous ces ferments de discorde. Dès 1824, un rapport secret, adressé au ministère, peignait ainsi l'état de la presse périodique: «Si le nombre des abonnés est grand aux journaux de l'opposition, le nombre de leurs lecteurs est immense, à cause des abonnements collectifs, des cafés, des cercles, des cabinets de lecture. On voit au contraire des voyageurs qui ont parcouru des départements entiers sans rencontrer un journal favorable au pou­voir».

Suivant le même rapport, le gouvernement avait pour lui six journaux, réunissant ensemble quatorze mille abonnés. L'opposition en avait six également qui comptaient quarante mille abonnés.

Encore quelques années et ce travail latent allait achever de miner et de renverser les institutions établies.

Il manquait là une presse catholique indépendante et populaire, qui pût défendre et propager la vérité. L'apostolat chrétien n'avait pas encore porté son zèle de ce côté-là.

(Novembre 1893)

Le gouvernement de la Restauration voyait grossir les points noirs qui annonçaient des nuages inquiétants à l'horizon. Le réveil de la foi qui avait suivi 1815 voyait ses progrès arrêtés. Les mauvais livres pullulaient comme les mauvais journaux. L'impiété relevait la tête.

Le pouvoir prit quelques mesures, mais elles étaient insuffisantes. Il tenta de réprimer la vente des livres subversifs et fit voter une loi contre le sacrilège.

L'esprit public se gâtait et les employés inférieurs n'appliquaient pas les lois qui pouvaient empêcher le mal de grandir.

Le vaillant Procureur de Saint-Quentin tirait tout le parti qu'il pouvait dans son arrondissement des lois et des mesures propres à faire régner la morale et la religion.

Signalons sa noble attitude relativement à la vente des livres subversifs, au repos Dominical et à la loi sur les sacrilèges.

Deux fois, il intervient pour essayer d'opposer une digue à la diffusion des livres impies et licencieux.

Le 9 août 1824, il transmet aux juges de Paix et aux Notaires de l'arrondissement une circulaire du Garde des sceaux, relative aux ventes d'objets qui sont du domaine de l'imprimerie et de la librairie.

L'intention du Garde des sceaux est excellente. Les officiers ministériels, chargés des ventes publiques, ne doivent pas se faire les complices de la mauvaise presse. Ils doivent écarter des ventes publiques tous les livres pernicieux.

M. Fouquier signale la gravité du danger. «Avec des livres, aujourd'hui, on ébranle un empire. - Avec les mauvais livres on gâte les cœurs et on pervertit les esprits. - Chacun, aujourd'hui, est tourmenté du besoin de connaître et surtout du besoin de juger. Il n'est point de contrée, point d'âge, point de disposition, qui soient étrangers à cette espèce de maladie contemporaine; et les livres qui attaquent les principes politiques, moraux et religieux, au profit de la plus grande indépendance des esprits et des actions, sont plus

avidement recherchés que les autres.

Ce penchant du siècle étant bien connu, les écrits destinés à le flatter ont dû se multiplier. Comment garantir du poison qu'ils renferment ces jeunes générations déjà assez compromises par les exemples de la génération-mère?».

Après ces observations si sages, M. Fouquier proposait le palliatif indiqué par le Garde des sceaux. Il consistait seulement à écarter des ventes publiques les mauvais livres, après avoir consulté M. le Procureur.

M. Fouquier souffrait trop de voir grandir le mal, pour ne pas y chercher de meilleurs remèdes.

Au mois d'août 1826, frappé de la gravité du mal et à la vue du péril social grandissant, il en réfère au ministère.

«Tant de dénonciations, dit-il, lui sont parvenues de la part des chefs d'institutions, de la part des chefs de famille de la ville et de la campagne, sur la facilité que trouvent leurs jeunes gens à se procurer les mauvais livres; tant d'instances lui ont été adressées dans cet intérêt, universellement regardé, et avec raison, comme la sauve-garde de l'honneur des particuliers et de la morale publique, qu'il a dû reconnaître que c'était là le siège du mal qui travaille la société, et qu'il était temps d'y pourvoir».

Il remarque avec raison que la liberté dont jouit tout homme, en France, par la Constitution, de professer telle opinion religieuse, politique et morale que bon lui semble, doit s'arrêter là où il y a, dans les doctrines qui en résultent, des causes de perturbation sociale.

Il est clairvoyant quand il dit: «Le déluge de livres infâmes qui semblent comme sortir de terre, renferme, il n'en faut point douter, le germe de quelque grande catastrophe morale, plus ou moins éloi­gnée».

Il signale les conséquences désastreuses de la corruption de la jeunesse. Par suite de la licence qui règne dans les lectures et dans les moeurs au foyer de la famille, l'enfant entre dans la vie sociale avec une innocence déjà flétrie. Il a connu le mal avant que son intelligence ne se soit ouverte à la pensée de Dieu et aux enseigne­ments de la religion. Sur les bancs de l'école, le poison, apporté du foyer domestique, circule de main en main. De là des cœurs gangrenés par des habitudes vicieuses: ce qui est manifesté chaque année par le recrutement militaire.

«Que nous serions répréhensibles, ajoutait M. Fouquier, si nous n'usions pas de tout ce qu'il y a en nous de volonté, de pouvoir, d'activité, de moyens, pour venir au secours d'une société qui court au naufrage».

Il classe les mauvais livres en trois espèces:

Les premiers, qui flattent l'indépendance de l'homme, en étouffant en lui tout principe de religion;

Les seconds, qui pervertissent ses sens par la licence et la dépravation des sujets qu'ils traitent;

Les troisièmes, qui attaquent les réputations les mieux établies, fouillent dans la vie privée pour y trouver des sujets de scandale et n'épargnent rien de ce qui est respectable.

Les uns et les autres sont bien, comme il le remarque, le produit d'une société enfiévrée et démoralisée.

Ce ne sont pas là les fruits légitimes de la liberté de la presse, c'en est l'abus le plus scandaleux.

Frappé par la grandeur du péril, M. Fouquier a donc examiné de très près les lois qui régissent la presse. N'y trouvant que des armes impuissantes, il en a référé au ministre.

Guidé par des vues élevées et entraîné par une forte conviction, il s'élève au delà des intérêts de son arrondissement et demande une loi de salut pour la patrie.

«Une législation, dit-il, autre que celle qui existe sur la librairie, est indispensable. La question est de savoir aujourd'hui si la Société vivra. Elle est attaquée dans toutes ses parties vitales par la licence effrénée des écrits et la multiplicité prodigieuse des mauvais livres. La corruption opérée par eux est au comble et les moyens curatifs sont insuffisants».

A ce cri de détresse le ministre ne répond qu'en proposant des moyens anodins.

«Dans l'état actuel de la législation, dit-il, il faut nécessairement reconnaître l'impuissance de l'administration. Les magistrats doivent essayer d'y suppléer. Par leur zèle et une surveillance éclairée et continuelle, ils peuvent opposer quelque digue à de si déplorables ravages».

Le vaillant Procureur est obligé de dire à ses subordonnés: «Le ministre ne nous met en mains aucun moyen positif de défense. Autant le mal est grand, autant les moyens de le prévenir et de le réparer sont faibles. Devons-nous pour cela reculer lâchement devant l'ennemi, ou demeurer spectateurs indifférents de ses horribles ravages? Nous ne le pouvons pas.

Ne pouvant nous armer de plus de forces, Son Excellence nous prodigue les exhortations. Eh bien! répondons à cet appel, moi, en faisant exercer sur les boutiques de librairie toute la surveillance possible en pareille matière; vous, en usant de la même action sur tous ces colporteurs ambulants que Son Excellence regarde avec raison comme les principaux instruments de désordre dans les campagnes, et qu'elle m'engage à poursuivre aux termes de l'arrêt de règlement de 1723».

M. Fouquier ajoutait: «Les mauvais livres ont déjà ruiné les bonnes mœurs en beaucoup de choses. Sauvons le reste, si la chose nous est possible».

C'est le cri de l'homme du devoir qui n'a pas de défaillance et qui combat jusqu'au bout, même avec la prévoyance d'une défaite.

L'attitude de M. Fouquier à l'occasion de la loi sur le Sacrilège, du 20 avril 1825, n'est pas moins intéressante.

Les sacrilèges fréquents commis dans les églises de campagne avaient rendu cette loi nécessaire.

A cette occasion, M. Fouquier exprime les vues les plus élevées et les plus justes sur l'ensemble de notre législation.

«En recevant le Code Civil, dit-il, nous avons béni la main qui nous l'accordait, bien qu'il y manquât beaucoup d'utiles et sages disposi­tions. C'étaient des lois, et dans l'état d'anarchie ou d'oppression dont nous sortions à peine, des lois étaient un bienfait.

Ce ne fut qu'après leur mise en activité que leur imperfection fut remarquée. On s'aperçut que ces lois qui avaient tout prévu dans l'intérêt matériel des hommes, ne contenaient aucun élément de répression contre ce qui est un outrage à la conscience publique et à l'éternelle morale des nations.

Ce vide énorme, laissé dans nos codes par l'indifférence philosophi­que, a été comblé en partie par la loi de 1814 sur le Repos du dimanche et par la loi de 1825 sur le Sacrilège».

M. Fouquier protestait ainsi contre l'hérésie moderne du laïcisme ou de l'athéisme social.

Le Garde des sceaux aussi, pour justifier la loi devant les Chambres avait affirmé le devoir qu'ont les nations de rendre hommage à Dieu. «Il n'est pas sans utilité morale, avait-il dit à la Chambre des Pairs, d'imprimer enfin à la législation d'un grand peuple le caractère religieux dont elle a été si longtemps privée. Il n'est point sans utilité politique que les premiers pouvoirs de l'Etat rendent un solennel hommage à la religion et donnent aux peuples cette haute leçon de sagesse et de piété».

Et à la Chambre des Députés: «Lorsqu'un Etat a été profondément ébranlé, lorsque la morale des peuples a été profondément pervertie, lorsque leurs principes religieux ont été longtemps attaqués et presque détruits, il n'est point sans avantage pour eux de voir rendre des hommages éclatants à la religion, qui seule peut rétablir, protéger et affermir les empires».

Comme il est bon et consolant de voir ainsi une nation aux pieds de son Dieu, lui rendant hommage et reconnaissant ses droits souverains!

Deux fois en 1825, M. Fouquier intervient pour faire respecter la loi de 1814 sur l'observation du Dimanche.

Au 16 février, il s'adresse aux Maires. Un assez grand nombre d'entre eux, dit-il, sont accusés de fermer les yeux sur la violation de la loi. Par des travaux publics, par des jeux, par des cabarets scandaleuse­ment ouverts pendant le service divin, on insulte impunément à la Religion de l'Etat et à la loi qui la protège.

«De là ce mal moral, que n'aperçoivent pas les esprits superficiels, qui, énervant à la longue la croyance et les traditions des peuples, attaque jusque dans ses fondements la société tout entière.

En associant les Maires au mouvement général de l'administration, le Gouvernement a cru qu'il trouverait en eux des auxiliaires zélés et puissants, pénétrés de la sainteté de leurs devoirs et de l'importance de leur ministère».

Cette loi n'était qu'une loi de respect pour la religion de la majorité des Français. Longtemps elle fut impunément violée avec la conni­vence des représentants de l'Etat.

Plus tard on l'a effacée de la législation où la Franc-Maçonnerie ne veut plus voir trace de religion.

Au 1er juillet 1825, M. Fouquier était consulté par plusieurs Maires qui lui demandaient si par ces mots le temps de l'office la loi avait en vue l'office de l'après-midi aussi bien que l'office du matin. Il leur répondait affirmativement en s'appuyant sur un arrêt de la Cour de Cassation.

Il leur citait les paroles suivantes du Procureur général de la Haute Cour: «I1 faut au moins que ceux qui n'ont pas assez de ferveur pour assister à l'office du soir, respectent la réunion de leurs frères dans le lieu saint, et n'opposent pas à leur recueillement des jeux publics, des plaisirs bruyants et surtout ceux du cabaret, si souvent marqués par des scènes violentes ou par les excès les plus honteux.

Rendons justice à notre nation; elle est essentiellement religieuse. Les ordonnances de nos rois disent le respect qu'on doit avoir pour le septième jour; mais la tradition nous apprend que ce respect fut toujours dans nos mœurs et dans nos habitudes.

Le recueillement public et le silence des rues étaient remarquables surtout dans les villages: c'était une des choses qui frappaient le plus le voyageur…».

Hélas! hélas! combien la pauvre France est changée! Que Dieu lui pardonne et la délivre du terrible malheur de l'impiété!

De 1825 à 1829, les mœurs allaient s'affaiblissant, la société se désorganisait et la révolution se préparait.

Notre vigilant Procureur signale à chaque occasion le péril croissant. Il essaie de réagir dans la mesure de son influence. Il stimule fréquemment le zèle des juges de paix et des maires. Mais le remède est difficile et le mal va croissant.

Le pouvoir central était trop faible. Il n'avait pas trouvé dans les villes et les campagnes d'auxiliaires qui eussent assez de principes et de fermeté.

L'Eglise, la plus grande force sociale, était en France à l'état d'un convalescent à peine remis d'une maladie mortelle. Les diocèses n'avaient plus d'unité. Les évêques, nommés par l'empire, avaient mérité leur élection, autant par leur zèle politique que par leur ardeur religieuse. Le clergé était peu nombreux et il comptait beaucoup de vieillards. Les Congrégations, qui donnent un si puissant concours à l'Eglise, ne faisaient que renaître.

Tous les ferments d'impiété et de révolution, un moment contenus par le nouvel état social, recommençaient à s'agiter.

M. Fouquier nous signale, dans quelques documents fortement motivés, l'irréligion et le libertinage grandissants, les désordres et l'immoralité des usines, la faiblesse des autorités locales, l'esprit voltairien qui se raille de ce qu'il y a de plus respectable, la mauvaise éducation des enfants, et la superstition qui rentre dans les mœurs à la place de la religion.

Le 1er juillet 1825, le Procureur avertit les maires et les juges de paix. Ils sommeillent, il doit réveiller leur vigilance.

La moralité baisse dans les campagnes. «Chacun aujourd'hui, dit-il de se récrier sur l'infidélité de ses serviteurs, de ses ouvriers, de tous ceux qu'il emploie. Chacun de convenir que des serrures et des verroux ne sont plus une protection infaillible; chacun de trouver ses spoliateurs dans les rangs de ceux qu'il nourrit».

Le premier remède est de livrer les délinquants à la justice. Le Procureur de Saint-Quentin le signale, mais il n'est pas de ceux qui s'arrêtent à des mesures terre à terre, il cherche le principe du mal et voudrait y obvier.

«Si je remonte, dit-il, au principe de tous ces désordres, je le trouve dans un luxe effréné, dont l'exigence est extrême; dans un libertinage effronté, qui a perdu jusqu'à la pudeur et le sentiment des bienséances sociales, dans l'esprit irréligieux qui infecte aujourd'hui les campa­gnes».

Le Procureur ne craint pas de donner une leçon sévère aux administrateurs des communes. «Là où règne le mal, dit-il, la faute en est bien souvent à la mollesse des maires et à l'inaction des agents de la police municipale. Les uns et les autres sont pleins de complaisance à l'égard des actes par lesquels la religion est ou méconnue ou offensée dans leurs communes.

Officiers publics, ils ne voient pas que si les délits se sont ainsi multipliés, c'est depuis que le frein, imposé par la religion aux consciences, est brisé.

Pères de famille, ils ne voient pas que l'indocilité, les irrévérences et les mœurs licencieuses de leurs enfants ont la même source.

Chefs de maison, ils ne voient pas que l'insoumission et les infidélités de ceux qui les servent sortent du même principe.

Epoux, ils ne voient pas que les désordres de la maison conjugale n'ont pas d'autre origine.

Sujets, citoyens enfin, ils ne voient pas que si l'harmonie sociale menace d'être brisée, la cause en est là.

L'indifférence des gens influents a corrompu une génération naturellement sceptique, enivrée d'indépendance et d'amour-propre; elle a préparé une postérité dont les noms figureront plus souvent dans les greffes de la Police et des Tribunaux criminels que dans la légende des héros et des saints».

Le Procureur ne veut pas cependant se décourager. «Ne déses­pérons pas cependant, ajoute-t-il, de neutraliser tant de mauvais principes. Si nous ne pouvons changer la pensée, ni le caractère des hommes, il nous est donné du moins d'arrêter par la vigilance et par la sévérité le torrent des mauvaises actions.

Pour ce qui touche à la morale publique, cela concerne plus immédiatement vos respectables Pasteurs. Aussi faut-il qu'ils trouvent en vous toute l'assistance dont ils peuvent avoir besoin. L'objet de la religion étant de rendre les hommes meilleurs, les lois n'ont pas de meilleur auxiliaire. Elle est un grand pouvoir dans la société; or, ce n'est que par le concours et par l'harmonie de tous les pouvoirs que nous pouvons nous flatter d'étayer un édifice miné de toutes parts par le relâchement des mœurs».

Malheureusement une si sage direction n'était guère suivie.

Au mois de mars 1826, M. Fouquier communiquait aux juges de paix les réflexions les plus sensées sur le dommage causé aux mœurs publiques par l'organisation moderne de l'industrie.

«Le pays que nous habitons, observe-t-il, a subi, dans ses habitudes et dans ses mœurs, une révolution complète depuis quelques années. L'agriculture, moyen unique de sa prospérité, pendant des siècles, n'en est plus aujourd'hui qu'un élément secondaire.

L'industrie, qui l'a remplacée, a comme envahi la société. La population des campagnes se trouve presque tout entière absorbée dans ses ateliers.

Qu'est-il résulté de là?

Sous le rapport des mœurs des maux incalculables.

L'esprit des règlements qui s'observent dans ces vastes établisse­ments, la confusion des sexes, la liberté des conversations, la jeunesse exposée sans expérience et sans guide; l'âpreté au gain chez les patrons, qui fait des travailleurs une marchandise; le spectacle continuel de toutes les indépendances morales, mille autres causes encore y ont mis fin à l'ancienne société et effacé les dernières traces des mœurs dont les campagnes avaient encore conservé l'empreinte et le tradition».

Comme ce tableau est saisissant! M. Fouquier disait en 1826 ce que nous avons enfin aujourd'hui universellement reconnu. Il stigmatisait d'avance l'école libérale d'économie politique, qui fait de l'homme une marchandise et soumet les salaires à la loi unique de l'offre et de la demande.

«Ne demandez plus rien, ajoutait M. Fouquier, dans ces réunions nombreuses aux idées religieuses: leur empire est détruit là plus encore qu'ailleurs.

Le besoin des jouissances, l'amour immodéré du plaisir ont ôté ses scrupules à la conscience, ses délicatesses à la pudeur, leur innocence à la pensée, à l'esprit, au cœur, au plus jeune âge.

La campagne est aujourd'hui comme la ville, sceptique, voluptueu­se et flétrie.

De là des mœurs affreuses et des actes qui sont aussi bien du domaine des lois que de celui de la conscience:

Les insultes aux ministres des autels; Les irrévérences dans le temple; Les offenses à l'autorité paternelle;

La prostitution des plus innocentes créatures, vendues parfois par les premiers gardiens de leurs mœurs, par leurs parents eux-mêmes; Le vagabondage d'hommes et de femmes qui quittent le domicile conjugal et abandonnent leurs enfants, pour vivre ensemble en insultant la pudeur publique».

Et le Procureur était obligé d'ajouter tristement:

«Il faut donc qu'il y ait dans nos campagnes, de la part de ceux qui devraient donner l'éveil, une bien grande indifférence!».

Au 12 octobre 1826, le zélé Procureur essaie encore de stimuler l'activité de ses maires et de ses juges de paix.

Il voit le mal grandir chaque jour. «Le déréglement des mœurs et le dévergondage des opinions, dit-il, n'ont plus rien qu'ils respectent. Tout le monde remarque le relâchement des liens sociaux.

Les juges de paix pourraient cependant beaucoup dans les campa­gnes et les maires aussi. Mais par leur connivence la sainteté du dimanche est profanée par des travaux publics et par l'ouverture illégale des cabarets».

Notre vaillant Procureur adresse alors une apostrophe véhémente à ces officiers publics qui ne font pas respecter la loi.

«Sont-ils donc, s'écrie-t-il, des chrétiens ou des idolâtres?

Ils seront les premiers à se plaindre de l'inconduite de leurs enfants, des infidélités de leurs serviteurs, de l'indocilité de leurs administrés, de l'incandescence et de l'impétuosité des passions qui grondent au cœur de l'homme; les premiers à dénoncer les crimes et les désordres dont ils sont journellement les témoins; les premiers à déplorer l'immoralité dans laquelle de jeunes générations vont s'engloutir pour la ruine de leur santé ou grandir pour le malheur de l'avenir; les premiers à gémir du relâchement des liens sociaux, de la faiblesse du pouvoir, de l'impuissance des lois; et lorsque la religion, qui a été celle de leurs pères, et qui les a marqués eux-mêmes, au front, de son auguste sceau, leur offre une garantie du bien, ils en laissent violer les lois, profaner la dignité, avilir les commandements, dégrader l'autorité!».

Et ce qui prouvait que M. Fouquier voyait juste en s'en prenant aux autorités locales, c'est qu'il pouvait citer certaines communes où des maires religieux et zélés avaient pu conserver les bonnes mœurs.

Le 8 novembre 1826, dans un éloquent discours à l'audience de rentrée du tribunal civil, le Procureur du roi salue la Magistrature française qui va chaque année à pareille date se prosterner au pied des autels devant l'Esprit de sagesse, pour revenir combattre, avec les armes de la loi et les forces de sa conscience, les éternelles passions des hommes; pour affermir l'ordre public par le salutaire effroi des châtiments dont il lui est donné, par le suprême dispensateur des pouvoirs, de déployer les rigueurs.

Mais il doit constater avec douleur le réveil de l'esprit voltairien en France, et comme un vaste système de dénigrement et de déconsidéra­tion contre les hommes que le gouvernement a investis de sa confiance et préposés à l'exercice du pouvoir et à l'administration de la justice.

Les pamphlets et les journaux rivalisent dans ces attaques haineu­ses et injustes contre tout ce qui mérite le respect.

M. Fouquier rapproche cette campagne de dénigrement et de calomnies de celle qui a préparé la Révolution.

Les magistrats n'en doivent pas moins agir selon leur conscience. «Mépriser ces clameurs, c'est montrer une noble supériorité, une haute indépendance, un grand et beau caractère».

Quelles pensées élevées M. Fouquier émet aussi sur l'éducation dans une circulaire adressée aux maires en 1827, pour leur enjoindre de veiller à l'observation des lois sur l'enseignement.

«L'éducation, remarque-t-il, exerce sur toutes les choses de la vie une action immense.

Confiée à des mains pures, elle développera avec avantage les germes heureux que la nature a déposés dans le cœur des enfants et elle stérilisera leurs mauvaises dispositions.

Livrée, au contraire, à des mains infidèles, elle pervertira ce qui était bon, elle étouffera le bon grain prêt à croître et elle fera naître l'ivraie à sa place».

M. Fouquier apprécie ensuite cette éducation positiviste et athée qui a été donnée pendant la période révolutionnaire et dont nous faisons, hélas! un nouvel essai aujourd'hui.

Quelle génération, dit-il, ne nous a pas donnée cette manière d'éducation philosophique, qui avait pris le nom d'éducation libérale, parce que, selon l'expression d'un moraliste, elle n'enseignait ni 'à craindre ni 'à obéir!

Quelle génération n'avons-nous pas reçue de cette éducation, où tout se trouvait, excepté Dieu; où tout s'enseignait, hors les obliga­tions principales des hommes dans la société et dans la famille; où tout était révélé, hormis nos faiblesses, nos besoins et nos espérances; où tout était appris, excepté ce qu'il importe le plus à l'homme de connaître.

Elle a grandi cette génération à laquelle on a donné tant de prétentions et de droits, et si peu de foi, de croyances, de retenue et de sagesse. Encore quelques années et la société tout entière sera à elle seule! ».

Ces réflexions appliquées à notre société actuelle ne font-elles pas frémir?

Et le Procureur ajoute: «Qu'arriverait-il si une autre éducation ne venait pas dès aujourd'hui à notre secours et à celui de l'avenir?». Qu'arrivera-t-il chez nous, si l'enseignement libre se décourage, s'il est étouffé par la force, si la société ne revient pas à d'autres principes?

Enfin au 11 août 1827, M. Fouquier signale un fait qui se reproduit aujourd'hui.

L'homme a besoin de surnaturel; à mesure que la foi baisse, la superstition grandit.

«Il y a des hommes, dit M. Fouquier, qui seraient au désespoir que l'on pût penser qu'une seule idée religieuse les domine, et qui ne sont pas honteux d'avoir dans le tirage des cartes ou dans tout autre moyen de divination, une foi imperturbable.

Voilà au siècle qui renie Dieu avec orgueil, l'état avili de la raison humaine!».

Et M. Fouquier ajoute avec justesse: «Rien ne dégrade davantage les hommes que ce genre d'escroquerie, ce commerce de crédulité, féconds en désordres et en immoralité».

Nous en sommes, hélas! revenus à ces beaux temps où fleurissent les voyantes, les somnambules et les tireuses de cartes.

A côté de ces tristesses, si notre époque offre quelque consolation et quelque espérance, c'est l'ardeur avec laquelle les œuvres de presse catholique et d'enseignement libre luttent contre la perversion des idées et des mœurs. Dieu bénira notre bonne volonté et le Sacré-Cœur de Jésus nous sauvera.

Nous avons comme pris sur le fait l'action sociale chrétienne du pouvoir sous la Restauration, en étudiant les discours et circulaires du Procureur du roi à Saint-Quentin.

Ce Procureur modèle a fait tout ce qui dépendait de lui pour contribuer au règne social du Christ dans son arrondissement.

Il s'est heurté à des obstacles insurmontables: la faiblesse du pouvoir central, l'inertie et le mauvais esprit des autorités locales, l'insuffisance des lois, l'influence dissolvante de la presse et le développement de l'industrie en dehors de toute organisation morale et religieuse.

M. Fouquier a vu grandir le péril. Il l'a dénoncé. Il est resté ferme et fidèle à son devoir, jusqu'à ce que la tempête révolutionnaire qui a tout renversé dans l'Etat, l'ait entraîné dans ses tourbillons.

Un changement profond s'est opéré dans les intelligences dirigean­tes pendant le cours de la Restauration.

En 1815, l'école catholique et monarchique était pleine de sève et de vie riche en grands écrivains. Où en est-elle dans les dernières années de la Restauration? Elle est affaiblie, sans influence, presque à l'état de dissolution. La mort, le mauvais terrain où elle s'est trouvée engagée, le cours momentané des idées, les divisions intestines, les défections l'ont décimée.

Joseph de Maistre est mort, l'esprit plein de sombres pressenti­ments.

M. de Bonald commence à vieillir et ne prend plus la parole que pour faire entendre de sinistres prophéties sur l'avenir de la France. M. de Frayssinous est descendu de la chaire. Les affaires, dans lesquelles la politique l'a jeté, ont achevé d'user les forces qui lui restaient.

Chateaubriand s'est séparé de cette école avec laquelle il a si longtemps marché. Il prête le concours de sa redoutable plume au libéralisme.

Lamennais est déjà dévoyé. Il entraîne la jeunesse sur la pente glissante de la démocratie.

Victor Hugo a quitté aussi l'école catholique et monarchique, après avoir été son poète le plus ardent.

Où sont donc la force, l'influence et la vie? Elles se trouvent désormais dans l'école révolutionnaire.

Le terrain est préparé pour un bouleversement social. Les cir­constances vont y aider.

En janvier 1829, M. Fouquier constate les symptômes d'un péril prochain, mais il espère encore ou feint d'espérer le maintien de l'ordre.

Il s'adresse à ses collaborateurs ordinaires, les juges de paix et les officiers de police judiciaire.

La Révolution, leur dit-il, nous a légué des doctrines qui sont opposées à l'ordre social. L'esprit de parti a semé la division dans la nation. Les circonstances difficiles que l'on traverse venant s'ajouter à ces éléments de discorde mettent la société en péril.

Le commerce est dans le marasme. Les affaires, d'abord incertaines, puis languissantes, sont devenues mauvaises dans plusieurs de leurs branches. Les petits ateliers, les plus nombreux, sont fermés en grande partie. Les établissements d'une importance moyenne sont rendus déserts par le chômage deux ou trois jours de la semaine. Les plus vastes, éclaircis par le renvoi d'une partie de leur laborieuse popula­tion et soumis à des réductions de prix, donnent à peine du pain à des ouvriers qui y trouvaient, depuis des années, l'aisance, des ressources pour le luxe même et trop souvent hélas! pour l'intempérance.

Les céréales et le pain sont au plus haut prix. Les secours que distribue la charité publique sont loin d'être en rapport avec les nécessités du moment, et beaucoup de souffrances restent inapaisées.

Il faudrait dans une crise de ce genre resserrer les liens sociaux, soulager ceux qui souffrent, désarmer les agitateurs. Mais comment faire?

«Vos moyens, ajoute le Procureur, sont le zèle, l'activité, l'adresse, la vigilance, comme officiers de police; l'exactitude, la fermeté, la vigueur, comme juges.

Attachez-vous à surveiller les propos empoisonnés de ces hommes cauteleux qui s'attendrissent avec hypocrisie sur des misères qu'ils ne partagent pas, pour en enfoncer davantage le sentiment amer dans l'âme de ceux qui les éprouvent; qui, pour envenimer des plaies, déjà assez profondes, et accroître le mécontentement, attribuent à des causes politiques, à des volontés perverses, ce qui est l'ouvrage de la nature ou de circonstances indépendantes des hommes et de l'admi­nistration».

Il y avait donc alors des meneurs comme aujourd'hui. Ils ne fomentaient pas des grèves, mais ils préparaient la révolution.

Le Procureur stimule ses auxiliaires. L'administration pouvait atténuer le mal et peut-être détourner l'orage, à une époque où elle était plus écoutée qu'aujourd'hui.

«Combien, dit-il, il nous serait agréable, la tourmente passée, de pouvoir nous glorifier d'avoir maintenu l'ordre dans une contrée où, par des causes accidentelles, tout semblait tendre au désordre et au mal!».

On sent cependant que sa confiance faiblit. «Que si nous n'y parvenons pas entièrement, (ce qu'à Dieu ne plaise, et ce dont je ne puis me persuader) il y aura toujours de l'honneur pour nous et un grand bénéfice pour la société, à en avoir réduit les causes, contrarié les développements et atténué les effets».

Mais que pouvait le zèle du Procureur contre les causes générales de dissolution sociale que nous avons déjà indiquées?

Quelques jours plus tard, le Procureur s'adresse aux Maires de l'arrondissement. Malgré la misère publique, il redoute les excès du carnaval. Il engage les Maires à prévenir ces excès par leur vigilance.

Dans plusieurs communes de l'arrondissement, l'année précédente, le carnaval a fourni des scènes de désordre qui accusent la déprava­tion des cœurs et celle des esprits.

«La dépravation des cœurs, par les abominations (c'est le mot) qui, sous le masque, ont souillé les veillées et déshonoré les familles.

La dépravation des esprits, par les travestissements honteux et les pantomimes sacrilèges qui ont servi à insulter ce que la religion a de plus saint dans ses dogmes et dans son culte.

Les autorités locales ayant gardé le silence, la justice n'a pu sévir contre les coupables.

Cependant, ajoute le Procureur, dans des communes peu importan­tes, il était facile d'empêcher le mal. Rien ne peut s'y passer, même s'y préparer, qu'il ne soit su à l'instant de tout le monde».

Il ajoutait: (Que tout ce qui tiendra aux plaisirs du temps devienne donc l'objet de votre plus sévère attention, afin que ni la religion, sans laquelle il n'y a pas de société possible; ni les mœurs, dont l'altération est le plus grand fléau des Etats civilisés, n'en reçoivent aucune atteinte».

Mais il ne pouvait compter ni sur le bon esprit ni sur la fermeté des maires.

Au mois de mai 1829, le peuple commençait à opposer de la résistance à la perception des impôts. En voyant cela, le Procureur du roi reportait sa pensée aux désordres qui avaient préparé la révolution de 1789.

Sa nouvelle circulaire aux juges de paix, aux maires et aux officiers de gendarmerie est saisissante.

«Lorsque la révolution alluma ses premiers feux, leur dit-il, elle s'annonça par des excès contre les préposés aux revenus publics, qui furent insultés, battus, chassés et, dans quelques provinces, attachés à des poteaux.

Voudrait-on, après quarante années d'expériences bien cruelles pourtant, revenir à ce point de départ?

Sur plusieurs points du royaume, les populations égarées se sont laissées aller à la violence envers les percepteurs des contributions indirectes.

La malveillance, l'erreur, la haine de tout ce qui est d'ordre public, confondant leurs éléments d'hostilité, ont éclaté en insultes, en voies de fait, en rébellion enfin contre ces employés.

Mgr le Garde des Sceaux vous recommande d'user de tous les moyens qui sont en votre pouvoir pour les protéger efficacement». C'était déjà l'esprit révolutionnaire qui entrait en scène et se manifestait par ses œuvres.

Malheureusement l'administration communale ne répondait guère à la fermeté du Procureur du roi. Et à l'audience de rentrée du tribunal civil le 11 novembre 1829, M. Fouquier pouvait dire aux magistrats: «L'indécision, l'hésitation, le doute, que tant dé bons esprits remarquent avec peine dans l'action d'un grand nombre d'officiers publics, trahissent la faiblesse, cette maladie du pouvoir et du siècle». Et il ajoutait, avec le sentiment courageux du devoir: «Faisons voir du moins que cette faiblesse ne nous a pas gagnés».

On sait ce qui advint quelques mois après. Les prévisions de M. Fouquier et des hommes les plus clairvoyants de ce temps-là se réalisèrent. La révolution renversa la royauté traditionnelle. Paris et la province furent livrés à tous les désordres pendant quelques semaines. Louis-Philippe d'Orléans nommé lieutenant-général du royaume se laissa décerner la royauté par la Chambre. Il prêta serment de fidélité à la charte au 9 août 1830 et s'appliqua à rétablir l'ordre dans le royaume.

Le Procureur du roi à Saint-Quentin resta sur la brèche tant qu'on ne le releva pas de ses fonctions.

Le 30 août 1830, il recommande la fermeté aux juges de paix et aux officiers de police.

«La vigilance est plus nécessaire, leur dit-il, dans ces grandes commotions politiques par lesquelles nous passons; dans ces temps où les passions sont momentanément plus fortes que les lois».

Le socialisme, qui nous menace aujourd'hui, s'essayait alors et donnait le spectacle du plus parfait désordre. Toutes les moissons avaient été livrées au pillage. Aux cris des propriétaires qui récla­maient protection, la multitude répondait effrontément: «Ce que la terre produit pour tous appartient à tous». Toutes les propriétés ont été violées. C'était l'anarchie.

«Mais maintenant, disait M. Fouquier, la tempête est passée. La justice doit reprendre son cours ordinaire, tout doit rentrer dans l'ordre. Les lois raffermies doivent retrouver leur puissance; et rien n'est plus propre à la leur rendre que l'action diligente et ferme de leurs organes».

M. Fouquier avait donc été dans toutes les situations à la hauteur de ses fonctions. Zélé et clairvoyant pendant la paix, il avait été ferme et intrépide dans la tempête.

Mais le pouvoir nouveau voulait des serviteurs nouveaux, et le Procureur du roi fut récompensé de ses services par une injuste révocation.

C'est une belle page et peut-être la plus belle de ses écrits que la lettre par laquelle il fait part aux magistrats de son ressort du décret qui le frappe.

«Le gouvernement qui vous régit, dit-il, vient de prononcer ma révocation. Il a usé d'un droit qu'il tient de nos institutions.

Après soixante années d'une vie irréprochable, dont vingt-huit ont été passées dans la magistrature, et près de vingt dans l'exercice du ministère public, je quitte des fonctions nobles, pénibles et austères, auxquelles j'estime avoir toujours été fidèle.

C'est un orage qui m'emporte, non une faute… Hélas! il a emporté bien d'autres personnalités que la mienne.

J'expie le crime de mes affections, crime irrémissible aux jours des tempêtes politiques, témoins ces destitutions innombrables qui déran­gent parmi nous tant d'existences, et qui portent la douleur et la perturbation dans tant de familles.

J'expie le crime non moins grand de mon age, qui me fait enfant d'un autre siècle, avec des idées sur les choses de la religion, de la morale et de la politique qui ne sont pas tout à fait celles du nôtre, qui est le siècle par excellence, comme chacun sait.

Je me retire avec une conscience tranquille et avec cette pensée consolante qu'en remplissant, comme je l'ai fait, tous mes devoirs, je n'ai point fait honte au nom sans taches qu'a porté mon père, et que mes enfants n'auront point un jour à rougir de celui que je leur léguerai».

Nous nous sommes complus à montrer cette belle figure de magistrat. De pareils exemples sont édifiants et réconfortants.

Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, septembre 1893, pp. 423-429; octobre 1893, pp. 477-483; novembre 1893, pp. 530-536; décembre 1893, pp. 580-587; janvier 1894, pp. 10-17.

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