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CHRONIQUE (Janvier 1897)

I. ROME

Les directions pontificales: le congrès de Lyon. - Rien n'a été fait depuis dix ans de plus important que le congrès de Lyon pour répondre aux directions pontificales. Le Saint-Père nous a dit tant de fois de nous élever au-dessus des partis politiques et de mettre au premier rang de nos revendications la liberté religieuse et le relèvement économique des masses populaires!

Enfin, ce congrès a su élargir nos cadres et faire appel, comme le Saint-Père nous y exhortait depuis longtemps, à tous les honnêtes gens. Il faut bien prendre la situation telle qu'elle est. Bien des hommes droits et de bonne volonté ne nous suivraient pas sur le terrain exclusivement religieux, soit par un reste de ce respect humain qui avait envahi toute la France, soit parce que nous avions donné à la religion en France un ca­ractère étroit et un champ d'action trop limité. Nous ne savions plus que la religion était la grande école de toute justice et qu'elle possédait la so­lution de toutes les questions sociales et économiques. Nous limitions toute l'action religieuse à la dévotion et à la charité. Léon XIII est venu nous réveiller de notre torpeur en remettant sous nos yeux, dans ses en­cycliques, la grande doctrine sociale et économique de l'Eglise.

Les femmes et les enfants seuls nous suivaient et nous allions à la ruine du catholicisme en France. Le peuple nous abandonnait, parce qu'il ne voyait pas en nous des chefs capables de le guider dans la lutte contre ses oppresseurs, contre les politiciens qui le trompent et contre la haute fi­nance qui l'exploite.

Le Christ n'est pas venu seulement nous apporter les conseils de la piété et de la vie intérieure, il est venu réformer la société et relever la condition de tous les opprimés. Telle était sa mission annoncée par les prophètes. Tel était le rôle qu'il revendiquait lui-même. Aux envoyés de Jean-Baptiste qui lui demandaient: «Etes-vous le Messie attendu?». Il répondait: «Ne voyez-vous pas que je me dévoue à l'évangélisation et au relèvement des pauvres, et n'est-ce pas là une chose nouvelle sur la terre et la mission du Messie d'après les prophètes?».

L'Eglise continuait la mission du Christ quand elle libérait les escla­ves, quand elle civilisait les barbares, quand elle émancipait les serfs et organisait les communes et les corporations. Sa mission aujourd'hui est de libérer les peuples de l'oppression juive et maçonnique. Qu'elle s'y dévoue activement et les populations opprimées la suivront. Toute royauté s'achète par le dévouement. Le Christ regnera si son Eglise se dévoue à la libération des peuples.

C'était bien là l'esprit du congrès de Lyon: oubli des divisions politi­ques, union pour la libération religieuse, économique et politique de la nation. De là, le succès incomparable des grandes réunions populaires provoquées chaque soir par le congrès.

Pie IX l'avait dit déjà avant Léon XIII: «L'Eglise triomphera quand elle se rencontrera avec le peuple. - La Chiesa trionfera quando si incontrera col popolo ».

La franc-maçonnerie maintient ses positions en présentant sans cesse les catholiques comme les garants intéressés de la résignation populaire, les égoïstes appuis des classes dirigeantes, les champions des oppressions économistes, les ennemis de toutes réformes.

La démocratie chrétienne prouvera le contraire. Par ses œuvres et ses revendications, elle se fera le champion des opprimés, et le peuple et l'Eglise conquerront ensemble leur liberté.

L'usure. - Le règne de l'or et de la Bourse, telle est la caractéristi­que de ce siècle. Moins on sert le Christ, plus on sert Mammon, le dieu de l'or. La lumière se fait sur cette grande déviation morale de ce siècle. En recherchant les causes du malaise social, les catholiques ont trouvé partout sur leur chemin l'usure et le culte de l'or. La Bourse et ses spécu­lations, les émissions de valeurs sans contrôle et sans garanties, les escro­queries incessantes des financiers, la pression d'un capital anonyme et irresponsable sur le travail des prolétaires, telles sont les grandes plaies qui rongent nos sociétés.

Les catholiques et le peuple se rencontrent dans une même résolution. «Défendons-nous!». C'est le cri des uns et des autres. C'est la résolu­tion des congrès de Reims et de Lyon, de Padoue et de Foligno. C'est le cri de la presse catholique, de l'Univers, de la Croix, de la France Libre, de l'Osservatore cattolico, de Milan, de l'Osservatore romano. C'est la thèse de nos revues sociales catholiques. Défendons-nous contre l'usure moderne sous toutes ses formes. L'économie politique moderne basée sur le crédit sans frein et sans contrôle nous conduit aux mœurs païennes.

Le capital doit subventionner le travail et non l'écraser. Il ne doit pas échapper à toute responsabilité financière et morale.

Le crédit doit être ramené à ses fonctions légitimes. L'Etat doit régle­menter les banques d'émission, réprimer l'usure et les accaparements et régler les opérations de Bourse. Il doit favoriser la petite propriété. L'initiative privée doit fonder partout le crédit rural et le crédit ouvrier.

Telles sont les réformes que préconisent les congrès et la presse catho­lique. Le peuple opprimé par l'usure viendra à nous quand il verra que nous sommes ses défenseurs les plus compétents et les plus résolus.

II. FRANCE

Les Lieux-Saints de Marseille. - Il faut vraiment que la grande Révolution nous ait laissés bien déconcertés et troublés, pour que nous ayons passé tout un siècle avant de nous reconnaître et de rechercher nos traditions et nos souvenirs. Il n'y a pas plus de dix ans que Paris retrou­vait et rajeunissait le sanctuaire du martyre de Saint-Denis, sur les pen­tes de la butte Montmartre; et combien peu encore de pèlerins le con­naissent et le visitent!

Tours a ses Lieux-Saints et qui les connaît? Qui va visiter les restes de la grande abbaye de Marmoutiers, avec ces grottes si saisissantes, où ont vécu saint Martin, saint Gatien et tant de générations de saints moines? C'est dans ces dernières années seulement que les Dames du Sacré­Cœur ont restauré et rendu au culte ces pieux sanctuaires.

On sait à peine en France qu'on a l'honneur de posséder le corps du grand saint Benoît à Saint-Benoît-sur-Loire. On sait encore beaucoup moins que les reliques du grand ermite de l'Egypte, saint Antoine, sont chez nous, abritées par une magnifique basilique romane, à Saint­Antoine en Dauphiné. Les fameux guides Joanne et Bœdeker ne disent rien de tout cela.

A Marseille, on visite bien Notre-Dame de la Garde, elle est trop bien placée pour échapper aux regards; mais qui connaît l'abbaye de Saint­Victor et ses sanctuaires? Et cependant, c'est bien là un des lieux les plus vénérables de la France. L'abbaye de Saint-Victor a une grande histoi­re. Elle a rayonné par ses fondations sur une grande partie de la France.

Elle a été fondée par Cassien, le grand législateur des moines d'Occi­dent.

C'est là que fut décapité et enseveli le grand martyr saint Victor, après avoir été traîné par cette longue voie qui porte encore aujourd'hui à Marseille le nom de Rue Sainte à la fin de ce siècle sceptique.

Mais il y a plus encore. Dans les cryptes de Saint-Victor, revivent les souvenirs les plus émouvants. Nous nous trouvons là dans les catacom­bes de Marseille. Il y a là une galerie bordée de tombeaux comme à Ro­me et un cubiculum ont vécu les premiers apôtres de la Provence, La­zare, l'ami de Jésus, et ses sœurs Marthe et Madeleine. Dès le second siècle, les chrétiens de Marseille ont élevé là une petite basilique, qui subsiste quoique défigurée, et qui rappelle celles que M. de Rossi a re­trouvées aux catacombes de Rome.

C'est là que le culte de Marie a commencé en France. C'est le sanc­tuaire de Notre-Dame de Confession. On l'appela ainsi parce qu'il se trouvait près du tombeau ou de la Confession des martyrs. On y vénère encore une Vierge noire semblable aux plus anciennes que nous possé­dions.

Sait-on en France que Notre-Dame de la Garde n'est qu'une succur­sale de Notre-Dame de Confession, élevée par les moines de Saint­Victor sur la montagne voisine pour permettre aux navigateurs d'aper­cevoir l'image de leur protectrice?

Dans cette crypte a reposé le corps de saint Lazare, l'ami du Sauveur, avant qu'il fût transporté à Autun.

C'est a cause de ces grands souvenirs que Cassien est venu fonder là une abbaye au Ve siècle.

Qu'importent les dénégations ou les doutes de nos critiques du XIXe siècle. Un acte authentique du XIe siècle signalait la tradition constante de Marseille, c'est l'acte de la consécration de la nouvelle basilique par le pape Benoît IX. Il rappelle qu'un premier oratoire avait été élevé dès le temps de l'empereur Antonin-le Pieux au second siècle et qu'il avait été relevé par Cassien: Monasterium apud Massiliensem urbem tempore Antonini fundatum et postea a B. Cassiano abbate constructum. Le temple primitif, c'était la petite basilique, sur laquelle Cassien avait élevé son monastère (Voir M. Faillon et les Bollandistes: Vies de saint Cassien et de saint Yzarn).

Ce sanctuaire incomparable s'est enrichi dans le cours des siècles des reliques les plus précieuses. Saint Cassien y avait apporté de Bethléem une partie des dépouilles sacrées des saints Innocents (Cf. Bulle d'Inno­cent IV, 1251).

Outre les corps de saint Victor et de ses compagnons, la crypte a pos­sédé ceux de saint Adrien, des saints Chrisante et Daria, des saints Pier­re et Marcellin, de sainte Eusébie, avec quarante autres des célèbres vierges martyres de Cologne. La croix de l'apôtre saint André a été ap­portée là de Patras en Achaïe.

Les tombeaux des saints martyrs sont encore là. Plusieurs cependant ont été malheureusement transportés au musée. Un bras presque entier de la croix de saint André fut sauvé à la Révolution, et a été réintégré là dans l'antique chapelle par Mgr l'évêque de Marseille en 1865.

Le beau tombeau de saint Yzarn, abbé de Saint-Victor, est au musée de Marseille. Il devrait bien être rétabli au lieu d'où la Révolution l'a ar­raché. Pour ces sortes de monuments, nos musées pourraient bien se contenter d'en avoir les moulages.

Le corps de saint Blaise, le grand évêque de Sébaste, est venu aussi re­poser là. Le tombeau de saint Mauront, abbé de Saint-Victor, était là. Il est au musée. Saint Elzéar de Sabran a été aussi moine de Saint-Victor et il a là son autel dans la crypte sacrée.

Là aussi ont été ensevelis de nombreux Pisans, morts pour le Christ en combattant les musulmans à l'ile Mayorque. La belle épitaphe qui marquait leur tombeau, est aujourd'hui au musée d'Avignon.

Enfin, le monument le plus remarquable de ces cryptes était le tom­beau du saint pape Urbain V, ancien abbé de Saint-Victor. Sous un arc ogival décoré de pinacles et de statues, reposait la statue du saint pontife. Le monument avait été élevé par le pape Grégoire XI. La piété des fidè­les voudra reproduire ce monument, dont on a les dessins.

Tels sont les principaux souvenirs de cette abbaye, dont l'église cou­ronnée de créneaux garde encore près du port de Marseille son grand aspect féodal.

On peut bien appeler ce sanctuaire les Lieux-Saints de Marseille (Consulter la notice sur les cryptes de Saint-Victor, chez M. le curé de Saint-Victor à Marseille).

Monument au Sacré-Cœur en Dauphine. - Le culte si plein d'espérances du Sacré-Cœur de Jésus grandit toujours. Jadis nos popu­lations voulaient avoir sur le sommet des montagnes les plus en vue une statue de la sainte Vierge ou un Calvaire. Aujourd'hui on y place la sta­tue du Sacré-Cœur. C'est ce qu'on vient de faire en Dauphiné.

Sur le plus haut sommet de Miribel, on vient d'ériger un monument colossal au Sacré-Cœur. La statue ne mesure pas moins de douze mètres de circonference. Le monument est en fer et revêtu d'un placage en zinc nickelé. Il s'achève et bientôt il étincellera au soleil, comme une splendi­de apparition du Sacré-Cœur.

III. AUTRES PAYS

La sainte Russie. - L'alliance russe ramènera à l'Eglise nos gouver­nants sceptiques ou terrorisés par les Loges. Plusieurs fois dans l'année, l'Eglise russe de Paris célébrera les anniversaires et les fêtes patronymi­ques des souverains russes. Nos présidents et ministres s'y feront repré­senter. Ils reprendront l'habitude de penser à leur Créateur et Rédemp­teur.

On rapporte aussi, sur le témoignage du cardinal Ferrata, une parole historique du czar Alexandre III, père de Nicolas II. Il aurait dit à l'ami­ral Avellane: «Je ne demande pas mieux que de faire alliance avec votre pays, mais à une condition: c'est que la religion catholique en France ne soit plus persécutée, parce que moi je suis le chef d'un peuple croyant et que mon peuple ne me suivrait pas».

Nicolas II lui-même a dit au vénérable archevêque de Paris: «Cette union des deux peuples est l'expression de sympathies encore plus reli­gieuses que politiques».

Ces leçons qui nous viennent de la schismatique Russie sont humi­liantes pour la France. Puissions-nous du moins en profiter!

Angleterre: le mouvement catholique. - Le duc de Norfolk, le vaillant chef du parti catholique anglais, fonde un journal catholique, re­ligieux et littéraire, La Gazette catholique. Ce fait montre bien les progrès de la religion catholique en Angleterre.

Les conversions individuelles se multiplient. On citait ces jours-ci celle de M. Benjamin Borke, un sollicitor bien connu dans le monde judiciaire en Angleterre, et celle de lady Gibson, dont le mari, fils de lord Askbour­ne s'est converti il y a quatre ans.

Suisse: un président catholique du Conseil national. - La vieille intolérance calviniste se meurt en Suisse. Le Conseil national à Berne vient d'élire un président catholique. Le catholicisme grandit dans tou­tes les villes de Suisse. A Genève, il formera bientôt la majorité de la po­pulation.

Action de grâces et Memento. - Une de nos abonnées a obtenu par la prière au Sacré-Cœur un établissement avantageux pour son frère. Elle nous prie d'exprimer ici sa reconnaissance.

Nous recommandons aux prières de nos lecteurs deux de nos abonnés défunts: Mgr Mathieu, archiprêtre de Saint-Quentin et Mme Ve Gram­maire, de Chaumont.

CHRONIQUE (Février 1897)

I. ROME

Nous ne pouvons pas omettre de reproduire en tête de cette chronique l'ode du Pape à la France, bien que nos lecteurs l'aient déjà eue sous les yeux dans les journaux.

C'est un document capital pour la doctrine de cette Revue, qui est toute consacrée au règne de Jésus-Christ.

«Dieu est le maître des nations: Gentium custos Deus est». C'est le thè­me de cette ode. Et le Pape nous montre la France s'inclinant avec Clo­vis devant son roi divin qui lui donne la victoire, et marchant de succès en succès et de progrès en progrès tant qu'elle est fidèle au Christ.

La France chrétienne triomphe avec Pépin le Bref et Charlemagne, vainqueurs des Lombards, avec les croisés, avec Jeanne d'Arc, avec la Ligue. Elle est la protectrice séculaire des chrétientés d'Orient.

Qu'elle prenne garde cependant, sa gloire pourrait s'éclipser et sa ci­vilisation se corrompre. Mais les souvenirs de Reims vont l'éclairer et lui rendre sa ferveur et sa loyauté envers le Christ.

- Il faut relire ce chant épique dans les beaux vers de Léon XIII, qui sont un des plus beaux morceaux de la littérature chrétienne.

Nous les donnons avec leur traduction:

Vivat Christus, qui diligit Francos!

Vive le Christ qui aime les Francs!

OB MEMORIAM AUSPICATISSIMI EVENTUS

QUUM FRANCORUM NATIO

PRAEEUNTE CLODOVEO REGE

SE CHRISTO ADDIXIT.

Gentium custos Deus est. Repente

Sternit insignes humilesque promit;

Exitus rerum tenet atque nutu

Temperat aequo.

Teutonum pressus Clodoveus armis,

Ut suos vidit trepidos perieli,

Fertur has voces iterasse, ad astra

Lumina tendens:

Dive, quem supplex mea saepe conjux

Nuncupat Jesum, mihi dexter adsis;

Si juves promptus validusque, totum

Me tibi dedam.

Illico excussus pavor: acriores

Excitat virtus animos; resurgit

Francus in pugnam; ruit, et cruentos

Disjicit hostes.

Victor i, voti Clodovee compos,

Sub fugo Christi caput obligatum

Pone; te Remis manet infulata

Fronte sacerdos.

Ludor? en slgnis positis ad aram

Ipse rex sacris renovatur undis,

Et cohors omnis populusque dio

Tingitur amne.

Roma ter felix, caput o renatae

Stirpis humanae, tua pande regna;

Namque victrices tibi sponte lauros

FRANCIA defert.

Te colet matrem; tua major esse

Gestiet natu: potiore vita

Crescet, ac summo benefida Petro

Clara feretur.

Ut mlhi longum libet intueri

Agmen heroum! Domitor ferocis

Fulget Astolfi, plus ille sacri

Juris amator.

Remque Romanam populantis ultor;

Bis per abruptas metuendus alpes

Irruit, summoque Petro volentes

Asserit urbes.

Laetus admiror Solymis potitas

Vindices sancli lumuli phalanges:

Me Palacstinis renovata campis

Prœlia tangunt.

O novum robur celebris puellae

Castra perrumpens inimica! turpem

Calliae cladem repulit Joanna

Numine freta.

O quot illustres animae nefanda

Monstra Calvini domuere, gentem

Labe tam dira prohibere fortes

Sceptraque regni!

Quo feror? tempus redit auspicatum

Prisca quo virtus animis calescat.

Ecce, Remensis ciet atque adurget

Corda triumphus.

Gallicae gentes, jubaris vetusti

Ne quid obscuret radios, cavete;

Neve suffundat malesuadus error

Mentibus umbras.

Vos regat Christus, sibi quos revinxit:

Obsequi sectis pudeat probrosis;

Occidat livor, sociasque in unum

Cogite vires.

Saecla bis septem calor actuosae

Perstitit vitae renuens perire:

Currite ad Veslam1): novus aestuabit

Pectore fervor.

Dissitis floret magis usque terris

Gallicum nomen: populis vel ipsis

Adsit cois Fideique sanctae

Vota secundet.

Nil Fide Christi prius: hac adempta

Nil diu felix. Stetit unde priscae

Summa laus genti, manet inde jugis

Gloria Gallos.

LEO XIII

TRADUCTION

EN MÉMOIRE DU TRÉS HEUREUX ÉVÉNEMENT

QUI AMENA LA NATION DES FRANCS,

A LA SUITE DE SON ROI CLOVIS,

A SE CONSACRER AU CHRIST.

Le Maître des nations, c'est Dieu. Soudain il abat les puissants, il exalte les humbles; il tient dans sa main les événements, il les gouverne au gré de sa justice.

On dit que Clovis, accablé par les armées teutonnes, voyant ses soldats éperdus de­vant le péril, s'est écrié les yeux levés au Ciel:

«O Dieu, toi que Clotilde dans ses prières appelle souvent Jésus, sois-moi propice! Si tu m'accordes un prompt et puissant secours, je me donnerai à toi sans réserve!».

L'effroi se dissipe aussitôt; les âmes réconfortées reprennent une nouvelle ardeur; le Franc se retrouve pour le combat: il s'élance et disperse ses cruels ennemis.

Vainqueur, ton vœu est comblé. Va, Clovis, tu l'as promis, incline ta tête sous le joug du Christ! A Reims t'attend le Pontife, le front ceint de la mitre.

Est-ce un rêve? Les étendards entourent l'autel, le roi lui-même est purifié par l'eau sainte; l'armée entière et le peuple sont baptisés dans l'onde sacrée!

O Rome trois fois heureuse! Reine de l'humanité régénérée, étends ton empire; car voici que la France vient d'elle-même déposer à tes pieds les lauriers de ses victoires.

Elle t'honorera comme une mère; elle sera fière d'être ta file première-née; elle grandira par un principe de vie supérieur, et sa fdelité au Pontife suprême la portera à la gloire.

Que j'aime à contempler la longue série de ses héros! Le vainqueur du farouche Astolphe brille au premier rang, pieux champion du droit sacré,

Vengeur de Rome contre celui qui l'avait dévastée. Deux fois il s'élance redoutable à travers les sommets escarpés des Alpes, et il garantit au successeur de Pierre des villes qui se donnent elles-mêmes.

Quelle joie d'admirer ces phalanges, maîtresses de Jérusalem, qui ont délivré le saint Tombeau! Quelle émotion de suivre leurs expéditions répétées dans les plaines de la Pa­lestine!

O puissance inouïe de cette noble enfant qui force les camps ennemis! Jeanne, soute­nue par Dieu, a écarté de la France les hontes de la défaite.

O légions d'âmes vaillantes qui ont terrassé l'hydre du calvinisme et préservé par leur énergie, d'un affreux désastre et la nation et son trône!

Mais, où suis-je emporté? Voici que reviennent les temps heureux où l'antique vertu réchauffe les âmes; voici que le triomphe de Reims excite et presse tous les cœurs.

Peuple de France, prends garde que rien ne vienne obscurcir l'éclat de ton passé glo­rieux, et que l'erreur aux perfides conseils, ne répande ses ténèbres dans les esprits.

Que le Christ soit votre Roi, ô vous qu'Il s'est attachés! Honte à qui se fait l'esclave de sectes infâmes! Périssent les haines parmi vous! et que toutes vos forces unies ne for­ment plus qu'un faisceau.

Quatorze siècles durant, l'ardeur de votre vie si active a persisté, se refusant à mou­rir; revenez aux rive de la Vesle2) et vos cœurs s'enflammeront de nouveau.

Jusque sur les terres lointaines le nom français devient chaque jour plus puissant. Aux peuples de l'Orient eux mêmes qu'il soit secourable et qu'il seconde l'expansion de notre foi sainte:

La foi au Christ est au-dessus de tout. Sans elle pas de prospérité durable. C'est par elle que s'est élevé si haut l'antique honneur de votre nation; c'est par elle aussi que la gloi­re de la France restera immortelle.

LÉON XIII

Paroles du Saint-Pere. - A l'occasion des fêtes de Noël et du nou­vel an, le Saint-Père a revendiqué plus fermement que jamais les droits du Christ et de l'Eglise.

Il a rappelé aux cardinaux toute l'œuvre de son pontificat, en la quali­fiant à bon droit d'œuvre restauratrice. Il a fait tout ce qui dépendait de lui pour relever et restaurer la société chrétienne. C'est, dit-il, l'un des buts qu'il a poursuivis avec le plus d'amour. Et ce n'est pas dans des vues étroites et intéressées qu'il l'a fait, mais c'est par un dévouement réel pour les peuples qu'il a voulu les ramener à la source du vrai progrès et de la prospérité en les ramenant au Christ et à l'Eglise.

Mais pour exercer toute son action bienfaisante à l'égard des peuples, l'Eglise a vraiment besoin que sa liberté soit garantie par l'indépendance politique de son chef.

Le Pape est à la tête de trois cent millions de catholiques. Il a nécessai­rement autour de lui les représentants des nations. Il ne peut pas être su­jet, il doit donc être roi. Peut-on concevoir les nations accréditant des ambassadeurs auprès d'un sujet du roi d'Italie?

Aussi la situation de Rome est de plus en plus intolérable. L'Eglise poursuit ses progrès à travers le monde. Des nations plus nombreuses ont des représentants auprès du Pape. Des établissements religieux nou­veaux, séminaires, couvents, universités, sont fondés à Rome avec des éléments cosmopolites. Et tout ce monde n'a pas le droit de voir le Pape au beau soleil de Rome! Il ne peut pas aller même à Saint Jean de La­tran qui est sa cathédrale!

Tout cela est anormal et ne peut être que la conséquence passagère d'une révolution. Aussi le Pape le redisait à ses quelques soldats fidèles du Vatican: «La monarchie piémontaise ne doit pas s'imaginer que tout est fini parce que la révolution a duré vingt-cinq ans. Plus on avance et mieux on voit que la situation doit changer. Le Pape aura besoin de sol­dats dévoués pour protéger son indépendance; ils les trouvera. Les zoua­ves d'autrefois reviendront, et d'autres se joindront à eux».

Un fait providentiel. - C'est le Saint-Père lui-même qui l'a racon­té. Une pieuse religieuse, encore pleine de santé il y a quelques mois, a offert sa vie à Dieu pour prolonger celle du pontife providentiel qui gou­verne l'Eglise. Dieu a daigné accepter le sacrifice, et la pieuse religieuse est morte.

Que de leçons dans cet événement! Dieu nous manifeste sa Providen­ce sur son Eglise et sa conduite toute particulière sur nos pontifes. Il nous montre en même temps la puissance des prières et des sacrifices of­ferts pour l'Eglise et pour le prochain. Redoublons de ferveur dans la prière et le support des croix pour l'Eglise et pour son chef.

II. FRANCE

Le Vœu au Sacré-Cœur. - Voici déjà le 25e anniversaire du vœu national, proposé à la France par quelques fervents catholiques au 18 janvier 1872, et agréé par la nation entière. Dans sa belle lettre pastora­le, le cardinal Richard nous rappelle les encouragements donnés à cette œuvre par son saint prédécesseur le cardinal Guibert et par les deux pontifes qui se sont succédé sur la Chaire de Pierre, Pie IX et Léon XIII.

«Vous avez eu une sainte et lumineuse pensée, disait le cardinal Gui­bert aux initiateurs du vœu national en 1872, en vous adressant au Cœur miséricordieux de Jésus… Vous désirez qu'un temple dédié au Sacré-Cœur s'élève dans Paris, qui n'en possède aucun autre sous ce ti­tre. Ce temple, dans votre pensée, doit être un monument d'expiation, et la France entière sera appelée à contribuer à cette œuvre par les dons des fidèles. En même temps ce sanctuaire deviendrait devant Dieu l'ex­pression d'une supplication générale pour que les jours de nos épreuves soient abrégés et adoucis et que, du Cœur si aimant de l'adorable Ré­dempteur des hommes, sorte notre régénération, spirituelle et temporel­le. Rien n'est plus chrétien ni plus patriotique qu'un tel vœu».

Pie IX a béni l'œuvre du Vœu national à son début. Léon XIII l'a bénie de nouveau en 1891, lorsqu'on a pris possession du sanctuaire pour y établir le culte divin, et c'est alors qu'il prononça ces belles paro­les: «Nous avons la confiance assurée que le Christ Notre-Seigneur gar­dera dans la foi et sous la protection divine de pareils adorateurs de son Cœur sacré». Et il ajouta ce conseil paternel:

«Notre vœu le plus cher est de voir les catholiques de France, après qu'ils ont manifesté d'une manière si éclatante leur piété dans la con­struction de l'eglise du vœu national, s'unir enfin d'une manière énergi­que et constante pour défendre la cause de la religion catholique dans leur patrie……

Et le beau temple votif après vingt-cinq ans est près de s'achever. La grande coupole s'élève, la décoration intérieure se fera. Les catholiques de France renouvellent leur vœu et continuent à fournir leurs offrandes. Redisons avec Léon XIII: «Nous avons la confiance assurée que le Christ Notre-Seigneur gardera dans la foi et sous la protection divine de pareils adorateurs de son Cœur sacré».

Tous nos amis et tous les vrais amis du Christ et de la France vou­dront donner à leur nouvel hommage au Sacré-Cœur un caractère parti­culièrement social. C'est un acte public et social d'hommage qu'il faut offrir au Christ roi des nations. Mgr l'évêque de Périgueux en a bien tra­cé le caractère dans une lettre à son clergé.

«Dieu étant, nous dit-il, le premier auteur de la société, comme il l'est des individus qui la composent, a sur elle un domaine souverain. Lor­sque le Rédempteur est venu sur la terre, Dieu le Père, qui l'envoyait pour rappeler au genre humain ses devoirs envers son Créateur, conféra au Verbe incarné, comme l'avait prédit le Psalmiste, un pouvoir supre­me sur tous les hommes et sur tous les peuples. C'est cette royauté sociale de Jésus-Christ, qu'ont voulu confesser le 2 août 1891, les fervents catholi­ques qui réunis à Périgueux devant le très saint Sacrement exposé, l'ont proclamé chef suprême du Périgord et Roi social et temporel de la France. En ver­tu de cet ordre de choses la société comme l'individu, ne peut remplir ses devoirs envers Dieu qu'à la condition d'être fidèle à Jésus-Christ. Elle doit donc être chrétienne, non pas en ce sens que la distinction entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel soit méconnue, mais en ce sens que la société, comme telle, doit reconnaître et respecter les lois de Jésus­Christ, et être imprégnée dans tous ses rouages, même les plus infimes, de l'esprit de l'Evangile…».

Avec Mgr l'évêque de Périgueux, nous proposons à nos lecteurs non pas seulement pour le 18 janvier, mais comme un acte à relire de temps en temps, par exemple au premier vendredi de chaque mois l'acte d'hommage public suivant:

«O Christ Jésus, Fils du Dieu vivant, vrai Dieu et vrai homme dans l'Hostie sainte qui se cache dans ce tabernacle; au milieu de cette ville indifférente plutôt qu'hostile, nous voulons former par notre réunion une cité chrétienne qui reconnaisse et acclame vos droits souverains sur la société tout entière et plus particulièrement sur notre patrie».

«Nous le voulons avec Jeanne d'Arc qui vous a donné en toute pro­priété cette terre de France, nous le voulons pour obéir au désir de votre divin Cœur que vous avez daigné révéler à votre servante la bienheu­reuse Marguerite-Marie. Ne regardez ni notre indignité ni notre petit nombre, mais seulement la bonne volonté qui nous anime».

«Donnez-nous de voir acclamer votre royauté sociale sur la France, dans ce sanctuaire de Montmartre qui s'èléve conformément à votre de­mande».

Les noces d'argent de l'Œuvre des Cercles. - Vingt-cinq ans d'apostolat, c'est une longue étape et il y a lieu d'en remercier Dieu. C'est ce que fait l'Œuvre des Cercles.

Le R. P. du Lac nous a rappelé d'une manière gracieuse les commen­cements de l'Œuvre:

«Mes amis, lorsque après avoir passé le pont des Saints-Pères et tra­versé le premier guichet qui donne sur la place du Carrousel, vous pre­nez le trottoir de droite, n'oubliez pas de regarder les grandes fenêtres du palais du Louvre. L'avant-dernière, au rez-de-chaussée, éclaire un appartement qui était, il y a vingt-cinq ans, le petit salon des aides de camp du général de Ladmiraut. Le général était alors gouverneur de Pa­ris et par là même commandant de l'état de siège longtemps maintenu après la Commune. De ses aides de camp, l'un était le futur président de notre œuvre, le marquis de la Tour du Pin, l'autre était le comte Albert de Mun, son futur secrétaire général, et l'on peut dire que tous deux en furent les fondateurs avec le concours de plusieurs d'entre vous. On peut même dire que si les premières bases de l'Œuvre furent jetées dans la cellule du vénérable M. Maignen, c'est au Louvre qu'elles furent le plus souvent discutées».

M. de Mun nous a retracé l'action de l'Œuvre et son influence; «Sans doute, nous n'avons fondé que dix cercles, au lieu de vingt, dans Paris, et tous n'ont pas, dans la masse ouvrière, le rayonnement et l'action que nous rêvions pour eux; sans doute aussi, dans la province, malgré le rapide développement de nos fondations, toutes n'ont pas la surface et l'influence que nous leur voudrions, et, dans la classe élevée, les dévouements actifs et persévérants nous font trop souvent défaut!». «Cela est vrai: nous n'avons point transformé, par nos cercles, l'état moral et social de notre pays».

«Mais nous avons, par notre Œuvre, exercé sur lui une influence profonde, et déterminé, dans les idées, dans les méthodes, dans les faits, un mouvement qui ne s'arrêtera plus».

«La conception des Œuvres sociales, fondées sur le rapprochement des classes et sur l'association professionnelle, s'est emparée de tous les esprits; la nécessité des réformes commandées par le justice et réalisées par l'action corporative s'est imposée à toutes les intelligences; la vieille doctrine de l'individualisme social a été vaincue, et de toutes parts, des œuvres, idées et groupements d'hommes plus ou moins entraînés par le courant démocratique de notre temps, mais toutes dominées par le prin­cipe fondamental posé par notre Œuvre, il y a vingt-cinq ans, et sortant d'elle comme de la source commune, les ruisseaux et les torrents descen­dent des sommets.

«Ces œuvres, ces associations, elles couvrent la France…».

«Et je n'ai parlé que de la France! Voulez-vous franchir les frontiè­res? Demandez aux catholiques d'Italie, d'Allemagne, d'Autriche, de Suisse et de Belgique ce qu'ils pensent de notre action et du mouvement déterminé par notre œuvre, dans les esprits et dans les faits! Lisez leurs écrits, leurs programmes, leurs manifestes, tous pénétrés des idées que nous défendons depuis vingt-cinq ans, et, si vous doutez quelquefois de vous-mêmes, si vous souffrez d'être méconnus, calomniés ou travestis, l'hommage venu des nations voisines vous consolera de cette amertume……

«Nous avons semé des idées. Qu'importe que la tourmente ait effacé nos traces, ou que la dure indifférence ait, un moment, glacé notre es­sor?».

«Amis, la moisson se lève riche et puissante! Quand sera-t-elle mûre et qui en fauchera les gerbes fécondes? je l'ignore, mais je sais, et cela suffit à notre récompense, que la récolte préparée par nos mains sera cueillie, un jour, pour la gloire de Dieu et le salut de notre pays…». Oui, c'est bien par l'influence de cette grande œuvre que l'action so­ciale chrétienne s'est organisée en France et même en Europe. C'est à cette œuvre que les nations chrétiennes devront surtout leur salut dans la crise contemporaine.

III. AUTRES PAYS

L'organisation catholique en Italie. - Cette organisation fait des progrès rapides sous l'impulsion de Léon XIII. Elle a pour centre le Co­mité central des congrès. Elle comprend des Comités provinciaux, dio­césains, paroissiens.

Elle a ses Missi dominici, ses promoteurs ou inspecteurs. Dans les pro­vinces centrales, un prélat des plus distingués, Mgr Radvi-Tedeschi va de ville en ville, accompagné de quelque représentant laïque du comité romain. Il réunit le clergé et les hommes d'œuvres, il constitue les comi­tés diocésains et paroissiaux et leur explique leur champ d'action: la bonne presse, le catéchisme, les caisses de crédit rurales et urbaines, les associations agricoles, les fêtes chrétiennes.

Il est temps que nos comités centraux et diocésains s'organisent aussi plus pratiquement, si nous ne voulons pas être écrasés bientôt par le so­cialisme.

Angleterre: les progrès du catholicisme. - Le Souverain Pontife, qui prend un vif intérêt au développement de la religion catholique en Angleterre, s'est fait rendre compte du nombre de conversions au catho­licisme dans ces derniers temps. Du document qui a été soumis au Pape, il appert que dans le cours des quinze derniers mois, quinze mille per­sonnes ont été reçues dans le sein de l'Eglise catholique, dont deux mille dans le seul diocèse de Westminster.

La dernière conversion annoncée est celle de sir W. - L. Young, riche baronnet du comté de Buckingham, qui a fait son abjuration la semaine dernière, entre les mains du R. P. Leslie, de la Compagnie de Jésus. Que sont auprès de ces milliers de convertis les quelques apostats que re­crute de loin en loin le protestantisme? La qualité chez eux est encore in­férieure à l'infime quantité, à telles enseignes qu'un spirituel dignitaire anglican disait en parlant d'eux: «Je voudrais bien que lorsque le Pape nettoie son jardin, il s'abstînt de jeter ses immondices dans le nôtre».

Actions de grâces et recommandations. - La belle guérison obte­nue au sanctuaire de Notre-Dame de Fresneau (Drôme) et dont le récit a été donné dans le supplément de cette Revue, spécial à Fresneau, ne s'est pas démentie.

Le fait est tout à fait analogue à celui qui a donné naissance à ce pèle­rinage au XVIIe siècle. C'était alors une jeune fille de Marsanne, la fille d'un tailleur de pierres qui a été guérie de la cécité. Au 10 septembre dernier, c'est encore la fille d'un tailleur de pierres et marbrier du Teil qui a retrouvé la vue. Son père reconnaissant prépare un ex-voto en marbre qu'il portera lui-même au sanctuaire. La jeune fille travaille dans un atelier du Teil.

Nos lecteurs peuvent se procurer des notices sur Notre-Dame de Fre­sneau, des médailles et des images en écrivant au R. R. Supérieur des Chapelains de Fresneau, par Marsanne (Drôme).

Nous recommandons aux prières de nos lecteurs quelques associés dé­funts: M. Marchal, curé de Bruyères (Aisne), Mme A. Guérin, de Saint­Quentin, M. Ch. Legrand, élève de l'Institution Saint Jean de Saint­-Quentin.

CHRONIQUE (Mars 1897)

I. ROME

Le Pape. - Deux fois en quelques jours nous avons eu le bonheur de le voir.

Le 22 janvier à midi nous étions à ses pieds. Nous étions quatre, et le contraste est à signaler. Il y avait là les représentants de l'industrie mo­derne, de l'aristocratie chrétienne, des grands Ordres religieux et des Congrégations récentes: M. Harmel, le chef de l'action sociale catholi­que en France, un gentilhomme espagnol devenu un homme d'œuvres dans le département de la Charente, le R. P. Jules, franciscain, commis­saire du Tiers-Ordre, et le prêtre du Sacré-Cœur.

Léon XIII était assis, nous l'entourions à genoux. Nous étions heu­reux comme des poussins auprès de leur mère, et lui semblait contem­pler dans ce petit groupe une vision de l'avenir.

N'avait-il pas là en raccourci la société chrétienne qu'il veut former: l'industrie chrétienne, l'aristocratie consacrant au service du peuple ce que le passé lui a laissé de prestige et de fortune, le Tiers-Ordre devenu l'âme de toutes les œuvres, les Ordres religieux anciens et nouveaux se dévouant ensembre à la formation de la démocratie chrétienne pour ré­tablir le règne de Jésus-Christ?

Et quand nous parlions des œuvres populaires, le Pape se redressait, son regard devenait plus vif, ses traits se rajeunissaient de vingt ans; son amour pour le Christ, pour l'Eglise, pour le peuple, réchauffait son cœur et en précipitait les battements.

Ah! ceux qui le donnent comme amoindri par l'âge, comme diminué dans son intelligence et sa volonté, se trompent bien. Ce sont tous les en­nemis de la papauté, tous ceux qui se rebiffent contre les directions pon­tificales, qui propagent ces bruits insultants pour notre Père bien-aimé.

Le Saint-Père savait que je faisais à Rome des conférences sur les de­voirs des catholiques dans la crise sociale actuelle. Il m'en parla de lui-même dès que j'arrivai à ses pieds et il m'encouragea.

Je n'ai pas d'autre but d'ailleurs dans ces conférences que de mettre bien en relief les doctrines des encycliques pontificales. A Rome comme ailleurs il faut du temps pour que ces enseignements pénètrent dans les séminaires, dans les universités, dans le programme des cours de philo­sophie, de droit et de théologie. Et cependant la crise sociale s'aggrave rapidement. Si nous ne nous hâtons pas, comme le dit Léon XIII, nous arriverons trop tard pour conjurer d'épouvantables catastrophes. Je sens cela vivement et j'ai voulu le dire à l'assistance d'élite qui veut bien sui­vre à Rome mes conférences. Je parlai au Saint-Père de notre Congréga­tion, de son but intime, dévouement et réparation au Sacré-Cœur, et de nos œuvres extérieures qui consistent surtout dans l'apostolat populaire, missions populaires dans plusieurs diocèses, Soissons, Poitiers, Valence, œuvres du Val-des-Bois, chapelles de secours dans des quartiers popu­laires à Saint-Quentin et à Bruxelles, et un collège à Saint-Quentin. Je lui parlai aussi de nos missions, de celle du Brésil, où nous sommes char­gés d'une nombreuse population ouvrière à Pernambuco, de celles de l'Equateur, qui sont interrompues par la révolution.

Le Saint-Père s'informa alors de notre nombre, puis il me dit avec une grande bienveillance: «Je vous bénis de tout cœur, n'en doutez pas». Et il ajouta: «Il faut vous dévouer au peuple par la prédication et par les œuvres. Enseignez les droits de chacun, des patrons et des ouvriers. Dé­tournez le peuple du socialisme».

M. Harmel parla alors longuement au Saint-Père du mouvement dé­mocratique chrétien en France, de cette action sociale inspirée par les encycliques pontificales, des revues qui en sont les organes, des congrès qui en attestent la vitalité.

Le Pape savait que j'avais pris part au congrès de Lyon, il m'en de­manda des nouvelles; je ne pus lui en donner que de très bonnes. Ce congrès a été le plus vivant, le plus nombreux et, je crois, le plus fruc­tueux de cette année.

M. Harmel demanda alors au Saint-Père de bénir et d'encourager les unions démocratiques ouvrières qui se sont constituées à Reims et le prochain congrès de Marseille. Tout lui fut accordé.

Puis on parla longuement du Tiers-Ordre de saint François, de ses progrès en France, des congrès qu'il a tenus et de l'influence qu'il aura pour la régénération sociale, si on l'organise enfin selon son esprit véri­table, comme une association virile et agissante.

On sent que c'est là une des pensées chères au Saint-Père. Il s'anime en en parlant. Il espère que le Tiers-Ordre sera un puissant facteur du renouvellement. Il voudrait voir aussi les diverses branches du grand or­dre franciscain s'unir en une famille puissante pour exercer une plus grande influence.

Nous parlâmes alors de l'organisation des catholiques, de l'action du clergé et de notre projet de répandre en France le beau discours de Mgr Radini-Tedeschi, qui montre la nécessité de cette action du clergé. Le Saint-Père est très au courant de l'organisation qu'il a lui-même suscitée en Italie. Il nous cita les noms du président général, M. Paganuzzi, et des divers présidents régionaux. Il exprima tout particulièrement sa con­fiance en Mgr Radini-Tedeschi.

Je soumis au Saint-Père la pensée qu'une organisation semblable des catholiques en France par comités régionaux, diocésains et paroissiaux, si elle était prescrite par le Saint-Siège, produirait de grands fruits. Le Pape réfléchit et son hésitation semblait dire: «J'ai déjà demandé aux Français tant de choses qu'ils ne font pas».

Enfin M. Harmel parla du projet de reprendre les pèlerinages ou­vriers. «Ah! reprit le Saint-Père, les pèlerinages ouvriers!» et son beau visage s'illuminait. Il se rappelait les émotions qu'avaient causées à son cœur de père les beaux pèlerinages ouvriers de 1889 et de 1891. «Mais, dit-il, à mon âge je ne puis plus guère leur faire de discours». «Cela n'est pas nécessaire, dit M. Harmel, il leur suffira de vous voir, de voir leur père pour être heureux». «Eh bien! dit le Pape, qu'ils viennent. Je leur dirai la messe à Saint-Pierre». Ils viendront donc et M. Harmel va s'occuper d'amener quelques trains de pèlerins au mois d'août.

Nous aurions pu prolonger encore ce délicieux entretien qui durait dé­jà depuis trente-cinq minutes, mais nous avons craint de fatiguer le Saint-Père. Nous lui avons demandé de bénir toutes nos intentions, nos familles, nos œuvres, nos amis, nos bienfaiteurs. Il le fit avec bienveil­lance et comme nous nous retirions après avoir baisé ses pieds, il nous dit encore: «Allez, il faut sauver la France, cette nation nous est très chère».

Ces audiences du Vicaire de Jésus-Christ sont des heures de lumière et de bénédiction dans une vie. Les premiers chrétiens se plaçaient sur le passage de saint Pierre pour que son ombre au moins vînt les toucher et les guérir. J'ai vu souvent aussi au sortir du Vatican de pieux fidèles au visage tout illuminé et les larmes dans les yeux. C'est que l'ombre du successeur de saint Pierre les avait touchés.

Au 2 février, deuxième audience. Le Saint-Père reçoit l'offrande du cierge des basiliques, des collégiales, des collèges et des communautés re­ligieuses de Rome. Je passe à mon tour vers midi. Le Pape me parle en­core de mes conférences et de M. Harmel. «Vous continuez vos confé­rences, c'est très bien. M. Harmel est parti. Il doit tenir des réunions à Florence, à Milan. à Turin. Et vous, vous restez encore. Continuez, fai­tes des conférences, je les bénis. Faites de la propagande».

Ces paroles alternaient avec mes réponses. Léon XIII s'était animé. Il désire tant cette propagande, cet apostolat qui doit populariser ses ensei­gnements, ses directions.

Maintenant donc, à l'œuvre, ramons et jetons les filets sous la direc­tion de Pierre et la pêche sera heureuse.

II. FRANCE

Les directions du Pape. - Le Pape nous a prescrit en politique l'ac­ceptation des gouvernements établis, en économie sociale les réformes démocratiques. On a beaucoup hésité à le suivre en France où tant de catholiques sont encore, et presque sans s'en douter, imbus des idées gallicanes, régaliennes et libérales.

Cependant la marche en avant s'accentue rapidement. L'élection de l'abbé Gayraud au 24 janvier marque une étape importante. Voilà tout un grand diocèse en Bretagne dont le clergé est absolument acquis aux idées pontificales. Les autres diocèses suivront.

Les congrès de cette année ont bien manifesté le même courant. Ceux qui avaient une teinte conservatiste ont eu beau réunir les personnalités les plus vénérables, ils n'ont pas été populaires. Ils n'ont pas obtenu le concours ni même la présence des hommes du peuple à leurs réunions les plus solennelles. D'autres, comme le congrès ouvrier de Reims et le con­grès démocratique de Lyon ont montré que la démocratie chrétienne était la seule force capable de gagner le peuple et de faire échec aux so­cialistes. Les catholiques qui en douteraient n'ont qu'à lire ce qu'ont écrit les journaux socialistes et radicaux à l'occasion de ces congrès. L'organisation de la démocratie chrétienne est pour ces journaux le point noir. Ils sentent que c'est par là que le peuple peut leur échapper.

Le Pape a donc vu l'avenir en prophète et les catholiques qui lui rési­stent retardent le règne du Christ.

Consécration et hommage au Sacré-Cœur. - Nos maisons, nos appartements doivent être marqués du signe de la prochaine victoire.

L'œuvre de Montmartre propage les plaques d'hommage et de sauve­garde du Sacré-Cœur. On peut se procurer des plaques coloriées fort gracieuses pour un franc en s'adressant à Mme Sommier, chez les Reli­gieuses franciscaines à Romorantin (Loir et Cher). On fait en même temps une bonne œuvre en faveur d'une école congréganiste.

La dîme. - Elle est bien lourde aujourd'hui parmi les nations d'Eu­rope, en France tout particulièrement. On sait que notre budget est de trois milliards quatre cents millions. En comptant la journée de travail à 3 fr. 40, cela représente un milliard de journées de travail humain absor­bées par le fisc. Il faudrait dix millions d'ouvriers donnant cent jours de travail pour assurer pareille somme. C'est à peu près ce que nous avons en France, puisqu'on n'y compte guère plus de dix millions d'électeurs, y compris les vieillards et les infirmes. Il faut donc que la France travaille le tiers de l'année pour le fisc avant de travailler pour vivre. On com­prend qu'elle n'ait plus guère le temps de se reposer le dimanche.

On comprend aussi que le Pape ait protesté dans l'Encyclique contre l'excès de charges et d'impôts que la plupart des nations modernes imposent aux populations.

III. AUTRES PAYS

Italie. - Le mouvement social chrétien en Italie est très actif et il est plus uniforme et plus organisé que chez nous. Il a des chefs éminents et incontestés, M. Paganuzzi pour l'action, M. Toniolo, M. Medolago et quelques autres pour les études. Les réunions diocésaines et paroissiales sont fréquentes.

M. Toniolo, professeur de droit à Pise et sociologue éminent vient donner à Rome des cours et des conférences. M. Harmel est accueilli en Italie comme un maître, il donne des conférences à Rome, à Florence, à Milan, à Turin. Des caisses de crédits sont établies depuis Venise jusqu'à Palerme.

Les prêtres encouragés par le Pape se mettent à ces études. Le terme de «démocratie chrétienne» n'épouvante personne en Italie. Il n'expri­me qu'un régime social où les hommes du peuple ont leur part légitime d'action sociale et obtiennent les sympathies particulières de l'Eglise, de l'Etat et des classes plus élevées, selon l'esprit de l'Evangile.

Puissions-nous montrer autant de bon sens et d'esprit vraiment évan­gélique en France et en Belgique.

Australie. - Le premier prêtre catholique vint en Australie en 1798. La première organisation régulière des missions en Australie date de 1820. Dix ans plus tard, en 1830, l'Australie fut érigée en vicariat apo­stolique. En 1834, le vicariat fut changé en diocèse et Mgr Spolding fut son premier titulaire. En 1842, il fut élevé au rang de métropolitain.

Aujourd'hui, l'Australie compte cinq sièges métropolitains et treize évêchés suffragants. Les catholiques y sont au nombre d'environ huit cent mille, soit le quart de la population blanche. La majorité des catho­liques est d'origine irlandaise.

Sidney est la ville primatiale. Elle compte quatre cent cinquante mille âmes. Son archevêque, Mgr Moran, est le premier cardinal des régions océaniennes. Sidney compte six paroisses, deux couvents et plusieurs collèges et écoles catholiques.

Etats-Unis. - Les Pères Paulistes obtiennent par leurs missions de nombreuses conversions aux Etats-Unis, parmi les protestants et même parmi les juifs, et dans tous les rangs de la société. Ils ont gagné à l'Egli­se catholique des commerçants, des industriels, des lettrés. Parmi les plus récents convertis, on signale un général, un gouverneur de provin­ce, un juge et le premier ministre de l'Eglise luthérienne allemande. Celui-ci, même a l'intention d'entrer dans un ordre religieux pour deve­nir prêtre.

Ne nous contentons pas de louer le zèle des Paulistes, mais prions ar­demment pour le succès de leurs travaux apostoliques.

Neuvaine recommandée:

Neuvaine de la Grâce à saint François Xavier. - A Naples, en dé­cembre 1633, S. François Xavier apparut au P. Marcel Mastrilli, mor­tellement blessé par la chute d'un lourd marteau qui lui était tombé de plus de cent pieds de haut sur la tête. Le P. Marcel n'avait plus que quel­ques instants à vivre, quand le Saint, à qui il était fort dévot, se mon­trant à lui tout rayonnant de gloire, lui fit faire le vœu d'aller au japon pour y recevoir le martyre et le guérit subitement. Il lui assura en même temps que tous ceux qui, durant neuf jours, du 4 au 12 mars, anniversaire de sa canonisation, imploreraient chaque jour son assistance auprès de Dieu, se confesseraient et communieraient pendant la neuvaine, ressen­tiraient infailliblement les effets de son crédit, en obtenant de Dieu tout ce qu'ils demanderaient pour leur salut et pour sa gloire. Mastrilli partit bientôt après, et, passant par Rome et par Madrid, il raconta lui-même au pape Urbain VIII et au roi d'Espagne, Philippe IV, ainsi qu'à toute sa cour, ce grand miracle dont le bruit s'était déjà répandu partout. A peine arrivé au japon, il fut arrêté et condamné au tourment de la fosse, qu'il endura pendant quatre jours, après lesquels il eut la tête tranchée (Voir P. Croiset, Année chrét., mars).

La Neuvaine a été dès lors pratiquée en tous lieux avec une efficacité telle qu'on lui a donné le nom de Neuvaine de la Grâce.

La Prière suivante est celle-là même que récitait le P. Mastrilli; elle peut donc être considérée comme la prière propre de la neuvaine. «Saint très aimable et plein de charité, j'adore respectueusement avec vous la Majesté divine, et parce que je me complais singulièrement dans la pensée des dons particuliers de la grâce qu'elle vous a départis pen­dant votre vie, et de ceux de la gloire après votre mort, je lui rends de très ferventes actions de grâces, et je vous supplie de tout mon cœur de m'obtenir, par votre puissante intercession, la grâce si importante de vi­vre et de mourir saintement; je vous supplie de m'obtenir aussi (désigner la grâce particulière qu'on veut obtenir); et si ce que le demande n'est point se­lon la gloire de Dieu et le plus grand bien de mon âme, obtenez-moi ce qu'il y a de plus conforme à l'un et à l'autre».

3 Pater - 3 Ave - 10 Gloria Patri

«O Dieu qui, par la prédication et les miracles du bienheureux François, avez voulu réunir à votre Eglise les nations des Indes, faites­moi la grâce d'imiter les vertus de celui dont nous révérons les mérites et la gloire: Par Notre-Seigneur Jésus-Christ…». Ainsi soit-il.

CHRONIQUE (Avril 1897)

I. ROME

Le Saint Père. - Il est toujours vaillant, quoi qu'on dise. Chaque semaine, quelque journal méchant ou naïf le dit malade. En attendant, il se porte fort bien. Il donne des audiences journellement, il préside aux offices de la Sixtine.

Comme il est bon et affable pour tous ses visiteurs, évêques et person­nages influents! Il a retenu M. de Mun cinq quarts d'heures auprès de lui. Il s'informe de tout, il veut être renseigné sur toutes les questions po­litiques et sociales qui agitent l'opinion. Il invite ordinairement les évê­ques à revenir le voir une seconde fois. Ces jours-ci, il exprimait à plu­sieurs le désir de les revoir encore au mois de mai aux grandes fêtes des canonisations. Mais il reçoit avec une effusion toute particulière ceux de ses visiteurs qu'il sait être bien dociles à ses directions. Il voit si bien que là est le salut, et il déplore si amèrement les divisions qui nous font per­dre un temps si précieux!

Dieu nous le conserve par un acte de miséricorde tout providentiel. Sachons profiter de ses sages conseils.

Le Saints du Sacré-Cœur. - Le Sacré-Cœur de Jésus veut être glo­rifié dans ses Saints, dans les Saints qui l'ont particulièrement honoré et aimé.

La cause de béatification de Mme Barat, la fondatrice des Dames du Sacré-Cœur, est en bonne voie. C'est une joie pour les amis du Sacré­Cœur de voir le nom de cette illustre servante de Notre-Seigneur sur les murs des basiliques de Rome dans le texte d'un décret préparatoire à la béatification.

Le Saint-Père désire aussi que la cause de canonisation de la Bse Marguerite-Marie soit poussée avec activité. Il serait heureux de pou­voir célébrer cette canonisation. Ce sera là un grand pas en avant pour le règne du Sacré-Cœur. Hâtons-le par nos prières!

II. FRANCE

L'art et les lettres glorifiant le Christ. - La réception de M. Costa de Beauregard à l'Académie formait un heureux contraste avec tant de solennités littéraires où l'on ne glorifie que le théâtre et le roman dans leurs manifestations les plus sensuelles et les plus frivoles. L'œuvre de M. Costa de Beauregard est en tous points saine et honnête. Son style est français plutôt que parisien. Ses ancêtres littéraires sont Joseph de Mai­stre et de Bonald. Que n'avons-nous à l'Académie tout un cénacle d'hommes de ce caractère pour refaire l'esprit national de la France!

En répondant à M. de Beauregard, M. Hervé rappelait les gloires lit­téraires de la Savoie. Il citait Dupanloup, Joseph et Xavier de Maistre et François de Sales, il louait celui-ci d'avoir contribué à la formation de la langue française en nous la présentant dans sa jeunesse et sa fraîcheur.

Enfin, l'Académie française a rendu justice à saint François de Sales, qui a contribué plus que personne à la formation de notre belle langue! C'en est fini de la légende de Boileau, qui ne reconnaissait que Marot, Ronsard et Rabelais pour les pères de la langue française. Les petits vo­lumes de saint François de Sales ont eu une diffusion considérable. Ils étaient dans toutes les mains, et ils ont contribué pour une grande part à l'uniformité de la langue.

L'art chrétien va-t-il aussi reprendre un peu d'éclat? La centralisation napoléonnienne a été depuis un siècle le plus grand obstacle au dévelop­pement de l'art et des lettres en France. La Sorbonne et l'École des Beaux-Arts donnaient le ton. Elles-mêmes recevaient de l'État une di­rection assez étroite. Nous avons eu l'art officiel et la philosophie officiel­le. Il y fallait peu d'initiative privée et encore moins de sentiments chré­tiens. L'esprit religieux, qui a été dans tous les siècles la plus noble pas­sion et la source la plus riche de toute inspiration littéraire et artistique était écarté a priori.

Le mouvement littéraire et artistique de la Restauration a montré ce qu'aurait pu être ce XIXe siècle, un grand siècle chrétien. Il a dévié complètement. Espérons que le XXe siècle reprendra la voie glorieuse de l'inspiration chrétienne.

Un petit essai de mouvement artistique chrétien se manifeste à Paris. Un salon, une exposition d'art chrétien a lieu rue des Saints-Pères. C'est la Société de Saint Jean qui en prend l'initiative. Puisse le courant deve­nir assez puissant pour renverser toutes les digues officielles!

L'hommage d'une commune au Sacré-Cœur. - Dans le Morbi­han, à Concoret, le conseil municipal a eu l'heureuse idée de consacrer la commune au Sacré-Cœur. C'était là un crime aux yeux de l'intelli­gent sous-préfet de Ploërmel. Il fit appeler le maire de Concoret et lui fit les observations que l'on peut deviner. Le maire offrit sa démission. Le conseil municipal s'empressa de le réélire à l'unanimité. Nos félicitations à la vaillante commune de Concoret.

On sait que nous avons quarante-neuf préfets ou sous-préfets juifs, soixante-six préfets ou sous-préfets protestants, et le reste ne vaut pas mieux. Pauvre France!

Madagascar. - La grande île était entièrement sous la coupe des protestants. Il a suffi de lui rendre un peu de liberté pour qu'elle se re­tourne vers le catholicisme. Les écoles catholiques, dirigées en grande partie par des Frères et des Sœurs, avaient l'an dernier 30.000 élèves. Elles en ont cette année 65.000. Les deux principales races des habitants de l'île, les Malgaches et les Betsileos, se montrent très sympathiques aux écoles catholiques. L'île entière sera vite catholique si notre gouver­nement, inféodé aux Loges, n'arrête pas bêtement l'essor des conver­sions.

III. AUTRES PAYS

La Crète. - Il était réservé à cette fin de siècle de voir l'Europe coa­lisée pour défendre les Turcs oppresseurs et assassins contre les chrétiens opprimés et massacrés. La diplomatie est dans la plupart des nations chrétiennes aux mains de la franc-maçonnerie, cela explique tout. Les gouvernements ne pouvaient rien faire de plus nuisible à leur crédit et de plus favorable à l'esprit de révolution.

La lutte del Crétois contre les Turcs a son côté chevaleresque qui rap­pelle nos légendes épiques du moyen âge. Voici un trait dont le récit pourrait s'intituler: «Le Roi des Montagnes».

Le principal chef des insurgés en Crète est le moine grec Papamale­kos. Il est aussi le plus populaire: tous les chrétiens de la Crète le con­naissent et le vénèrent. Depuis cinq ou six ans, il vit sur le mont Ida, ir­réductible, tenant la croix d'une main et de l'autre le fusil, se nourris­sant du lait et des provisions qu'il achète aux bergers, ne descendant dans un village que pour tuer un Turc coupable d'assassinat ou de viol. Aussi, sa tête a-t-elle été mise à prix plusieurs fois, mais jamais Papama­lekos n'a été pris ou livré, tant ses coreligionnaires veillent avec soin sur sa sécurité.

C'est un homme d'environ quarante ans, aux traits énergiques, d'un courage à toute épreuve.

Papamalekos est originaire de la Crète. Il est entré dans l'ordre fondé par saint Basile à l'âge de seize ans. Mais à chaque insurrection il quit­tait son couvent pour aller faire le coup de feu. Ce n'est que depuis peu, cependant, qu'il est devenu le chef des protestataires contre le régime des musulmans.

Grâce à sa qualité de moine, il exerce une grande action sur la foule. Avec leur esprit essentiellement religieux, les populations de ce pays croient que les balles n'ont point de prise sur lui. Son éloquence simple et touchante lui vaut d'ailleurs beaucoup de prestige et de considération. Papamalekos s'est donné la mission de prêcher la guerre sainte contre l'Islam, et il la prêche avec une ardeur infatigable, ce qui ne l'empêche pas d'être très bon, même pour ses ennemis. C'est ainsi que l'année der­nière, lorsque se produisit un mouvement insurrectionnel, toujours on le vit protéger les Turcs blessés. Et une fois qu'il les avait touchés avec sa croix, les chrétiens considéraient ces musulmans comme sacrés.

Quant à sa bonté envers ses coreligionnaires, elle est légendaire dans toute la Crète. Papamalekos, qui appartient à une famille riche, a doté de nombreuses jeunes filles du pays avec son propre argent.

Il semble que ce moine-soldat imite l'exemple donné en 1867 par le prieur du couvent d'Arcadion. On se rappelle, en effet, la défense oppo­sée par les moines de ce couvent célèbre où s'étaient réfugiés plus de deux mille chrétiens.

Ce fut le prieur Gabriel qui mit lui-même le feu à la poudrière du mo­nastère plutôt que de se livrer aux Turcs.

Les femmes elles-mêmes, habillées comme les Palikares - fez, corset soutaché or ou argent, fustanelle blanche, avec la chlamide en guise de surtout - armées d'une carabine à répétition et d'un sabre à baïonnette, livrèrent aux Turcs plusieurs combats meurtriers. Chose cu­rieuse: leur porte-drapeau était une religieuse. Sur ce drapeau, aux cou­leurs helléniques, avec la croix grecque d'un côté et de l'autre l'image de la Panaïa (vierge couronnée d'étoiles), elles avaient inscrit ces deux devi­ses: «Dieu a choisi les faibles pour confondre les forts». Et «Il a abaissé les puissants et élevé les humblés».

Italie: la banqueroute des écoles sans Dieu. - L'école laïque, com­me partout ailleurs, fait banqueroute en Italie. M. Gianturco, le mini­stre de l'instruction publique, vient d'écrire à un professeur la lettre sui­vante, dont la portée n'a pas besoin d'être mise en relief.

«Monsieur le professeur,

«… Savez-vous à quelles conclusions je suis arrivé? De revenir à un point cardinal de nos anciennes croyances. J'ai de la peine à me désa­vouer moi-même, mais j'éprouve de la joie à proclamer la vérité. A la Chambre, j'ai appelé les écoles libres des sources d'ignorance, j'ai conda­mné acerbement l'enseignement privé! Je m'étais fait l'écho des opi­nions qui ont cours dans notre camp».

«Eh bien! je reconnais que les écoles libres donnent une meilleure éducation et une meilleure instruction que les écoles de l'Etat. Il est im­possible que tu supposes que je parle par aigreur, passion, représailles. Je suis parvenu à cette persuasion non par les sifflets et les tumultes des étudiantes de nos écoles: je suis au-dessus; mais parce que les sifflets et les tumultes m'ont induit à examiner si par hasard ils n'avaient pas leur origine dans l'enseignement de l'Etat».

«La vérité est que l'enseignement officiel est fondamentalement cor­rompu. Je prépare une loi qui donnera la liberté d'enseignement la plus large. L'Etat aura le seul rôle de protéger les maîtres et les élèves; l'Egli­se aura la mission de fixer les limites au delà desquelles il n'y a ni vrai ni juste; la science pourra se développer dans l'immense champ de l'ordre matériel et moral. Ils m'appelleront réactionnaire, clérical, l'Italie me bénira, parce que, par cette innovation, je la peuplerai d'hommes, tan­dis qu'actuellement l'Italie n'engendre que des… tels que tu les connais.

«GIANTURCO»

Rome, 7 février 1897

Belgique: Socialisme et anarchie. - Il y a certainement des sociali­stes qui sont de doux idéologues et d'autres qui sont de purs politiciens et qui n'ont de socialiste que le nom. Mais la plupart des vrais socialistes n'ont pas d'antipathie pour les groupes révolutionnaires et anarchistes, au contraire. Les communards comptent parmi les saints de leur calen­drier. Ils attendent l'heure favorable pour leur élever des statues. En at­tendant, ils célèbrent chaque année avec une verve lyrique les glorieux anniversaires de la Commune.

Voici, par exemple, le pathos que l'approche du mois de mars inspi­rait ces jours-ci au journal belge «Le Peuple»:

«Tous ceux dont le régime actuel meurtrit la chair ou révolte l'âme, tous ceux qui, résolus à ne pas laisser étouffer leurs revendications par quelques bribes de réformes tronquées et illusoires, sont épris d'un idéal nouveau, tous ceux qui veulent édifier une société meilleure, exclusive­ment fondée sur le travail, l'amour et la justice, seront d'avis avec nous que c'est, pour tous les socialistes du monde, un devoir sacré d'honorer la mémoire des héros de l'épopée parisienne; ils brûlèrent de la même flamme que nous; nous ne sommes que les continuateurs de la même foi; ils sont morts, les yeux emplis de la même vision qui fait luire les nôtres; et si leur sang répandu n'a pas cimenté la victoire finale, il a fait se lever les générations d'aujourd'hui, pour continuer leur œuvre, en organi­sant et en solidarisant tous les prolétaires du monde».

Les otages n'ont qu'à bien se tenir et les monuments publics à se garer du pétrole.

Espagne: une idée chrétienne. - Un journal de Madrid, Il siglo futuro émettait récemment cette pieuse proposition: «Dans les circonstances criti­ques où elle se trouve, l'Espagne devrait, comme a fait la France en 1871, se vouer au Sacré-Cœur. L'initiative devrait venir des pouvoirs publics. L'épi­scopat s'empresserait de donner son appui à cette résolution».

Nous pensons aussi que ce serait là le salut pour l'Espagne.

Nous rappelons à nos abonnés et particulièrement aux ecclésiastiques que le R. P. Procureur de notre maison de Rome peut se charger de pro­curer les faveurs qu'on obtient d'ordinaire en cour de Rome: bénédic­tions pontificales pour une famille, pour des fiancés, pour une première communion, pouvoirs de bénir les croix et chapelets, d'imposer les sca­pulaires, autels privilégiés, distinctions honorifiques, etc., etc. - Adres­se: R. P. Barthélemy, procureur des Prêtres du Sacré-Cœur, Via di Monte Tarpeo, 54, à Rome.

CHRONIQUE (Mai 1897)

I. ROME ET L’EGLISE

Le mouvement catholique en Italie. - Le réveil du mouvement ca­tholique en Italie s'accentue de jour en jour. Tous les journaux catholi­ques en Italie ont chaque jour, sous cette rubrique. «Movimento cattoli­co», - «Risveglio cattolico», le récit de quelque fondation d'œuvre ou réunion de comité.

Ce mouvement reçoit de Rome l'impulsion la plus efficace, celle de l'exemple. Conformément au désir plusieurs fois manifesté par le Saint­Père, l'organisation des comités paroissiaux est maintenant complète à Rome. Un prélat particulièrement distingué, Mgr Radvi-Tedeschi, a pris la plus grande part à ces fondations.

Il a été fondé depuis un an en Italie quatre cent vingt-cinq de ces co­mités paroissiaux, reliés par le moyen des comités diocésains et régio­naux au Comité central permanent de l'Œuvre des congrès catholiques. Il y a là les éléments d'une action bien ordonnée, qui s'inspire des direc­tions du Souverain Pontife.

Le réseau des Caisses rurales se complète chaque jour. L'Italie en pos­sède maintenant près de six cents. Ce sera pour les petits cultivateurs l'affranchissement du juif et de l'usure. La Lombardie, le Piémont et la Vénétie ont commencé l'organisation de ces Caisses rurales sous la di­rection d'un prêtre zélé, don Luigi Cerutti. C'est maintenant le tour de l'Italie centrale et de la Sicile, où presque chaque jour une œuvre nou­velle est établie.

Il faut signaler aussi à Rome la nouvelle Association des commerçants et industriels, fondée par Mgr Germano Straniero, sur le modèle des an­ciennes corporations. Elle a beaucoup de rapports avec notre Union fra­ternelle du commerce et de l'industrie, mais les liens en sont plus étroits.

L'organisation corporative se relèvera à Rome plus facilement même que chez nous. Les corporations ont été supprimées ici comme ailleurs à la fin du XVIIIe siècle à cause de leurs abus et sous l'influence de l'opi­nion, mais elles ont survécu en partie à titre de confréries. Ce n'était plus le beau temps où tous leurs syndics siégeaient au palais municipal et contribuaient à l'administration communale comme en témoignent en­core les inscriptions que l'on peut lire sur les portes du palais du Capito­le; mais les confréries gardaient au moins une union morale et chrétien­ne et des institutions d'assistance mutuelle.

L'esprit d'association est resté vivace à Rome. Pie IX y a d'ailleurs re­levé les corporations dès 1852, avant que les autres nations de l'Europe n'y aient songé. Des coopératives et mutualités y surgissent en grand nombre, il est juste que les catholiques ne restent pas en retard.

Il faut signaler aussi l'essor que prennent les bureaux du secrétariat du peuple. Plusieurs ont été fondés à Rome et l'Œuvre des comités va les propager dans les principales villes d'Italie.

Rome a des cercles catholiques pour les diverses classes de la société. Le cercle Saint-Pierre et le cercle de l'Immacolata réunissent les jeunes gens des classes influentes. Le cercle de Saint-Joachim, dirigé par le comte Catermi, le cercle Léonin au Borgo, et d'autres sont fréquentés par les ouvriers et les employés. Le cercle Saint-Sébastien et l'Associa­tion universitaire catholique sont tout dévoués aux œuvres d'études so­ciales. L'éminent sociologue Toniolo leur prête son concours.

L'œuvre des retraites pour les hommes du monde, les jeunes em­ployés et ouvriers est aussi en bonne voie. Le Saint-Père a prêté pour ce­la les dortoirs des pèlerins établis dans les parvis de Saint-Pierre. Mgr Radvi-Tedeschi donne les exercices spirituels avec le concours des jésui­tes; des Sœurs de Charité pourvoient au matériel.

Enfin, l'œuvre des catéchistes volontaires est admirablement dévelop­pée en plusieurs paroisses. Les dimanches et jeudis, on peut voir les nefs des églises remplies d'enfants, disposés par petits groupes avec de pieux tertiaires qui leur enseignent la doctrine chrétienne. Des jeunes gens s'occupent des garçons, des dames ou demoiselles enseignent les filles. Le clergé paroissial préside et surveille.

Rome qui possédait dans le passé plus d'œuvres qu'aucune autre ville au monde se met aujourd'hui aux œuvres nouvelles pour répondre aux besoins nouveaux de la société.

L'union des églises. - Cette grande œuvre est en bonne voie. Léon XIII a désiré voir au moins le commencement d'un mouvement de re­tour des églises schismatiques vers l'unité. La Providence a exaucé ses vœux. Le mouvement s'étend à toutes les églises séparées et il s'accen­tue. Les conversions se multiplient parmi les protestants, surtout en An­gleterre et en Amérique. La lettre des évêques anglicans en réponse au décret du Pape sur les ordinations anglaises est un grand fait historique. L'épiscopat anglican étudie la question, il la discute avec courtoisie. L'épiscopat catholique d'Angleterre va lui répondre, la victoire restera à la vérité.

Pour l'Orient, l'ensemble du mouvement de conversions était résumé ces jours-ci dans une belle conférence donnée par le cardinal Jacobini à l'Académie de religion.

1° Le rétablissement du patriarcat d'Alexandrie pour les Coptes a ra­mené plusieurs milliers de monophysites en Egypte à l'union avec l'Egli­se romaine; et c'est aussi ce qui rendit possible la mission de Mgr Ma­kaire auprès du souverain des Coptes d'Abyssinie; 2° Mgr Ebed-Jesu Khayyath, patriarche des Chaldéens, a reçu l'abjuration en masse de plusieurs villages de nestoriens; 3° Mgr Joussef, patriarche des Grecs­Melchites, a ramené à l'union six mille schismatiques et prépare un apo­stolat de plus en plus efficace par l'envoi au collège grec de Rome des lé­vites de son patriarcat; 4° Mgr Benham Benni, patriarche des Syriens catholiques, a converti beaucoup de Syriens jacobites, parmi lesquels l'évêque de Diarbékir; 5° Mgr Azarian, patriarche des Arméniens ca­tholiques, qui a su déployer tant de zèle et de charité au milieu des tristes vicissitudes de la nation arménienne, est devenu non seulement le refuge de ses nationaux persécutés, mais aussi le bon pasteur qui recherche les brebis dispersées; et c'est ainsi qu'il a ramené à l'unité catholique des villages entiers d'Arméniens monophysites.

Chaque jour d'ailleurs apporte des nouvelles du même genre. Mais il faudrait de grandes ressources pour fonder dans ces pays d'Orient des paroisses et des écoles catholiques! Le Saint-Père s'attristait ces jours-ci encore en voyant qu'il ne pouvait pas seconder suffisamment ce mouve­ment. Que les âmes généreuses lui envoient donc de belles offrandes avec cette destination spéciale!

Le krach de l'anticléricalisme en Europe. - Sous ce titre, M. l'ab­bé Kannengieser donnait récemment dans une revue un article intéres­sant sur lé désappointement de l'anticléricalisme en Europe.

L'Allemagne a dû renoncer au Kulturkampf et Bismarck est allé à Ca­nossa. La Belgique a réformé sa loi scolaire. L'Angleterre revient à l'en­seignement confessionel. L'Italie en voudrait faire autant. Son ministre de l'Instruction publique proclame que les écoles sans Dieu ont pour ef­fet de remplir les prisons. En France, les lettrés reconnaissent la banque­route de la science sans Dieu, la banqueroute de l'école sans Dieu.

Aujourd'hui l'Europe entière est obligée de proclamer la banqueroute de la diplomatie sans Dieu. L'entente des nations est stérile en Orient. Elle est le jouet du Grand-Turc. Elle assiste impassible à l'écrasement des chrétiens, quand elle n'y contribue pas elle-même.

L'humanitarisme, qui avait la prétention de supplanter le vieux droit chrétien, est donc, lui aussi, en état de faillite déclarée. Le droit interna­tional s'est sécularisé au point de répudier tout idéal juridique, toute rè­gle supérieure, tout sentiment d'humanité, et de se réduire au dogme épicier de l'équilibre européen. Les questions de justice sont supprimées; il n'y a plus entre les nations que des questions de poids et de contre­poids.

Le divorce de la politique et de la morale même naturelle est consom­mé. La maxime favorite de Cavour: «En politique, ne me parlez jamais de morale», prévaut aujourd'hui partout. On peut voir par ce qui se passe sous nos yeux ce que les peuples y ont gagné. Les pages qui s'écri­vent actuellement dans les Annales diplomatiques de l'Europe, sont des pages honteuses comme il ne s'en rencontre guère dans le passé. Cette lâche insensibilité devant le sang répandu, ces rivalités égoïstes qui se ja­lousent et s'épient, cette souffrance des peuples, due à la froideur calcu­lée de la diplomatie, soulèvent dans tous les cœurs chrétiens et droits une indignation aussi violente que justifiée.

L'histoire contemporaine continue donc d'écrire la providentielle apologie du christianisme. En démontrant l'inanité de toutes les solu­tions qui prétendent se passer du Christ, elle établit, du même coup, la nécessité de retourner au Christ pour les nations comme pour les indivi­dus.

Les déconvenues libérales préparent une réaction. Le XXe siècle se­ra un siècle de réveil catholique.

II. FRANCE

Le parlement. - Pauvre parlement! Il est bien malade en ce moment. Les histoires de Panama le déconsidèrent. Il y aurait eu, dit-on, plusieurs ministres corrompus et corrupteurs. On cite M. Burdeau, M. Rouvier et M. Barbe, et avec eux un bon nombre de députés et de sénateurs.

Est-ce à dire pour cela qu'il ne faille plus de députés, de sénateurs et de ministres? Non, mais il n'en faut plus comme ceux-là. Il ne faut plus de chambres et de gouvernement sans conscience, de représentants sou­tenus et dirigés par la franc-maçonnerie.

Et le moyen, me direz-vous! Le moyen, le Pape nous l'indique depuis des années. Il faut que les catholiques s'unissent sur le terrain constitu­tionnel; qu'ils aillent au peuple et qu'ils l'instruisent, et qu'ils devien­nent eux-mêmes un parti de gouvernement, au lieu de rester un parti d'opposition monarchique.

Il n'y a pas que les panamistes, qui soient de trop à la Chambre, il y a aussi les politiciens, très nombreux dans le groupe socialiste et dans le groupe radical, qui n'ont pas un programme raisonné, qui interpellent sans cesse dans l'espoir de renverser les ministres quels qu'ils soient et de prendre leur place, et qui rendent ainsi le parlement absolument stérile. Que de lois utiles attendent des années dans les cartons de la Chambre sans aboutir jamais!

Nous pensons sincèrement que le pays vaut mieux que la Chambre , et que si les catholiques font tout leur devoir, ils arriveront rapidement à la direction des affaires.

Le péril clérical. - Il y a un grand émoi dans le camp radical. M. Bourgeois, l'ancien président du Conseil, signale le péril clérical. M. Delpech, sénateur de l'Ariège signale le péril clérical. Tous les journaux du parti signalent le péril clérical.

Qu'est-il donc arrivé? Peu de chose. Les catholiques se soumettent un peu mieux qu'auparavant aux directions du Saint-Siège, qui sont dictées par le bon sens autant que par l'intérêt de l'Eglise. Ils commencent à s'unir sur le terrain constitutionnel et ils prennent en mains les intérêts de la démocratie chrétienne; et tout de suite le peuple se tourne vers eux. Un revirement commence à s'opérer dans les élections. Quelques prê­tres même vont arriver à la Chambre. Comment arrêter cela?

On va se hâter de fermer quelques chapelles. Mais l'efficacité d'un pa­reil remède est bien douteuse. Ce moyen est bien usé et fort peu populai­re. En somme, si les catholiques montrent un peu de bon sens, s'ils ou­blient leurs querelles de partis et s'unissent sur le terrain constitutionnel, la victoire leur est assurée dans un avenir prochain.

III. AUTRES PAYS

Angleterre: la loi scolaire. - La nouvelle loi scolaire, qui va être mise en vigueur en Angleterre, est encore une conquête pacifique des ca­tholiques anglais, et un nouvel acte de justice accompli envers eux par le gouvernement et le parlement de la Grande-Bretagne.

Cet acte est une suite logique et rationnelle du grand acte de l'Eman­cipation des catholiques, dont le Bill a été voté par le Parlement le 31 mars 1829, sous le ministère du duc de Wellington.

Après l'émancipation politique et religieuse, les catholiques vont donc obtenir l'émancipation scolaire. Les catholiques seront ainsi, en Angle­terre, sur le même pied que les anglicans pour la jouissance de tous les droits politiques et civils.

D'après cette loi, le gouvernement alloue des subsides à toute école qui aura un certain nombre d'élèves, sans distinction de religion. Les écoles catholiques auront leur part. Les pères de famille sont pleinement libres d'envoyer leurs enfants aux écoles de leur choix et d'en ouvrir de nouvelles. C'est la véritable école paternelle et chrétienne qui va prendre son plein développement.

N'est-il pas attristant de voir en face d'une nation protestante si équi­table pour l'enseignement catholique, des gouvernements catholiques qui laïcisent les écoles et en écartent toute influence de la famille et de la religion!

Espérons qu'à défaut de l'esprit de foi, l'exemple d'une nation schi­smatique fera comprendre à nos gouvernements les droits des familles et la nécessité de l'éducation religieuse.

Autriche: les élections: l'église du Sacré-Cœur. - L'Autriche va avoir au parlement un centre catholique. Ce succès est dû au zèle ardent de M. Lueger, qui a été bien secondé pendant plusieurs années par un nonce éminent, aujourd'hui cardinal, Mgr Agliardi.

Après la Belgique et l'Allemagne, voici l'Autriche qui se réveille de l'erreur gallicane et qui comprend que la vie politique a besoin d'être as­saisonnée par le sel de la religion.

Quand donc aurons-nous en France un groupe catholique constitu­tionnel, qui puisse prendre au parlement une influence prépondérante? L'Autriche emploie aussi, pour se relever, les moyens surnaturels. El­le élève, à l'aide d'une souscription nationale une église votive au Sacré­-Cœur. Puisse le Sacré-Cœur de Jésus grouper un jour toute l'Europe chrétienne dans une vaste fédération! Ce serait l'aurore du règne de Jésus-Christ dans le monde entier.

Belgique: La ligue des paysans. - La ligue catholique des paysans, ou le Bœrenbond, comme l'appellent les flamands, est une œuvre admira­ble. C'est une fédération de syndicats paroissiaux, mais avec un cachet vraiment religieux. Nos lois absurdes et contraires à la nature autorisent les syndicats et leur fédération, mais à la condition qu'il n'y sera que­stion ni de morale ni de religion.

C'est M. l'abbé Mellaerts qui est l'âme de cette ligue en Belgique. Il compte déjà plus de vingt mille familles associées à la ligue. Le nombre en a doublé depuis un an. Ces familles sont groupées en plus de trois cents corporations paroissiales.

Le bureau central de la ligue fournit aux associations locales des mar­chandises diverses, machines, semences, engrais, matières alimentaires. Le chiffre d'affaires est déjà d'environ deux millions.

La ligue sert aussi d'intermédiaire pour la fondation des coopératives, pour l'assurance du bétail et l'assurance contre l'incendie. Elle a une caisse centrale de crédit pour soutenir des caisses rurales qui s'élèvent déjà au nombre de quatre-vingt-six et qui délivrent le paysan de l'op­pression usuraire qu'il subissait.

La ligue a une publication mensuelle qui tient ses membres au cou­rant des progrès agricoles.

Il y a là tout un ensemble d'institutions qui rattachent les paysans à l'apostolat catholique, et qui les préserveront du socialisme.

CHRONIQUE (Juin 1897)

I. ROME

La Rome papale et la Rome italienne. - Les dernières fêtes pasca­les ont mis particulièrement en relief le caractère toujours papal et co­smopolite de Rome. Trente mille étrangers étaient venus, non pas pour voir le roi ou la capitale italienne, mais pour vénérer le Pape, assister à ce qui reste des pieuses cérémonies du temps pascal et visiter avec les rui­nes païennes les monuments et les musées de la Rome papale. Un jour­nal peu suspect de cléricalisme, la Gazetta del Popolo le remarquait, et il ajoutait:

«Vraiment, pour éprouver cette curieuse illusion de se trouver hors de la Rome italienne, tout en étant à Rome, il n'y a pas même besoin d'attendre la semaine sainte et de se rendre à Saint-Pierre. Il suffit de se tenir à Rome en dehors de ce bout de rue, de moins d'un demi­kilomètre, qui va de la place Montecitorio à l'hôtel des Postes et Télégra­phes, qui a pour centre le café Aragno (café national). C'est là qu'est condensé tout ce que la monarchie de Savoie a su importer à Rome en vingt-sept ans d'occupation, comme disent les catholiques… Le reste est encore, pour les neuf dixièmes, la Rome papale, avec son appoint d'au­gustes ruines, fantômes survivants de la civilisation païenne… L'attrac­tion irréstible que cette ville incomparable exerce sur le monde entier, y compris les Italiens, est tout à fait indépendante, au moins pour les quatre-vingt-dix-neuf centièmes, de son titre de capitale actuelle de l'Ita­lie».

Pèlerins, étudiants, touristes et artistes, tous viennent ici pour le Pa­pe, pour les sanctuaires anciens et modernes, pour les universités ponti­ficales, pour les œuvres d'art accumulées par les Souverains Pontifes; et qui songerait a venir visiter les ministères, la banque ou les prisons éle­vées par le régime nouveau? Rome est toujours la ville du Pape et le roi peut facilement s'en convaincre, quand il croise à la promenade les pèle­rins, les prêtres et les étudiants dont les chapeaux restent invariablement immobiles.

Les fêtes du mois de mai. - Le beau mois de mai s'est ouvert par les solennités du couronnement de l'Enfant Jésus à la basilique d'Ara Cœli. La dévotion au Bambino Gesù est la dévotion populaire par excel­lence à Rome. L'église de Sainte-Marie in Ara Cœli est construite au sommet du Capitole, sur l'emplacement du temple de Junon, là où était l'ancienne citadelle de Rome, Arx capitolina. C'est là suivant la tradition que l'empereur Auguste eut la vision de la Vierge qui devait enfanter. La grande basilique est majestueuse. Ses colonnes fort variées sont com­me les trophées des anciens temples païens de Rome.

Il y a là une petite statue de l'Enfant Jésus sculptée dans un tronc d'olivier de Gethsémani par un franciscain au XIV° siècle. La statue est miraculeuse. On la porte souvent aux malades, elle en a guéri beaucoup. On la vénère particulièrement au temps de Noël. Au jour de l'Epiphanie on donne avec la petite statue la bénédiction au peuple romain assemblé au pied du grand escalier du Capitole.

On sait que le Chapitre de Saint-Pierre décerne parfois les honneurs du couronnement à quelque image miraculeuse de Marie, cette fois, il a voulu couronner le Bambino Gesù. De là, les grandes solennités: neuvaine préparatoire, offices pontificaux, etc. Le 2 mai, l'église était magnifique­ment tendue de draperies d'or, d'argent, de velours et de soie. Cent lu­stres y mêlaient leurs lumières. Le chœur de la Sixtine donnait ses chants les plus harmonieux et les plus enlevants. Après l'office, le cardi­nal Rampolla posait solennellement sur la tête du Bambino la couronne d'or rehaussée de diamants.

Tout Rome passa ce jour-là à l'Ara Cœli pour vénérer l'Enfant Jésus couronné; et le soir, la grande façade de l'Ara Cœli toute illuminée en­voyait ses joyeux rayonnements à toute la ville. Toutes les rues s'illumi­naient à leur tour. Le captif du Vatican apercevait de ses fenêtres les lueurs scintillantes de la cité, mais il ne pouvait pas, comme faisait Pie IX autre­fois, venir constater par lui-même la dévotion de son peuple de Rome.

Ces jours-ci également, à la fin du temps pascal, on portait solennelle­ment la communion aux infirmes. C'était comme une fête, comme une procession du Saint-Sacrement. Le clergé était suivi dans chaque parois­se par les confréries et par deux cents ou trois cents fidèles, porteurs de cierges. On chantait pieusement. On se serait cru à la Fête-Dieu.

Le 3 mai on clôturait l'année du 8e centenaire des croisades: office ponti­fical à Saint-Croix de Jérusalem, ostension des grandes reliques. La foule se transporta dans cet angle éloigné de la vaste enceinte de Rome.

Enfin, au moment où nous écrivons, on prépare les fêtes de la canoni­sation du B. Pierre Fourier et du B. Zaccaria. La basilique de Saint­Pierre a revêtu sa parure des grands jours. Elle est toute ornée de tentu­res et de lustres. On parle de cinquante mille cierges. Rome n'avait pas vu de solennité aussi grandiose depuis 1870. Léon XIII ne veut pas que les Romains oublient tout à fait ce qu'était leur ville au temps des papes. Il permet qu'on sorte pour un jour du grand deuil qui a déjà duré plus d'un quart de siècle.

La chrétienté. - En parlant du groupement des Etats de l'Europe, on disait autrefois «La Chrétienté», on dit aujourd'hui «Le concert des puissances». Le changement des mots correspond au changement des choses. La chrétienté avait une tête, le Pape, le concert des puissances n'en a pas. La chrétienté avait une fin, la justice et le règne de Dieu sur la terre; le concert des puissances n'a pas de fin commune. Les puissan­ces ont des intérêts et des ambitions, et la difficulté de les concilier peut seule prolonger une paix factice.

Ce concert des puissances aurait pu être la gloire de ce siècle finissant, s'il avait demandé le concours du représentant de la justice suprême et s'il avait eu pour but de promouvoir cette civilisation chrétienne à la­quelle tout l'Occident doit sa grandeur, de protéger les nations faibles contre la convoitise de voisins puissants, et de sauvegarder à la fois la paix et la justice. Les puissances se seraient demandé si l'empire otto­man n'avait pas assez abusé de la force brutale pour opprimer les chré­tiens et elles auraient permis à la Crète de s'unir à la Grèce comme elle le désirait. On a prétendu que cela provoquerait d'autres agitations en Macédoine, pur prétexte pour voiler le désir cynique qu'avaient plu­sieurs puissances de flatter la Turquie pour avoir au besoin son alliance. Le loup a des alliés, mais l'agneau n'en a pas. La diplomatie athée a fait banqueroute à la justice.

II. FRANCE

Vaines discussions: les classes sociales. - On a beaucoup parlé en France depuis vingt-cinq ans des classes appelées dirigeantes, et certains catholiques ont cru que toute la réforme sociale se ferait par elles. Il y avait plus d'une erreur dans ce concept. Et d'abord, il n'y a plus en France de classes proprement dites. Il y a encore des gentilshommes, il n'y a plus une aristocratie. Il y a des conditions de fortune différentes, el­les ne constituent pas des classes sociales. Ces conditions n'ont aucune li­mite fixe ni stable. Tel peut se dire riche aujourd'hui qui sera pauvre l'an prochain, et réciproquement.

On avait le tort de ranger sous le même nom de classes dirigeantes toutes les personnes qui ont une fortune un peu notable. Leurs droits et leurs devoirs sont trop différents. Un patron d'usine a bien d'autres de­voirs qu'un rentier. Il a souvent à remplir des obligations de justice en­vers ses ouvriers, tandis que le rentier n'a guère que des devoirs de cha­rité envers les ouvriers des autres.

L'expression de classes dirigeantes ne valait rien; elle avait de plus le dé­faut d'exclure l'initiative et l'action propre des travailleurs. Léon XIII a bien caractèrisé toutes ces actions diverses, pourquoi nous disputer enco­re? Vous, patrons, vous avez des droits respectables et des devoirs rigou­reux; mais si vos ouvriers se groupent et s'entendent, ils usent aussi d'un droit et même ils accomplissent un devoir de solidarité. Il peut y avoir sans doute des abus dans l'initiative ouvrière, mais n'y en a-t-il jamais eu dans l'action patronale? Respectons tous les droits et cherchons dans un accroissement de vie morale et religieuse le remède à tous les abus.

Le mouvement universitaire chrétien. - Il y a là en France un fait à signaler. On constate dans l'Université de l'Etat un réveil chrétien. L'Ecole Normale supérieure, l'Ecole française de Rome ont des élèves qui ne cachent pas leur foi. Au récent congrès de la Jeunesse catholique à Marseille, les professeurs de l'Université ont bien tenu leur place. On y a remarqué surtout le discours de M. Jean Guiraud sur l'enseignement de la religion et le discours de clôture de M. Imbart de la Tour, profes­seur à la faculté des Lettres de Bordeaux.

M. Ollé-Laprune et M. Goyau sont très connus des catholiques, mais voici quelques autres noms que je signale à ceux qui veulent étudier cette évolution: M. Lachelier, auteur de Psychologie et Métaphysique. - M. Blondel, chargé de cours à Aix: L'action, lettre apologétique sur les exigences de la pensée contemporaine. - M. Delbosc: Le problème moral dans la philosophie de Spinoza. - M. Dumesnil: Le rôle des concepts dans la vie intellectuelle et mo­rale. - M. Borrac: L'idée du phénomène. - Tous ces ouvrages philosophi­ques sont spiritualistes et empreints de l'esprit chrétien. Leurs auteurs sont des catholiques pratiquants. On en pourrait citer d'autres.

Les doctrines matérialistes et impies perdent donc du terrain en Fran­ce. C'est un signe d'éspérance.

III. AUTRES PAYS

Allemagne: L'église du Sacré-Cœur à Berlin; le nouveau code al­lemand. - Le Sacré-Cœur n'avait jusqu'à présent à Berlin qu'une pauvre chapelle. Il y aura bientôt une magnifique église. On en a posé la première pierre le 22 avril. Le plan est du professeur Hehl, de l'Ecole technique de Charlottenbourg. La nouvelle église pourra contenir trois mille personnes. Elle sera entourée d'œuvres paroissiales. On y a déjà construit un ouvroir pour les jeunes filles et une maison de refuge et de placement pour les domestiques. La grande capitale compte maintenant plus de deux cents mile catholiques, elle sera reconquise peu à peu par le Christ sur le schisme luthérien.

Le nouveau code civil allemand vient d'être adopté. Il sera mis en vi­gueur au ler janvier 1900. Il est plus libéral et plus respectueux pour la religion que le nôtre. Il ne réserve pas la faveur de l'existence légale et du droit de posséder aux seules sociétés commerciales, dont le but est l'inté­rêt matériel; il accorde ces droits à toutes les sociétés qui ont un but intel­lectuel ou moral, à la seule condition qu'elles se fassent inscrire au regi­stre des associations du tribunal compétent.

En ce qui concerne le contrat de travail, le nouveau code a des disposi­tions très équitables, celles-ci, par exemple, qui regardent la liberté reli­gieuse et l'assistance des serviteurs malades. Art. 617: «En cas de mala­die d'un domestique de maison, le maître doit lui fournir l'assistance et les soins médicaux nécessaires jusqu'à l'expiration de six semaines, à moins qu'il n'ait été pourvu à l'assistance et au traitement par une assu­rance ou une institution médicale officielle». - Art. 618: «Pour les do­mestiques de maison, en ce qui concerne les locaux d'habitation et les dortoirs, l'entretien et les heures de travail et de récréation, le maître doit prendre lés mesures d'installation et d'ordre nécessaires eu égard à la santé, à la moralité et à la religion du serviteur».

Toutes ces règles du bon sens revendiquées par Léon XIII et par l'école sociale chrétienne finiront par rentrer dans nos mœurs et dans nos lois.

Autriche: l'église du Sacré-Cœur à Vienne; la profession de foi du bourgmestre Lueger. - Vienne aussi élève une église au Sacré-Cœur, non pas une simple paroisse comme à Berlin, mais une église votive comme celle de Montmartre. Les souscriptions abondent. Le Sacré-­Cœur règnera partout, comme il l'a dit.

Le Docteur Lueger en prononçant le serment d'usage à la prise de possession de ses nouvelles fonctions de bourgmestre de Vienne a pro­noncé ces nobles paroles: «C'est en reconnaissant la faiblesse des forces humaines que j'invoque le secours de Dieu. Dans un temps où la foi en Dieu et sa profession publique sont pour plusieurs un objet de mépris, je regarde comme un devoir de déclarer que le serment prêté par moi au­jourd'hui n'est pas pour moi une vaine formule légale, mais une invoca­tion sincère de Dieu à qui tous les hommes doivent être soumis».

Le nouveau président des Etats-Unis, Mac-Kinley, a aussi invoqué le secours de Dieu. A quand le tour de nos hommes politiques français?

CHRONIQUE (Juillet 1897)

I. ROME

Le Saint-Esprit. - Le Saint-Père aime les dévotions anciennes et les plus substantielles. Dix fois il nous a prêché la sainte croisade du Rosai­re, et voilà deux fois qu'il nous invite tout particulièrement à invoquer le Saint-Esprit. Cette dévotion était un peu laissée de côté, et cependant c'est par le Saint-Esprit que nous viennent toutes les grâces de lumière, de vie surnaturelle et de sanctification.

La grâce est l'œuvre du Saint-Esprit. Il est l'epoux de l'Eglise, com­me il est l'époux mystique de Marie. Il est le grand facteur de tous les progrès de l'Eglise et des âmes.

Cette dévotion est connexe d'ailleurs avec la dévotion au Sacré­-Cœur. Le Saint-Esprit est comme le cœur spirituel de Dieu, c'est son amour substantiel. C'est le Saint-Esprit qui a formé le Sacré-Cœur de Jésus. C'est son trône et il y règne en souverain. Le Saint-Esprit est aus­si le don du Sacré-Cœur. Ses grâces nous ont été méritées par les souf­frances et les mérites du Sacré-Cœur de Jésus. C'est par lui que le Sacré-Cœur de Jésus doit régner dans les âmes et dans les sociétés. C'est pour hâter ce règne que le Saint-Père nous invite par sa belle encyclique du 9 mai à prier le Saint-Esprit.

Le deux grandes causes qui ont surtout occupé Léon XIII pendant son glorieux et fécond pontificat sont: la restauration chrétienne de la so­ciété civile et domestique, et la reconstitution de l'unité de l'Eglise. C'est bien là le règne de Jésus-Christ dans l'union et dans la charité. Ce règne ne peut être que l'œuvre du Saint-Esprit. Invoquons-le, non seulement pendant les jours de la Pentecôte, mais encore chaque jour de notre vie selon les intentions de notre bien-aimé Pontife.

Manifestations d'outre-tombe. - Nous ne recherchons pas dans cette Revue les récits extraordinaires, mais quand nous rencontrons des faits surnaturels que l'autorité ecclésiastique regarde comme sérieux, pourquoi ne pas les publier?

Nous avons vu récemment deux manifestations du feu du purgatoire, l'une à Rome et l'autre à Foligno. A Rome, c'est un livre de prières, marqué de cinq trous profonds par les doigts d'une main embrasée. A Foligno, c'est une porte où les doigts et la paume d'une main également brûlante ont laissé une profonde empreinte. Voici l'explication de ces mystères d'outre-tombe.

A Rome, le livre est entre les mains du R. P. Jouet, des Missionnaires d'Issoudun. C'est un vieux paroissien qui était en usage en 1870 dans une famille chrétienne de la Lorraine. Un jeune soldat de cette famille avait échappé à la mort pendant la guerre. Au moment du danger, il avait promis de faire dire une messe pour l'âme la plus délaissée du pur­gatoire. Au retour de la guerre, il oublia sa promesse. L'âme intéressée vint le lui rappeler dans son sommeil. Il fit célébrer la messe, il y assista, et au moment de la communion, l'âme vint poser la main sur son livre et lui dire: «Je suis délivrée». Mais le livre porte l'empreinte profonde des cinq doigts ardents. Le feu a pénétré les pages et y a marqué un trou noir qui va en diminuant à travers l'épaisseur d'une quarantaine de pages. C'est un témoignage saisissant. Les photographies vont en être publiées par le R. P. Jouet avec l'autorisation du Cardinal-Vicaire.

L'autre manifestion d'outre-tombe, dont j'ai vu les traces, a une grande analogie avec celle-là. C'est à Foligno, au monastère des Franci­scaines. Une pieuse religieuse est morte là il y a quelques années. Elle édifiait le couvent dont elle était supérieure. Elle était régulière, zélée et mortifiée, mais elle allait largement en ce qui concernait la pauvreté, surtout pour les vêtements. Après sa mort, on entendit plusieurs fois de longs gémissements à la lingerie du couvent. Elle révéla à une religieuse qu'elle était condamnée à quarante ans de purgatoire à cause de ses manquements à la pauvreté. Mais on se mit en prières au couvent. On multiplia les messes, les mortifications, les pratiques indulgenciées, et bientôt la pauvre âme vint dire que sa peine avait été abrégée et qu'elle était délivrée, et comme témoignage, elle appuya la main sur une porte de la lingerie et la main s'y trouva marquée. L'Evêque fit une enquête et entendit les témoins. Le fait fut reconnu authentique. Les noirs stigma­tes sur la porte s'appellent à Foligno «la main morte» - la mano morta.

J'ai vu «la main morte». Les doigts et la paume sont profondément marqués dans le bois en traces de brûlure. La main de feu tremblait, car le bout des doigts a laissé des traces hésitantes.

Ces témoignages d'outre-tombe donnent bien à réfléchir et leur vue vaut une bonne méditation.

Les guides d'Italie omettent ces pieuses curiosités et bien d'autres. Quand donc aurons-nous des guides catholiques au lieu des livres prote­stants ou rationalistes comme Bedeker et Joanne?

Les pèlerins d'Italie doivent visiter à Foligno la mano morta; et pendant qu'ils seront là, qu'ils aillent jusqu'à Montefalco, à quelques kilomètres de Foligno. Ils trouveront là quelques peintures de l'école ombrienne si­gnalées par Bedeker, mais ils y verront aussi le corps merveilleusement conservé de sainte Claire de Montefalco avec les instruments de la Pas­sion retrouvés dans son cœur après sa mort. Le petit crucifix et les fouets sont là admirablement conformés dans une chair durcie. Les autres in­struments sont, paraît-il, à Avignon.

Et puisque nous sommes à compléter les manuels de voyage en Italie, conseillons aussi à nos lecteurs d'aller voir à Bologne le corps de sainte Catherine. Toute la ville de Bologne leur dira où est la Santa, à l'église du Corpus Domini. La Sainte est là après cinq siècles, assise en un fau­teuil, avec ses membres toujours flexibles, ses ongles roses, ses lèvres re­stées fraîches parce qu'elles se sont posées sur le front du petit Jésus dans une apparition.

Il fait bon d'être prudent pour les choses surnaturelles, mais là où les autorités ecclésiastiques se montrent confiantes, nous pouvons aller nous édifier à leur suite.

II. FRANCE

Le Bazar de la Charité. - Tout a été dit sur cette catastrophe dans laquelle de nobles vies ont été brisées par un épouvantable incendie, dans l'exercice même de la charité. Les journaux impies en ont profité pour blasphémer contre la Providence. Le bon Dieu n'intervient pas mi­raculeusement à chaque instant. Il le fait quelquefois, souvent même. Combien de fois une invocation, un appel à la puissante intervention de Marie préserve des croyants dans un incendie, dans un accident de voi­ture, dans un naufrage! Les ex-voto de tous nos pèlerinages à Marie en portent le témoignage irrécusable.

Parfois cependant Dieu permet que de pieux chrétiens périssent dans l'écroulement d'une église, dans l'incendie d'un hôpital, d'une école ou d'une œuvre de charité. Pouvons-nous demander compte à Dieu de sa Providence? Les catholiques n'ont-ils pas bien des imperfections à ex­pier? Dieu ne peut-il pas leur faire l'honneur de les prendre comme des victimes d'expiation pour un peuple comme il a fait pour son propre Fils?

Le terrible accident a provoqué de nouveaux dons, de nouvelles œuvres. C'est par sa charité que notre nation obtient miséricorde devant Dieu.

Alsace-Lorraine. - L'Alsace est toujours sous le régime de la dicta­ture. Les journaux catholiques de Mulhouse et de Colmar ont été sup­primés pour avoir montré de la froideur à l'occasion des fêtes du cente­maire de l'empereur Guillaume ler. Ils ont pu reparaître cependant sous d'autres noms et en changeant leur rédaction.

C'est par la presse que l'Alsace et la Lorraine conservent leur vitalité catholique. Metz et Strasbourg ont plusieurs journaux catholiques popu­laires. Toutes les villes de moindre importance en ont aussi. Le prote­stantisme gagne beaucoup de terrain par l'immigration allemande, sur­tout dans les grandes villes. Les juifs sont très nombreux. Ils sont les in­termédiaires nécessaires pour les achats de biens et pour les marchés de bestiaux. Ils perdent depuis quelques mois, grâce à la fondation de nom­breuses Caisses rurales, l'influence qu'ils obtenaient par l'usure.

III. AUTRES PAYS

Lombardie. - C'est dans cette province que le réveil catholique est le plus accentué en Italie. Cela est dû en partie au zèle ardent de don Alber­tario, le fondateur de l'Osservatore cattolico. La presse a une influence indi­recte sur toutes les œuvres. Elle forme les âmes. Elle leur imprime un ca­chet, un caractère propre. Elles deviennent généreuses ou intéressées, agissantes ou spéculatives. Don Albertario a fait des âmes catholiques, ar­dentes, agissantes et quand l'heure des œuvres sociales est venue, la Lombardie s'est trouvée prête. Les diocèses de Milan, de Côme, de Ber­game sont organisés. Presque toutes leurs paroisses ont des œuvres, et les catholiques sont les maîtres aux élections administratives. On sait que le Saint-Père interdit aux catholiques italiens de prendre part aux élections politiques. Le Pape est obéi en Lombardie. Les abstentions s'élèvent à 76% des électeurs aux élections politiques et réciproquement les électeurs sont dans la proportion de 79% aux élections administratives.

L'Osservatore cattolico a un beau tirage, il compte 20,000 abonnés. Ses rédacteurs publient aussi un journal populaire hebdomadaire. Bergame et son district méritent des éloges spéciaux. Grâce au comte Medolago, petit-fils de Joseph de Maistre, et au professeur Rezarra, Bergame a une organisation catholique exceptionnelle. Elle a sa maison d'œuvres, qui comprend la banque catholique, le cercle, l'imprimerie du journal quotidien et de la feuille populaire hebdomadaire, un centre de Caisses rurales, de Caisses d'épargne, de conférences, de coopérati­ves agricoles. Bergame a aussi une œuvre de jeunesse, un comité ecclé­siastique d'études sociales. Son Séminaire a un cours de sociologie. Aus­si au Conseil provincial Bergame compte quarante conseillers catholi­ques sur cinquante-deux, et c'est le comte Medolago qui est président.

Milan aussi a introduit des cours de sociologie théorique et pratique à son Séminaire, comme on l'a fait à Innsbruck et à Strasbourg. Quand donc comprendrons-nous cette nécessité?

Tyrol. - Là aussi l'action sociale catholique est intense. L'Universi­té catholique d'Innsbruck a ses cours de sociologie faits par le P. Bieder­Jack, de la Compagnie de Jésus. Le Tyrol a plus de trois cents Caisses rurales de crédit. Innsbruck organise un magnifique centre d'œuvres ouvrières, Arbeiters-Verein, dans l'ancien monastère des Rédemptoristes. Les Caisses rurales du Tyrol sont unies à un syndicat central qui rend de grands services à l'agriculture. Le Tyrol a su se débarrasser des vieilles doctrines joséphistes et libérales. C'est là que la doctrine catholique a son enseignement le plus orthodoxe dans les pays allemands, les univer­sités de Wurtzbourg et de Bonn ayant subi de puissantes influences libé­rales et gallicanes.

C'est une petite Rome. Les professeurs d'Innsbruck sont en général des élèves de l'Université grégorienne. Ils enseignent la grande doctrine scolastique de Rome et ils savent se tenir au courant du mouvement so­cial et scientifique pour la philosophie, l'histoire et la sociologie.

Actions de grâces à saint Antoine de Padoue. - Des époux chré­tiens qui lisent notre chère petite Revue, n'avaient pas la consolation d'avoir un ange à leur foyer. Ils se sont adressés à saint Antoine de Pa­doue et l'héritier est venu apporter la joie qui manquait. Ils nous prient de publier leur reconnaissance.

CHRONIQUE (Août 1897)

I. ROME

Les directions pontificales. - Parmi les personnages, ecclésiasti­ques et laïques, qui ont pris part aux belles fêtes romaines de la canoni­sation, on avait pu saisir des commentaires très variés, discordants mê­me, sur l'interprétation à donner aux directions pontificales. L'écho en était arrivé jusqu'au Saint-Père, au cours de ses nombreuses audiences. Il avait plusieurs fois répondu aux objections qu'il entendait. Ses paroles n'étaient pas toujours rapportées exactement. Il le sut et c'est à cette cir­constance que nous devons la note si claire et cette fois définitive parue dans l'Osservatore romano.

La note se donne comme officieuse, qui pourrait mettre en doute, sans mauvaise foi, cette affirmation de l'organe habituel du Vatican? C'est bien Léon XIII qui a parlé et il ne pourrait le faire en termes plus formels et plus clairs.

Le Pape nous rappelle qu'il n'a pas puisé ses directions dans un senti­ment de politique pure, mais dans les principes de la saine raison et de la doctrine chrétienne.

Il nous permet de garder dans l'ordre spéculatif nos préférences relatives au meilleur système gouvernemental. Il ne nous défend pas de conserver nos sentiments intimes. Mais il nous rappelle que le bien commun impose aux catholiques l'acceptation du gouvernement établi.

Voilà une règle de conscience. Agir autrement, c'est commettre un péché. Ce gouvernement, nous ne devons le combattre, ni de façon di­recte, ni de manière indirecte, ce qui ne nous empêche pas de combattre sa législation et de tâcher de la réformer.

C'est sur le terrain constitutionnel qu'il faut nous placer. Nous enléve­rons ainsi aux persécuteurs le prétexte qui leur a tant servi pour oppri­mer l'Eglise, et nous travaillerons plus efficacement, unis aux citoyens honnêtes de toute nuance, à l'amélioration des lois.

Telles sont les instructions pressantes du Pape. Quelques-uns n'y veu­lent voir que des conseils, soit, mais ces conseils obligent comme des or­dres, parce que le Pape ne fait que nous indiquer là des devoirs de l'ordre naturel lui-même.

La religion est en péril, le Pape nous indique ce qu'il faut faire pour la sauver, à nous d'obéir. Mais combien hélas! s'en dispensent! Les uns re­fusent tout hardiment: c'est l'insubordination ouverte. Les autres fei­gnent la soumission; mais tout en protestant de leur attachement à Ro­me, ils présentent sous un faux jour les conseils du Pape; ils cherchent le plus qu'ils peuvent à éluder les directions pontificales; au lieu de favoriser l'œuvre de pacification religieuse, ils travaillent à créer des difficultés et à semer la défiance, le découragement: c'est la résistance déguisée. Comme on reconnaît bien dans ces lignes du Pape le portrait de toutes les catégories de réfractaires!

Les uns comme les autres, Léon XIII, après avoir exprimé sa surprise et sa douleur, les déclare très coupables. Cette parole ne les fera-t-elle point réfléchir?

L'union des catholiques, c'est le but principal des efforts multipliés du Souverain Pontife. Il nous assigne le mode et le lieu de l'union, le seul possible et pratique actuellement le terrain constitutionnel. Nous espé­rons que le nombre des réfractaires va aller diminuant. La voix du chef de l'Eglise n'aura pas toujours retenti en vain.

II. FRANCE

Démocrates chrétiens. - L'organisation démocratique chrétienne se poursuit, non sans luttes, en France et en Belgique.

Ce qui est étonnant, c'est qu'on discute encore sur la légitimité du gouvernement démocratique. A-t-on oublié les enseignements tradition­nels de l'Eglise et les leçons de l'histoire: Léon XIII nous les rappelait dans l'encyclique sur la liberté en 1888: «Préférer pour l'Etat une consti­tution réglée ou tempérée par l'élément démocratique, reipublicae statum populari temperatum genere, n'est pas en soi contre le devoir: des diverses formes de gouvernement, pourvu qu'elles soient en elles-mêmes aptes à procurer le bien des citoyens, l'Eglise n'en rejette aucune… Pour toutes les libertés civiles exemptes d'excès, l'Eglise eut toujours la coutume d'être une très fidèle protectrice; ce qu'attestent particulièrement les ci­tés italiennes, qui trouvèrent sous le régime municipal la prospérité, la puissance et la gloire, alors que l'influence salutaire de l'Eglise, sans ren­contrer opposition aucune, pénétrait toutes les parties du corps social». Il y a un fait aussi indéniable que ces principes, c'est le progrès quotidien de l'esprit démocratique. Léon XIII nous le disait dans l'encyclique Rerum Novarum, «le peuple a pris une plus grande idée de ses droits». Mgr l'évêque de Liège le répétait dans sa lettre si importante du 14 janvier 1894: «il faut reconnaître l'existence et le développement rapide et irrésistible d'un mouve­ment démocratique universel, socialiste ou non socialiste».

Ce mouvement démocratique universel, c'est le taureau déchaîné, il entraînera et détruira tout, si on ne le saisit par les cornes. C'est ce que comprennent les clairvoyants.

C'est ce qu'a voulu faire Léon XIII par ses lettres encycliques, par les œuvres et institutions sociales qu'il a patronnées, par les pèlerinages ou­vriers. C'est ce que veulent faire les associations démocratiques chrétien­nes et les grands initiateurs qui les poussent.

Il y a là une action nouvelle qui étonne les catholiques traditionnels habitués aux vieilles œuvres et aux anciennes organisations. M. de Mun avait un des premiers sonné le clairon, spécialement par son discours si hardi de Saint-Etienne en 1892:

«L'ensemble de nos revendications, disait-il, doit tendre à assurer au peuple la jouissance de ses droits essentiels, méconnus par le régime in­dividualiste, la représentation légale de ses intérêts et de ses besoins…».

Depuis un an surtout le courant s'accentue. Le discours de M. Lemire à Lyon sur le programme de la démocratie, celui de M. Harmel à Tours, l'article de M. Piou dans la Revue des Deux-Mondes ont fait sensation. Les congrès démocratiques de Reims, de Lyon, de Tours et de Louvain ont montré une vitalité que n'ont plus les réunions des œuvres anciennes.

M. de Mun a bien lancé une note discordante dans ses avertissements aux démocrates. Il y avait quelques conseils de prudence à leur donner, mais il a dépassé le but.

Ce mouvement démocratique a l'avenir pour lui. Il a droit au respect. Si quelqu'un doute de la modération et de la sagesse des démocrates chrétiens, si l'on craint qu'ils ne fomentent la guerre des classes, qu'on relise les vœux qu'ils ont formulés à Tours.

En voici un spécimen:

Sur les habitations ouvrières:

«Que des relations cordiales s'établissent au plus tôt entre les associa­tions ouvrières et patronales, partout où il en existe pour étudier les moyens de résoudre cette questions si importante de l'habitation ouvrière».

Sur les syndicats:

«Que l'on fasse l'essai de syndicats mixtes, dans lesquels les patrons et les ouvriers discuteront séparément les questions qui intéressent diffé­remment les groupes du syndicat. Ces syndicats seraient administrés par un conseil composé par moitié de patrons et d'ouvriers».

Ce sont bien là, n'est-ce pas, des désirs d'entente et d'union.

L'union. - A propos d'un projet de congrès national catholique, M. Jules Delahaye nous adjure avec beaucoup d'esprit et de bon sens, dans la Libre Parole, d'en venir enfin à l'union entre les catholiques français.

«Que peut-on attendre, dit-il, de nos querelles égoïstes, mesquines, scandaleuses et stériles, sinon l'épuisement de nos forces, l'arrogance croissante de nos oppresseurs, d'incessantes mutilations de nos droits et l'agonie de la foi nationale?… Ce qu'a fait O'Connel en Irlande, ce qu'a fait Windthorst en Allemagne, pourquoi ne le ferions nous pas?… Eh! quoi, des catholiques et des protestants irlandais, allemands, séparés par ce qui éloigne le plus les hommes, la foi religieuse ou la nationalité, ont pu s'entendre et s'entre-secourir, pour participer au premier des biens politiques, source de tous les autres, la liberté civile et religieuse! Et des catholiques français, souffrant des mêmes iniquités, des mêmes affronts ne pourraient se tendre la main pour secouer la domination de la pire des espèces humaines qui ait jamais mis la main sur l'âme et la fortune d'un peuple!».

Oui, c'est cette union qu'il faut enfin réaliser pour le salut de la reli­gion et de la patrie dans le grave péril où nous sommes.

III. AUTRES PAYS

Sur le Rhin. - Mes affaires m'appelaient l'autre jour sur le Rhin, de Cologne à Linz. Je ne veux pas redire ici tout ce que cette contrée of­fre d'intéressant au point de vue de l'art chrétien, de l'histoire et de la nature. Tout le monde connaît la cathédrale de Cologne, les vieilles basi­liques romanes de Saint-Géréon et des Saints Apôtres, la curieuse église des 11.000 Vierges. Ceux qui n'ont pas eu le loisir de suivre en touristes le cours majestueux et imposant du Rhin ont lu la description de Bonn avec sa belle église rhénane et sa grande université établie dans l'ancien palais des archevêques; ils connaissent Kônigswinter et les légendes des Siebengebirge, Rolandseck et ses tours ébréchées, Remagen et sa gra­cieuse église de Saint-Apollinaris. Mais combien peu de touristes ont ob­servé de près les mœurs de ce pays privilégié!

Trois choses sont là admirablement vivantes qu'on ne retrouve plus à ce degré dans les pays latins: l'Eglise, la famille et les associations. L'Eglise a gardé là toute sa puissance et toute son action morale: je ne parle pas, bien entendu, des groupes protestants qui sont une faible mi­norité parmi les populations du Rhin. Le prêtre est encore là le pasteur. Il connaît ses ouailles et ses ouailles le connaissent. Tous les paroissiens qui sont libres vont à la messe quotidienne. Tous les enfants fréquentent longtemps et bien le catéchisme. L'église est toujours bien ornée, bien remplie. Le chant y est agréable. De grands jeunes gens forment des chœurs et gardent la modestie de l'enfance. Il n'y a aucune séparation, aucune défiance entre le prêtre et le peuple. La famille est assez chrétien­ne pour que le prêtre y puisse pénétrer facilement; les fêtes publiques sont assez modestes pour que le prêtre y ait sa place. L'Etat d'ailleurs n'est pas athée, l'école officielle prie et reçoit le prêtre.

La famille a conservé toute sa force. Elle a généralement de nombreux enfants. Elle conserve le foyer traditionnel. Si le père vient à mourir, le fils aîné se fait le chef de la famille, il établit ses frères et sœurs; il y en a souvent quelques-uns pour le Bon Dieu; une jeune fille renonce au ma­riage pour soigner sa vieille mère. La famille se suffit généralement à elle-même et n'a pas autant besoin que chez nous d'être suppléée par les asiles d'enfants et de vieillards, les hospices et les orphelinats.

On ne connaît pas là l'individualisme, la vie égoïste, la vie pour soi; les associations sont innombrables. La vie communale et la vie corpora­tive ont gardé toute leur intensité. Bonn, par exemple, compte dix asso­ciations d'étudiants, quarante sociétés de chant, des cercles d'ouvriers (Gesellenverein) avec des sections différentes suivant les corps d'états, des fraternités puissantes du Tiers-Ordre franciscain, des confréries du saint Sacrement, de saint Antoine de Padoue, etc. Celles-ci comptent à elles seules 10.000 membres. Et il ne s'agit pas seulement là de listes sans vie, mais d'associations actives qui se réunissent et fraternisent cordiale­ment.

Le dimanche, la vie sociale se manifeste à chaque pas sur le Rhin. Des communes rurales rangées comme des pensionnats s'en vont avec leurs bannières se récréer à quelque honnête brasserie, en empruntant les steamers réguliers ou en affrétant un bateau. Partout des sociétés musi­cales vont prier aux sanctuaires ou se récréer à l'estaminet. Un prêtre accompagne souvent ces sociétés. Tout se passe avec ordre. Aux promenades des communes et des paroisses, tout le monde semble bien être là, aussi bien le gros cultivateur, que le modeste ouvrier. Les jeunes gens couronnent leurs chapeaux de lierre. On porte les bannières des Saints.

Quelles ressources offre cette vie sociale pour l'entente commune, pour le soulagement des déshérités! Quelle force cette vie sociale peut procurer à l'Etat, s'il sait en profiter! Quelle résistance elle peut lui op­poser, s'il est tyrannique! Mais aussi quelles victoires cela suppose sur l'égoïsme, sur l'ambition, sur l'esprit de révolte et d'indépendance! La sève chrétienne est venue se greffer là sur les vieilles coutumes germani­ques et cette double force a survécu à toutes les vicissitudes des derniers siècles.

Que nous sommes loin de cette vie chrétienne aujourd'hui dans la plu­part de nos provinces françaises! Nous n'avons pas souffert autant que l'Allemagne du protestantisme, mais l'athéisme social, l'incrédulité, la révolution et l'individualisme nous ont rendus bien malades. La guéri­son sera longue et difficile et demandera des sacrifices héroïques.

Il serait plus facile de guérir une société qui aurait gardé l'esprit d'as­sociation et l'esprit de famille: ce sont là des forces naturelles sur lesquel­les la grâce peut s'appuyer. C'est pour cela que Léon XIII nous engage à réveiller de toutes manières la vie de famille et la vie corporative. C'est pour cela aussi qu'il veut que le prêtre aille au peuple, pour infuser de nouveau la sève chrétienne à cette vie populaire si dévoyée.

Pays Slaves. - La Russie montre quelque bienveillance pour le Saint-Siège. Elle veut bien se prêter à la nomination de sept nouveaux évêques catholiques pour tous les sièges vacants. Le nouveau représentant de la Russie auprès du Saint-Siège, M. Tcharykon, parait animé de senti­ments conciliants comme son prédécesseur. «Sa mission, dit-il, est toute de paix et d'entente cordiale; elle tend à ce que la pleine liberté religieuse soit assurée aux catholiques de Russie». Espérons que cela durera.

Le Saint-Père s'occupe aussi des Slaves du Sud. Il veut leur rendre leur vieille liturgie. Cela facilitera l'union des Slaves à l'Eglise romaine dans les provinces autrichiennes, en Dalmatie, en Istrie, en Croatie, en Bosnie-Herzégovine. Léon XIII prépare de toutes façons l'union des Eglises d'Orient.

Belgique: Les associations agricoles catholiques. - Les catholi­ques belges ont parfois aussi des discussions stériles, mais en somme le bon sens et l'esprit pratique en souffrent peu et poursuivent leur chemin.

Le progrès des associations agricoles est considérable en Belgique. On en compte plus d'un millier de fondées depuis deux ans.

Citons seulement les résultats obtenus au diocèse de Liège. En voici le détail tiré d'un rapport de M. l'abbé Smets à la réunion de la corpora­tion de Notre-Dame des champs à Liège:

Il y a deux ans seulement que Sa Grandeur Monseigneur l'Evêque conçut l'idée de créer les associations agricoles paroissiales, - de réunir en une vaste association, les cultivateurs de la province de Liège, - de promouvoir dans ces sociétés des œuvres économiques en faveur de l'agriculture.

Voici en résumé ce qui a été réalisé: Dans 119 paroisses rurales, les cultivateurs ont formé des syndicats paroissiaux et ont des réunions réguliè­res. Dans un certain nombre d'autres paroisses, le syndicat est en forma­tion.

Il s'est formé 53 sections d'achat permanentes, dont quelques-unes, comme le syndicat de Herve et de Fléron, étendent leurs opérations à tout un canton.

La province compte 10 caisses Raiffeisen s'étendant à 18 paroisses. 21 paroisses sont dotées d'une assurance mutuelle du bétail.

Le contrôle des betteraves a été organisé dans quatre localités.

Dans 14 paroisses, les cultivateurs réunis possèdent des machines en commun.

Trois laiteries coopératives se sont formées.

Des syndicats de vente ont fonctionné, entre autres, à Herve et à Flé­ron.

Enfin un certain nombre de mutualités nouvelles ont été créées à la campagne.

Les résultats obtenus dépassent certainement les prévisions les plus optimistes. Dieu a visiblement béni l'entreprise de Monseigneur l'Evê­que. Les syndicats chrétiens ont amené une cohésion fraternelle entre les cultivateurs; ils ont été les facteurs d'un grand progrès agricole; ils ont procuré des avantages considérables à leurs membres.

CHRONIQUE (Septembre 1897)

I. ROME ET L’ÉGLISE

L'instruction religieuse dans l'enseignement secon­daire. - «Comment se fait-il que, malgré l'éducation donnée par le clergé à une partie notable de la jeunesse française, la génération présen­te offre si peu de résistance à l'action dissolvante de la révolution anti­chrétienne?». Ainsi s'exprimait, après bien d'autres, le supérieur du grand séminaire de Brou, en 1893, dans une lettre adressée à l'auteur d'un livre sur l'éducation. Et il se demandait avec tristesse pourquoi l'on n'avait pas vu se réaliser les belles espérances des nobles âmes qui, après une lutte si opiniâtre, avaient conquis, en 1850, la liberté d'enseigne­ment. «Une des principales causes du présent état de choses, disait-il, c'est que l'instruction religieuse, surtout dans les maisons d'éducation, est généralement insuffisante, incomplète, et par là même trop faible pour préparer la jeunesse à lutter avec succès contre l'erreur».

Il y a longtemps que des observateurs sérieux pensent ainsi. Mgr Lu­çon, évêque de Belley disait un jour: «Le devoir qu'ont surtout les mai­sons libres de donner un fort enseignement religieux a été, il faut l'avouer, trop souvent négligé de nos jours, même par des éducateurs chrétiens. Trop exclusivement préoccupés de la conquête des diplômes, et sous prétexte du défaut de temps, ils n'ont pas toujours donné au cours de religion la part déjà si modeste que lui laissent nos program­mes

Dès 1873, la Revue du Monde catholique signalait la faiblesse de l'instruc­tion religieuse dans les lycées et dans les maisons libres: «Dans les lycées de l'Etat, disait-elle, c'est la partie des classes la moins considérée; les élèves, voyant le peu d'importance que leurs maîtres y attachent, la né­gligent tout à fait. Le cours de religion est comme un enseignement de bonne volonté, une chose surérogatoire et facultative, tellement que dans la plupart des collèges universitaires, il n'a pas même l'importance des leçons de gymnastique et d'équitation.

«Dans les maisons ecclésiastiques elles-mêmes, sans en excepter les petits séminaires, l'instruction religieuse proprement dite n'occupe qu'une trop faible place. On y consacre à peine une heure de classe par semaine, et les élèves sont assez disposés à la considérer comme une clas­se de repos, un temps de diversion à leurs études habituelles».

Un autre Revue, l'Enseignement chrétien, constatait en 1886, que «l'in­struction religieuse n'a généralement pas dans les collèges catholiques la place qui lui revient et qu'elle ne donne pas les résultats qu'on pourrait en espérer».

Aujourd'hui, ce ne sont plus des plaintes isolées que l'on entend, c'est un concert d'observations et de réclamations, et pour employer une ex­pression en vogue, on peut dire qu'il y a une question de l'enseignement reli­gieux dans l'éducation secondaire.

L'Alliance des maisons chrétiennes a mis cette question au program­me de ses réunions annuelles, et voici qu'un congrès de jeunes gens tenu à Marseille et où les universitaires occupaient une large place a voulu aussi traiter à fond la question. Un excellent rapport y a été lu par M. Guiraud, professeur à Bordeaux; et depuis, ce rapport a paru dans le Correspondant (n° du 10 juin dernier).

Ces jeunes gens ont fait une enquête et beaucoup d'établissements li­bres ont bien voulu leur répondre. L'enquête a porté sur ces trois points: 1° la valeur intellectuelle du personnel enseignant; 2° l'importance don­née à l'instruction religieuse dans le système général des études; 3° les méthodes et les programmes.

Pour l'aumônerie des lycées, l'administration diocésaine fait en géné­ral un choix sérieux. Elle prend un vicaire de cathédrale qui a fait preuve d'une certaine facilité de parole, un ancien professeur de collège libre, un savant archéologue, un bachelier, un licencié même.

Dans les maisons ecclésiastiques, l'enseignement religieux est rare­ment donné par un professeur spécial. Les professeurs et les surveillants se partagent les heures d'instruction religieuse. Ni d'un côté ni de l'au­tre on ne trouve des hommes préparés par une formation spéciale. Ce sont des prêtres, parfois même des séminaristes, ils ont suivi les cours or­dinaires du séminaire. Cela suffit-il? Connaissent-ils suffisamment les questions modernes d'exégèse, d'histoire, de sciences naturelles qui peu­vent préoccuper des élèves de rhétorique on de philosophie? Sont-ils suf­fisamment armés pour mettre leurs élèves à même de réfuter non pas seulement les erreurs d'Arius, d'Eutychès ou de Luther, mais même cel­les de Taine, de Michelet, de Darwin, de Littré, de Renan, de Berthe­lot? Il y a cependant des œuvres fondées pour cette préparation: nos universités catholiques d'abord, puis à Paris l'Ecole dite des Carmes, qui est une maison de hautes études pour les ecclésiastiques, la maison d'études des Oratoriens (8, quai des Célestins) et encore les bourses d'études de l'Association pour l'encouragement des études supérieures dans le clergé, œuvre présidée par le cardinal Perraud. Ne serait-il pas temps de profiter davantage de tous ces moyens de formation?

Pour ce qui est de l'importance donnée à l'instruction religieuse, les constations sont plus alarmantes encore. Nulle part l'enseignement reli­gieux n'obtient une place aussi importante que quelque autre science que ce soit. Il est souvent réduit à une heure par semaine. Il n'a pas ordi­nairement sa place dans les notes hebdomadaires ni dans les concours pour l'excellence. En somme tout parait fait pour que nos jeunes gens n'aient pas une haute idée de son importance.

Quant à la méthode, elle n'est pas moins défectueuse. On donne sou­vent aux plus grands jeunes gens, une apologétique un peu surannée, alors qu'il faudrait leur réserver la plus solide exposition du dogme.

Le mal est bien grand. La conséquence est que nous n'avons pas d'hommes et que les catholiques, après cinquante années de liberté d'en­seignement ont un rôle absolument effacé.

Comment relever cet enseignement? Il y a çà et là quelques efforts et de bonnes intentions, mais ce ne serait pas trop d'un encouragement du Saint-Siège, espérons qu'il viendra. Il y a quelques années déjà, le Saint­Père, s'adressant aux évêques d'Italie, dans l'Encyclique Etsi nos, les pressait de relever l'enseignement religieux. Relisons les paroles qu'il leur adressait, elles peuvent nous aider en attendant que nous recevions un avertissement plus direct.

«Aujourd'hui, disait le Saint-Père, la défense de la foi réclame une doctrine qui ne soit pas ordinaire, mais éminente et variée; une doctrine qui n'embrasse pas seulement la science sacrée, mais aussi la science philosophique; enrichie de toutes les découvertes physiques et histori­ques… Il faut lutter avec les adversaires très préparés, opiniâtres dans la controverse, qui empruntent perfidement des armes à toutes les bran­ches de la science».

Et pour que les catholiques soient puissamment armés contre l'erreur, ne faut-il pas qu'ils reçoivent un enseignement suffisamment développé et solide?

II. FRANCE

L'action franciscaine. - Au moment où nous écrivons deux con­grès importants pour le règne du Notre-Seigneur se tiennent dans notre France. A Tarbes, c'est le congrès des Caisses de crédit agricole. Plu­sieurs nations y sont représentées. Ces Caisses rurales sont une des for­mes sous lesquelles l'association rentre dans nos mœurs. La Caisse rura­le est souvent unie à un syndicat. Elle joue en partie le rôle des corpora­tions.

Elle groupe les cultivateurs. C'est une force. Les associations rurales aideront à la restauration sociale. L'Allemagne en compte déjà plus de 3000, la Belgique 1500, la France et l'Italie chacune 600. Le congrès de Tarbes va accélérer les fondations.

Un autre congrès important est celui du Tiers-Ordre franciscain à Ni­mes.

Voilà 15 ans que le Saint-Père recommande la diffusion du Tiers­Ordre, on pourrait dire avec acharnement. «Nous voulons, disait-il aux évêques en 1882, que vous travailliez avec Nous à sauver les hommes par ce remède».

«Ah! le Tiers-Ordre de Saint-François! disait-il dans une audience aux provinciaux des Capucins de France en 1886, vous savez combien je désire son extension, J'y reviens toujours, j'en parle dans toutes les occa­sions. J'ai la conviction que c'est par le Tiers-Ordre et par la diffusion de l'esprit franciscain que nous sauverons le monde». - «Je veux relever la France par le Tiers-Ordre, disait-il en 1888 à Mgr l'évêque de Mar­seille, répétez cela partout, propagez beaucoup le Tiers-Ordre.

Par l'ordre du Souverain Pontife, le cardinal secrétaire d'Etat a écrit à tous les évêques pour leur recommander chaudement la propagation du Tiers-Ordre.

Aussi les amis du Tiers-Ordre font-ils un acte de sage déférence aux avis du Saint-Père en se réunissant à Nimes pour réchauffer leur zèle. Leur programme est superbe, ils vont élaborer de nouvelles constitu­tions du Tiers-Ordre, et ces constitutions rappellent tous les devoirs so­ciaux: les études sociales, l'action corporative, les œuvres. Le Tiers­Ordre, lancé dans cette voie, sera réellement ce que désire le Saint-Père, un moyen de réforme sociale.

Rien ne peut mieux aider au développement du Tiers-Ordre que la prospérité du grand ordre franciscain lui-même. Léon XIII a dirigé aus­si sa sollicitude de ce côté là. L'Ordre franciscain était divisé en un trop gand nombre de branches diverses. Les Capucins, les Conventuels et les Franciscains proprement dits forment trois grandes familles, mais cette troisième famille se subdivisait à son tour en Observantins, Récollets, etc. Ces sous-divisions vont disparaître. Les trois grandes familles seules subsisteront avec chacune un supérieur général.

Rappelons à cette occasion quelle est, encore à l'heure qu'il est, l'im­portance de l'Ordre franciscain dans l'Eglise. Les religieux franciscains ne sont pas moins de 26.000, répandus dans toutes le parties du monde. Les Frères Mineurs Capucins sont plus de 8.000, avec 5 archevêques, 12 évêques, 53 provinces, 622 couvents et 462 missionnaires. - Les Frères Mineurs Conventuels sont au nombre de 1480, avec 1 archevêque, 4 évêques, 36 provinces et de nombreux missionnaires, surtout en Tur­quie. - Les Frères Mineurs de l'Observance sont les plus nombreux. On en compte environ 16.000, avec 1 cardinal, 2 patriarches, 10 arche­vêques, 40 évêques, 19 vicaires ou préfets apostoliques, 1132 couvents, 113 maisons de noviciat et 2500 missionnaires.

Quelle sève puissante a encore l'Ordre franciscain! et quelle action immense il peut exercer par le Tiers-Ordre en le renouvelant selon les prescriptions de Léon XIII!

III. AUTRES PAYS

Italie. - Nous pouvons espérer de voir bientôt sur les autels le thau­maturge des temps modernes, dom Bosco, fondateur de la Congrégation des Salésiens. La Congrégation des rites a reçu le dossier concernant la cause de canonisation. Les rapports ne forment pas moins de 36 volu­mes. Nous pourrons bientôt donner officiellement à dom Bosco le titre de Vénérable. Sa belle œuvre grandit toujours, il n'y aura bientôt plus une grande ville qui n'ait un de ses orphelinats. Ses missionnaires éten­dent leur action dans une grande partie de l'Amérique du Sud.

Angleterre. - Ce qui est plus sensible encore que les retours nom­breaux des protestants à la foi catholique, c'est que ceux qui restent fidè­les à la réforme perdent tous les jours l'esprit sectaire. Bien plus, ils adoptent peu à peu les pratiques et les cérémonies de l'Eglise catholique.

A l'occasion du service d'actions de grâces qui a été célébré le 20 juin dans toutes les églises anglicanes, pour le jubilé de la reine, une prière spéciale a été récitée pour l'union des Eglises. Quel heureux symptôme et comme cela est significatif!

Les préjugés des anglicans tombent l'un après l'autre. Ils n'admet­taient ni le culte de la sainte Vierge ni le purgatoire. Ils se mettent à ho­norer et à invoquer Marie, et une confrérie protestante vient d'être fon­dée à Londres dans le but de rendre des honneurs aux morts et de prier pour les trépassés.

Il est vrai que le clergé catholique emploie tous les moyens d'aposto­lat, même les plus hardis et les plus pénibles. En voici un exemple cu­rieux, nous en empruntons le récit à la Revue des aumôniers du travail, de Liège.

«Dans les quartiers populeux de la capitale, il n'est pas rare qu'une mission soit organisée dans une salle publique louée seulement pour la journée du dimanche. Je me rappelle avoir assisté ainsi à une mission très remarquable prêchée par le R. P. Sydney Smith dans une des ban­lieues de Londres les plus inféodées à l'esprit protestant.

Les Pères de Farm-street avaient loué à Lewisham une vaste salle qui servait durant la semaine à des cours de dessin. Le dimanche, à l'heure des offices on suspendait à l'une des extrémités de la salle une toile pein­te représentant la descente de croix. Une table ornée de fleurs formait l'autel. L'auditoire était en général très nombreux, composé en majeure partie de protestants, y compris plusieurs ministres dissidents attirés par la renommée du célèbre jésuite.

Le P. Smith arrivait vêtu de la soutanelle, suivant l'usage des prêtres anglais et s'arrêtait volontiers pour dire un mot aimable à chacun. Il passait ensuite dans une petite pièce attenante à la salle principale qui servait de chapelle et reparaissait bientôt revêtu des ornements sacerdo­taux. Le sermon, vu la composition de l'auditoire, était la partie essen­tielle du service. La plupart des auditeurs prenaient des notes et formu­laient par écrit leurs objections qu'ils passaient ensuite au P. Smith. Le résultat de cette mission fut magnifique; plusieurs ministres dissidents se convertirent et bientôt après le nombre des catholiques à Lewisham était assez grand pour que l'on pût y organiser une mission permanente.

Ces jours derniers une tentative non moins heureuse a été faite dans les docks. Un des prêtres de la mission de Saint-Michel, Commercial road, le R. P. Amigo, las de prêcher devant des bancs vides, eut l'idée de descendre dans la rue, ne voulant pas laisser aux seuls ministres dissi­dents ou salutistes le soin d'evangéliser ces masses de païens qui remplis­sent les faubourgs de la grande métropole.

Il sortit donc un soir, revêtu de la simple soutanelle, tenant un crucifix à la main, s'arrêtant aux carrefours pour adresser quelques paroles à la foule qui s'assemblait autour de lui. Le lendemain, un grand nombre de ses auditeurs vinrent le trouver au presbytère, demandant à être in­struits des vérités de la religion catholique. Quelques jours plus tard il pouvait organiser une procession d'hommes qui sortit de l'église en réci­tant le rosaire et parcourut ainsi les ruelles misérables du quartier. Che­min faisant la procession s'allongeait et rentrait à l'église plus nombreu­se qu'au départ. Au coin des rues populeuses le P. Amigo s'arrêtait et montait sur une borne pour haranguer la foule. Cette magnifique mis­sion en plein air dura 15 jours. Elle a été clôturée sous la présidence du cardinal-archevêque de Westminster, cette fois non plus dans la rue, mais dans l'église où s'assemblaient près de 2.000 personnes.

CHRONIQUE (Octobre 1897)

I. ROME ET L’ÉGLISE

Les temples nationaux ou temples-palais. - M. le comte d'Alcan­tara continue, dans la Revue du Hiéron de Paray, ses études si intéres­santes sur les temples nationaux ou temples-palais à toutes les époques de l'histoire.

Tous les peuples ont eu des sanctuaires nationaux dans lesquels ils rendaient à Dieu un culte public et social; tels, dans l'antiquité, le tem­ple de Jérusalem, les grands temples de l'Egypte, ceux de Jupiter Capi­tolin à Rome, de Minerve à Athènes, etc., etc.

Le plus souvent à ces temples était joint un palais, dans lequel le sou­verain aimait à séjourner, à rendre la justice, à sanctionner les lois. Tous les âges chrétiens ont confirmé cette coutume conforme au droit naturel aussi bien qu'à la Révélation.

Constantin établissait le premier temple-palais chrétien à Milan en lançant son fameux édit de liberté religieuse, le Pactum romanum. C'est ainsi que l'ont compris les populations chrétiennes, comme en témoigne une mosaïque à Ravenne où Constantin est représenté devant l'Agneau mystique avec son décret à la main.

Sainte Sophie de Bysance devint le temple-palais pour l'empire d'Orient, et la basilique constantinienne de Trèves pour les Gaules. A partir de l'empereur Valentinien, c'est l'église Saint-Ambroise de Milan qui est le siège du culte social et national pour l'Occident. Au Ve siècle, Honorius promulgue ses décrets à saint Vital de Ravenne.

La cathédrale de Reims devient le temple national des Francs. Saint Apollinaire à Ravenue est le temple-palais de Théodoric et des Goths. Monza et Bologne sont choisis par les Lombards.

Les républiques italiennes, Pise, Gênes, Florence, Sienne, Padoue, Milan ont leurs temples nationaux. C'est devant l'Eucharistie et devant l'image de la Majesté divine «la Maestà» que tous les pouvoirs prêtent serment et rédigent leurs décrets.

L'histoire de tous les siècles atteste le culte national rendu à Dieu par tous les peuples. Chez les peuples chrétiens, c'est à l'Eucharistie, c'est à l'agneau divin immolé et ressuscité que les nations ont rendu hommage.

Les demi-croyants, les mondains eux-mêmes ont l'instinct de ce culte so­cial. N'avons-nous pas vu ces jours-ci les journaux des boulevards repro­cher à l'archevêque de Paris de faire chanter un Te Deum à Montmartre au lieu de le faire chanter à Notre-Dame, la vieille église nationale. Mais en ce­la le cardinal ne fait que suivre une évolution providentielle. L'église du Sacré-Cœur à Montmartre devient un sanctuaire national et le principal. Notre-Seigneur l'a désiré et demandé. En répondant à son désir, nous nous assurons sa bienveillance et ses bénédictions pour notre patrie.

Etudes nouvelles: les traditions préhistoriques. - M. le baron de Sarachaga a lancé une grande idée dans la Revue du Hieron, qui se pu­blie à Paray-le-Monial. Il pense qu'on peut retrouver les traces des tra­ditions primitives, des traditions adamiques elles-mêmes, non pas seule­ment dans la Bible et dans les souvenirs religieux de tous les peuples, mais encore dans les monuments et dans des signes mystérieux gravés par nos premiers aïeux sur la pierre.

Dans les stations préhistoriques, l'archéologie n'avait remarqué ju­squ'à présent que des armes grossières, des flèches, des hachettes et des couteaux. Dans les riches gisements du Val d'or et du pays éduen, M. de Sarachaga a trouvé une infinité de pierres marquées de figures humai­nes, de figures d'animaux, de traits géométriques. Ce sont évidemment des signes idéologiques, des traces d'un alphabet primitif.

Le sol éduen renferme plusieurs couches de ces débris préhistoriques. On en trouve déjà sous les détritus diluviens. Il semble donc que le pays éduen ait été un centre de conservation des traditions primitives, non pas seulement aux temps historiques, comme on le savait déjà, mais mê­me dès les premiers temps des migrations humaines.

Ces découvertes de M. de Sarachaga sont confirmées par d'autres tra­vaux analogues. M. Emile Soldi a publié, il y a quelques mois, un volu­me intitulé «La langue sacrée», où il montre dans les dessins d'orne­ment des temps anciens des signes idéologiques qui racontent la création et exaltent la divinité.

Un ouvrage de M. Louis Rinn sur les Origines berbères donne des conclusions analogues. Les caractères de la langue bères (les tifinars ou consonnes) ne seraient pas autre chose que les vieux caractères runiques, et ils exprimeraient aussi les croyances primitives.

Enfin les missionnaires du Congo ont constaté que les prêtres ou de­vins des tribus noires conservent aussi des traditions anciennes par des signes secrets.

Il y a là un horizon nouveau pour les études préhistoriques. Ce ne sont pas seulement les traditions, mais c'est aussi la langue primitive qu'on y pourra retrouver, et ce sera une magnifique confirmation pour notre foi.

N'est il pas surprenant de voir les caractères berbères correspondre aux signes runiques des peuples scandinaves?

M. le baron de Sarachaga a bien mérité de la science en donnant une première impulsion à ce genre d'études.

II. FRANCE

Le congrès du Tiers-Ordre à Nîmes. - Il vient de s'achever, dans l'union, dans la confiance, dans l'enthousiasme.

Le réveil du Tiers-Ordre est l'œuvre de Léon XIII. Il y voit le salut de la société contemporaine. Philosophe et historien, Leon XIII a con­staté la ressemblance qui existe entre notre siècle et le XIIe siècle scepti­que et jouisseur. Saint Dominique et saint François ont infusé à l'Eglise un sang nouveau au XIIIe siècle: celui-là par la grande science de ses fils, celui-ci par le détachement du monde, les revendications de la justi­ce et la diffusion de la charité.

C'est chez Léon XIII un plan arrêté, une pensée mûrie. Il voit dans le Tiers-Ordre le remède à toutes les plaies de la société actuelle. Il nous faut un renouveau des vertus chrétiennes et surtout de la pénitence. Il nous faut une organisation, l'esprit d'association, l'amour des petits et des pauvres. Le Tiers-Ordre nous donnera tout cela, Léon XIII ne cesse de le répéter, mais hélas! souvent dans le désert.

Il a recommandé cet institut à «tous les évêques du monde, les priant de l'établir dans leur diocèse et de multiplier dans les paroisses les frater­nités».

La plupart ont pensé sans doute qu'il s'agissait là d'un élan de piété de Léon XIII, ils n'ont pas vu que c'était le moyen du salut social.

Il disait aux religieux du premier ordre: «Ce sera à vous à prêter aux évêques votre concours pour cette œuvre». (Allocution au Ministre gé­néral de l'Ordre et à ses conseillers, 9 juin 1881).

Mais les Pères du premier ordre étaient comme tout le clergé contem­porain tout adonnés à la propagation de la dévotion privée et oublieux des conditions de la vie sociale chrétienne.

Léon XIII ne cessait d'exhorter, d'encourager, de se plaindre aussi. Il n'était guère compris. Enfin un apôtre de l'action sociale chrétienne ap­précia toute la grandeur des vues de Léon XIII, c'est M. Léon Harmel. Il invita les provinciaux de l'ordre franciscain à visiter ses œuvres en 1893. Il leur exposa humblement ses vues. Ce fut le premier congrès franciscain. Nous sommes au quatrième; la lumière se fait. Comme je le disais en commençant, le congrès s'achève dans la joie et dans l'enthou­siasme. Ah! si tout notre clergé savait et voulait!

L'avenir est au peuple, saint François est l'apôtre du peuple. Il lui a donné au XIIIe siècle la vraie liberté et la plus sincère fraternité. Il peut lui procurer encore ces dons qu'il ambitionne.

Les religieux du premier ordre ont maintenant compris presque tous les vues de Léon XIII, nous l'avons constaté à Nîmes. Des laïques in­fluents et lettrés sortent de ce congrès tout brûlants de zèle pour la même cause. Le ferment est jeté dans la masse. Ce serait vite fait de transfor­mer la société, si Léon XIII était compris et suivi; mais il parle, et dix ans après seulement une élite se décide à agir.

Que tous les amis du Sacré-Cœur se renseignent et se mettent à l'œuvre. Le Pape a parlé, il est pour nous l'organe et l'interprète des pensées du divin Cœur de Jésus. Prêtres et pieux laïcs, obéissez au Pape. Si vous manquez de renseignements sur le Tiers-Ordre, adressez-vous au R. P. Pascal, à Roubaix, c'est un des plus ardents apôtres de la croisade fran­ciscaine.

La vie monastique. - Sans bruit et peu à peu la grande vie monasti­que se réveille en France. Qui se douterait que nous avons plus de vingt monastères florissants de la Trappe pour les hommes et une douzaine pour les femmes. Saint Bernard doit tressaillir de joie dans le ciel. Citons en quelques-unes: Le Mont des Cats, dans le Nord; Igny, dans la Mar­ne; Bricquebec, dans la Manche; Saint-Vinebald, dans la Meuse; la Grande-Trappe, dans l'Orne; le Port du Salut, dans la Mayenne; Thy­nadur, dans les Côtes du Nord: la Meilleraye, dans la Loire Inférieure; Belle-fontaine, dans le Maine et Loire; la Grâce-Dieu dans le Doubs; Fontgombaut, dans l'Indre; Sept-Fonts, dans l'Allier; Macon, en Saône-et-Loire; Chamborand, dans le Rhône; Double, dans la Dordo­gne; Aiguebelle, dans la Drôme; etc. etc.

La Belgique aussi compte cinq maisons et la Hollande quatre.

On retrouve dans ces abbayes et prieurés toutes les saintes coutumes du grand ordre de Cîteaux. Le temps s'y partage entre le chant des louanges de Dieu et le travail. L'abstinence est perpétuelle et le jeûne fréquent. L'office de Matines est chanté à deux heures le matin.

Il y a là bien des âmes candides et généreuses, animées de l'esprit de saint Bernard, qui attirent sur la société le pardon et les bénédictions de Dieu. Les hommes du monde s'agitent et Dieu sollicité par la prière des âmes d'élite supporte l'insolence du monde et pardonne aux coupables. Dans ces cloîtres règne véritablement le Cœur de Jésus. Les enfants de saint Bernard suivent leur père dans sa tendre dévotion au Cœur de Jésus et ils le consolent par leur ardente affection.

Les lieux saints de Provence. - Nous avons parlé déjà dans cette revue des souvenirs qu'ont laissés les amis et disciples de Jésus en Pro­vence, à la Sainte-Baume, à Marseille, à Aix, à Tarascon. Il nous restait à voir les Saintes Maries de la Mer pour les signaler à nos lecteurs, le congrès de Nîmes nous en a fourni l'occasion.

C'est là, au fond de la Camargue, sur un promontoire avancé entre les diverses bouches du Rhône qu'aborda, selon la tradition, la famille de Béthanie, Marie Salomé, mère de saint Jean et de saint Jacques, et Marie Jacobé, mère de saint Jacques le Mineur et de saint Jude se sont fixées là et leurs corps y reposent.

La vieille église du XIe siècle est là avec ses créneaux et sa grande tour. La critique moderne a bien essayé de détruire la légende. Elle est bien sèche, cette critique, et en somme peu concluante. J'aime mieux croire avec la tradition et avec le peuple.

Il faudrait lire ici tout ce qu'a dit de ravissant le poète Mistral au sujet du voyage des Saintes et de l'évangélisation d'Arles. Citons seulement quelques lignes de la traduction du beau poème de Mireille.

Voici d'abord l'arrivée de la barque au rivage; ce sont les Saintes qui parlent:

«Nous nous crûmes perdues. - Sur nos têtes se renverse une grande vague, - quand Lazare: «Mon Dieu, sers-nous de gouvernail! - Tu m'as arraché une fois du tombeau… - Aide-nous! la barque s'enfonce!». - Comme l'essor du ramier, - son cri fend l'orage et vole dans les cieux».

«Du haut palais où il triomphe, - Jésus l'a vu: sur la mer gonflée. - Jésus voit son ami qui, dans un instant, va être enseveli sous les flots. - Ses yeux, avec une pitié profonde - nous contemplent: soudain jaillit - à travers la tempête un long rayon de soleil…».

«Contre une rive sans roche, - Alleluia! la barque touche; - sur l'arène humide nous nous prosternons, - et nous écrions tous: «Nos tê­tes - que tu as arrachées à la tempête, - jusque sous le glaive, les voici prêtes - à proclamer ta loi, ô Christ! et nous le jurons».

«A ce nom de joie, la noble terre de Provence - paraît secouée; à ce cri nouveau, - la forêt et la lande ont tressailli dans tout leur être, - comme un chien qui, sentant son maître, - court au-devant de lui et lui fait fête».

«La mer avait jeté des coquillages… - Pater noster qui es in cœlis, - à notre longue faim tu envoyas un festin; - à notre soif, parmi les salicor­nes - tu fis naître une fontaine; miraculeuse, limpide et saine, - elle jaillit encore dans l'église où sont nos os!».

Voici maintenant le récit de la conversion d'Arles: «Rome à neuf t'avait vêtue - en pierres blanches bien bâties: - de tes grandes Arènes elle avait mis à ton front - les cent vingt portes; tu avais ton Cirque; - tu avais, princesse de l'Empire, - pour distraire tes caprices, - les pompeux Aqueducs, le Théâtre et l'Hippodrome.

«Nous entrons dans la cité: la foule - au Théâtre montait en faran­dole. - Nous montons avec elle… ô honte! aux sons langoureux de la lyre, - sur le podium du Théâtre, - la poitrine nue, - un vol de jeunes filles tournoyait, - et sur un refrain que répétaient en chœur leurs voix stridentes, - en danses ardentes elles se tordaient - autour d'un bloc de marbre qu'elles nommaient Vénus».

«L'ivresse populaire - leur chantait ses clameurs; - jeunes filles et jeunes hommes répétaient: «Chantons! chantons Vénus, la grande dées­se de qui, - toute allégresse vient! Chantons Vénus, la souveraine, - la mère de la terre et du peuple arlésien!…»».

«Indigné de tant d'audace, - interrompant et cris et danses, - le vieux Trophime qui s'élance, - en levant ses deux bras sur la foule stu­péfaite».

«D'une voix forte: «Peuple d'Arles, - écoute, écoute mes paroles! - Ecoute, au nom du Christ!». Il n'en dit pas d'avantage. - Au fronce­ment de son grand sourcil, - voilà l'idole qui chancelle, gémit et du pié­destal se précipite. - Avec elle les danseuses sont tombées d'effroi!».

«Il n'y a qu'un cri; on n'entend que hurlements; - les jeunes hom­mes, furieux, - en criant: «Sus!» nous entourent… - Dans l'air mille poignards luisent d'un seul élan».

«Cependant de Trophime le front serein, - comme encerclé de clar­tés saintes; - et, plus belle que leur Vénus transie, - la Madeleine voi­lée d'un nuage de larmes, - tout cela, un instant, les fit reculer».

«Mais alors Trophime: «Arlésiens, écoutez mes paroles… le Dieu qui a brisé votre idole - habite le ciel. - Lui seul a fait la terre, lui seul a fait le ciel, la mer et les montagnes»».

«Un jour, de sa haute demeure, il a vu le mal régner sur la terre; - il a vu l'esclave boire ses pleurs et sa haine, - et jamais personne qui le console! - Il a vu tes filles courir à l'affront des libertins!».

«Et pour laver de telles immondices, - pour mettre fin au long sup­plice - de la race humaine enchaînée, - il a envoyé son Fils. - Nu et pauvre, son Fils est venu s'enclore - dans le sein d'une vierge; - il est né sur le chaume». «O peuple d'Arles, pénitence! - Compagnons de sa vie, - nous pouvons t'affirmer ses miracles! - Aux lointaines con­trées - où coule le blond Jourdain, - au milieu d'une foule en haillons et affamée, - nous l'avons vu dans sa blanche robe de lin!».

«Et il nous disait qu'entre nous - il fallait s'aimer les uns les autres: - il nous parlait de Dieu, tout bon, tout puissant, - et du royaume de son Père, - qui ne sera point pour les trompeurs, - pour les hautains, pour les usur­pateurs, - mais bien pour les petits, les simples, ceux qui pleurent».

«Et sa doctrine, il l'attestait - en marchant sur la mer; - les mala­des, d'un regard, il les guérissait; - les morts, malgré le sombre rem­part, - sont revenus: voilà Lazare - qui pourrissait dans le suaire… - Mais, pour ces seuls motifs, enflés de jalousie».

«Les rois de la nation juive - l'ont pris, l'ont conduit sur une colline, - cloué sur un tronc d'arbre, abreuvé d'amertume, - ont couvert sa sainte face de crachats, - et puis l'ont élevé dans l'espace - en le rail­lant…» - «Grâce! grâce! éclata tout le peuple, étouffé de sanglots».

«Grâce pour nous! Que faut-il faire - pour désarmer le bras du Pè­re? - Parle, homme divin, parle! et si c'est du sang qu'il veut, - nous offrirons cent sacrifices…».

«Non, Seigneur! ce qui te plaît, - ce n'est pas l'odeur d'une tuerie, - tu aimes bien mieux le morceau de pain - que l'on présente à l'affa­mé, - ou la jeune vierge qui vient à Dieu douce et craintive, - offrir sa virginité comme une fleur de mai».

«Des lèvres du grand apôtre - ainsi coula comme une huile sainte - la parole de Dieu: et pleurs de ruisseler, - et malades et pauvres travail­leurs - de baiser sa robe, - et les idoles, de toute part, - sur les degrés des temples alors de rouler!…».

- Mais il faut s'arrêter: les fleurs amassées par le poète rempliraient nos pages.

III. AUTRES PAYS

Le congrès de Zurich. - C'est un événement que ce congrès. Il avait pour but une entente pour la protection du travail. Il comprenait des socialistes de marque et des sociologues catholiques. Les délibéra­tions ont été courtoises. Sur plusieurs points l'unanimité s'est faite; sur d'autres les idées se rapprochaient sensiblement.

Deux discours ont clos les réunions. M. Liebknecht, l'éloquent socia­liste a remercié les organisateurs du congrès; il s'est félicité de cette trêve de Dieu qui a pacifié les cœurs. M. Decurtins, l'éminent catholique so­cial de la Suisse a constaté lui aussi la dignité des délibérations quoti­diennes; il en a cherché la raison dans la bonne volonté de tous les con­gressistes qui avaient conscience du noble but à poursuivre; il en a mon­tré les résultats dans la diffusion des idées réclamant la protection ou­vrière et dans l'acheminement plus rapide de l'humanité vers cet idéal lointain: la glorification du travail qui anoblit l'homme.

Il est donc vrai que des socialistes sont venus travailler avec des prê­tres catholiques, discuter avec eux, voter avec eux sur les questions inté­ressant le travail. Le temps est passé où l'Eglise n'apparaissait à la foule travailleuse que comme une machine destinée à soutenir des institutions vieilles et à consolider la puissance des heureux du monde.

L'Encyclique Rerum novarum a montré quelle attitude le christianisme tiendrait dans la question sociale et comment il ne se rabaisserait jamais à devenir le rempart des capitalistes; le congrès de Zurich montre que le peuple ne confondra plus le christianisme avec ses ennemis, il indique quelle attitude il prendra dans la question religieuse. Ce congrès est la réponse du peuple à l'Encyclique du Pape.

France et Russie. - Léon XIII voit cette alliance de bon œil, elle tournera au profit de l'Eglise. La Russie se sent obligée déjà de ménager les catholiques. L'empereur se montre bienveillant pour la Pologne, il en est récompensé par les acclamations de ce peuple généreux. La France se voit contrainte d'avoir plus de tenue. Le Président a fait acte public de chrétien à l'inauguration de l'hospice français à Saint-Pétersbourg. Un ministère radical et persécuteur ne serait plus de mise actuellement en France. La liberté religieuse triomphera. On peut bien augurer de cette alliance. Elle a sans doute sa fonction providentielle dans la préparation du triomphe de l'Eglise.

CHRONIQUE (Novembre 1897)

I. ROME

Le Sacré-Cœur et les âmes du purgatoire. - Le Sacré-Cœur de Jésus est une source inépuisable de grâces. C'est vers lui que se tournent maintenant les pieux fidèles dévoués aux âmes du purgatoire. Il aime tant ces chères âmes! Il est assuré de les posséder bientôt au ciel, mais il a soif d'abréger leur exil, il a hâte de leur ouvrir le séjour des bienheureux. Il a permis à beaucoup d'entre elles de solliciter les prières et les péniten­ces de Marguerite-Marie. Il pressait la chère sainte de prier et de réparer pour les âmes de l'Eglise souffrante. Un religieux condamné au purga­toire n'a-t-il pas passé trois mois auprès de Marguerite-Marie pour rece­voir à tout instant l'application de ses mérites?

Prions le Sacré-Cœur pour les chères âmes. Un nouveau sanctuaire vient d'être élevé à Rome, par la dévotion du R. P. Jouet, au Sacré­Cœur de Jésus, protecteur des âmes du purgatoire. On dit même qu'un prodige vient de s'y accomplir: les tentures de l'autel ont été brûlées et des traces qui sont restées sur le mur forment le dessin d'une âme sup­pliante. Le Cardinal-Vicaire a fait constater le fait et autorisé la visite de cette image par les fidèles.

Les personnes pieuses aiment à se renouveler souvent dans cette dévo­tion en lisant quelque revue qui la leur rappelle. Nous avons repris la di­rection d'une de ces revues: Le Messager des âmes du Purgatoire, paraissant tous les mois, 2 fr. par an, chez MM. H & L. Casterman, éditeurs, Paris - Tournai. Non pieux lecteurs voudront s'en faire les propagateurs.

Le 20 septembre. - L'Italie a célébré comme de coutume, avec des revues, des drapeaux et des lampions, l'anniversaire de l'attentat sacrilè­ge par lequel elle s'est emparée de Rome. Mais la joie n'est qu'à la surfa­ce, le peuple italien n'a ni la paix de la conscience ni la prospérité qui est la marque des bénédictions providentielles.

Ce qui forme le fond de la population, le peuple des campagnes, est ruiné et découragé. En vingt ans, le fisc rapace a exproprié 90.000 petits propriétaires, qui ne savaient plus payer leurs impôts. Le mal va tou­jours grandissant. Les premières années, l'Etat n'osait pas exproprier plus de 3,000 propriétaires par an, il ménageait l'opinion. Il est monté successivement a 4.000, à 5000, le voici arrivé a 10.000 par an. Naturel­lement, l'émigration s'acroît. Des multitudes de miséreux déguenillés encombrent les ports d'émigration. Ils s'en vont aux Etats-Unis avec des contrats de travail qui les mettent dans une condition presque servile, ou bien ils vont s'exposer à la faim et à la mort dans l'Amérique du Sud. La République Argentine en compte aujourd'hui deux millions, près de la moitié de sa population.

A côté de cela, le monde du Parlement et des affaires, est démoralisé et tombé sous l'influence des juifs.

Dieu ne bénit pas les peuples qui volent la justice.

Comment la pauvre Italie sortira-t-elle de ce marasme? La divine Pro­vidence attend qu'elle ait suffisamment expié ses attentats sacrilèges.

II. FRANCE

Paray-le-Monial. - Nous ne redirons pas les solennités imposantes du congrès eucharistique. Tous les journaux catholiques les ont repro­duites. Mais nous sommes heureux de constater que Paray peut se prê­ter à ces grandes réunions. Il y a trois ans, c'était le congrès franciscain, cette année, c'est le congrès eucharistique. La petite ville est hospitaliè­re, elle a de grands établissements religieux: la maison de retraite des Pè­res jésuites, la résidence des Missionnaires diocésains, le pensionnat des Frères. Il y a aussi le Musée eucharistique, si grandiose, si original, avec sa disposition symbolique, sa décoration et ses collections qui préconi­sent le règne de Jésus-Eucharistie, dans le droit et dans l'histoire.

La grande basilique cistercienne se prête aux grandes solennités popu­laires, le sanctuaire miraculeux de la Visitation parle profondément à l'âme. Que n'allons-nous plus souvent là pour nos congrès! N'est-ce pas le Sacré-Cœur qui doit les inspirer et les guider? N'est-ce pas par lui que doit se faire ce renouvellement de la vie chrétienne que Notre-Seigneur nous annonçait comme une seconde rédemption? On trouvera toujours à Paray une lumière, un encouragement, une force, comme on trouve toujours à Lourdes une consolation et un allégement dans la souffrance.

Réfractaires. - Ils sont bien durs à se convertir. Il y a chez quelques-uns une grande naïveté, chez d'autres un attachement explica­ble à des traditions, à des souvernirs. Mais chez la plupart, quel entête­ment, quel esprit sectaire! Ils détournent de leur sens tous les enseigne­ments du Pape, ils les contestent, ils les diminuent. Ils savent bien qu'ils mentent, mais qu'importe! «Gagnons du temps, pensent-ils, le Pape est vieux et peut-être son successeur…».

Léon XIII fait tout pour ouvrir les yeux aux aveugles. Il a donné mis­sion au R. P. Sébastien, de la Trappe, aux RR. PP. Picard et Bailly, de l'Assomption, de voir pendant cette période de vacances les évêques et les catholiques influents, et de leur redire sa pensée en leur montrant qu'il ne s'agit pas d'une préférence politique mais d'un devoir dicté par la doctrine de l'Eglise et par le bon sens.

Nous avons redit ici sur tous les tons les directions du Saint-Père. Il ne faut pas les chercher dans les journaux obliques dont le Saint-Père a si­gnalé par l'entremise de son secrétaire d'Etat, la mauvaise foi et l'er­reur, mais il faut les demander aux journaux qui, comme l'Univers, vont toujours droit leur chemin et qui reçoivent souvent les encouragements de celui qui seul doit nous guider dans l'application des principes évan­géliques aux conditions actuelles de notre vie politique et sociale.

Puisse ce nouvel effort du Pape faire faire un grand pas à l'union dont nous avons tant besoin!

La démocratie chrétienne. - Il y a des œuvres démocratiques et d'autres qui ne le sont pas. Le Saint-Père les bénit toutes, mais il donne une bénédiction spéciale aux œuvres démocratiques, parce qu'elles sont plus aptes que les autres, dans le temps présent, à procurer le bien de l'Eglise et la gloire de Notre-Seigneur.

«La démocratie monte partout dans le monde entier, disait le Saint­Père à Mgr l'évêque de Liège, on ne peut pas l'arrêter, il faut donc la christianiser».

Le fait est bien manifeste, la démocratie monte partout, aussi bien dans la vie politique que dans l'organisation du travail. Le peuple veut sa part d'action politique. Il veut l'extension du suffrage, il veut l'accès de tous aux emplois publics. Il veut scruter la législation pour voir si elle est vraiment équitable envers lui, surtout en ce qui touche les impôts et le régime du travail.

République ou monarchie, tout gouvernement doit aujourd'hui don­ner une large place à la démocratie. L'Autriche, la Belgique, l'Angleterre, ont élargi les bases du suffrage électoral. En Angleterre, la Chambre des Communes est passée au premier rang, et la Chambre des Lords au second. C'est fini en Europe, sauf en Russie et en Turquie, des gouver­nements monarchiques absolus et des gouvernements aristocratiques; nous sommes définitivement en démocratie.

Ce n'est pas que les autres régimes n'aient pas leurs avantages, et s'il plaît à l'Orient et à l'Asie de les garder, ils en sont bien libres; mais pour l'Occident, il n'y faut plus compter: l'idée démocratique gagne chaque jour du terrain avec la régularité et la constance d'un fleuve qui ne re­montera plus vers sa source.

La saine démocratie s'accommode très bien de la monarchie constitu­tionnelle en Autriche, en Belgique, en Angleterre; elle marche de plus en plus vers la république en France. L'une et l'autre tendances sont égale­ment légitimes. Le Pape et le Czar ont reconnu que la république en France pouvait très bien n'être pas révolutionnaire.

Ce qui se passe dans l'ordre politique a son pendant dans l'ordre éco­nomique. L'organisation du travail peut être monarchique avec le régi­me patronal; elle peut être démocratique avec les coopératives, les socié­tés en participation, les syndicats parallèles.

D'excellents patrons chrétiens, comme il y en a dans le Nord, croient que les aspirations démocratiques des travailleurs sont essentiellement subversives, comme les monarchistes intransigeants croient que la répu­blique est essentiellement révolutionnaire. Ce sont là de grosses illusions et presque des naïvetés.

Que la monarchie patronale dans l'usine soit un mode légitime d'organi­sation du travail, on n'en peut pas douter. Que ce soit le seul mode légiti­me, c'est absurde de le penser. Que ce soit le meilleur, cela dépend des goûts, des circonstances, des temps, et de la manière dont c'est pratiqué.

La tendance à l'organisation démocratique du travail est manifeste. Que le ferment révolutionnaire y ait contribué, nous ne le nions pas. Mais il y a d'autres motifs fort plausibles. Le peuple a une plus haute idée de ses droits, il s'instruit, il constate que beaucoup de patrons ont foulé aux pieds tous les droits du travailleur, il veut pouvoir discuter le contrat et les conditions du travail dans les syndicats, il veut esayer d'augmenter ses gains per les coopératives et les sociétés en participa­tion: tout cela est légitime. Vouloir l'interdire, c'est se montrer fort ar­riéré, c'est vouloir empêcher un fleuve de couler.

Il y a d'ailleurs dans ce progrès de la démocratie une part d'influence de l'esprit chrétien. L'action de l'Evangile a toujours agi dans ce sens.

Le servage a succédé à l'esclavage, les salariat au servage. Nous ne pen­sons pas que le salariat puisse disparaître entièrement, ce serait tomber dans l'illusion socialiste, mais nous pensons que les ouvriers tendront de plus en plus à régler le salariat par les syndicats et à le remplacer autant qu'ils le pourront par les coopératives et les sociétés en participation. Nous pensons qu'ils sont absolument dans leur droit en agissant ainsi.

Et, si c'est là qu'est l'avenir, nous pensons avec Léon XIII que les ca­tholiques auraient grand tort de s'attacher uniquement et exclusivement à des systèmes politiques et économiques qui tendent à disparaître. Ce serait réjouir nos ennemis et préparer le triomphe de l'impiété et du so­cialisme.

Voilà pourquoi Léon XIII nous dit que puisque la démocratie monte toujours, il ne faut pas tenter l'impossible en s'y opposant, mais il faut la christianiser.

Nous ne prétendons pas imposer l'organisation démocratique à toutes les usines. Nous savons que certaines usines à forme monarchique sont admirablement dirigées, qu'il y a des patrons généreux, dévoués, désin­téressés. Mais nous conseillons aux patrons, même les meilleurs, de faire comme tous les monarques de l'Occident et de tempérer leur autorité, par le Conseil d'usine, par le Conseil syndical, par les délégués d'ateliers et autres institutions dans lesquelles les ouvriers ont une certaine initiati­ve et un certain contrôle. Qu'ils n'oublient pas la fable du chêne et du roseau. Plus d'un chêne serait debout dans la forêt, s'il avait pu s'incli­ner sous le vent.

Les catholiques soucieux de sauvegarder l'influence de l'Eglise, doi­vent reconnaître tout ce qu'ont de légitime et même de chrétien les re­vendications démocratiques et ils doivent marcher d'accord avec la saine démocratie qui est la puissance de demain.

Que ce soit là la pensée de Léon XIII, on n'en peut pas douter; il l'a manifestée tant de fois: dans l'Encyclique Rerum Novarum, dans son en­tretien avec Mgr l'évêque de Liège, dans ses approbations données à la Démocratie chrétienne de Lille, au discours de M. de Mun à Saint­Etienne, dans ses encouragements à M. Harmel, aux groupes ouvriers démocratiques de France, à M. Toniolo en Italie, au programme des congrès italiens, à M. Decurtins, et aussi en maintes audiences privées.

Nous sommes assurés d'exprimer sa pensée en disant qu'il aime et bé­nit toutes les œuvres, mais qu'il a une préférence pour les œuvres dé­mocratiques, parce qu'elles sont plus aptes que les autres, dans le temps présent, à procurer le bien de l'Eglise et la gloire de Notre-Seigneur.

III. AUTRES PAYS

Belgique: la ligue démocratique. - Les réunions de la Ligue démo­cratique à Gand ont été agitées, bruyantes, mais cependant fécondes. La Ligue est le groupement, déjà fort imposant, de toutes les associa­tions démocratiques catholiques de la Belgique. C'est la seule force capa­ble de détourner les ouvriers du socialisme en les appelant à étudier et à défendre leurs intérêts dans le respect de tous les droits et l'esprit de l'Evangile.

Il n'y a pas place pour une autre organisation populaire entre cette li­gue et le socialisme. Cependant un autre groupement d'association a été tenté. Il a son centre à Alost et s'appelle le Parti populaire chrétien. Il ne cesse de compromettre par ses excès de langage la vraie démocratie chré­tienne. Il insulte couramment les évêques et le clergé. Il a plus d'un point de contact avec le socialisme.

La Ligue démocratique a donc tenu une réunion générale pour prote­ster contre la manière d'agir du Parti populaire, et séparer nettement sa cause de celle de ce parti. La réunion a été assez tumultueuse. Les parti­sans du Parti populaire avaient organisé ce tapage.

Le président, M. Verhaegen, a exposé clairement et fermement la si­tuation. «Nous voulons, a-t-il dit, maintenir la Ligue démocratique malgré les récriminations des conservateurs. Le peuple belge veut étu­dier librement ses intérêts et les défendre. Cela ne nous empêche pas de rechercher l'union des catholiques aux jours d'élection. Nous sommes à la fois indépendants et unionistes. Mais nous ne voulons aucune solida­rieté avec les groupes qui méconnaissent l'autoirté religieuse, insultent les catholiques et poussent à la guerre des classes. Nous ne refusons pas l'entrée de la ligue aux groupes du Parti populaire, mais a la condition qu'ils reviendront de leur erreur et rétracteront leurs procédés anté­rieurs

Cent onze associations étaient représentées par leurs délégués. Cent hiut délégués acceptèrent la proposition du bureau. C'est un beau triom­phe pour la vraie démocratie chrétienne.

Allemagne: le Volksverein. - Les catholiques allemands sont plus unis que ceux de France, de Belgique et d'Italie. Ils n'ont pas de groupe démocratique dissident. Pourquoi donc? Le motif en est facile à com­prendre, c'est que tous sont suffisamment démocrates. Le Centre alle­inand a un programme social large et bien défini. Il fait comprendre et goûter son programme dans les associations du Volksverein qui comp­tent en Allemagne deux cent mille membres. Ils ont un trésor de propa­gande par les cotisations des associés qui s'élèvent à deux cent mille membres. Ils ont un trésor de propagande par les cotisations des associés qui s'élèvent à deux cent mille marks par an. Pourquoi les populations catholiques allemandes chercheraient-elles à former d'autres groupe­ments? Mais chez nous, nos conservateurs sont gallicans et césariens. Ils n'ont aucun programme social et ils n'en veulent pas. Dès lors, il y a pla­ce à côté d'eux pour les démocrates chrétiens. Ce parti démocratique est le seul qui puisse rallier le peuple. Il a droit à l'existence et il l'aura com­me les démocrates de la ligue belge; comme eux, les nôtres sont indépen­dants et unionistes. Ils sont prêts à toute entente sage avec les conserva­teurs en temps d'élection, mais ils réclament leur autonomie pour la pro­pagande et l'action.

CHRONIQUE (Décembre 1897)

I. FRANCE

Le Congrès du Sacré-Cœur. - Nous revenons sur le Congrès de Paray. Il a été le premier Congrès du Sacré-Cœur. Le but principal du Congrès était l'étude et l'adoration de l'Eucharistie; mais comme ce Congrès eucharistique se tenait à Paray, ses organisateurs avaient réser­vé une de ses quatre sections au Sacré-Cœur. Et ainsi cette quatrième section a été un véritable Congrès du Sacré-Cœur. On y a étudié l'hi­stoire et la pratique de cette chère dévotion.

Le R. P. Pouplard a exposé l'historique, de la dévotion au Sacré­Cœur. Il l'a fait avec un grand talent, mais comment pouvait-il tout dire dans un simple rapport! Il a été nécessairement incomplet.

Cette belle dévotion remonte aux temps évangéliques. Les premiers adorateurs du Cœur de Jésus ont été la très sainte Vierge et saint Jean, auxquels il faut ajouter les autres disciples du Calvaire et en particulier sainte Madeleine. Longin dut sa conversion à une grâce sortie du Cœur de Jésus. Saint Thomas ne doit pas être omis. Il retrouva la foi en plon­geant sa main dans le côté du bon Maître.

Pour l'âge des Docteurs, l'orateur a cité Tertullien, saint Ambroise, saint Augustin, qui ont exprimé une dévotion personnelle envers le Sacré-Cœur. Ce n'est pas assez. Saint Cyprien, saint Basile, saint Gré­goire de Nazianze, saint Cyrille, ont si dignement célébré la miséricorde du Cœur de Jésus! saint Chrysostome et saint Pierre Damien appelaient le Cœur de Jésus leur céleste trésor. Saint Anselme a écrit de si suaves méditations sur la plaie et l'amour du Cœur de Jésus!

Pour le moyen âge, le P. Pouplard n'a cité que saint Bernard, saint Bonaventure et sainte Mechtilde. L'uditoire réclama avec raison pour sainte Gertrude, qui a prophétisé l'ère du Sacré-Cœur et pour Denys le Chartreux, qui a parlé avec tant de suavité du Cœur de Jésus.

Que d'autres il eût fallu citer encore! saint François d'Assise, dont le cœur fut blessé par un rayon parti du Cœur de Jésus; sainte Claire qui ne passait aucun jour sans saluer le Cœur de Jésus; saint Elzéar, qui donnait à sa chaste épouse, sainte Delphine, un céleste rendez-vous dans le Cœur de Jésus; sainte Lutgarde, qui répondit à Jésus qu'elle ne vou­lait rien que son Cœur; sainte Catherine de Sienne, qui échangea son cœur contre le Cœur de Jésus; sainte Catherine de Gênes, qui désirait se cacher tout entière dans le Cœur de Jésus; sainte Madeleine de Pazzi, à qui Jésus fit don de son Cœur; saint Laurent Justinien, qui parla avec tant d'amour de la blessure du Cœur; saint Vincent Ferriez, qui procla­mait devant les multitudes émues que le pardon de nos péchés avait sa source dans le Cœur de Jésus; et d'autres encore. Il y aurait un beau li­vre à faire sur la dévotion privée au Sacré-Cœur avant Marguerite­Marie. Toutes les grandes familles religieuses y seraient représentées: Bénédictins, Chartreux, Franciscains, Dominicains, etc.

L'orateur insista avec une piété filiale et aussi avec justesse sur la mis­sion confiée par Notre-Seigneur, à la Compagnie de Jésus de répandre cette belle dévotion. Le P. de la Colombière, le P. Croiset, le P. de Galli­fet et plusieurs après eux ont rempli cette mission avec un zèle admira­ble. Le P. Pouplard a eu raison de faire remarquer que cette mission n'était pas exclusive. Il aurait pu ajouter que de nos jours le divin Cœur de Jésus a suscité diverses familles religieuses pour être par elles honoré tout spécialement, notamment la Communauté de Madame Barat, les Pères de Bétharam, ceux d'Issoudun et d'autres encore.

Après cet exposé historique, on parla du culte du Sacré-Cœur en Orient. Que cette dévotion soit répandue chez les latins de Smyrne, de Beyrout et d'Alexandrie, rien d'étonnant; mais ce qui est plus saillant, c'est qu'une église de rite grec ait été dédiée récemment au Sacré-Cœur à Césarée-de-Philippe par le zèle de Mgr l'évêque de Panéas. Et comme les grecs ne connaissent pas l'usage des statues, on y a représenté l'appa­rition du Sacré-Cœur sur une icône.

Le Congrès n'aurait pas été complet si on n'y avait pas offert un hom­mage solennel au Sacré-Cœur. Cet hommage a été lu devant le Saint­Sacrement par le R. P. Lemius et répété à haute voix par la foule. On s'est servi de la formule qu'avait lue M. de Belcastel à Paray en 1873. C'est bien un hommage et non une simple consécration, car à dix repri­ses on y proclame la royauté de Jésus-Eucharistie.

Mais le mieux est de reproduire ici cet acte de foi sociale, en souli­gnant les mots qui expriment le mieux l'hommage au Roi des rois:

«O Jésus, notre Sauveur et notre Roi! Rien n'a été fait que par Vous, en Vous et pour Vous! C'est Vous qui êtes la fin et la raison dernière, non seulement des choses qui vivent dans l'Eternité, mais encore de cel­les qui se meuvent dans le temps préparateur de l'Eternité».

«Vous avez dit un jour, en prophétisant le grand Sacrifice rénovateur du monde: «Quand je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi»». «Tout: c'est-à-dire non seulement l'amour d'un cœur fidèle, mais tous les cœurs, tous les fronts, tous les regards, tous les amours, toutes les puissances, tous les honneurs, toutes les génuflexions de l'humanité à tous ses degrés d'être et sous toutes les formes de sa vie: les foyers com­me les autels, les lois publiques comme les mœurs privées, l'hommage d'une nation et celui des groupes sociaux qui la composent, aussi bien que le culte d'une simple famille et la prière du plus petit enfant».

«C'est pour obéir à ce commandement da Votre volonté adorable qui est la grande loi de toute la création, en même temps que sa force et son suprême honneur, que nous venons aujourd'hui au nom des nations aux­quelles nous appartenons, Vous rendre l'adoration et l'amour qui Vous sont dus».

«D'abord nous Vous reconnaissons, ô Jésus, comme le maître, le roi des rois, le seul Seigneur à qui nous devons tout, puisque c'est de Vous que nous avons tout reçu, et nous déclarons hautement, avec toute l'énergie dont nous sommes capables, que Vous avez sur nous et sur le monde entier des droits inaliénables auxquels personne ne peut se sou­straire, ni les peuples ni les rois ».

«En second lieu, prosternés à Vos pieds, sur cette terre bénie de Paray-le-Monial, où Vous avez montré Votre Cœur couronné d'épines, nous Vous faisons très humblement Amende honorable de toutes les fautes qui peuvent avoir été commises par les nations dont nous faisons partie, soit en commun, soit en particulier, soit par nous-mêmes soit par d'au­tres, soit par actes contraires à Votre sainte loi, soit par simple oubli de la reconnaissance de Votre Royauté, et nous nous écrions du plus profond de nos cœurs, avec l'accent du plus sincère repentir: Pardon! Seigneur! Pardon! ».

«En troisième lieu, à la vue et à cause même des outrages sans nom­bre auxquels Vous êtes en butte dans ces temps malheureux, nous prote­stons de notre fidélité entière, irrévocable, de tout ce qui nous appartient et de tout ce que nous sommes. Nous Vous offrons, sans réserve et sans retour, notre cœur avec toutes ses affections, notre esprit avec toutes ses pensées, notre corps avec tous ses sens, toute notre personne et toute no­tre vie que nous dédions et que nous consacrons à Votre Majesté souveraine ».

«Puissiez-vous ainsi, ô Jésus! régner à tout jamais sur nous, sur nos famil­les, sur nos professions, sur nos cités, sur nos patries, sur le monde tout entier! Que partout votre vie abonde dans les maximes, dans les mœurs et dans les lois! Votre vie dans sa plénitude, avec la vérité qui est sa splendeur, avec la force qui est son apanage! Votre vie divine! la seule vie féconde, qui ne vieillit jamais, qui rajeunit toujours, qui, après avoir rempli le temps de ses merveilles, malgré les défaillances de l'humanité, aura le privilège de se perpétuer au milieu de toutes sortes de biens et de joie pendant la durée interminable de l'éternité. Ainsi soit-il.

La chape de Saint-Martin. - Une petite nouvelle très intéressante pour les amis du règne social de Notre-Seigneur.

Charlemagne faisait porter devant ses armées la chape du grand servi­teur de Dieu, saint Martin. La chape du saint Apôtre des Gaules était le labarum des Francs, le signe de la protection divine. C'était pour honorer la sainte chape que Charlemagne fit bâtir la belle cathédrale d'Aix-la­Chape ou la Chapelle. C'est là que l'étendard sacré était gardé pendant la paix.

A la mort de Charlemagne, le trésor d'Aix-la-Chapelle fut porté à Saint-Denis et plus tard Robert le pieux en distribua une partie à quel­ques églises des environs de Paris. Lagny obtint une partie d'un des clous de la Passion: Pomponne reçut le chef de sainte Véronique; Bussy­-Saint-Georges hérita de belles reliques de saint Martin. Ces reliques, comme tous nos beaux trésors de France, étaient à peu près tombées dans l'oubli depuis la Révolution; cependant, elles subsistaient. Des reli­quaires anciens à Lagny les tenaient cachées. Elles ont été reconnues par Monseigneur l'évêque de Meaux. Il y a une vertèbre et le carpe droit de saint Martin et la partie gauche d'un vêtement ancien, avec l'inscription «Manche du manteau de saint Martin». C'est donc une partie de la glo­rieuse chape qui est retrouvée, de la chape qui a conduit Charlemagne à la victoire sur les ennemis de l'Eglise, les Sarrazins, les Lombards, les Saxons; nous aimons à y voir le présage de nouveaux triomphes pour l'Eglise.

II. AUTRES PAYS

Italie: Congrès général des catholiques à Milan. - Ce Congrès a eu un grand éclat. Il a donné une impulsion plus active encore à l'orga­nisation des catholiques italiens, dont nous parlons en tête de cette chro­nique. L'esprit du Congrès était manifestement celui de la démocratie chrétienne.

On y a donné une importance notable à la question du Manuel social. Déjà en 1896 au Congrès de Padoue, on avait exprimé le regret de n'avoir pas un Manuel italien. «Nous avons, disait-on, beaucoup de ca­tholiques de bonne volonté, instruits en diverses branches de science, mais qui n'ont pas étudié la question sociale, il faudrait un manuel prati­que pour les initier rapidement à cette étude». On pourrait dire la même chose de beuaucoup de prêtres.

La même question s'est posée au Congrès de Milan. M. le chanoine Piovano a proposé une solution: «Nous avons, a-t-il dit, un Manuel français, celui de Soissons, traduisons-le avec quelques modifications pour l'adapter à l'Italie». Il a donné une analyse complète du Manuel, de sa partie théorique et de sa partie pratique. La traduction a été déci­dée, elle est commencée, elle sera éditée prochainement.

Une traduction allemande se prépare aussi. En France, la cinquième édition va paraître, avec quelques retouches.

Puisse ce modeste Manuel, encore bien imparfait, contribuer en di­vers pays au règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son divin Cœur!


1)
Flumen affluens Remos, ubi rei christianae apud Francos dedicata sunt initia.
2)
Cette rivière traverse Reims, ville qui fut pour la France le berceau de la foi.
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