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Quatrième conférence

Le Socialisme et l'Anarchie

Prononcée le 18 février 1897, cette quatrième Conférence est reprise en cinq livraisons successives dans Le Règne de 1899. Avec la suivante c'est une des plus longues de la série, 42 pages dans la présente édition.1)

Le Manuel social chrétien (1894) avait déjà longuement présenté, parmi les faux remèdes à la question sociale, le so­cialisme surtout et l'anarchie qui en est la «floraison». Et souvent le Père Dehon, en particulier dans sa revue Le Règne, articles et chroniques mensuelles, suit l'évolution de ce mouvement, à la fois idéologie et force d'action sociale. Dans sa Conférence, c'est à ce dernier aspect qu'il s'arrête principalement.

Il commerce par rappeler la réfutation da socialisme que le Pape Léon XIII a développée, surtout pour les consé­quences de son application: un collectivisme imposé de force, donc une servitude inhumaine, la désorganisation de la société, «l'égalité dans le dénuement, l'indigence et la mi­sère» (p. 171).

Des causes morales ont favorisé la montée du socialisme: ainsi le recul de l'influence évangélique, et la philosophie da 18ème siècle avec ses utopies. Mais voyons bien qu'inter­viennent aussi des causes économiques très évidentes dans notre société. Les progrès mal gérés de l'industrie et da grand commerce ont créé un «mal-être général» (p. 172), qu'avec raison Marx et beaucoup d'autres dénoncent: «La propriété, l'industrie s'enrichissent, le salariat s'appauvrit» (pp. 173­174). Malheureusement le socialisme qui se propose comme remède aboutit en réalité au résultat exactement contraire, c'est en fait «l'accroissement indéfini du mal» (p. 174).

Ce socialisme est un mouvement à plusieurs têtes, cha­cune avec ses traits propres: plus politique ou plus sociale, plus ou moins collectiviste, plus ou moins rigide sur les prin­cipes. Ce qui est incontestable, c'est qu'il gagne du terrain, tant dans les campagnes que dans les villes. Une «propa­gande quotidienne incessante» (p. 178) le diffuse par d'in­nombrables journaux ou bulletins, en France et en Europe. Il est soutenu par l'argent de beaucoup. Et en conséquence il progresse dans les votes aux élections nationales, commu­nales ou autres.

Le Père Dehon insiste: un tel succès croissant du socia­lisme s'explique en partie par la part de vérité qu'il met en lu­mière. «Ce n'est pas en le niant que nous arrêterons le cou­rant, c'est en reconnaissant loyalement ce qui est fondé dans les plaintes des prolétaires et ce qui est juste dans leurs reven­dications … Et les remèdes proposés par l'école socialiste ne sont pas tous entachés d'injustice ou d'utopie» (pp. 181-182).

L'industrialisme sauvage a provoqué la misère pour beaucoup. L'individualisme me l'indispensable solidarité. L'Etat a trop démissionné de son devoir de protéger les faibles. L'inégalité n'est pas assez contenue par l'autorité so­ciale. Le luxe de quelques-uns offense le peuple innombrable qui travaille et souffre. Le règne du capitalisme est insuppor­table. Il y a un malaise général chez les hommes du travail, les expressions en sont criantes (la criminalité, les suicides…). Dans la société c'est le divorce entre les forces du travail et le capital; la compression croissante des salaires au bénéfice de la production; une offre d'emploi bien supérieure à la de­mande et donc des conditions de travail lamentables… «Cette situation anormale appelle une réforme sociale considé­rable» (p. 183).

Mais le socialisme véhicule aussi des utopies, il comment des excès, il engendre la violente. Utopie: le collectivisme gé­néralisé devrait, parait-il, créer la richesse pour tous, il ou­vrira l'ère de la liberté, la gratuité des services publics, le bonheur pour tous… On oublie allègrement le prix à payer pour de tels rêves: la contrainte, l'arbitraire d'une autorité sans frein, l'omnipotence d'un Etat qui étouffe l'initiative et la responsabilité personnelle, la perte da goût du travail en conséquence de la suppression de toute propriété privée, donc la décadence, et l'appauvrissement. «Prêcher le socia­lisme, c'est donc bercer la misère humaine par une chanson nouvelle et sans fondement, le collectivisme devant laisser subsister et méme accroître vraisemblablement l'injustice, les luttes sociales et la misère» (p. 191).

En réalité cette utopie engendre la violence, comme on peut facilement le constater déjà: violence de l'athéisme ma­térialiste, de la divinisation de l'homme qui n'a plus ni Dieu ni maître; déchaînement donc d'une lutte à mort contre l'E­glise et son influente sociale (sur la famille, la patrie, l'orga­nisation du travail…). Une violence qui brúle d'impatience de s'imposer, y compris en renouvelant la Terreur et la Commune avec leur guillotine et leurs innombrables ra­vages.

Le parti de l'anarchie pousse à l'extrême cette stratégie de violence, mais pour un but opposé à celui recherché par le socialisme: non plus imposer l'Etat collectiviste, mais bien carrément le supprimer, au bénéfice de la seule organisation communale et de l'individualisme absolu.

A partir de penseurs qui ont próné la liberté individuelle et l'égalité sans limites, l'anarchisme est né du russe Bakou­nine (1814-1876), ami puis adversaire de Marx, qui a suscité tout un courant révolutionnaire à travers l'Europe. Il a orga­nisé ses associations, ses congrès, sa propagande. Il a semé à tout vent ses utopies, celle par exemple du progrès indéfini, ou de la bonté native de l'homme dans sa liberté sans contrainte aucune. Les groupes anarchistes sont nombreux, fluctuants, efficaces. Pour soutenir leur propagande ils ont tissé un réseau serré, bien que fluctuant lui aussi: journaux, revues, livres, chansons, réunions sous la forme populaire de «soupes-conférences» (p. 204)… Les anarchistes ont déjà à leur actif de nombreux troubles sociaux et attentats. Et quand leurs auteurs viennent à être condamnés, on s'em­presse d'en faire alors des martyrs: car leur engagement est vécu comme une religion.

Comment porter remède à cette action dissolvante du so­cialisme et de l'anarchie? Le Père Dehon développera plus tard ce qu'il résume ici en indiquant trois formes d'action: l'action de l'Eglise, l'action de l'Etat par la mise en place de la législation, et l'action personnelle.

«L'Eglise doit former les âmes à l'esprit de charité, de patience, de détachement des biens de la terre, mais elle doit aussi s'occuper des intérêts du peuple… L'Evangile nous ap­prend que Jésus guérissait les corps pour atteindre les intel­ligences et multipliait les pains pour sanctifier les âmes» (p. 207). D'où le cri d'alarme de Léon XIII, lancé surtout à l'a­dresse da clergé: «Allez au peuple!» (p. 208), rejoignez-le dans sa situation et dans ses légitimes revendications. Le peuple retrouvera la faim inconsciente du Christ présente en lui depuis le baptême, il retrouvera la force de la confirma­tion «pour se montrer chrétien partout, dans la vie sociale comme dans la vie privée» (ibid.). «Le parti catholique ne doit pas laisser aux socialistes la gloire de se proclamer les hérauts de la justice et d'élever la voix au nom des opprimés» (ibid.). «Une des formes les plus actives de l'apostolat est la presse…: Il faut y mettre une ardeur infatigable… La victoire sera aux plus agissants» (p. 209).

L'Etat pour sa part doit résolument mettre en oeuvre une sérieuse réforme législative: la reconnaissance juridique des associations, le contrat de travail, le salaire minimum, les as­surances et la défense des droits des travailleurs et de la petite propriété, la justice en ce qui concerne l'impót, les règles des opérations de bourse et des échanges financiers, et la surveil­lance sur les sectes, sur l'influence des Juifs…

Enfin l'action personnelle est elle aussi sollicitée, l'apport de l'initiative privée: elle se déploie à travers la participation à la vie politique par le vote, dans le développement de l'es­prit d'action collective: syndicats, associations profession­nelles, participation aux bénéfices, tout cela selon l'esprit de justice et de charité, «l'esprit chrétien large et éclairé» (p. 211). En donnant à toute cette action un net caractère démo­cratique, selon une aspiration universelle. Il ne faut surtout pas laisser croire que seul le socialisme est démocratique, mais «il ne suffit pas de tourner en ridicule le programme des socialistes, il faut opposer à leurs utopies les réformes pra­tiques qui découlent des principes chrétiens» (p. 212).

«Allons au peuple pour l'éclairer, pour l'instruire, l'ai­mer. Allons à lui avec un programme social précis avec des oeuvres vraiment populaires, avec une incessante activité… Allons à ce peuple qui souffre et qui cherche le salut dans des utopies. Allons à lui avec une véritable science sociale et avec des oeuvres. Démasquons les socialistes, montrons les vrais remèdes au mal social. Aimons le peuple, défendons-le. Il nous attend,… il nous défendra à son tour… A l'œuvre! A l'oeuvre!» (pp. 212-213). Ici encore, c'est bien toute une per­sonnalité qui se livre dans ces phrases énergiques: une ar­dente solidarité avec ceux qui souffrent, un vigoureux appel à la responsabilité et à l'action.

I. Dès ses premières. encycliques Inscrutabili et Quod apostolici en 1878, Leon XIII signale les dangers du socialisme et du communisme. Mais c'est surtout dans l'Encyclique Rerum novarnm qu'il attaque de front cette doctrine, qu'il la réfute pleinement en montrant combien elle est injuste et contraire à la nature dans ses principes, combien elle serait funeste dans son application.

«En dehors de l'injustice de leur système, on n'en voit que trop les funestes conséquences: la perturbation dans tous les rangs de la société, une odieuse et insupportable servitude pour tous les citoyens, la porte ouverte à toutes les jalousies, à tous les mécontentements, à toutes les discordes; le talent et l'habileté privés de leurs stimulants, et, comme conséquence suprême, les richesses taries dans leur source: enfin, à la place de cette égalité tant rêvée, l'égalité dans le dénûment, dans l'in­digence et la misère».

II. Le socialisme économique, en soi, c'est la suppression de la propriété privée et la mise en commun des richesses acquises et des moyens de production. Dans ce sens strict, la vie commune des ordres religieux est une forme de socialisme volontaire.

La doctrine socialiste contemporaine ne se borne pas à la mise en commun volontaire et libre des biens acquis et des instruments de production; elle veut imposer à tous le joug de cette communauté et de plus elle se complique de doctrines subversives de la religion, de la famille et de toute liberté.

III. Les causes de cette explosion actuelle du socialisme sont multiples. On peut mettre au pre­mier rang les causes morales: la diminution de l'action évangélique, l'oubli de la philosophie chrétienne, l'effloraison des utopies philosophiques du xviiie siècle.

La diminution de la foi à ruiné l'esprit de justice et de charité dans les classes supérieures de la société, l'esprit d'humilité et de patience chrétiennes dans les classes inférieures.

Mais il faut bien se garder de méconnaître les causes économiques du malaise contemporain. L'industrialisme a amené,

par les crises de surproduction et de chômage;

par les effets de la concurrence;

par l'iniquité des contrats de travail;

par la suppression des industries domestiques;

par l'entassement des travailleurs dans les cités industrielles;

par le travail des femmes et des enfants à l'usine, etc.:

un mal-être général,

une décomposition sociale, un mécontentement profond des classes déshéritées.

En même temps que l'industrie, le grand com­merce désorganisait le travail. Le mal s'étendait partout, jusque dans la culture, qui prenait des allures industrielles; jusque parmi les familles patriarcales de nos travailleurs de la mer. Un exemple entre cent:

Il y a dix ans encore, nos matelots allaient à la pêche à la pari (en coopération). Chacun avait son lot de filets, il allait à la mer avec un patron de bateau, lui-même pêcheur, et sauf un prélèvement pour le bateau et le ravitaillement, on distribuait entre tous le bénéfice d'une année. Chaque homme gagnait alors, bon an mal an, 5.200 à 3.000 fr. sur les quels il fallait déduire 7 à 800 fr. pour l'entretien des filets.

Mais les saleurs (entrepreneurs de salaison) ont acheté bateaux et filets et donnent un salaire fixe, qui fut d'abord de 130 à 150 fr. par mois, et qui est tombe à 70 fr., et il y a deux mois de chômage!

Comment les travailleurs et ceux qui leur portent intérêt n'auraient-ils pas cherché un remède à cet état social intolérable?

Des le milieu de ce siècle, après les premières exploitations de l'industrialisme, les théories émises par Babœuf, au siècle dernier, sur l'égalité, revinrent sur l'eau. Saint-Simon, Fourier les développèrent en France, en s'appuyant surtout sur le sentiment et en allant droit à la pratique par le projet d'une société communiste et égalitaire.2)

Karl Marx voulut aller scientifiquement à la source du malaise. Il appliqua au capital industriel les théories sur la plus-value, que Ricardo, Malthus et Stuart-Mill appliquaient à la propriété en Angleterre.

Les uns et les autres disaient, avec trop de fondement en fait: La propriété, l'industrie s'enrichissent, le salariat s'appauvrit; c'est donc que la propriété et l'industrie recueillent injustement la plus-value procurée par le travail.

En fait, cela s'est réalisé souvent dans notre siècle, sous le règne de la cupidité qui domine les âmes et dans l'état de désorganisation sociale où nous vivons.

Mais le remède n'est pas, comme nous le verrons, dans le socialisme. Ce serait l'accroissement indéfini du mal.

IV. Quelle est aujourd'hui l'importance de l'école socialiste?

En France, elle compte cinq ou six branches:

les Blanquistes, sous-divisés en deux tronçons; les Broussistes, les Allemanistes, les Guesdistes (ou Marxistes français) et les Indépendants.3)

En 1897, les Blanquistes ont pour chefs Vaillant et Granger, assistés de Chauvière et de Walter. Ils sont plus politiques que sociaux et s'inspirent de Blanqui et de Babœuf. Ils s'attribuent 35.000 adhérents. Leurs progrès sont dus surtout à des influences locales. Ils ont conquis 50 municipalités dans le Cher, grâce à Baudin et à Thivrier.

Les Broussistes sont les socialistes d'Etat. Ils attendent leurs succès de l'action parlementaire. Ce sont les opportunistes du parti. Ils se nomment aussi Possibilistes. Ils ne comptent qu'un député, M. Lavy.

Les Allemanistes sont les partisans de la lutte des classes et de la grève générale. Ce sont des agités plutôt que des doctrinaires. Ils ont trois groupements régionaux: une fédération du Centre, dont le siège est à Paris et qui compte 60 groupes; une fédération des Ardennes, dont le siège est à Charleville, et une fédération de l'Est, centralisée à Dijon.

Les Guesdistes, ou Marxistes français, sont les collectivistes purs. Les noms les plus marquants du groupe sont ceux de Guesde, Deville, Ferroul, Chauvin, Carrette et Zevaës.

Les Indépendants sont des politiciens sans doctrines économiques précises. L'un d'eux, Fournière, les décrit ainsi:

«Ceux qui, ainsi que moi, ne sont encadrés par aucun des bataillons du socialisme militant: le marxiste, le possibiliste brozissiste, le possibiliste allemaniste, le blanquiste nuance Vaillant, le blan­quiste nuance Granger, l'intransigeant, et se disent socialistes sans épithète et marchent au canon quel que soit le corps engagé, sont de beaucoup les plus nombreux dans le parti socialiste. Ils ne sont pas organisés en sections spéciales, mais ils comptent des hommes tels que Jaurès, Millerand, Viviani, Sembat, Rouanet.

«Pour ne parler que de Paris, alors que la fraction broussiste n'a que deux députés, la fraction allemaniste trois, la fraction blanquiste Vaillant deux, la fraction blanquiste Granger trois, la frac­tion intransigeante trois, la fraction marxiste pas un, ils en comptent sept. - De même au conseil municipal: sur dix-neuf révolutionnaires, les non-encadrés sont au nombre de six: les treize autres appartiennent à quatre fractions différentes».

On peut consulter, sur cette classification, l'Association catholique du 15 février 1897: le Monde socialiste, par de Seilhac.

La vérité est que le socialisme gagne du terrain; il envahit les ouvriers des villes, atteint les ruraux et pénètre dans les couches supérieures de la société. Ce fait est incontestable.

Les syndicats ouvriers, les bourses du travail, foyers actifs du socialisme, voient leur nombre s'accroître d'année en année. Les doctrines du parti sont répandues à profusion par un nombre considérable de journaux et de revues. Il y en à pour toutes les catégories de lecteurs, depuis le Père Peinard, écrit en langue d'atelier, jusqu'à la Revue socialiste, s'adressant au monde savant. (Cette revue va toujours progressant par son importance et sa diffusion).

Le socialisme augmente dans les grandes villes et dans les centres ouvriers, comme le prouve le nombre croissant des voix obtenues par les candidats socialistes dans les élections générales qui ont eu lieu depuis 1887. Cette année-là, les candidats du socialisme organisé ne réunirent guère que 30.000 voix. En 1889, les candidats possibilistes en obtinrent à Paris et dans les départements 53.000; le chiffre des voix données aux autres socialistes dans vingt départements fut de 153.000. Le 20 août 1893, les candidats socialistes de toute nuance arrivèrent à 600.0004) sur 7.153.000 voix émises.

Le collectivisme s'étendra dans les campagnes. Déjà il a conquis 100.000 voix de plus parmi les ruraux aux élections de 1893. Le mot d'ordre du socialisme international, depuis 1895, est de faire une propagande active dans les campagnes. À cet effet, on promettra aux paysans l'élimination de la grande propriété au profit de la petite et de la moyenne culture. C'est ce qu'ont décidé les congrès de Marseille (1892), de Roubaix, de Paris, d'Auxerre et de Zurich (1893).

Actuellement, le projet d'impôts sur le revenu présenté par le ministère radical, exempte d'impôts tous les revenus au-dessous de 2.500 fr., c'est-à-dire la majorité des cultivateurs propriétaires… Ce pro­jet sera la plate-forme des prochaines élections et il aidera puissamment au progrès des radicaux-socialistes…5)

Aux élections sénatoriales de janvier 1897, cinq départements ont été perdus pour les conservateurs: ceux de l'Ille-et-Vilaine, de la Mayenne, de la Nièvre, du Gers et de l'Indre.

Un manifeste adressé par le parti aux populations agricoles formule assez adroitement les griefs réels ou imaginaires des paysans. En voici les principaux passages:

Citoyens,

«Pendant que se succèdent les gouvernements opportunistes et réactionnaires, vos souffrances s'aggravent: et il apparaît de plus en plus que les dirigeants ne peuvent pas ou ne veulent pas vous aider.

«M. Méline, qui vous à si longtemps leurrés de vaines promesses, ne peut aujourd'hui que constater votre détresse croissante: il ne peut ni trouver ni même chercher un remède. Pris entre les grands banquiers et spéculateurs du centre, et les grands propriétaires de droite, il ménage, par d'évasives paroles, les égoïsmes contradictoires de sa majorité, et il est incapable de sauver la production agricole, incapable de défendre la démocratie paysanne.

«L'heure est venue pour les travailleurs de la terre, pour les petits fermiers, les petits pro­priétaires, les métayers, les journaliers, les valets de ferme, de se sauver enfin eux-mêmes en formulant leur programme, en dressant le programme de leurs revendications.

«À coup sur, travailleurs du sol, tant que le régime social ne sera pas transformé, que le travail ne sera pas souverain, tant que les deux tiers du sol appartiendront à la grande propriété oisive et à la finance, comme presque toute la production industrielle est monopolisée par le grand capital, il ne sera pas possible de guérir entièrement vos souffrances: il sera possible seulement de les soulager.

«Le parti socialiste vous convie donc à une œuvre doublé. Il vous invite d'abord à préparer avec lui une société nouvelle où ceux qui travaillent pourront jouir enfin des fruits de leur travail, au lieu d'être spoliés tous les jours par la rente du sol, par l'usure, par l'hypothèque, par l'agiotage, par l'impôt.

«II vous invite aussi à préparer avec lui les réformes immédiates qui allégeraient un peu votre fardeau en attendant la complète délivrance.

«C'est dans ce but que les élus socialistes ont décidé d'ouvrir à la Chambre, aussitôt après le vote du budget, un débat d'ensemble sur la crise agricole. Nous voulons signaler le mal, ses causes profondes, ses remèdes. Nous voulons obliger le gouvernement responsable ou à apporter enfin des solutions décisives, ou à avouer sa misérable impuissance… »

Les signatures du manifeste nous révèlent les meneurs du parti; citons-les:

Jaurès, E. Baudin, Antide Boyer, Calvinhac, Carnaud, Thierry Cazes, Chauvière, Chauvin, Coutant, Couturier, Gabriel Deville, Franconie, Gérault-Richard, Paschal Grousset, Jules Guesde, Clovis Hugues, Jourde, Lavy, Millerand, Rouanet, Sauvanet, Marcel Sembat, Vaillant, Pierre Vaux, Reneé Viviani, Walter.

V. La multiplication des journaux du parti indique aussi ses progrès. Au commencement de 1897, l'Europe en compte 350. L'Almanach de la question sociale en donne l'énumération. Ils sont ainsi répartis:

France 91

Allemagne 73

Angleterre 9

Belgique 29

Italie 26

Autriche 37

Suisse 16

Hollande 18

Espagne 10

Portugal 12

Grèce et Etats balkaniques 12

Etats scandinaves 15

Pologne 9

C'est une propagande quotidienne et incessante.

Certains de ces journaux ont une existence éphémère. Ils tombent comme les feuilles des. arbres. Mais ils revivent, ils se relèvent, ils se multiplient surtout dans les périodes électorales. Leur instabilité montre qu'ils sont les organes d'un parti pauvre, mais agissant et remuant.

VI. La statistique de la presse montre la vitalité du parti dans tous les pays d'Europe. Les rapports présentés par les délégués de chaque nation au congrès de Londres en 1896, montrent mieux encore les progrès universels de l'idée socialiste.

Pour l'Allemagne, écoutons Bebel6) lui-même, l'un des deux principaux chefs du socialisme allemand et le plus populaire:

«Nous avons, dit-il, 1.500.000 électeurs et 36 députés au Reichstag. Et ces résultats seraient bien autrement considérables si, comme en France, les élections pouvaient avoir lieu le dimanche, et si l'âge des électeurs était fixé à 21 ans au lieu de 25, car depuis longtemps les enfants sont nourris de socialisme. Mais, quand même, nous avons con-science que le parti s'augmente tous les jours; l'agitation des réunions publiques de plus en plus suivies, l'expansion de la littérature socialiste et tant d'autres signes nous le prouvent…».

Les ressources des socialistes allemands mon­trent aussi leur force et leurs progrès. En 1894, ils disposaient déjà de 10 millions de marks, et voici l'emploi intelligent qu'ils en font: Honoraires aux 50 chefs: 10.000 marks chacun; indemnité à 300 agitateurs: 5.000 marks chacun; propagande dans 350 collèges électoraux: 3.500.000 marks; subventions aux journaux: 1.880.000 marks; aux grévistes et aux compagnons pauvres: 1 million.

Quand donc saurons-nous les imiter?

En Espagne, en 1895 le socialisme à pénétré dans quelques municipalités. Aux élections politiques il à obtenu 7.000 voix en 1893 et 15.000 en 1896. Gomme le remarque le rapport du Comité national au congrès de Londres, ce n'est qu'un début, mais il y a déjà un progrès de cent pour cent en trois ans.

En Hollande, le 1er mai est fêté en bon nombre de communes, il compte à Amsterdam plusieurs milliers de manifestants. Le secrétariat national du travail, à tendances socialistes, forme le trait d'union entre trente et une fédérations et associations ouvrières qui comptent ensemble 18.700 adhérents. Il était représenté au congrès de Londres.

En Belgique, les élus socialistes représentent près du sixième du Parlement, et par leur propa­gande incessante, par leurs fédérations, par leurs coopératives, ils sont en contact permanent avec le peuple ouvrier.

En Italie, les élections marquent un progrès constant et considérable dans le mouvement socia­liste. Aux élections de 1892, les socialistes n'obtinrent que cinq sièges avec 26.000 voix. Trois années après, en 1895, les voix socialistes montèrent à 70.000 pour faire triompher 13 candidats. Des élec­tions partielles en 1896 ont donne la victoire aux socialistes à Milan, à Imola dans les Romagnes, à Carpi en Emilie. Aux dernières élections (1897), vingt socialistes ont passe dès le premier tour, avec 141.000 voix. Les circonscriptions rurales de l'Emi­lie ont envoyé à elles seules cinq députés socialistes à Rome. Un congrès national socialiste tenu à Mantoue en 1885 comptait 99 délégués, représentant 132 associations. Le congrès de Florence en 1896 réunissait 300 délégués. On compte aujourd'hui, en 1897,460 organisations locales avec 21.000 adhérents inscrits et payant leur cotisation, conscientes du but et formant comme le noyau de la nébuleuse socialiste qui s'élargit autour d'eux. À Rome, la chambre socialiste fondée en 1892 compte près de 11.000 membres.

En Autriche, les nationalités, si divisées pour le reste, s'entendent pour le socialisme. Elles ont forme un pacte d'entente au congrès de Prague en avril 1896. La puissance de la presse socialiste montre les progrès de la propagande du parti en Autriche. On y compte 65 journaux socialistes, politiques ou professionnels, avec un tirage de 229.000 exemplaires; 750 syndicats ouvriers comptent ensemble 90.000 membres. L'augmentation, comparativement à 1893, à été de 100%. (Rapport au congrès de Londres).

En Russie, en 1896, l'action socialiste à soulevé des grèves auxquelles ont pris part 30.000 ouvriers. Une bonne partie des étudiants dans les universités sont gagnés à l'idée socialiste.

En Angleterre, l'esprit politique et socialiste pénètre de plus en plus par les Trades-Unions,7) et là aussi l'heure est proche où au Parlement même le parti socialiste pourra paraître et agir. - Les trades-unionistes sont comme les chevaux qui conduisent le socialisme. Au congrès de Liverpool, il y a deux ans, 1.500.000 trades-unionistes étaient représentés. Il s'agissait pour les socialistes de faire voter l'adhésion des trades-unions au programme collectiviste complet.

Il y a eu alors 53 voix pour et 263 contre. - Au congrès de Glascow (en 3895), le nombre des opposants est descendu à 153, et les partisans du pro-gramme collectiviste se sont trouvés au nombre de 128, c'est-à-dire à peu près en force égale.

(Déclarations de John Burns,8) membre du Parlement, citées par Huret dans ses enquêtes sociales).

Il y a 12 socialistes au conseil municipal de Londres et ils ont déjà obtenu des résultats.

VII. Nous avons constaté les progrès rapides et universels du socialisme. Comment les expliquer? Il y a sans doute dans la propagande socialiste des plaintes exagérées, des utopies sbds fondement, des promesses vaines et irréalisables, mais il y a aussi, il faut le reconnaître, une part de vérité. Ce n'est pas en le niant que nous arrêterons le courant, c'est en reconnaissant loyalement ce qui est fonde dans les plaintes des prolétaires et ce qui est juste dans leurs revendications.

Il serait puéril de nier en bloc tous les faits apportés par les docteurs du socialisme. Les documents nombreux qui figurent dans le Capital de Karl Marx sont empruntés à des sources officielles. Engels est un statisticien de haute valeur. La science et la loyauté de Schöffle et de Henry George9) ne sauraient être mises en doute.

Fermer les yeux aux maux provenant de l'ordre économique actuel, c'est de l'optimisme. Laissons cette illusion aux médecins tant-mieux de l'école classique. Aux statistiques complaisantes, qui montrent la classe des travailleurs plus heureuse aujourd'hui qu'autrefois, les collectivistes répondent en haussant les épaules, et exposent la situation réelle du prolétaire de notre temps.

Avouons-le, les remèdes proposés par l'école socialiste ne sont pas tous entachés d'injustice ou d'utopie.

Lorsqu'on réclame la décentralisation, la protection des femmes et des enfants, la réglementation du travail de nuit, la réglementation de la spéculation, des monopoles et accaparements, la législation du travail, etc., nous ne pouvons qu'approuver ces mesures. (Conf. les résolutions du congrès socialiste de Marseille, en septembre 1892).

Plusieurs de leurs vues sont justes. Ils décrivent des faits douloureux, ils rappellent des principes oubliés ou méconnus et ils concluent avec raison à la nécessité d'une réforme sociale.

1° II faut le reconnaître avec eux, l'industrialisme contemporain a engendré, grâce aux crises de surproduction et aux chômages qui en résultent, grâce aussi à la désorganisation du travail, à la destruction du foyer, à l'oubli des devoirs du patronat, une nouvelle forme de paupérisme incon-nue aux autres époques.

2° L'individualisme, qui à été la loi du travail en ce siècle, est contraire à la nature. La solidarité s'impose à l'humanité.

L'association produit l'ordre et la richesse et remédie à la pauvreté.

3° L'Etat a d'autres devoirs à remplir que celui d'assurer l'ordre matériel. Il ne doit pas seulement au peuple la justice au sens judaïque du mot. Il ne doit pas tolérer l'oppression et les abus de la force. Il est surtout le tuteur des petits et des faibles et il doit dans une certaine mesure seconder la Providence.

4° Si l'inégalité est la loi de la nature et de la vie universelle, le pouvoir social a la noble mission de la corriger en ce qu'elle a de contraire au droit et à la morale.

5° La concentration rapide et anormale des capitaux et le luxe des parvenus exaspèrent à juste titre le peuple qui travaille péniblement.

6° L'agiotage effréné, le règne du capitalisme et de l'usure font mépriser et haïr les richesses.

7° Il y a aujourd'hui un malaise général chez les hommes de travail, à côté de quelques fortunes insolentes: malaise chez l'ouvrier d'industrie, chez l'ouvrier de culture, chez le travailleur de la mer, chez le petit commerçant lui-même. Cette situation anormale appelle une réforme sociale considérable.

Les premiers maîtres du socialisme reprochaient à la société contemporaine des griefs trop réels. Qui ne souscrirait la page suivante de Pierre Leroux:10)

«Abolissez dans les lois et dans les mœurs le repos du dimanche, le peuple des travailleurs verra inévitablement son salaire diminuer, et, ce repos ne lui venant pas en aide pour réparer ses forces, sa vie en sera amoindrie et écourtée. - La limitation de la journée de travail est une garantie du loisir nécessaire et une protection contre l'épuisement de la force de travail. - Le premier devoir de l'Etat est d'empêcher les hommes de priver leurs semblables de la vie par tous les. moyens capables d'atteindre l'existence humaine. - Le travailleur placé dans l'alternative de mourir de faim, lui, sa femme et ses enfants, ou de travailler quatorze heures par jour, n'est pas libre dans le consentement qu'il donne et qui n'est autre qu'un consentement au suicide. - Que les chefs d'industrie qui encouragent ou exigent un travail de quatorze heures ne viennent pas dire que leurs ouvriers y consentent et couvrir l'homicide de ce beau nom de liberté des contrats, de liberté des transactions. On peut toujours lui répondre: Vous n'avez pas le droit d'attenter à la vie de votre semblable, même avec son consentement…» (Almanach de la question sociale, 1897, p. 28).

Les socialistes n'ont pas entièrement tort, non plus, quand ils insinuent que la multiplication des suicides, de la folie et de la criminalité a coïncidé avec l'avènement de la grande industrie et la désorganisation du travail.

Le nombre des suicides n'a pas cessé de croître dans cette période. Il est maintenant de 9.000 par an. En 60 ans, le chiffre annuel a quintuplé.

La folie aussi se développe avec la civilisation industrielle et capitaliste. Le nombre des aliénés s'est accru de 41 % dans la période de 1872-1888.

On sait quels progrès effrayants a faits aussi la criminalité.

L'industrie à favorisé l'abandon du foyer, le paupérisme, la vie d'estaminet et l'alcoolisme.

N'y a-t-il pas aussi un fond de vérité dans les affirmations suivantes d'Allemane, de Camille Pelletan, de Jules Guesde?11)

«Les travailleurs sont livrés sans merci aux grands seigneurs du capital, accapareurs et spéculateurs, qui par les trusts internationaux, sont les maîtres des hommes et des choses bien plus sûrement que ne le furent autrefois, malgré leurs nids d'aigles et leurs gens de guerre, les grands seigneurs féodaux» (Allemane).

«Tels banquiers raflent quelques millions dans un coup de bourse et les économistes continuent à dire que le capital représente l'accumulation du travail, la somme des services rendus par un homme intelligent à ses contemporains. Ici le service rendu a consisté à détrousser des millions de familles en provoquant un désastre par les manœuvres d'un jeu frauduleux» (C. Pelletan).

«Les consommateurs manquent parce que les travailleurs sont écrasés dans notre régime économique et n'ont pas de quoi consommer. Ils ont une trop faible part de la répartition. - L'esclavage antique à produit les beaux siècles d'Athènes en donnant aux citoyens des loisirs pour se livrer à l'art et à la science. Les machines aujourd'hui doivent remplacer l'esclavage en facilitant le travail et donner à tous des loisirs suffisants» (J. Guesde, Almanach de la question sociale).

Nous aurions mauvaise grâce même à nier à priori les prémisses suivantes d'un discours de J. Guesde:12)

1° Il y a séparation de plus en plus tranchée entre le travail, qui incombe tout entier à une classe, et le capital, qui est exclusivement détenu par une autre. De ce divorce entre les deux facteurs de la production découlent tous les maux de la société;

2° Il y a une tendance universelle, pour diminuer les frais de production, à réduire au minimum les salaires des ouvriers. Cette loi fondamentale, tendancielle, suffit à briser toutes les bonnes intentions ou volontés des employeurs, prisonniers de l'ordre social dont ils bénéficient;

3° L'offre du travail tend, de plus en plus, à dépasser la demande; d'où concurrence effrénée des travailleurs, travail des femmes et des enfants, travail de nuit.

4° Conséquences sociales de la rupture entre le capital et le travail: la guerre de tous contre tous, guerre entre prolétaires et capitalistes pour le partage du produit, guerre entre prolétaires et prolé­taires pour le partage des salaires, guerre entre capitalistes et capitalistes pour le partage des profits; insécurité générale devenue la condition normale de la société».

(Discours reproduit par la Société libérale pour l'étude des sciences et des œuvres sociales).

Nous reconnaissons même un fond de justice dans les observations suivantes de M. Soloviev,13) citées par M. Huret (Enquêtes sociales), quoique nous n'acceptions pas du tout le remède qu'il propose, la nationalisation des principaux instruments de la production et de la distribution, et quoiqu'il exagère le rôle providentiel de l'Etat:

«Une des raisons d'être de la société par rapport à ses membres, dit il, est d'assurer à chacun d'eux non seulement l'existence matérielle, mais encore une existence digne. Or il est évident que la pauvreté, au delà d'une certaine limite - quand elle devient sordide ou quand elle oblige l'homme à sacrifier tout son temps et toutes ses forces à un travail mécanique - est contraire à la dignité humaine et partant incompatible avec la vraie morale publique. La société doit donc garantir tous ses membres contre cette pauvreté dégradante en assurant à chacun un minimum de moyens maté-riels… La solidarité humaine, ce principe supérieur de la vie collective, veut que tout le monde soit également garanti du mal économique (la pauvreté dégradante), mais il ne demande pas que chacun ait une quantité égale de biens matériels, comme il n'exige pas pour tout le monde une taille égale ou une chevelure également épaisse.

«II nous importe au point de vue moral que tous nos prochains soient également exempts de la mi­sère, mais pas du tout qu'ils soient également riches.

«En dehors de l'esclavage économique qui doit disparaître comme à disparu l'esclavage personnel et civil, la différence des fortunes n'est qu'un fait extérieur, étranger à toute idée d'ordre moral…

«Le principe de la propriété dans son vrai sens peut bien être maintenu sans qu'on renonce pour cela au grand devoir social indiqué plus haut.

«Pour remplir ce devoir, pour assurer à chacun un minimum de moyens matériels indispensables à la conservation et au développement libre de ses forces morales et intellectuelles, l'Etat, comme représentant exécutif de la société, sera forcé sans doute à concentrer entre ses mains les principaux instruments de la production et de la distribution - fabriques, banques, voies de communication, maisons de commerce».

VIII. Ces germes de vérité ne sont qu'un aspect du socialisme; il y en à un second, ses utopies et ses rêves, et un troisième, ses excès et ses violences.

Ce qu'il y a de vrai dans le socialisme lui à gagné les travailleurs opprimés et avides de justice. Ses utopies ont séduit les rêveurs et les hommes désireux d'une vie facile. Ses violences ont trouvé un écho dans l'esprit révolutionnaire qui règne dans les masses urbaines depuis un siècle.

Il importe de réfuter ses utopies.

Voici Lafargue14) qui démontre aux ouvriers de Fourmies que, sous le règne du socialisme, l'ouvrier en travaillant trois heures gagnera 10 francs par jour.

Un autre affirme, chiffres en main, que la nationalisation de la richesse rapportera 2.000 francs de rente par tête.

Il est facile de leur répondre que l'Etat est généralement mauvais administrateur. Ses chemins de fer en France sont ceux qui coûtent le plus de frais d'administration par kilomètre et qui rapportent le moins. Ses allumettes coûtent cher et sont détestables. Le meilleur stimulant du travail n'est-il pas l'intérêt prive? Pour organiser une société, il faut prendre les hommes tels qu'ils sont et non pas tels qu'on les a rêvés.

Voici Jules Guesde qui nous dit que l'expropriation générale et le collectivisme social amèneront l'âge d'or: «Il n'y aura plus de classes et partant plus de luttes de classes, ce sera la grande paix. - Au lieu du principe égoïste «Exploitons-nous les uns les autres», nous verrons régner le principe de solidarité «Entr'aidons-nous les uns les autres».

- La liberté sera créée de toutes pièces, car la liberté, c'est le moyen d'accomplir sa volonté et de satisfaire ses besoins. - L'effort à taire par chacun sera réduit au minimum, le temps de travail social à fournir par chacun des membres valides de la collectivité sera immensément réduit… » (Discours publié par la Société libérale des sciences sociales).

Vraiment on ne peut pas mieux se moquer de ses auditeurs. Vous promettez la paix, mais, dans cette société collectiviste, il y aura des chefs préposés à la production et à la distribution des richesses, ces chefs seront élus à tous les degrés; et vous croyez que ces élections se feront sans cabales, sans luttes et sans intrigues, dans une société où vous aurez supprimé tous les freins que la religion impose à la conscience et aux appétits?

La liberté, dites-vous, sera créée de toutes pièces, oui, la liberté d'obéir sous les sanctions d'un nouveau code pénal à vos chefs élus par l'intrigue.

Le temps de travail social sera réduit, dites-vous encore; mais alors où seront les produits, avec un travail minime accompli par force, sans entrain et sans le stimulant de l'intérêt personnel?

Ecoutons Paul Brousse,15) le chef des Possibilistes. Il lui semble que nous nous acheminons fatalement à l'organisation collectiviste. Il décrit cette trans-formation sociale:

«Les associations, les syndicats se forment. Ils deviennent les grandes compagnies, les monopoles. C'est un service qui se crée. Il arrive un moment où l'Etat s'en empare et l'administre lui-même au nom de la collectivité.

«C'est ce qui est advenu, par exemple, pour l'armée: autrefois c'étaient des particuliers qui équipaient des compagnies; les chefs payaient de leur bourse les hommes qui se vendaient au plus offrant.

«Le même phénomène s'est produit pour l'enseignement; c'est également l'histoire des postes, les chemins de fer, les téléphones, les omnibus, les mines sont à la veille de subir la même loi de transformation fatale.

«Ce seront des services publics et gratuits».

Nous lui répondrons que certains services pu­blics, comme les postes et l'armée, sont avantageusement dirigés par l'Etat. Ils sont gratuits en apparence, mais nous les payons lourdement par l'impôt. Mais, nous le répétons, tout confier à l'Etat, c'est détruire la liberté, la dignité humaine. C'est l'esclavage universel et, il faut le redire encore, ce serait la ruine universelle, parce que tous aspireront aux postes de direction et de surveillance et fuiront les travaux productifs; et la suppression de l'intérêt personnel et de l'amour de la famille détruira le principal stimulant du travail.

Voici maintenant M. Argyriadès, qui dépeint à son tour l'évolution socialiste:

«Le manque de débouchés dans les pays lointains, la concurrence que ces pays feront aux pays actuellement industriels, rendront de jour en jour plus précaire la production capitaliste européenne.

«Ces résultats économiques incontestables acculeront forcément la production capitaliste - cette production qui n'a qu'un but, vendre pour faire gagner de l'argent aux capitalistes - et l'obligeront à faire place à la production socialiste, c'est-à-dire à la production pour les besoins de la consommation des nationaux.

«La transformation de la production en vue des besoins de la société et non pas en vue de l'enrichissement de quelques individus, mettra fin fatalement et sûrement à cette situation intenable comme à cette monstruosité économique dont tout le monde souffre plus ou moins, même les riches, par l'incertitude du lendemain….

«La solution socialiste est au bout de cette tourmente. Cette solution délivrera le prolétaire de ses souffrances, tout en ouvrant, par la distribution équitable des richesses, une ère de bonheur et de félicité pour l'humanité tout entière…».

En résumé, les patrons actuels seront remplacés par des employés de l'Etat. Ce sera quelque chose comme le travail des prisons ou celui des galères. Je ne vois là qu'un changement de maîtres et je n'en augure rien de bon. Si les chefs d'usines actuels se heurtent à la concurrence étrangère, l'Etat en sera-t-il exempté? Les patrons sont bien imparfaits, mais il y a encore entre eux et les travailleurs certains liens traditionnels et quasi-familiaux. Je n'attends rien de bon de ces sous-préfets du travail qu'on nous promet, élus par un parti, sortes de policiers ou de gendarmes sans liens avec leurs administrés, qu'ils quitteront à bref délai pour aller ailleurs ou monter plus haut.

Rarement les collectivistes ont tenté de décrire la société qu'ils nous préparent. Il est bien plus commode de dénigrer la société actuelle. «La cri-tique est facile, et l'art est difficile». Ils ont cependant esquissé quelquefois l'âge d'or qu'ils espèrent réaliser.

Bellamy,16) cité par l'Almanach de la question so­ciale de 1897, dépeint ainsi le régime du travail dans la société de l'avenir:

«Le service industriel commence plus tarde et finit plus tôt que la période moyenne de travail de votre temps. Vos ateliers étaient remplis de femmes et d'enfants. Nous, nous considérons que l'adolescence doit être consacrée à l'éducation. De même la se­conde maturité, qui voit les choses commencer à décroître, appartient au repos et au bien-être. La durée du service industriel est de 24 ans. Elle commence lorsque l'éducation est terminée, à 21 ans, elle se termine à 45.

«Le 15 octobre de chaque année est ce que nous appelons le jour d'inscription. Ceux qui ont atteint 21 ans sont inscrits au service industriel, et ceux qui, ont atteint 45 ans sont inscrits comme libérés. C'est notre grande fête annuelle…».

Mais cela, c'est toujours cette société enrégimentée qui rappelle les «travaux forcés». Que deviendront l'art et l'habileté du travail, si vous ne commencez l'apprentissage qu'à 21 ans? Nous aussi, nous voulons éloigner la femme de l'usine, ménager l'adolescent et le vieillard, mais nous voulons arriver à cela sans organiser l'esclavage universel.

La contrainte, en vue d'une égalité chimérique et révoltante, c'est une utopie et une violation des lois de la nature.

Le travail et la liberté de l'homme livrés à l'arbitraire d'une autorité sans frein, n'est-ce pas encore une tyrannie intolérable?

Le ressort de l'activité personnelle et du progrès humain brisé par la suppression de la propriété et de l'héritage, n'est-ce pas la diminution assurée de la production et l'appauvrissement social à bref délai?

Quelle garantie aurons-nous d'une distribution plus équitable?

Prêcher le socialisme, c'est donc bercer la misère humaine par une chanson nouvelle et sans fondement, le collectivisme devant laisser subsister et même accroître vraisemblablement l'injustice, les luttes sociales et la misère.

Le ressort le plus actif de la civilisation à toujours été le noble et fier amour-propre de chacun, l'orgueil de marcher en avant et, comme but final, l'intérêt de jouir des fruits de ses efforts personnels.

Le levier du progrès serait brisé.

La propriété: quelle joie irréprochable et pro­fonde le paysan trouve dans l'amélioration de son petit domaine, qui à été celui de ses aïeux et qui sera celui de ses enfants!

Quoi de plus noble et de plus touchant, de plus normal et de plus sain, que le foyer conjugal avec ses devoirs, ses plaisirs, sa tendresse, son dévouement?

Que de mobiles pour l'activité et le progrès, chacun s'ingéniant pour assurer à la compagne de son choix et à ses enfants un avenir heureux!

En échange de ce paradis perdu, que nous donnera cet hétaïrisme général? Pas même l'égalité des plaisirs charnels, car les individus les plus beaux, les plus forts, les plus coquets, les plus voluptueux, prendront les satisfactions les plus étendues aux dépens des autres!

Vous voulez tout remettre aux mains de l'Etat? Mais l'Etat doit respecter les organes sociaux, les individus, les associations. Il doit les aider sans les détruire.

Il doit laisser faire, lorsque l'initiative privée, individuelle ou collective est suffisante.

Il doit aider à faire lorsque l'initiative privée existe mais ne suffit pas à atteindre le but.

Enfin, il ne doit faire par lui-même que ce qui concerne les services publics, qui, par leur nature, dépassent les forces et les ressources privées.

L'Etat à déjà aujourd'hui en France 500,000 employés, et il n'est chargé que des services publics. Il lui en faudra 4 à 5 millions, si vous lui donnez tout à diriger, et qui restera-t-il pour travailler?

Toutes les fonctions seront électives? Mon Dieu, que d'intrigues! que de violences! Ce ne seront que divisions, déchirements et luttes de partis.

Et puis le mode de répartition des revenus? D'abord, les socialistes en ont changé plusieurs fois: selon le programme d'Eisenach,17) l'ouvrier aurait la valeur totale de son travail. Quelle mesure prendre pour évaluer cette valeur? Dans la grande indus­trie, les produits passent par tant de mains! quelle sera dans le produit final la part due à l'intelligence et au travail de chacun?

Dans le programme de Gotha, on ne considère que les besoins de chacun. Ce sera la paresse récompensée…

Chacun fera valoir ses besoins sans se gêner pour le travail. La misère générale en résultera.

Il ne sera plus question d'art ni de littérature, il ne restera ni assez de loisirs ni assez de richesse dans cette société où le travail n'aura plus de stimulant.

Au résumé, ce sera l'abaissement général, l'égalité dans la misère, la servitude et les travaux forcés pour tous.

Concluons cette réfutation de l'utopie collectiviste par quelques pensées d'une fine critique empruntées à Eugène Richter,18) député allemand, et citées dans le livre de M. Huret:

«Plus de capital! chacun à son petit carnet de bons avec sa photographie. On paie tout avec cela, son tabac et sa blanchisseuse. On tire au sort les professions et le rang, car tout le monde voudra être peintre ou musicien, inspecteur ou contre-maître. On tire au sort les domiciles, car chacun voudra demeurer dans le château… et les paysans voudront tous venir en ville. Pour ne pas faire de jaloux, on changera de résidence tous les six mois. Tous les meubles étant pareils, inutile de déménager… La journée de huit heures pour tout le monde! quand on va demander un médecin après la journée finie, il refuse de se déranger, naturellement. Plus de riches, plus d'équipages, plus de domestiques. Chacun va chercher sa portion dans les cuisines de l'Etat. Chacun 700 grammes de pain et 150 grammes de viande par jour. On ne boira de la bière que les jours d'anniversaire de Bebel et de Lassalle. Les théâtres seront gratuits… mais les paysans veulent aussi aller au théâtre. Pourquoi pas? Alors tous les dimanches on enverra 10.000 Berlinois à la campagne (tant pis s'il pleut), et 10.000 paysans viendront à la ville…».

IX. Après la réfutation de l'utopie collectiviste, nous ne pouvons pas omettre de signaler la violence des principaux tribuns du parti et le péril que cette agitation fait courir à la société.

Au fond de la question sociale il y a toujours une question de doctrine. L'idée-mère du socialisme, c'est la philosophie athée, la philosophie matérialiste et utilitariste avec Hegel, Feuerbach et Stuart-Mill.

D'après ses propres théories, le collectivisme doctrinal n'apporte pas seulement un changement radical dans l'ordre économique, mais une nouvelle conception de la vie humaine.

Il veut l'athéisme à la place de la religion, ou mieux la divinisation de l'homme, soit dans l'Etat par le collectivisme, soit dans l'individu par l'a­narchie;

Le collectivisme intégral dans la production;

L'optimisme sans frein dans l'éthique;

Le maternalisme dans la métaphysique;

La dislocation de la famille;

L'autorité absolue de l'Etat dans l'éducation.

C'est une synthèse de toutes les erreurs doctrinales.

C'est-à-dire qu'en nous ôtant la liberté politique et économique, il croit nous dédommager en nous donnant la liberté… vis-à-vis de Dieu et des mœurs!

Le socialisme est impie.

«Nous sommes, dit le journal belge Le Peuple (28 juin 1892), de ceux qui croient qu'entre l'idéal socialiste et l'idéal chrétien l'antagonisme est irréductible».

«Les chrétiens ou les croyants de n'importe quelle espèce ne peuvent plus exister, dit le Vooruit (3 juillet 1893). Les églises, les chapelles, les couvents doivent être démolis et réduits en poussière».

Un orateur du parti disait au Congrès de Gand, en 1877: «Nous aurons le plaisir d'assister à l'agonie des prêtres. Couchés dans les fossés des routes, ils mourront de faim lentement, terriblement, sous nos yeux. Ce sera notre vengeance et, pour le plaisir de cette vengeance, joint à une bouteille de Bordeaux, nous vendrions volontiers notre place au ciel! Le ciel, nous n'en voulons pas. Ce que nous désirons, c'est l'enfer, l'enfer avec tous les plaisirs qui le précèdent, et nous abandonnons le ciel au Dieu des Papistes».

- Le Mirabeau (journal belge): «L'idée de Dieu est immorale et absolument contraire à tout progrès».

- L'Ami du peuple: «Nous serons esclaves tant que vivra un seul prêtre, nous déclarons une guerre à mort à la réaction, au droit divin, à la république bourgeoise, au capital, à l'Eglise, à l'Etat, à toutes les manifestations de la vie sociale, actuelle».

La famille n'est pas sacrifiée moins cyniquement par eux que la religion.

«Tous les socialistes, dit Benoît Malon19) (Socialisme intégral, p. 377), admettent que les unions de l'avenir doivent être fondées sur le choix libre et être résiliables quand le sentiment qui les inspira n'existe plus».

«II faut substituer la communauté à la propriété individuelle, dit encore Benoît Malon: or, le mariage est aussi une propriété et la pire de toutes. Il est en outre une institution absurde et immorale; l'abolition du mariage, loin d'ouvrir les portes à la dépravation, n'entraînerait avec elle que des con-séquences heureuses, et consacrerai l'égalité de l'homme et de la femme» (Le Peuple, article de Benoît Malon, 1892).

«Ce n'est pas le sentiment de la famille, dit Bebel (cité par Huret), qui est le fond de l'institution du mariage, mais le mariage est seulement le produit des institutions économiques. Quand l'héritage sera supprimé, quand l'éducation des enfants sera publique, que restera-t-il de la famille? La famille, telle qu'on la comprend de nos jours, se dissoudra d'elle-même…».

«La société, dit le Vooruit (6 juin 1891), se chargera de l'éducation des enfants, de la fabrication du matériel vivant. Des fonctionnaires de l'Etat se chargeront d'élever et de former les enfants. La société ne peut pas tolérer qu'un enfant soit élevé en particulier, en dehors de sa surveillance; car la société doit considérer chaque enfant, chaque homme comme une partie de la grande machine sociale».

«Le père n'a aucun droit sur ses enfants» (Vandervelde,20) Le National, 1 juil. 1893).

Pour la propriété et le capital, on sait déjà ce que veulent les socialiste»; rappelons-le brièvement:

«Une révolution viendra. Cette révolution sera le soufflé qui anéantira ce moribond, la propriété individuelle. La terre appartient à tous. Allons, messieurs les propriétaires terriens, déménagez de bonne grâce, si vous ne voulez pas que nous vous donnions un coup de main; la terre doit appartenir à la collectivité» (Le citoyen Léo: Aux paysans).

«La Banque Nationale, elle aussi, périra, soyez-en sûrs. Ou plutôt elle sera prise d'assaut par l'armée destructive des abus» (Ed. Picard, Le Peuple, 10 déc. 1884).

«À l'œuvre, camarades! Tout ce qui est capitaliste est l'ennemi. Debout, travailleurs! En guerre! La guerre à mort contre le capitalisme. À nous la direction des usines, du commerce et de l'agriculture» (Anseele, meeting du 20 sept. 1896).

Pour la patrie: «Tous en avant, au cri de: À bas le préjugé patriotard!» (Le député Smeets, Le Travail, nov. 1894).

«Votre patrie est un territoire ferme… Cette patrie-là, nous ne l'aimons pas, nous la foulons aux pieds» (Vandervelde, député, le 7 déc. 1894).

Pour les moyens à prendre on ne sera pas scrupuleux. On imitera et au besoin on dépassera la Terreur et la Commune.

«La Révolution que nous voulons, c'est celle de 1793, celle des Hébertistes,21) celle de 1871, celle des Communeux, celle qui fauche, celle qui désagrège tout ce qui lui résiste…» (Almanach de la question sociale, 1894).

«Le 18 mars 1871, l'orient social s'embrasa des lueurs fulgurantes du soleil rouge de l'ère nouvelle… Nous sommes les héritiers de la Commune; elle nous à transmis ses aspirations et nous à chargés de la venger… Ce que voulaient les Communards, nous le voulons aussi. Un jour viendra, proche et inévitable, où le ciel entier sera embrasé, où la justice et l'égalité auront pour toujours dissipé l'ombre que projette autour de lui le capitalisme: ce sera la résurrection de la Commune vengée et triomphante dans la révolution sociale» (Le Peuple, 18 mars 1895).

«Les bourgeois doivent prendre garde: s'il venait un second Robespierre, il ferait peut-être mieux la besogne que le premier» (Basly,22) meeting à Bruxelles, 3 mai 1892).

Jules Guesde, dans le journal l'Egalité, n'a pas été moins franc. «Pour préparer le collectivisme, il faut que l'Etat s'empare de toutes les forces de production sans exception. Il faut que l'industrie sociale et le commerce social soient substitués à l'industrie et au commerce privés. Et pour y arriver, nous sommes déterminés à ne reculer devant aucune mesure, quand nous aurons conquis le pouvoir. Nous n'aurons pour cela qu'à suivre l'exemple de la bourgeoisie qui, pour s'affranchir, n'a pas craint de garder plusieurs années en permanence la guillotine sur la place de la Révolution…».

Tel est le socialisme, qui à déjà conquis les ouvriers d'industrie et qui commence à gagner comme un phylloxera ceux des campagnes.

La statistique électorale montre assez la rapidité de ses progrès. Il à eu en France:

80.000 voixen 1885.
176.000 »en 1889.
600.000 »en 1893.

Nous avons constaté la violence des meneurs. Les socialistes modérés ou politiciens ne sauveront rien. La logique et la faiblesse les conduiront jus-qu'au bout. Jaurès n'a-t-il pas chanté la Carmagnole23) à Alby?

Le Conseil municipal de Paris n'a-t-il pas voté à une grande majorité (contre 9 opposants) l'achat de l'Histoire de la Commune de Lisagaray pour les bibliothèques populaires de Paris?

Le conseiller Breuilh n'a-t-il pas répondu aux opposants que les socialistes du Conseil sont les fìls de la Commune?

X. Le parti anarchiste diffère essentiellement dans son but du parti socialiste.

Celui-ci exagère l'action de l'Etat, celui-là supprime l'Etat et ne laisse subsister que l'organisation communale ou même l'individualisme absolu.

Pour les moyens à prendre, les anarchistes poussent à l'extrême la violence mise en honneur par les socialistes avancés.

Donnons d'abord un aperçu historique de l'anarchisme.

Le russe Bakounine24) en est le fondateur et l'organisateur.

L'année 1865 avait vu la fondation de l'Association internationale des travailleurs, association d'études économiques d'abord, association politique et socialiste ensuite.

Karl Marx y présidait.

En 1868, Bakounine essaie d'y pénétrer. Exclu par Marx, il fonde l'Association internationale de la démocratie socialiste, noyau de la future Fédération jurassienne, d'où sortira quatre ans plus tard le parti anarchiste.

En 1869, à Bàie (4e Congrès de l'Internationale) Bakounine l'emporte et fait voter la liquidation générale et l'abolition de l'Etat.

En 1871, Bakounine fonde la Fédération juras­sienne. Marx voulait un Etat populaire centralisé et par conséquent une centralisation autoritaire.

Bakounine réclame la libre fédération des libres associations industrielles et agricoles ou le fédéralisme anti-autoritaire.

En 1872, congrès de La Haye: Bakounine ne peut s'y rendre (il a des condamnations en France et en Allemagne).

En 1873, à Genove (6e Cong.) Bakounine triomphe.

Bakounine s'inspirait des idées nihilistes qui avaient cours en Russie. Herzen,25) disciple de Hegel, avait commencé à les propager des 1834, à Moscou, où elles gagnèrent la jeunesse universitaire. Bakounine en fut le boute-feu.

Les principes anarchiques ont été formulés par le congrès de Berne, en 1876.

Bakounine était mort. Elisée Reclus,26) Paul Brousse, Jankowsky, J. Guillaume, Salvioni réunirent à Berne un congrès des révolutionnaires et rédigèrent leur programme.

La Commune de Paris y est flétrie comme un type de gouvernement autoritaire, à cause de la reconstitution des services publics.

Programme. 1. Partie négative:

Il n'y a plus rien;

Plus de propriété;

Plus de patrie;

Plus d'Etat…

2. Partie affirmative:

Fais ce que tu veux;

Tout est à tous.

Deux délégués italiens, Carlo Cafiero et Enrico Malatesta,27) posent les principes de la propagande par le fait.

«La fédération italienne, disent-ils, croit que le fait insurrectionnel, destiné à affermir par des actes les principes socialistes, est le seul moyen de pro­pagande efficace».

Les statuts de l'Internationale d'Italie portent:

«Chacun prendra pour base de ses principes religieux la libre-pensée ou l'adhésion à une secte quelconque ennemie de l'Eglise catholique… On devra prêter main-forte à tout ce qui peut nuire au catholicisme et favoriser le protestantisme… En cas de guerre avec l'étranger, il faut de suite passer à l'action, incendier le plus grand nombre d'églises et en particulier le Vatican, forcer les prêtres à émigrer et réveiller dans les masses le souvenir historique des Vêpres siciliennes» (Cité par le comte Soderini).28)

XI. Si l'on veut remonter plus haut que Bakounine, il n'est pas difficile de reconnaître dans l'histoire les précurseurs de l'anarchisme.

Rabelais avait donne pour règle à Thélème «Fay ce que vouldras; c'est la formule même de l'a­narchie.

Münzer, l'anabaptiste qui souleva diverses provinces allemandes en 1520, avait pris pour mot d'ordre: «À chacun selon ses besoins».

La Boëtie,29) ami de Montaigne, dans son traité de la Servitude volontaire, donnait pour base à toute vraie société l'égalité native des hommes, et il supprimait la hiérarchie.

Diderot disait: «La nature n'a fait ni serviteurs ni maîtres»; et Rousseau: «L'inégalité est le fruit de l'état social». C'était prêter des armes au parti anarchique.

À la Révolution, les Hébertistes, les Bavouvistes, les Enragés dirigés par Jacques Roux professaient les principes égalitaires les plus absolus.

Proudhon avait dit: «II ne faut plus de gouvernement. La souveraineté réside en chacun et s'exerce dans la sphère du municipe».

XII. II ne faudrait pas croire qu'il n'y à parmi les anarchistes que des tempéraments violents, des natures sauvages et féroces. On y trouve aussi des penseurs, des rêveurs, des utopistes. Ecoutez les explications de l'italien Malatesta:

«Une fois mise en commun la propriété individuelle, qui est la grande cause des injustices et des luttes entre particuliers, les conflits qui se produiront ne sauraient jamais être d'une telle importance qu'ils puissent pousser une partie des hommes à renoncer à, leur liberté et à se jeter dans les bras d'un gouvernement qui, comme toujours, sous prétexte de faire de l'ordre, opprimerait.

«Quelles sont donc les fonctions essentielles du gouvernement à l'heure qu'il est? l'armée et la police. À part cela vous ne trouverez pas une seule chose qui ne se fasse ou ne puisse se faire mieux sans le gouvernement.

«Et ces deux institutions-là sont-elles utiles? Elles n'ont de raison d'être que la propriété privée et l'égoïsme national» (Cité par Huret).

Résumons encore d'autres utopies formulées par les écrivains de la secte:

«Le capital: c'est le travail des autres accumulé dans les mains d'un seul, d'un voleur.

Le mariage actuel est une prostitution organisée en vue de l'héritage.

Le gouvernement est inutile puisque les individus ont la liberté de discuter ses lois et d'envoyer promener l'autorité si elle les embête.

La société à venir, c'est le droit à l'aisance, l'aisance pour tous.

Il n'y aura plus de fainéants puisqu'il ne s'agira plus de travailler pour autrui.

Plus de criminels, les crimes étant causés par la richesse des uns et la misère des autres.

L'homme reviendra à sa bonté native.

Le progrès sera indéfini. Il suffira de travailler 5 heures ou même 3 heures par jour.

L'azote solidifié remplacera le pain; les rayons du soleil emmagasinés remplaceront la houille, etc».

XIII. Quels peuvent être leur nombre et leur organisation? Ils procèdent par groupes.

Ce sont des réunions spontanées, sans lien apparent et changeant souvent de noms:

Ligue des antipatriotes;

La Panthère des Batignolles;

Le drapeau noir;

Les résolus;

Les niveleurs;

La dynamite;

Les vengeurs;

Les amis de Ravachol;

L'affamé…

Paris compte un centaine de groupes.

Les départements 400 à 500.

Chaque groupe est fréquenté en moyenne par 15 camarades.

Cela donne 10.000 anarchistes militants.

Il y en a au moins autant qui ne fréquentent pas les réunions.

Un journal du parti, l'International, estimait les adhérents à 50.000 en 1890.

- Au congrès de Chicago en 1893 on créa un bu­reau de correspondance internationale…

Une résolution fut adoptée en faveur de la grève générale en cas de guerre.

XIV. Le nombre de leurs journaux montre leur force.

En voici un aperçu:

En 1894:

La RévolteParis
La Bevue libertaireid.
L'HarmonieMarseille.
La Société nouvelleBruxelles.
Le Libertaireid.
L'Avenir, etc.Genève.
Der SozialistBerlin.
Die ZukunftVienne.
Allgemeine ZeitungSalzburg.
Der AnarchistNew-York.
Freie Arbeiter Stimme, en caractères hébraïquesNew-York.
Der Arme TeufelDétroit.
Sempre Avanti!Livourne.
L'OrdineTurin.
Il RiscattoMessine.
La FavillaMantova.
Il PensieroChieti.
La PropagandaImola.
L'Articolo 248Ancona.

Quand on les supprime, ils reparaissent sous un autre titre.

En 1894, le Père Peinard et autres renaissent à Paris: le Père Peinard devient La Sociale.

La Révolte, de Reclus et Kropotkine, devient Les Temps nouveaux.

- Leurs Revues:

L'En dehors, 1891, rédacteurs: Zo d'Axa (Galland), Octave Mirbeau, Tabaraut, Bernard Lazare, Jean Grave, Alex. Cohen, Descaves, Hérold (fils de l'ancien préfet de la Seine).

La Revue libertaire: Les mêmes, plus Clovis Hugues, Elisée Reclus, Séb. Faure.

L'Art social, à Marseille, Gabriel de la Salle.

La Revue Blanche, à Paris, Paul Adam…

La Société nouvelle, à Bruxelles.

- Leur littérature:

Proudhon: Qu'est-ce que la propriété?

Max. Stirner: L'individu et son avenir;

Bakounine: Dieu et l'Etat;

Kropotkine: Les paroles d'un révolté;

Kropotkine: La conquête du pain;

Jean Grave: La société mourante.

- Ils propagent aussi volontiers:

Zola: Germinal;

Descaves: Sous-off.;

Hamon: Physiologie du militaire…

- La propagande se fait aussi par des placards édités en secret.

Exemple: À bas la Chambre!

Prolétaire, révolte-toi!

La vengeance est un devoir!

Mort aux juges, mort aux jurés, etc.

- Et par des chansons:30)

La Ravachole!

Le Père Duchesne!

La Marianne!

Les Jacques!

- Ravachol chantait le Père Duchesne en montant à l'échafaud:

Si vous voulez être heureux,

Nom de…

Pendez vos propriétaires…..

- Les soupes-conférence, banquets populaires par souscription, sont un moyen de propagande.

- Les femmes ne manquent pas dans le parti. Citons: Louise Michel, Léonie Rouzade, Mme Ivanec (autrichienne), Mme Dotz (allemande).

- Signalons encore-parmi leur livres:

L'indicateur anarchique. On y explique minutieusement la fabrication de la dynamite, du fulminate de mercure, de la nitro-benzine, de la bombe asphyxiante, etc., etc.

XV. Rappelons leurs exploits pendant dix-sept ans de propagande par le fait, 1877-1894.

1877Congrès révolutionnaire de Verviers;
1878Attentats: Nobiling et Hoedel, en Allemagne;
Moncasi, contre Alphonse XII, en Espagne;
Passamenti contre le roi d'Italie;
Publication de l'Avant-garde.
1879Congrès de la Chaux-de-fonds et Marseille;
Publication du Révolté à Genève.
1880Attentat d'Ottero Gonzalès, contre Alphonse XII;
Congrès, en Suisse: communisme anarchiste.
1881Congrès de Paris et de Londres;
Assassinat d'Alexandre II.
1882Journal: Le droit social, à Lyon;
Troubles de Montceau-les-Mines;
Explosions au théâtre Bellecour et au Bureau de recrutement à Lyon. - Cyvoct.
1883Procès d'anarchistes à Lyon (66 prévenus);
À Paris: Esplanade des Invalides, pillage des boulangeries;
En Espagne: la Main noire;
En Italie: Malatesta et Melsino arrètés.
1884Explosion de Niederwald. Journaux divers.
1885Journaux et livres: Paroles d'un révolté (Kropotkine);
Les produits de la terre, E. Reclus;
Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, par Guyau, normalien.
1886Troubles de Decazeville: meurtre de l'ingénieur Watrin;
Gallo: coups de revolver à la Bourse de Paris;
Louise Michel, condamnée pour un discours;
Troubles de Charleroy, pillage de châteaux et d'abbayes;
Grève monstre de Chicago: explosions.
1887Explosion de l'hôtel Lemaire;
Clément Duval condamné à mori.
1888Brochure de Malato: Les travailleurs, 20.000 exemplaires;
Le Père Peinard. - Grève des terrassiers à Paris: collisions.
1889Brochures de Malato et Jean Grave. - Pini condamné pour vols répétés.
1890Manifestation du 1er mai;
Graves désordres à Vienne (Isère).
1891Propagande dans l'armée;
À Saint-Denis, protestation de conscrits anarchistes;
Explosions à Charleville, à Nantes.
1892Vois de dynamite, à Soisy-sous-Etioles, etc.;
Explosions: hôtel de la princesse de Sagan, boulevard Saint-Germain. - Caserne Lobau, rue de Clichy. - Ravachol, res­taurant Véry. - Commissariat, rue des Bons-Enfants.
1893Pallas à Barcelone, Vaillant à la Chambre.
1894Emile Henry au café Terminus, Caserio à Lyon.31)

XVI. Ils ont leurs martyrs. Le culte des martyrs a pris consistance chez eux depuis quelques années.

Les pendus de Chicago;

Les garrottés de Xères;

Ravachól, Vaillant, sont des martyrs.

Les camarades ont leurs pèlerinages:

Le mur des fédérés au Père-Lachaise;

La statue de Diderot;

Le Champ des Navets.

Paul Adam a écrit dans les Entretiens en parlant de Ravachol: «Un Saint nous est né. Son sang sera l'exemple où s'abreuveront de nouveaux courages et de nouveaux martyrs».

Ce fut plus qu'un Saint, plus qu'un martyr, ce fut Ravachól-Jésus, comme l'a écrit, en blasphémant, un rimeur du parti, Paul Paillette.

Déjà en 1881, Garibaldi, dans une lettre à Félix Pyat, à l'occasion de l'assassinai d'Alexandre II, préconisait le culte nouveau: «Mon cher Pyat, l'as­sassinat politique, voilà le secret pour mener la Révolution à son but final. Les souverains appellent assassins les amis du peuple. Les vrais Républicains, tels que les Agésilas, Milano, Pietri, Orsini, Pianeri, Monti et Tognetti ont été autrefois qualifiés d'assassins. Ce sont aujourd'hui les martyrs vénérés du peuple. Hœdel, Nobiling, Moncasi, Passanante, Solovieff, Otero; Hartmann et ses compagnons, sont les vrais précurseurs de la République sociale.

«C'est le maudit clergé qui est le véritable assassin… C'est lui qui à conduit le progrès sur le bûcher et qui assassine encore la conscience par le mensonge. Qu'on déporte le clergé en Sibérie, mais non les valeureux compagnons de Hartmann».

(Cité par le comte Soderini, p. 60).

XVII. Il faut, pour terminer, indiquer les remèdes à cette action dissolvante du socialisme et de l'anar­chie.

Et au premier rang, il faut placer l'action de l'Eglise.

L'apostolat spirituel doit redoubler d'activité, mais il ne suffit pas. L'Eglise doit former les âmes à l'esprit de charité, de patience, de détachement des biens de la terre, mais elle doit aussi s'occuper des intérêts du peuple. Elle à été empêchée de le faire suffisamment par l'influence de l'esprit césarien et gallican.

«Les ministres du Christ avaient pris leurs quartiers d'hiver dans les sacristies et les sanctuaires» (Mgr Ireland).

Léon XIII a repris la tradition catholique en répétant bien haut que «l'Eglise ne se laisse pas tellement absorber par le soin des âmes, qu'elle néglige ce qui se rapporte à la vie terrestre et mortelle».

L'Evangile nous apprend que Jésus guérissait les corps pour atteindre les intelligences et multipliait les pains pour sanctifier les âmes.

«De l'aveu de tous, disait, en 1890, au congrès social de Liège, l'évêque de Gand, il y a trois catégories d'ouvriers: les socialistes, les indifférents et les catholiques. Je crois que les premiers crient bien haut qu'un seul parti, le parti socialiste, s'occupe des intérêts matériels de l'ouvrier. Je crois que la plupart des ouvriers de la seconde catégorie, les indifférents, pensent de même. J'ajoute que beaucoup d'ouvriers catholiques ne sont pas loin de se rallier à cette manière de voir».

Rien de plus vrai, mais aussi rien de plus dangereux, d'autant plus, comme l'a dit Manning, que

«le temps est proche où l'Eglise aura à discuter ses intérêts non plus avec les souverains, mais avec les peuples».

Aussi on comprend le cri d'alarme du Pape:

«Allez au peuple».

Dès que les travailleurs seront convaincus que l'Eglise et le prêtre veulent se prêter à faire valoir leurs légitimes revendications, ils se laisseront aller à la faim inconsciente du Christ qui se trouvé dans leurs âmes régénérées par le baptême.

Avec l'intelligence des besoins de son époque (par l'étude des questions industrielle et agricole), le clergé redeviendra nécessairement une force sociale avec laquelle l'opinion publique devra compter. La déclaration gallicane, de 1683: «Le prêtre ne s'occupe à l'église et hors de l'église que de choses religieuses», aura vécu pour le plus grand bien de l'Eglise et du peuple chrétien. (Tout va-t-il donc mieux depuis 1682?) Le peuple chrétien aussi reprendra conscience de ses devoirs. Il saura qu'il reçoit l'onction de la confirmation pour se montrer chrétien partout, dans la vie sociale comme dans la vie privée.

Le parti catholique32) doit sortir de ce cri de l'ouvrier: à Défendez-nous et nous vous défendrons». II ne doit pas laisser aux socialistes la gloire de se proclamer les hérauts de la justice, et d'élever la voix au nom des opprimés. Il doit entrer dans les assemblées délibérantes et s'y montrer le défenseur du peuple.

Ce mouvement est commencé, il doit s'accentuer partout, en France, en Belgique, en Italie, en Allemagne. Voici comment le prince Aloys de Lichtenstein en signale les débuts en Autriche:

«Chez nous le clergé à compris que si l'aumône est nécessaire en des cas de misère extraordinaire et comme exercice personnel d'altruisme, ce n'est pas avec elle qu'on peut résoudre la question sociale; si généreux qu'on suppose les riches, leur charité ne sera jamais qu'un palliatif insuffisant. Aussi le clergé autrichien s'est mis à la tête du parti des réformes sociales, il a la place d'honneur dans les réunions publiques. - La justice veut que celui qui travaille mange à sa faim et puisse nourrir sa famille; qu'il se vête convenablement et soit décemment logé. Nous voulons que l'ouvrier puisse vivre, et que lui et ses enfants ne soient pas couchés pêle-mêle dans des taudis, sans distinction d'âge ni de sexe. Nous demandons une durée normale de travail pour les hommes, les femmes et les enfants. Nous demandons aussi un minimum de salaire pour tous…».

Ajoutons qu'une des formes les plus actives de l'apostolat est la presse. On y peut appliquer ce que dit saint Paul de la prédication: Insta oppor­tune, importune, argue, obsecra, increpa in omni patientia et doctrina. (II Tim., iv). Il faut y mettre une ardeur infatigable. Nous l'avons vu, le socialisme s'appuie sur des sophismes habiles et des utopies séduisantes; il faut y répondre chaque jour sous toutes les formes: journaux, livres, brochures et tracts populaires. La victoire sera aux plus agissants.

XVIII. L'action de l'Eglise doit être secondée par la législation.

Il faut une réforme législative qui donne satisfaction aux justes aspirations du peuple et qui fasse disparaître, autant que possible, ses griefs et ses plaintes légitimes.

Cette réforme doit être demandée par tous les moyens dont nous disposons, par la presse, par lés conférences, par le parlement. Elle porte sur une dizaine de points principaux.

Il faut demander la reconnaissance juridique des associations et de leur droit de posséder.

Il faut que le repos du dimanche soit généralisé et protégé par la loi.

Le contrat de travail doit avoir sa législation spé­ciale, avec des garanties formelles et précises pour tous les droits des travailleurs.

Le code du travail doit régler la journée normale du travail, les conditions du travail de nuit et celles du travail des femmes et des enfants.

Il doit exiger que le minimum de salaire soit prévu dans les adjudications publiques.

Il doit réprimer l'usure et l'agiotage, régler les jeux de bourse, prévoir la surveillance des émissions d'actions, des trusts et des accaparements.

Les assurances de tous genres doivent être largement favorisées.

Des Chambres de travail doivent faciliter l'organisation ouvrière et la défense des droits des tra­vailleurs.

La petite propriété doit être favorisée dans son développement et sa conservation par la réforme des lois successorales et fiscales, par les faveurs accordées à la construction des maisons d'ouvriers, par l'institution de Chambres d'agriculture dans un esprit démocratique et par le développement da crédit rural.

Les budgets doivent être déchargés de leurs

excroissances parasites et les impôts mieux répartis.

Enfin l'action des sectes doit être strictement surveillée. Les sociétés secrètes doivent être dé-masquées. Les Juifs doivent être tenus pour des étrangers difficilement assimilables. Les hautes fonctions de la magistrature, de l'administration et de l'armée doivent leur être fermées. Leur action dans la presse et dans la banque doit être sur­veillée. Ce n'est pas là une question de religion, c'est une question de patriotisme.

XIX. À l'action de l'Eglise et de la législation, il faut joindre l'initiative privée. Celle-ci doit s'exercer dans l'organisation politique et électorale, dans l'accomplissement du devoir au jour du vote et tout particulièrement dans le développement de l'esprit corporatif.

Le patronat chrétien est un remède local et en grande partie transitoire, c'est un devoir cependant et il doit être souvent rappelé.

Les syndicats et associations où les deux éléments, patronal et ouvrier, sont mis en présence par des commissions d'arbitrage, sont des éléments de pacification.

Les économats peuvent réaliser la vie à bon marché.

La coopération donne aux associés la force qui résulte de l'union et de, l'entente. La participation aux bénéfices donne aux travailleurs quelque part à la dignité et aux profits du patronat. C'est une atténuation de ce que le salaire à d'humiliant et d'insuffisant.

Mais il faut avant tout dans les associations l'esprit de justice et l'esprit de charité, l'esprit chrétien large et éclairé. Sans cela les syndicats nous donneront l'état de paix armée, qui ne vaut guère mieux que la guerre et qui la prépare terrible. Les divers syndicats garderaient des capitaux inertes en vue de la lutte. Nous voulons l'équilibre des forces pour diminuer les tentations du plus fort, mais avec le sel de l'Evangile.

La coopération ou la participation aux bénéfices sera sans doute le mode d'organisation du travail dans l'avenir. Nous aimons à en lire le présage dans un discours de M. Deschanel: «Les œuvres qui font tant d'honneur au génie d'organisation, à la prévoyance de nos grands industriels, à leurs sentiments de justice et de charité, cette tutelle dont les ouvriers sentent parfois plus la sujétion que les bienfaits, tiennent à un régime transitoire entre l'in­dustrie du passe et celle de l'avenir.

C'est la féodalité industrielle en attendant les communes.

Ces formes actuellement bienfaisantes et nécessaires sont appelées à disparaître. Comme l'à dit un de ces grands patrons philanthropes, qui ont élevé les institutions patronales au plus haut degré de perfection, M. Engel-Dollfus, la pratique de l'épargne et de la prévoyance sous les auspices du patronat précède logiquement la complète émancipation économique au moyen de la coopération…».

XX. Enfin, il faut donner nettement à notre action le caractère démocratique.

Pour combattre efficacement le socialisme, il faut tenir compte d'un fait important, l'existence d'un mouvement démocratique universel. Que l'on discute tant que l'on voudra sur l'étymologie, la valeur, la convenance, l'opportunité du mot démocratie, le fait de ce mouvement démocratique universel n'en demeure pas moins certain; il à été affirmé dans ces termes mêmes par le Saint-Père à Mgr Dontreloux. (Lettre pastorale de Mgr de Liège, 14 janvier 1894). Or, une opinion erronée qui, jetée dans la circulation par des politiciens habiles, s'est vue accepter très rapidement, fait confondre le mouvement démocratique et ouvrier avec le mou­vement socialiste.

Grâce à cette confusion, de bons et honnêtes ouvriers, qui ne partagent nullement les doctrines collectivistes, se rallient cependant au parti ouvrier socialiste pour faire triompher les revendications ouvrières qu'ils regardent comme justes. - Ce fait à été signalé par Mgr Doutreloux, par MM. du Maroussem, Ch. Grad, d'Eichtal, et beaucoup d'autres écrivains.

Le mouvement ouvrier est la conséquence de l'évolution sociale et de la transformation économique du monde moderne. Le Chef de l'Eglise nous le signalé et nous dit: «Hâtez-vous, unissez les ouvriers en associations, en corporations chrétiennes; aidez-les à obtenir pacifiquement l'amélioration de leur sort». - Le mouvement socialiste, au contraire, est l'entreprise de quelques meneurs qui se font du peuple un tremplin politique. Leurs agissements ont un jour arraché ce jugement à un écrivain qui avait pu les suivre de très près: «Le socialisme n'est pas un but, il est un instrument».

Voilà pourquoi la lutte contre le socialisme ne doit pas être entreprise avec un programme purement négatif; elle ne peut être efficace que si l'on montre aux masses ouvrières que le catholicisme à un programme positif pour l'amélioration de leur sort. Il ne suffit pas de tourner en ridicule le pro­gramme des socialistes, il faut opposer à leurs utopies les réformes pratiques qui découlent des principes chrétiens; il ne faut pas laisser croire aux ouvriers que les catholiques s'intéressent à leur sort uniquement pour les détacher d'autres théoriciens qui prétendent s'y intéresser également. Le mouvement social (et démocratique) chrétien devrait exister alors même que le socialisme n'existerait pas. (Conf. Mgr Doutreloux: Lettre pastorale, 14 janvier 1894, p. 20).

Allons au peuple pour l'éclairer, l'instruire, l'aimer. Allons à lui avec un programme social précis, avec des oeuvres vraiment populaires, avec une in­cessante activité. Il y a du vrai dans les lignes suivantes qu'écrivait naguère un député socialiste de Paris: «Les vrais ennemis, les seuls redoutables du prolétariat socialiste, ne sont pas ces bourgeois oisifs que la digestion paralyse… Nous ne les voyons pas non plus parmi les vieux débris de l'aristocratie terrienne, drapés dans leur intransigeance facile parce qu'ils sont bien rentés; non plus dans la bande gueularde des rodomonts à la Cassagnac, qui flairent aux portes des maisons royales ou impériales pour découvrir l'office le mieux fourni de pitance… Ceux que nous devons par-dessus tout redouter, sur qui il nous faut veiller sans répit et qu'il nous faut combattre sans merci, possèdent une méthode savamment combinée; ils suivent des chefs pleins de ressources; ils obéissent a des voix dont l'éloquence exerce sur les masses populaires un charme pernicieux…

«Avant qu'il soit longtemps, les soi-disant démocrates-chrétiens auront pris, contre nous, la première place dans la bataille sociale; ils seront la phalange autour de laquelle se rallieront les conservateurs aux abois et les républicains félons…».

Fiat! Fiat!

Que ce soit notre croisade contre l'esclavage économique.

Léon XIII nous Fa dit tant de fois! Allons a ce peuple qui souffre et qui cherche le salut dans des utopies. Allons a lui avec une véritable science so­ciale et avec des oeuvres. Démasquons les socialistes, montrons les vrais remèdes au mal social. Aimons le peuple, défendons-le. Il nous attend, il nous aimera, il nous défendra a son tour.

On raconte qu'au moment du martyre de l'abbé Planchat, au temps de la Commune, un apprenti parisien de son Patronage se jeta devant lui et cria aux meurtriers: «Vous ne le tuerez pas sans me tuer le premier. » Telle doit être l'union du prêtre et du peuple, des apôtres et des travailleurs, mais cette union se cimente par le dévouement et les services rendus.

A l'oeuvre! à l'oeuvre!


1)
Soit 27 pages sur le socialisme et 15 sur l’anarchie.
2)
Comme promoteurs du mouvement socialiste aux débuts du XIXe siècle, on peut indiquer: François Noël Babeuf, dit Gracchus (1760-1797), qui dans ses écrits proposait «la république des égaux»; Claude Henri Saint-Simon (1760-1825), philosophe positiviste; Robert Owen (1771­.1858), réformateur et socialiste britannique, avec son plan de législation sociale do travail; Charles Fourier (1772-1857), avec son projet d’organiser les gens dans des phalanstères qui auraient du être coopératives de pro­duction et en méme temps coopératives de consommation. Tous ses au­teurs proposaient ce que l’on a appelé «socialisme utopique»: ils s’inspi­raient de l’idée d’une société communiste et égalitaire. -Un róle tout à fait spécial, pour l’évolution successive du socialisme, il faut le reconnaître à Karl Marx pour ses recherches sur les conditions du travail dans les usines et, surtout, pour sa théorie sur la plus-value appliquée au capital industriel, théorie que des économistes anglais appliquaient plutôt à la propriété fon­cière. Les uns et les autres, souligne le Père Dehon, arrivaient (avec trop de fondement en fait) à la mîme conclusion, c.à.d. que «sous le règne de la cupidité qui domine les 5mes» (p. 174) les industriels et les grands proprié­taires recueillent injustement la plus-value procurée par le travail des ou­vriers et, de cette façon, les riches s’enrichissent toujours davantage, tandis que les salariés, les pauvres, sont toujours plus pauvres. Cette doctrine de K. Marx a été qualifiée somme «socialisme scientifique». II s’inspire d’une conception «matérialiste et dialectique» de l’histoire et de la société (voir aussi la deuxième Conférence, § II).
3)
A la fin du XIXe siècle l’école socialiste comptait en France cinq ou six branches, dont la dénomination était empruntée aux noms des respec­tifs chefs ou promoteurs. Ainsi les socialistes Blanquistes s’inspiraient de Blanqui, les Allemanistes de Allemane, les Guesdistes de Guesde, etc. L’unité du socialisme français fut réalisée en 1905, tout de suite après le congrès de Paris. Un r61e important dans son histoire a été joué par: a) Jean Jaurès (1859-1914), fondateur d’une branche du parti socialiste français (1901) et, avec Viviani, de L’Humanité (1904); b) Alexandre Millerand (1859-1943), collaborateur de Clémenceau: il proposait le transfert des moyens de production do domaine capitaliste à celui de l’Etat; c) René Vi­viani (1863-1925), premier titulaire du ministère du travail (1906) et pré­sident du Conseil au début de la guerre de 1914.
4)
Ce chiffre devait s’élever en 1898 à 1.100.000 voix.
5)
Ces prévisions, on le sait, ont été largement réalisées.
6)
August Bebel (1840-1913), socialiste allemand. Avec W. Liebknecht il anima la branche marxiste do mouvement ouvrier et ensemble en 1869 ils fondèrent le parti démocrate des ouvriers. Il publia plusieurs ouvrages et, notamment, La femme et le socialisme (1883).
7)
Trades-Unions (expression anglaise formée de «trade», métier, et «union»). En Angleterre c’étaient des associations de travailleurs salariés, d’un même métier, à peu prés comme les syndicats en France. Le but de ces «unions» était la défense des intérêts des travailleurs.
8)
John Burns (1858-1943) adhéra dés sa jeunesse au mouvement so­cialiste. D’abord syndicaliste actif, il s’orienta après vers la politique, et en 1905 il entra au gouvernement, premier ouvrier appelé d une fonction mi­nistérielle en Angleterre. Jules Huret (1864-1915), journaliste français, organisa un système d’enquêtes documentées. En 1896 il fit, pour Le Figaro, une enquête sur la situation sociale en Europe.
9)
Henry George (1839-1897), publiciste et homme politique améri­cain. II doit sa célébrité surtout à son livre Progrès et pauvreté (1879), où il expose le problème de la plus-value da travail, c.à.d. l’argent qui est des sa­lariés, mais qui va au bénéfice des propriétaires fonciers.
10)
Pierre Leroux (1797-1871), socialiste français. Dans ses écrits il rap­pelle que l’égalité est un dogme sacré, solennellement proclamé par la Ré­volution, mais qu’il faut l’appliquer. Et tout le monde, dit le Père Dehon, aimerait souscrire la liste de ses griefs à la société contemporaine.
11)
Jean Allemane (1843-1935), dirigeant du groupe socialiste dit «pos­sibiliste» ou «broussiste», parce que commencé par Patti Brousse. – Ca­mille Pelletan (1846-1915), socialiste radical et anticlérical. – Jules Guesde (1845-1922), du groupe «collectiviste» ou «guesdiste».
12)
Très intéressantes sont aussi, d’après le Pare Dehon, certaines ana­lyses faites par Jules Guesde, qui mettaient en évidence une tendance à ré­duire au minimum les salaires des ouvriers; il souligne aussi la concurrence effrénée des travailleurs, la guerre de tous contre tous, etc. Mais ces germes de vérité, conclut le Pare Dehon, «ne sont qu’un aspect da socia­lisme». Et avec un langage très clair il nous invite à lire aussi d’autres tex­tes dans lesquels transparaissent les rêves et même les excès et les vio­lences des théories socialistes.
13)
Vladimir Sergheievitch Soloviev (1853-1900), philosophe russe et écrivain mystique, avec des visions presque prophétiques su le futur de la société. II était d’avis que l’Etat doit éliminer toute pauvreté dégradante et que, pour cela, il sera forcé à concentrer entre ses mains les principaux ins­truments de la production et de la distribution des biens.
14)
Paul Lafargue (1842-1911), adhérent à l’Internationale, épousa à Londres la fille de Karl Marx. Rentré en France il fonda avec Guesde le parti ouvrier français.
15)
Paul Brousse (1844-1912), homme politique français, disciple de Bakounine et membre de la première Internationale. En 1880 il devint so­cialiste réformiste, créant avec Joffrin le parti possibiliste ou broussiste (Cf. ci-dessus, p. 184, note 8).
16)
Edward Bellamy (1850-1898), romancier américain. Il se fit connaître surtout par son roman utopique à tendances socialistes: Looking Backward 2000-1887, édité en 1888.
17)
Le programme d’Eisenach: il s’agit du premier programme du so­cialisme allemand, établi dans la ville d’Eisenach en 1869; il s’inspirait du manifeste communiste, mais en évitant le mot «communiste». Le pro­gramme de Gotha est une nouvelle rédaction, établie dans la ville de Go­tha en 1875, par fusion des deus tendances socialistes existantes. Dans sa partie théorique celui-ci était assez radical en proposant comme principe la lutte des classes. Mais dans sa partie pratique il était très modéré. Une troisième rédaction, légèrement modifiée, est le programme d’Erfurt, pu­blié en 1891.
18)
Eugen Richter (1838-1906), chef du parti progressiste et très compétent en matière de finances. Député en Prusse et au Reichstag, il s’opposa énergiquement à Bismarck.
19)
Benoît Malon (1841-1893), adhérent à la première Internationale et député de la Seine, en 1871 il vota contre la paix. De 1880 jusqu’à 1893 il dirigea la Revue socialiste et publia en 1891 Le Socialisme intégral.
20)
Emile Vandervelde (1866-1938), homme politique beige, président de la deuxième Internationale (1900), il combattit a la Chambre les abus commis par l’armée belge au Congo.
21)
Hébertistes: partisans de Jacques Hébert (1757-1794), membre in­fluent du parti extrémiste de la Révolution. Après 1793 il devint le chef de la faction ultra-révolutionnaire des Montagnards. Dépassant Robespierre, il l’accusa de pusillanimité et prépara une insurrection pour le renverser; mais il fut arrêté, condamné à mort et exécuté (1794).
22)
Emile Joseph Basly (1854-1928), député socialiste, depuis 1884 il in­tervint activement dans tous les contlits entre mineurs et patrons; il prit part aussi aux débats sur la législation du travail.
23)
Carmagnole (La), chant révolutionnaire datant de l’époque oh Louis XVI était prisonnier au Tempe. Il était très répandu surtout pen­dant la Terreur.
24)
Mikhail Alexandrovitch Bakounine (1814-1876), officier de l’Ar­mée russe, fondateur de l’anarchisme. Homme de toutes les révolutions, on le voit en Angleterre, en Suisse, à Naples, à Paris (où il connaît Herzen, Marx et Proudhon). Partout il prònait l’athéisme, l’abolition des Etats et de toute autorité.
25)
Alexandre Ivanovitch Herzen, en russe Ghertsen (1812-1870), vaga­bond dans tous les pays de l’Europe, adhérent à un socialisme utopique de tendance slavophile. De ses écrits on peut signaler ses Lettres de France et d’Italie (1850), avec la description des événements révolutionnaires de 1848.
26)
Elisée Reclus (1830-1905), géographe français d’orientation répu­blicaine, auteur d’une monumentale Géographie universelle (1875-1894).
27)
Enrico Malatesta (1853-1932), révolutionnaire anarchiste italien, émigré en France, membre de la fraction bakouninienne de la première Internationale et défenseur da communisme libertaire. Rentré en Italie, il est d’abord fasciste, puis antifasciste; il employa ses dernières années à ani­mer l’union syndicale italienne.
28)
Edoardo Soderini (1853-1934), homme politique italien. Pour pro­mouvoir la participation des catholiques à la vie politique nationale, il ap­puya la constitution d’un parti conservateur. Très connu par ses articles dans la revue Rassegna italiana, et ses deux ouvrages: Socialismo e Catto­licesimo, Rome 1896, et Il Pontificato di Leone XIII, Milan 1932 (3 vol.).
29)
Etienne La Boétie (1530-1563), écrivain français, connu surtout pour son discours sur La servitude volontaire, animé d’une passion très vive et d’idées très nobles pour la liberté. On pense que, peut-être, son dis­cours était dirigé contre Machiavel.
30)
Par ces chansons populaires on exprimait les idées politiques des anarchistes, mais aussi les humeurs plus critiques du peuple ou des mouve­ments révolutionnaires. François Claudius Ravachol, anarchiste français, auteur de nombreux attentats, fut guillotiné en 1892. Le Père Duchesne était au contraire un personnage symbolique qui servit de titre à beaucoup de pamphlets, et même à un journal à partir de 1790. Dans la même ligne se situaient les chansons «La Marianne», «Les Jacques», etc.
31)
Que d’attentats à ajouter depuis lors, notamment contre le ministre Canovas en Espagne, contre l’impératrice d’Autriche, le roi d’Italie, le schah de Perse!
32)
Le parti catholique, souhaité lei par le Père Dehon, n’existait pas encore de ce temps-là en France. Etienne Lamy (1845-1919) essaya de le constituer en 1897, mais il échoua.
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