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CHRONIQUE (Janvier 1898)

I. ROME ET L’EGLISE

Canonisation de Marguerite-Marie. - Nous exprimons dans nos vœux de nouvel an l'espérance de voir bientôt aboutir cette canonisa­tion qui marquera un grand pas en avant dans le règne du Sacré-Cœur.

Rappelons à ce sujet la supplique adressée au Saint-Père par les évê­ques présents au congrès Eucharistique de Paray-le-Monial;

«Très Saint-Père, après avoir sollicité et reçu votre bénédiction apo­stolique au début de leurs réunions et de leurs travaux, les membres du congrès Eucharistique de Paray-le-Monial, ne veulent pas se séparer avant d'avoir de nouveau exprimé à Votre Sainteté les sentiments dont ils sont pénétrés à son égard. Ils demandent à Celui dont elle est sur la terre le représentant visible de soutenir longtemps encore la vigueur de son admirable vieillesse et de féconder l'accomplissement de ses desseins pour l'unité et la paix religieuse du monde».

«Leur congrès s'est tenu à l'ombre du sanctuaire que le Seigneur Jésus choisissait, il y a deux siècles, pour révéler les incompréhensibles ri­chesses de son Cœur à une humble Visitandine. Marguerite-Marie a rempli la mission qui avait été imposée à son obéissance, elle a procuré dans toute l'Eglise le règne du Cœur de Jésus-Christ, et plusieurs fois déjà, par des faits et des guérisons extraordinaires, Dieu a témoigné combien il avait pour agréables le zèle et le dévouement de sa servante à la cause qu'il lui avait confiée».

«Unis par leurs désirs aux vœux dont tous les évêques se sont faits les interprètes, les Congressistes de Paray-le-Monial espèrent que le temps n'est plus bien éloigné où la voix du Vicaire de Jésus-Christ décernera solennellement à la Bienheureuse Marguerite-Marie les honneurs de la Canonisation».

«Très humblement prosternés aux pieds de votre Sainteté, nous la prions d'agréer l'hommage de notre religieuse et filiale vénération en N.-S. J.-C.».

Ont Signé; Adolphe Perraud, cardinal, évêque d'Autun; Fulbert, ar­chevêque de Besançon; Victor, évêque de Liège; Etienne, évêque de Ne­vers; Louis, évêque d'Annecy.

L'organisation catholique en Italie. - Nous avons déjà parlé de cette organisation puissante, qui commence à porter ombrage au pou­voir. Les Piémontais se sentant mal assis à Rome sont nécessairement soupçonneux et défiants. Une note donnée par plusieurs journaux après le Congrès catholique de Milan a décrit assez exactement cette organisa­tion, nous en reproduisons les renseignements.

L'initiative de ces œuvres est due à Léon XIII, qui a montré encore en cela sa haute intelligence et sa perspicacité.

Le Pape a pris pour base la hiérarchie catholique. Dans chaque pa­roisse, il a créé un Comité, sous la direction spirituelle du curé, composé des catholiques les plus ardents et les plus capables de faire de la bonne propagande. Ces Comités paroissiaux dépendent des Comités régionaux qui obéissent aux ordres du Comité général dont le siège est à Rome.

Que demande-t-on à ceux qui veulent faire partie du Comité parois­sial! Simplement d'être chrétiens, mais entièremet chrétiens, dit le règle­ment, c'est-à-dire catholiques purs, reconnaissant l'Eglise et obéissant en tout et pour tout aux ordres du Pape sans sophismes et sans distinc­tions.

Les Comités paroissiaux étant plus directement en contact avec le peuple, ce sont eux qui exercent la propagande la plus efficace. Il en exi­ste presque dans toute l'Italie. Sur ces Comités viennent se greffer des institutions qui ne peuvent que les aider puissamment dans leur action. Ce sont: les cercles de la jeunesse, les corporations ouvrières et les socié­tés de secours mutuels, les dortoirs publics, les asiles, les refuges, les cui­sines économiques et enfin les caisses rurales que le parti catholique vient d'introduire depuis peu de temps en Italie et qui ont déjà exercé dans les campagnes une action si bienfaisante qu'on ne peut que leur prédire un brillant avenir.

La bienfaisance est, en somme, l'arme adoptée par le parti catholique. Pouvait-il en choisir une meilleure et surtout en Italie; dans les condi­tions présentes, comment combattre un parti qui au moyen de se Comi­tés va à la recherche de la misère pour la soulager, qui procure aux agri­culteurs l'argent nécessaire pour leurs travaux, qui vient en aide aux ouvriers malades, etc., etc. En 1895, il existait déjà 535 caisses rurales, il y en a plus de 700 aujourd'hui, et nous ne sommes qu'au début de l'œuvre. A Rome, on compte 42 Comités paroissiaux, 2 dortoirs publics de 100 lits chacun, 4 cuisines économiques et 4 sections du secrétariat du peu­ple. C'est encore là une institution dont il convient de dire un mot. Cette institution s'adresse aux ouvriers, aux pauvres, aux gens qui ont besoin de conseils légaux et d'assistance judiciaire: elle recherche pour eux des documents et des renseignements, correspond avec les con­suls à l'étranger; procure des passeports, facilite les relations avec les no­taires, les tribunaux, les administrations gouvernementales.

Et toutes ces institutions marchent magnifiquement: il y règne dans toutes autant de discipline que de dévouement.

C'est de cette organisation que les catholiques sont redevables de leurs triomphes aux élections administratives, les seules encore auxquelles ils participent. En vue des élections communales, le Comité paroissial s'oc­cupe constamment de faire inscrire de nouveaux électeurs du parti: il lance partout ses adeptes qui vont d'une maison à l'autre , d'une famille à l'autre pour préparer le triomphe.

Telle est cette puissante organisation. En la décrivant avec complai­sance, nous ne demandons pas cependant qu'on la copie en France ou ailleurs; chaque nation a ses allures, ses méthodes, il faut dire même ses grâces spéciales. Mais nous pouvons emprunter aux catholiques d'Italie leur union, leur discipline; leur docilité au Saint-Siège.

Voilà vingt ans que nous piétinons sur place en perdant plutôt du ter­rain en France. Il est temps, pour ne pas périr, de renoncer aux partis politiques qui nous divisent et d'engager le combat sur le terrain consti­tutionnel, pour arriver à réformer les lois qui nous déciment.

Congrès de Bâle: les aspirations des juifs. - Depuis Moïse les juifs caressent le rêve de conquérir le monde, d'asservir toutes les races et de substituer leur religion à toutes les autres. Rien ne les désillusionne et ils poursuivront la réalisation de ce programme jusqu'à la fin du monde. Le récent congrès de Bâle fournit une nouvelle preuve de ces aspirations que le rabbin Drach - juif converti - nous a aussi fait connaître, il y a quelques années.

«Les espérances de ma nation, dit-il, sont que le Messie doit être un grand conquérant qui rendra toutes les nations du monde esclaves des juifs. Ceux-ci retourneront dans la terre sainte, triomphants et chargés des richesses enlevées aux infidèles».

Une anecdote plaisante, rapportée par le même M. Drach, nous don­ne la mesure de cette foi des juifs dans le grand jour du pillage universel des chrétiens.

«Dans l'école où j'étais, à Strassbourg, les enfants prirent la résolu­tion de faire, à la première apparition du Messie, main basse sur toutes les boutiques de confiseries de la ville. On discuta pour savoir qui serait le dépositaire de ce précieux butin. En attendant les dragées, il se distri­buait dans la discussion force coups de pied et de coups de poing. Ces ar­guments amenèrent une convention en vertu de laquelle chacun devait gar­der ce dont il s'emparait. J'ai dressé longtemps, à part moi, l'état des lieux d'une boutique, au coin de la place d'Armes, sur laquelle j'avais jeté mon dévolu».

Ce plan naïf, ces débats, et ces conventions des jeunes juifs condisci­ples du très savant Drach, montrent mieux que toute parole les doctrines positives que leur inculquent leurs maîtres.

En 1880, le rabbin John Readlif donnait à ses frères les moyens d'arri­ver à leur fin: le rétablissement des royaumes d'Israël, pour de là domi­ner le monde entier.

II. FRANCE

Le moyen de salut. - En France, beaucoup de catholiques, de tem­pérament monarchiste, attendent toujours un sauveur, un roi ou un ce­sar. Tel ne paraît pas être le dessein de la Providence.

Dieu veut laisser au peuple français l'honneur de se sauver lui-même. C'est par leurs œuvres, leur action sociale et leur organisation que les catholiques de France prendront l'influence qui leur est due.

On est bien placé au Vatican pour contempler de haut et dans une at­mosphère sereine les affaires de France. Eh bien! c'est la pensée que nous exprimait un article officieux écrit du Vatican à l'Osservatore romano au 13 novembre dernier.

Dieu offre cet honneur à la France, mais honneur oblige et pour me­ner à bien une si grande œuvre, que de courage et de persévérance il faudra!

Citons l'article de l'Osservatore: «Actuellement, on ne parle que de peuple et de démocratie. Eh bien! cela prouve, d'après nous, qu'au­jourd'hui les peuples égarés doivent d'eux-mêmes se remettre sur la bonne voie et que les nations bouleversées doivent d'elles-mêmes revenir à l'ordre et à la paix. Celle-ci n'est autre chose que la tranquillité dans l'ordre. Il nous semble que cette vérité émerge plus que jamais claire et limpide en France et par la France; aussi croyons-nous qu'elle doit se pé­nétrer pleinement de la grande responsabilité qui lui incombe envers Dieu et envers elle-même».

A l'œuvre donc, catholiques de France! un jour à Jeanne d'Arc, il veut la donner française. Organisez-vous, priez et luttez,

La gloire que Dieu a donnée aujourd'hui à la démocratie pour Dieu et pour la patrie.

Un syndicat mixte à Roubaix. - Il y a une grande activité chrétien­ne à Roubaix. Le Tiers-Ordre a là une influence considérable grâce au zèle du P. Pascal, franciscain. Disons en passant que tous les prêtres qui désirent organiser le Tiers-Ordre dans leurs paroisses et lui donner une action sociale, feront bien de se mettre en rapports avec le P. Pascal.

Les patrons chrétiens de Roubaix ont donc constitué un syndicat mix­te. Ce syndicat réunit onze tissages, deux filatures de coton, une filature avec tissage, quatre filatures de cardé, un peignage, une teinturerie. Ces établissements comptent ensemble 12.500 ouvriers. Le syndicat va leur procurer une grande partie des avantages des anciennes corporations. On y a formé un Conseil de conciliation et d'arbitrage qui comprend quatre patrons et quatre ouvriers, avec un président étranger à la corpo­ration. Pour les conflits entre patrons et employés, le Conseil comprend quatre patrons et quatre employés avec un président étranger. C'est une juridiction libre qui a les mêmes attributions que les Conseils des Prud'hommes et à laquelle les conflits sont déférés, quand les parties en cause s'engagent sur l'honneur à en respecter les décisions.

C'est là un grand pas de fait vers le régime corporatif. Nous ne croyons pas cependant que cela puisse empêcher les ouvriers chrétiens de Roubaix de se voir entre eux, d'étudier leurs droits, de se concerter pour réclamer dans l'organisation du travail la justice qui leur est due.

III. AUTRES PAYS

Angleterre: œuvre de la conversion. - C'est par une cérémonie émouvante que l'œuvre de prières pour la conversion de l'Angleterre a été inaugurée à l'église Saint-Sulpice, sous la présidence du cardinal Ri­chard, archevêque de Paris et du cardinal Vaughan, archevêque de Westminster.

Mais ce qui intéressera particulièrement nos lecteurs, c'est le lien étroit qui unit cette ligue de prières avec la dévotion au Sacré-Cœur. Le congrès de Paray-le-Monial a voulu s'associer au nom de tous les amis du Sacré-Cœur à l'archiconfrérie de prières pour l'Angleterre et il a transmis l'adresse suivante aux évêques catholiques d'Angleterre:

«Messeigneurs, les membres du Xe congrès Eucharistique internatio­nal, réunis à Paray-le-Monial, la cité du Sacré-Cœur, vous offrent l'ex­pression très respectueuse de leurs vœux. Ils s'associent à tout ce que votre zèle apostolique vous inspire de faire pour ramener à la véritable Eglise tous ceux qui en sont séparés par le schisme et l'hérésie».

Ils recommanderont avec instance au Cœur de notre divin Sauveur, particulièrement pendant les heures d'adoration qui auront lieu devant le très saint Sacrement exposé dans la nuit de jeudi 23 au vendredi 24 septembre, l'Archiconfrérie et association de prières que Sa Sainteté le Pape Léon XIII vient d'instituer afin d'obtenir plus vite de la bonté de Dieu le retour de la nation Anglaise à l'unité catholique et dont il a con­fié la direction à la vénérable Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice.

Avec vous, Eminence et Messeigneurs, avec vos prêtres et les pieux fi­dèles de vos diocèses ils supplieront le Cœur qui a tant aimé les hommes d'envoyer à votre pays une surabondante effusion de grâces et d'y faire refleurir dans toute leur plénitude la vie et les institutions catholiques de votre glorieux passé.

Ils demanderont à la Bienheureuse Marguerite-Marie et au vénérable Père de la Colombière d'intercéder en faveur d'une cause qu'ils savent être très chère au Souverain Pontife et à laquelle s'intéressent les catholi­ques du monde entier.

Ils prient Votre Eminence, et vous, Messeigneurs, d'agréer l'homma­ge de leurs sentiments les plus dévoués en N.-S. J.-C.».

Ont Signé, au nom des membres du Congrès.­

Adolphe -Louis-Albert Cardinal Perraud, évêque d'Autun; Fulbert, archevêque de Besançon; Victor, évêque de Liège; Etienne, évêque de Nevers; Louis, évêque d'Annecy.

Le Cardinal Vaughan, archevêque de Westminster a répondu au nom de ses collègues par la dépêche suivante: «Remerciements, hommages, union des cœurs dans le Sacré-Cœur par la hiérarchie anglaise à Votre Eminence, à Nos Seigneurs et aux Congressistes en prières à Paray-le­Monial».

C'est au Sacré-Cœur de Jésus qu'est confiée la conversion de l'Angle­terre.

Hollande: pieuse coutume. - Dans la plupart des villes de Hollan­de, le Conseil, depuis un temps immémorial, ouvre les séances par la prière suivante:

«Dieu Tout Puissant, nous vous prions de nous bénir dans l'accom­plissement de la tâche qui nous est imposée. Donnez-nous la sagesse et la prudence; vivifiez en nous la conviction profonde que nous dépendons de Vous, et faites que nos délibérations tendent à la poursuite des vérita­bles intérêts de cette ville. Ainsi soit-il».

Si nos Conseils en faisaient autant, leur administration laisserait pro­bablement moins à désirer.

Italie: expiation. - L'Italie officielle expie par ses embarras finan­ciers ses attentats sacrilèges. Malheureusement les populations catholi­ques d'Italie sont le bouc émissaire sur lequel l'Etat usurpateur fait peser les charges qui lui incombent.

Les faits parlent assez haut. Citons le témoignage d'un journal italien, confirmé par les aveux des économistes:

«En Italie, le gouvernement prélève 1 milliard 600 millions de contri­butions. Les communes et les provinces en absorbent encore pour 700 millions, soit un total de 2 milliards 300 millions. Or, le directeur de la statistique, M. Bodia et tous les économistes les plus autorisés évaluent la production de la richesse nationale en Italie au-dessous de 4 milliards et demi. Par conséquent, les corps publics absorbent la moitié de la ri­chesse produite annuellement par le pays!» (Giornale di Sicilia).

CHRONIQUE (Février 1898)

I. ROME

Encyclique sur l'Eucharistie. Prière et pénitence. - Le Saint-­Père nous conduit toujours en même temps dans les voies de la piété et de la vérité. Pendant qu'il écrivait ses grandes encycliques doctrinales et sociales, il les entremêlait de pieux enseignements sur le rosaire et la dé­votion à Marie. En dernier lieu, il écrivait à la fois sa lettre sur l'ensei­gnement au Canada et son encyclique sur l'Eucharistie. Agir et prier, ce sont les deux moyens qu'il faut toujours unir pour faire l'œuvre de Dieu.

Le Saint-Père aime les congrès eucharistiques, qui sont autant des pè­lerinages et des réunions de prières que des congrès. Il aime les adora­tions réparatrices. C'est qu'il faut beaucoup prier et réparer dans le temps présent. Il y a tant de grâces à obtenir, tant de fautes à effacer! Nous désirons le retour des Eglises séparées à l'unité, la libération du Saint-Siège, le relèvement des nations chrétiennes, c'est bien, mais pour obtenir ainsi miséricorde, il faut d'abord payer nos dettes et expier tout le passé.

Remarquons le passage d'Isaïe que l'Eglise nous fait lire au jour de Noël: «Console-toi, Jérusalem, le salut va venir parce que tu as payé au double tous tes péchés». Payons aussi nos dettes par le repentir, l'amen­de honorable, l'adoration réparatrice, la pénitence, l'acceptation des épreuves quotidiennes, afin que Dieu ne soit pas obligé de se payer lui-même en nous envoyant des châtiments bien lourds. Prions surtout l'Eu­charistie, c'est la source des grâces. Aidons-nous de l'intercession des Saints qui ont le plus aimé l'Eucharistie, comme saint Pascal Baylon, saint Tarcis, sainte julienne, sainte Claire, saint Philippe de Néri. Al­lons au Cœur miséricordieux de Jésus, présent dans l'Eucharistie, et il nous aidera.

L'obéissance. - La lumière s'est faite sur l'obéissance due aux di­rections du Saint-Siège. La passion aidant, on a d'abord beaucoup di­scuté. Le Pape avait-il le droit de s'occuper de notre politique, etc. Au­jourd'hui, l'accord est fait parmi les hommes de bonne volonté. Le Pape seul peut avoir mission pour déterminer l'étendue de son autorité, autre­ment il serait loisible à chacun d'échapper à toute direction du Pape en niant sa compétence sur un point déterminé.

A la fin du Congrès de Paris, le R. P. Bouvier de la Compagnie de Jésus a bien mis ce point en lumière. Citons-en quelques lignes: «Soldats de la grande armée catholique, disait-il, ce n'est point à vous qu'il convient de rappeler le respect de la discipline, car votre foi et votre piété vous imposent cette obéissance dont vous aurez à cœur de ne ja­mais vous départir. Vous voulez attirer les bénédictions de Dieu sur vos entreprises, et vous êtes persuadés que sans sa grâce vos œuvres ne sau­raient fructifier. Mais n'oubliez jamais qu'en dehors de l'obéissance, il n'est plus permis de compter sur son secours. Le dévouement même le plus généreux ne suffirait pas pour suppléer à la soumission qui a seule des promesses de victoire: Vir obediens loquetur victorias (Prov. XXI). «Ainsi vous ne songerez jamais à tracer vous-mêmes les limites dans lesquelles doit évoluer l'autorité de l'Eglise. Ce n'est point aux fidèles, c'est au Pontife suprême que Jésus-Christ a promis l'assistance dans son gouvernement, assistance pour le moins insuffisante, si elle n'assurait d'abord la juste délimitation de son autorité. Ces limites, qu'il appar­tient au chef de l'Eglise de déterminer lui-même, ou bien il les indique d'une manière formelle, ou bien il fait entendre jusqu'où elles doivent reculer par le seul fait qu'il agit en vertu de son autorité apostolique. C'est là ce qu'exprimait un théologien célèbre dans une parole sur la­quelle Benoît XIV a cru devoir apposer le sceau de son autorité excep­tionnelle:

«Quand le Pape accorde une dispense, douter s'il a le droit de le faire, c'est une sorte de sacrilège. Car c'est pour ainsi dire reprocher à Jésus­Christ de n'avoir pas suffisamment pourvu aux nécessités de son Eglise».

Obéissons donc tous humblement aux directions de Léon XIII, c'est la condition des bénédictions divines.

II. FRANCE

L'union des catholiques. - On peut dire que cette union est faite. Il reste encore et il restera toujours quelques dissidents. Les schismes et les divisions ne s'effacent pas si vite. Il y a bien encore des partisans de la petite Eglise, qui s'est formée après le concordat de 1801! Bien plus, il reste encore à Samarie des partisans du schisme des dix tribus, et cela date de trois mille ans! Ne nous étonnons pas s'il reste quelques réfrac­taires avec des journaux qui expriment quotidiennement leurs boude­ries.

Mais, en somme, l'union est faite et bien faite et nous en augurons les meilleures espérances pour le règne de Notre-Seigneur.

Les deux congrès de Paris et de Lyon ont mis le sceau à cette union. L'union est faite sur le terrain choisi par le Pape, sur le terrain constitu­tionnel. Les deux congrès ont acclamé une fédération des forces catholi­ques avec un Conseil central chargé de grouper les forces et de négocier des alliances.

Mais ces deux congrès n'ont-ils pas eu eux-mêmes un esprit différent? Quant aux choses substantielles, non. Tous les deux étaient ouverts à tous les vrais catholiques, à tous les catholiques complets. Tous les deux se plaçaient sur le terrain républicain et démocratique. Il y avait cepen­dant une nuance, et pourquoi, n'y en aurait-il pas? On sait la règle: in necessariis unitas, in dubiis libertas. - Dans les choses nécessaires, unité; dans les questions douteuses, liberté.

Les deux congrès n'étaient pas exclusifs, mais on peut dire qu'à Paris dominaient les républicains par résignation; à Lyon, les républicains par préférence.

Le devoir, c'est d'accepter la République, devenue le gouvernement établi et régulier en France. Mais la morale sociale et les conseils du Pa­pe nous laissent bien libres de garder nos préférences intimes pour telle forme de gouvernement qui nous convient le mieux.

De même l'Evangile nous demande d'avoir pour les humbles travail­leurs des sentiments de justice et de charité, mais il nous laisse bien libres de préférer pour l'organisation du travail une forme plus ou moins dé­mocratique.

Il y a donc place pour deux groupes catholiques, unis en tout ce qui est nécessaire et libres dans les questions accidentelles. Les deux congrès, sans être absolument circonscrits, représentaient assez exactement ces deux nuances. L'union est faite entre eux par la fédération. C'est une grande joie pour le Saint-Père de voir aboutir enfin ses conseils si pres­sants et si souvent répétés.

Prière et réparation. - L'union se fait entre catholiques, c'est bien, mais l'union et l'action ne sont pas tout, il faut y joindre la prière et la répa­ration pour obtenir les bénédictions divines. Rappelons-nous les plaintes du Sacré-Cœur, les larmes de Marie à La Salette, son appel à la pénitence à Lourdes. Nous avons tant à nous faire pardonner: les blasphèmes, les impié­tés de la presse, les lois iniques, l'apathie des catholiques, la vie de plaisir et de luxure de la société contemporaine! Il faut beaucoup prier, faire péniten­ce, faire amende honorable à Notre-Seigneur.

Vous surtout, âmes pieuses, dans le cloître ou dans le monde, redou­blez de ferveur dans vos prières et vos œuvres réparatrices pendant la période où nous entrons, période d'agitation politique et électorale. Vos prières et vos œuvres auront une grande part dans les résultats que nous pouvons espérer. L'Eglise et la nation chrétienne ont le droit de compter sur vous, ne leur faites pas défaut. Soyez généreuses dans vos péniten­ces, dans vos souffrances. Faites offrir aussi de temps en temps le saint sacrifice aux intentions de l'Eglise, c'est une des œuvres les plus fécon­des que vous puissiez accomplir.

III. AUTRES PAYS

Le Saint Empire. - C'était une grande institution que le Saint Em­pire, cette puissance séculière principale, instituée par le Saint-Siège et jouant le rôle de sergent de l'Eglise. C'était une grande idée, mais il fal­lait des princes chrétiens pour la réaliser, des princes comme saint Henri et Othon-le-Grand. Les Frédéric Barberousse et les Henri IV d'Allema­gne ont tué cette institution.

Il en restait une ombre qui va s'affaiblissant tous les jours. La confé­dération germanique avait encore à sa tête, il y a trente ans, un prince catholique. Elle a reçu le coup de mort à Sadowa. L'Eglise est mainte­nant en présence d'un puissant empire protestant. L'Autriche se dissout et se désagrège. L'idée allemande jettera les populations du Tyrol, de l'Autriche propre et de la Bohème dans les bras de l'empire du Nord. Une agitation puissante est commencée dans ce sens. La Hongrie et les provinces Slaves de l'Autriche se rendront indépendantes. Il n'y aura plus même l'ombre du Saint Empire germanique.

Mais par ces remaniements de territoire, l'Allemagne du Nord pour­rait acquérir une majorité de catholiques et alors, par l'influence dont les majorité disposent aujourd'hui dans les parlements, cet empire jeune et puissant serait obligé de donner dans une certaine mesure son concours à l'Eglise. La pauvre Autriche n'a-t-elle pas mérité cette substitution des grâces? Elle a été toujours si égoïste et si impérieuse dans ses rapports avec l'Eglise! Son souverain actuel est personnellement chrétien, mais il paraît destiné comme Louis XVI à payer la dette contractée par ses pré­décesseurs. C'est le secret de Dieu.

En Orient. - Dans l'Extrême-Orient, la Chine s'affaiblit, elle sem­ble agoniser. Les puissances européennes y prennent pied dans un but commercial, la Providence se servira de cela pour ouvrir davantage ce grand empire à l'apostolat catholique et y assurer la sécurité des mission­naires.

Nous saluons les deux nouveaux martyrs que vient de donner à l'Egli­se la belle Société des missions allemandes de Steyl, dont le noviciat est tout voisin du nôtre en Hollande.

Plus près de nous, à l'Orient de l'Europe, les missions de la Serbie et du Monténégro se fortifient. Le Saint-Siège négocie avec la Serbie pour y établir plusieurs évêchés. Au Monténégro, la cathédrale catholique de Cettigne s'élève. Le Saint-Père a pris sur ses modiques ressources pour envoyer là une belle souscription.

L'Eglise des Coptes-unis en Egypte se réorganise aussi. Elle tient un synode général et va élire son patriarche. Il y a là des progrès quotidiens dans l'union qui apportent au Saint-Père une grande consolation.

CHRONIQUE (Mars 1898)

I. ROME

Directions sociales. - En Italie comme en France l'action catholi­que actuelle se présente sous le titre de Démocratie chrétienne. Le mouve­ment cathlique en Italie est dirigé par deux grandes sociétés: l'Union pour les études sociales et l'Œuvre des Congrès. L'Œuvre des Congrès a déjà cou­vert l'Italie d'associations. Elle a des comités provinciaux, diocésains et paroissiaux, elle propage les Caisses rurales. Elle a pour président géné­ral M. Paganuzzi, de Venise.

L'Union pour les études sociales a moins de surface, elle a des comités dans quelques villes seulement. C'est elle qui a l'influence doctrinale. Elle a pour chef le professeur Toniolo.

L'Œuvre des Congrès correspond à peu près à notre Œuvre des Cer­cles. l'Union pour les études sociales a plus de rapports avec nos groupe­ments démocratiques.

L'Œuvre des Congrès vient de tenir son grand congrès annuel à Mi­lan. Les membres de l'Union d'études sociales y ont pris part. Ils y ont tenu des réunions particulières. Ils ont eu leur grande part d'influence sur la psychologie du congrès. Cela ne leur suffit pas, ils songent à tenir un congrès spécial, un congrès de la démocratie chrétienne.

L'Œuvre des Congrès fait des œuvres, l'Unions des études remue des idées. Les deux œuvres se complètent. L'Union captive les jeunes. Elle cherche comment on fera rentrer dans la vie sociale l'esprit démo­cratique de l'Evangile qui avait pénétré si profondément le moyen âge.

L'Union des études est plus sociale que politique; elle n'a pas dans son programme, comme les groupements démocratiques français, une adhé­sion à la république, puisque la république n'est pas le gouvernement de fait en Italie. Elle y conduira peut-être indirectement. Elle étudie le régi­me du crédit et ses défauts, le crédit populaire, l'organisation corporati­ve, le régime du travail, la répartition des impôts.

L'Union des études a le vieil esprit guelfe. Elle n'aime pas les influen­ces étrangères, elle veut «l'Italie aux Italiens - l'ascension des classes populaires - leur participation à la vie publique».

La démocratie chrétienne d'Italie a au fond les mêmes aspirations que la nôtre. Elle à ses racines dans l'esprit de l'Evangile. Son réveil est le fruit des enseignements de Léon XIII.

Le droit commun. - Il y a des catholiques qui réclament le droit com­mun, d'autres rejettent cette formule. Il faut s'entendre. Cette expression a été souvent employée par le vieux libéralisme dans un sens condamna­ble. Les libéraux voulaient que «l'Eglise fut réduite à la liberté de vivre selon le droit commun à tous les citoyens» (Encycl. Au milieu des sollicitu­des). Ils entendaient par là faire régner l'athéisme officiel, qui est contrai­re aux données de la raison elle-même et à toutes les traditions de l'hu­manité. La société civile doit rendre un culte à Dieu. Une nation catholi­que doit honorer le Christ et respecter l'Eglise, tout en accordant une sa­ge tolérance aux cultes qui ne méconnaissent pas la loi naturelle. Pris dans ce sens, le droit commun n'est pas acceptable pour l'Eglise. Pie IX et Léon XIII l'ont condamné.

Des catholiques bien intentionnés entendent par droit commun le droit tout court, le droit proportionné à la justice. C'est bien, mais alors pourquoi se servir d'une expression équivoque? N'est ce pas perpétuer les difficultés et les controverses?

Ces jours-ci, par exemple, l'Univers et une Croix de province discu­taient la valeur de cette expression, le droit commun. Selon La Croix du Tarn, le droit commun, «c'est la loi universelle appliquée à tous les ci­toyens d'un pays, sans considération d'aucune sorte pour les droits ac­quis, les services rendus, les situations particulières des individus appe­lés par leur rôle social ou religieux à bénéficier d'un régime meilleur».

Selon l'Univers «le droit commun n'est pas ce niveau brutal, égalitai­re, auquel tous indistinctement doivent être soumis; il a plus de souples­se et de raison; il ne consiste pas dans l'application d'une loi commune à toutes les situations… il consiste dans le respect de tous les droits…».

Ces feuilles excellentes prouvent au moins que l'expression est équivo­que et cela suffirait pour justifier les prescriptions du Saint-Siège. Laissons donc de côté l'expression «droit commun» qui manque à tout le moins de clarté et réclamons pour l'Eglise comme pour tous l'équité et la justice. Cela suffit, n'est-ce pas? C'est clair et cela supprime une équivoque et une cause de division. Il en restera toujours assez.

II. FRANCE

Confessions. - Il y a en France des retours marqués à une vie plus chrétienne et à une politique plus sage.

François Coppée, ramené à Dieu par l'épreuve de la maladie, devient un apôtre. L'auteur des Humbles a toujours eu une âme droite, honnête et compatissante. Il était, comme il disait, «chrétien de cœur, sinon de foi»; Dieu lui a fait grâce et lui a donné cette foi qui lui manquait. Main­tenant, il annonce courageusement cette foi à ses lecteurs dans un jour­nal, d'ailleurs frivole, leJournal. Avec des accents tout imprégnés de poé­sie, il célèbre la réconciliation de son âme avec la lumière et la vérité. Les événements contemporains lui servent de thèmes, et, comme un croyant, il les interprète avec les vues élevées de la foi. Il glorifie les mis­sionnaires qui partent héroïquement à la conquête des âmes; il chante saint Vincent de Paul et oppose les bienfaits de la charité chrétienne aux méfaits de la bienfaisance laïque; il appelle de tous ses vœux la fête de Jeanne d'Arc. L'âme de Coppée est bien faite pour vibrer à l'unisson avec cette héroïne du patriotisme chrétien.

Dans les lettres et dans l'enseignement, bien des hommes, que la foule est habituée à suivre, reviennent vers l'Eglise de plus ou moins loin. On sait l'évolution de Brunetière, de Bourget, de Huysmans. Un des cory­phées de l'Université, Alfred Fouillée, laissait voir aussi dernièrement dans la Revue politique un esprit nouveau. Il déplore la corruption de la pres­se et la voie fausse qu'a prise l'enseignement primaire, dont on a fait un instrument de la politique.

L'Université et l'école normale supérieure se laissent pénétrer par l'élément chrétien. On commence à y compter des personnalités catholi­ques influentes. C'est un symptôme.

Jeanne d'Arc. - Nous aurons la fête nationale de cet ange du patrio­tisme. L'opinion publique y tient, il faudra bien que le Parlement y arri­ve.

M. de Mahy a fait à la Chambre sur cette question un rapport plein de bon sens. La presse est presque unanime. L'Université est favorable. Quelques socialistes même veulent bien oublier que Jeanne était catholi­que, pour ne voir en elle que son patriotisme.

Coppée nous a donné un bon coup d'épaule par un article suggestif dans leJournal. Il va de l'avant sans respect humain. Il n'admire pas seu­lement l'héroïne, mais aussi la sainte et l'envoyée de Dieu. Il n'écarte pas le miracle de cette vie si extraordinaire.

«Un miracle! Naguère encore, dit-il, en prononçant ce mot j'aurais sotte­ment haussé les épaules. Maintenant mon orgueil a rendu les armes». «Un jour, j'ai senti sur mon front le souffle de la mort, et en moi se sont réveillés l'horreur du néant et le besoin d'une vie éternelle. Alors, j'ai relu l'Evangile. Je l'ai lu comme il faut le lire, avec un cœur simple et confiant, et, dans chaque page, dans chaque mot du livre sublime, j'ai vu resplendir la vérité. Et je crois fermement aujourd'hui à tous ces mi­racles, d'ailleurs racontés, décrits, attestés par les évangélistes avec une sûreté et une précision de détails où éclate la plus évidente et la plus com­plète sincérité».

«Oui, Jésus a rendu l'ouïe aux sourds, la vue aux aveugles, le mouve­ment aux paralytiques, la vie aux trépassés. Il a répandu en prodigue, pendant son court passage en ce monde, ces bienfaits merveilleux pour prouver qu'il était le Fils du Dieu vivant et pour fonder la religion qui, depuis dix-neuf cents ans, donne la paix de l'âme à tous les hommes de bonne volonté. Cette foi en Jésus-Christ, que j'ai retrouvée - car mon enfance fut chrétienne - je veux la garder en moi et désormais l'aug­menter sans cesse, constamment, patiemment, sans me décourager aux heures de défaillance. Car si, parfois, je chancelle et j'ai peur, comme saint Pierre en marchant sur les flots, vous voyez pourtant que je vous obéis, Seigneur, et vous êtes là pour me soutenir!».

«Cette force miraculeuse, qui émanait de la personne de Jésus , quand il était parmi nous, il l'a communiquée à ses disciples. Il peut tou­jours la donner à ses élus, dans une proportion moindre, sans doute, mais encore surnaturelle; et je crois reconnaître le signe de cette puissan­ce supérieure dans la mission et dans les actes de Jeanne d'Arc».

La jeunesse catholique. - Le congrès de la jeunesse catholique, qui s'est tenu à Tours et dont les actes viennent d'être publiés, a été le digne pendant du congrès national de Paris et du congrès démocratique de Lyon. Les directions du Pape y ont été acclamées. Après ce congrès, nous pouvons répéter ce que nous disions après celui de Lyon: «C'est chose faite, les catholiques de France sont acquis à la république et sym­pathiques à la démocratie».

Les lettres de l'épiscopat à ces jeunes gens montrent aussi que ceux qui ont autorité dans l'Eglise de France s'affirment de plus en plus dans ce courant d'idées.

Monseigneur l'archevêque de Tours a pris une grande part à la direc­tion du congrès, il a bien contribué à le maintenir dans la bonne voie. Il écrit, en recevant le compte rendu: «Avec quel charme je vais lire ce vo­lume et revivre les jours avec vous trop rapidement et si doucement vé­cus!».

Le cardinal Richard écrit: «Votre lettre résume admirablement l'ac­tion que doit exercer l'association en indiquant les deux idées dominan­tes qui la dirigent: union entre tous les jeunes catholiques, obéissance parfaite aux directions du Souverain Pontife».

Mgr l'archevêque de Besançon: «L'action prudente, mais généreuse et persévérante, l'action dans l'union, sous la direction délicate des évê­ques, dans la communauté de vues et dans la parfaite soumission à l'au­torité et à la pensée du Chef suprême de l'Eglise, tel doit être le mot d'ordre de l'heure présente».

Mgr l'évêque de Quimper: «Nous marchons vers une ère nouvelle. Le Saint-Père a levé le rideau et nous a montré les nécessités appropriées aux temps qui vont suivre».

Mgr l'évêque de Digne: «Je bénis cette chère jeunesse catholique qui met toutes ses ardeurs à servir et à réaliser les pensées de notre grand Pa­pe Léon XIII».

Mgr l'évêque de Nevers: «J'appelle de tout cœur la bénédiction de Dieu sur le sage dessein que vous avez conçu et que vous poursuivez à la lumière des directions pontificales».

D'autres lettres font écho à celles-ci.

Quelques journaux ont beau se traîner dans l'ornière, les directions du Pape vont pénétrer toute l'action catholique en France. Répétons-le avec Mgr Valleau, évêque de Quimper: «Nous marchons vers une ère nouvelle. Le Saint-Père a levé le rideau et nous a montré les nécessités appropriées aux temps qui vont suivre».

III. AUTRES PAYS

Le Congo belge. - Notre belle mission est commencée. Nos deux Pères partis d'Anvers le 6 juillet sont arrivés à leur destination après trois mois d'un voyage fatigant et périlleux. C'est au cœur même du continent africain, à Stanley-Falls, qu'ils sont installés, plus loin qu'au­cune mission précédente. C'était urgent, les protestants et les musul­mans ont déjà là des stations.

A quelques kilomètres de la station de l'Etat, nos Pères ont choisi un bel emplacement autrefois habité par des noirs. Le site est d'une grande beauté, mais le climat y est rude par la chaleur qui y règne. C'est un ma­melon situé entre le fleuve Congo et la rivière Chopo. Des arbres prodi­gieux entourent la plaine où les bananiers forment broussaille. On bâtit. L'Etat nous a prêté cent trente noirs pour faire des briques et construire les bâtiments de la mission. Le P. Gabriel s'exerce déjà à parler le ki­swaïli. Il préside aux travaux, vêtu de sa soutane blanche et servi par ses nègres qui lui demandent déjà à être initiés à la prière. Quatre confrères sont partis d'Anvers le 6 février pour aller le rejoindre. Les conversions seront faciles et bientôt les baptêmes commenceront. L'éloignement, le climat et les grandes dépenses seront pour les missionnaires le prix au­quel ils achèteront ces âmes.

Que nos lecteurs veuillent bien nous aider par leurs prières! Leurs of­frandes pour la mission seraient aussi les bienvenues.

Canada. - Les Pays de la foi ne perdent rien des grâces que la Provi­dence distribue selon les temps et les circonstances. Au Canada, la dévo­tion au Sacré-Cœur s'est propagée merveilleusement.

Les catholiques y sont groupés en associations du Sacré-Cœur, non pas seulement pour la prière, mais aussi pour l'action. Tous les comités d'œuvres ont la bannière du Sacré-Cœur. Les premiers vendredis de chaque mois, le Saint-Sacrement est exposé dans toutes les paroisses et les prêtres disent la messe du Sacré-Cœur.

Le Cœur du bon Maître règne donc déjà bien amplement dans cette belle province qui a tant d'affinités avec notre France. Puisse-t-il régner bientôt sur toute l'Europe!

CHRONIQUE (Avril 1898)

I. ROME

Les fêtes de notre Père. - Au 1er, Janvier, le Saint-Père accomplis­sait ses soixante années de sacerdoce et célébrait ses noces de diamant. Ces jours-ci on rappelle aussi ses cinquante ans d'épiscopat, il a été sacré le 19 février 1848, et ses vingt ans de Souverain Pontificat, il a été élu Pape le 20 février 1878.

Ce sont les noces de diamant qui ont revêtu le plus de solennité. Voilà plus de deux mois que les hommages, les présents, les pèlerinages se suc­cèdent, et ce n'est pas fini. Les pèlerins arrivent encore du Mexique et de la Suisse.

L'apogée de ces fêtes a été la messe du Pape à Saint-Pierre le 13 fé­vrier. Toute la presse a signalé l'empressement des soixante mille pèle­rins, leur enthousiasme et leurs acclamations. Mais on n'a pas assez re­marqué le caractère tout nouveau de ce pèlerinage.

Ce n'était plus comme autrefois une masse inorganisée, de braves gens venus chacun pour leur compte et manifestant leur dévotion filiale au Pape. Ce pèlerinage avait un caractère absolument social. C'étaient des associations catholiques venues de tous les points de l'Italie, depuis Milan jusqu'à Naples, des comités paroissiaux, des cercles de jeunes gens, des associations ouvrières, des caisses rurales. Plus de trois cents sociétés diverses étaient représentées, avec leurs conseils et leurs gonfa­lons.

Léon XIII a bien saisi ce caractère spécial du pèlerinage. Il a touché du doigt le fruit de ses encycliques. Il a vu les catholiques d'Italie se réor­ganiser et reprendre sous son impulsion les habitudes de la vie sociale. Il a frémi de joie en voyant ces trois cents gonfalons s'incliner devant lui auprès de l'autel de Saint-Pierre. Il a dû penser aux cent villes guelfes qui avaient autrefois fait le serment au capitole de défendre la liberté de l'Eglise et de l'Italie.

Le Saint-Père a voulu recevoir en particulier, les jours suivants, les chefs du mouvement corporatif en Italie et les présidents de toutes les as­sociations. Il se délectait en voyant les catholiques retremper leurs forces dans l'union.

Nous visitions le délicieux pays du Latium quelques jours avant le pè­lerinage, nous parcourions Albano, Ariccia, Nemi, Frascati, Grotta Fer­rata. Partout on se préparait. A Nemi, on me disait: «Nous serons quatre-vingts de l'association ouvrière». A Rocca di Papa, on me disait: «Nous serons deux cents». Le Latium catholique se réveille, il a son vaillant journal hebdomadaire, et il avait ses vingt-cinq associations au pèlerinage. Citons entre autres: «La société ouvrière de Frascati». - «Le cercle: Etude et art». - «La société ouvrière d'Albano». - «La société catholique: Le Réveil». - «Les sociétés ouvrières de Grotta Ferrata, Velletri, Genzano, etc.». - «Le cercle de la jeunesse catholi­que de Rocca priora, celui de Marino, celui de Frascati». - Les Caisses rurales de Genzano, de Marino, de Castel Gandolfo, de Monte Compa­tri, etc.». - Les comités paroissiaux de Genzano, Civitalavinia, Nemi, Ariccia».

Voilà certes une belle effloraison d'œuvres. Les catholiques repren­nent possession d'eux-mêmes. Ils vont conquérir les conseils commu­naux et provinciaux et ils seront prêts, quand il y a aura quelque chose de plus à faire.

Puissions-nous en France agir avec cette discipline et former en toutes nos communes des associations catholiques!

Signalons encore un épisode de ces fêtes. Les étudiants des universités d'Italie sont devenus anticléricaux depuis le régime piémontais. Ils n'ont guère pour professeurs que des juifs et des francs-maçons. Là aussi, ce­pendant, il y a un réveil. A Rome et dans plusieurs villes universitaires, il y a des cercles catholiques d'étudiants. A Rome, ce cercle a cent vingt adhérents. Ces jeunes gens s'aguerrissent et commencent à confesser fiè­rement leur foi à l'occasion. Ils sont allés à la cérémonie de Saint-Pierre et ils ont levé leurs bérets d'étudiants en acclamant le Pape-roi. Cela fail­lit provoquer une révolution à Rome. Le lendemain, trois cents étu­diants mécréants protestèrent par un vaste monome et portèrent une couronne è la statue de l'apostat Giordano Bruno en insultant le Pape. Il fallut mobiliser toute la police et un bataillon d'infanterie pour les cal­mer. Le cercle catholique y a gagné quelques inscriptions nouvelles. L'esprit de lutte s'accentue, c'est bon signe.

II. FRANCE

Montmartre et Zola. - Le romancier infect qui a dépeint les mœurs de toutes les classes de la société française en les prenant de parti pris sous leur aspect le plus méprisable et le plus scandaleux, s'est atta­qué en dernier lieu à tout ce qu'il y a de plus sacré, à la Vierge Marie, au Souverain Pontife, au Sacré-Cœur de Jésus. Dans son roman sur Paris, qui vient de paraître en feuilletons, il se complaît à narrer les desseins des anarchistes contre l'église du Vœu National. Il expose longuement leurs arguments, leurs projets sous une forme suggestive. Il ne ferait pas autrement s'il voulait exciter ses lecteurs à détruire ce palladium de Pa­ris.

Mais la divine Providence s'est lassée de ses blasphèmes. Elle l'a abandonné aux aberrations de son orgueil. Il s'est mis au service du syn­dicat antipatriotique organisé pour sauver Dreyfus. Et le pauvre roman­cier y a perdu sa popularité. Il est honni maintenant de toute la France. Au lieu de l'Académie française, on lui décerne la prison. La jeunesse française lira moins ses pages malpropres et ce sera un grand profit pour la morale. Les beaux tirages de Zola sont finis, grâce à Dieu. Le Sacré­Cœur du bon Maître est intervenu pour arrêter le scandale.

Démocratie chrétienne. - On a beaucoup discuté ce mot depuis quelque temps, mais il prend le dessus. Et que signifie-t-il autre chose, sinon l'organisation chrétienne du peuple, de la nation, le règne de la ju­stice et de la charité pour le bien de tous, avec une sollicitude spéciale pour les travailleurs et les pauvres? La démocratie chrétienne, c'est le triomphe de l'Evangile, c'est le règne du Sacré-Cœur.

Mais nous avons la bonne fortune de trouver sur cette question des pages éloquentes dans le mandement de carême de Mgr l'archevêque d'Aix, citons-en quelques fragments.

«Mes chers amis dit-il, qui vous occupez avec dévouement, éloquence et talent, des intérêts de la classe ouvrière, prenez donc les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ (le Venite ad me omnes), comme le texte in­vincible de vos conférences, de vos discours, de vos livres, de vos jour­naux, de vos revues, sur cette question vitale, vous êtes sûrs de ne pas vous égarer… Ne craignez pas d'être appelés démocrates chrétiens. Si votre démocratie est chrétienne, elle aimera et servira le prochain; elle fera le bien et jamais le mal, autrement elle ne serait pas chrétienne. - Démo­cratie chrétienne veut dire peuple de Jésus-Christ, puissance exercée au nom de Jésus-Christ, c'est là vraiment la constitution sociale; c'est la vie des sociétés. C'est l'ordre, c'est la justice, c'est la charité, c'est l'amour des uns et des autres en Jésus-Christ, par Jésus-Christ, notre Maître, no­tre Sauveur, qui nous promet tous les secours: reficiam vos, je vous soulage­rai, je vous guérirai, je vous referai. - Nous n'avons rien à redouter de cette qualification: démocrates chrétiens. Démocrates chrétiens avec Jésus­Christ notre chef, notre législateur, avec son Evangile, son symbole, ses commandements et ceux de l'Eglise, vous ne ferez jamais le mal, tous les malheureux vous béniront; tous les honnêtes gens vous estimeront comme bons chrétiens et bons français. N'oubliez jamais que démocratie chré­tienne veut dire puissance populaire selon l'Evangile; c'est le peuple en­tier gouverné par la loi de Jésus-Christ. C'est la signification de ces deux mots, ou ils ne signifient rien du tout. - Que pouvez-vous avoir à repro­cher à la démocratie chrétienne ainsi entendue dans son sens naturel? Si elle est chrétienne, elle remplira d'abord tous ses devoirs, elle respectera tous les droits. Elle obéira à tous les pouvoirs établis, religieux ou civils; elle fera une équitable répartition des charges ou des avantages; elle ne donnera pas tout aux uns et rien aux autres; à ses yeux, il n'y aura que des Français égaux devant toutes les lois: Les uns ne seront pas traités en parias et les autres en privilégiés. J'aime à vous répéter ces vérités, on ne les redira jamais assez. Il faut que notre parole frappe et refrappe comme un marteau sur une enclume: il y a des cœurs plus durs que le fer…».

Et Mgr d'Aix s'étend encore, mais ces paroles si nettes et si claires suf­fisent pour justifier l'école si chrétienne et si évangélique de la démocratie.

Lourdes. - 21me pèlerinage national du mois de Mai à Notre-Dame de Lourdes. - Pèlerinage de prières accompagnant les malades pauvres avec l'approbation du Cardinal-Archevêque de Malines et sous la présidence d'honneur de Mgr Mercier.

Date: Du 26 Avril au 4 Mai 1898.

Trois trains spéciaux directs: I. De Liège par Namur et Charleroi. - II. D'Anvers par Bruxelles et Mons. - III. De Gand par Courtrai. Prix: d'Anvers: en 1re classe, 150 fr.; en 2me, 98 fr.; en 3me, 65 fr. - De Liège: en 1re, 148 fr.; en 2me, 96 fr.; en 3me, 64 fr. - De Bruxelles et de Gand: en 1re, 146 fr.; en 2me, 95 fr.; en 3me, 63 fr. - De Namur: en 1re, 144 fr.; en 2me, 93 fr.; en 3me, 62 fr. - De Charleroi, de Mons et de Courtrai: en 1re, 140 fr.; en 2me, 90 fr.; en 3me, 60 fr. - Majoration de 5 francs pour ceux qui s'inscriront après le 3 Avril à midi. - Clôture définitive des li­stes, le 12 Avril.

Malades pauvres. - On est prié d'adresser, avant le 15 Mars, les au­mônes pour l'Œuvre des malades pauvres et les demandes d'admission de malades au pèlerinage, à M. l'abbé Thiery, professeur à l'Université ca­tholique, rue des Flamands, 1, à Louvain.

Pour les prospectus détaillés, renseignements et inscriptions, s'adresser au président du comité, M. Ros-Man, rue des Fabriques, 13, à Bruxelles.

III. AUTRES PAYS

Les Missions. - La Propagande de Rome vient de publier l'Annuaire des missions. On n'en avait pas publié depuis trois ans. Dans cet intervalle les progrès du règne de Jésus-Christ dans les missions ont été fort nota­bles. Léon XIII a créé plusieurs diocèses, vicariats et préfectures aposto­liques: le diocèse de Tucson, dans l'état d'Arizona aux Etats-Unis, le vi­cariat du pays de Galles en Angleterre, celui du Tonkin supérieur, un se­cond vicariat à Madagascar et la préfecture apostolique de Terre­Guillaume en Océanie.

Dans toutes les missions dépendant de la Propagande on relève aussi de consolants progrès dans le nombre des catholiques. L'accroissement est de 37.000 en Angleterre, de 62.000 dans la Hollande, qui compte maintenant 1.800.000 catholiques; de 1.900 au Danemark, qui en compte maintenant 7.000; de 37.000 dans les missions de l'Allemagne du Nord; de 82.000 dans la péninsule des Balkans, et de 8.000 en Grèce.

Dans les missions d'Asie, pour le seul rite latin, le nombre des catholi­ques est ainsi réparti: 120.000 dans la Turquie d'Asie; 1.500 en Arabie; 1.178.000 dans les Indes anglaies; 827.000 dans l'Indo-Chine fran­çaise; 532.000 dans l'empire Chinois; 81.000 dans la Corée et le Japon.

En Amérique, le Canada compte 2.184.000 catholiques; les Etats­Unis, 9.479.000; les Antilles et la Guyane, 339.000; la Patagonie, 50.000

L'Océanie compte 897.000 catholiques.

Le progrès est sensible aussi chez les catholiques des rites orientaux et ce progrès est dû au zèle intelligent de Léon XIII.

Les catholiques orientaux se répartissent comme il suit suivant les di­vers rites: 30.000 Abyssins et Ethiopiens; 25.000 Coptes; 107.000 Armé­niens; 1.048.000 Grecs-roumains; 13.000 Grecs-bulgares; 3.543.000 Grecs-ruthènes; 116.000 Grecs-melchites; 22.000 Syriens; 72.000 Syro­chaldéens; 277.000 Syro-maronites; 260.000 Syro-malabares.

C'est en tout, pour les rites orientaux, une augmentation de 250.000 catholiques en trois ans. Léon XIII doit en être bien consolé. Plusieurs rites orientaux ont à Rome des collèges qui aideront puis­samment à l'union. Ce sont les rites Grec, Ruthène, Arménien, et Ma­ronite. Ces derniers collèges ont été fondés ou réorganisés par Léon XIII.

L'Orient tout entier serait bien vite revenu à l'unité, si les Russes donnaient l'exemple, et cela tient à l'empereur de Russie seul. N'est-ce pas une indication pour les prières des pieux catholiques?

CHRONIQUE (Mai 1898)

I. ROME

Courants d'idées. - Il y a des erreurs qui s'usent et des vérités long­temps submergées qui reviennent à la surface.

L'idée religieuse écartée de la vie publique et sociale, c'est une vieille erreur issue de la révolte protestante. On le sait, l'hérésie protestante a été plus politique que religieuse. Ce sont les princes qui se sont faits les apôtres de la Réforme, pour opprimer l'Eglise et s'emparer de ses biens.

Les princes catholiques se sont arrêtés à mi-chemin. Sans divorcer avec l'Eglise, ils ont fait une séparation de corps et de biens. Soit par leurs actes, soit par des déclarations comme celle de 1682, ils se sont ren­dus indépendants de l'Eglise, c'est-à-dire qu'ils ont soustrait la vie poli­tique et sociale au contrôle de la morale chrétienne. Dès lors l'esprit païen est rentré dans les lois et dans la vie sociale. L'esprit païen, c'est l'âpreté au gain, c'est le luxe et les plaisirs chez les grands, c'est l'oppres­sion des petits. C'est l'impatience du joug, l'envie et la révolte chez les travailleurs réduits à une condition servile.

Cet esprit païen, secondé par l'humanisme et la renaissance, a mis trois siècles pour battre son plein. Aujourd'hui qu'il arrive à ses consé­quences extrêmes, les hommes les plus sérieux entrevoient le précipice où nous conduit cette vie païenne. Nous allons aux luttes sociales de l'ancienne Rome entre une aristocratie financière et des esclaves révol­tés.

Léon XIII a jeté le cri d'alarme. Il faut revenir à l'esprit chrétien, qui contient les grands dans la modération, qui leur inspire la justice et la charité, qui relève les petits et les console.

A cet appel de Léon XIII a répondu tout un concert d'activités nou­velles parmi les catholiques, en faveur surtout des classes laborieuses. Les uns étudient les règles de la justice sociale pour en réclamer l'appli­cation soit dans les lois soit dans l'organisation industrielle; les autres se dévouent à des œuvres diverses, syndicats, caisses de crédit, secrétariats du peuple.

Tout ce mouvement ayant pour but l'amélioration du sort des ou­vriers est appelé l'action démocratique chrétienne, et dans ce sens large tous les catholiques agissants sont des démocrates chrétiens: démocrates, ceux qui réclament une législation protectrice en faveur des travailleurs, démocrates, ceux qui se plaignent de tous les excès de la féodalité finan­cière; démocrates, ceux qui s'occupent de grouper les ouvriers dans des associations économiques. On appelle démocrates aujourd'hui tous ceux qui sentent le besoin de quelques réformes sociales et de quelques insti­tutions nouvelles en faveur des ouvriers; et l'ensemble de ces revendica­tions et de ces œuvres est appelé le programme démocratique chrétien.

Il y a vingt ans, on se disait conservateur, mais depuis qu'on a recon­nu combien notre vieux moule social était criblé d'abus, on n'ose plus prendre cette épithète. N'y a-t-il pas en effet beaucoup plus à réformer qu'à conserver? Bientôt il n'y aura plus un catholique qui n'ait compris la nécessité des réformes démocratiques.

Il y a un autre courant d'idées non moins accentué, c'est celui qui condamne l'ère de la Renaissance, si exaltée par l'opinion publique de­puis trois siècles. Dans la littérature, dans l'art, dans la politique sur­tout, la Renaissance n'a pas été le progidieux progrès que l'on croyait, elle a été un déclin de la vie chrétienne, un retour en arrière aux idées, aux formes, aux mœurs du paganisme.

Avouons que nous avons eu trois siècles de folie. Les hommes d'église eux-mêmes s'y laissaient prendre. Voyez-vous Léon X faisant sonner toutes les cloches de Rome pour la découverte de la statue de Laocoon, et faisant ranger tous les prêtres sur le passage de l'œuvre idolâtrée; et le cardinal Bembo se dispensant du bréviaire pour ne pas gâter sa belle lati­nité; et le cardinal Barberini faisant imprimer les maximes de Marc­Aurèle comme un livre de piété et nos pieux maîtres du XVII° et du XVIII° siècles rendant à Virgile et à Horace un culte presque idolâtri­que et méprisant le moyen âge tout entier, comme un âge barbare et grossier.

Nous en étions encore là, il y a trente ans. M. Duruy exprimait encore l'opinion commune quand il disait, dans sa préface de l'Histoire romaine: «La civilisation antique, c'est-à-dire la nôtre, après avoir régné sur cent millions d'hommes, après s'être enracinée durant quatre cents ans, par ses croyances et par ses monuments, au cœur des populations et dans le sol qui les portait, a mis pourtant dix siècles à sortir de dessous les rui­nes».

Ainsi le temps de l'escalavage, le règne de la luxure, de la tyrannie et de l'usure, c'était l'idéal! Et nos siècles chrétiens, où les mœurs étaient généralement pures, où l'art produisait nos cathédrales, où la philoso­phie était représentée par saint Thomas d'Aquin et l'éloquence par saint Bernard, c'était le temps de l'ignorance et de la barbarie!

Ces siècles avaient bien de temps en temps quelques heures lucides. Il y avait des hommes de caractère qui s'élevaient au-dessus de la folie de leur temps. Des Papes, comme Adrien VI et Paul II, des prélats comme Pallavicini, des religieux comme Savonarole, Melchior Cano, Louis de Grenade, comme les jésuites Grou et Possevin protestaient contre l'aveuglement de leurs contemporains.

Dans notre siècle, la campagne a été reprise par des catholiques éner­giques, par Montalembert, Parisis, Ventura, Gaume, Donoso Cortès. Au soir de ce siècle, la bataille est gagnée. C'est Léon XIII qui a porté le coup décisif. Il nous a montré dans ses lettres pastorales et surtout dans son encyclique sur la Condition des ouvriers, la supériorité des âges chrétiens. Les sociologues et les historiens abondent dans le même sens. Lisez Janssens, Pastor, Taine lui-même. L'histoire sociale de l'Eglise commence à s'écrire. Les littérateurs, les critiques d'art sont gagnés. Li­sez Huysmans et Bourget lui-même. Les conférenciers érudits comme Toniolo et les conférenciers populaires travaillent à détruire les préjugés dont nous vivions depuis quatre cents ans. Ce qui s'appelait la renais­sance était un déclin et le mépris de ces siècles païens s'appelle désormais un réveil. C'est un courant d'idée qui s'accentuera, et s'il ne triomphait pas, ce serait la ruine de la société chrétienne. Mais nous y reviendrons, et cette pensée vaut bien un article entier dans cette revue.

II. FRANCE

8 mai. - Ce sera un jour de belle bataille. Il faut s'y préparer com­me on s'y préparait à Lépanto, à Vienne, à Cordoue, par la prière à Dieu et à Marie, par la récitation du rosaire.

Le jour est propice: tous les patrons de la France seront en liesse et en veine de générosité: la Vierge Marie dont c'est le mois, saint Michel et Jeanne d'Arc dont c'est la fête. Mais cela ne suffit pas: aide-toi, le ciel t'aidera. Il faut agir. Nous ne sommes plus des sujets, menés par un sou­verain absolu comme par le bout du nez, nous sommes des citoyens dans une société démocratique. Le suffrage universel égalitaire est un instru­ment détestable, il est vrai, mais enfin nous n'avons que celui-là, il faut le saisir comme Samson a fait avec la mâchoire d'âne et compter sur l'ai­de de Dieu.

Nous ne nous faisons pas d'illusion. La victoire ne sera pas brillante. Nous ne sommes pas prêts. Cet esprit de citoyen a été retrouvé par nos en­nemis plus et mieux que par nous. Ils agissent plus que nous; nous n'avons plus la combativité d'un saint Paul, revendiquant ses droits de citoyen, d'un saint Dominique, d'un saint François d'Assise, d'un saint Antoine de Padoue, pacifiant les factions et menant la lutte contre l'hérésie et l'usure. Des femmes même nous font honte: sainte Catherine de Sienne, sainte Ro­se de Viterbe, Jeanne d'Arc, étaient d'autres citoyens que nous.

Il y a cependant un progrès. Le civisme chrétien se réveille. La bonne presse y contribue, les congrès excitent les courages, les groupes démo­cratiques, les groupes de jeunes sont pleins d'élan. Mais que de traî­nards encore! que de bras croisés!

Les résultats ne seront pas brillants, c'est sûr. Il faut encore cinq ans, dix ans, quinze ans peut-être, pour retremper le caractère des catholi­ques et avec des sujets refaire des citoyens. Que les clairvoyants agissent! Leur rôle est celui de Jeanne d'Arc; combattre et entraîner les autres au combat.

Que Dieu protège la France!

III. AUTRES PAYS

Belgique. - Heureux les peuples qui échappent au fléau de la paix armée! La Belgique a eu ce bonheur jusqu'à présent. Elle a déjà con­struit trop de forts qu'il faudra recommencer demain, parce qu'ils ne sont plus à la hauteur du progrès. C'est un petit faible, qui n'est pas comparable aux-folies de l'Italie, résignée à vivre de pain de maïs et d'eau claire pour avoir des canons et des armées.

La Belgique n'est pas endettée comme le sont la plupart des nations. Elle n'a que deux milliards de dettes, et ils ont été employés à des tra­vaux productifs: rivières canalisées, ponts améliorés, établissements d'enseignement artistique, scientifique et professionnel, création et ex­tension des chemins de fer, en un mot tout ce qui peut améliorer physi­quement et moralement le sort d'une nation.

Fait-elle bien de se laisser gagner par la fièvre des armements? Il nous semble que non. Elle est défendue par sa neutralité et par la jalousie de ses voisines mieux que par une armée.

Mais si nous avons affaire à un engouement national, à une pointe de vanité, à quoi serviront nos avertissements de Cassandre?

Espagne et Etats-Unis. - Les Etats-Unis aussi jouissaient de la paix non armée. Sur leur budget de 458 millions de dollars, ils pouvaient con­sacrer 200 millions de dollars, soit un beau milliard de francs, à l'in­struction publique. Mais il y avait à côté d'eux la perle des Antilles, la belle Cuba, qui les empêchait de dormir. Ils ont vu de bon œil l'insur­rection des Cubains, ils l'ont encouragée. Ils veulent Cuba et ils ont des dollars pour l'acheter d'une manière ou de l'autre. Les voilà pris aussi de la fièvre des armements.

L'Espagne a beaucoup à expier. Elle a eu sa période dite libérale où elle a chassé les religieux de la métropole et des colonies. Les religieux avaient la confiance des populations à demi civilisées de Cuba. Ils les contenaient. Ils ne sont plus là. Les colons ont pris vis-à-vis de leurs maî­tres l'indépendance que ceux-ci avaient prise vis-à-vis de l'Eglise, c'est logique. L'Espagne paiera probablement par la perte de Cuba l'expul­sion de ses religieux.

Suisse. - Les catholiques gagnent du terrain en Suisse. Ce n'est pas qu'il y ait beaucoup de conversions, mais dans les villes de Suisse, les protestants ont la fortune et ils sont atteints du mal moderne, ils ont peu d'enfants: les catholiques sont pauvres, mais ils sont prolifères.

Genève avait encore en 1843 plus de protestants que de catholiques, 34,000 contre 27,000; aujourd'hui elle a plus de catholiques que de pro­testants, 60,000 contre 52,000. Malheureusement les protestants ont en­core la suprématie aux élections: ils ont la fortune et l'influence, et de plus beaucoup de catholiques originaires de la Savoie ou de l'Italie ne sont pas encore naturalisés et n'ont pas le droit de vote. Mais le jour viendra où les catholiques pourront conquérir le gouvernement cantonal de Genève.

CHRONIQUE (Juin 1898)

I. ROME

Les pèlerinages. - Le pèlerinage belge a passé, nombreux, édifiant, plein d'entrain et de piété. Il a laissé à Rome la meilleure impression, mais il en a emporté aussi bien des grâces et des joies, douces et fortes.

Le Saint-Père aime beaucoup la Belgique, il se souvient toujours de sa nonciature à Bruxelles. Il a félicité les catholiques belges d'avoir pris au sérieux son encyclique sur la Condition des ouvriers. Il sait que le socialisme n'est pas comme on le croit trop généralement un mouvement purement politique. Le socialisme est une résultante de notre état économique et social. On ne peut le combattre efficacement qu'en remontant aux cau­ses et en chageant les conditions de notre société capitaliste et individua­liste. Les catholiques belges y travaillent en réorganisant le régime cor­poratif et en faisant des lois protectrices des ouvriers. Qu'ils continuent dans cette voie, ils donnent un grand exemple à l'Europe.

Le Pape a loué aussi les Belges de la trêve qui s'est faite entre les grou­pes catholiques. Il faut en remercier Dieu. Les démocrates chrétiens ont leur place dans les groupements catholiques. C'était juste. Les groupes démocratiques sont encouragés par le Saint-Siège. Le mouvement dé­mocratique chrétien gagne chaque jour du terrain en France et surtout en Italie, sous les yeux du Saint-Père. C'est le parti de l'avenir. S'il a dans ses rangs quelques personnalités imprudentes et compromettantes, c'est le fait de tous les partis jeunes et ardents. Il saura s'en défaire et unir la prudence au zèle le plus hardi et le plus vivant.

Un autre pèlerinage a été accueilli par le Pape avec une affection toute paternelle. C'est celui des Pérugins. Léon XIII ne manque pas une occa­sion de manifester son grand cœur. Il a gardé pour ses anciens diocésains de Pérouse une tendresse paternelle. Eux aussi ont gardé pour lui une affec­tion filiale. La réception au Vatican de ces bons campagnards de l'Ombrie avec leurs curés a été bien touchante. La plupart n'avaient pas revu leur ancien évêque depuis vingt ans. De bons vieux curés, agenouillés aux pieds du Pape, pleuraient à chaudes larmes et ne savaient parler.

Le Pape fit servir à diner à tous ses chers diocésains d'autrefois. Il leur rappela les bons souvenirs qu'il a gardés de Pérouse. Il a la mémoire si heureuse! Il accepta les 40.000 francs qu'ils avaient péniblement réunis pour lui faire une belle offrande, mais ce fut pour leur en rendre 50.000, destinés aux œuvres de Pérouse et du diocèse et particulièrement aux cuisines économiques fondées pour secourir les ouvriers sans travail.

Léon XIII est vraiment grand prince. Il comble aussi de ses bienfaits sa petite ville natale, Carpineto, au pays des Volsques. Carpineto devra à Léon XIII une rénovation complète. Elle a ses églises restaurées, ses écoles fondées et ses œuvres bien dotées.

Quel grand souverain aurait été Léon XIII, s'il avait eu ses Etats à gouverner avec les ressources d'un budget bien administré!

II. FRANCE

Elections. - Le résultat de la lutte est encourageant pour les catholi­ques. Ils ont gagné du terrain. Ils auront un beau groupe. Ce qui vaut mieux encore que le nombre, ils ont la qualité. Ils ont des hommes de va­leur, des hommes qui sauront parler et se faire écouter. Quelques semai­nes de lutte et de prière ont préparé ce succès.

Mais ces élections nous apportent aussi une grande leçon. Il y a des déceptions, des défaites locales, des insuccès. Nous ne sommes pas enco­re le nombre, nous sommes toujours la minorité. Nous avons trop agi à la française. Nous ne savons pas nous astreindre à un labeur long et con­tinu. Nous comptons sur un courant d'idées, sur un effet d'éloquence. Nous manquons d'organisation.

Combien nous aurions à apprendre sous ce rapport de la Belgique. Là les comités électoraux sont permanents. Ce n'est pas en quinze jours qu'on prépare une élection, mais en quatre ans. Toute commune est or­ganisée. Chaque parti y a ses chefs, ses listes. La propagande est con­stante. En France, nous nous laissons duper. Les listes sont falsifiées et incomplètes, nous ne les révisons pas. Nous sommes une armée sans ca­dres. Nos groupes catholiques n'ont ni listes, ni chefs de quartiers et de rues. C'est encore l'état sauvage de la politique. Le césarisme de la Re­naissance nous è désagrégés. Nous sommes à l'état de poussière. C'est l'individualiste absolu. Nous ne savons pas faire les citoyens. Nous som­mes les sujets de César depuis quatre cents ans. C'est un péché originel. Nous subissons la loi de l'atavisme.

Il faut que nous redevenions des citoyens. Ce sera long, mais il y a dé­jà un tout petit commencement et cela même est encourageant. Nous re­venons à l'esprit d'association. Nous le devons à Léon XIII. Les œuvres sociales nées de l'Encyclique nous referont citoyens. C'est un souffle qui se lève. Nos syndicats agricoles ont fait dans ce sens la meilleure beso­gne. On en voit le résultat, les groupes syndicaux ont déjà ça et là leurs candidats et des candidats excellents. C'est une forçe qui sera doublée ou triplée d'ici quatre ans. Il y a là pour l'avenir plus qu'une lueur d'espoir. Comment reprendre nos villes?

Par l'organisation, et cette organisation peut être très diverse. Nous en avons d'heureux exemples. A Orléans, c'est la paroisse qui a pris le mouve­ment en mains; à Roubaix, c'est le Tiers-Ordre. En attendant les groupes corporatifs chrétiens, agissons par les comités paroissiaux et par les fraterni­tés franciscaines. L'Italie, sous l'inspiration du Pape, nous donne l'exemple de l'organisation des comités, par provinces, diocéses et paroisses.

L'important est qu'on se voie, qu'on se connaisse, qu'on se réunisse, tant pour la vie politique que pour la vie économique.

Les anciennes œuvres ne suffisent plus. Les sociétés de Saint­Vincent-de-Paul excluent la politique, les Cercles se défendent de faire de la politique, tout en ayant quelque velléité d'action économique. Ces œuvres resteront des œuvres catholiques excellentes et ne seront pas des œuvres sociales. Elles pourront faire ou conserver des chrétiens, elles ne feront pas des citoyens chrétiens.

En France, les vertus privées sont étouffées sous l'athéisme légal. Re­streindre l'apostolat aux vertus privées est un ayeuglement colossal. Dans un navire qui fait eau, pompez tant que vous voudrez, l'eau finira par vous engloutir. Ce qu'il faut faire, c'est aller à la source du èal et boucher les issues. Chez nous, le mal vient de l'organisation sociale, le salut sera le fruit d'un long travail social, actif, persévérant, infatigable.

A l'œuvre donc! Organisation-nous. Associons-nous pour refaire des citoyens chrétiens. Quand la cité chrétienne sera relevée, le Christ rè­gnera vraièent parmi nous.

III. AUTRES PAYS

Espagne et Amérique. - La lutte actuelle a pour principal instigateur la franc-maçonnerie. Elle a ses officines partout. C'est elle qui provoque la plupart des mouvements populaires dans l'Amérique du Sud. Elle a voué une haine implacable à l'Eglise. Elle renverse les gouvernements qui mon­trent quelque velléité catholique. Depuis longtemps l'Espagne est son point de mire. Elle agite la péninsule, elle veut détruire les colonies.

L'Espagne a eu des torts aussi. Elle exploitait durement Cuba. Elle a fait une faute irréparable, quand elle en a exclu les religieux, il y a un demi­siècle. Ces populations à demi-civilisées étaient tout entières dans les mains de leurs pasteurs, on les leur a enlevés, elles sont devenues ingouvernables.

La franc-maçonnerie aime à s'appuyer sur le protestantisme. Elle sait qu'il n'est plus guère aujourd'hui qu'une forme de la libre-pensée. Alfaro recevait de l'argent des sociétés bibliques des Etats-Unis pour l'aider à révolutionner l'Equateur. A peine parvenu au pouvoir à Quito, il appela une centaine de pasteurs protestants et en dota toutes les villes de l'Equateur.

Les Etats-Unis vont, hélas! faire la même chose à Cuba et aux Philip­pines, s'ils en restent les maîtres. Ces îles se couvriront de temples et d'écoles protestantes. La belle unité de la foi y sera bientôt détruite.

Les Philippines ont six millions d'habitants. Cuba en a un million et demi. Leurs populations sont toutes catholiques. On n'en fera pas des protestants, mais par l'influence des pasteurs on en fera des libres­penseurs.

Les catholiques auront partout à lutter pour leur foi. Ils deviendront moins nombreux peut-être dans ces pays soumis à l'influence protestan­te, espérons qu'ils seront plus vaillants et plus forts et que Notre­Seigneur n'en sera pas moins glorifié.

Italie. - Ici, c'est la pauvreté, la misère même. Le pain est cher et l'ar­gent manque pour l'acheter. L'agriculture souffre, l'industrie est nulle. N'étaient les étrangers, qui versent en Italie deux cent millions par an, comment y vivrait-on? Et cependant, c'est le plus beau pays du monde et il a été le plus riche, non seulement au temps de l'empire romain qui attirait ici les tributs du monde entier, mais encore au temps des républiques chré­tiennes, qui avaient fait de l'Italie l'entrepôt de toute l'Europe.

Pourrait-on revoir ces beaux temps? Oui, en partie du moins, mais à condition que l'administration du pays serait tout autre. Toutes les for­ces sociales sont brisées au profit de l'unitarisme militaire.

Tout a été sacrifié à la politique. On a voulu une grande armée par gloriole; on a gaspillé toutes les propriétés collectives qui entretenaient tant d'œuvres de tout genre. On a créé à grands frais l'enseignement sans Dieu. On a rompu les rapports commerciaux avec la France. On a voulu tirer d'un pays agricole des impôts aussi élevés que ceux qu'on peut obtenir des pays où règne une riche industrie.

L'Italie ruinée se désaffectionne de la dynastie de Savoie et de la fa­meuse unité nationale. L'esprit républicain fédératif gagne du terrain. Naples, Venise, Florence, Milan, sont lasses de n'être plus que de sim­ples préfectures. Elles ne seraient pas fâchées d'être au moins des capita­les de cantons ou d'états fédérés, comme Genève, Fribourg, Zurich.

L'œuvre de la Providence se fait lentement et le Souverain Pontife pour­ra, dans les changements qui se préparent, retrouver son indépendance.

CHRONIQUE (Juillet 1898)

I. ROME

L'anarchie italienne. - Une véritable révolution a éclaté en Italie, sans être prévue, sans être soupçonnée même par la police. Tout à coup on apprit que toutes les villes étaient à feu et à sang.

Le gouvernement est surpris de n'avoir pas connu cette immense or­ganisation socialiste. Les socialistes, de leur côté, sont étonnés de n'avoir pas réussi. Une autre fois, ils s'y prendront mieux.

La révolution était bien préparée, elle devait réussir. On devait com­mencer partout en même temps. Les employés de chemins de fer de­vaient porter le mot d'ordre et ensuite se mettre en grève pour empêcher les mouvements de troupes. Ils sont enrôlés dans les groupes socialistes.

Si le programme avait été exécuté rigoureusement, la dynastie de Sa­voie n'avait plus qu'à faire ses valises. Mais la cherté du pain a précipité l'émeute dans quelques villes, alors le mouvement s'est fait irrégulière­ment. La Sicile et la Calabre sur lesquelles on comptait n'ont pas été prévenues à temps. La population de Milan, qui s'était lancée hardi­ment dans le mouvement, a payé pour les autres. Les journaux officiels disent qu'elle a eu soixante-dix morts, mais les récits les plus sérieux di­sent qu'il y en a eu plus de mille. C'était une bataille en règle.

Les socialistes disent tout bas qu'ils recommenceront en prenant mieux leurs précautions. C'est vraisemblable.

Pourquoi ces émeutes? Le pain cher n'a été qu'un prétexte. Le vrai motif, c'est que l'Italie est lasse de la situation actuelle. Le peuple est écrasé d'impôts et il gagne peu. Il n'a plus sa foi ancienne et sa docilité au clergé. Les jeunes gens ont été élevés dans les écoles sans Dieu. Tout ce monde est donc facilement accessible au socialisme.

Le gouvernement comprendra-t-il la leçon? C'est peu probable. Les journaux inspirés par le ministère sont assez stupides pour dire que le clergé est la cause du mal.

Si l'Italie ne reprend pas un régime chrétien, elle verra des journées terribles comme celles qui ont humilié et brisé la France en 1870-1871. Nous l'engageons à méditer les réflexions suivantes qu'on trouve dans une lettre d'Octave Feuillet publiée par le Correspondant et datée du 17 oc­tobre 1871.

«Oui, je le sens et je le vois, il y a, dans ces grandes catastrophes où nous nous débattons, un signe manifeste de l'intervention providentielle dans les choses humaines. Cette soudaine explosion de barbarie au mi­lieu de notre civilisation raffinée, cette guerre sauvage aux portes de Pa­ris, ces jardins, ces villas, ces palais, ruinés et ensanglantés, cette nation superbe et charmante, la première du monde, foudroyée en un instant et foulée aux pieds des chevaux barbares; tout cela n'a-t-il pas, au plus haut degré, le caractère d'un fléau surhumain? Tout cela ne fait-il pas songer à ces grands cataclysmes de la nature qui éclatent brusquement pour couvrir d'un déluge d'eau ou de feu quelques terres maudites? N'est-ce pas comme une nuée, un abîme, qui s'entr'ouvre tout à coup dans la profondeur du ciel et qui laisse voir Dieu? Y a-t-il dans l'histoire du monde, dans les pages légendaires où la main divine s'appesantit sur les nations coupables, y a-t-il rien de plus saisissant?».

«Point de société sans Dieu! La nôtre a voulu s'en passer, c'est l'im­possible même, car tous les autres sentiments qui forment les liens so­ciaux sont liés eux-mêmes aux sentiments religieux. Si notre nation se relève de ce désastre, ce sera par une puissante réaction religieuse. Au­trement, ma conviction est qu'elle ne se relèvera jamais».

Le 15 mai. - Les socialistes de tous pays ont pris l'habitude de fêter le 1er mai. C'est pour eux la fête du travail. Ce jour-là, ils abandonnent l'usi­ne, ils s'amusent ou se rassemblent pour des réunions politiques. Leur vrai but est de se compter et de donner à leur parti la conscience de sa force.

L'Eglise n'est pas ennemie des fêtes. Elle a institué en faveur de l'agri­culture les processions de saint Marc et des Rogations. Elle avait autre­fois les belles fêtes des corporations et elle désire les revoir. Le 1er mai ne lui dit rien, il y manque une pensée religieuse.

Mais les démocrates chrétiens d'Italie ont eu cette année une heureuse pensée. Ils ont fêté à Gênes et ailleurs en beaucoup de réunions catholi­ques la date du 15 mai. De même que les journaux socialistes ont une édition spéciale pour le 1er mai, les journaux populaires catholiques ont publié «Il quindici maggio». On a tenu ce jour-là des réunions spéciales dans les œuvres et on y a émis une grande idée.

Mais pourquoi cette date? Qu'est-ce donc que le 15 mai? Le 15 mai, c'est la date de la grande charte du travail, c'est la date de la belle Ency­clique Rerum novarum, qui a commencé le grand mouvement démocrati­que chrétien.

«Notre étendard, dit le Quindici maggio, n'est pas le drapeau rouge du socialisme, c'est la blanche bannière du Christ… Puisse le mouvement ouvrier se déployer sous cette bannière; dans cette douce espérance, nous saluons aujourd'hui avec respect le 15 mai 1891, le jour qui a mar­qué avec l'Encyclique Rerum novarum le commencement de notre action, et nous prions Dieu, le père commun qui est aux cieux, de faire succéder dans notre Italie et dans le monde au ferment socialiste révolutionnaire, un mouvement démocratique chrétien, sage, progressif et pacifique, qui puisse préparer l'humanité à l'avènement de son règne».

«Quelle est, se demande encore le Quindici maggio, la signification de cette fête? La voici. - Un jour, un évêque allemand s'adressant à un immense auditoire d'ouvriers lui disait: Je vois un grand mouvement ouvrier. La classe ouvrière travaille pour s'élever à une condition de vie plus humaine. Elle veut obtenir pour son travail une rétribution plus ju­ste; elle veut empêcher que par un trop grand nombre d'heures de tra­vail on nuise à son salut et on lui rende impossible la vie de famille; elle veut obtenir le repos du dimanche pour remplir ses devoirs religieux et reposer son corps et son âme des fatigues de la semaine; elle veut unir ses propres membres en fortes associations, pour représenter et défendre les intérêts de la classe et coopérer à en améliorer les conditions».

Je ne vois rien en cela, ajoutait l'évêque, qui soit contraire aux princi­pes de l'Evangile, au contraire; et je me plais à voir là un retour au ca­tholicisme dans la vie sociale.

L'évêque qui parlait ainsi, c'était Ketteler. Après lui, des catholiques, prêtres et laïcs répétaient et développaient le même concept. Les libéraux les appelaient socialistes, ils ne comprenaient pas qu'entre le socialisme athée et révolutionnaire, et la réforme sociale chrétienne et pacifique, il y a un abîme.

Des évêques et en particulier l'illustre cardinal Manning encoura­geaient le mouvement démocratique, mais il lui manquait encore l'ap­probation solennelle du Vicaire de Jésus-Christ.

Déjà Léon XIII en divers discours avait loué ce mouvement, mais le 15 mai 1891 sortit du Vatican la mémorable Encyclique, dans laquelle le Pape, en face du monde entier reconnaissait l'existence de la question sociale et la nécessité de la résoudre et affirmait en l'expliquant que la seule solution était la solution chrétienne.

L'Encyclique est le sceau officiel donné au mouvement social catholi­que, à ce mouvement qui dans sa forme la plus active et la plus efficace a pris le nom de démocratie chrétienne.

A cette date a commencé le réveil des catholiques et l'accroissement de leur activité dans le champ social. Il est donc juste que le peuple fête le 15 mai comme la date de sa grande charte libératrice.

A la même occasion, le Quindici maggio émet une grande idée qui a été acclamée dans les réunions du 15 mai, celle de fonder en Italie une œuvre de propagande populaire catholique qui éditerait un journal populai­re quotidien, des tracts, des brochures et le reste. Une souscription d'ac­tion est ouverte pour une société coopérative d'imprimerie, nous lui sou­haitons bon succès. Le réveil des catholiques italiens passera la frontière et nous aidera.

II. FRANCE

Nouvelles du Vœu national. - Les catholiques français tournent souvent leurs cœurs vers Montmartre, la Montagne du Salut. Voici quelques nouvelles:

Les offrandes se sont élevées, dans le premier trimestre, à 264,668 francs.

On a placé un très riche autel de Saint Joseph, don de la famille Ro­land Gosselin.

Un nouvel échafaudage a été dressé à la hauteur de 78 mètres, afin de placer les pierres du grand Dôme.

La prière perpétuelle devient de plus en plus fervente. L'Associtation des Dames Adoratrices qui viennent chaque mois faire une heure d'adoration, est de 3,000 environ. Les Hommes qui ont passé le nuit au Sacré-Cœur ont été, pendant ce premier trimestre, de 3,154: une moyenne de 35 adorateurs par nuit.

Plus de 50,000 présences de pauvres ont été comptées pendant ce tri­mestre. Une magnifique retraite a été prêchée par le R. P. de Pascal, à près de 2,500 d'entre eux.

On espère pouvoir consacrer, à la fin du siècle, le monument national, grâce à la générosité des fidèles qui ne se ralentira pas.

Faisons notre offrande annuelle. Envoyons-la à M. le Supérieur des Chapelains, 31, rue de la Barre, Paris-Montmartre; ou bien, à M. La Caille, 47, rue des Mathurins, Paris.

Les œuvres. - L'action patronale est toujours féconde dans certai­nes villes. Le dévouement des classes supérieures est une des formes de la démocratie chrétienne. Il reste un devoir à côté de l'initiative propre des classes populaires. Le bien des classes besogneuses étant le but prin­cipal de la vie sociale, toutes les classes y doivent contribuer, les classes élevées, par leur dévouement, les classes inférieures par leur initiative. C'est là le vrai trait d'union de toutes les classes: le dévouement au bien général et plus particulièrement au bien des classes souffrantes.

Puissions-nous lire bientôt sur le compte de toutes nos villes des ap­préciations comme cette note du Comité de l'Œuvre des Cercles sur la ville du Puy: «Bonnes nouvelles de cette fondation. Mgr l'évêque, grâce à un don important, vient d'acquérir une belle et vaste maison qui est destinée à être le centre de nos œuvres. On la répare en ce moment et le Comité s'y installera sous peu. Le secrétariat du peuple fonctionne de­puis le commencement de mars à la satisfacion de tous. On va l'étendre aux communes avoisinant le Puy. Le Comité a aussi organisé l'œuvre de la Bonne presse. Il a adopté un patronage pour les enfants des Ecoles laïques, qui donne les meilleurs résultats. L'œuvre des jardins ouvriers est aussi née sous son inspiration et nos confrères prennent une large part à sa direction. Le 19 mars, la fête annuelle de l'œuvre a été célébrée dans la chapelle des Pénitents. Mgr de Pélacot, aujourd'hui évêque de Troyes a célébré la sainte messe et prononcé un touchant discours. Le 4 mai, Mgr l'évêque du Puy a présidé la réunion des secrétaires et délé­gués des secrétaires et délégués des secrétariats du peuple au nombre de plus de 40. Sa Grandeur a bien voulu assister également à une réunion du Comité pour témoigner à l'œuvre sa sympathie».

Voilà de beaux exemples à imiter partout.

Algérie. - Le mouvement antisémite rapproche les Algériens du ca­tholicisme. Il n'est pas trop tôt. Quel dommage que cette belle colonie ait été gouvernée presque constamment dans un esprit antireligieux!

L'Algérie a tant de souvenirs chrétiens: saint Augustin, les églises des premiers siècles, les martyrs de l'invasion vandale, les souffrances des captifs chez les Sarrazins, les vertus des religieux voués à l'œuvre de la rédemption, le courage des chevaliers chrétiens qui allaient combattre les pirates!

Citons en passant un trait d'héroïsme de ces chevaliers. On nous parle de Régulus dans le cours de nos études classiques, et on oublie de nous dire que pour chaque trait de vertus des païens, l'Eglise en a cent ou mil­le à citer et de bien plus admirables. Voici l'histoire d'un Régulus chré­tien. La Barbinais était de Saint-Malo, comme Duguay-Trouin, dont il était l'oncle. Il avait conquis le grade de capitaine de frégate. Dans un glorieux combat avec les pirates barbaresques, il fut fait prisonnier. En 1681, au moment où Louis XIV chargea Duquesne de châtier les Algé­riens, La Barbinais accepta de venir apporter au roi de France les propo­sitions du bey d'Alger pour la paix, s'engageant d'honneur, si les négo­ciations n'aboutissaient pas, à retourner à Alger pour reprendre ses chaînes, Il échoua, rentra à Alger, et le bey furieux le fit attacher à la gueule d'un canon et lancer vers la flotte de Duquesne. C'est un martyr du devoir.

La même époque rappelle ce jeune captif Geronimo dont le corps fut jeté dans les fondations des murs d'Alger, où on l'a retrouvé intact, i1 y a trente ans. Le vénérable martyr était bien cher au cardinal Lavigerie et son corps repose à la cathédrale d'Alger.

Et de nos jours, quelles nobles figures l'Eglise a présentées à notre ad­miration en Algérie: le P. Régis, fondateur de la Trappe, Mgr Pavy et le grand cardinal Lavigerie! Là aussi ont combattu Lamoricière, Sortis, Pélissier et tant d'autres.

La Providence multipliera un jour les fruits de tant de sacrifices.

Tunis. - La Tunisie aussi a de grands souvenirs: saint Augustin en­core, saint Cyprien, les saintes Félicité et Perpétue, saint Louis, saint Vincent de Paul et tant d'autres.

La colonisation se fait là dans de meilleures conditions qu'en Algérie. Il y a là beaucoup de Maltais et d'Italiens, qui se franciseront. Ils appor­tent là la foi de leurs pays, et les Français suivront.

Tunis grandit vite. Tout un quartier neuf n'avait pas d'église. Mgr l'archevêque a prié les prêtres du Sacré-Cœur de Saint-Quentin de fon­der là une paroisse. Ils se sont mis à l'œuvre. Ils ont commencé le culte dans une vaste salle qu'ils ont achetée. C'est la paroisse du Sacré-Cœur. Elle a été inaugurée le 1er juin. Le quartier compte 10,000 catholiques et 50,000 musulmans. C'est une vraie mission. Tout y manque encore, or­nements, vases sacrés, linge et mobilier d'église. Beaucoup de nos amis voudront certainement nous aider, pour la gloire de Sacré-Cœur.

III. AUTRES PAYS

Allemagne. - Les Ordres religieux deviennent plus nombreux en Prusse, c'est un bon symptôme. En 1886, on y comptait 746 maisons re­ligieuses avec 7248 membres. La progression a été constante. Il y avait 890 maison en 1887; 934 en 1888; 988 en 1889; 1027 en 1890; 1094 en 1891; 1146 en 1892; 1310 en 1893; 1399 en 1894; avec un personnel de 17,398 membres. Et cela malgré la malveillance des protestants et les en­traves mal effacées du Kulturkampf. C'est de bon augure, cette efflorai­son religieuse amènera de belles conquêtes pour la foi.

Bâle. - Le protestantisme est en décadence dans certaines villes où il régnait en maître autrefois. Il en est ainsi à Genève, à Bâle, à Mulhouse. A Bâle, les catholiques furent expulsés et leur culte supprimé en 1532. Cet état de choses dura jusqu'à la République française en 1798. Depuis lors, la communauté catholique de Bâle ne cessa d'augmenter. Elle comptait 5,500 membres en 1850; 9,700 en 1860; 12,300 en 1870; 19,200 en 1880; 22,400 en 1888; 33,000 en 1897. C'est déjà le tiers de la population.

Bientôt Genève, Bâle et Mulhouse seront en majorité catholiques.

CHRONIQUE (Août 1898)

I. ROME

Italie: les prisons. - Le gouvernement italien est satisfait, il a mis en prison pour trois ans le plus vaillant des journalistes catholiques, don Albertario, le champion de l'indépendance pontificale et du relèvement de la classe populaire par les œuvres économiques.

Il y a quelques semaines à peine d'éloquentes lettres pastorales signa­laient en Italie un puissant réveil catholique. On se plaisait à y compter quatre mille comités paroissiaux, huit cent sections de jeunes gens, dix­sept cercles universitaires, et six cent caisses rurales, agricoles et ouvriè­res, occupées à refréner l'usure. Aujourd'hui, tout cela est à vau l'eau. Le roi Humbert imitant ses prédécesseurs, les rois barbares et ariens du VIe siècle, a supprimé toutes les œuvres catholiques en leur faisant l'in­jure de les assimiler aux associations socialistes.

Mais une cause juste n'est pas perdue par l'emprisonnement de ses vaillants défenseurs. Le roi Humbert devrait mieux savoir l'histoire d'Italie. Dans la première moitié de ce siècle, les patriotes italiens reven­diquaient la liberté des provinces lombardo-vénitiennes. L'Autriche les enfermait sous les plombs ou dans les caves du palais des doges, ou bien elle les envoyait à la forteresse du Spielberg en Moravie subir de longues années de carcere duro. La sympathie pour leur cause s'en accroissait d'autant et quand ils purent faire connaître au dehors les tortures de leur âme, l'Autriche était vaincue dans l'opinion avant de l'être par les ar­mes. Ce sont les prisons et les récits douloureux de Silvio Pellico et d'Alexandre Andryane qui ont libéré la Vénétie. Les prisons de don Al­bertario pèseront d'un grand poids pour le châtiment de la dynastie de Savoie.

Elle avait déjà perdu les sympathies de son peuple, comme elle a pu en juger par les émeutes qui ont agité tout le royaume, elle n'avait de salut que dans la réconciliation avec l'Eglise, elle préfère essayer de la persé­cution, il n'est pas difficile de présager que Dieu sera le plus fort.

II. FRANCE

Le Cœur miséricordieux de Jésus. - Les apparitions et révélations de la sainte Vierge à Pellevoisin, au diocèse de Bourges, sont moins con­nues que celles de Lourdes, de la Salette et de Pontmain. Elles ne sont ni moins intéressantes, ni moins authentiques. Elles ont pour but de propa­ger la dévotion au Cœur miséricordieux de Jésus. Elles manifestent la bonté infinie de Notre-Seigneur pour la France et pour les âmes dévotes au Sacré-Cœur.

Un beau livre publié par l'œuvre du Sacré-Cœur de Montmartre sous le nom de Notre-Dame de Pellevoisin et approuvé par le cardinal arche­vêque de Paris et par plusieurs archevêques et évêques va populariser cette dévotion. Voici quelques lignes adressées par Monseigneur l'évê­que de Moulins à l'auteur: «Les amis dévoués de Notre-Dame de Pelle­voisin trouveront condensé dans ce livre tout ce qui a trait à cette dévo­tion qui leur est chère: le récit authentique des apparitions; l'enquête ca­nonique aboutissant à l'approbation de l'autorité diocésaine; l'origine du pèlerinage; les conversions, les guérisons et les miracles éclatants opé­rés par la médiation puissante de la Mère toute miséricordieuse; la vertu particulière du scapulaire du Sacré-Cœur; les témoignages nombreux de la prédilection spéciale de notre grand Pape Léon XIII pour cette dé­votion».

Monseigneur l'évêque de Séez souhaite que ce livre ait le succès qu'il mérite, non seulement en France mais dans le monde entier.

Nous formons le même souhait. La dévotion au Cœur miséricordieux de Jésus n'est-elle pas la plus consolante et la plus nécessaire au milieu des difficultés actuelles?

L'art et les mœurs. - L'art est dans l'histoire un signe des idées et des mœurs. Chrétienne et chevaleresque, la période du moyen âge élève ses robustes et poétiques castels, ses sublimes cathèdrales, ses pieux et graves monastères décorés par les peintures ascétiques des Giotto et des Fra Angelico. Elégant, gracieux, mais fanatique de la civilisation anti­que, l'âge de la renaissance descend du céleste au terrestre et reproduit tout l'art academique d'Athènes et de Rome. Les mœurs libres et sen­suelles du XVIIIe siècle appelaient dans l'art les peintures efféminées de Boucher et de Watteau.

Ces grandes lignes si bien caractérisées à travers les siècles ont leur analogie dans nos salons annuels. Les peintres travaillent selon le goût des acheteurs. Ils appartiennent eux-mêmes à la société contemporaine et sont tout imprégnés de ses idées et de ses mœurs.

Sous l'empire, les tableaux militaires occupaient une large palce. Il y a dix ans, nos mœurs se ressentant pas mal de celles de la Convention et du Directoire, le nu dominait avec toutes les audaces du plus complet sensualisme. Les caricatures du clergé ne manquaient pas non plus: le cléricalisme était l'ennemi.

Dans ces dernières années, l'art religieux a repris une certaine faveur. Les comptes rendus des salons n'ont pas manqué de le signaler. Il y a eu les grandes et belles toiles de Munkaczy qui rappelaient la dignité et la grandeur du XVIIe siècle tempérées par un cachet de réalisme moderne. Il y a eu surtout la grande épopée chrétienne de Tissot, le plus grand succès de ce demi-siècle et l'an dernier la Cène de Dagnan-Bouveret ob­tenait tous les suffrages.

Mais cette année, quelle évolution annoncent nos salons?

Il y a bien encore quelques tableaux militaires, mais fort peu: un sou­venir de l'épopée napoléonienne, la dernière charge à Waterloo par Fla­meng; la colonne volante de Madagascar, par Tinayre; Félix Faure dé­corant les Alpins, par Steinheil: et la belle Revue de Chalons par Detail­le, c'est à peu près tout.

A signaler aussi quelques épisodes de nos révolutions: Marie­Antoinette au milieu de la populace, au 20 juin 1792, par Boudoux; MmeRoland et les Septembriseurs, au 2 septembre 1792, par Coëssin de la Fosse; les Insurgés, par Assezat de Bouteyre, avec cette épigraphe: «Quand…

La grande populace et la sainte canille se ruaient à l'immortalité».

(A. Barbier, Les Jambes)

On compte toujours beaucoup de paysages et de marines, et on trouve dans ce groupe des œuvres délicieuses, comme Les hommes de mer, de Mme Demont-Breton; la Rivière, de Carl Rosa; le Teverone, d'Harpi­gnies et bien d'autres. Ce sont là des meubles de salon de la bourgeoisie, et c'est, avec les intérieurs, le genre qui plaisait aux commerçants des Pays-Bas et de Gênes.

Beaucoup de portraits: c'est le signe d'une société riche.

Peu de mythologie: la renaissance a vécu. A signaler cependant dans ce genre le Char du soleil, par Grand-Jean, ressouvenir de l'Aurore du Guide du palais Rospigliosi à Rome. On ne compte plus guère de sujets voltairiens ou impies. Il y a bien quelques cardinaux en goguette. L'au­teur, Brunery, est né en Italie: tant mieux pour la France.

Il y a toujours quelques toiles sensuelles, des nymphes, des ondines, des Eve en costume primitif. C'est la part faite à la partie licencieuse de notre société contemporaine. Si au moins on rangeait ces nudités dans un salon à part, les expositions y gagneraient et seraient plus visitées par les gens délicats.

Mais il y a deux séries de toiles qui marquent l'évolution des âmes contemporaines, ce sont les toiles religieuses et celles que j'appellerai so­ciales. Elles indiquent les préoccupations de la société présente. Les peintures religieuses sont nombreuses et le plus souvent elles sont trai­tées dignement, quoique avec une tendance exagérée au réalisme.

On ne reconnaît plus le sens de la tradition dans la Vierge de Leche­vallier, dans la guérison du démoniaque de Lelong, dans l'adoration des bergers de Cain.

La Communion des Apôtres de Jean Aubert est une belle toile. Le su­jet est traité d'une manière assez neuve. J'aime à voir les apôtres préfé­rés, Pierre, Jacques et Jean, agenouillés aux pieds du Maître.

Il y a de la bonne volonté et de belles parties dans la Conversion de Madeleine, de Westry; les Impropères, de Cavallier; l'ensevelissement du Christ de Brunet; le soir de la résurrection de Bacon; le Christ con­versant à la soirée de Bourgonnier.

C'est aussi une pensée religieuse qui a inspiré la sainte Geneviève de Puvis de Chavannes et celle de Scholty; le Viatique et les Enfants de chœur, de Brispot; le Sommeil de Fra Angelico, par Chicotot; le Bene­dicite au couvent, par Castres; la Procession, de Duvent; la Vocation de saint Jean, la Vierge et saint Jean, par Paul-Hippolyte Flandrin; Lour­des, par Garnelo-Aida; le Baptême d'un bâteau de pêche, par Hirsch­feld; le Couronnement de sainte Cécile par Lalire; les païens et chré­tiens, de Barrias, belle scène mouvementée où la charité des chrétiens dans un premier tremblement de terre de Pompeï étonne et impression­ne la famille même d'un prêtre de Jupiter. La foi se réveille dans un pays qui donne aux peintres l'occasion de traiter tant de sujets religieux.

Les peintures qu'on peut appeler sociales sont une chose nouvelle et un signe des temps. On se rappelle l'intérêt qu'excita l'an dernier un petit tableau qui nous montrait la poussée des classes dans l'invasion d'une salle de festin, où s'étalaient le luxe et la sensualité, par une bande de prolétaires socialistes.

Cette année, on peut compter parmi les toiles sociales: le Misereor super turbam, de Roger, voire même l'adoration des bergers, de Cain, avec cet­te épigraphe: «Humbles, relevez-vous, un ami vous est né!».

C'est aussi le sentiment de la pitié qui a inspiré les Sœurs de Charité, par Mme Colin-Sibour; la soupe du pauvre au cantonnement, par Char­les Crès; la Mine et les mineurs, de Mme Abran; l'homme à la blouse, de Jules Adler; le Pauvre, de Sabatté; l'Eternelle chanson, de Barré: un menage pauvre au travail.

C'est aussi une peinture sociale que la grande toile de Danger repré­sentant les artisans de l'arbitrage et de la paix à travers les siècles, c'est­à-dire les personnages historiques qui se sont appliqués dans tous les temps et tous les pays à prévenir ou à résoudre par l'arbitrage les diffé­rends entre les peuples.

N'est-il pas permis de voir dans ces deux groupes de peintures une ca­ractéristique de ce siècle: l'avènement de la démocratie chrétienne.

III. AUTRES PAYS

Belgique: l'union des catholiques. - On avait craint en Belgique que les divers groupes du parti catholique ne se fissent la guerre aux élec­tions. Tout s'est passé pour le mieux et les résultats ont été excellents aux élections politiques et suffisamment bons aux élections provinciales.

Monseigneur l'évêque de Liège est un apôtre ardent de la charité et de l'union. Il a prononcé le mois dernier une importante allocution synoda­le dont le texte vient d'être publié. Elle porte sur différents sujets, no­tamment sur les œuvres sociales, leur organisation et le concours que le prêtre doit y donner. Voici ce que dit Mgr Doutreloux à propos des dif­férentes associations ouvrières de Belgique:

«Dans nos régions industrielles, nos associations ouvrières catholi­ques se sont intitulées les unes démocratiques, les autres simplement catholi­ques; pour nous, et nous demandons à notre clergé de faire de même, nous voyons dans les unes et les autres des associations de bons catholiques instituées pour procurer le bien moral et matériel des ouvriers sous la di­rection de l'Eglise et de ses premiers pasteurs, et cela nous suffit pour les aimer, les bénir, les approuver les unes et les autres. Ce que nous ne saurions approuver, c'est qu'elles se condamnent l'une l'autre et qu'elles se fas­sent comme une guerre dans les œuvres, dans la presse et n'importe où ni comment».

«De même que les tempéraments différent les uns des autres, ainsi dans les questions économiques les idées des uns ne sont pas toujours partagées par les autres, même entre hommes très compétents».

«Il en est ainsi du reste dans toutes les sciences et jusqu'en théologie où les plus grands docteurs soutiennent parfois des opinions opposées. Ce n'est pas là une raison de se diviser, c'est le cas d'appliquer l'adage catholique: in dubiis libertas; personne n'a le droit de faire un grief aux autres d'user de cette liberté; chacun doit savoir la respecter chez ceux qui ne sont pas de son avis……

Monseigneur de Liège a été écouté et l'union a donné à Liège même les meilleurs résultats.

Allemagne: élections. - Le Centre catholique a gagné quelques siè­ges au parlement, mais les socialistes aussi ont progressé. Il ne faut pas se le dissimuler, les prolétaires sont le nombre et ils le savent. Ils écarte­ront peu à peu des parlements les anciens conservateurs, les satisfaits, et ils y introduiront des hommes favorables aux réformes démocratiques, qu'ils soient socialistes ou catholiques. C'est à nous de nous remuer et de travailler efficacement au développement d'une sage et chrétienne dé­mocratie, si nous ne voulons pas passer par la terrible épreuve d'un essai de régime socialiste.

CHRONIQUE (Septembre 1898)

I. ROME

Le Saint-Père. - On le dit souvent malade, mais il est toujours vail­lant.

Il dirige tout l'immense royaume des âmes qu'on appelle l'Eglise, et il trouve encore quelques loisirs qu'il dépense noblement en écrivant des poésies. Il a publié un recueil de ses poèmes l'hiver dernier. Un de ces épanchements poétiques est comme un testament, ou comme le chant du cygne. Il a pour titre: A Dieu et à la Vierge Marie, le dernier souhait de Léon. Il se compose de huit distiques. Essayons-en la traduction: «En­veloppé de ses ombres pâles, le soleil mourant envoie son dernier rayon. La nuit sombre arrive, la nuit obscure arrive pour toi, Léon! Les veines se dessèchent, le fluide de la vie n'y coule plus; la vie s'échappe du corps épuisé. La mort lance son trait mortel et la pierre froide va couvrir les os­sements dans le linceul. Mais l'âme en fuyant laisse ses liens et prend son essor rapide vers les régions éthérées. Elle accélère sa course, elle est à la fin de son long pèlerinage. Que la bonté divine contente mes désirs in­quiets! Oh! que j'atteigne le ciel! Que cette dernière faveur me soit ac­cordée, celle de contempler éternellement le visage rayonnant de Dieu, celle de vous voir, ô Vierge! Enfant, je t'ai aimée, ô ma Mère, et cet amour brûle plus fort dans le vieillard. Oh! reçois-moi dans le ciel, et de­venu un des habitants célestes, je te louerai de ce que par toi j'ai obtenu cette grâce suprême. «Ainsi parle Léon XIII. Oui, le soleil mourant en­voie ses derniers rayons, mais ce n'est pas une ombre pâle, une faible lu­mière, c'est la splendeur d'un coucher de soleil empourpré.

Vatican et Quirinal. - Dans son allocution de Noël dernier, Léon XIII disait que la politique du Quirinal à l'égard du Saint-Siège était en désaccord avec les traditions et les sentiments du peuple italien. Ces pa­roles étaient d'un voyant. Le gouvernement italien est aujourd'hui mé­prisé et rejeté par tous ses sujets comme un lépreux. Les révolutionnaires se sont servis de lui, mais ils sont mûrs à présent pour l'idée socialiste.

Les catholiques n'éprouvent que du dégoût pour les oppresseurs du Pape. On a cru d'abord en Europe que la papauté était délaissée par le peuple italien. On en revient. Dans un journal protestant, English Illu­strated Magazine, un écrivain de mérite, sir Arthur Warren décrivait ré­cemment l'évolution de ses idées. «J'ai cru longtemps, disait-il, que Ro­me était la ville la plus anti-catholique du monde et qu'elle était heureu­se d'être délivrée du joug des Papes. Je viens de visiter cette ville et j'ai constaté au contraire l'enthousiasme de ce peuple pour le Pape et la reli­gion, et sa froideur pour les hôtes du Quirinal». Et en écoutant son bon sens plus que sa passion religieuse, il ajoute: Rome est restée la ville du Pape.

II. FRANCE

Un symptôme. - Dans la Libre parole, M. Delahaye constate, à l'oc­casion de l'affaire Dreyfus, un nouveau groupement des partis selon les religions, et il dit: Ce groupement nouveau des partis que nous consta­tons toutes les fois que la sécurité nationale paraît en jeu, toutes les fois que ce peuple de France tente un effort pour s'affranchir, n'est qu'un commencement. Mais à maints indices on peut conjecturer que c'est un commencement qui aura des suites, que c'est peut-être le commence­ment du siècle qui s'approche. Peut-être voyons-nous en germe ce que nos fils verront en moisson.

Peut-être les excès de l'esprit cosmopolite et sectaire finiront-ils par dessiller les yeux des Français de France les plus incroyants. Peut-être leur scepticisme enfin transformé par le malheur et la vraie science, le vingtième siècle verra-t-il l'unité morale de notre pays enfin refaite, les religions étrangères dignes des races inassimilées réduites à leur juste part de liberté et d'influence; la religion nationale unissant, ou du moins cessant de diviser les Français asservis par l'étranger.

Oui, catholique et français, c'est tout un. Les trahisons, les intrigues, les agissements usuraires des juifs et des protestants nous aident à le reconnaître. La nation commence à ouvrir les yeux, c'est une grâce et un signe d'espérance.

III. AUTRES PAYS

Hollande. - Depuis de longues années, le parti catholique en Hol­lande était divisé en deux groupes, les conservateurs et les démocrates. Cette désunion devait naturellement entraver l'action générale du parti, et en 1891 elle fut en grande partie la cause de l'échec du ministère con­servateur, composé de protestants et de catholiques. L'union a été réta­blie en 1896. Elle se manifeste par le fait que tous les députés catholi­ques, sans exception, sont membres du club parlementaire catholique. Aux élections de l'an passé pour la seconde Chambre, les catholiques, si longtemps divisés, ont voté avec une union parfaite.

Indépendamment de ces changements politiques, un grand mouve­ment s'est produit parmi les ouvriers catholiques en Hollande dans ces dix dernières années. En 1888, Amsterdam vit naître l'Association du peuple néerlandais catholique romain (Nederlandsche R. K. Volksbond), avec le but hautement prononcé de protéger les ouvriers catholiques con­tre l'influence funeste des socialistes et de leur assurer une législation fa­vorable. La Ligue du peuple fit de rapides progrès, et aujourd'hui elle s'étend sur tout le pays avec ses 17 branches et plus de 26.000 membres, dont 3,000 appartiennent à la seule section d'Amsterdam. Elle est fon­dée sur les principes de la justice et de la charité chrétienne exprimés dans l'Encyclique Rerum Novarum, et certainement elle est une des meil­leures organisations d'ouvriers catholiques de notre temps.

Elle oblige tous ses membres à l'obéissance envers Mgr l'évêque de Harlem, qui en est le président d'honneur, et à la soumission complète aux décisions du Comité central, qui obligent toutes les branches de l'Association.

Chacune des sections contient plusieurs corporations qui, à l'imita­tion de celles du moyen âge, représentent les intérêts des divers métiers. Chaque corporation a son saint patron, et saint Willibrod, l'apôtre de la Hollande, est le patron de toute la ligue. Ces corporations sont pour les ouvriers d'une grande utilité, parce que dans leurs réunions on s'occupe en toute liberté et en parfaite connaissance de cause, de tous les intérêts et de toutes les affaires des différentes professions. Toutes les sections de l'Association ont des maisons de Cercle, parmi lesquelles le «Gildenhuis» d'Amsterdam a une renommée, qui s'étend au delà des frontières du pays. L'organe de la ligue est l'Etendard du peuple (Volksbanier), journal rédigé par Pastoors, l'un des fondateurs de l'Association. Il se tire à 1100 exemplaires. L'Association s'est tracé le programme suivant: «Travailler à faire observer le repos dominical d'une manière plus énergique qu'on ne l'a fait jusqu'ici; établir des bureaux de travail ou commissions mixtes de pa­trons et d'ouvriers, qui jugent tous les différends entre les deux parties; fon­der des assurances pour le cas de maladie et d'accident, une caisse de se­cours pour la vieillesse, pour laquelle l'Etat, les patrons et les ouvriers de­vraient fournir les ressources; interdire peu à peu le travail des femmes dans les fabriques et les mines; fixer par voie légale le minimum de salaire et le maximum de la journée de travail». La question de la fondation d'une caisse de retraite pour la vieillesse est à l'étude à la Chambre.

Allemagne. - L'esprit d'association est très puissant en Allemagne; les corporations se relèvent partout. L'union des associations marchan­des catholiques (Katholische Kaufmannische Vereinigung), compte d'après la statistique pour 1898, qui vient d'être publiée par la direction d'Essen, 10.201 membres en 97 sections, contre 9.418 qu'elle avait l'an passé. Les recettes ont été en 1897 de 4.153.000 marks et la dépense de 3.491.000 marks. Le fonds de réserve est de 4.475.000 marks.

L'union des maîtres-ouvriers allemands (Deutscher Werkmeister Verbund), dont la direction centrale se trouve à Düsseldorf, comptait au 10° anniversaire de sa fondation 550 sections et 25.300 membres. Elle a dépensé pour la caisse mortuaire 1.132.000 marks et pour les subven­tions aux veuves et aux besogneux 256.000 marks. En outre elle a un fonds de 710.000 marks. Dans une seule année, elle a compté 3600 membres nouveaux et 29 nouvelles associations ou sections.

Dans la Revue mensuelle socialiste (Sozialistische Monatshefte), le doc­teur Fr. Lutgenau vient de publier un intéressant travail: Le socialisme et l'Eglise. Il accentue l'écroulement général du protestantisme, qu'on constate partout, et venant à parler de l'Eglise, il dit: «L'Eglise catholi­que a toujours eu une autre position, elle a observé toujours une autre règle de conduite. Elle est l'organisation la plus puissante du présent. Mais le regard large de l'Eglise romaine ou de ceux qui la gouvernent s'étend vers l'avenir. Léon XIII est un politique et un économiste supé­rieur. Son Encyclique sur la question ouvrière doit être étudiée comme un catéchisme social et économique».

Les élections au Reichstag allemand ont mis en lumière ce fait que les progrès du socialisme sont empêchés par l'action du catholicisme prati­que, grâce à l'influence du Centre.

La signification des élections de 1898 est celle-ci: progrès rapide du so­cialisme dans les régions protestantes, diminution de ce parti dans les villes et les campagnes catholiques.

Le nombre des suffrages donnés aux socialistes a décru dans la provin­ce rhénane catholique et en Westphalie, en même temps qu'il augmen­tait d'une manière effrayante dans la Prusse protestante et en Saxe. De­puis les élections de 1893, le nombre des votes socialistes a augmenté de plusieurs centaines de mille; le parti de la destruction sociale compte pré­sentement 2,600,000 électeurs.

Dans le Grand-Duché de Bade, les votes socialistes ont augmenté de 13,000 dans les arrondissements protestants et libéraux; ils ont diminué ailleurs. A Fribourg en Brisgau, le parti socialiste a perdu 230 voix, pen­dant que Carlsruhe, Mannheim et Pforzheim ont eu pour la première fois des majorités socialistes.

Dans le Wurtemberg, le Centre a gagné 13,795 voix, et les socialistes en ont perdu des milliers; cependant, dans les arrondissements prote­stants, les votes des socialistes ont augmenté de 19,697, et la capitale a été conquise. Le même résultat a été constaté en Bavière: diminution du nombre des voix socialistes là où le catholicisme est prépondérant; aug­mentation du nombre de ces voix là où le protestantisme règne.

Pour mettre en évidence ce fait intéressant, l'Augsburger Post Zeitung publie une statistique relative à 48 circonscriptions de la Bavière. On y constate un parallélisme constant entre les progrès du socialisme et le chiffre de la population protestante.

Bebel, un des chefs des socialistes, avait donc bien raison lorsqu'il di­sait il y a cinq ans:

«La démocratie sociale n'a qu'un adversaire, et c'est le catho­licisme».

Cette année même, le député socialiste Segnitz, à la Chambre de Mu­nich a dit, s'adressant au député Hein et à ses collègues du Centre: «Messieurs, ce n'est pas un compliment que nous vous adressons quand nous vous disons que vous êtes nos adversaires les plus dangereux, et que la lutte suprême, décisive, sera entre vous et nous».

Au mois d'avril des ouvriers mineurs ont fait grève près d'Osnabrück au Hanovre. Mais ce ne sont pas des anarchistes ou des socialistes, ce sont de braves et honnêtes ouvriers, pour la plupart catholiques, qui ont quitté leur travail, parce que la direction ne consent pas à leur laisser les fêtes de l'Eglise. Mgr. l'évêque d'Osnabrück a voulu les dispenser de l'observation de ces fêtes, mais les ouvriers tiennent avec trop d'amour et de fidélité aux traditions de l'Eglise catholique pour vouloir accepter cette faveur. Ils ont poursuivi leurs réclamations selon les règles de l'or­dre et de la justice.

D'abord une pétition avec 800 signatures a été envoyée au directeur des mines dans laquelle ils le priaient de révoquer l'ordonnance qui les privait à jamais de leurs jours de fête. Ils voulaient bien travailler ces jours-là quand c'est absolument nécessaire et comme preuve de leur bonne volonté ils veulent travailler les jours de fêtes prochains. La direc­tion n'a pas écouté leurs désirs.

Le Ministère du Commerce à Berlin refusa de leur donner justice et c'est alors que les braves ouvriers ont quitté leur travail, sans faire la moindre démonstration publique. - Avec une telle politique sociale le gouvernement allemand ne réussira certainement pas à réconcilier les patrons et les ouvriers.

L'augmentation du traitement du clergé catholique en Prusse. - Le Landtag de Prusse est saisi en ce moment d'un projet pré­senté par le Gouvernement et destiné, dans une large mesure, à donner satisfaction aux vœux de la population catholique.

D'après ce projet - dont l'adoption n'est pas mise en doute - l'Etat met à la disposition des évêques une allocation annuelle de 3,438,400 marks (4,298,000 fr.) en vue d'améliorer la situation des curés.

Chaque curé reçoit, au minimum, 1500 marks (1875 fr.) de traitement fixe avec le logement ou une indemnité équivalente.

Dans des circonstances exceptionnelles, et pour des causes légitimes, l'évêque est autorisé à élever le traitement jusqu'à 2 100 marks (2625 fr.) Après cinq ans de ministère paroissial, le titulaire d'un poste ecclésia­stique a droit, à un traitement de 1900 marks (fr. 2375); après 10 ans, il reçoit 2300 marks (fr. 2875); après 15 ans, 2600 marks (fr. 3250); après 20 ans, 2900 marks (fr. 3625); après 25 ans, 3200 marks (fr. 4000).

Les ecclésiastiques catholiques, chargés d'enseigner dans un établisse­ment public sont assimilés aux prêtres du ministère paroissial.

Enfin, l'Etat alloue une subvention annuelle de 200,000 marks (fr. 250,000) en faveur des titulaires des paroisses nouvellement créées.

Et le projet de loi abandonne aux évêques le soin d'opérer les répartitions et de décider souverainement du bien fondé des réclamations éventuelles, sauf à s'entendre au préalable avec les présidents supérieurs ou préfets.

Il y a, comme on le voit, de la marge entre ce que l'Etat fait en Prusse, pays aux deux tiers protestant, en faveur du culte catholique, et ce que fait le même Etat en certains pays, exclusivement catholiques, pour ce même culte.

Espagne. Mouvement catholique des ouvriers espagnols. - Au mois de février l'union des marins catholiques de la Société des vapeurs transatlantiques s'est érigée à Cadix, après que le P. Manjon, l'infatiga­ble organisateur des ouvriers catholiques a travaillé pendant des années, à fonder des associations particulières de marins catholiques dans les vil­les importantes du pays. Très peu d'employés supérieurs seulement ont manqué de montrer leur sympathie à l'union par l'acceptation du titre de membre honoraire.

Devant le représentant de l'évêque diocésain, des autorités civiles et militaires et de la direction de l'union on a béni la maison des marins, qui a été bâtie au prix d'énormes sacrifices. Ces ouvriers, ces marins qui à l'instant étonnent le monde par leur bravoure et leur héroïque rési­stance, qui vont mourir pour Dieu et la patrie, tout à l'heure, enflammés par la voix éloquente du P. Manjon, se sont organisés en association chrétienne. Et déjà quels résultats étonnants n'ont-ils pas à enregistrer! Santander, après Barcelone le plus grand foyer du socialisme et de l'anarchie, a vu naître en ses murs, malgré les plus grands obstacles, une association d'ouvriers, qui compte aujourd'hui 1923 membres.

A la première fête de fondation, on a vu avec satisfaction, que presque tous ces associés ont fait solennellement leurs Pâques, tandis que l'année précédente, on avait pu compter les hommes sur les doigts. Et cette cor­poration est pleine de vie. Elle a ses écoles du soir, une caisse pour cas de maladie, une caisse de secours, qui a distribué dans une seule année 64.000 pesetas (52.500 fr.). Cadix et Santander montrent où se trouve le vrai péril social, chez les catholiques ou chez les socialistes, dont toute l'action en Espagne consiste à prêcher l'anarchie et la révolte, à extor­quer l'argent des ouvriers pour enrichir les chefs et meneurs, sans pren­dre aucun soin pour améliorer l'état des ouvriers.

Mme la Comtesse Ch. de Bourcier, décédée au château de Bathélémont (Lorraine), le 16 juillet 1898, en la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel. C'était une femme vertueuse et selon le cœur de Notre-Seigneur. Humble, modeste, pieuse, aimante et dévouée pour les siens, elle mérita

les éloges que l'Eglise décerne à Marthe et à Marie. Secourable aux pau­vres qui la chérissaient comme une Providence, elle eût été chagrinée de répondre par un refus à une demande de pain ou d'argent.

Elle faisait revivre dans son château le beau modèle de sainte Élisa­beth de Hongrie.

L'École apostolique Saint-Clément de Fayet la compte parmi ses plus insignes bienfaitrices et parmi les fondatrices de sa chapelle. Elle se fai­sait un devoir et un plaisir de confectionner ou de broder de ses mains les linges d'autels, amicts, palles, purificatoires, nappes, aubes, corporaux, etc.

Une maladie de cœur dont les phases douloureuses lui faisaient pré­voir et accepter avec une admirable résignation une fin prochaine, l'a enlevée à la tendre affection d'un époux, d'une fille, d'une mère désolés. Sa famille en larmes sera longtemps encore embaumée du parfum de sa piété, de sa douceur, et de sa miséricordieuse charité.

Nous ne saurions mieux faire connaître cette belle figure de femme et de mère chrétienne qu'en rapportant ici les propres termes par lesquels on nous fait part de ses derniers instants:

Mon Révérend Père,

«Depuis la dernière heure de la fête du Mont-Carmel, c'est de là-Haut que ma bien-aimée mère protège vos œuvres qui lui étaient si chères. Sa mort a été tellement édifiante que nous ne pouvons voir sa sainte âme que déjà en possession du Ciel et ne recevant qu'en tribut d'amour filial les prières que nous multiplions pour elle. Ma pauvre mère m'a chargée de témoigner à tous ceux qui priaient pour sa guérison com­bien elle en avait été touchée et reconnaissante: Fayet était spécialement dans sa peu­sée. Il restera aussi dans la nôtre comme une œuvre chère. Daignez , mon Révérend Père, parler au bon Dieu de notre grande douleur et agréer mes très respectueux senti­ments ».

Caroline De Bourcier

CHRONIQUE (Octobre 1898)

I. ROME

Le peuple et le Pape. - Ils vont venir les beaux jours où le peuple et le Pape se rencontreront pour échanger leurs effusions de confiance et d'amour dans le pèlerinage ouvrier que prépare le bon M. Harmel.

Nous avons vu souvent le Pape; il sourit, il s'anime quand on lui parle des questions auxquelles il s'intéresse le plus, comme les études supé­rieures et l'œuvre des missions. Il s'émeut quand on lui parle de la France, mais rien ne lui va tant à cœur que la pensée du peuple. Il fallait voir sa joie quand M. Harmel lui proposa l'an dernier de renouveler les pèlerinages ouvriers. Il nous semblait entendre le Christ disant au peu­ple: «Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du labeur».

Le Christ et les petits, l'Eglise et les travailleurs, le Pape et le peuple, ce sont là des unions naturelles, spontanées, cimentées par la divine cha­rité.

Ce n'est pas par politique, ce n'est pas dans un intérêt de parti que le Pape va au peuple, comme font les politiciens ambitieux et la petite égli­se des francs-maçons. Le Pape va au peuple parce qu'il est le vicaire de Jésus-Christ, ouvrier de Nazareth, ami des pauvres et des petits. Le Pa­pe va au peuple parce que la substance même de l'Evangile l'y porte et l'y conduit. Les Papes ont libéré les esclaves, ils ont favorisé la démocra­tie chrétienne du moyen âge et le régime corporatif.

Ils sont essentiellement les amis du peuple.

La Renaissance et l'impiété philosophique sont venues, et les ouvriers sont redevenus les esclaves du capital et de la machine.

Ah! chers ouvriers, ne vous laissez pas prendre au jeu hypocrite des loges maçonniques. La maçonnerie est une coterie de petits bourgeois qui s'arrange pour tenir l'assiette au beurre. Ils aiment l'ouvrier comme leur patron Voltaire qui disait: «Il est à propos que le peuple soit guidé et non qu'il soit instruit, il n'est pas digne de l'être. - Il me paraît es­sentiel qu'il y ait des gueux ignorants. - Les idées d'égalité et d'indé­pendance et toutes ces chimères ne sont que ridicules. - On n'a jamais prétendu éclairer les cordonniers et les servantes…» (Lettres à Damila­ville, à d'Alembert, etc).

Si ces gens-là vous parlent de bienfaisance, regardez-les sous le ma­sque, écoutez-les parler dans leurs cénacles intimes. Un de leurs maîtres appelle les maçons pauvres «la lèpre hideuse de la maçonnerie française» (Bazot: Code des francs-maçons, p. 176). Un autre traite le ma­çon indigent de génie malfaisant. On lit dans leurs directoires: «Ne rece­vez jamais dans l'Ordre que des hommes qui puissent vous présenter la main et non vous la tendre» (Ragon: Cours philosophique des initiations, p. 368).

Où sont les œuvres que la secte a fondées? L'un de ses membres, dé­sillusionné, a écrit: «Je suis obligé de constater combien cette congréga­tion laïque est, au point de vue philanthropique, inférieure aux congré­gations catholiques qu'elle abomine, et dans lesquelles toutes les activi­tés, toutes les forces et toutes les ressources sont consacrées au soulage­ment des misères» (Copin-Albancelli: La franc-maçonnerie et la question reli­gieuse, p. 183)

L'œuvre maçonnique est essentiellement égoïste. La maçonnerie ai­me le peuple comme le loup aime l'agneau, pour le croquer.

Et cependant ces gens sauront se dire les amis du peuple quand l'inté­rêt de leur domination politique l'exigera. Les directions politiques et so­ciales du Pape les ont épouvantés, parce que la doctrine sociale de l'Evangile mieux comprise va gagner le peuple à la cause de l'Eglise qui est la sienne. Ils ont avoué mélancoliquement le péril que leur fait courir la démocratie chrétienne. Ils se soucient de la république et de la démo­cratie comme de l'an quarante. Ils sont républicains en France et mo­narchistes en Italie pour ennuyer l'Eglise du Christ et faire leurs propres affaires. Mais le mensonge et l'hypocrisie ne leur coûtent pas plus qu'à leurs patrons Voltaire et Diderot. Ils ont donc pensé, depuis l'organisa­tion de la démocratie chrétienne, qu'il fallait se mettre, du moins en paro­les, à l'avant-garde des réformes sociales. Lisez le compte-rendu du con­vent de 1897, vous y apprendrez que 52 loges contre 9 sont partisantes d'une législation sur le contrat et la réglementation du travail; que 52 lo­ges contre 10 voudraient la participation aux bénéfices; 60 contre 4, l'ar­bitrage dans les grèves; 56 contre 6 le développement des libertés syndi­cales; 53 contre 8, la reconnaissance de la responsabilité des patrons en cas d'accidents ou de maladie professionelle; 53 contre 4, des institutions en vue du chômage; 57 contre 2, des mesures de prévoyance en vue de l'organisation des retraites.

Tout cela, chez eux, c'est une enseigne. Arrivés à la Chambre, ils n'en réaliseront rien. Les démocrates chrétiens ont rédigé, en s'inspirant des enseignements pontificaux, le programme social de l'Evangile, les francs-maçons voudraient se l'attribuer pour tirer les marrons du feu.

Pourquoi faut-il aussi que les hésitations de certains catholiques timo­rés et inconscients retardent notre marche!

Allons, chers ouvriers, employés, et vous tous qui avez une condition pénible et qui devez profiter le plus des réformes sociales chrétiennes, allez au Pape: la force et l'avenir sont là. Les politiciens vous leurrent. Le Pape est le réformateur consciencieux, convaincu, inébranlable dans sa foi. Allez lui dire que vous êtes avec lui et que vous comptez sur lui.

Il faut que ce pèlerinage d'octobre soit une grande démonstration. Pa­trons chrétiens, favorisez-le en y envoyant des représentants de vos usi­nes et ateliers.

Il faut que les pèlerins en reviennent pénétrés de confiance et d'affec­tion pour le Pape et qu'au retour ils suivent carrément son programme, le programme de la démocratie chrétienne de Lyon, sans s'arrêter à quelques objections de détail. Mieux présenté et défendu, ce programme nous eût valu aux élections dernières cinquante succès de plus. C'est partie remise.

Allez à Rome, chers ouvriers, c'est un devoir du cœur; personne de­puis des siècles n'a fait plus pour vous que Léon XIII. Il a préparé les ré­formes sociales qu'appellent la justice et la charité.

Allez à Rome, aux pieds de Léon XIII, nous vous y promettons les joies les meilleures et les plus pures de votre vie.

Le Pape et le peuple sont faits pour s'aimer, allez cimenter cette ami­tié.

II. FRANCE

Lourdes. - La très sainte Vierge fait toujours de beaux miracles. Les vrais croyants se donnent là rendez-vous, la foi et la prière opèrent toujours des merveilles. Nous ne serons pas sans espoir pour un relève­ment de la France chrétienne, tant que la sainte Vierge se chargera ainsi de l'évangéliser elle-même.

Des savants, des reporters, des hommes politiques, des touristes vont là comme en passant, beaucoup sont touchés de ce qu'ils voient et l'in­croyance éprouve là chaque année une défaite.

Tous nos diocèses devraient avoir des pèlerinages à Lourdes au moins tous les deux ou trois ans.

La triplice à l'intérieur. - Par une affinité naturelle, l'espoir de do­miner attire les juifs dans les rangs de la franc-maçonnerie; par une au­tre affinité naturelle, la haine de Rome, qui est le seul point commun peut-être à tous les protestants, les rapproche de ceux dont Rome est «l'éternelle ennemie», et bon nombre de fidèles des deux religions re­connues par l'Etat se laissent encadrer dans la violente campagne menée contre l'Eglise par les libres-penseurs sectaires.

Un article récent de la Revue des deux Mondes, écrit par M. Francis Charmes, signalait ce fait avec des preuves à l'appui. «Nous avons sous les yeux, dit-il, un article du journal. L'Univers israélite. L'affaire Dreyfus y est présentée comme le résultat préparé de longue main d'une très vieille conspiration de l'Eglise contre l'Esprit (?).: L'Esprit, qui est sans doute le judaïsme, appelle à son aide les forces réunies des églises dissi­dentes et de la libre-pensée, et il paraît surtout compter sur la franc­maçonnerie. - A nous donc, dit la feuille israélite, à nous, juifs, prote­stants, francs-maçons, et quiconque veut la lumière et la liberté, de nous serrer les coudes et de lutter contre la réaction».

Rien n'est changé depuis la Passion, Hérode et Pilate devinrent amis ce jour-là pour sacrifier le Christ. Aujourd'hui les Hérode et les Pilate s'unissent pour combattre, sacrifier l'Eglise, et pour perdre la France en justifiant les traîtres et en déconsidérant l'armée.

Cela marque l'état d'âme des juifs en France; se sentant très compro­mis, ils crient à la persécution et appellent les protestants à leur secours. Ceux-ci se laissent facilement convaincre, comme on l'a vu par les Scheurer-Kestner, les Buisson, les Stopfer, etc.

III. AUTRES PAYS

Allemagne: le congrès catholique. - Le 45e congrès des catholiques allemands à Crefeld a été splendide. Les questions sociales y ont tenu le premier rang. Le Centre allemand avait formulé dès le commencement de son action parlementaire, un programme social et c'est ce qui fait sa force. Chez nous, hélas! on compte à peine quelques députés vraiment et complètement catholiques.

Le congrès s'est terminé au milieu du plus grand enthousiasme. Les cinq journées de Crefeld ont en effet affirmé de nouveau la force et la co­hésion des troupes du Centre. Les journaux libéraux eux-mêmes recon­naissent qu'on y a fait d'excellente besogne et que le grand parti catholi­que reste un modèle inimitable tant par le développement progressif de son programme que par sa merveilleuse organisation. Plusieurs orateurs ont fait avec une satisfaction visible le bilan des résultats obtenus par cin­quante années d'efforts continus sur le terrain politique. Ils se sont d'ail­leurs hâtés d'ajouter qu'il ne fallait pas s'arrêter, mais toujours marcher à l'avant-garde des troupes de la réforme sociale.

La premiere journée a été consacrée à l'étude des questions économi­ques et ouvrières. Une centaine de corporations ouvrières étaient repré­sentées et ce n'était pas un des spectacles les moins originaux du congrès que le défilé de ces 7.000 travailleurs organisés, qui suivaient en bon or­dre les bannières de leurs associations. Nous ne pouvons malheureuse­ment qu'énumérer rapidement les noms des orateurs: M. le curé Schur­mann, sur l'association, M. le député Stœtzel, sur les droits et les de­voirs dans l'organisation ouvrière, M. le curé Auracher, sur le sociali­sme et ses dangers. Plusieurs ouvriers ont pris aussi la parole et se sont fait vigoureusement applaudir.

Puis sont venus les comptes-rendus sur l'activité du Volksverein, qui, durant la dernière année seulement, a tenu 600 réunions publiques, pu­blié et répandu de nombreuses brochures, fondé un grand nombre d'as­sociations d'ouvriers, de cultivateurs et d'artisans, et dont le budget est de 154,760 marks de rentrées contre 105,189 marks de dépenses. M. le député Bachem a fait ressortir combien le Volksverein combat avec suc­cès le socialisme et le P. Auracher a insisté surtout sur la réconciliation des classes de la société. M. le docteur Graeber a parlé ensuite du devoir social de chaque catholique, ce qui a amené Mgr Schmitz à critiquer la chasse aux plaisirs et l'indifférence religieuse et sociale des classes riches.

Il va sans dire que la presse a occupé le congrès et qu'on y a pris des résolutions pratiques à ce sujet. A M. Grœber revint l'honneur d'expo­ser, en un discours magistral, l'activité politique du Centre. Le chanoine Scheuffgen est revenu sur la question sociale et sur la charité, le curé Aengenwoort sur le devoir de la femme chrétienne et sur ses droits. M. Vogeno, fabricant, sur le commerce et l'industrie, enfin M. le curé Leh­nen sur la liberté de l'enseignement.

Sur toutes ces questions le congrès a pris des résolutions, qui serviront de programme et de ligne de conduite au parti catholique pendant l'an­née qui va s'ouvrir. Parmi ces résolutions celle qui demande le rétablis­sement du pouvoir temporel du Pape mérite une mention spéciale.

Durant la journée de mardi environ 7000 congressistes s'étaient ren­dus en pèlerinage à Notre-Dame de Kevelaer.

Le 45e congrès des catholiques allemands fera époque dans l'histoire du mouvement religieux et politique, duquel le Centre est sorti et qui a fait de ce parti, d'abord si faible et si méprisé, le maître des destinées de l'empire.

Si nous en étions là en France!

Madagascar. - Notre gouvernement est obligé de reconnaître dans nos colonies ce qu'il méconnait chez lui, à savoir que la France et le ca­tholicisme sont inséparablement unis.

A Madagascar, l'influence française s'est identifiée avec l'influence des missions catholiques, tandis que les mission protestantes favorisaient l'influence anglaise.. Il y a chez les Malgaches depuis trois ans un mouve­ment très marqué vers la religion catholique, et il a suffi pour cela que le gouverneur, le général Galliéni laissât toute liberté aux missionnaires.

Avant la conquête, la mission catholique comptait 26.000 élèves dans les trois centres de l'Imerina, du Betsileo et de Tamatave. Ce chiffre s'est élevé à 65.000 en 1896 et à 147.000 en 1897.

Avant la conquête, les églises et chapelles étaient au nombre de 360; on en compte aujourd'hui 650 construites ou en construction.

Le nombre des catholiques s'est élevé de 136.000 à 330.000.

Quels résultats consolants et propres à réjouir l'Eglise et le Cœur du divin Maître!

Si les chrétiens d'Europe n'avaient pas été divisés par le schisme et l'hérésie, ce serait bientôt fait de gagner le monde entier à Jésus-Christ.

CHRONIQUE (Novembre 1898)

I. ROME

Le crime de l'Italie. - Tous les hommes sensés, en Europe, en sont à se demander quelles sont les causes pour lesquelles l'anarchie compte en Italie de si nombreux adeptes.

La première réside dans les conditions intérieures de l'Italie. Tout a été dit déjà sur la misère épouvantable qui règne dans certaines provin­ces italiennes et qui, à deux reprises en cinq ans, a produit les soulève­ments populaires que l'on sait.

En présence de la condition affreuse où se trouvent réduits les paysans italiens, le sénateur Gacini, l'auteur de l'Enquête agraire, cette magistrale étude de l'agriculture italienne, laissait échapper cette exclamation: «C'est une iniquité telle, que la justice humaine à elle seule ne suffirait pas à la punir». Pauvreté sans doute n'est pas vice, mais il y a un degré de misère qui abrutit et dégrade l'homme et le prédispose au crime.

C'est le cas- assurément de certaines contrées de l'Italie. C'est ainsi qu'on s'explique que le révolutionnaire italien voue à son gouverne­ment, voue à tous les gouvernements une haine plus sauvage et plus fé­roce qu'aucun de ses confrères de l'anarchisme cosmopolite.

Il n'a pas complètement tort, le journal italien: Il Mattino, de Naples qui hier encore s'écriait: «Nous sommes devenus un péril pour la paix du monde!». Oui, assurément, les conditions intérieures de l'Italie, en fournissant un aliment permanent aux haines et aux passions révolution­naires constituent une sorte de danger social pour l'Europe. A la suite de l'horrible assassinat de Genève, le gouvernement italien mène plus vi­goureusement que jamais campagne contre la bande anarchiste de l'in­térieur.

Tout cela est très bien, mais il ne faudrait pas oublier qu'il y a des cau­ses génératrices de cet anarchisme et que l'une des principales réside dans l'état de souffrance et de misère profonde où se trouvent plongées les populations de certaines provinces.

Le nouveau régime n'a pas eu l'intuition de la grande tâche qui in­combe aux gouvernements d'aujourd'hui. Au lieu d'opérer les réformes sociales nécessaires, il s'est voué brusquement aux luttes infécondes du parlementarisme.

Mais ce n'est pas tout, et, comme l'a fait remarquer le Saint-Père, la cause morale s'ajoute à la cause économique.

Le nouveau régime, par ses lois et sa politique, n'a que trop contribué à priver le peuple italien du seul frein qui pouvait encore brider ses in­stincts naturels de férocité, le frein religieux. C'est ainsi qu'on s'expli­que la recrudescence de criminalité sauvage dont nous sommes les té­moins aujourd'hui.

On voit que les abominables attentats de ces dernières années pour­raient fournir à la presse italienne et aux hommes dirigeants de la politi­que italienne matière à abondantes et sérieuses réflexions. Ne serait-ce pas le cas ou] amais, pour le nouveau régime, de se livrer à un rigoureux examen de conscience?

Rappelez-vous ce que les fauteurs de l'Italie-une avaient promis et voyez ce qu'ils ont produit!

II. FRANCE

La situation actuelle. - Juifs et Maçons s'entendent et se prêtent main forte. L'affaire Dreyfus n'est qu'une escarmouche, on vise bien plus loin. Un correspondant du journal belge. Le Patriote expose ainsi très exactement l'état des choses.

La coalition judéo-radico-protestante- maçonnique ira jusqu'au bout. MM. Brisson et Léon Bourgeois ont prêté serment. M. Léon Bourgeois a pris le portefeuille de l'instruction publique, pour préparer une loi contre le peu qui reste en France de la liberté d'enseignement sous prétexte de garantir l'armée contre l'immoralité des ordres religieux et le jésuitisme.

Il est acquis aujourd'hui, que si le ministère reste au pouvoir, le gou­vernement fermera les écoles et les chapelles des jésuites et étranglera la li­berté d'enseignement. Cela vous explique la confraternité des juifs, des protestants, des anarchistes et des maçons. C'est le combat contre l'enne­mi commun. De là, la campagne des radicaux, dénonçant la coalition du militarisme, du boulangisme, du royalisme et du «cléricalisme». Ils re­nouvellent l'expérience du 16 mai et de 1889, prétendant devoir sauver la République contre le despotisme réactionnaire.

Tel est le terrain sur lequel la bataille va se livrer.

Depuis que M. Léon Bourgeois est revenu de Suisse, où il a assisté à un conciliabule international maçonnique, c'est lui qui mène «l'affaire»: le jour qu'il a quitté ce comité, les journaux juifs d'Allema­gne et les organes protestants de l'Helvétie annonçèrent avec satisfaction que la «ferme et haute intelligence» de M. Léon Bourgeois dominerait la situation. C'était comme l'annonce d'une prochaine victoire.

La France est placée, en ce moment, entre deux lignes: d'un côté, les anarchistes, les socialistes, les juifs, les protestants, les radicaux et les maçons, se servant de l'affaire Dreyfus pour enrayer une seconde fois les ralliés et le retour au catholicisme; de l'autre, les conservateurs, les pa­triotes et, en général, les catholiques, qui, au nom de l'armée et de l'in­térêt national, veulent la clôture du scandale.

Cette lutte a complètement modifié l'atmosphère. En 1896, l'apaise­ment régnait. On sentait dans les airs ce silence bienfaisant qui, le soir, précède l'Angelus. On entendait sonner les cloches. Le voltairianisme était mort. Aucun «jeune», aucun esprit éclairé ne jurait plus sur le «bloc révolutionnaire:» c'était une idole renversée dans la poussière. A droite, la pente conduisait au mariage de raison des catholiques avec la République. Aujourd'hui, le voltairianisme relève la tête.

La révolution est de nouveau invoquée par des «intellectuels» comme l'Arche sainte. Quand on contemple ces ruines, peut-on admettre que l'enjeu de la lutte soit uniquement l'innocence d'un homme?

Mais, à droite, et dans le peuple, la réaction n'est pas moins vivace et profonde. L'antisémitisme, la haine de la franc-maçonnerie, ont fait des progrès inouïs. Dans quelques provinces, le juif est devenu un être odieux. Protestant est devenu synonyme de Suisse. Radical et maçon sont des cosmopolites. La Libre Parole, par exemple, est montée à un tira­ge de plus de 200,000.

Qui l'emportera? Ceux qui dans cette affaire mordront la poussière seront des vaincus pour longtemps.

Voilà les caractères du débat. Qui ne les voit pas, ne comprendra ja­mais rien à ce drame, comme pendant longtemps, de bons esprits n'ont point saisi l'esprit et la portée de 89.

Les conditions nouvelles du ministère pastoral. - Il y a cinq ans à peine nous étions quelques-uns seulement à reconnaître qu'il fallait changer les conditions de l'action sacerdotale en France pour refaire la cité chrétienne. La méthode des âges chrétiens avait été oubliée. Léon XIII la rappelait en deux mots: «Il faut aller aux hommes». Aujourd'hui, tout le monde le comprend. L'action est encore hésitante, mais elle s'affer­mira et s'étendra.

La Revue du clergé français du mois d'août donnait ce témoignage d'un curé de paroisse:

«Il est de toute évidence que la suppression de l'idée chrétienne dans le corps électoral a pour nos institutions religieuses et sociales de déso­lantes et inéluctables conséquences. Nous avons vu, depuis de longues années, se succéder des mesures législatives et administratives qui ont peu à peu tranché la plupart des liens qui unissaient chez nous la religion et l'Eglise à la société et à l'Etat…

«Vous ne trouverez pas un curé qui n'avoue l'indispensable nécessité de faire quelque chose. Et cependant combien, demeurant perplexes sur les moyens, restent inactifs ou se contentent d'efforts s'appliquant aux individus, efforts pénibles et méritoires assurément, mais non suscepti­bles de grands effets!».

«Non seulement il faut que nous soyons théoriquement persuadés de l'indispensable nécessité de l'évangélisation des hommes, mais il faut que - d'une façon ou d'une autre - nous nous occupions d'eux comme groupe de population. Ils ont besoin de soins spéciaux s'appliquant à eux en tant que catégorie de paroissiens; ils ont besoin d'instructions auxquelles ils soient particulièrement ou même exclusivement convoqués; ceci est le premier acte indispensable de leur évangélisation».

«Mais il faut aller plus loin pour que ces instructions soient suivies et produisent leur maximum d'effet; il est essentiel d'associer les hommes, de les unir entre eux par des liens sensibles et extérieurs; s'ils forment corps, on obtiendra par là même quelques résultats: la diminution, la suppression même d'un grand danger, celui du respect humain, et une édification réciproque intense; puis la formation spontanée et nécessaire d'un groupe d'élite qui nous apportera le concours très précieux et très efficace d'un apostolat laïc subordonné au nôtre…».

III. AUTRES PAYS

Hollande: couronnement de la reine. - Les belles fêtes du couron­nement ont été une affirmation du patriotisme des Hollandais et de l'union qui règne parmi le peuple des Pays-Bas.

Les catholiques ont pris part aux fêtes nationales avec le même en­thousiasme que les protestants. Les évêques ont assisté au couronnement. Il avait lieu dans une église protestante, mais en dehors de tout ac­te du culte. L'église avait été choisie seulement parce qu'elle offrait le lo­cal le plus favorable.

Les évêques ont demandé des prières à leurs ouailles et toutes les fêtes ont été empreintes de l'esprit de tolérance et de justice. Le gouverne­ment protestant de Hollande est plus libéral et plus équitable pour les ca­tholiques que nos ministères francs-maçons.

Le Reichstag allemand. - Aux récentes élections allemandes, le parti socialiste a obtenu 318.000 voix de plus qu'en 1893. Le chiffre exact des voix obtenues en 1898 par le parti socialiste est de 2.105.305, ce qui est colossal.

Le nouveau Reichstag se compose de 397 membres, dont 210 prote­stants, 141 catholiques, 4 juifs, 29 sans confession religieuse. Parmi eux on compte 22 prêtres catholiques.

Le Centre a conservé son ancienne situation et reste le parti le plus fort au point de vue du nombre de ses députés. Mais au point de vue du chiffre total des voix obtenues par les candidats, le parti socialiste mar­che en tête avec plus de 2 millions de voix, alors que le Centre n'en a ob­tenu que 1.454.000.

Autriche-Hongrie. Le congrès catholique slavo-tchèque. - Les mêmes jours que les catholiques allemands étaient réunis, à Crefeld, pour le 45e Congrès catholique allemand, les catholiques slavo-tchèques se réunissaient pour la seconde fois en Congrès catholique à Prague, la ville royale de Bohême, la ville de saint Venceslas, de saint Jean Népo­mucèn, de sainte Ludmille et de saint Adalbert.

Les réunions étaient aussi nombreuses que celles du Congrès catholi­que autrichien, tenu à Vienne, en 1889; comme lieu de réunion, on avait choisi la grande salle des fêtes de la Sophien-Insel, vaste établisse­ment sur la rive droite de la Moldau, un peu en amont du pont Saint­-François.

S. Em. le cardinal de Schœnborn, prince-archevêque de Prague, pri­mat de Bohême, et presque tous les membres de l'Episcopat du royau­me, ont assisté au Congrès.

Les Katholicke Listy ont publié le texte de l'adresse, envoyée à Rome par les organisateurs du Congrès. L'adresse rappelle tout ce que Léon XIII a fait pour la nation tchèque, et énumère parmi ces bienfaits le relè­vement de l'ancien collège national à Rome.

Durant quatre réunions, le Congrès de Prague a traité toutes les gran­des questions qui intéressent les peuples catholiques. Plus de 3000 per­sonnes ont suivi avec un vif intérêt les discours des divers orateurs.

Un grand cortège de congressistes s'est rendu du collège des Pères jé­suites sur la montagne royale du Hradschin, qui porte la cathédrale de Saint-Guy, où sont déposés les restes mortels des saints patrons du royaume, de saint Venceslas, saint Jean Népomucène, sainte Ludmille et saint Adalbert.

Il fallait quatre ans pour que les catholiques slavo-tchèques se réunis­sent une seconde fois en Congrès.

Cette fois-ci, on s'est donné rendez-vous pour l'année prochaine. Le congrès s'est terminé par le chant du vieux cantique slave Svaty Vaclave et par un banquet où des toasts ont été portés au Pape et à l'Empereur, roi de Bohême.

L'église du Sacré-Cœur à Berlin. - Berlin aussi va avoir son église du Sacré-Cœur. Elle s'achève. C'est une grande et belle église paroissia­le élevée dans un quartier où les catholiques sont assez nombreux. Elle sera consacrée par le cardinal Kopp.

Plusieurs établissements catholiques l'entourent et notamment une maison de Sœurs-Grises et une école supérieure de jeunes filles. Les ca­tholiques allemands aident généreusement à la construction de plusieurs églises catholiques à Berlin. Ils luttent avec un courage admirable contre la propagande protestante.

CHRONIQUE (Décembre 1898)

I. ROME

Le pèlerinage ouvrier français à Rome. - Les pèlerins français, au nombre de deux mille, joints à deux mille autres français qui habitent Rome, se sont réunis dans la basilique vaticane, remplissant l'espace qui s'étend depuis l'autel de la confession jusqu'à l'autel de la chaire, où s'élevait le trône papal.

L'assemblée a récité le Rosaire, en attendant l'arrivée du Souverain Pontife.

A dix heures précises, le Pape est annoncé. Il fait son entrée sur une chaise à porteurs, accompagné de la cour.

Aussitôt les pèlerins l'acclament vivement, criant: Vive le Pape! Vive Léon XIII! Vive le Pape du travail ! et ils agitent les mouchoirs et les cha­peaux.

Les chanteurs de la chapelle Sixtine entonnent le Tu es Petrus.

Le Pape, visiblement ému, bénit l'assistance, descend de la chaise, et se rend à pied sur le trône.

Les cardinaux Rampolla, Serafino et Vincenzo Vannutelli, Mocenni, Cretoni, Agliardi, Segna et de nombreux évêques et dignitaires ecclésia­stiques prennent place autour du Pape.

Lorsque le silence est rétabli, M. Léon Harmel lit un discours dont voici le résumé:

M. Harmel présente tout d'abord les pèlerins au Saint-Père. «Encore une fois, dit-il, voici à vos pieds la France du travail. Puisque Léon XIII ne cesse de multiplier ses bienfaits envers la France, c'est aus­si le devoir des catholiques de lui renouveler, avec toujours plus d'amour, l'expression de leur reconnaissance».

«Ils sont venus de tous les coins de la France l'assurer de leur soumis­sion absolue à toutes ses directions politiques et sociales, car ils savent ce que leur patrie doit au Pape, que rien n'arrête dans sa paternelle sollici­tude

M. Harmel rappelle que, hier encore, est partie du Vatican la parole qui maintient à la France ses privilèges séculaires en Orient, et il fait connaître que les religieux de l'Assomption ont tenu à envoyer plusieurs d'entre eux à Rome et qu'ils se proposent de multiplier encore leurs pe­lerinages vers les Lieux Saints.

Il remercie le Pape au nom des travailleurs d'avoir préparé leur ascen­sion économique et sociale.

Il voit dans l'Encyclique la charte de leur affranchissement et émet l'espoir que la démocratie chrétienne conçue et entendue dans son vrai sens catholique, ramènera les foules dans le sein de l'Eglise.

Il termine en assurant le Pape que chaque jour ses enseignements sont mieux compris. Le discours a été salué par les cris prolongés de: Vive Léon XIII!

Le Pape serre la main de M. Harmel et le remercie. Puis il remet à Mgr de Croy sa réponse que le prélat lit à haute voix:

DISCOURS DU PAPE

Très chers fils

«C'est pour Notre cœur une nouvelle et douce joie que de vous voir une fois de plus, dans Nos vieux jours, réunis ainsi et groupés si nom­breux autour de Nous. Votre arrivée, votre présence ici, Nous sont une preuve manifeste que, loin d'ébranler votre fidélité et votre constance, le temps et les événements ne font que fortifier de plus en plus dans vos âmes ces sentiments de respect et d'attachement au Siège apostolique, de dévouement et de piété filiale que vous venez de Nous exprimer et dont par le passé vous Nous avez donné déjà de si nombreux et si éclatants té­moignages».

«Aujourd'hui, une pensée spéciale a contribué à vous ramener auprès de Nous. Ainsi que vous l'avez rappelé tout à l'heure, il vous tardait de Nous remercier de l'acte récent par lequel Nous avons confirmé les dé­clarations antérieures du Saint-Siège concernant votre patronat tradi­tionnel en Orient, et c'est dans cette pensée que se sont joints à ce pèleri­nage ouvrier les vaillants religieux que Nous apercevons au milieu de vous et qui ont si bien mérité de la Terre Sainte».

«Pénétrés de zèle pour la gloire de ces lieux bénis qui furent les té­moins de la vie et de la mort du Sauveur des hommes, ils y conduisent périodiquement ces nombreux pèlerins de la pénitence qui vont y offrir à Dieu leurs prières pour les besoins de la Sainte Eglise et pour le retour en son sein de nos frères séparés».

«Nous-même, il y a peu d'années, Nous avons voulu, dans ce but, qu'un solennel Congrès eucharistique fût célébré sous la présidence d'un cardinal français dans cette ville même de Jérusalem où fut institué ce grand sacrement qui est le gage divin de l'union entre les fidèles».

«Continuez donc, chers fils, vos pieuses pérégrinations en Terre Sain­te; elles contribueront puissamment à fortifier la foi et à féconder votre noble mission en Orient».

«Pour vous, très chers fils, qui êtes la France du travail, vous n'igno­rez pas que à vous aussi incombent d'importants et graves devoirs inté­ressant la société tout entière».

«Puisque vous venez de faire allusion à la démocratie, voici ce qu'à ce sujet Nous devons vous inculquer:

Si la démocratie s'inspire des enseignements de la raison éclairée par la foi; si, se tenant en garde contre de fallacieuses et subversives théories, elle accepte avec une religieuse résignation et comme un fait nécessaire la diversité des classes et des conditions».

«Si dans la recherche des solutions possibles aux multiples problèmes sociaux qui surgissent journellement, elle ne perd pas un instant de vue les règles de cette charité surhumaine que Jésus-Christ déclara être la note caractéristique des siens; si, en un mot, la démocratie veut être chrétienne, elle donnera à votre parti un avenir de paix, de prospérité et de bonheur».

«Si au contraire, elle s'abandonne à la révolution et au socialisme; si trompée par de folles illusions, elle se livre à des revendications destruc­tives de lois fondamentales sur lesquelles repose tout ordre civil, l'effet immédiat sera pour la classe ouvrière elle-même la servitude, la misère, la ruine».

«Loin de vous, très chers fils, une pareille et aussi sombre perspecti­ve. Fidèles à votre baptême, c'est à la lumière de la foi que vous jugez et appréciez les choses de cette vie, vrai pèlerinage du temps à l'éternité».

«Tandis que, d'ailleurs, les questions sociales troublent et tourmen­tent les hommes du travail, vous gardez vos âmes dans la paix, en vous confiant à ces patrons chrétiens qui président avec tant de sagesse vos la­borieuses journées, qui pourvoient avec tant de justice et d'équité à vo­tre salaire et en même temps vous instruisent de vos droits et de vos de­voirs en vous interprétant les grands et salutaires enseignements de l'Eglise et de son chef».

«Oh! puisse la France voir se multiplier de plus en plus les patrons qui ressemblent aux vôtres et notammet à ce Bon Père (M. Harmel) qui de­puis des années se fait un bonheur de vous conduire à Nos pieds!».

«Puissiez-vous, vous-mêmes, par votre exemple et au besoin par vos paroles, ramener à Dieu et à la pratique des vertus chrétiennes, vos com­pagnons égarés et enrichir votre patrie de phalanges d'ouvriers comme celle que Nous avons ici sous Nos yeux».

«S'il plaisait au Seigneur d'exaucer ce vœu, le salut et la prospérité de votre nation seraient assurés, et elle ne tarderait pas à reprendre dans le monde la place spéciale et la glorieuse mission que la Providence lui avait assignées».

Le Pape termine en recommandant aux pèlerins de se montrer tou­jours dignes du noble titre d'ouvriers chrétiens, de recourir fréquem­ment à la prière et de ne jamais négliger leurs devoirs religieux.

«C'est comme gage de Notre particulière affection que Nous vous ac­cordons de tout cœur, très chers fils, à tous ici présents, à vos parents, à vos familles et à vos amis, la bénédiction apostolique».

Ce discours a été salué par les cris prolongés de: Vive Léon XIII! De nombreux pèlerins pleurent.

Le Pape se lève, et d'une voix forte prononce la bénédiction. Il bénit l'assistance à genoux.

La prière terminée, les pèlerins acclament Léon XIII, le Pape du tra­vail, le grand Pape!

Le Pape a voulu donner dans ce discours sa pensée sur la démocratie chrétienne.

Ce passage répond directement à une allusion contenue dans l'adresse lue au Souverain Pontife par M. Léon Harmel, président du pèlerinage. Léon XIII y reconnaît la légitimité des aspirations formulées dans cet­te adresse, mais il subordonne cette approbation à la condition expresse que la démocratie se tiendra toujours dans les limites tracées par la justi­ce, par la prudence et par la charité chrétiennes. Il prémunit les ouvriers contre tout ce qui pourrait ressembler à une adhésion aux principes so­cialistes, à la guerre des classes, à l'antagonisme contre les patrons.

Lorsqu'il s'agit de la parole du Pape surtout, il faut l'accepter dans sa pleine intégrité, sans en exagérer la portée, sans en méconnaître les tem­péraments voulus et calculés.

Si donc il est permis aux catholiques de se dire démocrates, gardons­nous bien d'en conclure, ou que toutes les démocraties soient égalemet bonnes, ou que ceux qui n'aiment pas à se proclamer démocrates cessent par là même d'être de bons catholiques.

Le bon sens chrétien nous commande d'observer à cet égard une juste mesure, et c'est répondre aux désirs du chef de l'Eglise que de s'abste­nir, soit dans un sens, soit dans l'autre, de récriminations superflues et souvent regrettables.

Dans les temps difficiles où nous vivons, les catholiques de tous les pays voudront se montrer fidèles à une ligne de conduite tracée avec tant de clarté et avec tant d'autorité.

II. FRANCE

Restauration de l'Ordre de Saint-Benoît à Paris. Le prieuré de Sainte-Marie. - En soixante ans, l'Ordre de Saint-Benoît, restauré en France par dom Guéranger, a tellement grandi avec la bénédiction de Dieu, qu'il lui a fallu, de bonne heure, sortir de son berceau primitif. Solesmes a essaimé sur différents points de la France et jusqu'en Espa­gne et en Angleterre. En même temps que les vocations se multipliaient, les antiques abbayes de Ligugé, de Saint-Maur et de Saint-Vandrille se relevaient. L'abbaye Sainte-Madeleine de Marseille se fondait; Silos re­naissait de ses ruines. Des abbayes sortaient des prieurés nouveaux. La congrégation des bénédictins, de France, sous la haute autorité du Révé-rendissime Père dom Delatte, abbé général, compte aujourd'hui, en France et à l'étranger, six abbayes et quatre prieurés, avec plusieurs cen­taines de moines, dont l'emploi est de chanter les louanges de Dieu et de vaquer aux travaux intellectuels.

Paris a maintenant aussi une maison bénédictine. Ce n'est plus l'illu­stre abbaye de Saint-Germain des Prés, mais c'est un modeste prieuré, qui ira, lui aussi, avec le temps, en se développant.

Les bénédictins de Paris, après un séjour provisoire dans un hôtel de la rue Vaneau, se sont établis à Auteuil, grâce à la munificence d'une gé­néreuse bienfaitrice.

Leur monastère a pris le titre de prieuré de Sainte-Marie. Le Père prieur, dom du Bourg, porte un nom distingué parmi les familles fran­çaises; avant de s'engager dans la vie religieuse, il était officier dans l'ar­mée française.

Les progrès de l'Ordre Cistercien. - La grande famille de la Trap­pe a un chef aussi vaillant que zélé, le T. R. P. Sébastien Wiart. Il vient, dit-on, de racheter ce qui reste de l'ancienne abbaye de Cîteaux, en Bourgogne.

En Belgique, la célèbre abbaye d'Affligem, située à mi-chemin d'Alost et d'Assche sur la route de Bruxelles à Gand, renaît de ces cen­dres. Il y a quelque chose de providentiel dans les destinées de cette insti­tution monacale sept fois séculaire qui sombra dans le grand cataclysme révolutionnaire et dont les moines, écrivait Mgr Namèche, brillèrent égale­ment par la piété et par la science.

Au mois de novembre 1796, les derniers moines en furent expulsés; le 2 janvier 1797, une poignée de braves paysans en délogea à son tour la garnison française. Et c'est là, incontestablement, la date du commence­ment de cette héroïque Guerre des Paysans dont le baron Jean de Meer, de Moorsel, fut une des premières et la seule noble victime.

Le dernier prévôt de l'abbaye, dom Beda Regaus, ne suivit pas en exil ses compagnons d'infortune: il trouva un abri chez l'ancien greffier de la cour centrale d'Affligem.

M. Benoît-Emmanuel De Witte, y vécut caché et y mourut le 11 avril 1808, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, après soixante-neuf ans de vie reli­gieuse, comme l'atteste sa pierre tumulaire encadrée dans la façade de l'église d'Hekelgem. Dom Beda Regaus en quittant son abbaye chérie n'avait eu d'autre soin que d'emporter dans sa retraite la statue miracu­leuse de Notre-Dame d'Affligem, celle-là même qui avait prononcé les célèbres paroles: Salve, Bernarde! et dont l'histoire a été écrite par un moi­ne illustre, dom Pitra, abbé de Solesmes et cardinal romain.

Après cinquante ans de séjour à Termonde, voilà que l'antique image est rentrée dans ses pénates restaurées. Le 24 octobre, à neuf heures du matin, S. Em. Mgr Goossens, cardinal-archevêque de Malines, a procé­dé en personne à la translation de la statue miraculeuse, assisté de nom­breux prélats et abbés mitrés. Après la procession triomphale, la messe pontificale a été chantée par le révérendissime prélat d'Affligem et l'allo­cution faite par le révérendissime prélat de Bornhem.

III. AUTRES PAYS

L'Égypte consacrée au Sacré-Cœur. - De magnifiques cérémonies ont marqué la clôture du concile copte qui s'est réuni récemment au Caire.

Voici un extrait de l'allocution prononcée en français après la messe par Mgr Cyrille Macaire, administrateur du patriarcat copte d'Alexan­drie. L'orateur remercie d'abord Mgr Bonfigli, délégué apostolique, président du Concile, de la bienveillance avec laquelle il en a dirigé les débats.

«Notre Concile, continue Mgr Macaire, a rempli sa tâche, il a rédigé tout un code Alexandrin; il renoue la tradition avec le passé, encourage le présent, éclaire l'avenir et réveille en Orient l'amour de l'unité apo­stolique. C'est le vœu de Léon XIII, c'est la prière de son grand cœur paternel».

«Peuple de saint Marc! réjouissez-vous de posséder une législation fi­xe: c'est la même qui a régi vos ancêtres. Voulant remplir fidèlement l'office dont nous sommes chargé, nous avons décidé de consacrer en ce grand jour la nation copte au Sacré-Cœur de Jésus. Malgré la défection presque universelle des peuples, souvenez-vous que le premier roi est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Souvenez-vous que vos frères ont été heu­reux tant qu'ils ont été fidèles au Vicaire de Celui qui vint, petit enfant, dans notre Egypte. La malédiction a eu pour cause un refus d'obéissan­ce. Maintenant il a plu à Dieu de nous réorganiser en rétablissant le pa­triarcat d'Alexandrie».

«Reconnaissons par un acte solennel la royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ et consacrons-nous à son Sacré-Cœur, afin qu'il règne sur nous tous! Qu'il règne sur les familles! Qu'il règne sur la nation entière! Puisse ce règne d'amour être la source de toutes les bénédictions spiri­tuelles et temporelles!».

Après ce discours qui impressionne vivement les auditeurs, Mgr Ma­caire a fait la consécration solennelle de toute la nation copte au Sacré­-Cœur.

Belgique: les écoles Saint-Luc. - Pendant que notre école des Beaux-Arts nous tient asservis aux préjugés de la Renaissance, la Belgi­que a ses écoles de Saint-Luc dirigées par les Frères des écoles chrétien­nes, notamment à Gand et à Tournai, qui réveillent dans le pays le goût de l'art gothique.

Le professeur si distingué de philosophie à Louvain. M. l'abbé Thié­ry, discourait dernièrement à leur sujet, empruntons-lui quelques belles pages sur l'art et les artisans.

«Les préjugés qui, il y a trente ans, maintenaient le public dans l'ho­stilité ou l'indifférence, se sont peu à peu évanouis. Le classicisme survit encore dans les écoles officielles, mais il n'y règne plus exclusivement; on peut affirmer que l'exemple donné par les écoles Saint-Luc est pour une bonne part dans cet affranchissement: il a précédé et préparé la restaura­tion des arts industriels en Belgique. A ce point de vue, les tendances de Saint-Luc ont une véritable portée sociale…».

«Avoir pour élèves des artisans qui sont artistes n'est plus chose commune de nos jours; c'était bon au moyen âge. Quand l'école s'est fondée, elle est apparue comme une étonnante innovation. Le monde considérait que art et métier sont des extrêmes opposés entre lesquels on n'entrevoyait guère de conciliation; en tout cas, on ne se figurait pas bien la possibilité de cette édu­cation en commun, qui a été inaugurée ici avec tant de succès».

«Trop souvent encore on semble admettre qu'il y a des castes pour sé­parer irrémissiblement peintres d'art et décorateurs de métier. Au moyen âge, tel maître était-il plutôt architecte-maçon que maçon­architecte? Nul ne pourrait le dire et nul ne s'en préoccupait. On ne con­naissait pas le préjugé qui parque les artistes à part, et leur fait gloire d'ignorer ou de mépriser le labeur des arts de métier et d'industrie».

«Et cependant, si on comprend bien la vocation de l'artiste, en quoi consiste-t-elle, sinon à produire, à composer, à édifier? Et l'artisan n'a-t­il pas, lui aussi, la même destinée! Son effort se concentre-t-il sur autre chose que sur la production d'œuvres et de travaux? Pour les uns et pour les autres, ce sont les mêmes nécessités, les mêmes problèmes qui se posent et mettent aux prises avec les mêmes imperfections des maté­riaux».

«L'école Saint-Luc, en admettant à ses leçons indifféremment artistes et artisans, les a tous réunis par cette vocation qui leur est commune. Donnant l'enseignement, livrant ses méthodes, mettant aux mains de tous ce puissant instrument de direction et d'étude qui s'appelle le des­sin, elle a permis d'élever des édifices, que tous les corps de métier et tous les beaux-arts ont contribué à ériger dans un admirable sentiment d'unité et de grandeur. Artisans ou artistes, c'est cette commune beso­gne pour la production de l'œuvre qui les rapproche et leur donne l'in­telligence des travaux mutuels».

«Le soin de travailler pratiquement à des choses concrètes se retrouve écrit dans le texte des règlements de la gilde de Saint-Luc. Il y est dit: «Le grand prix annuel doit être décerné au travail qui sera jugé le meil­leur au point de vue de l'exécution pratique».

«Cette préoccupation est peut-être plus frappante encore quand, des hauteurs des classes supérieures, on descend aux moindres sections des commençants, qui font leurs tout premiers essais. Je crois que ces classes de gamins sont les plus caractéristiques. Chaque élève est là appliqué sous les yeux du maître; il a à la main non pas le crayon ou l'encre, plus indélébile encore, mais la fugace craie ou le fusain friable, qui permet­tent les reprises, les infinies retouches, les interminables corrections, les recommencements sans fin. On dessine à grands traits, vite et seulement les lignes essentielles. Tels ces croquis de route qu'un artiste prend suc­cinctement, pour n'emporter de l'objet que ce qu'il faut pour le retracer avec son caractère propre».

«Comme il s'agit avant tout de comprendre les objets pour les dessi­ner, chaque élève a pour modèle les choses qui lui sont les plus connues: le fils du menuisier esquisse l'assemblage d'une table; le petit tisserand forme la fleur ou la feuille qui orne un damassé à ramages. C'est une idéale simplicité qui fait, près de tout ce petit monde, le succès de l'ensei­gnement de l'école. Au lieu de dépayser ces jeunes imaginations par des complications insipides, on dirait que les premiers modèles songent avant tout à rectifier et à simplifier les schématiques dessins que d'eux­mêmes les bambins griffonnent, en se jouant, sur leurs livres».

«Les directeurs ont donc adopté pour méthode de suivre ainsi pas à pas les progrès d'esprit et le talent des élèves dans les différentes classes».

«D'autres part, l'école Saint-Luc a fait choix d'étudier particulière­ment le style du XIIIe siècle, non pour en copier matériellement les chefs-d'œuvre, mais pour se les approprier et s'en inspirer comme d'un exemple admirablement fécond».

«Le christianisme, qui a fait libres les moindres compagnons, de mê­me qu'il révélait notre fin et la destinée céleste de notre vie humaine, montrait aussi dans la création la finalité des objets qui nous entourent. La pensée venait ainsi à l'artisan que dans l'exécution, pour tout ce qui concourait à la destination de l'objet, liberté lui était laissée pleine et en­tière. L'artisan n'est plus de même obligé au culte superstitieux de la sy­métrie ou de l'uniformité; il ne reproduit plus indéfiniment le même mo­tif; mais, avec un admirable sentiment de son indépendance, il varie à plaisir tout ce qui peut être construit indifféremment de telle ou telle fa­çon».

«Mais la doctrine médiévale a d'autres mérites encore que de favori­ser pratiquement la liberté et la fécondité de l'art. Au délà des beautés de la nature, au-dessus des œuvres d'art, elle enseigne la finalité divine de la beauté».

«Comme toutes les autres délectations, la délectation esthétique a été voulue par la sagesse de Dieu pour assurer ici-bas l'action. Delectatio prop­ter operationem, dit saint Thomas. Le beau est pour exciter les volontés, soutenir et encourager les sacrifices, rehausser les cœurs, susciter les no­bles désirs et les enthousiasmes héroïques. Et vraiment, quand on songe aux travailleurs d'art qui peuvent donner ainsi la beauté aux œuvres qu'ils produisent, on est frappé de cette puissance qu'ils détiennent, et on comprend en même temps la lourde responsabilité qui leur incombe s'ils viennent à en mésuser. Ce n'est pas impunément qu'on laisse l'art n'être qu'un jeu futile ou une immoralité. Vraiment il en est comme de ces perles précieuses dont Notre-Seigneur dit qu'on ne peut les jeter ni les dilapider, sous peine de se voir envahir par les perversités ou les insi­gnifiances…».

Tel est le but et l'esprit des écoles Saint-Luc; tels sont leur programme et leur histoire résumée.

Sœurs de la Charité de Gand au Congo. Lettre de Sœur Marie­Elise à la Supérieure générale de Gand.

Berghe-Sainte-Marie, 31 mai 1898

Chère et vénérée Supérieure,

Tout va bien, à tous les points de vue. Voici d'ailleurs l'énumération. Premièrement, si la maladie du sommeil, le Pongi a fait quelques victi­mes parmi nos gens, les vides ont été comblés tout aussitôt par les re­crues qui ne cessent d'affluer de toutes parts. Au train dont cela marche, la Mission de Berghe sera bientôt la ville de Berghe.

Secondement, le soleil d'Afrique n'est pas si méchant que nombre de gens se l'imaginent; nous jouissons toutes d'une excellente santé - il est vrai que nous sommes toutes fort sages: chose nécessaire - et les efflu­ves de l'astre du jour ne font que donner à nos champs défrichés un aspect très joyeux de paradis terrestre.

Troisièmement. Pour les défrichements spirituels, voici la note. Les païennes, celles qui portent les cornes du diable, comme elles le disent elles-mêmes, sont devenues la rare exception parmi nos négrillonnes. Soixante baptêmes dernièrement; soixante-dix premières communions; d'autres vont suivre et les excellentes dispositions des postulantes nous promettent à nouveau des joies que l'on sent, mais que l'on ne peut ex­primer.

Quatrièmement. Notre village chrétien de Sainte-Croix compte actuel­lement soixante ménages dont la conduite, la piété, l'esprit de travail ne laissent rien à désirer. La prospérité matérielle y va de pair avec le reste. Faudrait voir leurs champs de patates, de maïs, d'arachides, etc. Quels soins, quelle propreté, mais aussi quelles récoltes!

Il n'est pas jusqu'aux adultes enlevés par la maladie du sommeil, ainsi que je le notais tout à l'heure, qui ne nous aient donné des consolations. Ces gens appartenaient pour la plupart à des tribus anthropophages, et nous avouaient avoir mangé souvent de la chair humaine. Or, pas un n'a refusé le baptême, et dès lors nos dormeurs devenaient plus calmes, plus résignés, acceptant l'inévitable mort en expiation de leurs forfaits.

Vous voyez donc, bonne Mère, que vos filles d'Afrique ont tout motif de bénir la Providence. S'il n'était question que de succès matériel, je di­rais même: «C'est trop, Seigneur!». Mais, puisqu'il s'agit surtout d'ar­racher des âmes à Satan, nous disons plutôt: «Encore plus, Seigneur Jé­sus, encore plus!». Et j'ajoute, en considérant notre petit nombre en présence de la tâche immense: «Chère et digne Mère, encore des Sœurs, encore, encore, le plus possible! Que Dieu vous les envoie, afin que vous puissiez nous les donner!».

Luxembourg. - Le duché de Luxembourg a constitué longtemps un vicariat apostolique, c'est Pie IX seulement qui l'a érigé en évêché, mais il a vite formé un évêché modèle. Les populations de cette province sont si croyantes! Elles ont si bien gardé la foi que leur a prêchée au VIIIe siè­cle leur grand apôtre saint Willibrord!

Le secret de la vitalité du catholicisme dans cette région, c'est l'excel­lente formation du jeune clergé au séminaire. Aussi les prêtres ont-ils gardé tout leur ascendant moral sur les populations.

Léon XIII savait qu'il y avait là un bon séminaire et il s'y intéressait. Il y a même tel professeur qu'il aurait désigné lui-même.

Le Saint-Père désirait que ce séminaire devint une faculté de théolo­gie, canoniquement érigée. C'était d'autant plus urgent qu'en Allema­gne les universités catholiques, sauf celle d'Innsbrück, sont un peu sujet­tes à caution. Maintenant, c'est chose faite. Un décret du Saint-Siège a érigé la nouvelle académie théologique. Le séminaire pourra donner les grades en philosophie et en théologie. La publication de ces privilèges a donné lieu à une belle solennité à la cathédrale de Luxembourg sous la présidence du cardinal Langénieux, archevêque de Reims.

Mgr Koppes, l'évêque si distingué de Luxembourg, doit être heu­reux. Le docteur Hengesch, président du séminaire, et ses collègues voient leurs efforts persévérants couronnés de succès.

Un groupe des étudiants de la Congrégation des Prêtres du Sacré­Cœur suit les cours de ce séminaire. L'honneur accordé par le Saint­Siège à la maison réjouit tous les élèves.

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