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LES LIBERTES NECESSAIRES

Toutes nos libertés s'en vont, malgré la devise républicaine «Liberté, Egalité, Fraternité», qui devient aussi menteuse qu'une étiquette de liqueur frelatée. La liberté de conscience, la liberté d'enseignement et la liberté de la famille sont piétinées. Le droit de propriété privée et collective, qui est aussi une liberté, est violé sans vergogne. Les libertés communales elles-mêmes sont méconnues, les maires élus par les assemblées communales sont destitués par séries.

L'Etat est sorti de son rôle. Il a pour mission de protéger le libre développement de la vie privée et de la vie familiale. La vie sociale est un secours que Dieu nous a préparé en nous en donnant l'instinct, pour aider les personnes isolées et les familles à obtenir leur plein développement pour leur procurer la paix à l'intérieur et à l'extérieur.

Quand l'Etat sort de sa mission, il devient tyrannique. Ouvrez un lexique ou un traité quelconque de politique. Un tyran est un chef d'Etat qui gouverne avec injustice et cruauté, qui foule aux pieds les lois divines et les libertés humaines. Nous en sommes là. Sans doute, les brutalités ministérielles n'ont laissé en Bretagne que quelques blessures de femmes et d'enfants, grâce à l'infinie patience des paysans; mais si nos catholiques avaient résisté jusqu'au bout, comme jadis les huguenots, nos pauvres soldats, conduits par les sous-préfets, auraient renouvelé les dragonnades des Cévennes.

Ne nous décourageons pas, la, violence n'a qu'un temps. M. Combes retarde de trois siècles, il se croit un Louis XIV ou un Philippe II. Ces procédés tyranniques heurtent le sens commun. Toute la presse étrangère les blâme, même chez les nations protestan­tes, en Angleterre, en Amérique, en Hollande et en Suisse. La France oublie les principes de liberté qu'elle a tant proclamés, il faudra qu'elle y revienne.

La vérité peut subir une éclipse, mais elle ne meurt pas.

Si notre démocratie n'a pas des notions bien claires de la liberté, n'est-ce pas de notre faute? Lui donnons-nous un enseignement solide sur les grands principes sociaux, dans la presse catholique, dans les cercles d'études et les conférences, voire même dans le catéchisme et dans la chaire?

Une liberté primordiale est celle de la famille et, par suite, celle de l'enseignement.

L'enfant appartient à la famille. La nature le proclame. L'enfant a besoin de son père et de sa mère jusqu'à l'âge de sa complète formation. Toute notre législation civile le reconnaît. Elle a fixé l'âge de 21 ans, auquel l'enfant devenu majeur, peut user et jouir de ses droits et contracter valablement. Jusque-là, il n'a qu'une personnalité civile restreinte. Son père en a la responsabilité. Le tort fait au prochain par un mineur est mis à la charge de son père.

L'esprit de la loi et la nature sont d'accord pour laisser à la famille l'éducation de l'enfant. Puisque le père est responsable de l'enfant et de ses actes, puisqu'il absorbe en lui cette jeune personnalité encore incomplète et irresponsable, il doit être libre de diriger l'éducation de cet enfant et d'en choisir les maîtres.

Devant l'Etat lui-même et d'après la loi, le père est responsable de la moralité de son enfant; devant Dieu, il est responsable de son âme et de son salut. Le père a donc le devoir sacré et le droit de choisir suivant sa conscience les éducateurs de ses enfants. Si un tyran, roi ou ministre, lui en ôte la faculté, le père est opprimé dans son droit le plus sacré.

Voilà ce qu'il faut redire journellement. Cette liberté sacrée est acquise définitivement en plusieurs pays. En Allemagne, l'enseigne­ment est confessionnel. En Belgique, en Angleterre, l'enseignement est absolument libre et les écoles sont subsidiées en proportion du nombre de leurs élèves. Voilà où il faut arriver. Tout le reste est de la tyrannie spartiate. Le monopole de l'Etat a été imaginé par les rêveurs de 1792 et organisé par le césarisme de Napoléon.

Nous voulons la liberté de la famille et de l'enseignement, la liberté complète, comme en Belgique et en Angleterre. Réclamons cela sans trêve et par toutes les voix de la publicité, par les affiches, les tracts, la presse et les conférences.

Les familles comprendront cela, et sur ce terrain nous aurons avec nous tous les esprits libéraux. En voici un témoignage sur cent.

Le Journal de Genève, organe protestant, fait la leçon sur ce point aux journaux ministériels français.

«Notre liberté et la vôtre, dit-il, ne sont pas de la même famille… Nous avons trouvé la liberté dans notre berceau, la liberté douce, apaisée et fidèle à elle-même que nous ont faite nos pères… Nous tenons le droit de s'associer comme devant rester absolument libre de toute contrainte et de toute intervention de l'Etat, aussi longtemps qu'il s'agit de questions purement spéculatives. Quand l'association s'applique à un but pratique, se traduisant par des fondations, nous admettons que l'Etat a le droit d'intervenir, non pour confisquer, mais pour exercer une surveillance au point de vue de l'ordre public et des bonnes mœurs: s'il s'agit d'enseignement, il a le droit de savoir en quoi il consiste et s'il n'offense ni la morale publique ou privée, ni les lois de l'Etat. Hors de ces points où sa responsabilité est engagée et qui font partie de ses droits réguliers, il n'a pas à intervenir» (6 août).

Notre organisation universitaire est un fruit du césarisme napoléo­nien. Nos jacobins actuels s'en prévalent. Les vrais libéraux sont les catholiques. Renouvelons la campagne des Lacordaire, des Ozanam et des Montalembert. Luttons par tous les moyens légaux pour la liberté complète de la famille. Allons en prison, s'il le faut. N'aban­donnons jamais aux sectaires l'âme de nos enfants.



La Chronique du Sud-Est, N. 10, octobre 1902, pp. 309-310.

VRAIE DEMOCRATIE CHRETIENNE

UN ARBITRAGE INTERESSANT AU CANADA

A diverses époques depuis une année, et de divers côtés nous avions vu signaler le fait que l'archevêque de Québec, Sa Grandeur Mgr Bégin, avait heureusement réglé des difficultés ouvrières qui trou­blaient sa ville archiépiscopale. En ces derniers temps, il nous a été donné, à notre grande satisfaction, de pouvoir nous renseigner complètement, et aux sources les plus authentiques, sur ces difficultés ouvrières de Québec et sur la manière dont elles ont été aplanies, grâce aux lumineuses directions du Vicaire de Jésus-Christ, l'auguste Pontife Léon XIII. Nous allons donc, en ces quelques pages, raconter à nos lecteurs l'histoire de cette intervention épiscopale.

La ville de Québec est la capitale de la seule province exclusive­ment française et catholique du Canada. Les classes ouvrières de cette cité sont entièrement composées de gens de race française et de religion catholique. Jusqu'au dernier tiers du XIXe siècle, cette ville, qui commande l'un des plus beaux ports de mer du monde entier, devait sa prospérité à ses chantiers de construction navale. Mais il advint que l'on cessa de construire les navires en bois pour les construire en fer, et les chantiers de Québec se fermèrent, au grand dommage de la population ouvrière. Heureusement, des citoyens entreprenants, encouragés par le bas prix de la main-d'œuvre en cette localité, fondèrent une vingtaine de grandes manufactures de chaus­sures, qui donnent de l'emploi à des milliers de personnes des deux sexes. Et telle est à présent la principale industrie de Québec, qui a pu retrouver grâce à elle son ancienne prospérité. Cette industrie alimente non seulement le commerce local, mais surtout un impor­tant commerce d'exportation, qui se fait principalement dans les provinces anglaises de l'immense Canada et dans quelques pays étrangers. Il faut remarquer ici que l'éloignement où se trouve Québec des marchés où se vendent les produits de son industrie serait, pour le succès de son commerce, un obstacle insurmontable, si la modicité relative du prix de revient de ces articles de commerce ne lui permettait de soutenir avantageusement toutes les concurrences, malgré l'augmentation des frais de transport qui résulte d'une distance plus considérable.

Cependant, il advenait parfois, comme il arrive partout, que des ouvriers croyaient avoir à se plaindre des patrons qui les employaient. Et, n'ignorant pas ce qui se passait en d'autres pays, notamment dans la république voisine des Etats-Unis, la population ouvrière pensa que, dans son pays comme ailleurs, l'association était le seul moyen de sauvegarder ses intérêts contre les abus possibles du capital. C'est ainsi que se formèrent, parmi les ouvriers des fabriques de chaussures, trois sociétés: la Fraternité des Tailleurs de Cuir, l'Union protectrice des Cordonniers-Monteurs et la Fraternité des Cordonniers-Unis (Machinistes), ces deux dernières n'étant que des succursales d'asso­ciations répandues par tout le Canada. A son tour, le capital jugea que l'association lui était nécessaire pour le maintien de ses droits, et les propriétaires des vingt et une manufactures formèrent l'Associa­tion des Manufacturiers de chaussures de Québec. Et la lutte se poursuivit, de façon plus ou moins aiguë, entre le travail organisé et les patrons, ceux-ci se plaignant des exigences des ouvriers, qui les forçaient de temps à autre à élever les salaires; quant aux travailleurs, ils prétendaient être exploités par les manufacturiers, qu'ils accusaient de se faire des bénéfices excessifs, tandis qu'eux-mêmes ne pouvaient obtenir le juste salaire qui leur permit de subvenir à la subsistance de leur famille et à l'éducation de leurs enfants.

Un pareil état de choses plaçait le commerce dans une situation d'insécurité fort périlleuse, et faisait craindre aux manufacturiers de ne pouvoir plus soutenir avantageusement la concurrence sur les marchés de vente. Car, dans quelques cas, les ouvriers allaient jusqu'à s'opposer à l'emploi de certaines machines nouvelles, sur lesquelles les patrons pouvaient compter pour l'augmentation du travail productif et par suite pour l'abaissement des prix de revient.

La situation arriva à l'état aigu durant l'année 1900. Se voyant, «gênés de toutes manières dans leurs rapports avec leurs employés, dans l'exercice de leur autorité, dans le choix de leurs ouvriers, dans les heures du travail et enfin dans la fixation d'une échelle de prix», les fabricants résolurent de frapper un coup décisif. Le 27 octobre, les vingt et une manufactures de chaussures fermèrent leurs portes, réduisant au chômage près de quatre mille ouvriers et ouvrières. Les patrons étaient bien décidés à ne rouvrir les fabriques que le jour où les ouvriers s'engageraient formellement à ne plus appartenir à aucune association ouvrière. Ces patrons admettaient bien le droit théorique qu'ont les travailleurs de se constituer en sociétés; mais ils prétendaient que les règlements des associations formées par leurs ouvriers contenaient des clauses injustes et de nature à empêcher les propriétaires des fabriques d'être maîtres chez eux et de conduire leur industrie de façon avantageuse.

Les ouvriers, réduits au chômage durant des semaines, restèrent paisibles, mais les familles souffrirent sérieusement du manque de ressources causé par la cessation du travail.

Finalement, au bout d'un mois du maintien d'une situation à laquelle on ne voyait aucune issue, un journal de la ville exprima l'opinion que les intéressés devraient soumettre leur différend à l'archevêque, dont la sagesse bien connue ne manquerait pas de trouver le moyen de remédier à un état de choses aussi préjudiciable aux intérêts les plus chers de la population. Aussitôt émise, cette proposition sembla rencontrer l'approbation générale. Dès le 27 novembre, l'Association des fabricants de chaussures demanda à Mgr Bégin de vouloir bien remplir les fonctions d'arbitre entre eux-mêmes et leurs ouvriers, prenant en même temps l'engagement d'accepter sa décision. De leur côté, les trois associations ouvrières, par leur comité conjoint, écrivirent au prélat, le 28 novembre, qu'elles avaient appris avec bonheur la démarche faite par les patrons, et s'engageaient aussi à se soumettre au jugement qu'il porterait sur leurs difficultés.

Mgr l'archevêque de Québec, heureux de voir les bonnes disposi­tions manifestées par les patrons et par les ouvriers, accepta avec empressement leur proposition d'agir entre eux comme arbitre. Mais il eut soin d'exiger des deux parties la réouverture des fabriques et la reprise immédiate du travail. On agréa de part et d'autre cette demande d'une sorte d'armistice; et, quelques jours après, les longues cheminées se couronnèrent de nouveau des tourbillons de fumée, les mécanismes divers firent entendre le ronronnement accoutumé, la joie rentra dans les foyers. Cette religieuse population goûtait déjà les premiers fruits de la confiance qu'elle avait manifestée envers son pasteur spirituel.

Cependant, désireux de se mettre à l'œuvre sans aucun retard, l'archevêque demanda aux patrons, d'une part, et aux travailleurs, de l'autre, de lui remettre aussitôt que possible, sous forme de factums distincts, l'exposé complet de leurs idées sur les questions en litige et des griefs qu'ils pensaient avoir les uns contre les autres; puis, ayant reçu ces documents, il en fit remettre des copies aux parties adverses, afin de les mettre en mesure de fournir des explications de part et d'autre. Ensuite, il communiqua toutes ces pièces à une commission composée des curés des trois paroisses ouvrières de la ville et de quelques autres ecclésiastiques prudents et instruits, avec charge d'étudier ces écrits et les divers points de justice et d'économie sociale qui y étaient soulevés.

C'est après avoir pris de telles précautions, après avoir entendu les avis des membres de la commission qu'il avait nommée, et après avoir mûrement considéré la question sous ses aspects divers, que l'arche­vêque rendit, le 10 janvier 1901, la célèbre «Sentence arbitrale», qui a justement attiré l'attention, de l'un et de l'autre côté de l'Atlantique, que l'on a regardée partout comme un monument de sagesse et de prudence, et dont la mise en pratique sincère assurerait en tout lieu la paisible tranquillité des relations entre le capital et le travail. Ces directions de si haute sagesse sont le reflet exact des enseignements de l'Encyclique à jamais mémorable, Rerum novarum, de N. S. P. le Pape Léon XIII.

Voici la reproduction textuelle de la Sentence de Mgr Bégin:

SENTENCE ARBITRALE

DANS LA CAUSE DES FABRICANTS DE CHAUSSURES DE QUEBEC ET DE LEURS OUVRIERS

A. - Avant de donner une solution pratique à la question qui a été soumise à mon arbitrage par les patrons et les ouvriers des fabriques de chaussures de Qébec - question qui intéresse des milliers de personnes - je crois devoir rappeler brièvement des principes qu'il ne faut pas perdre de vue si l'on veut que les droits des uns et des autres soient protégés.

1° Le droit de se constituer en associations de métiers, de profes­sions, d'emplois quelconques, est un droit naturel; il a toujours existé et il existera toujours. Mais:

2° De ce que ce droit ne peut être méconnu, il ne s'en suit pas que toutes les associations soient légitimes. Pour qu'elles aient droit à l'existence et puissent faire du bien, il faut qu'elles se proposent d'atteindre une fin honnête et juste et qu'elles n'emploient, pour y arriver, que des moyens conformes à la morale, à l'honnêteté et à la justice.

«Jamais assurément, dit Léon XIII dans son Encyclique sur la condition des ouvriers, à aucune époque, on ne vit une si grande multiplicité d'associations de tout genre, surtout d'associations ou­vrières. Ce n'est pas le lieu de rechercher d'où viennent beaucoup d'entre elles, où elles tendent et par quelle voie. Mais c'est une opinion confirmée par de nombreux indices qu'elles sont ordinaire­ment gouvernées par des chefs occultes, et qu'elles obéissent à un mot d'ordre également hostile au nom chrétien et à la sécurité des nations; qu'après avoir accaparé toutes les entreprises, s'il se trouve des ouvriers qui se refusent à entrer dans leur sein, elles leur font expier ce refus par la misère».

Sa Sainteté avait précédemment rappelé à l'ouvrier les devoirs qui lui incombent: «Il doit fournir intégralement et fidèlement tout le travail auquel il s'est engagé par contrat libre et conforme à l'équité; il ne doit pas léser son patron, ni dans ses biens, ni dans sa personne; ses revendications mêmes doivent être exemptes de violence et ne jamais revêtir la forme de sédition; il doit fuir les hommes pervers qui, dans des discours artificieux, lui suggèrent des espérances exagérées et lui font de grandes promesses qui n'aboutissent qu'à de stériles regrets et à la ruine des fortunes.

Quant aux riches et aux patrons, ils ne doivent pas traiter l'ouvrier en esclave; il est juste qu'ils respectent en lui la dignité de l'homme relevée encore par celle du chrétien.

Le christianisme, en outre, prescrit qu'il soit tenu compte des intérêts spirituels de l'ouvrier et du bien de son âme. Aux maîtres il appartient de veiller à ce qu'il y soit donné pleine satisfaction; que l'ouvrier ne soit point livré à la séduction et aux sollicitations corruptrices; que rien ne vienne affaiblir en lui l'esprit de famille ni les habitudes d'économie. Défense encore d'imposer un travail au-dessus de leurs forces ou en désaccord avec leur âge et leur sexe… Devoir de donner à chacun le salaire qui est juste…».

B. - A la lumière des enseignements de l'Encyclique Rerum novarum de Léon XIII, j'ai examiné soigneusement les constitutions et règlements de la Fraternité des Cordonniers-Unis, de l'Union protec­trice des Cordonniers-Monteurs, et de la Fraternité des Travailleurs de cuir: je ne saurais les approuver sans qu'ils aient subi un certain nombre de modifications. Si les articles et clauses que je trouve répréhensibles étaient mis à exécution à la lettre, tels qu'ils sont rédigés, il est certain qu'ils porteraient, en bien des cas, de fortes atteintes à la liberté personnelle, à la liberté de conscience et à la justice. Je n'accuse ici les intentions de personne, ni ne m'occupe non plus de l'application qu'on a pu en faire jusqu'à présent dans la pratique; mon appréciation ne repose donc que sur le texte même des règlements et constitutions.

La conclusion qui s'impose, c'est que ces Fraternités ont besoin de reviser leurs règlements et constitutions, sans quoi elles feront fausse route. On allègue le fait que plusieurs autres sociétés ouvrières ont des règlements semblables à ceux des fraternités dont je viens de parler; la chose est possible, mais elle ne rend pas cet argument plus acceptable, car il peut se produire dans ces sociétés, à un moment donné, des écarts très regrettables et d'une sérieuse gravité qui auraient leur origine, leur cause première, dans l'application littérale de ces règlements.

C. - Pour parer aux difficultés et aux inconvénients signalés dans les factums et autres documents qui m'ont été présentés par les patrons et par les ouvriers, en ma qualité d'arbitre choisi par les deux parties intéressées, je règle ce qui suit pour tout litige qui pourrait se présenter à l'avenir à propos d'augmentation ou de diminution de salaires, des engagements ou des renvois des ouvriers, de la durée du travail journalier, des apprentis, de l'introduction de nouvelles machines, et de toute autre cause de conflit.

COMITES DE RECLAMATION ET DE CONCILIATION

1° Afin de régler les difficultés autant que possible à l'amiable et promptement, les ouvriers constitueront un Comité de réclamation composé de trois membres choisis par eux. Les patrons, de leur côté, constitueront un Comité de conciliation composé de trois manufactu­riers nommés par ceux-ci. Les membres de ces deux comités seront élus tous les ans, et les mêmes seront rééligibles. Dans le cas où l'un des membres des dits Comités serait empêché pour de graves raisons de remplir sa charge, le Comité auquel il appartient lui donnera un remplaçant temporaire. Si l'un desdits membres vient à mourir, le même Comité lui donnera un remplaçant pour le reste de l'année d'office.

Ces deux Comités pourront être formés dans des assemblées distinctes des patrons et des ouvriers, sur convocation de leurs secrétaires respectifs. Dans chacune de ces assemblées, on procédera, à la pluralité des voix, à l'élection d'un président et d'un secrétaire, puis à la formation du Comité de réclamation chez les ouvriers, et du Comité de conciliation chez les patrons. Les procès-verbaux de ces assemblées seront rédigés, séance tenante, et signés respectivement par les présidents desdites assemblées, les élus (au comité) et les secrétaires des mêmes assemblées. Chacun des deux comités nommera ensuite son président et son secrétaire.

Quand un ouvrier aura quelque plainte à faire contre son patron, il la formulera par écrit, la fera signer par deux de ses compagnons de travail et la communiquera au Comité de réclamation, avec prière de la transmettre au Comité de conciliation. Les membres de ces deux comités examineront conjointement le cas à résoudre, chercheront à amener une entente et, dans le cas où l'entente serait impossible, le Comité de Réclamation portera la plainte immédiatement devant le Tribunal d'arbitrage.

Quand la plainte viendra directement de la part d'un manufactu­rier, celui-ci s'adressera directement au Comité de conciliation, qui informera directement au Comité de réclamation du grief du patron, afin de venir à une entente puis, si elle n'a pas lieu, le Comité de conciliation aura recours au Tribunal d'arbitrage.

TRIBUNAL D'ARBITRAGE

2° Ce Tribunal d'arbitrage sera permanent et composé de trois membres, dont l'un - représentant des patrons - sera choisi par le susdit Comité de Conciliation, le second - représentant des ouvriers - par le susdit Comité de Réclamation, et le troisième, par ces deux premiers arbitres. Si, par hasard, les deux arbitres nommés par les comités ne s'entendaient pas sur le choix du troisième, ils demande­ront à un juge de la Cour supérieure ou à l'archevêque de Québec de le désigner.

L'élection de ces arbitres se fera tous les ans, et les mêmes seront rééligibles. Dans le cas où l'un de ces arbitres serait empêché par maladie ou autres raisons graves, ou encore par le fait qu'il serait impliqué dans la cause en litige, le comité qui l'aurait choisi lui donnera un remplaçant temporaire. Si l'un des arbitres vient à mourir, le même comité lui donnera un remplaçant pour le reste de l'année d'office.

Les arbitres entendront, s'il y a lieu, les parties ou leurs procureurs; ils auront le droit de se faire remettre toutes les pièces se rapportant au litige, de citer les témoins, d'appeler des experts et hommes du métier à comparaître devant eux, de faire donner leurs dépositions attestées devant un juge de paix, de visiter les ateliers, en un mot, de se procurer toutes les preuves verbales et écrites qu'ils jugeront nécessaires pour l'instruction de la cause.

Ils devront rendre leur sentence arbitrale sous le plus court délai possible, et cette sentence sera finale.

Tant que dureront les débats, le patron ne pourra fermer ses ateliers et les ouvriers ne pourront cesser le travail.

Les arbitres auront droit de se nommer un secrétaire à leur choix. Les frais du litige seront à la charge de la partie ou des parties à la discrétion des arbitres.

Les comités de réclamation et de conciliation, ainsi que le tribunal d'arbitrage, seront constitués le premier jour juridique du mois de février prochain, et les élections annuelles des membres desdits comités et tribunal d'arbitrage se feront à la même date chaque année.

L'établissement d'un pareil tribunal d'arbitrage est conforme aux directions du Souverain Pontife dans l'Encyclique déjà citée.

Léon XIII veut «que les droits et les devoirs des patrons soient parfaitement conciliés avec les droits et les devoirs des ouvriers», et si, chez les uns ou les autres, il arrive que des réclamations soient faites au sujet des droits lésés, il exprime le désir qu'on choisisse des hommes prudents et intègres qui soient chargés <de régler le litige en qualité d'arbitres».

Avec cette manière de procéder, les droits de chacun seront respectés et les relations entre patrons et ouvriers ne cesseront jamais d'être amicales. C'est, en effet, de l'esprit de justice et de charité chrétienne qu'il faut principalement attendre la paix et la prospérité de la société.

Archevêché de Québec, le 10 janvier 1901.

+ LOUIS-NAZAIRE, Arch. de Québec


A la lecture du document que nous venons de reproduire, on a dû remarquer les points que voici:

1 ° L'archevêque ne s'est pas occupé spécialement du différend particulier qui, l'automne précédent, avait déterminé la cessation du travail et causé un état d'intense malaise entre les ouvriers et leurs patrons. Il a pensé très justement qu'il valait mieux donner une direction générale à suivre pour éviter les conflits ou pour les éteindre, laissant à l'organisation d'arbitrage, dont il recommandait l'établisse­ment, de connaître des cas particuliers passés ou futurs.

2° Quels que soient les différends qui pourraient surgir, les fabriques devront rester en opération et les ouvriers devront continuer le travail, durant tout le temps que dureront les débats devant les comités ou le tribunal d'arbitrage. Ce point est de grande importance, et de nature à éviter des dommages considérables soit aux patrons, soit aux travailleurs.

3° Si, d'une part, la sentence arbitrale reconnaît aux ouvriers le droit naturel de se former en associations, de l'autre elle prononce que les constitutions et règlements des trois sociétés qui se partagent les employés des fabriques de chaussures contiennent des articles répréhensibles et doivent être amendés.

Il convient, à présent, d'examiner quelles ont été les conséquences de cette intervention de Mgr l'archevêque de Québec dans les difficultés ouvrières dont il vient d'être question.

D'abord, les propriétaires des fabriques s'empressèrent d'accepter la sentence arbitrale et d'exprimer à l'archevêque leur reconnaissance pour le service qu'il venait de rendre à la principale industrie de Québec. Quelques jours après, les trois associations ouvrières expri­mèrent les mêmes sentiments de gratitude et de contentement. Puis, de part et d'autre, on constitua les comités de réclamation et de conciliation, et le tribunal d'arbitrage, suivant le mode recommandé dans la sentence arbitrale. Cette organisation se mit tout de suite à fonctionner, et le 13 avril suivant le tribunal d'arbitrage rendit son premier jugement.

Entre temps, la presse reproduisait le texte de cette sentence arbitrale, et partout l'on faisait éloge de la sagesse de l'archevêque. La Gazette du Travail, publiée par le gouvernement fédéral du Canada, publiait également le document, et le sous-ministre du Travail du Dominion écrivait à l'archevêque pour le féliciter de l'action bienfai­sante qu'il avait exercée et exprimer l'avis que ce mode d'aplanir les difficultés ouvrières pourrait aussi avoir les meilleurs effets pour les intérêts de l'industrie par toute la confédération; il lui proposait enfin d'affilier les divers comités ou conseils, constitués par la sentence arbitrale, au département officiel du travail, établi à Ottawa, la capitale fédérale.

Faisons ici la remarque, en passant, que les fonctionnaires de ce ministère du travail sont protestants pour la plupart, et que, de même, plusieurs des propriétaires des manufactures appartiennent aussi à la religion protestante. L'appréciation que tous ces gens ont faite de la sentence arbitrale n'en acquiert que plus de valeur.

Cependant, au bout de quelques mois, en juin 1901, il survint une grave difficulté. L'une des trois sociétés ouvrières, la Fraternité des Cordonniers-Unis (ou Machinistes) refusa de se soumettre à une décision rendue contre elle par les conseils de conciliation et de réclamation; et ces derniers s'adressèrent à l'archevêque, pour lui demander son avis sur la ligne de conduite à suivre en l'occurrence.

En cette occasion, voyant que tout allait être remis en cause, au risque de voir s'écrouler l'édifice de pacification si laborieusement construit, Mgr Bégin résolut de s'attaquer sans hésitation à la racine du mal, c'est-à-dire aux constitutions mêmes des sociétés ouvrières en question, et d'obtenir qu'elles fussent amendées en ce qu'elles avaient de contraire à la justice et à la charité chrétienne.

A cet effet, il fit convoquer une assemblée générale des membres des trois sociétés ouvrières, sous la présidence des curés des trois paroisses manufacturières de la ville. Cette réunion eut lieu le 28 juin, et une foule immense y vint assister. On y donna lecture d'une lettre de Mgr Bégin adressée aux membres des trois associations des ouvriers employés dans les fabriques de chaussures. Sa Grandeur, après avoir exprimé la satisfaction que lui avait fait éprouver la façon toute filiale avec laquelle les ouvriers avaient accepté la sentence arbitrale du mois de janvier précédent et s'étaient engagés à suivre les directions qui y étaient données, regrettait de voir que l'on avait omis de faire réviser et amender les constitutions de leurs sociétés, ainsi que cela était implicitement recommandé dans la sentence, et attribuait à cette omission les divers conflits qui s'étaient encore élevés dans les derniers temps. L'archevêque, en conséquence, exhortait les ouvriers à exiger immédiatement des officiers de leurs associations la révision et la correction de ces règlements, et leur conseillait instamment, si les dits officiers ne se rendaient par à cette prière, de cesser de faire partie des associations existantes, pour en former d'autres dont les règle­ments seraient irréprochables et sauvegarderaient également les meilleurs intérêts des travailleurs.

Cette assemblée extraordinaire et le grave document adressé aux ouvriers par l'archevêque créèrent une profonde impression dans la ville et dans le pays. Partout l'on approuvait et l'on admirait cette nouvelle intervention de l'archevêque de Québec, et l'on sentait bien que de l'heureuse issue de cette importante démarche dépendaient, non seulement la tranquillité et le bonheur de la classe ouvrière, mais aussi la prospérité et le succès industriel de la capitale provinciale de Québec.

Des trois associations, deux, la Fraternité des Tailleurs de cuir et l'Union protectrice des Cordonniers-Monteurs, s'empressèrent d'envo­yer à l'archevêque des exemplaires de leurs règlements; une commis­sion d'ecclésiastiques prudents et instruits les examina et les discuta, en présence de l'archevêque, conjointement avec les délégués des deux associations. Et au bout d'une couple de mois, ces deux sociétés recevaient de l'archevêque leurs constitutions corrigées et mises d'accord avec les principes de la justice et de la charité chrétienne, et adressaient à l'illustre médiateur des lettres de remerciements pour la bonté et le dévouement qu'il avait mis au service de leurs plus chers intérêts. Quelques semaines plus tard, une délégation des Cordonniers-Monteurs de Montréal et de Saint-Hyacinthe venait conférer avec leurs confrères de Québec dans le but de prendre connaissance de ces nouveaux règlements et s'en montrait hautement satisfaite.

Cependant, on a dû remarquer que l'une des trois sociétés ouvrières, celle des Cordonniers-Unis (ou Machinistes) s'était abste­nue de soumettre ses constitutions à la révision recommandée par Mgr l'archevêque de Québec. En face de cette abstention, l'Associa­tion des Manufacturiers de chaussures demanda à l'archevêque, au commencement du mois d'octobre 1901, d'être déliée, vis-à-vis de cette société, de toute obligation créée et acceptée en vertu de la sentence arbitrale. Ensuite les patrons firent afficher, dans les fabriques, un avertissement à ces ouvriers, les informant qu'à partir de telle date prochaine ils n'auraient plus d'emploi dans les manufa­ctures à moins de s'être préalablement engagés, par acte notarié, à cesser de faire partie de la Fraternité dont ils étaient membres.

En présence de cette énergique mise en demeure, la plupart de ces ouvriers signèrent l'engagement que l'on exigeait, et soumirent enfin à Mgr l'archevêque les constitutions de leur Fraternité. La commission ecclésiastique, qui avait amendé les règlements des deux autres associations, s'occupa aussi de l'étude et de la correction des règlements de cette troisième société. La procédure en question s'exécuta en quelques semaines à peine; et, dès la fin du même mois d'octobre, la Fraternité des Cordonniers-Unis acceptait ses règlements amendés, et l'Association des patrons exprimait à l'archevêque son contentement de ces nouvelles constitutions données à leurs ouvriers.

Et les trois associations ouvrières, dirigées chacune - au point de vue des principes sociaux et religieux - par un prêtre dévoué et éclairé que l'archevêque a délégué pour remplir l'office de chapelain, ont continué leur existence dans de meilleures conditions que jamais.

C'est ainsi que, après une année entière de dévouement et de paternelle bienveillance, l'archevêque de Québec, Mgr Bégin, avait trouvé le secret de rendre cordiales les relations du capital et du travail; avait écarté, du troupeau qui lui est confié, tous les périls de la discorde et des ruines matérielles qui en résultent; avait montré au monde entier, quelles sont la valeur et l'efficacité des directions contenues dans l'admirable Encyclique de l'auguste Pontife Léon XIII sur la condition des ouvriers, et, au monde hérétique ou incrédule, combien la vraie Eglise de Jésus-Christ possède à un degré éminent le pouvoir de remédier très heureusement aux maux dont à notre époque souffre la société humaine.



Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, novembre 1902, pp. 544-558.

L'ÉCOLE DU GHETTO

Vous êtes allés tous à Rome avec les beaux pèlerinages populaires. Vous avez voulu voir le Ghetto, ce quartier de l'ancien Champ de Mars, où les Papes du Moyen-Age avaient accueilli toute une population de juifs chassés d'Espagne, de Sicile et de Naples.

Les juifs ont profité de la fièvre édilitaire qui régnait dans la nouvelle Rome pour faire éventrer le Ghetto et se faire donner de belles indemnités d'expropriation. Soit, le quartier était entassé, les rues étroites, on pouvait désirer d'y voir de belles places et des boulevards.

L'œuvre est restée inachevée. Le Ghetto a été rasé et n'a pas été reconstruit. Il y a là, maintenant, un terrain vague, informe et sale au milieu de Rome.

A l'angle de ce terrain, qui a un aspect tout symbolique et qui rappelle les transformations incessantes et les déplacements perpétuels de ce peuple, vous avez remarqué un grand édifice, vieilli, inégal, avec une aile en retour, le tout d'un aspect maussade vers le Tibre, mais d'une certaine grandeur par derrière. C'est la vieille synagogue et l'école du Ghetto.

Approchez de plus près, vous verrez au-dessus des portes des inscriptions hébraïques. L'entrée de l'école a une petite véranda à colonnettes de la renaissance, qui ne manque pas de grâce.

Tout cela disparaîtra bientôt. Ce n'était plus digne de la popula­tion israélite de Rome, enrichie par les expropriations, par les grands magasins et par les banques hypothécaires qui possèdent maintenant la moitié des immeubles de Rome. On construit au bord du Tibre une grande synagogue qui pourra rivaliser avec les basiliques chrétiennes.

Nous devrions garder précieusement la photographie de la vieille synagogue et de la vieille école, afin de pouvoir toujours rappeler aux juifs combien les Papes ont été libéraux envers eux.

Ils ont toujours eu à Rome la liberté du culte et la liberté de l'enseignement.

Ils sont nos maîtres en France actuellement. Ils ont sous la main les trois quarts de la presse, ils dominent le gouvernement par les loges et par la haute banque qui fait les cours de la bourse. Comment usent-ils de leur pouvoir? Ils veulent restreindre chez nous presque jusqu'au néant la liberté du culte et de l'enseignement catholique.

Nous le savons par les projets de lois qu'ils inspirent, nous le savons aussi par une sorte de referendum qu'a provoqué le journal l'Eclair: presque tous les juifs qui ont exprimé leur avis ont demandé la persécution à fond contre les religieux et contre l'enseignement catholique, en attendant le reste.

Nous ne sommes pas partisan d'un antisémitisme outré. Nous ne demandons ni l'expulsion, ni la spoliation des juifs. Nous sommes bien d'avis cependant qu'il y aurait des réserves à faire dans les droits qu'on leur accorde. Nous ne disons pas cela par motif religieux mais par motif patriotique. Nous ne croyons pas à la naturalisation sincère des juifs pour les neuf dixièmes d'entre eux. Les juifs ne sont pas des émigrants volontaires, c'est une nation dispersée violemment et qui s'en souvient.

Les uns rêvent toujours leur retour en Palestine, comme le prouvent leurs congrès sionistes. Les autres sont cordialement cosmopolites. Ils aiment provisoirement la nation chez laquelle ils s'enrichissent, comme le prouvent leurs migrations incessantes. Ils ne sont donc pas capables pour la plupart d'avoir un vrai patriotisme, et c'est une duperie de leur laisser la direction de la presse et l'accès aux charges élevées de la magistrature, de l'armée et de l'administration.

La plupart n'y voient qu'un proconsulat à exploiter et non un service public.

Quoi qu'il en soit, que nous leur donnions une naturalisation entière ou limitée, nous devons les rappeler à la pudeur, ou si vous voulez, nous devons faire appel à la justice naturelle à laquelle ils devraient être accessibles.

Nous pouvons leur dire: «L'Église romaine a toujours été bonne pour vous. Tous ses docteurs ont répété, de saint Augustin à saint Thomas d'Aquin, que les juifs ne doivent pas être violentés dans leur foi».

En fait, les Papes ont toujours défendu d'exercer la violence à votre égard. Avant la Révolution, vous aviez 10 synagogues à Rome, 20 dans la campagne romaine, 35 dans la Marche d'Ancône et à peu près autant d'écoles.

Les canons ecclésiastiques défendaient de troubler vos sabbats.

Les Papes protestaient toutes les fois qu'on exerçait contre vous des violences ou des cruautés en Espagne, en Alsace, en Italie, en France. Maintenant, c'est vous qui avez la puissance, n'allez-vous pas ménager nos temples, nos couvents, nos écoles? Pourquoi la presse qui est à vos gages est-elle si violente contre nous? Pourquoi nous refusez-vous la tolérance que nous avons toujours pratiquée envers vous?

Jeunes conférenciers du Sud-Est, éclairez les populations sur les agissements des juifs et des francs-maçons. Faites-le avec gravité et modération, mais aussi sans crainte et sans timidité. Vous trouverez des documents partout. Notre livre de La Rénovation sociale vous en fournira.

Soyez apôtres, la vérité finit toujours par se faire jour. Semez la bonne parole, revendiquez la justice, le droit et la liberté; protestez contre la violence et l'oppression.

Vous n'usez pas assez des petits tracts populaires. C'est une arme qui aide puissamment les catholiques de Belgique, pourquoi n'en serait-il pas de même chez nous? On lit cela volontiers en famille dans les soirées d'hiver. Il faut qu'ils soient faits avec esprit, et vous n'en manquez pas. Il faut qu'ils exposent surtout des faits, des choses concrètes et brièvement présentées.

Les bons livres de polémiques et de propagande vous fourniront la matière.

L'œuvre belge de saint Paul1) en a une bonne collection contre les socialistes.

Imitez cela en France non pas seulement contre les socialistes, mais contre tous leurs alliés du moment, les juifs et les francs-maçons. Soyez apôtres.



La Chronique du Sud-Est, N. 11, novembre 1902, pp. 357-358.

LE MOUVEMENT SYNDICAL

C'est là, à mon avis, une des plus intéressantes questions du moment. Cest la question brûlante. Les syndicats peuvent être l'armée de la révolution, ils devraient être l'armée du salut social.

Il y aura des syndicats, l'association ouvrière est une loi de la nature. Ces syndicats seront socialistes ou seront chrétiens suivant le zèle qu'y mettront les promoteurs de ces deux tendances.

L'isolement des ouvriers, créé par la destruction dés anciennes corporations, était un fait violent. Il était certain que la nature réclamerait ses droits, il fallait le prévoir et s'y préparer.

En dehors des socialistes, un des hommes les plus clairvoyants à ce sujet a été l'évêque Ketteler Dès 1869, il suppliait les catholiques allemands d'organiser des associations ouvrières, il instituait dans ce but un cours de sociologie dans son séminaire.

L'œuvre des cercles catholiques d'ouvriers en France est née de la même pensée, mais, à notre humble avis, elle s'est trop limitée à l'action patronale.

Léon XIII observait l'apostolat de Ketteler L'ayant reconnu conforme aux saines doctrines religieuses et sociales, il lui donna l'appui de sa grande autorité. Dès le commencement de son pontificat, en 1878, il recommande aux évêques d'opposer au socialisme les associations ouvrières catholiques. En 1887, il rappelle aux ouvriers français les avantages des corporations. En 1889, il insiste sur le même sujet: «Ce que nous demandons, dit-il aux pèlerins de M. Harmel, c'est qu'on fasse revivre, au moins quant à la substance dans leur vertu bienfaisante et multiple, et sous telles formes que peuvent le permettre les nouvelles conditions des temps, ces corporations d'arts et métiers, qui jadis informées de la pensée chrétienne, et s'inspirant de la maternelle sollicitude de l'Eglise, pourvoyaient aux besoins matériels et religieux des ouvriers, leur facilitaient le travail, pre­naient soin de leurs épargnes et de leurs économies, défendaient leurs droits et appuyaient, dans la mesure voulue, leurs légitimes revendica­tions »).

Enfin, en 1891, il traite le sujet ex professo en dix pages de sa grande encyclique. «I1 faut, dit-il, des associations, soit mixtes, soit composées de seuls ouvriers. C'est le droit naturel et ce sera le remède au socialisme. Ce sera le point de départ de temps plus heureux pour l'Eglise et pour les travailleurs».

Malheureusement les catholiques, surtout en France, ont mal compris et mal écouté. Ils ont passé dix années à discuter et à disputer pour savoir si les syndicats devaient être mixtes ou séparés. On a fait cependant pas mal de bons syndicats ruraux, et dans ces derniers temps les syndicats jaunes, qui viennent de prouver qu'on ne peut plus sans eux faire la grève générale dans un but politique et révolutionnaire.

Les catholiques allemands ont été plus pratiques. Lisez une étude de M. Blondel dans la «Quinzaine» de janvier dernier, sur le Mouvement syndical chrétien en Allemagne. Là comme chez nous, dit-il, la première impression des patrons a été défavorable aux syndicats. Ils ont cru y voir des cadres dangereux pour la lutte des classes, et au lieu de les favoriser et d'y prendre une influence légitime, ils ont laissé accaparer le mouvement syndical par le socialisme. Mais ils sont bientôt revenus de cette erreur. «Beaucoup en sont arrivés à considérer les organisations syndicales comme le remède le plus efficace contre les fâcheuses conséquences de la tyrannie socialiste. A leurs yeux, les associations professionnelles peuvent être le germe d'un ordre nouveau plus rationnel et plus juste, dans lequel l'association corrigera les inconvénients de la dépendance, dans laquelle la grande industrie a mis l'ouvrier, et le contrat de travail ne sera plus, comme il arrive souvent, un joug imposé, mais une convention vraiment libre».

Pour cela, il fallait s'efforcer d'orienter le mouvement syndical, non plus vers la guerre sociale, mais vers la paix, vers l'accord entre les ouvriers et les patrons sur le terrain de la protection des travailleurs et de la prévoyance sociale. C'est dans ce sens qu'ont travaillé les catholiques allemands, et maintenant l'Allemagne compte 900 syndi­cats chrétiens, qui réunissent 162.000 ouvriers.

Etrangers à la politique, ces syndicats ont pour but d'aider les travailleurs, spécialement dans la conclusion du contrat de travail. Ils organisent des conférences pour la formation intellectuelle et morale de l'ouvrier. Ils réclament la formation de Chambres du travail qui seraient consultées sur les projets de lois ouvrières. Ils s'efforcent de résoudre tous les conflits entre patrons et travailleurs par le moyen de l'arbitrage.

Ce n'est pas que tout soit fait en Allemagne. Les syndicats socialistes y avaient pris les devants et grâce à l'activité et à l'intelligence de leurs chefs, ils ont réussi à grouper 650.000 ouvriers.

La disproportion est grande, aussi les catholiques allemands ont-ils résolu, à leur dernier congrès annuel, de donner une nouvelle impulsion au développement des syndicats.

٭٭٭

L'Italie est beaucoup moins avancée.

«Il y a peu de temps, disait le Domani d'Italia, en février dernier, que nous avons commencé à former des syndicats d'ouvriers catholiques. Nous avons laissé jusqu'à présent aux socialistes tout le profit à tirer des aspirations de la masse ouvrière vers l'organisation professionnel­le.

L'obstacle était le même que partout: l'opposition des patrons à la formation d'organismes qui ne seraient pas entièrement dans leurs mains. La divergence des intérêts entre le capital et le travail est cependant manifeste.

L'oppression n'est pas une solution qui puisse durer. Il faut chercher le remède dans les syndicats chrétiens, avec les comités d'arbitrage et de conciliation, sinon les ouvriers se jetteront de plus en plus dans les syndicats socialistes».

Il faut ajouter toutefois à la louange des catholiques italiens, qu'ils sont très avancés dans l'organisation des Caisses rurales de crédit. Ils en ont environ 1.300, qui atteignent 160.000 paysans, et beaucoup de ces Caisses font des opérations qui ressortissent à la vie syndicale. Elles sont une magnifique préparation de l'organisation syndicale parmi les populations agricoles de l'Italie.

٭٭٭

Mais c'est en Belgique que le mouvement est le plus accentué. Au récent congrès de la Ligue démocratique à Mons, l'organisation syndicale a été acclamée comme le grand remède à l'utopie socialiste.

Les mêmes hésitations avaient arrêté l'organisation professionnelle en Belgique, mais maintenant que la lumière est faite, comme les Belges sont gens pratiques, on peut être sûr qu'ils vont couvrir leur pays de syndicats.

Cette question fut le thème principal des orateurs du congrès. Citons d'abord quelques pensées du président, M. Verhaegen:

« Les catholiques ont déjà à leur actif, sur le terrain de l'association, des œuvres innombrables, et qui excitent même l'admiration de leurs adversaires. Ces œuvres ont pour but la mutualité, la coopération, la prévoyance, l'épargne, la retraite, la construction de maisons ou­vrières; elles tendent toutes à une meilleure utilisation du salaire.

Elles ne s'occupent pas du montant du salaire, ou, d'une manière plus générale, des conditions du travail. Or, tel est l'objet du syndicat, objet d'une importance capitale pour l'ouvrier et à propos duquel les catholiques, vous me permettrez de le constater, sont jusqu'ici demeurés inférieurs à eux-mêmes.

Déjà le législateur, réparant une injustice séculaire, a ouvert aux syndicats la personnification civile.

Tant que le syndicat chrétien ne se sera pas généralisé, nous n'entamerons que très faiblement, on doit le craindre, le bloc socialiste.

Il faut, en effet, se pénétrer d'un fait. Quoique l'on fasse, les industriels auront désormais, de plus en plus, à compter avec les syndicats, c'est-à-dire avec des ouvriers associés. Mieux vaut pour eux, dès lors, traiter aimablement avec des syndicats reconnus, surtout lorsqu'ils sont chrétiens, qu'avoir à lutter sans cesse contre des syndicats révolutionnaires.

Les syndicats chrétiens sont appelés, de par leur organisation même, à obtenir un jour l'adhésion de la majorité des ouvriers belges, et à se substituer aux associations socialistes. Il appartient aux catholiques de hâter ce moment et de préparer ainsi une ère de paix sociale!».

Les paroles de M. le chanoine Douterlungne n'ont pas moins d'importance, parce qu'il était le représentant officiel de Mgr l'évêque de Tournai. Il disait:

«Vous nous conviez aujourd'hui, M. le président, à diriger nos efforts vers un but nouveau: l'organisation d'Unions professionnelles. N'est-ce pas, en donnant à toutes vos œuvres ce couronnement que vous jugez indispensable, réaliser par là même un vœu qu'exprimait le Souverain Pontife lorsqu'il disait que «la première place revient aux corporations ouvrières qui comprennent en elles à peu près toutes les œuvres?». Le programme de Malines n'assignait-il pas en première ligne à l'activité des catholiques la création des syndicats? Et depuis la loi accordant aux Unions professionnelles la personnifica­tion civile, la formation de ces Unions n'a-t-elle pas toujours été l'objectif principal et le terme des efforts de ceux qui comptaient parmi les plus vaillants?

Aujourd'hui il semble que les difficultés et les malentendus de jadis tendent à disparaître, et tous, patrons et ouvriers, comprennent que ces corporations ou syndicats sont appelés à servir puissamment leurs intérêts communs.

Puissent donc les travaux de votre congrès où la question des Unions tient une si grande place, être fructueux et féconds en résultats!».

Enfin le P. Rutten, dominicain, professeur à l'école d'industrie et de métiers Saint-Antoine, à Gand, a traité la question de main de maître.

Il a indiqué d'abord comment le mouvement syndical chrétien avait pris naissance et insisté sur les causes qui l'avaient en quelque sorte nécessité.

«Le mouvement est né, dit-il: 1° du peu de résultats obtenus par les œuvres patronales proprement dites au point de vue de la pacifica­tion sociale; 2° de l'insupportable tyrannie exercée par les syndicats socialistes sur les ouvriers réduits à l'isolement, en l'absence de tout groupement syndical non socialiste; 3° du besoin pressant qu'ont les travailleurs de s'associer pour l'étude et la discussion des conditions du travail».

Il a ensuite exposé le but des promoteurs de ce mouvement, qui est «d'assurer à l'ouvrier laborieux, sobre et honnête, le maintien d'un salaire lui permettant de satisfaire à tous ses besoins légitimes, et d'obtenir pour lui des conditions de travail aussi favorables que possible sous le rapport de la durée du travail, de la moralité, de l'hygiène et de la sécurité».

Enfin, il a répondu à toutes les objections surannées qui entravent l'organisation ouvrière (Voir l'Univers du 3 octobre, le XXe Siècle de Bruxelles des 15 et 16 septembre).

Depuis lors, c'est en Belgique une traînée de poudre, et chaque semaine les journaux catholiques nous disent: «Le mouvement syndical chrétien a gagné telle ou telle commune, tel ou tel canton».

٭٭٭

Que tous les catholiques encouragent en France le mouvement syndical anti-socialiste. Nous ne pouvons pas, dans la plupart de nos provinces, donner à nos syndicats un caractère aussi manifestement catholique que dans la Belgique. Mais tous nos syndicats sérieux consentiront à affirmer en tête de leurs statuts le respect de la religion, de la propriété et de la famille.

Les catholiques ont ordinairement le flair de toutes les œuvres. N'est-ce pas une œuvre éminente que de rendre aux masses laborieu­ses l'exercice d'un droit naturel?

Comme le Saint-Père nous le disait encore récemment dans une note officieuse de L'Osservatore Romano, laissons enfin de côté nos controverses pour nous mettre au travail pratique d'action populaire. Le récent congrès de la jeunesse catholique à Châlon-sur-Saône est bien entré dans cette voie, c'est un heureux signe des temps. Ces groupes de jeunes gens sont notre espérance.



La Sociologie catholique, novembre-décembre 1902, pp. 421-427.

Idem dans Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés. novembre 1903, pp. 546-552.

LA GREVE

Ce mot résonne douloureusement. En l'entendant, nous voyons s'arrêter toute la belle activité de l'usine, de la mine ou du port, qui produisait tant de richesses et les transportait partout comme autant de facteurs du bien-être.

Les conséquences en sont immenses.

Chez l'entrepreneur, c'est l'angoisse, c'est l'année de travail com­promise, c'est peut-être la faillite qui se prépare.

Chez l'ouvrier, c'est la faim, c'est le froid; c'est la colère qui monte, c'est le caractère qui s'aigrit, c'est le crédit qui grossit chez le boulanger, c'est la petite épargne qui est dévorée, ce sont les pleurs de la femme et des enfants.

Dans tout le pays, c'est un trouble économique. Voyez la grève des mineurs: le manque de charbon entraine l'arrêt de nombreuses usines. Voyez la grève des docks de Marseille: elle a son contre-coup en Algérie et en Corse. Les produits français n'y arrivent plus; les voyages même les plus urgents sont empêchés.

La grève de nos charbonnages profite à la Belgique, à l'Angleterre et à l'Allemagne; celle du port de Marseille profite à Gènes et à Barcelone.

La grève est-elle donc un mal nécessaire? Oui, jusqu'à ce qu'on ait trouvé mieux.

Dans le bon vieux temps, nos corporations ouvrières avaient leurs conseils, leurs syndics, leurs baillis, leurs échevins. Les différends s'arrangeaient toujours à l'amiable ou d'autorité.

Mais depuis un siècle, les entrepreneurs se sont trouvés en face de masses ouvrières désagrégées. La concurrence aidant et l'appât au gain y poussant, on a toujours serré la vis au travailleur. Il fallait peiner dur et gagner peu. Les ouvriers ont fini par se fâcher. Ils ont inventé la grève. «Nous souffrons, ont-ils dit aux entrepreneurs, mais vos gains s'arrêteront, et pour les retrouver vous nous céderez».

Le moyen était barbare, primitif, sauvage, mais il n'y en avait pas d'autre sous la main. Le plus souvent il n'a rien produit d'avantageux pour l'ouvrier, qui ne pouvait pas tenir assez longtemps pour lasser l'entrepreneur.

Il faudrait enfin trouver un moyen meilleur.

Parfois le pouvoir civil propose utilement l'arbitrage, comme il est arrivé chez nous et aux Etats-Unis.

Les parties s'y soumettent quand elles sont déjà lassées et fortement atteintes dans leurs intérêts. Il doit y avoir mieux que cela à faire.

La Nouvelle-Zélande, en Océanie, a institué l'arbitrage obligatoire et elle s'en trouve bien. On peut objecter à cela que c'est une intervention de l'Etat dans les contrats passés entre particuliers.

Mais le bien général de la société n'autorise-t-il pas cette interven­tion? Nous avons vu que la grève a des conséquences sociales qui ne manquent pas de gravité: cherté des produits, concurrence des marchés étrangers, troubles sociaux auxquels se mêle la politique et qui peuvent nécessiter l'intervention de l'armée.

En tout cas, l'objection tombe si l'arbitrage est organisé comme une institution permanente pour les parties contractantes. C'est ce qui a lieu au Canada pour l'industrie spéciale de Québec qui est la fabrication des chaussures, et c'est au vénérable archevêque, Mgr Bégin, qu'est due cette organisation.

C'était dans un moment de grève et de conflit. Trois grandes sociétés ouvrières, celles des tailleurs de cuir, des monteurs et des machinistes avaient présenté leurs réclamations. Le syndicat des vingt manufacturiers avait pris le parti de fermer les usines. L'affaire s'envenimait. Les deux groupes recoururent à l'archevêque. Il trancha le conflit pendant et proposa un arrangement qui préviendra désormais toutes les grèves. Il organisa l'arbitrage pour tous les litiges qui pourraient se présenter à l'avenir à propos d'augmentation ou de diminution de salaires, de renvois d'ouvrier, de la durée du travail ou de tout autre conflit.

Un Comité de réclamations, composé de trois ouvriers élus chaque année par les syndicats et un Comité de conciliation, composé de trois manufacturiers élus par ceux-ci se mettent en rapport pour résoudre tous les différents.

Quand un ouvrier a quelque plainte à faire contre son patron, il la formule par écrit, la fait signer par deux de ses compagnons de travail et la communique au Comité de réclamation qui la transmet au Comité de conciliation. Les deux groupes examinent l'affaire simultanément et arrivent à un arrangement, sinon on a recours au Tribunal d'arbitrage.

Ce tribunal est permanent et nommé également pour un an. Il est composé de trois membres, un patron et un ouvrier choisis par les deux Comités et un troisième élu par ces deux premiers arbitres. Si, par hasard, les deux arbitres nommés par les Comités ne s'entendaient pas sur le choix du troisième, ils demanderaient à un juge de la Cour suprême ou à l'archevêque de le désigner.

Les arbitres peuvent entendre les parties, les témoins, appeler des experts et recourir à tous les moyens d'information qu'ils jugent utiles. Grâce à cette organisation consentie par les parties, c'est fini de la grève à Québec. Jamais le travail n'est suspendu pendant que le conflit est pendant devant le Tribunal d'arbitrage.

N'est-ce pas un progrès sur le procédé barbare des grèves?

Jeunes conférenciers du Sud-Est, propagez l'organisation de Québec. Elle est conforme à la véritable démocratie chrétienne. Quelques patrons craindront au premier abord d'aliéner ainsi leur liberté, mais ils s'y feront.

Chaque ouvrier est embauché dans une usine par un contrat personnel, il subit les conditions que ses camarades ont acceptées; il y a une sorte de contrat collectif entre le groupe ouvrier et le manufacturier, et la justice ne peut être entièrement sauvegardée que si les ouvriers ont le droit de grève ou le droit d'arbitrage, autrement ils sont dans la situation du pot de terre contre le pot de fer.

Propagez cette solution et vous aurez bien mérité des ouvriers et de la société tout entière; vous aurez avancé la réalisation des doctrines de la grande Encyclique de Léon XIII.

C'est d'ailleurs le sens des récentes directions de l'Œuvre des congrès d'Italie si hautement encouragée et louée par le Pape.



La Chronique du Sud-Est, N. 1, janvier 1903, pp. 1-2.

DEMOCRATIE CHRETIENNE

Notre chère Revue a toujours parlé clair sur ce thème. La Démocratie chrétienne ressort de l'esprit de l'Evangile. L'Eglise devait aller graduellement de la libération des esclaves à l'affranchissement des communes, et de l'organisation des corporations au développe­ment de la démocratie chrétienne.

Nous avons depuis dix ans soutenu sans sourciller notre propagan­de. Plusieurs interventions pontificales justifiaient notre thèse.

Le dernier discours du Pape au Sacré-Collège va mettre fin à toute controverse et encourager l'action sociale chrétienne.

L'insistance de Léon XIII, comme le remarquait l'Univers ces jours-ci, a voulu manifestement enlever tout vestige de doute aux esprits de bonne foi et tout faux-fuyant aux autres. Il dit aux premiers, dont beaucoup, fermes chrétiens, n'étaient point hostiles à une action sociale des catholiques, mais lui désiraient un nom plus mesuré, plus discret: - N'ayez pas peur du mot, puisque la chose est bonne!… Et ce langage est en même temps la consécration de la chose et du mot. Or, l'emploi du mot favorise toujours en pareille matière, l'acceptation et la diffusion de la chose.

Le faux-fuyant habituel de certains catholiques ennemis de la Démocratie chrétienne, on le connaît. Ils aimaient à se réfugier derrière cette équivoque: «Le Saint-Père admet la démocratie chrétienne; nous l'admettons… comme Lui… Et ils insistaient: - Comme Lui, car ce que Léon XIII entend par là, n'est aucunement le genre d'action que pratiquent les égarés qui ont donné cette étiquette à leurs dangereuses utopies. C'est dans un autre sens que Rome prend le mot. Et s'il n'est pas condamné, eux le sont».

Mais Léon XIII coupa les ailes à ce subterfuge:

«Evidemment, dit-il, en général ceux qui se sont consacré à cette œuvre, en Italie ou à l'étranger, y travaillent avec un zèle qui est bon et d'une manière remarquablement fructueuse».

Cette fois que pourront dire les opposants? La solennelle déclara­tion pontificale embrasse tout. La Démocratie chrétienne est approu­vec, encouragée, comme mot et comme chose. Et les démocrates chrétiens, fussent-ils abbés, sont approuvés aussi et encouragés.

Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, janvier 1903, pp. 33-34.

COMME EN BELGIQUE

La Belgique a passé par la même épreuve que nous. Elle a eu pendant huit ans un ministère franc-maçonnique. Ces messieurs se donnaient l'épithète de libéraux, chez nous ils s'appellent radicaux et socialistes.

On faisait là-bas ce qu'on fait ici. Les finances de l'Etat étaient au pillage. Le déficit allait grossissant chaque année. Les catholiques étaient traités en parias. Sous prétexte de neutralité, on avait organisé l'enseignement athée. Les catholiques payaient un double budget de l'instruction publique: celui de l'enseignement neutre par l'impôt, celui de l'enseignement confessionnel par leurs souscriptions pour les écoles libres.

Les Belges ont beaucoup de sens politique, ils ont culbuté le ministère libéral pour sauver la liberté. Voici vingt ans que les catholiques sont au pouvoir, et la Belgique est le pays le plus prospère et le plus heureux de l'Europe.

La France est une forêt d'automne, aux feuilles jaunissantes; la Belgique est pleine de sève et de vie. Son sol, admirablement travaillé, porte la population la plus dense de l'Europe et du monde.

Elle compte 190 habitants par kilomètre carré, la France n'en a que 71. Si la France avait une population proportionnelle à celle de la Belgique, elle compterait aujourd'hui 120 millions d'habitants.

Les âmes sont à l'aise dans cet excellent petit pays. La liberté religieuse et la liberté de l'enseignement y règnent dans leur plénitude.

La prospérité matérielle y est merveilleuse. Le commerce extérieur s'y est élevé depuis cinquante ans de 139 millions à 1.949 millions. La valeur du revenu cadastral des propriétés a triplé. Le budget a des excédents de 6, 9, 12, 17 millions, qui servent en partie à doter la caisse des retraites ouvrières. Les Belges ont des entreprises industriel­les considérables en Russie, en Chine, en Perse et en Turquie.

Les catholiques ont créé là un Ministère de l'Industrie et du Travail dès 1895.

En 1893, ils ont voté une loi sur les Habitations ouvrières qui a transformé les quartiers populaires. En vertu de cette loi, les Caisses d'épargne ont avancé déjà 46 millions pour la construction de maisons ouvrières, dix-huit mille ouvriers ont profité de ce concours pour bâtir leurs maisons. Quarante mille ouvriers ont profité des réductions fiscales accordées par la loi pour l'achat et la construction de leurs habitations. Cent soixante et onze sociétés ont été fondées pour la construction des maisons ouvrières.

L'organisation des retraites ouvrières que nous attendons toujours, a été votée en 1900 par les catholiques du Parlement belge, c'est le régime de la liberté encouragée et subsidiée. L'assurance se fait par les mutualités. L'Etat y concourt déjà pour 12 millions par an et il va élever cette allocation. Les provinces et les communes donnent aussi leur quote-part. Aussi les mutualités se sont-elles propagées dans ces dernières années comme une traînée de poudre et les caisses de retraites comptent déjà 500.000 affiliés.

Il faudrait parler maintenant des coopératives, des syndicats agricoles, des sociétés de crédit.

La catholique Belgique est une ruche d'abeilles. Un gouvernement libre-penseur est un nid de frelons.

Que faut-il donc faire en France? Il faut faire comme en Belgique. Il faut que les catholiques s'organisent comme en Belgique. L'organisa­tion est superbe là-bas à tous points de vue: comités politiques, presse, œuvres sociales.

Chaque commune a son comité catholique électoral. Les chefs sont élus et agissent. Ils ont la liste des électeurs. La liste est revisée avec soin. Les électeurs sont classés, visités, cultivés. On sait d'avance sur qui on peut compter.

Les œuvres sociales embrassent tous les domaines: la grande industrie, le petit commerce, l'agriculture. Le clergé leur prête un concours intelligent. Chaque diocèse a un prêtre directeur des œuvres sociales, plusieurs diocèses ont un ou deux missionnaires agricoles.

La presse catholique est soutenue par tous ceux qui le peuvent. Il se fait là un travail apologétique quotidien. Aucun mensonge de la presse hostile ne reste sans réponse, aucune attaque sans riposte.

Ne nous décourageons pas. Nous avons immensément à faire, mais Dieu aidera.

Pensons souvent à la Belgique. Organisons-nous comme les catholi­ques belges, agissons comme eux.

Pour l'action politique et électorale, marchons avec le comité Piou, sans le discuter. Dans chaque commune, formons un comité sérieux, avec des chefs élus et des listes électorales étudiées et classées.

Pour les œuvres sociales, développons les syndicats honnêtes, les caisses de crédit et les coopératives.

Etudiez la vie sociale de la Belgique, vous avez là les meilleurs arguments pour combattre les libres-penseurs et pour gagner les travailleurs de bonne foi.

On assomme nos pauvres ouvriers avec ces affirmations stupides: «Que le catholicisme est opposé au progrès», «qu'un pays catholique ne peut pas être prospère». Parlez-leur de la Belgique, avec son budget en excédent, avec la vie à bon marché, avec les retraites ouvrières, avec les habitations ouvrières saines et peu coûteuses.

On leur dit qu'il suffit de chasser les Sœurs de charité, les Sœurs des pauvres, les Frères et les Prêtres pour transformer la France en une île fortunée. Les Belges ne sont pas si sots. Ils ont beaucoup de religieux et ne les écorchent pas au moyen d'impôts absurdes pour les expulser ensuite. Ils n'estiment pas que les biens des religieux, qui servent à recueillir les malades, les vieillards, les orphelins et à instruire les enfants, soient des biens de main-morte improductifs.

Soyons des enfants du Christ et de l'Eglise comme en Belgique, si nous voulons obtenir la prospérité et la paix sociale comme en Belgique.



La Chronique du Sud-Est, N. 2, février 1903, pp. 41-42.


1)
Rue de la limite, 21, à Bruxelles.
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