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CHRONIQUE (Janvier 1903)

I. ROME

Liberté. - J'ai souvent et longtemps vécu à Rome, j'y ai trouvé la vraie liberté de pensée mieux protégée et plus favorisée qu'ailleurs. Rome a des milliers d'étudiants ecclésiastiques. Les badauds et les sectaires voient dans ces soutaniers le type de l'obscurantisme et de l'as­servissement de l'esprit. C'est là le jugement d'un pédantisme ignorant. Vous croyez donc que tous ces abbés et moinillons ne reçoivent d'autre enseignement que celui d'un dogmatisme autoritaire? Les papes ont l'esprit bien autrement large.

Sans doute, tant que ces jeunes gens ont été des enfants, ils ont vécu de la foi de leurs parents, mais maintenant qu'ils sont en état de se for­mer une opinion par eux-mêmes, l'Eglise ne va pas se contenter de leur dicter la doctrine des Ecritures sacrées et du symbole. Elle reprend avec eux toute la culture de la raison, elle les met pendant trois ans à l'étude de la philosophie. Remarquez bien: pendant trois ans, ils vivent en compa­gnie d'Aristote et de Platon, de Zénon et de Socrate. Ils scrutent les ba­ses de la connaissance et de la certitude. Ils s'assurent de la spiritualité et de l'immortalité de l'âme, de l'existence d'un Dieu créateur et rémuné­rateur, de la possibilité et de la convenance d'une révélation.

C'est après ce noviciat de l'intelligence qui dure trois ans, qu'ils abor­dent l'étude de la théologie.

La Rome des Papes demandait au moins deux ans de ces recherches philosophiques à ses étudiants de droit et de médecine.

Allez me dire après cela que les Papes ont peur de la raison et de la philosophie!

Où trouverez-vous une direction plus libérale? L'Empire, chez nous, avait réduit l'étude de la philosophie à la logique. Le régime actuel réduit tout le programme à l'histoire des systèmes et organise le scepticisme.

Rome n'enseigne les doctrines de la foi dans les études supérieures qu'après y avoir préparé les esprits par la culture de la raison.

Cette admirable liberté de la pensée que l'Eglise conserve et honore, elle l'a conquise par le sang des martyrs. Ecoutez le témoignage de l'aca­démicien Gaston Boissier:

«Les martyrs chrétiens, dit-il, ont héroïquement défendu, au prix de leur sang, la liberté et tous les droits imprescriptibles de la conscience humaine… Ils n'ont pas donné leur vie dans un excès de fanatisme, l'œil fixé sur quelque rêve d'imagination; ils sont morts pour la défense du droit le plus sacré: la liberté de leur pensée, ils ont tendu la tête à la hache du bour­reau, plutôt que de démentir d'un signe ce qu'ils croyaient. Ils ont ainsi fondé dans le monde moderne, la vraie indépendance, la véritable grandeur de l'hom­me, si longtemps méconnues».

Allez revoir ce curieux sanctuaire de Saint-Etienne-le-Rond, où les sup­plices des martyrs sont là représentés, semblables à un étal de boucherie. Tous ces crucifiés, ces écrasés, ces femmes et ces enfants déchiquetés par morceaux et à qui il suffirait pour sauver leur vie de jeter une pincée d'en­cens à la cassolette des idoles, voilà des âmes vraiment libres. C'est eux qui ont sauvé la liberté, opprimée par les Néron et les Dioclétien.

L'Eglise romaine est la rédemptrice de la liberté. Vous autres, jaco­bins, vous n'êtes que des mimes de Néron et des tyrans.

II. FRANCE

Servitude. - N'osant pas dire carrément, pour la plupart, qu'ils ne veulent plus du tout de religion, nos jacobins se contentent d'affirmer qu'ils n'en toléreront plus qu'une petite dose. On pourra la pratiquer se­lon leur formule. Ils permettront, jusqu'à nouvel ordre, un culte consti­tutionnel, dans quelques églises numérotées, en attendant qu'ils nous écrivent un rituel, un missel et un bréviaire, où les saints seront sans doute Zola, Renan, Pelletan et Combes. Fi donc de ces tyranneaux!

Les catholiques, citoyens, croient à l'Eglise parce que leur raison leur enseigne la nécessité morale et la réalité d'une révélation. Si votre raison vous dit autre chose à vous, qui vous prouve qu'elle est meilleure et plus éclairée que la nôtre? Je crois, moi, qu'il y a dans vos groupes de libre­pensée, comme valeur intellectuelle, plus d'Homais, que de Pascal, de Képler, de Bossuet, de Corneille, de Pasteur.

Votre prétendue libre-pensée est une méprisable comédie.

Nous croyons, nous religieux, que Dieu, notre créateur et rédemp­teur, aime les âmes qui se consacrent à lui dans la vie du cloître, en se dévouant à toutes les œuvres de miséricorde spirituelle et corporelle. Vous pensez autrement, grand bien vous fasse! mais où prendrez-vous votre autorité pour m'imposer vos idées là-dessus? Vous n'êtes que d'odieux et ridicules tyrans.

Nous voulons, nous catholiques, des moyens de vie chrétienne pour nos enfants quand ils sont au pensionnat et pour nous-mêmes quand nous sommes à la caserne ou à l'hopital. Vous pensez autrement, soit, mais comment prouverez-vous que vous pensez mieux? Quittez donc le masque de la libre-pensée.

Il n'y a plus de liberté pour les catholiques en France. Le concordat lui-même est devenu un atroce instrument de servitude. La France est le ghetto des catholiques dans le monde civilisé.

III. AUTRES PAYS

Un réveil des catholiques. - En plusieurs pays les catholiques as­soupis, hypnotisés par les juifs et les francs-maçons, se réveillent et re­viennet à la vie.

En Autriche, ils avaient conquis le Conseil communal sous la direction de Lueger. Depuis les dernières élections, les voici à la tête de la diète pro­vinciale. L'exemple du bien est contagieux comme celui du mal.

Les catholiques bavarois s'émeuvent à leur tour. Ils appellent Lueger pour donner à Munich quelques conférences retentissantes. Ils réussi­ront aussi aux élections prochaines.

En Italie, le ministère Zanardelli se heurte à la ténacité des catholi­ques. Son projet de loi sur le divorce est blackboulé dans les commis­sions. Jamais les catholiques d'Italie n'avaient agi avec autant d'entrain et d'ensemble. Je crois que tous ceux parmi eux qui savent écrire ont si­gné les pétitions contre le divorce. Les députés même libéraux sont obli­gés de lâcher le ministère sur cette question dans la crainte de perdre leur mandat aux prochaines élections.

En Espagne, le ministère libéral est tombé deux fois coup sur coup en peu de temps. Il se heurtait à l'opinion publique en voulant singer les ra­dicaux français. Il voulait expulser les religieux, restreindre le nombre des évêchés, interdire la prédication et le catéchisme dans les patois po­pulaires. Il a perdu la confiance des populations.

Ce réveil est de bonne augure. Le centre allemand et les catholiques belges avaient donné l'exemple. La France viendra à son tour.

CHRONIQUE (Février 1903)

I. ROME

Direction pour l'éducation des clercs et l'action sociale des prê­tres. - Il y a en Italie un véritable ferment de rénovation chrétienne. Des œuvres surgissent partout, les séminaires se réforment, les prêtres se remettent partout à l'action sociale que le clergé d'Italie avait exercée si avantageusement au moyen âge. L'Eglise d'Italie se relèvera, parce qu'elle se laisse conduire par le véritable pilote.

Pendant ce temps-là l'Eglise de France se meurt d'un gallicanisme in­conscient. Les directions pontificales, chez nous, sont une abomination pour les réfractaires, et pour la plupart des autres une lettre morte. Il y a cependant un petit groupe de vaillants qui semble grossir. L'Action libé­rale, les Associations de jeunes gens, les Œuvres rurales de crédit, sont des mouvements puissants et pleins d'espérance. Ce sera plus long chez nous qu'en Italie, mais Dieu aidant le réveil et la résurrection viendront.

Le Saint Père encourage donc l'action sociale du clergé, mais il veut aussi empêcher qu'elle dévie. Dans tout mouvement social, il y a tou­jours quelques exagérés, quelques enfants perdus, il faut les maintenir dans le rang.

«Nous le répétons plus hautement que jamais, dit le Pape, il faut que le clergé aille au peuple chrétien, menacé des embûches du socialisme. Les prêtres doivent promouvoir les institutions reconnues efficaces pour l'amélioration morale et matérielle des multitudes et répandre les princi­pes de la justice et de la charité évangélique qui règlent les droits et les devoirs mutuels…

Mais il y a temps pour tout. Le temps du séminaire n'est pas le temps de l'action, c'est celui de l'étude et de la formation spirituelle. Le sémi­nariste doit s'initier d'abord aux fonctions communes du sacerdoce, au ministère de la prédication et de la confession. Sur la fin de ses études seulement, dans la dernière année qui est d'ailleurs consacrée en partie à l'étude de la pastorale, il lira et il étudiera les encycliques sociales du Pa­pe au point de vue de l'action. Il aura déjà d'ailleurs pris connaissance d'une partie de ces encycliques au point de vue théorique, en étudiant dans la philosophie et dans la morale, les principes de la justice sociale.

Le Souverain Pontife propose aux évêques l'exemple de saint Charles Borromée, et il termine par un appel ardent aux prêtres italiens afin qu'ils soient les plus avancés dans la concorde de la pensée et de l'action, par une obéissance illimitée à la voix du Vicaire de Jésus-Christ.

Quel sujet d'examen de conscience pour nous!

II. FRANCE

Un entre mille. - Notre ministère pèse les couvents, il les apprécie, il les juge. Il va en condamner quelques milliers à mort. C'est l'évêque du dehors. Il réforme l'Eglise, comme eût fait un saint Louis. Mais saint Louis avait commencé par s'arranger pour être un pieux chrétien, puis quand il croyait voir un désordre, il priait humblement le pape et les évê­ques d'y remédier avec lui.

Aujourd'hui, le ministère décrète, à lui tout seul, sans le concours du Pape et des évêques, que les moines et les religieuses n'enseignent pas bien et qu'il faut supprimer toutes leurs maisons d'enseignement. Mes bons messieurs, pour réformer l'Eglise, en pays de concordat, on devrait au moins s'entendre avec le Pape.

Ces gens n'enseignent pas bien dites-vous. Qu'en savez-vous? Etes­vous donc infaillible? Le Pilate d'autrefois était plus modeste. Moi, disait-il, je ne sais pas où est la vérité: Quid est veritas? Il n'eût pas eu de prétention au monopole de l'enseignement.

Nos Chambres deviennent des conciles. Elles vont faire des décrets sur la réformation des moines. Ces Trappistes font du chocolat, fi donc! et ces autres font de la bière et du fromage. C'est indigne du froc et il faut fermer ces couvents. Le zèle de la maison de Dieu dévore nos députés. - Vraiment, ô nos Saints-Louis modernes, si vous croyez qu'il y a quel­ques abus dans les monastères de France, appelez l'attention du Saint­Siège sur ce qui vous offusque. Léon XIII n'est pas arriéré, il remédiera à ce qui est défectueux.

C'est du byzantinisme. Joseph II et Constantin Copronyme doivent tressaillir de joie dans leur tombe. Nos civils mettent la main sur la cros­se et, pour détourner l'attention, ils crient que nous nous mêlons de poli­tique. Ceux d'entre eux qui ont porté la soutane sont mal laïcisés. Ils font des rapports qui ressemblent à ceux d'un pseudo-concile. Mais la persécution a coutume d'unir le ridicule à la brutalité.

Il y aurait autant d'apologies à faire qu'il y a de couvents condamnés. Pour chacun d'eux, il faudrait un volume pour dire combien d'âmes y ont été édifiées et consolées, combien de pauvres y ont été secourus, combien de leçons de justice, de droiture, de dévouement y ont été don­nées.

Je ne puis pas entreprendre dans notre petite Revue du Sacré-Cœur l'apologie complète d'un seul couvent, elle n'y suffirait pas. Je donnerai seulement aujourd'hui une page sur l'un d'eux, sur un entre mille. Je veux parler de la Trappe du Mont des Cats, près de Cassel en Flandre. De pieux souvenirs d'enfance m'y rattachent. J'y ai fait plusieurs retraites, et j'aime beaucoup devant Dieu un homme dont le cœur saignera à cette suppression, Dom Sébastien Wiart, son ancien abbé, aujourd'hui abbé général de la Trappe.

Cette Trappe fait de la bière, dit le rapport, et elle a des étrangers, ce sont deux cas qui méritent la peine de mort. Qu'est-ce que tout cela vous regarde, messieurs du Ministère et du Parlement? Il y a beaucoup de gens en France qui font de la bière, gens mariés ou célibataires, gens dé­vots ou mécréants. Est-ce qu'en France tout citoyen ne peut pas faire de la bière en payant la patente et les impôts?

C'est inconvenant pour des religieux, dites-vous. Halte là! Je vous crois peu compétents pour juger de cela. Il y a dans le Nord un évêque et à Rome des censeurs de tout genre qui auraient agi contre cela si tout ne s'y faisait pas conformément aux règles de la modestie et de la prudence religieuses. Vous portez la main à l'encensoir, Messieurs, laissez à Dieu ce qui est à Dieu et ne le donnez pas à César.

Ce couvent a des étrangers, dites-vous, quarante sur soixante-dix. Vous voulez donc empêcher les étrangers de venir travailler et prier en France, eh bien! vous aurez fort à faire. Vos statistiques nous disent qu'il y a quatre-vingt mille Belges dans le Nord, cent mille Italiens en Provence, trente mille Allemands à Paris. Allons à l'œuvre! Expulsez, expulsez! Mais n'oubliez pas les cent mille Israélites mal naturalisés qui détiennent la France sous le joug par la haute Banque, la presse et les lo­ges maçonniques. Allons, messieurs, expulsez jusqu'à extinction!

La chère Trappe du Mont des Cats a soixante ans d'existence. Elle oc­cupe une colline de Flandre où elle a remplacé les broussailles d'autrefois par de belles cultures. Ont-ils sué, peiné, fatigué, ces bons moines, pour transformer ce sol ingrat! Je les ai vus plusieurs fois à l'œuvre. Nos Mi­nistres et parlementaires n'auraient pas soutenu ce travail pendant une demi-heure.

C'est donc bien une maison agricole, quoi qu'en dise le rapport. Ils ont toujours fait un peu de bière pour leurs hôtes. Ils en buvaient, je crois, aux jours de grand labeur et, dans ces dernières années ils en ont vendu aux amateurs.

Ces moines ont fondé des écoles libres et gratuites pour les enfants des hameaux voisins. Chaque jour ils ont donné la soupe et le pain à une in­finité de pauvres. Ils ont toujours exercé l'hospitalité et donné gratis le vivre et le couvert pendant plusieurs jours à des pèlerins, à des visiteurs, à des pénitents, à des éclopés de la vie qui venaient là pour échapper à la mort d'inanition ou à la tentation du suicide.

O Messieurs du Parlement, vous aurez peut-être besoin un jour sur le chemin de la vie d'un asile semblable. On y a abrité beaucoup de politi­ciens.

Relisez le discours de saint Chrysostome sur la disgrâce d'Eutrope. Le puissant ministre avait voulu supprimer l'asile qu'offraient les couvents et fut trop heureux un jour d'en profiter pour lui-même.

Les moines du Mont des Cats ont rebâti leur monastère dans ces der­nières années. Longtemps ils avaient souffert dans le vieux monastère humide et malsain.

Le nouveau est d'un bon style. Tout y est simple et beau. Le sanctuai­re est digne de son hôte divin.

On va donc vendre et profaner tout cela. Quelque gros brasseur radi­cal l'achètera. Bien d'église ne porte pas bonheur. Dieu aura son tour. Il expulsera, frappera et ruinera.

J'offre mes condoléances au vénérable abbé dom Sébastien Wiart, l'ancien capitaine Wiart des zouaves pontificaux.

Ce vieux chevalier pleurera et pardonnera. Dieu se réserve le châti­ment.

III. AUTRES PAYS

En pays protestants. - Pendant que la pauvre Eglise de France est ravagée, comme la vigne sur laquelle pleure le divin vigneron dans les récits de Jérémie, les catholiques disséminés en pays protestants gardent toute la vitalité de leur foi. Nous en trouvons une preuve dans un récent compte rendu des conférences de saint Vincent-de-Paul.

En Hollande, où le calvinisme a la majorité, la Société de saint Vincent-de-Paul compte aujourd'hui cent quatre-vingt-six conférences; le nombre des membres actifs est de trois mille deux cent quatre-vingt quatorze qui ont visité, en 1891, huit mille neuf cent cinquante neuf fa­milles indigentes.

L'éducation de l'enfance est une des grandes œuvres de la société. Heureusement les catholiques des Pays-Bas jouissent d'une grande li­berté religieuse; leurs écoles libres reçoivent, depuis une dizaine d'an­nées, un subside de l'Etat.

En 1901, la société a placé neuf cent vingt-six enfants de familles indi­gentes dans de bonnes maisons d'éducation. A Amsterdam, les autorités judiciaires confient les jeunes gens catholiques condamnés à des peines correctionnelles, à un établissement spécialement érigé dans ce but par les Conférences; et le gouvernement actuel leur fait espérer que cette Œuvre recevra aussi un subside de l'Etat.

Les recettes de la société, dans les Pays-Bas, se sont élevées, en 1901, à fr. 1, 442, 488.

A Hambourg, les noces d'or de la Société ont donné lieu à une impo­sante manifestation de foi catholique. Un service divin, pendant lequel un Père Dominicain fit entendre son éloquente parole,réunit une assi­stance nombreuse de confrères en l'église Saint-Michel.

Le soir les catholiques de la ville accoururent en foule et remplirent, au nombre de deux mille, l'immense salle où se tenait l'assemblée géné­rale. Une profonde émotion s'empara de l'auditoire, lorsque se leva le R. P. Bonaventure dominicain: c'était la première fois, en effet, depuis la Réforme, qu'un religieux de cet ordre, revêtu de son costume reli­gieux, allait prendre la parole à Hambourg. L'enthousiasme fut à son comble, lorsque le brillant orateur quitta la tribune et que l'assemblée exécuta le chant: «Grand Dieu, nous te remercions!».

La ville de Hambourg, dont la population catholique est de trente mille âmes, compte sept conférences de saint Vincent-de-Paul, dont trois cent soixante-dix membres actifs, qui ont distribué, en 1901, à trois mille neuf cent quatre-vingts familles plus de cent soixante-sept mille francs de secours.

La belle œuvre des conférences est française d'origine. Dieu nous en tiendra compte dans sa miséricorde.

Le centre Allemand. - C'est au printemps prochain que doivent avoir lieu les élections pour le Reichstag allemand. Le centre catholique, selon toute vraisemblance, gardera ses positions, grâce à la politique aussi loyale qu'habile tenue par lui dans la grande question des tarifs doua­niers.

Jamais mieux qu'en cette grave circonstance n'est apparu le grand rô­le politique que tient le parti catholique dans l'Allemagne moderne. Au Reichstag, les groupes de droite: conservateurs et nationaux-libéraux, comptent ensemble environ cent trente députés; ceux de gauche: pro­gressistes et socialistes, une centaine. Le restant des trois cent quatre­vingt dix-sept sièges du Parlement est occupé par les élus des petits Etats et par le Centre, fort actuellement de cent trois députés.

Dans la question des tarifs, droite et gauche étaient en conflit flagrant. L'une réclamait de fortes majorations de droits en faveur de l'agricultu­re. L'autre s'y opposait systématiquement. C'est donc le Centre qui était appelé à faire pencher la balance, en plaçant dans l'un ou l'autre plateau le poids de ses cent trois mandats.

La situation était assez critique pour le parti catholique. Car tandis que les socialistes ne représentent guère que le prolétariat, et les conser­vateurs que les régions rurales, le Centre recrute ses électeurs dans tou­tes les fractions de la population. Ses membres sont élus par des arron­dissements purement agricoles, comme par de grandes villes modernes, telles que Cologne et Dusseldorf, et par de vastes agglomérations indu­strielles comme Essen.

Nobles, bourgeois, paysans et ouvriers se pressent à la fois dans les rangs du centre. Il suit de là que très divers sont les intérêts que le parti catholique est appelé à défendre et qu'il lui est souvent malaisé d'adop­ter une ligne de conduite politique donnant satisfaction à tous les grou­pes de ses électeurs. C'est cependant à cette unité de vues et d'action que le Centre a pu parvenir dans la question des tarifs douaniers.

Toutes les régions agricoles de l'empire réclamaient avec instances une majoration des droits protecteurs. Et le Centre ne pouvait, sans mé­contenter une très grande partie de ses électeurs, leur refuser cette sati­sfaction. Mais il s'agissait pour les catholiques de ne pas affaiblir leurs chances de succès dans ces nombreux arrondissements industriels, ceux des bassins de la Sarre et de la Ruhr notamment, où ils luttent avec acharnement contre les libéraux d'une part et les socialistes de l'autre.

Aussi le Centre subordonna-t-il à deux conditions son vote favorable à l'augmentation des droits d'entrée: la suppression des octrois urbains sur les produits alimentaires et l'affectation des sommes provenant de la majoration des tarifs sur les blés, à la création et l'alimentation d'un fond d'assurance en faveur des veuves et orphelins. De cette façon la classe ouvrière sera dédommagée du tort que pourra lui causer la hausse des produits agricoles.

C'est sur cette base que s'est réalisé le compromis entre le gouverne­ment et les groupes de la majorité. A la suite des assurances contre les accidents, les maladies et l'invalidité, une quatrième assurance ouvrière s'introduit donc dans la législation impériale. Et le Centre, en faisant adopter cette institution nouvelle, a justifié une fois de plus son caractère de grand parti social.

Mais les soucis de la politique économique ne font pas oublier au parti catholique la défense des intérêts religieux. Et, en ce domaine aussi, de notables succès viennent couronner actuellement ses efforts. L'ère du Kulturkampf est depuis longtemps close en Allemagne. A peine, de cet édifice de persécution et de haine, quelques pierres subsistent-elles enco­re, telle la loi sur les jésuites, qui vraisemblablement, ne tardera pas à disparaître aussi.

Contraste. - Les journaux anglais annoncent que l'évêque catholique de Plymouth a posé la première pierre d'un monastère pour les Trappi­stes de France.

L'évêque était accompagné de l'abbé de Milleraie et du Père prieur venu de France. Le nouvel édifice coûtera cent mille francs.

Dieu transporte ailleurs les grâces dont un pays ne veut pas profiter.

CHRONIQUE (Mars 1903)

I. ROME

Les embellissements de la nouvelle capitale. - A propos des tra­vaux qui se font là-bas un de nos jeunes théologiens nous écrit:

Le fameux monument de Victor Emmanuel au Capitole, le Monumen­to par excellence n'avance pas. On prépare cependant des matériaux dans les chantiers environnants.

Au forum, on continue les fouilles et l'on met à jour tout un réseau de petits canaux souterrains qui convergent vers la Cloaca maxima et qui re­montent aux siècles primitifs de la vieille Rome.

Les travaux du palais de justice avancent rapidement. Les façades la­térales sont dégagées, la grande façade du quai l'est en partie. C'est un édifice énorme et assez lourd, où l'Etat a prodigué les millions pour faire voir que ses œuvres rivalisent avec la basilique de Saint-Pierre. Rien n'est plus propre à rappeler la fable du bœuf et de la grenouille. Ce bœuf majestueux, aux formes puissantes, ce type de la force calme, con­fiante en elle-même et dédaigneuse des provocations, c'est l'œuvre de Michel-Ange et de Raphaël, c'est la grande basilique, qui a bien des ri­vales pour la perfection esthétique, mais qui n'en a pas pour la majesté, la grandeur, la dignité. C'est le roi des monuments sortis de la main des architectes.

La grenouille qui se gonfle, étouffant d'envie pour rivaliser avec ce bœuf, c'est ce palais de justice, qui depuis vingt ans entasse étages sur étages, Pélion sur Ossa, pour grandir, grandir toujours. C'est un cube énorme et sans saillies, à façades monotones, aux sculptures grasses comme celles des âges de décadence. Cela ne vaut même pas l'édifice in­dien et baroque élevé par les bruxellois pour la même destination. Il eût fallu pour utiliser tant de millions la main délicate de Francis Garnier, qui a écrit le grand opéra de Paris comme on écrit un poème.

La nouvelle synagogue, au bord du Tibre, s'élève rapidement. Le gros œuvre est à peu près achevé. Elle est toute en briques, ce qu'on ne voit guère à Rome, et dans un style qui a des réminiscences arabes. Les juifs affirment leur puissance à Rome.

L'île de Saint-Barthélemy n'est plus ensablée. On a creusé profondé­ment le bras gauche du Tibre, et le fleuve aux blondes eaux coule main­tenant allègrement des deux côtés. Espérons que ce sera durable et que Rome ne verra plus se reformer une mare au beau milieu de la ville.

Le tunnel du Quirinal est livré à la circulation. Il a une belle largeur. Le tramway passe maintenant sous les jardins du palais royal. Il conduit de Saint-Pierre à la gare. C'est un progrès. Le tunnel abrite aussi sous ses larges voûtes de beaux trottoirs et une route de voitures.

J'ai réservé le meilleur pour la fin. C'est la basilique de Saint-Joachim qui s'achève. Toutes les chapelles se décorent l'une après l'autre de peintures, de mosaïques et de marbres en hommage de réparation au Saint-Sacrement de l'autel et de dévouement au vicaire de Jésus-Christ.

La Revue a décrit autrefois les chapelles de la Hollande, de la Polo­gne, des Etats-Unis et de l'Angleterre, qui sont ravissantes.

Celles de l'Amérique du Sud, de l'Allemagne, du Portugal et du Ca­nada ont encore leurs parois toutes nues.

Celles de l'Italie, de la Belgique et de l'Irlande s'achèvent, mais elles ne sont pas encore découvertes.

Visitons celle de la France. Elle exprime assez bien notre histoire reli­gieuse. L'autel portera une belle statue du Sacré-Cœur. On y a mis pro­visoirement Notre-Dame de Pellevoisin, je ne sais dans quelle intention. A droite et à gauche de l'autel, saint Martin et saint Louis sont là comme nos deux grands saints populaires. Sur la paroi qui fait face à l'autel, les fresques représentent saint Remy baptisant Clovis, saint Vincent de Paul, le type de la charité française, et saint Bernard le doux contempla­tif, précurseur de la dévotion au Sacré-Cœur. Un rouleau qu'il tient à la main porte ces paroles bien choisies: Et ego inveni Cor amici benigni Jesu. - J'ai trouvé le Cœur aimable et bon de Jésus. Le vitrail représente l'ap­parition de Notre-Seigneur à Marguerite-Marie. Sainte Geneviève et sainte Chantal accompagnent le vitrail. Des médaillons, dans le haut, nous présentent Jeanne d'Arc et saint Benoît Labre.

Au lieu d'une modeste chapelle, il eût fallu tout un monde pour y pla­cer tous nos grands saints de France. Il y manque Hilaire, Irénée, De­nis, Quentin, Yves, Eloi, Bruno, Clotilde et cent autres. J'y regrette sur­tout saint François de Sales, qui est bien nôtre aussi.

Mais le signe d'espérance est là et supplée à tout, le Sacré-Cœur qui a beaucoup aimé et qui aime encore beaucoup ce pauvre peuple de Fran­ce… si bon… et si méchant.

II. FRANCE

Tyrannie. - Avez-vous visité Syracuse? Il y avait là, aux temps an­ciens, un roi nommé Denis. Un roi se disait tyrannos en grec, mais la fa­çon dont le roi Denis exerça la royauté changea le sens du mot tyran. Ce mot n'exprima plus seulement l'idée de la royauté, mais il y ajouta celle d'une cruauté raffinée. C'est ainsi que notre gouvernement compromet le beau mot de république en en faisant l'expression d'un régime d'op­pression et de tyrannie.

Le roi Denis avait vaincu et cerné les Athéniens, commandés par Ni­cias. Il voulait se défaire de ses captifs en les livrant à une mort dont le récit répandrait la terreur. Il les fit enfermer par milliers dans de vastes carrières qu'on appelait les Latomies. Pendant huit mois toutes ces vies humaines se consumèrent là dans les supplices de la faim, de la soif et d'une chaleur intolérable. Denis se plaisait, dit-on, à entendre les gémis­sements et les plaintes de ses victimes. Il avait inventé pour cela un télé­phone unique en son genre. Les entailles de la grande carrière se termi­naient dans le haut par une sorte de spirale qui aboutissait près d'une villa du tyran. La spirale était comme une oreille colossale qui portait là­haut les cris et les pleurs des victimes. L'oreille de Denis a survécu à tous les siècles, elle est toujours un merveilleux instrument d'acoustique. Je l'ai expérimentée à Syracuse.

Dans ces dernières années, on a comparé plusieurs fois aux Latomies de Syracuse les camps de concentration du Transvaal, où les Anglais en­tassaient des femmes et des enfants qui mouraient par milliers.

Nos doux ministres ont inventé aussi leurs camps de concentration, pour y entasser les vaincus. Ils chassent des milliers de sœurs de leurs couvents, vingt mille, trente mille, et ils iront au-delà, et ils disent à ces victimes: concentrez-vous dans vos maisons-mères. Ces maisons sont in­suffisantes, que leur importe! On était les uns sur les autres aussi dans les Latomies. Beaucoup de ces sœurs manquent du nécessaire. Qu'im­porte! Il faut les concentrer d'abord pour les contraindre à l'exil ou à la sécularisation. Sans doute toutes ne mourront pas, mais toutes souffrent et gémissent, et nos vainqueurs d'aujourd'hui, qui entendent leurs plaintes et qui voient leurs larmes, n'en ont pas plus de compassion que n'en avait des Athéniens le doux roi de Syracuse.

Laissons passer la justice de Dieu. Saint Paul disait au Galates: Qui­conque trouble la paix de vos âmes subira le jugement de Dieu. - Qui auteur conturbat vos portabit judicium, quicumque est ille. Dieu est patient, at­tendons son heure.

Les travaux du Sacré-Cœur de Montmartre. - La façade de la ba­silique du Sacré-Cœur qui, jusqu'ici, n'avait guère reçu d'autres déco­rations que celles provenant de sculpteurs ornemanistes, va sous peu être enrichie de plusieurs bas-reliefs, commandés depuis hier à des maîtres de la sculpture moderne. Deux bas-reliefs y prendront place, l'un la Sa­maritaine et le Seigneur, de M. Anbré d'Haudain; l'autre, la Madeleine chez Simon, de M. Louis-Noël.

Les porches ne seront pas oubliés: les tympans de ceux-ci recevront trois bas-reliefs, le Coup de lance de Longin, de M. Barrias; Moise frappant la pierre du désert, de M. Fagel, et Saint Thomas mettant les doigts dans la plaie du Seigneur, de M. Hippolyte Lefèvre, le jeune statuaire plein de talent, qui obtint au Salon dernier la médaille d'honneur de sculpture avec ses Jeu­nes aveugles.

Enfin, dans la niche qui est au dessus du porche principal, sera placée une statue du Sacré-Cœur, due au ciseau de M. Michel.

III. AUTRES PAYS

Allemagne. - Nous avons souvent préconisé dans notre chère Re­vue, les associations professionnelles, que Léon XIII, a signalées comme pouvant aider à enrayer le socialisme. Elles se développent rapidement en Allemagne.

Il y faut signaler au premier degré les corporations propres à chaque mé­tier, et qui peuvent devenir obligatoires depuis la loi de 1897, pour tous les hommes du même métier dans une circonscription, quand la majorité le demande. L'empire allemand compte déjà plus de douze mille corpora­tions. Les corporations allemandes d'aujourd'hui rappellent celles du moyen-âge sauf qu'elles excluent ordinairement le monopole. Elles ont pour but l'entretien de l'esprit de corps, de l'honneur professionnel, le soin des intérêts communs d'ordre moral et matériel, l'établissement de bons rapport entre patrons et ouvriers, l'institution de tribunaux arbi­traux, etc.

Les banques populaires de crédit ont pris également un développe­ment magnifique en Allemagne sous les deux noms de Banques Schulze­Delitch et de Caisses Raiffessen. Les premières se sont formées davanta­ge dans les villes et les secondes dans les campagnes.

Une autre institution, non moins intéressante, est celle des Chambres des métiers (Handwerks-Kammer) réglementées par la loi du 27 juillet 1897. Ces Chambres sont fondées pour représenter les intérêts de la peti­te industrie de leur circonscription. Il ne s'agit pas comme dans la corpo­ration, d'un organe propre à un seul métier, ou à quelques métiers simi­laires mais d'un organe commun à l'ensemble des métiers d'une même région. L'élection des membres de la Chambre des métiers est faite par les corporations, soit libres, soit obligatoires.

La mission très large de ces Chambres de métiers est indiquée en ces termes par la loi elle-même: «Régler l'apprentissage et veiller à l'obser­vation des règles imposées; éclairer les autorités de l'Etat et des commu­nes par des communications et représentations sur les questions qui inté­ressent la petite industrie, créer toute organisation qui pourrait dévelop­per le sentiment professionnel, technique et moral chez les maîtres, com­pagnons et apprentis; instituer et subventionner des écoles profession­nelles».

Voilà certes des éléments de prospérité et de moralisation, et la reli­gion y peut trouver son compte.

Et pendant que les nations voisines s'organisent, nous, nous faisons de la politique et de la franc-maçonnerie!

CHRONIQUE (Avril 1903)

I. ROME

Les Romains clôturent dignement les fêtes jubilaires.

Les 20, 21 et 22 février, un Triduum solennel d'actions de grâces a été célebré dans la basilique des Douze-Apôtres, par les soins de l'associa­tion des curés de Rome.

Un second Triduum, les 6, 7 et 8 mars, a été prêché au Gesù par les orateurs les plus renommés: R. P. Zocchi, Mgr Radini-Tedeschi, le car­dinal Satolli.

Le 5 mars, dans la basilique des Douze-Apôtres, a eu lieu une acadé­mie solennelle, littéraire et musicale. Le cardinal Ferrata a prononcé le discours; dom Perosi a dirigé la partie musicale.

Les journées les plus importantes ont été le 20 février et le 3 mars. Le vingt-cinquième anniversaire de l'élection, le 20 février, a été célé­bré à Saint-Pierre par d'émouvantes cérémonies religieuses. Le matin, le cardinal Rampolla a chanté la messe d'actions de grâces. Le soir un Te Deum triomphal exprimait la reconnaissance de tout un peuple ému ju­squ'aux larmes.

Ce même jour, à midi, a eu lieu, dans la salle des Béatifications, la re­mise à Léon XIII des présents offerts par les fidèles du monde entier. Le cardinal Vicaire, au nom de tout l'épiscopat catholique lui présen­ta la tiare d'or; le comité des fêtes, les offrandes recueillies pour la re­stauration de Saint Jean de Latran, la cathédrale de l'évêque de Rome; le cardinal Ferrari, au nom des catholiques lombards, offrait une mé­daille d'or grand module; et le cardinal de Ferrare, les clefs d'or avec le denier de Saint-Pierre des évêques d'Italie.

Le 3 mars a été le grand jour, le jour incomparable. Ce n'était plus seulement le cardinal Secrétaire d'Etat qui officiait à Saint-Pierre, le Pontife bien aimé, Léon XIII, se montrait lui-même à ses enfants, beau comme un patriarche, saint comme un martyr, ému comme un père que ses enfants acclament.

C'est la digne conclusion de tout une année d'hommages rendus au glorieux Pontife, au vénérable Vicaire du Christ sur la terre.

Le peuple catholique tout entier a voulu prendre une part très active aux fêtes jubilaires.

L'Italie est accourue par régions; la France n'a pas compté moins de dix pèlerinages particuliers, outre celui de l'association de la jeunesse catholique, outre les trois grands pèlerinages organisés au mois de sep­tembre par celui que le Pape se plaît à appeler le Bon Père, M. Harmel. Ce fut ensuite tour à tour, Belges, Hongrois, Mexicains, Transylva­niens, Australiens, Polonais, Bavarois, Américains du Nord, Espagnols, Autrichiens, Anglais, Orientaux, Maronites, Chaldéens, Indiens, Amé­ricains du Sud, de l'Argentine et de l'Urugay, Irlandais, Ruthènes, Hol­landais, Croates, Canadiens, etc. La réception des Maronites, et des Chaldéens fournit au Pape l'occasion d'insister sur l'union des Eglises.

Pour le premier mois du jubilé, les musées du Vatican accusaient 30,000 entrées et, au commencement de novembre, 100,000 visiteurs de plus qu'en 1901.

Les gouvernements obéirent à l'impulsion; c'était comme un souffle d'en haut, entraînant les volontés les plus rebelles, et imposant aux Etats les plus teintés de laïcisme, l'hommage public au Vicaire de celui qui est le roi immortel des siècles!

Le début de l'année fut marqué par les réceptions des missions ex­traordinaires envoyées au Pape par les chefs d'Etat; parmi eux, l'empe­reur d'Allemagne, le roi d'Angleterre, le président des Etats-Unis qui avait chargé de ce soin le président de la commission américaine pour les Philippines; voire même le sultan, qui avait prié le patriarche des Maro­nites de féliciter le Pape en son nom.

La plupart de ces chefs d'Etat attestèrent leurs bonnes volontés par des présents royaux. Rappelons les Gobelins de France, la pandule en porcelaine de Saxe de Guillaume II, le calvaire en marbre précieux, et le riche tapis d'Espagne aux armes du Pape, et le bon pasteur en or de l'empereur François Joseph… Présents plus riches encore par leur signi­fication que par le précieux du métal ou la perfection de l'œuvre.

Comme toujours un chef d'Etat est à l'écart de ce concert universel; celui qui, de son palais, par delà le Champ-de-Mars, doit subir impéni­tent la vue du Temple qui l'importune, et dont la coupole lui redit l'im­mortalité de la tiare toute resplendissante des feux du couchant.

Mais comme toujours aussi, Rome, durant cette année jubilaire a ma­nifesté avec éclat son attachement à son vrai souverain, à celui qui con­serve seul à la «Ville» sa place à la tête du «Monde», Urbs caput orbis.

A vrai dire, les fêtes jubilaires furent surtout des fêtes des Romains. Au premier jour du jubilé, le 20 février 1902, mêlés aux pèlerins et aux étrangers résidant à Rome, leur foule remplissait la basilique vatica­ne pour le chant du Te Deum. Ils s'étaient succédés nombreux devant le Saint-Sacrement exposé depuis le matin, et quand, après la bénédiction donnée par le cardinal Rampolla, leurs flots se déversèrent de la basili­que sur l'immense place Saint-Pierre, ils purent acclamer le Pape appa­raissant à la troisième fenêtre de son palais.

Le 3 mars suivant fut comme celui de 1903 une journée inoubliable, un avant-goût des spectacles du ciel, tels que seule peut en donner la Ville-Eternelle…

Le Pape tint chapelle papale; son trône était dressé sous la chaire de Saint-Pierre. S. Em. le cardinal Séraphin Vannutelli célébra pontificale­ment la messe; et le cardinal assistant au trône papal était le successeur de saint Remi.

Mais la fête vraiment romaine fut celle du dimanche 6 juillet. Une foule de 40,000 personnes remplit la cour intérieure du Belvédère accla­mant le Pape pour qui avait été construite une somptueuse loggia, et chantant l'hymne composée pour la circonstance.

A midi, 1,500 pauvres de divers quartiers de Rome avaient été fêtés, dans un grand banquet au réfectoire du Belvédère.

Le ler juin précédent, le Pape avait béni la grotte de Lourdes érigée dans son jardin près de son casino d'été; Mgr Schœpfer avait eu la bon­ne pensée de traduire ainsi le présent jubilaire de la madone de Lourdes au Pontife du Rosaire.

L'un des derniers dimanche d'automne, la grotte romaine de Massa­bielle vit à ses pieds un nombreux pèlerinage de ces enfants contre le­squels la secte multiplie dans Rome ses manœuvres abominables.

Les fêtes jubilaires auront un dernier écho le 28 avril, jour où Léon XIII atteindra les années du pontificat de saint Pierre à Rome. Ajoutons enfin, qu'à une date qui n'est pas encore fixée, le monde du travail offrira à son tour au Pape des ouvriers le tribut de sa reconnais­sance. Les travailleurs italiens s'y sentent tenus par une reconnaissance spéciale pour les encouragements que le Pape prodigua en cette année de son jubilé à la démocratie chrétienne, soit directement dans ses lettres et allocutions, soit indirectement par l'impulsion décisive donnée à l'œuvre des congrès.

Ce tribut d'ailleurs sera tout filial: la société romaine artistico-operaia qui a pour protecteur très actif, comme on le sait, S. Em. le cardinal Fer­rata, a pris l'initiative d'un plébiscite des travailleurs. Individuellement et collectivement, ils sont invités à mettre leurs noms sur une protesta­tion de dévouement à Léon XIII. L'appel est adressé aux étrangers com­me aux italiens. Ceux qui le peuvent, y joignent une modique obole.

L'argent reçu servira en partie à élever sur l'une des places qui avoisi­nent Saint Jean de Latran, un monument à Léon XIII, Pape des ou­vriers. L'idée de ce monument vient d'être arrêtée: ce sera un ouvrier en habits de travail tenant haut et ferme la croix. Autour du piédestal, se­ront gravées, sur des tables de bronze, les Encycliques sociales de Léon XIII.

Ce sera l'affirmation définitive et indélébile de la démocratie chrétienne. C'est le présage du triomphe prochain de l'Eglise, la grande bienfaitrice des masses populaires.

II. FRANCE

Le programme. - Quelques braves gens nous disent: «Pourquoi les ca­tholiques ont-ils pris parti contre Dreyfus? La persécution actuelle est une revanche des juifs. - Pourquoi les prêtres et les religieux ont-ils fait opposition à la République? Les républicains sont obligés de les mâter».

O naïveté des braves gens! O roublardise des francs-maçons! La cause de la persécution n'est pas là du tout. Les catholiques s'embarrassent bien de M. Alfred Dreyfus! La plupart suivent cette affaire avec l'atten­tion superficielle qu'on prête à toutes les affaires judiciaires. S'ils pren­nent parti, c'est pour la chose jugée, comme il convient à d'honnêtes ci­toyens. Que les intéressés fassent réviser le jugement par un tribunal compétent, et les catholiques accepteront la révision comme ils ont ac­cepté la condamnation. Que voulez-vous qu'ils fassent d'autre!

Il n'est pas plus vrai de dire que le clergé n'a pas accepté la républi­que. Il y a longtemps que le ralliement des neuf-dixièmes du clergé est une affaire faite. Les curés bretons font élire des députés ralliés. La gran­de pétition des 72 évêques était un acte manifeste de ralliement. On sait que trois évêques (trois sur quatre-vingt!) qui gardent des attaches mo­narchistes, hésitaient à la signer.

Non, les vrais motifs ne sont pas là. La guerre actuelle contre l'Eglise date de 1878. L'affaire Dreyfus n'était pas née.

Le vrai motif, c'est le secret de Polichinelle, c'est la haine judéo­maçonnique contre la religion du Christ. Le but final de cette campagne n'est pas de républicaniser l'Eglise, c'est de la détruire.

Avez-vous donc oublié le plan de la campagne, naïvement divulgué dès 1883 par un chef de file de la maçonnerie, M. Paul Bert? Il faut le relire. C'était le 31 mai de l'année 1883. M. Paul Bert déposait sur le bureau de la Chambre un rapport écrit par lui au nom d'une commission parle­mentaire dont il était le président, sur un certain nombre de projets et propositions, qui, tous et toutes, étaient une déclaration de guerre plus ou moins directe aux institutions de l'Eglise. Le rapport formulait le plan général de cette guerre. C'est une projection électrique qui éclaire la marche nocturne de l'ennemi.

Séparation de l'Eglise et de l'Etat, dénonciation du Concordat, sécu­larisation, disons le mot, confiscation des biens du clergé séculier et ré­gulier. M. Paul Bert confesse que tel est bien le but poursuivi par l'effort commun de l'anticléricanisme et de l'opportunisme. La réalisation n'est qu'une question de temps: «Le mouvement naturel des civilisations mo­dernes, écrit-il, pousse les sociétés à la séparation. Un jour, les concor­dats iront rejoindre dans l'oubli les constitutions civiles du clergé et les religions… Mais les conditions actuelles dans lesquelles l'Eglise vit et se meut s'opposent à la réalisation de ce principe logique». L'Eglise est en­core trop forte, elle se relèverait de ce coup. «Avant trente ans, cette Eglise rayée du budget de l'Etat, chassée de ses presbytères et de ses temples, mais laissée libre à elle-même, aurait reconquis les situations dont on l'aurait dépouillée». Que faire donc? «Commençons par chan­ger ces conditions, pour préparer le triomphe futur de l'idée que nous combattons aujourd'hui. Commençons par enlever à l'Eglise l'autorité factice qu'elle a prise sur le pays. Exigeons d'elle l'obéissance aux pre­scriptions concordataires qu'elle a stipulées elle-même. Enfin, attendons le jour où l'éducation publique, et particulièrement celle des femmes, ait préparé des esprits capables de supporter avec fermeté la période d'éta­blissement de la liberté religieuse».

Le Concordat, voilà le lien duquel le rapport disait par euphémisme:

«Ce n'est pas un câble à trancher, c'est un nœud à dénouer». Oui, mais après en avoir serré le cou de l'Eglise jusqu'à l'étrangler. Le procédé, comme il l'explique, consistera à appliquer strictement à cette Eglise, soit les articles du pacte concordataire, soit les articles organiques qui en sont l'émanation naturelle, si étroitement qu'ils ne laissent plus passer un souffle de liberté. En principe donc sera considéré comme anticon­cordataire, et annulé comme tel, tout ce qui a été fait ou concédé depuis 1801, de manière à ramener l'Eglise de France restaurée à l'exiguïté de vie de son berceau. Anticoncordataire le traitement des archevêques et des évêques au dessus de 15 et 10,000 francs. Anticoncordataire le traite­ment des vicaires et des desservants. Anticoncordataires les trente sièges épiscopaux que la loi de 1821 a ajouté à ceux de 1801. Anticoncordataire le budget des cultes, dans tout ce qui excède le chiffre primitif de 1,250,000 francs. Anticoncordataire la jouissance des bâtiments de l'Etat, évêchés, grands séminaires, etc. Anticoncordataire la dotation des chanoines et celle des grands séminaires. Anticoncordataire l'exemp­tion du service militaire, concédée par Bonaparte, mais non exigée par Pie VII comme condition du Concordat. Anticoncordataire l'exhibition de ces insignes religieux arborés par l'Eglise dans les hôpitaux, les tribu­naux, les écoles, pour y constater et y consacrer sa domination. Anticon­cordataires ces lois scolaires «qu'à l'abri du grand nom de liberté l'Eglise a fait voter sous des régimes postérieurs au Concordat». Anticoncorda­taires l'existence et la reconnaissance de ces congrégations de moines, admis même à l'honneur de l'enseignement public! Je ne fais que résu­mer ou transcrire.

L'exécution totale d'un programme si fourni demandant beaucoup de temps, le rapporteur proposait de se mettre à l'œuvre immédiatement: suppression des bourses accordées aux séminaires, suppression du traite­ment des chanoines par voie d'extinction; retrait de la jouissance des im­meubles de l'Etat accordée aux établissements ecclésiastiques; suppres­sion du traitement aux prêtres réfractaires, etc.

Autant de propositions dont s'était occupée la commission de laquelle M. Paul Bert, avait été le lumineux génie. Plus tard, par les mêmes moyens, l'Eglise étant mutilée, anémiée, privée successivement de cha­cun de ses organes, il n'y aurait plus de difficultés à procéder à sa décapi­tation. C'était l'heure à laquelle «le Concordat irait rejoindre dans l'ou­bli les religions d'Etat et les constitutions civiles du clergé».

- Et la campagne se poursuit. Il faut détruire l'Eglise, non plus avec l'aide de la guillotine comme en 1793, mais en lui passant au cou le lacet d'une législation perfide. L'œuvre s'avance. L'antichrétienne maçon­nerie croit toucher au but. Mais la lime est de fer et le serpent s'y cassera les dents, comme il a fait au temps de l'arianisme, du mahométisme et du protestantisme.

III. AUTRES PAYS

Le protestantisme aux abois en Allemagne. - En présence des odieuses menées d'un certain parti, qui s'efforce de détacher le peuple ca­tholique allemand, de Rome et de ses chefs, il n'est pas sans intérêt d'en­tendre le cri d'alarme que ne cessent de pousser les chefs du protestanti­sme encore croyant. Le pasteur Stocker avoue franchement que la foi est fortement ébranlée. «Nous avons perdu le fondement dans les masses po­pulaires. Pour la vie politique et sociale, Rome tient la place que nous de­vrions occuper. Dans les sciences et dans les hautes classes domine l'incré­dulité; dans la vie du peuple, le socialisme; dans le commerce et l'indu­strie, la juiverie». L'aveu ne laisse rien à désirer. Pour le pasteur Stocker, le protestantisme en Allemagne s'en va tristement, emporté par l'indiffé­rence et l'impiété des uns, la haine et l'usure des autres.

On voudrait reconduire les fidèles et les croyants au temple, car la fré­quentation des églises protestantes est un triste signe des dispositions de la majorité des protestants. Un pasteur en vue écrit dans un journal de Dresde: «Les grandes masses du peuple s'éloignent de plus en plus de l'église; on se contente de s'adresser à l'Eglise et aux pasteurs pour les jours de joie ou de deuil, mais seulement à titre décoratif».

On se demande s'il faut imiter l'exemple du pasteur américain qui, après avoir promis de l'argent à ceux qui viendraient assister aux offices vit son église comble. A Berlin, par exemple, la fréquentation des offices est de 2 à 4% pour les dimanches, et de 5 à 11% les jours de fête. En 1888, sur 5,894 enfants nés de parents protestants, 2,657 ne furent pas baptisés; il y a chaque année 1,000 divorces et les deux tiers des morts sont enterrés sans l'assistance des pasteurs.

C'est un retour vers le paganisme au commencement du vingtième siècle. Les fanatiques qui crient depuis des années: Séparons-nous de Rome! trouveraient ici un vaste champ de travail.

Pour bon nombre d'esprits, bien au courant de la situation, il n'y a pas de remède qui puisse guérir le mal. Il n'y a pas seulement l'une ou l'autre partie malade, c'est le corps tout entier qui dépérit.

Contentons-nous de signaler les plaintes exhalées par un homme émi­nent dans un grand journal:

«Malgré le luxe que déploie l'Eglise évangélique dans la prédication, il faut avouer qu'elle a perdu sa vocation à cet égard. Elle s'efforce d'en­seigner, mais personne ne veut venir pour se faire instruire. De plus en plus, l'enseignement devient un pur formalisme. Le sermon s'est tran­sformé en une véritable mosaïque de textes bibliques et de phrases sté­réotypées.

La plupart des personnes qui vont encore au sermon appartiennent à l'Assistance publique. Pour la quantité et la qualité, l'auditoire est sans valeur; dans certaines provinces du Nord, il est telle ou telle paroisse où il n'y a pas d'office le dimanche, faute de fidèles, et bien souvent le fait se pré­sente deux ou trois dimanches de suite».

La situation ne pourrait donc plus être plus désespérante. Qui sait si, dans un avenir peut-être prochain, on ne poussera pas le cri d'alarme: vers Rome!

CHRONIQUE (Mai 1903)

I. ROME

Prions avec le Pape. - Avec quelle prévoyance lumineuse et quelle admirable piété, Léon XIII a placé, au sommet de ses directions, la né­cessité de la prière. La prière, tous ses actes et tous ses discours en sont dominés, en sont imprégnés! C'est le Rosaire, dont il écrit, dans la chaî­ne d'or de plusieurs Encycliques, un véritable traité doctrinal; c'est le Sacré-Cœur, qu'il présente à l'humanité en désarroi comme l'ancre du salut, le Sacré-Cœur auquel, par un des gestes les plus grands que l'hi­stoire ait connus, il consacre à la fois tout le genre humain; c'est le Christ Rédempteur, c'est la divine Eucharistie, dont il propage infatigablement la dévotion par des Lettres mémorables, où l'autorité du Pontife suprê­me est secondée par un zèle d'apôtre!

Ne nous a-t-il pas aussi ramenés à la vraie source de toute dévotion par son Encyclique sur le Saint-Esprit, qu'il nous invite à honorer, à prier, et à écouter, comme le vrai maître de toute la vie intérieure et le vrai conseiller de nos âmes?

Et que dire de la sollicitude infinie que le Saint-Père a mise à pousser les fidèles dans la milice du Tiers-Ordre, à donner saint Joseph et la sainte Famille en exemple et en protecteurs aux chrétiens de nos jours, à placer entre nos mains, pour lutter contre Satan, la victorieuse épée de saint Michel! Aujourd'hui, enfin, tandis que sa longévité providentielle est l'objet de la gratitude et de l'admiration du monde, Léon XIII se prépare à couronner son œuvre mariale, en ordonnant, pour l'an pro­chain, cinquantième anniversaire de l'Immaculée-Conception, des fêtes plus solennelles encore en l'honneur de la reine des cieux! … Léon XIII est vraiment le Pape de la prière.

Les temps présents sont bien durs, de grandes épreuves menacent l'Eglise. Prions avec Léon XIII. Disons notre chapelet quotidien en union avec lui.

Tristesses royales. - On a joué longtemps au théâtre une pièce inti­tulée «Le roi s'amuse», on en pourrait jouer une autre sous le titre «Le roi s'ennuie». Le héros serait Victor Emmanuel III, roi d'Italie.

Depuis qu'il est sur le trône, Rome est visitée par des foules immen­ses. Les provinces d'Italie viennent tour à tour, conduites par les évê­ques. On vient de toutes les parties du monde et de tous les rangs de la société. En 1900, c'était le grand jubilé, en 1902-1903, ce sont les fameu­ses Années de Pierre de Léon XIII.

Rome ne désemplit pas de pèlerins. Mais tout ce monde se désintéres­se du Quirinal ou lui jette en passant un regard de mépris. Le vrai roi de Rome, c'est Léon XIII. C'est lui qu'on visite, qu'on vénère et qu'on ac­clame.

Victor Emmanuel est mal à l'aise. Un roi auprès du Pape est un petit personnage. Constantin, le premier empereur chrétien l'avait compris. Il céda moralement Rome au Pape. C'est de Milan qu'il publia l'édit en faveur des chrétiens, puis il transféra la capitale à Byzance. C'est là qu'habitèrent les principaux empereurs: Théodose, Arcadius, Justinien. L'empire d'Occident passa au second rang et la plupart de ses titulaires ne se fixèrent pas à Rome. Valentinien I habitait à Trèves. Valentinien II et plusieurs autres séjournèrent à Ravenne. C'est là aussi que s'établi­rent Odoacre avec ses Hérules et Théodoric avec ses Goths.

Quand viennent les Lombards, il y a trois Italies: celle du Nord à Mi­lan, celle des Grecs à Ravenne et celle des Papes à Rome. Charlemagne relève l'empire d'Occident. Ses successeurs, les Carlo­vingiens d'Allemagne et après eux les chefs des familles de Saxe, de Franconie, de Souabe, de Habsbourg portent le titre d'empereurs et rois d'Italie, mais aucun d'entre eux ne songe à s'établir à Rome. Ils sentent trop qu'auprès du Pape un chrétien ne peut être qu'un fils soumis et un disciple.

Les descendants du Comte Vert, les princes du Piémont essaient l'im­possible. Ils veulent rapetisser Rome au rôle de capitale d'Italie. Elle est plus que cela, elle est la capitale du monde chrétien. Ils veulent faire du Pape leur sujet, mais les catholiques du monde entier ne peuvent pas obéir à un sujet du roi d'Italie.

Florence capitale était l'idéal. C'était déjà bien beau pour les Piémon­tais, qui ont toujours été les Béotiens de l'Italie. La franc-maçonnerie leur a fait faire une gaffe.

Puissent-ils se raccrocher à Florence, quand la Providence les renver­ra de Rome!

II. FRANCE

Les expulsions. - L'orage passe sur l'Eglise de France. Dix-mille religieux enseignants, trois mille religieux prédicateurs doivent s'en al­ler, en attendant l'exil de cent mille religieuses et la ruine du clergé sécu­lier.

Que faire? Prier, réparer, travailler quand même, stimuler de loin toutes les bonnes volontés, écrire des livres vengeurs.

Nous recommandons la lecture de l'Oblat, un bon livre de Huysmans. L'auteur est un artiste de la plume, il peint si bien! Il nous donne du modern-style qui n'a rien de baroque, rien de chinois, de contourné, de ro­coco. C'est du bon français rajeuni par quelques vieux mots et par quel­ques expressions nouvelles qui sortent vraiment des entrailles de la lan­gue et qui s'acclimateront facilement.

L'Oblat, c'est lui-même, car il est devenu oblat ou tertiaire bénédictin depuis sa conversion.

Il nous décrit la belle vie monastique, la vie des séraphins du cloître, la louange de Dieu dite par les virtuoses de la liturgie et du chant. C'est un coin du paradis qu'il décrit.

Puis il nous fait assister au vote de la loi de 1901 et au départ doulou­reux des Bénédictins dont il était devenu le frère et l'acolyte.

L'Oblat est donc atteint par l'exil des religieux. Il s'était fixé auprès d'un monastère pour jouir des offices, de la bibliothèque, de la compa­gnie et de la direction des moines. Le voilà tout désemparé et comme or­phelin.

On a vingt-quatre heures pour maudire ses juges, surtout quand ils sont iniques. Il ne s'en prive pas, il tape dur. Il joint le marteau au sif­flet.

Ah! ce qu'il arrange cette majorité de votants du 1er juillet 1901! Et comme cela tombe d'aplomb aussi sur les trois cents du 18 mars! «Quand on songe, dit-il, que quelques gueux, élus Dieu sait com­ment, à l'aide de quelles manigances, dans quels bas-fonds, vont cruci­fier l'Epouse, ainsi que les juifs ont naguère crucifié l'Epoux!

C'est la passion de l'Eglise qui commence; rien n'y manque; tout y est, depuis les clameurs et les blasphèmes des galope-chopines de l'Extrême-gauche, jusqu'à cet ancien élève des jésuites, ce judas qui a nom Trouillot, jusqu'à ce nouveau Pilate qu'est Loubet…».

Nous aurions dit cela en termes plus courtois, évidemment. C'est un laïque qui parle, et puis, après tout, si on lui disait que sa langue n'est pas très parlementaire, il pourrait soutenir qu'elle l'est au contraire ex­cellemment, car cette langue verte est bien celle qui tend à dominer dans tous les parlements d'Europe depuis dix ans.

Et comme il habille le Sénat! «Tout le monde convenait, dit-il, que les séniles matassins du Luxembourg ne valaient pas mieux que les perni­cieuses malebêtes de la Chambre. Tous étaient les leudes perdiablés des Loges; il n'y avait rien de propre à attendre d'eux».

Et la presse maçonnique! «Elle poussait, dit-il, furieusement à la roue, exigeait du Gouvernement qu'il exterminât les écoles congréganistes et dispersât, en attendant mieux, les cloîtres; et les diatribes sur les jésuitiè­res, sur les milliards des frocards et des cornettes, se succédaient sur un style de voirie, ou une langue de terrain vague. Il est impossible que les vassaux de ces éviers ne soient pas des roussins ou des adultères, des dé­froqués ou des larrons, car l'étiage de la haine contre Dieu est, pour cha­cun de ces gens, celui de ses propres fautes; n'exècre l'Eglise que celui qui craint ses reproches et ceux de sa conscience. Ah! si l'on pouvait ou­vrir l'âme de ces Homais en délire, ce qu'on découvrirait, dans l'amal­game de leur fumier, de péchés, d'extravagants composts!».

L'Oblat n'a d'ailleurs que trois ou quatre pages de ce gros sel, à côté de longs chapitres où s'étalent gracieusement les beautés de la liturgie.

Il dépeint bien, en finissant, l'appartement qui l'attend à Paris loin du monastères. «Au lieu d'une propriété paisible, je vais retrouver les boîtes à dominos d'une maison commune, avec menace, en dessus et en des­sous, de femmes s'hystérisant sur des pianos et de mioches roulant avec fracas des chaises pendant l'après-midi et hurlant, sans qu'on se résolve à les étrangler, pendant la nuit; l'été, ce sera la chambre de chauffe, l'étouffoir; l'hiver, en place de mes belles flambées de pins, je considère­rai par un guichet de mica du feu en prison qui pue. En fait d'horizons, j'aurai sans doute un paysage de cheminées. Bah! je m'étais jadis habi­tué aux futaies des tuyaux de tôle poussées dans le zinc des toits sur le fond saumâtre des temps gris. Je m'y raccoutumerai; c'est un courant à reprendre».

L'Oblat finit toujours par un sursum corda, par une pensée de foi. «Et puis, dit-il, on a bien des choses à expier. Si la schlague divine s'apprête, tendons le dos; montrons au moins un peu de bonne volonté… Ah! mon cher Seigneur, donnez-nous la grâce de ne pas nous marchander ainsi, de nous omettre une fois pour toutes, de vivre enfin n'importe où, pour­vu que ce soit loin de nous-mêmes et près de Vous!».

Tristement aussi l'Oblat fait remarquer que tous ces cloîtres en­voyaient à Dieu, sans interruption, des supplications qui arrêtèrent son bras prêt à s'appesantir sur la France. La nuit même la prière ne s'arrê­tait pas dans les monastères contemplatifs.

Après les Complies, qui se terminent à 8 heures ou 8 heures et demie chez les Bénédictins, le service divin recommençait, avec les Matines et les Laudes; de 8 heures et demie à 10 heures chez les Bénédictines de la Congrégation de France; de 9 heures à 11 heures chez les Carmélites; de 11 heures à 1 heure chez les Clarisses; de 11 heures à 1 heure et demie chez les Chartreux; de 2 heures à 4 heures chez les Trappistes, les Trap­pistines, les Bénédictins de la primitive observance, les Bénédictines du Saint-Sacrement.

A 4 heures, l'office reprenait chez les Bénéedictins de la Congrégation de France.

Il faudrait citer encore les Norbertines, les Calvairiennes, etc.

Mais bientôt la prière va cesser partout, du moins la grande prière des cloîtres, l'austère prière des nuits. Et alors, qui arrêtera le bras de Dieu?

III. AUTRES PAYS

Italie: Progrès de la démocratie chrétienne. - C'est dans toute l'Italie un travail assidu d'organisation. Les évêques sont à la tête du mouvement. A Palerme, vient d'avoir lieu une réunion générale de l'épiscopat sici­lien, sous la présidence du cardinal Celesia. Les évêques ont spéciale­ment étudié les moyens d'organiser et de promouvoir le mouvement de la démocratie chrétienne. On y a pris d'importantes décisions.

On a organisé l'enseignement des sciences sociales dans les séminaires de l'île, conformément à la Lettre du Pape. Les évêques ont également résolu de créer des aumôniers du travail, comme en Belgique. La mis­sion de ces aumôniers sera surtout économique; ils seront envoyés sur tous les points de l'île.

Belgique: Les aveux d'un anarchiste. - Déjà l'anarchiste Henry avait confessé que c'était l'abandon de ses sentiments religieux qui l'avait in­sensiblement conduit au crime.

Voici que Rubino qui faillit tuer le Roi des Belges, a fait une confes­sion analogue.

Ecoutez:

«Si je ne tiens pas à être bon, si je ne m'inquiète pas d'être juste, si je me soucie seulement d'être riche, de vivre librement, d'être puissant et fort? Si l'intérêt de l'humanité me touche moins que la satisfaction de mes instincts? Quand j'étais catholique, quand je croyais en un Dieu créateur et souverain du monde, je m'inclinais sans trop de peine devant son autorité. Quand je croyais que le Fils de Dieu était mort, pour mon salut sur la croix, il ne m'en coûtait pas trop de discipliner, par amour pour Jésus-Christ et dans l'espérance du ciel, mes plus furieuses pas­sions.

Mais je suis émancipé, Je ne crois plus en Dieu, je ne crois plus qu'en la sou­veraine raison, je crois que tout homme a le droit de faire ce qui lui plait. Et vous voudriez m'imposer, au nom de l'humanité, une discipline mo­rale que vous trouviez ridicule quand je la supportais pour l'amour de Dieu? Quant à mon intérêt personnel, j'en suis meilleur juge que per­sonne. Je suis un chien enragé, une bête féroce. J'ai faim, j'ai soif, je veux jouir, je veux me venger de ma misère; mon intérêt, c'est mon plai­sir, et mon plaisir, à l'heure qu'il est, est la vengeance».

Etats-Unis d'Amérique: La population catholique. - Nons venons de recevoir le Catholic Directory, sorte d'annuaire catholique des Etats-Unis, publié pour 1903. D'après ces statistiques, le nombre des catholiques s'élève, aux Etats-Unis, à 11,289,710, soit le septième de la population, et ils forment - ce qui a déjà été constaté - la confession la plus nom­breuse dans la vaste république.

Après eux, viennent les méthodistes avec sept millions et demi d'adhé­rents.

Deux tiers des habitants des Etats-Unis déclarent n'appartenir à aucu­ne confession déterminée; on ne peut cependant dire que ce sont des païens; la plupart ont été baptisés et ont même conservé un certain senti­ment chrétien ou du moins religieux.

Fait digne de remarque, qui peut avoir, dans l'avenir, de grandes con­séquences, les extensions territoriales que les Etats-Unis se sont assurées au détriment de l'Espagne catholique depuis quelques annés, tendent à donner à la grande nation américaine une belle proportion de catholi­ques.

Ils gouvernent aux Philippines 6,565,998 catholiques; à Porto-Rico 953,243; les nouvelles possessions de Samoa, Hawaï et Guam lui ont, en outre, incorporé respectivement 3,000, 33,000 et 9,000 catholiques.

La population totale de tous les territoires sur lesquels flotte le dra­peau étoilé des Etats-Unis est de 84,233,069, dont 18,563,951 sont ca­tholiques; ceux-ci forment donc entre le quart et le cinquième de la po­pulation.

Il y a, sur l'ensemble des territoires des Etats-Unis, 100 hauts digni­taires ecclésiastiques, dont 1 cardinal 13 archevêques et 86 évêques.

Montmartre à Londres. - La journée du 20 mars demeurera une date mémorable dans les annales de l'Angleterre catholique, car elle a vu exaucer le vœu que bien des âmes pieuses avaient formulé, elle a vu s'accomplir une prophétie remontant à plus de trois siècles.

Le 8 juin 1585, un vieux prêtre, Grégoire Gunne, cité devant le Con­seil pour propos séditieux, avait déclaré «qu'Edmond Campion était le seul homme en Angleterre digne de ce nom, et qu'un jour viendrait où une maison religieuse s'élèverait comme une offrande propitiatoire sur l'emplacement où il avait souffert».

Edmond Campion, cet illustre membre de la Compagnie de Jésus, que l'Eglise vient de canoniser, ce glorieux enfant du collège de Douai que nos jacobins vont faire disparaître, avait subi un supplice effroyable sur l'échafaud de Tyburn. Plus de cent martyrs avaient versé leur sang pour la foi sur ce même lieu, sous le règne de la cruelle Elisabeth et de ses successeurs.

Depuis longtemps déjà l'échafaud a disparu, le nom de Tyburn même n'est plus qu'un souvenir lointain, et son sinistre voisinage est devenu un des quartiers les plus brillants de Londres.

Mais la mémoire des martyrs vivait dans le cœur des fidèles, et de tout temps les catholiques de Londres ont souhaité voir une chapelle ex­piatoire s'élever sur l'emplacement où tant de nobles et saintes victimes avaient donné leur vie pour leur religion.

Ce vœu est aujourd'hui exaucé: la chapelle a été ouverte vendredi. Les circonstances dans lesquelles cet événement s'est accompli sont trop évidemment l'ouvrage de la Providence pour que nous résistions au désir de les faire connaître brièvement, certains qu'elles ne pourront manquer d'intéresser nos lecteurs. A cet intérêt pourtant se mêleront des regrets, car, ainsi qu'il est trop souvent arrivé, l'Angleterre profite de ce que la France a perdu.

Il y a quelques années, un prêtre éminent, dont le zèle apostolique rayonnait de Montmartre sur toute la France - nous avons nommé le P. Lemius, - voulut attacher à la basilique qu'il desservait avec ses frè­res un chœur de vierges, dont la mission serait de prier le Sacré-Cœur jour et nuit pour leur pays. Dieu et Patrie, telle était la devise qu'il voulait donner à l'Institut des religieuses Adoratrices du Sacré-Cœur, - cet or­dre nouveau qu'il cherchait à fonder et dont le sous-titre aurait été «les Sœurs du Vœu national».

Dieu avait mis sur sa route une femme capable de comprendre son œuvre et de la mener à bonne fin, comme jadis il avait mis Mlle Legras sur le chemin de saint Vincent de Paul. Hélas! au moment où le succès allait couronner l'entreprise du zélé religieux, le vent de la persécution se leva sur notre pauvre France et dispersa les Adoratrices du Sacré­Cœur avant leur établissement. En même temps, il les poussa vers les ri­vages de l'Angleterre, pays où la liberté de conscience et la liberté d'as­sociation ne sont pas proscrites.

A peine étaient-elles arrivées à Londres que le cardinal Vaughan ap­prit qu'il y avait une grande maison à vendre en face Hyde-Park, sur la route de Bayswater.

Or, Son Eminence était de ceux qui avaient toujours rêvé de voir un sanctuaire catholique s'élever sur le terrain qui fut jadis Tyburn. L'immeuble en question réalise ce rêve, car, de ses fenêtres on aper­çoit la plaque commémorative qui indique l'endroit même où était dres­sé le terrible gibet.

Le cardinal se dit que les religieuses Adoratrices du Sacré-Cœur étaient envoyées par la Providence pour remplir la double mission d'ex­piation et d'intercession qu'il avait en vue. Au lieu de s'établir sur le Mont des Martyrs français, elles s'établiraient sur le Mont des Martyrs anglais; au lieu de prier seulement pour la France, elles prieraient aussi pour l'Angleterre.

Cependant une difficulté grave se présentait. On avait trouvé l'im­meuble, il s'agissait de se procurer l'argent pour l'acheter. C'est ici que la main de la Providence apparaît d'une façon frappante.

Le jour même où le cardinal indiquait à la Révérende Mère Supérieu­re la maison qu'il lui recommandait pour y établir son couvent, une da­me riche et généreuse, une Française, débarquait en Angleterre. Elle avait une lettre de recommandation pour Mère Saint-Pierre, qui lui ex­posa, dans le cours de la conversation, les circonstances dans lesquelles elle se trouvait.

«Alors, s'écria la dame, voilà donc l'objet de mon voyage à Londres». Et elle expliqua à son interlocutrice qu'elle avait fait un héritage aussi considérable qu'inattendu, et qu'elle avait promis à Dieu de consacrer cette aubaine inespérée à une bonne œuvre.

Sur quoi elle mit séance tenante une somme de 250,000 fr. à la dispo­sition de la Supérieure. Le reste alla de soi.

Un éminent architecte catholique, M. Goldie (Français par sa mère), se chargea d'approprier la maison n° 6, Hyde-Park Place, à sa nouvelle destination.

Vendredi, la chapelle a été solennellement ouverte.

Le cardinal qui, au début, avait voulu bénir lui-même la maison, fut malheureusement empêché, par l'état précaire de sa santé, d'y dire la première messe. Il se fit remplacer par son aimable secrétaire, Mgr Poyer.

Le R. P. Lemius, qui avait été à la peine, fut à l'honneur. Il prêcha le sermon d'ouverture. Certes, pour lui, ce n'était qu'un demi succès; ce n'était pas ce que son cœur ardent de patriote et d'apôtre avait rêvé.

Toutefois il se dit que conquérir des âmes - quelle que soit leur natio­nalité - serait une œuvre agréable à Dieu, et dans une péroraison d'une superbe envolée, il prédit avec les accents d'un prophète inspiré le futur retour de l'Angleterre au catholicisme, à la foi de ses pères.

Ce que les religieuses Adoratrices du Sacré-Cœur ont accompli de­puis leur séjour en Angleterre semble justifier ces prédictions. Elles sont arrivées au nombre de douze, elles sont aujourd'hui vingt. Huit novices anglaises sont entrées dans leur Congrégation en moins de dix-huit mois.

Dans la maison de Basselt Roas qu'elles occupaient avant de venir dans Hyde-Park Place, elles ne cessaient de prier nuit et jour pour le re­tour de l'Angleterre à la foi catholique. N'est-il pas permis d'attribuer à leurs supplications la recrudescence de conversions qu'on signale depuis quelque temps, et en particulier ce mouvement sans précédent dont je vous parlais dernièrement d'une paroisse anglicane émigrant en masse dans l'Eglise catholique voisine?

CHRONIQUE (Juin 1903)

I. ROME

Hommages souverains au Pape. - Le roi d'Angleterre et l'empe­reur d'Allemagne sont venus. Le czar s'apprête à venir. Ils offrent leurs hommages au Pontife vénéré dont la sagesse, la dignité et la sainteté en imposent à toute l'Europe.

Les chefs d'Etats catholiques font défaut. Il leur est si difficile d'aller au Vatican sans se heurter au Quirinal! Cela montre une fois de plus que la situation du Souverain Pontife n'est pas tenable. Il lui faut sa capitale et un petit Etat qui aille jusqu'à la mer. Dieu ne meurt pas, il agira à son heure et rendra la liberté à son Vicaire sur la terre.

II. FRANCE

Dans la grande persécution qui commence, il est utile de recueillir quelques témoignages historiques. En relisant cela plus tard, on aura les éléments pour écrire les actes de la persécution de 1903.

Noble attitude des évêques. - Lettre de S.E. le cardinal Richard, arche­vêque de Paris, à M. Combes…

L'évêque seul peut se rendre compte des services que les Ordres reli­gieux, forces vives de l'Eglise catholique, rendent aux prêtres de nos pa­roisses, absorbés, à Paris surtout, par un ministère si laborieux.

Je ne saurais assez vous dire, Monsieur le président du Conseil, le douloureux étonnement qu'ont produit sur mon âme d'évêque, vieilli dans les difficultés de la charge pastorale, ces deux circulaires alléguant un retour aux règles fondamentales de l'exercice du culte catholique en France, et risquant au contraire, de soulever les passions antireligieuses, et de provoquer un trouble dont vous vous efforcerez en vain d'écarter la responsabilité.

Sur le point peut-être de paraître devant Dieu pour lui rendre compte de ma lourde charge, j'ai conscience de n'avoir jamais troublé l'ordre public dans les diocèses qui m'ont été confiés; j'aurai aussi conscience de n'avoir pas failli à mon devoir de pasteur des âmes en négligeant de pro­tester contre des mesures tendant à l'oppression des consciences et à la destruction de la religion dans notre cher pays.

Veuillez agréer, etc.

+ FRANÇOIS, cardinal RICHARD, archevêque de Paris

S. Em le cardinal Langénieux écrit à M. Combes:

Reims, le 15 avril 1903

Monsieur le président du Conseil:

J'ai reçu les deux circulaires, en date des 9 et 11 avril, qui m'ont été adressées par votre département.

La première me demande, «comme chef hiérarchique et responsable de tout ce qui concerne le culte dans mon diocèse, de faire cesser immédia­tement la célébration de tout office religieux dans les lieux de culte qui ne peuvent justifier d'un décret d'autorisation».

Ma conscience et mon honneur d'évêque m'imposent le devoir de vous déclarer, Monsieur le président du Conseil, que je ne me résoudrai jamais à fermer moi-même, aux prières des fidèles, des édifices consacrés à Dieu.

La seconde circulaire me fait connaître «que les prédicateurs congréganistes doivent être absolument écartés du nombre de ceux auxquels je puis avoir recours».

Je ne puis, Monsieur le président du Conseil, reconnaître à aucun pouvoir civil le droit de me désigner ou de m'interdire le choix des prédicateurs qui donneront dans les églises de ma juridiction, et sous ma responsabilité, l'enseignement religieux aux fi­dèles qui me sont confiés. Dans les circonstances présentes, en particulier, je dois re­vendiquer pleinement ma liberté et les droits de ma juridiction épiscopale pour l'exer­cice du ministère de la prédication par des prêtres que les récentes décisions du gouver­nement ont arrachés à la vie religieuse, et que leurs épreuves rendent plus dignes enco­re de ma sympathie.

Veuillez agréer, etc.

+ B.-M. cardinal LANGÉNIEUX, archevêque de Reims

Lettre de Mgr Touchet, évêque d'Orléans. - Toute loi est-elle obligatoire? Non, répond Mgr Touchet. - Non, sans doute. Pour qu'elle atteigne ma conscience, faites avant tout qu'elle ne soit point désharmonique au droit éternel, absolu, que Platon et Cicéron, tout païens qu'ils fussent, connurent bien.

L'Evangile est le code du chrétien; la Déclaration des Droits est le co­de abrégé, inoubliable du libéral moderne, honnête, sensé, tolérant. Toute loi qui contredit à l'Evangile ou bien à la Charte des droits (sans que je fasse entre les deux codes un rapprochement qui serait une impiété) manque de prise sur ma liberté.

Que doivent donc faire les Congrégations?

Rester à leur poste;

Résister passivement;

Se défendre juridiquement;

Quoi qu'il en soit,ne pas encombrer les maisons-mères;

Ne pas disperser les religieuses dans leurs familles;

Mais lorsqu'il le faudra, les séculariser;

On peut les séculariser sur place.

«Vous quitterez cet habit que vous aviez revêtu dans la joie et l'élan de votre jeunesse. Il symbolisait pour vous les dévouements rêvés, les abné­gations acceptées aux meilleures journées qu'ait connues votre âme. Il était votre sauvegarde, votre saint orgueil devant les hommes et Dieu. Vous pleurerez en vous séparant de lui, comme vous pleurerez en de­mandant à l'autorité ecclésiastique de déchirer la formule de vos vœux.

Vous pleurerez, je le sais bien, vous pleurerez comme j'en ai vu pleu­rer avant vous.

Vous pleurerez… Sécularisez-vous cependant. Il le faut bien, puisqu'il faut vivre».

L'anathème

Enfin, dans une dernière partie, Mgr Touchet fait ressortir ce qu'a d'odieux cette violation de tous les droits, cette attaque à Dieu, cet ostra­cisme contre les bienfaitrices du peuple.

Mais Dieu vengera ses filles.

«Et moi, qui vous donne ce conseil, est-ce que je permettrai qu'on ou­blie tout à fait l'anathème prononcé par l'Eglise contre ceux qui déchi­rent le voile des vierges consacrées et troublent la paix de leur clôture? Est-ce que je ne leur rappellerai pas à eux, à ceux que cela regarde, que ces sortes de crimes portent malheur, que Dieu les châtie et que parfois l'éternité lui paraissant trop longue à venir pour la répression qu'il veut, il se souvient que le temps lui appartient comme l'éternité? Est-ce qu'il n'y aura personne pour noter que certains noms sont maudits par l'hi­stoire, et que tôt ou tard la tyrannie apparaît ce qu'elle fut, exécrable?

Oui, qu'ils sachent tout cela, qu'ils le sachent par ma bouche: au moins n'aurai-je pas été «le chien muet» que dénonce le prophète. J'au­rai crié quand on assassinait mon troupeau. J'aurai libéré ma cons­science, non par l'insulte qui ne sied à personne, mais par les avertisse­ments qui conviennent à un évêque».

Mgr Delamaire

Mgr l'évêque de Périgueux, remerciant les souscripteurs qui ont réta­bli son traitement, termine ainsi sa lettre:

Et maintenant, qu'ils achèvent leur ouvrage, nos ennemis: qu'ils conti­nuent de se déconsidérer, de se disqualifier, de démontrer à la France et à l'univers que la Franc-Maçonnerie, quand elle est maîtresse, est incapable de donner la vraie liberté aux peuples, ce n'est pas pour nous déplaire.

Ils peuvent ajouter chaque matin, s'ils le veulent, une nouvelle loi d'exception à une autre loi d'exception, pour traquer en tous ses refuges la liberté de conscience. Nous ne saurions nous en affliger, nous souhai­tons même qu'ils le fassent, parce que, plus ils s'enfonceront dans ce bourbier de la légalité injuste, plus ils creuseront profondément la fosse où ils doivent être ensevelis, plus sera lourd le poids du mépris, du dé­goût et de la répulsion sans retour, sous lequel ils tomberont pour ne plus se relever de longtemps.

Toutefois, que, dans les affolements de la curée, ils aient soin de ne pas trop faire sentir à notre liberté personnelle les dents cruelles de leur sauvage appétit pour le premier rang, car nous nous défendrons, et cette défense fera des vaincus, non de notre côté, mais de l'autre!

Témoignage du Chef de L'Etat

Discours aux Conseillers généraux et municipaux d'Oran. - «C'est une bon­ne graine que la graine de ces proscrits; elle a prospéré toujours et c'est la condamnation des proscripteurs. Des frères ne doivent jamais proscri­re leurs frères quand les divergences de parti les séparent. Je sais bien que l'on ne fait jamais en vain appel à l'union sans que cet appel soit en­tendu, ou bien nous ne serions plus dignes du beau nom de Français».

Paroles tombées de la chair sacrée

Jamais orateur ne fit entendre dans une chaire chrétienne une parole plus indépendante et plus vigoureuse, et bien que le Père Gaffre n'ait dé­signé nominativement aucun personnage vivant, personne n'a pu se tromper sur ses intentions, et ne pas voir qui il entendait clouer au pilori sous les trois pseudonymes de judas, le renégat, d'Hérode, le chef inco­scient, et de Pilate, le politicien, l'homme d'Etat sans caractère.

Judas, en premier lieu:

«Celui-là a commencé par suivre le Christ, et peut-être répondit-il au début, avec une sincérité relative, à sa divine vocation. Au moins, au contact du divin maître, s'éleva-t-il d'un matérialisme grossier, à un cer­tain spiritualisme. Cependant il ne se serait pas attaché aux pas de Jésus, si son âme cupide n'avait vu là un moyen de s'arracher à la médiocrité de ses origines. Il fut le ministre des finances de l'Eglise naissante, char­gé d'administrer le budget du Collège apostolique, et peut-être, pour sa­tisfaire quelque rancune personnelle, lui arrivait-il de supprimer l'inde­mnité due à quelqu'un des apôtres, ses confrères. Haineux et jaloux, il trahit son maître pour trente deniers, et trouva, pour assurer sa perte, parmi les princes des prêtres et les chefs du peuple, les complicités néces­saires».

Au tour d'Hérode:

«Hérode, chef d'Etat, était un honnête homme. Mais l'histoire de son règne est tachée de sang et de boue. Il sanctionnait, de son autorité com­plaisante, les lois mauvaises qu'il désapprouvait dans le fond de son couur. Il signait en gémissant les pires décrets, mais il les signait avec persévérance. Son malheur, c'est qu'il avait une âme trop au-dessous de sa haute situation. Il aurait fait un bon avocat de province ou un honora­ble commerçant. Il fut le plus pitoyable des conducteurs d'hommes».

A Pilate maintenant:

«Encore un honnête homme selon le monde, mais un sceptique, qui ne servait la vérité que dans la mesure où la vérité le pouvait servir lui-même, et pour qui la justice n'était qu'un moyen d'assouvir ses ambi­tions. Du talent, certes, mais pas de caractère. Une certaine délicatesse, qui ne lui eût pas permis d'exécuter lui-même les lois odieuses qu'il avait pourtant forgées. Il cherche à se débarrasser du Christ et le renvoie à Hérode, avec l'arrière-pensée de compromettre aux yeux de la multitu­de le prestige de ce dernier, dont il n'aurait d'ailleurs pas été fâché de prendre la place. Bientôt, incapable de réfréner les passions populaires qu'il a imprudemment déchaînées parce qu'il croyait en rester toujours le maître, il condamna Jésus, bien qu'il ne doutât pas de l'innocence de ce juste.

Pilate avait une femme. Et celle-ci, qui recevait peut-être à sa table quelqu'un des disciples du Christ, aurait bien voulu sauver le conda­mné. C'est à son honneur. Elle intervient donc, mais son intervention demeure inutile. Son mari n'est plus le maître de la situation, et d'ail­leurs les préoccupations politiques dominent la conscience de Pilate».

Ayant tracé d'une main aussi hardie que sûre ces trois portraits, le P. Gaffre montre comment la justice divine s'est appesantie sur Judas le re­négat, Hérode l'incoscient et Pilate le politicien. Le premier, désespéré, est allé se pendre. Les deux autres, déçus dans leurs ambitions, sont morts en disgrâce. Pour tous trois l'histoire, ce perpétuel recommence­ment, est, ou sera, sévère mais juste. Judas n'est qu'une pourriture dont il ne sera plus question demain. Hérode et Pilate, ou ne sont plus au pouvoir, ou en seront précipités au premier jour, et leurs noms sont voués à l'exécration publique.

Enfin, dans une superbe péroraison, l'orateur promet aux persécutés, aux condamnés d'aujourd'hui, de prochaines revanches. Ils ressuscite­ront, comme le Christ lui-même, dans la gloire du triomphe, et leurs en­nemis seront confondus.

J'ai dit plus haut l'accueil fait à ce splendide et courageux discours, bien digne d'un fils de Lacordaire. Puisse-t-il servir de signal aux légiti­mes révoltes et aux invincibles résistances!

Vraies paroles de moine. - Lettre adressée à M. Emile Combes, président du conseil des ministres, par le Révérend Père général des Chartreux.

Grande-Chartreuse, 12 avril

Monsieur le Président du Conseil,

Les délais que les agents de votre administration ont cru pouvoir fixer à notre séjour à la Grande-Chartreuse vont expirer. Or, le premier, vous avez le droit d'apprendre que nous ne déserterons pas le poste de péni­tence et d'intercession, où il a plu à la Providence de nous placer. Notre mission est ici de souffrir, de prier pour notre cher pays; la violence seule arrêtera la prière sur nos lèvres.

Malheureusement, aux jours troublés où règne l'arbitraire, il faut pré­voir les plus tristes éventualités; et comme, en dépit de la justice de nos re­vendications, il est possible qu'un coup de force nous disperse brusque­ment, et nous jette même hors de notre patrie, je tiens dès aujourd'hui à vous dire que je vous pardonne, en mon nom personnel, et au nom de mes confrères, les divers procédés si peu dignes d'un chef de gouvernement que vous avez employés à notre égard. A d'autres époques, l'ostracisme ne dé­daignait pas, comme aujourd'hui, les armes d'apparence loyale!

Toutefois, je croirais manquer à un devoir de charité chrétienne si, au pardon que je vous accorde, je n'ajoutais un conseil salutaire en même temps qu'un avertissement sérieux. Mon double caractère de prêtre et de religieux m'autorise incontestablement à vous arrêter, s'il vous reste encore quelque vestige de prudence, dans la guerre odieuse et inutile que vous menez contre l'Eglise de Dieu.

Donc, sur votre pressante invitation, et sur la production d'un docu­ment dont vous ne deviez pas, ce semble, ignorer la fausseté manifeste, une Chambre française a condamné l'ordre dont Notre-Seigneur m'a établi le chef.

Je ne puis accepter cette sentence injuste; je ne l'accepte pas; et, mal­gré mon pardon sincère, j'en demande la révision, selon mon droit et mon devoir, par le tribunal infaillible de celui qui est constitué notre ju­ge souverain! En conséquence, - prêtez une attention particulière à mes paroles, monsieur le président du conseil, et ne vous hâtez ni d'en sourire, ni de me considérer comme un revenant d'un autre âge, - en conséquence, vous viendrez avec moi devant ce tribunal de Dieu.

Là, plus de chantages, plus d'artifices d'éloquence; plus d'effets de tribune, ni de manœuvres parlementaires; plus de faux documents, ni de majorité complaisante; mais un juge calme, juste et puissant, et une sentence sans appel, contre laquelle ni vous, ni moi, ne pourrons élever de protestation!

A bientôt, monsieur le président du conseil! Je ne suis plus jeune et vous avez un pied dans la tombe. Préparez-vous, car la confrontation que je vous annonce, vous réserve des émotions inattendues. Et pour cette heure solennelle comptez plus sur une conversion sincère, et une sérieuse pénitence, que sur les habiletés et les sophismes qui ménagent vos triomphes passagers.

Et comme mon devoir est de rendre le bien pour le mal, je vais prier; ou, pour mieux dire, nous, les Chartreux dont vous avez décrété la mort, nous allons continuer de prier le Dieu des miséricordes que vous persécutez si étrangement dans ses serviteurs, afin qu'il vous accorde le repentir et la grâce des réparations salutaires.

Je suis, monsieur le président du conseil, votre très humble serviteur. F. MICHEL, prieur des Chartreux

L'enfant de Saint-François

Le commissaire de police de Périgueux est allé, le vendredi saint, noti­fier aux Capucins de cette ville l'ordre du gouvernement de quitter leur couvent dans un délai de quinze jours.

Or, il a trouvé le Père gardien qui, l'embrassant avec effusion, lui a dit:

- C'est aujourd'hui l'anniversaire de ma profession religieuse, c'est aussi celui de l'immolation de notre Dieu: c'est le jour de la croix, vous m'en apportez une bien lourde; je vous embrasse pour vous en remer­cier.

On ne dit pas ce que le fonctionnaire a répondu.

L'académie

Le marquis Costa de Beauregard, de l'Académie française, écrit dans le Gaulois:

Certes, le milliard des congrégations ne sera pas fourni par le pauvre couvent où je suis allé, tout à l'heure, dire adieu à l'un des proscrits de M. Combes.

Quelle misère! … Elle est rendue plus navrante encore par la tristesse de l'office qui s'achève dans la chapelle, où, pour attendre mon ami, j'ai suivi cette foule qui, chaque année, le jeudi saint, moitié fervente, moitié curieuse, visite les églises en deuil.

Celle où j'entre semble avoir été livrée, déjà, aux cambrioleurs off­ciels. Plus rien aux murailles. Les autels sont nus; le tabernacle est béant. Il ne reste, planant sur cette détresse, qu'un grand crucifix, là­bas, tout au fond, enveloppé d'un voile noir.

Cinq heures viennent de sonner. La nuit tombe tout à fait. L'offi­ciant, suivant le rituel, a éteint, l'une après l'autre, les cierges de cire jaune qui éclairaient le chœur, quand une voix désolée s'élève de l'om­bre où la silhouette des religieux s'est estompée peu à peu.

La voix redit cette lamentation de Jérémie: «Voyez, Seigneur, l'afflic­tion de votre peuple et l'insolence de vos ennemis…

Les rues pleurent… les saints de la cité ne font que gémir… Les vier­ges sont dépouillées, défigurées… Leurs persécuteurs les chassent cruel­lement devant eux…».

Longtemps… longtemps, la voix continue de psalmodier. Et, chacun des versets de cette lamentation, vieille de trois mille ans, accuse quelque honte, ou flétrit quelque iniquité de l'heure présente.

Hélas! c'est un dernier cri de douleur qui monte vers le ciel. C'est une plainte suprême qui s'exhale, car le commissaire de police a passé avant­hier, et, dans huit jours, le liquidateur viendra…

L'office est fini. Je me hâte dans un misérable escalier:

- Tout en haut… la cellule à gauche…, m'a dit le frère portier. Celui que je vais embrasser pour la dernière fois a été avec Charette à Mentana, avec Charette à Patay. Et sa robe de moine drape encore com­me une capote de soldat sur ses vieilles épaules. Je le trouve au milieu de sa chambrette debout, devant une valise qu'il bourre gauchement de pauvres hardes et de quelques livres.

- Tu pars?… - Oui, demain. - Et, tu vas?

- Je vais… mon Dieu, je vais… La poussière sait-elle où le vent l'emporte?… Achever de mourir, ici ou là, m'est après tout assez indiffé­rent. J'ai soixante-dix ans. Ma journée est faite…

- Oui, glorieusement faite…

Et, tandis qu'il me tourne le dos, je m'empare d'un vieux ruban rou­ge, tout machuré, qui sert de signet à son bréviaire…

Mon geste, malheureusement, ne lui a pas échappé.

- Laisse donc… laisse donc… fait-il presque colère… Et il m'arrache ma relique qu'il jette au feu.

- Hochets de vanité… comme ils disent, murmure le pauvre cher saint, tandis qu'il renfonce, sans doute pour que je ne m'aperçoive pas qu'elles tremblent, ses mains dans les larges manches de sa robe.

Ah! que ne l'avez-vous vu ainsi!… C'est, avec sa belle tête grisonnan­te, ses grands traits décharnés, ses yeux si douloureux, le moine dans son idéale splendeur. Rien ne peut s'imaginer de plus magnifiquement ascé­tique que ce visage où la béatitude de l'espoir semble se confondre déjà, pour l'illuminer, avec la souffrance de l'expiation.

- Pardonne, reprit-il au bout d'un instant, les furieuses tentations que donnent encore au vieux soldat les oreilles de Malchus. «Comment oser nous plaindre, cependant que l'on se jette sur nous «avec des épées et des bâtons» durant cette sainte semaine où l'on a sai­si notre maître comme un voleur? Comment nous plaindre qu'on nous crache au visage comme on lui a craché au visage, qu'on nous soufflette comme on l'a souffleté…».

Il s'arrêta… et je continuai, comme vous l'eussiez fait vous-même, le parallèle que sa charité se refusait, évidemment, à poursuivre.

- Oui, m'écriai-je, à dix-neuf cents ans de distance, vous avez affaire aux mêmes pharisiens, vous retrouvez chez les docteurs de la loi les mê­mes haines, les mêmes prévarications, vous retrouvez chez certains de vos disciples les mêmes reniements.

C'est aussi la même lâcheté chez celui qui se lave les mains et, chez la canaille, ce sont encore toujours les mêmes préférences pour Barrabas! En vérité, l'analogie serait complète si ces gens devaient se montrer aussi beaux joueurs que les soldats du Calvaire; mais non, vous verrez qu'ils s'arracheront vos dépouilles.

Le monde

Et, durant ces tristes jours, pendant que les religieux expulsés char­geaient leurs minces bagages sur le fiacre du départ; pendant que, des montagnes de la Grande-Chartreuse aux gaves des Pyrénées et aux lan­des de Bretagne, les mêmes scènes d'adieu et les mêmes protestations se reproduisaient d'un bout à l'autre de la France, le beau monde parisien se pressait joyeusement au concours hippique ou au vernissage de l'ave­nue d'Antin. Car, non peut-être par indifférence, mais par incapacité de se sevrer de ses plaisirs coutumiers ou par habitude de tout rapporter aux rites mondains, notre société ne sait plus prendre le deuil, - deuil de la religion ou deuil de la liberté? - ne fût-ce que pour une semaine.

Et quant aux proscripteurs, aux sauveurs de la patrie et de la Républi­que, - à ceux qui, pour ce noble exploit, ont tenu à faire afficher leurs noms sur les murs, pendant que commençait le lamentable exode de leurs victimes, ils s'embarquaient tumultueusement, à Marseille et à Toulon, sur les cuirassés de l'Etat, comme des écoliers en vacances, heu­reux de se faire payer un voyage au pays de la danse du ventre et des fan­tasias.

Politiques ou mondains, la course au plaisir et à l'argent semble à tous le dernier mot de la vie. Est-ce pour cela que ce siècle orgueilleux de ses lumières fait si peu de cas des fous qui font vœu de chasteté et de pau­vreté? - Comme je sortais de la chapelle des Barnabites, le mardi de Pâques, je vis un homme du peuple, qui semblait pris de vin, montrer le poing aux fenêtres grillées du couvent, en s'écriant: «Ils n'ont donc pas encore déguerpi, ces salauds!». Et comme je lui demandais pourquoi il tenait à les faire jeter à la porte, l'ivrogne me répondit en se redressant: «Parce qu'ils ne sont pas à la hauteur du siècle».

Ils ne sont pas à la hauteur du siècle! Ce mot, qui peut être entendu de plus d'une façon, résume toutes les haines et tous les préjugés des pro­scripteurs. A leurs yeux, il justifie tout. N'être pas à la hauteur du siècle, c'est pour l'ouvrier des faubourgs, comme pour le député du Bloc, le grand crime des congréganistes, crime irrémissible qui leur enlève tout droit à la liberté.

Anatole Leroy-Beaulieu

Les Loges

La Franc-Maçonnerie a trouvé dans l'apostat un esclave docile, son homme à tout faire, et comme gratification elle flatte sa vanité sénile en l'invitant quelquefois à ses fêtes.

C'est ainsi que le «Bulletin hebdomadaire» nous apprend que le 17 mai l'orphelinat maç. . donnera sa fête annuelle sous la présidence d'honneur de M. Emile Combes, président du Conseil, ministre de l'in­térieur.

L'apostat fait fermer les églises et les chapelles et va pontifier dans les Loges: c'est dans l'ordre.

Le Congrès des Loges maçonniques de la région Sud-Ouest, réuni à Albi, a voté à l'unanimité une adresse de félicitations à M. Combes. N'est-ce pas le cas de répéter que nous ne sommes pas en république, mais en maçonnerie?

III. AUTRES PAYS

Angleterre. - Il n'y a pas bien longtemps qu'avait lieu une cérémo­nie intéressante, la bénédiction d'un abbé succédant à Buckfast, au gou­vernement d'un monastère bénédictin supprimé par Henri VIII.

En 1882, une colonie de bénédictins français de la Pierre-qui-Vire, fuyant devant la première persécution des jacobins, vint s'y établir. Vingt ans se sont écoulés; la colonie, grâce au zèle des persécuteurs, a grandi, elle est assez importante pour être gouvernée, non plus par un simple prieur, mais par un abbé.

Les Bénédictins français sont très respectés et très populaires dans la contrée. Lorsque le Révérendissime Abbé revint d'Italie tout dernière­ment, les habitants du village se massèrent sur son passage et le saluè­rent de leurs acclamations. Quel spectacle que celui que présentent ces Français, ces hommes de bien, traqués comme des malfaiteurs dans leur pays, accueillis avec respect et entourés d'affection par les Anglais!

Des faits semblables se produiront sans doute dans d'autres pays pro­testants, où les proscrits de France iront demander l'hospitalité.

La renaissance catholique en Hollande. - On sait la part que les associations ouvrières catholiques ont prise récemment, en Hollande, au mouvement de résistance qui a permis d'avoir rapidement raison de l'entreprise vraiment insurrectionnelle tentée à l'instigation de meneurs socialistes. C'est une nouvelle manifestation sur le terrain positif de l'ac­tion sociale et politique que le catholicisme exerce maintenant dans cette Hollande qui longtemps se fit gloire de le persécuter. A l'heure qu'il est, il n'est plus un seul domaine de la vie publique où il n'ait poussé de for­tes racines.

C'est, il y a un peu plus de cinquante ans, que lui fut donnée la sève qui devait produire cet épanouissement: le 4 mars 1853. S.S. Pie IX, par le bref «Ex qua die» rétablit en Hollande la hiérarchie épiscopale, dont ce pays était privé depuis trois siècles.

Jusqu'à ce moment, la Hollande était divisée, au point de vue de l'ad­ministration religieuse, en trois vicariats apostoliques et en une mission, dite «mission hollandaise», qui comprenait les provinces du Nord. Le Pape transforma les trois vicariats en évêchés suffragants; il dota les pro­vinces du Nord de l'archevêché d'Utrecht et de l'évêché de Haarlem.

Durant les dix premières années, l'activité des évêques s'exerça sur­tout dans le domaine des pratiques religieuses; ils expurgèrent la liturgie, érigèrent de nombreuses confréries et associations religieuses, réta­blirent certains sanctuaires et pèlerinages, multiplièrent les missions. Ils travaillèrent aussi avec zèle à relever l'enseignement théologique; bien­tôt fut fondé le Séminaire de Rysenberg, ceux de Haaren et de Gestel fu­rent agrandis.

Par le bref «Quem admodum», du 28 juillet 1858, la hiérarchie ecclé­siastique fut complétée par l'institution des chapitres diocésains. Du 25 septembre au 4 octobre 1865 eut lieu, en l'église Saint Jean, de Bois-le­Duc, un concile provincial, appelé à assurer aux nouvelles œuvres reli­gieuses une organisation définitive.

On vit à cette réunion huit prélats mitrés: Les résolutions de ce Conci­le furent approuvées et confirmées à Rome le 26 juillet 1866. Dans la suite, le Concile provincial fut remplacé par une réunion annuelle des évêques.

Mais le catholicisme avait à reconquérir encore la plupart de ses droits civils.

La lutte pour un enseignement libre et confessionnel fut décidée en 1848. A ce moment l'école était antireligieuse.

Quand fut votée, en 1857, la loi sur l'école neutre, six députés catholi­ques sur douze appuyèrent la loi nouvelle, qu'ils considéraient comme un moindre mal. Mais bientôt l'ardeur des catholiques à revendiquer un enseignement qui donnât toute satisfaction à leur conscience se ralentit. En 1868, les évêques publièrent un mandement collectif dans lequel ils faisaient vivement ressortir aux fidèles l'obligation rigoureuse devant Dieu de donner à leurs enfants une éducation catholique. Ce fut le signal de libéralités admirables, qui permirent l'érection de nombreuses écoles catholiques; et quand, en 1878, le gouvernement édicta une loi perfide sur les écoles primaires, 200,000 catholiques signèrent des protestations au Parlement.

Lorsque la Rome des Papes fut menacée par le Piémont, la Hollande catholique envoya beaucoup de ses fils dans les rangs des zouaves ponti­ficaux; et on se souvient encore en Hollande du Parkmecting du 21 juin 1871, où, en présence de l'internonce et de l'évêque de Haarlem, les principaux orateurs de la Hollande catholique protestèrent de toutes leurs forces contre l'usurpation piémontaise: 4,000 citoyens présents à ce meeting votèrent une résolution demandant au gouvernement d'interve­nir en faveur de la cause du droit.

Mais les libéraux accusèrent les catholiques de trahir, pour les «inté­rêts ultramontains», la cause de leur patrie, et en novembre 1871, ils réussirent à faire rappeler l'ambassadeur néerlandais auprès du Saint­-Siège; 391,000 signatures, protestant contre cette mesure sectaire, par­vinrent à la seconde Chambre.

Peu à peu le calme se fit dans les esprits et l'esprit de tolérance à l'égard des catholiques alla s'accentuant dans les sphères officielles com­me dans les sphères populaires.

L'enseignement catholique surtout fait actuellement des progrès re­marquables. La philosophie scolastique est adoptée dans tous les sémi­naires; avec l'assentiment des autorités académiques, les évêques de Hollande ont pu ériger à l'Université de la ville d'Amsterdam une chaire de philosophie thomiste; cette chaire, qui sera ultérieurement confiée à un Dominicain, est à l'heure actuelle occupée avec un grand éclat par le R.P. De Groot. A l'université de Leyde, M. l'abbé Beysem donne, à la demande des universitaires catholiques, des cours libres de philosophie.

On en vient à se demander si d'ici quelques années ne pourra pas être lancée opportunément l'idée de la fondation d'une Université catholi­que.

Le mouvement social catholique n'est pas moins intense: associations, unions professionnelles, corporations, congrès, revues sociales, rien ne leur manque.

La presse catholique, de son côté, ne fait pas trop mauvaise figure. Chaque année voit naître de nouvelles églises et de nouvelles parois­ses.

L'enseignement libre catholique est subsidié par l'Etat.

Tant de progrès accomplis en si peu de temps témoignent de la plus éclatante façon combien était opportun et nécessaire l'acte accompli en mars 1853 par Pie IX, la reconstitution de la hiérarchie catholique. C'est avec raison que la Hollande catholique a été fière de le remettre en mémoire récemment, à propos du 50e anniversaire de ce grand événe­ment.

CHRONIQUE (Juillet 1903)

I. ROME

Un bouquet de fête à Léon XIII pour son jubilé. - Une des joies de Léon XIII pour son jubilé des années de Pierre, c'est le retour à l'uni­té romaine de tout un diocèse schismatique en Syrie.

L'évêque grec-uni de Tripoli de Syrie est un homme aussi populaire que vertueux. C'est un évêque aux vues larges et au cœur apostolique. Il a su dans des circonstances difficiles rendre service aux schismati­ques eux-mêmes. Son intervention auprès du sultan a sauvé de la mort trois notables schismatiques faussement accusés par les musulmans. Aussi est-il très aimé et très estimé de toute la province.

L'évêché schismatique étant venu à vaquer, le patriarche de Damas voulut imposer comme évêque une de ses créatures, son ancien domesti­que, un homme sans culture intellectuelle, qui lui avait rendu quelques services. Ses notables protestèrent, le patriarche imposa sa volonté. Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Les notables et toute la popu­lation comparant l'avilissement de leur église à la gloire du Pontife de Rome qui est visité et salué par les plus grands souverains d'Europe, se tournèrent vers le catholicisme. Ils signèrent une adresse et la remirent à Mgr Joseph Doumani, qui se mit à l'œuvre immédiament pour organi­ser parmi toute cette population le culte catholique. Le pieux prélat en­voya au cardinal Rampolla cette dépêche:

Environ 15,000 grecs séparés me demandent ensemble de se con­vertir; je les ai reçus. - Prière aviser Sa Sainteté et lui exposer la si­tuation. - Urgence de secours pour ce qui est nécessaire au culte, aux curés, etc.

Cette heureuse nouvelle est un cadeau du ciel pour le jubilé du Pape. Mgr Doumani compte beaucoup sur la France pour trouver les ressources nécessaires, mais, hélas! les catholiques français ont leur attention et leurs ressources bien accaparées par les victimes de la persécution religieuse.

II. FRANCE

Situation révolutionnaire. - Nous marchons à grands pas vers la révolution.

Qu'est-ce, en effet, que la révolution?

C'est le renversement de l'ordre social, l'autorité et la liberté rempla­cées par la tyrannie et l'anarchie. Nous y arrivons. Toutes les autorités sociales, le clergé, la magistrature et l'armée sont asservies par la secte maçonnique. L'élite de la société est conduite devant les tribunaux com­me aux mauvais jours de 1793. Des officiers, des magistrats, des maires, refusent d'accomplir la honteuse besogne que les autorités supérieures veulent leur imposer. L'inamovibilité de la magistrature et la propriété des grades sont menacées, nous allons aux tribunaux de district et à la terreur.

La prière et la pénitence nous sauveront.

Pieux amis du Sacré-Cœur, propagez l'association de pénitence éri­gée au sanctuaire de Montmartre. Procurez-vous les publications de cet­te confrérie et notamment la brochure que vend l'œuvre de Saint-Paul (rue Cassette 6) sur La situation présente et la pénitence. C'est tout un traité sur la pénitence et la réparation.

Il y a des pages spéciales pour les prêtres, pour les communautés reli­gieuses, pour les confréries, pour les enfants. C'est cela qu'il faut prê­cher, qu'il faut lire, qu'il faut propager dans le temps présent.

Ce petit livre d'or nous indique le seul remède à la situation présente. Il dit avec raison: «C'est de la pénitence que dépend le salut social. Sans elle, nous ne pouvons être sauvés; avec elle nous sommes assurés de l'être, notre prière devient efficace, nous obtenons l'effusion de grâces qui guérira tous nos maux. Elle est le nœud de notre situation; elle en est le premier comme le dernier mot. Elle est le point capital et décisif.

Elle est le remède suprême, la ressource dernière, hors de laquelle rien ne peut suffire, et à laquelle le résultat définitif de tout le reste est subor­donné.

Elle est le moyen d'arrêter ce terrible incendie qui menace de tout dé­vorer si nous ne nous hâtons; cet incendie qui est le débordement du mal, la perversion des âmes, l'athéisme de l'éducation, la barrière na­vrante établie entre le mourant et le prêtre, enfin la destruction progres­sive de ce qui reste de foi, de morale et d'institutions chrétiennes dans notre pauvre France. Lorsque le feu est à la maison, les efforts de tous ne doivent-ils pas converger vers ce qui peut l'éteindre?».

III. AUTRES PAYS

Angleterre. - Simple rapprochement! - Les faits se chargent de ré­pondre avec éloquence. La protestante Angleterre, par le récent bill d'éducation voté par la Chambre des Communes et sanctionné par la Couronne, vient d'accorder aux minorités catholiques dans chaque loca­lité, des écoles catholiques dont l'instituteur sera choisi par les seuls ca­tholiques et payé par tous les citoyens.

En même temps, le projet de budget anglais présenté par le chancelier de l'Echiquier fait ressortir un excédent de recettes de plus de 250 mil­lions de francs.

Ces excédents ont déjà permis de diminuer plusieurs impôts créés ou augmentés pour faire face aux dépenses de la guerre. L'impôt sur le re­venu, par exemple, est diminué de quatre pence, ce qui constitue une décharge de 8 millions et demi de livres sterling. Le droit sur les blés est entièrement supprimé. Seuls, les droits sur les sucres, sur les charbons et sur les thés sont provisoirement maintenus.

Voilà à quels résultats sont arrivés nos voisins au lendemain des deux expéditions du Transvaal et de Chine, qui ont coûté ensemble 5 mil­liards 425 millions de francs - soit plus de quatre fois le coût total de la guerre franco-allemande.

Comparez maintenant avec la France. Comparez cette année, compa­rez surtout l'année prochaine, à la suite des résultats de la guerre reli­gieuse.

Cette simple comparaison en dira plus long que tous les discours du monde.

Je doute que vous y découvriez que la guerre religieuse enrichit un pays.

Canada. - Lettre pastorale sur les grèves. - Mgr Bruchesi, archevêque de Montréal, écrit aux fidèles de son diocèse une lettre pastorale dans la­quelle il déplore les grèves récentes, les actes de violence auxquels elles ont donné lieu, et la défiance qui en est résultée d'ouvriers à patrons.

Il considère qu'il est de son devoir d'élever la voix, l'Eglise s'étant toujours inclinée vers les humbles et les petits, pour sanctifier leurs la­beurs et leurs privations. Il rappelle d'abord le grand principe de l'iné­galité des conditions humaines:

«La volonté de Dieu, la loi de l'Evangile, c'est que riches et pauvres, maîtres et serviteurs, vivent ensemble dans une harmonie fraternelle, sans colère et sans haine; mais pleins de condescendance les uns pour les autres, respectueux de leurs droits mutuels, unis par les liens de la chari­té chrétienne, comme les fils d'un même Père, les enfants d'une même famille.

En dehors de là, la paix n'est pas possible dans la société; il n'y a plus de prospérité pour les nations».

Les ouvriers ont des droits imprescriptibles. L'Eglise les a toujours re­connus, et le pape Léon XIII, dans son Encyclique sur la condition des ouvriers, a nettement exposé les principes de justice et de charité qui les résument.

L'archevêque de Montréal s'inspire de cette encyclique pour écrire, faisant spécialement allusion aux «trusts» nombreux en Amérique: «En premier lieu que les riches commencent par s'interdire tout acte de provocation. Qu'ils évitent toute manœuvre, toute exploitation, tout excès de nature à porter préjudice aux pauvres. Les vrais catholiques doivent s'efforcer de donner satisfaction aux justes revendications de ceux qui sont placés sous leurs ordres.

Il serait déraisonnable, en effet, de la part des capitalistes et des indu­striels, d'élever outre mesure le prix des choses nécessaires ou simple­ment utiles à la vie uniquement dans le but de grossir leur fortune, et sans tenir compte des privations imméritées qu'un pareil abus de puis­sance impose aux classes ouvrières. Nous n'hésitons pas à déclarer qu'il y aurait là provocation intolérable et déni de justice».

D'autre part, il est du devoir de l'ouvrier de reconnaître les droits du patron.

Quant au droit d'association, commun aux uns et aux autres, voici ce qu'en dit le prélat canadien:

«Aucun pouvoir au monde ne saurait vous priver légitimement de la faculté de vous former en associations particulières. Mais cette liberté n'implique pas le droit abusif de poursuivre des fins en opposition fla­grante avec la sécurité publique, la justice et la charité. Cette liberté d'association ne vous investit d'aucun droit, par exemple, à gêner vio­lemment les capitalistes et les chefs d'industrie dans le droit naturel qu'ils ont d'employer des ouvriers de leur choix. Pareillement, elle ne vous donne aucun titre à molester les ouvriers qui refusent de s'enrôler dans ces sociétés et qui s'engagent à travailler par libre contrat».

Mais que ces associations ouvrières se gardent bien de s'affilier à des sociétés étrangères, d'un désintéressement douteux. Mgr Bruchesi leur conseille de rester nationales, au nom des intérêts économiques du pays.

Il termine en recommandant les conciliations pacifiques, et en s'of­frant lui-même comme intermédiaire dans les cas nombreux qui se peu­vent traiter à l'amiable.

Russie. - M. Combes jugé par les Russes. La Gazette de Moscou, qui occu­pe une des premières places dans la presse russe, vient de publier un arti­cle de fond contre les décrets Combes dans lequel elle fait entrevoir le danger qui menace, à cause de ces décrets, l'alliance franco-russe.

«Tandis que chez nous, dit le journal moscovite, nous entendons pro­clamer du haut du trône, le respect qui est dû par tous à la liberté des consciences et à toutes les religions établies, il nous arrive de tout autres paroles de la France que nous nous sommes habitués à considérer com­me liée avec nous par de profondes sympathies.

Nous parlons, chacun le comprend, des persécutions qui assombris­sent la France depuis le malheureux moment où son gouvernement est soumis à l'influence des socialistes».

Après avoir fait un sombre tableau de toutes les mesures du gouverne­ment contre les congrégations et, en général, contre le clergé catholique, qu'il trouve barbares et indignes du siècle où nous vivons, le grand jour­nal russe termine ainsi:

«Devrions-nous considérer même comme solides les avantages exté­rieurs de nos relations avec un pays dont le gouvernement est sous la do­mination des révolutionnaires? Si l'on peut violer les droits des citoyens uniquement parce que les chanteurs de Carmagnole ne les trouvent pas à la hauteur d'une presse révolutionnaire à bon marché, ne sommes-nous pas menacés de voir un beau matin la Russie déclarée hors de tout droit, uniquement parce qu'elle se permet de croire à Dieu et à l'Evangile?».

CHRONIQUE (Août 1903)

I. ROME

L'avenir. - Léon XIII a gardé jusqu'à la fin une confiance inébran­lable. Il a donné l'horoscope du siècle qui commence.

Ce siècle sera démocratique. Les peuples veulent une grande liberté civile, politique et communale. Les travailleurs veulent une part raison­nable du fruit de leurs labeurs.

Mais cette démocratie sera chrétienne ou ne sera pas. La nature hu­maine est toute imprégnée d'égoïsme. Toutes les civilisations païennes ont vu la faiblesse opprimée par la force. L'évangile seul peut faire ré­gner la justice et la charité.

Tout essai de réforme sociale en dehors du christianisme sombrera dans l'égoïsme et le règne de la force. Les nations oscilleront entre la ty­rannie d'un seul et celle d'une oligarchie.

Le socialisme prétend organiser le travail forcé. Il le fera évidemment au profit de quelques-uns et sous la direction occulte de la franc­maçonnerie et du judaïsme.

La grâce du Christ peut seule surmonter l'égoïsme. C'est là un fait qui éclate manifestement tous les jours. L'évangile a supprimé l'esclava­ge et le servage, la démocratie chrétienne organisera le prolétariat et at­ténuera le salariat par la participation aux bénéfices.

Il n'est pas une réforme sociale pratique dont le germe ne soit contenu dans l'Evangile. L'épanouissement a lieu à l'heure de la Providence. Le vingtième siècle fera des essais désastreux et reviendra à l'Evangile pour ne pas périr dans l'anarchie.

II. FRANCE

Espérance quand même!. - L'œuvre de haine et de persécution se poursuit en France. Partout l'arrêt est signalé aux condamnés; partout les écoles chrétiennes, les refuges hospitaliers, les asiles de la prière se ferment. C'est par milliers que les enfants sont arrachés à leurs maîtres, et que les religieux sont expulsés de leur patrie ou condamnés à mourir de faim, s'il veulent obéir à leur vocation, exercer le ministère de la pré­dication ou donner l'enseignement dans un collège libre.

Chose remarquable: cette situation si douleureuse de l'Eglise de Fran­ce n'empêche pas des paroles d'espérance de surgir au milieu de la tour­mente, et d'accueillir les pressentiments que fait naître l'expérience de la miséricorde divine.

On a plusieurs fois rappelé en ces temps-ci les prévisions encouragean­tes de Joseph de Maistre. L'auteur du livre du Pape et des Soirées de Saint­-Pétersbourg qu'on a parfois appelé le prophète des temps nouveaux, n'a cessé d'espérer et même d'annoncer une intervention divine! «Certaine­ment, disait-il, la Révolution est satanique; le mauvais esprit fait bien tout ce qu'il peut pour nous étrangler: il n'oublie rien. Cependant son divin antagoniste l'emportera». L'expiation accomplie et les ruines dé­blayées, de Maistre voyait s'élever sur elles une œuvre dont la prévision et l'espoir le jetaient dans une profonde admiration.

«Lorsqu'une postérité qui n'est pas éloignée, disait-il, verra ce qui ré­sulte de la conspiration de tous les vices, elle se proclamera pleine d'ad­miration et de reconnaissance». Et quelques mois après: «Ce qui se pré­pare maintenant dans le monde est un des plus merveilleux spectacles que la Providence ait jamais donnés aux hommes».

Déjà au milieu des horreurs de 1793, il avait su détacher ses regards de ce désespérant tableau, pour en prévoir le dénouement:

L a génération présente est témoin de l'un des plus grands spectacles qui aient jamais occupé l'œil humain: c'est le combat à outrance du christianisme et du philosophisme. La lice est ouverte, les deux ennemis sont aux prises et l'univers regarde. On voit, comme dans Homère, le père de Dieu et des hommes soulevant les balances qui pèsent les deux grands intérêts; bientôt l'un des bassins va descendre».

Et après avoir montré à quoi en était réduit le catholicisme à l'heure où il écrivait, il ajoutait:

«Le philosophisme n'a donc plus de plainte à faire; toutes les chances humaines sont en sa faveur; on fait tout pour lui et tout contre sa rivale. S'il est vainqueur, il ne dira pas comme César: je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu, mais enfin il aura vaincu: il peut battre des mains et s'asseoir fiè­rement sur une croix renversée. Mais si le christianisme sort de cette épreuve terrible plus pur et plus vigoureux, si Hercule chrétien, fort de sa seule force, il soulève le fils de la terre et l'étouffe dans son bras: Patuit Deus!».

Rien de ce que Joseph de Maistre vit durant le demi-siècle qui suivit la Terreur ne put le détacher de cette espérance. Tous les bouleversements auxquels il assista, il les appelait une «préface», un «terrible et indi­spensable préliminaire».

Préface de quel livre? Léon XIII semble l'annoncer dans l'Encyclique Praeclara du 20 juin 1894, adressée aux Princes et aux peuples de l'uni­vers: «Nous voyons là-bas, dit-il, dans le lointain de l'avenir, un nouvel ordre de choses; et nous ne connaissons rien de plus doux que la contem­plation des immenses bienfaits qui en seront le résultat naturel».

Ces bienfaits, le Pontife les énumère: c'est la solution chrétienne de la question sociale, c'est la fin du schisme qui a brisé l'Europe, c'est la lu­mière de l'Evangile éclairant tous les peuples.

Nous trouvons l'écho de cette confiance du Pape dans les actes épisco­paux qui ont demandé récemment à toute la France catholique des priè­res publiques.

Empruntons quelques pensées à Mgr Sonnois, archevêque de Cam­brai:

«… Au cours de sa longue histoire, dit le vénérable prélat, la France a connu des jours de mortelles angoisses et de cruelles épreuves. Plusieurs fois ses ennemis, qui étaient toujours ceux de la foi catholique, crurent l'avoir à jamais anéantie, et toujours cependant elle se releva prompte et généreuse pour reprendre sa place sous le ciel dans le concert des na­tions. Au XVIe siècle, le protestantisme, appuyé par les grands, soutenu par les étrangers, envahit son territoire; tout fut alors tenté pour la per­dre par ceux qui avaient le devoir de la défendre et de la sauver. Qui donc la sauva? Le peuple, le sentiment national, le sens catholique de la population; et ce qui dirigeait et affermissait ce sens catholique, c'était le culte de la très sainte Vierge.

A l'heure présente, un nouvel et formidable assaut est livré en France à la Foi, à l'Eglise, à Dieu. Le vieux cri de révolte et de haine des pre­miers âges du monde est devenu un cri de ralliement: «Je n'obéirai pas, non serviam!». C'est Dieu que l'on veut atteindre, c'est le Christ Ré­dempteur que l'on rejette: «Qu'il disparaisse, nous ne voulons pas qu'il règne sur nous». C'est l'Eglise que l'on veut détruire, on ne s'en cache pas. Mais n'ayez crainte, N.T.C.F., Dieu n'abdiquera pas; le Christ a vaincu, il règne toujours, il commande encore en Maître souverain; que l'homme le veuille ou ne le veuille pas, il restera sujet de Dieu. Mais, si Dieu ne peut régner par son amour et ses bienfaits, il régnera par sa justice et se châtiments: le prophète Ezéchiel nous en prévient. Cepen­dant, Dieu, qui est amour, ne frappe qu'à regret, il aime que violence soit faite à son juste courroux. Qui lui fera cette violence?… Où est la puissance assez grande pour s'interposer victorieusement entre ses fou­dres et nos péchés, si ce n'est la vôtre, ô Marie, notre Avocate, notre se­cours, notre Mère!».

Pourquoi cette confiance grandissant avec les dangers qui s'accrois­sent? Pourquoi? Si ce n'est parce que l'on a compris que plus les atten­tats contre Dieu se multiplient, plus les blasphèmes s'élèvent avec une sorte de rage contre le Ciel, plus aussi le nom de Marie est invoqué avec une inébranlable confiance, et plus son culte s'étend et s'épanouit…

La lettre pastorale de Mgr Sonnois se termine en citant une page qu'un illustre et savant serviteur de Marie écrivait, il y a une trentaine d'années. Cette page si consolante de Dom Guéranger, l'illustre béné­dictin de Solesmes, nous voulons la reproduire:

«Si Dieu sauve le monde, et il le sauvera, le salut viendra par la Mère de Dieu. Par elle, le Seigneur a extirpé les ronces et les épines de la genti­lité; par elle, il a successivement triomphé de toutes les hérésies; au­jourd'hui, parce que le mal est à son comble, parce que toutes les vérités, tous les devoirs, tous les droits sont menacés d'un naufrage universel, est-ce une raison de croire que Dieu et son Eglise ne triompheront pas encore? Il faut l'avouer: il y a matière à une grande et solennelle victoi­re, et c'est pour cela qu'il nous semble que le Seigneur en a réservé tout l'honneur à Marie; Dieu ne recule pas, comme les hommes, devant les obstacles… Lorsque les temps serobt venus, la sereine et pacifique Etoile des mers, Marie, se lèvera sur la mer orageuse des tempêtes politiques, et les flots tumultueux, étonnés de réfléchir son doux éclat, redevien­dront calmes et soumis. Alors il n'y aura qu'une voix de reconnaissance montant vers Celle qui, une fois encore, aura apparu comme le signe de la paix après un nouveau déluge. Marie est la clef de l'avenir, comme Elle est la révélatrice du passé».

L'illustre cardinal Pie, évêque de Poitiers, disait, lui aussi: «Toute so­lution humaine est désormais impossible; il ne reste à notre société qu'une alternative: se soumettre à Dieu ou périr. Rien ne sera fait tant que Dieu ne sera pas replacé au-dessus de toutes les institutions. On par­le aujourd'hui d'un grand parti de l'ordre et de la conciliation. Un seul parti pourra sauver le monde: le parti de Dieu. On parle de rapproche­ment à opérer, c'est de réconcilier la terre avec le ciel. La question qui s'agite et qui agite le monde n'est pas de l'homme, elle est de l'homme à Dieu».

Ces pensées étaient bien celles de J. de Maistre1). Il saluait l'unifica­tion du genre humain, qu'il voyait se faire, que nous voyons se précipi­ter, comme devant permettre la réunion de tous les hommes dans l'en­ceinte d'une même Eglise, dans la profession d'une même foi.

Dieu en effet remue le monde dans toute son étendue. La chose de­vient évidente. Joseph de Maistre en apercevait déjà les préludes, il y a un siècle:

«Ce qu'il y a de sûr, dit-il, c'est que l'univers marche vers une grande unité qu'il n'est pas aisé d'apercevoir ni de définir. La fureur des voya­ges, la fureur des langues, le mélange inouï des hommes opéré par la se­cousse terrible de la Révolution, les conquêtes sans exemple et d'autres causes encore plus actives, quoique moins terribles, ne permettent point de penser autrement2)».

En plusieurs endroits de ses œuvres, de Maistre expose longuement ces démarches, peut-on dire, du genre humain vers l'unité qu'il avait avant Babel et qu'il veut reconquérir. Nous le voyons se multiplier et se précipiter de nos jours, au point que le dénouement dont de Maistre di­sait ne pouvoir assigner la date, peut nous paraître proche.

Amérique, Asie, Océanie, Afrique, il n'est plus aucun lieu du monde où les races européennes ne se soient installées, où elles n'imposent leurs langues, leurs idées, leurs mœurs et leurs institutions. Même phénomè­ne, dans l'ordre scientifique que dans l'ordre politique. Que de décou­vertes ont été faites de nos jours! Elles servent, elles aussi, comme les ré­volutions, comme les guerres, comme les émigrations, à rapprocher les hommes! Déjà, à l'occasion d'une plus grande communication d'ali­ments entre les peuples des différents climats, de Maistre disait: «Il n'y a point de hasard dans le monde, et je soupçonne depuis longtemps que cela tient de près ou de loin à quelque œuvre secrète qui s'opère dans le monde à notre insu».

Qui peut croire que l'invention de la vapeur et de l'électricité ne soit due qu'au hasard, et que le fait d'avoir mis aux mains de l'homme, de nos jours, ces deux merveilleuses puissances, ignorées des humains du­rant des siècles, bien qu'elles les touchassent par tous les bouts, autrefois comme maintenant, ne se rapporte point à quelque œuvre qui s'opère dans le monde?

Cette œuvre n'est plus si secrète. Les chemins de fer et les télégraphes qui mettent d'un bout du globe à l'autre les hommes en des communica­tions aussi constantes que rapides, préparent eux aussi la grande unité. Ils feront bientôt du monde, pour l'agriculture, l'industrie et le commer­ce, un marché unique.

«Nous ne voyons encore rien, dit aussi le grand philosophe chrétien, parce que jusqu'ici la main de la Providence n'a fait que nettoyer la pla­ce, mais nos enfants s'écrieront avec une respectueuse admiration: Fecit omnia qui potens est. Il y a, dans cette immense révolution, des choses acci­dentelles que le raisonnement humain ne peut saisir parfaitement; mais il y a aussi une marche générale qui se fait sentir à tous les hommes qui ont été à même de se procurer certaines connaissances. TOUT A LA FIN TOURNERA POUR LE MIEUX».

Que sera ce mieux? Il ne faut point se le figurer comme devant être le retour de ce que Dieu a voulu détruire du passé. Dans un mémoire adressé à son roi, J. de Maistre disait: «Cette révolution ne peut point fi­nir par un retour à l'ancien état de choses, qui paraît impossible, mais par une rectification de l'état où nous sommes tombés; tout comme la révolution immense causée par l'invasion des Barbares dans l'Empire romain, ne finit point par l'expulsion des Barbares, mais par leur civilisation (Tome xi, p. 352).

III. AUTRES PAYS

Portugal. - Un congrès catholique s'est tenu récemment à Porto, il a eu un plein succès.

Le grand parti du Centre national, sur qui reposent toutes les espé­rances de l'Eglise en Portugal, y était dignement représenté par plus de 3000 délégués venus de toutes les provinces du pays et même des îles, et pouvant parler au nom des deux cents «centres» locaux disséminés un peu partout.

Notons que cette organisation existe depuis deux ans à peine, et qu'el­le s'étend tous les jours faisant sortir d'une longue léthargie, qui commençait à trop ressembler à la mort, les catholiques portugais.

Les trois éléments de la population - clergé, noblesse et peuple -. unissent leurs efforts dans un groupement qui deviendra puissant com­me le centre allemand sur lequel il se modèle. Le Centre national portu­gais affiche hautement son dévouement à l'Eglise, et sa devise est: Reli­gion et patrie».

Le compte-rendu des séances nous montre que le Congrès a voulu fai­re avant tout de la bonne besogne, et qu'il a réussi à être pratique.

Le jour est donc enfin venu où les catholiques portugais, sortis de leur longue torpeur dans un magnifique élan, seront bientôt en mesure de se­couer le joug maçonnique qui pesait depuis bientôt un siècle sur leur na­tion déprimée, sur leur Eglise asservie.

Colombie. - Des dépêches récentes nous annonçaient la fin de la guerre civile en Colombie. Le gouvernement colombien est catholique, c'est la franc-maçonnerie qui avait provoqué la révolte. Rappelons à cet­te occasion la consécration solennelle de la Colombie au Sacré-Cœur de Jésus, faite par le président Marroquin pendant l'été dernier.

Voici quelques détails sur cette éclatante manifestation de foi dont le premier exemple avait été donné par Garcia Moreno, le célèbre prési­dent de la République de l'Equateur.

Au mois d'avril 1902, Mgr Bernardo Herrera Restrepo, archevêque de Bogota, publiait une lettre pastorale, dans laquelle, après avoir déplo­ré les malheurs de son peuple, il adressait un pressant appel à tous les Colombiens pour le prompt rétablissement de la paix, les invitant à faire au Sacré-Cœur de Jésus un «vœu national» pour obtenir le remède à tant de maux. Ce vœu devait consister en ce que, avec le concours de tous, fût achevé à bref délai le temple qui a été commencé à Bogota à la gloire du Sacré-Cœur.

Le pieux prélat terminait par un appel au gouvernement de la Répu­blique.

Cet appel fut entendu.

Le 18 mai, M. Marroquin, vice-président de la République, chargé du pouvoir excécutif, a porté un mémorable décret, par lequel le gouver­nement, en son nom propre et au nom de la nation qu'il représente, fai­sait le vœu proposé par l'archevêque à savoir de concourir à la prompte édification de l'église qu'on a commencé à bâtir en l'honneur du Sacré­Cœur.

A cette fin, d'accord avec l'autorité ecclésiastique et aux frais du tré­sor public, il décrétait la célébration, un jour du mois de juin, d'une fête religieuse, suivie d'un pèlerinage au temple avec discours et quête pour l'achèvement de l'édifice.

En même temps, le ministre de l'Intérieur adressait une circulaire aux gouverneurs des départements, les engageant à promouvoir, dans leurs chefs-lieux respectifs et dans le plus grand nombre possible de localités, des solennités analogues à celles de la capitale, et à recueillir des fonds pour l'achèvement du temple voué au Cœur de Jésus.

La fête nationale, ordonnée par ce décret, fut célébrée le 22 juin, au milieu d'un éclat extraordinaire.

Toutes les autorités religieuses et tous les grands fonctionnaires de la République étaient présents.

L'acte de consécration fut prononcé, du haut de la chaire, par l'arche­vêque de Bogota, puis répété par le vice-président de la République et par tout le peuple.

Souhaitons à ce pays catholique de retrouver la paix et de faire dans tous les domaines des progrès en rapport avec ses richesses naturelles et le courage de sa population.

Espagne. - Le journal catholique l'Universo de Madrid publie une lettre autographe du Pape au cardinal Sancha, par laquelle le Saint-Père confie au cardinal la direction de tous les Comités catholiques du diocèse d'Espagne, afin d'organiser l'action catholique et de réaliser l'union de tous les fidèles.

L'action de Léon XIII est partout la même. Il stimule l'union des ca­tholiques dans toutes les nations d'Europe. Il sent que pour les catholi­ques le temps de la vie facile et douce sous la protection des autorités ci­viles est passé. Les catholiques auront désormais la liberté qu'ils sauront conquérir et conserver par leur union et par leur activité incessante.

L'action catholique en Hollande. - La Hollande catholique célè­bre dignement le cinquantenaire du rétablissement de sa hiérarchie ec­clésiastique; elle le célèbre non par des fêtes brillantes, mais par des œuvres. On se souvient de l'activité admirable qu'elle a déployée durant la récente grève des chemins de fer.

Le comité d'action catholique s'était improvisé en un rien de temps, mais ne s'en montra pas moins une puissance redoutable: 50 réunions, 400,000 manifestes, 50,000 caricatures et brochures populaires, tel est le bilan de ces quelques jours de propagande, auxquels la libéralité catholi­que sacrifia plus de 20,000 francs.

Mais le plan d'un monument jubilaire plus majestueux s'élabore en ce moment: celui d'une organisation centrale des forces catholiques de la Hollande. L'idée en fut émise par un jeune député catholique, M. Aal­berse, le successeur, de Mgr Schaepman à la seconde Chambre législati­ve, dans le Sociaal Katholick weekblad, qu'il dirige. Au cours d'un voyage fait, il y a quelques jours, en Hollande, un collaborateur du XXe Siècle, a interviewé M. Aalberse. Voici le projet que celui-ci lui a communiqué.

«Je me suis inspiré, a-t-il dit, de deux principes, dont la pratique a fait la force du «Katholische Comiteit van actie»: La centralisation de la di­rection, la décentralisation de l'action.

La variété dans l'action sera assurée en laissant à toutes nos œuvres, existantes ou à créer, une autonomie et une indépendance absolues. Voici, comment nous pourrions, d'autre part, unifier dans une certaine mesure leur direction:

Les présidents et secrétaires de toutes les sociétés catholiques existan­tes dans une localité, - qu'elles soient de n'importe quel caractère: bourgeoises, ouvrières, estudiantines, commerciales, syndicales, chari­tables, etc., - formeraient ensemble un Comité local d'action catholique. La représentation de l'action catholique y devrait être aussi complète que possible, tout en respectant absolument la liberté des associations adhé­rentes. Aucune contribution pécuniaire ne serait exigée de ces groupes. Leur but unique serait d'assurer par des échanges de vues réciproques, plus de force et de cohésion à leur activité, et surtout de préparer gra­duellement la formation de l'organisme central.

Les présidents et secrétaires de ces comités locaux se grouperaient en «Comité diocésain». Le comité diocésain ainsi formé serait autorisé à s'adjoindre des membres étrangers, jusqu'à concurrence du tiers ou de la moitié des membres élus: ceci pour éviter que les chefs de certaines fé­dérations diocésaines actuellement existantes ne fussent exclus par le fait qu'ils ne seraient ni présidents ni secrétaires des groupements locaux.

Enfin les présidents, secrétaires et trésoriers des cinq comités diocé­sains constitueraient le «Comité central d'action catholique en Néerlan­de». Pour le même motif que je viens de dire à propos des comités diocé­sains, ce comité central, à son tour, pourrait s'adjoindre un certain nom-bre de membres non délégués. Les membres du comité pourraient ainsi être peut-être une trentaine. Le président, eu égard à l'autorité considé­rable dont il jouirait, serait choisi par l'épiscopat parmi les membres du comité.

Quelle serait maintenant la tâche de ce comité central?

Cette tâche, telle que je la conçois, est double:

D'abord, il doit se constituer, comme personne juridique, en une as­sociation, dont tout Néerlandais catholique peut être membre ou, plus rigouresement, donateur, moyennant une contribution hebdomadaire de 1 cent. Sans optimisme, nous pouvons escompter ainsi un revenu an­nuel de plusieurs milliers de florins; ce serait suffisant pour permettre di­gnement au comité central de remplir la seconde partie, la partie essen­tielle, de sa tâche.

Le comité central doit, en effet, avant tout, réaliser pour notre pays, ce que fait le «Comité central de l'Œuvre des Congrès» pour les catho­liques italiens, et la «Katholische Centralstelle» pour les électeurs du centre allemand. Il élira dans son sein un «Bureau central permanent», dont le président et le secrétaire se consacreront exclusivement à leurs fonctions étendues.

Les autres membres se répartissent en sections; il y aurait notamment des sections spéciales pour l'érection d'une bibliothèque scientifique gé­nérale, pour les œuvres ouvrières, pour la classe moyenne et l'agricultu­re, pour la lutte contre l'alcoolisme, pour la sociologie et la politique, pour les arts et les sciences, pour l'enseignement populaire catholique, pour l'éducation sociologique des ouvriers les plus intelligents, pour les œuvres de bienfaisance, pour la presse et la propagande générale.

Chacune de ces sections - au début, peut-être plusieurs collective­ment - s'attacherait un secrétaire, choisi hors du comité et appointé convenablement. Les secrétariats ainsi constitués seraient de véritables positions sociales, dont les titulaires - des hommes de valeur - consa­creraient toutes leurs journées, sous la direction du secrétaire général, aux œuvres du secrétariat. La haute importance qu'auraient leurs fonc­tions saute aux yeux.

CHRONIQUE (Septembre 1903)

I. ROME

Le dernier hommage de Léon XIII au Sacré-Cœur. - Le testa­ment du vénéré Pontife commençait ainsi:

«En approchant du terme de notre mortelle carrière, nous déposons dans ce testament olographe nos dernières volontés. Avant tout, hum­blement, nous prions l'infinie bonté et la miséricorde de Dieu de nous pardonner les erreurs de notre vie et d'accueillir bénignement notre âme dans la béatitude de l'éternité, et nous espérons cela particulièrement par le mérite de Jésus-Christ, rédempteur, ayant confiance dans son Très Sacré-Cœur, fournaise très ardente de charité et source de salut du genre humain. Nous implorons aussi, pour qu'elle intercède, la Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et notre Mère très aimante et les saints que nous avons particulièrement vénérés pendant notre vie comme nos patrons».

II. FRANCE

Dragonades. - Les libres-penseurs et les protestants ont coutume de reprocher aux catholiques les fameuses dragonades de Louis XIV, ils oublient que ces dragonades étaient justifiées par un motif politique. Les protestants du Gard et des Cévennes étaient des conspirateurs, ils étaient armés et organisés en bandes, ils rançonnaient et pillaient les po­pulations paisibles, ils incendiaient les églises, ils voulaient imposer le protestantisme à la France.

Les dragonades de M. Combes s'exercent contre des couvents inoffen­sifs. Quel déploiement de troupes dans le Morbihan, dans le Finistère, à la Roche-sur-Yon, à Marseille. A la Louvesc, il faut vingt brigades de gendarmerie et une compagnie du génie pour expulser quelques prêtres et foncer sur d'innocents pèlerins qui réclament le droit de prier dans leurs sanctuaires traditionnels. La presse impie trouve cela admirable. L'histoire fera justice des tyrans et de leurs apologistes.

L'hécatombe des écoles libres. - Durant le court espace de deux années, c'est-à-dire depuis le vote de la loi Waldeck, les ministres sectai­res ont proscrit environ 14,000 établissements religieux.

En y ajoutant les 10,000 établissements d'enseignement que Combes se prépare à proscrire, nous arriverons à un total de 24,000.

24,000 dans un délai de deux ans; Soit 1,000 par mois;

Ou plus de 33 établissements religieux proscrits par jour!

Le Christ ne tardera pas à venger les petits enfants qui lui sont chers. Ses malédictions demeurent: «Malheur à ceux qui scandalisent les en­fants, il eût mieux valu pour eux qu'ils ne fussent pas nés».

La morale nouvelle. - La distribution des prix aux élèves du lycée de Marseille a donné lieu à un incident.

M. Dautresme, secrétaire général de la préfecture des Bouches-du­Rhône, présidait, et ce sont les termes de son discours qui ont soulevé tout le tapage.

M. Dautresme a commencé par dire qu'il n'avait assisté à aucune distri­bution de prix depuis sa sortie du lycée, et il a averti son jeune auditoire qu'il allait lui tenir un langage peut-être un peu en dehors des traditions.

Il a tenu parole: l'orateur, après avoir exposé la nécessité d'arracher les jeunes générations aux préjugés superstitieux, pour préparer la révo­lution morale attendue, a dit:

«Cette œuvre ne peut s'accomplir que par une instruction exclusive­ment laïque, ce qui ne veut pas dire seulement par une instruction don­née par un personnel laïque, mais ce qui signifie un enseignement im­prégné des grandes vérités qui font les consciences libres, débarrassées de cette humilité chrétienne, qui abaisse l'homme par l'idée obsédante de sa culpabilité, de son impuissance morale et fait de lui un esclave tremblant et superstitieux».

Ces dernières paroles ont soulevé des murmures dans l'assistance, et l'on a vu alors se lever et descendre de l'estrade les abbés Gamber et Fer­rari, aumôniers du grand et du petit lycée.

Tandis que les aumôniers quittaient la cour, les mères de famille les ont acclamés, et pendant plusieurs minutes ç'a été un véritable tohu-bohu.

L'orateur, visiblement interloqué, a repris cependant la parole et, pendant qu'il parlait, des «chut!» et des «assez!» partaient de divers côtés de l'auditoire.

Les professeurs du lycée ont dû aller dans les groupes pour rétablir le silence.

«… La conscience moderne, poursuit l'orateur, ne veut plus «berner l'homme d'illusions et elle ne se contente pas pour lui de l'ignorance, même si elle doit lui apporter la résignation. L'avenir est à la science et non à la foi; tant pis pour la religion (oh! oh! dans le public), si l'évolu­tion de l'intelligence humaine s'accomplit en dehors d'elle et malgré elle.

La République s'est levée, et, suivant les paroles de Victor Hugo, elle est une nation de citoyens et non un troupeau de sujets».

Le tapage continuant toujours, M. Dautresme a été dans l'obligation de terminer son discours sans pouvoir en donner la lecture intégrale. Voilà où veut nous conduire la franc-maçonnerie qui nous gouverne. Mais bien des esprits éclairés, quoique non catholiques, commencent à ouvrir les yeux et à protester contre la folie de l'école impie. Il faut lire ces témoignages dans le beau et bon livre d'Eugène Tavernier sur La mo­rale et l'esprit laïc. Citons-en deux ou trois.

Un homme qui a joué un rôle prépondérant dans l'œuvre de laïcisation, M. Pécaut, a signalé sans ambages l'indigence morale de la nouvelle pédagogie:

«Je me demande avec inquiétude, dit-il, pour qui et pour quoi nous travaillons, pour qui et pour quoi nous exerçons ces enfants du peuple à lire, à comprendre, à se rendre compte, à prendre possession des choses et d'eux-mêmes? Est-ce pour livrer ces âmes à peine débrouillées à de nouveaux et étranges éducateurs, à ces livraisons de romans à bon mar­ché, à des feuilles corruptrices à un sou, parées des plus perfides attraits de l'image illustrée, de la nouvelle, de la chanson, et même, hélas! de l'article doctrine, qui envahissent nos faubourgs et nos villages, à mesu­re que nous y semons les premiers sentiments du savoir? Et tant de la­beur de notre part, tant de sacrifices de la part de l'Etat, n'aboutiraient­ils, en accroissant la clientèle de cette littérature, qu'à accélérer et géné­raliser le mouvement de dissolution morale, déjà si marqué dans les clas­ses supérieures et moyennes?… Nous sommes visiblement menacés de désorganisation morale et par conséquent de décadence politique».

Un autre adversaire des dogmes catholiques, M. Sabatier, fait une constatation analogue:

«Déclarer que l'instruction ne suffit pas, qu'il faut encore l'éducation morale, c'est très bien; mais avec quoi ferez-vous cette éducation mora­le? Sera-ce avec les seuls mobiles tirés des notions scientifiques? Mais vous savez bien que ces notions, même élémentaires, se ramènent à la notion de force et qu'il n'y a rien là qui puisse faire condamner l'égoïsme et surgir dans les âmes cette religion de l'amour dont vous vous déclarez les professants de bouche et de cœur! Vous parlez de reli­gion de l'amour; est-ce plus qu'un mot? est-ce une foi positive que «l'amour est une force suprême qui mène l'univers?». Dans ce cas, avouez qu'une religion est nécessaire à l'éducateur, à l'enfant et à l'homme, qu'elle est nécessaire à la prédication de la morale, pour l'échauffer et la rendre efficace».

De son côté, M. Tarde, l'éminent criminaliste, qui a si consciencieu­sement étudié la progression de la criminalité, émet la conclusion sui­vante, d'autant plus significative qu'elle émane d'un libre-penseur:

«Il n'y a rien de plus redoutable pour une société qu'un changement général de Credo, et il faut admirer même que cela soit possible. Il faut plaindre aussi le malheureux instituteur chargé de faire un cours de mo­rale par des temps pareils. Quelle morale voulez-vous qu'il enseigne?

Bref, on ne sait plus sur quoi appuyer le devoir» (Revue pédagogique, mars 1897).

Voulez-vous d'autres témoignages encore? M. Fouillée, philosphe libre-penseur, écrit:

«Le scepticisme moral a été chez les enfants et les jeunes gens, l'ordi­naire résultante du scepticisme religieux. Ici encore on n'a pas cherché de fondements sociaux à l'éducation morale, au moment même où on émancipait et libéralisait les esprits» (Revue des Deux Mondes, 1897).

M. Lavisse, ami de l'enseignement laïc et partisan de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, parlant spécialement de l'enseignement secondaire, jette ce cri d'alarme:

«Nous avons créé des milliers d'écoles; nous y avons introduit toute sorte d'enseignements… Nous avons oublié l'éducation. Nous l'avons oubliée… elle occupe si peu d'esprits que toute notre littérature sur l'éducation se réduit à quelques livres, à des articles, à des discours pre­sque toujours insuffisants et médiocres. Nous l'avons oubliée!… (A pro­pos de nos écoles, p. 246).

Le bon sens ne tardera pas à prendre le dessus.

La journée des chemins de fer au Sacré-Cœur. - C'est pour la cinquième fois que s'offrait, à nos regards, sur la sainte colline de Mont­martre, l'émouvant spectacle du grand pèlerinage de l'Union catholique du personnel des chemins de fer. Tous les réseaux français étaient repré­sentés: Paris- Lyon- Méditerrannée, Paris-Orléans, Midi, Nord, Est, Ouest, Ceinture.

Et de nouveaux groupes, tout récemment formés, étaient venus gros­sir le nombre des ouvriers de la première heure: Plœnmel, Le Mans, Trélazé, Saint-Quentin, Montargis, Nevers, Moulins.

L'œuvre de M. l'abbé Reymann est vivante; son action s'étend de plus en plus. L'Union du personnel des chemins de fer compte aujourd'hui 7,000 adhérents!

Après une nuit d'adoration, très édifiante, les courageux pèlerins de nos grandes lignes ferrées ont assisté en groupes à la messe corporative célébrée à neuf heures et demie au maître-autel de l'église du Vœu na­tional.

M. le chanoine Maugis - le vaillant promoteur du groupe de Tours - a montré, dans une allocution d'un très beau plan, que le salut du monde du travail n'est qu'en Jésus-Christ. Non est in alio salus. C'est la pensée que Léon XIII a formulée pendant vingt-cinq ans et qui forme la synthèse des admirables Encycliques du Pape des ouvriers.

Préciser cette parole et l'adapter aux besoins des âmes, tel est le but du dévoué missionnaire tourangeau. M. le chanoine Maugis dit comment l' Evangile a restauré la dignité du travail et paraphrase cette pensée de Tertullien: «L'homme est appelé à donner à la terre comme une seconde forme par son labeur chrétien».

Est-ce que l'ouvrier des chemins de fer ne trace pas des voies sur le continent, comme Dieu a fait les chemins des mers, pour réunir les peu­ples?

L'orateur salue un artisan de la fraternité humaine dans ce modeste travailleur qu'il adjure d'être un apôtre, de ne pas garder pour lui les bienfaits de la foi religieuse, s'il la possède, et de la faire aimer autour de lui par le bon exemple et le conseil prudent et opportun.

La meilleure arme de cet apostolat c'est la prière, et M. le chanoine Maugis recommande, en terminant, la communion fréquente qui seule fait les apôtres!

Après la cérémonie religieuse, un cordial banquet réunit, au Rocher suisse, les membres des chemins de fer et leurs familles. Le coup d'œil de la salle est charmant. Les tables portent les couleurs des divers ré­seaux. On remarque à la table d'honneur: MM. Peuportier, Garnier, Marc Sangnier, etc.

C'est comme un grand repas de famille composé de parents venus de tous les bouts de la France!

Au dessert, M. l'abbé Reymann rappelle que chaque année le pre­mier salut de l'Union du personnel des chemins de fer est pour le pape. Léon XIII, dit-il, n'a cessé de nous entourer de ses plus vives sollicitu­des. Il y a dix jours, à la requête de S. Em. le cardinal Rampolla, le Sou­verain Pontife daignait, malgré sa maladie, penser encore à nous et nous adresser sa suprême bénédiction. Nous étions comme une portion chérie de son troupeau.

Léon XIII est mort et nous ne saurions troubler le deuil immense qui enveloppe la chrétienté. Mais une prière ardente s'élèvera de nos grou­pes au Sacré-Cœur afin que la miséricorde du juste juge soit accueillan­te à Léon XIII.

M. l'abbé Reymann ajoute:

Faisons par anticipation l'hommage de notre soumission et de notre dévouement au nouveau Pape. Un pape est mort; la papauté ne meurt pas. Jésus survit toujours. Crions avec une confiance sainte: «Vive Jésus et vive l'Eglise!».

L'orateur invite tous les adhérents de l'œuvre à se serrer autour de leurs évêques, et il rend un délicat et chaleureux hommage aux prêtres dévoués qui, à l'instar du chanoine Maugis, l'âme vivante des œuvres de Tours, se sont placés à la tête des groupes des divers réseaux français.

Actuellement, l'Union du personnel des chemins de fer compte en France 60 aumôniers.

M. Nicolas, président général, souhaite, en excellents termes et avec une franche cordialité, la bienvenue aux nouveaux groupes de l'Union. Un jeune membre du réseau de l'Est dit avec une charmante expres­sion un touchant monologue: La grand'mère et l'école sans Dieu.

M. Marc Sangnier, président du Sillon, prend la parole salué par les cris répétés de: «Vive Sangnier! vive le Sillon!».

En termes éloquents, M. Marc Sangnier prouve que l'on n'a pas le droit de garder pour soi la vérité et que tout catholique doit être un apô­tre, un militant.

Joseph de Maistre a dit d'un de ses livres: «J'y ai versé toute ma tête». M. Marc Sangnier peut dire de chacun de ses discours: «J'y verse tout mon cœur».

Sa parole porte dans les masses parce que, abstraction faite du talent et des dons naturels de l'orateur, il y a en M. Marc Sangnier un cœur convaincu et qui veut se donner! Après avoir dit qu'il n'est pas possible de désespérer d'un peuple comptant encore dans son sein des milliers d'hommes qui communient, M. Marc Sangnier conclut, dans un élan superbe:

Si nous donnons nos énergies intactes et tout entières, Dieu sauvera la Patrie!

Après le banquet, la séance générale s'ouvre à une heure par un magi­stral rapport de M. Picquet sur le mouvement de l'œuvre.

M. Marc Sangnier, président d'honneur, félicite les adhérents de l'Union des chemins de fer et salue l'heureuse alliance du Sillon avec ce réseau d'apostolat.

«Vous vous êtes placés, dit-il, sous l'égide du Sacré-Cœur. Ce n'est pas une petite dévotion que le Sacré-Cœur, une sorte de luxe des âmes pures; mais un effort immense dans l'acheminement social vers Jésus».

III. AUTRES PAYS

Accueil des congrégations à l'étranger. - Ottawa, 1er juillet. - Sir Wilfrid Laurier a inauguré le nouveau collège ecclésiastique créé à Hull, en face d'Ottawa, par les religieux qui ont dû quitter la France à la suite de l'application des dernières lois contre les congrégations.

Mgr Sbaretti, délégué apostolique, et Mgr Duhamel, archevêque d'Ottawa, ont pris part à cette brillante cérémonie, au cours de laquelle le premier ministre a prononcé un discours sur les libertés dont les cultes jouissent au Canada.

Belgique. - Dans ce moment où la grande œuvre civilisatrice du roi Léopold au Congo est prise à parti par les Anglais, nous nous plaisons à reproduire une belle page sur l'évangélisation des noirs, tirée d'une con­férence donnée à Paris par M. Pierre Verhaegen à la réunion de la socié­té d'économie sociale:

«Si nos officiers ont réalisé la conquête du Congo, nos missionnaires ont été les véritables pionniers de la civilisation chrétienne parmi les noirs. Sol­dats, eux aussi, mais soldats pacifiques, conquérants d'âmes et non de gloi­re, explorateurs que rien n'arrête, ni la maladie, ni la fatigue, ni le danger, leur armée croît sans cesse, et la mort qui parfois éclaircit leurs rangs, le martyre dont plusieurs ont déjà payé leur zèle, ne réussissent qu'à grossir leur nombre et à stimuler leurs efforts (Applaudissements).

Ils sont aujourd'hui près de 250; et le premier, parti en 1887, c'était un Français. Depuis lors, la Belgique a pris sur elle de confier à ses enfants seulement l'évangélisation du centre africain, et, à cette heure, il n'y a plus au Congo que des missionnaires belges. Parmi eux, on ne compte pas moins de 75 religieuses, dont une vingtaine de sœurs de cha­rité, et ces admirables femmes, qui toutes mériteraient de porter le nom de sœurs de charité, secondent merveilleusement les missions dirigées par les Pères.

Il n'est pas sans intérêt de comparer ici les procédés civilisateurs des missions protestantes et des missions catholiques, car vous n'ignorez pas qu'il y a des missions protestantes au Congo, tout comme il y en a de ca­tholiques, et même celles-là sont les plus nombreuses. Les missionnaires protestants, très largement rétribués par l'Angleterre et par l'Amérique, partent de ce principe que le meilleur moyen de civiliser l'indigène est de lui faire voir la civilisation européenne. Leur première préoccupation est donc de se créer, au Congo, une installation éminemment confortable (Rires).

Ils y transportent leur intérieur familial, leur home au grand complet et, par conséquent, aussi leurs femmes et leurs enfants. Dans leurs cotta­ges, parfaitement aménagés au point de vue de l'hygiène, construits et meublés avec une recherche qui plaît à l'œil, ils mènent une vie agréable et facile, la vie d'un riche Anglais à la campagne, et ils disent à l'indigè­ne: «Regardez et faites commms nous» (Rires).

Les missionnaires catholiques procèdent tout autrement. Ils n'ont guère le temps de songer à l'hygiène; ils ne bâtissent pas de cottages élé­gants; ils sont trop souvent, pour cela, par voies et par chemins, et, s'ils construisent, ce sont des églises, des écoles, des orphelinats. L'évangéli­sation des noirs, - inutile de vous le dire, - est le point de mire de leurs efforts, la raison d'être de leur séjour en Afrique, et ils s'y dévouent avec un zèle infatigable: convertir les indigènes accessibles à leur prédication, enseigner aux autres la douceur et se faire aimer d'eux, recueillir des en­fants en bas âge, leur donner quelques principes d'instruction, en for­mer tout doucement des chrétiens, puis, lorsqu'ils sont aptes à entrer dans la vie, les marier et les répartir dans des petites communautés de néophytes, tel est le but poursuivi par nos missionnaires avec un succès toujours croissant».

Nos prêtres du Sacré-Cœur sont du nombre des ouvriers évangéli­ques au Congo. Ils se font un devoir de rendre témoignage au concours bienveillant et généreux qu'ils ont toujours reçu de l'Etat, et ils ne dési­rent pas du tout que l'Angleterre s'implante là, par les procédés si peu civilisateurs qui lui ont réussi au Transvaal.

CHRONIQUE (Octobre 1903)

I. ROME

Pie X et la démocratie chrétienne. - Plutarque, le maître des bio­graphes, nous a appris que l'on pouvait le plus souvent caractériser un homme par quelque trait de sa vie intime. Un acte ou une parole qui part du cœur révèle le secret de l'âme.

Nous connaissions déjà tout l'amour de Pie X pour les humbles, sa charité désintéressée, son zèle pour toutes les œuvres sociales et démo­cratiques. Un petit fait achève de nous révéler son cœur. Le docteur et l'apôtre de la démocratie chrétienne en Italie, le professeur Toniolo, cé­lébrait ces jours-ci ses noces d'argent, ses vingt-cinq ans de mariage. Pie X l'apprit, il lui envoya ses plus affectueux compliments et, comme té­moignage de sa grande bienveillance, un objet d'un grand prix, un ca­mée entouré de pierres précieuses.

Tout ce que fera Pie X pour favoriser l'action sociale populaire est in­diqué par ce petit trait.

Nous saisissons cette occasion d'exprimer au docteur Toniolo notre profonde sympathie. Il a bien voulu nous honorer de son amitié et se fai­re même notre collaborateur. Une de ses dernières publications a été la préface qu'il a mise dernièrement à l'édition italienne de notre Catéchisme social3).

Nous nous proposions de reproduire cette préface dans cette revue, mettons-la ici dans la chronique: «On peut dire, écrit le professeur To­niolo, que la science, de sa nature, s'accumule d'abord, puis se répand, comme fait la lumière, qui rayonne en proportion de l'intensité de son foyer. Et si la science, dans sa première fonction qui est de se présenter sous une forme rigoureuse, systématique, étendue, revêt un manteau aristocratique mal adapté à l'usage de la foule, dans sa seconde fonction, sous un vêtement plus court, elle se plie à la diffusion démocratique.

Dans ces dernières années, les esprits populaires se sont laissé préve­nir, relativement à la question sociale, soit par le cri spontané de la souf­france, soit par les formules dogmatiques des doctrinaires du socialisme. En même temps, le doute rongeur et plus souvent la négation effrontée de tous les principes de la logique et du bon sens et même des vérités les plus élémentaires de l'ordre social, politique et religieux, ont cessé d'être le sinistre privilège de la science orgueilleuse pour descendre jusqu'à la multitude. De là, est venue la nécessité, qu'on peut dire historique, de rendre populaire la vraie science sociale, pour que le peuple y trouve le correctif ou le contre-poison de la propagande impie et socialiste. Les classes supérieures s'étant rendues trop étrangères à la vie du peuple et ayant perdu sa confiance, il fallait offrir aux classes inférieures un ali­ment intellectuel qu'elles puissent s'assimiler elles-mêmes.

Il est vrai qu'il est plus difficile de présenter le pain de la vérité d'une manière accessible aux esprits peu lettrés que d'exposer aux savants des théories scientifiques. Cela n'a pas arrêté le P. Dehon, auteur d'une sé­rie d'écrits bien connus et répandus déjà en Italie comme le Manuel social chrétien, les Directions pontificales, la Rénovation sociale chrétienne, dans le­squels la clarté du génie français, alliée à la cohérence logique des Ita­liens, parmi lesquels le P. Dehon a longtemps vécu, contribue à impri­mer à ces ouvrages un caractère populaire absolument original.

Ce privilège ressort mieux encore dans le Catéchisme social. L'art de donner au discours une physionomie et une vivacité populaires, atteint ici sa perfection dans les deux parties dont se compose le volume. Dans la première, il s'agit de répondre par des propositions d'une concision ir­réprochable et d'une clarté transparente, aux questions qui regardent les principes fondamentaux et souvent complexes de l'ordre social, politique, économique et moral. Sous ce rapport, il n'est peut-être pas trop hardi de dire qu'il n'y a pas en Europe un autre essai d'exposition catéchistique de la science sociologique, aussi sculpturale dans sa forme et aussi complète dans sa substantielle simplicité.

La seconde partie est un Sommaire apologétique d'une histoire sociale de l'Eglise, dans lequel par le témoignage des faits, l'Eglise elle-même se montre aux yeux et plus encore au cœur du peuple, comme la libératrice de toutes les tyrannies et la promotrice de tous les progrès, spécialement pour la protection et le relèvement des humbles.

Les résultats les plus complets de la critique historique se trouvent ici mis à la portée de tous par un choix intelligent et une connexion logique des faits; de sorte que, après cette lecture et sur les traces de cette chaîne solide, attrayante et variée, chacun se trouve transformé en un conféren­cier populaire apte à défendre l'Eglise et la civilisation chrétienne.

On peut juger par là du service que peut nous rendre ce livre pour l'auto-éducation populaire par laquelle le peuple apprendra à se défendre lui-même et à former dans ses rangs des orateurs et des propagandistes. Nous l'apprécions d'autant mieux que nous sentons qu'il ne faut pas seulement au peuple un relèvement économique, mais aussi un foyer d'idées, de sentiments et d'habitudes, pour réacquérir la conscience des devoirs et des droits de tous, et pour reconstituer le prolétariat en une classe chrétiennement autonome et respectée.

De là ressort l'importance et la fonction pratique de ce livre, en face des besoins du moment et pour réaliser le plus pur idéal de la démocratie chrétienne».

II. FRANCE

Comme en Turquie. - Deux armées en Europe sont mobilisées pour détruire le christianisme et pour écraser l'Eglise. En Orient, c'est l'armée du Grand-Turc, qui ravage, pille et détruit les chrétientés de Macédoine. En Occident, c'est le pacha occulte de la franc-maçonnerie, dont Combes est le grand vizir, qui pousse les troupes inconscientes et les officiers enfiévrés de dégoût, contre les couvents, les écoles et les mo­destes chrétiens du peuple outragés dans leur liberté.

A Grandvillars, près de Belfort, un secrétaire de préfecture conduit une compagnie du 133e de ligne, un détachement du 4e d'artillerie et plusieurs brigades de gendarmerie contre les quatre mille ouvriers qui défendent la liberté religieuse de leurs enfants.

Nos pauvres soldats, les fils des croisés d'autrefois sont transformés en sarrasins par la fourberie d'un ministère mis au service des Loges.

Il y a longtemps que l'Archevêque d'Aix, de pieuse mémoire, avait si­gnalé cette servitude: «Nous ne sommes pas en République, nous som­mes en franc-maçonnerie». Dernièrement, Mgr l'Evêque de Marseille le répétait, à l'occasion du banquet où Combes a péroré: «La secte, dont le chef du gouvernement n'a été dans les agapes de Marseille que le porte­parole, se propose d'aggraver par des mesures plus vexatoires encore, le joug si onéreux qui pèse sur l'Eglise de France».

III. AUTRES PAYS

Allemagne. - Les catholiques allemands viennent de tenir à Colo­gne un congrès splendide. Il sont une force avec laquelle l'empire doit compter. Ils ont plus de cent députés. Et cependant ils ont subi en 1871 une persécution plus violente que celle qui nous décime. Rappelons-en les principaux traits, cela rendra courage aux catholiques français.

«Nous n'irons pas à Canossa! c'est-à-dire nous ne reculerons pas dans la voie de persécution de l'Eglise catholique où nous nous sommes enga­gés». Telle était la déclaration, qu'au plus fort du Kulturkampf, le «chan­celier de fer», le tout-puissant prince de Bismarck, lançait du haut de la tribune du parlement allemand. C'était un retentissant défi jeté à la face du Pape; c'était une déclaration de guerre sans trêve et sans merci, pu­bliquement adressée aux catholiques allemands et à l'Eglise tout entière.

Combien la partie semblait inégale entre les deux adversaires, entre le dominateur de l'Europe et le prisonnier du Vatican, entre le petit trou­peau des catholiques allemands et la masse écrasante de l'empire évan­gélique constitué en Allemagne par les armes victorieuses de la Prusse! Et pourtant, dans ce duel mémorable, c'était encore le nain qui allait triompher du géant, David qui allait terrasser Goliath; succès humaine­ment invraisemblable, inexplicable même pour qui méconnaît les leçons de l'histoire, pour qui oublie les nombreuses occasions où l'on a vu, après des défaites passagères, la liberté l'emporter finalement sur l'op­pression et le droit sur la force.

Le Kulturkampf, c'est-à-dire, d'après la formule pédantesque imaginée par les Allemands, la «lutte pour la civilisation», n'est, au fond, qu'un des épisodes de ce combat éternel entre la violence matérielle et la force morale, entre la tyrannie et la conscience. En apparence, il serait né sim­plement des démêlés de l'évêque d'Ermeland avec le gouvernement prussien à propos de quelques professeurs vieux-catholiques; mais ce ne fut là que l'occasion du conflit, et celui-ci avait, en réalité, des causes beaucoup plus sérieuses; au fond, le Kulturkampf était inspiré et préparé par les universités allemandes, toutes imprégnées de l'enseignement de Hegel, croyant comme lui à la souveraineté de la force et à la déification de l'humanité, avec l'omnipotence quasi-divine de l'Etat comme corol­laire.

Rupture avec Rome, guerre au catholicisme, c'était, depuis long­temps, le voeu de la bureaucratie prussienne, des protestants libéraux, chez qui l'indépendance de la pensée est poussée jusqu'à une sorte de ni­hilisme religieux. Ils trouvèrent en la personne du prince de Bismarck un puissant allié.

Le chancelier de fer conçut la pensée de se rendre maître du catholici­sme, de le germaniser, d'en faire une Eglise nationale avec un clergé d'Etat, et d'en exploiter à son profit la puissance morale. Il crut que la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale et le schisme des vieux catholiques allemands allaient lui fournir l'occasion et le moyen de réaliser ce plan.

Oubliant ou faignant d'oublier l'irréprochable loyalisme dont les ca­tholiques allemands avaient donné la preuve éclatante pendant la guerre de 1870, Bismarck prétendit que leur rêve était «qu'aucune loi en Prusse ne pût exister sans l'approbation du Pape»; que les catholiques cher­chaient à conspirer contre lui avec les ennemis de l'Empire, à recruter des appuis dans la presse étrangère. C'était le Kulturkampf qui commen­çait avec toute la série des lois de persécution connues sous le nom de «lois de mai».

La première de ces lois, celle du 11 mai 1873, met le recrutement du clergé de Prusse dans les mains de l'Etat: nul ne peut plus être nommé titulaire d'un emploi ecclésiastique quelconque dans l'empire allemand s'il n'est allemand, s'il n'a suivi pendant trois ans les cours d'une uni­versité allemande, fait ses études théologiques dans un des séminaires placés sous la surveillance de l'Etat et subi avec succès un examen de lit­térature et de philosophie devant un jury spécial nommé par l'Etat. En outre, l'évêque est tenu de faire connaître d'avance les candidats qu'il se propose de nommer, au président de la province (ou préfet), et celui-ci a droit de veto non seulement pour incapacité ou indignité légale, mais en­core «si le candidat a par devers lui des faits autorisant à croire qu'il con­treviendrait aux lois de l'Etat ou aux ordonnances rendues par l'autorité de l'Etat dans les limites de sa compétence, ou qu'il troublerait la paix publique». En un mot, c'était la loi des suspects appliquée au clergé et le recrutement ecclésiastique livré au bon plaisir de l'Etat et de ses agents.

Une deuxième loi (12 mai) institue à Berlin une cour des affaires ec­clésiastiques nommée par le roi de Prusse, composée de magistrats et de fonctionnaires et ayant pour mission de juger en dernier ressort tous les recours formés, soit par l'Etat, soit par les particuliers, contre les déci­sions des autorités ecclésiastiques.

Le lendemain, troisième loi qui supprime indirectement toute discipli­ne ecclésiastique, en prohibant l'excommunication majeure, en défendant de rendre publique aucune peine ecclésiastique et en interdisant aux évê­ques de prononcer aucune condamnation pour l'accomplissement d'un acte prescrit par l'Etat.

Une autre loi, du 14 mai, permet de sortir de l'Eglise par simple dé­claration devant le juge de paix et de s'affranchir ainsi des prestations dues à la paroisse.

Enfin, l'inobservation de ces diverses lois a pour sanction des pénali­tés rigoureuses: amende de 375 à 3.750 francs, prison de six mois à deux ans, suspension de fonctions, etc.

Les années suivantes, le gouvernement allemand, surpris et irrité d'une résistance qui grandissait avec la persécution, dut encore enrichir de nouvelles armes son arsenal législatif.

Voyons maintenant comment ces lois draconiennes furent appliquées. Dans les quatre premiers mois de 1875, deux cent quarante et un ec­clésiastiques, cent trente-six journalistes religieux ou laïcs et deux cent dix simples particuliers furent condamnés à l'amende ou à la prison; du­rant le même laps de temps, la police avait opéré trente saisies de jour­naux, soixante-cinq arrestations, soixante-quatorze perquisitions domi­ciliaires, cent trois internements, et dissous cinquante-cinq réunions pu­bliques ou associations.

L'archevêque de Posen, Mgr Ledochowski encourut à lui seul, en quelques mois, des amendes s'élevant à 30,000 thalers (112,000 fr.); son clergé, bien que très pauvre et privé de tout traitement, fut condamné à 300,000 francs d'amende. Pour le recouvrement de ces amendes, le fisc prussien avait recours aux suspensions de traitement, puis aux saisies de mobilier; enfin, quand il ne restait plus rien à prendre, il emprisonnait les condamnés. En 1875, sept prélats prussiens étaient déposés et exilés, sept incarcérés; les cinq demeurés en fonctions étaient réduits à la mi­sère.

Sur huit mille quatre cent trente-neuf ecclésiastiques exerçant leur mi­nistère au commencement de 1873, mille cent soixante-dix avaient di­sparu à la fin du Kulturkampf; six cent et une paroisses, comptant six cent quarante-sept mille âmes, étaient dépourvues de tout secours religieux; cinq cent quatre-vingt quatre, comptant un million cinq cent deux mille âmes, en étaient partiellement privées. L'Etat s'immisçait constamment dans l'exercice du ministère ecclésiastique, suspendant des prêtres de leurs fonctions pour refus d'absolution, contrôlant l'enseignement du catéchisme, faisant admonester des enfants pour avoir été à l'église pas­ser un examen de religion, condamnant des femmes à l'amende pour avoir rédigé une adresse à leur évêque.

Nos maîtres actuels sont plus cauteleux. Ils usent moins de la prison, ils vont pas à pas et en rampant comme le serpent.

Un autre désavantage pour nous est notre désunion politique. Les ca­tholiques allemands ont accepté l'empire et combattu seulement les mauvaises lois. Ils ont vu grossir rapidement le nombre de leurs députés au parlement et Bismarck a pris peur.

Patience! La France se réveillera aussi. Les apôtres de l'action libérale et les jeunes croisés du Sillon et de la jeunesse catholique nous donne­ront des vaillants députés. Dieu bénira ces efforts généreux. Les timides s'enhardiront quand ils verront un groupe énergique sur lequel ils pour­ront s'appuyer. La résurrection viendra après le calvaire.

Chez les Peaux-rouges. - On a beaucoup calomnié les Indiens d'Amérique en leur comparant dernièrement la canaille française qui pille les églises. Ils valent mieux que cela.

Les Indiens de Minnesota ont tenu récemment un grand congrès ca­tholique.

Une grande fête civile a précédé le congrès; elle avait pour but de commémorer leur émigration et leur réconciliation avec leurs anciens ennemis les Sioux. La fête eut lieu le 15 mai. Ces tribus qui ont adopté le costume européen, avaient pour la circonstance revêtu leurs vêtements nationaux si pittoresques. Il y eut d'abord une grande parade, après la­quelle on enterra la hâche de guerre et l'on fit circuler le calumet de paix.

Le gouverneur, le vice-gouverneur de l'Etat assistaient à la fête, ainsi que le R. M. Guns, membre du Bureau des Indiens catholiques de Wa­shington. Ces personnages firent des discours de circonstance. Le 16, les représentants des tribus réconciliées échangèrent des politesses, en ob­servant rigoureusement le cérémonial traditionnel; l'après-midi on exé­cuta des danses nationales.

Le 17 se tint le Congrès catholique. Les chefs catholiques envoyèrent d'abord des messagers aux missionnaires, et leur firent savoir avec un cérémonial très expressif, qu'ils se rendraient à leur rencontre à deux heures à l'église de la Mission. Tous les Indiens étaient habillés à l'euro­péenne et même quelques-uns portaient le chapeau de haute forme, ce qui fait une impression très bizarre. Les délibérations du Congrès eurent lieu avec un sérieux, qui étonna les invités étrangers, et leur fit admirer l'intelligence de ces peaux-rouges. Les discours, au début desquels cha­que orateur serre la main du président, étaient brefs et précis. Voici les résolutions votées, nous les reproduisons en leur laissant leur forme par­fois naïve:

1. Nous aimons de tout notre cœur le grand chef des Robes-Noires de Rome. Nous croyons que le Grand Esprit lui a donné pouvoir de ré­gir tous les chrétiens. Nous nous réjouissons de ce qu'il a achevé la vingt-cinquième année de son règne comme Robe Noire suprême. Nous prions pour lui. Nous supplierons toujours le Grand Esprit, afin qu'il vi­ve longtemps, qu'il dirige avec sagesse l'Eglise de Dieu. Nous fléchis­sons le genou, afin qu'il pose la main sur la tête de ses enfants rouges pour les bénir.

2. Nos cœurs sont navrés en apprenant qu'en France, les Robes­noires sont maltraitées, et expulsées par des hommes haïssant la Reli­gion. Les Robes-noires de France nous apportèrent la foi de Jésus­Christ, le sauveur du monde. Elles souffrirent pour nous la misère, la faim et la soif. Leur conduite fut si sainte et leur vie si sage, qu'encore aujourd'hui nous appelons dans notre langue, la religion catholique «la prière française». Que le Grand Esprit rende leurs cœurs aussi valeu­reux, que le furent les cœurs des Robes-noires françaises qui nous ap­portèrent la Foi; nous prions pour les catholiques de France, et si les Robes-noires expulsées de France, viennent chez nous, nous leur ou­vrons les bras, pour les accueillir.

3. Nous aimons le Grand Père de Washington, pour tout ce qu'il fait pour ses enfants rouges. Nos cœurs sont pleins de reconnaissance, parce que la grande Robe-noire Ryan (l'archevêque de Philadelphie), et un autre catholique, Charles Bonaparte, ont été désignés pour prendre spé­cialement soin de nous. Nous sommes aussi reconnaissants parce que les Robes noires peuvent dans toutes les écoles du Grand Père enseigner la Foi à nos enfants.

4. Nous aimons les écoles construites par les Robes noires, et nous re­mercions la «femme qui a eu pitié des Indiens» (c'est ainsi qu'on nom­me la R. Mère Catherine Drexel) d'avoir construit des écoles à Red La­ke pour nos enfants.

5. Nous remercions les catholiques blancs d'avoir fondé une union pour le maintien de la foi, parmi nos enfants; chaque Chippewa s'enga­ge à y entrer et y payer une contribution annuelle de 25 centimes.

6. Nous avons entendu que les catholiques de la grande Contrée (Etats-Unis), ont fondé une grande union pour défendre la foi. Nous voulons entrer dans cette union et l'aider afin de combattre pour l'Eglise de Dieu. Nous décidons que nos chefs nous représenteront à la première réunion.

7. Nous présentons à tous nos frères catholiques le calumet de paix. Ce sont les Bénédictins allemands qui ont développé l'enthousiasme catholique de ces Indiens.

Les Sioux ont eu leur congrès catholique à la fin de juin; ces tribus sont aussi évangélisées par des Bénédictins allemands. Le congrès comp­tait trois mille membres, qui étaient accourus pour voir l'évêque du nou­veau diocèse. Quand l'évêque entra dans la barquette, les Indiens ran­gés sur les rives du Missisipi entonnèrent un chant national. Le Congrès fut ouvert, en présence de l'Evêque et d'un représentant de Philadel­phie, par deux discours prononcés par le Père Martin chef de la mission et un jésuite allemand, le Père Bigmann. Divers chefs prirent la parole pour saluer l'Evêque, ils rappelèrent leur première rencontre avec le Pè­re de Smedt, S. J., et comment leurs pères le portèrent en triomphe sur une peau de buffle, autour du quartier central de la tribu.

Les pauvres Apaches de Paris sont bien loin de valoir ces Sioux et ces peaux-rouges. La civilisation grandit avec la foi et s'éteint avec elle.

CHRONIQUE (Novembre 1903)

I. ROME

Pie X et le séminaire français. - A l'occasion du cinquantième an­niversaire de la fondation du séminaire français, Pie X a reçu les élèves anciens et nouveaux et leur a adressé une délicieuse allocution, dont nous donnons des extraits:

«Prêtres et clercs bien-aimés, je vous suis extrêmement reconnaissant des sentiments d'obéissance, de vénération et d'affection que vous m'avez exprimés dans votre noble adresse, parce qu'ils me sont une preuve de la piété et de la formation sainte que vous recevez de vos zélés directeurs.

Rien ne pouvait être plus doux à mon cœur que de me voir entouré de prêtres qui sont l'honneur de l'Eglise et les amis de Jésus-Christ. C'est à bon droit que vous vous réjouissez du nombre et de la dignité de ceux qui vous ont précédés; un cardinal et vingt évêques, vraie béné­diction du ciel; tant de professeurs dans les universités et les séminaires; toute une phalange de prêtres d'une situation plus humble mais non moins dignes de Notre intérêt et de Notre estime, car, plus peut-être que les autres, ils ont mérité d'être bénis de Dieu.

Il est juste que je me réjouisse, moi aussi, avec vous et particulière­ment avec les directeurs du vénérable séminaire français, pour le bien immense qu'ils ont procuré à l'Eglise de Jésus-Christ.

Quant aux clercs qui, aujourd'hui encore, habitent ce séminaire, qu'ils se rappellent les paroles du psaume 118e, dans lequel le roi David parle ainsi au Seigneur: Bonitatem et disciplinam et scientiam doce me.

Bonitatem : la bonté; rien n'a plus de prix à nos yeux, rien ne nous tient plus au cœur. Dans la bonté sont renfermés tous les autres dons: bonté et sainteté, c'est tout un. Or, les prêtres doivent être saints.

Disciplinam. Vous savez ce que dit saint Thomas: «La discipline n'est autre chose que l'ordre». Pour produire l'ordre, il est nécessaire d'obéir; or, il faut le dire, de nos jours, on ne sait plus obéir. Jusque dans le sanctuaire, on respire cet air empoisonné qui infecte toute la so­ciété, l'air de l'indépendance. Et peut-être, mus par ce sentiment, sous prétexte de faire le bien, certains jeunes gens et mêmes des prêtres manquent-ils à un devoir qui s'impose à tous, mais surtout aux mini­stres du Seigneur. Pour vous, vous n'avez pas besoin de cette recom­mandation, car vous serez des fils d'obéissance; je retiens cette promesse de celui qui vient de prendre si dignement la parole en votre nom. Scientiam. La science est nécessaire. Mais, pour les sciences profanes, faites-en l'usage qu'en faisait saint Thomas. Il portait dans son esprit, comme en un réservoir, toutes les sciences, et il s'en servait pour mettre en lumière la vraie science, la science divine, la théologie sacrée.

Je bénis de grand cœur, vénérables prêtres et clercs bien aimés, votre séminaire, béni dès sa fondation par le glorieux Pie IX, élevé au rang de séminaire pontifical par Léon XIII, Notre prédécesseur de sainte mé­moire. Il occupera aussi, n'en doutez pas, une place à part dans mon cœur. La bénédiction que vous implorez, je l'implore moi-même de Dieu, de toute mon âme. J'ai le regret de ne pouvoir vous appeler mes Benjamins: un autre séminaire vous a devancés.

Mais Benjamin fut le dernier béni et de lui Jacob dit cette parole: Ben­jamin lupus rapax. Parmi les autres bénédictions du patriarche; je choisis pour vous et votre patrie que j'aime tant, la bénédiction qu'il adressa au quatrième de ses fils. La première prière que j'élève, chaque jour, vers Dieu est celle-ci: Non auferatur ab ea sceptrum! Que jamais ne soit enlevé à la France son titre de Fille aînée de l'Eglise!…».

II. FRANCE

Le pèlerinage Français à Rome; le Sillon. - Le Saint-Père a reçu en audience le beau pèlerinage de M. Harmel. Il a béni avec effusion et encouragé le bon Père, comme faisait chaque année Léon XIII.

Il a manifesté sa particulière bienveillance pour les ouvriers et pour les jeunes gens.

Un des épisodes les plus intéressants du pèlerinage a été la belle réu­nion des jeunes gens du Sillon sous la présidence du cardinal Cassetta. Marc Sangnier a bien exposé le but et l'esprit de l'œuvre du Sillon.

«Nous entendons bien, a-t-il dit, ne pas garder notre christianisme pour nous seuls; loin de nous une tentative monstrueuse d'un christiani­sme qui serait purement individuel. Il est impossible, n'est-il pas vrai, de nous sauver isolément: nous avons tous, vis-à-vis de nos semblables, des obligations qui se relient esentiellement à l'œuvre de notre salut personnel et qui prennent une forme précise dans le devoir d'état. Et c'est même pour ce motif qu'il est presque superflu de nous dire des catholiques sociaux, at­tendu qu'on ne saurait, sans le mutiler, concevoir un catholicisme qui ne soit pas social; c'est pour ce motif aussi que tout catholique doit être un dé­mocrate chrétien, dans le sens que Léon XIII a donné à ce mot.

Or, telle est précisément l'œuvre à laquelle se consacrent nos camara­des: tout d'abord, dans leurs cercles d'étude, ils s'appliquent à se réfor­mer et à se former eux-mêmes, en prenant connaissance plus directe­ment et plus intimement du Christ, de l'Evangile, de l'Eglise, de la doc­trine catholique; puis, hors de leurs cercles d'étude, ils s'ingénient à exercer une action rayonnante dont le caractère propre est d'être une force d'attraction vers le catholicisme, et cet apostolat s'exerce par les œuvres qui sortent et qui sortiront toujours plus nombreuses, toujours plus opportunes, toujours plus fécondes, s'il plaît à Dieu, du zèle qui s'enflamme dans nos cercles.

Je vous le demande, est-il un seul pèlerin de Rome qui osât prendre le parti de ne travailler que pour lui seul? ou qui renonçât à ce travail apo­stolique par une sorte du désespoir du succès? Est-ce que le Christ en mourant pour sauver le monde n'a pas voulu que nous soyons, dans ce grand œuvre, ses collaborateurs? Et c'est là ce qu'est le Sillon?

Il y a bien quelque originalité, en temps de fièvre et d'agitation super­ficielle, à revenir tout pleinement à la pure et intégrale tradition de l'Eglise.

C'est là, là seulement, qu'est le secret de notre force! Les anticléricaux s'en aperçoivent et ils ne peuvent s'empêcher de traduire le sentiment qui les trouble parfois quand ils manifestent leur estime à ces jeunes gens qui se donnent tout entiers au triomphe de leurs saintes convictions; c'est là tout le ressort de ces congrès qui réunissent jusqu'à cinq et six cents cercles, et qui - M. Gonin ne m'en donnera point le démenti - réuniront bientôt dans la région de Lyon, jusqu'à mille et deux mille cercles; c'est là le levier puissant qui soutient et soulève l'effort de tant d'âmes de bonne volonté, de tant d'ouvriers du Christ qui ont entrepris de reconstruire la cité sainte…

Il n'y a pas d'autre raison à la préférence que nous donnons à l'action sociale sur l'action politique. L'action politique représente ce qui est, l'action sociale prépare et effectue les transformations nécessaires.

Certes, et je suis bien loin de le nier, c'est une chose douloureuse pour un grand pays que de subir le joug des sectaires, mais il y a quelque cho­se de plus douloureux encore, c'est la torpeur de ce même pays qui rend possible le joug de ce sectarisme misérable!

Je sais bien que l'on nous dit: «Votre action n'est pas assez rapide. Le pays n'a pas le temps d'être sain avant d'être sauvé». Et ne faut-il pas répondre cependant que ce qui importe, avant tout, c'est cette conver­sion, c'est cette génération même.

Car enfin à quoi nous servirait de mettre debout, par une simple aventu­re, un gouvernement catholique, si le pays incapable de le comprendre et de le garder le subissait comme un poids abhorré, et si, dans ses profon­deurs, une réaction violente se formait ensuite qui balayerait, - et qui sait pour quelle période! - un gouvernement auquel il ne serait point préparé?

Cette entreprise, nous nous y livrons humblement et c'est parce que nous voulons la poursuivre humblement que nous l'avons osée et que nous la continuons avec confiance…

Il n'est pas vrai que le peuple le plus égaré soit impossible à reconquérir. Ceux qui ont assisté à Paris à notre réunion des Mille-colonnes savent qu'il suffit d'un seul baptême du sang pour avoir le droit de parler à ce peuple: ce peuple peut être anticlérical, mais il a toujours dans les replis secrets de son cœur un amour qui sommeille pour le Christ crucifié et il se rend tou­jours compte, plus ou moins confusément, qu'au bout de toutes les grandes avenues où l'humanité cherche une guérison ou un progrès, se dresse, seule vraiment bienfaisante, la Croix de Jésus-Christ!…».

Et M. Marc Sangnier résume et conclut son discours en montrant dans les cercles d'études le laboratoire où se forgent ces âmes confiantes et agissantes; dans les universités populaires, une autre manifestation plus flexible, plus large, du même esprit, qui tâche de faire passer un fi­let d'eaux vives à travers les eaux stagnantes; dans les œuvres sociales positives, les premiers fruits extérieurs du Sillon en même temps qu'un moyen d'action pour son apostolat…

Et Mgr Enard reprenant ce qu'avait exposé M. Marc Sangnier, avec toute l'autorité de son caractère, précisa son approbation.

«D'abord, dit-il, il s'agit pour vous, jeunes gens du Sillon ou de l'Asso­ciation de la jeunesse catholique, de vous réunir dans des cercles d'étude pour vous pénétrer de la doctrine catholique, pour vous former à une vi­vante apologétique. Et vous faites bien, car pour employer un mot du R. P. Dehon, on ne mène pas les hommes en les contraignant mais en les inspirant. Ç'a toujours été vrai, et c'est vrai aujourd'hui plus que jamais.

En second lieu, après vous être bien rendu compte de l'œuvre de l'Eglise dans le passé, vous vous efforcez de coopérer à cette œuvre, dans le présent, par vos associations d'enseignement, par votre action populaire et sociale.

Et vous avez raison. Car lorsque nous aurons prouvé pratiquement, sensiblement, au peuple, par des œuvres sociales, que nous lui sommes dévoués profondément, alors le peuple n'aura plus peur de nous!».

La séance se termina par une prière, que S. Em. le cardinal Cassetta récita et à laquelle l'assemblée répondit, pour les succès de l'action apo­stolique et sociale particulièrement en France.

III. AUTRES PAYS

Allemagne: Le Congrès de Cologne. - Rien n'est plus propre à donner une idée exacte de l'importance de ce Congrès que les réflexions des organes protestants. Citons-en deux. La Correspondance Hambourgeoise dit: «Le parti qui vient d'avoir au bord du Rhin, en la sainte Cologne, sa grande parade d'automne, dispose de forces considérables, brillamment disciplinées, qui devront être prises en considération comme facteur po­litique au fur et à mesure que leur caractère de parti d'opposition dispa­raîtra davantage.

Cela justement nous paraît être la signification du Congrès de Colo­gne. C'est un fait politique de premier rang, que l'organisation du peu­ple catholique forgée pour l'opposition, dans le feu d'un ardent combat, soit demeurée intacte dans les jours de paix, si bien qu'elle fleurit visible­ment et se développe toujours davantage sous les chauds rayons du soleil de la paix.

Il est en outre remarquable que le Centre arrive sans conteste à tenir des armées de travailleurs éloignées du drapeau rouge. Ni les charges à la hussarde de la Ligue agraire, ni les ébranlements produits par la cam­pagne contre les tarifs douaniers ne sont parvenus à modifier d'une fa­çon sensible la fidélité de ses masses au parti du Centre; la puissance de concentration des idées du Centre, à laquelle, une raisonnable ardeur pour la politique sociale n'est pas étrangère, s'est, au contraire, révélée assez forte pour dominer toutes ces tendances centrifuges».

Le Francfurier General Anzeiger insiste aussi, à propos du Congrès de Co­logne, sur le fait que le parti catholique apparaît, malgré tout ce qu'on peut dire, comme la seule digue contre le flot montant du socialisme.

«Le secret de cette puissance est évident pour tous les hommes clair­voyants, poursuit ce journal. Le Centre est aujourd'hui le seul parti qui se recrute également parmi les bourgeois, les paysans et les ouvriers, qui ne doive pas ses mandats au fait qu'il favorise les intérêts de couches par­ticulières de la population. Le Centre, en matière de politique sociale, reconnaît la démocratisation de la société, il poursuit la mise sur le mê­me pied de toutes les classes, là où d'autres partis ne font que de la politi­que d'aumône. Il y a une fine nuance psychologique entre dire qu'on ac­corde aux travailleurs ceci et cela et dire que le travailleur a un droit ab­solu à la réalisation de telle et telle revendication… Reconnaître l'égale valeur de toute âme humaine, repousser toute autorité qui n'est pas une autorité morale, telle est la démocratie chrétienne qui agit de fascinante façon dans les milieux politiques». Ces appréciations, émanant d'origi­nes peu sympathiques à la cause du Centre, attestent la vertu de conser­vation sociale que possèdent les groupes catholiques.

Belgique: Le Congrès de la Ligue démocratique. - Le Congrès annuel s'est tenu à Hasselt avec un grand éclat.

Ce qui ressort à nos yeux de ce Congrès, c'est qu'il faudrait arriver en Belgique à grouper en un seul faisceau l'Union catholique et l'Alliance démocratique.

Léon XIII a obtenu la fusion générale de l'action catholique en Italie en classant les démocrates chrétiens dans la seconde section de l'Œuvre des congrès. L'épiscopat belge créera un jour un comité central qui réunira tous les groupements catholiques. L'exemple du Saint-Siège y oblige.

Donnons, pour indiquer la physionomie du congrès, les résolutions qu'avait proposées l'abbé Marlière sur les Moyens de combattre le socialisme. Ces résolutions ont été adoptées presque intégralement. Elles résument la doctrine sociale que nous donnons dans cette Revue depuis dix ans.

Conclusions: Le socialisme étant à la fois un corps de doctrine et un par­ti d'action politique économique, il faut, partout où il se montre, partout où il pourrait s'implanter, dresser contre lui un plan défensif d'ensem­ble. Négliger un seul moyen de résistance, c'est compromettre l'efficaci­té de tous les autres.

La défense doit porter sur un triple terrain, religieux, social, économi­que.

1° Moyens religieux contre le socialisme:

a) Développer l'enseignement de la religion catholique et de sa mora­le dans les écoles, au catéchisme et dans les instructions pastorales.

b) Faciliter la pratique des devoirs religieux en multipliant les églises au fur et à mesure de l'augmentation de la population.

c) Promouvoir l'érection et le développement de congrégations et confréries pieuses populaires pour les femmes et pour les hommes, et tout spécialement de l'œuvre des retraites fermées pour la bourgeoisie et pour les ouvriers.

d) Propager les établissements de religieuses qui soignent gratuite­ment à domicile les malades et les blessés.

2° Moyens sociaux:

a) Education sociale: grouper l'enfance et la jeunesse dans les patro­nages où l'on multipliera les récréations honnêtes, pour empêcher les en­fants et les jeunes gens de vagabonder aux heures de loisir. - Fonder et développer les cercles ouvriers où se donneront des conférences fréquen­tes, politiques, économiques et sociales. - Fonder des cercles d'études sociales pour la classe ouvrière, des clubs de conférenciers populaires, des bibliothèques de littérature sociale.

b) Groupements sociaux: Constituer des syndicats professionnels ex­clusivement ouvriers, dont le noyau sera recruté parmi les chrétiens fer­vents qui ont passé une ou plusieurs fois par l'épreuve de la retraite fer­mée. Ne pas craindre, l'occasion donnée, d'appuyer énergiquement les revendications légitimes de ces syndicats, mais prendre garde, dans l'élaboration des statuts, que la direction ne puisse tomber entre des mains indignes.

3° Moyens économiques:

a) Habitations: Créer et développer les sociétés d'habitations ouvriè­res.

b) Denrées de consommations: Partout où les ouvriers sont assez nombreux, établir une boulangerie, une brasserie ou un magasin catho­lique, sous la forme coopérative ou anonyme. Veiller à ce que ces éta­blissements puissent être des centres de propagande catholique.

c) Tempérance: Obtenir de la législature qu'elle accentue ses mesures de répression contre les ravages de l'alcool. - Encourager l'enseigne­ment et la propagande antialcooliques.

d) Enseignement: favoriser l'enseignement professionnel et la créa­tion d'écoles d'apprentissage à base religieuse, vulgariser les écoles mé­nagères.

e) Prévoyance: Fonder et développer les sociétés de secours mutuels et les sociétés de retraite, en prenant dans les statuts les précautions nécessai­res pour que ces sociétés ne perdent pas plus tard leur caractère catholique.

Observations: 1° Il faut souhaiter vivement que la mise en pratique des différents moyens de lutte sur le terrain économique et social soit poursuivie dans un esprit d'union et de centralisation qui lui donnera le ma­ximum d'effet utile.

2° Il faut faire les plus grands efforts pour l'extension de la presse ca­tholique, en vue d'accroître son influence sur le développement des idées économiques et sociales de la classe ouvrière.

3° Les catholiques qui ont quelque pouvoir dans la direction des en­treprises industrielles et tout spécialement des industries minières ont le devoir le plus grave de confier la gestion de ces sociétés à des chefs d'ex­ploitations qui mettent au-dessus de tout les intérêts moraux et religieux de leur personnel.

Suisse: Le congrès catholique de Lucerne. - Le premier congrès catholique suisse s'est tenu à la fin de septembre, à Lucerne.

Le jour de l'ouverture, dans l'après-midi, un cortège immense s'est déroulé, formé des délégations de tous les cantons, composé de plus de dix mille hommes, marchant derrière des centaines de drapeaux arborés par les multiples associations qui participent au congrès. Ils ont défilé sans pousser un cri de provocation, sans se départir un instant de leur mâle attitude. Leur dignité tranquille, plus encore que leur nombre im­posant, a forcé l'admiration de la population à laquelle on avait donné le mot d'ordre de l'indifférence, sinon de l'hostilité. C'est en vain que l'or­gane radical du chef-lieu, le Luzern-Tagblatt avait cherché à ameuter ses fidèles en leur dénonçant le «catholicisme politique». Ses coups ont por­té à faux et ne paraissent plus aujourd'hui, devant l'énorme succès de cette journée, que le ridicule effort de l'impuissance.

Les masses accourues au Katholikentag ont effectué, en quelque sorte, une prise de possession des rues de Lucerne, et cette manifestation que le Tagblatt taxait de «brutale» se trouve être le plus beau spectacle de l'en­thousiasme populaire.

Cinq mille personnes ont pu prendre place dans la salle du congrès, décorée avec le meilleur goût.

La séance a été ouverte par une allocution de bienvenue, prononcée par M. During, avoyer régnant du canton. L'orateur a exposé le but du pro­gramme: l'union des forces catholiques, et l'organisation de ces forces.

Puis M. During a donné lecture de la lettre, adressée à Sa Sainteté par le comité local, et de la réponse, faite au nom du Souverain Pontife par Mgr Merry del Val, pro-secrétaire d'Etat de Pie X.

Sur l'invitation de M. l'avoyer During, Mgr Haas, évêque de Bâle, monte à la tribune.

Il est accueilli par une ovation indescriptible. Sept mille poitrines ac­clament le vénérable pontife blanchi dans les sollicitudes de l'épiscopat. «Je suis heureux, dit en substance Mgr Haas, de me trouver au milieu de ces nombreux citoyens suisses dont la suprême ambition est de vivre et de mourir catholiques. Nous ne rêvons qu'une chose, c'est de rendre à notre Eglise la plénitude de ses libertés. Il y a quelques jours, 500 pèle­rins suisses faisaient leur entrée à jérusalem et s'acheminaient en proces­sion vers le Saint-Sépulcre. Personne n'a troublé cette procession, qui est interdite dans certains cantons suisses. Ce qui est permis sous le joug turc devrait être toléré, semble-t-il, dans notre libre Suisse…».

Le congrès, s'étant formé ensuite en plusieurs sections, a étudié dans leurs plus intéressants détails toutes les questions qui sollicitent en ce moment l'attention des catholiques: l'instruction publique, l'éducation, la presse, les subventions scolaires, la liberté de l'enseignement, le déve­loppement des œuvres ouvrières, les caisses rurales et, pour tout dire d'un mot, l'ensemble de la question sociale.

CHRONIQUE (Décembre 1903)

I. ROME

Pie X et l'action populaire. - Le Pape Pie X accentue tous les jours son orientation vers l'action populaire et démocratique.

Souvent le dimanche il reçoit, dans la cour du Belvédère au Vatican, quelques milliers des modestes habitants du Transtevere, et il leur adres­se la parole comme ferait un humble curé à ses ouailles. Ces braves gens l'aiment déjà passionnément.

Il encourage le second groupe de l'Œuvre des Congrès italiens, c'est le groupe démocratique. Dernièrement il accueillait avec une faveur particulière le président de ce groupe, M. le comte Medolago, qui publia le compte-rendu de sa conversation avec le Pape.

«Je suis heureux, disait-il, je suis heureux au delà de toute expression de pouvoir vous rapporter comment au cours de l'audience qu'il a eu la bonté de m'accorder à M. le chanoine Daelli et à moi, le 4 de ce mois, Sa Sainteté Pie X s'est complue à approuver l'orientation et l'œuvre de no­tre groupe, tout en accordant largement ses encouragements et sa béné­diction apostolique à tous les membres du deuxième groupe et à chacune des institutions qui y adhèrent.

Réconfortés par la parole souveraine et paternelle du Vicaire de Jésus­Christ, nous pouvons et nous devons, avec un redoublement de zèle et d'activité, continuer à suivre la voie tracée par Léon XIII de sainte mé­moire dans ses mémorables Encycliques Rerum novarum et Graves de com­muni. Le vénérable successeur de Léon XIII veut que l'on continue à suivre cette voie sans y rien modifier, à la suivre tout entière, puisqu'elle doit nous conduire à l'élévation graduelle des classes populaires, qui, réunies à l'ombre de l'Eglise dans leurs groupements propres, doivent être l'instrument de pacification et de rédemption sociale».

Pie X et la Ligue démocratique belge. - Parmi les audiences de ces jours-ci, il faut noter spécialement celle de M. Arthur Verhaegen, prési­dent de la Ligue démocratique belge.

M. Verhaegen a été autorisé à lire à S. S. Pie X une adresse, et S. Exc. Mgr Merry del Val a fait parvenir le lendemain, au nom du Pape, au président de la Ligue démocratique belge cette réponse que nous re­produisons à cause de sa réelle importance:

En réponse à l'adresse que vous avez présentée au Saint-Père au nom des 120,000 ouvriers de la Ligue démocratique belge j'ai l'honneur de vous donner l'assurance que Sa Sainteté a accueilli, avec une bienveil­lance toute particulière, les sentiments de filiale soumission dont vous vous êtes fait l'interprête au nom de l'association que vous présidez.

Le Saint-Père s'intéresse avec une affection paternelle au sort des clas­ses ouvrières, et il ne peut que se réjouir des œuvres que les catholiques belges ne cessent d'entreprendre pour le relèvement moral et matériel des ouvriers. Sa Sainteté se plaît à reconnaître que cette entreprise si éminemment catholique est l'objet spécial de vos efforts et que, sous la haute direction de l'épiscopat de votre pays et en union avec tous ceux qui dirigent l'action catholique en Belgique, vous vous dévouez sans re­lâche à maintenir des milliers d'ouvriers dans le chemin de la vertu et du devoir et à les arracher aux dangers qui les entourent.

Pour conserver l'union qui, seule, peut vous donner la force et assu­rer, le succès de vos aspirations légitimes, le Saint-Père approuve entiè­rement que, sur le terrain politique, tout en gardant l'autonomie de sa sphère d'action, la Ligue démocratique belge ait soin de subordonner ses intérêts particuliers à l'intérêt général et que, sur des listes communes et en parfait accord avec les chefs autorisés du parti catholique belge, cette association puisse présenter des candidats toutes les fois que les circonstances locales le permettent.

Vaillant défenseur de toutes les belles et grandes causes, vous saurez certainement correspondre aux désirs de Sa Sainteté qui vous bénit, ain­si que tous les ouvriers dont vous lui avez porté l'hommage.

RAPHAEL MERRY DEL VAL

Ce document consacre les travaux de la Ligue démocratique belge. Les membres de cette Ligue y puiseront un puissant encouragement.

II. FRANCE

La franc-maçonnerie. - Il n'y a plus en France ni liberté ni justice. La franc-maçonnerie règne et gouverne sans autre idéal que le haine du Christ et l'intérêt de la secte.

Elle trace, dans ses convents annuels, la ligne de conduite que le gou­vernement et le parlement doivent suivre pour opprimer la liberté reli­gieuse dans l'administration, dans l'armée, dans la magistrature, dans l'enseignement.

Nous ne vivons plus sous un gouvernement régulier, mais sous l'op­pression tyrannique d'une secte.

Les francs-maçons commencent à prévoir le châtiment qui les attend sous un gouvernement juste, sous un gouvernement qui mérite ce nom. On lisait dernièrement dans leur revue l'Acacia:

«A la tenue de la loge France et Colonie (Orient de Paris), le F. Dela­roue a rappelé que les agissements de toute association non déclarée ont pour sanction la nullité des actes et la dissolution (art. 7 et 17 de la loi de 1901). - Songez, ajoutait-il, aux dangers que nous ferait courir un gou­vernement respectueux de la loi. Chaque jour nous faisons des actes de la vie civile; nous avons un local, nous recevons des cotisations, nous avons des sociétés civiles pour beaucoup de buts…, nous nous fédérons; tous ces actes peuvent nous conduire à notre perte. Nous fédérer! mais voilà un acte qui nous est absolument interdit dans l'état actuel…».

Le F . ' . Delaroue reconnaît donc lui-même qu'un gouvernement juste devrait obliger la franc-maçonnerie à respecter la loi du ter juillet 1901, à faire la déclaration de publicité prévue par l'article 5 de cette loi; sinon, on devrait la dissoudre, comme une simple congrégation religieuse.

Patience, cela viendra!

La liberté d'enseignement. - En ce moment où cette liberté sacrée est traquée à son tour par le gouvernement esclave des loges, emprun­tons à une plume simplement libérale et loyale quelques lignes qui dé­noncent la tyrannie.

M. Charles Dupuy, sénateur de la Haute-Loire, ancien président du Conseil et ancien président de la Chambre, écrit sur la liberté d'ensei­gnement, dans la Revue parlementaire:

«Il s'agit de savoir si, dans un pays de liberté, on violera une liberté essentielle.

En quoi consiste donc la liberté d'enseignement?

Lorsque, dans un pays, chaque citoyen peut ouvrir une école et cha­que père de famille choisir pour ses enfants l'école qu'il veut, ce pays possède la liberté d'enseignement.

Ouvrir une école, choisir son école, ce sont deux droits connexes, qui vont en quelque sorte au-devant l'un de l'autre; la liberté d'enseigne­ment résulte de leur pénétration et de leur fonctionnement mutuels.

Penser, parler, nul ne m'en conteste le droit; la liberté de penser et de traduire ma pensée, la liberté de penser et de croire, de nier ou de dou­ter, la liberté de conscience en un mot est un droit pour moi, qui se con­fond avec le droit de vivre. Dès lors, comment le droit d'enseigner me serait-il contesté? Comment me dénierait-on le droit de communiquer ma pensée, mes sentiments, mon savoir à mes semblables, de montrer aux jeunes, aux enfants, ce que j'ai appris et de les faire profiter de mon effort, de mon acquis et de mon expérience.

On objecte qu'entre le droit du maître et le droit du père, il y a le droit de l'enfant; c'est sur l'enfant, dit-on, qu'il faut veiller; sa personnalité naissante réclame les soins les plus attentifs, la sauvergarde la plus effica­ce.

Eh bien! mais la famille est là pour aviser. Qui donc aimera l'enfant plus que ne le font les parents? Qui donc peut, plus et mieux que les parents, le vouloir bon, raisonnable, heureux? C'est donc le père qui doit choisir l'école qui convient à son fils, cet autre lui-même, appelé à représenter et à prolonger dans l'avenir le père disparu, et faire, à ses côtés d'abord, puis à sa place, figure d'homme et de citoyen.

Donc, le père a le devoir et le droit d'élever et d'instruire son enfant. S'il manque de capacité ou de loisir pour exercer lui-même ce droit, il peut assurément le déléguer à autrui, à un remplaçant qui aura sa con­fiance. Il ne semble pas que ce point puisse être contesté.

Le père a donc le droit de faire élever et instruire son enfant ainsi qu'il l'entend et de lui donner, par conséquent, les maîtres de son choix. Cela est évident si l'éducation a lieu dans la famille, au domicile du père, in­violable légalement.

Pourquoi donc en serait-il autrement si l'instituteur choisi par le père donne l'instruction ailleurs, pourvu que cet instituteur se conforme aux lois et règlements concernant la matière? Le droit change-t-il, le droit n'est-il plus le droit parce qu'au lieu de s'exercer au foyer il s'exerce au dehors?».

III. AUTRES PAYS

Les catholiques portugais. - Sous le titre Programma nacionalista, une intéressante brochure nous annonce l'organisation d'un parti catho­lique portugais, qui est décidé à agir plus vigoureusement que les défen­seurs des saints principes de conservation sociale ne l'ont fait jusqu'à ce jour dans ce pays.

Le parti prend le titre de nationaliste. Ses organisateurs le déclarent ab­solument impersonnel, et indépendant de toutes ambitions individuel­les.

Ils réclament la liberté religieuse, surtout dans l'enseignement:

«Le nationalisme, dit le programme, affirme, en tant que parti catho­lique, et comme fondement de sa doctrine, sa pleine adhésion aux prin­cipes du catholicisme, et la nécessité de la conservation du principe reli­gieux dans l'éducation, comme élément essentiel du progrès dans l'or­dre. Il reconnaît la dépendance logique et la corrélation nécessaire qui existent entre le progrès et l'ordre, entre l'ordre et la morale, entre la morale et la religion, la religion étant la base de la morale, la morale le fondement de l'ordre, et l'ordre la condition du progrès».

Le programme comporte l'harmonie entre l'Eglise et l'Etat, le déve­loppement des libertés publiques, l'accueil sympathique aux réclama­tions légitimes des classes ouvrières, la multiplication des caisses rurales. Il réclame des élections libres et affranchies de la tutelle du pouvoir exé­cutif, la représentation des minorités, la décentralisation, l'indépendan­ce des pouvoirs législatif et judiciaire, la régularisation de la responsabi­lité ministérielle.

Les nationalistes veulent aussi l'essor du mouvement colonial, une au­tonomie plus large des colonies portugaises et plus d'esprit de suite dans le gouvernement de celles-ci. Ils se déclarent partisans de l'alliance an­glaise, pourvu que cette alliance ne soit pas une tutelle, et reconnaissent que les Portugais ont beaucoup à apprendre des Anglais, s'ils veulent de­venir forts. Ils forment des voeux pour la restauration des antiques et héroïques vertus portugaises et demeurent attachés aux glorieuses tradi­tions de leur patrie.

Ce programme a été voté au congrès nationaliste de Porto.

Nous prions nos amis de là-bas d'agréer les voeux sincères que nous formons pour le succès de leur vaillante entreprise.

Espagne: un spectacle digne du bon vieux temps. - C'était bien une scène digne des siècles chrétiens que le récent pèlerinage du roi à Sa­ragosse. Il a passé là pieusement sa journée dans les exercices de piété. Il a assisté à une messe militaire célébrée sur la place de la Constitution. Il a suivi dans l'après-midi la procession du Rosaire.

Agenouillé au pied de l'autel miraculeux de Notre-Dame del Pilar, il a offert à Marie son sceptre et sa couronne. De par le roi, l'Espagne rede­vient le royaume de Marie. C'est l'acte d'hommage du vassal à sa Sou­veraine.

La sainte Vierge s'en souviendra, elle bénira le roi et la nation.


1)
Œuvres complètes de Joseph de Maistre, Tome X, p. 448.
2)
Tome XII, p. 33.
3)
Catechismo sociale del P. Dehon, con prefazione del professore Tomolo. – Flo­rence: Libreria editrice fiorentina.
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