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Cinquième conférence

La Mission sociale de l'Eglise

Le 11 mars 1897 cette cinquième Conférence vient clore la série des Conférences romaines tenues pendant l'hiver 1897. Comme les précédentes, elle est publiée ensuite dans Le Règne, en quatre livraisons, en 1899 et 1900. C'est sans doute la plus originale, la plus positive aussi avec celle qui la complétera sur la «Démocratie chrétienne».

Le Père Dehon commence par redire son admiration pour Léon XIII et son «Sénat», - quatre cardinaux romains étaient présent; - le Pontife comparé à Moise entouré des anciens pour guider le peuple de Dieu (cf. Nb 11,16sq).

Il se propose de «considérer le rò1e bienfaisant de l'E­glise dans la vie sociale des peuples» (p. 219), il en volt la joyeuse annonce déjà dans l'Ancien Testament. C'est l'espé­rance messianique, nourrie de la Parole des Prophètes: pour tous les pauvres de toute la terre, la paix, l'abondance, la li­berté. Jésus envoyé pour l'accomplir en donne dans l'Evan­gile les signes concrets: «Les pauvres ont reçu la joyeuse nou­velle de leur libération» (p. 220; cf. Mt 11,4-5), dès mainte­nant, précisément dans notre présente condition. Car c'est pour aujourd'hui que l'Evangile du Royaume de Dieu est Bonne Nouvelle.

Le Conférencier se lance ensuite dans un large survol de l'histoire, comme il aime le faire: il entend montrer comment l'Evangile enseigné par l'Eglise, quand il est pris au sérieux et malgré la faiblesse humaine, est réellement au servite du bonheur sur cette terre, à travers l'organisation sociale conforme aux aspirations humaines les plus vraies.

Dans quelle terre précise la semence de l'Evangile va être jetée, aux débuts de la mission de l'Eglise? C'est le champ du monde parer, un monde globalement marqué par «la plus profonde corruption» (p. 222): luxe et luxure pour quelques privilégiés, gaspillage insupportable aux yeux des foules qui vivent dans la misère et l'abandon, cruauté et mépris de la vie humaine en particulier quand il s'agit de la femme, des en­fants, des innombrables esclaves et des pauvres qui ne comptent pour rien, qu'on élimine même pour s'épargner jusqu'au désagrément de les voir.

C'est à ce monde-là que les apôtres Pierre et Paul an­noncent la Bonne Nouvelle. Quelques familles d'élite d'a­bord, puis d'autres, puis surtout l'immense foule des mal­heureux l'accueillent pour en vivre: «Les déshérités accep­tèrent en grand nombre cette doctrine qui leur apportait la li­berté, la charité et le relèvement qu'ils n'avaient pas connus jusque-là» (p. 227).

Les écrits des premiers penseurs chrétiens, l'art des cata­combes où domine la figure da Bon Pasteur, tout atteste la vitalité précoce de cette jeune communauté, surtout son sens de la charité qui donne vraiment la tonalité de la vie humaine selon l'Evangile. Se multiplient alors les oeuvres de bienfai­sance pour les pauvres, pour les frères condamnés aux mines; l'amour de la patrie et la loyauté civique commencent à habiter les consciences… En veut-on un exemple significa­tif? La progressive libération des esclaves, à partir de la fra­ternité nouvelle fondée en Jésus. «Un peu de ferment, le puis­sant ferment de l'humilité, de la pureté, de la charité et de la pénitence a été jeté dans cette masse compacte de la société païenne, et tout ce corps social a été soulevé, et le ferment a pénétré partout et a tout vivifié et assaini» (p. 228).

Reconnue officiellement à partir de l'Empereur Constan­tin (313), l'Eglise peut dès lors infléchir la législation pu­blique, transformer les institutions sociales. Notre chrétienté actuelle en garde la forte empreinte. Ainsi pour le droit des personnes, pour la famille, pour ce «culte des pauvres» qui est devenu comme ale caractère distinctif de la religion chré­tienne» (p. 230). Ainsi encore de la défense de la culture et de la science. Ainsi de la lutte contre la violence aveugle et le respect de la dignité des faibles.

Les invasions barbares viennent ruiner l'Empire romain. Mais sans se décourager l'Eglise poursuit sa mission civilisa­trice: service de la paix, réorganisation de toute la vie sociale, éducation des peuples à la lumière de l'Evangile, en parti­culier autour des monastères qui se multiplient partout. L'instruction est rendue accessible jusqu'aux petites gens, elle est offerte aux pauvres. Les faibles sont protégés contre les violences des princes. Des hommes de Dieu conseillent les rois dans leur mission au service de leurs peuples. Le ma­riage et la famille sont défendus contre la fantaisie et la sen­sualité. Les institutions sociales sont mises en place au béné­fice de tour: ainsi la féodalité, qui stabilise le monde rural; ainsi la défense contre l'Islam, ou encore la condamnation de la violence, les exigences de loyauté dans les contrats de tra­vail, la trêve de Dieu au service de la paix et de la prospérité de tous. Ou encore la lutte contre l'usure, les limites imposées à la grande propriété, la distribution de la terre.

La liste est donc longue des bienfaits de l'action sociale chrétienne au long des siècles. L'Église s'y engage notam­ment par ses Ordres Mendiants, Dominicains et Franciscains auxquels le Père Dehon accorde une attention particulière: bientôt il traitera explicitement da Tiers-Ordre de saint François. Il souligne encore le rôle civilisateur de l'Eglise à tra­vers la promotion de l'art.- lettres, architecture, mosaïques, peinture…, tout un domaine qui lui est particulièrement fami­lier. Enfin aux grands siècles du Moyen-Age, l'Eglise contri­bua à modifier le droit pénal: grâce d son influence on en viendra à plus de miséricorde et de compréhension, on ten­dra à l'abolition de la peine de mort et de la torture, s'impo­sera le souci non par de mauvaise vengeance mais de réédu­cation dans les peines infligées…

Cette influence bénéfique est malheureusement contre­dite ensuite et même anéantie partiellement par la législation «séculière» des siècles récents. Les tribunaux civils réintro­duisent le recours fréquent et sauvage à la torture, les corpo­rations sont supprimées ou paralysées, l'autorité royale tend à redevenir un pouvoir absolu et tyrannique. L'humanisme déiste qui prépare la Révolution, puis le matérialisme athée, en combattant l'Eglise ont éloigné le Christ des pauvres, du petit peuple. «Les prêtres n'infusaient plus dans la vie sociale l'esprit de justice et l'amour des petits. Ils se contentaient de donner les sacrements à ceux qui voulaient bien les recevoir. Le peuple se détachait d'une religion qui ne veillait plus à ses intérêts, et il regardait les prêtres comme les complices des oppresseurs» (pp. 262).

Le réveil est là, sous nos yeux: des prêtres, quelques ca­tholiques courageux, et surtout le Pape Léon XIII: «Sa pa­role a retenti comme une voix de prophète. Elle a étonné, surpris les hommes de tous les camps. Elle se heurtait à des préjugés, à des habitudes, à des traditions. Elle n'a pas fini de conquérir les intelligences et les volontés, mais le travail se fait» (p. 262). «Les prêtres, les catholiques agissants… étu­dient, ils se mettent à l'oeuvre… Le progrès est général… Le peuple n'est pas encore gagné, mais il observe, il s'étonne… Continuez, prêtres et hommes d'oeuvres… Encore un peu de temps. Il faut que le peuple ait compris que vous n'agissez pas par tactique mais par conviction; que vous vous appuyez sur les principes sociaux de l'Evangile et que vous êtes déci­dés à ne plus les laisser étouffer» (p. 263).

EMINENCES,1)

Ce n'est pas sans émotion que je parie devant vous. Vous êtes le sénat de l'Eglise comme le Pape en est le chef spirituel.

Nous lisons au livre des Nombres que Moïse reçut l'ordre de se constituer un sénat de soixante-douze vieillards, choisis parmi les plus doctes et les maîtres du peuple. Dieu promettait à Moïse de leur donner quelque part à ses grâces spéciales de lumière et d'autorité, pour qu'ils puissent l'assister dans sa charge: Et auferam de spiritu tuo et tradam eis, ut sustentent tecum onus populi et non tu solus graveris.

Moïse, aujourd'hui, c'est Pierre, c'est Léon XIII. Telle est la foi chrétienne, et dès les catacombes nous voyons souvent Pierre représenté dans l'attitude de Moïse. La tradition vous à souvent nommés le sénat de l'Eglise. Saint Pie Ier, écrivant à l'évêque de Vienne,2) lui disait: «Le sénat du Christ, établi à Rome, vous salue». Nous qui venons de la Gaule, nous rendons humblement au sénat du Christ siégeant à Rome le salut qu'il envoyait jadis à nos pasteurs…

I. Nous voulons aujourd'hui considérer le rôle bienfaisant de l'Eglise dans la vie sociale des peuples. Il fait bon étudier à Rome l'histoire de l'Eglise. C'est ici que nous trouvons la tète et le cœur de l'Eglise, le rayonnement de sa doctrine et l'expansion de sa charité.

Les leçons de l'histoire nous feront reconnaître dans l'Eglise la libératrice de toutes les tyrannies et la promotrice de tous les progrès.

II. Mais Dieu s'était plu à esquisser lui-même dans l'Ancien Testament le rôle et les destinées de son Eglise. Demandons le secret de Dieu aux prophètes, l'Evangile d'ailleurs nous aidera à les interpréter.

Isaïe et Michée ont décrit l'un après l'autre la félicité des temps nouveaux.

Isaïe fait parler le Sauveur lui-même, en son chapitre soixante et unième: «L'esprit de Dieu est avec moi, dit le Messie, je suis envoyé pour annoncer un meilleur sort aux pauvres; ma mission est semblable à celle des hérauts de l'année jubilaire, qui proclamaient la délivrance et la remise des dettes: ut praedicarem annum placabilem Domino, ut consolarer omnes lugentes. (Chap. lxi, vers. 1-2).

Et le prophète ajoutait: «Dieu l'à juré, o nouvelle Sion, il ne laissera pas tes ennemis dévorer ton froment et boire ton vin».

II voulait parler de la paix et de l'abondance qui régneraient dans l'Eglise (Cornelius à Lapide).3)

Que ces pages s'appliquent bien au Messie, nous n'eu pouvons douter, Notre-Seigneur lui-même y a fait allusion dans l'Evangile. (S. Matthieu, ii; S. Luc, iv)

Michée est plus réaliste dans sa peinture: «L'Eglise, dit-il, est la montagne spirituelle élevée sur les collines. Les peuples iront à elle, elle leur donnera des lois et les jugera. Ils feront de leurs lances des socs de charme et chacun vivra en paix sous sa vigne et son figuier» (Chap. iv).

Le prophète compare évidemment les temps nouveaux aux années les plus prospères du règne de Salomon, qui sont décrites dans les mêmes termes au 3e livre des Rois, chapitre quatrième.

Ce n'est pas que la paix et la prospérité doivent être imperturbables. Il n'y a rien d'absolu sur la terre. Il y aura toujours des pauvres parmi nous. On n'arrive au royaume des cieux qu'en passant par bien des tribulations (Paroles de saint Paul, dans les Actes)

Mais les prophètes ont contemplé l'ensemble des temps nouveaux et ils leur ont apparu comme un beau ciel à peine taché de nuages après un temps orageux.

Les prophéties sont manifestes: Le Christ appor­tera aux peuples qui lui seront fidèles, la paix, la liberté et la prospérité.

III. L'Evangile répète ce qu'avaient annoncé les prophètes: les temps nouveaux verront une pros­périté jusque-là inconnue.

Jésus prêchant à la synagogue de Nazareth et recevant les envoyés de Jean-Baptiste, renvoie ses interlocuteurs à la prophétie d'Isaïe: «Dites à Jean ce que vous avez vu: les pauvres ont reçu la joyeuse nouvelle de leur libération» (Matt., ii; Luc, iv).

Une autre fois Notre-Seigneur parie à ses disciples de la richesse. Il dit bien qu'elle ne doit pas être le principal objet de leur sollicitude, mais il ajoute qu'elle leur sera donnée par surcroît.

«N'ayez pas trop de sollicitude, leur dit-il, pour tout ce qui regarde les, biens matériels, cherchez avant tout le règne de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donne par surcroît: et haec omnia adjicientur vobis».

Personne n'à mieux interprété ce passage que saint Augustin: «Les biens de la terre, dit-il, ne seront donc pas le prix des bonnes œuvres. Ce prix nous est réservé tout entier pour le ciel, mais ils nous seront donnés par-dessus le marché, comme une bonne-main (mantissa) ou comme le supplément que les vendeurs ajoutent au poids de la marchandise…».

Et pourquoi oublierions-nous dans la prédication de l'Evangile de faire mention de ce supplément?

Un proverbe latin, cité par le poète Lucilius, dit avec vérité que le supplément cause un plaisir plus «ensible que la marchandise achetée:

«Mantissa obsonium vincit».

On dit aussi en italien: È più la giunta che la derrata.

Notre-Seigneur à bien voulu promettre ce supplé­ment. Il connaissait la nature humaine. Ne soyons pas plus rigides que lui. La morale chrétienne n'interdit que le désir excessif des richesses et la soif des voluptés.

Saint Paul répète l'enseignement de Notre-Seigneur; «La piété est utile à tout: elle à des promesses pour cette vie et pour l'autre» (I ad Tim., iv). Corneille de la Pierre, résumant les Pères de l'Eglise, ajoute: «La piété nous promet ici-bas une vie longue, paisible et bien fournie des biens dont nous avons besoin».

Ne nous contentons pas de prêcher les vertus des parfaits: le renoncement, le sacrifice, le détachement absolu. Imitons notre chef Léon XIII. Encore évêque, il montrait dans ses lettres pastorales comment l'Eglise est la source du progrès et de la civilisation. Devenu Pape, il insiste, notamment dans les Encycliques Rerum novarum et Inscrutabili: «L'Eglise, dit-il, à libéré les esclaves, elle fait régner la justice et la charité, elle favorise les sciences et les arts… la civilisation est proportionnée à sa liberté et à son action».

IV. C'est d'ailleurs tout l'ensemble de l'Evangile, ce sont tous ses enseignements moraux et sociaux qui assurent la prospérité aux peuples vraiment chrétiens.

L'obéissance à l'autorité spirituelle ou temporelle trouve une base solide dans la religion. L'obéis­sance, n'est-ce pas la garantie de l'ordre et de la paix?

La famille est honorée, sanctifiée par un sacrement, consolidée par l'indissolubilité.

Une doctrine qui fait du travail un devoir, de la justice une loi rigoureuse, de l'aumône une obligation, de la charité fraternelle une vertu sincère, de la tempérance et de la retenue un précepte; une telle doctrine ne comblera-t-elle pas, autant qu'il est humainement possible, l'abîme qui séparé les riches des pauvres?

L'abolition de l'esclavage n'est pas proclamée dans l'Evangile, mais elle y est préparée.

Le luxe est exclu par l'esprit de l'Evangile, l'art et la science sont favorisés par la mission d'enseigner donnée aux apôtres, par le développement du culte qu'exigera la dignité du sacrifice eucharistique et des sacrements.

Le pauvre et l'esclave ne peuvent plus être foulés aux pieds et méprisés, après que l'Evangile à déclaré qu'il faut voir en eux le Christ lui-même.

Mais il est temps de constater, eu parcourant l'histoire, que l'Eglise a bien rempli sa mission et développé ses principes autant que le permet la faiblesse humaine.

V. Pour mieux saisir le contraste, jetons d'abord un regard sur l'état dans lequel l'Eglise à trouvé la société païenne.

Après une periode de grandeur morale relative et de vertus naturelles, Rome et son vaste empire, séduits par les tentations de la richesse, étaient tombés dans la plus profonde corruption.

Suétone, Tacite et Salluste nous disent à quel avilissement était réduit l'empire; comment le vice le plus éhonté régnait à tous les degrés de l'échelle sociale, et quels ferments de haine s'étaient accumulés dans le cœur des pauvres et des esclaves.

Rome est à l'apogée de la richesse. Rien n'égale la magnificence de ses palais et de ses monuments. Ses ruines en témoignent après 1.800 ans.

Mais ce qui la caractérise, ce ne sont pas les établissements de bienfaisance, ce sont les bains et les théâtres… Rome sous l'empire est une ville de plaisir et de luxure. Ses nombreux établissements sont de vastes cités de plaisirs. Elle à plusieurs amphithéâtres dont un seul contient 87.000 spectateurs. Le grand cirque en contient 300.000.

On n'y trouve pas un seul établissement de bienfaisance. Le peuple se vend à ceux qui briguent les élections. Il ne demande que du pain et des plaisirs. Le luxe des grands dépasse toute imagination. Les habitations voluptueuses sont tout éblouissantes de mosaïques et de marbre. «L'or, l'argent, l'ivoire, les pierreries, les bois les plus rares sont prodigués dans l'ameublement.

La fortune des grands est immense. Elle est acquise par l'exaction dans l'administration des provinces et par la concussion dans les marchés de l'Etat.4) César assiste aux jeux publles dans une chaise d'or massif. Crassus possède 250 millions en biens fonds, sans compter ses meubles et ses esclaves. Sénèque, qui à si bien écrit sur l'honnête médiocrité, possède 60 millions en terres. Caecilius laisse à ses héritiers 125 millions, 5.000 esclaves, 3.000 paires de bœufs, 260.000 autres animaux. Tous les grands en sont là.

Leurs profusions insensées dépassent tout ce qu'on en peut dire. Caligula dépense une somme équivalente à 400 millions en une année. Lucullus dépense 25.000 fr. par jour à son dîner. Héliogabale nourrit ses chiens de foies gras; ses chevaux de raisins et d'orge dorée; ses lions de faisans. On cite ses festins de vingt services, ses lits de tablé d'argent massif, ses robes de soie brodées de perles qui ne servaient qu'une fois. Des femmes portaient en bijoux des fortunes immenses. Il y en avait, au dire de Pline, qui se baignaient au lait d'ânesse 70 fois par jour. Poppée5) dans ses voyages était suivie de 500 ânesses. Pline cite une matrone qui, dans de simples réunions intimes, portai! sur elle pour 8 millions de joyaux. Tout Rome était plus ou moins livré à ces désordres.

La sensualité engendre la cruauté. La Rome païenne justifie ce principe; la haine et la cruauté régnaient partout.

Le plaisir le plus goûté était de voir les gladiateurs s'entrégorger ou lutter jusqu'à la mort contre les bêtes fauves.

On sacrifiait d'innombrables vies d'hommes pour des délassements sanguinaires.

Et c'étaient nos aïeux, les Gaulois, les Germains, les Bretons, prisonniers de guerre) qui faisaient les frais de ces fêtes odieuses.

L'austère république des Fabius et des Scipion connut déjà les massacres du cirque.

Lors des funérailles de Lépide, Rome vit aux prises vingt-deux paires de combattants, et soixante aux obsèques de Licinius (183 av. J.-C.). Ce sont leurs legs de bienfaisance au peuple.

Jules César acheta, pour les spectacles qu'il avait l'intention de donner, un si grand nombre de gladiateurs que ses adversaires en prirent ombrage et qu'un sénatus-consulte fixa le nombre de rétiaires6) et de mirmillons qui pouvaient s'entrecouper la gorge en un jour.

Peu de temps après on vit cependant 640 gladiateurs en venir aux mains sous les auspices de César (Suétone, César. Ch. x)

Auguste défendit aux préteurs d'offrir plus de deux jeux de 120 hommes par an. Horace (Satire II) et Perse (Satire IV) parlent de cent paires de combattants offerts par des particuliers.

Aux spectacles offerts par Auguste lui-même on avait vu guerroyer dix mille hommes.

Tibère détermina aussi un maximum pour les jeux offerts par les particuliers, non pas par humanité, mais pour sauvegarder les prérogatives impériales.

Trajan offrit une fois 10.000 combattants.

Sous la République on estimait à 80 talents d'or (184.000 fr.) le coût d'un brillant jeu de gladiateurs. On dépensait beaucoup plus sous l'Empire. Les Samnites, les Gaulois, les Thraces, les Germains, les Bretons, les Suèves, les Daces, les Maures donnaient leur sang pour amuser les Romains.

L'an 46 avant J.-C., Jules César fit creuser au Champ de Mars un bassin où deux flottes, tyrienne et égyptienne, comprenant des navires à plusieurs rangs de rames avec 1.000 soldats et 2.000 rameurs, combattirent l'une contre l'autre. - Auguste mit en présence 3.000 hommes et Claude 19.000 dans une naumachie. - 18 éléphants, 600 lions et 410 fauves concourent aux jeux de Pompée. 3.500 fauves aux jeux d'Auguste.

À l'inauguration de l'amphithéâtre Flavien, Titus consacre cent jours aux divertissements de la foule. 9.000 fauves sont immolés.

Trajan, après ses succès sur les Daces, fit combattre 11.000 animaux féroces contre des gladiateurs.

Ovide, Stace, Martial exaltent ces jeux.

Cicéron dit qu'ils sont un salutaire enseignement du mépris de la douleur et de la mort. Pline loue Trajan qui donne ces divertissements au peuple.

Tacite, tout en regrettant le sang verse, ajoute que ce n'est là toutefois qu'un sang vénal.

Seul Sénèque exprime un certain sentiment de dégoût. L'idée des droits des humbles et des petits manquait au paganisme. Le Christ apprit au monde quel était le prix d'une âme.

La cruauté de Rome païenne se manifestait spécialement vis-à-vis des êtres les plus faibles, la femme, l'enfant, l'esclave, le pauvre.

La femme n'obtenait à Rome aucun respect. La jeune fille païenne pouvait être tuée ou vendue par son père. Elle était mariée à celui qui en offrait le plus haut prix et devenait sa propriété et comme son esclave. Il pouvait l'abandonner.

La polygamie et le divorce étaient acceptés par les lois.

L'enfant ne devait être relevé que par la bénédiction du divin Maître.

Il n'était pas considéré comme un être humain, tant qu'il n'avait pas été allaité. On en mettait à mort un grand nombre. Auguste lui-même confirma cet usage par la jurisprudence.

L'exposition des enfants était une coutume géné­rale sous les empereurs, au dire de Suétone et de Tacite. Le père pouvait tuer ses enfants ou les vendre.

Que dire des esclaves? Leur nombre d'abord était immense. Sur 120 millions de sujets que comptait l'empire sous Trajan, il y avait moins de 10 millions d'hommes libres. Chaque riche habitation de Rome comptait plusieurs milliers d'esclaves au service de tous les caprices des maîtres. La nuit on les enfermait dans de sombres voûtes nommées Ergastula.

L'esclave était une chose, un objet de commerce, mis au rang des animaux dans les lois.

Le maître avait droit de vie et de mort sur l'esclave et il en usait largement. S'il y avait un meurtre d'homme libre dans une maison, tous les esclaves de la maison pouvaient être livrés à la mort. C'est par centaines alors qu'ils étaient conduits au supplice.

Et les pauvres? On regardait comme un crime de les soulager. On sait le trait de cet empereur qui, fatigué d'en voir dans la ville, en fit remplir trois vaisseaux qu'il fit couler en pleine mer.

VI. Pierre et Paul viennent à Rome. Ils gagnent bientôt dans le patriciat quelques familles d'élite, qui avaient conserve les mœurs antiques; les Cor-nelii, les Pomponii, les Emilii (les sépultures des catacombes nous révèlent ces noms), et quelques familles nouvelles, comme celle des Flaviens, dont une branche restée païenne arriva bientôt au pouvoir.

Leurs successeurs gagneront les Cœcilii et les Fabii et bien d'autres familles patriciennes. C'est ce qui permit la fondation de la grande ville souterraine des catacombes dans les propriétés suburbaines de ces familles.

Les déshérités acceptèrent aussi en grand nombre cette doctrine qui leur apportait la liberté, la charité et le relèvement qu'ils n'avaient pas connus jusque-là.

Il faudrait opposer aux mœurs païennes les mœurs de cotte cité nouvelle. Les apologistes, Tertullien, Tatien, Minutius Félix, Justin, Eusèbe et les autres les ont décrites en les exposant pour leur défense aux païens et aux empereurs eux-mêmes.

Les catacombes aussi, celle immense cité souterraine, dont les allées, si elles étaient déployées, donneraient 300 lieues de rues bordées de 6 mil-lions de tombeaux, les catacombes, par leur aspect même, leur décoration, leur symbolisme, disent toute la pureté et l'austérité de mœurs de cette génération.

Au lieu de Vérrus et Mercure, l'art chrétien nous présente le type gracieux du bon Pasteur et les symboles pieux et édifiants du baptême, de la pénitence et de l'Eucharistie.

VII. Les œuvres de charité en faveur de toutes les souffrances ont leur origine aux catacombes. «Chacun de nous, dit Tertullien, apporte tous les mois son modique tribut, selon ses moyens et librement. C'est comme un dépôt de piété. Il s'emploie à la nourriture des indigents, aux frais de leur sépulture, à l'entretien des pauvres orphelins, des domestiques épuisés par Page; au soulagement de nos frères qui sont condamnés aux mines ou emprisonnés pour la cause de Dieu». II y à là déjà presque toutes nos œuvres.

Aucun dévouement ne leur est étranger. Ils n'oubliaient pas l'amour de la patrie. «Nous prions, dit Tertullien, pour le salut des empereurs. Nous demandons pour eux un empire paisible, des armées valeureuses, un sénat fidèle, des sujets soumis». «Quant aux contributions publiques, nous les payons entièrement et sans fraude».

Le contraste est complet.

Nous pourrions symboliser le paganisme par quelques noms, tels que Héliogabale, Lucullus, Poppée; et le christianisme par les Sébastien, les Agnès, les Cécile, noms radieux et purs qui inspirent la vertu.

La vertu faible et sans moyens humains, semblable à David en face de Goliath, la vertu représenter par les apôtres et leurs disciples à lutté contre le colosse du paganisme et l'à renversé.

Un peu de ferment, le ferment puissant de l'humilité, de la pureté, de la charité et de la pénitence à -été jeté dans cette masse compacte de la société païenne, et tout ce corps social à été soulevé, et le ferment à pénétré partout et à tout vivifié et assaini.

VIII. La libération des esclaves7) est un des plus beaux témoignages de l'histoire en faveur de l'Eglise.

Notre-Seigneur en avait pose le principe en nous appelant tous ses enfants et ses frères.

Saint Paul, interprétant la pensée du Christ, écrivait à Philémon: «Il n'y à pas à distinguer l'esclave et l'homme libre, vous êtes tous frères, aimez-vous les uns les autres».

Aux Ephésiens, saint Paul exprime les devoirs des maîtres. «Ils doivent à ceux qui les servent, la justice, la douceur, le respect: ils ont en effet le même Dieu». Ces principes changeront bientôt la situation des esclaves en celle de simples serviteurs.

La plus ancienne législation de l'Eglise, les canons apostoliques, réclament pour l'esclave le repos hebdomadaire.

Il faut entendre les Pères de l'Eglise s'élever contre la dureté de certains maîtres. «Qu'avez-vous besoin, disait saint Chrysostome, de vous faire suivre par une foule d'esclaves? Faites-leur apprendre un métier et affranchissez-les». - «Maîtres, disait saint Grégoire de Nysse, n'oubliez pas que l'homme, de sa nature, est libre, et que, devant Dieu, vos esclaves sont vos égaux».

Constantin, Théodose et Justinien reconnaissent dans leurs lois que l'esclavage est une institution contraire au droit naturel et ils prennent toutes les mesures pour favoriser les affranchissements.

L'Eglise ne pouvait pas proclamer sans transition l'affranchissement de tous les esclaves. Ces hommes n'étaient pas préparés à la liberté, et la société aurait passe par une crise épouvantable. Mais les affranchissements sont entrés de suite dans les mœurs. Saint Ambroise dit que les esclaves affranchis et conduits au baptême à toutes les grandes fêtes de l'année étaient le plus bel ornement des mystères chrétiens.

Tous les Saints, tous les grands chrétiens ont été de généreux libérateurs d'esclaves. Sainte Mélanie libera ses 5.000 esclaves. Hermès, ancien préfet de l'empire, devenu chrétien, libera et prépara au baptême ses 1.250 esclaves. Saint Chromace, fils du préfet de Rome, fit de même. Saint Cyprien faisait faire des collectes à Carthage pour racheter les es­claves et les libérer. Saint Grégoire le Grand, saint Césaire d'Arles, saint Fortunat, saint Germain de Paris, saint Eloi de Noyon et tous les pieux évêques des premiers siècles faisaient racheter les esclaves sur les marchés pour les libérer.

Charlemagne et Louis le Débonnaire devaient porter le dernier coup à l'esclavage parmi les peuples chrétiens, et les ordres religieux voués à l'œuvre de la rédemption des captifs devaient exercer leur zèle jusqu'en Afrique et en Amérique.

IX. Quand l'Eglise a pu agir sur la législation publique, elle a transformé toutes les institutions sociales comme elle a transformé l'esclavage et l'organisation du travail.

L'empire romain a eu sa période chrétienne avec Constantin et ses successeurs. Ses lois ont été renouvelées. Ses institutions nouvelles lui ont survécu et sont devenues dans leur ensemble le patrimoine commun de la chrétienté; nous pouvons juger du contraste qu'elles offrent avec les lois et les coutumes païennes.

Le droit des gens antérieur n'avait qu'une loi, le vae victis, malheur aux vaincus! La guerre donnait du butin et des esclaves. L'empire chrétien ne fait plus d'esclaves, il commence leur libération (code de Justinien); le vainqueur chrétien fait soigner les blessés ennemis sur le champ de bataille.

Dans l'ordre politique, le christianisme trouve en face de lui le despotisme absolu. Il respecte le pou-voir, mais il met en honneur le devoir des princes. Il leur dit avec le Christ: Que celui qui est le pre­mier se fasse le serviteur des autres.

Dans la famille, la législation de Constantin abolit la polygamie et le divorce, ces deux sources de honte, d'esclavage et de désordre dans la famille païenne.

Dans la société, les combats de gladiateurs sont abolis et toutes les souffrances sont soulagées. Lisez le recueil des constitutions de Justinien.8) Cette lecture vaut toute une apologie. Les lois ont créé tonte une langue nouvelle pour organiser toutes les institutions chrétiennes: hospices et asiles pour l'enfance, pour les orphelins, pour les malades, pour les étrangers, pour les vieillards, pour les ouvriers, pour les pauvres… et la société païenne n'avait rien connu de tout cela.

On oserait dire que le cutle des pauvres est devenu le caractère distinctif de la religion chrétienne.

C'était l'oracle d'Isaïe: Pauperes evangelizantur.

Et ce sont les fils des fiers sénateurs de la vieille Rome et les filles des orgueilleuses matrones qui tenaient leurs esclaves pour de vils animaux, qui se feront dans tous ces asiles de la misère les serviteurs et les servantes des pauvres et des petits…

X. L'Eglise n'est pas responsable de l'obscurcissement partiel de la science au Ve siècle. Les invasions barbares en sont la seule cause.

L'Eglise avait purifié, élevé et ennobli la science païenne. Elle en conservera ce qu'elle pourra sauver sous les flots écrasants du paganisme.

Gomme le remarque saint Augustin, les premiers chrétiens ont pose les fondements de l'Eglise par le martyre, ils en ont élevé les murailles par la vertu; ils ont couronné l'édifice par la science.

Qu'est devenue la science orgueilleuse d'Athènes, d'Alexandrie, de Rome? Elle a aussi rendu hommage au Christ.

Justin est né dans le paganisme. Il à suivi les écoles célèbres des Stoïciens, de Pythagore et de l'Académie. La sainteté des mœurs chrétiennes et l'héroïsme des martyrs l'ont touché et l'ont gagné au Christ.

Denis de l'Aréopage9) était aussi un disciple illustre de l'école de Platon. C'est la philosophie aux pieds du Christ.

«C'est seulement après ma conversion au Christ, dit Justin, que j'ai commencé à être vraiment philosophe».

Voici Tertullien en Afrique. Il est ne dans le paganisme, lui aussi. C'est l'un des plus puissants logiciens de l'humanité. «Sa plume, dit un écrivain, est comme la foudre: elle brille, elle tonne, elle renverse». II livre au ridicule les dieux du paganisme.

Voici Origène, à Alexandrie, le génie le plus brillant et le plus séduisant des premiers siècles. Il rencontre un adversaire digne de lui, le philosophe Celse, qui présente dans une puissante synthèse les arguments les plus spécieux des païens et des juifs. Origène les réfute avec une logique et une érudition merveilleuses.

Bientôt des hérésies s'élèvent. Dieu suscite Athanase en Orient et Hilaire en Occident pour défendre la foi. Hilaire aussi à été élevé dans le paganisme.

Julien l'apostat espère renouveler le paganisme. Grégoire de Nazianze et Basile le Grand s'élèvent contre lui. Grégoire aussi était fils de païen. Il se mit avec Basile en possession de la science profane à Athènes et l'inclina devant le Christ.

Ambroise, petit-fils d'un consul, et fils du gouverneur des Gaules, représente la science romaine, la science des rhéteurs et des jurisconsultes; il consa­cre cette science au Christ.

Augustin réunit la puissance de la philosophie à la grâce de l'éloquence….

Le témoignage de la science est aussi complet que celui de la vertu et de la patience.

XI. Enfin, pour en finir avec le monde romain, il faut encore signaler un des plus beaux triomphes de l'Eglise dans la vie sociale: c'est d'avoir tenu tête aux tyrans et d'avoir défendu les peuples contre les rigueurs tyranniques et les accès de cruauté auxquels peuvent se laisser entraîner des princes chrétiens eux-mêmes.

On sait le courage de saint Jean Chrysostome.

C'est avec la même énergie et la même dignité que saint Ambroise reproche à Théodose le massacre cruel des habitants de Thessalonique et lui impose huit mois de pénitence.

Saint Basile et saint Athanase n'ont pas hésité davantage à lutter contre les empereurs Valens et Constance pour défendre la justice, pour revendiquer la liberté civile et religieuse.

Cette transformation du monde païen est la plus belle apologie du christianisme. Le Christ pouvait dire au monde après ces cinq siècles de lutte, comme il disait aux Juifs qui venaient l'entendre:

«Si vous ne croyez pas à mes paroles, croyez à mes œuvres: operibus credite».

XII. L'Eglise avait accompli son œuvre de géant, son œuvre divine, en convertissant le monde ro­main, en lui donnant des principes humains et sages, des lois justes et libératrices; en substituant Constantin, Théodose, Honorius., Justinien à Tibère, Néron et Caligula. Mais voici que l'invasion barbare venait tout remettre en question et détruire à la fois ce qui restait de la civilisation romaine et ce que l'Eglise y avait ajouté.

Tout le territoire de l'empire est livré à ces populations grossières. Elles ont un culte païen plus matériel et plus brutal que celui de Rome; elles n'ont ni arts, ni lettres; elles n'ont pour lois que des coutumes où ]à force est plus respectée que la justice; elles pillent, elles volent, elles passent comme un ouragan. Les noms d'Attila, Genséric, Totila, symbolisent leurs mœurs.

Que nous sommes loin de la haute et délicate culture des Cécile, des Clément, des Chrysostome, des Boèce! Qui va reprendre l'œuvre de la civilisation de l'Europe? C'est une nouvelle œuvre de géants. Il faut sauver ce que l'on peut de la civilisation acquise; il faut protéger ce qui à échappé au désastre; il faut instruire, relever, former ces masses nouvelles. L'Eglise est là. Elle se met à l'œuvre sans découragement.

XIII. Dans les périodes d'invasions, les habitants des villes, effrayés, recourent aux évêques, les priant de les protéger et de négocier avec les barbares.

L'évêque, comme le constate l'historien protestant Guizot,10) prend le rôle de défenseur de la cité. Les envahisseurs s'arrêtent et s'apaisent devant la majesté de Léon le Grand aux portes de Rome, devant la dignité vénérable de saint Aignan,11) à Orléans et de saint Loup à Troyes.

Les barbares, domptés par la vertu et la science de ces ministres d'une religion toute céleste, les chargent de rédiger leurs lois et de conduire leurs affaires.

Les évêques se servent de cette influence pour pénétrer de l'esprit chrétien la législation de ces peuples nouveaux. C'est à eux surtout qu'on doit les institutions représentatives, l'usage des assemblées provinciales et nationales, qui sont une imitation des assemblées conciliaires.

Le VIe siècle est un siècle d'organisation. On n'y compte pas moins de 54 conciles provinciaux en France, où les autorités civiles prennent souvent quelque part, pour traiter des affaires politiques, sociales et religieuses. C'est là que se forme le droit chrétien.

XIV. Tout était à refaire ou à réformer: les mœurs, le travail, l'étude, l'agriculture, les métiers.

Les barbares comptaient imposer la servitude aux peuples envahis, mais l'Eglise se dressa devant eux.

Saint Léger, évêque d'Autun, ne craint pas de dire au roi Childéric et aux seigneurs francs: «Seigneur roi et vous princes, par le saint baptême et par l'humaine condition, vous êtes les frères de ces malheureux et leurs semblables. Prenez en compassion des frères qui vous ressemblent: aimez-les comme tels, vous souvenant que les miséricordieux obtiendront miséricorde».

Les autres évêques font de même dans les mêmes circonstances.

En France, saint Remi se fait l'éducateur des Francs, comme saint Martin avait fait pour les populations celtiques.

En Angleterre, saint Augustin de Cantorbéry trouve des peuplades cruelles et sans lettres. Bientôt après, grâce à l'influence de l'Evangile, les rois et les peuples rivalisent de douceur et de piété. Les monastères deviennent les asiles des lettres, des arts et des métiers; écriture et illustration des manuscrits, architecture, sculpture, serrurerie, orfèvrerie, tout se développe en même temps, pen­dant que la culture des terres s'organise.

En Allemagne, les chroniques nous disent que les moines ouvrirent des écoles et persuadèrent aux populations de défricher une partie de leurs vastes forêts, d'ouvrir des routes, de se grouper en bourgades et de se mettre à la culture et aux métiers. La grande abbaye de Fulda ne compta pas moins de quinze mille métairies soumises à son influence bienfaisante. Saint Boniface, au VIIIe siècle, avec le concours de Carloman et de Pepin, célébrait presque chaque année des conciles mixtes, qui étaient des parlements modèles, en même temps que des assemblées religieuses.

On vit disparaître, disent les chroniques germaines et saxonnes, la férocité des mœurs, la pira­terie, la polygamie, les sacrifices humains; et la religion apporta avec elle des mœurs polies et la prospérité.

Les lieux déserts, dit Montalembert,12) étaient transformés en champs cultivés, en vignobles féconds; les cloîtres, dit Mignet, étaient des écoles d'arts et métiers.

L'Eglise à fait de Rollon, le cruel normand, un sage législateur; elle à fait des Goths et des Vandales la chevaleresque Espagne, amie des lettres et des arts.

Et la même action civilisatrice se continua autant que ce fut nécessaire. Au XIIe siècle, Otton, évêque de Bamberg, prêchant les Poméraniens, faisait construire dans leurs grandes plaines des routes, des ponts, des aqueducs.

On retrouvera cette influence bienfaisante aux XVIe et XVIIe siècles en Amérique et notamment au Paraguay; au XIXe siècle en Océanie et dans l'Afrique centrale.

On s'étonne que les anciens monastères soient devenus possesseurs d'une grande étendue de notre sol. Les rois, les princes, les seigneurs leurs cédaient des terres qui étaient de vrais déserts. Ils les fertilisaient par leurs sueurs et leurs, travaux et par leur incomparable habileté de cultivateurs. L'abondance arrivait dans un pays qui auparavant ne produisait rien. Les habitants venaient s'y fixer autour des abbayes. Ces conquêtes du sol par les moines se firent toujours par la croix et la charme, cruce et aratro, par la souffrance, par l'abnégation, par l'obéissance absolue, par la prière et le travail…

Les abbayes, dit Mignet, abritaient des métiers de tout genre. Il y avait là des exemples d'activité et d'industrie pour le laboureur, l'ouvrier et le propriétaire (Mèmoires de l'Académie des sciences morales, tom. III, p. 673).

XV. L'instruction, réservée chez les païens aux classes nobles et riches, est descendue, grâce à l'Eglise, parmi les pauvres et les petits.

L'Etat moderne montre du zèle pour les écoles par rivalité et par politique, plus que par charité. Le christianisme, au contraire, a toujours enseigné les pauvres. Dès qu'il fut libre, ce fut son œuvre de prédilection. Dès le VIe siècle, le concile de Vaison (529) et celui de Tours (576) prescrivent aux prêtres de paroisse de tenir école. Au moyen âge, chaque abbaye avait son école où les enfants recevaient une instruction gratuite.

Devançons ici le cours des siècles dans notre revue historique. Au XVIIe siècle, l'œuvre de saint Joseph Calasanz en Italie et en Espagne et celle du bienheureux de la Salle en France donnèrent un nouvel essor à l'éducation populaire. Sous Louis XV en France, il y avait à Paris 160 écoles de garçons et 157 écoles de filles, où le personnel enseignant était payé par les parents des élèves. Il y avait en outre 95 écoles gratuites pour les deux sexes. Si l'on tient compte du chiffre de la population, qui était alors de 600.000 âmes, on verra que la proportion du nombre des écoles en comparaison de notre temps est à l'avantage de l'époque de Louis XV.

Avant la révolution, dit M. Taine, les petites écoles étaient innombrables (Origine de la France contemporaine, tom. I, p. 213).

La France avait, en 1789, 165 séminaires et 562 collèges fréquentés par 80.000 élèves dont la moitié recevaient l'instruction gratuitement en tout ou en partie. Les écoles primaires avaient un revenu de 12 millions.

Il est intéressant de rappeler, en regard de l'œuvre de l'Eglise parmi les pauvres, quelques mots intimes, où les plus grands déclamateurs, à l'abri des yeux de la foule, exprimaient leurs véritables pensées. Voici, par exemple, quelques extraits des œuvres de Voltaire: «Le laboureur ne mérite pas d'être instruit, c'est assez pour lui de manier le hoyau, le rabot ou la lime». - «Il est essentiel qu'il y ait des gueux ignorants». - «Ce n'est pas le manœuvre qu'il faut instruire, c'est le bon bourgeois».

Faisons remarquer encore que dans certaines grandes abbayes bénédictines, comme à Marmoutier, la copie des manuscrits était le seul travail manuel autorisé par la régie. Qu'on juge du nombre de volumes qu'un pareil usage dut produire! Nous devons à ces moines la conservation de tous les monuments écrits de l'antiquité.

Dans son grand ouvrage sur les inscriptions chrétiennes de la Gaule, M. Le Blant fait remarquer que de tous les barbares établis dans l'empire romain, nous n'avons pas une seule inscription qui ne soit chrétienne, ce qui prouve qu'à cette époque christianisme et civilisation sont synonymes.

XVI. Une autre fonction de l'Eglise, dans cette période de formation, a été la protection des faibles contre les violences des princes et des peuples à demi convertis.

Que d'injustices arrètées! Que de colères domptées, de biens restitués et de fondations faites en esprit de pénitence! Citons-en quelques exemples.

Au VIe siècle, saint Maixent reproche à Clovis, qui marchait contre les Visigoths, les pillages de ses soldats. Le prince réprime les abus de son armée et demande pardon pour lui et pour les siens.

Saint Arédius13) ou Yrieix, abbé d'Atane en Limousin, se rend à Braine auprès de Chilpéric roi de Neustrie14) pour lui demander la réduction des impôts publics, qui devenaient écrasants; le prince lui livre les rôles des contributions et l'autorise à les réviser.

Au VIIe siècle, en Austrasie, saint Nicet, abbé de Saint-Maximin, ose reprocher au roi Thierry son inconduite et ses rapines; il fait chasser du champ des pauvres les chevaux des officiers royaux: le prince s'incline docilement, et sana rancune il pro­pose saint Nicet pour l'évêché de Trèves.

En Italie, un prince des Goths nommé Galla réclamait les richesses d'un captif chrétien qu'il tenait enchaîné. Saint Benoît, témoin du fait, pria Dieu et les chaînes du captif tombèrent spontané-ment. Les Saints mettaient le miracle lui-même au service de la civilisation.

XVII. Pour faire ressortir l'action sociale de l'Eglise, on pourrait encore citer les grands ministres et conseillers quelle à donnés aux principaux souverains de l'Europe. Nommons-en seulement quelques-uns.

Au VIe siècle, saint Remi est le conseiller de Clovis; saint Yrieix est le chancelier du roi d'Austrasie Théodebert.

Au VIIe siècle, saint Léger est le conseiller de Childéric II; saint Eloi a la confiance de Clotaire II et de Dagobert I.

Au IXe siècle, Alcuin est le confident de Charlemagne; Smaragde, abbé de Saint-Michel, est celui de Louis le Débonnaire.

Au Xe siècle, nous voyons saint Dunstan jouir d'une autorité considérable en Angleterre et devenir le chancelier du roi Edgar. Saint Ulrich, évêque d'Augsbourg, est le conseiller d'Otton le Grand;

Gerbert, qui devait être le pape Sylvestre II, dirigeait l'empereur Otton III.

Au XIe siècle, Willigis, archevêque de Mayence, est chancelier de l'empire sous saint Henri.

Au XIIe, Suger est conseiller du roi sous Louis VI et régent sous Louis VII.

Au XIIIe, Geoffroy de Beaulieu, dominicain, est le confident de saint Louis.

Au XVIe siècle, le cardinal d'Amboise est mi­nistre de Louis XII; saint Thomas de Villeneuve est conseiller de Charles-Quint.

Saint Vincent de Paul lui-même est membre du conseil royal sous Louis XIII.

Les rois et les peuples n'avaient certes rien à perdre à cette collaboration.

Et ce que nous disons en quelques mots, il faudrait tout un volume pour en montrer l'importance dans le détail.

XVIII. L'Eglise s'est faite la protectrice de la société initiale, qui est aussi de fondation divine, la famille. Elle à use de toute son autorité pour sauvegarder le mariage chrétien. Elle a averti et au besoin elle a frappe les rois qui ne voulaient pas le respecter.

Lothaire II, de Lorraine, avait délaissé Teutberge, sa femme légitime, pour Valdrade; le pape Nicolas intervint et Lothaire se soumit.

Robert le Pieux avait épousé Berthe de Bourgogne sa parente, contrairement aux lois civiles et ecclésiastiques; frappé d'excommunication, il dut la renvoyer et épousa Constance d'Aquitaine.

Philippe Ier' avait répudié Berthe sa femme, pour contracter une union adultère avec Bertrade déjà mariée à Foulques d'Anjou; il dut céder devant l'excommunication du concile d'Autun et reprendre Berthe.

Philippe-Auguste aussi avait été excommunié par le pape Innocent IV pour avoir répudié Ingelburge et épousé Agnès de Méranie. Il se soumit et l'excommunication fut levée.

Henri IV d'Allemagne voulait aussi répudier sa femme Berthe, le pape Alexandre II s'y opposa.

Si l'Eglise eût voulu se plier aux fantaisies adultères de Henri Vili, elle eût échappé peut-être au schisme d'Angleterre, mais elle n'à voulu à aucun prix sacrifier l'intégrité de la famille.

Nous avons donne quelques exemples tirés de l'histoire des rois, nous en pourrions citer un millier en passant en revue les annales de la féodalité. Signalons seulement un martyr de la vigilance de l'Eglise sur la sainteté de la famille: saint Kilien, évêque de Wurzbourg, pressentait les vengeances de Geila, femme illégitime du due Gozbert, il obligea cependant le due à la renvoyer; cette femme le fit assassiner en 690.

XIX. Il faut enfin signaler l'action de l'Eglise vis-à-vis des institutions sociales. De même qu'elle avait supprimé l'esclavage, elle s'éleva contre le servage qui était encore une atteinte à la liberté.

Le XIe siècle fut un siècle de transition, comme avait été le VIe. Quatre-vingts conciles provinciaux travaillèrent en France à transformer le servage et à organiser les communes.

La formation du Tiers-Etat,15) comme contrepoids à la féodalité, est dû en Italie à l'action franciscaine et au Tiers-Ordre; en France, elle fut l'œuvre des évêques et des abbés, d'accord avec la royauté, et elle fut réalisée par l'établissement des communes.

Saint Louis, par l'organisation des corporations, donna à la France plusieurs siècles de paix sociale.

L'Eglise inspira et encouragea les assemblées provinciales et les Etats généraux. Elle les avait préparés par ses conciles où étaient souvent admis les laïques influents pour traiter des questions mixtes.

Enfin, une institution aussi belle et poétique que pratique et bienfaisante est celle de la chevalerie. Ces peuples nouveaux n'étaient pas encore absorbés par les intérêts matériels, il leur fallait une activité plus idéale. L'Eglise leur proposa la chevalerie. Le chevalier était choisi dans la noblesse, il était consacré par l'Eglise dans une cérémonie imitée des sacrements. Il jurait de défendre la foi, d'honorer l'Eucharistie, de servir l'Eglise, de protéger les faibles et les innocents opprimés.

La chevalerie, pendant des siècles, fut l'honneur de toutes les nations chrétiennes, de l'Italie, de la France, de l'Allemagne, de l'Angleterre. Son histoire accuse à chaque page le culte de l'honneur, l'héroïsme de la foi et de la vaillance; elle a été et elle est encore un thème inépuisable pour la poésie et la littérature.

XX. Dans notre revue historique, nous voici parvenus à l'époque féodale.

Cette période à deux phases: la lutte et l'apogée.

La lutte est intense et ne s'achève que lentement alors que sous bien des aspects la vie sociale chrétienne a déjà atteint son apogée.

Cette lutte a plus d'un champ de bataille. C'est d'abord la violence naturelle des mœurs barbares qu'il faut contenir; c'est l'islamisme qui est aux portes; c'est le despotisme féodal qui grandit; c'est la grande propriété qui s'inspire à nouveau de l'égoïsme païen; c'est la liberté de mœurs et l'esprit batailleur de la féodalité; c'est enfin l'usure des juifs et des judaïsants.

XXI. Les barbares étaient gagnés à la foi et à demi civilisés, mais leurs instincts de brutalité avec l'esprit de pillage et de rapine se réveillaient facilement. Nous avons vu les saints évêques et moines intervenir souvent. Cela ne suffisait pas, l'Eglise institue cette magnifique organisation de sécurité sociale qu'on a appelée la féodalité. C'était, comme le remarque Augustin Thierry,16) une im­mense fédération, avec un lien naturel de service et de défense.

Les paysans agriculteurs se groupaient autour du château féodal. Ils prêtaient leur concours au seigneur féodal en cas de besoin et lui payaient la dîme annuelle, mais ils étaient protégés et défendus par lui contre tout attentat des traîneurs de grands chemins. Le seigneur mettait à leur service routes, ponts et moulins et obtenait en retour quelques droits gracieux, comme celui de chasse et de pêche.

Longtemps l'union fut toute cordiale, et les relations féodales, tout empreintes de charité chrétienne, faisaient du château féodal comme le centre d'une grande famille. Nos historiens modernes, et Michelet lui-même17) ont dû le reconnaître.

XXII. L'Islam était aux portes. Nous ne pouvons pas décrire même en abrégé l'immense épopée de la lutte contre le cimeterre. Ni la Grèce, ni Rome n'ont à présenter une pareille série de héros. C'est un long duel entre le Christ et Mahomet. Il commence au VIIIe siècle avec Pélage dans les Asturies, Charles Martel à Poitiers, Charlemagne dans les Marches d'Espagne.

Qu'est-ce que le siège de Troie ou les fantastiques combats d'Enée contre Turnus roi du Latium en comparaison des prouesses de Roger et de ses Normands en Sicile, du Cid à Valence, de Godefroid de Bouillon à Jérusalem, de saint Louis à Damiette, d'Alphonse de Castille à Las Navas de Tolosa, de Ferdinand d'Aragon à Grenade, de Don Juan à Lé-pante, de Sobieski à Vienne, de La Valette à Malte? Il y a là les éléments de dix épopées splendides et notre grand siècle littéraire à été bien aveugle de chercher ses héros dans les légendes -grecques au lieu d'immortaliser l'histoire nationale. Quelle sève de patriotisme et de foi il nous aurait infusée, au lieu de raviver pour des siècles tout le ferment païen avec son sensualisme, son égoïsme et ses luttes stériles!

XXIII. Les grands, au moyen âge, s'enivraient facilement de leur puissance et en abusaient. L'Eglise était là pour les contenir.

Les canons du concile d'Aix-la-Chapelle en 886, rappellent aux princes que les royaumes se perdent par défaut de justice - que l'obéissance politique a des limites - que les princes ne sont pas au-dessus des commandements de Dieu - que le pouvoir civil n'a rien à voir dans le domaine des consciences.

Les protestants eux-mêmes avouent que la papauté a seul empêché au moyen âge le règne de la plus affreuse barbarie en s'opposant à la tyrannie des princes. Lisez à ce propos Sismondi, Jean de Muller et Leibnitz.

Henri IV d'Allemagne favorisait les injustices, les violences, le pillage des campagnes. Les peuples prièrent Grégoire VII de prendre en mains leur cause. Il déposa Henri. L'humiliation de Canossa, dit le protestant Voigt, fut le triomphe d'un peuple sur un tyran.

Il en fut de même dans la lutte de Frédéric Ier' et d'Alexandre III, de Frédéric II et d'Innocent IV. Alexandre III, dit Voltaire, est l'homme qui dans ces siècles mérita le plus du genre humain.

XXIV. La grande propriété, comme l'autorité sociale, développe l'orgueil et l'égoïsme.

À Rome, les latifundia ou grands domaines, dont les abus avaient été signalés jadis par Horace, Quintilien, Sénèque, Constantin et saint Ambroise, s'étaient reconstitués après l'invasion barbare. Les seigneurs féodaux laissaient en friche la cam­pagne romaine où ils entretenaient des bergers à demi sauvages, qui devenaient au besoin leurs hommes d'armes et dont ils protégeaient tous les forfaits contre l'action de la justice. Les Papes entreprirent une lutte sans fin contre ce réveil de l'égoïsme païen. Sixte IV, Jules II, Clément VII ordonnèrent que le tiers au moins de ces terres fût mis en culture. Grégoire XIII et Sixte V luttèrent contre les mêmes abus. Pie VI et Pie VII permettaient même au nom de l'intérêt public que les travailleurs missent d'eux-mêmes en culture et sans loyer les terres incultes jusqu'à concurrence du tiers des grands domaines.

XXV. Le droit civil et commercial des Romains régnait dans les pays du midi, les coutumes franques dans les pays du Nord. L'Eglise expurgea et compléta rune et l'autre législation par ses lois canoniques et sa juridiction spéciale. Elle fit respecter la sainteté du mariage, la loyauté et la justice des contrats, le caractère sacre des actes de dernière volonté. Elle poursuivit toutes les formes de l'usure.

Michelet lui-même à dû reconnaître que la juridiction ecclésiastique avait été une ancre de salut.

Cette juridiction à rencontré de rudes adversaires; elle à été attaquée par les légistes, par les grands, par les usuriers. Malheureusement Philippe de Valois diminua la juridiction des tribunaux ecclésiastiques au XIVe siècle et François Ier la supprima pour les laïcs, et cela pour favoriser les juristes et le droit romain.

XXVI. Quel grand profit social n'à pas apporté aussi la trêve de Dieu18) introduite par l'Eglise! Les guerres privées étaient dans les mœurs. Elles décimaient les populations; elles arrachaient les travailleurs à leurs foyers et à leurs champs; elles enlevaient tonte sécurité aux campagnes et aux grands chemins. L'Eglise protégea par des sanctions sévères la sécurité des voyageurs et des hommes des champs. Ne pouvant pas supprimer entièrement les guerres privées, elle en diminua les ravages, en suspendant les hostilités entre chrétiens pendant les jours de fêtes de l'Eglise et même chaque semaine du mercredi soir au lundi matin.

La Trêve de Dieu commença en Aquitaine. De nombreux conciles la favorisèrent. Odon de Cluny la propagea par l'action incessante de tous les monastères de son obédience. Guillaume,.duc de Normandie, l'introduisit dans ses Etats en 1042, l'empereur Henri IV l'étendit à l'Allemagne; le concile de Girone en dota l'Espagne en 1066. On peut se représenter quelles immenses conséquences cela eut pour la paix et la prospérité sociales.

XXVII. Il faut encore signaler pendant cette période le rôle social des Ordres mendiants. - Avant le XIIIe siècle, on avait connu des moines défricheurs, qui transformaient en domaines fertiles les terres incultes et insalubres; - des ermites contemplatifs, usufruitiers d'une caverne par droit du premier occupant; - enfin d'actifs prédicateurs, ou réformateurs de l'Eglise… Les ordres mendiants offrirent à la papauté un nouvel appui.

Les dominicains s'habituent de bonne heure à combattre l'hérésie, au peril de leur vie. Par un pieux jeu de mot, on les appelle les chiens du Seigneur (Domini canes). Ils sont figurés en dogues autour des trônes du Pape, de l'empereur et du roi de France à la chapelle des Espagnols dans l'église de Santa Maria Novella à Florence…

Ces nouveaux ordres, dans l'intérieur de la chrétienté, furent des puissances sociales. Chacun d'eux eut son Tiers-Ordre qui lui affiliait les laïques de bonne volonté. Le Tiers-Ordre de saint François surtout eut un rôle historique.

Le Tiers-Ordre fut un instrument d'émancipation, de relèvement, de paix, de libération, d'aide mu­tuelle.

Le menu peuple des villes souffrait du joug des podestats ou des seigneurs, le Tiers-Ordre l'éman­cipa…

Par les progrès du commerce et de la banque, les préoccupations matérielles et le souci d'une égoïste opulence commençaient à déprimer l'âme chrétienne, le Tiers-Ordre la releva…

Trop souvent le printemps ramenait la guerre entre les cités voisines. Le Tiers-Ordre interdit le port d'armes offensives, si ce n'est pour la défense de l'Eglise ou de la patrie.

Pour racheter les redevances féodales et se défendre contre l'usure, les tertiaires s'associèrent. À chaque réunion, chacun donnait un denier pour les besoins de tous. Ce fut une libération.

XXVIII. Le rôle social des Frères-Mineurs. - «Les historiens, écrivait déjà Ozanam19) en 1847, commencent à comprendre le rôle politique des Frères-Mineurs, de cette milice contemporaine des républiques italiennes, alliée naturelle des faibles, ennemie des oppresseurs, dont elle n'avait ni peur ni besoin».

L'Italie, pour des motifs politiques, se trouvait en proie aux discordes civiles. C'étaient à chaque instant des conspirations secrètes, des familles désunies. À la plus légère occasion, on en venait aux dernières extrémités. Peuple et seigneurs, villes et châteaux guerroyaient sans fin. «Lorsque les haines étaient devenues plus envenimées et que tous les moyens étaient épuisés, dit l'historien Cantù,20) la religion intervenait… Les premiers messagers de paix se trouvaient toujours parmi les enfants de François et de Dominique. On ne dira jamais assez les services que les uns et les autres rendirent alors à l'Italie». Montalembert l'a proclamé avant Ozanam et Cantù: «On les voit parcourir toute la péninsule avec des croix et des branches d'oliviers, reprochant aux villes et aux princes leurs ressentiments. Les peuples, au moins pour un temps, s'inclinent devant cette médiation sublime….».

Les despotes et tyranneaux se plaignaient amèrement de cette médiation des Frères, parce qu'ils empêchaient leurs exactions. L'un d'eux, Pierre des Vignes, se plaint que les Frères-Mineurs et Prêcheurs aient enrôlé tout le peuple dans leurs confréries pour arrêter la lutte.

Saint François d'Assise et son disciple saint Antoine de Padoue firent conclure un grand nombre de paix, dit Cantù.

Un lieutenant de Frédéric II, et son gendre, Ezzelin, gouverneur de la Marche de Trévise, s'était emparé de Vérone, de Vicence, de Brescia, de Padoue. Le récit des atrocités de ce Néron du moyen âge fait dresser les cheveux d'horreur.

«Par son ordre, on tuait les chevaliers et les notables citoyens par grand es troupes sur les places publiques; puis on mettait les corps en pièces et on les rassemblait pour les brûler… Il faisait aveugler les enfants des nobles, puis les laissait mourir de faim dans ses prisons où périssaient aussi quantité de dames et de filles nobles. Chaque jour on faisait mourir des prisonniers dans les tourments; et on entendait jour et nuit leurs cris lamentables. On n'osai se plaindre publiquement; il fallait louer Ezzelin, le traiter de juste. de sage, de conservateur de la patrie, lui souhaiter la vie et la victoire. Il n'épargnait pas le clergé. Il n'y avait plus ni prédications ni solennités. Un jour, il livra Vérone aux caprices d'une soldatesque furieuse. Les détails de ce massacre donnent le frisson».

Padoue tremblait, attendant le même sort. Déjà Ezzelin était maître du château de Fonte aux portes de la ville. Les Padouans se jetèrent aux pieds d'Antoine, comme autrefois leurs pères aux pieds de saint Léon devant les invasions d'Attila. Sans rien craindre pour lui-même, l'humble moine se rendit à Vérone et s'en vint frapper à la porte d'Ezzelin… «Ennemi de Dieu, s'écria-t-il, tyran cruel, jusqu'à quand continueras-tu de répandre le sang innocent des chrétiens? Le glaive du Seigneur est suspendu sur ta tête, sa vengeance sera dure et terrible».

Les gardes stupéfaits apprêtaient leurs armes. Ils attendaient un ordre de mort.

Le tyran s'adoucit. Il s'inclina et avoua ses fautes et promit de s'en corriger. Il rendit le castel et les otages. Voyant le dépit de ses satellites, il leur révéla qu'il avait vu une lumière divine sortir du visage de ce père.

Pour le tenter ensuite il lui envoya une grande somme, se recommandant à ses prières et donnant ordre de l'assassiner s'il acceptait. - Le saint refusa: «Allez, dit-il, je ne veux pas partager avec votre maître les dépouilles du pauvre peuple». Antoine fut reçu en triomphe à Padoue comme Judith à Béthulie.

Signalons encore entre cent autres: le B. Ambroise Sansedoni, de Sienne, dominicain, disciple d'Albert le Grand et condisciple de saint Thomas d'Aquin, mort en 1286.

Il va de ville en ville en Allemagne et apaise les discordes soulevées par les élections à l'empire.

Il est envoyé par Innocent V comme messager de paix entre Florence et Pise, entre Venise et Gênes.

Il reprenait les grands, les magistrats, les usuriers…

Il prêcha avec tant de véhémence contre l'usure, qu'il se rompit une veine et mourut peu de jours après.

Au XVe siècle, c'est saint Bernardin de Sienne, franciscain. Son dévouement lors de la peste est merveilleux. Ses prédications amènent des con-versions, des restitutions de biens mal acquis, des injures réparées, des haines éteintes.

À Pérouse, il réconcilie les factions des Guelfes et des Gibelins. «Que ceux, dit-il, qui veulent la paix se rangent à ma droite». Un seul gentilhomme résiste. Il lui prédit qu'il périra misérablement. La prophétie se réalise bientôt.

Ces moines avaient une énergie de chevaliers. Sans autres armes que la croix, ils menaient les troupes chrétiennes au combat contre les ennemis de l'Eglise. On vit le frère Léon à la tête des troupes milanaises contre les impériaux. Le frère Clarella mena au combat les soldats pontificaux au siège de Padoue en 1250.

Saint Jean de Capistran valut une armée par son influence entraînante au siège de Belgrade contre les Turcs.

On sait le grand rôle pacificateur qu'à joué sainte Catherine de Sienne en Italie.

Signalons enfin la douce et gracieuse figure historique de sainte Rose de Viterbe.21) En 1247, elle a douze ans. Jésus lui apparaît tout couvert de plaies et lui dit que les péchés des hommes l'ont réduit à cet état. La petite recluse commence sa mission de prédications…

Elle flagelle le luxe, les dissensions, les scandales; elle parie de Jésus crucifié dont elle à vu les plaies saignantes. Toutes les classes de la société vont l'entendre.

Elle discute avec les hérétiques, les manichéens de ce temps-là, avec les légistes, les gibelins.

En 1250, elle est exilée par le magistrat gibelin. Elle se retire à Soriano; mais bientôt après Frédéric II mourut, Viterbe secoua le joug et rappela celle que Dieu lui avait donnée-pour la sauver, comme il avait donne les anciens prophètes à Jérusalem.

XXIX. Enfin dans la période de lutte il faut encore signaler l'action de l'Eglise contre l'usure.

Cette action fut incessante, depuis saint Chrysostome et saint Ambroise jusqu'à Benoît XIV et Léon XIII. Elle a été très vive au moyen age.

Saint Antoine de Padoue prêchait dans toutes ses missions contre les fraudes dans le commerce.

Saint Bernardin de Sienne et saint Jean de Capistran, franciscains, faisaient de même, ainsi que le dominicain, le B. Ambroise de Sienne.

Le frère Barnabé, franciscain, fonda les premiers monts-de-piété.

Le B. Bernardin de Feltre propagea les monts-de-piété. Il mena une campagne énergique et fructueuse contre les usuriers juifs qu'il appelait des marchands de larmes: venditori di lacrime. Aussi à-t-il été un des saints les plus populaires de l'Italie. Le peuple le regardait comme un envoyé du ciel. Jamais religieux ne fut plus amèrement pleuré. Quelle touchante manifestation à ses obsèques! Une foule immense et trois cents enfants vêtus de blanc l'accompagnaient en fondant en larmes.

XXX. Après toutes ses luttes, l'Eglise qui avait eu déjà une période de gloire éclatante, sous Constantin, Théodose et Justinien, au temps des Augustin, des Chrysostome et des Ambroise, allait s'élever à un nouvel apogée.

Les XIIe et XIIIe siècles offrent dans l'ensemble un progrès social supérieur à celui des IVe et Ve siècles. Là papauté rayonne sur tonte la chrétienté et y maintient la paix et la justice. La féodalité est tout éprise de dévouement et de générosité. Le peuple grandit et s'affirme; le servage disparaît; les communes s'organisent; les corporations se développent; les arts prennent un essor merveilleux.

XXXI. L'art est un fruit de la paix et de la prospérité. Il demande des loisirs tranquilles et de longues réflexions. L'effloraison artistique du XIII0 siècle prouve assez que cette époque fut prospère et libre.

Les études historiques nous montrent aussi à cette époque un prodigieux développement du com­merce et de la richesse publique, et une population aussi dense et plus féconde que de nos jours.22)

L'institution des corporations manifeste à la fois la liberté dont on jouissait pour s'assembler ou s'associer et les soins de l'Eglise pour tout ce qui concourt au progrès de l'humanité.

L'élément religieux est le plus important de ceux où l'art puise sa vitalité. La religion est la source de l'inspiration, le foyer du vrai, du beau et du bien (Cartier: L'art chrétien).

Ce sont les moines qui ont le plus contribué au développement de l'art chrétien. Ils consacrèrent à la louange divine des épopées de pierre, des poèmes de peinture. C'est à l'ombre des cloîtres, aux écoles monacales, que des générations d'artistes sont veDues chercher des modèles et des leçons.

XXXII. C'est par l'étude de la littérature et de l'architecture du moyen âge que commença dans notre siècle la réhabilitation de cette époque méconnue.

Bonsard, Malherbe et Boileau avaient condamné le moyen âge.

On reconnaît maintenant la grâce naïve, l'origi­nalité et la noblesse de pensée de nos chansons de gestes et de nos chroniqueurs: Villehardouin, Join­ville, Jean de Meung, Thibaut de Champagne, etc.

On revient aussi aux grands maîtres de la philo­sophie et de la théologie: saint Anselme, Guillaume de Champeaux, Albert le Grand, saint Thomas d'Aquin, Vincent de Beauvais, Raymond Lulle, Roger Bacon, etc.

On reconnaît. que les Universités étaient nom­breuses et florissantes, favorisées de privilèges et d'immunités.

On comprend mieux aussi les beautés de l'art ogival: hardiesse, grâce, élégance, science profonde de l'équilibre des forces.

Ce fut partout une activité merveilleuse. Le sculpteur mit à contribution l'ivoire aussi bien que la pierre et le bois; le ciseleur enrichit des délica­tesses de son burin les vases sacrés et les châsses des Saints. On travailla le fer avec une perfection jusqu'alors inconnue. Les légendes des bienheureux se déployèrent en scènes naïves et vivantes sur d'immenses tapisseries. La musique s'épancha en mélodies tantôt légères et gracieuses, tantôt graves et austères, mais toujours simples et populaires. La peinture couvrit des richesses de sa palette les verrières des cathédrales aussi bien que le par­chemin des manuscrits. Les émailleurs et les faïen­ciers avaient un faire et une habileté qu'on imite difficilement.

XXXIII. L'art chrétien avait eu sa première ébauche dans les catacombes. Il s'était continué par les basiliques romaines, dans lesquelles cer­taines parties, comme les mosaïques des absides, des arcs et des pavés, ont été portées à une grande perfection.

Byzance aimait la grandeur et la richesse, elle adopta les voûtes, les coupoles et les revêtements de marbre et de mosaïques. L'art de Byzance se reproduisit à Ravenne sous les exarques et les Goths; à Aix-la-Chapelle, sous Charlemagne; puis à Venise et à Palerme où il trouva son plus riche développement.

L'architecture romane, qui semble dériver de l'art byzantin, couvrit de ses oeuvres tout l'Occi­dent, du X8 au XII° siècle. Elle a laissé des sanc­tuaires magnifiques à Pise, à Vérone, à Milan, à Mayence, à Spire, à Worms, à Trèves, à Toulouse, à Périgueux, à Poitiers, à Autun, à Nevers, à Cler­mont, à Reims.

Les métropoles de l'art dans cette période sont les grandes abbayes du Mont-Cassin, de Fulda, de Lorsch, de Saint-Gall, de Cluny, de Marmoutier, de Saint-Denis, de Limoges. Ce sont autant d'écoles de peinture et miniature, de sculpture, de vitrerie, de serrurerie, d'orfèvrerie et de musique.

Mais l'art ogival est vraiment l'art chrétien à son apogée. Il s'inspire du plan général des édifices romans et de l'ère arabe. Il donne au monde chré­tien ces merveilles qu'on appelle les cathédrales de Reims, d'Amiens, de Chartres, de Cologne, de Can­torbéry; d'York et de Marbourg. Ce sont autant de poèmes de pierre, illustrés par tous les arts con­nexes.

Si Venise est fière de ses mosaïques, Limoges ne l'est pas moins de ses émaux; Saint Gall, de ses ivoires; Trèves et Cologne, de leurs ciselures.

En peinture, l'école mystique de l'Ombrie rivalise avec celle de Flandre. C'est une série progressive qui va de Cimabue à Raphaël en passant par Giotto, Gentile da Fabriano, Botticelli, Pinturicchio, Fra Angelico et Pérugin.

XXXIV. Pour les lettres et les sciences, l'Eu­rope compte au XIIIe siècle 78 Universités, parmi lesquelles brillent au premier rang Paris, Bo­logne et Salamanque. Paris avait 20.000 élèves et des maîtres comme Pierre Lombard, Alexandre de Halès et Thomas d'Aquin.

Le Dante donnait son grand poème chrétien.

La France et l'Allemagne s'essayèrent aussi dans l'épopée chrétienne; malheureusement, l'épanouis­sement de ces deux littératures nationales devait être brisé et détourné de son sens chrétien par la Renaissance avant d'avoir atteint son apogée.

XXXV. Grégoire VII (le moine Hildebrand) groupa et fédéra la féodalité européenne sous la forme d'une république chrétienne, dont le chef était le pontife élu, vicaire de Jésus-Christ. C'était un plan gigantesque et profondément démocrati­que, parce qu'il opposait un frein aux tendances césariennes des princes (Le Play: la Réforme sociale).23)

Henri IV de France voulait reprendre ce plan, et de nos jours des esprits libéraux, même protestants, ont vu là le seul moyen d'obtenir la paix univer­selle (Leibnitz, - Voltaire:24) Essai sur les moeurs, chap. I. - David Urquhard: Appel d'un protestant au Pape pour restaurer la foi des nations, 1870

XXXVI. Les institutions représentatives, dans la commune, la province et l'Etat, s'organisaient sous l'influence de l'Eglise.

Les communes se formaient suivant l'oppor­tunité locale. Les élections et les magistratures variaient d'une province à l'autre.

Aux XIIe et XIIIe siècles, les banquiers, mar­chands et artisans élisent leurs magistrats, jugent, punissent, s'assemblent pour délibérer. Ils se gou­vernent eux-mêmes.

«Un banquier d'alors, dit M. Guizot (Histoire de France), resterait confondu s'il voyait nos chaînes et nos servitudes d'aujourd'hui».

XXXVII. La royauté d'alors, vraiment préoc­cupée du bien de ses sujets, protégea le régime communal et respecta toutes les coutumes. «Il est de la dignité d'un roi, dit Philippe-Auguste, de conserver avec zèle, dans leur intégrité, les libertés, les droits et les anciennes coutumes des villes».

La même préoccupation inspire tout le gouvernement de saint Louis. Le pieux roi s'en souvient jusque sur son lit de mort: «Cher fils, dit-il à Philippe, pourvois que tu sois juste; et si quelque querelle entre riche et pauvre vient devant toi, soutiens plus le pauvre que le riche… Surtout garde les bonnes villes et les coutumes de ton royaume dans l'état et les franchises où tes devanciers les ont gardées, et tiens-les en faveur et amour.

Quel pouvoir, avant le christianisme, s'était pré­senté avec une pareille mission de douceur, de. bonté paternelle et de respect pour tous? Mais aussi quelle autorité fut jamais plus aimée et plus respectée?

XXXVIII. Le droit pénal lui-même s'est adouci. La législation ecclésiastique accuse dès le début un esprit de douceur et de miséricorde inconnu des Césars.

Son but même est différent. Au lieu que la société civile, quand elle inflige une pénalité, veut punir le coupable et effrayer par l'exemple; l'Eglise recherche d'abord l'expiation de la faute, puis le repentir du coupable, enfin son pardon.

La pensée de l'Eglise étant d'infliger des péni­tences, ou, si l'on veut, des corrections comme font, les parents avec leurs enfants, elle recommandait qu'on infligeât les peines indiquées avec un esprit de charité, non d'animosité. Elle proclamait son horreur pour le sang et par conséquent proscrivait la. mutilation et la peine de mort, l'effusion du sang et la brûlure: «Quae ad ustionem aut occi­sionem ducunt, prohibet» (Du Boys: Histoire du droit criminel en France).

C'est tout une révolution apportée par l'Eglise dans la procédure. «La loi romaine, dit Chateau­briand,25) prescrivait la croix, la potence, le feu, la décollation, la précipitation, l'étranglement dans la prison, la fustigation jusqu'à la mort, la livraison aux bêtes, la condamnation aux mines, la dépor­tation dans une île… - Les supplices de la question étaient le chevalet, qui étirait les membres; les lames de fer rougies au feu; les crocs à traîner, les griffes à déchirer. - Les bornes des tourments étaient laissées à la discrétion des juges» (Etudes historiques, t. III, p. 47).

Le droit canonique abolit la condamnation à mort et proscrivit toutes les peines qui avaient pour effet d'abaisser et d'outrager la dignité humaine.

A aucune époque, l'Eglise ne prononça la peine de mort ni celle de la mutilation. Le supplice de la croix est aboli ainsi que la marque, car l'Eglise interdit de défigurer l'image de Dieu. Souvent elle se contente d'envoyer le coupable faire pénitence dans un cloître.

La torture approuvée par Auguste et les lois impériales était repoussée par le droit canon. Le pape Nicolas Ier en 858 en réprouve l'usage dans une lettre aux Bulgares

«Je sais, dit-il, que si un larron est pris, vous le livrez aux tourments jusqu'à ce qu'il avoue son méfait. Mais, aucune loi divine n'autorise cela… Si, ces peines une fois infligées, vous découvrez l'innocence de l'accusé, ne rougissez-vous pas? Et si quelqu'un ne pouvant résister à la torture s'avoue coupable sans l'être, sur qui retombe l'impiété, sinon sur celui qui le force à confesser le men­songe? Répudiez donc et exécrez de tels usages» (César Cantù).

Une décrétale d'Alexandre II, au IXe siècle, pour couper court à la torture, déclara nul tout aveu extorqué par crainte, par violence ou par fraude, et interdit de s'en servir contre l'accusé (D'Espinay Influence du droit canon sur la législation française, p. 124).

Ainsi disparurent, grâce à l'Eglise, la torture et les pénalités cruelles du droit romain.

Ce sont aussi les papes et les évêques qui ont aboli les usages superstitieux des Barbares.

La loi salique parle de l'épreuve de l'eau bouil­lante. L'accusé plongeait sa main dans l'eau bouil­lante; s'il la retirait intacte, il était réputé inno­cent. La loi ripuaire avait l'épreuve analogue du. feu. Il» y avait aussi l'épreuve de l'eau froide. L'ac­cusé était jeté à l'eau pieds et poings liés; s'il surnageait, il était censé innocent (D'Espinay).

Il y avait enfin le duel judiciaire.

Du IXe au XIIe siècle, les décrets de Nicolas Ier en 860, d'Etienne V en 885, d'Alexandre II en 1065, d'Alexandre III en 1160, de Lucius III en 1182, proscrivent l'usage de ces superstitions contraires aux canons. Au XIIIe saint Célestin III, Innocent III, Honorius III renouvellent ces défenses.

L'aveu de l'accusé et les dépositions des témoins sont, d'après les décrétales, les seules preuves sur lesquelles on doive asseoir un jugement.

Innocent III et le IV concile de Latran instituè­rent la procédure écrite. Ils déterminèrent les moyens de conciliation et les appels.

Aussi Montesquieu26) reconnaît que la religion chrétienne a donné aux peuples les meilleures lois politiques et civiles (Esprit des lois: XXIV, 1).

Les rigueurs exercées parfois contre les in­croyants ne sont pas dues à l'Eglise, mais au pou­voir civil et à l'influence du droit romain.

Au XIIe siècle, le concile de Latran et Inno­cent III protestent contre les mauvais traitements infligés aux Albigeois.

L'inquisition fut un tribunal d'Etat. Les Papes intervinrent souvent pour en réprimer les criants abus.

Paul III, en 1535, avertit François Ier de traiter les Huguenots avec plus de modération.

Grégoire XIII versa des larmes quand il connut la vérité sur la Saint-Barthélemy.27)

Bossuet, Fénelon et le cardinal de Noailles pro­testèrent contre les dragonnades de Louis XIV. Innocent XI s'éleva aussi contre les mesures de rigueur qui suivirent la révocation de l'Edit de Nantes: «Jésus-Christ, disait-il, ne s'est pas servi de cette méthode: il faut conduire les hommes dans le temple, il ne faut pas les y traîner».

La société marche à son déclin quand elle s'éloigne de l'Eglise.

Le règne de Philippe-le-Bel marque le début de ce mouvement. Ce. prince imita ce qu'avait fait Frédéric Barberousse en Allemagne, en relevant le droit romain. Le code civil romain a une maxime qui favorise toutes les tyrannies: «Ce qui plait au prince a force de loi».

«Les légistes, dit Michelet, furent, sous les petits-fils de saint Louis, les tyrans de la France» (Hist. de France, t. II, p. 256). Augustin Thierry et Guizot expriment le même sentiment.

XXXIX. Administration de la justice. - Au XIVe siècle, les légistes chassent les clercs des tribunaux, où ils avaient une grande part. Le clergé protesta aux conciles de Bourges en 1278, d'Angers en 1579, de Rouen en 1229, de Melun, de Compiè­gne, de Paris en 1429. - Malgré tant de réclama­tions et la bulle de Sixte IV, la juridiction ecclé­siastique disparut, sauf pour les questions de discipline et de régime intérieur de l'Eglise.

L'esprit de douceur et de modération disparut. Alors reparaissent les pénalités de l'ancienne Rome, contre lesquelles l'Eglise a lutté plusieurs siècles.

«La question ou torture reparut au XIIIe siècle, sous l'influence des légistes» (Dalloz). «Ce sont les légistes qui ont généralisé la question28) dans la jurisprudence des parlements» (Laferrière).

Bien plus, les tribunaux civils inventent de nou­veaux supplices: la roue, le bûcher, l'enfouisse­ment tout vif, etc…

Au XVe siècle, c'est la marque, le carcan, le pilori. Au XVIe siècle, c'est l'arrachement de la langue, l'abscission des lèvres, l'essorillement ou arrache­ment des oreilles, l'amputation ou le brûlement du poignet, la marque au fer chaud (C'est ainsi que Calvin fut marqué pour sodomie).

Ainsi, à partir du XIVe siècle, alors que les juges d'Eglise étaient chassés du prétoire, les tribunaux séculiers qui les remplaçaient, au lieu des pénalités modérées et pénitentielles de l'Eglise, faisaient tuer, pendre, étrangler, enterrer vif, rouer, brûler, écarteler, mutiler de mille façons.

Ni Voltaire, ni Diderot ne songèrent à s'élever contre ces coutumes cruelles. Que leur importait le sort des malheureux, quand leur popularité n'était pas engagée?

L'Église continuait à protester; dès le XVIIe siècle en Allemagne, les écrits du P. Frédéric Spée, jésuite, en 1631-1637, amenèrent une réaction. L'évêque électeur de Trèves abolit le premier la torture. La plupart des princes d'Allemagne l'imi­tèrent, tandis qu'elle existait encore en France 150 ans-plus tard, sans que les philosophes s'en fussent émus. C'est Louis XVI qui abolit la question préalable en 1780 et la question extraordinaire en 1788 (Celle-ci était imposée après la condamnation pour faire dévoiler les complices).29)

XL. Les communes. - Le règne de Philippe-­le-Bel fut témoin des premières violations des privilèges communaux. En appelant les bourgeois aux États-généraux, on ne leur procura pas une émancipation nouvelle, comme on l'a cru. Ils avaient depuis deux siècles sous le régime des com­munes une liberté complète qui fut restreinte par les États-généraux (Aug. Thierry: Lettres sur l'his­toire. XXV, p. 277).

Ces privilèges communaux tombèrent en désué­tude sous François Ier et Charles IX. La centralisa­tion opérée par Louis XIII et Richelieu diminua ou supprima les libertés locales. Sous Charles IX, la connaissance des affaires civiles fut enlevée aux justices municipales.

Sous Louis XIV, l'autorité royale, par l'intermé­diaire des intendants, apporta aux communes à la fois les avantages et les vices de la centralisation. Louis XIV déclara les communes mineures et en prit la tutelle (déclaration du 7 juin 1659). Il leur imposa des corvées et des impôts.

XLI. Corporations. - Les corporations se voient dépouillées peu à peu de leurs privilèges et de leurs libertés.

Le régime corporatif ne portait d'abord aucun caractère obligatoire.

Les successeurs de saint Louis s'efforcèrent de le soumettre à leur juridiction par l'octroi de cer­tains privilèges.

Jean-le-Bon intervint en 1353 pour régler les salaires et le prix des denrées.

Charles VI supprima les corporations de Paris en 1432.

Louis XI les laissa se rétablir, mais il révisa leurs statuts, les fédéra par l'ordonnance dite des Bannières, en 1467, et leur imposa des charges.

François Ier accrut cette intervention en s'arro­geant le droit de créer des maîtres, moyennant finances. Il supprima les Confréries.

Henri III en 1581 imposa aux métiers l'investiture royale.

Depuis lors jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le pouvoir royal pressura les communautés d'arts et métiers.

Elles sauvegardaient pourtant leur vitalité pro­fessionnelle et chrétienne et leur assistance mu­tuelle.

En 1776, Louis XVI les abolit, puis les rétablit (fév.-août).

Enfin elles succombèrent le 2 mars 1791.

Marat lui-même, dans son «Ami du peuple», écrivit contre cette loi qui privait les maîtres de droits achetés, et les ouvriers des avantages attachés à la famille professionnelle, à ses fondations, etc.

XLII. Pouvoir absolu. - Docile aux enseignements de l'Eglise, saint Louis ne se croyait roi que pour procurer à tous ses sujets le plus de bien possible…

A partir de Philippe-le-Bel, cette conception dés­intéressée du pouvoir s'efface de plus en plus. Philippe-le-Bel est le premier qui ait osé em. ployer, dans les actes publics, cette formule auto­ritaire: «Par la plénitude de notre puissance royale.

Sous François Je, et Henri II, la royauté devient ouvertement absolue. Ils inaugurent cette formule «Car tel est notre plaisir».

Comme les délégués du Parlement de Paris ve­naient à Amboise présenter des observations à François I8° sur le concordat de 1516, il répondit «Je suis le roi, j e veux être obéi; portez mes ordres demain à mon Parlement de Paris». Dans une circonstance analogue Louis XI avait cédé.

Henri IV fit exception. Il respectait les libertés populaires. Il eût voulu reprendre le projet de Gré­goire VII, de faire de l'Europe une république chrétienne.

Louis XIV, tout en accordant à l'Eglise des égards et des honneurs, ne veut plus de ses con­seils. Il est le maître. On lit dans ses mémoires «Les rois sont seigneurs absolus et ont naturelle­ment la pleine disposition de tous les biens de leurs états, qu'ils soient possédés par les gens d'Eglise ou par les séculiers. Ils peuvent en user en tout temps comme de sages économes><. - Il fait écrire dans un cours de droit public à l'usage du dauphin

«La nation ne fait pas corps en France: elle réside tout entière dans la personne du roi». Il peut dire alors: «L'État, c'est moi» et écrire à son petit-fils

Tous les biens de nos sujets sont à nous. Villeroy osera dire à Louis XV en lui montrant le peuple: «Sire, tout cela est à vous, vous en êtes le maitre». Michelet disait encore: «L'homme appartient corps et âme à l'État». Et Hégel: «Il n'y a pas d'autre Dieu que l'État». L'État, c'est Dieu présent (der praesente Gott). Dans l'État, il n'existe aucune liberté individuelle. Les individus n'ont aucun droit.

XLIII. Le protestantisme fut une revanche du césarisme et de l'usure contre l'Église. Les pays protestants supprimèrent de suite les lois canoni­ques sur l'usure.

Les protestants cependant ne voulaient pas dé­christianiser l'Europe, mais seulement la décatho­liciser.

L'humanisme a fait plus, il a éloigné le Christ. Nous sommes arrivés au déisme au XVIIIe siècle, et de nos jours au scepticisme, au matérialisme, au laïcisme.

Le laïcisme n'est pas seulement une tactique c'est une doctrine. Il met l'homme à la place de Dieu.

Le capitalisme est une floraison du matérialisme. La franc-maçonnerie est une conséquence du laïcisme.

Les Papes florentins ne prévoyaient pas où l'humanisme allait conduire les peuples chrétiens. L'amour de la forme allait entraîner l'amour du fond.

Déjà à Florence au XVe siècle, les Platoniciens divinisaient les anciens et plusieurs allaient jusqu'à mettre le paganisme au-dessus du christianisme.

Cela explique le zèle intrépide de Savonarole. Les âmes, disait-il, éprises d'humanisme, n'éprou­vent plus que du dégoût pour la Sainte-Ecriture. D Saint Bernardin de Sienne lutta aussi de toutes ses forces.

Paul II essaya d'enrayer le mal. Il bannit Pom­ponius Laetus et Platina.

Léon X et les Médicis furent plus qu'indulgents pour l'humanisme.

Le protestantisme et l'humanisme, en ravivant le césarisme, le luxe, la sensualité et l'égoïsme des grands, préparèrent la Révolution.

Le peuple privé de libertés politiques et des avan­tages économiques d'un régime social corporatif et chrétien, s'en prend à la fois aux autorités sociales et à l'Eglise qu'il regarde comme leur complice.

L'Eglise pour regagner le peuple doit se pré­senter à lui en amie de ses libertés et de ses droits, selon l'esprit du divin Maitre. C'est ce qu'a compris Léon XIII.

XLIV. L'Eglise a été écartée de sa mission par le césarisme. Louis XIV, complétant l'œuvre de Philippe-le-Bel, de François Ier et de Charles IX, nous a envoyés à la sacristie. Il nous a dit: «Vous n'avez rien à voir aux choses de l'Etat, aux choses de la vie politique ou économique.

Nous nous sommes retirés sous notre tente. Beau­coup d'entre nous gardaient sommairement les bons principes, qu'ils n'avaient plus la puissance d'ap­pliquer. D'autres avaient fini par penser comme les rois que les prêtres avaient assez à faire de gérer leurs églises.

Mais les choses allaient mal pour le peuple. Ses libertés politiques étaient confisquées par les rois, ses droits économiques par l'aristocratie financière.

Les prêtres n'infusaient plus dans la vie sociale l'esprit de justice et l'amour des petits. Ils se con­tentaient de donner les sacrements à ceux qui vou­laient bien les recevoir.

Le peuple se détachait d'une religion qui ne veillait plus à ses intérêts, et il regardait les prêtres comme les complices des oppresseurs. Beaucoup l'étaient en effet, au moins par leur silence; et nous mourions de gallicanisme.

XLV. Mais voici que quelques prêtres et quel­ques catholiques ont commencé à secouer cette torpeur.

«Ce que nous faisons est insuffisant, ont dit Lamennais, Ozanam, Lacordaire, Montalembert; nous nous sommes trop désintéressés du peuple, l'Evangile nous demande autre chose».

D'autres ont précisé davantage encore. Manning, Ketteler, de Mun, Harmel, Windthorst, Decurtins sont venus et ont dit: «La foi catholique a seule en mains le remède au mal social. Elle seule a su donner la vraie notion de la propriété. Elle seule peut mesurer l'intervention salutaire de l'Etat dans le régime du travail; elle seule peut animer les asso­ciations professionnelles de l'esprit de justice et de charité qui les rendra bienfaisantes».

XLVI. Ce n'était là qu'un prélude. Léon XIII s'est levé ensuite et il a parlé à son tour. Sa parole a retenti comme une voix de prophète. Elle a étonné, surpris les hommes de tous les camps. Elle se heurtait à des préjugés, à des habitudes, à des traditions. Elle n'a pas fini de conquérir les intelli­gences et les volontés, mais le travail se fait.

Le gallicanisme et le libéralisme sont brisés. Notre Dieu n'est pas seulement le Dieu de la vie privée, le Dieu du sanctuaire. Il est aussi le Roi des rois, le Dieu de la vie sociale, le Dieu des na­tions. Sa loi et sa grâce doivent éclairer et pénétrer la vie civile et économique dés peuples. Son Eglise est dépositaire des principes qui vivifient et relè­vent 1a vie publique comme la vie privée.

Les prêtres et les catholiques agissants l'ont com­pris. Ils étudient, ils se mettent à l'œuvre. Il faut réduire en acte la doctrine pontificale. Il faut un programme de revendications légales pour le relè­vement du peuple. Il faut ressusciter une organisa­tion corporative adaptée aux conditions actuelles.

Le programme s'est élaboré, il comprend la ré­glementation du contrat de travail, la durée du travail, les conditions du salaire, le développement de la petite propriété, la réforme de l'impôt et d'au­tres revendications analogues.

Le mouvement corporatif commence confusé­ment. On fonde en grand nombre des syndicats, des caisses de crédit, des unions agricoles. Tout cela devra être synthétisé et groupé. La lumière se fera.

Le progrès est général. L'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie rivalisent dans la fondation des groupements catholiques et dans les revendications légales. Ce mouvement, qui a principalement pour but le relèvement populaire, a pris de plusieurs côtés le nom de démocratie chrétienne.

Le peuple n'est pas encore gagné, mais il observe, il s'étonne.

II croyait de bonne foi que le clergé était néces­sairement inféodé au capitalisme. Il hésite encore, il craint une déception.

Continuez, prêtres et hommes d'œuvres, qui avez compris la parole victorieuse de Léon XIII. Encore un peu de temps. Il faut que le peuple ait compris que vous n'agissez pas par tactique mais par con­viction; que vous vous appuyez sur les principes sociaux de l'Evangile et que vous êtes décidés à ne plus les laisser étouffer. Il faut peut-être aussi qu'il ait encore de l'autre côté quelque cruelle déception en voyant qu'il n'a fait que changer de maitres égoïstes; et alors il reviendra à vous et au Christ.

Et alors vous verrez se réaliser ce que nous ont annoncé nos pontifes bien-aimés. Pie IX a dit «Il faut que l'Eglise et le peuple se rencontrent, ce sera l'aurore de beaux siècles. «Léon XIII a dit «Le cœur de Dieu s'incline davantage vers les classes infortunées; il invite ceux qui souffrent à venir à lui pour qu'il les console; il embrasse avec une charité plus tendre les petits et les opprimés; cette doctrine apaisera l'orgueil des grands et relè­vera le courage des petits; la paix se fera dans l'amour fraternel».


1)
Quatre cardinaux nous firent t’honneur d’assister à cette confé­rence.
2)
Sous le pape St Pie Ier, l’évêque de Vienne en Dauphiné, d’après la tradition locale, était Vérus (v. 140-150). Mais la vie de ce pape est très mal connue. Plus certaine est la date de sa mort sous l’empereur Antonin (en 154 ou 155).
3)
Cornelius a Lapide (ou Cornelis van den Steen), né prés de Liège en 1567, jésuite. 11 enseigna l’Ecriture Sainte d’abord à Louvain et ensuite à Rome au Collège Romain, oh il mourut en 1637. Ses commentaires, souvent surchargés d’interprétations allégoriques, sont appréciés surtout pour la description des moeurs dans l’administration de l’Empire et pour l’abondance des citations patristiques.
4)
On sait ce qu’ont pu faire Verrès en trois ans dans une province, déjà au temps de la République, Albin et Florus en Judée, Flaccus à Alexandrie, Salluste en Afrique.
5)
Poppée (lat. Poppaea Augusta), épouse d’abord de Rufius­nus, préfet des cohortes prétoriennes, puis de Salvius Othon et enfin (de 62 à 65 après J.C.) de l’empereur Néron, est connue surtout à cause de ses ambitions et de ses vanités. Elle mourut d’un coup de pied que lui donna l’empereur.
6)
Rétiaire (lat. retiarius, de «rete», filet), gladiateur romain sans cui­rasse, armé d’un trident, d’un poignard et d’un grand filet de pêche, qu’il s’efforçait de jeter sur son adversaire, le mirmillon, qui au contraire était armé de pied en cap.
7)
On parle ici de l’esclavage qui au Moyen Age disparaît «parmi les peuples chrétiens». Mais la découverte de l’Amérique, su XVe siècle, le fait renaître outre-mer, où les indigènes asservis et les Africains transpor­tés en Amérique sont l’objet d’une traite régulière. Une condamnation in­ternationale de l’esclavage un l’a seulement en 1885 avec l’Acte de Berlin, en 1926 par la convention de Genève et en 1948 par la Déclaration univer­selle de l’ONU sur les droits de l’homme.
8)
Justinien, lat. Justinianus (482-565), empereur byzantin qui poursui­vit avec détermination la réforme de l’Etat surtout du point de vue juri­dique. Son activité concerna surtout trois domaines: législatif avec son Co­dex, doctrinal avec les Digesta, et pédagogique avec les Institutiones. L’en­semble de ces ouvrages est connu sous le nom de Corpus juris civilis.
9)
Denis de l’Aréopage, évêque et martyr athénien du premier siècle chrétien. Plusieurs ouvrages de la fin du Ve siècle lui ont été attribués: no­tamment Les Noms divins, sur la connaissance analogique de Dieu, et Théologie mystique, par laquelle, d’après l’Auteur, l’âme peut s’unir im­médiatement à Dieu par la contemplation.
10)
François Guizot (1787-1874), homme politique et historien français, d’origine protestante. Lors de la première Restauration (1814-1820), il as­suma des charges importantes. Ministre de l’instruction publique, après 1830 il adopta une lei sur la liberté de l’enseignement (lei Guizot, 1833). Depuis 1840, sous le règne de Louis-Philippe, il devint le véritable chef da gouvernement, même s’il fut nommé premier ministre seulement en 1847. Mais l’année suivante, en s’opposant à tout essai de réforme électorale, il provoqua la Révolution de 1848. Alors, rentré dans la vie privée, il se consacra aux travaux historiques.
11)
Aignan (lat. Anianus), évêque d’Orléans. En 451 il fut l’âme de la résistance orléanaise vis-à-vis d’Attila, roi des Huns. Un ròle analogue a été joué par St Loup pour sauver Troyes et, l’année suivante, par St Léon le Grand pour arrêter les barbares envahisseurs aux portes de Rome.
12)
Charles Forbes, comte de Montalembert (1810-1870), homme poli­tique français et chef des catholiques libéraux, il participa avec de La Men­nais à la fondation du journal L’Avenir (1830). Il contribua aussi au renou­veau des études médiévales en France, surtout par ses recherches concer­nant les moines d’Occident. – Sur le même sujet, voir Auguste Mignet (1796-1884), cité tout de suite après dans le texte, et également l’historien et critique Hippolyte Taine (1828-1893), mais celui-ci à propos de la diffu­sion des petites écoles avant la Révolution.
13)
Saint Aredius (v. 511-591), fondateur du monastère d’Atane près de Limoges. Il est bien connu dans plusieurs régions mais surprenante est la déformation de son nom: Yrieix ou Yrier en Limousin, Héray en Poitou, Hérie en Charente Inférieure, Izaire en Aveyron, Sériés en Hérault.
14)
Neustrie, un des Etats de la France mérovingienne, groupant les provinces do Nord et Nord-Ouest (Soissons, Paris, etc.). Ses rois s’oppo­saient souvent au royaume plus germanique d’Austrasie qui avait sa capi­tale à Metz.
15)
Tiers-Etat: nom donné en France à la population qui, avant la Ré­volution, était sans privilèges. Mais après, ses représentants ont été admis aux Etats généraux. Et venant après le clergé et la noblesse, ils formaient le troisième ordre ou état de la société, c.a.d. la bourgeoisie.
16)
Augustin Thierry (1795-1856), historien français qui cherche à dé­gager un principe d’intelligibilité dans les faits qu’il raconte. Très impor­tant son ouvrage Essai sur la formation et les progrès de l’histoire du Tiers-Etat (1853). A lire aussi ses Lettres sur l’histoire.
17)
Jules Michelet (1798-1874), historien français. II a publié une His­toire romaine et une Introduction à l’histoire universelle en 1831. Mais il est connu surtout pour son oeuvre maîtresse, L’Histoire de France en douze volumes, édités de 1855 à 1867. On connaît ses intuitions un peu vision­naires, mais aussi ses haines contre tous les maîtres et, de plus en plus, même contre l’Eglise. Mais ainsi sa crédibilité en souffre.
18)
La trêve de Dieu (ou la paix de Dieu): restriction apportée par l’Eglise au droit de guerre privée. Elle interdisait la guerre pendant l’avent et le carême et du samedi au lundi. Elle frappait d’excommunication qui­conque l’enfreignait.
19)
A. Frédéric Ozanam (1813-1853), disciple de Lacordaire, très ardent dans la pratique et le témoignage de sa foi, il rêve de pouvoir éditer des ouvrages d’apologétique chrétienne. Mais plus que par la parole il dé­sire donner un témoignage par les oeuvres. Ainsi en 1833, avec sept de ses amis, il fonde la Société de St-Vincent de Paul dans le but de soulager toutes la misères dont souffre le peuple.
20)
Cesare Cantù (1804-1895), historien italien, ami d’Alessandro Man­zoni, très célèbre surtout pour son oeuvre monumentale Storia universale (35 volumes), publiée de 1846 à 1858.
21)
Sainte Rose de Viterbe (1235-1252). En 1247, à l’âge de douze ans, après une vision du Christ souffrant, elle commence une prédication ar­dente et souvent même violente contre le luxe, les dissensions, les scan­dales: une jeune fille, prêchant l’évangile dans les rues et les places de la ville, chose inouïe en plein Moyen Age!
22)
Delisle: Essai sur la condition des classes agricoles en Normandie. [NdR: Le titre complet de ce livre de Léopold Delisle (1826-1910) est: Etudes sur la condition de la classe agricole en Normandie au Moyen Age (1851). Un ouvrage que le «Grand Larousse» juge comme «un modèle de précision historique»].
23)
Frédéric Le Play (1806-1882), économiste français que le Père De­hon cite aussi dans son Journal. Dans son oeuvre la plus importante, La Réforme sociale (1864), qu’il écrivit après de nombreux voyages à l’étran­ger, il souligne la nécessité d’une autorité même sur le plan de l’entreprise, mais caractérisée par l’amour, non par la coercition. Son influence sur le mouvement social patronal en France au cours de la. seconde moitié du XIX» siècle fut considérable (ci. aussi p. 104, note 4).
24)
Voltaire, pseudonyme de François-Marie Arouet (1694-1778), écri­vain français très connu et très incohérent. Dans ses écrits il a loué l’amitié et l’égoïsme, la tolérance et l’absolutisme «le plus absolu». Il fut le partisan et le propagateur le plus habile du rationalisme anticlérical. A propos d’une opposition intelligente aux tendances césariennes des princes, on cite ici même Voltaire et son Essai sur les moeurs.
25)
François René, comte de Chateaubriand (1768-1848), écrivain français, cité ici pour son ouvrage Génie du Christianisme, une apologie de la religion chrétienne qui exerça une grande influente durant tout le XIXe siècle. On lui reconnaît aussi d’avoir inspiré les débuts du romantisme.
26)
Charles de Sécondat Montesquieu (1689-1755), provenant d’une fa­mille de magistrats, lui aussi se montra magistrat très scrupuleux. En même temps il poursuivait ses études et ses recherches dans le domaine de l’histoire des institutions dans les différents pays. Il a publié beaucoup. lei le Pare Dehon cite son oeuvre magistrale, De l’esprit des lois (1734), qui en deux ans connut vingt-deux éditions.
27)
La St-Barthélemy: massacre des chefs huguenots, assemblés à Paris, le 24 août 1572. Lamentable tuerie qui de Paris gagna la province entraînant encore, en plusieurs endroits, de semblables violences durant plu­sieurs mois. L’événement eut une influence considérable sur l’évolution des ruptures religieuses du XVIe siècle en France.
28)
La question: c’est l’expression par laquelle on indiquait la «torture» que les tribunaux imposaient après la condamnation «pour faire dévoiler les complices». De ces coutumes cruelles parle G. Romain, dans son ou­vrage L’Eglise est-elle contraire à la liberté?, cité en note.
29)
Cf. G. Romain: L’Eglise est-elle contraire à la liberté?
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