NOS CONGRES
LEUR NECESSITE ET LEURS FRUITS
Sous ce titre ont paru deux articles et une lettre d'approbation du Cardinal Rampolla dans «Le Règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés»: mars 1897, pp. 112-125; avril 1897, pp. 158-165; mai 1897, pp. 209-210.
Ces articles avaient été publiés en opuscule, la même année 1897, sous le titre Nos Congrès, voir Œuvres sociales, vol. IIe, pp. 353-377.
L'EVOLUTION SOCIALE EN FRANCE
En 1873, au premier éclat jeté par l'Œuvre des Cercles catholiques d'ouvriers, on a pu croire que la France allait devancer les autres nations dans la réorganisation sociale chrétienne.
L'Allemagne, il est vrai, avait déjà entendu les revendications lumineuses de Ketteler; mais Ketteler était plutôt un penseur qu'un organisateur. Il proposait de fonder des associations coopératives soutenues par la classe dirigeante. Il ne devait pas voir se réaliser ses idées. C'est après lui et peu à peu que se développèrent l'action du Centre et le groupement des comités et des congrès.
Le mouvement ne devait commencer que quelques années plus tard en Autriche, avec le baron de Vogelsang, en Suisse avec Decurtins, en Belgique avec l'évêque de Liège, l'abbé Pottier, MM. Hellepute et Verhaegen, en Italie avec MM. Toniolo, Medolago et Paganuzzi.
En France, un organisme puissant se présentait, conçu par l'intelligence et le cœur de deux des plus belles âmes de ce siècle et réglé par la science stratégique de deux officiers d'une grande distinction, le Comte Albert de Mun et le Marquis René de la Tour du Pin.
C'était une magnifique campagne qui commençait et le succès lui semblait assuré. Quelle belle armée que celle des Cercles! Elle paraissait appelée à englober dans son recrutement la nation tout entière.
Chaque ville avait son comité, avec ses sections de propagande, de relations extérieures et de finances. Le comité devait gagner la classe dirigeante et l'attirer peu à peu dans le mouvement de l'Œuvre à des titres divers, membres actifs, souscripteurs, dames patronesses. Les cercles en se multipliant devaient atteindre tous les ouvriers.
Les premiers succès furent éclatants. Le gouvernement voyait les cercles de bon œil. Les magistrats, les officiers entraient dans les comités. Les patrons d'usine favorisaient l'œuvre. Tout allait à souhait.
Mais l'échec de la réaction politique du 16 mai 1876 et surtout la démission du Maréchal de Mac-Mahon commencèrent à changer la face des choses. Les membres de l'administration se retirèrent des comités. Le gouvernement se montra hostile et tracassier.
Les ouvriers commencèrent à se demander si les cercles répondaient suffisamment aux immenses besoins sociaux de la classe des travailleurs.
Sans doute les ouvriers chrétiens trouvaient là une direction pieuse et des délassements honnêtes, mais cela semblait convenir aux jeunes gens plutôt qu'aux hommes mariés, qui doivent préférer la vie de famille à la vie du cercle.
Aux années de prospérité industrielle, qui avaient suivi la guerre, succédaient des années de gêne et de difficultés. On parlait bien dans l'Œuvre des cercles du rétablissement des corporations, où l'ouvrier trouverait assistance, mais c'était un projet vague, dont on n'entrevoyait pas la réalisation pratique.
La classe dirigeante retombait dans son apathie séculaire.
Les idées républicaines faisaient de grands progrès dans le peuple. Les souvenirs de l'Empire, de sa corruption morale et de ses fautes politiques, l'égoïsme et le luxe des chefs d'industrie, la mort du Comte de Chambord sur lequel on avait un moment compté, tout contribuait à donner au peuple le désir d'essayer par lui-même ou par ses élus une réorganisation politique et sociale.
L'Œuvre des cercles paraissait inféodée à l'idée monarchique; une partie de ses membres avaient certainement cette arrière-pensée. Elle ne pouvait plus rallier et entraîner les masses.
Le peuple était à prendre, le socialisme en profita. Il se présenta avec une tactique habile. Il fit ressortir tous les abus du régime économique actuel. Il laissa entrevoir dans le collectivisme une société nouvelle, où régneraient la paix et la prospérité de l'Eden.
Les catholiques avaient à faire une évolution large et prompte, s'ils ne voulaient pas perdre toute influence sur la masse populaire. Celui que Dieu a constitué le gardien de son Eglise et le général en chef des forces catholiques, le Pape comprit la nécessité de l'évolution et en donna l'ordre. Par ses encycliques Sapientiae christianae et Rerum novarum en 1890 et 1891, par ses lettres aux évêques et aux cardinaux de France en 1892, il rappela que l'Eglise est indifférente aux diverses formes du pouvoir civil et il engagea les catholiques français à accepter sans réserve le gouvernement républicain, que la masse populaire semblait préférer. En même temps, il avertissait les catholiques, qu'ils ont de grands devoirs à remplir au point de vue économique; que la condition actuelle des travailleurs est intolérable; que l'usure et les autres abus du capitalisme écrasent les peuples; qu'il faut remédier promptement à ces souffrances sociales, si l'on ne veut pas que le peuple découragé se tourne vers le socialisme, pour en essayer les projets insensés.
Avec l'adhésion au gouvernement que le peuple préfère, le Pape nous proposa comme remèdes, l'intervention de l'Etat, qui doit être demandée par une action politique incessante, et l'action des associations soit mixtes soit même composées d'ouvriers seulement, où l'on organiserait particulièrement des institutions de mutualité et d'assurances, pour adoucir les souffrances des travailleurs.
Ce fut un grand émoi parmi les catholiques de France. Beaucoup étaient attachés de cœur aux traditions monarchiques. Certains même, suivant les errements des anciens régaliens, semblaient tenir au trône autant et plus qu'à l'autel. Les libéraux redoutaient l'intervention de l'Etat. Les chefs d'industrie étaient hostiles à toute intervention ouvrière, à toute association séparée. Ils pensaient que le patronat suffirait à tout.
Les catholiques avant tout allaient suivre le Pape, mais il fallait s'attendre à des luttes. Elles ont été vives et elles ne sont pas finies.
La pauvre France qui a passé depuis trois cents ans par le gallicanisme, l'humanisme, le jansénisme, le rationalisme et le libéralisme, devait se heurter à une erreur nouvelle, le conservatisme politique et social.
Nous ne voulons pas, bien entendu, critiquer directement les personnes. Ce serait aigrir un débat qui n'est pas terminé. Nous supposons la bonne foi chez tous les réfractaires et nous en connaissons beaucoup, qui sont d'ailleurs des modèles de vertu et de charité.
Nos anciens groupements et comités d'œuvres étaient tous plus ou moins atteints de conservatisme. Ils n'admettaient ni l'évolution politique, ni l'intervention de l'Etat dans la réforme économique, ni l'initiative des ouvriers parallèle à celle des patrons.
Le Pape nous aurait-il rappelé en vain ces grands principes de philosophie chrétienne: 1° Que l'Eglise est indifférente aux diverses formes du pouvoir et qu'elle accepte les gouvernements de fait, qui deviennent d'ailleurs légitimes avec le temps; 2° Que l'Etat doit faire respecter tous les droits, veiller à l'observation de toutes les règles de la justice et se montrer tout particulièrement la providence des faibles; 3° Que les ouvriers ayant pris conscience de leurs droits, peuvent s'organiser pour s'entr'aider et pour discuter librement les conditions du contrat de travail!
Quand le Pape a parlé, il peut y avoir quelque hésitation parmi les catholiques, mais il n'y a jamais de longues résistances.
L'Œuvre des cercles se rapprochait, plus que les autres groupements, du programme économique du Pape; elle l'a accepté tout entier. Elle n'ose pas se prononcer en politique, à cause de la division de ses membres.
De jeunes revues ont surgi depuis trois ans. En général elles luttent vaillamment pour la défense et la propagande du programme pontifical.
La pierre de touche du mouvement des idées, ce sont les congrès. Nous avons assisté à la plupart de ceux qui se sont tenus cette année-ci. Nous pouvons dire, que l'évolution s'achève et que la victoire des idées pontificales est assurée.
Nous remarquons d'abord que les anciens comités catholiques, composés d'ailleurs d'hommes très vénérables, mais où les tendances régaliennes dominaient, ont cessé de se réunir.
Reims, Paris, Lyon ont vu passer cette année les congrès des cercles catholiques, ceux de la jeunesse catholique, des cercles d'études sociales, des Prêtres, des Tertiaires, le congrès national et celui de la Démocratie chrétienne.
L'Œuvre des cercles se réserve au point de vue politique. L'Association de la jeunesse catholique est favorable aux idées démocratiques. Elle l'a suffisamment manifesté à Reims, et dans la Revue qu'elle publie; elle a donné dans le numéro de Décembre, une adhésion chaleureuse au congrès démocratique de Lyon.
Les Prêtres à Reims étaient conduits par M. Lemire. C'est tout dire. Ils ont acclamé toutes les directions pontificales. Au congrès franciscain, si l'on voyait encore un reste d'hésitation, il était bien manifeste que les éléments les plus nombreux et surtout les plus jeunes, suivaient avec enthousiasme le mouvement démocratique.
Le congrès national comprenait l'état-major des anciennes œuvres. Il réunissait certainement des hommes de grand mérite et de grande vertu. Son adhésion aux directions pontificales a été timide, à peine suffisante. Eh bien! il n'a pas été et il ne pouvait pas être populaire à l'égal de ceux qui sont plus avancés dans l'évolution à faire. Il n'a compté que cent quatre-vingts adhésions et sa séance solennelle de clôture aurait été bien maigre, sans la présence de 500 élèves du pensionnat des Frères.
Le congrès des cercles ouvriers d'études sociales a été pour nous une véritable révélation. Si ce mouvement chrétien était plus aidé qu'il ne l'est par qui de droit, il y aurait là un des premiers éléments de rénovation. En trois ans, dans ces cercles d'études, se sont formés des ouvriers dévoués à l'Eglise, instruits des questions économiques, éloquents et ardents. Ces groupes-là sont les seuls qui puissent lutter avec succès, contre le socialisme qui nous envahit. Ils se sont organisés. Ils ont des réunions régionales. Ils aiment le concours du prêtre qui ne leur est pas accordé assez largement. Ils ont commencé à intervenir dans les élections, notamment à Reims et à Lille. Ils sont une force et ils aideront puissamment au triomphe de l'Eglise et à la réforme sociale, si, ce qu'à Dieu ne plaise, le conservatisme égoïste ne parvient pas à les décourager.
Le dernier grand congrès de l'année 1896 a été le congrès démocratique de Lyon, et c'est celui qui devait accentuer le plus fortement l'évolution.
Aucune tentative d'organisation catholique n'a excité un intérêt aussi vif et soulevé des polémiques aussi passionnées. On n'avait pas encore vu réunies dans une même pensée des personnalités marquantes aussi nombreuses et aussi diverses. Les promoteurs du congrès s'étaient proposé, comme ils l'annonçaient eux-mêmes, «moins une fusion qu'une fédération d'idées et de mouvements». Ils avaient fait appel à tous les hommes de bonne volonté. Ils s'étaient souvenus, que le Pape avait exhorté «tous les fils de la France chrétienne à s'unir dans la justice, le respect mutuel et la charité pour lutter ensemble contre tous les périls qui menacent leur patrie».
Les jeunes et vaillants rédacteurs de la France libre affrontèrent toutes les difficultés, confiants en la Providence. Leurs généreux efforts et leur ardeur communicative leur gagnèrent bientôt de nombreuses adhésions. Ils reçurent les encouragements de plusieurs notabilités étrangères et de divers membres de l'épiscopat français. A la veille du Congrès, ils envoyèrent au Souverain Pontife leur filial hommage et l'expression de leur dévouement à sa personne et à ses instructions. Ils reçurent du cardinal Rampolla la dépêche suivante:
«Le Saint-Père agrée l'hommage du filial dévouement, qui lui a été respectueusement envoyé au nom des présidents et des membres du congrès anti-maçonnique, social, et de l'Union nationale, qui sont à la veille de se tenir à Lyon. Il accepte avec bonheur la nouvelle assurance de leur soumission aux enseignements du Saint-Siège.
Convaincue que les réunions de ces congrès inspirées par de si louables sentiments seront, par le succès qui les couronnera, profitables aux grandes causes de la religion et de la société, Sa Sainteté leur envoie de tout cœur la bénédiction apostolique qu'ils lui demandent».
Le congrès a fait de la bonne besogne. Ses vœux sont absolument conformes aux directions du Saint-Père. Les réunions d'études y comptaient trois cents présences. Les meetings du soir réunissaient au cirque de sept à huit mille auditeurs appartenant pour la plupart aux classes populaires, acclamant le Pape et ses directions sociales.
N'est-ce pas là un résultat immense, propre à encourager les initiateurs de ces congrès?
Pour montrer d'ailleurs combien l'esprit de ce congrès a été conforme à celui de l'Evangile et aux directions du Pape, il nous suffira de résumer ici les vœux qui ont été émis, à la suite des deux journées d'études sociales.
Ces vœux avaient pour objet l'organisation catholique, la formation de comités d'études et d'action, de syndicats et de caisses de crédit.
Il réclamaient de l'Etat la protection de la famille, aujourd'hui détruite par le divorce et par le régime déplorable du travail industriel; le repos du dimanche; la liberté des corporations avec le droit de posséder; la répression de l'usure sous toutes ses formes; la protection de la petite propriété; une meilleure réglementation des conditions du travail; la création de caisses d'assurance et de retraite et la représentation légale des intérêts professionnels.
Au point de vue politique, le congrès exprimait le désir de voir se former au sein du parlement un groupe catholique pour combattre le Kulturkampf français.
Il faisait reconnaître par la foule immense réunie au cirque, que « les principes chrétiens sur la société, la famille, la propriété, la loi et le travail sont la base de toute réforme sociale;
Que l'Etat doit respecter tous les droits et que la loi doit se conformer aux règles de la justice inscrites au décalogue; que ces vérités, n'étant qu'une application des principes de l'Evangile, celui-ci doit avoir une large place dans l'enseignement tant primaire que supérieur».
Après ce beau congrès, l'évolution se continue toujours plus active, rencontrant sur son chemin des barrières qu'elle renverse.
L'élection de Brest a été dans ces derniers temps un épisode saillant de l'évolution. Le clergé tout entier d'un arrondissement autrefois fortement engagé dans un courant différent, a tenu à cœur de choisir un candidat qui se conformât à toutes les directions politiques et sociales du Saint-Père.
Au résumé, les études sociales ont maintenant en France pour organes six revues: L'Association catholique, la Démocratie chrétienne, la Sociologie catholique, la Justice sociale, le XXe siècle, la Réforme sociale; toutes ces revues ont adopté, à peu près sans réserves, les directions de l'Encyclique Rerum novarum. Une ou deux seulement ont des arrière-pensées politiques.
Comme groupements d'action, nous comptons environ cinq cents associations agrégées à l'Œuvre des Cercles, à peu près autant de syndicats agricoles et de caisses rurales.
Des comités de l'Union nationale se fondent de jour en jour, surtout en certaines provinces. Ils se composent particulièrement de jeunes gens. Ils sont absolument et sans restrictions avec le Pape. C'est dans ces comités nouveaux qu'on trouve le plus d'ardeur et d'enthousiasme. C'est là qu'est l'avenir.
Dans la région de Lyon en particulier des comités paroissiaux s'organisent partout sous le nom de comités d'action de l'Union nationale. Bientôt, nous l'espérons, nous verrons surgir en France spontanément une organisation analogue à celle qui se développe en Italie. Et ce sera en partie le fruit du congrès de Lyon.
Le mouvement nouveau prend souvent le nom de démocratie chrétienne. Les adversaires le lui reprochent, parce que le mot démocratie a servi parfois dans le passé à exprimer des mouvements révolutionnaires. Mais les mots n'ont-ils pas une valeur purement conventionnelle? Si quelqu'un me demande ce que je pense de la démocratie, je lui répondrai: «Dites-moi d'abord, ce que vous entendez par ce mot».
L'expression «démocratie chrétienne» commence à avoir un sens précis. En économie politique, tout le monde est d'accord, qu'elle exprime un régime social, où les hommes du peuple, les ouvriers, obtiennent par une législation équitable, la satisfaction de tous les droits, toutes les libertés légitimes et une protection efficace.
En politique la démocratie chrétienne réclame pour les hommes du peuple une participation suffisante au gouvernement du pays, comme en Belgique ou en Autriche. Elle demande à tous l'acceptation du gouvernement républicain, là où il est établi comme en France, en laissant chacun libre de penser in petto, que cette forme est abstractivement plus ou moins parfaite qu'une autre.
On peut objecter à cette qualification que les vrais catholiques devraient se dire catholiques tout court. Je réponds à cela que les catholiques en effet n'ont pas besoin d'épithètes, mais qu'il y a cependant dans l'histoire des périodes, où une étiquette aide à les reconnaître. Il y a trente ans les vrais catholiques étaient souvent appelés ultra-montains. Nous pensons que pendant quelque temps les vrais catholiques seront souvent appelés démocrates, par opposition à tous les réactionnaires et réfractaires.
Les esprits les plus clairvoyants de ce temps-ci, Pie IX, Manning, Gibbons, de Mun, Léon XIII l'ont dit: «Au XXe siècle, la force de l'Eglise catholique sera tout entière dans le peuple. Le peuple arrive partout au pouvoir. En l'éclairant, il reconnaîtra que l'Eglise est sa meilleure amie et que leurs intérêts sont communs. L'Eglise et le peuple sont les deux grands opprimés du siècle qui s'achève: Qu'ils unissent leurs forces et ils conquerront ensemble avec la liberté religieuse, la libération sociale et économique».
Le peuple, trompé par les sectes et souvent découragé par l'incurie des demi-catholiques, a besoin de savoir clairement et positivement, que l'Eglise l'aime tendrement, comme Jésus-Christ l'a aimé; que l'Eglise veut l'aider et qu'elle peut seule le faire efficacement par le règne de la justice et de la charité. Et pour dire cela au peuple, quel mal y a-t-il, que les catholiques se disent parfois démocrates? Qui donc se méprendra sur le vrai sens du mot?
Les lettrés eux-mêmes, gagnés par l'esprit démocratique, reviendront à nous et déjà plusieurs, même dans l'enseignement officiel, manifestent leurs sympathies pour la démocratie chrétienne.
Nous pensons que ce mot aidera pour l'évolution nécessaire en France.
Heureuse l'Italie, qui s'organise plus facilement, sans querelles de mots et de partis!
Que les catholiques d'Autriche, d'Allemagne, d'Espagne, de Belgique achèvent aussi l'évolution commencée dans leur organisation économique, et le XXe siècle verra les populations gagnées par les bienfaits de l'Eglise revenir au Christ et procurer à l'Eglise un triomphe, qu'elle n'a pas encore connu.
Le Règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans lés sociétés, avril 1897, pp. 186-196.
L'EVOLUZIONE SOCIALE IN FRANCIA1)
Nel 1873 al primo sorgere dell'opera dei circoli cattolici operai si poté credere che la Francia avrebbe sorpassato le altre nazioni nel riordinamento sociale cristiano. Certamente la Germania aveva già mostrato le nobili rivendicazioni del Ketteler, ma appunto il Ketteler sembrava esser piuttosto un gran pensatore che un riordinatore nella pratica: sicché dopo lui soltanto si svolse l'azione politica del Centro e s'ebbero comitati e congressi. Il movimento sociale propriamente tale cominciò alcuni anni più tardi in Austria per mezzo del barone di Vogelsang, in Svizzera col Decurtins, in Belgio col vescovo di Liegi, con l'abbate Pottier, l'Hellepute e il Verhaegen, e in Italia con l'Opera dei congressi e dei comitati parrocchiali e con l'Unione cattolica per gli studi sociali.
In Francia un ordinamento vigoroso fu conosciuto per l'intelligenza e l'animo di due egregi uomini del nostro tempo, e fu regolato con la scienza strategica di due nobili officiali, il conte Alberto de Mun e il marchese Renato La-Tour-du-Pin. Era una bellissima campagna che cominciò bene e che sembrava aver assicurata una buona riuscita. Che bell'esercito questo dei circoli, destinato nella sua coscrizione a raccogliere tutta intera la nazione!
Ogni città aveva il suo comitato con le sezioni della propaganda, delle relazioni esterne e delle finanze; e ogni comitato doveva guadagnare il favore dell'alta classe sociale, ammettendo le persone nell'opera col titolo di soci attivi, di sottoscrittori, di dame patronesse; e i circoli aumentando di numero dovevano estendersi a tutti gli operai. I primi frutti che se ne colsero furono eccellenti, sicché il governo fu benevolo ai circoli: magistrati e officiali fecero parte dei comitati, e i padroni delle officine favorirono l'opera che parve andar di bene in meglio. Ma la catastrofe della reazione politica, il 16 maggio 1876, e inoltre la rinunzia del maresciallo Mac-Mahon mutarono faccia alle cose. Allora gl'impiegati dello Stato si ritrassero dai comitati; e il governo si mostrò ostile; e gli operai cominciarono a dubitare che i circoli potessero veramente soddisfare i grandi bisogni sociali della classe dei lavoratori. E certamente gli operai cristiani trovavano ivi una direzione pietosa e un sollievo onesto: ma ciò sembrava convenire piuttosto ai giovani e non agli uomini coniugati che devono preferire la vita di famiglia a quella del circolo. Poi ad anni di prosperità industriale che avevano tenuto dietro alla guerra, succedettero anni di molestie e di difficoltà. Si parlava anche nell'azione dei circoli di fondare di nuovo le corporazioni, dove l'operaio troverebbe assistenza; ma era un disegno vago, di cui non si scorgeva ancora quale sarebbe l'effettuazione pratica, e la classe di coloro che dirigevano l'opera ricadeva nella sua secolare apatia.
Intanto le idee repubblicane si diffusero tra il popolo, e i ricordi dell'impero, della sua corruzione morale, dei suoi falli politici, l'egoismo e il lusso dei capi industriali, la morte del conte di Chambord, a cui si ebbe fiducia un istante, tutto insomma contribuì a far sorgere nel popolo il desiderio di tentare da se stesso e per mezzo dei suoi deputati un riordinamento politico e sociale. L'opera dei circoli pareva fedele al partito monarchico, e se non tutti, certo una parte dei soci nutriva questo vecchio pensiero che non poteva più raccogliere e stringere insieme le moltitudini. Poiché il popolo doveva conquistarsi, il socialismo ne profittò con le sue arti astute, mettendo in mostra gli abusi del presente ordinamento economico e lasciando intravedere nel collettivismo una società nuova dove regnerebbe la pace e la prosperità dell'Eden. I cattolici dovevano allora far un'evoluzione sollecita e intera, se non volevano perdere ogni efficacia e ogni autorità sul popolo. Chi Dio ha posto custode della sua Chiesa e generale supremo delle milizie cattoliche, il Papa, comprese la necessità dell'evoluzione e l'ordinò. Con le sue sapienti encicliche Sapientiae christianae e Rerum novarum nel 1890 e 1891, con le sue lettere ai vescovi e ai cardinali di Francia nel 1892, egli ricordava che la Chiesa è indifferente alle diverse forme del potere civile e obbligava i cattolici francesi ad accettare con sincerità, senza riserve, il governo repubblicano che il popolo sembrava preferire. E insieme a questo avvertiva anche i cattolici che essi hanno grandi doveri da compiere nella vita economica, che la presente condizione dei lavoratori è intollerabile, che l'usura e gli altri abusi del capitalismo gravano sul popolo, che convien portare un pronto rimedio ai mali sociali, se non si vuole che questo popolo avvilito si dia in braccio al socialismo per far la prova dei suoi disegni insensati. Con l'approvare il governo che il popolo desidera, il Papa, propone ai Francesi come rimedio l'intervento dello Stato nella questione, da cui deve richiedersi un'azione politica continua, e l'opera delle associazioni o miste, o composte di soli operai, per ordinare istituti di scambievole assicurazione a sollievo dei lavoratori. Ciò produsse un gran rumore tra i cattolici francesi, perché molti erano vivamente devoti alle tradizioni monarchiche, e alcuni, seguendo gli errori di vecchi regalisti, quasi posponevano al trono l'altare. I liberali rifiutavano l'intervento dello Stato, e i capi industriali erano nemici d'ogni iniziativa d'operai e d'ogni associazione separata, credendo che il patronato fosse sufficiente a tutto. I cattolici prima d'ogni altra cosa dovevano seguire il Papa, donde le lotte che sono state vive e non sono ancora terminate.
La povera Francia che è passata in trecent'anni per il gallicanismo, l'umanismo, il giansenismo, il razionalismo e il liberalismo, doveva dare in un errore nuovo, il conservatorismo politico e sociale. Certamente noi non critichiamo le persone, perché sarebbe inasprire una discussione non finita, e anzi crediamo che gli oppositori siano in buona fede, come ne conosciamo molti che son modelli di virtù e di carità. I nostri circoli e comitati di azione erano tutti più o meno inclinati al conservatorismo e non ammettevano evoluzione politica né intervento dello Stato nella riforma economica, né iniziative d'operai conforme a quella dei padroni. Il Papa dunque? ci avrebbe invano richiamati ai grandi principi della filosofia cristiana, come al principio che la Chiesa è indifferente alle diverse forme di governo e che essa accetta il governo di fatto, che col passar del tempo diviene legittimo; e all'altro che lo Stato deve far rispettar tutti i diritti, vigilare per l'osservanza di tutte le leggi della giustizia e mostrarsi patrono dei deboli; e al terzo, in fine, che gli operai avendo coscienza dei loro diritti possano adunarsi per soccorrersi a vicenda e per discutere liberamente le condizioni del contratto di lavoro? Poiché il Papa ha parlato, vi possono esser incertezze tra i cattolici, ma non mai prolungate opposizioni.
L'opera dei circoli si avvicinava più che tutte le altre associazioni al programma del Papa, che essi accettano per intiero, pur non osando dichiarare le loro opinioni politiche per non metter dissidio tra i soci. Da tre anni son sorte nuove riviste, che generalmente combattono arditamente per la difesa e la propaganda del programma pontificio. Causa di tutto questo movimento di idee sono i congressi; e noi, avendo assistito alla maggior parte di quelli tenuti in quest'anno, possiamo dire che l'evoluzione si compie, e che è ormai assicurata la vittoria delle idee papali. Ricordiamo inoltre che gli antichi comitati cattolici composti d'uomini molto rispettabili, ma di tendenze regalistiche, non si sono più radunati. Reims, Parigi e Lione hanno visto quest'anno raccogliersi i congressi dei Circoli cattolici, della Gioventù cattolica, dei Circoli di studi sociali, dei Preti, dei Terziari, il congresso nazionale e quello della democrazia cristiana.
L'opera dei Circoli è riservata nella politica; l'associazione della Gioventù cattolica si mostra favorevole alle idee democratiche, che ha manifestato, a Reims, e nella sua rivista nel numero di dicembre ha fatto adesione piena al congresso democratico di Lione. I Preti a Reims furono diretti dal Lemire, ed è singolare che abbiano approvato tutte le idee pontificie. Al congresso francescano, pur essendovi un po' d'incertezze, s'è osservato che la maggioranza e i più giovani seguivano con entusiasmo il movimento democratico. Il congresso nazionale comprendeva lo stato maggiore delle antiche associazioni e riuniva uomini certamente di gran merito e di gran valore; ma la sua approvazione alle idee del Pontefice fu timida e appena sufficiente. Tuttavia non è stato né poteva essere popolare a parità con quelli che sono più innanzi nell'evoluzione, sicché ha avuto 180 voti, e la seduta solenne di chiusura sarebbe stata ben poco numerosa, senza la presenza di 500 alunni del pensionato dei Fratelli delle Scuole Cristiane.
Il congresso dei circoli operai di studi sociali riunitosi nei giorni di Pentecoste è stato per noi una vera sorpresa, essendo un gruppo del tutto separato da quello dei circoli fondati dal De Muri. Furono istituiti tre anni fa, imitando l'ordinamento dei socialisti per combatterli, e son piccole riunioni tenute di sera tutte le settimane in qualche modesta sala. I gruppi non contano oltre a quindici o venti operai, e si dividono se più numerosi. Anima di tutto è un segretario, e gli operai più istruiti negli studi sociali presiedono a turno; un prete o un laico autorevole assiste alle riunioni e ha voto consultivo. Tali gruppi sono numerosi a Parigi, a Lilla, a Roubaix, a Tourcoing, a Lione, ad Orléans, a Blois e a Tours; e se questo movimento cristiano fosse più soccorso s'avrebbe in esso un mezzo tra i primi del rinnovamento. In tre anni si sono in questi circoli di studi sociali educati operai devoti alla Chiesa e istruiti nelle questioni economique, eloquenti e coraggiosi. Di ciò si deve il merito all'Harmel, principale promotore e propagatore dell'opera. Tali gruppi sono i soli che possano lottare con buon frutto contro il socialismo prepotente, perché ordinati, perché son unioni regionali a cui interviene il prete, sebbene con qualche riserva, e che incominciano, come a Reims e a Lilla, ad intervenire alle elezioni. Sicché formeranno una forza per il trionfo della Chiesa, e per la riforma sociale, se, ciò che Dio non permetterà, il conservatorismo egoistico non li farà scoraggiare.
L'ultimo grande congresso del 1896 fu il Congresso democratico di Lione, che rese più evidente l'evoluzione. Nessuna prova di ordinamento cattolico ha destato una premura così viva ed ha eccitato polemiche così appassionate. Non si erano veduti ancora riuniti degli uomini illustri in tanto numero e cosi diversi; e i promotori del congresso s'erano proposti, come annunziarono, di far, più che una fusione, una federazione d'idee e di movimenti. Essi perciò si rivolsero a tutti gli uomini di buona volontà, ricordando che il Papa aveva esortato tutti i figli della Francia cristiana ad unirsi col vincolo della giustizia, del rispetto scambievole e della carità per lottare insieme contro i pericoli che sovrastano alla patria. I giovani e valenti redattori della Francia libera vinsero tutte le difficoltà, fidando nella Provvidenza; e i loro sforzi e il loro ardore, che si diffuse, procurarono numerosi fautori, i quali ebbero l'incoraggiamento di molti uomini illustri stranieri e di vari vescovi in Francia. La vigilia del congresso essi inviarono al Sommo Pontefice parole di omaggio filiale e di fedeltà a lui e ai suoi insegnamenti; il cardinal Rampolla rispose: «I1 Santo Padre gradisce l'omaggio del filiale affetto che gli è stato rispettosamente inviato a nome dei presidenti e dei soci del congresso antimassonico sociale e di quello dell'Unione nazionale, che si terranno in Lione. Egli accetta con piacere la nuova prova della loro sottomissione agl'insegnamenti della Santa Sede. Persuaso che le riunioni di questi congressi, inspirate da sì lodevoli sentimenti, saranno, per il frutto che se ne trarrà, profittevoli alle grandi cause della religione e della società, il Santo Padre manda di tutto cuore la benedizione apostolica richiesta».
Il congresso espresse quindi i suoi voti conformi in tutto alle idee del Sommo Pontefice, e le riunioni degli studi contarono trecento presenti. Le adunanze della sera accolsero tra i cinque e sette mila uditori appartenenti i più alle classi popolari, che acclamarono il Papa e i suoi insegnamenti sociali. E non è questo un grandissimo frutto ricavato, che può animare sempre meglio i promotori di queste riunioni? Inoltre per mostrare come lo spirito del congresso si conformasse a quello del Vangelo e alle idee del Papa, basterà accennare i voti approvati dopo le due giornate di studi sociali. Questi voti ebbero per scopo l'ordinamento cattolico, la formazione di comitati di studio e di azione e di sindacati e casse di credito. Essi richiedono allo Stato la protezione della famiglia, ora distrutta col divorzio e col regolamento riprovevole del lavoro industriale, il riposo domenicale, la libertà di corporazione col diritto di possedere, la repressione dell'usura in tutte le forme, la protezione della piccola proprietà, un migliore ordinamento delle condizioni del lavoro, la fondazione di casse di sicurezza e di pensione, e la rappresentanza legale degl'interessi professionali. Quanto alla politica, il congresso esprimeva il desiderio che si formasse nel parlamento un gruppo cattolico per combattere il Kulturkampf francese; e faceva riconoscere alla folla immensa adunata nel circo «che i principi cristiani su la società, la famiglia, la proprietà, la legge e il lavoro sono il fondamento delle riforme sociali; che lo Stato deve rispettare tutti i diritti; che la legge deve conformarsi alle regole di giustizia scritte nel decalogo; che in fine queste verità sono soltanto un'applicazione dei principi del Vangelo, e questo deve avere un luogo importante nell'insegnamento primario e superiore».
Dopo questi sei congressi l'evoluzione si fa ogni giorno più viva e supera gli ostacoli che le attraversano la via. L'elezione di Brest è stata in questi ultimi tempi un episodio importante di quest'evoluzione, perché tutto il clero del distretto, che altra volta seguiva una direzione diversa, ha procurato scegliere un candidato che si conformasse nelle sue opinioni politiche e sociali alle dottrine del Santo Padre. Insomma gli studi sociali hanno ora in Francia, per mezzi di diffusione, sei riviste: L'Association catholique, La démocratie chrétienne, La sociologie catholique, Le XXe siècle, La réforme sociale, La Justice sociale, che tutte, quasi, senza riserve, hanno accettato i criteri dell'enciclica Rerum novarum; e una o due solamente ve ne sono che seguitano a sostenere vecchie teorie politiche.
Come gruppi d'azione noi oggi contiamo circa cinquecento associazioni aggregate all'Opera dei circoli, e presso a poco altrettanti sindacati agricoli e altrettante casse rurali. Comitati dell'Unione nazionale si fondano di giorno in giorno, specialmente in certe province, e si compongono specialmente di giovani che accettano senza restrizioni la parola del Papa. E in questi nuovi comitati si ha l'ardore e l'entusiasmo, in questi è la speranza dell'avvenire. Nella regione di Lione in particolare, alcuni comitati parrocchiali s'ordinano ovunque col nome di comitati d'azione dell'Unione nazionale. E tosto noi speriamo veder sorgere in Francia spontaneamente un ordinamento analogo a quello che si svolge in Italia, ciò che sarà in parte il frutto del congresso di Lione.
Il movimento nuovo prende spesso il nome di democrazia cristiana, e gli avversari gli rimproverano questa parola democrazia, usata, nel passato, a significar movimenti rivoluzionari. Ma le parole non hanno forse un valore soltanto convenuto? Se qualcuno mi domandasse ciò ch'io pensi della democrazia, risponderei: Ditemi prima che cosa intendete per democrazia. L'espressione democrazia cristiana comincia ormai ad acquistare un senso preciso; e in economia politica tutti si sono accordati ad esprimere con questa parola un ordinamento sociale dove gli uomini del popolo, gli operai, ottengano con una legislazione equa il soddisfacimento di tutti i loro diritti, di tutte le libertà legittime, e un'efficace protezione. In politica poi la democrazia cristiana richiede per il popolo una giusta partecipazione al governo del paese, come nel Belgio o in Austria, e vuole che tutti accettino il governo repubblicano in quei paesi in cui è stabilito, come in Francia, lasciando libero ciascuno di pensare dentro di sé se questa forma sia, in teoria, più o meno buona di un'altra. Si può osservar contro questi concetti, che i veri cattolici dovrebbero dirsi cattolici senz'altro, ma si può rispondere che i cattolici in verità non hanno bisogno d'epiteti, ma che nella storia vi son dei periodi in cui un nome giova a riconoscerli. Trent'anni fa i veri cattolici eran detti ultramontani, e di qui a non molto tempo è da credere si diranno democratici per distinguerli dai reazionari e dai refrattari.
Gli uomini più intelligenti di questo tempo, Pio IX, il Manning, il Gibbons, il de Mun, Leone XIII, dissero che « al vigesimo secolo la forza della Chiesa cattolica sarà tutta nel popolo, che ovunque giunge al potere. In appresso esso riconoscerà che la Chiesa è la sua migliore amica e che gl'interessi sono comuni, la Chiesa e il popolo sono due grandi oppressi del secolo che muore; che dunque uniscano le loro forze e conquistino, insieme con la libertà religiosa, la liberazione sociale ed economica!». Il popolo ingannato dalle sette e disanimato per l'incuria dei mezzo-cattolici, ha bisogno di saper chiaramente e con determinatezza che la Chiesa l'ama come Gesù Cristo l'ha amato, che vuole soccorrerlo, e che soltanto essa può far ciò efficacemente promovendo il regno della giustizia e della carità. E qual mezzo migliore a dir questo al popolo, del professarsi pur una volta democratici? Chi si meraviglierà del vero senso di questa parola? Anche le lettere, guadagnate allo spirito democratico, tornano a noi; e già molti anche nell'insegnamento officiale manifestano le loro simpatie per la democrazia cristiana; sicché crediamo che questa parola gioverà all'evoluzione necessaria in Francia. Fortunata l'Italia che si ordina più facilmente senza contrasti di parole e di partiti! Che i cattolici d'Austria, di Germania, di Spagna e del Belgio compiano l'evoluzione incominciata con l'ordinamento economico; e allora il vigesimo secolo vedrà i popoli, attirati dai benefici della Chiesa, tornare a Cristo e procurare alla Chiesa stessa un trionfo che non ha mai avuto!
CONSULTATIONS ET ENQUETES SOCIALES
Voilà un siècle et plus que nos sociétés chrétiennes, et la société française en particulier, souffrent d'un profond malaise.
Au XVIIIe siècle, le scepticisme philosophique, l'exagération de l'autorité royale, la corruption de la noblesse et de la cour et la décadence des corporations devenues des instruments de fiscalité, avaient désorganisé la nation. La maladie sociale eut sa crise aiguë dans les années de la Révolution.
Les remèdes apportés par les assemblées révolutionnaires, par l'Empire et par la Restauration, furent bien incomplets. Le malaise couvait comme un incendie mal éteint et de nouvelles influences morbides vinrent lui rendre son acuité. L'industrie se développa avec tous ses inconvénients économiques et moraux, sans rencontrer aucun contrepoids ni dans les vertus patronales, ni dans les institutions corporatives. L'agiotage, favorisé par le développement du crédit, des emprunts et des sociétés commerciales et industrielles, est arrivé à son paroxisme. La licence des mœurs et le luxe des parvenus ont suivi l'accroissement de la richesse. Le malaise est si grand et la fièvre des esprits est si intense, qu'on en est à se demander si nous n'approchons pas d'une crise analogue à celle de la fin du siècle dernier.
Pendant cette période plus que séculaire de la maladie sociale dont nous souffrons, les médecins de bonne volonté n'ont pas manqué. On ferait une bibliothèque énorme avec toutes les consultations qui ont été données et toutes les recettes qui ont été proposées. Aussi, à la fin de ce siècle, pour essayer d'y voir clair, des critiques ingénieux procèdent à une enquête générale sur les méthodes de thérapeutique sociale proposées par tant d'hommes de bonne foi, qui croient tous avoir trouvé l'unique remède au mal dont nous sommes atteints.
Nous voyons donc paraître aujourd'hui, après tant de volumes de consultations, des volumes d'enquête sociale ou de synthèse des écoles sociales. Voici d'abord le dilettante, M. Jules Huret, rédacteur au Figaro, qui publie son Enquête sur la Question sociale en Europe. - Puis le philosophe éclectique, M. Henri Michel, professeur au lycée Henri IV, qui publie, sous le titre de L'Idée de l'Etat, l'histoire des doctrines économiques. - Enfin, un homme politique, M. Paul Deschanel, dans une longue préface au livre de M. Huret, nous donne aussi le résultat de son enquête sur les diverses écoles de science sociale.
Voyons si, de tout ce travail d'investigation, quelque lumière nouvelle ne jaillira pas.
M. Huret a interrogé les personnes plutôt que les livres et nous raconte une série d'interviews des plus intéressantes. Il a, d'ailleurs, choisi ses témoins avec beaucoup d'esprit. Dans ses pages, M. le baron Alphonse de Rothschild coudoie M. Jules Guesde; M. Leroy-Beaulieu se rencontre avec M. Paul Brousse. On entend tour à tour M. Schneider, du Creusot, et ses ouvriers, les manufacturiers de Roubaix et la municipalité socialiste de la même ville, le président de la Chambre de commerce de Paris et le directeur du Familistère de Guise. On peut lire l'expression des sentiments de M. John Burns, le leader socialiste de la Chambre des communes, du général Booth, le chef de l'armée du salut, du socialiste Bebel, du pasteur antisémite Stœker, du prince Aloïs de Liechstenstein, le chef des chrétiens sociaux d'Autriche, du socialiste russe Pierre Lavrof, de l'anarchiste italien Malatesta et de l'évêque populaire du Minnesota, Mgr Ireland.
Après cela, vous pensez sans doute que M. Huret, parfaitement éclairé sur la question sociale, a fait choix d'une doctrine fortement motivée et qui lui parût apte à résoudre le problème social? Il n'en est rien. On est plus prudent au Figaro. On est dilettante avant tout, et le sublime du genre est de faire croire à chaque lecteur qu'on est de son avis. M. Huret y réussit admirablement. Il a communiqué son manuscrit à M. Jaurès et à M. Deschanel et tous deux lui ont fait une préface. M. Jaurès est bien convaincu des sympathies de M. Huret pour le socialisme, et M. Deschanel ne doute pas que M. Huret ne soit un homme de juste milieu, un opportuniste de la science sociale.
Ecoutez plutôt: «Vous avez recueilli, dit M. Jaurès à M. Huret, les objections et les conceptions de messieurs les capitalistes, et vous les avez notées avec une candeur bienveillante où il entre parfois bien de l'ironie». Et, après avoir constaté cette ironie significative, M. Jaurès fait de sa préface une apologie du socialisme, avec la description de ses progrès toujours croissants.
M. Deschanel écrit, de son côté, à M. Huret: «Permettez-moi d'espérer qu'après avoir fait parler les autres, vous parlerez à votre tour. J'imagine que vos conclusions ne seront pas très éloignées des nôtres et que vous voudrez grossir les rangs, toujours plus nombreux, de ceux qui n'admettent ni les exagérations du socialisme, ni celles de l'économie politique classique, et qui ont établi très fermement leur place de travail et d'étude dans une région intermédiaire entre ces deux pôles».
En publiant ces deux préfaces, d'esprit si différent, M. Huret continue son rôle de dilettante. Mais le dilettantisme est-il une solution? Décrire spirituellement tous les systèmes, laisser entendre qu'ils ont tous quelque bon côté, quelque aspect séduisant… et quelque lacune, est-ce là résoudre la question sociale et remédier au mal?
Les grands patrons cités par M. Huret s'imaginent que les ouvriers n'ont aucun motif de se plaindre, qu'ils se laissent séduire par les meneurs et les politiciens et qu'ils convoitent les magnifiques hôtels des patrons pour y mener une vie oisive. M. Huret a raison de reproduire avec un grain d'ironie des témoignages si partiaux et si incomplets.
Les économistes et les capitalistes interrogés par M. Huret s'appliquent à justifier le capital, qui est, à leurs yeux, le produit du travail et de l'épargne. Plus d'une page du livre laisse entendre que le capital a souvent une origine moins conforme à la justice, et M. Jaurès ajoute avec raison que la haute banque ne se risque pas à publier ses mémoires.
En résumé, ce procès-verbal d'une enquête sociale n'est pas un livre scientifique. On y trouve quelques renseignements utiles, le volume est agréable à lire, mais il faut chercher ailleurs des données positives pour remédier au malaise social.
Après l'enquête du dilettantisme, écoutons l'enquête de la philosophie éclectique. Voici un volume touffu et serré, publié par M. Henry Michel, professeur au lycée Henri IV. Il a pour titre: L'Idée de l'Etat. C'est l'histoire des doctrines économiques depuis un siècle et demi. Le livre accuse du travail. C'est une encyclopédie de toutes les consultations données, depuis un siècle, aux pauvres sociétés malades, par les philosophes, les économistes, les réformateurs de toutes les écoles. Mais certaines pages manquent de clarté. Notre philosophie universitaire s'inspire trop, en effet, depuis quelques années, de Kant et des Allemands: elle y a perdu l'avantage de la lucidité française.
Ce volume nous laisse regretter aussi le divorce qui existe en France entre les deux courants d'études et d'enseignement: l'enseignement de l'Etat et celui de l'Eglise. Nous aurions parfois quelque profit à lire davantage les universitaires; ceux-ci auraient souvent un grand profit à nous lire. M. Michel oublie, dans son enquête, les écrivains catholiques, sauf ceux de la Restauration, joseph de Maistre et de Bonald, qu'on lit encore dans le monde académique, et quelques économistes comme Villeneuve-Bargemont et Huet. Il ignore Ketteler, Manning, Decurtins, Janssen, Félix, Ireland, de Pascal, Naudet, Liberatore, Doutreloux, La Tour du Pin, de Mun, Freppel, Meyer, Pesch, Lehmkuhl et bien d'autres, on peut dire: toute l'école catholique en bloc. C'est beaucoup pour une Histoire des Doctrines économiques.
Il s'efforce de simplifier sa thèse en groupant tous les auteurs qu'il analyse en deux grandes écoles: ceux qui exaltent l'Etat et voient en lui le seul sauveur; ceux qui redoutent l'action de l'Etat et lui préfèrent la liberté, ou les individualistes.
Cette division est simple mais bien incomplète. Sans doute, l'action de l'Etat et l'initiative privée sont deux éléments de la vie sociale. Mais est-ce tout? Evidemment non. L'action religieuse, celle des corporations, celle du patronat ne rentrent pas dans ce classement. En les laissant de côté, M. Michel ne peut nous donner ni une histoire complète des doctrines économiques, ni un programme intégral de réforme sociale.
Il analyse donc à son point de vue les doctrines sociales qui ont eu cours depuis le XVIIIe siècle.
Voici d'abord les statolâtres, tous ceux qui ont fait de l'Etat l'unique sauveur, le Deus ex machina.
Turgot commence. Il fait de la religion un instrument de l'Etat: «L'Etat, dit-il, protège les religions comme utiles, non comme vraies, et toute religion n'est pas propre à être ainsi adoptée par la politique2)». -Voltaire et les Encyclopédistes attendent tout de l'Etat. Leur idéal c'est le despotisme tempéré par la tolérance et éclairé par les lumières de la philosophie (de la leur, bien entendu). Les héros de Voltaire sont Louis XIV, Frédéric II, Catherine de Russie3). - On retrouve les mêmes vues chez Beccaria et Filangieri en Italie, chez Leibnitz et Wolf en Allemagne, chez Hume en Angleterre. Ils n'ont pas d'autre idéal politique que le despotisme éclairé, ce qu'ils appellent « l'Etat de police»4). -Montesquieu, lui-même, fait de la loi, c'est-à-dire de l'Etat, la règle suprême. Il ne veut pas reconnaître qu'il existe des rapports d'équité antérieurs à la loi qui les établit5). - Rousseau soumettait la religion elle-même à l'Etat. «La distinction des pouvoirs religieux et civils, disait-il, est fatale. L'Etat doit organiser la religion civile»6). - Ceux qu'on appelle les physiocrates, Quesnay et son école, reconnaissaient que la politique doit être réglée par la science du droit naturel, mais ils pensaient que la nature humaine demande le despotisme pour le bien de la société. Ils citaient comme exemple la Chine et l'Egypte ancienne. - Haller lui-même, dans sa Restauration de la science sociale, exagère la puissance monarchique: «Le roi, dit-il, a le droit de faire la paix ou la guerre, parce qu'il défend sa propriété».
Il faut rapprocher des statolâtres les diverses écoles socialistes. Hegel est leur prophète. Pour lui, l'Etat est tout, l'Etat est Dieu. Les hommes ne vivent que pour le bien de l'Etat. - Louis Blanc, partant du même principe, a créé le socialisme autoritaire et collectiviste. - Lassalle et Marx dérivent d'Hegel et de Louis Blanc. Ils ont emprunté au premier l'esprit d'analyse qui caractérise le socialisme scientifique. Ils ont pris du second son programme d'organisation collectiviste. - Pecqueur et Vidal suivent Louis Blanc. - Benoît Malon, disciple de Marx, en diffère notablement, en ce que, aux résultats scientifiques de la statistique il ajoute l'idée de justice, le sentiment de la pitié, la religion de l'humanité. - Saint-Simon, Buchez, Pierre Leroux, Cabet unissent aussi à leurs projets d'organisation socialiste par l'Etat des sentiments généreux, le désir du progrès, l'amour de la solidarité, de l'humanité, la pitié pour les classes souffrantes. Ils se réclament même de l'Evangile. - La plupart des socialistes attendent donc tout de l'Etat. Par contre, deux chefs de groupes parmi eux, Fourrier et Proudhon, dans leurs livres sur le Phalanstère et l'Anarchie, condamnent l'Etat et portent l'individualisme à ses conséquences les plus extrêmes et les plus paradoxales. Ils nous fournissent une transition. Aux statolâtres, opposons, avec M. Michel, les individualistes.
Kant a donné la formule de l'individualisme. Il oppose l'Etat de droit à l'Etat de police. Il entend par là le droit dégagé de toute règle théologique en morale, le droit apprécié par la conscience individuelle. - Fichte va plus loin que Kant et pousse l'indépendance du droit personnel jusqu'à légitimer la Révolution.
M. Michel reconnaît que l'esprit. individualiste et révolutionnaire est venu du protestantisme, il a raison. L'autonomie religieuse a préparé les esprits à l'autonomie sociale et économique. Mais nous regrettons de voir notre auteur établir une solidarité trop étroite entre le libéralisme politique et le libéralisme économique. Il y a bien, il est vrai, une certaine connexion entre ces deux tendances. L'autonomie religieuse que nos souverains se sont arrogée, à l'instigation des légistes et des protestants, a bien inspiré à leurs sujets la pensée de réclamer à leur tour l'autonomie politique et économique. Mais la liberté politique était un bien que le césarisme moderne avait confisqué à son profit; et le libéralisme économique, au contraire, était une illusion qui allait livrer les travailleurs sans défense aux convoitises tyranniques du capital.
Lors donc que M. Michel nous signale les revendications de la liberté individuelle et politique formulées par Mme de Staël, Daunou, de Tracy, Royer-Collard, Guizot, Benjamin Constant, Tocqueville, Lamartine et même Vacherot, nous y trouvons plus à louer qu'à blâmer. Mais, quand il nous montre Adam Smith, Jean-Baptiste Say, Rossi, Dunoyer et Bastiat préconisant l'économie libérale et regrettant toute ingérence de l'Etat et des corporations, nous regrettons de voir cette école priver les faibles de tout appui et les livrer à la merci du capital.
M. Michel en vient ensuite à étudier l'école positiviste et les sociologues les plus récents; et cette fois il n'a plus seulement à constater la contradiction entre les écoles diverses, il la rencontre dans une même école et souvent dans un même auteur.
Le positivisme de Comte aboutit à l'organisation d'une tyrannie morale et politique absolue; celui de Littré à la condamnation du socialisme et à l'apologie du gouvernement libre. Taine et Renan paraissent favorables à l'individualisme en théorie, à l'Etat en pratique. -Les libéraux actuels, Beaussire et Beudant par exemple, maintiennent la thèse individualiste, mais ils sentent qu'ils sont dépassés. -Les économistes, Paul Leroy-Beaulieu, Jourdan, Villey et surtout Dupont-White, font des concessions à l'action de l'Etat qui devient un instrument de progrès.
Courcelle-Seneuil, dans son Etude sur la Science sociale, commence par restreindre les attributions de l'Etat, puis il lui accorde une influence exorbitante, en prétendant que l'homme tient de la société ses idées ainsi que sa vie; que la conscience sociale engendre la nôtre, l'éclaire, la contrôle. - Accolas, dans sa Philosophie de la Science politique, a les mêmes contradictions. -Bordier dans sa Vie des Sociétés, commence par dire que l'Etat seul est intéressant et que les individus ne sont que des atomes qui se renouvellent: il finit cependant par condamner l'Etat-assureur, l'Etat-Providence, etc. -Letourneau, dans son Evolution politique, a des amalgames du même genre. Il dit tantôt que le gouvernement de l'avenir sera réduit au minimum, tantôt que les gouvernements de l'avenir auront à remplir toutes sortes d'obligations: instruire les populations, partager les hommes entre les diverses branches de l'activité nationale, etc.
M. Michel, déconcerté par ces contradictions, arrive à cette conclusion: «Ces amalgames témoignent visiblement de l'incertitude persistante et même croissante des idées»7). Il n'est pas éloigné de se rallier à l'éclectisme de M. Fouillée, qu'il décrit avec complaisance. M. Fouillée a trouvé une formule nouvelle; il donne pour mission à l'Etat: «la justice réparatrice des droits lésés par la liberté humaine imparfaite et par la lutte naturelle pour la vie».
Cependant, c'est aux théories de son maître, M. Renouvier, que s'arrête en dernier lieu M. Michel. Avec lui il reprend ce qu'il appelle «l'individualisme du XVIIIe siècle, c'est-à-dire le sentiment de l'éminente dignité de la nature humaine et l'idée de la justice, avec le droit pour les individus de vivre et de s'aider par la culture, droit qui doit être reconnu et servi par l'Etat».
Au fond, c'est la théorie du despotisme éclairé, de la monarchie paternelle, de l'Etat de police prôné par Leibnitz et Wolf, par Hume et Beccaria; et j'avoue ne pas comprendre pourquoi M. Michel baptise cette doctrine de ce nom nouveau: individualisme du XVIIIe siècle. Mais pourquoi demanderions-nous à M. Michel une conclusion plus nette? Il avoue, lui-même, en terminant, que «la conscience humaine est encore en quête d'une conception meilleure de la justice… On doit, dit-il, se résigner à ne pas apporter ici des précisions qui risqueraient d'être décevantes. Rien ne prouve que nos conceptions ne soient pas suggérées par quelque entraînement passager sur lequel une réflexion plus attentive fera revenir»8).
A coup sûr, une pareille conclusion n'est pas compromettante. Mais combien elle témoigne du désarroi des idées! L'Université de France travaille. Elle a des hommes intelligents et consciencieux, mais elle a perdu le fil conducteur de la philosophie chrétienne. Elle aime à appeler du nom de «Sinaï moderne» la colline Sainte-Geneviève où sont groupés ses principaux établissements d'étude et d'enseignement. Mais quelle lueur vague et incertaine nous offre ce Sinaï, en regard de celui du Décalogue! Et comment former l'esprit d'un peuple avec des doctrines où les maîtres du lieu eux-mêmes ne voient qu'amalgame, confusion et incertitude?
Nous venons d'assister aux enquêtes sociales du dilettante et du philosophe éclectique. Ecoutons celle du législateur opportuniste.
M. Paul Deschanel est un homme politique fort intelligent. Il a des opinions modérées, du savoir-faire; il écrit et parle bien: ses collègues en ont fait un vice-président de la Chambre. C'est à la suite de M. Huret qu'il s'est livré à son enquête sociale, et il en donne le résultat dans sa lettre-préface insérée au volume de M. Huret. Il commence par féliciter l'écrivain: «Vous avez bien marqué, lui dit-il, les grandes lignes des principaux systèmes qui se disputent, à l'heure qu'il est, l'empire des esprits. Et de plus vous avez senti ce qu'il y a, aujourd'hui encore, d'affreusement misérable dans un grand nombre d'existences, ce qui reste d'injustice dans nos vieilles sociétés, à la veille du vingtième siècle». Puis, M. Deschanel constate l'étroitesse des jugements qui sont portés communément sur la question sociale. «Vous avez bien rendu, dit-il, ce qu'il y a d'inévitablement partial, même en dehors de l'égoïsme vulgaire, dans les vues de la plupart des hommes attelés, du haut en bas de l'échelle, à leur besogne. Chacun -sauf de rares exceptions - confond volontiers sa fonction avec l'intérêt social et ne voit que le côté du problème qui le regarde; chacun semble enfermé dans son compartiment, - qui dans son champ ou dans son atelier, qui dans sa banque ou dans sa boutique, qui dans son parti, sa secte ou son salon, - et isolé intellectuellement de ses voisins comme par des cloisons étanches… C'est à vous, ajoute-t-il, écrivains désintéressés, et c'est à nous législateurs, d'essayer de nous élever au-dessus de ces cadres étroits et de faire la synthèse des idées, afin de concilier les intérêts et de prévenir les conflits».
Puis, le législateur critique les deux opinions extrêmes, celle des socialistes et celle des économistes, et il exprime l'avis qu'il faut établir son plan d'étude et de travail dans une région intermédiaire entre ces deux pôles: «A nos yeux, dit-il, ceux qui attendent tout de l'intérêt privé, comme ceux qui s'en remettent en tout à l'action publique, n'ont qu'une vue incomplète des phénomènes sociaux. Nous ne sommes ni avec ceux qui écrasent l'individu sous le joug collectiviste, ni avec ceux qui prennent un minimum de gouvernement pour la liberté… Les socialistes ont raison, de signaler le paupérisme causé par les abus de l'industrialisme. Ils ont raison d'insister sur l'utilité et la puissance de l'union et de la coopération. Ils ne se trompent pas quand ils disent que l'Etat a d'autres devoirs que celui d'assurer l'ordre matériel et qu'il doit tendre à corriger les inégalités sociales en ce qu'elles ont de contraire au droit et à la morale. Mais nous ne pouvons les suivre quand ils veulent livrer le travail et la liberté humaine à l'arbitraire d'une autorité sans frein, et organiser une centralisation impraticable. Il faut donc, conclut-il, concilier l'individualisme et l'altruisme, combiner les forces privées: individu, association, coopérative, avec les forces publiques: commune, département, Etat. La forme supérieure de l'organisme social est, dans l'ordre économique, la synthèse de l'action privée et publique».
Tout cela est vrai et marqué au coin du bon sens, mais combien incomplet encore! Nous le montrerons tout à l'heure.
Nous venons donc d'entendre les voix retentissantes de divers Sinaïs contemporains. Le Figaro est l'oracle du boulevard, la philosophie éclectique prononce ses aphorismes à la Sorbonne, le législateur avisé et prudent formule ses jugements au milieu des agitations du Palais Bourbon.
Il est un autre Sinaï, plus élevé, plus éloigné des bruits humains et plus visité par la Sagesse infinie, c'est celui des collines de Rome. On entend là la voix du plus haut représentant de Dieu. On y entend l'enseignement de la sagesse humaine restée fidèle aux concepts les plus élevés qu'elle ait atteints avec le génie d'Aristote. On y entend l'écho de ces grandes voix qui nous ont présenté sous une forme didactique les révélations divines: les Anselme, les Bonaventure et les Thomas d'Aquin.
Ici aussi, en présence du désarroi de la société contemporaine, une enquête sociale a été faite, et les conclusions nous en ont été présentées dans une série de lumineuses encycliques.
Léon XIII avait commencé son enquête sociale quand il n'était encore qu'archevêque de Pérouse. Il avait consigné ses premiers résultats dans ses lettres admirables sur la civilisation chrétienne. Elevé sur la chaire de Saint Pierre, il nous raconte, dans ses premières encycliques, ses longues méditations sur les souffrances de nos sociétés chrétiennes et la tristesse profonde qu'il en a conçue. Il entrevoit déjà les remèdes qu'il indiquera. Cependant, il attend encore, il interroge, il écoute les témoignages des intelligences les plus élevées de ce siècle; il consulte le Ciel, puis, enfin, il formule, lui aussi, le résultat de son enquête dans son encyclique Rerum novarum. Et combien il s'élève au-dessus de ces vues étroites d'écoles et de partis que signalait M. Deschanel!
Il ne va pas à tâtons comme les éclectiques et ne s'en rapporte pas aux données incomplètes de l'induction ou du sens commun. Il sait que l'économie sociale est une science et qu'elle doit partir de principes certains pour arriver à des lois déterminées. Il sait, comme l'exprimait si bien Mgr Freppel, que « lorsqu'une science croit n'avoir à compter qu'avec des phénomènes et des faits sensibles, sans qu'elle éprouve le besoin de remonter des effets aux causes, et des causes secondes à la cause première, ce n'est plus qu'une science tronquée qui s'interdit tout élan et toute perspective. Car c'est la grandeur de l'intelligence humaine de ne pouvoir faire un pas dans un ordre de choses quelconque, sans que l'idée de Dieu se présente à elle comme le fondement qui en supporte les assises et la lumière qui en éclaire les sommets».
Aussi, Léon XIII nous rappelle-t-il d'abord les principes chrétiens, qui nous donnent le sens de la vie, nous tracent le devoir commun du travail et nous montrent dans la propriété un stimulant à notre activité, une participation à la richesse divine, mais aussi, comme conséquence, une obligation d'imiter sa providence envers les besogneux. Il nous rappelle la dignité personnelle de l'homme, le respect qu'elle mérite et le concours que l'homme doit trouver dans l'association, dans la famille d'abord qui est l'association fondamentale et intangible, puis dans l'Etat et les corporations. Il nous rappelle que les organisations les plus parfaites ne donneront aucun résultat heureux sans les vertus qui doivent animer leurs membres dans la société.
De ces principes, il est facile de déduire le magnifique programme de la réforme sociale chrétienne.
Il faut placer au premier rang le retour aux principes chrétiens. Ce ne sont pas, en effet, les doctrines hésitantes des autres Sinaïs qui pourront imprimer profondément la vertu au cœur des hommes et faire régner la justice dans la société, dans l'atelier et dans les relations industrielles et commerciales.
Il faut que l'Eglise ait la liberté de déployer toute son action, pour qu'elle puisse faire revivre toutes les institutions libérales et fécondes des siècles de foi, en les adaptant aux besoins nouveaux de la société, aux progrès de l'industrie et du commerce et aux aspirations légitimes des travailleurs vers une meilleure organisation du travail.
Il faut que la famille soit rétablie dans toute son intégrité et dans tous ses droits, surtout en ce qui concerne l'éducation des enfants, parce qu'elle est antérieure à l'Etat et qu'elle est le fondement même de la société.
Les associations privées sont de droit naturel: «Le frère incline à aider son frère». Aussi doivent-elles être respectées et favorisées par l'Etat, tant qu'elles n'agissent pas contre les principes de la morale publique.
L'Etat n'a pas seulement pour mission de maintenir la paix extérieure. Il doit faire respecter tous les droits, surtout ceux des faibles, et favoriser le développement matériel, intellectuel et moral de la société. Il doit donc intervenir pour protéger les travailleurs contre les oppressions. Il ne doit le faire cependant qu'avec mesure et dans les matières où l'initiative privée et l'action des corporations ne suffisent pas, parce que l'Etat n'a pour mission que de suppléer à ces initiatives qui lui sont antérieures et dont il est le protecteur et le gardien.
L'Etat doit aussi réprimer l'usure sous toutes ses formes et spécialement cette usure dévorante qui résulte de tous les abus du crédit moderne.
Telles sont les grandes lignes du programme de l'économie sociale chrétienne mise au courant des nécessités contemporaines par l'enquête de Léon XIII.
La lumière se fera. Les hommes de bonne foi, soit dans l'enseignement officiel, soit dans la politique, comprendront, et plusieurs déjà le laissent pressentir, que le Sinaï de Rome a un horizon plus clair et plus vaste, et un enseignement plus autorisé que celui de la colline Sainte-Geneviève, et ils apporteront leur concours à l'action catholique, la seule assez puissante pour réaliser la réforme sociale.
Le XXe siècle, t. VIII, mai 1897, pp. 301-316. Idem dans Le Règne du Cœur de jésus dans les âmes et dans les sociétés, mai 1897, pp. 222-236.
LES DIRECTIONS PONTIFICALES
POLITIQUES ET SOCIALES
Titre de huit articles publiés en livraisons dans Le Règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés: juin 1897, pp. 281-292; juillet 1897, pp. 313-317; septembre 1897, pp. 417-429; octobre 1897, pp. 469-474; novembre 1897, pp. 521-526; décembre 1897, pp. 573-583; janvier 1898, pp. 15-22; février 1898, pp. 53-69.
Ces articles se retrouvent, avec quelques retouches, dans la première partie du volume Les directions Pontificales Politiques et sociales publié en 1897, voir Œuvres sociales, vol. IIe, pp. 379-439.
APRES LE CONGRES
REVERIE PHILOSOPHIQUE
Vers la fin du Congrès, je dus partir, rappelé par le devoir dans la Rome des Gaules, la ville des Arènes et de la Maison Carrée.
Et dans cette longue route, de Perrache à Nîmes, je classais mes souvenirs du Congrès.
Il a été splendide, me disais-je, c'est la victoire définitive du Pape! Il a triomphé à Paris sur le terrain politique, ses adversaires ont à peine osé parler. Il triomphe à Lyon sur le terrain économique et social, l'union est faite désormais entre tous les catholiques complets et agissants: Vive le Pape et vive la France!
Le programme démocratique a été acclamé tout entier. Il repose sur cette base de granit: Religion, famille, patrie; travail et propriété. Il réclame pour l'ouvrier la liberté de son dimanche, la personnalité civile complète des syndicats, la journée de travail réduite à sa juste mesure, le minimum de salaire dans les adjudications publiques, des Chambres de travail et la représentation nationale des intérêts professionnels.
Ce sont là autant de revendications qu'on ne s'étonne plus de voir admises au programme catholique, six ans après l'Encyclique de Léon XIII.
Cependant, dans ce ciel bleu de mes ressouvenir, je vois un léger nuage, que le souffle heureux qui passe sur la France n'a pas encore entièrement dissipé. Il y a cette querelle des syndicats qui fait tache dans l'azur de ce Congrès.
Les avancés dans la démocratie prétendent qu'il y a place dans les syndicats, même agricoles, pour des groupes distincts d'ouvriers, qui étudieront et préciseront leurs justes revendications.
Les autres disent que c'est là une concession aux socialistes.
Puis mon imagination me jeta dans l'histoire et je cherchai des analogies à cette lutte.
Je rencontrai d'abord le Christ et le pharisien: le Christ aimé du peuple, qui se commet avec les pauvres diables; et le pharisien orgueilleux qui se récrie en disant: «Voilà maintenant que tout le peuple court après lui, c'est un révolutionnaire, nous ne le suivrons pas, nous ne sommes pas de la race de ces publicains et de ces misérables».
Mais ma conscience protesta: il n'y avait pas de pharisiens au Congrès de Lyon, il n'y avait que des amis du peuple, divisés momentanément sur une question d'organisation.
Je vis alors se prendre de querelle deux coryphées de la philosophie, Origène au nom du Christ et Celse au nom du paganisme.
«S'il se rencontre, disait Celse, un ignorant ou un rustre, vous en augurez bien; vous lui ouvrez vos portes. En avouant que ce rebut de l'espèce humaine est digne de votre dieu, vous montrez assez que vous ne pouvez persuader que des idiots, des hommes de rien et des esclaves… Vos maisons regorgent de tisserands, de cordonniers, de tailleurs et d'hommes des champs…» (Origène: Contra Celsum).
Origène répliquait: «Tous les hommes sont de même nature, issus du même Créateur et rachetés par le même Sauveur, nous nous faisons gloire de les aimer tous et particulièrement les plus faibles parce qu'ils en ont plus besoin».
Et la querelle resta irréductible.
Mais ma conscience protesta encore et me dit: il n'y avait rien de l'esprit païen au Congrès de Lyon.
Et voilà que Chrysostome et l'aristocratie de Bysance se lèvent devant moi, et Chrysostome s'écriait dans une sainte indignation: «Pourquoi traînez-vous derrière vous ces troupeaux d'esclaves? Vous dites qu'ils sont ignorants et incapables et qu'on ne peut pas leur donner la liberté, eh bien! commencez par les faire instruire et par leur faire apprendre un métier et après cela faites-en des hommes libres» (Chrysostome, Sermons). Et l'aristocratie de Bysance ne se rendait pas.
Mais je repoussai encore cette comparaison blessante, il n'y avait pas de jouisseurs byzantins au Congrès de Lyon.
J'entends alors les barons féodaux de l'Italie qui s'en prenaient à François d'Assise et à ses disciples: «Vous associez, leur disait-il, tous ces paysans sous prétexte de Tiers-Ordre, et voilà qu'ils discutent leurs intérêts et nous opposent toutes sortes de revendications. C'est une révolution: nous en appellerons au Pape». Et le Pape justifiait les modestes fraternités.
Mais ici encore il n'y a pas de prétentions féodales.
Où trouverai-je donc une lutte analogue?
Voilà Voltaire qui se lève en face de Vincent de Paul et de Jean-Baptiste de La Salle. Et l'odieux philosophe grimacier oppose aux amis du peuple ses aphorismes païens: «Le laboureur et le manœuvrier, dit-il, ne méritent pas d'être instruits. C'est assez pour eux de manier le hoyau, le rabot ou la lime. - Il est essentiel qu'il y ait des gueux ignorants. - Ce n'est pas le manœuvre qu'il faut instruire, c'est le bon bourgeois. - Le peuple sera toujours sot et barbare; ce sont des bœufs auxquels il faut un joug, un aiguillon et du foin».
Mais je protestai de plus en plus énergiquement contre mon imagination. Il n'y avait rien de l'esprit de Voltaire au Congrès de Lyon.
Je passe alors en Amérique et j'assiste à la guerre de sécession: Nord contre Sud, libéraux contre esclavagistes. Tiens, me dis-je, voilà des ressemblances singulières. A Lyon, n'était-ce pas une petite guerre de sécession: Nord contre Sud-Est? «Vous autres, démocrates du Nord, disaient les représentants des syndicats du Sud-Est, vous ne voyez que vos usines et vos grandes cultures industrielles, et vous nous proposez un programme qui mettra le trouble dans nos campagnes». Au fond, en Amérique tout le monde voulait la libération des esclaves, mais ceux du Sud prétendaient que les démocrates du Nord allaient trop vite et que les esclaves n'étaient pas mûrs pour la liberté. A Lyon aussi les agriculteurs du Sud-Est étaient bien partisans de l'émancipation démocratique des travailleurs, mais ils disaient: «Le Nord veut aller trop vite. Nos ouvriers agricoles ont, il est vrai, des intérêts distincts de ceux des patrons, mais ils sont incapables de les discuter entre eux. Que sont-ils? des ignorants, des hommes sans instruction, voire même des chemineaux grossiers et à demi barbares».
Et la bataille allait son plein. Ceux du Nord répliquaient: «Vous reconnaissez qu'il y a des intérêts distincts, mais vous refusez aux ouvriers de culture la compétence pour les discuter. Mais l'instruction se développe; mais les socialistes vont de canton en canton faire des conférences sur notre régime agricole et organiser des groupements politiques. Nos ouvriers conçoivent peu à peu une plus haute opinion de leurs droits. Il se forme parmi eux une élite qui étudie et qui raisonne. Il faut que nous donnions un essor dans nos syndicats à ces aspirations qu'on ne peut trouver injustes».
Mais le congrès a été trop court. La guerre de sécession n'a pas pu s'y terminer par un traité d'alliance; il faut que cela se fasse bientôt. Pour ma part, j'apporte des propositions de paix: «Chers agriculteurs du Sud-Est, nous vous admirons et nous vous aimons. Nous ne blâmons rien de ce que vous avez fait. Gardez vos syndicats et faites-en beaucoup d'autres. Nous ne disons pas que votre région soit mûre pour faire de suite autre chose. Mais en démocrates convaincus, nous esquissons un programme d'avenir. Nous voyons les socialistes s'attaquer à la démocratie rurale. Il faudra ou plutôt il faut leur opposer la propagande catholique dans les campagnes, sous forme de conférences, de cercles d'études et même d'enseignement agricole aux enfants.
Et bientôt la démocratie agricole sera plus cultivée qu'elle n'est aujourd'hui et elle réclamera dans les syndicats quelque chose d'analogue à ce que demande la démocratie ouvrière du Nord. Alors vous aviserez».
Dans cette mesure, nous sommes tous d'accord, n'est-ce pas? donc, finissons-en avec la querelle des syndicats. Vous êtes comme nous des démocrates, vous l'avez dit et vous le prouvez par vos œuvres. Faisons la paix après ce splendide congrès et en face des élections qui s'approchent. La démocratie chrétienne, forte des bénédictions du Saint-Père et des encouragements de tant d'évêques, va maintenant se mettre à l'œuvre électorale. Soyons tous unis pour Dieu, pour la France et pour le peuple!
La Chronique du Sud-Est, N. 1, janvier 1898, pp. 8-9.
ROME
La floraison des œuvres sociales et démocratiques en Italie offre tout le charme et toutes les espérances d'un printemps. C'est un mois de mai après un long hiver, un mois de mai avec des fleurs aux jardins et des moissons verdoyantes aux champs.
Léon XIII se délecte à la vue de cette poussée de sève qu'il a préparée par ses semailles.
Il est descendu dans son jardin, comme le grand roi de l'Ecriture Sainte, pour voir où en étaient ses vignes. Son jardin, c'était la basilique de Saint-Pierre, remplie le 13 janvier de 60.000 pèlerins italiens, et il a vu que son peuple revenait à lui avec un enthousiasme délirant.
Tous les journaux ont dit cela, mais ce qu'ils n'ont pas dit assez, et ce que doit dire la Chronique du Sud-Est, c'est que cette foule n'était plus comme jadis un troupeau sans organisation, une masse de bonnes âmes venues chacune pour son compte, non, c'étaient des groupements organisés, des associations sous toutes les formes, le fruit enfin de ce REVEIL SOCIAL CHRETIEN qui agite toute l'Italie.
De Milan à Naples, une infinité de villes et de bourgades avaient envoyé leurs groupes sociaux. Deux cents bannières, toutes brillantes et fièrement portées, mêlaient leurs joyeuses couleurs dans la nef de Saint-Pierre et s'inclinaient en frémissant devant l'hostie et devant le Pape. Tels autrefois les gonfalons des cent villes au serment juré par les cités guelfes pour la défense de l'Italie contre le césarisme germain.
Il y a quelques années, c'était l'atonie complète dans cette belle Italie si croyante. La parole de Léon XIII a saisi les intelligences d'élite. L'Encyclique Rerum novarum commence à donner ses fruits.
Les revues sociales, les journaux populaires se lèvent. Les associations surgissent. Dans le Nord, à Milan, à Bergame, l'activité française est dépassée. Tout est fait, journaux, banques catholiques, cercles ouvriers et cercles de jeunes gens, coopératives et syndicats agricoles. Le fruit est mûr, les catholiques sont déjà maîtres des élections communales et provinciales. Ils s'abstiennent, on le sait, aux élections politiques, pour ne pas affermir le gouvernement usurpateur.
Rappelez vos souvenirs classiques. Vous souvient-il d'Albela-Longue et de ses Curiaces, de Tusculum cher à Cicéron, de Veletra qui a tenu tête à Rome, d'Aricia chantée par Horace? Eh bien! toutes ces bourgades du Latium revivent sous le souffle catholique. Elles ont leurs associations, leur fédération, voir même un organe très suggestif, une petite «Chronique du Sud-Est», Il Lazio cattolico.
Le Latium avait ses vingt-cinq associations, sociétés ouvrières, cercles de jeunes gens, caisses rurales, représentées au pèlerinage national du 13 février.
De Rocca di Papa, là-haut près du sommet des Monts albains, où trônait dans le vieux temps le Jupiter latial, deux cents ouvriers étaient venus, la plupart à pied, en bons montagnards, faisant leurs trente kilomètres de 2 heures du matin à 8 heures.
Et les JEUNES, me direz-vous.
Ils vont bien. L'Université de l'Etat est mauvaise à Rome. Elle est aux mains des juifs et des francs-maçons. Elle acclame Zola et tous les apostats qui ont combattu l'Eglise. Cependant cette jeunesse aussi se réveille.
Cent-vingt étudiants sont inscrits au Cercle catholique et ils osent s'affirmer. Ils étaient à la fête de Saint-Pierre et ils ont levé leurs bérets classiques en l'honneur du Pape, cela faillit causer une révolution à Rome. Songez! les bérets sacrés de l'Université de l'Etat s'étaient prostitués en saluant le Pape! La gent universitaire ne pouvait laisser passer un fait aussi anormal.
Le lendemain, cinq cents étudiants, prétendus libres-penseurs, conduits ou encouragés par leurs professeurs hébraïsants, crurent devoir faire une démonstration antipapale en ville et porter une couronne à la statue de l'apostat Giordano Bruno. Il fallut un grand déploiement de troupe et de police pour les calmer.
Mais l'acte de courage des jeunes étudiants catholiques reste et il se renouvellera. Déjà il leur a valu de nouvelles adhésions pour leur Cercle.
En somme, il se forme chez les catholiques d'Italie, comme chez ceux de France, un nouvel état mental, inspiré par Léon XIII.
On se groupe, on se compte et on agit.
Allons, TOUS NOS CHERS COMITES DU SUD-EST, courage et toujours en avant!
Les élections vont se faire en mai, c'est le mois de Jeanne d'Arc!
Pour refaire la France catholique, il faut que l'esprit de Jeanne d'Arc saisisse notre jeunesse. L'esprit de Jeanne d'Arc, c'est l'amour du Christ et de la Vierge et c'est l'amour de la patrie française!
La Chronique du Sud-Est, N. 2, février 1898, pp. 55-56.