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CHRONIQUE (Janvier 1900)

I. ROME

L'Année Sainte. - La grande année est commencée. Les portes saintes sont ouvertes. Les journaux quotidiens ont redit les émotions du grand jour. Le tombeau des apôtres va être glorifié pendant toute cette année par la visite reconnaissante des foules chrétiennes. Comme la très sainte Vierge, les apôtres peuvent dire: «Toutes les générations nous proclament bienheureux, parce que le Seigneur a fait en nous de grandes choses». Quelle grande leçon pour notre foi! Quelle lumière aussi pour tous les chercheurs de l'idéal social, s'ils veulent arrêter leur attention sur ce grand événement!

Saint Pierre a deux clefs: avec l'une, la clef d'or, il ouvre les trésors cé­lestes et les parvis du ciel. Il est le suprême distributeur des indulgences et des Sacrements. Avec l'autre, la clef d'argent, il ouvre les trésors ter­restres: il enseigne aux princes et aux peuples les principes de justice, de liberté, de charité, qui font régner la paix sociale et la postérité.

Ce n'est pas seulement parce que Pierre est le distributeur des trésors célestes que les peuples reconnaissants viennent visiter le tombeau sur le­quel leurs offrandes séculaires ont élevé le plus riche monument du mon­de; c'est aussi à cause de ses bienfaits terrestres, c'est parce que ses en­seignements ont affranchi les esclaves, relevé les prolétaires, adouci les moeurs et suscité l'épanouissement de l'art chrétien, des belles lettres, de la prospérité générale et de la civilisation la plus délicate.

Les peuples savent que ce qu'ils ont de bon vient de Pierre; et ce qu'ils ont de défectueux, des ennemis de Pierre. Ils peuvent juger encore de la prospérité des siècles chrétiens par les monuments que le temps a épar­gnés.

Les Italiens viendront les premiers. Ils doivent tant à la papauté! C'est son influence qui a fait de leur presqu'île le musée et l'école du monde entier. Elle leur a donné saint Ambroise, saint Thomas d'Aquin, saint François d'Assise, le Dante, Fra Angelico et Raphaël.

Milan vient en premier lieu. C'est Milan qui tient le premier rang dans le réveil catholique. La région de Naples viendra en janvier, celle de Turin en février. La ville sainte verra passer tout un monde et ses hô­telleries ne désempliront pas. Léon XIII verra et bénira tous ses enfants. Les pèlerins emporteront partout le souvenir de la douce vision du beau vieillard et les grâces de sa bénédiction.

L'hommage au Rédempteur. - Léon XIII a à cœur d'offrir au Ré­dempteur l'hommage que Notre-Seigneur a demandé à Paray-le-­Monial. Déjà au 11 juin dernier, en toutes les églises du monde, les pieux fidèles ont fait acte d'hommage à la royauté du Rédempteur. L'hommage va être renouvelé à l'ouverture et à la clôture de l'Année Sainte, le ter janvier de l'année 1900 et le 1er janvier de l'année 1901. Un décret de la Congrégation des Rites autorise pour cela l'exposition du Saint-Sacrement et la messe de minuit dans toutes les églises en ces deux nuits où se fait la transition d'une année à l'autre.

Beaucoup de paroisses, beaucoup d'églises voudront garder un témoi­gnage de cet acte d'hommage dans une inscription ou un monument. Les fidèles du Piémont veulent élever une statue colossale du Rédemp­teur sur un sommet des Alpes. A Rome, les associations catholiques of­friront au Saint-Père, une statue artistique qui sera probablement érigée dans une cour du Vatican.

La belle statue est commandée au sculpteur Aureli. Elle représente le Sauveur dans sa royauté. Les bords de son manteau portent l'inscrip­tion: Roi des rois et Seigneur des seigneurs - Rex regum et Dominus domi­nantium. Il tient en ses mains le sceptre royal et le livre des sept sceaux qui contient les annales de sa royauté.

L'hommage revêtira toutes les formes. On espère même que la Con­grégation des Rites approuvera et insérera au bréviaire un office en hon­neur de la royauté du Rédempteur. Bien des évêques l'ont demandé.

II. FRANCE

Gallicanisme et césarisme. - Nous en sommes toujours aux empié­tements de l'Etat. Il opprime la liberté personnelle, la liberté de la famil­le, la liberté de l'Eglise.

L'Etat moderne est césarien comme l'Etat païen. Les césars disaient: la loi, c'est le bon plaisir de l'empereur. Louis XIV relevant le césarisme a dit: l'Etat, c'est moi. Nous en sommes encore là. Aujourd'hui, le maître n'est plus un empereur ni un roi, c'est le groupe radical, conduit par le bout du nez par les Loges maçonniques et la juiverie.

L'Etat dit aux catholiques: «Vous voulez pratiquer votre religion se­lon votre conscience, je m'y oppose: je ne veux pas trop d'églises, pas de chapelles, pas de processions, pas de voeux religieux, etc., etc.». Il dit aux pères de famille: «Vous voulez élever vos enfants selon votre con­science, je m'y oppose: vous me les confierez, afin que je les modèle à ma mesure, et qu'ils soient athées, libres de moeurs et larges de con­science».

Et le bon peuple de France se laisse faire. Il est vrai qu'il est bien amoindri par trois siècles de césarisme. Les vérités sont bien obscurcies par la presse qui est aux mains des juifs. Et puis César a les chaînes du concordat pour nous tenir dans la servitude.

L'Etat césarien est devenu une idole, un fétiche. La vraie notion de l'Etat est perdue. L'Etat ne devrait être qu'un auxiliaire. Les familles s'unissent spontanément et naturellement, suivant leurs affinités, en na­tions, pour trouver dans la vie sociale les avantages d'une assurance mu­tuelle et les profits d'une organisation administrative, judiciaire, militaire.

Pour obtenir ce résultat, elles peuvent et doivent sacrifier quelque chose de leurs ressources pour l'impôt, voire même quelque chose de leur liberté personnelle pour le service militaire; mais elles ne peuvent rien sacrifier de leur conscience, ni la liberté religieuse, ni les droits du père de famille. Ce ne sont pas là des biens aliénables.

La vie sociale est pour aider la vie personnelle, la vie de famille, la vie des associations, elle n'est pas pour les détruire.

Les empiétements de l'Etat produisent les doctrines anarchistes: c'est fatal.

C'est la vraie notion de l'Etat qu'il faut propager aujourd'hui, en France et ailleurs, si nous voulons retrouver la paix sociale.

Léon XIII l'a bien dit dans l'Encyclique Rerum novarum: «Si l'Etat de­vient tyrannique et empiète sur ses droits, on en viendra à penser qu'il vaudrait mieux ne pas se mettre en société civile».

Le cardinal Parocchi se faisant l'écho des sentiments du Pape, disait aux pèlerins français, au 8 octobre 1898: «Le jour où la France réalisera une démocratie foncièrement chrétienne, elle n'aura rien à craindre, elle portera son glorieux drapeau scintillant à l'égal des étoiles du firma­ment. Et les peuples diront: «La France de Charlemagne, de saint Louis, de Henri IV (je m'arrête ici) est ressuscitée! »».

Vous avez bien lu, le docte cardinal énumérant les gloires de la France s'arrête à Henri IV. Et Louis XIV? direz-vous. L'éclat du règne de Louis XIV était une résultante et la fin d'une époque. Il préparait la dé­cadence, parce que Louis XIV entamait la liberté religieuse, diminuait la vie corporative et supprimait avec les Etats-généraux les éléments d'une démocratie vivante et agissante. Les rois ont abaissé le peuple et l'ont séparé de l'Eglise, le peuple a supprimé les rois.

Nous sommes toujours en tyrannie. Les lettres de cachet des rois en­voyaient les politiciens à la Bastille; les lettres de cachet de la Convention envoyaient les suspects à l'échafaud; les lettres de cachet du césarisme radical vont fermer les collèges libres et envoyer les religieux à la frontiè­re. La Bastille n'est pas détruite, elle a changé de forme et de place.

La vérité finira par triompher. Enseignons partout la vraie notion de l'Etat et nous finirons par renverser le fétiche.

III. AUTRES PAYS

Le Transvaal et l'Afrique du Sud. - Quelques catholiques mal ren­seignés accordent leurs sympathies aux Anglais dans cette guerre inju­ste. Ils s'imaginent que les républiques sud-africaines persécutent la reli­gion catholique. Rien n'est moins exact. Il est vrai que les calvinistes du Transvaal ont été longtemps fanatiques et persécuteurs comme leurs frè­res de Hollande. Mais ce temps là est passé.

La Hollande est devenue la terre promise des catholiques. Ils y sont plus libres que partout ailleurs. Tous les religieux expulsés d'Allemagne et de France se sont retirés en Hollande où ils ont trouvé une hospitalité généreuse et une liberté entière.

Le même esprit de tolérance et de liberté a gagné les républiques de l'Afrique méridionale. Elles ont été longtemps persécutrices, maintenant les catholiques y construisent des paroisses et des couvents.

Le Transvaal faisait autrefois partie du vicariat apostolique du Natal; mais, le 15 mars dernier, il fut érigé en préfecture séparée. La mission est confiée aux Pères Oblats et embrasse tout le territoire de la Républi­que des Boers. Le premier prêtre qui visita le Transvaal fut le P. Houde­wanger. A son arrivée à Potchefstroom, en 1868, le gouvernement lui défendit de célébrer la messe sous peine d'expulsion.

Ces mesures hostiles furent rapportées l'année suivante, grâce aux ef­forts des résidents catholiques et surtout grâce à la visite du gouverneur de Quilimaine, un catholique pratiquant qui désirait assister à la messe. Depuis lors, les progrès du catholicisme ont été considérables. Il y a des églises catholiques avec des prêtres résidents à Prétoria, Johannesburg, Potchefstroom, Klerksdorp, Baberton, Vleischfontein et Lyndenburg.

Les Frères ont à Johannesburg un collège qui compte de cinq à six cents élèves et dans la même ville il y a trois écoles catholiques de filles, dirigées par les Soeurs de la Sainte-Famille. Les Pères Oblats possèdent un collège à Prétoria, et là, comme à d'autres places encore, il y a des écoles dirigées par les Soeurs. A Vleischfontein il y a une école indu­strielle pour les indigènes.

Le gouvernement du Transvaal n'accorde aucune aide, de quelque nature que ce soit, aux écoles catholiques; il ne leur montre pas non plus cette hostilité qu'on rencontre dans beaucoup de pays d'Europe.

Les soeurs, qui sont chargées des hôpitaux de Johannesburg et Klerk­sdorp, comptent des amis aussi bien parmi les Boërs que parmi les Ui­tlanders.

L'Etat libre d'Orange forme également un vicariat apostolique depuis 1886.

Le vicariat de l'Etat libre d'Orange, duquel a été détaché en 1894 le terri­toire du Basutoland, compte, d'après les Missiones catholicae, de 1897, 5.600 catholiques sur 1.000.000 d'habitants, avec 10 stations avec résidence. A part deux prêtres, les missionnaires appartiennent à la société des Oblats de Marie. Il y a quelques Frères des écoles chrétiennes, des Soeurs de Nazareth et de la Sainte-Famille. L'évêque demeure à Kimberley. Taungs, Bloemfon­tein, Harrismith, Kronstadt, etc., sont pourvus d'établissements catholiques.

La préfecture du Transvaal comprend l'Etat de ce nom tout entier, va du Limpopo et du Notuani au Vaal, au Buffalo, au Pongolo, et du terri­toire portugais au grand désert de Kalahari; on évalue à 6.200 le nombre de ses catholiques et à 15 environ, celui de ses missionnaires, sans parler des Trappistes, des petits Frères de Marie, des Soeurs de Lorette, de la Sainte-Famille, de Nazareth, des Dominicaines et des Ursulines. L'hô­pital des Soeurs de la Sainte-Famille de Johannesburg est peut-être le plus grand des établissements de ce genre dans l'Afrique méridionale.

Les missionnaires du Transvaal et de l'Orange accompagnent les ar­mées pour donner aux soldats catholiques les secours spirituels. Les Soeurs soignent les blessés dans les ambulances, et des correspondances nous disent que le zèle et la charité des uns et des autres édifient les calvi­nistes et font tomber leurs préjugés contre la religion catholique.

Nous souhaitons le succès à ces peuples qui défendent héroïquement leur liberté et nous espérons voir la religion catholique refleurir chez eux par le zèle des missionnaires.

CHRONIQUE (Février 1900)

I. ROME

Caractère social et démocratique du jubilé. - L'Année Sainte est en bonne voie. Les pèlerinages se succèdent. Il y en a d'inscrits et d'an­noncés en grand nombre pour les mois prochains. Les diocèses d'Italie viennent tour à tour, et de temps en temps des groupes de pèlerins plus éloignés viennent d'au-delà des Alpes.

Ce jubilé a le cachet de son temps, c'est le jubilé du règne social de Jésus-Christ. L'erreur a mis des siècles à détrôner Jésus-Christ: les légi­stes ont miné son autorité; la fausse Renaissance, la révolution, le libéra­lisme ont travaillé tour à tour à faire de l'Etat une idole qui veut se faire adorer et obéir à la place de Dieu. Les Papes ont toujours protesté, mais ils n'étaient pas entendus. Pie IX a plus vigoureusement frappé l'idole. Léon XIII a fait la lumière; avec la logique d'un disciple de saint Tho­mas, il a en plusieurs encycliques, montré à l'Etat sa mission qui est grande et belle mais subordonnée au règne de Dieu. Il a rendu au Christ son règne social. La restauration est faite dans les esprits qui réfléchis­sent, elle le sera peu à peu dans les moeurs.

La royauté sociale du Christ, c'est l'esprit de ce jubilé. L'année toute entière va proclamer cette royauté. L'hommage à la royauté du Christ va clore le siècle qui finit et ouvrir le siècle qui commence. Le symbole est comme le signe sensible du jubilé, c'est l'image du Christ roi. La mé­daille du jubilé porte cette image. Les monuments commémoratifs qui vont être élevés partout sont des statues du Rédempteur avec les attri­buts de sa royauté. La statue est approuvée par la Congrégation des Ri­tes. Elle est le symbole et le souvenir officiel du jubilé. On ne voit qu'elle aujourd'hui partout à Rome: la sculpture, la gravure, la photographie la reproduisent à l'envie. L'image est bien celle du Christ roi: Le Rédemp­teur est debout sur le globe terrestre où sont dessinées particulièrement la France et l'Italie. Le socle porte l'inscription: Regi saeculorum honor et gloria, honneur et gloire au roi des siècles. Une grande croix tient lieu du sceptre au Christ, elle porte des inscriptions qui reproduisent les textes scripturaires ou traditionnels dans lesquels la royauté du Christ est affir­mée: Le Christ est vainqueur, il règne, il gouverne; le Christ est le Père du siècle à venir, le Prince de la paix.

De Maistre a dit: «La Révolution a commencé par l'affirmation des droits de l'homme, elle ne se terminera que par l'affirmation des droits de Dieu». C'est fait: les droits royaux du Christ sont affirmés et tous les échos vont les redire pendant ces deux années de jubilé. L'image du Christ roi sera sur nos poitrines; elle s'élèvera dans nos églises et jusque sur les montagnes qui dominent nos provinces. L'Italie se prépare à en élever plusieurs, les autres nations suivront. L'idée mère de ce jubilé, c'est la royauté du Christ, il a donc bien un caractère social.

Il a aussi un caractère démocratique. Ce ne sont pas les princes que le Pape y convie, ce sont les peuples, ou plutôt c'est le peuple chrétien et il aime à le voir venir sous des formes démocratiques. Au grand jour de l'ouverture de la Porte Sainte, les étendards de tous les groupes populai­res avaient une place réservée auprès de la Confession de saint Pierre. Il y avait là une centaine de bannières, représentant les associations de Ro­me et celles du Nord de l'Italie venues en pèlerinage. Les cercles, les syndicats, les caisses rurales, les comités étaient là représentés, voire mê­me l'association anti-maçonnique. Et quand Léon XIII passa, porté sur sa sedia, il se tourna avec amour vers ce groupe, vers ces braves travail­leurs qui tenaient fièrement leurs étendards et il les bénit avec tout son cœur. C'était la démocratie chrétienne qui s'affirmait. C'est chose nou­velle que ces étendards aux cérémonies pontificales et on peut ajouter que même au point de vue esthétique, c'était le beau groupe de la fête; ces étendards frémissants sous la bénédiction du Pape, avec leurs cou­leurs chatoyantes et leurs galons dorés me semblaient être les drapeaux d'une armée de croisés prête à marcher au combat pour le Christ. Le Pa­pe désire que les pèlerinages du jubilé viennent ainsi avec leurs éten­dards pacifiques, avec les symboles de la vie sociale chrétienne. Ce ne sont pas des pèlerins isolés et sans liens qui viendront, ce sont les repré­sentants des associations populaires. Ce sera le jubilé de la démocratie chrétienne. Nous voulons espérer qu'avec la grâce de Dieu et malgré les épreuves par lesquelles il faudra passer, ce siècle qui est inauguré par un pareil jubilé, sera le siècle du règne social du Christ et de la démocratie chrétienne.

L'invasion juive, protestante et païenne à Rome. - A l'ombre du drapeau tricolore orné de l'écusson de Savoie, les cultes adversaires de l'Eglise catholique trouvent dans la Rome des Papes non seulement plus de liberté que n'en jouissent les catholiques à Londres, à Berlin, à Saint-­Pétersbourg, mais les faveurs d'un gouvernement qui se prétend catholi­que.

On devine dès lors les développements que prennent à Rome tous les cultes dissidents.

La spoliation du pouvoir temporel, les sectaires l'ont maintes fois avoué, n'avait point d'autre but que de combattre et ruiner le pouvoir spirituel du chef suprême de l'Eglise, et dans la ville même qui est le siè­ge de sa chaire épiscopale.

Nous ne parlons pas des juifs. Il y a longtemps qu'ils ont quitté le Ghetto. Ce sont de bons chrétiens qui les y remplacent. Eux ont gagné les sommets. Ils occupent les positions influentes. Le directeur en chef du journal le plus important de Rome, la Tribuna, est un juif, sénateur du royaume. Il ne s'arrêtera pas là, il vient d'acheter un autre journal, la Capitale, et l'argent juif fait sentir son action également dans les autres journaux populaires de Rome.

Aux élections récentes pour le grand-maître de la franc-maçonnerie, c'est le juif Nathan qui a été réélu. Ses concurrents, Nasi et Finocchiaro­Aprile, l'ancien ministre de la justice dans le premier cabinet Pelloux, n'avaient sans doute pas même l'avantage d'être circoncis comme le prédécesseur de Nathan, Adriano Lemmi.

Ces jours derniers, la synagogue romaine, qui comprend plus de 7.000 juifs, a décidé de reconstruire son temple, jadis incendié, près de la place Cenci, non loin du pont Garibaldi, sur les bords du Tibre. Une commission d'architectes a choisi un modèle de style asiatique. Ce sera un monument très caractéristique de la nouvelle Rome.


Les sectes protestantes exercent ici un prosélytisme plus ardent encore que les juifs.

L'Annuaire officiel signale l'existence à Rome de l'Union chrétienne apo­stolique Baptiste avec dix Salles chrétiennes réparties dans tous les quartiers. On y explique l'Evangile, à la manière protestante.

Sans parler de diverses chapelles rattachées aux ambassades, et où se célèbre le culte évangélique anglican, américain, allemand, anglais, écos­sais, etc., il y a aussi l'église évangélique italienne avec deux églises et un collège. Tous ces cultes se sont fédérés pour fonder l'Association chré­tienne de la jeunesse. Le local qui lui est offert a une salle de lecture, une bibliothèque, des salles de jeux et de conversation, un gymnase. On offre aux jeunes gens des concerts, des promenades, etc., il y a des cours de langues étrangères. Toutes ces œuvres choisissent, bien entendu, pour leur installation, les points de la ville les mieux situés et les plus en vue.

Mais rien n'approche de la propagande active de l'Eglise méthodiste épiscopale. Cette secte a une grande église, rue du 20 Septembre, avec une école théologique et un nombreux collège, un pensionnat de filles avec une centaine d'enfants, via Garibaldi, des cours du soir, des salles de lecture, des dispensaires de tout genre. Pour s'emparer de la classe bourgeoise, elle a ouvert un Institut de demoiselles pour les jeunes filles qui viennent à Rome prendre leurs brevets d'institutrice. Les prix de pension sont très minimes mais en revanche on demande à ces jeunes fil­les d'assister à la lecture de la Bible, avec les commentaires, et à une con­férence. Cette année, le ministre qui en est chargé, a fait l'étude critique des fondements du catholicisme.

Malgré la répugnance naturelle qu'éprouve le tempérament moral des Italiens, et surtout des Romains pour les sèches doctrines protestantes, on comprend bien qu'à la longue ces efforts doivent produire des résultats.

C'est pour les combattre, qu'a été fondée cette année avec la pleine approbation du Saint-Père, l'Œuvre de la préservation de la Foi. Elle est pré­sidée par Mgr Adami, ancien titulaire de Cesara, et dirigée avec un zèle tout apostolique par le P. de Mandato, professeur de droit canon à l'Université grégorienne. Cette œuvre répand des tracts populaires qui répondent aux calomnies protestantes.


L'invasion païenne se fait par les moeurs. Ses temples sont les théâtres po­pulaires, les écoles sans Dieu, les patronages laïques et ces lieux de débauche voilés, les cafés-chantants, que Rome ne connaissait pas avant l'invasion. El­le a maintenant ces lieux de rendez-vous, semblables à ceux de nos grandes villes, qu'elle appelle Eldorado, Variétés, Olympia, etc., etc. Les moeurs de Rome ont baissé considérablement depuis trente ans. Une grande partie de la jeunesse y a pris une attitude effrontée et sensuelle qu'on n'y rencontrait guère auparavant. C'est là une grosse plaie qui mine la santé et la vigueur d'une nation, l'Italie s'en apercevra un jour ou l'autre.

Vieilles coutumes. - Les traditions s'en vont, les légendes s'ou­blient, le monde devient d'une monotonie désespérante.

Au bon vieux temps, les bergers des Abruzzes descendaient toutes les semaines à Rome pendant l'Avent; les samedis et les dimanches, ils jouaient leurs airs champêtres sur la cornemuse et le chalumeau, au pied des madones des rues, des carrefours et des boutiques. C'étaient des hommes aux formes mâles et robustes, au visage bronzé, à la barbe touf­fue. Ils allaient par deux ou par trois, avec leurs chapeaux en pains de sucre ornés de cent rubans aux vives couleurs, avec leurs cheveux hirsu­tes qui tombaient en boucles abondantes sur leurs épaules, avec leurs sandales lacées autour des jambes jusqu'au dessus des genoux; ils por­taient un manteau de peau de mouton et sur les épaules le camail ciré des pèlerins (le Sarrochino).

Les Romains regardaient leur visite comme une bénédiction, et cha­cun leur offrait une livre ou un écu pour qu'ils donnassent une sérénade à la madone voisine. Ils laissaient en souvenir une cuiller de bois sculp­tée par eux dans leurs loisirs.

Il fallait les voir s'incliner devant la madone, prendre leur chapeau sous le bras et souffler à pleins poumons dans leurs instruments rusti­ques. La cornemuse se gonflait, les doigts couraient sur les trous du pi­peau, et les chansons pastorales étaient délicieuses de sentiment et de suavité. La ville entière était un Bethléem où la population s'unissait à la piété naïve et démonstrative des bergers.

La police nouvelle a trouvé que c'était arriéré et barbare, elle a prétex­té que cela gênait la circulation, et elle ne l'a plus permis depuis 1870. La barbarie n'est pas du côté où la police croit la voir.

Plusieurs villes et bourgades du midi, de la Sicile et de la Calabre, ont encore à Noël comme au temps pascal, des scènes populaires qui rappel­lent les mystères de l'Evangile. A Catanzaro, par exemple, on représen­te le massacre des innocents; à Barletta, c'est la fuite en Egypte. Le gro­tesque s'y mêle quelquefois au sérieux. A Barletta, c'est la garde locale qui représente les soldats d'Hérode; la Sainte Famille s'enfuit dans la sa­cristie qui représente l'Egypte. A Catanzaro, un groupe d'hommes ar­més de bâtons représente les envoyés d'Hérode; un autre groupe défend les enfants menacés; il y a un combat simulé et des prisons. Cela intéres­se les enfants et les campagnards, qui prennent les choses au sérieux et en sont visiblement émus.

Il y a aussi en Sicile la fée de Noël (la Vecchia del Natale), comme il y a à Rome la fée de l'Epiphanie (la Befana), qui distibue aux enfants des jouets, des douceurs, des vêtements neufs. En Sicile, en beaucoup de vil­lages on promène la fée, la veille de Noël à travers les rues. C'est une poupée colossale que les enfants accompagnent avec un affreux concert de trompes, de tambourins et de clochettes. J'aime mieux la musique champêtre de la Rome d'autrefois, les chants des Pifferari, qui char­maient nos soirées d'hiver, il y a trente ans, avec les douces roucoulades de leurs pipeaux ou pifferi.

II. FRANCE

La dépopulation. - Le mal continue. La statistique qui vient d'être publiée annonce encore une diminution de 15.000 naissances en 1898. Soixante-dix départements ont vu diminuer leurs naissances.

Répétons-le encore, le vrai remède, le seul efficace est le retour à la vie chrétienne. Nous en avons sous les yeux une preuve matérielle, puisque les départements catholiques de la Bretagne, de la Flandre et quelques autres de l'est et du midi sont les seuls qui conservent une réelle fécondi­té. Cela met à néant les insanités de Zola dans son nouveau roman.

Le catholique se marie jeune pour ne pas mener une jeunesse déver­gondée; il observe les lois du mariage, il ne craint pas la charge des en­fants, il ne cède pas au courant de la vie luxueuse et sensuelle qui ruine les familles.

Les esprits d'élite le comprennent. Pour cela, comme pour le reste, pour sauvegarder les moeurs, le caractère, la paix sociale, il faut revenir à la vie chrétienne. C'est ce que commencent à proclamer plus ou moins franchement nos plus belles intelligences, Coppée, Brunetière, Huy­smans; Bourget, Lemaître et Fouillée lui-même s'y acheminent.

La gangrène maçonnique. - Ces mots sont le titre d'un volume que vient de publier M. Louis Dasté, à la librairie Pierret. C'est encore un fait nouveau et plein d'espérance que cette constatation du mal maçonnique par nos intelligences d'élite. Nous avons déjà parlé du péti­tionnement provoqué par Jules Lemaître. Citons aujourd'hui quelques lignes écrites par Coppée à l'auteur de ce livre:

«On ne saurait assez dire et dire assez haut tout ce qui se complote, au fond des loges, contre la liberté de conscience, contre le droit sacré du père de famille sur l'âme de ses enfants, contre la tradition française et le devoir national.

A beaucoup d'esprits inattentifs, qui ne connaissent de la franc­maçonnerie que les grades et les titres grotesques dont elle se sert pour les vaniteux et les sots, les Fr. - . n'apparaissent que ridicules et peu dan­gereux.

C'est une grave erreur. Derrière ces mascarades, qui font songer à la cérémonie turque du Bourgeois gentilhomme, les fortes têtes de la conspira­tion poursuivent l'abominable projet de plonger la France dans un maté­rialisme abject, et ce projet, hélas! ils l'ont déjà en partie réalisé.

Aujourd'hui ils sont les maîtres des élections et de l'enseignement pu­blic. Qu'on les laisse faire, et le niveau moral du peuple sera tellement abaissé qu'il n'obéira plus qu'à ses appétits et à ses instincts les plus vils, qu'il reniera toute foi religieuse, tout amour de la patrie, et qu'il sera mûr pour la division, la conquête et la servitude.

Heureusement, la seule force de la franc-maçonnerie, c'est le mystère dont elle s'enveloppe, et qui, grâce aux livres comme le vôtre, - com­mence à se dissiper. De la lumière! Encore plus de lumière! Eclairons les ténèbres où se cachent ces oiseaux de nuit, chassons de leurs sombres nids cette bande de malfaisants hiboux! C'est aujourd'hui le devoir de tous les bons Français».

III. AUTRES PAYS

Belgique: L'Université de Louvain. - Deux volumes viennent de paraître, l'un sur l'Université de Louvain, l'autre sur sa Bibliographie. Ces études rendent hommage à la fécondité et à la vaillance des libres initiatives catholiques, qui ont fait revivre en ce siècle l'ancienne Uni­versité catholique de Louvain. Ces deux publications retracent la vie universitaire d'une manière aussi attachante qu'instructive. Elles sont à répandre en France, dans ce moment où la liberté de l'enseignement est menacée.

Une revue française, la Réforme Sociale, écrit à ce propos: «L'Université de Louvain conserve, en raison de son origine, sa phy­sionomie propre, et elle demeure en quelque sorte, par sa durée, son éclat et ses travaux, une démonstration expérimentale et palpable de l'union de la science et de la foi. Elle est en même temps une tradition vi­vante qui se continue de génération en génération, et une manifestation matérielle et probante de tout ce que la liberté peut faire pour le dévelop­pement de l'enseignement supérieur sous mille formes nouvelles. Il suffit de ne point l'entraver pour qu'elle soit à l'œuvre partout avec une spon­tanéité d'action, une variété de moyens, une puissance de ressources, une continuité d'efforts, qui contrastent avec la stérilité routinière et coûteuse du régime bureaucratique».

La Réforme Sociale fait ressortir comment les dispositions adoptées par la législation belge pour la collation des grades, témoignent toutes d'une marche constante vers une application plus large et plus confiante de la liberté d'enseignement. «La Belgique, dit-elle, peut en être fière et la France aura à s'inspirer de cet exemple, si elle peut se délivrer un jour des politiciens sectaires qui, chez nous, détruisent à l'envi les libertés fé­condes au profit de la licence anarchique».

Après avoir salué les illustrations scientifiques, qui depuis la fondation de l'Université de Louvain en 1834, ont jeté tant d'éclat sur l'Alma Ma­ter, l'auteur passe en revue les innombrables travaux sortis de ce foyer d'études, ses magnifiques instituts et ses laboratoires si bien aménagés d'après les derniers perfectionnements, et elle termine, par ces lignes, l'histoire rapide de l'Université depuis le XVe siècle:

«Divers enseignements se dégagent des faits qui sont ici consignés. D'abord, les franchises, les privilèges, les ressources dont jouissait le haut enseignement au moyen âge et jusqu'au dernier siècle de l'ancien régime, témoignent de l'importance et de l'indépendance que tous lui reconnaissaient. Ensuite, au XVIIIe siècle, l'influence de la philosophie sceptique et les abus de la monarchie en décadence ont préparé les excès de la révolution qui, en matière d'enseignement comme en matière d'as­sistance, a pu tout d'un coup détruire et confisquer l'œuvre patiente des générations d'antan, mais sans pouvoir nulle part rien réédifier à la pla­ce des ruines. Enfin, après quarante années, la liberté vraie et sincere, pratiquée par des citoyens aptes à s'en servir, a restauré rapidement ce qui semblait mort. Grâce aux libres institutions de la Belgique, à la puis­sance du sentiment religieux et à la valeur des hommes, l'Université de Louvain a commencé une existence nouvelle, admirablement adaptée aux nécessités des temps modernes, pleine de vitalité et riche d'espéran­ces».

L'auteur de cette étude, M. Delaire, le dévoué secrétaire de la Société d'économie sociale, jette un coup d'oeil attristé sur la situation de la France au point de vue de la liberté d'enseignement, et, la comparant à celle de la Belgique, il en tire cette conclusion:

«Pour notre France, où l'on apprend ouvertement aux enfants le mé­pris du passé odieusement travesti; où l'on exalte l'œuvre de la révolu­tion malgré ses erreurs, plus funestes encore que ses crimes; où la liberté d'enseignement à demi-conquise, aussitôt diminuée, demeure menacée par des mesures rétrogrades aussi exceptionnelles dans le monde que les lois successorales qui ruinent chez nous la famille, il y a là, ce nous sem­ble, (dans cette histoire de l'Université de Louvain), une triple expérien­ce, une triple leçon de choses que nous laissons au lecteur le soin de mé­diter».

Ajoutons que nos universités catholiques françaises seront encoura­gées par cette lecture à tenir ferme contre tous les obstacles et à garder ce germe de renaissance qu'elles ont semé avec tant de labeur.

Angleterre et Transvaal. - Nous n'avons pas de parti pris contre l'Angleterre. Le Pape lui témoigne toujours de l'affection, nous parta­geons ces sentiments du Pape. Nous pensons que l'Angleterre redevien­dra catholique et qu'elle apportera à l'Eglise un concours puissant. Nous pensons cependant que ses défaites en Afrique sont une bonne chose pour elle et pour les autres; pour elle, cela contribuera à diminuer l'esprit de morgue et d'orgueil auquel elle se laisse trop facilement aller; pour les autres, cela montrera que la Providence ne laisse pas toujours opprimer les faibles et qu'elle intervient parfois d'une façon imprévue pour défendre les causes justes.

CHRONIQUE (Mars 1900)

I. ROME

Hommage au Rédempteur et à la royauté du Christ. - L'Italie ca­tholique, sous l'inspiration du Saint-Siège, veut qu'il reste un signe sen­sible de l'hommage qui a été rendu à la fin de ce siècle par tous les chré­tiens à la royauté sociale du Rédempteur. Toutes les grandes provinces d'Italie érigeront sur les sommets qui les dominent un monument com­mémoratif, statue du royal Rédempteur ou croix colossale. L'emplace­ment est déjà choisi et les souscriptions sont commencées.

Vingt monuments importants rappelleront les dix-neuf siècles écoulés et le siècle commençant. Je ne citerai pas ces vingt sites différents, mais quelques-uns seulement. Ils sont choisis de manière à dominer de vastes horizons, pour qu'ils soient visibles aux yeux de nombreuses popula­tions. En Sicile, c'est un sommet qui domine Caltanisetta, au cœur mê­me de l'île. En Sardaigne, c'est sur le mont Ortobene, qui domine les deux villes importantes de Nuoro et Galtelli. Au Nord, c'est sur le Mombarone aux confins de la Suisse et sur les hauteurs de Saluces, près de la frontière française. Au centre, c'est sur le pic le plus élevé des Apennins, le Gran Sasso d'Italia, à 3000 mètres d'élévation. En Cala­bre, c'est sur l'Aspromonte. La province de Rome en aura deux: un sur l'une des hauteurs qui dominent Tivoli, l'autre au Monte Capreo, dont Léon XIII faisait l'ascension dans son enfance.

Les autres nations catholiques voudront fixer aussi par quelques mo­numents le souvenir de l'hommage au Rédempteur.

L'Année Sainte se continue paisiblement. Dans cette saison rigoureu­se, les pèlerins du dehors sont peu nombreux, ce sont surtout les Ro­mains qui vont d'une basilique à l'autre pour accomplir leurs vingt visi­tes. Prêtres, religieux, enfants des collèges et des orphelinats procession­nent modestement. Cette prière constante apaisera la justice divine.

II. FRANCE

Etat morbide. - Le vent est à la persécution. Les loges maçonni­ques se démènent dans la coulisse. Elles ont attaqué sans succès le bud­get des cultes et l'ambassade vaticane. Elles ont réussi à faire gracier Dreyfus et à faire condamner les Pères de l'Assomption. Elles s'atta­quent à la liberté d'association et à la liberté d'enseignement. Elles rè­gnent par leurs délégués à la Chambre, au Sénat et au Ministère. C'est là une sorte de tyrannie hypocrite. Mais toute tyrannie crée le trouble, le malaise et une sorte de fièvre sociale. Nous en sommes-là. Le mal se ma­nifeste par ses crises dans la Chambre, dans la rue, dans la presse.

A cette fièvre religieuse, s'ajoute la fièvre sociale: les grèves se multi­plient et deviennent inquiétantes.

Qu'adviendra-t-il? Si les loges triomphent au Parlement et le sociali­sme à l'usine, nous reverrons une crise analogue à celle de 1789. Il y au­ra des soubresauts, des pillages, des exécutions, une convention et fina­lement un 18 brumaire et un dictateur.

Si la république veut rester vraiment libérale et respectueuse de tous les droits, elle peut vivre, mais elle n'a pas trop de tout ce qui reste d'ac­tion religieuse pour apaiser le monde du travail et le réorganiser selon les règles de la justice et de la charité. Les plus belles intelligences de la France voient la grandeur du péril et l'urgence du remède. Brunetière, Bourget, Huysmans, Coppée, reviennent à l'Eglise. D'autres, comme Lemaître, Barrès, Faguet et Fouillée lui-même sont ébranlés.

Nous ne pouvons qu'agir humblement dans notre sphère et prier. Dieu protège la France!

III. AUTRES PAYS

Allemagne: les catholiques à Berlin. - Berlin et ses communes su­burbaines comptent environ 250.000 catholiques, dont un grand nom­bre de Polonais. Grâce à la charité catholique, on a pu construire pen­dant ces dernières années un grand nombre d'églises et d'écoles. En dix ans, onze églises catholiques et quatorze chapelles ont été érigées à Berlin ou dans sa banlieue, grâce aux aumônes des catholiques. L'empereur a donné cent mille marks (125.000 fr.). Pendant l'année courante, trois nouvelles églises seront encore ouvertes au culte.

Et en France, que faisons-nous? Paris devrait avoir 500 paroisses, pour s'en tenir au droit canonique, et pour que les pasteurs puissent connaître leurs ouailles. Il y en a seulement cinquante. Paris a des pa­roisses de 100.000 âmes, alors qu'un curé ne peut pas faire d'ouvrage utile au-delà de 6.000 âmes. Nous fermons les yeux là-dessus et nous dormons en paix. Paris devient une ville païenne. Un cinquième des en­fants échappent au baptême, Paris a donc 500.000 païens: c'est une des principales villes païennes du monde.

Nous savons bien qu'on ne peut pas remédier à cela en un jour, mais sommes-nous excusables de ne rien faire? Berlin bâtit une ou deux égli­ses catholiques par an, et nous n'en ouvrons aucune à Paris! Nous ne de­mandons pas des basiliques coûteuses, mais nous demandons aux catho­liques de France d'ouvrir de modestes églises ou chapelles de secours à tous les coins de Paris.

Italie: relèvement de la culture. - Que vient faire, dira-t-on, la question agricole dans une revue dédiée au Sacré-Cœur? Le voici. La crise sociale n'est-elle pas venue des agglomérations usinières et de l'ac­croissement des gens sans foyer stable dans les villes? La vie agricole, avec la petite propriété, n'est-elle pas la sauvegarde des moeurs, de la fa­mille, des traditions religieuses?

S'intéresser à la culture, à la propriété, à la vie rurale, ce n'est pas fai­re du matérialisme, c'est travailler efficacement au relèvement chrétien de la nation, et par conséquent au règne du Christ.

Il y a en Italie une activité vraiment enviable pour le progrès agricole. Tout le monde y met la main: l'Etat, le clergé, l'initiative privée. Au clergé revient certainement l'honneur de l'initiative. Le P. Bonsignori a couvert l'Italie de ses brochures sur la culture intensive. Il a lui-même donné l'exemple à son orphelinat de Remedello, province de Brescia. Il a tiré parti de mauvais terrains et, grâce à des engrais chimiques em­ployés avec méthode, il en a fait des terrains fertiles comme ceux de la terre promise. C'est une véritable révolution dans ce pays-là. Le village de Remedello se dépeuplait. En 1895, il avait perdu par l'émigration 400 de ses 1600 habitants. Les autres croupissaient dans la misère et l'inertie. Des pasteurs protestants avaient déjà gagné quatre familles en les secourant. Le P. Bonsignori établit sa colonie agricole le 11 novem­bre 1895. Les prophètes de malheur habituels en rirent et présagèrent la ruine prochaine de l'entreprise. Mais dès la première année, la colonie eut de beau froment. Son exemple fut imité. Le travail reprit et occupa tous les bras. La troisième année, les émigrants revinrent avec 400 nou­veaux habitants. Une usine à fabriquer le fromage a donné cette année 36.000 francs de produit. C'est une résurrection de l'agriculture dans ce pays.

L'Etat fait aussi ce qu'il peut. Le ministre Baccelli y met tout son zèle. Il a invité toutes les communes à établir un champ d'expériences sous la direction de l'instituteur, 4349 petits champs ont été donnés par des par­ticuliers. On estime leur valeur à 2.800.000 francs.

Pour rendre ces essais profitables, il fallait que les instituteurs fussent instruits des choses agricoles. Le ministre leur fit donner des conféren­ces, dans les villes les plus accessibles. Il y eut 248 centres de conféren­ces, 25.800 instituteurs y prirent part. Beaucoup de particuliers ont fait don des semences et des engrais pour les champs d'expérience. Les com­munes en ont été quittes à peu de frais.

Le ministre a créé aussi une section d'agriculture à l'université de Rome. Enfin il a créé pour les écoles la fête annuelle des arbres, qui paraît donner de bons résultats, quoique les malins en aient ri. C'est une fête facultative, mais beaucoup de communes l'ont adoptée. A l'automne, une conférence sur l'avantage des arbres est donnée aux enfants. On les fait assister à des planta­tions d'arbres faites par les communes ou les particuliers. Cela leur vaut un congé, qu'on peut agrémenter de musique, de feu d'artifice, de girandoles, suivant le zèle des communes; 1461 communes ont fait cette année la fête des arbres et à cette occasion 1.376.000 arbres ont été plantés: arbres fuitiers ou autres. Quelle richesse cela prépare pour l'avenir!

Cela rappelle, dit-on, les fêtes païennes! Je réponds à cela qu'on en peut faire une fête chrétienne. Les écoles libres peuvent avoir une messe où on leur rappelle que l'homme plante, mais que le Créateur fait croître et produire.

Je voudrais que ces notes tombassent sous les yeux de M. Lemire, il verrait s'il n'y a pas quelque chose à proposer au Parlement.

Nous désirons relever nos campagnes et y ramener les paysans, mais les paysans sont pratiques, ce ne sont pas les paroles qui les gagneront, ce sont les faits.

Les évêques en Italie secondent ce mouvement. Plusieurs entretien­nent des professeurs d'agriculture qui donnent des cours dans les sémi­naires et des conférences au clergé de chaque canton. Nos paysans ne nous sauraient-ils pas gré d'efforts semblables?

Je prie nos chers lecteurs de propager ces idées.

CHRONIQUE (Avril 1900)

I. ROME

Français à Rome et Romains en France. - On discute beaucoup ces temps-ci des peuples et des races. On compare les peuples latins aux peuples anglo-saxons. Il faut une grande largeur d'esprit, une connais­sance assez vaste de l'histoire et une profonde charité chrétienne pour ne pas se laisser aveugler, dans cette étude et ces comparaisons, par cette étroite passion politique qu'on appelle le chauvinisme.

Le patriotisme est bon, il devient même une vertu surnaturelle, quand il prend la forme du dévouement à la mission providentielle d'un peuple. Le saint Empire, la fille aînée de l'Eglise, l'île des Saints, la catholique Espagne, le royaume chrétien de Hongrie, ont eu leur mission providen­tielle, reconnue par l'Eglise et qualifiée par ces expressions traditionnel­les. Un catholique au cœur large reconnaît et honore toutes ces fonc­tions exercées dans la vie sociale de l'Eglise par des nations privilégiées.

Dans l'ordre naturel, bien des peuples ont primé successivement par les arts, par les sciences, par la puissance. Les Assyriens, les Mèdes, les Perses, les Grecs ont tour à tour dominé le monde. A côté d'eux, les Egyptiens avaient une science profonde et un art délicat, Carthage était la reine des mers.

Rome a préparé les voies au Christ et a semé l'Evangile. Après le Christ, les Francs et les Germains ont retrouvé la puissance de Rome. Les Vénitiens, les Gênois, les Espagnols, les anglo-saxons ont régné comme Carthage sur la mer. Les Arabes ont reproduit la civilisation égyptienne; Florence a renouvelé l'art idéal des Athéniens. Saluons les dons de Dieu partout où nous les rencontrons.

Dans ces derniers temps, deux faits, petits en apparence mais grands par leur côté moral et par leurs conséquences, ont mis en relief de belles qualités des races française et romaine: c'est la conférence d'un Français à Rome, M. Brunetière, et celle d'un Romain en France, le nonce Lo­renzelli.

Ces deux conférences sont de grands actes. Certains écrivains moder­nes diraient que ce sont de beaux gestes, ce qui est vrai, dans le vieux sens du mot: Gesta.

La conférence de M. Brunetière est un acte de courage; celle de Mgr Lorenzelli est un acte d'apostolat.

M. Brunetière, foulant aux pieds le respect humain, est allé dire à Ro­me et pour ainsi dire devant l'Europe entière, comment l'éloquence et la logique de Bossuet l'ont gagné aux idées chrétiennes. M. Brunetière parlant éloquemment de la grande éloquence de Bossuet, c'était un grand et bel acte, un beau geste français.

Mgr Lorenzelli a toutes les qualités du docteur romain. Il a une doc­trine profonde, de la courtoisie, la méthode logique d'Aristote et de saint Thomas et l'ampleur de vue de la diplomatie pontificale.

Pour faire valoir la France à Rome actuellement, on ne pouvait guère mieux y présenter que M. Brunetière parlant de Bossuet. Pour faire va­loir Rome en France, on ne pouvait guère mieux mettre en avant que Mgr Lorenzelli traitant d'apologétique et de philosophie de l'histoire.

Mgr Lorenzelli faisait acte d'apostolat. Il visait haut. Il s'adressait à l'élite intellectuelle de la France et aux représentants du pouvoir. Il avait en vue d'aider nos lettrés à revenir tout à fait à Dieu et nos politiciens à reconnaître la mission providentielle de la France catholique.

Nos lettrés sont travaillés par la raison et par la grâce, mais ils vivent dans une atmosphère saturée de naturalisme. Il leur est difficile de faire le dernier pas pour entrer par la foi et l'humilité dans la vie chrétienne et surnaturelle. Avec Brunetière, Bourget, Lemaître, Faguet et bien d'au­tres en sont là. Coppée et Huysmans ont été plus vite, secondés par un réveil de leur éducation chrétienne.

A ces lettrés qui sont aux portes de la foi, Mgr Lorenzelli apporte un encouragement. Il reconnaît la puissance de la raison et il marque ses li­mites.

Le domaine de nos connaissances naturelles est très vaste. Il embrasse les sciences physiques, logiques, métaphysiques, éthiques, politiques, économiques. La raison s'élève jusqu'à dire qu'elle connaît, quoique bien imparfaitement, par ses œuvres; mais s'il s'agit de connaître Dieu plus intimement, il faut un secours surnaturel, auquel la raison ne peut que se préparer par sa droiture et son humilité.

«Les philosophes sincèrement animés du désir de la vérité, après avoir salué en Dieu l'intelligence suprême avec Anaxagore, la règle et la sanc­tion de l'ordre moral avec Socrate, le tout-puissant ordonnateur du monde avec Platon, l'acte pur avec Aristote, ont reconnu que l'intelligi­bilité de Dieu dépasse les bornes de l'intelligence humaine et qu'on ne saurait être mieux instruit des choses divines que par le ministère d'une intelligence supérieure, comme le dit Platon dans le Timée. C'est pour­quoi la recherche et l'acceptation de l'ordre surnaturel ne dépendent pas de la nature intrinsèque de l'intelligence ni des exigences de la science; mais, à ce sujet, il y a un rôle que l'intelligence laisse à la bonne volonté. L'on comprend ainsi pourquoi la paix de Jésus-Christ a été annoncée formellement pour les hommes de bonne volonté et pourquoi la connais­sance des mystères divins a été accordée aux enfants et refusée aux intel­ligences orgueilleuses» (MAT. CH. XI).

II. FRANCE

La mission de la France. - Pour notre chronique de Rome, nous avons montré Mgr Lorenzelli décrivant l'acte de foi et M. Brunetière l'accomplissant.

Pour notre chronique de France, citons Mgr Lorenzelli rappelant à la France sa mission providentielle.

«Parmi les peuples latins et catholiques, la France a une vocation sur­naturelle spéciale, vocation que la philosophie inductive de l'histoire reconnaît et proclame, au fur et à mesure qu'elle remonte du dix­neuvième au premier siècle du christianisme. C'est la vocation de cham­pion de Dieu rédempteur, et de soldat du Vicaire du Christ.

La France catholique effectivement sent le besoin de se serrer fidèle, obéissante autour du Vicaire de Jésus-Christ. Et ce n'est pas seulement pour son apostolat dans les missions et pour la conversion des autres peuples, mais c'est aussi pour sa propre guérison que la France doit re­courir au Saint-Siège avec une confiante piété. Elle sait que dans les que­stions religieuses et dans celles qui concernent les rapports entre les insti­tutions politiques et la religion, la direction du Pape ne peut pas un seul instant être considérée comme une ingérence étrangère, mais doit être saluée et écoutée comme la direction de la seule autorité pleinement compétente dans la matière, puisqu'elle a été instituée par Jésus-Christ, et puisqu'elle est éclairée par le Saint-Esprit plus et mieux que toute au­tre autorité et personnalité.

Charlemagne, saint Louis, Jeanne-d'Arc, dans la politique et dans la guerre; saint Bernard, saint François de Sales et Bossuet, dans la pensée théologique et dans l'action sacerdotale; saint Vincent de Paul dans les ini­tiatives charitables qui forment la véritable demophilia christiana, suffiraient à rendre témoignage de la mission spéciale pour laquelle Dieu a choisi le peu­ple français, et que dans le cours des temps il l'a mis à même de remplir…».

C'est ainsi que le docte orateur caractérise discrètement la mission de la France: Charlemagne, saint Louis, Jeanne-d'Arc, ces noms rappel­lent la chevalerie, les croisades, de dévouement généreux aux causes les plus saintes. Bossuet, c'est la logique unie à l'éloquence au service de la vérité; saint Bernard, saint François de Sales, c'est la piété tendre et douce avec le zèle apostolique. Saint Vincent de Paul, c'est la charité pour les pauvres et les petits…

Le docte prélat parlait à l'Université catholique de Paris, il en prend occasion pour louer nos universités catholiques qui s'appliquent à con­server les nobles traditions de la France. Puis il nous rappelle combien les célestes apparitions de Paray-le-Monial et de Lourdes sont remplies d'espérance pour notre patrie.

«Dieu veille sur les armes de son peuple. Respiciam vos. Mais Dieu fait mieux encore: Je poserai mon tabernacle au milieu de vous et mon âme ne vous repoussera pas… Il semble que dans le pays favorisé qui a eu la pre­mière révélation du saint Cœur, et où, durant le cours du XIXe siècle, la Vierge, image parfaite de l'âme de son Fils, a multiplié ses apparitions et ses grâces, nous puissions dire en toute vérité que Dieu, non content d'avoir posé son tabernacle, a commencé parmi vous, mes chers Français, une marche miséricordieuse et triomphale destinée à sauvegarder son royaume parmi vous, contre les hostilités d'où qu'elles viennent et à cimen­ter votre privilège de filiation et votre vocation de peuple élu. Ambulabo inter vos et ero Deus vester; vosque eritis populus meus, dicit Dominus omnipotens».

III. AUTRES PAYS

Latins et anglo-saxons. - Mgr Lorenzelli va nous donner encore le thème de cette troisième partie de la chronique.

On s'est plu souvent dans ces dernières années à comparer les races la­tines avec les races anglo-saxones. On a beaucoup exagéré la puissance et les progrès des anglo-saxons. Les Etats-Unis n'ont-ils pas leurs plaies sociales comme les autres peuples? Ne font-ils pas assez triste figure à Manille? L'Angleterre n'a-t-elle pas bu l'humiliation jusqu'à la lie au Transvaal? C'étaient surtout les protestants qui profitaient de ces com­paraisons trop partiales.

Mgr Lorenzelli présente la question sous son jour le plus élevé.

«La distinction du naturel et du surnaturel ne la trouvons-nous pas aussi dans la mission et dans la vie des peuples? Ils sont tous conviés, par une vocation d'ordre naturel, à seconder et à réaliser la volonté de Dieu en tant que créateur et gouverneur de l'ordre naturel. Ils sont encore tous conviés, par une vocation d'ordre surnaturel, à seconder et à réali­ser la volonté de Dieu en tant qu'il est le Rédempteur de l'humanité et qu'il lui veut communiquer la béatitude surnaturelle.

Mais la réalisation de cette vocation surnaturelle requiert l'influence et le triomphe de la grâce. Or, dans l'économie de la grâce, comme dans tout le reste de son œuvre, Dieu fait intervenir la manifestation de sa ju­stice et celle de sa miséricorde. En tant que juste, là où il trouve que le li­bre arbitre a fait un mauvais usage de la lumière naturelle et de certaines lumières surnaturelles, il peut soustraire et souvent il soustrait le don di­vin de la grâce; mais en tant que miséricordieux, souvent aussi il veut bien redresser le libre arbitre et, en médecin compatissant, le guérir de sa malice et le ramener jusqu'à cette droiture qui ouvre la porte à la grâ­ce et jusqu'à cette fidélité qui prépare à la gloire.

De là, malgré l'universalité de la vocation surnaturelle des peuples, résultent les différenciations intellectuelles et morales, naturelles, libres et gratuites, par l'effet mystérieux desquelles certaines races et certains peuples sont des races et des peuples élus. C'est le cas de la race latine avant toutes les autres. La première, elle a reçu l'ordre surnaturel dans toute son intégrité organique, c'est-à-dire le catholicisme, et elle l'a con­servé avec une tenacité invincible et une fidélité inébranlable.

Et quoi qu'en disent certains anglo-saxons protestants, ce n'est point au caractère de son imagination que la race latine doit d'être demeurée catholique; c'est au contraire à la forte vigueur de son intelligence méta­physique et morale à ses hautes vertus de logique, à la conscience qu'elle a du vrai rôle de l'intelligence humaine, qui n'étant point la mesure des choses n'a pu créer le vrai dans l'ordre de la nature ou dans l'ordre de la grâce, mais n'a d'autre alternative que de l'accepter avec droiture tel qu'il est ou de le rejeter tout entier…».

En résumé, si les races latines sont momentanément affaiblies au point de vue militaire et commercial et punies par celui qui veut les gué­rir, elles ont su par la logique de leur esprit et la droiture de leur volonté conserver l'intégrité de la foi que d'autres races, matériellement plus prospères, ont eu le malheur de perdre.

CHRONIQUE (Mai 1900)

I. ROME ET L’ITALIE

Saint Pierre. - Une découverte archéologique à Tarante vient d'apporter une nouvelle preuve du séjour de saint-Pierre en Italie. C'était une tradition que saint-Pierre avait abordé à Tarante, qu'il y avait prêché, qu'il avait converti et baptisé les Tarantins. Il y avait fondé un sanctuaire qui avait subsisté longtemps, mais on en avait perdu la trace dans ces derniers siècles. On vient de découvrir ce sanctuaire en forme de crypte, qu'un ancien écrivain décrivait ainsi:

«Parmi les sanctuaires érigés par Amasianus, premier évêque de Ta­rante, institué par saint-Pierre, était celui de sainte Marie de Murivetere ou des Vieux-Murs: sa structure montre sa vénérable antiquité. Au fond de ce sanctuaire est une grotte avec un autel ou se voit l'image du Sau­veur peinte à fresque. Les Tarantins tiennent pour indubitable que saint Pierre a célébré la messe dans cette grotte. Une arcade donne entrée de cette grotte à une fontaine d'excellente eau. C'était, dit-on, la fontaine du Soleil. Saint-Pierre en y buvant et en faisant le signe de la croix avait renversé la statue de l'idole». Ce lieu s'appelle encore Solito. Saint-Pier­re y baptisa les Tarantins que ses miracles avaient convertis.

La crypte est retrouvée. L'image du Sauveur est encore là. C'est vrai­ment une confirmation des anciennes traditions et une nouvelle preuve du séjour de saint Pierre en Italie et à Rome.

Le congrès de Tarante. - Puisque nous sommes à Tarante, félici­tons les catholiques italiens du beau congrès d'action sociale qu'ils vien­nent d'y tenir.

Les divisions sont moins vives en Italie que chez nous. Tout le monde y accepte la démocratie chrétienne, dans le sens d'action sociale populai­re, comme l'a expliqué le saint Père.

Cela ne signifie pas la lutte des classes, mais la concorde de toutes les classes pour la réorganisation sociale sur les bases de l'Evangile.

Le congrès a traité de la famille, de la vie communale et provinciale, et du relèvement des classes ouvrières par la loi et les associations.

La famille: pour la relever il faut favoriser l'instruction populaire, dé­fendre le mariage chrétien et l'indépendance du foyer domestique.

La vie communale et provinciale: il faut s'appliquer à y introduire une administration honnête et chrétienne par l'action électorale. Rapports du capital et du travail: il faut relever les travailleurs, tant par la loi que par les associations.

La loi doit protéger les droits de l'enfant, de la femme, des travail­leurs, dans l'agriculture, le commerce et l'industrie, en ce qui concerne la sécurité, l'hygiène, le salaire, les accidents, la vieillesse.

Les syndicats et associations professionnelles doivent favoriser la coo­pération dans la production, la consommation, le crédit.

C'est tout le programme de la démocratie chrétienne.

II. FRANCE

La vie corporative. - Les associations et corporations sont de droit naturel. L'homme est essentiellement social. L'esprit chrétien, tout em­preint de charité et d'union a développé la vie corporative. Les âges chrétiens avaient produit une magnifique floraison d'associations de tout genre. L'esprit d'impiété du XVIIIe siècle avait fait pénétrer dans les corporations l'esprit d'égoïsme qui causa leur mort. Elles renaissent, c'est bon signe. Les syndicats industriels et agricoles se comptent déjà par milliers.

Les associations coopératives d'ouvriers sont particulièrement intéres­santes. Elles sont une réaction contre certains abus du capitalisme. Elles sont aussi une sauvegarde contre le socialisme, parce qu'elles relèvent la condition de l'ouvrier.

Les associations ouvrières de production passaient pour très difficiles à fonder et à soutenir. On en compte cependant déjà environ 250 en France, et elles comprennent 134 professions diverses.

Les coopératives de consommation sont plus faciles, plus nombreuses et plus prospères. On en comptait au ler décembre dernier 1489. Paris, à lui seul, en a 120; le Nord, 110; le Rhône, 101; l'Aisne, 31.

Les coopératives de crédit agricole sont en faveur. On compte environ 600 caisses du système Durand. C'est bien peu encore: l'Allemagne en a plus de 3000 et l'Italie plus de 1000.

Hommage des communes au Sacré-Cœur. - Nous avons signalé déjà l'hommage offert par plusieurs municipalités au Sacré-Cœur. Cinq communes bretonnes ont accompli cet hommage dans ces derniers mois. Ce sont les communes de Collorec, Trégaranter, Bouars, Trégarvan et l'île Molène. Maires et conseils municipaux ont prononcé leur acte d'hommage devant le Saint-Sacrement. Un drapeau national avec l'em­blème du Sacré-Cœur a été béni en souvenir de cette touchante cérémo­nie. Que nos communes chrétiennes n'hésitent pas. Leur acte de foi atti­rera les bénédictions divines sur toute la France.

III. AUTRES PAYS

Espagne: lois sociales. - Après les cruelles épreuves par lesquelles elle a passé, l'Espagne essaie de travailler à sa réorganisation intérieure. Elle se met à son tour, après les autres nations européennes, à remédier par des lois au malaise social créé par la grande industrie et par l'indivi­dualisme, dans lequel l'Europe a vécu depuis un siècle. Malheureuse­ment, en ce noble pays, les divisions, même entre catholiques, sont à l'état si aigu, et le gouvernement est soumis à tant d'influences diverses qu'un travail de réformes suivi et énergique est fort malaisé.

Là aussi, comme chez nous, la franc-maçonnerie est très agissante et le parlement piétine sur place sans aboutir à faire de bonnes lois.

Les catholiques se réveillent et se mettent à l'œuvre. Ils ont fondé l'Association générale pour l'étude et pour la défense des intérêts de la clas­se ouvrière. Cette association, chaleureusement soutenue par l'épisco­pat, et dont le marquis de Comillas est l'âme, a rédigé onze projets de lois, fruit d'un immense travail, pour mettre en œuvre les moyens les plus propres à assurer le bien-être de la classe ouvrière.

Le ministère a fait à ce travail de larges et utiles emprunts pour les projets qu'il a lui-même déposés sur le bureau des Cortès.

Le premier projet a trait au repos dominical. L'Etat le premier, avec toutes les administrations qui en dépendent, s'engage à en donner l'exemple.

Le second projet concerne le travail des femmes et des enfants. Il est inter­dit de faire travailler les enfants au-dessous de dix ans.

De dix à quatorze ans, l'on permet six heures de travail dans les usines et huit dans les magasins, avec les interruptions nécessaires pour les re­pas.

De quatorze à seize ans, tout travail de nuit est interdit. Il en est de même des travaux souterrains ou dans les établissements destinés à la manipulation des matières inflammables ou insalubres.

Pour les femmes, interdiction du travail de nuit; le travail de jour ne doit pas excéder dix heures avec deux heures de repos; interdiction du travail pendant quatre semaines après l'accouchement.

Enfin un troisième projet règle la question délicate des accidents du tra­vail. Le projet atteint tous les établissements industriels où l'on fait usa­ge d'une force motrice autre que celle de l'homme ou des animaux. L'employeur pourra s'exempter de l'indemnité à payer en assurant ses ouvriers contre les accidents.

Puisse le ministère Silvela faire aboutir ces projets et compléter son œuvre en présentant ensuite aux Cortés les autres lois préparées par l'Association générale!

Allemagne: aristocratie. - La noblesse féodale a gardé en Allema­gne jusqu'à ces derniers temps une situation privilégiée, sinon légale­ment, au moins dans les coutumes. Elle a conservé généralement ses an­ciennes propriétés territoriales. La fortune lui souriait, son influence était grande dans les provinces. Elle occupait les trois quarts des sièges au Reichstag, les cadets détenaient tous les grades dans l'armée.

Depuis vingt ans, c'est un effondrement. L'industrie grandit, elle a ses parvenus, ses millionnaires, qui conquièrent, avec la fortune, l'in­fluence et l'autorité.

La prospérité de l'industrie allemande est extrordinaire depuis quel­ques années, et il suffit d'avoir parcouru l'Allemagne en touriste pour s'en rendre compte: des villes autrefois mortes ou figées dans les souve­nirs de leurs petites cours d'antan ont repris, grâce aux usines qui s'y sont fondées, une vie nouvelle, et la richesse, le luxe même, ont pénétré dans la bourgeoisie, qui jadis avait peine à gagner de modestes salaires. Cependant, l'agriculture n'a pas été aussi favorisée; les hobereaux dé­tenteurs de terres n'ont pas les capitaux suffisants pour les améliorer comme il faudrait et leur faire rendre tout ce dont elles sont capables; la fortune croissante des bourgeois leur fait paraître leur gêne plus pénible encore, et ils voient avec envie les parvenus de l'industrie prendre peu à peu dans le pays la situation qui était jadis dévolue à la seule noblesse.

Les «agrariens» essayent, cela va sans dire, de faire améliorer leur condition par la voie législative, et l'on se souvient des projets d'échelle mobile qu'ils ont réédités, sans succès d'ailleurs, au Reichstag, par l'or­gane de M. de Kanitz.

Les traités de commerce ne sont pas d'ailleurs leurs seuls sujets de plainte: ils en ont eu un, cette année, plus grave encore peut-être, à sa­voir le projet de canal du Rhin à l'Elbe. Ce canal est très ardemment dé­siré par les industriels du Rhin, par les propriétaires de mines surtout, car il leur permettra de faire pénétrer à bon compte leurs produits dans les bassins de la Saxe et à Berlin, qu'ils ne pouvaient jusqu'ici point at­teindre par la voie fluviale infiniment économique pour eux. Le gouver­nement soutient très vivement les industriels rhénans dans cette affaire.

La noblesse rurale est dans le désarroi. Les hobereaux, à côté des in­dustriels deviennent des petites gens et ils perdent leur prestige.

A chaque nouvelle législature, le nombre des nobles diminue au Reichstag. En 1871, il y avait 160 députés portant des titres de noblesse; en 1881, il n'y en avait plus que 147; en 1890, le chiffre descend à 126; en 1893, à 102, et en 1898, à 88!

88 seulement, au lieu de 160 en moins de trente ans!

C'est le tiers-état, c'est la démocratie qui arrive au pouvoir par une évolution spontanée, sans agitation sociale.

Ce qui se passe au Reichstag se reproduit dans l'armée. Les grades étaient par la coutume réservés à la noblesse. Depuis vingt ans, ils sont partagés par la bourgeoisie.

L'ancienne aristocratie peut garder partout cependant un rang distin­gué et une réelle influence sociale, mais c'est à la condition qu'elle con­servera son prestige en rendant des services. Il n'est plus question du service féodal, de la protection des vassaux et des serfs; avec la diminu­tion de la fortune terrienne, le service de charité diminuera aussi; il reste le service militaire, la noblesse n'y fait pas défaut, et le service politique. Sous ce rapport, en France, la noblesse a trop cédé au découragement. Il fallait faire abstraction du régime politique, et se dévouer aux réformes sociales, par l'étude, par la propagande, par les associations, par la pres­se. La masse du peuple veut ces réformes et les attend de la république, ceux qui ne veulent pas disparaître de la vie politique, doivent chez nous accepter le terrain républicain et travailler assiduement aux réformes so­ciales. A ce compte, ils retrouveront leur popularité.

Jérusalem. - La Palestine avait déjà des œuvres nombreuses. Il y manquait une de ces pieuses communautés réparatrices qui consolent le Sacré-Cœur de Jésus par leurs adorations assidues. Les religieuses de Marie réparatrice ont inauguré à Noël dernier dans leur chapelle de Jé­rusalem l'adoration perpétuelle, diurne et nocturne. Toutes les commu­nautés de la ville ont assisté à cette touchante cérémonie et le saint Père a envoyé sa bénédiction avec des encouragements sympathiques. On priait déjà beaucoup à Jérusalem, mais il est touchant de penser que des âmes contemplatives seront toujours occupées à réparer les ingratitudes des hommes par toutes les délicatesses de leur cœur là où Notre­-Seigneur a tant souffert physiquement et moralement.

Toutes les fautes que nous commettons aujourd'hui, Notre-Seigneur les a expiées d'avance à Gethsémani et au Calvaire; il est bien juste qu'on lui offre là-bas des actes fervents de réparation et d'amende hono­rable.

CHRONIQUE (Juin 1900)

I. ROME

La Capitale du monde. - Les journaux libéraux avaient prophétisé au commencement de l'année le fiasco de l'année sainte. Ils en revien­nent, ils se plaignent aujourd'hui qu'on ne peut plus circuler dans Ro­me, tant les rues sont envahies, et ils se consolent en disant que Rome a repris son cachet de Capitale du monde.

C'est vrai, Rome a cette année l'aspect de la capitale du monde. On y voit affluer Slaves et Germains, Francs et Anglo-Saxons; l'Amérique y coudoie l'Europe; les fils de Carthage viennent rendre hommage à l'an­tique rivale.

Mais à quelle condition Rome peut-elle être la capitale du monde? C'est qu'elle soit vraiment et pleinement la ville du Pape. Sans doute, on vient de toute part, mais combien aurait été plus magnifique encore et plus saisissant le concours des pèlerins si Rome était libre! On vient et on est heureux d'apercevoir le Pape qui descend à la dérobée à Saint­-Pierre. Mais où sont les fêtes d'autrefois, les offices pontificaux à Saint­-Pierre et à la Sixtine, les promenades familières du Pape et ses sorties en gala pour visiter certaines églises à certaines fêtes. Les rues étaient pa­voisées, les carrosses de gala du Pape et des cardinaux étaient éblouis­sants d'or, l'enthousiasme de la foule était délirant: ah! si nous avions cette année les offices pontificaux à Saint-Pierre, les visites de gala du Pape à l'église de la Minerve, à Sainte-Agnès hors des murs, les girando­les et illuminations de Pâques et de la Saint-Pierre, les bénédictions Urbi et Orbi! Si les processions du jubilé pouvaient se déployer à travers la ville avec tout l'appareil des anciens jours!

Ce ne seraient pas 20.000 pèlerins qui seraient accourus à la fois, ce seraient 30.000; 40.000; 50.000.

Nous avons besoin, nous pèlerins, de nous sentir chez nous dans la vil­le du Pape et nous souffrons de nous trouver dans la capitale du Piémont agrandi.

Nous sommes agacés de voir sur toutes les places ces statues nouvelles qui sont venues faire acte d'insolence contre le Pape: l'apostat Bruno, Garibaldi qui menace de son épée le Vatican, et tous ces parvenus en re­dingotes, anciens vétérinaires, avocats sans causes et médecins sans clients, devenus les ministres du nouveau royaume, et dont plusieurs ont, avouez-le, la figure plutôt bestiale qu'intelligente.

Tout le monde le sent, il y a ici un état de malaise, un état anormal. La Providence interviendra et renouvellera les choses quand nous au­rons assez prié.

Le pauvre roi, pour échapper au cauchemar des pèlerinages, est allé prendre un peu l'air de Naples.

Ce jubilé a bien le cachet du Sacré-Cœur. Des prières au Sacré-Cœur sont indiquées dans tous les manuels du jubilé. L'hommage au Rédemp­teur est la caractéristique de cette fin de siècle.

Le pèlerinage hongrois a bien donné au jubilé son cachet propre en se réunissant dans l'église du Sacré-Cœur pour y faire sous la présidence de ses évêques la consécration solennelle de la nation hongroise au Sacré-Cœur de Jésus.

L'image du Sauveur. - Rome possède un petit sanctuaire mysté­rieux, qu'on appelle le «Saint des saints», Sancta Sanctorum. C'est l'ancien oratoire des Papes qui habitèrent le Latran depuis saint Sylvestre, con­temporain de Constantin, jusqu'à Léon IV, qui transporta la résidence pontificale au Vatican en 850.

Le sanctuaire a été rebâti dans le pur style gothique en 1277 sous le Pape Nicolas III Orsini.

On y accède par la Scala Sancta. Une inscription dit qu'il n'y a pas de lieu plus saint au monde. Les Papes ont accumulé là tant de reliques! Un des trésors du sanctuaire, c'est l'image du Sauveur, une icône orientale, peinture où la tête seule apparaît, à travers un panneau d'ar­gent ciselé.

La sainte image a été vénérée pendant les premiers siècles à Jérusa­lem, puis ensuite au palais des empereurs chrétiens de Constantinople. La piété des fidèles veut y voir une œuvre de saint Luc ou le portrait que le Sauveur lui-même envoya au roi d'Edesse.

Quoi qu'il en soit, au VIIIe siècle, la sainte image était sur le point d'être livrée aux flammes. Léon l'Isaurien, par son édit de 726 avait condamné le culte des saintes images. Le pieux patriarche de Constanti­nople, saint Germain, la fit enlever du palais impérial et l'envoya secrè­tement au Pape Grégoire II.

On sait que Léon l'Isaurien essaya en vain de briser la résistance des Papes. La flotte qu'il équipa périt dans l'Adriatique en 735. C'est à cette époque que les Pontifes de Rome prirent le pouvoir politique pour sau­ver la foi. Le concile de Rome de 789 condamna l'Isaurien et les icono­clastes. La sainte image fut déposée à la chapelle papale et devint comme le palladium de la cité sainte.

Chaque année pendant des siècles on la portait en pèlerinage à travers la ville. Tous les corps politiques et civils la suivaient, le sénat, la nobles­se, les corporations d'arts et métiers. L'image de Marie, conservée à Sainte-Marie-Majeure, était portée de son côté le même jour et la ren­contre des deux icônes donnait lieu à des démonstrations populaires.

La procession fut supprimée par Pie V en 1566, à cause de quelques abus qui s'y étaient introduits. On l'a faite depuis exceptionellement dans quelques graves circonstances. Nous nous rappelons qu'en 1866 Pie IX fit porter la sainte image en triomphe pour réparer les blasphè­mes de Renan.

Léon XIII a fait exposer la sainte icône pendant quinze jours de ce mois de mai à l'église Saint Jean-de-Latran. Ce fut un des plus beaux moments du jubilé. Chaque jour, messes pontificales, visites incessan­tes, prières sans fin. Romains et pèlerins priaient à l'envi et s'édifiaient réciproquement. Que de grâces le Sauveur a là répandues!

C'est un bel hommage au Rédempteur pour la fin du siècle et pour l'ouverture du siècle nouveau. Les temps sont bien menaçants, mais le Rédempteur nous sauvera.

II. FRANCE

La fête du travail. - La fête du travail, c'est l'Exposition. Quelques esprits moroses ne voient dans les Expositions que des actes d'une folie babylonienne. Il y faut voir une fête du travail. Si certaines Expositions ont des côtés défectueux, si elles sont l'occasion de récréations ou de ma­nifestations sensuelles, corrigeons ce qui est mauvais et ne condamnons pas ce qui est bon.

Le progrès est la loi de l'humanité. Au commun des hommes Dieu of­fre à la fois le progrès temporel et le progrès spirituel. A une élite fort exceptionnelle Dieu propose le dédain du progrès matériel pour qu'ils puissent surabonder dans le progrès spirituel. C'est la vocation des ana­chorètes du désert. Ne prêchons pas ces voies extraordinaires à ceux qui n'y sont pas appelés.

Le commun des hommes et des chrétiens doit s'exercer au progrès, se réjouir des dons de Dieu, se stimuler par le spectacle du progrès d'au­trui. C'est pour cela que sont faites les Expositions, les fêtes du travail. L'Eglise les bénit volontiers, elle en fait elle-même. Pie IX fit une Expo­sition à Rome en 1867 au centenaire des apôtres Pierre et Paul.

Paris a donc sa belle fête du travail. Le cardinal Richard en a fait à Notre-Dame l'ouverture religieuse et le Révérend Père Coubé en a parlé en un langage élevé, mêlé de poésie et de foi.

Une Exposition est une synthèse du monde contemporain. Un chré­tien doit user de discrétion à l'Exposition comme dans le monde. Il doit dédaigner les récréations trop libres, mais il aimera à se réjouir du pro­grès général, il étudiera en particulier les manifestations de l'art chré­tien. Notre-Seigneur admirait la belle architecture du Temple, élevé par la main des hommes, comme il admirait la grâce des fleurs et des oiseaux créés par son Père.

Et puis cette année l'Exposition a des pavillons consacrés aux œuvres catholiques, aux missions, aux œuvres sociales. Allons là en apôtres et non en simples curieux.

Observons, étudions et revenons de l'Exposition pleins d'admiration pour l'œuvre du Créateur et l'activité de ses enfants, et pleins de zèle pour les œuvres qui doivent relever la Société chrétienne.

III. AUTRES PAYS

Italie. - Nous l'avons dit déjà, l'Italie veut élever sur ses belles monta­gnes et dans toutes ses provinces vingt monuments en souvenir de l'hom­mage au Rédempteur. Suivant l'abondance des souscriptions, on élèvera de grandes croix ou des statues colossales. Il y aura vingt monuments, en souvenir des dix-neuf siècles écoulés et de celui qui commence.

Le Pape vient de déterminer l'inscription commune à ces vingt monu­ments. On y lira ces mots:

Jesu Christo Deo

Restitutae per ipsum salutis

Anno MCM.

Leo PP. XIII

C'est-à-dire:

A Jésus-Christ Dieu:

De la Rédemption qu'il nous a apportée

L'année 1900.

Léon XIII Pape

A côté du nom de Léon XIII, chaque province mettra son nom en la­tin sur le monument qui lui est propre. La région de Rome élève son monument sur le Mont Guadagnolo, non loin de Carpineto, la ville na­tale de Léon XIII. On écrira sur le socle les mots Latini et Sabini, Latins et Sabins.

Il est temps que les autres nations préparent leurs monuments com­mémoratifs.

Espagne: le Règne du Sacré-Cœur. - L'idée du règne social du Sacré-Cœur est devenue tout à fait populaire en Espagne. Un comité de Barcelone a répandu une belle image qui représente le Sacré-Cœur pla­nant au-dessus du bel écusson de l'Espagne avec cette épigraphe «Reina­re» Régnez.

L'écusson est composé des armes de Castille, de Léon, d'Aragon et de Grenade, avec les fleurs de lys des Bourbons en charge.

C'est qu'en Espagne le règne social du Christ est toujours vivant. La cour tient chapelle publique aux grandes fêtes: toutes les ambassades y assistent avec les représentants du pouvoir public. Nous avons vu aux belles processions de la Semaine Sainte les autorités civiles et militaires accompagner le clergé. C'est une nation qui prie, comme l'indiquent le bon sens et la loi naturelle. Ce n'est pas une nation athée comme vou­drait être notre France maçonnique.

A ce propos, citons un trait récent de la ville de la sainte Vierge, Sara­gosse, cela fera voir ce qu'est encore aujourd'hui la vie publique en Espagne.

Le maire (alcade) de Saragosse vient de publier l'ordonnance suivante: Habitants de Saragosse: Le blasphème est un des vices sociaux qui of­fensent le plus Dieu, avilissent le plus l'homme et font le plus de tort à la civilisation des peuples.

C'est évidemment pour cette raison que les lois de presque tous les peuples l'ont réprimé avec plus ou moins de rigueur. Les lois pénales qui nous régissent actuellement les punissent sévèrement dans l'article 240, paragraphe 3, comminant la prison correctionnelle et des amendes de 250 à 2,500 pesetas, et dans l'article 586 comminant l'arrestation et une amende de 5 à 50 pesetas.

J'ai assez de confiance dans votre bon sens pour espérer que vous écoute­rez mes conseils et que vous vous abstiendrez d'un délit si révoltant, que je suis décidé à poursuivre avec la plus grande rigueur possible.

Cependant, si des gens mal conseillés ne voulaient pas tenir compte de ce que je leur dis, voici ce que je leur fais savoir:

1° Ceux qui blasphémeraient sur la voie publique en prononçant des formules et en exprimant des idées contre la Divinité, ou contre la Religion et ses ministres, seront passibles d'une amende de une à quinze pesetas.

2° Encourront la même pénalité ceux qui prononceraient des paroles offensant les bonnes moeurs.

3° En outre, le délit sera déféré aux tribunaux quand les infractions seront du genre de celles qui sont visées par le code pénal.

Dans l'intérêt du bon renom de notre ville, qui doit être un modèle pour l'esprit religieux, et qui a l'honneur de se trouver sous la protection de la sainte Vierge del Pilar, je prie instamment tous les habitants de me prêter leur concours le plus énergique pour que je réussisse à déraciner un vice aussi odieux, en donnant connaissance aux autorités des man­quements qui seraient commis.

La garde municipale, le corps des veilleurs de nuit et tous ceux qui dé­pendent de mon autorité, sont chargés, sous leur responsabilité la plus étroite, de tenir la main à l'exécution la plus parfaite de ces dispositions, en dénonçant toutes les infractions qui seraient commises en la matière. Saragosse, le 4 octobre 1899.

Luxembourg. - La dévotion au Sacré-Cœur. - Jusqu'à ces der­niers temps, la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus était peu vivante au Luxembourg. Il est vrai que dans chaque église, depuis longtemps déjà, on pouvait trouver une statue du Sacré-Cœur et que de temps en temps on y entendait réciter ou chanter une invocation à ce divin Cœur, mais c'était tout. Il était rare d'entendre prêcher sur cette dévotion et le peu­ple qui pourtant est encore bien croyant, ne savait guère en quoi elle consistait. La fête du Sacré-Cœur passait tout à fait inaperçue. Le mois du Sacré-Cœur et les autres pratiques se rattachant à la dévotion au Sacré-Cœur étaient inconnus. Grâce à Dieu, tout cela va changer à pré­sent, et il est probable, que sous peu, ce sera le Luxembourg où le Cœur de Jésus sera le plus honoré.

Après le mouvement parti de Rome par l'Encyclique de Léon XIII demandant la consécration de tout le genre humain au Sacré-Cœur, et par la lettre du Cardinal préfet de la S. Congrégation des Rites sur les développements à donner à cette dévotion, Mgr de Luxembourg a pensé que le moment était venu, non seulement pour mieux faire connaître dans le pays cette belle dévotion, mais aussi pour lui donner toute la grandeur et toute l'extension possible.

Dans un magnifique mandement, Mgr a voulu, lui-même, faire connaître à ses diocésains la véritable notion de la dévotion au Sacré­Cœur. Dans la première partie de son instruction pastorale, il montre comment l'amour immense que le Cœur de Jésus nous a témoigné et nous témoigne encore tous les jours, demande de notre part un retour d'amour. - Dans la seconde partie, Sa Grandeur montre combien est grande l'ingratitude des hommes envers ce Cœur aimant et comment les fidèles serviteurs de Jésus doivent chercher à le dédommager de cette ingratitude et à réparer les insultes qu'il a à subir. Mgr termine son in­struction par l'exposition claire et simple des différentes pratiques en l'honneur du Sacré-Cœur, comme la communion du premier vendredi du mois, la communion réparatrice plus fréquente, les amendes honora­bles, consécrations au Sacré-Cœur, etc…

Mgr recommande très chaleureusement toutes ces pratiques à ses pieux diocésains.

La même instruction contient aussi un certain nombre de prescrip­tions sur la manière dont, à l'avenir, le Cœur de Jésus devra être honoré dans toutes les églises et chapelles du Luxembourg:

1° La fête du Sacré-Cœur devra être célébrée aussi solennellement que possible.

Les curés devront engager les fidèles à faire tous, ce jour-là, une com­munion réparatrice. Le soir il y aura un salut solennel avec sermon et amende honorable. On pourra avoir le Saint-Sacrement exposé toute la journée.

2° Pendant tout le mois de juin, il y aura dans toutes les églises des exercices particuliers en l'honneur du Sacré-Cœur. Là où cela sera pos­sible, il y aura tous les soirs un salut solennel avec amende honorable.

3° Chaque premier vendredi du mois, il y aura également une messe plus solennelle devant le Saint-Sacrement exposé et dans l'après-midi, un salut avec amende honorable. Les fidèles sont invités à faire ce jour-là tout particulièrement la communion en esprit de réparation.

4° Enfin tous les fidèles et surtout les hommes et les jeunes gens sont invités à se faire inscrire dans l'association de l'Apostolat de la prière.

CHRONIQUE (Juillet 1900)

I. ROME

La canonisation. - Nous n'avions pas eu de fête plus magnifique depuis trente ans. Le jubilé et la canonisation se sont prêté un heureux concours pour amener à Rome cent mille pèlerins à la fois. C'était pre­sque effrayant de voir cette masse d'êtres humains serrés les uns contre les autres dans l'immense basilique de Saint-Pierre. Ailleurs on eût craint une panique, un incendie, une agitation quelconque. On aurait pu voir des centaines de personnes écrasées et piétinées. Mais à Saint­Pierre, le feu n'a rien à mordre dans cette masse de pierre et de marbre, et puis tout ce public vient accomplir un acte religieux, il est calme, pru­dent et charitable.

L'Eglise nous donnait deux Saints nouveaux, mais Saint Jean­Baptiste de la Salle attirait presque toute l'attention. Sainte Rita passait à son ombre.

Les canonisations ont toujours dans l'Eglise une opportunité particu­lière. Dieu donne à son peuple les modèles et les protecteurs dont il a be­soin.

Saint Jean-Baptiste de la Salle, c'est l'éducateur chrétien et c'est l'ami du peuple. Nous avions besoin d'un protecteur pour l'enseignement chrétien persécuté et d'un modèle pour l'action populaire.

Le cardinal Mathieu dans son discours aux pèlerins a bien marqué cette opportunité: «En plaçant ce bien-heureux sur les autels, a-t-il dit, le Pape a consacré les efforts qui sont faits par la religion pour assurer aux peuples les bienfaits de la civilisation chrétienne et préparer à la démo­cratie le secours indispensable sans lequel elle deviendrait une tyrannie dégradante et cruelle».

Il y a de braves gens, ajoutait le cardinal, qui ne veulent pas entendre parler de démocratie, mais on ne peut pas nier un fait éclatant. On ne nie pas la mer quand on navigue sur ses vagues et qu'on est secoué par ses agitations. Que nous le voulions ou non, nous sommes en démocra­tie; ce qu'il y a à faire, c'est de christianiser cette democratie, pour qu'elle soit sage et féconde. L'Eglise n'a pas nié ni arrêté les invasions des barbares, elle ne le pouvait pas, elle a civilisé les barbares. Aujourd'hui, elle doit christianiser la démocratie. Leur alliance sera leur salut à toutes les deux. Si l'Eglise veut lutter contre la démocratie débor­dante, elle sera opprimée. Si la démocratie veut s'organiser sans l'Egli­se, elle n'aura pas les vertus qui lui sont essentielles pour qu'elle puisse vivre et se conserver.

L'Eglise, par cette canonisation, donne un nouveau protecteur à l'ac­tion sociale chrétienne. Jean-Baptiste de la Salle et ses chers Frères sont les éducateurs des enfants du peuple, mais comme le peuple exerce la royauté par ses représentants, de la Salle et ses Frères sont les éducateurs des dauphins de France: l'expression est du cardinal Mathieu. Les Frè­res doivent s'appliquer à former complètement les enfants du peuple, non seulement par l'école, mais par les œuvres de persévérance, le Pape en exprimait le désir l'autre jour.

L'œuvre des Frères ne suffit pas, les catholiques doivent instruire et former la démocratie par les cercles d'études, par la presse populaire, par les conférences.

Les catholiques aveugles qui s'obstinent dans les vieux errements et dans le dédain des méthodes nouvelles sont les ennemis de l'Eglise et de la patrie.

La charte du travail. - Les catholiques d'Italie ont pris une heureu­se initiative; ils ont fêté en beaucoup de villes par des réunions et des conférences la date du 15 mai, anniversaire de la grande Encyclique sur la condition des travailleurs.

Les peuples aiment à fêter le souvenir de leur émancipation, la con­quête de leurs libertés.

La France fête au 14 juillet l'abolition du droit absolu de l'ancienne monarchie. L'Italie fête au premier dimanche de juin la constitution li­bérale consentie en 1848 par le roi Charles-Albert. Les groupes sociali­stes veulent fêter au ler mai le réveil du prolétariat pour l'organisation économique.

La vraie charte de liberté et la seule efficace c'est l'Encyclique. Elle a re­connu et signalé le désordre économique et déploré les souffrances populai­res. Elle a rappelé les principes fondamentaux de la vie économique.

L'association est de droit naturel; - le travail est un acte humain et non une pure marchandise; - le salaire a ses règles de justice sociale qui priment les conventions privées; il doit fournir à l'ouvrier de quoi sati­sfaire à ses besoins dans sa vie normale, avec le soutien de sa famille et l'épargne pour sa vieillesse; - l'Etat doit suppléer par sa législation aux lacunes que l'insuffisance des corporations laisse subsister dans l'organi­sation du travail.

L'Encyclique ne donne pas seulement une doctrine, un programme; elle organise les moyens d'action. Elle fait appel à l'Etat, aux corpora­tions, au clergé, aux patrons, aux ouvriers eux-mêmes.

Les fruits de l'Encyclique de 1891 sont déjà considérables. Les doctri­nes pontificales ont fait leur chemin; elles se sont imposées par l'éclat de la vérité.

Le réveil social chrétien 'se manifeste dans toutes les ramifications de la vie sociale.

Dans la législation: des projets surgissent dans tous les parlements et des lois sont éditées sur la durée et les conditions du travail - sur le con­trat de travail - sur les libertés corporatives - sur l'organisation des Chambres, conseils et ministères du travail - sur les conseils d'arbitra­ge - sur les assurances contre les accidents et la vieillesse…

Dans la vie corporative : partout naissent et se développent des associa­tions agricoles - des syndicats d'arts et métiers - des caisses rurales - des banques de crédit - des coopératives - des mutualités.

Dans la vie communale : les catholiques d'Autriche, de Belgique, d'Ita­lie, ont formulé des programmes démocratiques: détermination du mini­mum de salaire et de la durée du travail dans les adjudications de tra­vaux publics - assurance des ouvriers - repos des jours de fête - re­traite aux employés de la commune - amélioration des quartiers ou­vriers pour la viabilité, l'éclairage, l'eau potable, les jardins, les bains, etc., - réformes de l'octroi - application des règles de l'hygiène pour les habitations, pour le travail des femmes et des enfants, etc…

Dans l'usine : développement des institutions démocratiques, dont le Val des Bois a donné l'exemple: Conseils d'usine - délégués d'atelier - mutualités - coopératives de consommation - salaire familial…

Dans l'action du clergé. Réformes dans l'apostolat - œuvres d'hommes - cours et conférences de sociologie chrétienne dans les séminaires - congrégations vouées au service des travailleurs - développement des œuvres sociales de crédit et autres - action puissante par la presse…

Dans la doctrine économique : publications innombrables sur les questions de justice sociale - livres, journaux, revues - conférences et cercles d'étude - propagande des idées de justice et réfutation de la routine et du conservatisme…

Voilà une esquisse de ce qu'a produit l'Encyclique de 1891 et ce ne sont que ses premiers résultats. Il faut une génération entière pour don­ner une nouvelle orientation à la vie sociale.

Nous ne sommes qu'aux semailles et aux premiers fruits. Quand vien­dra la pleine moisson, nous verrons la société civile restaurée, enrichie, heureuse et paisible, s'unir à l'Eglise dont elle reconnaîtra les immenses bienfaits.

II. FRANCE

Les élections municipales. - Il y a du bon dans les élections de Pa­ris et de sa banlieue, c'est une réaction contre le jacobinisme des loges. Mais combien la France retarde encore sur l'Autriche, sur la Belgique, sur l'Italie même. Le Pape a beau nous dire: «Allez au peuple», nous n'avons pas encore compris. Nous n'avons pas un programme commu­nal démocratique, comme à Vienne, comme en Italie. Comment vou­lons nous gagner le peuple sans aller à lui?

Nous ne sommes pas assez guidés par la presse catholique et par ceux qui ont autorité. Il nous faut une presse catholique et non cléricale, une presse démocratique et populaire. Ce n'est pas un boulangisme nouveau qu'il nous faut, c'est une action intelligente, dévouée et fortifiée par l'union. Des influences réfractaires ont brisé les comités centraux et en ont formé d'impuissants. Ce n'est pas un homme qu'il nous faut, ce sont des hommes, des chrétiens dévoués et dociles au Pape. Quand les apôtres ont jeté les filets sous la conduite de Pierre, inspiré par Notre-Seigneur, ils ont fait la pêche miraculeuse.

Nos missionnaires. - Un journal belge a formulé ces réflexions plei­nes d'encouragements pour la France:

«Nous relevons, dans les Missions catholiques, la longue liste des mis­sionnaires tombés, au cours de l'année 1898, dans tous les pays du mon­de, sous les fatigues de l'apostolat.

Une fois de plus, la place d'honneur dans ce tableau appartient à la France: sur 149 noms, en effet, que comprend la liste, 75, la moitié, sont ceux de ses fils, sans compter les 18 qui appartiennent à ses provinces perdues, l'Alsace et la Lorraine.

Les autres se répartissent ainsi: 17 Italiens, 12 Espagnols, 8 Hollan­dais, 6 Belges, 6 Allemands, 12 Autrichiens, 1 Suisse, 1 Polonais, 1 Ca­nadien, 1 Mexicain, 1 Chinois.

Cette magnifique floraison de Sacrifices est un des motifs les plus puis­sants qui nous restent d'espérer pour la France».

III. AUTRES PAYS

Autriche. - Les catholiques, avec Lueger à leur tête, ont obtenu un magnifique succès aux élections communales. C'est qu'ils se sont mon­tré vraiment dévoués aux intérêts populaires.

Ils ont sollicité et obtenu l'institution du quatrième corps électoral (le prolétariat), qui donne le droit de vote à des centaines de mille électeurs. Pour ce qui est de l'administration locale, ils ont voté l'établissement du chemin de fer urbain, l'ouverture et l'élargissement de rues dans les faubourgs, la création de nouveaux ponts, de jardins et squares, de fon­taines d'eau potable, de cimetières populaires.

Ils ont fondé un hôpital bien aménagé pour les enfants, de nouvelles écoles élémentaires et professionnelles, un théâtre communal avec des garanties de moralité pour le répertoire.

Ils ont organisé la soupe scolaire pour les enfants pauvres, un comité d'arbitrage pour les conflits du travail, l'assurance en cas de maladie pour les employés communaux et la retraite pour leur vieillesse.

Ah! si nous savions présenter partout avec suite et avec intelligence des programmes vraiment populaires, comme le réclament la justice et la charité catholiques, nous aurions bientôt gagné la grande majorité du corps électoral dans les communes comme dans l'Etat.

Belgique. - Les élections ont donné en Belgique aussi des résultats extrêmement encourageants. C'est que les catholiques pouvaient se pré­senter avec le bilan de l'œuvre accomplie depuis seize ans qu'ils sont au pouvoir:

Loi sur le travail des femmes et des enfants;

loi sur le contrat de travail;

loi sur les règlements d'ateliers;

loi sur les unions professionnelles;

loi sur les pensions de vieillesse;

loi sur les habitations ouvrières, etc.

Organisation des Conseils de l'industrie et du travail;

organisation de l'inspection du travail;

organisation de l'assistance médicale;

organisation du ministère du travail;

organisation des écoles industrielles et ménagères; etc.

Le peuple a partout du bon sens. Il peut avoir un moment d'égare­ment, mais il revient à la vérité. L'ère chrétienne est une ère de progrès. La grâce du Christ est plus forte que l'action du tentateur. - Confidite, ego vici mundum.

Ayons donc confiance, mais agissons. Allons au peuple, comme le Pa­pe nous le dit. Allons à lui, non seulement avec les promesses très réelles de la vie future, mais aussi avec tous les bienfaits de la justice sociale et de la charité.

CHRONIQUE (Août 1900)

I. ROME

Le Siècle du Sacré-Cœur. - Le Saint-Père ne manque pas une oc­casion de consacrer au Sacré-Cœur le siècle commençant. Ces jours-ci, il bénissait solennellement les Agnus Dei, ces médaillons de cire que les fi­dèles gardent dans leurs maisons comme une sauvegarde dont l'efficacité a souvent été prouvée par des miracles. Cette bénédiction revêt une for­me très solennelle. Le Saint-Père est entouré de sa cour. Il lit la formule liturgique, il plonge les Agnus Dei dans l'eau bénite mêlée de baume et de saint chrème et il les encense.

Les Agnus Dei portent toujours une effigie pieuse autorisée par le Pape. Cette année, la plupart portent l'image du Rédempteur avec cette épi­graphe choisie par Léon XIII:

Nil sit dulce magis quam Corde quiescere Jesu.

Rien de plus doux que de reposer dans le Cœur de Jésus. C'est la consi­gne que nous donne le Pape. N'ayons rien de plus à cœur que de reposer dans le Cœur de Jésus. Cherchons là notre paix, notre refuge et notre joie.

La grande croix du Vésuve. - Nous avons déjà parlé des vingt monu­ments commémoratifs de la consécration du siècle au Rédempteur, qui se­ront élevés sur les montagnes d'Italie dans des sites agréés par le Pape.

Les Napolitains ont eu une heureuse idée. Ils ont pensé qu'il fallait du temps pour recueillir des souscriptions et pour élever un monument di­gne du Rédempteur, mais en attendant on pouvait élever un monument provisoire pour accomplir un acte de foi et de prière. C'est ce qui s'est fait. Le 18 juin fut le jour choisi. Une grande croix, haute de douze mè­tres, fut plantée vers le sommet du Vésuve près de la petite chapelle de l'Ermitage. Le cardinal Prisco présida la cérémonie. Des milliers de fi­dèles étaient venus de Naples et des communes environnantes. La muni­cipalité de la grande ville et celles de seize communes environnantes étaient représentées. C'était vraiment un acte social.

L'aristocratie de Naples était là avec ses équipages. Le peuple aussi y était rangé sous les étendards des corporations et des sociétés catholiques. On avait fait l'ascension avant l'aube pour échapper à la chaleur du jour. Le moment solennel de la bénédiction fut marqué par l'explosion de pièces d'artifice, pour que toute la région pût s'unir à la prière de ses délégués. Des agapes complétèrent la fête et on redescendit dans la soirée.

Désormais, de Naples et de tout le Golfe on aperçoit la grande croix qui s'élève là haut près de l'oratoire du Sauveur, que les éruptions ont toujours respecté.

Le Pape et la cathédrale du Sacré-Cœur d'Oran. - Mgr l'évêque d'Oran a adressé la lettre suivante au Saint-Père:

22 février

Très Saint-Père,

l'évêque d'Oran, humblement prosterné aux pieds de Votre Sainteté, a l'honneur d'exposer que la ville d'Oran, dont la population est aujourd'hui de cent mille habitants, ne possède que des églises petites et misérables. La cathédrale a cet inconvénient particulier d'être située à une extrémité de la ville et difficilement accessible à la grande majorité de la population. Il est urgent de remédier à cette situation déplorable.

L'évêque s'est décidé, avec l'autorisation du Saint-Siège accordée par un rescrit daté du 19 novembre 1899, à transférer la cathédrale sur un terrain qui a été concédé dans ce but par le gouvernement français, dans un quartier très central et très favorable.

La nouvelle cathédrale sera dédiée au Sacré-Cœur de Jésus, auquel, récemment, vous avez, Très Saint-Père, par un acte sublime, consacré le genre humain tout entier. Elle lui sera dédiée pour appeler des trésors de miséricorde sur la ville d'Oran, sur tout le diocèse, et aussi sur l'im­mense multitude qui, dans toutes les parties de cette vaste région, est en­core plongée dans les ténèbres de l'infidélité.

Pour obtenir les ressources nécessaires, l'évêque fait appel à la charité du diocèse d'Oran et de la France tout entière qui est profondément dé­vouée au Sacré-Cœur.

Il supplie Votre Sainteté de daigner encourager cette œuvre, d'attirer sur elle, par sa parole et sa bénédiction puissante, la charité généreuse de toutes les âmes chrétiennes, afin que le Cœur de Jésus soit grandement glorifié et que des prodiges de grâce se réalisent parmi nous.

Daigne Votre Sainteté agréer l'hommage de la vénération profonde et de l'absolu dévouement de son très humble et très dévoué fils.

+ EDOUARD, évêque d'Oran

Le Saint-Père, par l'entremise du Cardinal Rampolla, lui a répondu: «Illustrissime et révérendissime Seigneur,

la pensée d'ériger une nouvelle cathédrale dans cette ville est le fruit du zèle que Votre Seigneurie illustrissime et révérendissime nourrit pour le bien de son troupeau et pour la diffusion de la foi. C'est pourquoi le Saint-Père n'a pas pu accueillir sans plaisir la communication de ce pro­jet. Sa joie a été bien plus vive encore d'apprendre le dessein de Votre Grandeur de dédier ce nouveau temple au Cœur adorable du Rédempteur, dévotion que Sa Sainteté désire voir se propager toujours davantage. L'auguste Pontife espère donc qu'elle trouvera beaucoup d'âmes généreuses pour concourir à l'exécu­tion de sa louable entreprise; et à tous ceux qui de fait y auront concou­ru, Il accorde de tout cœur la bénédiction apostolique.

En priant moi aussi pour le succès de cette belle entreprise, il m'est très agréable de me dire, avec les sentiments de parfaite estime.

De Votre Seigneurie illustrissime et révérendissime. Le serviteur,

M. Cardinal RAMPOLLA

Rome, 26 mars».

II. FRANCE

La vraie France. - Il ne faut pas confondre la France officielle avec la vraie France, le personnel politique avec la nation.

La charité des catholiques français est encore bien grande. Voici ce que donne la France catholique pour les missions, sans se soucier de leur origine et de la nationalité des missionnaires et sans prélever aucune re­tenue pour les missions intérieures de France:

Propagation de la Foi,4.077.000 francs
Sainte Enfance,1.094.000 „
Ecoles d'Orient,584.000 „
Missions d'Afrique,50.000 „
Société antiesclavagiste,120.000 „
Quête du Vendredi-Saint,122.000 „

Total: 6.047.000 francs.

La France compte environ 200.000 religieux et religieuses.

Elle ne néglige pas les missions intérieures. Elle a pour cela l'Œuvre de saint François de Sales et l'Œuvre des Campagnes, qui recueillent environ un million par an.

Elle a donné dans ces derniers vingt ans des sommes énormes pour ses églises. Les basiliques de Montmartre, de Fourvières, de Lourdes, de Notre-Dame de la Garde, de Notre-Dame de la Treille, de Notre-Dame de Brebières, de Notre-Dame de Pontmain, d'Issoudun et d'Ars ont ab­sorbé 80 millions.

Les écoles libres ont demandé un sacrifice de plus de 100 millions. Celles de Paris coûtent chaque année 4 à 5 millions.

Quarante millions ont été employés à la création et à l'entretien de cinq Universités catholiques.

La France fournit près des trois quarts du Denier de Saint-Pierre, qui permet au Saint-Siège de faire face aux dépenses générales du gouverne­ment de l'Eglise.

Ce tableau sommaire explique pourquoi le Souverain Pontife garde à la France son affection, pourquoi il continue à l'appeler la Fille aînée de l'Eglise, pourquoi il lui conserve le protectorat général des missions pour lesquelles elle donne plus d'or, plus de vies, plus de sang que toutes les autres nations réunies.

Le Pape voit les prévarications de la France officielle, mais il voit aussi la générosité de la France catholique, et il se souvient de ce qu'écrivait saint Pierre dans sa première épître: La charité couvre la multitude des péchés.

Prière et action. - De détestables projets de lois nous menacent. Le gallicanisme et le césarisme régnent avec les Loges. Ils ne triomphe­raient pas s'ils n'avaient aucun appui dans une partie du clergé, mais le mal, hélas! va jusque-là.

Nous sommes menacés de perdre la liberté d'enseignement et la liber­té de la vie religieuse. Il faut prier beaucoup pour détourner ce malheur. Mais il faut aussi agir. Il faut que les catholiques se dégagent des vieux errements du conservatisme et qu'ils aillent au peuple.

Le peuple tient le clergé jusqu'à présent pour l'ennemi de la République et le gendarme des possédants. Léon XIII a tout fait pour porter les catholi­ques et le clergé de France vers le peuple, mais il n'a guère été écouté. Les élections toujours plus mauvaises rendent justice au Pape. A ce pro­pos, nous voudrions voir entre toutes les mains la brochure de M. Paul

Lapeyre: Les partis conservateurs et le clergé devant les leçons du scrutin (chez Sa­vaète).

Nous n'allons pas assez au peuple. Nous voudrions voir ceux qui ont mission pour cela nous y conduire plus fermement. La presse aussi a son rôle à tenir.

L'Univers, la Croix devraient avoir leurs rédacteurs spéciaux pour l'ac­tion sociale: théorie et pratique. La presse est aujourd'hui un des princi­paux instruments d'apostolat. Un journal catholique qui ne donne pas à cette action une part équitable n'est pas à la hauteur des besoins du mo­ment et sans le vouloir, il nuit à l'Eglise qu'il veut défendre.

La fête du Sacré-Cœur. - «Je te demande que le premier vendredi après l'octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en lui faisant réparation d'honneur par une amen­de honorable, communiant ce jour-là, pour réparer les indignités qu'il a reçues pendant le temps qu'il a été exposé sur les autels: je te promets que mon Cœur se dilatera pour répandre en abondance les influences de son divin amour sur ceux qui lui rendront cet honneur, et qui procure­ront qu'il lui soit rendu» (N. -S. J. -C. à la Bienh. Marguerite-Marie).

C'est une vraie fête qu'il faut, une fête populaire, une fête générale, dans toutes les nations, mais surtout en France. Notre-Seigneur l'a dit et il sait ce qu'il veut.

Il y a eu progrès cette année. Il y a eu des efforts généreux. La Croix a lancé le projet de pavoiser les maisons. L'Univers a engagé les séminai­res, les collèges, les paroisses même à solenniser la fête, à la chômer pour répondre au désir de Notre-Seigneur et pour attirer ses grâces. Cet appel a été entendu. C'est un commencement. Assez de théorie. Il faut main­tenant agir. Notre-Seigneur nous saura gré de nos premiers efforts et il nous aidera à faire le reste.

III. AUTRES PAYS

Allemagne. - Les catholiques allemands ont beaucoup à faire pour les missions intérieures contre le protestantisme: construction d'églises et d'écoles, secours aux catholiques dispersés, bibliothèques et cercles. En cinquante années le Bonifacius-Verein a recueilli et distribué dans ce but 31 millions.

Malgré cela, l'Allemagne catholique se met de plus en plus aux mis­sions extérieures. Elle donne chaque année les sommes suivantes:

Propagation de la Foi.267.000 francs
Œuvre de la Sainte Enfance,948.000
Ludwigs Missionsverein,208.000
quête de la Custodie,215.000
Africaverein,150.000
Association pour les Pères Blancs,16.000
Association pour les Pères du Saint-Esprit,20.000

Total: 1.825.000 francs.

L'Allemagne compte 4.000 religieux et 32.000 religieuses.

Les catholiques allemands sont fervents et ils feront mieux encore.

Chine. - Tous les regards sont tournés vers la Chine. C'est une crise religieuse autant qu'une crise politique qui bouleverse le grand empire. Le démon n'est pas content de voir le progrès des missions et il vou­drait les ruiner toutes à la fois.

La Chine compte 36 vicariats apostoliques et environ un million de catholiques. Elle a 650 missionnaires appartenant à la Société des Mis­sions étrangères, à l'Ordre des dominicains, aux jésuites, aux Franci­scains, aux Capucins. Il y a aussi environ 350 prêtres indigènes.

Que vont devenir toutes les œuvres catholiques de la Chine? Le tra­vail de plusieurs siècles va-t-il être anéanti? Nous avons confiance: le sang des martyrs est la semence des chrétiens. Après la tempête actuelle, les missions refleuriront.

Italie: prodiges séculaires. - Il y a en Italie bien des faits extraordi­naires que la croyance populaire regarde comme des miracles. Sans af­firmer le caractère strictement miraculeux de tous ces faits, nous allons en citer quelques-uns pour intéresser nos lecteurs.

I. - La sainte Maison de Lorette, dont on vient de célébrer pompeu­sement le 6e centenaire de la translation dans la Marche d'Ancône, est posée à fleur de terre, sans ses fondements restés en Palestine. Néan­moins, cette demeure du Verbe incarné défie l'action destructive des siè­cles, quoique le concours des pèlerins ait fait ouvrir trois portes dans ses murs et agrandir la fenêtre, par ordre du pape Clément VII.

II. - A Rome, en la basilique des Saints Apôtres, on conserve une ampoule du sang de saint Jacques-le-Majeur, limpide et liquide après 18 siècles.

III. - La cathédrale de Tivoli et l'église de l'Assomption, à Amaseno (province de Rome), possèdent deux ampoules du sang de saint Lau­rent, qui se liquéfie pendant les premières vêpres du 9 août et reste liqui­de durant l'octave. Dans les solennités publiques, ces villes invoquent leur divin protecteur et croient que leurs prières seront plus ou moins exaucées, selon que la liquéfaction du sang est alors plus ou moins com­plète.

IV. - Le miracle de saint Janvier à Naples et à Pouzzoles est rappor­té dans les leçons du Bréviaire romain. Nos lecteurs le connaissent de­puis longtemps.

V. - La manne de saint Nicolas de Bari est citée également dans le Bréviaire. Les reliques de cet illustre évêque de Myre, en Lycie, furent apportées dans les Pouilles, en 1078. Une collégiale de 42 chanoines, ou­tre le Grand Prieur assisté de 58 prêtres ou clercs, dessert la basilique de Saint-Nicolas. Depuis la mort du saint, c'est-à-dire depuis 14 siècles, une liqueur précieuse coule de ses ossements sans jamais s'épuiser. Le Cardinal Baronius, dans ses notes sur le Martyrologe romain, assure que Dieu a voulu faire couler d'ossements arides cette liqueur merveil­leuse pour guérir les malades et confondre les impies. Les Barésiens ont une vive dévotion envers leur patron.

VI. - Saint Dominique, bénédictin du Mont-Cassin, décédé octogé­naire le 12 janvier 1031, attire beaucoup de pèlerins à son sanctuaire de Cocullo, dans les Abruzzes. C'est, comme l'église de Saint-Hubert en Belgique, un divin «établissement Pasteur» contre la rage et les piqûres des reptiles venimeux. On assure, depuis des siècles, que des blessés y sont préservés des effets funestes de ces virus empoisonnés.

VII. - Les provinces méridionales de l'Italie entourent de leurs hommages la Madone du Bon-Conseil, dont la fête se célèbre le 26 avril. Comme la sainte Maison de Lorette, cette image de la Reine du ciel et de la terre fut soustraite miraculeusement aux Turcs et transportée, sans aucun secours humain, à travers l'Adriatique de Scutari à Genazzano, le 25 avril 1465. A la vue du public, elle s'arrêta devant le mur incomplet d'une chapelle de l'église en construction. Elle y est restée, et cette fre­sque, peinte sur une légère couche de plâtre, ne repose sur rien, contre toutes les lois de la statique.

VIII. - Le monastère des Augustines de Montefalco, en Ombrie, vénère le cœur de sainte Claire, qui embauma cette maison du parfum de ses vertus. Ce cœur, d'une grosseur extraordinaire, est ouvert en deux comme un reliquaire et porte l'empreinte de Notre-Seigneur en croix et des instruments de la Passion.

IX. - Les Carmélites de San Mateo in Aratri, sur une des collines qui entourent Florence, hors la Porte-Romaine, possèdent une ampoule du sang de leur séraphique mère sainte Thérèse, toujours liquide et sans corruption.

X. - Saint Pantaléon, noble médecin de Nicomédie, souffrit le mar­tyre à 28 ans, dans le IVe siècle. On a retenu de lui cette parole: Credo in Deum, unde medicor. La plus grande partie de ses ossements et une ampou­le de son sang furent transportés à Revello, près Amalfi, et ils reposent dans une monumentale église, bâtie par Robert Guiscard. Le 26 juillet, aux premières vêpres de sa fête, le sang se liquéfie et ne se coagule qu'à la mi-septembre. Il se liquéfie aussi quand on touche l'ampoule avec une relique de la vraie Croix.

XI. - Les tombeaux de saint André d'Amalfi et de saint Matthieu de Salerne donnent aussi une manne miraculeuse. Il en est de même d'une pierre qui servait de lit à saint Benoît à Subiaco.

A la Visitation de Venise, le cœur de saint François de Sales donne une manne qui opère surtout, dit-on, des guérisons spirituelles.

XII. - Il y a enfin en Italie beaucoup de corps saints dont la conser­vation est extraordinaire.

Le corps de sainte Catherine de Bologne est assis en un fauteuil. Ses bras sont restés flexibles.

Le corps de sainte Madeleine de Pazzi à Florence est admirablement conservé.

Il en est de même du corps de sainte Rose à Viterbe, sainte Margueri­te à Cortone, sainte Angèle à Foligno, de sainte Claire à Assise, d'une autre sainte Claire à Montefalco, de saint Ubald à Gubbio, etc.

XIII. - A Foligno, au couvent de Sainte-Anne, on montre la trace noi­re laissée sur une porte par la main d'une religieuse défunte qui venait de­mander les prières de ses Soeurs pour être délivrée du purgatoire…

CHRONIQUE (Septembre 1900)

I. ROME

L'assassinat du roi d'Italie. - La Révolution continue son œuvre. Elle est sans doute l'instrument de la Providence, mais elle l'est comme l'était Attila, le fléau de Dieu, comme peuvent l'être la peste, la guerre et les autres souffrances que Dieu nous envoie. Tous les hommes sensés maudissent l'assassinat. Personne ne peut excuser l'assassin, mais il est permis de remarquer que certaines familles sont punies par où elles ont péché. La famille de Savoie s'est taillé un empire en encourageant toutes les rébellions et toutes les trahisons. Ce meurtre que nous abhorrons est pour elle un châtiment. Ceux qui se servent de la Révolution, périssent par la Révolution.

L'Italie actuelle doit son origine à un attentat politique. Quel a été le véritable fondateur de «l'unité italienne?». Ce n'est ni Cavour, ni Vic­tor Emmanuel, ni Garibaldi, ni même Mazzini, c'est Félix Orsini, l'au­teur de l'attentat commis, rue Lepelletier, contre l'empereur Napoléon III, qui se fit, comme l'on sait, l'exécuteur testamentaire de son meur­trier.

La famille royale de Piémont a profité de ce concours. Elle a eu la fai­blesse d'exalter Mazzini et tous les auteurs de complots et d'attentats contre les princes régnants d'Italie. Le gouvernement italien subsidie encore aujourd'hui la veuve et les héritiers d'Agésilas Milano, le soldat qui tira sur le roi de Naples. C'était jouer avec le feu.

L'héritier du trône, le prince de Naples, Victor Emmanuel III n'est guère populaire. Il n'a pas d'enfants. Après lui, ce serait la branche d'Aoste qui arriverait au trône; elle est animée de meilleurs sentiments, mais ne sera-t-elle pas écartée par la Révolution?

Le Pape a eu la magnanimité d'envoyer le premier ses condoléances à la reine d'Italie.

L'agitation dont l'Italie est menacée n'aura-t-elle pas pour le Saint­Siège des conséquences douloureuses? Il faut que les catholiques redou­blent de prières pour le Pape et pour l'Eglise.

Pie IX, en 1874, montrait dans le mystère même de ses douleurs des motifs d'espérance. Il comparaît le sort du Pape captif à celui de Tobie réduit à l'esclavage.

«Cependant, disait-il, le temps de la consolation et de la liberté vint pour Tobie. Sennachérib fut tué par ses propres fils et Tobie put retour­ner dans sa tribu, où il recouvra tous les biens qu'il possédait aupara­vant».

Nous ne pouvons pas nous imaginer que l'assassinat du roi Humbert par ses fils dans la Révolution, puisse entraîner demain un revirement assez puissant pour délivrer l'Italie des liens de la secte qui l'entraîne à sa perte. Il se dégage toutefois de cet événement de graves enseigne­ments. Puissent les autorités sociales en Italie comprendre enfin que l'ordre public et le bonheur du peuple dépendent absolument de l'accord entre la royauté et la papauté! La restauration des droits du Pontificat romain constituerait la meilleure sauvegarde des rois d'Italie contre la Révolution. S'il n'est pas trop tard et s'il y a encore quelque espoir de salut pour le nouveau royaume et pour sa dynastie, c'est dans cet accord avec le Saint-Siège et dans cette restauration de l'indépendance du Pape qu'est leur dernière espérance.

La Pologne à l'église de Saint Joachim. - Les travaux intérieurs de l'église Saint Joachim se continuent. Les chapelles sont décorées aux frais des nations auxquelles elles sont attribuées.

Tout dernièrement, à l'occasion du pèlerinage polonais, on a ouvert au culte la chapelle de la Pologne, décorée de peintures par le professeur Palombi.

L'ensemble de la décoration est dans le style de la renaissance du XVe siècle avec un certain cachet allemand. Sur l'autel de marbre, dessiné également par Attilio Palombi et exécuté par le sculpteur Giovanni Scri­vo, se détache un tableau qui représente la madone de Czestochowa et à ses pieds un groupe de saints polonais qui élèvent leurs regards vers la céleste patronne.

Parmi ces saints, on remarque la sainte reine Hedwige et les saints Casimir, Adalbert, Jean de Kenty, Duglas, Cadhebeck, André Bobola, etc. Ce groupe à costumes variés est bien harmonisé et produit un grand effet.

Dans la calotte au dessus de l'autel, sur un fond de ciel lumineux apparaît au centre la douce figure de saint Stanislas Kostka, auquel les anges apportent la sainte communion, et aux angles sainte Cunégonde, la bienheureuse Iolande et les bienheureux Ladislas et Brunislas. Dans la lunette de gauche est saint Hyacinthe, dans celle de droite saint Josa­phat; ils sont représentés dans le trait le plus saillant de leur vie.

Les peintures des parois latérales sont plus importantes encore et d'un plus grand effet. Du côté de l'Evangile, on voit l'évêque de Cracovie, saint Stanislas qui, ayant obtenu de Dieu la résurrection de Petrowic, le conduit devant le sénat.

La vie et l'expression des figures, l'harmonie de la composition et du coloris sont mises en valeur par la gracieuse frise qui entoure tout le sujet et qui contient les armoiries des donateurs semées dans des entrelacs.

Du côté de l'épître, une splendide fresque représente la bataille de Bé­resteck en 1631. Au moment de la lutte entre les Tartares et Cosaques et les Polonais conduits par le roi Casimir qui se détache au milieu de la mêlée sur son cheval fringant, apparaît dans les airs saint Stanislas dont la protection assure la victoire aux Polonais. Cette belle fresque est re­marquable par la vie, l'action, le sentiment et par la fidélité historique des costumes.

Cette chapelle fait honneur aux Polonais. Ils ont voulu être parmi les premiers dans l'hommage qui est offert au Saint-Sacrement en l'église Saint-Joachim.

Dieu veuille que cette nation si intéressante redevienne une des puis­sances auxiliaires de l'Eglise!

II. FRANCE

Les œuvres sociales à l'Exposition. - La grande Encyclique Rerum Novarum aura bientôt dix ans d'existence. Elle a encouragé le grand mouvement de réorganisation sociale qui doit transformer l'Europe et la sauver du socialisme.

La section d'Economie sociale à l'Exposition permet d'apprécier les progrès accomplis depuis dix ans.

Le palais d'Economie sociale et des Congrès a une place à part dans cette vaste exhibition de productions artistiques ou d'attractions forai­nes. Il mérite d'être appelé l'âme de l'Exposition. Parcourez-en les salles et les galeries; vous verrez sur leurs murs l'énumération des institutions de prévoyance et de mutualité du monde entier, des syndicats ouvriers et agricoles, des coopératives, des moyens de participation aux bénéfices, des assurances contre la maladie, les accidents et la vieillesse, des patro­nages, des institutions de bienfaisance, des ligues contre le vice ou l'al­coolisme, des sociétés de protection pour les faibles, pour l'enfance et pour les femmes.

Tout ce qui peut contribuer au bien-être moral et matériel de l'huma­nité est représenté là. On se sent ému à cette vue, car on perçoit qu'il y a là les germes d'une rénovation sociale où, selon l'esprit de l'Evangile, les petits et les faibles auront une situation meilleure.

Un des plus gros problèmes de notre rénovation sociale, c'est la retrai­te pour la vieillesse. L'Allemagne a mis en relief au palais social le systè­me d'assurance obligatoire qu'elle a établi. Elle assujettit à l'assurance contre l'invalidité et la vieillesse, à partir de l'âge de seize ans, tous les ouvriers salariés, y compris les domestiques, les contremaîtres, les com­mis, les professeurs ayant des appointements inférieurs à 2.000 marcs, les petits entrepreneurs, les artisans des industries domestiques. La pen­sion d'invalidité est accordée à tout assuré, sans condition d'âge, qui de­vient incapable de travail. La pension de vieillesse est donnée à tout as­suré âgé de soixante-dix ans.

Les ressources pour la constitution des pensions sont fournies par l'Empire, les patrons et les ouvriers. En moyenne annuelle, les charges sont réparties de la manière suivante: Patrons, 5 fr. 80: ouvriers, 5 fr. 80; Empire, 3 fr. 60. Le chiffre de la pension varie, suivant l'importance du salaire gagné, de 138 à 288 francs.

Comme résultat définitif, on trouve en Allemagne, pour l'année 1898, sur une population de 54.300.000 habitants: 12.659.000 personnes assu­rées, 521.000 personnes pensionnées.

En Belgique, la loi d'Assurance est établie sur le principe de la liberté. Le gouvernement encourage par des versements les assurances contractées par les mutualités. Ce système laisse bon nombre d'ouvriers en dehors de l'as­surance, mais il est plus en rapport avec l'esprit de liberté et d'initiative des Belges. Il a en outre l'avantage de diminuer considérablement les frais d'administration. En Allemagne, les frais de bureau absorbent 37% des sommes versées par ou pour les ouvriers. En Belgique, les mutualités, étant administrées gratuitement, les frais ne dépassent pas 3 %.

En France, la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse comptait seulement en 1898, 231.000 personnes pensionnées, sur lesquelles beau­coup n'appartiennent pas à la classe ouvrière. Le Parlement prépare une loi sur les assurances obligatoires, mais les luttes décevantes de la politi­que ne nous laissent pas le temps de faire de bonnes lois sociales.

Les catholiques et l'Exposition. - Les catholiques, comme tels, ont pris une large part à l'Exposition. Ils ont bien fait, ils doivent marquer leur place dans toutes les manifestations de la vie nationale.

Le catholicisme est dignement représenté au Palais de l'Economie so­ciale, au Pavillon des Missions, à l'annexe de Vincennes. Cet heureux résultat est dû à l'activité et au zèle du comité présidé par Mgr Pêche­nard.

Cent mille circulaires et questionnaires sont allés solliciter les rensei­gnements qui sont consignés aujourd'hui dans les diverses classes de l'Exposition sous les rubriques suivantes: Enseignement, Œuvres éco­nomiques, Œuvres d'assistance et de charité, Œuvre de colonisation (missions catholiques), Œuvres sociales.

Les œuvres de jeunesse offrent un intérêt particulier. Elles compren­nent les œuvres de moralisation en dehors de l'école, les patronages, les catéchismes de persévérance, les groupements catholiques de jeunes gens et de jeunes filles, etc.

La commission centrale des patronages a pu constater, par les répon­ses à ses questionnaires, l'existence de 36.842 œuvres de moralisation de la jeunesse, comprenant une population de 400.000 associés.

L'Etat, dans ses statistiques officielles publiées par l'inspecteur Edouard Petit, n'accuse que 3.588 groupements.

Parmi les 36.842 œuvres catholiques, il y aurait 32.674 catéchismes de persévérance et œuvres diverses et 4.168 patronages de garçons et fil­les.

Les groupements de l'Etat comprendraient 2.779 associations d'an­ciens et anciennes élèves et 809 patronages.

Nous avons quelques départements assez riches en œuvres de jeunes­se. Le Nord compte 230 patronages de garçons et 148 de filles; la Seine, 199 de garçons et 213 de filles; Meurthe et Moselle, 89 de garçons et 23 de filles; Pas-de-Calais, 76 patronages de garçons et 16 de filles; la Mar­ne 88 de garçons et 27 de filles.

Quelques départements sont bien pauvres en œuvres. Seine-et­-Marne a 2 patronages de garçons et 31 de filles; l'Orne, 3 de garçons et 9 de filles; la Nièvre, 8 de garçons et 17 de filles; le Gers, 8 de garçons et 6 de filles.

Quelques bons départements, comme les Côtes du Nord, le Morbi­han, la Lozère, la Haute-Loire ont peu d'œuvres; nous pensons que la vie de famille y a gardé plus d'intensité et que les patronages n'y sont pas nécessaires, mais les autres œuvres, surtout celles d'enseignement social et professionnel y ont leur raison d'être pour contrebalancer la propa­gande officielle.

N'oublions pas que les 800 patronages laïcs ont surgi en peu d'années et qu'ils vont aller se multipliant. Le clergé et les catholiques dévoués ne sauraient trop se préoccuper de la formation de la jeunesse.

A travers les Congrès. - Les Congrès se multiplient, à l'occasion de l'Exposition. Nous avons eu en juillet celui des Syndicats agricoles, ceux de la Démocratie chrétienne, du Crédit populaire, du Patronage des libérés, etc.

Les catholiques ont fait bonne figure dans plusieurs de ces Congrès. Dans ceux mêmes qui ne sont pas confessionnels, comme celui des Syn­dicats agricoles, il a régné un esprit de solidarité, de charité et de bonne démocratie qui est tout à fait conforme aux directions de Léon XIII.

Le Congrès des Syndicats agricoles avait pour président M. de Vo­güé; il comptait parmi ses vice-présidents M. Delalande, M. le Comte de Rocquigny, qui sont mêlés aux œuvres catholiques. M. Milcent en était secrétaire-général.

M. de Vogüé a bien montré que le retour à l'esprit corporatif est bien la caractéristique de ce siècle.

«Ce siècle, a-t-il dit, peut être appelé le siècle de l'association, quoique la science n'ait pas encore accompli toute sa tâche. D'ailleurs, les problè­mes qui se posent aujourd'hui sont de ceux que la science seule ne peut résoudre.

C'est d'elle que relève la formule cruelle: la lutte pour la vie, qui est la condamnation des faibles et l'excuse des violents; la devise des Syndicats agricoles est, au contraire, l'union pour la vie.

Ils ont pour but de profiter aux petits, car le grand cultivateur n'avait pas besoin de son voisin pour obtenir des conditions avantageuses du commerce en gros, ou des Compagnies de chemins de fer. Le Syndicat agricole est une œuvre essentiellement démocratique, dans le bon sens du mot. Il n'a pas tardé à élargir le cercle étroit où l'enfermaient ses dé­buts et a placé plus haut le but de ses efforts: «Au foyer de la solidarité bien comprise se réchauffent les cœurs, s'éclairent les bonnes volontés, s'allume le flambeau de la charité.

Lorsque la mutualité apparut, le Syndicat agricole s'en empara et lui donna un rapide essor.

Comme la corporation d'autrefois, le syndicat moderne groupe ses membres, les assiste, mais respecte leur initiative.

C'est en même temps un puissant instrument de rapprochement entre les nations».

III. AUTRES PAYS

Etats-Unis: Progrès du catholicisme. - Une visite récente du pré­sident Mac Kinley à l'Université catholique de Washington a bien mon­tré les dispositions très courtoises, voire bienveillantes, du pouvoir et du monde officiel à l'égard du catholicisme. M. Mac Kinley était accompa­gné de M. Long, le ministre de la marine, et de M. Cortelyon, le secré­taire de la présidence. Le président ne s'est pas borné à faire visite au recteur et au vice-recteur, il a tenu à se faire présenter les professeurs et les étudiants, et leur a adressé, dans la grande salle des réceptions, le «Mac Mahon Hall», une allocution fort gracieuse et applaudie. Une col­lation servie dans les salons du recteur a terminé cette cérémonie, qui peut bien s'appeler une «manifestation». Pour avoir été faite à la veille d'une campagne présidentielle, qui s'annonce terriblement chaude, elle ne perd rien de sa portée générale et n'en est pas moins un signe révéla­teur des temps.

Le parti démocratique n'est pas moins équitable pour les catholiques. On peut en juger par le petit entrefilet suivant publié par un journal «démocrate» et dont la clientèle est surtout protestante:

«Les RR. PP. Jésuites, attachés jusqu'ici à l'église de Saint Joseph, se disposent à quitter notre ville (Troy), où, pendant un demi-siècle, leur infatigable activité a suscité un grand nombre d'œuvres remarquables et où des milliers de personnes regretteront sincèrement leur départ. Fidè­les à leur merveilleux esprit d'obéissance, d'abnégation et de sacrifice, ces excellents religieux, leur œuvre terminée ici, s'en vont la recommen­cer ailleurs, planter la croix dans quelque autre lieu du monde et donner des exemples qu'on ne peut assez admirer. Ils partent suivis des bénédic­tions et des voeux de milliers de personnes catholiques et non catholi­ques, qui reconnaissent et honorent sans restriction le zèle admirable de ces jésuites, qui ont poursuivi avec tant de persévérance une grande œuvre de moralisation dans notre ville».

Dans la société américaine du temps présent, et à mesure que le prote­stantisme mine gaiement de ses propres mains le terrain qui le porte, on voit toujours plus de gens se tourner vers le catholicisme pour y chercher cette autorité, cette invariabilité de doctrine dont aucune religion ne sau­rait se passer.

Beaucoup d'esprits, sinon très pieux, tout au moins très réfléchis, très avisés et logiques, comprennent d'instinct que, dans un âge où les pro­grès de la science et de l'industrie - chose parfaite en soi - stimulent les gens à s'absorber dans leurs intérêts matériels, ce serait folie que de tuer le sentiment religieux, que d'énerver la conscience par de perpétuel­les tergiversations, sur le fond même de la religion. «Plutôt cent fois les jésuites et leurs enseignements que ces écoles du gouvernement où l'on n'enseigne rien et qui sont la proie des politiciens!» s'écriait l'autre jour, en plein Sénat, l'éloquent représentant du Missouri, M. George Gra­ham Vest, un pur protestant, fils et petit-fils d'austères presbytériens.

Il faut se hâter d'ajouter qu'il s'agissait des écoles fondées par le gou­vernement dans les réserves indiennes. Jamais ni nulle part plus élo­quent hommage n'a été rendu aux bons Pères jésuites, à leur inlassable énergie, aux miracles qu'ils accomplissent parmi ces pauvres enfants des Indiens, pour leur apprendre la sainteté du travail manuel et les amener à Jésus-Christ.

Quelques conversions retentissantes de protestants distingués - celle, en particulier, du ministre épiscopalien De Costa, docteur en théologie - n'ont pas moins que les faits précédents démontré la force d'attrac­tion du catholiscisme; d'autant que, dans le même temps, de fâcheuses dissensions théologiques au sein de certaines communautés protestantes; de graves accusations d'hérésie lancées, au mépris de toute logique, par des protestants, contre d'autres protestants, mettaient en gaîté la foule de ceux que ces discussions, ces tiraillements ont dégoûté de la religion et qui se posent, toujours plus nombreux, en agnostiques déclarés.

Deux revues protestantes, l'Atlantic Monthley et le Niveteenth Century, ont donné aussi dans ces derniers mois des articles importants qui exposent une admirable vue générale de l'Eglise catholique et de ses rapports avec le monde moderne. Le rôle éminent de la papauté y apparaît, se renou­velant d'âge en âge et se retrempant toujours dans les conditions nouvel­les des sociétés.

La mission de l'Eglise est supérieurement décrite, se déployant avec une majesté croissante, parce qu'elle est, de plus en plus, la seule forme logique et cohérente du surnaturel en ce monde. Partie de l'état d'un or­ganisme simple, vivant, spirituel, pour aboutir à celui d'un corps im­mense, qui maintient son unité parfaite dans l'extrême diversité de ses organes, elle réalise parfaitement la définition même que Herbert Spen­cer a donnée de l'évolution des sociétés civiles, que l'admirable Newman avait déjà appliquée à la doctrine catholique avant que Darwin eut enco­re rien publié. L'Eglise s'assimile continuellement tout ce qu'il y a de meilleur dans le monde de la philosophie, de la science du gouvernement et de la pensée en général. Elle est la seule société religieuse vers laquelle les peuples pourront se tourner avec confiance. Du protestantisme com­me doctrine il ne restera bientôt plus rien. Mais sans religion à sa base nul Etat ne saurait subsister.

Tous ces faits nous montrent aux Etats-Unis des perspectives encou­rageantes pour l'Eglise catholique.

Italie: reculs et progrès. - L'Italie perd du terrain pour l'esprit de foi, la pratique de la religion, la pureté des moeurs. Les quartiers neufs de Rome et toutes les grandes villes sont sous l'influence de la franc­maçonnerie et du socialisme. La situation politique de l'Italie oppose des difficultés inextricables à l'action religieuse. Le gouvernement, usurpa­teur des Etats Romains est tenté de regarder toute acte de propagande religieuse comme un acte d'opposition.

Il y a, il est vrai, un groupe jeune et ardent de démocratie chrétienne, mais son action est bien difficile.

A d'autres points de vue, on peut constater quelques progrès en Italie. L'engouement pour l'art baroque du XVIIIe siècle est tombé. On a re­stauré dans ces dernières années quelques monuments anciens avec un goût parfait, comme la cathédrale d'Orvieto, la basilique de Sainte­-Marie-in-Cosmédin à Rome, l'église de Saint-François à Bologne. On revient aussi au style gracieux et délicat de la première renaissance.

Pour l'agriculture, l'exposition de Vérone a révélé une transformation rapide et considérable. Non seulement les méthodes de culture ont été rajeunies, mais toutes les institutions sociales de crédit, de coopération, de prévoyance sont organisées dans les provinces du Nord. La Vénétie compte 69 banques populaires, 1.200 Caisses rurales et de nombreuses associations rurales et coopératives de crédit, de production et de con­sommation.

De petites communes même de 200 ou 300 habitants ont leurs Caisses rurales avec un capital accumulé qui s'élève parfois à 100.000 francs.

L'industrie est aussi en progrès. On fonde partout des sucreries, des tissages, des fonderies. L'année 1896 a vu se fonder 25 sociétés anony­mes industrielles avec un capital de 18 millions; l'année 1897, 87 sociétés avec un capital de 22 millions; l'année 1898, 96 sociétés avec un capital de 91 millions; l'année 1899, 114 sociétés avec un capital de 225 mil­lions.

Le progrès est rapide.

Dieu veuille que cette pauvre Italie retrouve bientôt la paix sociale et des conditions religieuses meilleures par la solution de la douloureuse question romaine!

CHRONIQUE (Octobre 1900)

L'art à l'Exposition. - On peut juger d'une époque par son art. Les produits de l'art sont la caractéristique d'une civilisation.

Les chefs-d'œuvre de la Grèce indiquent une période de religiosité et d'héroïsme. L'art de Pompeï est sensuel. Celui du XIIIe et du XIVe siè­cle est pur et mystique. Celui du XVe est parfois graveleux, comme les écrits de Rabelais. Le XVIe siècle renouvelle le paganisme. Le XVIIe a la dignité et l'ampleur de la cour du grand Roi. Le XVIIIe siècle est élé­gant et sensuel dans son art comme dans ses moeurs.

L'Exposition, avec ses salons rétrospectifs est une occasion d'appré­cier la culture sociale du XIXe siècle dans son ensemble.

Notre siècle est éclectique. Il imite, il essaie, il tâtonne. L'art nous révèle une société désemparée. C'est une mêlée générale où se heurtent des re­nouveaux d'art païen, d'art chrétien, d'art grec, romain, bysantin, ogival et Renaissance. C'est un état démocratique et presque anarchique. Il n'y a eu aucune influence capable de donner à l'art une orientation.

Dans les siècles passés, l'art a eu ses courants successifs, sous l'impul­sion des moines, de l'épiscopat, de la féodalité, de la cour. Dans notre siècle, les influences ont été multiples, mais passagères et peu profondes. Le premier Empire a eu son style, qui était une imitation, un décalque du style des Césars et des Antonins. Napoléon fit élever la Madeleine, qui devait être un temple de la gloire et la Bourse, qui fut en réalité un temple de Mercure. La peinture, la sculpture et le mobilier suivaient la même impulsion.

La Restauration tourna les yeux vers les basiliques romaines. C'était une réaction. Elle éleva les églises de Notre-Dame de Lorette, Saint Vin­cent de Paul, Saint-Pierre du Gros Caillou, Notre-Dame de Bercy, Saint-Jean-Baptiste de Grenelle. Flandrin, dans la peinture, reprenait aussi le style majestueux et mystique des basiliques.

Nous avions refait en un demi-siècle toutes les étapes de la Rome an­cienne. Nous avions revu Brutus et César, le style du Directoire, celui de l'Empire et celui des basiliques. L'esprit national reprit le dessus avec le Romantisme. La littérature s'affranchit des règles classiques et recher­cha des thèmes nationaux, l'architecture repassa par les phases du gothi­que et du roman. La peinture et la sculpture inclinèrent au réalisme.

Pour le gothique, nous avons été surtout de merveilleux restaurateurs, sous l'impulsion donnée par Viollet-le-Duc et Boeswilwald. Nos églises gothiques parisiennes de Sainte-Clotilde, Saint-Bernard de la Chapelle et Saint-Jean-Baptiste de Belleville sont de faibles pastiches du XIVe siècle.

Sous le second empire, nous avons fait surtout du roman, en architec­ture; c'était plus facile et moins cher. Une douzaine d'églises ont été éle­vées dans ce style néo-roman à Paris: telles, Saint-Ambroise, Saint­Pierre de Montrouge, Notre-Dame de la Croix, Notre-Dame de Cli­gnancourt, Saint Joseph, Saint-François Xavier, Notre-Dame des Champs, etc.

Où trouver en tout cela une originalité réelle en architecture? Il n'y en a guère. Nous avons vu cependant surgir sous l'empire un essai de Re­naissance mêlée de détails byzantins. Les architectes Baltard et Ballu ont bâti dans ce sens les églises de Saint-Augustin et de la Trinité. Duban et Bailly ont élevé dans le même style l'école des Beaux-Arts et le Tribunal de Commerce de Paris. Charles Garnier est plus renaissant à l'Opéra avec la richesse byzantine aussi dans le détail. Bossan est dans le même courant quoique avec plus d'originalité et avec des essais heureux de symbolisme à Fourvières.

Le bysantin domine à Montmartre, à la cathédrale de Marseille, à cel­le de Carthage, à Saint-Augustin d'Hippone, à Notre-Dame d'Afrique près d'Alger.

Aujourd'hui, il y a un retour au genre Louis XIII dans les palais de l'Exposition et dans plusieurs monuments civils de Paris et de Province: hôtels de ville, musées, palais de justice.

Les dessins exposés dans la section d'architecture à l'Exposition cen­tennale, donnent assez imparfaitement l'ideée de ces évolutions.

Pour la peinture et la sculpture, le grand Palais des Beaux-Arts donne bien la physionomie du siècle, à condition que l'on revoie, en même temps, les salons d'art français au Louvre, les grandes œuvres qui sont éparses dans quelques monuments et les collections de Versailles.

Les expositions de peinture donnent une idée incomplète de l'art et le rapetissent, parce qu'on n'y peut pas transporter les fresques de nos pa­lais et de nos églises.

Peut-on apprécier le grand art français, si on n'a pas sous les yeux les fresques de Flandrin à Saint-Vincent de Paul et à Saint-Germain des Prés, celles d'Eugène Delacroix à Saint-Sulpice et à la galerie d'Apollon, l'hémicycle de Paul Delaroche à l'Ecole des Beaux-Arts, et les grandes épopées du Panthéon, celle de Sainte-Geneviève par Puvis de Chavan­nes, celle de Jeanne-d'Arc par Lenepveu, celle de Saint-Louis par Caba­nel, etc.?

Reprenons donc l'ensemble du siècle, en complétant l'Exposition par les musées et les monuments de Paris.

Le peintre Louis David, suivant en cela les tendances de l'époque ré­volutionnaire, rompit totalement avec le passé, en tâchant de retrouver la forme et le style de l'Antique, comme faisait Pradier pour la sculpture. David fut le chef de l'école moderne française. Il soigna le dessin plus que la couleur. Girodet, Gérard, Gros et Guérin furent ses principaux élèves. Ils sont tous faiblement représentés à l'Exposition. Il faut les étu­dier au Louvre, à la salle des Sept-Cheminées. Il faut voir là le Couron­nement de Napoléon ler de David, le Déluge de Girodet, la Psyché de Gérard, le Pyrrhus de Guérin, les Pestiférés de Jaffa de Gros.

Prud'hon travailla en même temps que David à la réforme de la pein­ture française. Il donna à ses peintures plus de charme et de coloris. Il faut voir au Louvre son Christ en Croix, son Assomption et son allégorie de la justice poursuivant le crime.

On voit à l'Exposition un Bonaparte consul, à cheval, par Gros, en fa­ce du Bonaparte de Greuze. Celui de Greuze est plus gracieux, plus jeu­ne. Celui de Gros est plus prétentieux, on y sent déjà poindre le César sous le costume du consul.

David et ses élèves formaient avec Ingres l'école classique. Géricault et Delacroix fondèrent l'école romantique, dont la naissance coïncide à peu près avec celle de l'école littéraire du même nom. Le Radeau de la Méduse, de Géricault, fut un événement, une révolution. Cette école dut en partie ses succès à la nouveauté des sujets, empruntés aux écri­vains du moyen âge, et à l'histoire nationale. Elle montra des qualités incontestables en revenant à l'observation exacte de la nature et à la ri­chesse du coloris. Pour comparer ces écoles à celles de la Renaissance, on peut dire que les classiques tiennent de Michel-Ange, de Raphaël en sa dernière manière; les romantiques, de Rubens et des vénitiens.

Ingres, Eug. Delacroix, Horace Vernet, Paul Delaroche et Flandrin furent longtemps les peintres les plus célèbres de la France et même de l'Europe. Ingres était un admirateur de l'Antique et de Raphaël. Il se distingua par la précision des formes et la simplicité. Dans son Voeu de Louis XIII, qui est à l'Exposition, il s'est inspiré de Raphaël et de Mu­rillo.

Eugène Delacroix visa au coloris et à la lumière plus qu'à la perfection du dessin. Il faut voir au Louvre son entrée des Croisés à Constantinople et le massacre de Scio. C'est le peintre du mouvement, le peintre drama­tique par excellence.

Ary Scheffer, dérive de Ingres, il est surtout connu par sa Sainte­Monique.

Paul Delaroche tient le milieu entre Delacroix et Ingres. Il donna à ses figures beaucoup de vie et de fraîcheur, tout en attachant beaucoup d'importance au coloris. La mort d'Elisabeth, les Enfants d'Edouard et l'hémicycle des Beaux-Arts suffisent pour faire connaître et apprécier son talent.

Hippolyte Flandrin ne figure guère dans les musées. Il n'a qu'une pe­tite toile à l'Exposition, mais ses fresques de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Vincent de Paul (scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament et processions de Saints), sont la meilleure création de ce genre dans les églises de France. Il peut être mis en parallèle avec les peintres religieux de Munich, de Dusseldorf et de Berlin.

Horace Vernet fut le peintre le plus populaire du siècle, grâce aux gran­des et belles pages où il retraça les -glorieux faits d'armes des Français sous Napoléon Ier et en Algérie. Ses grandes compositions sont à Versailles. On n'a mis à l'Exposition que son Mazeppa et un portrait de Charles X. Il inaugura l'école des peintres militaires, parmi lesquels brillè­rent Bellangé, Ivon et surtout de Neuville, le peintre des Dernières Cartou­ches et Detaille, dont il faut voir le Rêve au musée du Luxembourg.

Après les écoles classique, romantique et militaire, nous avons eu nos peintres d'histoire, nos grands paysagistes, nos algériens, nos réalistes; nous avons aujourd'hui les impressionistes.

Pour l'histoire, il faut voir Schnetz, Gallait, Hesse et Signol dans les salles de l'Histoire de France et des Croisades à Versailles; Lenepveu, Paul Laurent et Cabanel au Panthéon; Dévéria et Couture au Louvre. Qui ne connaît pas les Romains de la décadence de Couture, et la Nais­sance de Henri IV de Dévéria?

Meissonnier est à mettre aussi au rang des peintres d'histoire. Il est comme le miniaturiste de cette école.

Nos grands paysagistes sont une des gloires les plus incontestées de l'école française.

Théodore Rousseau, Français, Diaz rappellent Hobbéma. Ils allaient chercher des inspirations à Fontainebleau ou à Valmondois (dans l'Oise). Harpignies, Lépine, Chintreuil travaillaient aussi à Fontaine­bleau. Dupré, Dagnan, Hubert Robert dérivent du Poussin. Rosa Bon­heur, J. Breton et Troyon rappellent les Hollandais.

Courbet, Corot, Millet ont inauguré ce qu'on a appelé la peinture de plein air, à cause du merveilleux relief de leurs paysages. Pour interrom­pre la monotonie de cette énumération, rappelons quelques traits de ca­ractère de Courbet, de turbulente et vaniteuse mémoire. Ce beau buveur de chopes, grand peintre à ses heures, mais inégal, acceptait sans sourcil­ler les plus abasourdissantes flatteries. Il fallait l'entendre parler de «Ra­phayel» (il prononçait ainsi avec son accent de paysan franc-comtois) ou bien dire à un de ses admirateurs en lui montrant une toile qu'il venait d'achever: «C'est ça, qui l'aurait embêté, vot'Titien!». Un jour, à Bruxel­les, un farceur eut l'idée de boire à l'élévation de la statue de Courbet sur la colonne Vendôme, à la place de celle de Napoléon. Le maître d'Ornans répondit modestement: «Si je n'y suis pas dans cinquante ans, il y aura toujours là un homme qui sera dans mes idées». Est-ce cette boutade qui lui inspira plus tard, sous la Commune, l'idée d'abattre ce monument, de «déboulonner ce grand mirliton», comme il disait?

Il faut signaler aussi nos algériens et surtout Fromentin et Regnault qui ont si bien rendu la chaude lumière d'Afrique.

Et les portraitistes? Ils ont aussi un renom européen. Citons Henner, Benjamin-Constant, Duran, Hébert, Bonnat. Ils savent rendre la res­semblance, la vie, l'expression; et cependant l'un d'eux et non des moin­dres, Bonnat, visitant un jour les pastels de Delatour à Saint-Quentin, s'extasiait et disait (peut être avec raison): «Que nous sommes petits à côté de cela!».

Il y a enfin les impressionistes. Les organisateurs de l'Exposition sem­blent avoir voulu les glorifier. Ils laissent voir cette tendance dans la pré­face du catalogue. «Dix années, disent-ils, constituent presque un éloi­gnement suffisant pour juger équitablement de certaines formes d'art, dont ces œuvres, d'abord déconcertantes pour des yeux habitués à re­garder dans le passé, finissent, par une sage sélection et par l'épreuve du temps, par nous apparaître non comme des choses étranges et nouvelles, mais comme le développement logique d'un art qui doit toujours être en mouvement et en évolution sous peine de périr.. ».

Etranges et nouvelles, ces peintures impressionistes le sont cependant avec leur dessin un peu raide et leurs couleurs crues et heurtées. Elles nous ont bien étonnés au début. Elles nous étonnent encore quand elles gardent toute leur audace sous la main de Besnard et de Henri-Martin; elles sont plus acceptables sous le pinceau de Manet, de Ary Renan, de Maignen. Elles ont formé au Luxembourg un salon bien criard de ton et d'allures, le salon dit Caillebotte.

L'impressionisme s'acclimatera. Nos grands maîtres en essaient et y mettent de la modération. L'hermitte, Daubigny et d'autres l'ont appri­voisé.

Mais d'où nous est venue cette évolution? Ce genre tient des primitifs par la simplicité du dessin et des imagiers japonais par la hardiesse des couleurs. C'est une importation. A quand le tour des chinoiseries?

Il faudrait encore parler de la sculpture. Elle a eu aussi sa période classi­que avec Pradier et David d'Angers. Rude, Carpeaux, Saint-Marceaux et Paul Dubois l'ont portée au plus haut degré de la grâce et de l'élégance. Citons seulement le pécheur napolitain de Rude, l'Arlequin de Saint­Marceaux, le saint Jean-Baptiste et le chanteur florentin de Paul Dubois. Quelle école a produit des œuvres plus gracieuses? La Renaissance n'est­elle pas égalée?

Duret, Frémiet, Chapu, Guillaume, Mercié ont traité des sujets plus sérieux, des monuments historiques. Ils surpassent facilement le vieil art romain.

En résumé, ce siècle est dans l'art comme dans le reste une mêlée de tendances et d'écoles.

Nous pouvons constater cependant que l'art religieux a une vie assez intense et qu'il a fait en regard du XVIIIe siècle des progrès énormes. Nous avons retrouvé dans toutes les branches de l'art le sens chrétien. Quelles belles restaurations de nos cathédrales! quelles jolies chapelles ogivales et romanes on a élevé partout! Flandrin a retrouvé en France l'idéal chrétien dans la peinture, comme Fracassini à Rome, Maccari et Leitz à Lorette, Cornelius, Schadow, Fuhrich, Overbeck en Allemagne.

Les vitraux ont retrouvé à Munich et à Metz leur splendeur d'autre­fois.

L'orfèvrerie, la broderie, la statuaire nous donnent aussi des merveil­les.

Le XXe siècle restera un siècle mêlé, un siècle de liberté pour tous les courants et toutes les opinions. Espérons que l'art chrétien y grandira dans la liberté et qu'il rajeunira les grandes traditions du XIIIe siècle.

CHRONIQUE (Novembre 1900)

I. ROME

Les congrès. - La parole du Pape est toujours efficace, mais il faut du temps pour vaincre l'apathie, les objections, la routine.

Les directions pontificales font leur chemin. L'action sociale s'organi­se. La sève chrétienne rentrera dans la vie sociale, avec l'esprit d'asso­ciation, avec la justice pour tous, avec une tendre charité pour les petits.

Rome a eu trois congrès depuis un mois: le congrès général des catho­liques italiens, le congrès international des étudiants, le congrès franci­scain.

Le premier congrès a précisé l'organisation des œuvres par diocèses et par régions. C'est là qu'il faut arriver: chaque diocèse doit avoir un di­recteur des œuvres, non pas un homme qui se contente d'un titre et qui n'agisse pas, mais un homme d'action, un apôtre, un homme infatigable et invincible.

Le congrès des étudiants a mis en relief la décadence du rationalisme. Beaucoup de nos intelligences d'élites, de professeurs de l'Etat, d'étu­diants de nos facultés reviennent à Dieu. Ils sont trop intelligents pour ne pas voir que c'est l'anarchie des idées qui a préparé l'anarchie sociale. Ils comprennent que l'Eglise catholique est la seule force morale qui puisse remettre sur pied les sociétés actuelles ébranlées sur leurs bases.

Les étudiants catholiques des diverses nations resteront en relations par un bulletin périodique. Ce sera un soutien pour eux et un levier pour leur apostolat.

Nos étudiants français étaient malheureusement trop peu nombreux à Rome, mais ils avaient un représentant bien aimable et bien choisi pour gagner l'affection de tous, M. Marc Sangnier, qui a hérité si largement de la grande éloquence de son aïeul, M. Lachaud.

Le congrès franciscain a été une bien belle démonstration. Quelles magnifiques assemblées à l'église Saint-André della Valle! Des cardi­naux, des évêques, des prélats sur la vaste estrade érigée en amphithéâ­tre devant l'autel, et dans l'église des foules assidues et attentives, où l'on comptait trois mille Italiens, quinze cents Français, trois cents Bel­ges, des Polonais, des Anglais, des Espagnols, des Américains.

L'italien et le français étaient les deux langues adoptées.

Quel puissant réveil, il y a dans le Tiers-Ordre depuis les Encycliques de Léon XIII!

Il y a vingt ans, les fraternités n'avaient guère d'autre but que la sanc­tification personnelle de leurs membres. Elles ont élargi leur action, elles sont devenues plus viriles, plus apostoliques. Elles sont, dans les parois­ses, le foyer de toutes les œuvres. Les fraternités sont pour les curés une garde d'honneur où ils recrutent leurs auxiliaires, pour fonder toutes les œuvres necessaires au temps présent, les œuvres sociales surtout, les œuvres ouvrières en ville, les œuvres agricoles à la campagne.

Après ce congrès on comprend mieux la grande parole de Léon XIII: «Le Tiers-Ordre, c'est ma réforme sociale».

Insérons ici, pour donner une juste idée de ce congrès, les vœux de la section française.

Vœux et Résolutions de la section française

ler JOUR. - l° La Section française renouvelle son adhésion aux vœux des divers Congrès du Tiers-Ordre tenus en France, depuis 1893, et particulièrement à ceux de Paray-le-Monial qui ont reçu, en 1894, (bref du 22 septembre) une approbation toute spéciale du Saint-Père.

Avant tout, ils placent, en première ligne, l'obéissance absolue au Saint-Père, non seulement dans ses enseignements dogmatiques et mo­raux, mais encore dans ses directions et conseils.

2° En ce qui regarde le but essentiel du Tiers-Ordre, la section demande que les Tertiaires ne s'en tiennent pas uniquement aux vertus de la vie privée, mais aussi qu'ils s'efforcent d'acquérir et de pratiquer les vertus civiques pour hâter le règne social de Notre-Seigneur Jésus­Christ.

2e JOUR. - 3° Pour la Propagande du Tiers-Ordre, les Tertiaires, à cause des besoins urgents de la société, doivent travailler à multiplier les fraternités d'hommes et de jeunes gens et chercher à gagner des hommes d'initiative et d'action.

La Presse même non cléricale qui acceptera volontiers des articles bien faits, diverses petites industries (tracts, papier à lettre, enveloppes spéciales, insignes, etc.), sont des moyens recommandés pour aider la propagande.

4° En recommandant aux Tertiaires de prendre part à toutes les ma­nifestations de la vie chrétienne paroissiale, on les invite surtout à se di­stinguer par la piété dans l'assistance aux funérailles et à s'abstenir du luxe des fleurs et des couronnes qu'on peut remplacer par des messes et des prières.

3e JOUR. - 5° Les Tertiaires sont invités à ramener le repos et la sanc­tification du dimanche par leur exemple et par tous les moyens d'in­fluence dont ils disposent.

6° La propagande de la bonne Presse est une œuvre apostolique qui s'impose aux Tertiaires.

Ils doivent s'abstenir d'acheter et de lire les mauvais journaux et mê­me ceux réputés bons qui ne sont pas dociles envers le Pape et respec­tueux envers les Evêques.

7° Pour faire prévaloir les droits Sacrés de Dieu et l'influence de l'Eglise dans la société familiale et civile, les Tertiaires étudieront les rè­gles de la justice sociale soit en particulier soit dans des réunions. Ils prê­teront leur concours aux œuvres et associations desquelles on attend la réorganisation sociale et chrétienne, et en y pénétrant, ils auront à cœur d'y acquérir de l'influence.

8° A l'exemple de quelques fraternités déjà très vivantes, les Tertiai­res s'appliqueront à fonder et à faire prospérer les œuvres sociales les plus utiles de nos jours, comme les conférences apologétiques, les Syndi­cats, les Caisses rurales, le Secrétariat du peuple, les cours profession­nels, les œuvres de presse, etc.

II. FRANCE

Le congrès de Bourges. - Sept cents prêtres ont passé-là de bonnes journées dans la prière et l'étude. C'était comme une retraite spéciale, une retraite de zèle.

C'est que les prêtres de France avaient reçu au 8 septembre 1899 une belle encyclique du pape sur leurs devoirs au temps présent.

Cette encyclique il fallait l'étudier, non pas seulement dans les paisi­bles méditations du presbytère; mais dans quelque chaude assemblée, où l'exemple entraîne, où la force des volontés se multiplie comme en un faisceau de courants électriques.

Cette assemblée, où la faire? Le clergé avait autrefois ses conciles pro­vinciaux et ses synodes diocésains. Nous avons eu une belle série de con­ciles, brillants et féconds, en 1849 et les années suivantes, pendant une période trop courte de vraie liberté.

Aujourd'hui, nous avons une république boîteuse, qui restreint au­tant qu'elle peut les libertés des catholiques. Il est vrai que c'est la faute des catholiques, qui n'ont pas compris les courants populaires et qui ont boudé sous leur tente. Cela passera, et en entrant dans la république, nous la rendrons loyale, sincère et libérale. Mais en attendant…?

Les conciles provinciaux ne sont pas autorisés. Les synodes diocésains eux-mêmes sont contrôlés, et le gouvernement se donne la licence d'en réviser les programmes et d'en écarter tout ce qui n'est pas conforme à l'idéal gallican, comme les œuvres sociales, les œuvres de presse, etc… Ce serait comique, si ce n'était pas assez sinistre; mais le fait est là!

Que restait-il à faire? Les timides, les boudeurs prenaient leur parti. Les vaillants voulaient tout tenter pour sortir du marasme et pour ne pas laisser l'encyclique du Pape passer à l'état de lettre morte. Ils songèrent à un congrès. On en avait bien tenu un à Reims en 1896, sous le couvert du centenaire de Clovis. On prépara celui de Bourges.

Le gouvernement s'émut bien un peu. La chose le vexait visiblement. Il essaya bien de faire peur. Cela devait réussir. Les ecclésiastiques sont trop souvent de bons moutons bien timides. Mais ni Mgr l'Archevêque de Bourges, ni M. Lemire n'étaient de ce tempérament.

Le gouvernement recula. Il n'osa pas interdire le congrès. Cela eût paru trop fort, dans un moment où tout le monde en tient, les femmes, les socialistes, les professeurs de l'enseignement de l'Etat, etc.

Le congrès a donc eu lieu et il a été nombreux, vivant, pieux, et bril­lant, n'en déplaise à certains esprits fourchus et grincheux.

Le Pape était avec nous et le signifiait par une lettre du cardinal Ram­polla. Cinquante-quatre archevêques et évêques nous encourageaient et nous bénissaient.

Mais, ne voyez-vous pas le péril du presbytérianisme, clament cer­tains journaux réfractaires! Mais, que deviennent les traditions, les rè­gles canoniques! La forme des réunions ecclésiastiques n'est-elle pas cel­le des synodes et conciles?

Oui, nous savons tout cela; et le droit de tenir des conciles et des syno­des, ce n'est pas vous qui le ferez revivre avec vos jérémiades; c'est nous, avec nos initiatives confiantes et hardies. Et nous n'en sommes sans dou­te pas loin. Comment voulez-vous que le gouvernement maintienne son opposition aux conciles, s'il voit qu'on tient des congrès, auxquels il ne peut pas s'opposer?

Nous avons donc eu un beau congrès. C'était un congrès d'œuvres plutôt qu'un congrès de doctrines. L'occasion n'a pas manqué cepen­dant d'affirmer notre sincère adhésion à toutes les directions doctrinales du Pape.

La méthode des études philosophiques a fait l'objet d'un intéressant débat. Le congrès a exprimé son admiration pour la haute sagesse des enseignements contenus dans l'Encyclique de Léon XIII, Aeterni Patris, sur l'étude de la philosophie. Les prêtres doivent se défier des innova­tions du Cartésianisme et du Kantisme qui ont ébranlé toutes les bases de la certitude. Il doit s'en tenir pour les grands principes de nos con­naissances à la philosophie traditionnelle de saint Thomas et d'Aristote.

Sur la théologie, l'apologétique, l'Ecriture Sainte et l'histoire ecclésia­stique, la Commission avait reçu des rapports excellents et nombreux. Le congrès a proclamé sa fidélité à la méthode traditionnelle des grands théologiens en général et de saint Thomas en particulier: il a poussé à une étude plus approfondie de l'ascétisme et de la mystique, a renouvelé en Ecriture Sainte son adhésion très explicite aux très sages principes ex­posés dans l'Encyclique Providentissimus Deus qui, tout en ouvrant la voie à tous les progrès, tient en garde contre tout égarement.

En histoire les règles de la saine critique ont été rappelées: il ne faut pas confondre dans l'Eglise ce qu'il y a d'humain et ce qu'il y a de divin; une parfaite sincérité, une probité absolue doivent être la règle de nos travaux historiques: Dieu n'a pas besoin de mensonges. Il faut, dans la mesure de nos moyens, apporter notre contribution à l'histoire de l'ave­nir; préparons des documents aux historiens futurs, tenons avec soin nos registres paroissiaux, dépouillons les archives de nos paroisses, entrons dans les Sociétés savantes de notre province ou de notre département.

On a regretté que trop longtemps le clergé se soit abstenu de pousser à fond sa culture scientifique, et on a insisté, tout particulièrement, sur une étude rationnelle de l'agriculture. Déjà, d'ailleurs, le mouvement est lancé. Plusieurs évêques ont fondé dans leurs grands séminaires des cours d'agriculture, ou ont établi des prêtres professeurs ambulants.

Enfin, le congrès s'est entretenu des méthodes et des instruments de travail. Quels travaux personnels peut-on choisir, comment on prend des notes, comment on profite de ses lectures, organisations des biblio­thèques roulantes, des prêts-revues, comment on doit étudier les que­stions du jour, comment il faut préparer l'enseignement catéchistique, autant de points dont il n'est pas besoin de souligner l'importance et dont plusieurs ont permis d'émettre des idées et d'échanger des opinions extrêmement intéressantes sur la pédagogie et les méthodes rationnelles à employer pour l'instruction des enfants.

Pour les œuvres, on a passé en revue le vaste programme des œuvres les plus urgentes de notre temps: œuvres de presse, œuvres agricoles, etc. Le compte-rendu qui paraîtra bientôt en volume sera sûrement le plus précieux manuel de pastorale que nous ayons.

Joignez à cela tout ce qui fait le charme d'un congrès, la prière com­mune, les agapes fraternelles, les toasts et, pour finir, la belle cérémonie de la cathédrale avec une procession de 600 prêtres.

On s'est dit au revoir, mais ce ne sera sans doute que dans trois ou quatre ans. En attendant, puissent des congrès régionaux reprendre le travail de Bourges et en faire l'application à toutes nos provinces!

Congrès international pour la protection des travailleurs. - Ce congrès tenu à Paris, au Musée social, est un signe des temps. Il n'y a donc pas que les socialistes qui s'intéressent aux travailleurs. Ce congrès a été très nombreux. On y rencontrait des Allemands, des Anglais, des Italiens, des Canadiens, des Suisses, des Autrichiens, des Hollandais, des Espagnols, des Russes; comme opinions, des conservateurs, des pro­gressistes, des radicaux, des socialistes, des catholiques, des protestants; comme situations sociales, beaucoup d'économistes, de professeurs, d'inspecteurs du travail, des prêtres, des jésuites, des députés, des séna­teurs, des femmes, des ouvriers, des ingénieurs, peu d'industriels. - Les catholiques sociaux y ont eu une situation prépondérante. - Les di­scussions ont été très courtoises. Le résultat le plus important est l'éta­blissement d'un Comité international qui aura son siège en Suisse et qui permettra de centraliser et de vulgariser les efforts et les études par un bulletin international. - Le congrès s'est demandé si le Saint-Père de­vait avoir son représentant dans ce Comité international. L'affirmative a prévalu à l'unanimité moins une voix. Les catholiques ont fait remar­qué que le Pape avait plus que tout autre favorisé par ses enseignements la cause des ouvriers. Les socialistes ont répondu que si nous voulions défendre le peuple, ils feraient avec nous la trêve de Dieu. Quelle leçon pour certains conservateurs arriérés, qui ne cessent de blâmer le Pape et les catholiques sociaux!

III. AUTRES PAYS

Belgique: Congrès démocratique. - Le congrès de la Ligue démo­cratique à Namur contribuera beaucoup à la netteté et à la précision des programmes.

La pensée qui a présidé à ce congrès a été une pensée d'union.

La Ligue démocratique a la conscience de son droit, de son devoir, de sa mission. Elle ne peut pas abdiquer. Elle veut bien prêter son loyal con­cours au vieux parti catholique.

Elle travaille avant tout à conquérir et à conserver aux idées démocra­tiques la plus grande somme d'influence possible dans le parti catholi­que, de manière à empêcher celui-ci de devenir un parti étroitement conservateur et à réaliser le plus rapidement possible toutes les réformes sociales que la situation réclame.

La Ligue a déjà puissamment contribué à rallier, dans les villes et surtout dans les campagnes, les suffrages populaires et à préserver ainsi le parti ca­tholique belge d'une crise analogue à celle qu'a traversée le parti libéral.

Si le peuple n'avait pas espéré de voir les catholiques se ranger peu à peu du côté de la démocratie chrétienne, il les aurait abandonnés au scrutin, comme il a abandonné les libéraux, pour passer du côté des socialistes.

On ne doit pas méconnaître les services et le mérite de l'ancien parti catholique belge. Mais les luttes politiques ont leurs vicissitudes et il y a des périodes où il faut savoir évoluer à temps pour ne pas être vaincu. Les Démocrates chrétiens ont certainement par leur évolution sauvé le parti catholique belge de l'impopularité où il aurait été acculé.

Les deux groupes doivent maintenant rester unis pour les élections en se partageant les candidatures. Le jour viendra d'ailleurs, espérons-le, où ils ne feront plus qu'un.

Les conservateurs présents à Namur ont pu se convaincre que les dé­mocrates auxquels ils avaient à faire, n'avaient rien de démagogique; - d'autre part, les démocrates ont pu se rendre compte des véritables sen­timents de la grande masse du parti conservateur catholique à l'égard du prolétariat contemporain.

Conservateurs, les démocrates le sont et n'entendent nullement répu­dier ni atténuer ce titre en tant qu'il symbolise le respect et la défense de l'autorité, le culte de tous les principes et de toutes les vérités nécessai­res. Mais la véritable politique conservatrice n'est pas celle qui s'opiniâ­tre à ne pas marcher; c'est celle qui, tout en suivant le progrès des idées, marche prudemment et sagement.

CHRONIQUE (Décembre 1900)

I. ROME

Grâces qui se préparent. - La gloire du Sacré-Cœur éclatera en plusieurs occasions pendant les années qui vont venir. Trois causes de canonisation avancent rapidement. La béatification du Vénérable Clau­de de la Colombière est tout près d'aboutir. C'est une des causes les plus proches de leur solution à la Congrégation des Rites.

La cause du Vénérable Jean Eudes est en bonne voie. Le Vénérable n'était guère connu à Rome jusqu'alors. Sa vie et ses œuvres sont main­tenant étudiées. Sa grande mission est reconnue. Sa cause gagne toutes les faveurs. Il a déjà fait de beaux miracles, demandons-lui encore quel­ques-uns.

Pour la Bienheureuse Marguerite-Marie, on n'a encore qu'un mira­cle véritablement éclatant. On en désirait un second, on dit qu'il vient d'avoir lieu à Naples. La canonisation serait donc assez prochaine.

Ces trois causes aboutiront à peu d'intervalle. Elles auront un reten­tissement immense pour la gloire du Sacré-Cœur. C'est le règne du Sacré-Cœur qui se se prépare.

L'action sociale â Rome. - Les catholiques de Rome ont compris qu'il ne suffisait plus d'attendre les fidèles à l'église et qu'il fallait les chercher comme on fait aux missions. La jeunesse surtout échappait à l'action du clergé, plusieurs cercles et patronages ont été fondés pour la reconquérir. Un de ces patronages vient d'être inauguré solennellement. Le récit de cette fête romaine et sociale intéressera nos lecteurs. Nous l'empruntons à un journal romain.

«Hier fut inauguré le patronage Sebastiani pour l'éducation de la jeu­nesse; il est établi dans un grand local avec jardin, dans la rue des Sept­Salles. Etaient présents à la fête: le patronage catholique du Transtévè­re, celui du comte Vespigniani, celui des paroisses des Saints Laurent et Damase et de Saint-Charles a Catinari, tous avec leur fanfare, et celui de Sainte-Dorothée avec sa chorale. Le cardinal vicaire Respighi arriva à 3 heures et demie et fut reçu par Messeigneurs Sebastiani, Gianuzzi et Pe­rugini, par les curés de Saint-Martin des Monts, des Saints Laurent et Damase, de Sainte-Marie-Majeure, de Sainte-Marie des Monts et de Saint-Charles a Catinari, et par le conseil de direction du patronage.

L'harmonie et la fanfare jouèrent l'hymne pontifical, malgré qu'on eût à la porte les carabiniers et les gardes municipaux pour faire le servi­ce d'honneur.

Le cardinal bénit les locaux qui avaient été ornés de festons, de fleurs et de tapisseries.

On exécuta ensuite le programme qui comprenait des hymnes, des di­scours, des symphonies, des sonnets et des évolutions de gymnastique. Pour terminer, le cardinal Respighi fit un discours dans lequel il expli­qua clairement le but de ces patronages: que les jeunes gens s'attachent et s'affectionnent à la cause pontificale. Le cardinal termina en donnant sa bénédiction au nom du Saint-Père.

On distribua aux enfants une petite réfection, et la fête se termina à l'Ave Maria».

II. FRANCE

Pieux hommage au Sacré-Cœur. - Mgr Robert, évêque de Marseil­le, a hérité de la fervente dévotion de Belzunce au Sacré-Cœur. Sur son lit de souffrance, il s'est fait apporter, comme une consolation et un réconfort, le cœur de la vénérable Anne de Rémusat. Au moment de recevoir l'extrême-onction, il a prononcé devant son clergé cette allocution:

«J'ai été profondément édifié de la dévotion toute particulière que mon cher diocèse de Marseille a toujours professée pour le Cœur sacré de Jésus. C'est à cette dévotion que nous devons le privilège d'avoir vu approuver par le Saint-Siège les litanies de ce divin Cœur et de les voir maintenant récitées dans tout l'univers catholique. Aussi je vous recom­mande bien de conserver toujours cette dévotion et ce grand amour pour le Cœur de Jésus.

Et je vous demande comme une faveur dans ce moment suprême, de réciter pour moi, avec la piété que je vous connais, ces chères invoca­tions, et surtout celle-ci: Cor Jesu spes in te morientium, miserere nobis.

Je vous recommande aussi l'amour filial que l'on a dans ce diocèse pour la bonne Mère. C'est pour moi une consolation de recevoir les der­niers Sacrements dans ce mois du Saint-Rosaire que nous célébrons ici par de particuliers et si solennels exercices.

Nous avons ainsi obéi au Souverain Pontife, comme cela a été la règle de tou­te ma vie. Ce diocèse de Marseille a toujours eu un grand attachement pour le Vicaire de Jésus-Christ. Je vous recommande surtout de garder toujours cette piété filiale, cette absolue obéissance envers notre bien-aimé Père».

Un hommage de la science au Sacré-Cœur. - Les médecins catho­liques appartenant à la Confrérie des Saints Luc, Cosme et Damien, ve­nus de tous les points de la France pour s'unir dans la prière et renouve­ler leur consécration solennelle au Sacré-Cœur, se sont réunis à une cé­rémonie religieuse dans la basilique de Montmartre et ont donné un exemple édifiant de foi et de piété en s'approchant tous dévotement de la Table Eucharistique.

M. Fonsagrives, assistant ecclésiastique du Cercle des étudiants ca­tholiques du Luxembourg, prononça après l'Evangile un émouvant di­scours en rappelant le souvenir du regretté docteur Ferrand, premier président de cette corporation de médecins.

Vraiment le respect humain tend à disparaître en France. Le règne de Voltaire touche à sa fin.

Le Congrès des libres-penseurs. - Ces fortes têtes ont tenu aussi leur Congrès international. Ils se sont réunis dans une loge maçonique. Un protestant allemand, M. de Gerlach y assistait. C'est un esprit vrai­ment libéral. Il a été écœuré de ce qu'il a vu et entendu. Il en rend compte dans la Gazette provinciale de la Hesse.

Ces prétendus libéraux, dit-il,ont pris pour mot d'ordre l° de publier tous les scandales dans lesquels sont compromis des prêtres. Leur œuvre est donc un cloaque international, de dénoncer à l'Etat tous les prêtres qui s'occupent d'œuvres politiques ou sociales: c'est donc une société de délation systématique et obligatoire.

«J'avais déjà, dit-il, un préjugé peu favorable pour ces sociétés de libres-penseurs français qui ne faisaient parler d'eux qu'à l'occasion de banquets du Vendredi-Saint où ils parodiaient la religion en tuant un porc qu'ils clouaient sur une croix. Mais ce que j'ai entendu à ce Con­grès a mis le comble à mon mépris pour eux. - Ils prétendent promou­voir la liberté et sont les pires des tyrans.

Pour jouir du contraste, ajoute le protestant de Gerlach, j'allai visiter le pavillon des Missions à l'Exposition. Il me semblait être transporté à l'improviste d'une région glaciale dans un pays fertile. je voyais là cou­ler des torrents d'humaine charité. Ici, le missionnaire qui traverse les glaces et la nuit sans fin va porter la santé aux pauvres esquimaux; là de pieuses sœurs assistent les Indiens frappés de lèpre. Si les libres­penseurs savent organiser un Congrès où ils manifesteraient un pareil amour pratique et véritable de l'humanité, ils auront peut-être encore ma visite. - C'est aux œuvres qu'on reconnaît les hommes».

Francs-maçons et libres-penseurs n'ont jamais produit d'autres œuvres que celles de l'égoïsme et de la haine.

Le repos du dimanche. - Le Congrès international du repos du di­manche n'avait pas un caractère confessionnel. C'est un des sujets sur lesquels nous pouvons nous entendre avec tous les hommes de bonne vo­lonté, le repos hebdomadaire est en effet de droit naturel. Il répond aux besois de la vie physique et familiale comme à ceux de la vie religieuse. Le repos du dimanche est une question d'humanité.

Les catholiques y ont tenu un bon rang. Mgr l'évêque d'Evreux a pré­sidé plusieurs séances. Mgr Petit, vicaire-général de Lyon a souvent pris la parole.

Le Congrès a tenu séance matin et soir, pendant quatre jours, à la salle des Congrès de l'Exposition universelle. Un très grand nombre de nations de l'Europe et de l'Amérique y étaient représentées. Il nous serait impossi­ble d'analyser en quelques lignes les travaux de l'assemblée. Un nombre considérable de rapports sur l'état de la question dans les différents pays du monde, rapports accompagnés de statistiques et de documents précis, ont été lus au Congrès: ils sont généralement satisfaisants, et ont permis de con­stater les progrès faits dans le sens du repos dominical.

Toutefois, il reste beaucoup à faire, et l'assemblée a émis plusieurs vœux, soit pour solliciter des concours nouveaux, soit pour donner une application plus pratique à ceux qui sont déjà acquis. On ne saurait témoigner assez de reconnaissance aux apôtres dévoués d'une cause aussi digne d'intérêt.

Divers rapports sur les usines à feu continu, les verreries, les fonderies, les distilleries, les brasseries, ont prouvé par des exemples, tirés surtout de l'Angleterre, des Etats-Unis et de la Belgique, qu'il n'y a pas d'usine où l'on ne puisse procurer aux travailleurs le repos hebdomadaire.

Le Congrès devait être amené à se demander s'il convenait de recourir à a loi pour imposer ce repos: question délicate, à laquelle la dernière séance a été consacrée, et qui n'a pas reçu de solution absolue. A notre avis, le Congrès a eu raison de reconnaître que, bien que la loi eût incontestable­ment le droit d'intervenir, il fallait s'inspirer des besoins de chaque nation particulière et éviter de prendre une décision générale et uniforme.

On sait quel est, en France, l'état de la législation à ce point de vue. Le repos hebdomadaire est obligatoire; mais la loi ne dit pas quel jour de la semaine lui sera consacré: en fait, c'est le dimanche dans l'immense majorité des cas.

Une loi plus nette vaudrait mieux, mais on ne l'obtiendrait pas de la Chambre actuelle.

Ce sont donc les mœurs qui doivent servir d'adjuvant à la loi. La pro­pagande des membres du Congrès et de leurs adhérents s'exercera dans ce sens, et elle sera active et dévouée.

Le progrès de cette idée en France est dû en partie aux révélations de La Salette et au zèle du pieux M. de Cissey qui a parcouru la France pendant quelques années pour nous prêcher le repos et la sanctification du dimanche.

III. AUTRES PAYS

Un épiscopat uni et social. - Les évêques allemands se réunissent cha­que année à Fulda. Ils adressent ensuite à leurs diocèses une lettre qui ré­pond aux besoins du temps présent. La lettre qu'ils ont publiée récemment, après leur réunion annuelle est entièrement consacrée aux Cercles ouvriers. Cette œuvre est très vivante en Allemagne. Le nombre des ouvriers catholi­ques groupés dans les Cercles est actuellement de 180.000.

Ces Cercles diffèrent notablement de ceux de France. Les nôtres ne sont guère que des Cercles de récréation, ceux d'Allemagne sont plutôt des Cercles d'études et d'action sociale. Comme en Belgique, les Cercles allemands sont des foyers d'œuvres où naissent et s'organisent des mu­tualités, des assurances, des coopératives.

Un danger sérieux menaçait ces belles et si utiles associations.

Les socialistes, voyant qu'ils ne réussissaient pas à implanter leurs fu­nestes doctrines dans les pays rhénans et dans la Westphalie où le clergé s'occupe activement d'œuvres ouvrières, ont fait, dans ces derniers temps, une active propagande pour les syndicats neutres, d'où toute po­litique et toute question religieuse est en principe écartée. Quelques di­recteurs de cercles, trop confiants, ont cru très habile de favoriser ce mouvement, dont ils espéraient faire bénéficier indirectement la reli­gion. On n'a pas tardé cependant à constater que les socialistes pre­naient partout la direction des syndicats neutres et qu'après y avoir toléré la présence de quelques prêtres, ils finissaient toujours par les éliminer sous prétexte que les travailleurs voulaient rester entre eux.

Pour écarter ce péril, les évêques prussiens insistent sur la nécessité de donner une base religieuse à toutes les associations ouvrières. En dehors de la solution chrétienne de la question sociale, il ne peut y avoir que haine et lutte acharnée et sans merci entre les classes de la société. Il im­porte donc de s'en tenir rigoureusement aux indications données par le Pape dans l'Encyclique Rerum novarum et de se garder de toutes les asso­ciations où la doctrine du Christ et de l'Eglise est systématiquement ignorée.

Les prélats ne se bornent pas d'ailleurs à donner ce conseil négatif. Ils in­diquent encore aux zélateurs des associations ouvrières les voies et moyens dont il faudra se servir pour faire prospérer leurs œuvres. Le Cercle ouvrier n'est pas une congrégation. On doit y traiter tous les sujets qui intéressent les travailleurs: questions sociales, législation, élévation des salaires, hygiè­ne. Pour cela le clergé fera bien de s'assurer le concours d'avocats, de mé­decins, d'orateurs de la classe ouvrière elle-même.

Il faudra de plus attacher l'ouvrier à son cercle par des œuvres utili­taires: caisses de mutualité pour la maladie, le chômage, les accidents, les décès, comme aussi coopératives de tous genres.

Mais les évêques ne s'arrêtent pas encore là, ils vont plus loin. Dans les associations ouvrières, on trouve souvent les éléments les plus dispa­rates dont le rapprochement pourrait compromettre la réussite de l'en­treprise. Il est donc nécessaire de former des sections dans lesquelles se retrouveront les travailleurs du même métier qui pourront alors discuter leurs intérêts particuliers.

C'est donc l'organisation syndicale que recommandent les prélats. Le mot se trouve à plusieurs reprises dans leur lettre collective et il y a tout lieu de les féliciter d'avoir préconisé ce moyen d'action, le seul qui doive permettre aux catholiques de rivaliser avec leurs adversaires socialistes.

Il est certain qu'après la publication de ce mandement de l'épiscopat prussien, les associations ouvrières allemandes vont être complètement transformées. Elles retrouveront partout leur caractère confessionnel, mais en même temps elles resteront dans la voie des réformes pratiques qui ont déjà donné de si bons résultats en Belgique.

Les syndicats chrétiens vont surgir dans tous les grands centres ou­vriers avec leur cortège obligé d'institutions d'assistance mutuelle. Les évêques ont pris courageusement la tête du mouvement. Leur clergé di­scipliné et plein d'entrain les suivra.

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