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LA CRISE AGRICOLE
ET L'ACTION CATHOLIQUE
EN ITALIE

Ce n'est pas d'aujourd'hui que date la crise agricole en Italie. Elle était déjà si intense en 1877 qu'on la croyait à son comble et une loi de l'Etat organisa une immense enquête pour en étudier les causes et en chercher les remèdes. Une commission compétente fut nommée sous la présidence du sénateur Jacini. L'enquête dura neuf ans, les travaux des commissaires furent réunis et publiés en 15 gros volumes, riches en documents, en statistiques, en rapports, en témoignages de tous genres. Les frais de l'enquête s'élevèrent à la somme modique de 355,600 francs. Les résultats, comme ceux de la plupart des enquêtes, en furent nuls, et les 15 gros volumes restèrent lettre morte.

L'enquête officielle nous aide à marquer nettement le point de départ de la crise agricole italienne. «Depuis 1860, dit le sénateur Jacini, et pendant vingt-cinq années consécutives, l'Italie agricole s'est laissée dépouiller et saccager par l'Italie politique». L'aveu du sénateur et de la commission parlementaire est net et précis: la crise agricole a été tout d'abord une conséquence de la transformation politique de l'Italie. C'est en 1860, après le traité de Zurich, et dans les deux années suivantes, qu'ont été réalisées par M. de Cavour, avec l'aide de Garibaldi, les diverses annexions qui ont constitué le royaume d'Italie.

Pourquoi la crise agricole a-t-elle suivi la formation de l'Italie nouvelle? C'est, comme le dit l'enquête officielle, parce que «l'Italie agricole a été dépouillée et saccagée par l'Italie politique». Il fallait à l'Italie nouvelle des ressources considérables pour s'organiser en grande nation et pour frapper l'esprit des populations par l'entreprise d'importants travaux publics. Il fallait des hommes aussi pour former une armée. On enleva des bras à l'agriculture et on lui demanda des impôts toujours croissants qu'elle ne pouvait pas porter.

En 1885 déjà le sénateur Jacini écrivait: «Toutes les classes agricoles éprouvent un profond dégoût en pensant que le Gouverne­ ment n'a pas de cœur envers elles».

Les rapports condensés dans les 15 gros volumes ont des pages d'un réalisme effrayant, capables de faire frémir et pleurer. « Les habita­tions des paysans de la Vénétie, dit le rapport du commandeur Morpurgo, sont déplorables, malsaines et parfaitement misérables, - elles tombent en ruines, - ce sont des chenils, des maisons d'infection, - il y en a qui sont moins des habitations humaines que des tanières d'animaux, des porcheries, des taupinières. - Neuf fois sur dix, conclut-il, les paysans n'ont pas une maisonnette digne de ce nom; neuf fois sur dix leurs habitations sont malsaines; ils ne sont riches qu'en misères (la ricchezza del male è tutta là dentro)». - Vol. IV, pages 2-5.

En parlant de la Lombardie, le rapporteur Jacini constate que « les paysans vivent dans la pire des conditions hygiéniques, en dormant dans un air infect et corrompu; et dans la pire des conditions morales, étant contraints par l'exiguïté des maisons à une promiscuité honteuse. - Dans d'autres provinces, on trouve chez les cultivateurs deux, trois et quatre lits dans une chambre; les hommes dorment sur le foin; parfois, comme dans la région de Mantoue, les hommes, les femmes et les animaux logent pêle-mêle dans des huttes de roseaux enduites de boues. Dans la campagne romaine, c'est dans des grottes creusées dans le tuf, sans lits, sans latrines, absolument comme des animaux». - Vol. VI, pages 87-141. - Vol. XI, page 787.

Un autre signe éclatant de la misère, c'est l'émigration provoquée par la faim et la souffrance. Elle était déjà considérable en 1885, elle ne s'est pas arrêtée depuis. Elle dépeuple particulièrement les provinces tout agricoles du Midi.

En 10 ans, de 1882 à 1892, Cosenza a perdu 115.000 habitants; Catanzaro en a perdu 67.000; Potenza, 132.000; Campobasso, 95.000; et l'ensemble des provinces, méridionales, environ 950.000. (Statisti­que, citée par la Voce della Verità du 15 décembre).

Comme nous l'avons déjà insinué, l'enquête n'a remédié à rien. Elle a été bientôt oubliée, les volumes publiés par la junte officielle gisent dans les bibliothèques. La manie de faire grand et les expansions coloniales ont attiré et absorbé tous les soucis du Gouvernement. La pauvre agriculture a continué à être regardée comme une vache à lait inépuisable et elle a été de plus en plus mise à sec.

Et puis tant de causes diverses sont venues s'ajouter aux exactions de l'Etat pour ruiner l'agriculture!

Les produits agricoles de l'Italie ont tous été dépréciés par la concurrence des pays nouveaux. Le sol si riche de l'Italie donne des céréales, du vin, du riz. Le midi donne les oranges et les citrons, qu'on appelle d'un nom complexe, les Agrumi. Plusieurs provinces, plantées de mûriers, produisent la soie, d'autres donnent les olives et l'huile. Mais la soie et le riz arrivent de Chine à des prix infimes; les céréales des Etats-Unis, de la Hongrie et de la Crimée envahissent le marché; l'Algérie, la Tunisie, l'Espagne exportent des vins à bon compte; la Suisse et la Bavière ont planté des vignes pour se passer des vins italiens; les Agrumi d'Espagne, d'Oran et même de la Floride font concurrence à ceux de la Sicile et de Naples, et le pétrole est venu partager le marché avec l'huile d'olive.

Toute l'agriculture est atteinte, et l'Italie est presque uniquement agricole. Elle a très peu d'industrie et n'en peut pas avoir, n'ayant pas dans son sol les principaux éléments de l'industrie, la houille et le fer, ses moteurs sont réduits à consommer la houille importée d'Angleter­re.

Il n'y a donc pas de profits industriels qui puissent compenser les pertes de l'agriculture, et il n'y a guère d'autre base pour l'impôt que cette pauvre terre dont les produits sont si dépréciés.

Une autre aggravation de la situation agricole est venue de la rupture du traité de commerce avec la France: les vins, les soies, les fruits, les animaux de boucherie n'ont plus passé la frontière.

Et puis le régime de la propriété et les mœurs elles-mêmes sont si peu favorables au modeste laboureur! Certaines régions ont gardé la fâcheuse coutume romaine et féodale des latifundia. En Sicile, en Calabre, dans la campagne Romaine et dans d'autres régions encore, d'immenses domaines appartiennent à des familles privilégiées qui consomment leurs revenus à Naples, à Palerme, à Rome, sans se soucier du sort de leurs tenanciers. Presque partout les propriétaires pratiquent l'absentéisme et laissent leurs terres aux mains d'exacteurs semblables à nos anciens fermiers des impôts.

L'aliénation des biens d'Eglise a plutôt aggravé le mal qu'il n'y a remédié. Les paysans étaient trop pauvres pour acheter. Ils en auraient été empêchés d'ailleurs par des scrupules légitimes. Tout a été acheté par quelques commerçants ou membres des professions libérales qui habitent les villes. Les églises et les confréries étaient des propriétaires commodes. Elles louaient à bon compte, et leurs fermiers vivaient heureux. Les nouveaux propriétaires n'ont plus rien de la condescendance maternelle des confréries; ils ont élevé les loyers et ne connaissent que l'argent.

Bref, si la situation était déjà lamentable en 1877, elle est devenue intolérable quelques années après. Le peuple gémissait en 1877, il frémit aujourd'hui. Et quand il faudrait une plus forte dose de justice et de charité en haut des rangs sociaux et une plus grande patience en bas, il se trouve que l'éducation laïque a considérablement affaibli ces moyens de salut.

De là ces mouvements révolutionnaires qui agitent les populations italiennes, comme les volcans font trembler le sol italien avec des grondements souterrains. De là l'insurrection de la Sicile qui mit en échec la monarchie, il y a cinq ans, et, qui ne fut réprimée que par l'état de siège avec 60.000 hommes de troupe. De là les troubles du printemps dernier à Milan, à Bari et en cent autres villes avec les barricades populaires et les canonnades dictatoriales.

Mais, dira-t-on, les Milanais ne sont pas des ruraux? sans doute, mais les désespérés de Milan, de Bari et d'ailleurs sont des ruraux qui ont quitté la terre natale devenue pour eux une marâtre et qui ont cherché en vain à gagner leur pain dans ces cités populeuses.

L'Etat s'est-il soucié d'un si grand péril? Y a-t-il apporté quelque remède?

Comme nous l'avons vu, il a ordonné une enquête. Celle-ci a coûté neuf ans de travail et 300.000 fr. de dépenses pour ne produire aucun fruit.

L'Etat a fondé quelques écoles d'agriculture qui se tiennent trop dans la théorie et ne remédient pas au mal.

Enfin il a protégé la production des céréales par des droits aux frontières. Ceci est excellent pour un pays qui a quelque ressort et qui a d'autres produits que ceux de l'agriculture. En France, par exemple, la protection élève le prix du blé, mais les profits de l'industrie permettent aux consommateurs d'acheter le pain plus cher.

En Italie, si le blé enchérit, les consommateurs ne peuvent plus l'acheter; s'il baisse, les producteurs sont ruinés.

La situation est inextricable. Aussi le Gouvernement tantôt élève les droits d'entrée et tantôt les suspend, suivant que les producteurs ou les consommateurs crient le plus fort. En dernier lieu, il s'est fait lui-même marchand de blé et même boulanger dans les villes, pour maintenir les prix dans de justes limites. C'est un moyen qui paraît mesquin et difficile à manœuvrer.

A côté de l'intervention de l'Etat, il y avait place pour l'initiative particulière. Les catholiques avaient là un beau champ d'action. Ont-ils été à la hauteur de leur mission?

S'ils n'ont pas fait tout le possible, du moins ils ont fait beaucoup. Ils pouvaient agir par l'école, par la propagande, par les œuvres charitables, par les œuvres sociales.

Ils l'ont fait plus ou moins heureusement.

Et d'abord, pour ce qui est de l'école. l'Italie n'a pas, comme nous, tout un réseau d'écoles libres où elle puisse introduire l'enseignement agricole, comme on le fait daus l'Ouest de la France. Les écoles libres sont peu nombreuses en Italie pour plusieurs raisons. D'abord parce que les écoles officielles sont moins mauvaises. Les instituteurs de l'Etat n'ont pas généralement dépouillé leur foi ancienne. Le curé a encore accès à l'école une fois la semaine et il a gardé une grande influence sur les familles. Et puis l'Italie est pauvre et les écoles libres coûtent beaucoup. Mais voici qu'il se produit un mouvement agricole dans les écoles communales, et les catholiques, maîtres d'un grand nombre de municipalités, y prennent leur large part. Beaucoup d'écoles rurales s'annexent un champ d'expériences et d'études agricoles. C'est un acte de bonne volonté, mais le résultat sera minime au moins les premières années, parce que les maîtres d'école ne sont guère préparés à donner un enseignement agricole.

Les catholiques pouvaient agir par la propagande. Ils l'ont fait aussi dans une certaine mesure. Le professeur Rezzara, de Bergame, par exemple, a parcouru les villes du Nord, Venise, Milan, Padoue, etc., en donnant des conférences vraiment magistrales sur la crise agricole. C'était une véritable charge contre l'absentéisme des pro­priétaires, contre le mode ordinaire d'exploitation des domaines ruraux par des intermédiaires avides et sans cœur. Les conférenciers ont fait preuve de zèle, mais on n'entame pas facilement le bloc des vieilles habitudes, et les propriétaires des villes n'en continuent pas moins à passer l'été aux eaux ou à la mer au lieu d'aller visiter leurs domaines et de prendre contact avec leurs fermiers.

Les œuvres de charité n'ont pas manqué non plus. Beaucoup de propriétaires ont ouvert dans les bourgades de la campagne des fourneaux économiques où l'on trouvait un repas pour 10, 15 ou 20 centimes. La charité est un palliatif toujours heureux et souvent nécessaire, mais elle n'atteint pas la racine du mal.

Restent les œuvres économiques. Eh bien! il faut le reconnaître, les catholiques italiens, sous ce rapport, ont bien mérité de l'agriculture, surtout dans le Nord de la péninsule. L'agriculture pressurée par l'impôt et écrasée par la concurrence des pays neufs, souffrait encore du manque de crédit et de l'imperfection de ses méthodes. C'est là que l'initiative des catholiques pouvait porter ses efforts. Elle l'a fait.

Les petits cultivateurs manquaient de crédit pour couvrir les premiers désastres, pour perfectionner les outils, pour acheter engrais, semences et animaux. Ils ne trouvaient guère accès dans les banques des villes. Ils avaient recours à l'usure. Les prêts à 8, 9, 10% passaient pour légitimes. C'était la ruine à bref délai. Il manquait à l'Italie des caisses rurales de crédit comme celles que Raiffeisen, le bourgmestre de Flammersfeld, avait popularisées en Allemagne. Elles sont venues, elles ont commencé en 1883, mais ce n'est pas aux catholiques que revient l'honneur des premières fondations, c'est à un israélite, le docteur Léon Wollemborg, de Padoue. Il prépara le terrain par quelques conférences et il fonda la première caisse rurale italienne dans la bourgade de Loreggia, le 20 juin 1883. Au mois de juin 1884, il en fondait trois autres dans la même région. En janvier 1887 il en avait sept et il commençait la publication d'un périodique spécial, la Cooperazione rurale, qui est toujours vivant.

Les prêtres, les médecins, les secrétaires des mairies et quelques riches propriétaires furent les principaux auxiliaires de Wollemborg. Un comité s'était fondé en Lombardie pour la diffusion des caisses rurales. En 1889, elles étaient au nombre de quarante. Wollemborg en décrivait le fonctionnement dans un rapport à la section sociale de l'Exposition de Paris et il obtenait une médaille d'or. A la fin de 1891, les caisses rurales italiennes atteignaient le nombre de 57, et Wollemborg entouré de l'auréole sympathique d'un apôtre obtenait un siège à la Chambre des députés.

A cette date, un nouveau facteur entrait en scène, c'était l'initiative des catholiques.

Wollemborg s'était servi des catholiques et des prêtres, mais il avait voulu faire œuvre purement économique. Il s'était éloigné en cela de l'esprit de Raiffeisen, qui était un piétiste luthérien et qui avait regardé le lien religieux comme la meilleure garantie de solidarité, de l'union et des vertus domestiques.

Raiffeisen, dans une lettre adressée à Wollemborg lui-même en 1885, disait: « Les principes même des caisses coopératives répugnent à l'esprit de notre temps. Elles exigent de la part de la population aisée la participation à responsabilité illimitée et une occupation constante au profit des besogneux, sans aucune compensation ma­térielle. Cela ne peut absolument pas être compris par ceux qui ignorent ou veulent ignorer leur devoir de chrétien». Lettre publiée par Wollemborg dans le 1er numéro de la Cooperazione sociale, 1885).

Wollemborg, israélite et ami de l'Etat italien, n'avait pas compris entièrement l'œuvre de Raiffeisen. L'œuvre italienne, privée de son point d'appui le plus solide, progressait lentement.

La première caisse rurale catholique fut fondée en 1890 à Gambarare, en Vénétie. Le curé de la paroisse et l'abbé Cerutti, fondateurs de la caisse, avaient d'abord accepté et inscrit catholiques et libéraux, mais bientôt ils s'aperçurent des intrigues de ceux-ci pour accaparer la direction de la caisse et pour éliminer l'action du clergé. Cela leur ouvrit les yeux. Ils comprirent l'insistance de Raiffeisen pour les associations confessionnelles et ils formèrent un groupement franchement et ouvertement catholique. Ce fut le signal d'une campagne qui dure encore. Wollemborg et les siens agitèrent l'épouvantail du cléricalisme et prétendirent que la coopération et la mutualité n'étaient pas confessionnelles. Les catholiques répondirent, qu'on ne donnait bien sa confiance et son crédit qu'à ceux dont on partageait les idées et dont on estimait les vertus.

La même controverse était soulevée en France entre M. Durand, de Lyon, et le Centre fédératif, et en Belgique entre l'abbé Mellaerts et les libéraux. En France, M. Durand allait son chemin et son Union est arrivée à compter 700 caisses rurales, pendant que le Centre fédératif en fondait 30. L'abbé Mellaerts avait le même succès en Belgique.

En Italie, la caisse de Gambarare devint un centre et les succès de dom Cerutti dans son apostolat, firent bientôt oublier ceux de Wollemborg.

Le ministre Luzzatti, un autre israélite, intervint inutilement en faveur des caisses non confessionnelles. En vain, un religieux français, le R. P. Ludovic de Besse, capucin, fit campagne à son tour dans la presse en faveur de Wollemborg. Le jeune vicaire de Gambarare, dom Cerutti, remporta une victoire éclatante.

En 1891, il fit accepter son plan de caisses rurales catholiques par le congrès de Vicence et il fonda à Trévise un journal de propagande, la Vita del Popolo, dont le tirage est monté à 24.000 exemplaires.

L'année 1892 vit se fonder 30 caisses catholiques. Au congrès de Rome, en février 1894, dom Cerutti pouvait en présenter déjà 69. Le congrès de Rome émettait le vœu que chaque commune ait une caisse rurale pour aider au relèvement de l'agriculture.

L'œuvre allait s'organisant. Dom Cerutti trouva de puissants auxiliaires: le comte Medolago et le professeur Rezzara, dans le Milanais, M. Rocca d'Adria, dans le Piémont, Mgr Radini-Tedeschi, à Rome.

Le Mlle congrès catholique italien se tint à Pavie, au mois de septembre de la même année 1894. Dom Cerutti pouvait y présenter 100 caisses. Il n'y en avait plus seulement dans la Vénétie et le Milanais, mais les fondations gagnaient le Piémont, le Latium et jusqu'aux Abruzzes et à la Sardaigne.

Bientôt, Dom Cerutti fondait une revue spéciale, la Cooperazione popolare, qui annonçait dans chacun de ses numéros mensuels, la constitution de 15 ou 20 caisses nouvelles.

Un tableau comparatif fera mieux ressortir les progrès comparés des caisses neutres et des caisses catholiques. Voici donc la marche des fondations:

Années Caisses neutres Caisses catholiques
1883 1 «
1884 6 «
1885 8 «
1886 11 «
1887 8 «
1888 10 «
1889 « «
1890 4 «
1891 9 «
1892 17 30
1893 8 36
1894 7 104
1895 8 209
1896 16 240
1897 12 160
Totaux 125 779

Ces chiffres parlent assez par eux-mêmes.

Ces caisses italiennes sont en même temps de véritables syndicats. Elles réalisent des achats en commun. Elles ont établi des laiteries, des fromageries coopératives, des assurances mutuelles contre la perte des animaux. C'est une coopération féconde et sur une large échelle. Il y a là vraiment un magnifique effort de l'initiative catholique en Italie.

Les dépôts des associés ne suffisaient pas à alimenter les caisses, on imita ce qu'avait fait Raiffeisen en Allemagne, on créa une caisse centrale sous forme de banque. Elle fut établie à Parme en 1896.

Cela ne suffisait pas encore. Une caisse centrale est trop loin des

associations qu'elle doit soutenir. Elle ne les connaît pas assez et n'est pas à leur portée. On créa des banques catholiques régionales, qui prêtent à de bonnes conditions les fonds nécessaires aux caisses locales. Il y en a déjà à Bergame, à Vicence, à Trévise, à Padoue, à Venise, à Vérone, à Plaisance, à Modène, et d'autres encore en plusieurs provinces, et jusqu'en Sicile.

Tel était au mois de mai dernier le splendide développement du crédit catholique en Italie. Le Pape l'encourageait et le déclarait « merveilleusement approprié aux besoins de notre époque et très efficace pour le bien religieux, moral et matériel des populations». L'Etat ne le voyait pas de bon œil. Les magistrats contrariaient et retardaient les fondations par des exigences vexatoires pour la rédaction des statuts. Mais cela n'arrêtait pas le progrès de l'œuvre, quand éclata la révolution socialiste de Milan, qui eut sa répercussion dans un grand nombre de villes. Le gouvernement essaya de lier la cause des catholiques avec celle des socialistes. Il suspendit en plusieurs provinces les œuvres catholiques. Il saisit les registres des caisses rurales. Des remords lui sont venus cependant, ou plutôt la crainte d'exaspérer les populations l'a arrêté, et il a laissé peu à peu se reconstituer un grand nombre d'œuvres et de comités.

Les catholiques ont montré l'admirable efficacité de leur action. Sans doute l'initiative privée ne peut pas tout. Il y a des causes du malaise, telles que la concurrence des pays nouveaux qui ne peuvent pas être entièrement supprimées. Il y en a d'autres, comme l'excès des impôts et leur mauvaise répartition, qui ne dépendent que de l'Etat.

Mais pour ce qui peut ressortir de l'initiative privée, les catholiques d'Italie ont bien mérité de l'agriculture.

Les 779 caisses rurales répandues en 87 diocèses, au mois de mai dernier, accusaient un mouvement de fonds annuel de près de 7 millions. C'est un concours énorme prêté aux pauvres agriculteurs de la péninsule.

De pareils résultats doivent être publiés bien haut, ils montrent ce que peut l'Eglise pour le bien temporel de ses fidèles.

L'Association catholique, Tome XLVII, N. 1, 15 janvier 1899, pp. 40-50.

MORT CIVILE!

Rome, 31 janvier

La mort civile, en droit, c'est, vous le savez, pour un citoyen jugé coupable de quelque crime, la perte de ses droits civils et politiques. Les vieux Romains appelaient cela capitis deminutio. C'est cette diminution infamante que l'Etat moderne veut imposer à l'Eglise.

Il veut la jeter dehors de toute action sociale et politique. Voilà plus de trois siècles qu'il s'y emploie. Tantôt, avec la royauté, il tolère l'Eglise comme une servante, tantôt, avec la tyrannie révolutionnaire, il l'enchaîne, il la dépouille, il la menace de mort.

Mais l'Eglise ne veut pas mourir. Elle veut vivre et répandre la vie. Elle ne veut pas se contenter d'accroître, d'élever et d'améliorer la vie privée de ses disciples fidèles; elle sent qu'elle a aussi des sources de vie féconde pour la société. Elle peut en élever les connaissances, en fortifier la morale, en développer la prospérité. Et ce qu'elle peut faire, elle veut le faire pour le bien des peuples. Elle s'agite sur le lit de mort où l'Etat a voulu la clouer. Elle veut vivre et propager la vie dans le sein des sociétés comme dans la conscience des fidèles et dans l'intimité des familles.

«Il vous faut, dit-elle à l'Etat, quelques principes fondamentaux et quelques règles de justice, et la philosophie est impuissante à vous les donner. Il vous faut une sève de solidarité, de charité et d'union qui fortifie la vie sociale et l'Evangile seul en est la source».

L'Etat ne se rend pas plus que ne s'est rendue la grande Rome pendant les trois premiers siècles. Il s'est saturé à nouveau de paganisme par la renaissance, l'humanisme, le philosophisme et la Révolution.

L'Eglise est patiente. Elle travaille, dans la mesure de sa liberté. Elle sème la vérité, la justice et la charité, et un jour le souverain d'aujourd'hui, qui est le peuple, s'écriera, comme autrefois Constan­tin: «C'est là qu'est la vérité, c'est là qu'est la source du vrai progrès moral et social».

Cette action de l'Eglise, dans ce qu'on pourrait appeler les catacombes de la vie sociale actuelle, vous en êtes les instruments dans toutes vos œuvres, vous, les associés si zélés des groupes du Sud-Est. Courage, nous gagnons du terrain. On sentait au ive siècle que les catacombes allaient s'ouvrir et que le Christ allait régner. Nous en sommes là.

La propagande de nos Cercles catholiques, de nos Cercles d'études, de nos Revues, de nos Congrès a ouvert les yeux des hommes de bonne volonté. Des intelligences d'élite reviennent à nous. Qui les a gagnées? C'est tout l'ensemble de l'action catholique. Le peuple nous huait, il y a dix ans, il nous salue aujourd'hui.

Courage, travaillez partout, à la ville et à la campagne, parmi les hommes et parmi les jeunes gens, chacun selon ses forces, ses aptitudes et ses grâces, et un beau jour la majorité de la nation se trouvera gagnée au Christ. Honte soit aux lâches et aux timides.

Mais ce sont surtout les bienfaits sociaux de l'Eglise qu'il faut faire ressortir. On nous concède assez facilement l'aptitude et le droit à exercer une salutaire influence sur la vie privée. C'est l'action sociale de l'Eglise dont il faut manifester la fécondité.

Et à ce propos, je veux vous dire ce que je pense de l'action sociale chrétienne. je vois souvent, dans nos revues et nos congrès, nos œuvres classées en œuvres d'enseignement et de propagande, œuvres de préservation et d'édification, œuvres de charité, œuvres sociales. Comme ce classement est incomplet et illogique! Au point de vue des moyens d'action, les œuvres sociales sont celles qui sont accomplies par des associations; au point de vue du but à atteindre, les œuvres sociales sont celles qui tendent directement à former une société éclairée, morale, forte et prospère.

Les œuvres d'enseignement et de propagande? Mais elles doivent être autant sociales que privées. Elles doivent tendre directement à la formation de la vie sociale comme à celle de la vie individuelle.

Si je parlais aux prédicateurs, je leur dirais: «Gardez-vous bien de rapetisser le décalogue, au point d'en faire seulement le directoire de la vie privée. C'est là précisément ce qui éloigne de votre chaire les hommes préoccupés des besoins sociaux. Nous avons faibli à ce point de vue et tous nos sermonnaires sont à compléter. Sans doute, le décalogue donne le secret et la règle d'une vie privée, correcte et heureuse, mais, grâce à Dieu, ce n'est pas tout, il contient aussi toutes les conditions de la paix et de la prospérité sociales, et c'est ce qu'il faut rappeler tous les jours».

Le premier précepte demande à la société, comme au simple individu, d'honorer son Créateur et son Maître. Le second montre dans le blasphème une source de châtiments divins. Le troisième réclame pour les citoyens la liberté de retremper leur âme et les forces de leur corps dans le repos et le culte du dimanche.

Le quatrième est le précepte social par excellence. Il enseigne le respect, le dévouement et l'obéissance qui forment le lien des grandes sociétés comme des petites. Il met en relief tous les devoirs civiques et condamne le citoyen insouciant comme l'électeur sans conscience.

Si le cinquième et le sixième préceptes avaient été mieux enseignés et observés, aurions-nous vu grandir, dans les usines de beaucoup d'industriels, matérialistes et cupides, ce trafic des forces humaines et des consciences qui a aigri le peuple jusqu'à le préparer à tous les excès?

Le septième précepte n'est-il pas le code de la justice et le marteau de l'usure? Le huitième n'exclut-il pas les fraudes, les escroqueries et les coups de bourse qui conduisent nos sociétés à l'abîme!

Oui, la prédication doit être une œuvre éminemment sociale.

Et l'enseignement? Ne doit-il pas à tous ses degrés, depuis l'école primaire jusqu'aux séminaires et aux facultés de droit, donner place dans son programme aux leçons de la vie sociale chrétienne?

Et la presse? N'est-elle pas un des plus puissants instruments dé l'apostolat social?

Parmi les œuvres d'édification et de préservation, les cercles, les patronages ne sont-ils pas les champs les plus propices pour semer dans un enseignement régulier les principes de la vie sociale chrétienne? Le Tiers-Ordre n'est-il pas le vieux cadre qui a transformé la société au XIIIe siècle?

Sans doute, les associations professionnelles et les Cercles d'études ont plus directement un but social. Mais toutes les œuvres ont besoin d'être imprégnées de l'esprit social.

L'Eglise ne veut pas subir la mort civile. Elle est la source de toute vie morale et de toute prospérité féconde et stable pour les sociétés civiles. Elle veut répandre cette vie dont elle déborde.

Vous qui me lisez, sondez vos cœurs, examinez vos consciences. Qu'avez-vous fait jusqu'à ce jour pour favoriser l'action sociale de l'Eglise? A quelle œuvre avez-vous participé? A quelle propagande avez-vous prêté vos efforts?

Si vous êtes resté dans l'apathie et l'inertie, vous n'avez pas le droit de dire que vous aimez l'Eglise et la patrie.

La Chronique du Sud-Est, N. 1-2, janvier­-février 1899, pp. 9-10.

ET NOUS?

Je viens de recevoir l'Annuaire de la Ligue démocratique belge. Comme ils travaillent, ces Belges, pendant que nous bavardons! C'est en 1891 que commença le mouvement démocratique chrétien. Vite les Belges fondèrent une ligue démocratique, et ils en prirent les éléments dans toutes les Associations déjà existantes, cercles, syndi­cats, mutualités, caisses de crédit, cercles d'études, etc.

A toute Association, il faut un but pratique, une organisation et des moyens d'action déterminés. La ligue démocratique belge eut bientôt précisé tout cela dans ses Statuts.

Un but: Etudier en commun, préconiser et vulgariser les mesures propres: a) à relever la situation morale et matérielle des travailleurs et b) à amener la paix entre le capital et le travail, par le respect des droits de tous et l'amélioration des rapports entre patrons et ouvriers.

On le voit, le but est précis: Améliorer la condition des travailleurs par tous les moyens légitimes. Rien de plus noble, rien de plus chrétien, rien qui puisse mieux gagner tous les hommes de bonne volonté et les réunir en un faisceau puissant.

Une organisation: Elle comprend le recrutement, l'administration, les réunions. Le recrutement se fait surtout par les associations existantes: «Peuvent faire partie de la Ligue toutes les Associations démocrati­ques composées soit d'ouvriers, soit de patrons, soit de patrons et d'ouvriers, dont le but n'est pas en contradiction avec celui de la Ligue et dont les Statuts respectent la famille et la propriété et reconnaissent que la religion est indispensable à l'existence de la société».

Il peut y avoir aussi des membres isolés, actifs ou bienfaiteurs, mais il n'auront aucune action au Conseil central, qui est formé par les délégués des Associations.

Le rouage administratif est fort simple. Deux fois l'an, les délégués des Associations se réunissent en un Conseil central. Le Conseil central choisit un Bureau central qui est nommé pour deux ans. Il y a aussi une réunion plénière annuelle, un Congrès, où l'on fait plus de besogne que de rhétorique.

Les moyens d'action: L'Assemblée annuelle adopte des résolutions pratiques, dont le meilleur résultat est de formuler des réformes légales qui seront sollicitées au Parlement par les députés du parti, et soutenues dans la presse par les journaux amis.

Le nerf de la guerre n'est pas oublié. Les Sociétés affiliées paient une cotisation annuelle, calculée à raison de cinq centimes par membre. Une partie des recettes est capitalisée pour assurer la durée et le succès de la Ligue.

Faire des constitutions était relativement facile. Les mettre en action était plus difficile. C'est fait. L'Annuaire donne la liste de 457 Sociétés affiliées à la date du 31 décembre dernier, soit 25 Sociétés de plus qu'en 1897. Le nombre des membres de ces 457 Sociétés est de plus de 95.600, soit 4.600 de plus qu'en 1897.

Vous avez bien lu: 95.000! C'est une force cela. Et nous? Où en sommes-nous?

Nous avons des bonnes volontés éparses, des efforts localisés, mais pas assez d'organisation pratique. Il faut y arriver.

L'Annuaire nous présente toutes les Sociétés affiliées. Je prends pour exemple trois petites villes.

Hondenq-A imeries: La Maison des ouvriers comprend les sections suivantes: Mutuelle Saint Joseph, Syndicat des francs-mineurs, syndi­cat des métallurgistes, Cercle ouvrier Saint-Joseph, la Société finan­cière l'Union, le Cercle dramatique Union et Progrès, la jeune garde les Eclaireurs, la Société Saint-Donat pour les enterrements religieux, la conférence de Saint-Vincent de Paul, la confrérie du Saint-­Sacrement, le patronage Saint-Louis et une gilde gymnastique.

Manage: Le Cercle démocratique comprend les sections suivantes: cercle d'études sociales; mutuelle Sainte-Barbe; syndicat agricole; caisse Raiffeisen; une symphonie; une chorale; un cercle dramatique; une conférence de Saint-Vincent-de Paul; une section de gymnastique; un patronage.

Ecaussines: La Maison des ouvriers possède comme sections: deux sociétés mutualistes; un cercle d'études sociales; une jeune garde; un cercle dramatique; une société chorale; une conférence de Saint­Vincent-de Paul; une société cantonale pour aider à la construction de maisons d'ouvriers; une gilde gymnastique; une section d'épargne. Voilà des bourgades qui ont de la vie.

Et nous? encore une fois où en sommes-nous-nous?

Unissons-nous. Formons une ligue démocratique puissante, mais pour être pratiques, groupons des associations et non des individuali­tés isolées.

Ce petit peuple belge réalise bien sa devise: L'Union fait la force.

Si j'observe en Belgique les socialistes, je suis plus impressionné encore. Les socialistes de Gand, par exemple, forment une grande association, le Vooruit, avec son journal, son syndicat, ses institutions de tous genres. La revue parisienne le Musée social en donnait dernièrement la description. Le tableau du concours pécuniaire demandé à chaque membre montre l'intensité de vie sociale du Vooruit.

L'ouvrier de la fédération socialiste gantoise doit verser chaque semaine, pour le journal, fr. 0,14; pour la mutualité, 0,30; pour l'assurance sur la vie, 0,05; pour les membres de la famille (assuran­ce), 0,10; pour le fonds des invalides, 0,02; pour le syndicat, 0,20; pour le club de quartier, 0,05; pour le cercle central, 0,05 pour brochures, fascicules, livres, 0,10; pour amusements et fêtes, 1,00, soit en tout, fr. 2,01. C'est-à-dire par an cent et quatre francs, 25 centimes.

Quel puissant engrenage! Comme cette population est là liée par des intérêts qui la tiennent plus solidement que des discours et de la rhétorique!

Sachons nous instruire par l'exemple de nos ennemis. Rougissons d'avoir fait si peu jusqu'à présent pour la cause de Jésus-Christ et des travailleurs. Agissons au lieu de nous agiter. Agissons pratiquement. Toutes les nations voisines nous donnent l'exemple et nous reprochent notre apostolat en l'air. A l'œuvre! Formons des associations. Groupons-les par communes, par arrondissements, et préparons la grande Ligue démocratique chrétienne qui fera entrer ses élus au parlement et donnera enfin à la législation sociale l'impulsion que notre Chambre de rhéteurs ne saurait lui donner.

La Chronique du Sud-Est, n. 3, mars 1899, pp. 54-55.

LA TERRE!

De Rome, 27 mars

«Il faut énamourer de l'agriculture les générations nouvelles», a dit avec une grande sagesse un ministre italien.

Le XIXe siècle a été le siècle de l'industrie, il faut que le XXe soit celui de la terre. La concentration des populations dans les usines a tué la foi et ruiné la vigueur de notre race. On y remédiera comme on pourra par l'organisation du travail et l'apostolat de l'usine, mais il faut avant tout remettre nos travailleurs en contact avec la terre et avec l'air pur des champs pour relever leur force morale comme leur santé physique.

Mais, me direz-vous, c'est trop tard, la culture n'est pas rémunéra­trice, on meurt de faim sur les champs! Non, non, ce n'est pas trop tard. La culture se relève, elle va revivre. La science a enfin dirigé ses études de ce côté. Les moyens sont simples, ils sont éprouvés. Les écoles d'agriculture de Darmstadt en Allemagne et de Brescia en Italie ont, je crois, devancé les nôtres. En Italie, c'est un cri de salut parmi les catholiques surtout, qui ont tout à cœur le bien du peuple. Les brochures, les conférences se multiplient. Les évêques ouvrent des cours d'agriculture dans leurs séminaires. Le prêtre ne doit-il pas se faire tout à tous et être prêt à toute bonne œuvre? Un pieux religieux, le Père Bonsignori, directeur de la colonie agricole de Brescia, se fait le propagateur de la culture nouvelle, comme l'abbé Cerutti s'est fait l'apôtre des Caisses rurales.

De quoi s'agit-il? De la connaissance exacte du terrain à cultiver, du bon ordonnancement des cultures et de l'emploi de trois ou quatre amendements chimiques, dont le prix est rendu fort léger par des découvertes récentes.

Il faut lire, traduire et répandre les brochures de ce bon religieux: ses Leçons d'agriculture moderne, son Guide pour porter les terres à la plus haute fertilité, et ce délicieux petit roman «L'Amérique en Italie», où il nous montre au vif la lutte de la vieille et de la nouvelle culture et le triomphe de celle-ci. Ces brochures sont publiées en italien à la librairie Queriniana à Brescia.

Mais ce qui serait mieux encore, ce serait de fonder en France des colonies agricoles comme celle de Brescia. Les foules s'instruisent mieux par ce qu'elles voient que par ce qu'elles lisent. Est-il si difficile d'adapter à cela un orphelinat ou un petit pensionnat?

Le P. Bonsignori a pris à Brescia 144 hectares de terres réputées les plus maigres de la province et en deux ans il en a triplé les produits. Aucun des 47 morceaux de terre essayés n'a trompé son attente, ni les plus secs ni les plus humides, ni les terres fortes ni les terres légères.

Le bon religieux avait été touché en voyant les conditions économiques de l'Italie: des centaines de mille émigrants qui abandonnaient chaque année la patrie où ils ne trouvaient plus ni pain ni travail; des centaines de mille hommes, femmes et enfants qui se renferment dans la vie malsaine des usines, en se faisant entre eux une désastreuse concurrence pour le travail; et tant de bras inoccupés, surtout pendant la saison d'hiver; tant de mendiants qui vont de porte en porte cherchant leur pain; et les salaires de famine qui ne sont dans la région de Brescia que de 0,80 cent. par jour en hiver et 1 fr. 25 dans la bonne saison.

Il voyait la terre produire onze hectolitres seulement de froment à l'hectare avec un prix de revient de 17 francs par hectolitre.

Il alla étudier les magnifiques résultats obtenus à Darmstadt. Il constata qu'on pouvait porter la production à 20, à 30, à 45 hectolitres à l'hectare en réduisant le prix de revient à 8 et même à 5 francs l'hectolitre. Il s'est mis à l'œuvre et il a transformé sa terre, en deux ans, puis il est devenu l'apôtre de la culture nouvelle.

Comme nous aimons à l'entendre dire aux séminaristes de Crémo­ne: « Qui va diriger les paysans de nos campagnes pour mettre en pratique ces découvertes fécondes? Ce rôle ne convient-il pas au prêtre, représentant du Christ, qui avait pitié des foules et qui leur procurait le pain? Le peuple est gisant et dépouillé sur le sol, les lévites d'aujourd'hui vont-ils passer sans le relever de son abjection? Votre savant évêque, qui s'applique avec tant d'amour à l'étude et à la solution de la question sociale, a établi dans ce séminaire une chaire d'agriculture. Etudiez aussi avec tout votre cœur les grandes lois de la fertilisation du sol et les immenses bienfaits qu'on peut retirer des matières fertilisantes que la divine Providence a emmagasi­nées dans le sol pendant de longues époques géologiques. Etudiez ces lois et l'emploi de ces dépôts providentiels, remplissez vos cœurs de foi et d'amour du prochain, afin que, au jour où vous vous présenterez aux populations des campagnes comme ministres du Seigneur, vous puissiez les éclairer en portant de la main droite le flambeau de la foi et de la main gauche celui de la science, pour aider ce peuple à se relever de ses souffrances actuelles et le prémunir contre les attraits du socialisme. Les peuples édifiés et reconnaissants en voyant l'étendue de vos connaissances et les sacrifices que vous savez faire pour eux, se donneront à vous et par vous au Christ».

Le bon Père vous expliquera que ce relèvement de la terre n'est pas difficile. Il y a quatre éléments principaux à fournir au sol, suivant son état chimique et la culture qu'on veut lui donner, à savoir l'azote, l'acide phosphorique, la potasse et la chaux. L'azote vous sera procuré par les nitrates de soude, l'acide phosphorique par les scories des aciéries, la potasse par lés nitrates de potasse ou la kainite, la chaux par les phosphates. Puis il vous montre en de gracieuses gravures le contraste prodigieux entre le développement et la fécondité des plantes amendées et la maigreur des plantes non amendées et de leurs produits.

Concluons avec le P. Bonsignori. Il faut prendre tous les moyens pour relever l'agriculture. Il faut favoriser les syndicats agricoles et les rendre pratiques. Par des conférences, par des brochures, il faut y enseigner l'agriculture moderne. Il faut faire toucher du doigt le progrès à réaliser par des terrains d'essai. Les Caisses rurales fourniront le crédit nécessaire. Le prêtre et les hommes d'œuvres doivent être les facteurs et les apôtres de ce relèvement.

Des colonies agricoles peuvent y concourir par l'exemple qu'elles donneront.

Allons, jeunes conférenciers et catholiques dévoués au peuple, voilà une carrière féconde qui s'ouvre devant vous. Qu'allez-vous faire pour l'agriculture? Vous comprenez les avantages de la vie rurale, vous applaudissez l'abbé Lemire quand il vous montre, avec l'éloquence de son cœur, la terre nourrice et éducatrice du peuple. Le peuple reste meilleur en face de la terre qui lui montre directement l'action providentielle. Il y garde mieux sa santé, ses traditions, l'amour de sa famille et de son clocher.

On ramène le peuple à la terre par les jardins ouvriers, mais qui ne voit que cette œuvre en face du relèvement général de la culture est comme une goutte d'eau en regard de l'Océan?

A l'œuvre donc. Prenez les moyens nécessaires. Entrez en relations avec le P. Bonsignori (directeur de la colonie agricole de Remedello près de Brescia). Traduisez ses brochures ou faites-en d'analogues. Imitez son apostolat, et vous ferez une grande œuvre pour Dieu et pour la France.

La Chronique du Sud-Est, N. 4, avril 1899, pp. 91-93. Idem dans Le règne…, cit., août 1899, pp. 408-411.

LE XVI CONGRES CATHOLIQUE ITALIEN
A FERRARE

18-22 avril

Il a été superbe d'entrain, de dignité et d'union, ce congrès. C'était bien un congrès national, comme nous n'en savons plus faire, avec toutes nos divisions et nos querelles de coqs gaulois.

Les cardinaux de Bologne et d'Ancône et vingt archevêques et évêques assistaient aux réunions. Les autres évêques d'Italie avaient, pour la plupart, envoyé leur sympathique adhésion.

Le comte Paganuzzi, président de l'Œuvre des Congrès, a rappelé le but commun: «Porter le principe chrétien dans la vie sociale, à l'ombre des enseignements de nos évêques». Il a salué don Albertario, le noble prisonnier de Milan, l'écrivain catholique persécuté pour la cause da la justice et du droit, et il a fait acclamer Léon XIII, le véritable «Prince de la paix» rendu à sa santé par un secours merveilleux de la Providence.

Le président effectif du congrès, le Marquis Crispolti, faisant allusion à l'interruption des congrès occasionnée par la persécution policière de l'an passé, rappela avec à-propos le mot historique de M. Dupuy à la Chambre française après l'explosion anarchiste: «Mes­sieurs, la séance continue». Pour l'action catholique italienne, après les sévices gouvernementales, la séance continue.

Puis, avec une largeur d'esprit qu'on devrait imiter en France, le Marquis Sacchetti, après avoir rappelé qu'il fallait suivre avec docilité les directions du Pape, fit remarquer que, le Pape ayant consacré l'expression de démocratie chrétienne, il fallait l'accepter loyalement sans en faire un brandon de discorde.

On fit alors pendant les quatre belles journées du congrès, de la démocratie pratique.

Monseigneur Scalabrini, évêque de Plaisance, parle avec effusion de son Œuvre des Emigrants. Il y a chaque année des centaines de mille Italiens qui vont demander au travail en Amérique le pain que la mère-patrie ne leur donne plus. Beaucoup réussissent là-bas, mais ils manquent de prêtres de leur nation pour les aider à conserver leur foi. Ils écrivent des lettres déchirantes: (Par pitié, disent-ils, aidez­nous, nous vivons et nous mourrons ici comme des chiens». Le zélé prélat a fondé une œuvre de prêtres pour leur fournir des pasteurs. Il recommande cette œuvre au congrès.

Cette question ne se pose pas chez nous. Nous n'envoyons pas d'émigrants, hélas! même à nos colonies. Il faudrait dire à tous nos travailleurs ruraux: «Ne craignez pas d'avoir des familles nombreuses. Nos belles colonies d'Afrique et d'Asie sont là pour offrir à vos enfants un champ d'action favorable, comme autrefois le Canada, la Louisiane et les Antilles ont accueilli vos aïeux et les ont enrichis».

Puis le comte Medolago-Albani, un petit-neveu de joseph de Maistre, a traité de l'agriculture, de sa transformation et des résultats merveilleux des méthodes nouvelles, propagées en Italie par le Père Bonsignori, directeur de l'Ecole d'agriculture de Brescia.

Il a parlé aussi du développement des Caisses rurales et de l'admirable progrès des Banques catholiques, fondées déjà dans une trentaine de villes pour aider le petit commerce et pour soutenir les Caisses agricoles.

Don Cerutti, le zélé propagateur des Caisses rurales, veut étendre son activité à un champ nouveau. Il propose d'ouvrir dans les cités industrielles des caisses de crédit pour les ouvriers, analogues à celles qu'on a fondées pour les cultivateurs.

Là aussi, dit-il, sévissent l'usure et la misère. L'ouvrier n'est pas seulement pressuré par l'usurier, mais il subit son influence démorali­sante. Il faut arracher l'ouvrier aux griffes de l'usure et l'habituer à l'épargne. L'œuvre est facile. Les Caisses de crédit et d'épargne remédieront au mal. Don Cerutti a essayé déjà dans sa paroisse de Murano et il a pleinement réussi. A l'œuvre donc! Il faut qu'une magnifique floraison de ces utiles institutions soit le fruit de ce congrès!

Caisses rurales, Caisses ouvrières, Banques catholiques, voilà des œuvres pratiques, d'une utilité incontestée et vraiment démocrati­ques. Nous nous laissons devancer par l'Italie dans la diffusion de ces œuvres. Elle a des centaines de Caisses rurales de plus que nous, elle a des Banques catholiques dans beaucoup de villes, elle commence la fondation des Caisses ouvrières. Il faut que les généreux pionniers de nos œuvres de crédit, M. Durand, l'abbé Fontan et leurs imitateurs redoublent de zèle. Il faut que les lecteurs de cette Chronique fassent un effort pour aider à ces fondations qui doivent ramener les travailleurs à l'Eglise en leur montrant la charité des catholiques. Il faut aussi que les jeunes conférenciers du Lyonnais se persuadent qu'ils ne peuvent pas propager d'œuvres plus utiles que celles-là.

Un éloquent jésuite, le P. Zocchi et M. de la Rive, professeur à l'université de Fribourg, ont parlé à Ferrare de l'enseignement chrétien. L'Italie n'a pas encore la liberté de l'enseignement supérieur. Les catholiques italiens vont entreprendre une campagne pour l'obtenir.

Bien d'autres œuvres furent passées en revue: les comités catholi­ques, le denier de St-Pierre, les instituts de sourds-muets, etc.

Puis, à la demande du cardinal Zwampa, le congrès promit tout son concours à l'œuvre de l'hommage à offrir au Rédempteur et à son divin cœur pour le commencement du siècle nouveau, des pèlerinages auront lieu, des œuvres seront fondées, de grandes démonstrations religieuses raviveront la foi des populations.

Tel fut ce beau congrès, si vivant et si plein d'espérances. Profitons des leçons qu'il nous donne pour maintenir l'union entre nous et pour développer rapidement nos œuvres sociales.

La Chronique du Sud-Est, N. 5, mai 1899, pp. 132-133.

LA TERRE

Nos populations agricoles sont vraiment dans l'angoisse. La main-d'œuvre est chère, les produits se vendent à bas prix, et les impôts sont écrasants. C'est à se désespérer.

Cependant le paysan aime sa terre. On lui reproche de la quitter trop facilement pour aller chercher fortune en ville; mais la quitterait­il, si elle lui donnait à vivre?

La terre a tant de charmes! La petite ferme de famille, ses chevaux, ses bœufs et ses moutons qu'on a vus naître et grandir; son jardin, ses vergers, ses vignes et ses champs; la petite église et le cimetière. Est-ce qu'on quitterait tout cela facilement, si la pauvreté ne venait pas jeter sur ce charmant tableau les ombres attristantes de la gêne et de la désespérance?

On se plaint de la dépopulation croissante de notre chère France; mais nos familles rurales iraient-elles ainsi contre le vœu de la nature, si elles pouvaient nourrir de nombreux enfants, tout en payant leurs fermages et leurs impôts? Les enfants ne sont-ils plus la joie du foyer? Si, mais encore faut-il pouvoir les élever et les établir!

Les fermages baissent, mais les impôts sont toujours démesurément lourds pour l'agriculteur. Les produits sont faiblement protégés. Les droits de vente, de succession et de licitation sur les petits héritages sont absolument spoliateurs.

Nous obtiendrons quelques réformes légales, mais péniblement et à la longue. Que faire donc? Relever la situation des agriculteurs par toutes les ressources que donne l'association et par la culture intensive.

Nous avons exprimé cela dans la Chronique de mars, et l'angoisse est si grande dans la culture que l'article a été lu avec avidité, et plusieurs lettres nous sont venues pour nous remercier et nous demander de plus amples explications.

L'association agricole! Quelles ressources elle offre: le crédit mutuel, l'assurance, l'achat en commun des machines agricoles, des semences, des engrais! Et comme elle est facile! Demandez à M. Durand, à Lyon, à M. Fontan, à Tarbes, à M. de Gaihard-Bancel,

dans la Drôme à M. Milcent, dans le jura: ils vous diront comment se fondent, à la campagne, un syndicat et une caisse rurale.

Je voudrais voir nos humbles curés se mettre à la tâche et devenir les instigateurs et les conseillers de ces associations, aidés par les jeunes gens de nos comités d'étude et de propagande. Mais, hélas! comme nous traînons en France!

Relisons, dans notre dernière Chronique encore, le court dialogue échangé entre Mgr l'évêque de Liège et M. l'abbé Fontan:

«Quelles sont les œuvres dont vous vous occupez? demandait Monseigneur.

- Nous portons surtout nos efforts vers les campagnes, répondit M. Fontan, mais nous sommes encore bien loin d'obtenir les mêmes résultats que dans la province de Liège; et nous n'aurons pas de longtemps encore en France des caisses rurales et des syndicats agricoles aussi florissants que les vôtres.

- Ah! oui, s'écria Monseigneur en s'animant peu à peu, nous avons beaucoup fait pour les paysans et les ouvriers en Belgique. Dans mon diocèse, grâce au concours d'un jésuite, j'ai fondé un Syndicat agricole, sous le titre de «Confrérie de Notre-Dame des Champs», dans chacune des paroisses du diocèse, et ce sont MM. les curés et vicaires qui se sont mis à la tête de ce mouvement. Dans l'espace de six mois, toutes ces œuvres agricoles ont été fondées dans mon diocèse, qui compte près de 600 paroisses…

Pesez bien cela, chers lecteurs, et comparez avec ce qui se fait chez vous: En six mois, 600 associations agricoles fondées dans les 600 paroisses du diocèse. A l'œuvre donc! Allez trouver nos vénérés évêques. Priez-les de donner le mot d'ordre créateur. Cherchez un ou deux missionnaires dévoués, jésuites, franciscains ou autres, qui porteront à nos curés les renseignements nécessaires; et vous, jeunes gens des comités, prêtez votre concours à ces apôtres des campagnes. Il y a là tant et de si grands intérêts engagés: le réveil religieux, l'aisance dans les campa­gnes, la fécondité de la race, l'organisation politique elle-même!

Les associations propageront la culture intensive. Les documents abondent. Nous avons des revues agricoles, des ouvrages savants, voire même les suppléments de nos journaux populaires, la Croix et le Petit Journal.

Il faut en outre des petites brochures populaires, pratiques et d'une lecture facile, comme celles du Père Bonsignori en Italie. Nous lui avons écrit pour lui demander la permission de vous les traduire.

La Providence pourvoit à tous nos besoins. Les engrais chimiques sont abondants et d'un prix accessible. Ils produisent le double ou le triple de ce qu'ils coûtent. Au besoin, les Caisses rurales avanceront les frais d'achat. Les Syndicats auront à meilleur prix ce qu'ils achèteront en gros. Les dépôts de phosphates de nos vallées sont immenses. Les scories des fonderies donnent l'acide phosphorique, les eaux-mères des salines donnent la potasse, les gazomètres fournissent l'azote ammoniacal. Tous nos terrains peuvent recevoir facilement les éléments fertilisants qui leur manquent.

A l'œuvre donc! Unissons-nous, étudions, travaillons. C'est un crime de lèse-patrie pour tous ceux qui ont l'autorité, le talent et le devoir de l'apostolat, de ne pas s'appliquer à relever nos chères populations agricoles.

La Chronique du Sud-Est, N. 6, juin 1899; pp. 167-168.

L'ECOLE

L'enseignement doit être transformé en France. Tout le monde le sent. Nous formons avec nos garçons des déclassés, des politiciens, des employés sans nombre qui dévorent le budget; avec nos filles, des bas-bleus de village et des institutrices sans place. Nous ne faisons ni des laboureurs, ni des ménagères.

On a fait une grande enquête sur l'enseignement secondaire, c'est sur l'enseignement primaire qu'il fallait la faire, le mal y est bien plus grand.

Il est vrai que dans l'enseignement secondaire, il y aurait aussi beaucoup à réformer. Nos lycées de filles faussent le rôle de la femme et développeront un féminisme absurde. Ce sont des écoles ménagères que l'Etat devait créer, s'il voulait donner une bonne leçon à l'enseignement privé des filles.

Nous avons créé, pour les garçons, un enseignement secondaire français; c'est un non-sens, il fallait encourager franchement l'ensei­gnement professionnel.

Mais c'est à l'enseignement primaire que je veux surtout m'en prendre aujourd'hui. Nous formons de petits employés sans emploi. L'enseignement primaire est réglé dans les bureaux du ministère par d'excellents messieurs qui ont toujours vécu le nez sur le papier et qui ne savent rien des besoins de la campagne, de la ferme et de l'atelier. Ils ont étudié la pédagogie dans les idéalistes, dans Jean-Jacques Rousseau surtout. Cela prouve en passant l'absurdité des prétentions de l'Etat à diriger tout l'enseignement. Il n'y a aucun droit et aucune compétence. L'enseignement appartient aux familles et aux commu­nes. L'Etat n'y a qu'un rôle supplétif et policier.

On faisait comme nous en d'autres pays, on façonnait des petits-maîtres et des bas-bleus; mais le bon sens a repris le dessus et on revient à un système d'enseignement rationnel et pratique.

L'exemple de Madagascar est une leçon pour la mère-patrie. Gallieni avait voulu implanter là-bas notre enseignement utopique, qui ne cultive que l'imagination et la mémoire; il s'est bien vite aperçu qu'il faisait fausse route, il était déjà assailli par une nuée de jeunes gens qui demandaient les emplois de l'Etat. Il a ouvert alors des fermes-écoles et des ateliers-écoles où l'on enseigne à la fois les premières notions classiques et les meilleurs procédés de travail. Il a trouvé spontanément la vraie méthode de colonisation, et il assurera le progrès rapide de l'agriculture et de l'industrie dans cette nouvelle France.

En Italie, le peuple ayant reconnu que les jeunes gens délaissaient la terre, devenue une nourrice trop parcimonieuse, et cherchaient le salut dans un fonctionnarisme qui ruine l'Etat, c'est à l'école qu'on a cherché le remède. Les communes ont demandé aux instituteurs de joindre à leur enseignement des notions d'agriculture, et un champ d'expériences a été mis à la disposition de chaque école.

En Belgique, c'est vers l'enseignement pratique des filles que les premiers efforts se sont surtout dirigés. L'initiative de l'Etat s'est unie à celle des particuliers. Dès 1889, une circulaire ministérielle avait été envoyée aux communes pour montrer l'utilité des écoles ménagères et en déterminer la création et le développement. Depuis lors, des écoles et des classes ménagères ont été établies dans toutes les provinces. On en compte plus de deux cents. Les écoles ménagères sont destinées aux jeunes filles âgées de plus de quatorze ans. L'enseignement comprend à la fois des cours théoriques et pratiques. On y exécute simulta­nément tous les travaux de ménage: cuisine et nettoyage, lessivage, raccommodage du linge et des vêtements. Les classes ménagères sont annexées aux classes supérieures des écoles primaires pour les enfants de douze ans. Outre les cours pratiques, l'enseignement comprend des notions d'hygiène, de comptabilité ménagère, quelques explications sur les travaux de la maison, sur la préparation des aliments et leur valeur nutritive.

Ne voit-on pas combien une pareille méthode peut avoir d'influen­ce sur le développement économique d'une nation?

Et nous, où en sommes-nous? Nous avons chassé Dieu et la morale chrétienne de l'école officielle, et nous n'y avons pas introduit les leçons de vie pratique.

En France, l'Etat n'agit que sous la pression de l'opinion et de la presse. Agissons donc par nos comités catholiques, par les journaux, par tous les moyens de propagande. Que les communes essaient de forcer la main à l'Etat; qu'elles offrent, comme en Italie le champ d'expériences et qu'elles demandent la création de cours d'agricultu­re.

Il faudra que l'agriculture pénètre les écoles normales et trouve sa place au programme des brevets, comme on a fait en Belgique pour l'enseignement ménager. Mais en attendant que l'Etat s'ébranle, demandons beaucoup à l'enseignement privé. C'est même une excellente situation pour nous; nos écoles libres gagneront en popularité, si elles devancent l'Etat dans cette réforme nécessaire. L'œuvre est commencée; les Frères de Ploërmel, dans l'Ouest, s'y sont mis de tout cœur. Allons de l'avant et faisons plus vite.

Il y aura aussi à faire pour les écoles des villes au point de vue des métiers; mais le plus pressé, c'est l'enseignement agricole. Ne nous lassons pas de le répéter, c'est la vie à la campagne, en contact quotidien avec la terre, qui donne les fortes races, les races saines et fécondes, les familles attachées aux traditions et à la religion des ancêtres.

Jeunes gens de nos comités, agissez par vos conférences, par la presse, par les associations agricoles.

Formons des générations de solides travailleurs. Le papillon est gracieux, élégant, séduisant, il méprise le travail et vit du suc des fleurs, mais il est éphémère et ne fonde rien. La fourmi et l'abeille connaissent le labeur, aussi fondent elles de puissantes et fécondes colonies, et l'hiver leur est doux. Qu'il y ait chez nous quelques papillons pour l'ornement de la société, soit; mais il y faut beaucoup d'abeilles et de fourmis pour ne pas devenir une nation légère, vaine et éphémère.

La Chronique du Sud-Est, N. 7, juillet 1899; pp. 212-213.

POUR ROME

Allez à Rome. - Le jour arrive, le pèlerinage annuel s'organise, préparez-vous. Qu'est-ce qui peut vous arrêter? Ces pèlerinages populaires sont si bien organisés et coûtent si peu, qu'on peut dire, sans grande métaphore, qu'on va à Rome pour rien.

Allez à Rome, vous verrez Léon XIII; vous le reverrez, si vous l'avez déjà vu. Hâtez-vous, on peut espérer de le posséder encore chaque année, mais on peut craindre aussi de recevoir inopinément une dépêche navrante qui nous dira: «Léon XIII n'est plus». Il a quatre-vingt-dix ans!

Allez voir Léon XIII, et vous aimerez davantage la France et le peuple. Vous reviendrez plus catholiques, plus Français, plus hommes d'œuvres.

Rappelez-vous le coup de théâtre qu'a été l'audience de l'an passé. Le gouvernement protestant de l'Allemagne, après le voyage de l'empereur en Palestine, rêvait la suppression de notre protectorat en Orient.

«Non, dit fermement le Saint Père aux pèlerins Français, nous ne pouvons pas laisser amoindrir les droits séculaires de la France. La France est encore la plus grande nation catholique et la plus prodigue de son sang et de son or pour la propagation de la religion. Elle est encore notre espérance.

La France et l'Eglise sont des alliées nécessaires qui doivent se soutenir toujours. La Providence a uni leurs destinées».

L'écho de cette parole retentissait dernièrement dans le discours du nonce au Président de la République. Le nonce nous rappelait combien le Saint Père avait été jaloux de maintenir la haute situation de la France en Orient et en Asie.

Mais ce n'est pas tout. A l'époque du pèlerinage de l'an passé, si la question du protectorat des chrétiens d'Orient agitait l'Europe, une autre difficulté ne troublait pas moins les esprits. Que fallait-il penser des nouveaux groupements de certains catholiques sous le drapeau de la démocratie? Le Pape allait sans doute jeter l'anathème à ces révolutionnaires!

Quelles stupidités n'a pas débitées une certaine presse sur cette question si simple!

Est-ce que le bon sens, est-ce que l'histoire, la philosophie et la théologie ne proclament pas qu'il y a trois formes de gouvernement livrées par la Providence au choix des peuples?

La Rome païenne et les cités grecques ont essayé ces trois formes. Les grands siècles chrétiens avaient des monarchies florissantes et des républiques merveilleusement prospères.

La constitution de Venise était aristocratique. Celle de Florence était démocratique à l'époque où Florence éclipsait le monde entier par la délicatesse de son art, sa haute culture intellectuelle et la sainteté de ses mœurs.

Pourquoi voulez-vous que l'Eglise condamne la démocratie qui est tout aussi légitime que toute autre forme du pouvoir? A quel titre obligeriez-vous par exemple les Etats-Unis à se choisir un roi et à constituer une Chambre des Pairs?

Est-ce que l'Eglise s'occupe de la constitution des Etats? Elle ne vous dira pas: «Mettez-vous en démocratie»; mais, si elle constate qu'à une époque de l'histoire et dans certaines nations, la démocratie s'organise par une évolution spontanée, elle n'ira pas se heurter sottement à cette démocratie en lui disant: «On ne passe pas», mais elle lui dira: «Démocratie nouvelle, tu as le droit de vivre au soleil, mais souviens-toi, si tu veux durer et prospérer, qu'il faut t'inspirer des principes chrétiens, parce que les principes de justice et de charité rendent seuls les nations heureuses».

Telle est la parole de bon sens qu'à prononcée Léon XIII. Le bon Père, M. Harmel, lui disait: «Je vous présente ces foules populaires, ces représentants de la démocratie moderne».

Léon XIII répondit: «Si la démocratie veut être chrétienne, elle peut faire comme tout autre régime, le bonheur du peuple». Démocratie républicaine, démocratie avec un roi constitutionnel, toute forme du pouvoir peut donner la prospérité si elle s'inspire de l'esprit de l'Evangile.

Ces formes ont toutes leurs avantages et leurs inconvénients qu'on peut discuter, mais elles sont toutes légitimes et nous n'avons pas le droit de jeter l'injure à un peuple qui choisit l'une plutôt que l'autre, à un citoyen qui préfère l'une à l'autre.

Voilà des paroles de bon sens comme vous en dira encore Léon XIII. Il parlera, sans doute, cette fois-ci de ce siècle qui finit et de cet autre qui va commencer. Il rappellera peut-être la royauté du Sacré-Cœur qu'il vient de proclamer et l'hommage que toutes les nations doivent au Rédempteur. Il prononcera quelque parole historique que vous serez heureux d'avoir entendue.

Allez à lui, vous l'aimerez davantage: la sainteté rayonne de son front avec sa bonté paternelle.

Allez à lui, vous serez plus unis et plus forts pour le combat, car sûrement il suppliera encore ses chers Français d'oublier leurs divisions et de marcher ensemble dans la lutte contre l'effroyable puissance de la franc-maçonnerie et de ses alliés.

Allons à Rome chercher le mot d'ordre pour le combat et la bénédiction pour la victoire!

La Chronique du Sud-Est, N. 8, août 1899; pp. 237-238.

LÉON XIII ET LA FRANCE

Notre chère Chronique est une revue d'action. Elle nous réveille, elle nous stimule, elle nous pousse à l'apostolat, aux œuvres, au déploie­ment d'un zèle incessant et ardent. Mais, pour agir, il faut être soutenu par la confiance, par l'espérance de voir aboutir nos efforts. La désespérance est énervante.

Et comment pourrions-nous désespérer et nous décourager quand nous voyons Léon XIII répéter avec tant d'insistance qu'il fait encore quelque fond sur cette pauvre nation si désemparée et qu'il attend encore d'elle ce qu'elle a réalisé dans ses beaux jours, l'œuvre de Dieu sur la terre, gesta Dei per Francos?

C'est le pontife éclairé de Dieu, c'est le prophète autorisé qui nous dit: « France, ne te décourages pas, les dons de Dieu sont sans repentir, le Christ aime toujours les Francs et il veut encore en faire ses auxiliaires de choix pour la défense de l'Église et pour l'apostolat universel».

C'est aussi l'ami, un ami dévoué et sans défaillances qui nous demeure absolument fidèle dans l'épreuve. Et comme cela est bon dans ces jours sombres et pénibles où tous les peuples séduits et trompés par les sophismes de la presse judaïque nous jettent l'injure au visage!

Il nous reste deux amis parmi les hommes, le Pape et le Czar, et, entre les deux, comme je donne le meilleur de ma confiance au premier! Le Czar a des armées, mais le Pape a l'oreille de Dieu, et c'est Dieu qui, dans sa providence, élève et abaisse les nations.

Ah! quels bons amis a encore la France! Sur la terre, elle a le Pape. Au ciel, elle a le Christ, qui est venu à Paray lui tendre sa poitrine pour qu'elle s'y repose et y reprenne confiance. Au ciel encore, elle a Marie qui est venue à Lourdes faire jaillir une source de guérisons, comme le symbole de la guérison que réclame la grande nation malade.

Quel ami étonnant que Léon XIII! Ce ne sont pas des influences humaines qui l'ont incliné vers nous, on le sait. Elles l'auraient plutôt détourné de nous. C'est l'instinct de son cœur, mais c'est aussi l'intuition profonde qu'il a des desseins du Christ sur ce peuple qui cache encore, sous des défauts si saillants, de si réelles qualités de cœur et même de foi.

Et avec quelle bienveillance et quelle patience cet ami éclairé nous prodigue ses avis et ses conseils!

Cent fois et à tout propos, il a manifesté sa tendresse spéciale pour la nation française.

Dans trois grands documents surtout, il a parlé solennellement à la France. - Au 8 février 1884, il confirme à la noble nation des Francs son titre de Fille ainé de l'Eglise; il lui rappelle les gloires de son passé au service du Christ, gesta Dei per Francos; il conjure les catholiques français de rester unis dans l'action; et il loue leur zèle pour l'enseignement chrétien et leur dévouement à toutes les œuvres. - Au 17 février 1892, il nous fait toucher du doigt un péril immense, celui d'attacher le sort de la religion et de l'Eglise au sort d'un parti politique; il nous rappelle que l'Eglise est au-dessus de tous les partis, qu'elle s'accommode de tous les gouvernements établis, qu'elle n'en boude aucun et qu'elle les accepte pour les améliorer. - Enfin, dans son Encyclique du 8 septembre dernier, il nous redit encore sa tendresse en même temps que sa confiance inébranlable dans notre relèvement.

Dans cette lettre merveilleuse, qui est comme le testament de l'amour du Pape pour la France, Léon XIII s'adresse surtout aux prêtres. Il les met en garde contre les témérités de l'exégèse moderne et contre les tendances au scepticisme de la philosophie cartésienne et kantienne «qui sacrifie à un subjecticisme radical toutes les certitudes de la métaphysique traditionnelle». Il leur recommande la prudence dans le zèle, afin qu'ils ne se laissent pas entraîner, par une ardeur irréfléchie, à négliger la vie intérieure et la soumission à leurs supérieurs.

Mais quels magnifiques encouragements cette lettre vous offre a vous, chers lecteurs de la Chronique! Avez-vous remarqué comme le Pape loue les prêtres qui avec vous et conformément aux recommanda­tions de l'Encyclique Rerum Novarum, «vont au peuple, aux ouvriers, aux pauvres; qui cherchent par tous les moyens à venir en aide à ceux-ci, à les moraliser et à rendre leur sort moins dur; qui provoquent dans ce but des réunions et des Congrès; qui fondent des patronages, des cercles, des caisses rurales, des bureaux d'assistance et de placement pour les travailleurs; qui s'ingénient à introduire des réformes dans l'ordre économique et social, qui s'imposent pour cela des sacrifices de temps et d'argent et qui propagent les enseignements de l'économie chrétienne par des livres, des journaux et des revues?».

Ces paroles du Pape doivent vous aller au cœur, elles consacrent et bénissent votre action, votre apostolat et le zèle de vos prêtres.

Ces conseils, tant de fois répétés, le Pape vient de nous les redire encore dans son allocution au pèlerinage ouvrier, et plusieurs d'entre vous ont eu le bonheur dé les entendre de sa bouche. Il fait appel à notre bonne volonté, à notre cœur, à notre sagesse, pour consoler sa vieillesse et pour détourner les calamités sociales qui nous menacent. Pourrions-nous rester insensibles à sa voix?

Et que nous demande-t-il donc?

Toujours la même chose: de nous unir pour suivre tous ensemble ses directions politiques et sociales, c'est-à-dire d'accepter les pouvoirs établis et de travailler à les rendre meilleurs, de multiplier les œuvres, les associations, tous les efforts du zèle et toutes les manifestations de la vie sociale chrétienne, en restant sous la sage direction de nos évêques.

Nous espérons vraiment de grands fruits de ces conseils si pressants. Il y avait encore des hésitants parmi le clergé et les laïcs chrétiens. Cette action sociale était si loin de nos mœurs gallicanes et jansénistes!

Pourra-t-on hésiter encore?

Nos vénérables prélats ont toujours encouragé les œuvres nouvelles comme les œuvres anciennes. Ils le feront davantage encore, pressés par la parole du Pape et par notre pieuse docilité.

A l'œuvre donc, vous surtout les jeunes gens, pour lesquels le Pape a, comme le Christ, une tendresse toute particulière! A l'œuvre! Travaillez dans le rang, sans défaillances, à vos œuvres de propagande, de bonne presse, d'études sociales, de crédit agricole, comme de vaillants soldats envoyés au combat par le Pape votre chef, et insensiblement, sans même voir clairement le fruit de vos efforts, vous refaites la France!

La Chronique du Sud-Est, N. 9-10, septembre 1899; pp. 269-270.

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