Septième conférence
Le Programme démocratique
Présentation
C'est la seconde Conférence tenue en avril 1898, elle est publiée dans Le Règne en juillet et août 1900. Elle constitue un tout avec la précédente: après l'exposé sur la démocratie chrétienne, voici maintenant plus concrètement son programme, donné comme toujours en grande fidélité à l'enseignement de Léon XIII.
Le Père Dehon rappelle l'aventure de t'Eglise sous la conduite du Pape: une Eglise qui se risque «sur la vaste mer de la démocratie» (p. 298). Pour remédier au mal social, «la justice doit concourir avec la charité» (p. 299). Léon XIII a précisé «le dogme social de l'Eglise», résumé en trois thèses: le droit de propriété privée, un droit naturel pour tous, et ses limites; les rapports du capital et du travail, de sorte que l'ouvrier puisse travailler dans des conditions conformes à sa dignité et nourrir dignement sa famille par son salaire; et la condamnation de l'injustice criante qu'est l'usure sous ses formes actuelles, où trop souvent l'appétit du gain écrase le pauvre. Telle est la solution chrétienne au malaise social c'est la base du programme de la démocratie chrétienne.
«Le christianisme véritable, l'Evangile bien compris et bien appliqué est le remède au malaise social» (p. 300). A condition de ne pas le cantonner seulement à des comportements personnels: la générosité de la part du patron, la résignation du coté de l'ouvrier. Au premier rang s'impose l'accomplissement de la justice. Car les maux qui affligent les ouvriers ne sont pas de simples accidents, ou des misères fatales; ce sont d'incontestables injustices sociales et privées. Et ce n'est pas par la charité qu'on y remédiera, c'est en les dénonçant et en les supprimant.
Les deux grands moyens de réforme selon Léon XIII concernent les associations professionnelles, que l'Etat doit favoriser résolument, et la réforme de la législation sociale, elle aussi tâche prioritaire de l'Etat. Veut-on comprendre ce qu'est l'action «démocratique»? La voilà: qu'on en finisse de se battre sur des mots! Qu'on cesse de vouloir opposer ce programme démocratique et la pensée réelle du Pape, qui ne laisse aucun doute à qui veut bien entendre! Qu'on prenne ce programme dans son sens mesuré, avec la souplesse d'adaptation à divers régimes politiques, république ou monarchie constitutionnelle!
Recueillons aussi les essais de catholiques courageux, ils ne manquent pas: Ozanam en France, Ketteler en Allemagne, Manning en Angleterre, de Mun et de La Tour du Pin en France encore, les réunions d'études internationales à Rome et à Fribourg en Suisse… Sans oublier l'action personnelle de Léon XIII avant son pontificat, et tout ce qui a précédé son Encyclique Rerum novarum. «L'Encyclique parut. Elle étonna d'abord. Elle conquit bientôt L'admiration de tous ceux qui n'étaient pas retenus par les préjugés libéraux ou par les intérêts de classes» (p. 309).
Dessinant les grandes lignes du programme démocratique chrétien au servite de la justice sociale, le Pape indique d'abord l'association. Car pour faire valoir ses droits et pour organiser l'assistance mutuelle, l'ouvrier isole est perdu d'avance, le rapport de forces lui est trop lourdement défavorable. Quelles associations? Les formes peuvent varier, celles d'ouvriers entre eux, celles réunissant ouvriers et patrons… Pourvu qu'elles soient autre chose qu'institutions charitables ou confréries de dévotion. Elles doivent exercer une réelle fonction économique et sociale, sans attendre que tout vienne de l'Etat, de la législation. Pourvu aussi qu'elles s'adaptent aux conditions actuelles de la société. Seront-elles facultatives? Elles seront alors bien affaiblies; qu'au moins l'inscription au corps de métier par ville et par région soit rendue obligatoire.
Vient ensuite un bilan des essais qui dans le monde catholique ont suivi l'Encyclique de Léon XIII sur ce point: en Autriche, en Allemagne, en France, en Belgique, en Suisse… Beaucoup de bonne volonté, parmi les ouvriers plus que chez les patrons; beaucoup de résistances conservatrices aussi par peur des troubles sociaux. Mais en fait «les syndicats se multiplient à l'infini et l'esprit d'association rentre dans nos moeurs» (p. 312).
La seconde ligne du programme démocratique chrétien porte sur l'action de l'Etat. II doit intervenir devant des abus trop réels qui pèsent sur la propriété privée, et sur la condition des travailleurs et de leur famille, les conditions du travail, sa rémunération, les conditions de vie personnelle et familiale qui contredisent la santé, la dignité, la sécurité: toutes exigences morales que la législation doit protéger. Les associations devront ensuite en préciser l'application dans le détail Des objections sont avancées: cette intervention de l'Etat ne mène-t-elle pas au socialisme, à la tyrannie? Il y a lieu d'y veiller en effet, le risque n'est pas imaginaire; mais «par crainte des écueils, ne doit-on pas naviguer? Et pour ne rien risquer, faut-il ne pas essayer de rien améliorer?» (p. 314).
De nouveau le Père Dehon montre les répercussions de l'orientation pontificale à travers l'ensemble de l'Europe. Il rapporte les résolutions du Congrès des catholiques à Rome en février 1892, celles des Congrès de Reims (1896) et Lyon (1897), le Congrès ouvrier de Zurich (1897). Toutes vont dans le mème sens, et c'est ainsi que le programme démocratique chrétien commence à transformer le monde social selon l'Evangile.
Ainsi encore des échos que lui donne la presse, en particulier la revue La Démocratie chrétienne fondée par l'abbé Six en 1894 - le Père Dehon y publie des articles sur le capital et le travail dès 1895 -. II s'attarde à décrire l'évolution de la législation sociale en France (lois de janvier 1898), «un beau programme pour un parlement qui voudrait travailler sérieusement!» (p. 315). Inévitablement des erreurs sont commises, ici ou là on cède à des excès que les adversaires se plaisent à monter en épingle: mais «la démocratie chrétienne n'est pas responsable des erreurs de quelques-uns de ses adeptes» (p. 316).
«Qui ne voit combien grande serait la force des catholiques, s'ils allaient au peuple avec union et ensemble, armés de ce programme pontifical vraiment populaire et démocratique?» (p. 323). Les résultats déjà obtenus sont tels qu'ils font peur aux socialistes qui craignent pour leur propre action. Des objections viennent de nouveau: le peuple, quand il aura pris conscience de son droit et de sa force, saura-t-il garder une juste mesure? «Je répondrai que le peuple écoute volontiers les prêtres et les catholiques quand ceux-ci montrent un véritable dévouement aux intérêts populaires. Nos congrès démocratiques ouvriers en France ont montré une sagesse qui a surpris beaucoup de monde» (p. 324). Reste à continuer de secouer l'indifférence et l'hostilité de beaucoup, parmi le clergé notamment. Encourager «les ecclésiastiques aux études sociales» (p. 325).
«Au résumé, la démocratie chrétienne est notre espoir… La démocratie n'est pas seulement un fait issu de la révolution et désormais invariable; elle est de plus, dans une large mesure, une conséquence de l'Evangile… Cette démocratie chrétienne a son programme bien défini… C'est avec ce programme qu'il faut aller au peuple pour le gagner au Christ. Acceptons le programme dans ses grandes lignes. Ajournons les quelques points douteux, pour ne pas nous diviser. Le temps et l'étude feront la lumière» (p. 326).
ÉMINENCE RÉVÉRENDISSIME,1)
I. J'ai lu dans l'Évangile de saint Jean qu'après la résurrection, les apôtres s'attachèrent très intime. ment à Pierre. Et comme Pierre leur disait au bord du lac de Tibériade: «Je vais aller à la pêche» - Vado piscari, - ils ne regardèrent pas si la mer était agitée et dangereuse, et ils répondirent avec simplicité: «Nous irons avec toi». - Venimus et nos tecum.
Ils ne prirent rien d'abord, mais bientôt Jésus intervint et la pêche fut miraculeuse.
Pierre, qui est aujourd'hui Léon XIII, a dit encore: a Je veux m'aventurer sur la vaste mer de la démocratie. «Un des premiers vous avez répondu: a Nous vous suivrons». Venimus et nos tecum. Vous avez fait force de rames sur les flots agités de la démocratie Viennoise, pendant votre glorieuse nonciature. Votre foi a aussi été récompensée et vous avez vu déjà le commencement de la pêche miraculeuse par la constitution du parti démocratique chrétien de Vienne. Vous poursuivez votre apostolat, et aujourd'hui encore vous encouragez nos. humbles efforts. Merci 1 Comme vous, nous espérons faire la pêche miraculeuse, sous la conduite de Pierre.
II. L'initiative particulière avait travaillé pendant 15 ans et plus sur le terrain des questions sociales. Evêques, prêtres et laïques avaient exprimé leur opinion. Le 15 mai 1891, ils trouvèrent Léon XIII à leur tète. L'Encyclique paraissait. Elle constatait le malaise général. Elle proclamait que, pour y remédier, la justice devait concourir avec la charité.
Elle formulait le dogme social de l'Eglise, qu'elle résumait en trois grandes thèses
1. Le droit de propriété et ses limites;
2. Les rapports du capital et du travail;
3. L'injustice criante des formes nouvelles de l'usure. - Elle indiquait deux principaux moyens de réforme: l'association et la loi.
C'est là toute la base de notre programme social.
III. Reprenons ces données.
I. Le droit de propriété et ses limites.
La propriété privée et personnelle est pour l'homme de droit naturel.
Le droit de vivre et de faire vivre les siens est le fondement du droit de propriété privée.
C'est parce que vous avez le droit de vivre que votre propriété doit être respectée; c'est parce que les autres ont ce même droit que votre superflu leur est dù.
II. Les rapports du capital et du travail.
Le résultat immédiat du travail doit être de nourrir le travailleur. L'enrichissement du capitaliste vient par surcroît, s'il est possible.
1. Il faut que 'le travail fournisse à l'ouvrier de quoi soutenir sa vie, dans le sens le plus large de l'expression.
2. Il faut que les conditions du travail ne portent pas un injuste préjudice au légitime développement de sa vie physique, de sa vie domestique, de sa vie morale et religieuse, car tout homme a droit à l'intégrité de ce triple développement.
III. La justice commutative interdit dans les contrats l'usure, c'est-à-dire le gain qui n'est pas justifié et qui n'a de fondement que la tromperie ou l'oppression des faibles.
L'usure ancienne revit, avec une gravité nouvelle, dans l'agiotage2) moderne et dans l'organisation actuelle du crédit.
- Si ces fondements de la vie sociale avaient été respectés, le malaise n'existerait pas. Il existe. Léon XIII va nous dire le principe général des remèdes à mettre en oeuvre et le caractère même de ces remèdes.
IV. Le christianisme véritable, l'Evangile bien compris et bien appliqué est le remède au malaise social.
Mais Léon XIII ne l'entend pas comme les catholiques conservateurs, qui ne voient d'autres moyens de salut que deux vertus personnelles: la bienfaisance chrétienne chez le maître, la résignation chrétienne chez l'ouvrier.
Sans doute, l'Encyclique proclame l'efficacité de l'aumône et de la résignation, mais elle met au premier rang l'accomplissement de la justice. Dès le début de l'Encyclique, Léon XIII signale les maux intolérables dont souffrent les travailleurs; il ne les-représente pas comme des misères fatales, mais comme des injustices sociales et privées. Il ne demande pas aux catholiques de pallier ces injustices par la charité, il exige qu'elles soient supprimées.
L'Encyclique n'est pas une simple invitation à l'aumône; elle établit et dessine les lignes primordiales d'un droit ouvrier, fondé sur les principes chrétiens.
Si elle dit en terminant que la solution sociale viendra d'une plus grande effusion de la charité, tout le contexte indique qu'elle parle de la charité au sens large qui commence par l'accomplissement de la justice. C'est ainsi que Notre-Seigneur résumait la seconde table du décalogue dans ce précepte: Tu aimeras ton prochain.
V. L'Encyclique préconise surtout deux grands moyens de réforme sociale: les associations professionnelles et la loi.
L'ordre et la prospérité résulteront surtout de l'organisation professionnelle, de l'harmonie des classes sociales organisées.
L'Etat intervient pour favoriser les associations, pour veiller aussi à ce qu'elles ne deviennent oppressives d'aucun droit; mais il agit aussi directement pour bien des cas de réglementation légale ou d'organisation professionnelle qui dépassent la portée des corporations. Il est appelé à agir davantage dans un temps comme le nôtre où les corporations ne sont plus qu'un souvenir et une espérance.
VI. Que cette action sociale, légale et professionnelle, déterminée par Léon XIII, puisse prendre le nom d'action démocratique, Léon XIII ne l'a pas dit lui-même dés le commencement. Il a attaché plus d'importance à la chose elle-même qu'à son nom.
Mais les commentaires les plus autorisés de l'Encyclique ont mis ce nom en avant, et Léon XIII, au lieu d'y contredire, a encouragé ces commentaires de la manière la plus formelle.
Tels, le discours de M. de Mun à Saint-Étienne en mai 1892, et les vœux du Congrès de Rome en 1894.
M. de Mun, à Saint-Étienne en 1892, après avoir exposé toutes les revendications de nos programmes démocratiques, relativement à la réorganisation corporative et aux lois sociales en faveur des travailleurs, terminait son discours en disant
Voilà votre oeuvre, celle que vous commande Léon XIII… Il faut que vous soyez dégagés de toute politique, et qu'acceptant les formes, les habitudes de langage et les institutions de la démocratie, vous n'ayez plus qu'une idée, la rendre chrétienne…
M. de Mun s'était sacrifié en brisant avec ses vieilles relations et s'exposant à bien des avanies et des souffrances pour fonder la démocratie chrétienne en France, comme le cardinal Lavigerie a fait pour inaugurer le ralliement à la République.
Léon XIII répondit à M. de Mun par une lettre d'approbation qui revêtait une solennité particulière et qui laissait croire que le coup d'éclat de Saint-Étienne, comme celui d'Alger, avait été combiné avec le Pontife suprême.
«Et maintenant, cher fils, disait le Saint-Père, vous comprendrez sans peine que, connaissant votre piété filiale et le zèle intelligent avec lequel vous vous employez à seconder nos desseins, à rendre nos enseignements populaires et à les faire pénétrer dans la pratique de la vie sociale, la lecture de votre discours nous ait été souverainement agréable. Tandis que nous nous plaisons à vous donner des éloges justement mérités, nous vous exhortons à poursuivre votre généreuse entreprise… Puisse-t-il surgir des hommes qui, avec un dévouement pareil au vôtre et une grande largeur de vues, se consacrent tout entiers au relèvement de la France!»
Et dire que quelques années après cela on rencontrait encore des prêtres qui s'imaginaient que le Pape allait condamner la démocratie chrétienne!
VII. Le fait relatif au Congrès de Rome,3) en février 1894, n'est pas moins saisissant.
Les vœux du Congrès étaient la mise en action du programme de l'Encyclique.
Le compte rendu du Congrès avait cette conclusion: «Si pour atteindre cet idéal (de l'ordre social chrétien), qui a été réalisé dans la plus glorieuse période de ces siècles qu'on a nommés les siècles du peuple, il fallait, contre notre gré, ne marcher qu'avec le peuple, nous n'hésiterions pas un instant, entre les faibles et les souffrants d'un côté, les forts et les jouisseurs de l'autre. - Mais nous ne pourrons jamais oublier que notre but final est non la guerre, mais la paix, cette paix que doit nous apporter la démocratie chrétienne du XXe siècle, dans lequel, raffermie au nom du Christ sur la large base du peuple, toute la hiérarchie sociale s'ennoblira en revendiquant les droits et en travaillant au relèvement des classes laborieuses… «
Léon XIII répondait au cardinal Parocchi,4) le 24 février: «Nous approuvons les vœux exprimés, les moyens d'action proposés, avec d'autant plus de satisfaction qu'ils nous semblent bien choisis et qu'ils imprimeront dans les âmes ce que nous mêmes avons souvent prescrit et recommandé sur ces mêmes questions… Cette correspondance si parfaite de vos âmes avec nous, cette activité si intelligente pour servir Dieu et l'Eglise, non seulement nous les approuvons et encourageons de tout cœur, mais, comme il est juste, nous les recommandons à Dieu afin qu'il daigne bénir et exaucer vos vœux et favoriser vos entreprises…».
Ainsi donc Léon XIII encourageait spécialement ceux qui reproduisaient son programme social en lui donnant l'étiquette de la démocratie chrétienne. Il louait chez eux la conformité à ses desseins, la parfaite correspondance des âmes avec la sienne.
VIII. Remarquons en passant que le programme démocratique n'a rien d'absolu au point de vue politique.
Dans tel pays la démocratie a des tendances républicaines. Ailleurs elle s'accommode d'une monarchie constitutionnelle. Mais elle ne craint pas de dire aux monarchies existantes: «Honorez Dieu, respectez les libertés populaires, n'outragez pas l'Eglise ni le Vicaire de Jésus-Christ, sinon vous succomberez sous la désaffection universelle et, par quelque circonstance inattendue, la Providence vous signifiera votre congé.
IX. Pour le programme économique, comme nous l'avons dit, l'œuvre de Léon XIII couronnait quinze années et plus de tentatives diverses.
En jetant un regard sur cette période, qu'on peut appeler la préparation ou la genèse de l'Encyclique, nous comprendrons mieux le programme démocratique.
Il y a eu en France les revendications de Lamennais,, d'Ozanam et du journal l'Avenir, mais les exagérations de Lamennais avaient fait échouer cette première croisade.
Ketteler, l'illustre évêque de Mayence, reprit cette campagne démocratique. Il devança même les protestations de Lassalle5) et de Karl Marx contre certaines iniquités du régime économique moderne. Il cherchait le remède à y apporter. Il proposait d'abord l'établissement d'associations coopératives de. production. Mais plus tard, avec ses disciples du Parlement, il mit son espoir dans la codification d'un droit ouvrier et dans la protection de la loi.
X. Manning6) avait signalé aussi les principaux abus du régime du travail, comme le travail des femmes à l'usine et l'insuffisance des logements ouvriers.
«Une femme, disait-il, s'engage avec un homme, par un contrat solennel conclu devant Dieu, à remplir, sa vie durant, les devoirs d'épouse, de mère, de gardienne du foyer. Lui est-il permis, même avec l'assentiment de son époux, de faire un second contrat par lequel, à raison de tant par semaine, elle rend impossible la surveillance de sa maison et l'éducation de ses enfants? - On objecte que ses enfants manquent de pain? Je mets en principe que les enfants doivent avoir du pain sans que la mère travaille à l'atelier, et je dis qu'en` fait ils en auront, si les relations entre le capital et le travail deviennent ce qu'elles doivent être, à savoir justes, c'est-à-dire fondées sur les droits sociaux naturels; car alors il y aura un miimum de salaire suffisant pour nourrir la famille. Et j'ajoute que les enfants auront le pain en abondance, si les relations dont je parle deviennent ce qu'elles peuvent être, à savoir généreuses, c'est-à-dire fondées sur la bonté humaine…
Manning n'était pas moins sévère pour l'état intolérable des logements ouvriers à notre époque Que sont maintenant les habitations d'ouvriers dans la plupart des grands centres industriels? Des familles entières vivent dans une seule pièce; parfois même plusieurs familles grouillent ensemble dans la même pièce, chacune dans son coin. Est-ce tolérable? - Manquer d'espace, manquer d'air, ne pas mieux respirer au dehors qu'au dedans, par la négligence du service de voirie et de l'écoulement des eaux dans les quartiers populaires; n'avoir qu'une chambre comme dortoir, séchoir, atelier, cuisine; être exposé dans ces réduits à toutes sortes d'affections chroniques; vivre dans une promiscuité déplorable ou dans le voisinage d'un monde interlope et de cabarets borgnes, avec tous les vices qui résultent de là; dépérir dans ces bouges, au moral comme au physique, alors que non loin de là les richesses s'accumulent, et les capitaux s'entassent par monceaux, par montagnes, au profit de quelques classes ou de quelques individus, est-ce un état de choses qui puisse continuer indéfiniment? Non, je le déclare, sur des bases pareilles une société ne peut pas tenir debout.
Manning esquissait donc aussi le programme démocratique, en appelant des réformes sociales relativement au travail des femmes et des enfants, au contrat de travail, au prolétariat, à l'exploitation capitaliste.
Il avait visité, en exerçant son ministère sacerdotal, les taudis où logent souvent les ouvriers d'industrie. Rien n'est plus révoltant que ce spectacle. Dieu a voulu que les petits des oiseaux aient leur nid gracieux et bien garni de douces plumes. Veut-il que les petits anges de la 'famille ouvrière soient à grouiller sur une couchette infecte dans une atmosphère empestée et exposés à tous les accidents pendant que leur mère va leur gagner une maigre pâture à l'usine?
Il y avait à opérer des réformes fondamentales.
XI. En Autriche et en France, les remèdes qu'indiquait le mouvement catholique étaient surtout les associations professionnelles.
Le baron de Vogelsang, initiateur du mouvement en Autriche, poursuivait spécialement le relèvement des corporations.
En France, les fondateurs de l'Œuvre des Cercles, M. de Mun et M. de La Tour du Pin, n'avaient pas encore un programme complet, mais ils mettaient en avant l'idée corporative.
En Suisse, au contraire, lé docteur Decurtins, à la tête des catholiques sociaux, voyait le salut dans une réforme législative.
Léon XIII écoutait et observait.
XII. Les réunions d'études internationales de Rome et de Fribourg ont contribué aussi à préparer le programme démocratique que devait formuler l'Encyclique.
C'est à Rome que ces réunions commencèrent. En 1882, Mgr Mermillod7) y prenait part avec quelques délégués autrichiens.
En 1884, se fonda l'Union de Fribourg, pour servir de lien entre les groupes d'études de diverses nations. Ses décisions portèrent sur le régime du travail, de la propriété, du crédit, sur le rôle des pouvoirs publics et l'organisation corporative. C'était déjà tout le programme démocratique, déterminé dans ses principes et dans ses applications.
L'unité de vues s'opérait peu à peu. Les délégués de la Suisse montraient la nécessité de l'intervention légale; ceux de l'Autriche et de la France faisaient valoir l'utilité du régime corporatif.
Mgr Mermillod informait le Pape des travaux de Fribourg.
XIII. Léon XIII était du reste préparé à sa grande mission par ses études personnelles. Le cardinal Pecci avait été aussi un initiateur, un précurseur. En 1877, dans un mandement adressé aux fidèles de Pérouse, il signalait en termes précis et assez vifs l'erreur inhumaine de l'économie politique moderne, le colossal abus de la pauvreté et de la faiblesse, l'horrible existence des enfants dans les fabriques, enfin la nécessité d'une législation qui mit un frein à ce trafic sans humanité.
Les pèlerinages ouvriers ont hâté l'intervention pontificale. Ces pèlerinages, où le Pape accueillait les hommes du peuple en costume de travail, annonçaient l'alliance prochaine de l'Eglise et de la démocratie.
Le programme démocratique s'y préparait. Le cardinal Langénieux,8) en présentant les ouvriers au Saint-Père, rappelait les souffrances des travailleurs et suppliait le Saint-Père de «ne pas se lasser de rappeler au monde le respect des lois de la justice et du droit dans les rapports nécessaires des hommes entre eux, afin de garantir à l'ouvrier, dont le travail est la seule ressource, la stabilité du foyer, la facilité de nourrir sa famille, de l'élever chrétiennement et de faire quelque épargne pour les mauvais jours».
Un autre incident avait ému Léon XIII: la question délicate des chevaliers du travail,9) sur laquelle les évêques se divisaient en Amérique. Il devenait urgent de donner aux catholiques une direction doctrinale qui pût aider à résoudre toutes les questions sociales et économiques.
XIV. Les choses en étaient là…
En 1887, M. de Vogué écrivait: «Le jour où le Courant portera sur la chaire de saint Pierre un Pape animé des sentiments du cardinal Gibbons, du cardinal Manning, l'Eglise se dressera dans le monde comme la plus formidable puissance qu'il ait jamais connue. «
Cinq ans se passaient, et M. de Vogué nous faisait admirer dans Léon XIII «ce Pape, dont le geste large et audacieux, écartant trois siècles de diplomatie de cabinet, va ressaisir aux origines la tradition des grands pontifes, rassembleurs de foules, émancipateurs de peuples, législateurs sociaux» (Spectacles contemporains. - Heures d'histoire).
XV. L'Encyclique parut. Elle étonna d'abord. Elle conquit bientôt l'admiration de tous ceux qui n'étaient pas retenus par les préjugés libéraux ou par les intérêts de classes.
Comme nous l'avons déjà dit, elle exposait le dogme social sur le régime de la propriété, du travail et du crédit. Elle indiquait deux moyens principaux de réorganisation sociale: l'association professionnelle et l'action législative.
Ce sont les bases mêmes du programme démocratique chrétien.
XVI. Premier moyen pour faire régner la justice sociale: l'association.
Si l'ouvrier est victime d'injustices, la cause en est celle-ci: dans la lutte contre le patron, justifiée par l'égalité de droits entre l'un et l'autre, l'ouvrier est condamné à l'échec par une terrible inégalité d'armement. Tant qu'il reste isolé, il est sans force, soit pour revendiquer ses droits, soit pour organiser l'assistance mutuelle.
L'Encyclique marque donc la nécessité des associations professionnelles. Elle laisse chaque pays juge de la forme d'association qui doit être préférée.
Elle n'exclut pas les groupes distincts d'ouvriers. «C'est avec plaisir, écrit le Pape, que nous voyons partout se former des sociétés de ce genre, soit composées des seuls ouvriers, soit mixtes, réunissant à la fois des ouvriers et des patrons».
Le Souverain Pontife souhaite que les associations professionnelles résolvent les questions relatives au salaire, à la durée de la journée de travail, à l'hygiène des ateliers.
Il n'entend donc pas qu'elles soient de simples confréries de dévotion où des institutions charitables; il veut qu'elles exercent avant tout une fonction économique et sociale.
On le voit, Léon XIII a trouvé une part de vérité dans les tendances des sociologues autrichiens et français aussi bien que dans celles des Suisses. Il ne pense pas que toute la réforme sociale doive être demandée à l'action législative.
XVII. Ces corporations, dit Léon XIII, devront être adaptées aux conditions actuelles de la société. Seront-elles ou non obligatoires?
Si elles ne le sont pas, quels résultats auront leurs règlements économiques`? Les statuts du métier deviendront lettre morte, si, en dehors de la corporation et contre elle, une concurrence impitoyable peut librement s'exercer.
Si les groupementà corporatifs locaux, les syndicats restent libres, il faut que l'inscription au corps de métier par ville et par région soit obligatoire et que les règlements du corps de métier engagent tous ses membres.
XVIII. La direction de l'Encyclique relativement à ce premier moyen de relèvement ne devait pas rester lettre morte. Elle développa les idées corporatives là où elles existaient déjà, elle les suscita ailleurs.
En Autriche, une loi du 15 mars 1883 avait déjà rétabli le régime corporatif dans la petite industrie. Après l'Encyclique, le prince de Liechtenstein, le baron de Vogelsang et leurs amis ont souvent exprimé le vœu que l'organisation corporative soit complétée et que la représentation des intérêts de l'agriculture, de l'industrie et des métiers devienne une réalité aussi prochaine qu'efficace, afin de pouvoir opposer une barrière à la tyrannie du capitalisme.
XIX. En Allemagne, dès 1882, une loi autorisait les corporations et permettait qu'elles fussent rendues obligatoires, si la majorité des intéressés 1e demandait.
Les catholiques demandent plus. «Un jour viendra, dit l'abbé Hitze dans une brochure, où l'on parlera de la corporation libre comme on parle du Contrat social de Rousseau, en s'en moquant».
Windthorst10) craignait cependant les corporations obligatoires, à cause de l'influence dominante qu'y pourrait prendre la majorité protestante.
Le Centre aujourd'hui partage plutôt sur ce point les idées de l'abbé Hitze. Il regarde la réorganisation des corps de métiers obligatoires comme le seul moyen de préserver la classe moyenne et d'enrayer les progrès corrélatifs du capitalisme et du paupérisme.
XX. La situation en France était bien différente de celle de l'Autriche. Les corporations étaient supprimées chez nous depuis 1791; en Autriche, depuis 1848 seulement. Les rétablir chez nous, paraissait être de l'archaïsme ou de la réaction. Aussi a-t-on beaucoup hésité.
Les ouvriers ont certainement montré la meilleure volonté. Fatigués de leur isolement, ils ont fondé bon nombre de syndicats. Ils ne demandaient pas mieux que de voir les patrons en fonder à côté d'eux et ils proposaient de favoriser l'entente par des conseils mixtes. Les meilleurs esprits voyaient là le seul moyen de restaurer la vie corporative en France. «On peut tirer des syndicats séparés, disait M. de Mun, des Chambres syndicales mixtes, qui rapprochent les deux éléments» (Discours, tome V).
Mais les patrons libéraux réprouvent toute association ouvrière. «Le travail, disait en leur nom M. Emile Ollivier,11) n'a pas de droits distincts de ceux du capital» (Solutions politiques et sociales, p. 45).
Beaucoup de patrons chrétiens même redoutent les associations ouvrières. «Jaloux de leurs propres droits, dit M. de Mun, ils n'ont pas voulu reconnaître ceux des ouvriers et leur permettre de s'associer pour traiter avec eux dans des conditions d'égalité» (Association catholique 1893, tome II).
Ces divisions retardent l'application de l'Encyclique en France.
Néanmoins les syndicats se multiplient à l'infini et l'esprit d'association rentre dans nos mœurs. Les groupes démocratiques chrétiens répondent pleinement aux vœux du Pape, quand ils demandent l'organisation des professions et la réglementation des intérêts communs des ouvriers et des patrons par des commissions mixtes dans chaque profession. Ce sont les vœux qu'ils ont formulés dans leurs congrès à Reims en 1896 et à Lyon en 1897.
XXI. En Belgique, comme en France, les conservateurs attardés sont absolument troublés à la vue du mouvement syndical, favorisé par les démocrates chrétiens. «Vous armez les ouvriers pour la lutte «, objectent les conservateurs. Ils oublient que le capitaliste et le travailleur ont des intérêts différents. De là une occasion de conflits. Le moyen de préparer la paix, n'est-ce pas précisément la constitution de syndicats distincts avec un Conseil mixte?
Dans leurs congrès successifs, les démocrates chrétiens de Belgique ont fait faire un grand pas à l'organisation professionnelle, en établissant des fédérations nationales de métiers pour les principales professions.
XXII. En Suisse, l'organisation professionnelle est plus proche encore de son avènement. Ce résultat n'est pas l'œuvre exclusive des catholiques, mais le Dr Decurtins en a été l'un des principaux facteurs.
Toutes les associations des travailleurs suisses sont fédérées entre elles. Elles tiennent des congrès tous les trois ans. Les sept huitièmes du corps ouvrier suisse y sont représentés. C'est un vrai parlement du quatrième Etat.
Ces congrès se sont tenus à Olten, à Bienne, à Zurich. Celui de Bienne a acclamé l'Encyclique. Ces congrès ont décidé la formation de syndicats distincts dans chaque profession. Ces groupes s'entendent pour régler la journée normale, l'apprentissage et le salaire. Les syndicats d'un même canton se fédèrent entre eux, et la commission qui est l'organe de cette union tranche les conflits entre. les syndicats patronaux et les syndicats ouvriers. Une fédération nationale a aussi été instituée pour chaque métier, afin d'en discuter et d'en régler les intérêts.
XXIII. Deuxième moyen pour faire régner la justice sociale: l'action de l'Etat.
Léon XIII souhaite que l'ordre et la prospérité résultent spontanément de l'organisation sociale et professionnelle.
Lorsque ce souhait ne peut être immédiatement exaucé, il invoque alors en faveur des faibles et sans délai la providence spéciale de l'Etat.
Il donne l'énumération des abus dont la simple menace impose aux pouvoirs publics le devoir d'intervenir.
Il y a des injustices sociales qui s'exercent au détriment des riches, comme la violation de la propriété privée. Il y en a beaucoup plus qui s'exercent au détriment des pauvres' et des travailleurs, par exemple: le relàchement des liens de la famille par le travail des femmes à l'atelier; Le travail du dimanche;
La promiscuité des sexes dans les usines;
La violation de la dignité du travailleur par une direction dure et sans entrailles;
L'attentat à la santé de l'ouvrier par un travail excessif;
L'attentat à la santé de la femme et de l'enfant par des travaux qui devra fient être réservés aux hommes;
L'oppression de l'ouvrier qui, poussé par la faim, accepte un contrat sans valeur, un salaire insuffisant;
L'usure nouvelle sous ses formes diverses, spéculation, agiotage, accaparement, etc.
Quand les corporations suffisent à résoudre ces problèmes, l'Etat doit s'abstenir, mais à leur défaut et pour les causes majeures il doit intervenir.
Il doit toujours maintenir les grandes lois morales qui sont à la base de l'économie sociale chrétienne, tout en laissant aux corporations le règlement des détails.
XXIV. Les objections n'ont pas manqué contre l'action de l'Etat.
MM. Périn et Claudio Jannet12) se sont chargés de formuler les craintes des économistes libéraux. L'action de l'Etat, disent-ils, pourra être celle d'un parti ou d'une école. - L'intervention ' de l'Etat ira croissant et nous conduira au socialisme. Mais, par crainte des écueils, ne doit-on pas naviguer? et pour ne rien risquer, faut-il ne pas essayer de rien améliorer?
L'opposition, d'ailleurs, n'a pas eu de durée. Déjà en 1888, Decurtins disait au parlement suisse: «Le nombre de ceux qui dénient toute compétence à l'Etat pour venir au secours de l'ouvrier est de plus en plus restreint.
En 1891, le comte de Mun disait: «Il n'y a plus de non-interventionnistes parmi les catholiques» (Discours, tome IV).
Lacordaire13) avait répondu d'avance à l'objection : «Dans le domaine du travail, disait-il, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit».
XXV. L'intervention pontificale a eu sa réperoussion dans toutes nos sociétés européennes. Les catholiques rivalisent de zèle avec d'autres groupes pour provoquer des réformes législatives.
Tous les parlements ont déjà voté quelques lois sociales et tous en ont une longue série à leur ordre du jour.
Citons par exemple les projets de loi inscrits au rôle du Parlement en France au 1°r janvier 1898. Loi sur le Contrat de travail;
le Placement des ouvriers;
le Chômage légal;
le Minimum de salaire;
la Participation aux bénéfices;
les Biens de famille;
la Petite,propriété;
le Crédit agricole;
les Conseils de conciliation;
les Chambres de travail;
les Associations en général;
les Syndicats et le droit de posséder;
les Coopératives;
les Sociétés par actions;
l'Hygiène des ateliers;
la Durée du travail;
l'Inspection du travail;
la Responsabilité des accidents;
les Assurances contre les accidents;
contre le chômage;
pour la vieillesse;
les Caisses de secours et de retraite;
le Travail des mines;
le Travail des enfants et des femmes;
l'Assistance médicale;
l'Assistance par le travail;
la Création d'un ministère du travail; la Rédaction d'un code du travail.
- Quel beau programme pour un parlement qui voudrait travailler sérieusement, au lieu de faire de la politique byzantine ou de la persécution religieuse!
XXVI. Un vaste ensemble de lois sociales, avec des corporations bien organisées, ce sont les grandes lignes du programme démocratique.
Il s'inspire absolument de l'Encyclique Rerum novarum. Il demande l'application pratique des deux grands moyens indiqués par le Pape pour le relèvement du prolétariat: les unions professionnelles et l'action de la loi, pour faire régner dans la vie publique les vrais principes du dogme social sur la propriété, le travail et le crédit.
Avec ce fond commun, les programmes démocratiques varieront évidemment dans les détails. Chaque revue, chaque congrès, et parfois chaque écrivain sociologue présentera une formule nouvelle. La substance restera la même.
Il échappera à quelques-uns de formuler quelques revendications exagérées,. de demander à l'Etat une intervention absorbante.
La démocratie chrétienne n'est pas responsable des erreurs de quelques-uns de ses adeptes.
Il y a place d'ailleurs pour des variantes nombreuses dans un programme si complexe. Les uns voudront procéder plus lentement, les autres avec plus de précipitation. - Les uns voudront attendre que les corporations soient relevées pour leur confier une bonne part des réformes; d'autres se hâteront de demander les réformes à la loi. - Laissons à tous une grande liberté dans les questions où la justice n'est pas en jeu et gardons en tout une grande charité.
Citons seulement quelques-unes des formules qui ont eu le plus de retentissement, afin qu'on puisse bien constater que le programme démocratique est au fond toujours le même et qu'il concorde dans ses grandes lignes avec l'Encyclique pontificale.
XXVII. Quel retentissement n'a pas eu le programme formulé à Saint-Etienne par M. de Mun! Il faisait peur à quelques-uns par sa hardiesse, mais, comme nous l'avons vu, le Saint-Père l'a fait sien, au moins dans son ensemble, par une approbation exceptionnelle.
C'était quelques mois après l'Encyclique, en mai 1892.
«Deux forces, disait M. de Mun, doivent concourir à la réalisation du programme catholique l'organisation professionnelle et la législation».
A) Pour ce qui est de l'intervention de l'Etat, il disait: «La législation protégera le foyer et la vie de famille par la restriction apportée au travail des femmes et des enfants, par l'interdiction du travail de nuit, la limitation de la journée de travail, l'obligation du repos dominical; dans les campagnes, en rendant insaisissables la moisson et le champ du cultivateur, les instruments et le bétail de première nécessité. - Elle favorisera la participation aux bénéfices, la constitution des sociétés coopératives de production; dans les campagnes, l'association du métayage. - Enfin, elle protégera la fortune nationale, l'épargne populaire et la morale publique par des lois sur l'agiotage, sur le jeu et les opérations de bourse, sur le fonctionnement des sociétés par actions».
B) Pour les associations professionnelles, il disait «L'organisation. pour laquelle nous demandons la liberté la plus large, donnera le moyen d'assurer la représentation publique du travail dans les corps élus de la nation, de déterminer dans chaque profession industrielle ou agricole le taux du juste. salaire, de garantir des indemnités aux victimes d'accidents, de maladies ou de' chômages, de créer une caisse de retraite pour la vieillesse, de prévenir les conflits par l'établissement des conseils permanents d'arbitrage, enfin de constituer entre les mains des travailleurs une certaine propriété collective…».
On le voit, pour les corporations, M. de Mun ne demandait alors que la liberté; nous pouvons supposer qu'aujourd'hui, avec la plupart des sociologues catholiques, il demanderait l'organisation obligatoire des corps de métiers.
Il demandait aussi aux corporations des règlements et des institutions qu'il faut bien aujourd'hui demander au moins provisoirement à la loi, dans l'état de société désorganisée où nous vivons.
C'est bien là, dans son ensemble, le programme économique de la démocratie chrétienne.
XXVIII. Nous avons vu que les résolutions du congrès des catholiques à Rome, en février 1892, ont été présentées au Pape à la fois comme l'application de l'Encyclique et comme le programme de la démocratie chrétienne.
Ce programme commence par établir le principe général de la réforme sociale. Elle est une oeuvre de justice d'abord, de charité ensuite.
Comme moyens, le congrès propose, avec l'Encyclique
A) L'intervention de l'Etat, qui serait limitée à des mesures de prévoyance générale dans une société chrétiennement organisée, mais qui doit agir avec une intensité exceptionnelle dans nos sociétés désorganisées;
B) Les unions professionnelles, où les classes inférieures peuvent avoir des groupements spéciaux pour la revendication de leurs droits particuliers.
Comme but à obtenir: le règne des grands principes du dogme social chrétien
1° Pour la propriété foncière: rétablir la conscience du devoir moral par lequel le propriétaire, après avoir satisfait à ses besoins, doit consacrer ses revenus à l'avantage commun, notamment à celui des pauvres et des déshérités;
Reconstituer les corps moraux juridiques et leurs propriétés communes;
Faire participer les travailleurs au développement de la production par le métayage, l'emphytéose, etc.
2° Pour la propriété industrielle, transformer le capitaliste en un associé d'industrie; favoriser la participation des travailleurs aux bénéfices et ultérieurement au capital;
3° Pour le crédit, réprimer l'usure; soumettre les opérations de bourse à une législation sévère; faire des opérations d'émission une fonction sociale.
Au fond, c'est le programme de Saint-Etienne, mais avec moins de détails et de précision.
XXIX. Les programmes démocratiques des congrès de Reims (1896) et Lyon (1897) n'ont rien demandé d'autre.
Comme le programme de Rome, comme celui de Saint-Etienne, ils réclament l'intervention de l'Etat et l'organisation professionnelle.
A) Pour l'action législative Réformes à obtenir de la loi
Repos dominical et arrêt du travail pendant les dernières heures du samedi;
Journée maxima de travail effectif à fixer provisoirement par la loi à 10 heures, en attendant que les Chambres de travail soient constituées;
Suppression du travail de nuit, sauf exceptions approuvées par les conseils professionnels; Suppression du travail des femmes et limitation du travail des jeunes filles dans les usines de la grande industrie;
Inscription au cahier des charges des travaux publics d'un minimum de salaire et de l'assurance contre les accidents;
Caisses de retraite et d'assurance contre les accidents et le chômage, fondées de préférence par les conseils professionnels.
B) Pour les unions professionnelles
Personnalité civile complète des syndicats professionnels et extension pour eux du droit de posséder.
Réglementation des intérêts communs des ouvriers et des patrons de chaque profession par des commissions mixtes composées de délégués des patrons et des ouvriers respectivement organisés;
Constitution de Chambres régionales du travail, de l'industrie, de l'agriculture;
la_20renovation_20sociale_20chretienne_20septieme_20confefence_pic35Représentation nationale des intérêts professionnels par une Chambre représentative de tous les corps d'état.
C'est toujours au fond le même programme économique.
XXX. Le programme formulé par le congrès ouvrier de Zurich en 1897 est absolument le même quant à la substance. Ce congrès n'était cependant pas. uniquement catholique.
Il demande
A) Pour l'intervention de l'Etat
Une législation protectrice des ouvriers en ce qui concerne la durée du travail, le travail des femmes, le minimum de salaire, l'hygiène des ateliers, etc.;
La réforme des impôts, la répression de l'agiotage;
La reconstitution de la propriété sociale. B) Pour les unions professionnelles
La réprobation du système individualiste et de l'économie libérale;
La réorganisation de la société par des associations économiques libres - et la translation progressive des droits du citoyen isolé au citoyen associé;
La représentation organique des classes dans le régime constitutionnel avec des pouvoirs proportionnés à leur importance sociale.
Ce sont les données de l'Encyclique.
XXXI. La presse démocratique a aussi ses programmes, comme les congrès.
La revue française «La Démocratie chrétienne»14) a le sien, qu'elle rappelle en tète de ses numéros. Il concorde au fond avec les précédents.
Il demande :
A) Pour l'action de l'Etat
Législation du travail: garantie légale du minimum de salaire à commencer par les adjudications publiques. - Repos du dimanche. - Maximum d'heures de travail. - Suppression du travail de nuit. - Suppression du travail des mères de famille dans les ateliers industriels et limitation du travail des jeunes filles. - Assurance obligatoire. - Législation internationale du travail.
Réforme des impôts: Suppression de l'impôt foncier, - des octrois, - des droits de transmission sur les petits héritages en ligne directe. - Etablissement d'un impôt progressif sur le revenu.
Relèvement de la petite propriété et de la propriété syndicale et communale, par le Homestead, la petite propriété insaisissable, - par la liberté de tester; - la reconstitution des biens syndicaux et communaux.
Législation commerciale: réglementation des sociétés anonymes, des opérations de bourse, - répression de l'agiotage, - développement des sociétés coopératives et de la participation aux bénéfices.
B) Pour l'organisation professionnelle
Syndicats professionnels dans toutes les branches du travail: grande industrie, métiers, agriculture, etc.
Personnalité civile complète et droit de posséder. Fédération locale et générale.
Objectif des syndicats: fixation du contrat de travail. Réglementation du travail, concernant sa durée, le taux des salaires, l'apprentissage, la production. - Institutions économiques et professionnelles: retraites, assurances, crédit, arbitrage.
Représentation professionnelle: Chambres d'agriculture, de commerce, de travail, des professions libérales.
XXXII. M. Naudet15) est connu comme un propagandiste d'avant-garde. Son programme, au fond, ne diffère pas des précédents. Il l'a formulé dans son journal «La Justice sociale».
Ses revendications se rapportent également à la législation et à l'organisation professionnelle.
A) Pour la législalion
«Au point de vue économique, dit-il, les démocrates chrétiens voudraient une législation ouvrière protectrice de la femme et de l'enfant contre les oppressions industrielles; protectrice des petits métiers et du petit commerce contre tous les monopoles; établissant la durée maxima de la journée ouvrière, défendant le travail de nuit et la violation du dimanche, imposant dans les adjudications publiques le minimum de salaire, le repos dominical, l'assurance obligatoire, la durée maxima du travail, et supprimant le marchandage; une loi sur les accidents, sur les conseils de conciliation et d'arbitrage, sur la retraite obligatoire pour tous.
«Ils réclament en outre la réglementation de la concurrence, des mesures restrictives concernant les opérations de bourse, la poursuite de l'usure sous toutes ses formes, la participation du travail à la prospérité de l'industrie, la coopération ouvrière de crédit, de consommation et de production; enfin un nouvel établissement de l'impôt sur des bases destinées à le rendre sagement et équitablement progressif.
«Au point de vue social, le programme inscrit d'abord la liberté religieuse, une société ne pouvant vivre sans foi; l'accession rendue possible à chacun vers la propriété privée ou collective, afin d'assurer par l'indépendance économique la liberté civile et politique de chaque citoyen, revendications fort éloignées d'ailleurs des revendications socialistes qui, poussant le principe à l'excès, veulent établir un niveau économique dont le moindre inconvénient serait de ramener l'esclavage le plus oppresseur; enfin la diffusion dans la plus large mesure des biens de l'esprit et du corps, pour aider à l'élévation générale et intégrale des masses laborieuses par un plus complet développement».
B) Pour les Unions professionnelles, il réclame «dans l'ordre économique: le régime corporatif ou organisation des professions en corps autonomes avec droit de propriété, de juridiction professionnelle sur leurs membres, de représentation dans l'un des grands corps élus du pays; des chambres de travail, d'agriculture et d'industrie pour veiller au développement et à la protection de ces forces vives du pays et, au moins, en attendant, la création obligatoire de syndicats parallèles avec chambres syndicales communes composées de patrons et d'ouvriers, pour l'établissement normal des termes du contrat de travail; dans l'ordre social, la liberté complète de toutes les associations qui ne poursuivent pas un but contraire au bon ordre, et la constitution du bien de famille pour arrêter en leur chute tant de malheureux qui glissent sur les pentes du prolétariat et qui, déchus fatalement de leur dignité d'hommes, deviennent un danger parfois redoutable pour la société. «
Il n'y a guère de spécial et de hardi dans ce programme et dans celui de Lille que le projet, exprimé d'ailleurs avec une grande réserve, de l'impôt progressif.
XXXIII. Nous n'avons cité jusqu'à présent que les programmes économiques. Plusieurs groupes démocratiques y ajoutent un programme politique, qui est toujours d'ailleurs à peu près le même.
Citons celui de M. Naudet, il étonnera par sa modération ceux qui ne l'ont pas encore lu.
«Au point de vue politique, les démocrates chrétiens réclament une organisation normale du suffrage universel, le mode actuellement en vigueur étant essentiellement anarchique et incapable de donner de bons résultats; la représentation professionnelle, afin que les élus du peuple représentent des intérêts et non pas une coterie politicienne quelconque dont l'habileté ou l'audace parvient à capter la confiance des collèges électoraux; la représentation des minorités, afin que le pays ne soit pas fatalement divisé en deux camps, le camp des vainqueurs et le camp des vaincus; la décentralisation administrative, ce qui ne veut pas dire le simple déplacement du siège des administrations, sans rien céder des droits prétendus de l'Etat».
M. Naudet ajoutait :
«Le programme des démocrates chrétiens a cet avantage qu'il peut être accepté de tous ceux qui, sous des formes gouvernementales diverses, veulent l'ascension populaire vers le christianisme. Sans doute, il nous parait devoir s'accommoder plus facilement avec la forme républicaine, mais, comme on peut aisément le constater, il ne renferme rien d'essentiellement incompatible avec la monarchie héréditaire et l'aristocratie, pourvu que ces deux régimes prennent leurs racines dans des services actuels rendus aux peuples».
Si l'avant-garde de la démocratie chrétienne a cette sagesse, que sera-ce de ses gros bataillons!
XXXIV. Qui ne voit combien grande serait la. force des catholiques, s'ils allaient au peuple avec union et ensemble, armés de ce programme pontifical, qui est un programme vraiment populaire et démocratique?
Le peuple aurait bien vite compris que ce sont là ses vrais amis et il rejetterait avec mépris l'illusion socialiste.
Les socialistes ont bien vu le danger quand les groupes démocratiques chrétiens ont commencé à s'organiser.
Le journal socialiste «La Petite République» a écrit
«Ceux que nous devons par-dessus tout redouter, ceux sur qui il nous faut veiller sans répit et qu'il nous faut combattre sans merci, ce sont les démocrates chrétiens: ils possèdent une méthode savamment combinée, ils suivent des chefs pleins de ressource, ils obéissent à des voix dont l'éloquence exerce sur les masses ouvrières un charme pernicieux. Avant qu'il soit longtemps, les soi-disant démocrates chrétiens auront pris contre nous la première place dans la bataille sociale».
Malheureusement les réfractaires se sont chargés de mener la bataille pour le plus grand profit du socialisme. Ils ont harcelé les démocrates chrétiens, ils les ont attaqués tantôt en face et tantôt sourdement, toujours avec ténacité et persévérance, avec plus d'acrimonie que de loyauté et en détournant de leur sens toutes les directions pontificales.
Ils ont gravement compromis les effets de l'Encyclique, mais ils s'useront, comme toutes les barrières que l'Eglise a rencontrées sur son chemin, et l'Eglise et le peuple, l'Eglise et la démocratie pourront enfin se rencontrer et s'embrasser, et ce sera, comme disait Pie IX, le commencement d'une ère de triomphe pour le Christ.
XXXV. Notre optimisme peut se heurter à une objection: Ce peuple, qui prend conscience de son droit et de sa force, comment, me dira-t-on, se tiendra-t-il dans la juste mesure
Je répondrai que le peuple écoute volontiers le prêtre et les catholiques instruits quand ceux-ci montrent un véritable dévouement aux intérêts populaires. Nos congrès démocratiques ouvriers ont montré en France une sagesse qui a surpris beaucoup de monde.
Ecoutez le préambule de leur programme de Reims: «Nous sommes, disaient-ils, les disciples de Celui qui a proclamé le premier sur la terre la fraternité; la justice et l'amour. Nous avons ajouté le mot «chrétien D au titre «Congrès ouvrier», pour bien montrer que nous appartenons au Christ, libérateur de l'humanité. Nous considérons le grand pontife Léon XIII comme notre père et notre meilleur ami, et nous avons adopté son Encyclique comme la charte de nos libertés et le principe de notre relèvement social».
Ces ouvriers devaient cette sagesse à leurs Cercles d'études où quelques prêtres, encore trop peu nombreux, vont les aider de leurs conseils.
XXXVI. Beaucoup de prêtres ici goûtent et partagent ces doctrines, mais combien encore, en beaucoup de pays, y sont indifférents et hostiles 1
Un heureux courant, cependant, produit ou encouragé par l'Encyclique, porte les ecclésiastiques aux études sociales.
L'Allemagne nous a donné l'exemple.
Dès 1859, les évêques allemands, réunis à Fulda, prenaient la décision suivante: «Dans l'instruction que l'on donne au clergé, en philosophie et dans la science pastorale, il ne faut pas négliger plus longtemps la question ouvrière. 11 serait désirable même que certains ecclésiastiques s'adonnassent spécialement à l'étude de l'économie politique».
Au Congrès de Liège, en 1890; Mgr Doutreloux et l'abbé Hitze rappelaient cette même nécessité aux ecclésiastiques présents: «Si vous voulez vous mettre à la hauteur de votre mission, disaient-ils, il vous faut étudier les problèmes sociaux du siècle présent. 11 faut que le clergé étudie les applications de la justice et de la.charité du Christ à l'économie sociale».
Les universités et les séminaires d'Allemagne et de Belgique ont des cours d'économie sociale.
Mais n'y a-t-il pas encore bien des maisons de formation ecclésiastique qui rappellent ce que disait Mgr Ireland:16) «Il me souvient d'un bon directeur de séminaire qui me disait dans ma jeunesse: Que le prêtre soit seulement à l'autel, au confessionnal, au lit du mourant; arrêtez-vous là.
Si je l'avais écouté, je n'aurais pas été bien loin».
XXXVII. Au résumé, la démocratie chrétienne est notre espoir.
Quelques-uns ont pensé qu'il fallait accepter la démocratie comme un fait inéluctable et la christianiser.
Montalembert disait: «J'accepte, sans réserve et sans regret, l'état social qui est le produit de la révolution et qui, sous le nom de démocratie, règne et régnera de plus en plus dans le monde moderne» (Les moines d'Occident: introduction).
Nous pensons qu'il faut aller plus loin. La démocratie n'est pas seulement un fait issu de la révolution et désormais invariable; elle est de plus, dans une large mesure, une conséquence de l'Evangile.
La vie sociale chrétienne est toujours démocratique dans son but. Bossuet n'est pas suspect de partialité pour le peuple, ni de haine des grands; il a dit: «Dans le peuple, ceux à qui le Prince doit le plus pourvoir, sont les faibles» (Politique tirée de l'Ecriture Sainte).
La vie sociale chrétienne tend aussi à la démocratie dans son organisation et dans ses organes. C'est facile à prouver: puisque la vie sociale chrétienne exerce une sollicitude spéciale pour les petits, elle les élèvera peu à peu. D'esclaves, ils deviendront serfs; de serfs, hommes libres et citoyens, membres des communes. Et plus tard, tout naturellement, ils prendront part à l'administration de l'Etat.
XXXVIII. Cette démocratie chrétienne a son programme bien défini, toujours le même quant au fond, avec quelques variantes de détail, et dans l'ensemble il ressort directement de l'Encyclique de Léon XIII.
C'est avec ce programme qu'il faut aller au peuple pour le gagner au Christ. Acceptons le programme dans ses grandes lignes. Ajournons les quelques points douteux, pour ne pas nous diviser. Le temps et l'étude feront la lumière.
XXXIX. Concluons avec quelques grands évêques. «Au XXII siècle, a dit le Cardinal Manning, la force de l'Église catholique sera tout entière dans le peuple: l'Église ne vivra qu'en attirant le peuple à elle, elle ne peut l'attirer à elle qu'en allant à lui (Le XXII siècle, 1890).
«Jusqu'ici, dit-il encore, le monde a été gouverne par des dynasties; désormais le Saint-Siège doit traiter avec le peuple et avec des évêques en rapports étroits, quotidiens et personnels avec le peuple». (Les Chevaliers du travail, 1887).
«Perdre l'influence sur le peuple, déclarait à la même époque le Cardinal Gibbons, ce serait perdre l'avenir tout entier» (Les Chevaliers du travail).
«Pour moi, disait Mgr Kean en 1888, j'avoue franchement que lorsque je parcours l'histoire et considère la manière dont César a traité la religion et l'Église dans le passé, j'accueille avec confiance l'avenir où nous n'aurons plus à traiter avec lui, mais avec le peuple qui, presque toujours, lorsqu'il est dans son bon sens, reconnaît que l'Église est sa meilleure amie et que ses intérêts et ceux de l'Église sont les mêmes» (La mission providentielle de Léon XIII).
XL. Mais il faut terminer par une parole de Léon XIII. Dans sa belle Encyclique Praeclarae gratitudinis, du 20 juin 1894, il s'écriait prophétiquement :
«Nous voyons là-bas, dans le lointain de l'avenir, se dérouler un nouvel ordre de choses et nous ne connaissons rien de plus doux que la contemplation des immenses bienfaits qui en seraient le résultat naturel. L'esprit peut à peine concevoir le souffle puissant qui saisirait soudain toutes les nations et les emporterait vers les sommets de toute grandeur et de toute prospérité, alors que la paix et la tranquillité seraient bien assises, que les lettres seraient favorisées, que parmi les agriculteurs, les ouvriers, les industriels, il se fonderait, sur les bases chrétiennes que nous avons indiquées, de nouvelles associations capables de réprimer l'usure et d'élargir le champ des travaux utiles!»
C'est cet avenir que nous espérons et saluons, et le programme démocratique aura la plus grande part dans sa réalisation.