oscrso-0003-0006

Sixième conférence

La Démocratie chrétienne

Cette Conférence et la suivante sur le «Programme dé­mocratique» datent de l'année 1898, toujours à Rome. Le Père Dehon nous en informe par une courte note pour le mois d'avril: «Je fais deux Conférences publiques, sur la dé­mocratie et son programme. Le cardinal Agliardi assiste à la seconde» (NQT XII/1898, 148). Un journal romain de 1898 permet de préciser la date: les 21 et 28 avril. Ces deux nou­velles Conférences sont étroitement liées à la précédente qui s'achevait sur un appel insistant aux catholiques, pour une action sociale énergique à partir de t'Evangile. La revue Le Règne publie cette sixième Conférence en 1900, en deux fois.

La «Démocratie chrétienne»: voilà bien un sujet qui tient particulièrement à coeur au Père Dehon, toujours en écho fi­dèle aux orientations du Pape Léon XIII! C'est aussi un sujet complexe, très discuté du temps même du Père Dehon. lei surtout le Conférencier sait quel marche sur du feu», comme le lui écrit l'archevéque de Bourges (cf. plus haut, p. 21), ou comme sur «une mer houleuse». Il le sait doulou­reusement car il y a perdu l'amitié de collaborateurs estimés. II s'y engage cependant «d'un pas résolu et ferme»,

Son exposé ne manque pas de nuances et pourtant il ne laisse guère percevoir toutes les hésitations. Plus que les dif­férences il souligne la conformité de vues avec les orienta­tions pontificales. Surtout il ne laisse entrevoir que discrète­ment le débat très vif à cette époque, les divergences entre les interprétations sur la démocratie chrétienne.1)

Est-elle, cette démocratie chrétienne, un système politique fondé sur l'égalité de tous dans les droits et les devoirs et sur la souveraineté du peuple? Ou plus pragmatiquement est-elle avant tout une action sociale qui résolument prend en compte les intérêts du peuple, par la bienfaisance, par la législation, par la mise en place de syndicats? Quant à ces syn­dicats, seront-ils «rouges», c'est-à-dire inspirés d'un socia­lisme collectiviste et révolutionnaire? Ou «jaunes», soucieux avant tout de la paix sociale en répondant aux aspirations populaires? En mars 1901 le Père Dehon écrira un article à ce sujet2)I Pour sa part sans hésiter il milite pour les «jaunes», le «jaune d'or» symbole de la charité engagée dans la promo­tion de la justice sociale.

Comme il l'a déjà fait, dans sa Conférence il commence par s'expliquer, pour apaiser si possible une opposition vi­rulente à cette époque. Pourquoi parler de «démocrates chré­tiens»? Le mot «chrétiens» ne suffit-il pas à tout dire? Et s'il faut vraiment ajouter un qualificatif à «chrétiens», pourquoi choisir «démocrates», ce mot tellement dangereux parce que très proche de «socialistes»?

Oui, répond l'auteur, il est nécessaire de qualifier les «chrétiens». Car beaucoup d'entre eux s'étaient laissés enfer­mer dans le silence, beaucoup ont plié l'échine sans réagir quand on a mis l'Eglise à l'écart de la responsabilité sociale; et beaucoup restent encore réfractaires à l'enseignement pon­tifical. Pour désigner clairement les catholiques qui résolu­ment veulent suivre le Pape dans l'action sociale, pour un temps au moins l'appellation «chrétiens» ne suffit donc pas, il faut franchement parler de «démocrates chrétiens».

Certes il eût été possible de choisir d'autres noms, par exemple «catholiques sociaux», ou «catholiques d'action so­ciale». Mais le choix de « démocrates chrétiens» est ample­ment justifié. A la condition de ne pas se battre sur des mots: «ils ont la valeur qu'on leur donne» (p. 272), en fonction des pays, des cultures. C'est juste aussi de le reconnaître, «démo­cratie» est un mot qui demande à être bien compris. Il ne s'a­git pas ici de «démocratie» au sens absolu, c'est-à-dire le re­fus intransigeant de toute autorité quelle qu'elle soit (roi, aristocratie, patronat, prolétariat). Prenons ce mot dans le sens concret que lui donne Léon XIII: la mise en place de lois et d'institutions favorables aux travailleurs, et la montée progressive du peuple, «sa participation croissante à l'ad­ministration publique» (p. 273).

Dans ce sens précis, «la démocratie chrétienne est un fruit spontané de l'Evangile» (p. 275). Il s'agit d' «un régime politique et social favorable à l'ascension populaire (qui) sort da fond même de l'Evangile» (ibid.). Car l'Evangile le montre à chacune de ses lignes: Jésus, le Sauveur, «est venu pour relever les petits… Pour apporter aux pauvres la bonne nouvelle de leur relèvement.. Toute la vie de Notre-Sei­gneur, tous ses exemples, tous ses enseignements tendent au même but: le relèvement des petits par la charité chrétienne qui est comme un écoulement de la charité divine et par la justice chrétienne qui ne fait pas acception de personnes» (pp. 275-276).

Mais il faut préciser davantage encore. A bien y réfléchir, dans son but toute société est démocratique, toute vie sociale est faite pour aider, pour protéger la vie privée et surtout celle des plus menacés, les pauvres. Ici l'Evangile ne fait que ren­forcer ce que la raison donne déjà comme une évidence. Et ceci vaut de la vie sociale sous n'importe quel système poli­tique et économique, royauté, aristocratie, patronat, proléta­riat. «Celui-là doit être le plus aidé qui en a le plus besoin» (p. 276), c'est vrai en tout organisme socio-politique, et au fond tous ici sont bien d'accord. Mais pour atteindre, ce but certains volontiers s'en tiendraient à «la charité des braves gens» (p. 277). C'est là, sur le comment, sur les moyens, que se joue la démarcation.

«Nous, ne nous contentons pas d'une vague bonne vo­lonté des gouvernants et des patrons. Nous demandons des lois qui protègent le travailleur et qui facilitent son ascension sociale; nous demandons des corporations qui défendent le travailleur contre toute injustice et le secourent dans tous ses besoins» (ibid.). Et c'est bien précisément cela que refusent les réfractaires. dans cette revendication ils flairent l'odeur redoutée du socialisme d'Etat. Pour eux l'amour du peuple devrait s'en tenir à l'organisation des sociétés de Saint­-Vincent de Paul, à l'installation de quelques lits d'hospices, de quelques écoles libres. Les démocrates chrétiens ont une tout autre ambition, un tout autre programme. «Les démo­crates chrétiens ont scruté la vie de l'ouvrier, ils ont constaté le règne presque universel de l'injustice… Ils ont proposé tout un programme de réformes à réaliser par les corporations et par l'Etat. Ils n'ignorent pas qu'il y a d'excellents patrons… mais ils n'ont pas l'illusion de croire que tous les patrons de­viendront excellents sans le concours de la loi et des corpora­tions» (p. 277).

Quant au «comment», à l'organisation de la société, donc au versant politique aussi, précisons d'abord que la dé­mocratie chrétienne ne préconise pas de régime précis. De soi elle est républicaine, mais elle sait s'adapter à la monar­chie, à des régimes princiers, à la condition que soient soute­nues et favorisées les institutions qui défendent les intérêts du peuple. L'histoire le montre amplement, car les institutions démocratiques promues par l'Eglise se sont effectivement dé­veloppées sous tous les régimes.

Il y eut bien un peu d'agitation, en Italie notamment avec le régime des cités et des familles nobles, c'est vrai. Mais ce n'est pas là une faute à imputer à la démocratie. «Et puis un peu d'agitation, où se trempent les caractères, a-t-il plus d'in­convénients que l'apathie des masses aux époques de monar­chie absolue?» (p. 280). En France i1 fallait mettre un frein à la monarchie absolue, qui en vint à desservir la vie sociale chrétienne: vint la Révolution, qui cependant à son tour est allée beaucoup trop loin, «elle a cimenté la république dans le sang» (p. 281). Avec ou sans la République, l'exigence dé­mocratique demeure.

De même «une saine démocratie n'exclut pas davantage toute aristocratie», le pouvoir entre les mains de classes supé­rieures, de carrières libérales (ibid.). Ce qui ne revient pas à vouloir reconstituer le système féodal: autres temps, autres formes de vie sociale. Il faut bien admettre aussi que la ten­dance actuelle est de favoriser une organisation plus franche­ment démocratique. Mais les démocrates chrétiens ne pré­conisent pas un nivellement total, comme le voudraient les révolutionnaires. Seulement «ils constatent que le progrès démocratique est voulu par le peuple; ils sont donc d'avis qu'il faut se hâter de faire l'éducation du peuple pour qu'il n'abuse pas du pouvoir qu'il conquerra fatalement» (p. 283). II s'agit, non de refuser la poussée démocratique, mais de «la rendre chrétienne pour qu'elle ne se fourvoie pas dans le so­cialisme» (ibid.).

Si de l'ordre politique on passe ensuite à l'ordre écono­mique, la démocratie chrétienne demande trois choses: la protection des travailleurs par la loi et par les corporations; l'accession à la petite propriété par une législation favorable sur les successions, l'enregistrement, l'impot; et le développe­ment des petites sociétés, de la coopération et de la participa­tion aux bénéfices.

Il s'agit surtout de dénoncer le système aveugle qui a pro­duit le prolétariat industriel, enfant da capitalisme, et qui a détruit et opprime le peuple: conditions de travail et d'habita­tion, insécurité, déracinement, inégalité criante entre les quel­ques riches et les nombreux exploités… Tout cela est devenu «un état intolérable». «Les machines devaient aider l'ouvrier, diminuer le travail, augmenter le produit. Elles n'ont pas été mises au service de l'ouvrier, c'est l'ouvrier qui a été mis au service des machines». Alors que «le vrai progrès est celui de la dignité humaine» (p. 285).

Le mouvement social est désormais inévitable: sous des formes diverses les ouvriers cherchent à s'unir, à conquérir les moyens de production. Les démocrates chrétiens en­tendent bien s'y insérer. «Il faut agir». Trop de catholiques servent Marx en refusant Léon XIII: «il est temps que cela fi­nisse» (p. 287). En écartant d'abord la solution socialiste, car elle consisterait en fait simplement à remplacer une tyrannie par une autre. Pour entrer dans le détail, la Conférence sui­vante développera «le programme de la démocratie chré­tienne» (ibid.).

«Les circonstances sont favorables pour aller au peuple. Le moment historique est venu pour la démocratie chré­tienne d'entrer en campagne. Le peuple cherche et veut des réformes sociales. L'Eglise peut lui dire avec vérité qu'elle seule en a le secret et que le socialisme est une illusion» (p. 290). Le conférencier s'explique encore sur cette opportu­nité, sur lés objections qui servent de prétextes aux réticents et aux réfractaires. Inutile de le cacher: «la démocratie est une mer houleuse, où l'on hésite à s'aventurer. Mais à la voix du Christ, Pierre n'hésita pas à marcher sur les flots agités du lac de Tibériade, et quoiqu'il ait hésité un instant le Christ le sauva, lui et sa barque… C'est le symbole de toutes les har­diesses» de l'Eglise au long de l'histoire, et aujourd'hui no­tamment pour conquérir le prolétariat moderne. «Pierre, au­jourd'hui devenu Léon XIII, s'est avancé, aussi sous l'inspi­ration du Christ, sur les flots agités de la démocratie. Il n'hé­site pas, et avec ceux qui le suivent il sauvera la barque de l'Eglise malgré les trembleurs. A l'oeuvre donc!» (p. 293).

Le 18 janvier 1901, le Pape Léon XIII publie son Ency­clique Graves de communie sur la démocratie chrétienne. Dès le mois suivant le Père Dehon la commente dans la revue La Chronique du Sud-Est.3)II On ne peut pas ne pas remarquer la proximité, dans le contenu et jusque dans le plan et même dans les expressions, entre l'Encyclique et la présente Confé­rence. Le Père Dehon le dit lui-même en parlant de son ex­pose, «je n'ai pas un iota à y changer»; même si pour sa part il n'exclut pas le versant politique de la «démocratie chré­tienne», si controversé alors, avec le Pape il en souligne le né­cessaire retentissement dans le combat social.

I. Une partie des catholiques, les plus fidèles aux directions pontificales et les plus zélés pour l'action sociale chrétienne, ont pris le nom de démo­crates chrétiens. Le mot est-il heureux et doit-il être retenu? c'est une question de grammaire qui passionne les esprits.

Pourquoi, disent les uns, ajouter un qualificatif au titre de chrétien? qui dit chrétien ou catholique, dit tout ce qui est juste et bon. Une distinction ne peut qu'affaiblir le terme général.

S'il faut un qualificatif, disent les autres, pour­quoi celui-là, qui semble favoriser l'antagonisme des classes et qui préconise un régime politique à l'exclusion des autres, dont la valeur est peut-être supérieure? Vidons cette querelle de mots, avant de passer à la question de fond, à l'exposé des doctrines de la démocratie chrétienne.

Qu'il faille un qualificatif pour désigner le renou. veau de l'action sociale chrétienne, nous en sommes persuadés. C'est un besoin momentané sans doute, mais c'est un besoin actuel. Aux choses nouvelles, il faut des noms nouveaux.

Les catholiques étaient sortis de la vie sociale. Ils avaient été jetés violemment en dehors de l'ac­tion sociale par le césarisme gallican. Louis XIV et les césariens de son école leur avaient dit : «L'Eglise n'a rien à voir aux choses de la terre, la volonté royale est la seule règle de la justice sociale, retirez-vous dans vos temples et dans vos sacristies».

Il avait fallu s'incliner devant la force. Beaucoup même s'étaient laissé séduire et avaient formé dans l'Eglise le parti gallican.

Les papes et les catholiques les plus éclairés avaient protesté. Mais le XVIIIe siècle n'écoutait plus l'Eglise, il était engoué des nouveautés philo­sophiques. Au lieu de revenir aux doctrines sociales de l'Evangile, il essaya de la révolution et de ses théories païennes.

Bonaparte ne rejetait pas l'Evangile, mais il le voulait domestiqué.

Après la paix, la doctrine romaine put enfin recommencer à parler, avec de Maistre, de Bonald, Tapparelli, Blanc de Saint-Bonnet, Parisis, Veuil­lot. Le gallicanisme théologique fut brisé au Concile du Vatican. Il restait le gallicanisme politique et social: la doctrine du droit divin absolu des rois et l'exclusion de toute action sociale de l'Eglise. Léon XIII acheva ce qu'avait commencé le Concile. Il rétablit l'enseignement intégral de l'Eglise par ses encycliques sur la constitution chrétienne des sociétés et sur la condition des ouvriers. Il est suivi plus ou moins fidèlement par les catholiques. Comme il n'a pas pris dans son enseignement la forme la plus solennelle avec menace d'anathème, l'erreur garde des adeptes. Ils ne sont pas hérétiques, ils sont simplement réfractaires4) et peuvent se dire encore catholiques.

Comment nous distinguer d'avec eux? Comment nous dégager de toute connivence avec eux? Comment affirmer notre adhésion complète aux enseignements de Léon XIII? Il faut que nous ajoutions une épithète à notre titre de catholiques. Ce sera temporaire et autant que durera l'obsti­nation des réfractaires.

De même autrefois, pour nous séparer des gal­licans, nous nous appelions ultramontains.5) Cela avait sa raison d'être. C'était une profession de foi et cela voulait dire catholiques complets. Cela n'a plus sa raison d'être depuis le concile du Vatican. Aujourd'hui, personne ne peut plus être ou se dire gallican, il n'y a donc plus de raison de nous dire ultramontains. Mais on peut être encore réfractaire, libéral, régalien, sans être héré­tique. Il faut donc, ou du moins il convient, il est utile que nous adoptions un qualificatif pour affirmer et confesser notre foi.

Quel nom fallait-il prendre pour affirmer que notre catholicisme n'est pas seulement privé, mais qu'il est aussi social? On pouvait prendre le nom de Catholiques sociaux, Catholiques d'action sociale, beaucoup ont préféré celui de Démocrates chrétiens. Nous pensons que ce nom est justifié, quoiqu'il ait besoin d'explications, et nous sommes persuadés qu'il n'y a pas lieu d'y renoncer.

II. Remarquons d'abord que les mots ont la valeur qu'on leur donne. Cela dépend de l'usage et souvent de la région. Un libéral de Belgique n'est pas la même chose qu'un libéral de France. Quand un mot dans un pays est déjà passé dans l'usage avec une signification déterminée, on ne peut plus lui donner une autre acception. Ainsi le nom de démo­crates chrétiens a été adopté dans l'Allemagne du Nord par un groupe de protestants qui visent au socialisme d'État, les catholiques de cette région ne pourraient donc pas se dire démocrates chrétiens. Mais dans les pays latins et même en Angleterre, ce titre a été adopté par les catholiques sociaux.

Le mot est-il bien choisi? Nous ne nions pas qu'il a besoin d'explications et qu'en soi il offre quelque équivoque. La démocratie chrétienne n'est pas la démocratie pure, la démocratie absolue. Nous ne voulons pas exclure toute royauté, ni même toute aristocratie qui justifie ses privilèges par des services rendus. Nous ne prétendons pas supprimer tout patronat et tout prolétariat. Pour le fond, la démocratie chrétienne a comme pro­gramme l'Encyclique sur la condition des ouvriers. Elle demande, dans la vie sociale, des lois et des institutions favorables aux travailleurs: dans la vie politique, une ascension progressive du peuple et sa participation croissante à l'administration publique.

Que ce soit là vraiment le sens courant de cette expression aujourd'hui, nous en présenterons trois témoins.

Voici d'abord le sympathique professeur d'éco­nomie sociale à l'Université de Pise, le docteur Toniolo:6) «Quelle que soit, dit-il, la, signification étymologique de ce terme démocratie, dans le sens actuellement reçu, il signifie un ensemble de doctrines et d'action pratique en faveur du peuple».

Voici maintenant une page du prédicateur de l'Avent à Notre-Dame de Paris en 1877 (le P. Hya­cinthe7)). Il s'est bien égaré depuis, mais il expri­mait alors le sentiment commun des catholiques :

«Qu'est-ce donc que la démocratie? Est-ce la révolution radicale? Sont-ce les grandeurs de l'intelligence, les grandeurs de la vertu, la hié­rarchie sociale prosternées devant la force du nombre? Est-ce un niveau brutal qui passe sur tous pour égaliser et broyer? Ah ! cette fausse et perverse démocratie serait le dernier mot de la barbarie ! Mais si la démocratie est l'ascension graduelle, pacifique, triomphante des masses labo­rieuses et souffrantes qui remplissent les cam­pagnes et s'appellent les paysans, qui remplissent les cités et s'appellent les ouvriers; si c'est leur ascension à l'instruction plus complète, au bien-être plus étendu, à une moralité de plus en plus épurée et efficace, et par une conséquence néces­saire et légitime à une influence politique plus développée; si la démocratie est cela, nous sommes tous démocrates, non pas seulement parce que nous sommes les fils d'un siècle que nous ne renions pas, mais parce que nous sommes les fils de l'Evangile et que nous y croyons…».

M. Chesnelong8) n'est pas suspect, il aspirait à restaurer la royauté. Il disait en 1887: «Nous sommes, il est vrai, une société nouvelle, une so­ciété égalitaire, une société démocratique; le mot, entendu dans un sens élevé, ne m'effraye pas, car la démocratie, en tant qu'elle a pour objet d'élever le peuple à un plus haut degré de lumière, de mo­ralité, de bien-être, de l'associer plus étroitement aux destinées et aux progrès de la patrie commune, cette démocratie, je la veux; et pourvu qu'elle soit une démocratie chrétienne, je crois en elle; et voilà pourquoi je m'indigne quand on veut en faire une démocratie athée et matérialiste…».

Cette démocratie chrétienne, M. Chesnelong la voulait donc et y croyait en 1887; pourquoi, dix ans après, les catholiques apeurés ou arriérés la criti­quent-ils?

M. de Mun,9) dans son discours de Saint-Etienne en 1892, disait, après avoir exposé son programme «Voilà votre œuvre, celle que vous commande Léon XIII. Il faut que vous vous affranchissiez des théories de l'ancienne orthodoxie économique…. il faut que vous soyez dégagés de toute préoccupation politique et qu'acceptant les formes, les habitudes de langage et les institutions de la démocratie, vous n'ayez plus qu'une idée, la rendre chrétienne…

Nous pensons d'ailleurs que la démocratie chré­tienne est un fruit spontané de l'Evangile, mais ceci a besoin d'explications.

III. Le langage populaire s'inquiète peu du sens philosophique des mots. C'est au langage populaire que nous empruntons le mot démocratie. C'est au peuple que nous parlons et nous voulons qu'il nous. comprenne. Il entend tout bonnement par démo­cratie un régime politique et social favorable à l'as­cension populaire. Dans ce sens la démocratie sort du fond même de l'Evangile.

Quelle est la politique de l'Evangile? Quelles ont été les visées sociales du Sauveur? Il est venu pour relever les petits. Les prophètes l'avaient annoncé. Notre-Seigneur l'a répété: «Mon Père m'a envoyé, dit-il, pour apporter aux pauvres la bonne nouvelle de leur relèvement: Evangelizare pauperibus misit me. Toute la vie de Notre-Seigneur, tous ses exem­ples, tous ses enseignements tendent au même but le relèvement des petits par la charité chrétienne qui est comme un écoulement de la charité divine et par la justice chrétienne qui ne fait pas acception de personnes. Personne ne peut mettre en doute, dans ce sens général, l'esprit démocratique de l'Evangile. Il y est écrit à toutes les lignes. Mais précisons davantage.

IV. Distinguons, si vous voulez, dans la vie so­ciale, le but et les organes de cette vie. Dans le but, toute société doit être, jusqu'à un certain point, démocratique, même au point de vue rationnel, à plus forte raison au point de vue chrétien. Voici dans quel sens. La vie sociale est faite pour aider la vie privée, pour la fortifier, la protéger, la secou­rir. Mais qui donc a besoin d'être particulièrement protégé, si ce ne sont pas les pauvres? Léon XIII cite cet argument rationnel pour montrer que toute organisation sociale doit être démocratique dans son but: «Le pouvoir social, nous dit-il dans l'En­cyclique, doit porter un intérêt spécial aux petits et aux pauvres, parce qu'ils ont un plus grand besoin d'être aidés, tandis que les riches et les puissants se peuvent aider par eux-mêmes».

Si la raison même le dit, l'Evangile le dit mieux encore. Aux règles de la justice et de la philan­thropie, il ajoute les impulsions de la charité chrétienne.

Nous parlons jusqu'ici du but et non des moyens. Quelle que soit l'organisation politique, sociale, économique d'un peuple; qu'il soit régi par un roi entouré d'une aristocratie, qu'il laisse le travail aux mains de prolétaires salariés et dirigés par des patrons; cet organisme politique et social n'en doit pas moins être démocratique dans son but, c'est-à-dire qu'il doit tendre principalement au bien des petits et à leur relèvement. Le motif rationnel est tout simple: celui-là doit être plus aidé qui en a le plus besoin. La royauté chrétienne l'a bien com­pris. Saint Louis mourant disait à son fils Philippe : «Aie soin des pauvres. Prends leur défense dans leurs conflits avec les puissants». Le pieux roi breton Hoel II avait pour devise «Sell ar bob», ce qui j veut dire: «Regarde en bas», regarde les pauvres…

La féodalité et la chevalerie bien comprises avaient aussi pour but de protéger et de secourir les petits et les faibles. Quand la féodalité a délaissé cette noble fonction pour devenir la noblesse de cour, elle n'avait plus ce but rationnel de toute insti­tution sociale: secourir principalement les petits; elle a sombré dans sa propre corruption et dans le mépris général.

Jusque-là nous serions facilement d'accord, je crois, avec les plus fougueux réfractaires. Ils ad­mettraient bien que tous les organes de la vie so­ciale sont particulièrement au service des faibles. Mais ils s'en tiendraient volontiers à cette vague déclaration et compteraient sur la charité des braves gens pour suffire à tout.

V. Nous, nous voulons qu'on spécifie de suite les moyens pour arriver à ce but. Nous ne nous con­tentons pas d'une vague bonne volonté des gouver­nants et des patrons. Nous demandons des lois qui protègent le travailleur et qui facilitent son ascension sociale; nous demandons des corporations qui défendent le travailleur contre toute injustice et le secourent dans tous ses besoins. Ces lois effrayent les réfractaires, devant lesquels elles semblent évo­quer le fantôme du socialisme d'Etat. Ces corpora­tions effrayent le patronat dont elles veulent limiter le pouvoir absolu.

Les réfractaires se contenteraient d'un amour du peuple qui irait jusqu'à l'organisation des sociétés de Saint-Vincent de Paul, la fondation de quelques lits d'hospice et l'ouverture de quelques écoles libres.

Les démocrates chrétiens ont scruté la vie de l'ouvrier, ils ont constaté le règne presque universel de l'injustice, l'exploitation de l'ouvrier par un tra­vail exagéré et insuffisamment rétribué, la mère de famille et l'enfant englobés dans l'usine, les vieil­lards réduits à la faim et à la misère. Ils ont pro­posé tout un programme de réformes à réaliser par les corporations et par l'Etat. Ils n'ignorent pas qu'il y a d'excellents patrons, chez lesquels il y a peu à reprendre; ils les louent et les donnent pour modèles, mais ils n'ont pas l'illusion de croire que tous les patrons deviendront excellents sans le con­cours de la loi et des corporations.

VI. Mais ce qui regarde le but de la vie sociale n'est pas tout, il y a aussi ses organes; et ici il faut distinguer la vie politique et la vie économique.

Dans la vie politique, la démocratie pure est ré­publicaine, elle exclut tout privilège de classes.

La démocratie chrétienne ne va pas si loin. Elle est républicaine, là où la république est établie et voulue par le peuple, comme en France. Ailleurs elle accepte la monarchie, tempérée par des institu­tions démocratiques.

La monarchie absolue est la forme de gouverne­ment propre aux Etats dans l'enfance et aux Etats en décomposition. Un Etat qui a une certaine cul­ture exige une certaine part d'institutions démocra­tiques, fort conciliable d'ailleurs avec la monarchie. Cela se comprend. Dans la famille, le petit enfant obéit sans discuter, le jeune homme instruit et cultivé est admis aux conseils du père. De même un peuple naissant, un peuple enfant et sans lettres a besoin d'un roi absolu; un peuple cultivé veut défendre ses intérêts dans les conseils des princes. L'Evangile favorise l'éducation du peuple. Il élève le peuple en l'instruisant et le moralisant; il pré­pare donc les institutions démocratiques. On peut donc dire que l'organisation démocratique sort spontanément de l'Evangile, aussi bien que le but démocratique de la vie sociale.

L'Eglise, après avoir civilisé les peuples d'Occi­dent, avait introduit chez eux des institutions dé­mocratiques, dés conseils provinciaux et nationaux, à l'instar des conseils ecclésiastiques:

Aux Etats généraux de 1484, sous la régence d'Anne de Beaujeu, lés paysans eux-mêmes avaient voté et envoyé leurs délégués. Le Sénéchal10) de Bour­gogne y rappelait que la royauté est une dignité conférée par le peuple et non une propriété du prince.

L'Angleterre avait sa Grande Charte dès 1215. C'est la base de ses libertés populaires et de l'action politique des communes par leurs députés.

L'Espagne et le Portugal avaient leurs fueros et leurs cortès.

L'Allemagne et les autres nations du Centre et du Nord avaient leurs diètes provinciales et nationales. L'Italie, sous l'action du Saint-Siège, était la terre classique des libertés populaires. Les siècles chrétiens en Italie ont gardé le nom de «l'âge du peuple», l'età del popolo.

Florence avait une constitution profondément démocratique. Elle était gouvernée par la Seigneu­rie, conseil composé des prieurs ou baillis des arts majeurs et mineurs, voire même de délégués du prolétariat, les Ciompi.11) Les nobles, pour avoir part au gouvernement, devaient entrer dans une corpo­ration.

Milan avait ses Capitaines du peuple.

Gênes avait ses Abbés du peuple qui gouver­naient avec les Capitani ou doges.

A Venise, au XIIIe siècle, le peuple prenait part aux élections du Grand Conseil.

Sienne, Pise, Lucques, Pistoie, Arezzo avaient comme Florence leurs seigneuries, composées des prieurs des arts et métiers.

Pétrarque, regrettant plus tard de voir toutes ces libertés entamées par l'influence césarienne, s'é- criait: La liberté est un bien précieux qu'on tonnait mal tant qu'on ne l'a pas perdue

«Libertà, dolce e disiato bene!

«Mal conosciuto a chi talor no'l perde».

On peut objecter que les siècles chrétiens en Italie ont été bien agités. Mais est-ce bien la faute de la démocratie? N'y a-t-il pas d'autres causes: l'inter­vention constante des gibelins et de l'empire, la lutte des familles nobles, notamment des Colonna, des Orsini, des Savelli à Rome?

Et puis un peu d'agitation, où se trempent les caractères, a-t-il plus d'inconvénients que l'apathie des masses aux époques de monarchie absolue.

Pour ma part, je ne puis pas dédaigner, bien plus j'aime et je salue une époque qui nous a donné le Dante et Pétrarque, Giotto, Angelico, François d'Assise, Antoine de Padoue, Pierre Lombard, Bonaventure et Thomas d'Aquin.

VII. Mais un courant de folie païenne, soulevé par les légistes et les humanistes, a étouffé ces ins­titutions démocratiques.

En France, François Ier et Henri II ont asservi, les corporations, qu'ils ont séparées de l'Eglise. Ri­chelieu a supprimé les Etats généraux. Louis XIV a mis les communes en tutelle et fermé la bouche aux parlements.

En Angleterre, les Tudor ont suspendu la Grande Charte.

En Allemagne, les diètes ont été amoindries.

En Italie, Venise a retiré au peuple le droit de participer à l'élection du Grand Conseil.

Les Visconti et les Sforza à Milan, les Médicis à Florence ont confisqué les libertés populaires. Louis X[V et Louis XV se faisaient représenter en Césars romains sur les places de Paris et de Reims. Le symbolisme était parfait.

C'était un état violent, contraire à la vie sociale cultivée et surtout à la vie sociale chrétienne; cet état violent a provoqué la Révolution.

VIII. Il y avait une évolution démocratique à réaliser à la fin du siècle dernier. Tout le monde le comprenait.

Joseph de Maistre12) lui-même l'avoue: «Louis XVI, dit-il, voyait sans chagrin l'opinion publique affaiblir le pouvoir arbitraire; il encourageait même cette opinion; et, dans le calme d'une conscience pure, il croyait n'avoir rien. perdu, quand il accor­dait tout à son peuple…

L'évolution se fit mal et devint la Révolution. Est-il téméraire de dire que le clergé du XVIIle siècle aurait pu être mieux préparé à diriger le mouvement?

La réaction populaire dépassa le but. Au lieu d'imposer à la royauté des institutions démocrati­ques, elle a fondé violemment la république et l'a cimentée dans le sang. Mais maintenant le peuple a pris goût à la république. Il y tient. Qui pourra lui persuader que la monarchie césarienne était guérissable? Et qui pourrait affirmer que la Provi­dence n'a pas condamné une dynastie qui s'était élevée contre le peuple et contre Dieu?

La Révolution a cependant failli à sa mission. Au lieu de relever la liberté, elle a fait à son tour du césarisme oligarchique et elle a préparé le césarisme impérial.

Mais l'évolution se refait pas à pas et souvent par secousses violentes. Le peuple est comme le géant Ancelade, enseveli sous l'Etna, qui ne peut passe remuer sans faire trembler la terre.

Les nations ont successivement élargi le droit de suffrage et rendu les charges publiques plus égales.

L'Angleterre a eu sa réforme électorale en 1832, la France et le Piémont en 1848, l'Autriche en 1895, la Belgique en 1896 et 1899. La Russie a émancipé les serfs. Les Etats-Unis et le Brésil ont donné le droit de cité aux esclaves. Le mouvement démocra­tique s'étend jusqu'au Japon et gagnera tous les peuples. Et ce qui s'est fait est bien imparfait encore, parce que les catholiques ont trop tardé à y mettre la main.

IX. Une saine démocratie n'exclut pas non plus toute aristocratie.

Il ne peut plus être question de féodalité. C'était une organisation sociale adaptée aux besoins des peuples demi-barbares. Il fallait là des protecteurs puissants contre les violences et les désordres locaux. Mais il peut y avoir une aristocratie établie sur une autre base, qui représente les supériorités sociales, dans la grande propriété, l'industrie, le commerce, les carrières libérales. Cette aristocratie peut être entretenue et rajeunie par' des titres nouveaux, comme cela se fait fréquemment en Angleterre et en Belgique. Elle peut avoir encore certains privilèges établis par la loi ou par la coutume. Elle peut constituer une Chambre modératrice comme en Angleterre, en Autriche; elle peut avoir une part de faveur dans certaines carrières la diplomatie, l'administration, l'armée. Une pa­reille aristocratie peut exister à côté d'institutions démocratiques très sérieuses. C'est alors un régime mixte. Quoi qu'il en soit en théorie, nous devons reconnaître que dans le fait. ces formes même d'aristocratie sont en décroissance. En Angleterre, la Chambre des Lords est passée au second rang comme influence. En Allemagne, le corps «des officiers qui était encore, par la coutume, si aris­tocratique, il y a vingt ans, est envahi par la démocratie. Les tendances actuelles nous conduisent manifestement à un état démocratique de plus en plus complet.

X. Est-ce à dire que l'état chaotique auquel l'esprit révolutionnaire a réduit le suffrage populaire13) en France soit l'idéal? Nullement. Les démocrates chrétiens ne demandent pas ce nivellement. En France, ils voudraient qu'une des deux Chambres au moins fût professionnelle et représentât des spécialités. En Belgique, ils donnent un rang pri­vilégié, dans le vote populaire, au chef de la famille, à l'instruction, à la fortune.

Les démocrates chrétiens envisagent le mou­vement démocratique à. deux points de vue. D'une part, ils reconnaissent qu'il est légitime dans une certaine mesure et suivant le degré de culture du peuple. D'une autre part, ils ne ferment pas les yeux à la lumière et ils constatent que le progrès démocratique est voulu par le peuple; ils sont donc d'avis qu'il faut se hâter de faire l'éducation sociale chrétienne du peuple, pour qu'il n'abuse pas du pouvoir qu'il conquerra fatalement.

Léon XIII disait à Monseigneur l'évêque de Liège14) en 1892: «On ne peut nier l'existence d'un mou­vement démocratique universel; il faut donc le rendre chrétien, si l'on ne veut pas qu'il devienne socialiste». Ces paroles sont rappelées par Mon­seigneur l'évêque de Liège dans sa brochure sur l'Encyclique Rerum novarum.

Nous croyons avoir été assez clairs. La démo­cratie chrétienne demande, dans la vie politique, des institutions démocratiques, assez larges et progressives, sans exclure, là où elles existent, les monarchies tempérées.

Elle reconnaît le progrès fatal et incessant de la démocratie, elle veut la rendre chrétienne pour qu'elle ne se fourvoie pas dans le socialisme.

XI. Dans l'ordre économique, la question est différente.

La démocratie pure irait jusqu'à l'absurde socia­lisme, que la démocratie chrétienne repousse absolument.

Celle-ci demande surtout trois choses

1° La protection des travailleurs par la loi et par les corporations dans les ateliers où règne le régime traditionnel du patronat et du salariat.

2° L'accession à la petite propriété par une législation favorable relativement aux successions, à l'enregistrement, à l'impôt.

3° Le développement, par la coutume et par la législation, des petites sociétés, de la coopération et de la participation aux bénéfices.

Le mouvement économique n'est pas moins légi­time que le mouvement politique.

L'oppression économique a commencé par les atteintes portées aux corporations.

Le prolétariat agricole a pour origine en France et en Italie la rupture des liens entre les classes par l'absentéisme, la suppression des baux à long terme et des propriétés communales; en Angleterre et en Allemagne, les colossales dépossessions du temps de la réforme; en Espagne et en Sicile, les fidéi-commis et les latifundia.

La prolétariat industriel est né avec la produc­tion capitaliste. 11 la suit comme son ombre.

Ce mode de production est entré dans l'histoire comme une nécessité, au moment où les besoins devinrent plus multiples et où furent ouverts les grands. marchés nouveaux.

Les capacités commerciales ont pris la direction de la production et ont soumis à leur comman­dement la grande masse des simples artisans.

Cette forme de production devint plus nécessaire encore quand les progrès de la technique exigèrent la réunion de grandes forces ouvrières.

XII. Le prolétariat a engendré un genre de malaise spécifique, qui ressort pour l'ouvrier

1° Des usines malsaines; des fabriques remplies de bruit, de poussière et d'air suffoquant; du déve­loppement des mines;

2° Du travail des femmes et des enfants à l'usine;

3° De l'entassement dans les villes;

4° De l'insécurité du lendemain par la variabilité du marché;

5° De la rupture avec tout ce qui dans le passé constituait son idéal: les liens qui l'unissaient au pays natal, au village, à la famille, aux moeurs traditionnelles, au coin de terre héréditaire…

Et ce malaise se traduit par un état intolérable.

Considérant la situation actuelle du travail, Her­bert Spencer15) a dit, non sans raison, que notre société est dans un état de cannibalisme.

Louis Veuillot16) disait: C'est l'homicide organisé en grand par le travail malsain et excessif. Ketteler a dit: C'est un assassinat.

Les machines devaient aider l'ouvrier, diminuer le travail, augmenter le produit. Elles n'ont pas été mises au service de l'ouvrier, c'est l'ouvrier qui a été mis au service de la machine.

Bête énorme, on l'a nourrie, pour la faire produire, non seulement avec de la houille, mais en lui jetant en pâture l'ouvrier, la femme, l'en­fant… l'avenir de la race et l'âme abrutie par la. promiscuité et par le travail divisé et excessif.

Le vrai et beau progrès est celui de la dignité humaine.

XIII. A cet état de malaise; il faut ajouter, comme causes déterminantes de l'agitation

1° Le contraste, qui engendre l'envie: la villa confortable, les équipages élégants des villes, les hôtels luxueux… Ceux qui disposent de cette splen­deur, ce n'est plus l'Eglise, ce n'est plus le prince, ce sont les détenteurs de la puissance économique, chez lesquels l'ouvrier voit ses exploiteurs.

2° Le groupement dans les logis ouvriers et dans les fabriques, la réunion dans les estaminets, qui donnent au prolétaire, abandonné de Dieu et des hommes, la pensée de s'unir avec les camarades, pour travailler en commun et jouir en commun.

Le mouvement social était inévitable. Il a pris des formes diverses.

En Angleterre il a été surtout corporatif. En France, l'élément révolutionnaire dominait. En Allemagne, le mouvement était plutôt politique et légal.

Karl Marx s'est fait le théoricien du mouvement. Son principe est celui-ci: «Le prolétariat ne pourra se considérer comme émancipé tant qu'il n'aura pas aboli la dépendance économique sous laquelle il se trouve; et pour cela il faut qu'il con­quière les instruments et moyens de production».

Le mouvement général tend à s'unifier pour acquérir toute sa puissance.

L'association internationale y travaille depuis 1864. De nombreux congrès ouvriers ont préparé les programmes d'Eisenach en 1868, de Gotha en 1875, d'Erfurth en 1891, de Zurich en 1897.17) Les socialistes ne doutent pas du succès final. Engels18) a écrit :

«Nous avions cru en 1848 à un triomphe facile du prolétariat, mais l'état du développement éco­nomique sur le continent était loin d'être assez mûr pour que la production capitaliste pût être supprimée… Mais depuis 1848, la révolution éco­nomique a gagné tout le continent, elle a introduit réellement la grande industrie en France, en Autriche, en Russie, en Allemagne. Aujourd'hui la grande armée une et internationale des socia­listes marche irrésistible, progressant chaque jour par le nombre, par l'organisation, par la discipline, par la conscience et par la conviction en la victoire finale. - Pour que les masses comprennent ce qu'elles doivent faire, un labeur long et perse­vérant s'impose. C'est ce travail que nous accom­plissons et avec un succès qui désespère nos ennemis…» (Introduction aux luttes de classes en France).

XIV. Y a-t-il encore espoir pour les catholiques de reprendre la direction du mouvement social? Oui, avec la grâce de Dieu, mais il faut agir 1

Les trades-unions anglaises résistent au socia= lisme.

La démocratie rurale en Allemagne ne se laisse guère entamer.

La démocratie chrétienne se lève en France, en Italie, en Espagne, sous la bénédiction de Léon XIII.

Trop de catholiques, apathiques ou illusionnés, font encore, hélas ! le jeu de Kart. Marx contre Léon XIII. Il est temps que cela finisse!

XV. Les démocrates chrétiens doivent d'abord écarter la solution socialiste, en expliquant aux travailleurs qu'avec le communisme ils ne feront que changer de maîtres pour en trouver de plus durs.

Il faudra des chefs à tous les ateliers commu­naux. Où ces chefs prendront-ils des mœurs plus humaines et plus justes que ceux d'aujourd'hui, surtout s'il n'y a plus dans la société d'enseigne­ment moral et religieux?

Il faudra travailler dans les ateliers pour faire vivre la communauté, et puisqu'il n'y aura plus comme stimulant l'intérêt personnel du profit ou du salaire, il faudra bien, si l'on ne veut pas mou­rir de faim, que la verge ou la prison remplace les stimulants d'autrefois.

Mais ce n'est pas tout de démasquer le socialisme, il faut offrir un remède au mal présent. Ce remède, nous l'expliquerons plus complètement en exposant le programme de la démocratie chré­tienne; indiquons-le sommairement aujourd'hui.

Nous demandons la protection des travailleurs par la loi et par les corporations.

Le travailleur devant le capitaliste, c'est la fai­blesse devant la force.

Qui contiendra cette force dans ses justes limi­tes? La loi et les règlements corporatifs.

Il faut que le travailleur soit respecté dans sa vie physique et dans sa vie morale; que son travail soit équitablement rétribué, que son épargne soit favorisée; qu'il soit prémuni contre l'épreuve des mau­vais jours; qu'il soit assuré de trouver le secours nécessaire dans la maladie et la vieillesse.

Durée du travail, salaire:minimal, travail des enfants et des femmes, contrat de travail, hygiène et moralité des ateliers, assurances et retraites, voilà des problèmes qu'aborde la Démocratie chré­tienne. On peut varier dans le choix des solutions; on ne peut pas écarter ces questions ou les mépri­ser. Les corporations ont suffi autrefois à les ré­soudre; aujourd'hui, les corporations elles-mêmes sont un problème. Seront-elles rétablies, et sous quelle forme? En attendant qu'on le sache, il faut que l'Etat intervienne et tranche ces questions par lui-même, en s'aidant des corporations qui se relè­vent, des mutualités et de l'initiative privée encou­ragée et dirigée.

XVI. Une autre revendication à poursuivre, c'est que l'accession à la petite propriété soit facilitée par la législation et par l'organisation sociale. Il y a là tout un ensemble de mesures à prendre.

Les lois actuelles favorisent d'une manière désas­treuse le prolétariat. Les petites propriétés sont ruineuses à acquérir par suite des lois d'enregis­trement, elles sont impossibles à conserver dans les familles par suite des lois successorales. Rien n'est plus funeste qu'une pareille législation; elle multi­plie les prolétaires, les gens sans foyer, sans tradi­tions et sans mœurs. Il faut que les pouvoirs publics soient bien aveuglés pour laisser durer ces lois qui préparent les hommes de désordre.

Mais il n'y a pas que la petite propriété qui relève la dignité humaine, il y a encore l'accession au patronat par l'association, par la coopération, par la participation aux bénéfices. Demandons à la loi et à la coutume de favoriser ces procédés d'ascension démocratique.

Avec cet ensemble de réformes, les prolétaires sortiront en grande partie de cette situation qui est écrasante pour eux et périlleuse pour la société.

Toutes ces réformes, Léon XIII les a demandées. Il a appelé notre attention sur la durée du travail, sur l'insuffisance du salaire, sur l'épargne et les assurances, sur la nécessité de favoriser la petite propriété et d'aviser à ce que les travailleurs parti­cipent assez largement aux biens de toutes sortes qu'ils produisent pour l'avantage de la société.

Léon XIII est donc le premier démocrate chrétien.

Nous ne pouvons demander toutefois aux Ency­cliques pontificales, que les grandes lignes du pro­gramme démocratique. Il reste place ensuite pour bien des nuances dans les applications, soit dans la vie politique, soit dans la vie économique.

XVII. Avec tous les catholiques agissants, le clergé doit se mettre à l'œuvre pour aider au relè­vement social des prolétaires. Léon XIII l'y invite dans son Encyclique.

Le cardinal Gibbons,19) dans son beau livre sur le prêtre «l'Ambassadeur du Christ», en développe les motifs.

«Puisque le ministre du Christ, dit-il, est par ex­cellence l'ami et le père de son peuple, il ne peut rester indifférent à aucune des questions sociales, politiques ou économiques, qui touchent aux inté­rêts ou à la prospérité de la nation. Les relations de l'Eglise et de l'Etat, les devoirs et les préroga­tives des citoyens, les malheurs engendrés par la corruption publique, l'honnèteté des élections, les privilèges et les obligations mutuelles du travail et du capital, la moralité du commerce sous toutes ses formes… voilà, autant de questions vitales d'où dé­pendent la paix et la prospérité de la nation…».

Et un de nos missionnaires intérieurs les plus clairvoyants de ce siècle, le P. Combalot,20) avait rai­son d'écrire aux évêques de France en 1850 pour leur signaler «l'inaction du clergé et le péril de la démocratie païenne et sauvage que le clergé ne cherche pas à gagner au Christ…».

XVIII. Les circonstances sont favorables pour aller au peuple. Le moment historique est venu pour la démocratie chrétienne d'entrer en campagne. Le peuple cherche et veut des réformes sociales. L'Eglise peut lui dire avec vérité qu'elle seule en a le secret et que le socialisme est une illusion.

Souvent l'Eglise est allée utilement aux peuples depuis la Rédemption. Le Christ lui en a donné l'exemple. Il n'était pas écouté des pharisiens et des docteurs, il s'adressa aux hommes du peuple et recruta ses apôtres parmi eux.

A Rome, le christianisme se développa surtout par le peuple. La plus grande partie des croyants se recrutait parmi les esclaves; on le leur repro­chait. L'Eglise n'hésita pas non plus à se tourner vers les peuples nouveaux à l'époque des invasions barbares, au lieu de s'attacher obstinément à la civilisation romaine.

Dans ces derniers siècles, elle s'est adressée aux princes et aux puissants. Les uns l'ont délaissée pour le protestantisme, d'autres lui ont opposé le gallicanisme.

Elle s'est tournée vers la science; elle s'est heurtée au jansénisme, à la philosophie et de notre temps au positivisme et au matérialisme.

Aujourd'hui, à qui s'adresserait-elle? Aux pou­voirs publics? Mais ils n'ont plus d'influence mo­rale et d'ailleurs ils émanent du peuple, qui nomme les parlements.

Aux savants? Mais les académiciens n'ont plus guère d'action sur les peuples.

Aux patrons? à la bourgeoisie? Beaucoup sont absorbés et séduits par l'appât de l'or et le sensua­lisme.

Le peuple est plus naturellement religieux; dans les pays protestants, en Angleterre surtout, il a longtemps résisté à l'aristocratie protestante.

Le peuple est plus simple que les grands; il est sensible à ce que l'on fait pour lui. Il lui reste, dit Le Play, la foi immanente.

Tout cela montre l'opportunité du programme de l'Aller arc peuple, c'est-à-dire de la démocratie chrétienne.

En pratique, il faut donc: Prêcher hautement la démocratie chrétienne; opposer ses promesses à celles de la démocratie socialiste; montrer l'action sociale de l'Eglise, par la philosophie de l'histoire.

XIX. Cette opportunité, nos ennemis l'ont com­prise immédiatement. Quand la démocratie chré­tienne s'est affirmée en France, les journaux socialistes ont proclamé que là était le plus grand péril de leur parti.

Un sociologue allemand favorable au socialisme, M. Sombart,21) professeur à l'Université de Breslau, a écrit :

«Tant que l'on s'est efforcé de défendre la monar­chie et le capitalisme comme des institutions néces­saires, voulues par Dieu, tout mouvement social devait être forcément antireligieux. C'est donc un sentiment de défiance, inspiré par l'attitude tout au moins douteuse des représentants de l'Eglise, qui a éloigné le prolétariat de l'Eglise et de la religion. Mais du jour où cette défiance sera dissipée, où le christianisme sera enseigné dans un sens démocra­tique, pour quelle raison le mouvement prolétarien conserverait-il son caractère antireligieux?

«Le christianisme a réussi à être la religion du vieil empire romain comme celle de la Germanie jeune et vigoureuse, celle de la féodalité comme celle des communes et en dernier lieu celle de la bourgeoisie. Pourquoi ne serait-il pas aussi la religion du prolétariat?…».

Puissent les catholiques voir aussi clair que leurs adversaires!

XX. Est-il encore nécessaire, après cela, de répondre aux objections courantes? Faisons-le brièvement.

Le mot, disent quelques-uns, est bien mal choisi. - Nous répondrons que le peuple veut une démo­cratie. Le socialisme se présente à lui comme une démocratie et le séduit, offrons-lui une démocratie qui ait sa base dans l'Evangile et nous le regagne­rons au Christ et à l'Eglise.

Mais, disent les autres, les vertus privées ne suffisent-elles pas à tout? Elles rendront le riche charitable, le pauvre patient et sobre.

Nous répondrons que la justice sociale est voulue de Dieu, au même titre que les vertus privées.

Et d'ailleurs les vertus privées seront stériles sans la justice sociale. La désorganisation sociale les détruira à mesure et en tout cas les empêchera de fructifier.

Les élèves de vos écoles libres, qui vous coûtent tant de millions, ne persévèrent pas, parce qu'ils entrent après l'école dans une société désorganisée.

XXI. Mais le champ d'action du socialisme est restreint, dira un autre, faut-il tant s'en préoccu­per? 11 n'atteint que les villes industrielles et quel­ques campagnes où sévit la crise agricole.

Réponse. - N'est-ce pas assez pour que nous luttions contré lui par la démocratie chrétienne? Sinon, il occupera les municipalités des grandes villes; il aura dans nos Chambres des groupes qui s'imposeront par le bruit, par l'audace, par l'ob­struction, par l'intimidation… en attendant le reste.

- Mais l'action patronale ne suffira-t-elle pas?

- Réponse. - Elle peut et doit aider. Mais

1 ° L'ex­périence montre que son action sera fort restreinte, même chez les patrons qui passent pour chrétiens;

2° Et combien n'y a-t-il pas de patrons non chré­tiens ou non agissants?

3° Même chez les chrétiens agissants, il reste des lacunes; ils sont retenus par des préjugés, par des intérêts;

4° En tout cas, les travailleurs peuvent et, comme citoyens, doivent aussi s'aider, s'entendre et s'unir.

XXII. Mais, dira-t-on encore, la démocratie est une mer houleuse, où l'on hésite à s'aventurer.

Mais, à la voix du Christ, Pierre n'hésita pas à marcher sur les flots agités du lac de Tibériade, et quoiqu'il ait douté un instant, le Christ le sauva, lui et sa barque. C'est le symbole de toutes les hardiesses que devait avoir l'Eglise pour aller à la conquête de la société romaine, des populations barbares, et enfin du prolétariat moderne.

Pierre, aujourd'hui devenu Léon XIII, s'est avancé aussi, sous l'inspiration du Christ, sur les flots agités de la démocratie. Il n'hésite pas, et avec ceux qui le suivent il sauvera la barque de l'Eglise malgré les trembleurs.

A l'œuvre donc!

Le professeur Toniolo avait raison de dire récem­ment: «La reconstitution de l'ordre social chrétien par, le moyen du peuple ne semble pas difficile en ce moment historique, mais à deux conditions pour­tant: la première, c'est que les catholiques prêche­ront hautement aux prolétaires qu'en face de la démocratie socialiste, illusoire, inique, impossible, il y a une démocratie chrétienne, catholique, pos­sible, raisonnable, historique et satisfaisant à toutes leurs légitimes revendications; - puis qu'ultérieu­rement les catholiques prendront en mains la cause du peuple pour préparer l'avènement de cette dé­mocratie». - Pour cela, il faut que les catholiques actifs soient convaincus que l'heure est venue d'op­poser avec une sainte hardiesse au cri de Karl Marx: «Prolétaires, unissez-vous pour la lutte», le cri de Léon XIII: «Prolétaires, unissez-vous dans le Christ, sous la bannière de l'Eglise, pour le salut social!».


1)
Je renvoie de nouveau à l’étude de J.L. Jadoulle sur l’abbé Pot­tier: pour décrire la situation belge, l’auteur donne d’excellents raccourcis sur l’ensemble de la question et sur son arrière-fond anthropologique (cf. page 62, note 13).
2)
I Cf. OSC 1, pp. 513-515.
3)
II La Chronique du Sud-Est, février 1901; cf. OSC I, pp. 501-504.
4)
Réfractaires: ici on indique les catholiques français qui s’opposaient aux directions données par Léon XIII dans son Encyclique Au milieu des sollicitudes (16.2.1892). Elles concernaient l’acceptation du régime répu­blicain, devenu légitime par le fait qu’il avait été accepté depuis longtemps par tout le monde.
5)
Ultramontain: celui qui habite au-delà des monts, et particulièrement au-delà des Alpes, par rapport à la France. «Ultramontanisme»: ensemble de doctrines théologiques ou juridiques favorables au Saint-Siège (situé au-delà des monts) et en opposition aux opinions gallicanes.
6)
Giuseppe Toniolo (1845-1918), un des grands penseurs sociaux, pro­fesseur d’économie politique à l’université de Pise, très convaincu de la mission de l’Eglise même dans le domaine social. Il organisa l’Union ca­tholique pour les études sociales (1889) et fonda la Rivista internazionale di scienze sociali e discipline ausiliarie (1893). Le Pare Dehon l’estimait beaucoup. A la nouvelle de sa mort, il écrit dans son Journal: «C’est un saint. II avait bien voulu m’honorer de son amitié. Je l’ai vu souvent à Rome. Il goûtait mes livres sociaux et les a fait traduire en italien» (NQT XLIII/1918, 2).
7)
Hyacinthe (Le Père). Il s’agit de Charles Loyson, plus connu comme le P. Hyacinthe (1827-1912). Après avoir reçu une formation spirituelle profonde, ordonné prête sulpicien en 1851, il fut d’abord nommé profes­seur de philosophie à Avignon (1851), de théologie 8 Nantes (1854) et vi­caire paroissial en 1856. Mais en 1857 il quitta St-Sulpice et l’année sui­vante entra chez les Dominicains du Tiers-Ordre enseignants, avec le nom de Fr. Hyacinthe. Il en est sorti au bout de cinq mois, en 1859 il entra chez les Carmes, désireux d’une vie plus contemplative. Mais très doué pour la prédication, il fut invité d’abord dans la cathédrale de Bordeaux (avent 1862 et carême 1863) et après, pendant cinq ans, à Notre-Dame, attirant à sa chaire de quatre à cinq mille auditeurs. Il prêchait une Eglise sans fron­tières, une Eglise ni catholique ai protestante, qu’il appelait quelquefois Eglise des Juifs, en s’adressant même aux francs-maçons… avec un libéra­lisme doctrinal sans limites. Dénoncé à Rome et renvoyé par le général des Carmes, il rompit publiquement avec l’Eglise, rupture, disait-il, «né­cessaire à la respiration de mon âme».
8)
Pierre Chesnelong (1820-1899), homme politique français, défen­seur du pouvoir temporel du Pape et de la liberté de l’enseignement. A l’Assemblée nationale il était un des monarchistes les plus en vue. Il orga­nisa des cercles ouvriers et même des universités catholiques.
9)
Albert de Mun: cf. p. 122, note 18.
10)
Le Sénéchal: sous les Mérovingiens ce mot désignait le chef des offi­ciers du palais. Après le XIIe siècle il désigne des agents royaux doués d’un r81e administratif et judiciaire, semblable à celui des baillis du nord de la France. Les baillis, à leur tour, étaient des agents du roi ou do prince chargés de fonctions judiciaires.
11)
Les Ciompi: à Florence c’étaient des ouvriers n’appartenant à au­cune corporation ou art. Opprimés par leurs employeurs et exclus de toute fonction publique, le 20 juin 1378 ils se révoltèrent et s’emparèrent de la ciré, en imposant des réformes sociales. Mais après quelque temps il y eut une nouvelle agitation et les notables, petit à petit, regagnèrent leurs pou­voirs, jusqu’à la restauration aristocratique de 1382.
12)
Joseph de Maistre (1753-1821), homme politique et philosophe français, membre du Sénat de Savoie, gagné aux idées libérales, en 1793 émi­gra à Lausanne. Dans ses écrits, de Maistre exprime le projet d’une «science sociale» qui, en réaction contre les théories du droit naturel du XVIIe siècle, soit fidèle à l’historicité (qui est typique des sociétés hu­maines) mais aussi à «la vérité» dont elles vivent. L’influence de cet auteur sur l’évolution du catholicisme en France fut certainement très forte (Cf. aussi p. 155, note 17).
13)
Le Père Dehon aimait certainement la démocratie, mais non le suf­frage populaire, en particulier parce qu’il était d’avis que la plupart des gens de son temps n’avait pas une connaissance suffisante pour voter d’une façon responsable.
14)
L’évêque de Liège en 1892 était Mgr Doutreloux, toujours en rela­tions très cordiales avec Léon XIII (cf. p. 124, note 20).
15)
Herbert Spencer (1820-1903), philosophe anglais. Il a publié plu­sieurs écrits dans lesquels il expose les principes de son système de philo­sophie évolutionniste. L’idée directrice de ce système est celle d’une évo­lution naturelle déterminée par le passage de l’homogène a l’hétérogène, de l’indéfini au défini, du simple au complexe. Mais le Pare Dehon ici ne touche pas la question philosophique. Il fait remarquer que pour Spencer, Gomme pour Veuillot et Ketteler, la situation des ouvriers est malsaine et intolérable.
16)
Louis Veuillot (1813-1883), journaliste français, rédacteur en chef de L’Univers. Catholique traditionaliste, il fit de ce journal un organe du parti conservateur. Il lutta avec ardeur en faveur de l’infaillibilité pontifi­cale, définie par le Concile Vatican I en 1870.
17)
Pour ces programmes, cf. p. 192, note 14.
18)
Friedrich Engels (1820-1895), théoricien du matérialisme histo­rique. Son nom est généralement associé à celui de Karl Marx, dont il fut tonte sa vie l’ami et le collaborateur. Ensemble ils ont élaboré le système philosophique du matérialisme dialectique et Ensemble ils dirigèrent les luttes de la classe ouvrière. Très importante aussi l’activité politique d’En­gels: il peut être considéré comme le premier dirigeant effectif du proléta­riat international. De ses écrits on peut signaler: L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat (1884) et L. Feuerbach et la fin de la philo­sophie classique allemande (1888). 11 acheva aussi les deuxième et troi­sième volumes du Capital de Marx. Cf. aussi page 99, note 1.
19)
James Gibbons (1834-1921), archevêque de Baltimore et cardinal. Par son influente personnelle il joua un rôle de premier plan dans l’Eglise catholique d’Amérique. Il agit avec efficacité pour la promotion des immi­grés et pour les insérer à plein droit dans la société américaine. Ses princi­paux ouvrages: La foi de nos Pères (1876); Notre héritage chrétien (1889); L’ambassadeur du Christ (1897). Ils ont été traduits en plusieurs langues.
20)
Théodore Combalot (1798-1873), prédicateur très habile, on l’a même défini «tribun de la chaire». Il était disciple de Lamennais, mais lors de la condamnation de Rome il se sépara de lui, pour rester fidèle aux di­rections du Pape.
21)
Werner Sombart (1863-1941), économiste allemand, un des princi­paux protagonistes des réformes sociales en faveur des ouvriers. Il fonda des cercles d’études sociales dans plusieurs universités allemandes. Son chef d’oeuvre est Le socialisme et le mouvement social au XIXe siècle (1896).
  • oscrso-0003-0006.txt
  • ostatnio zmienione: 2022/06/23 21:40
  • przez 127.0.0.1