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Méthode pratique

POUR RECITER LA COURONNE
DU SACRÉ-CŒUR

=====Acte préparatoire à la récitation de la triple Couronne

Ave, Cor Jesu, amantissimum et ama­bilissimum;1)
Te amamus, benedicimus et glorifica­mus;
Te laudamus cum igneis Seraphim;
Te exaltamus cum sublimibus Thronis;
Tibi gratias agimus cum omnibus An­gelis et Sanctis tuis;
Te diligimus cum Corde Mariae aman­tissimo et cum Joseph amabili sponso Ma­riae et patre tuo adoptivo;

Tibi cor nostrum offerimus, donamus, consecramus, immolamus;
Illud totum accipe, accende et infiamma;
Una oblatione consummasti in sempi­ternum sanctifcatos;

Sanguine tuo pretioso nos peramanter redemisti;
Te, Cor Jesu, expectabo et misericor­diam tuam praestolabor;
In Te, Cor Jesu, speravi, non confun­dar in aeternum.
Salut, Cœur très aimant et très aima­ble de Jésus;
Nous vous aimons, nous vous bénis­sons et nous vous glorifions;
Nous vous louons avec les Séraphins brûlants d'amour;
Nous vous exaltons avec le chœur su­blime des Trônes;
Nous vous rendons grâces avec tous vos Anges et tous vos Saints;
Nous vous aimons avec le Cœur très ai­mant de Marie et avec saint Joseph, l'aima­ble époux de Marie et votre père adoptif;
Nous vous offrons, donnons, consa­crons et immolons notre cœur; Prenez-le tout entier et embrasez-le;

Vous avez consommé par une seule oblation, ceux que vous avez sanctifiés pour l'éternité;
Par un excès d'amour, vous nous avez rachetés par votre sang précieux;
O Cœur de Jésus, je vous attendrai et je soupirerai après votre miséricorde;
J'ai espéré en vous, Cœur de Jésus, je ne serai pas confondu pour l'éternité.
* Ad crucem* Sur la croix
Veni, Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende.Venez, Esprit-Saint, remplissez les cœurs de vos fidèles et embrasez-les du feu de votre amour.
* Ad tres primas tesseras* Sur les trois premiers grains
V). Amatum sit ubiqueV). Aimé soit partout
R). Sacratissimum Cor Jesu (100 d. ind.).R). Le Sacré-Cœur de Jésus (100 j. d' ind. ).

Première Couronne

«Cœur sacré de Jésus, victime d'amour, je vous adore et je vous aime dans les my­stères de votre Incarnation».

Ier Mystère. - Oblation du Sacré-Cœur de Jésus dans le sein virginal de Marie.

Fruit du mystère: Offrir son cœur à Dieu dès le réveil, par le Sacré-Cœur de Jésus. (Invoca­tions comme ci-dessous à chaque dizaine).

IIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans son enfance.

Fruit du mystère: La simplicité de cœur et l'obéissance à la sainte Eglise.

IIIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans sa vie cachée à Nazareth.

Fruit du mystère: L'amour de sa condition et la fuite du monde.

IVe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans sa vie apostolique.

Fruit du mystère: Union au Sacré-Cœur de Jésus dans son apostolat.

Ve Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dévoué aux malades et aux pécheurs.

Fruit du mystère: Amour de compassion aux malades, de dévouement aux pécheurs.

* Ad tesseras majores* Sur les gros grains
V). Jesu, mitis et humilis Corde,V). Jésus, doux et humble de Cœur,
R). Fac cor meum sicut Cor tuum (300 d. ind.).R). Rendez mon cœur semblable au vôtre (300 j. d'ind.).
* Ad tesseras minimas* Sur les petits grains
V). Dulce Cor Jesu,V). Doux Cœur de Marie,
R). Fac ut te magis ac magis diligam (300 d. ind.).R). Faites que je vous aime de plus en plus (300 j. d'ind.).
* Post quamlibet seriem
decem invocationum
* Après chaque dizaine
V). Dulce Cor Mariae,V). Doux Cœur de Marie,
R). Sis salus mea (300 d. ind.).R). Soyez mon salut (300 j. d'ind.).

Deuxième Couronne

Cœur sacré de Jésus, brisé de douleur à cause de nos péchés, immolez mon cœur à votre amour souffrant.

Ier Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans son agonie.

Fruit du mystère: Horreur et fuite du péché. (Invocations comme à la première Couron­ne).

IIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans ses Humiliations.

Fruit du mystère: Douceur et patience dans les humiliations: pardon généreux.

IIIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans ses souffrances extérieures.

Fruit du mystère: Sanctification des souffrances par la résignation.

IVe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus abandonné du ciel et de la terre.

Fruit du mystère: Abandon total au bon plaisir de Dieu.

Ve Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus percé par la lance.

Fruit du mystère: Retraite de l'âme dans le Sacré-Cœur de Jésus.

Troisième Couronne

Cœur sacré de Jésus, Cœur aimable et toujours aimant, vivant d'amour pour nous dans la sainte Eucharistie, que je ne vive plus que pour vous aimer!

Ier Mystère. - Vie d'amour.

Fruit du mystère: Fidélité à visiter le Sacré-Cœur de Jésus au Saint-Sacrement et à assister au­tant que possible, au saint sacrifice de la Messe. (Invocations comme ci-dessous à chaque di­zaine).

IIe Mystère. - Vie de silence et de prière.

Fruit du mystère: L'âme recueillie dans le Sacré-Cœur de Jésus au milieu du monde.

IIIe Mystère. - Vie de sacrifices.

Fruit du mystère: Se sacrifier pour Dieu et ses frères, à l'exemple du Sacré-Cœur de Jésus.

IVe Mystère. - Vie outragée par les méchants.

Fruit du mystère: Faire chaque jour, au moins le vendredi, amende honorable au Sacré-Cœur de Jésus.

Ve Mystère. - Vie d'action, de grâces.

Fruit du mystère: Offrir sa reconnaissance au Cœur de Jésus par les saints Cœurs de Marie et de Joseph.

* Ad tesseras majores in 3a corona* Sur les gros grains à la 3e couronne
V). Laudatum, adoratum, amatum cum grati animi affectu, sit Eucharisti­cum Cor Jesu,V). Loué, aimé et remercié soit à tout instant le Cœur Eucharistique de Jésus,
R). Singulus omnibus orbis temporis momentis, in tabernaculis, usque ad consummationem saeculi (100 d. ind.).R). Dans tous les tabernacles du monde jusqu'à la consommation des siècles (100 j. d'ind.)
* Ad tesseras minimas* Sur les petits grains
V). Dulce Cor Jesu,V). Doux Cœur de Jésus.
R). Fac ut te magis ac magis diligam (300j. d'ind.)R). Faites que je vous aime de plus en plus (300 j. ind.).
* Post quamlibet seriem deceme invocationum* Après chaque dizaine
V). Dulce cor Mariae.V). Doux Cœur de Marie.
R). Sis salus mea (300 d. ind.).R). Soyez mon salut (300 j. d'ind.).
* POST TRIPLICEM CORONAM* APRES LA TRIPLE COURONNE
Accepta sit, Domine Jesus, Sacratissi­mo Cordi tuo pro compensandis tot ac tantis tibi, presertim in sanctissimo amo­ris Sacramento, illatis injuriis, devota cor­dium nostrorum oblatio et fac nos divinis­simi illius Cordis magis persentire dolo­rem, imitari virtutes et promereri favores. Qui vivis et regnas in saecula saeculorum Amen.Seigneur Jésus, daignez agréer l'oblation de nos cœurs, en réparation de tant et de si grandes injures qui sont faites à votre Sacré­Cœur, surtout dans le Sacrement de votre amour, et faites-nous la grâce de ressentir davantage les douleurs de ce divin Cœur, d'imiter ses vertus et de mériter ses faveurs. Vous qui vivez et régnez dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Cette triple Couronne, on le voit, est vraiment une fortune spirituelle pour les vi­vants et pour les morts, par les riches indulgences attachées aux invocations dont elle se compose, indulgences toutes applicables aux âmes du Purgatoire.

Qui n'aimerait une dévotion si aimable et si fructueuse? Aussi les princes de l'Eglise et plusieurs prélats l'ont-ils honorée de leur plus sympathique approbation.

Vu et approuvé par Nous:

 L. M. Card. CAVEROT, archevêque de Lyon.

 J. H. Card. GUIBERT, archevêque de Paris.

 V. A. Card. DECHAMPS, archevêque de Malines.

 Fr. Card. RICHARD, archevêque de Paris.

 JUSTIN, archevêque de Besançon.

 ARMAND, archevêque de Toronto.

 JOSEPH, archevêque de Bourges.

 PIERRE, évêque de Belley.

 MARIE-CAMILLE-ALBERT, évêque de Saint-Dié.

 J. B. JOSEPH, év. d'Arras, de Boulogne et de St-Omer.

 AMAND JOSEPH, évêque de Grenoble.

 LOUIS, évêque de Nîmes, d'Uzès et d'Alais.

 AUGUSTIN, évêque de Portland (Amérique).

Méditation préparatoire

Disposition fondamentale

Une disposition fondamentale dominera toute cette retraite de la Pas­sion, toute cette série de méditations sur la seconde Couronne du Sacré­Cœur, c'est la disposition à la réparation, au repentir confiant et ai­mant, à 1'immolation par amour pour le Cœur immolé de Jésus.

«Videbunt in quem transfixerunt. Ils contempleront celui qu'ils ont tran­spercé» (Zach. XII). Dans toutes les méditations de cette Couronne, nous aurons devant les yeux celui que nos péchés ont cloué à la croix, ce­lui dont nos offenses ont percé le Cœur. Il nous aimait et nous l'avons blessé. Il nous alme encore malgré nos fautes et il souffrirait encore pour nous, s'il le fallait. Quel cœur resterait insensible à tant d'amour?

C'est nous qui avons transpercé Jésus. C'est nous qui sommes les au­teurs de toute sa Passion. C'est nous qui l'avons abreuvé d'amertume au jardin de l'agonie; c'est nous qui l'avons accablé d'opprobres, flagellé, couronné d'épines et crucifié. Caïphe, Pilate et les bourreaux étaient Gomme nos mandataires. La cause déterminante de la Passion, c'étaient nos péchés.

Qu'y a-t-il en effet de commun entre un Dieu et la souffrance? Leur union est anormale. Il a fallu un fait étrange, nouveau, désordonné, pour causer la souffrance du Fils de Dieu fait homme: ce fait, ce sont nos péchés.

Telle doit être la pensée qui domine toutes ces méditations de la secon­de Couronne: le Fils de Dieu souffre, et il souffre à cause de nous. Ah! soyons donc pénitents. Cherchons en quoi nous l'avons offensé, quels ont été les désordres de notre conduite. Comparons notre vie aux devoirs que nous aurions dû remplir, au décalogue, aux vertus évangéliques, à nos devoirs d'état. Pleurons nos fautes, parce qu'elles ont humilié, bles­sé, outragé, crucifié Jésus. Comment le consolerons-nous? En pleurant à ses pieds, Gomme sainte Madeleine, en renonçant à nos passions, en cor­rigeant nos défauts.

====II. Ils pleureront comme sur la mort d’un fils unique. Plangent quasi super unigenitum (Zach. XII. 10)==== Le Sauveur qui a tant souffert pour nous est notre tout: il est notre Dieu, notre père; il est notre frère. Avant de se livrer à la souffrance, il s'est fait aussi notre ami. Comment se fût-il voué à la Passion et à la mort pour nous s'il ne nous avait pas aimés extrêmement? Dilexit me, et tradidit semetipsum pro me: Il m'a aimé et il s'est livré pour moi: (Ad Gal). Il m'a aimé d'abord et beaucoup; sans cela, comment en serait-il venu à se livrer pour moi à toutes les souffrances? Cette considération doit do­miner toutes les méditations sur la Passion. Il m'a aimé: j'étais sa vigne, qu'il cultivait avec amour, qu'il entourait de soins assidus. Il m'a aimé: j'étais son fils et son frère.

Et parce qu'il m'aimait, il a voulu donner sa vie pour me sauver.

O mon bon Maître, pendant toutes ces méditations sur votre Passion, je me tiendrai dans des sentiments d'humble repentir et de tendre recon­naissance envers vous.

III. Notre-Seigneur nous ai me encore malgré nos fautes

Tant que nous sommes dans cette pauvre vie, nous ne sommes pas perdus sans ressources. Notre âme peut se relever, se sauver, se sancti­fier, aussi Notre-Seigneur l'aime toujours. Il la considère, il la sollicite, il emploie les industries de sa grâce pour la sauver, il l'aime.

C'est pour les pécheurs qu'il a offert sa vie. Saint Paul ne cessait d'ad­mirer cette générosité: «A peine, disait-il, trouverait-on un homme qui donnerait sa vie pour des justes, mais l'Homme-Dieu a donné la sienne méme pour des coupables: Vix pro justo quis moritur, commendat autem carita­tem suam Deus in nobis, quoniam cum adhuc peccatores essemus, Christus pro nobis mortuus est» (Ad Rom. V. 8). Saint Paul répète cela aux Corinthiens, aux Ephésiens: «Dieu est si riche en miséricorde, dit-il à ceux-ci, qu'à cause de son grand amour, quoique nous fussions des pécheurs, il nous a ren­du la vie de la grâce par le Christ, pour nous montrer toute l'étendue de sa miséricorde et de sa bonté à notre égard: ut ostenderet abundantes divitias gratiae suae in bonitate super nos in Christo Jesu» (Ad Eph. II).

Jésus nous aime encore comme il nous aimait au Calvaire, méme après nos péchés et nos rechutes. Il donnerait encore sa vie pour nous, si c'était nécessaire. Allons donc à lui avec une confiance sans limites.

Résolution. - Telles seront mes dispositions envers vous, ô mon bon Maître, pendant toutes ces méditations de la Passion: le regret d'avoir blessé votre Cœur, la confiance en votre bonté infinie, et avec votre grâce l'esprit d'immolation par amour. Blessez mon cœur de votre blessure d'amour.

PREMIER MYSTERE

Le Sacré-Cœur de Jésus dans son agonie

PREMIERE MEDITATION

LA PASSION EST LE CHEF-D'ŒUVRE DE L'AMOUR DU CŒUR DE JESUS

La passion est le chef-d'œuvre de l'amour du Sacré-Cœur. C'est d'elle que le prophète Habacuc disait: «Domine, audivi auditionem tuam et timui: (C. 3). Seigneur, j'ai entendu parler de votre œuvre, de votre œuvre par excellence et j'ai été saisi de stupeUr». Saint Augustin donne ce sens moral au texte du prophète. Saint Paul ne cesse d'être dans une extase d'amour en contemplant cet étonnant mystère: «Jésus-Christ nous a montré d'autant plus d'amour, dit-il, qu'il donnait sa vie pour des pécheurs et des impies» (Ad Rom. 5). Et saint Jean, l'apôtre bien-aimé, s'écrie: «Jésus-Christ m'a aimé et il m'a lavé dans son sang» (Apoc. I, 5).

Nous devons donc essayer, nous aussi, de pénétrer les profondeurs de cet abîme de charité et nous exciter à l'amour du Sacré-Cœur en voyant combien il nous a aimés.

Jésus-Christ est réellement, dans les mystères de la Passion, le livre écrit à l'extérieur et à l'intérieur, et quelles sont les lettres que nous voyons tracées dans ce livre? Celles-là seules: Amour. Les fouets, les épi­nes, les clous les ont écrites en caractères de sang sur sa chair divine; mais ne nous contentons pas de lire et d'admirer cette écriture divine à l'extérieur; pénétrons jusqu'au Cœur, et nous verrons une merveille bien plus grande: C'est l'amour inépuisable et inépuisé qui compte pour rien tout ce qu'il souffre et qui se donne sans se lasser.

C'est la grâce des amis du Sacré-Cœur de savoir toujours découvrir l'amour de Notre-Seigneur sous l'écorce de ses mystères. Mais où pouvons-nous le voir davantage que dans la Passion? Si nous ne l'y voyons pas, ou si nous ne le voyons que superficiellement, soyons con­vaincus que nous retirerons peu de profit de ces grands mystères des souffrances de Jésus-Christ et que nous rendrons peu de gloire à Dieu. Afin de retirer tout le fruit possible de cette divine contemplation, éta­blissons d'abord quelques principes, puis nous parlerons des sentiments spéciaux qu'elle doit exciter en nous.

Le premier principe c'est celui-ci: La passion du Sauveur tire tout son mérite et tout son prix devant son Père non pas tant de ses souffrances extérieures et même de sa mort, que de son Cœur, de son amour qui l'a fait se donner ainsi tout à nous.

Le second principe, c'est que Notre-Seigneur a voulu endurer ces souffrances extraordinaires afin de mieux nous montrer son amour et de ne rien épargner pour gagner le nôtre. Cet amour eût pu être aussi grand s'il nous avait rachetés par quelque minime souffrance, mais quel­le action eût-il exercée sur nous? Il nous eût laissés insensibles, et le Sacré-Cœur voulait à toute force gagner nos cœurs.

Le troisième principe, c'est que le Sacré-Cœur s'étant engagé par amour, par son Ecce venio, à tout souffrir pour nous, ses souffrances et sa mort furent autant d'actes d'amour qui opéraient notre Rédemption; et le Cœur de Jésus était la source d'où découlaient tous ses mérites avec ses souffrances. Telle était la volonté divine à la-quelle le Sacré-Cœur s'est soumis librement.

De ces principes découlent pour nous des conclusions pratiques. La première, c'est que nous devons surtout nous efforcer de nous unir au Sacré-Cœur souffrant, par la plus tendre compassion et le plus ardent amour. Si nous ne le faisons pas, notre méditation sera toute superficiel­le et nous ne retirerons que peu de fruits de cet exercice salutaire, parce que nous n'aurons pas compris ce qu'il y a de plus intime dans la Pas­sion.

La seconde, c'est que, le Cœur de Jésus nous ayant montré son amour par tant de souffrances, nous devons être prêts à supporter aussi, pour lui montrer notre amour, les épreuves que la Providence nous en­verra. Si nous aimons beaucoup Jésus nous compterons pour rien les souffrances qu'il faudra endurer pour lui. Il n'y a pas, en définitive, de grandes et de petites croix, il n'y a qu'un petit et un grand amour: ce qui est un fardeau écrasant pour un faible enfant n'est qu'un jeu pour un homme robuste. Du reste, si nous aimons beaucoup, le Sacré-Cœur viendra en nous par sa grâce, et il souffrira en nous, en nous communi­quant sa force et sa joie. Buvons l'amour à longs traits et il nous sera fa­cile de gravir la montagne du Calvaire; buvons l'amour, et les croix de bois ou de fer deviendront comme de la paille. Unissons-nous à l'amour et nous renouvellerons les prodiges des Laurent et des Etienne, qui se ré­jouissaient dans la souffrance.

Tout en aimant et pratiquant les mortifications ordinaires, nous ne re­chercherons pas de nous-même les mortifications exceptionnelles. Nous accepterons celles que le divin Maître nous enverra. C'est là le caractère de la dévotion d'abandon et de confiance au Cœur de Jésus. C'est au Sacré-Cœur à choisir ce qu'il veut pour nous; c'est à lui de déterminer le mode, le temps et la durée de l'immolation. Que nous choisira-t-il? Il aime trop la croix pour nous la refuser entièrement; il nous la donnera, mais comment? c'est là son secret. La plupart des âmes qui tendent à la perfection doivent s'attendre à des peines corporelles et spirituelles, à des épreuves, à des déchirements de cœur. Le Sacré-Cœur permet les peines surtout dans un but de réparation; quelquefois aussi comme puri­fication, si l'on s'attarde dans la voie de l'amour. Mais voyez avec quelle générosité tous les disciples du Sacré-Cœur acceptent leurs peines! Ils sourient sous la main qui les frappe; d'où vient cela? Précisément de leur acte d'abandon, au lieu que ceux qui s'immolent eux-mêmes au lieu de se laisser immoler sont sans cesse déconcertés, si la Providence vient tout à-coup à changer le bois qu'ils avaient choisi eux-mêmes. Je veux bien souffrir des peines spirituelles, mais la maladie me fait peur. Je consens certes à la maladie, mais endurer les mépris et les contradictions, je ne puis en entendre parler». Cela prouve que je n'aime pas assez le Sacré-­Cœur et que je m'aime beaucoup moi-même.

Aimons le Sacré-Cœur. C'est vers lui que notre cœur doit s'élever d'abord, c'est en lui qu'il doit se perdre, et quand l'épreuve viendra, quand le mépris arrivera, nous l'embrasserons avec ardeur, parce que nous verrons se manifester en lui le Sacré-Cœur. Il en est de même de la maladie ou des autres souffrances. C'est ainsi que faisaient les saints. Ils acceptaient avec joie les croix de la Providence, parce qu'ils voyaient derrière elles le Sacré-Cœur de Jésus, qui leur demandait de les porter pour son amour.

Résolution. - O mon bon Maître, touché de votre infinie bonté, en voyant combien vous avez voulu souffrir pour moi, j'accepterai tout ce qu'il vous plaira de m'envoyer. je sais que vous êtes la prudence et la douceur même. Comment pourrais-je me refuser à vous faire plaisir? je ne crains pas que vous m'imposiez de trop lourdes charges. - Disposez de moi: je m'offre en victime d'amour sur l'autel de votre Sacré-Cœur.

DEUXIEME MEDITATION

LES PRELIMINAIRES DE L'AGONIE

L'institution de l'Eucharistie au Cénacle avait commencé dans la joie. Le Cœur de Jésus, avide de sacrifice et d'amour, avait tant désiré ce beau jour! C'était une triple fête: ordination, première messe, première communion. Le Cœur de Jésus était enivré d'amour pour préparer des grâces à toutes les fêtes qui dériveraient de celles-là, à toutes les saintes messes, à toutes les saintes communions.

«J'ai ardemment désiré, dit-il, manger cette pâque avec vous» (Luc. XXII. 15).

Mais la douleur suit de près la joie. La communion sacrilège de judas et les témérités de saint Pierre versent le fiel dans le vin du calice eucha­ristique.

judas communie et il s'en va livrer Jésus.

Que Jésus est bon et patient! Il ne refuse pas la communion à judas. Il l'avertit: «L'un de vous me trahira».

Quel regard de doux reproche Jésus a dû jeter sur Judas en le commu­niant!

Jésus entrevoyait en même temps tous les sacrilèges qui seraient com­mis jusqu'à la fin des temps. Faut-il qu'il nous ait aimés pour persévérer dans son dessein de nous laisser l'Eucharistie!

Dieu n'a pas laissé Adam et Eve coupables dans son paradis, où ils avaient tant de familiarité avec lui. Jésus a voulu continuer de s'exposer dans l'Eucharistie à toutes les familiarités des pécheurs!

La témérité de saint Pierre ajoute encore à l'amertume du Cœur de Jésus. Trois fois Jésus le met en garde contre les reniements qu'il va commettre.

Saint Pierre proteste, il ne s'humilie pas, il ne prie pas, il ne se défie pas des tentations.

Judas s'en va pour conclure avec les prêtres ses conventions déicides. C'est dans ces conditions que Jésus va quitter le Cénacle. Le bon Maî­tre a dit à la B. Baptista Varani, qu'un glaive aigu et empoisonné, que l'on eût enfoncé et retourné dans son cœur ne l'aurait pas fait souffrir davantage que cette prévision de la trahison d'un disciple qu'il avait comblé d'amitiés et de grâces.

Marie et les saintes femmes, avaient fait la pâque dans une salle voisi­ne du Cénacle, Jésus les avait communiées. Avant de descendre à Geth­sémani, Jésus alla leur dire adieu. Qui saurait dire l'amertume de cet adieu déchirant, de ce dernier embrassement de Jésus et de sa Mère!

Jésus l'a laissé entrevoir à la bienheureuse Baptista Varani. «Quel glaive aigu transperçait mon Cœur, lui a-t-il dit, quand je considérais les douleurs que mes souffrances et ma mort allaient causer à ma pure et innocente Mère!… Oh! que j'eusse voulu prendre sur moi ses peines et l'en décharger. C'eût été pour moi un rafraîchissement, une consolation inexprimable. Mais parce que je ne devais trouver aucun soulagement dans mon cruel martyre, cette faveur ne me fut pas accordée, quoique je la demandasse à mon Père plusieurs fois, avec abondance de larmes».

Jésus descend vers Gethsémani. Il sait que les principaux du peuple complotent sa mort. «Cette haine obstinée du peuple juif, dit-il encore à la bienheureuse Varani, fut aussi pour mon cœur un supplice intoléra­ble. -J'avais fait des juifs un peuple saint, un peuple sacerdotal. Je les avais choisis parmi tous les peuples pour la portion de mon héritage. Je les ai délivrés de l'Egypte. Je leur ai donné la loi au Sinaï. J'ai voulu naî­tre de leur race. Je suis demeuré trente trois ans au milieu d'eux, et dans mes dernières années, je les ai comblés de bienfaits, j'ai guéri tous leurs malades. Ne pouvais-je pas attendre d'eux un peu d'amour de retour?».

L'attitude des apôtres est bien pénible aussi pour le Cœur de Jésus. Il leur a annoncé sa mort prochaine et la trahison de l'un d'eux. Ils n'en sont pas moins insouciants. Ils descendent avec lui à Gethsémani et là ils s'abandonnent au sommeil, même ses trois privilégiés. C'est l'abandon universel. Oh! combien le Cœur aimant de Jésus souffrait!

Résolution. - O mon bon Maître, au lieu de vous consoler par mon amour, ne suis-je pas ordinairement parmi les indifférents, sinon parmi les traîtres? Je veux désormais vivre auprès de vous dans l'humble regret de mes péchés, dans l'esprit d'amour et de réparation.

TROISIEME MEDITATION

TRISTESSE ET PRIERE

Les mystères de l'agonie sont tout spécialement le patrimoine des amis du Sacré-Cœur de Jésus. C'est évidemment la Passion intérieure de ce divin Cœur qui nous est la plus chère. Or, nous la retrouvons tou­te entière dans les scènes du jardin de Gethsémani.

L'agonie est un mystère central qui ressemble à cette source mysté­rieuse d'où s'écoulaient les quatre fleuves qui arrosaient le paradis terre­stre. Tous les fruits, toutes les grâces de la Passion viennent d'elle. C'est là que Notre-Seigneur a voulu accepter et offrir à son Père toutes ses souffrances par amour pour nous.

Après l'institution de la sainte Eucharistie et le magnifique discours que nous a conservé saint Jean, le Sauveur prit la route qui mène du Cé­nacle à Gethsémani. C'est alors que la tristesse commença à envahir son âme: coepit contristari, que l'ennui et la frayeur la plus vive vinrent le dé­soler: coepit maestus esse. Toutes ses souffrances et toutes leurs causes mo­rales se présentaient à lui à la fois, et l'impression qu'il éprouvait était si vive qu'il ne pouvait s'empêcher de laisser échapper cette plainte douloureuse: «Mon âme est triste jusqu'à la mort».

Ce divin Cœur a voulu nous aimer à ce point de subir toutes les an­goisses de la tristesse, de la frayeur et de l'ennui, afin de nous en préser­ver. Il a éprouvé les effets de l'inquiétude afin que nous ne soyons pas in­quiets et que nous puissions pratiquer son précepte: «Vous posséderez vos âmes dans la patience». Sa volonté est que nous marchions comme saint Pierre sur les eaux de la tristesse, sans que nous soyons submergés.

Oh! quel tendre Cœur! Il a voulu boire jusqu'à la lie ce calice, peut-être le plus douloureux de tous, afin de nous l'épargner ou de nous l'adoucir. Quel amour compatissant et quelle reconnaissance infinie ne lui devons-nous pas?

Jésus veut aussi nous montrer le chemin pour retrouver la paix de l'âme. Comme lui, il faut nous mettre en prière. Il contemple les fruits de ses souffrances et elles lui deviennent douces. Elles sont si glorieuses pour son Père, dont elles réparent l'honneur outragé! Elles sont si fruc­tueuses pour nous! Elles effacent nos fautes; elles nous préparent toutes les grâces que la Providence nous destine. Elles nous ouvrent le ciel. El­les forment la mine d'or où nous puiserons tous les trésors spirituels. Les souffrances lui deviennent aimables, parce qu'elles nous sont salutaires. Les nôtres s'adouciront aussi quand nous en contemplerons les fruits dans la prière. Perdons-nous, dans le moment de trouble, jusque dans les profondeurs du Cœur adorable de Jésus; nous y trouverons des tré­sors de calme et d'abandon.

Sa volonté peut exiger quelquefois que nous partagions ses craintes et ses tristesses. C'est alors une simple épreuve dont triomphera facilement notre amour pour le Sacré-Cœur, car, dans ces moments douloureux, jamais ce divin Cœur n'abandonne ceux qui espèrent en lui. Les vents ont beau mugir, la tempête a beau se déchaîner, toujours ce chant d'amour, ce chant de l'abandon retentira au fond de l'âme qui est atta­chée au Sacré-Cœur de Jésus: «In te Cor Jesu speravi; non confundar in aeter­num: J'ai espéré en vous, divin Cœur de Jésus, je ne serai pas confondu».

Les épreuves intérieures étaient plus redoutables avant l'institution de la dévotion au Sacré-Cœur, mais depuis cette révélation d'amour, les âmes abandonnées qui aiment le Sacré-Cœur sont plus aidées dans ces voies douloureuses. Le divin soleil ne cesse de luire pour elles; si un nua­ge voile parfois la face du soleil, ce n'est jamais pour longtemps.

Le divin Sauveur voulut passer par cet état de désolation intérieure sans exemple, afin que nous ne croyions pas tout perdu lorsque la partie inférieure de notre être fuit ce qui lui est contraire, et pour nous appren­dre que nous ne serons pas jugés sur l'infirmité de notre chair, mais sur la disposition de notre volonté.

Un exemple saisissant nous fera bien mieux comprendre cette vérité. La Bienheureuse Marguerite-Marie est l'amante par excellence du Sacré-Cœur et aussi l'apôtre du mystère de l'Agonie. Elle souffrait par compassion, mais à part de très rares moments, elle ne subit jamais bien profondément les angoisses qui naissent de l'inquiétude. Elle retrouvait la paix en se plongeant dans les abîmes de paix et d'abandon du Sacré­-Cœur.

Ces consolations dans les afflictions de la vie ont été promises par Notre-Seigneur à la Bienheureuse Marguerite-Marie. Relisons ces pro­messes:

«Le Sacré-Cœur consolera ses serviteurs dans leurs peines, sinon en les délivrant de ces peines, du moins en adoucissant leurs souffrances, car il n'y a rien de rude et de fâcheux qui ne soit adouci par lui.

Il se rendra leur force dans leurs faiblesses. Ils trouveront en lui un souverain remède à tous leurs maux et leur refuge dans toutes leurs né­cessités et tous leurs besoins».

Résolution. - Divin Cœur de Jésus, je compatis à toutes vos tristesses; je vous remercie d'avoir pris sur vous une grande part des miennes. Vo­tre bonté est sans mesure. Je m'abandonne à vous, conduisez-moi par les sentiers que vous choisirez. Je sais que si la croix s'y rencontre, vous savez toujours l'adoucir. Si j'ai un grand amour pour vous, les épreuves même me seront douces, parce que je considérerai que c'est vous qui me demandez de les supporter pour vous aider en quelque dessein de miséri­corde.

QUATRIEME MEDITATION

LE CALICE D'AMERTUME

Arrivé dans la grotte de Gethsemani, le divin Sauveur laissa pleine li­berté aux tristes pensées qui assiégeaient et torturaient son tendre Cœur. Prosterné la face contre terre, il s'écriait par intervalles: «Mon Père, tout vous est possible; éloignez de moi ce calice», et il ajoutait avec une résignation surhumaine: «mais que votre volonté se fasse et non la mienne». Les Evangiles nous donnent les détails de cette scène doulou­reuse. Sans doute, l'un des trois disciples choisis, probablement Jean le bien-aimé, suivit Jésus en se dissimulant derrière les arbres à la faveur des ténèbres. Quelqu'un a dû être témoin du drame pour le raconter aux autres. O Jésus, moi aussi je veux vous accompagner pour compatir à votre agonie.

Quel est donc ce calice que le Seigneur éprouvait une si grande répu­gnance à boire? Il semble au premier abord que c'était la vue de l'en­semble des souffrances qu'il allait endurer.

Nous pensons qu'il en coûtait davantage encore au Sauveur de paraî­tre devant la justice divine, comme le bouc émissaire chargé de tous les péchés du peuple. Dieu l'avait fait péché, comme dit saint Paul, afin qu'il subît la peine due au pécheur. Et ce fardeau immense accablait ses épaules; son cœur innocent aurait voulu s'en débarrasser.

Ce n'est pas la vue des tourments de la Passion qui affligeait le plus le divin Cœur de Jésus; son amour, sa générosité ne permettent pas de le croire. La frayeur qu'il éprouva au moment d'entrer en agonie, se por­tait, il est vrai, sur les supplices qu'il devait endurer, mais au moment de sa prière, il considérait surtout l'horreur qu'inspirait à sa sainteté l'obli­gation de porter tous les péchés des hommes. Il lui en coûtait tant d'être comme revêtu de tous les péchés des hommes, des fautes même les plus grossières et les plus honteuses! C'était une lutte mortelle entre sa sainte­té et cette responsabilité qu'il acceptait par amour pour nous.

Et puis les péchés ne déchirent-ils pas son corps mystique? Il le disait avec une grande douceur à la bienheureuse Varani: «Sachez, ma fille, que les peines que j'ai portées dans mon Cœur furent innombrables et presque infinies; il vous sera facile de le comprendre si vous faites atten­tion que je suis le chef d'un corps dont tous les chrétiens sont les mem­bres; membres qui sont innombrables, comme vous le voyez, et dont la plupart me furent, me sont et me seront arrachés par le péché mortel». Il ajoutait: «Et ce que vous ne pouvez comprendre, c'est combien l'abci­sion d'un membre spirituel est plus douloureuse encore que celle d'un membre corporel». C'est cette douleur qui lui faisait pousser ce cri: «Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi!» Oh! comme nous devons désirer de diminuer en lui cette douleur en combattant le péché en nous et dans les autres! Disons au bon Jésus avec la Bienheu­reuse Varani: «O mon Dieu, que je vous aurai donc fait de mal par mes péchés, soit que je me sauve, soit que je me damne! Ah! je n'avais jamais compris que le péché produisit des effets aussi effroyables; car, si je l'avais su, je ne l'aurais certes pas commis avec autant de facilité» (Bol­landistes).

Ce qui a fait pousser au Sacré-Cœur cette plainte touchante, c'est la vue de l'ingratitude des hommes, et surtout de celle des âmes choisies qui forment son peuple de prédilection. «Oui, disait-il, je compte pour rien les fouets, la couronne d'épines, les opprobres et la croix; si je pou­vais faire davantage, je le ferais; tous ces tourments et mille autres pa­reils sont comme une goutte d'eau pour mon Cœur altéré d'amour; mais les hommes me paieront d'ingratitude! je ne leur demande rien d'extraordinaire, mais seulement qu'ils aient un peu d'amour, un peu de reconnaissance pour tout ce que je vais souffrir pour eux; mais non, ils ne me donneront même pas ce que je leur demande!

Puis-je au moins compter sur mes amis, les prêtres et les religieux qui représentent en ce moment mes apôtres et mes disciples? Hélas! quelques-uns me trahiront à la suite de judas; d'autres m'abandonne­ront»; et son regard attristé s'arrêtait sur les hérésiarques, presque tous prêtres, qui devaient déchirer son Eglise; et il voyait chacun des apo­stats, chacun des traîtres, chacun des tièdes enfoncer de douloureuses épines dans son tendre Cœur; son amour serait oublié, profané, mécon­nu et les trésors de la Rédemption n'aboutiraient pour un grand nombre qu'à produire des trésors de malédiction éternelle. Faut-il donc que cet amour immense soit compté pour rien, foulé aux pieds, méprisé? Faut-il que cet aimable joseph soit, pendant tout le cours des âges, vendu et li­vré par des frères qu'il a tant aimés! Oh! non, il ne peut se résigner à ce miracle de l'ingratitude et il s'écrie: «Mon Père éloignez ce calice de mes lèvres; ne souffrez pas que l'ingratitude triomphe de mon amour».

Alors il voit les martyrs et les saints pénitents qui reproduisent sur leurs corps les blessures de son corps adorable. Les épines, les fouets, la croix revivent sur ces autres Jésus-Christ, crucifiés comme leur Maître et sacrifiant tout pour l'honorer et pour jouir de sa gloire qui a ravi leurs âmes généreuses. Mais il continue à nous dire que la plaie de son Cœur n'est pas encore suffisamment soulagée.

D'autres, par leur sainteté incomparable, ont voulu alléger la souf­france qu'a ressentie le Sauveur de porter, innocent, la peine du coupa­ble. Il a associé ces âmes à sa vie de victime; il a voulu que ces saints pa­russent avec lui devant la justice divine, devenus comme lui les agneaux du sacrifice et les boucs émissaires chargés des péchés du peuple, prêts à tout souffrir. Et pourtant cela ne suffit pas encore à son Cœur, pour le guérir et le consoler. Et son Cœur ne cesse de répéter: «J'ai toujours en perspective l'opprobre et l'insulte, et je n'ai pas trouvé la consolation que je désirais». Qu'est-ce donc qui pourrait vous consoler, ô mon bon Maître?

Le Sauveur désirait voir un plus grand nombre d'âmes aimantes, d'âmes reconnaissantes et désintéressées. Il désirait davantage d'amour tendre, généreux, compatissant.

Résolution. - O mon bon Maître, il me semble que je comprends un peu votre désir. Aidez-moi. Je m'efforcerai de consoler au moins un peu votre Cœur en vous offrant habituellement mes actions dans un esprit d'amour compatissant, généreux et désintéressé. Je sens mon impuis­sance. Mais votre invitation est si tendre, si pressante, que je veux es­sayer généreusement et je compte sur votre amour pour m'aider.

CINQUIEME MEDITATION

LE CALICE DE LA CONSOLATION

Dans l'angoisse profonde où se trouvait notre doux Sauveur, son Cœur si tendre se trouva tellement oppressé qu'il fit jaillir de tous les po­res de sa chair virginale une sueur de sang.

C'est alors que descendit l'ange consolateur qui lui fit voir dans le lointain ce groupe nombreux d'âmes réparatrices et consolatrices qu'il désirait.

L'ange présenta à notre doux Sauveur le calice de consolation qui de­vait lui rendre la force et la joie. On peut penser que ce calice contenait les actes d'amour et de réparation des amis du Sacré-Cœur dont la mis­sion est de consoler Notre-Seigneur par l'exercice de l'amour compatis­sant et reconnaissant.

O mon aimable Sauveur, les martyrs primitifs ont souffert pour con­server leur foi et pour acquérir la gloire éternelle. Leur foi, leur générosi­té, leur amour vous ont offert déjà une grande consolation; les saints confesseurs et pénitents vous ont offert leur vie et leurs mérites pour satisfaire aux péchés du peuple; c'étaient des agneaux offerts en victimes avec vous à la justice et à la sainteté divine. Mais cela ne suffisait pas en­core pour guérir la plaie que l'ingratitude a faite à votre Cœur si tendre­ment aimant. Vous désirez un groupe nombreux d'âmes aimantes et consolatrices. La révélation du Sacré-Cœur va vous les procurer. Elle excite plus facilement l'amour et la reconnaissance. C'est son effet pro­pre et direct.

Elle vous procurera beaucoup d'âmes aimantes, assidues auprès de vous, sensibles à vos tristesses, et vraiment consolatrices. Les Saints de tout temps avaient ces dispositions par une grâce spéciale. Désormais ces dispositions seront plus communes et plus faciles. L'image de votre Cœur prêche l'amour. Toute votre Eglise entre dans cet esprit. Cette dévotion se répand comme l'incendie. C'est le feu que vous désiriez allu­mer. Puissions-nous vous y aider par notre zèle et notre apostolat!

C'est au Calvaire même que nous trouvons les plus parfaits modèles de cet amour compatissant que Jésus désirait et demandait. La très sain­te Vierge, saint Jean et sainte Madeleine adoucissent les souffrances de Jésus par leur amour et par leur compassion. Leurs larmes sont un bau­me pour les plaies de Jésus. Tout dans leur attitude et dans leurs disposi­tions est pour Jésus une consolation et un soulagement, tout: leurs re­gards aimants, leurs pleurs, leurs soupirs, leur compassion. Ils souffrent avec lui et leurs souffrances diminuent les siennes.

Dans le cours des siècles, il y eut toujours des âmes compatissantes, des âmes qui méditaient volontiers sur la Passion de Jésus et qui adop­taient pour leur dévotion favorite, la compassion au Cœur de Jésus. Tels furent notamment, saint Pierre qui pleura toute sa vie son infidélité d'un moment; saint Paul, qui disait: «Je ne veux rien savoir que Jésus crucifié»; saint Augustin qui répétait souvent: «Pourquoi vous ai-je con­nu et aimé si tard, ô beauté de mon Dieu!». Saint François d'Assise qui s'écriait: «L'amour n'est pas aimé! L'amour n'est pas aimé!».

Mais les saints qui ont eu d'une manière plus formelle la révélation du Sacré-Cœur, comme sainte Gertrude, sainte Mechtilde, la B. Marguerite-Marie, et le Vén. Père Eudes, sont tout spécialement nos modèles. La vie des saints du Sacré-Cœur a été plus directement que celle des autres saints une vie d'amour et de compassion, leurs répara­tions ont dû remplir tout spécialement le calice de la consolation à l'Ago­nie du Sauveur.

Ces moyens sont ceux qu'ont pris ses amis du Calvaire: c'est la fidélité jusque sous la croix; c'est aussi l'union habituelle au Sauveur, l'assiduité à son service, la crainte de l'offenser même dans les petites choses, l'em­pressement à se purifier par le repentir quand il nous échappe quelque petite faute.

C'est une disposition habituelle à aimer Jésus, disposition entretenue par la méditation de sa vie, de ses mystères, et sauvegardée par l'amour du silence et de la solitude, par le détachement des créatures.

O mon bon Maître, vous cherchez toujours et vous attendez toujours ces consolateurs! Il y en a toujours eu dans l'Eglise, mais ils devraient être plus nombreux depuis la révélation de votre Cœur et nous devrions être de ceux-là!

Ecce venio! Aidez-moi! Aidez-nous!

Résolution. - Je veux commencer à vivre dans une plus grande union avec Jésus, dans une plus grande fidélité qui ne se démente pas sous la croix et dans l'épreuve. -je vous donne de nouveau mon cœur, ô mon Jésus! Je vous donne mon amour. je veux vivre sous vos yeux, près de vous, dans votre amour. Affermissez ma bonne volonté.

Je veux être au nombre des âmes qui vous consolent par l'assiduité, la délicatesse et la générosité de leur amour.

SIXIEME MEDITATION

LA TRAHISON DE JUDAS

Une des grandes douleurs de Jésus, fut la trahison de judas, non pas tant à cause de la passion qu'elle préparait, qu'à cause de la réprobation de ce pauvre disciple qui en résulterait.

«Une des douleurs qui me furent les plus sensibles, dit Notre-Seigneur à la bienheureuse Varani, ce fut la trahison de judas, qui après avoir été mon disciple devint mon meurtrier. - Fut-il jamais ingratitude plus noire que la sienne envers moi? Après lui avoir pardonné tous ses pé­chés, je le choisis pour un de mes apôtres. Il mangeait avec moi, logeait sous le même toit et était admis à ma familiarité. Je lui confiai le pouvoir des miracles et j'en fis le dispensateur des dons qui m'étaient offerts par ceux qui me portaient quelque intérêt. Lorsque je vis le dessein de me trahir se former dans son cœur, je redoublai les preuves de ma tendres­se, pour le détourner de cette pensée criminelle. Mais j'eus beau faire, rien ne put toucher son pauvre cœur».

Et derrière judas, Notre-Seigneur entrevoyait toutes les trahisons, tous les sacrilèges qui seraient commis dans le cours des siècles, parfois même par des prêtres et par des âmes favorisées de grâces de choix.

«Lorsque son tour fut arrivé, dit Jésus à la bienheureuse Varani, je m'humiliai devant lui, comme j'avais fait devant les autres; mais mon Cœur n'y tint plus. Je pleurai amèrement et arrosai de mes larmes les pieds de ce malheureux. Ce qui me faisait pleurer, c'est que je disais in­térieurement: O Judas, que vous ai-je donc fait pour que vous me trai­tiez d'une manière aussi perfide?… O Judas, si vous désirez trente de­niers, que n'allez-vous les demander à ma mère, qui est aussi la vôtre, son cœur est si parfait, qu'elle se vendrait elle-même pour vous épar­gner un crime et me sauver la vie… Pendant que mon cœur parlait ain­si, mes larmes arrosaient ses pieds, mais il n'y prenait pas garde… Lor­squ'un père, en effet, voyant que son fils se meurt, s'empresse de le ser­vir, c'est avec une effusion d'amour extraordinaire, et il ne peut guère s'empêcher de dire en son cœur: Adieu, mon fils, voilà le dernier service qu'il me sera donné de vous rendre. C'est ainsi que j'en agissais avec cet infortuné que je savais à la veille de mourir éternellement… Mais le malheureux semblait prendre à tâche de me montrer d'autant plus de haine que je lui témoignais plus d'amour…».

judas s'avance, armé de perfidie et de violence; Jésus s'approche de judas avec les armes de l'humilité et de l'amour. Judas lui donne un bai­ser plus cruel que tous les traits les plus envenimés. Jésus se baisse pour le recevoir avec une simplicité et une générosité toute divine. Judas salue son Maître avec des marques d'une amitié feinte. Jésus lui offre avec une affection sincère, l'occasion de son salut éternel.

Judas, lui dit-il, vous trahissez ainsi le Fils de l'homme par un baiser? Pensez à ce que vous faites. Je suis encore prêt à vous pardonner. Mais le malheureux s'obstine pour un intérêt mesquin. Il vend son âme pour quelques deniers.

Jésus voit avec lui dans le cours des siècles tous ceux qui se perdront pour un misérable intérêt temporel. Son divin Cœur souffre plus de la réprobation de son apôtre et de tant d'âmes, qu'il ne souffrira de son crucifiement.

Mais comme la bonté et la miséricorde de Jésus éclatent dans tous ces rapports avec judas! Pouvons-nous douter encore de la bonté du Cœur de Jésus? Pouvons-nous ne pas l'aimer et lui refuser notre confiance?

Résolution. - O Jésus, je me jette à vos pieds. Je voudrais bien, com­me saint Jean, vous consoler par ma tendresse de toutes les souffrances que judas et ses imitateurs vous ont infligées. Pardonnez-moi mes pro­pres trahisons, rendez-moi votre amitié. Permettez-moi de vivre, tout le reste de ma vie, dans une grande union avec vous.

Je renouvelle ma résolution de m'unir à votre agonie chaque soir par une élévation de cœur et chaque jeudi soir par la pratique de l'Heure sainte.

DEUXIEME MISTERE

Vie de silence et de prière

PREMIERE MEDITATION

DE LA SOLITUDE DU CŒUR DE JESUS

Voilà un des plus grands et des plus touchants mystères de la vie du Cœur eucharistique de Jésus. Il renouvelle dans le Saint Sacrement sa vie de Nazareth, et se plonge dans une solitude profonde; il s'ensevelit dans un silence apparent qui n'a d'égal que celui qu'il gardait dans le saint Sépulcre.

Entrez dans un de nos sanctuaires: souvent, hélas! l'ingratitude et l'indifférence des hommes en font un désert; mais, quand bien même une multitude pieuse et recueillie viendrait s'y presser, rien ne vient in­terrompre la solitude du tabernacle. Cette bouche divine d'où sortaient autrefois les oracles de la vérité paraît condamnée à un éternel silence, et le divin Solitaire reste seul, absolument seul, sous les espèces eucharisti­ques.

Quelles leçons admirables donne ce silence à tous ceux qui désirent mener la vie eucharistique! Ils doivent s'ensevelir dans la solitude, s'ils veulent plaire au Sacré-Cœur de Jésus-Eucharistie. S'ils ne le font pas, s'ils continuent à tourbillonner dans l'activité factice de ce monde, la manne eucharistique tombera en vain sur leur cœur agité; elle ne pour­ra pas s'y reposer ni y réaliser son action.

Mais en quoi consiste cette solitude eucharistique pour nous? Pour s'y conformer, il faut que notre cœur soit un ciboire où repose seul le Cœur eucharistique. Il peut se faire que notre bouche soit obligée de parler afin de traiter avec les hommes, car notre règle de vie ne nous commande pas un silence absolu qui ne serait pas conforme à notre vocation, mais que notre cœur garde toujours le silence vis-à-vis des créatures, c'est-à-dire qu'il se garde bien de s'attacher à elles. Bien plus que cela, nous devons, je ne dis pas mépriser, mais oublier complètement la créature, si nul de­voir ne nous oblige de nous en occuper. Elle doit être pour nous comme rien, et un seul chant doit retendir dans les profondeurs de notre âme: «Qu'est-ce que je veux? O le Dieu de mon cœur et le Cœur de mon Dieu, qu'est-ce que je veux au ciel et sur la terre, sinon vous seul!». Voi­là le sentiment qui doit exister dans nos cœurs.

N'occupons donc pas notre cœur des créatures, débarrassons-le de tous les soucis qu'elles donnent, des inquiétudes qu'elles nous suscitent; ne nous en occupons pas même pour un besoin spécieux, mais qui est plus apparent que réel. Si nous devons traiter avec elles, que ce soit uni­quement pour la gloire et l'amour du Cœur de Jésus, et c'est pour cela que nous nous abandonnons à lui, en le priant d'agir en nous et pour nous.

Aujourd'hui ce langage paraît tout nouveau; on croit que pour tra­vailler à la gloire de Dieu, il faut beaucoup se remuer, et qu'il est indis­pensable de se mêler à toutes les misères humaines pour les exploiter au profit du bien. Tout cela est frivole et trop naturel; rappelons-nous ce que disait le Bienheureux curé d'Ars, ce saint de nos temps, si occupé en apparence et en réalité si solitaire: «Il faut, disait-il, frapper à la porte du tabernacle, plutôt qu'à la porte des hommes et c'est parce qu'on ne le fait pas que, malgré les plus grands efforts, on n'aboutit à rien».

Toute oeuvre qui ne plonge pas ses racines dans la solitude du Taber­nacle, malgré le succès le plus brillant, ressemble au lierre de Jonas, elle est mort-née et ne produira jamais rien de surnaturel.

Rien n'honore plus la solitude du Sacré-Cœur de Notre-Seigneur que notre silence en face de lui; c'est surtout pendant l'action de grâces qui suit la communion que nous devons nous tenir dans le silence et fermer les yeux de notre âme à tout ce qui n'est pas ce divin Cœur, prêts à rece­voir tous les mouvements qu'il lui plaira de nous imprimer, à agir s'il lui plaît que nous agissions, à nous reposer dans l'amour s'il lui plaît que nous nous reposions, vraies victimes de son bon plaisir et de son amour. Non, le Sacré-Cœur eucharistique n'habite pas dans le tumulte, soit matériel, soit spirituel; il habite dans les profondeurs du désert des espè­ces sacrées; et si nous voulons lui offrir des holocaustes, soyons persua­dés que nul ne lui sera plus agréable que celui de notre activité propre, parce que par là nous lui sacrifions aussi notre amour-propre.

Telle est la raison qui nous fait supprimer les retours fréquents sur nous-mêmes qui, sous le prétexte de piété, ne tardent pas à créer le trou­ble, l'inquiétude et les vaines complaisances.

Le divin Maître dans l'Eucharistie est dégagé de la vie extérieure. Il contemple, il aime, il adore les perfections de Dieu; il s'immole à la gloi­re de son Père, en dehors de tout le créé, comme en une vaste solitude où les objets de la terre ne peuvent l'atteindre.

Il faut tout perdre de vue, tout oublier et s'oublier soi-même pour imi­ter cette vie divine.

Demandons au Sacré-Cœur comme une grande faveur d'être parfois retirés dans cette solitude parfaite, sous le regard de Dieu seul, en la compagnie de notre bien-aimé Jésus, n'ayant de liberté et d'action que pour aimer et adorer notre Dieu, pour nous sacrifier et nous perdre en lui.

De son tabernacle, Jésus ne parle à aucune créature. Nul bruit, nul mouvement ne s'y fait entendre, mais, devant son Père, son silence est bien plus profond et bien plus sublime. On dirait que toute son occupa­tion soit de se taire. Il est tout adoration, amour, anéantissement, immo­lation, prière; mais tout se passe dans le silence, dans les profondeurs de lui-même et de la divinité. Que ce silence est un langage puissant et fort! Il rend hommage à la grandeur de Dieu, à ses perfections infinies, à son domaine souverain, à tous ses attributs que Jésus loue par un hymne éternel et sans fin et dans un mystérieux silence.

Résolution. - Dans mes adorations et particulièrement à l'action de grâces, je ferai taire en moi les créatures pour m'unir à l'humble adora­tion de Jésus envers son Père. Je ne puis entendre Jésus que dans le si­lence de mon cœur. Je ferai le silence en mon âme pour entendre mon bon Maître et pour m'unir à ses profondes adorations.

DEUXIEME MEDITATION

DES OCCUPATIONS DU COEUR EUCHARISTIQUE DE JESUS

On croirait au premier coup d'œil que le Cœur eucharistique de je­sus est inactif dans le Tabernacle; qu'il y est dans un état de mort et d'insensibilité absolue, mais il n'en est rien. Il vit de la plus grande et de la plus précieuse de toutes les vies, que la solitude couvre, il est vrai, des voiles du silence; mais il vit de l'amour de Dieu, et il parle, il ne cesse de parler malgré son silence: «Vivens ad interpellandum pro nobis»; et ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que sa prière s'accorde parfaitement avec son silence extérieur.

Comprenons bien l'expression énergique de saint Paul: «Vivens ad in­terpellandum pro nobis: il vit pour intercéder pour nous». Chez nous la vie se multiplie, nous aimons la vie intérieure et la vie extérieure, nos occu­pations sont diverses, elles entraînent avec elles la diversité des pensées, des affections, des désirs; de sorte qu'il n'y a pas d'unité dans notre vie. Tantôt nous vivons pour étudier, tantôt notre vie s'absorbe dans les con­versations, les oeuvres extérieures, etc… Bien plus, même dans notre vie spirituelle, l'unité n'existe pas; tantôt nous nous attachons à une vertu, tantôt à telle autre selon la diversité des positions où nous nous trouvons. Ainsi pour nous la pratique du silence nous paraît presque contradictoire avec celle du zéle apostolique, qui parle et agit beaucoup.

Mais il n'en est pas ainsi pour le Cœur eucharistique de Jésus. D'abord pour lui, il n'y a plus de vie extérieure; ajoutons bien vite ce­pendant que la multiplicité de ses occupations extérieures pendant sa vie mortelle se confondait dans une admirable unité avec sa vie intérieure, ainsi que nous l'avons vu dans les retraites précédentes. Mais enfin toute action extérieure à cessé dans la vie eucharistique, il ne reste que la vie du cœur et cette vie est absolument une; aucune interruption, nulle distraction, nulle multiplicité: «Vivens est», dit saint Paul, voulant indi­quer par là que le Sacré-Cœur de Jésus est absorbé par un seul acte qui le remplit tout entier et quel est cet acte: «Ad interpellandum pro nobis». Il interpelle, il intercède, il prie pour nous; en d'autres termes, c'est l'acte d'amour et d'immolation qui ne cesse de se produire. Cette interpella­tion, cette médiation se réduit à ceci: Le Cœur eucharistique de Jésus nous aime et s'immole pour nous; il s'oublie lui-même, il n'a pas d'inté­rêt propre. Aimer Dieu, aimer ses frères, offrir à Dieu pour ses frères tous les mérites qu'il a acquis, toutes ses peines, toutes ses souffrances d'autrefois et son amour présent, continuer toujours et sans aucune in­terruption l'Ecce venio et l'acte d'amour de l'Incarnation, tel est l'acte unique du Sacré-Cœur de Jésus dans le saint et très auguste sacrement de nos autels. C'est toujours le Cœur qui ne pense qu'à nous, qui ne vit que pour nous, qui n'a d'autre mission que de nous aimer et de se don­ner pour nous, et qui, en nous aimant, en intercédant, en s'offrant pour ses frères, aime Dieu son père, car l'amour de Dieu et du prochain, sur­tout dans le Sacré-Cœur de Jésus, ne sont pas deux amours. C'est un seul acte parfaitement un. C'est ainsi que le Cœur eucharistique est tou­jours le Cœur de notre Sauveur, de notre Rédempteur et de notre mé­diateur.

Mais qui pourrait rendre l'ardeur de cette prière? Le Sacré-Cœur de Jésus devient tout entier comme un encens qui monte vers Dieu pour nous. C'est une main suppliante toujours tendue vers la Divinité: «Ex­pandi manus meas ad te». C'est un désir brûlant qui est là toujours devant le trône du Père: «Omne desiderium meum ante te». Car qu'est-ce que la priè­re, sinon le désir de notre cœur qui ne cesse de s'élancer vers Dieu? Et cette prière qui se cache dans le silence, cette immolation incessante d'un amour incessant est le plus grand acte qui puisse exister dans un cœur d'homme. Sa puissance n'a point de bornes; il obtient tout ce qu'il veut: la gloire infinie de Dieu et la paix pour les hommes de bonne vo­lonté. Il est impossible que le Cœur eucharistique de Jésus priant et in­tercédant ne soit point exaucé. Voilà ce qui produit les grandes oeuvres de sainteté dans l'Eglise, voilà ce qui engendre tant de choses admira­bles, tant d'institutions célestes, tant d'ordres religieux destinés à repré­senter tantôt un mystère de Jésus, tantôt un autre. Voilà en un mot d'où procèdent la vie et la fécondité de l'Epouse du Christ, c'est le Cœur eu­charistique de Jésus aimant, priant, s'offrant. Aussi l'homme intérieur n'attribue pas les grandes oeuvres de l'Eglise à tel ou tel saint, à un grand homme, à un pape éminent, à un concours heureux de circonstan­ces. Non, non, c'est le Cœur eucharistique qui a fait tout cela; il l'a fait, il est vrai, en se servant des hommes, mais leur concours libre doit être regardé seulement comme une cause instrumental, glorieuse, il est vrai, pour eux, parce qu'ils ont correspondu à la grâce; mais enfin tout le principe de l'action vient du Cœur eucharistique de Notre-Seigneur. Que le Cœur de Jésus vivant pour nous dans l'Eucharistie est admira­ble dans ses saints et dans ses oeuvres!

Notre-Seigneur veut que les âmes vouées à son Cœur s'unissent à ces actes ineffables de sa vie intérieure et qu'elles, ne fassent plus qu'un seul cœur avec lui. Afin de répondre à cette mission glorieuse, elles doivent entrer dans l'esprit de cette belle vocation. Qu'elles soient livrées à la vie active ou qu'elles aient l'avantage de pouvoir s'adonner à la contempla­tion, un seul acte doit dominer toute leur vie: l'amour du Cœur de Jésus et l'immolation à ce divin Cœur par amour. Les occupations peuvent paraître différentes au premier coup d'œil; peu importe, pourvu qu'el­les soient toutes des occupations d'amour où la sensualité et l'amour­ propre n'aient aucune part. Il ne doit pas y avoir dans notre cœur une multitude de pensées et d'affections; une seulement doit y régner: l'amour du Sacré-Cœur de Jésus.

Au premier coup d'œil les vertus à pratiquer paraîtront diverses et di­stinctes, comme la pauvreté, le renoncement, le détachement, la simpli­cité, le zèle, l'obéissance, etc. En réalité, tout cela ne doit être qu'un seul acte d'amour qui se spécifie en apparence, mais non en réalité! Voilà pourquoi il a été si souvent répété dans les retraites précédentes, qu'en cherchant l'amour du Sacré-Cœur de Jésus tout seul, nous trouvons tout le reste.

En somme, ne regardons que le Sacré-Cœur de Jésus, ne pensons qu'à lui, n'aimons que lui; quand nous le visitons dans le Très Saint Sa­crement, quand nous l'offrons au saint Sacrifice et que nous nous l'in­corporons par la sainte Communion, n'ayons qu'un seul désir, nous unir toujours de plus en plus à sa vie d'amour. Prions-le de détruire en nous tout ce qui sent encore la multiplicité de la vie humaine et terrestre, de sorte que nous puissions répéter: Vivre, pour moi, c'est uniquement le Sacré-Cœur de Jésus. Amen.

Résolution. - Je voudrais, Seigneur, pouvoir dire comme saint Paul: je ne vis plus, c'est Jésus qui vit en moi. - Vivre pour moi, c'est le Christ, c'est le Cœur de Jésus. Mais que puis-je sans vous? Venez, ô Jésus, venez et vivez en moi! que votre divin Cœur soit mon cœur, mon guide, mon inspiration, ma vie!

TROISIEME MEDITATION

DE LA VIE CACHEE DU COEUR EUCHARISTIQUE DE JESUS

Combien le Sacré-Cœur de Jésus aime la vie cachée! Il l'a pratiquée à Nazareth pendant près de trente ans. Aujourd'hui, il la prolonge dans la sainte Eucharistie jusqu'à la consommation des siècles.

A Nazareth sa divinité se cachait sous la nature d'un charmant, mais pauvre enfant, menant la vie d'un ouvrier, obéissant à tous ceux qui avaient autorité sur lui, surtout à Marie et à joseph, plein de douceur, d'humilité et de simplicité.

Ici, non seulement la divinité, mais encore l'humanité sainte et glo­rieuse disparaît sous les voiles fragiles du pain et du vin; afin de se ca­cher, il multiplie les miracles et s'anéantit autant qu'il est possible de le faire. Il ne produit donc rien de grand, rien de glorieux en apparence. Il se cache sous un atome, il paraît immobile et tout à fait dépendant du prêtre. O prodige! la parole sacramentelle fait descendre du ciel le Roi de gloire; il obéit à la voix de sa créature; il se laisse porter et mettre où on veut, il ne refuse même pas de descendre dans des cœurs impurs; il ne veut pas que l'on refuse la sainte communion en public au pécheur mal disposé qui la demande; son Cœur tendre et délicat craindrait de compromettre la réputation de ce misérable. Pour lui, il compte pour rien tout ce qui est gloire extérieure et honneur! il consent à ce que les espèces sacramentelles soient souvent traitées sans respect par des prê­tres tièdes et indifférents, ou qu'elles soient foulées aux pieds des impies et des animaux. Il n'en souffre pas, il est vrai, son état glorieux l'en pré­serve; mais enfin, ces coupables irrévérences n'en sont pas moins un cri­me affreux qu'il a pleuré autrefois avec des larmes de sang. En un mot, la vie cachée eucharistique peut se résumer ainsi: anéantissement abso­lu, et dépendance totale des hommes pour tout ce qui touche au Sacre­ment.

Mais, comme dit saint Thomas, sous ces apparences fragiles, se cache tout ce qu'il y a de plus beau, de plus grand et de plus excellent: «Latent res eximiae». Sous cette apparence d'un morceau de pain ou d'une goutte de vin, il y a le Cœur sacré de Jésus, il y a Dieu lui-même, il y a l'huma­nité sainte du Sauveur.

Et le Cœur eucharistique de Jésus accepte avec joie cette vie cachée; il en fait ses délices: rarement, très rarement même, il glorifie les espèces sacramentelles par des prodiges. Le prodige par excellence, c'est ce Dieu qui se cache ainsi. Aussi le prophète s'écrie-t-il: «Oui, vraiment, vous êtes un Dieu caché! Vere tu es Deus absconditus!». Le Sacré-Cœur de Jésus gouverne l'Eglise du fond de son tabernacle, mais il la gouverne d'une manière cachée, il veut aussi gouverner et attirer nos cœurs par les doux attraits de sa vie eucharistique.

Soyons, nous aussi, des espèces. Notre corps, notre âme, notre vie ex­térieure, notre vie spirituelle, tout cela doit recouvrir le Cœur de Jésus. Notre vie doit être, comme la sienne, entièrement dépendante de la vo­lonté de nos supérieurs. Nous devons nous laisser manier comme l'ho­stie sainte par leurs mains et par leur volonté. Le détachement, l'humili­té, la pauvreté, la simplicité, la fuite de tout ce qui sent l'éclat, ou la re­cherche de soi-même, l'abstention de toutes ces manifestations où l'amour-propre se délecte, tels doivent être les voiles qui doivent cacher notre cœur aux hommes pour le révéler au Sacré-Cœur de Jésus seul.

Plus le Cœur eucharistique se cache au monde, plus il s'approche de Dieu; il se perd dans le sein de la divinité et voilà pourquoi il se dérobe à tout ce qui est créé. Ainsi devons-nous faire; perdus dans le Sacré-Cœur de Jésus, nous ne devons pas nous laisser distraire par ce qui nous en­toure.

En finissant cette contemplation sur la vie cachée du Sacré-Cœur de Jésus dans l'Eucharistie, disons un mot des oeuvres eucharistiques. Les unes sont purement intérieures, elles imitent l'état solitaire et caché de ce divin Cœur; les autres son extérieures, elles regardent le culte que nous devons au Très Saint Sacrement, les observances liturgiques, la pompe dont nous entourons le Cœur de notre Maître et de notre frère. La règle en ceci est de faire tout ce que l'on peut: «Jamais nous n'en fe­rons assez», dit S. Thomas.

Nous devons du reste relever par nos adorations profondes l'état si humble où le Sacré-Cœur de Jésus veut s'ensevelir pour nous; c'est afin de lui procurer ce triomphe que les processions ont été instituées. Mais il y a dans ceci un danger à courir, celui d'oublier le Sacré-Cœur de Jésus pour ne penser qu'à nous et à notre amour-propre. C'est ce que Catheri­ne Emmerich signale avec beaucoup d'à-propos: «Dans beaucoup d'égli­ses, dit-elle, on a remplacé l'incomparable beauté de l'architecture et des cérémonies par une pompe théâtrale». Est-ce bien pour le Sacré-Cœur de Jésus que l'on donne parfois dans le saint temple des concerts absolu­ment mondains?

Mais ce qui plaît à ce Dieu caché dans son tabernacle, c'est que nous soyons vigilants pour la propreté des linges sacrés et des nappes d'autel; ce qui touche au corps du Seigneur devrait être éclatant de blancheur; c'est que la lampe soit toujours allumée et entretenue avec de l'huile d'olives pure; c'est que le sanctuaire soit tenu dans une grande propreté et qu'il inspire la dévotion. Toutes les négligences en cette matière confi­nent au sacrilège.

Enfin il y a les oeuvres eucharistiques apostoliques. Ce sont toutes cel­les où l'on tâche d'inspirer aux fidèles un grand amour pour ce divin Sa­crement. En première ligne, nous plaçons la dévotion à la communion fréquente. L'enfer a tout fait pour la détruire parmi nous: nous devons la rétablir et la rendre aussi fervente que possible.

Puis viennent les adorations publiques du divin Sacrement; elles sont tout à la fois un hommage rendu au Sacré-Cœur eucharistique de Jésus et un acte de réparation solennelle. C'est une des pratiques les plus con­solantes de la dévotion au Sacré-Cœur. L'œuvre du saint viatique est aussi précieuse et doit être encouragée fortement par les missionnaires.

Les maîtres doivent exercer sur les enfants qu'ils dirigent une action incessante afin de porter vers le Sacré-Cœur de Jésus dans l'Eucharistie leurs petits cœurs simples et naïfs. Ce sont de telles âmes que ce divin Cœur aime à voir réunies autour de lui.

Quant aux discours pompeux qui font oublier le Sacré-Cœur de Jésus pour faire honorer l'orateur, quant aux livres dépourvus d'esprit inté­rieur qui font de l'auguste Eucharistie une occasion de réclame; quant aux réunions mondaines, à un titre ou à un autre, dans la sainte église de Jésus, ce ne sont pas des oeuvres eucharistiques, mais bien plutôt des oeuvres diaboliques dont nous devons nous garder et contre lesquelles il faut prémunir les fidèles. Faber s'en moque et non sans raison. Hélas! Il faudrait aussi les pleurer et ne pas outrager par notre orgueil le Cœur d'un Dieu caché.

Résolution. - Bon Maître, je vous ai trop oublié et je me suis trop agi­té. je veux revenir à la vie intérieure, calme et bien unie avec vous.

QUATRIEME MEDITATION

DE LA CONVERSATION DU COEUR EUCHARISTIQUE DE JESUS,
D'APRES LE CANTIQUE DES CANTIQUES

Plus Jésus est solitaire, plus il est caché, plus sa bouche est silencieuse dans le divin Tabernacle, plus aussi son Cœur sacré aime à s'ouvrir et à s'épancher dans le cœur de ceux qui viennent le visiter ou qui le reçoi­vent avec amour dans la sainte Communion, surtout quand, leur cœur s'immolant par amour avec le sien, ils consentent à sevrer leurs âmes des vaines délices de ce monde et à s'oublier eux-mêmes dans le silence de la sainte dilection.

Sa conversation n'a rien d'amer, elle n'offre que douceur et suavité, comme nous l'annonce le Saint-Esprit. «Je me suis assise, dit l'Epouse des Cantiques, c'est-à-dire l'âme qui aime le Cœur eucharistique de Jésus, je me suis assise à l'ombre de celui qu'appelaient mes désirs, c'est-à-­dire je me suis séparée du monde, je me suis séparée de moi-même et je me suis reposée dans le silence de l'amour, je me suis enfoncée dans la solitude du tabernacle, et alors les fruits du bien-aimé ont été doux à ma bouche; ses fruits, c'est-à-dire son amour, son Cœur lui-même qui est une nourriture et un breuvage. Il m'a introduit dans ses divins celliers et il a ordonné en moi la charité; il m'a introduit dans son Cœur, et là, je n'ai trouvé qu'amour». Même la croix, même les épines se sont chan­gées en amour.

Ah! que mon bien-aimé vienne dans son jardin et qu'il se nourrisse du fruit de ses arbres! Le jardin du bien-aimé c'est mon cœur, ce cœur où le bien-aimé a planté l'amour, l'humilité, la mortification. Ah! qu'il vienne cueillir les petits mérites que j'ai amassés par ma vie d'amour et d'immolation, qu'il vienne se nourrir du désir ardent que j'ai de le pos­séder! A ces brûlantes aspirations, Jésus répond: «Viens plutôt, ma sœur, mon épouse, viens dans mon jardin, c'est-à-dire dans mon Cœur. Dans le temps de ma vie mortelle, j'ai fait une moisson de myrrhe et d'aromates, j'ai vécu, j'ai souffert, j'ai mérité, et je suis mort pour toi; ma nourriture, c'est un miel délicieux, l'amour; mon breuvage, c'est le lait, l'amour tendre, et le vin, l'amour fort; venez, mes amis, mangez et buvez; enivrez-vous, mes très chers».

Ces paroles du saint Cantique expliquent les expressions dont Notre-Seigneur lui-même s'est servi en instituant le divin Sacrement de nos au­tels. Il veut nous nourrir et nous abreuver d'amour, de son Cœur très ai­mant et très doux.

Je dors, ajoute le Bon Sauveur, je dors, mais mon Cœur veille: Ego dormio et Cor meum vigilat. Je dors à cause de la solitude et du silence eu­charistique dont je m'entoure; je dors, mais mon Cœur ne sait pas dor­mir. Ce Cœur veille sans cesse, toujours il s'immole. Puisse le nôtre l'imiter! Dormons et mourons pour les choses de ce monde; veillons et vivons uniquement pour le Sacré-Cœur eucharistique de Jésus; qu'il vi­ve dans nos cœurs, mais qu'il y vive uniquement et qu'il opère en nous toutes les fonctions de la vie! C'est après ce sommeil que retentira de nouveau la voix du Bien-Aimé qui parle du milieu des espèces qui le re­tiennent prisonnier: «Ouvrez-moi, ma sœur, ma bien-aimée, ma colom­be, mon immaculée, ouvrez-moi; il y a si longtemps que je frappe à vo­tre porte, ouvrez-moi». Et alors le pieux disciple du Sacré-Cœur s'écrie­ra: «Mon âme s'est toute fondue, toute liquéfiée quand elle a entendu la voix du Bien-Aimé, mon cœur a tressailli d'amour».

Quelquefois l'épreuve succède aux douceurs du colloque d'amour; le Bien-Aimé s'est enfui et l'âme le cherche partout; elle le demande aux gardiens de la cité, aux ministres du Seigneur, aux saints du Paradis, à tout ce qui l'entoure: «Je vous conjure, ô filles de Jérusalem, dites-moi où est mon Bien-Aimé et dites-lui que je languis d'amour».

Mais le Sacré-Cœur de Jésus se plaît à terminer cette épreuve de l'amour et l'âme peut s'écrier: «Mon Bien-Aimé est à moi et moi je suis toute à lui». Voilà comme la sainte Ecriture nous décrit les noces où l'agneau se donne lui-même en nourriture à ses bien-aimés, aux âmes qui le chérissent et qu'il chérit.

C'est dans ces ineffables entretiens que nous trouvons la lumière, la force, la consolation de la grâce, avec le dégoût, bien plus, l'oubli de tout ce qui n'est pas le Cœur eucharistique de Jésus. Ah! puisque nous com­munions souvent, nous devrions brûler de ces saintes ardeurs que nous décrit ici l'Esprit du Sacré-Cœur lui-même.

Mais peut-être sommes-nous encore paralytiques, peut-être sommes-nous muets pour chanter l'amour divin, peut-être sommes-nous livrés à la langueur? Eh bien! présentons-nous alors au Bien-Aimé comme des malades qui désirent leur guérison; ayons la douleur de l'amour si nous n'en avons pas les ardeurs; abîmons-nous dans notre néant, pleurons et ayons confiance et nous entendrons la voix du Sacré-Cœur de Jésus: «Mon fils, soyez guéri!». Ah! Cœur divin, Cœur eucharistique, entraînez-nous après vous, nous voulons courir dans vos voies, entraînez-nous à l'odeur de vos parfums; votre croix et vos épines n'en sont-elles pas aussi tout embaumées? S'il en est besoin, ressuscitez-nous afin que nous vivions toujours d'amour et que vous puissiez dire de nous: Cette âme est ressuscitée pour ne plus mourir; ce qu'elle vit, elle ne le vit plus que pour mon amour.

Une âme qui veut se disposer à cette conversation avec Notre-­Seigneur doit aimer la solitude et le silence. C'est un point essentiel de son règlement de vie. Elle doit y trouver son bonheur, son repos et sa vie. Ce doit lui être une peine quand elle est obligée de se livrer à des oc­cupations profanes. Sans le silence, en effet, il n'y a point de recueille­ment, d'union à Dieu, de correspondance à ses désirs.

Le silence extérieur s'étend encore aux peines, aux contradictions, aux observations qui nous sont faites. O mon Dieu, communiquez aux âmes vouées au divin Cœur de Jésus le goût de ce silence divin et la pra­tique du silence extérieur!

Jésus au saint Tabernacle expie par son silence tant de conversations frivoles, de paroles inutiles ou mauvaises dont ses créatures se rendent coupables. Il est victime pour les péchés de la langue. Il souffre particu­lièrement pour les fautes des âmes qui lui sont consacrées et pour lesquelles il a une tendresse spéciale.

Après cela, est-ce que je puis hésiter à aimer le silence? Ne dois-je pas être victime avec Jésus et comme Jésus?

Résolution. - je renouvelle toutes mes résolutions de silence et de re­cueillement. je comprends que l'union avec Jésus est à ce prix. Venez, ô mon Bien-Aimé, j'ai soif d'entendre vos doux entretiens et d'y goûter le lait de la douceur et le vin de la force!

CINQUIEME MEDITATION

LA SAINTE HOSTIE NOUS ENSEIGNE
LA PURETE ET LE DETACHEMENT

Pour entrer au ciel, il faut garder la chasteté selon son état. «Qu'elle est belle, s'écrie le livre de la sagesse, la génération chaste, qui vivra éternellement, parce qu'elle est aimée de Dieu!».

Mais la virginité est plus la chasteté. Elle donne aux âmes le privilège d'avoir au ciel une intimité particulière avec le Sacré-Cœur. «Les vier­ges, dit saint Jean, suivent l'Agneau partout où il va» (Apoc. XIV).

La bienheureuse Marguerite Marie va nous enseigner, par ses exem­ples, plus encore que par ses paroles, comment il faut répondre à l'appel de l'Epoux des vierges, quel modèle il faut suivre et quels moyens il faut employer.

L'appel que Notre-Seigneur adresse à certaines âmes privilégiées, de s'enrôler sous la bannière virginale, soit dans le sacerdoce, soit dans la vie religieuse, soit au milieu du monde est une grâce de prédilection. Les âmes qui l'entendent doivent s'empresser d'y répondre, après avoir con­sulté leur directeur.

La bienheureuse Marguerite-Marie, par une grâce spéciale, fit ce vœu dès ses premières années comme quelques saintes privilégiées, comme sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse, sainte Madeleine de Pazzi.

«Sans savoir ce que c'était, raconte-t-elle, je me sentais pressée de dire ces paroles: O mon Dieu, je vous consacre ma pureté et je vous fais vœu de perpétuelle chasteté…».

Heureuses les âmes généreuses et vigilantes qui, entendant l'appel de l'Epoux divin: Ecce sponsus venit, se lèvent aussitôt pour le suivre! Il les fe­ra entrer dans son divin Cœur, véritable salle du festin nuptial: Intraverunt cum eo ad nuptias.

Heureuses aussi les âmes qui, après s'être données, persévèrent et progressent dans cette vertu chère au Cœur de Jésus!

Dans sa retraite de 1678, la bienheureuse entendit ces paroles de son divin Maître: «Conserve en pureté le temple du Seigneur; car partout où il sera, Dieu l'assistera d'une spéciale présence de protection et d'amour».

Le temple du Seigneur, c'est l'âme sanctifiée par la virginité. Dieu voulait que dans le temple de l'ancienne loi tout brillât par la pureté. Les prêtres ne pénétraient dans le Saint des saints qu'après de rigoureuses purifications. A ce prix, le Seigneur était là spécialement présent. Il en est de même de l'âme vierge. Si elle est fidèle, Dieu lui promet une pré­sence spéciale de protection et d'amour.

Dans les sanctuaires de la loi nouvelle, Jésus a voulu se cacher sous une blanche hostie. La bienheureuse Marguerite Marie interprète ainsi son dessein: «La blancheur de l'hostie nous apprend qu'il faut être une victime pure, pour être immolée à Jésus; une victime sans tache pour le posséder: pure de corps, de cœur, d'intention et d'affection» (Vol 1, p. 194).

L'âme vierge a donc pour modèle la pureté de Jésus lui-même et ses immolations, symbolisées par la blanche hostie du tabernacle.

Que faut-il faire pour garder intact le lis virginal, que le moindre souf­fle étranger peut ternir? La bienheureuse Marguerite Marie, guidée et enseignée par le Sacré-Cœur va nous l'enseigner. Elle nous indique trois moyens principaux: la retraite et le détachement - la mortification et la lutte - la dévotion à Marie et au Cœur de Jésus.

La retraite et le détachement du monde. Dès que la bienheureuse eut fait le vœu de chasteté, toute son inclination fut de se cacher dans la campagne ou à l'église. La compagnie des hommes la troublait. L'amour excessif de sa famille faillit la retenir dans le monde où elle se serait probable­ment perdue. Notre-Seigneur intervint lui-même à plusieurs reprises. Il lui fit voir la beauté des vertus et surtout des trois vœux par lesquels on devient saint. «Ne suis-je pas le plus parfait des époux? lui dit-il. Si tu veux donner au monde une préférence injurieuse pour moi, je t'aban­donne à jamais».

La mortification et la lutte. C'est par les jeûnes et d'autres macérations que la servante de Dieu mettait la fleur de sa virginité comme au milieu d'une haie d'épines pour la protéger.

La dévotion à Marie et au Sacré-Cœur. Notre Seigneur lui-même dit à la Bienheureuse: «Je t'ai mise en dépôt aux soins de ma sainte Mère». Quant à l'union avec le Sacré-Cœur, Notre-Seigneur lui demanda «de consentir qu'il s'emparât et se rendît le maître de sa liberté, parce qu'el­le était faible». C'est ce qu'il nous demande aussi.

Résolution. - Oh! oui, ô mon bon Maître, je me donne et consacre à vous. Prenez ma liberté, prenez ma volonté, soyez mon guide, soyez ma vie.

SIXIEME MEDITATION

INVITATION A L'AMOUR DU SACRE-COEUR, NOTRE AMI, DANS LA SAINTE EUCHARISTIE

Le Cantique des cantiques nous a aidés à comprendre le cœur à cœur de Jésus solitaire au tabernacle avec l'âme qui le visite et qui est comme son épouse.

Marguerite-Marie décrit ce même cœur à cœur comme le colloque d'un ami avec son ami dans un festin d'amour.

L'Ami céleste invite l'âme à ce festin. L'âme répond à son Ami divin par des paroles toutes de feu.

Cette invitation, Notre-Seigneur ne l'avait-il pas insinuée dans son entretien avec la Samaritaine? Il est assis sur le bord du puits de Jacob. Ce puits symbolise le Sacré-Cœur, abîme d'amour et abîme de grâce. Jésus nous dit comme à la Samaritaine: «Si vous saviez le don de Dieu (qui est mon Cœur), vous me demanderiez à boire, (à cette source d'amour), et je vous donnerais à boire, et cette eau jaillirait en vos cœurs comme une source de vie pour l'éternité» (S. Jean, chap. 4).

Entrez dans ce Sacré-Cœur, écrit Marguerite-Marie, comme invitée au festin d'amour de votre unique et parfait Ami, qui veut vous enivrer du vin délicieux de son pur amour, qui seul peut adoucir toutes vos amertu­mes en vous dégoûtant de toutes les fausses délices de la terre, pour ne plus prendre de plaisir que dans le Cœur de ce cher Ami, qui vous dit amoureusement: «Tout ce qui est à moi est à toi; mes plaies, mon sang et mes douleurs sont à toi, mon amour rend nos biens communs; laisse-moi donc posséder tout ton cœur, et j'échaufferai tes froideurs et animerai tes langueurs, qui te rendent si lâche à mon service et si tiède à m'aimer».

Marguerite-Marie commente ainsi l'appel du céleste Ami: «Jésus­ Christ est le seul vrai Ami de nos cœurs, qui ne sont faits que pour lui seul; aussi ne peuvent-ils trouver de repos, de joie ni de plénitude qu'en lui seul…

«Il s'est chargé de nos péchés en se rendant notre caution envers son Père éternel… Il a voulu mourir pour nous mériter, par l'excès de son amour, une vie immortelle et bienheureuse. Remercions-le et bénissons-­le avec une ardente charité par laquelle nous devrions nous consommer de reconnaissance en lui faisant un continuel sacrifice de tout notre être…».

L'envisageant dans cette qualité d'ami, vous pouvez lui dire tous les secrets de votre cœur, lui découvrant toutes vos misères et nécessités, comme à Celui qui seul y peut remédier, en lui disant: «Oh! l'ami de mon cœur, celui que vous aimez est malade! Visitez-moi et me guéris­sez, car je sais que vous ne pouvez pas m'aimer tout ensemble et me dé­laisser en mes misères» (Écrits divers, t. II. p. 470, 462).

Ah! qu'heureuses sont les âmes qui se sont si parfaitement oubliées, qu'elles n'ont plus d'amour, de regards ni de pensées que pour cet uni­que Ami de nos coeuus! … «Il me semble que toute autre pensée et occu­pation ne sont que perte de temps».

Nous empruntons cette invitation à Marguerite Marie.

«O Cœur très saint, délices de la divinité, je vous salue; je vous invo­que dans ma douleur, et je vous appelle pour remède à ma fragilité. Cœur très miséricordieux, Cœur pitoyable et très bon de mon Père et de mon Sauveur, ne refusez pas votre secours à mon indigne cœur; vous, ô le Dieu de mon cœur, qui m'avez créé pour être l'objet de vos amours et le sujet de vos ineffables bontés.

O Cœur divin, venez à moi ou tirez-moi à vous.

Venez, ô le plus fidèle, le plus tendre, le plus doux et le plus aimable de tous les amis, venez à mon cœur; je vous somme, par votre amitié in­comparable et par votre parole donnée, de venir me soulager. Venez, et ne permettez pas que je vous donne sujet de me quitter.

Venez, ô la vie de mon cœur, ô l'âme de ma vie, ô le seul soutien de mon âme; venez me faire vivre de vous et en vous, mais efficacement, ô mon unique vie et tout mon bien.

Venez, ô mon Dieu et mon tout» (Petit livre de prières, t. II, 2p. 479, 481).

Résolution. - O Jésus, vous m'appelez à vous, vous semblez avoir be­soin de moi. Il n'y a en moi que ma misère qui puisse vous attirer, parce que vous voulez exercer votre miséricorde. Venez, ô vous que j'ose ap­peler mon céleste Ami. Venez et mettez en mon Cœur assez d'amour pour que vous y trouviez quelque joie et consolation.

TROISIEME MYSTERE

Le Sacré-Cœur
dans ses souffrances extérieures

PREMIERE MEDITATION

LA LOI DE LA DOULEUR
EST DEVENUE UNE LOI D'AMOUR

Après le péché originel l'homme cité au tribunal de Dieu se vit condamné aux souffrances, au travail, à la douleur, aux maladies et à la mort. C'est là une loi de la nature, à laquelle personne n'échappe. Tout homme, par cela même qu'il est fils d'Adam, souffre et meurt. Telle est la peine indélébile du péché. Mais dans sa miséricorde infinie, Dieu vou­lut bien nous accorder un Rédempteur. Le Verbe consentit à se faire homme, afin de nous rendre à nouveau participants de la divinité. Alors se présente ce problème: Fallait-il ramener l'homme racheté aux joies du paradis terrestre ou bien lui faire acheter le ciel avec la souffrance? La sagesse divine s'arrêta à ce dernier mode; seulement la souffrance fut transformée. Elle n'était auparavant qu'une punition, qu'un châtiment, elle devint dès lors une réparation, un moyen de purification et, comme le dit Tertullien, le char de triomphe qui conduit les élus au ciel.

La croix du Sauveur a transmuté les épines en roses et les pierres ro­cailleuses des souffrances en or et en diamant. Le mystère de la Rédemp­tion est tout là.

Il faut, dit saint Paul, que nous nous glorifiions uniquement dans la croix du Sauveur. Elle seule peut nous apporter le salut, la vie et la ré­surrection. C'est pour cela que l'Eglise s'écrie dans un transport d'amour: O crux, ave, spes unica! Salut! O Croix, notre unique espérance. C'est en effet sur cet arbre de salut que le Sauveur a attaché notre propre condamnation, qu'il a noyée dans son sang et dans son amour. La croix est devenue aimable, parce qu'elle est rédemptrice et source de grâces.

Elle prend je ne sais quoi de plus suave, de plus attrayant. Elle avait conservé jusque là un peu de sévérité, mais aujourd'hui, elle brille de mille feux.

Elle s'élance de ce Cœur tout brûlant d'amour pour nous, et si la loi évangélique existe toujours dans toute sa force, s'il est toujours essentiel de «crucifier le vieil homme avec toutes ses concupiscences», le Sacré­-Cœur sait adoucir le fardeau: «Prenez mon joug sur vous, car il est doux, car il est suave, car il est léger». L'action de l'amour, comme dit Jéré­mie, amollit ce joug et le fait, pour ainsi dire, disparaître. C'est ainsi que la Bienheureuse Marguerite-Marie n'avait avec le Sacré-Cœur qu'un seul amour, qu'un seul désir: celui de souffrir. En peut-il être autrement quand nous sommes unis à ce divin Cœur, abandonnés à ses saintes opérations, et qu'il souffre en nous? Car, si la croix paraît pesante, c'est qu'on la porte tout seul et que l'on ne prend pas avec soi le Sacré-Cœur qui la rend si légère.

Dieu ayant arrêté ce dessein de nous sauver par la croix, Jésus a aimé la croix. - «J'ai désiré manger cette pâque avec vous». - «Je dois être baptisé (d'un baptême de sang) et j'ai hâte que cela s'accomplisse». - «Il prit la croix avec joie».

Souffrir et sauver les âmes, c'était tout un pour lui. La croix est restée l'instrument du salut. La grâce du Christ est appliquée aux âmes en rai­son des souffrances et des sacrifices de l'apostolat.

Sachons donc comprendre la croix. Sans doute, on ne peut la désirer et l'affronter que dans la mesure de la grâce propre à chacun de nous; mais il est toujours bon et fructueux de pratiquer les petites mortifica­tions habituelles et d'accepter les sacrifices que la divine Providence nous envoie. Dieu connaît si bien notre faiblesse, il est si miséricordieux! Il ne nous imposera pas de fardeaux au-dessus de nos forces.

La Bienheureuse Marguerite Marie aimait les croix, sans cependant vouloir les choisir elle-même.

«Si vous saviez, disait-elle, combien notre souverain me presse de l'ai­mer d'un amour de conformité à sa vie souffrante!

Le plus grand bien que nous pouvons souhaiter, c'est d'être confor­mes à Jésus-Christ souffrant. Nous ne devons souhaiter de vivre que pour avoir le bonheur de souffrir par amour, mais jamais de notre choix. Ce n'est pas, dit-elle encore, qu'il faille demander la souffrance, car c'est le plus parfait de ne rien demander et ne rien refuser, mais s'aban­donner au pur amour pour nous laisser crucifier et consommer selon son désir».

Résolution. - O mon bon Maître, je veux vous dire mon amour, tout faire pour vous le prouver et accepter la croix pour vous ressembler et m'unir à vous. La croix devient aimable, si je songe qu'en la portant je vous soulage et je coopère à votre oeuvre.

DEUXIEME MEDITATION

LE SACRE-CŒUR ET LA FLAGELLATION

Sous les coups redoublés des fouets qui le meurtrirent, pas une plainte ne monta du Cœur de Jésus. Et cependant combien fut cruel et ignomi­nieux le supplice infligé au Sauveur! La flagellation était réservée aux esclaves, et Jésus était le Roi des rois. Les bourreaux frappaient avec une haine diabolique et Jésus se taisait! Le secret de cette patience surhumai­ne, c'est que Jésus souffre par amour, pour effacer nos fautes et pour ga­gner nos cœurs.

Arrivé au prétoire, notre aimable Sauveur, selon qu'il fut révélé à sainte Brigitte, se dépouilla lui-même de ses habits au commandement de ses exécuteurs. Il embrassa la colonne et y appliqua ensuite ses mains pour y être attaché.

Regardez comme Jésus souffrant, la tête baissée, les yeux fixés sur la ter­re, attend, tout couvert de confusion, l'indigne traitement. Son Cœur ce­pendant éprouve une satisfaction profonde, parce qu'il va réparer une infi­nité de péchés.

Voici que ces barbares, comme autant de tigres furieux, s'avancent, armés de fouets, sur l'innocente victime. Voyez, l'un frappe la poitrine, l'autre les épaules, celui-ci les bras, celui-là les jambes. Que dis-je : sa tête sacrée et son beau visage ne sont pas épargnés. C'est pour Jésus une joie intime que tous ses membres expient les souillures de tous les nôtres.

Les bourreaux, poussés par les démons et par les prêtres qui crai­gnaient que Pilate après ce tourment ne mît le Sauveur en liberté, pri­rent à tâche de le faire expirer sous le coups. Le sang divin coule de tou­tes parts. Les fouets, les mains des bourreaux, la colonne et le sol sont pleins de sang. Chaque coup faisait une plaie, dit saint Anselme, et les blessures s'élevèrent à plus de mille. Jésus fut tellement déchiré dans sa flagellation, dit l'historien Josèphe, que ses côtes furent mises à décou­vert. Jésus flagellé apparut à sainte Thérèse, et sur le côté gauche, un grand lambeau de chair pendait.

Le prophète Isaïe avait annoncé que la chair sacrée du Sauveur serait toute brisée et broyée à cause de nos péchés; attritus est propter scelera no­stra; et qu'il ne serait plus qu'une plaie des pieds à la tête.

O Jésus, couvert de plaies, que votre immense charité soit à jamais bé­nie! Vous avez voulu purifier toutes les fibres de notre corps et mériter des grâces de force et de préservation à tous nos membres et à tous nos organes.

La bienheureuse Marguerite-Marie rapporte que, pendant sa jeunes­se, par condescendance pour sa famille, il lui arriva plusieurs fois de prendre part à des fêtes mondaines. Mais, ajoute-t-elle, le soir, mon sou­verain Maître se présentait à moi comme il était dans sa flagellation, tout défiguré, me reprochant «que c'était ma vanité qui l'avait réduit en cet état… que je le trahissais et persécutais après qu'il m'avait donné tant de preuves de son amour et du désir qu'il avait que je me rendisse conforme à lui». Dès lors, continua-t-elle, je ne goûtai plus aucune joie mondaine, quoique j'y prisse part; mon Sauveur flagellé se présentait à moi et m'adressait ensuite ce reproche qui me perçait jusqu'au cœur: «Voudrais-tu bien ce plaisir? Et moi, qui n'en ai jamais pris aucun et me suis livré à toutes sortes d'amertumes pour ton amour et pour gagner ton cœur!».

Voilà le secret de Jésus, il eût pu nous racheter sans souffrir la flagella­tion, mais il a voulu gagner nos cœurs au moins par la pitié. Il a dit aussi à une âme mystique: «Toutes ces plaies sont autant de bouches qui vous demandent votre amour».

Le fruit principal, c'est toujours d'aimer Jésus davantage. Il demande notre amour par les lèvres de ses mille plaies.

Le fruit. secondaire, c'est de goûter et d'aimer au moins un peu la mortification, non pas pour elle-même, mais pour l'amour de Jésus. C'est là une grâce que la dévotion au Sacré-Cœur a rendue plus com­mune.

Si la mortification nous répugne, si nous n'acceptons pas la croix quo­tidienne, si nous nous plaignons dans la souffrance, c'est que nous som­mes tièdes. Allons au Cœur de Jésus, méditons sa passion. Jésus a pro­mis que par la dévotion à son Cœur, les âmes tièdes deviendraient fer­ventes.

Résolution. - Je vous aime, Jésus couvert de plaies et déchiré pour moi. Si je ne puis vous offrir du sang, comme les martyrs ont eu le bo­nheur de le faire, je vous offre du moins toutes les contrariétés qui m'ar­riveront et mes petites mortifications quotidiennes. Qu'est-ce que mon âme pourrait aimer avec plus de tendresse qu'un Dieu flagellé, épuisé pour moi?

TROISIEME MEDITATION

LE SACRE-CŒUR
ET LE COURONNEMENT D'EPINES

L'union intime de la dévotion à la sainte Couronne avec la dévotion au Sacré-Cœur nous a été manifestée par Notre-Seigneur lui-même, quand il a, à plusieurs reprises, montré à la bienheureuse Marguerite­ Marie son Cœur entouré d'épines. La sainte couronne fait désormais partie de l'image vénérée du Sacré-Cœur, elle en est devenue un corol­laire traditionnel.

C'est que Jésus a désiré, a aimé la couronne d'épines, comme il a ai­mé la flagellation. Son amour l'a conduit jusque là, qu'il a voulu expier directement par la douloureuse et humiliante couronne, tout notre or­gueil et tous nos péchés de pensée et d'imagination. Et combien cruelle­ment il les a expiés! L'Evangile le raconte: «Les soldats du gouverneur ayant emmené Jésus dans la cour du prétoire, rassemblèrent autour de lui la cohorte entière; et, après l'avoir dépouillé, ils le couvrirent d'un lambeau de pourpre. Ensuite, entrelaçant des épines, ils en firent une couronne, qu'ils lui posèrent sur la tête. Ils lui mirent aussi un roseau dans la main droite, et s'approchant de lui, ils fléchissaient le genou et lui disaient par dérision: Je vous salue, roi des juifs. Ils lui crachèrent au visage et prenant le roseau, ils l'en frappaient sur la tête et ils lui don­naient des soufflets».

Ah! mon Jésus, vous êtes cependant le véritable roi du ciel et de la ter­re. Comment êtes-vous devenu un roi de douleurs et d'opprobres? Voilà donc où vous a conduit votre amour!

Ce supplice des épines fut excessivement douloureux. Elles percèrent de toutes parts la tête sacrée du Sauveur. Ce tourment fut encore le plus long de sa Passion, puisque Jésus porta jusqu'à sa mort cette couronne qui provoquait de multiples douleurs chaque fois qu'on la touchait.

O hommes, s'écrie le vénérable Denis le Chartreux, si nous ne vou­lons pas aimer Jésus-Christ parce qu'il est bon, aimons-le du moins pour tant de peines qu'il a endurées pour nous.

Jésus couronné d'épines étant un jour apparu à sainte Thérèse, la sainte se mit à compatir à ses souffrances; mais le Seigneur lui dit: Thé­rèse, ne me plaignez pas à cause des blessures que me firent les épines des juifs, plaignez-moi plutôt à cause des plaies que me firent les péchés des chrétiens. Nos péchés, voilà les épines maudites qui percèrent la tête de Jésus.

A la bienheureuse Marguerite-Marie, Notre-Seigneur a souvent dit aussi que ses épines les plus douloureuses étaient les ingratitudes et les infidélités des âmes chrétiennes.

«Ce qui m'est plus sensible que tout ce j'ai souffert dans ma Passion, lui disait-il, c'est l'ingratitude des hommes. S'ils me rendaient quelque retour d'amour, j'estimerais peu tout ce que j'ai fait pour eux».

Une autre fois, lui montrant son Cœur si aimant tout déchiré, il lui dit: «Voilà les blessures que je reçois de mon peuple choisi. Les autres se contentent de frapper sur mon corps; ceux-ci attaquent mon cœur, qui n'a jamais cessé de les aimer».

Les péchés du peuple choisi, ce sont les épines du cœur.

Une autrefois, Jésus lui apparaît couronné de dix-neuf épines, symbo­le des actes d'orgueil d'une religieuse: «Elle me perce le cerveau d'épi­nes, lui dit-il, autant de fois que par orgueil elle se préfère à moi».

O Jésus, que d'épines cruelles j'ai enfoncées moi aussi, dans votre cœur si aimant!

Notre-Seigneur demandait à la Bienheureuse d'arracher ces épines douloureuses, mais comment faire? La Bienheureuse nous le dit en deux mots: réparer en aimant, aimer en réparant.

Je ne savais pas, dit-elle, comment tirer ces épines. Ma supérieure m'ayant dit de demander à Notre-Seigneur ce que je devais faire pour les faire sortir, il me dit que ce serait par autant d'actes d'humilité pour honorer ses humiliations.

Elle rapporte aussi que Jésus, dans ses lassitudes, se présentait à elle en lui disant de baiser ses plaies, pour en adoucir la douleur.

Enfin un jour Jésus lui demanda de partager sa couronne d'épines, et elle reçut accidentellement des coups à la tête qui la firent souffrir cruel­lement pendant longtemps.

Voilà les moyens de soulager la tête et le Cœur de Jésus couronnés d'épines, c'est de l'aimer tendrement, jusqu'à baiser ses plaies; c'est de faire des actes de vertu qui réparent les péchés dont il se plaint; c'est d'accepter avec patience et amour les épines, qu'il nous envoie.

Résolution. - O Jésus, c'est là ce que je veux faire à l'avenir; arracher les épines de votre Cœur et vous aimer de plus en plus en réparant mes fautes, et si vous le voulez, celles de quelques autres âmes.

QUATRIEME MEDITATION

DES DIVERSES DEVOTIONS
QUI ONT TRAIT A LA PASSION

Le Saint-Esprit a voulu manifester le mystère de la Croix et des souf­frances du Sauveur d'une manière différente, soit afin de satisfaire aux attraits divers qu'il suscitait lui-même, soit afin de répondre aux besoins des temps.

L'âme dévote à ce mystère aime à contempler son divin Sauveur atta­ché à la colonne, frappé sans miséricorde et baigné dans un torrent de sang. Elle se demande qui a pu porter de tels coups à cette chair innocen­te et elle répond: ce sont mes péchés, surtout ceux que j'ai commis par mon immortification, par mes impuretés, par la recherche de mes aises et de mes plaisirs. Si le Sauveur répand des flots de sang, il faut que je répande, moi, des flots de larmes, et l'amour met alors entre les mains du pénitent les fouets de la flagellation, qu'il tourne contre sa chair im­mortifiée. Il la châtie et la réduit en servitude.

Telle est la pensée qui a peuplé les déserts au temps de la primitive Egli­se, et les cloîtres pendant le moyen-âge. Tant de pécheurs aujourd'hui qui vivent dans la mollesse et s'abandonnent à tous leurs désirs les plus infâmes devraient prêter l'oreille aux doux gémissements de l'agneau immolé. S'ils ne veulent pas imiter toutes les saintes rigueurs des pénitents d'autrefois, qu'ils écoutent du moins les prescriptions de l'Eglise et qu'ils tremblent à la vue des supplices éternels qu'ils se préparent de leurs propres mains.

Cette face adorable méritait toutes les adorations, tous les hommages des hommes et des anges, et voilà l'état où l'ont mise les blasphèmes des pécheurs, leurs outrages, leurs pensées d'orgueil et d'impureté. Aussi la sainte Face est-elle devenue un des symboles principaux de la réparation extérieure de nos jours.

Cette dévotion est capable de produire les plus grands fruits parmi les fidèles. elle arrête les bras des impies, détourne la colère de Dieu que sol­licitent leurs blasphèmes et en même temps qu'elle répare les opprobres du Christ, elle nous donne des leçons de patience, de douceur et de rési­gnation.

Elle s'identifie avec celle du saint crucifix et résume les deux autres. La contrition, la réparation et l'espérance composent ses fruits princi­paux.

La contrition! Ce sont nos péchés qui ont attaché à la croix le divin Sauveur: nos péchés d'action représentés par les mains, nos péchés d'omission et d'injustice représentés par les pieds, et nos péchés d'affec­tion représentés par la plaie du côté. Le sang qui s'échappe de ces plaies adorables a été répandu pour effacer tous nos crimes, à la condition d'un repentir sincère et d'une pénitence efficace. Qu'il nous est facile de pro­duire ces actes d'amour en embrassant notre crucifix.

Les saints disent qu'une seule larme versée en souvenir des plaies du Sauveur vaut mieux que de longs jeûnes et de dures mortifications. Pleurons donc tendrement notre doux Sauveur blessé par amour pour nous dans la maison même de ceux qu'il traitait en amis, comme dit le prophète.

Le second fruit qui naît de la dévotion aux cinq plaies est la répara­tion, pour soi-même d'abord et ensuite pour les autres. La loi de Dieu nous attache en effet à la croix par la pratique rigoureuse des comman­dements et des devoirs de notre état. Nous accepterons en esprit de péni­tence tout ce qu'elle nous défend. Nos mains ne s'étendront plus vers l'iniquité; nos pieds ne se porteront plus dans les assemblées des mé­chants, et de plus nous accepterons volontiers toutes les souffrances que la divine bonté voudra nous imposer soit pour expier nos péchés, soit même pour réparer ceux des autres.

Le troisième fruit de cette dévotion est l'espérance. Jésus-Christ est attaché à la croix pour nous attendre, ses mains veulent nous embrasser, son côté ouvert laisse s'échapper des flots de grâce. Nous devons donc nous réjouir, car de ces plaies saintes sortent le salut, la vie et la résurrec­tion. Saint Thomas en mettant les doigts dans ces plaies saintes en a reti­ré la foi et des grâces abondantes. Nous aussi, nous en retirerons tous les secours dont nous avons besoin.

Telle est en peu de mots la dévotion aux cinq plaies. Elle a produit et produira toujours un grand bien dans l'Eglise. Cependant il ne faut pas croire que la dévotion au Sacré-Cœur n'en soit qu'une partie. En ado­rant, en contemplant les plaies du Sauveur, même celle du côté, nous n'entrons pas encore nécessairement dans la voie d'amour, si nous ne

remontons pas jusqu'au Cœur de Jésus, source de tous ses sacrifices. C'est là où nous devons entrer, si nous voulons immoler une hostie plei­nement et entièrement agréable à Dieu.

Pour nous, l'amour embrasse tout, il domine et contient toutes les au­tres dévotions. Il ne les exclut pas, mais il les transforme toutes en dévo­tions d'amour.

Notre-Seigneur disait lui-même à la bienheureuse Marguerite-Marie: «Ne pense et ne t'applique qu'à m'aimer parfaitement, à me plaindre en toute chose et en toute occasion. Que mon amour soit l'objet de toutes tes actions, de toutes tes pensées et de tous tes désirs. Ne sois appliquée à m'aimer que pour te rendre digne de m'aimer tous les jours davantage. je t'assure que, sans te mettre en peine d'autre chose, tu me feras encore plus par l'exercice du saint amour que tu m'en as promis par tes voeux. L'unité de mon pur amour te tiendra lieu d'attention dans la multiplicité de toutes ces choses».

Résolution. - L'unité du saint amour! c'est votre désir, ô mon bon Sauveur! je veux donc porter cette unité dans toutes mes dévotions. Aidez-moi! Dirigez-moi, donnez-moi de vous aimer! Si je vous aime, j'aimerai avec vous la croix que vous m'enverrez.

CINQUIEME MEDITATION

DE LA DEVOTION AU SACRE-CŒUR
PAR RAPPORT A LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR

La dévotion au divin Cœur de Jésus a pour but direct les sentiments, les affections intérieures de notre doux Jésus. Elle diffère en cela de la dévotion aux cinq plaies et au crucifix, qui s'arrête davantage à l'exté­rieur. Cependant elle la contient éminemment et d'une manière plus ex­cellente, car elle va chercher dans son fond le plus intime le feu même du sacrifice, cet amour qui a livré Jésus aux supplices et à la mort pour nous.

C'est par amour qu'il a été flagellé et couronné d'épines; c'est par amour qu'il s'est laissé attaché a la croix et qu'il est mort. Christus factus est pro nobis obediens usque ad mortem, mortem autem crucis. C'est sur la croix qu'il réalise entièrement l'oblation d'amour et d'immolation qu'il a faite en entrant dans la vie, en prononçant son Ecce venio.

Et l'amour de ce Cœur est si grand que tant de souffrances ne l'ont pas épuisé, qu'il aurait voulu souffrir davantage encore pour nous. In fi­nem dilexit nos. Ce Cœur nous a aimés jusqu'à la folie, jusqu'à s'épuiser pour nous.

Les âmes qui aiment ce divin Cœur restent donc pour ainsi dire en extase devant tant d'amour. Elles ne s'arrêtent pas longuement devant les souffrances extérieures. Elles les adorent, elles en baisent les marques avec respect, mais elles se perdent dans le Cœur d'où la croix s'élance, et elles s'écrient: «O amour, ô amour qui avez tant aimé, que demandez-­vous pour prix de tant de souffrances? Ah! c'est que je vous aime un peu; c'est que je vous donne tout mon cœur qui est si petit, dont la capa­cité d'amour est si faible; pourrais-je vous le refuser?». Et alors une vive reconnaissance s'allume dans ce pauvre petit cœur.

La contemplation de l'ingratitude des âmes et particulièrement des âmes choisies a excité en nous l'amour de compassion, lorsque nous avons partagé les angoisses du Sacré-Cœur au jardin des Oliviers. Mais lorsque nous voyons le Sauveur porter sa croix, étendre ses bras sur cette croix et mourir pour nous, si nous avons pénétré dans le doux sanctuaire de son Cœur. Oh! alors nos sentiments de compassion s'accroissent en­core. Notre âme est saisie d'un étonnement amoureux, d'une admira­tion indescriptible, et nous nous écrions avec Habacuc: Domine, audivi auditionem tuam et expavi. O Seigneur, je suis là à contempler votre chef-d'œuvre d'amour, votre sainte Passion, votre douce mort, et je ne sais plus que dire; mon âme est saisie, elle est ravie, elle est anéantie, surtout quand elle vous entend dire à la bienheureuse Marguerite ­Marie: «Je compterais pour rien tout ce que j'ai souffert pour les hom­mes s'ils me rendaient un peu d'amour».

Cette considération doit dominer les autres chez les amis du Sacré­-Cœur. Tous les autres sentiments, toutes les autres vertus ne satisfont pas entièrement le Cœur de Jésus. Il veut aussi évidemment le repentir, la pénitence, la mortification, mais il demande particulièrement l'amour de reconnaissance et l'amour de compassion. Si les autres vertus sont des pierres précieuses qui ornent la robe immaculée de l'Eglise, l'amour don­né au Cœur de Jésus est le rubis qui brille avec le plus d'éclat.

Un autre sentiment suit bientôt l'amour de compassion. Le Cœur Sa­cré de Jésus nous a tant aimés! Il s'est donné tout entier à nous; il n'a rien épargné pour témoigner son amour et cependant il n'est pas aimé! A peine si on le connaît un peu. Ce sentiment fait naître en nous un désir ardent de faire connaître cet amour qui n'est pas connu, qui n'est pas ai­mé. C'est le zèle apostolique, l'amour qui se répand au-dehors, cet amour, qui faisait dire à saint Paul: Je ne connais que Jésus crucifié et c'est lui seul que je prêche.

L'amour du Sacré-Cœur est déposé dans nos cœurs comme un vin nouveau qui, plein de générosité, ne demande qu'à se répandre et à se communiquer.

C'est ainsi que la très sainte Vierge, N. D. du Sacré-Cœur, compre­nait les mystères de la passion. L'amour maternel lui donnait une com­passion au-dessus de toute compassion, mais son Cœur de Mère brûlait aussi du zèle de faire aimer Jésus et devenait la source de tout apostolat.

Jésus veut être aimé, Jésus cherche des cœurs, Jésus a soif de l'amour. Est-ce donc assez que nous l'aimions nous-mêmes? Non, nous lui chercherons des cœurs, nous aussi. Nous chercherons à propager l'incendie de son amour; si nous rencontrons des cœurs bien doués, des natures aimantes, tâchons de les lui gagner. Lui donner des âmes ordi­naires, c'est déjà quelque chose, mais lui donner des saint Jean, des saint François, des saint Louis de Gonzague, quelle joie c'est pour lui, quelle consolation! Comment pourrions-nous lui témoigner un plus grand amour?

Résolution. - O mon Jésus! Je désire amener à cette dévotion les âmes que vous y appelez et que vous désirez gagner. Je suis prêt à tout pour cela. Je prierai, je souffrirai si vous le voulez. Vous contenter, n'est-ce pas tout mon désir, tout l'idéal de ma vie?

SIXIEME MEDITATION

LE SACRE-CŒUR APPELLE LES AMES GENEREUSES
A PRENDRE UNE PART DE SES SOUFFRANCES

Le but spécial de la dévotion au Sacré-Cœur n'est pas d'imiter le Sau­veur dans ses souffrances extérieures, au moins d'une manière directe. Les amis du Sacré-Cœur ne s'imposent pas nécessairement les mortifi­cations et les terribles flagellations des Pères du désert. Ils entrent dans le Sacré-Cœur et s'y enivrent de l'amour de reconnaissance et de compas­sion, mais c'est précisément à cause de cela qu'ils sont prêts à endurer généreusement la souffrance extérieure, si la Providence la leur envoie.

Nous ne choisissons pas tel ou tel genre d'immolation extérieure, par­ce que ce choix dépend de la volonté toute aimable du Sacré-Cœur, au­quel nous nous sommes abandonnés, et parce que l'immolation de l'amour est par elle-même toute généreuse et prête à tout. S'il plaît à ce divin Cœur de nous attacher à la croix avec lui, nous tressaillons d'allé­gresse, et ce n'est pas seulement avec résignation, mais avec joie, que nous laissons notre corps attaché à la croix; nous ne l'attachons pas, mais nous le laissons attacher. Nous ne nous donnons pas le coup de la mort, mais semblables à Isaac sur le bûcher, nous attendons que notre Père veuille bien nous immoler. Quels sont ses desseins? Nous ne le sa­vons pas; pour un grand nombre il se contentera des mortifications de règle et de l'union de leur amour avec celui du Cœur de Jésus; c'est là l'hostie essentielle et réellement suffisante.

Pour certaines âmes, il exigera l'immolation effective, soit dans un but de purification, soit afin d'enrichir le trésor du Sacré-Cœur pour le salut des pécheurs. Dès qu'il le voudra, écrions-nous: «Ita, Pater. Oui, mon Père». Oui, j'accepte la souffrance tout amère qu'elle paraisse à la nature; c'est un calice de joie et de gloire.

Parmi ces croix que nous destinera le Cœur Sacré du Rédempteur se trouvera parfois la maladie, C'est elle qui nous rend impuissants et nous cloue réellement à la croix avec le Sauveur. Les autres genres de peines nous laissent notre liberté, mais une maladie que l'on ne choisit pas, avec ses dégoûts, les remèdes que l'on est obligé de prendre, le repos plus fatigant que les douleurs elles-mêmes, telle est la croix que le Sacré-­Cœur se plaît à distribuer aux âmes qui désirent lui tenir fidèle compa­gnie, d'autant plus qu'elle facilite plutôt qu'elle n'empêche la contem­plation et l'exercice de l'amour souffrant.

Quand vous avez une croix, ne désirez pas la changer pour une autre; acceptez-la telle qu'elle est. La Providence veut que vous preniez les moyens de vous soulager, en vue d'un plus grand bien, si c'est possible. Acceptez tout ce que la Providence demande de vous. Vos dispositions seront parfaites si vous pensez que vous n'aimez pas la souffrance pour la souffrance, ni la croix pour la croix, mais que vous aimez le Sacre­-Cœur de Jésus qui a voulu vous donner telle ou telle souffrance, vous envoyer telle ou telle croix.

Perdons-nous donc dans ce Cœur divin; perdons-nous dans son ar­dent amour et dans son immolation, et alors la croix deviendra notre tré­sor, dans la mesure où ce divin Cœur voudra nous la donner.

N'était-ce pas la disposition de Notre-Seigneur envers son Père? Ecce venio: Me voici prêt à faire votre volonté. -je ne suis pas venu pour fai­re ma volonté mais pour faire la volonté de mon Père. - Mon Père, que votre volonté soit faite et non la mienne. Tout m'est bon, ô mon Père, si c'est votre volonté: Ita, Pater, quoniam sic fuit placitum ante te (Mat. XI, 26).

Comme Notre-Seigneur avait gravé profondément cette disposition dans le cœur de sa fidèle disciple la Bienheureuse Marguerite-Marie! Dans ses lettres et avis, elle recommande constamment l'abandon. «Tenez-vous prête, dit-elle, et disposée à tout faire et tout souffrir dans le silence d'une âme parfaitement abandonnée. Abandon pour le corps, prenant indifféremment la maladie comme la santé, le travail comme le repos. Abandon pour l'esprit, chérissant les sécheresses, les insensibilités, les désolations, et les acceptant avec les mêmes actions de grâces que vous feriez des douceurs et des consolations. Abandon pour le cœur, siège de l'amour et de la volonté, laquelle vous devez tellement faire mourir dans le Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que vous le laissiez vouloir pour vous tout ce qui est de son bon plaisir».

Résolution. - O mon bon Maître, tout ce que vous voudrez! je sais à qui je me confie: scio cui credidi (2 ad Timoth. I). Conduisez-moi par les voies de votre choix, je sais que vous ferez tout pour mon bien et pour votre gloire.

QUATRIEME MYSTERE

Le Sacré-Cœur de Jésus
abandonné du ciel et de la terre

PREMIERE MEDITATION

LE SACRE-CŒUR DE JESUS ABANDONNE DE SON PEUPLE ET DE SES AMIS

Elevé sur la croix, le divin Sauveur ne voyait devant lui que des enne­mis, n'entendait que des malédictions et des blasphèmes: Les juifs en pas­sant devant lui blasphémaient et branlaient la tête en disant. Va! toi qui détruis le temple de Dieu et le relèves en trois jours, sauve-toi, toi-même; si tu es le fils de Dieu, descends de la croix. De même les fils de Dieu, descends de la croix. De même les princes, des prêtres avec les scribes et les anciens raillaient le Christ en disant. Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même, s'il est le roi d'Israël qu'il descende de la croix et nous croirons en lui (Matt. 17).

Ce peuple que la Providence divine avait choisi avec tant de soin, dont elle avait fait l'éducation surnaturelle, ce peuple, dis-je, rejette et cruci­fie son Sauveur. Les prêtres, les scribes, les docteurs et les chefs de la na­tion sont envahis par une haine diabolique; rien ne pourra la fléchir. Elle traversera les siècles, enfantera la synagogue de Satan, c'est-à-dire la franc-maçonnerie, et finira par vomir sur la terre l'Antéchrist. Et pour­quoi cette haine? Pourquoi ce bandeau sur les yeux de ces prêtres, qui leur empêche de comprendre les Ecritures? C'est que Notre-Seigneur était bon et tendre pour les petits; c'est qui'il avait dit: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur»; et ces orgueilleux ne voulaient ni tendresse, ni bonté, ni humilité, ni simplicité; ce sont ces vertus qu'ils crucifiaient, qu'ils maudissaient, qu'ils auraient voulu et qu'ils veulent encore anéantir. Voilà ce qui déchirait le Cœur Sacré de Jésus. Il pleu­rait sur ce peuple ingrat et déicide, il pleurait sur les maux de Jérusalem. Il oubliait ses propres douleurs pour se lamenter sur la perte d'Israël et l'avilissement de son sacerdoce. Et ce Cœur si bon ne trouvait que des excuses et une prière pour ses impitoyables bourreaux. «Mon Père, disait-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font». C'est non seu­lement par son sang, dit saint Paul, mais encore par ses larmes, par le grand cri, écho de tout son Cœur, que le Sauveur sollicitait et obtenait le pardon pour les âmes disposées à se repentir. Hélas! ces misérables pha­risiens restèrent presque tous insensibles, et le bon larron, ce malfaiteur, crucifié et maudit avec Jésus, fut presque le seul à se repentir. La divine miséricorde devait se répandre sur les gentils, acteurs et spectateurs du supplice de Jésus.

Mais une autre chose rendait plus amère l'agonie de Jésus. Ses yeux languissants de douleur perçaient les voiles de l'avenir et contemplaient d'autres prêtres, héritiers ceux-là de son vrai sacerdoce, ministres de son corps et de son sang, interprètes de son Evangile, docteurs de son Eglise, et pourtant certains d'entre eux devaient hériter de l'aveuglement ou de la haine des fils d'Aaron. Que dire de ces hérétiques et de ces schismati­ques dont la fureur s'acharne contre la fiancée du Christ? Est-ce qu'ils ne veulent pas, eux aussi, anéantir la doctrine du Christ et mettre à mort une de ses vertus? Tolle, tolle, crucifige! Enlevez, détruisez, crucifiez l'obéissance, la chasteté, la pauvreté, la mansuétude, la charité, ces ver­tus odieuses qui troublent nos passions et notre égoïsme; et ces cris de ré­volte perdent les âmes. Sans leurs prêtres, les juifs n'eussent pas crucifié le Sauveur. Sans les prêtres aussi, une partie des nations chrétiennes ne seraient pas tombées dans l'hérésie et le schisme. C'était donc un double abandon qui oppressait le Cœur de Jésus: l'abandon d'une partie trop notable du sacerdoce chrétien, s'ajoutant à l'abandon du sacerdoce hébraïque.

Cependant où étaient les disciples et les amis de Jésus? Ils avaient peur, ils se cachaient; ils ne comprenaient pas le grand mystère de la croix; d'autres, les étrangers, étaient indifférents aux souffrances et à l'amour qui procuraient le salut au genre humain.

Il y a aujourd'hui aussi trop d'indifférence et d'ingratitude. Le Sau­veur dans sa miséricorde a voulu nous révéler son divin Cœur. Quel en­thousiasme, quelle reconnaissance eût dû soulever cette miséricorde in­ compréhensible, cette délicate tendresse de Notre-Seigneur! Eh bien, on n'y a pas assez répondu. Les uns sont restés froids et ont refusé d'entrer dans la salle des noces. Les autres comprennent peu ou comprennent mal; un grand nombre rejettent le don de l'amour, le blasphèment et s'en moquent.

Tel est cet abandon cruel qui afflige à ce point le Sacré-Cœur de Jé­sus, qu'il s'écrie: «Sitio! J'ai soif! Ce n'est pas seulement la soif corporel­le qui me tourmente, mais c'est la soif des âmes. J'ai soif d'être aimé, et je ne le suis pas». Mais ce cri de détresse du Cœur de Jésus mérite d'être entendu. Il l'a déjà été en partie et il le sera de plus en plus. Les impies abreuvent le Sauveur de fiel, les indifférents et les tièdes de vinaigre; ceux qui aiment son divin Cœur l'abreuveront enfin d'amour et le de­saltereront.

Sitio! J'ai soif! ah! ce mot résume toute l'angoisse du Sacré-Cœur, tout son amour brûlant. Qu'il résonne sans cesse à nos oreilles, qu'il frappe notre cœur! Ne cessons pas de désaltérer le Sacré-Cœur; et com­ment ferons-nous? Multiplions les actes d'amour, et que ceux qui ont charge d'âmes parmi nous, vis-à-vis des enfants ou vis-à-vis des person­nes qu'ils doivent évangéliser, fassent produire des actes d'amour in­nombrables en l'honneur du Sacré-Cœur. C'est l'eau qui apaisera la soif de celui qui est toujours altéré de notre amour.

Ne nous lassons pas de l'abreuver d'amour puisque le monde ne cesse pas de l'abreuver de fiel et de vinaigre.

Nous serons peu nombreux peut-être en commençant notre oeuvre d'amour, de consolation et de réparation. Mais n'imitons pas la faiblesse de quelques-uns des disciples du Sauveur. Peu importe si l'enfer nous maudit, peu importe si notre zèle nous attire des malédictions et des mo­queries. Ah! quelle douce joie que celle de souffrir persécution pour le Sacré-Cœur de Jésus! Les premiers dévots du Sacré-Cœur ont senti l'isolement qu'avaient éprouvé les disciples du Calvaire; ils ont semé dans la peine; à la génération qui vient, il sera donné, de moissonner dans la joie.

Résolution. - Bon Maître! Vous avez soif de notre amour, de nos con­solations et réparations, nous voici, nous voulons être fidèles comme vos amis du Calvaire, à travers les opprobres et les souffrances, s'il le faut.

DEUXIEME MEDITATION

LE SACRE-CŒUR ET LA CROIX

Le Sacré-Cœur et la croix sont intimement unis. Dans ses révélations, le Sacré-Cœur nous a constamment présenté la croix entourée des flam­mes de son amour. Le Cœur de Jésus aime donc ardemment la croix. Est-ce étonnant, si elle est l'instrument de la réparation pour la gloire de son Père, l'instrument de la rédemption pour nos âmes, qu'il aime tant!

Jésus, en descendant les degrés du prétoire, se trouve en face de sa croix que les bourreaux lui présentent. Qui pourrait dire avec quel re­gard d'amour il considéra ce bois sacré qu'il devait bientôt empourprer de son sang?

Elle est plus sainte et plus précieuse que le tabernacle de l'Ancienne Loi, devant lequel se prosternaient les prêtres et le peuple. Elle est l'autel où va être immolé la victime rédemptrice, le véritable Agneau de Dieu. Le Sacré-Cœur voit en elle le trône de son amour, l'instrument de ses miséricordes, le trophée de ses victoires.

C'est la croix qui l'avait attiré du ciel, comme le plus cher objet de ses désirs et le but de toutes ses courses et de toutes ses fatigues.

Quel fut le sentiment du Sacré-Cœur, quand il se vit si près de ce qu'il avait cherché toute sa vie?

Qui pourrait dire le doux accueil qu'il lui fit, lorsqu'elle lui fut présen­tée pour la mettre sur ses épaules? Il l'embrassa tendrement, en prélu­dant à tous les pieux baisers que nous donnerions aux images de la croix pendant le cours des siècles.

O croix, plus précieuse que l'or, depuis que le Sauveur t'a sanctifiée par ses embrassements, tous les élus te chérissent et te respectent… Tu es pour nous plus que l'arbre privilégié du paradis, dont le fruit prolon­geait la vie, tu es plus que l'arche de Noé qui ne sauva les hommes que d'un déluge matériel, plus que l'arche du sanctuaire, qui contenait les tables de la loi. Tu es comme l'échelle de Jacob, qui nous conduit droit au ciel.

Jésus a bien voulu se montrer insuffisant à porter la croix, c'est parce qu'il réservait des grâces à Simon de Cyrène et avec lui à tous les pécheurs, qui seraient ramenés à Dieu par la croix.

Jésus se laisse donc faiblir sous la croix. Les bourreaux lui donnent un aide, non point par compassion, mais parce qu'ils craignent que Jésus n'échappe à la croix par une mort prématurée.

Il ne se trouve pas un juif qui veuille toucher la croix, parce qu'elle est pour eux un objet de malédiction que tout le monde fuit avec horreur. Ils contraignent donc un étranger, un passant, Simon de Cyrène à aider Je-sus. Tout cela était providentiel. Et Simon, par ce contact sacré reçoit des grâces qui feront de lui un saint et un martyr.

C'est ainsi que Notre-Seigneur nous envoie des croix de conversion; des ma­ladies, des disgrâces, des afflictions, des désolations, afin de nous sauver, lors même que nous apportons plus de résistance à notre salut. Ces croix nous répugnent, comme la croix du Sauveur à Simon de Cyrène, et cepen­dant elles sont une industrie de l'amour de Jésus.

O bon Maître, ne regardez pas mes inclinations, mais mon salut! non ce qui me plaît, mais ce qui m'est nécessaire et ce qui vous est agréable.

A ses saints, à ses amis, le Sacré-Cœur donne des croix, comme une grâce spéciale, comme un trait de ressemblance avec lui, comme un moyen puissant de salut et d'apostolat.

La Bienheureuse Marguerite-Marie se glorifiait d'être appelée à l'honneur de partager le poids écrasant qui pesait sur les épaules de son divin Maître, surtout depuis qu'elle avait entendu celui-ci lui dire: Je ché­ris la croix et ceux qui la portent comme moi et pour l'amour de moi.

Mais rien ne peut mieux nous faire comprendre le prix de la croix que cette vision où la Sainte Trinité tout entière exalte la croix et en montre le prix.

Le Père éternel, dit-elle, en me présentant une grande croix, me dit: Tiens, ma fille, je te fais le même présent qu'à mon fils bien-aimé.

Mon Seigneur Jésus-Christ me dit: Et moi je t'y attacherai, comme j'y ai été attaché, et je t'y tiendrai fidèle compagnie.

La troisième de ces adorables personnes me dit: Que lui, qui n'est qu'amour, m'y consommerait en m y purifiant.

N'est-ce pas le cas de dire: «Si tu savais le don de Dieu!» Oh! que la croix, portée par amour pour Jésus et les âmes a de prix!

Résolution. - O Jésus, que je porte au moins avec patience les croix de conversion, comme a fait Simon de Cyrène. Ou plutôt, que je porte avec amour la croix de la mortification et les croix de Providence, qui sont des instruments d'amour et d'apostolat!

TROISIEME MEDITATION

L'AMOUR REGNE DANS LA SOUFFRANCE

Le roi des cœurs veut avoir à sa suite son royal cortège de vertus. «Un jour, écrit la Bienheureuse, mon Bien-Aimé me dit: Je veux te faire lire dans le livre de vie où est contenue la science d'amour. Et me découvrant son cœur, il m'y fit lire ces paroles:

L'amour règne dans la souffrance; Il triomphe dans l'humilité;

Il jouit dans l'unité.

L'amour règne dans la souffrance, c'est la première leçon de la science d'amour. Nous allons l'étudier à la lumière des révélations du Sacré-­Cœur.

C'est par la croix que Notre-Seigneur nous purifie. «Je mets au nom­bre de ses plus grandes miséricordes, disait Marguerite-Marie, ce qu'il me fait souffrir ici-bas. Par ce moyen, j'espère acquitter quelque chose de cette grosse dette que j'ai encourue par mes péchés».

La souffrance nous détache des créatures. «Il ne peut y avoir de plai­sir, dit la Bienheureuse, qu'à aimer Dieu et à souffrir dans cet amour, surtout les précieuses humiliations, qui nous attirent l'oubli et le mépris des créatures» (Lettre 86).

La Bienheureuse affirme encore qu'une âme avance plus dans la per­fection en un mois, ou même en une semaine de peines et d'afflictions, acceptées avec une humble et amoureuse soumission au bon plaisir di­vin, que pendant une année entière, passée dans les douceurs et les con­solations sensibles.

La croix éloigne les obstacles à l'amour divin, en nous purifiant de nos fautes et en payant nos dettes envers Dieu. «Les peines intérieures, re­çues avec amour, écrivait Marguerite-Marie, ressemblent à un feu puri­fiant, qui va en consumant insensiblement dans l'âme tout ce qui déplaît au Sacré-Cœur de Notre-Seigneur; il se sert de ces moyens pour la sanc­tifier, pourvu qu'elle en fasse un saint usage».

La croix nous unit au Sacré-Cœur. «Il est plus proche de nous lorsque nous souffrons, dit la Bienheureuse, que lorsque nous jouissons». Les humiliations, les angoisses, les pertes que l'on fait des personnes chères, ce sont des visites du Seigneur. Lorsqu'il nous arrivera quelque peine,

disons-nous à nous-mêmes: «Prends ce que le Sacré-Cœur de Jésus­Christ t'envoie pour t'unir à lui».

On peut donc bien dire que le Sacré-Cœur règne en nos âmes, en les purifiant et les sanctifiant par la souffrance.

Souffrir pour Jésus et avec Jésus, n'est-ce pas la plus grande marque d'amour que nous puissions lui donner? N'est-ce pas le faire régner en nos cœurs de la façon la plus complète et sans vues intéressées de notre part?

C'est en souffrant pour nous que Jésus nous a montré le plus d'amour. Il nous l'a dit lui-même: «Personne, dit-il, ne montre plus d'amour pour ses amis que celui qui donne sa vie pour eux» (S. Jean 15).

Eh! bien, nous non plus, nous ne pourrons pas lui témoigner plus d'amour qu'en souffrant pour lui. Il règne vraiment dans les cœurs de ceux qui souffrent pour lui, il y règne sans partage, puisqu'ils aiment mieux souffrir pour lui que de jouir avec le monde.

«Pour le glorifier, dit Marguerite-Marie, portons amoureusement toutes les croix qu'il nous présentera».

Il faut que cela devienne chez nous une disposition habituelle. «Nous ferons donc attention, dit la Bienheureuse, d'offrir chaque jour à Notre­Seigneur au moins cinq pratiques d'amour de la croix, que nous lui pré­senterons lorsque nous le visiterons au Saint-Sacrement».

L'apostolat de la souffrance est le plus fécond. En unissant nos petites souffrances à celles du Sacré-Cœur, nous devenons tout puissants pour le salut des âmes.

«Recevons les occasions de souffrir, dit la Bienheureuse, comme un gage de l'amour du Sacré-Cœur, qui prétend nous faire mériter par de tels moyens. Comme nous le savons, un moment de souffrance bien pri­se pour l'amour de Dieu vaut le prix d'une éternité bienheureuse» (Let­tre 96).

Nous obtenons facilement pour les âmes les plus grandes grâces en souffrant quelque chose pour elles.

Pour tous ces motifs la Bienheureuse disait: «Des bienfaits du Sei­gneur, celui que je chéris davantage, c'est l'inestimable trésor de sa

croix. Toutes les autres grâces ne sont pas comparables à celle de porter la croix avec Jésus et de souffrir pour son amour».

Résolution. - O Jésus, je veux vous faire régner sur mon cœur et sur les âmes par ma générosité à porter la croix, et je veux aussi régner sur votre cœur en vous donnant ce témoignage de mon amour.

QUATRIEME MEDITATION

LE SACRE-CŒUR DE JESUS
ABANDONNE PAR SON PERE

Pendant sa longue et douloureuse agonie sur la croix, le Sauveur s'écria: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?». C'est là une parole bien étonnante et qui recèle un des mystères qui ont le plus occupé les écrivains ascétiques.

Pour bien comprendre cette plainte douloureuse, il faut ouvrir le psaume 21, qui est la description fidèle des sentiments du Cœur de Jésus pendant sa passion et qui s'ouvre lui-même par ce cri déchirant: «Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? - Deus, Deus meus, respice in me, quare me dereliquisti?». Le prophète ajoute immédiatement: «Longe a sa­lute mea verba delictorum meorum; la voix de mes péchés éloigne de moi le sa­lut». Notre-Seigneur était sur la croix pressé par toute sorte de douleurs; son humanité sainte avait droit à quelques soulagements, mais elle s'était faite victime pour le péché. Afin de nous attirer la bénédiction, Jésus s'était fait pour nous malédiction. Il fallait donc que le bras de la ju­stice divine s'appesantît sur cette victime sainte; il fallait que le péché fût écrasé et détruit par sa mort; aussi, tant que la vie mortelle résidait enco­re dans le Cœur de Jésus, elle devait supporter tous les affronts et épui­ser le calice de la douleur.

On peut penser qu'un autre tourment déchirait le Cœur de Jésus: l'inefficacité de sa Passion pour beaucoup d'âmes. Tant d'âmes ne de­vaient pas profiter du salut qu'il achetait avec tant d'héroïsme et tant d'amour!

L'abandon que subissait Jésus sur la croix n'était qu'apparent. Son âme sainte jouissait toujours de la vision béatifique. Les torrents de la douleur cachaient sa joie sans l'anéantir; mais les âmes ingrates, après avoir abusé de la Rédemption seraient condamnées à l'abandon divin, en­tier, absolu et sans retour. Que dire si ces âmes avaient été comblées de grâces, si elles avaient reçu le plus grand des privilèges, celui de participer au sacerdoce de Jésus; si après avoir sauvé d'autres âmes, elles se conda­mnaient elles-mêmes à la réprobation? Tel est le fond du calice; c'est là ce qu'il y a de réellement amer dans la souffrance du Sacré-Cœur.

Il pense à l'enfer où tant d'âmes iront s'engouffrer et il dit à son Père: «Pourquoi m'abandonnez-vous sans m'accorder le pardon de tous?». Mais il fallait que la justice divine eût son cours.

Jésus avait voulu aussi ajouter à ses souffrances corporelles cet aban­don, cette espèce de peine du dam, pour nous racheter plus abondam­ment de l'enfer en le souffrant jusqu'à un certain point à notre place, et pour nous témoigner encore par cette souffrance un plus grand amour.

A notre compassion nous devons unir le zèle pour les âmes.

C'est ce que faisaient Marie et les Saints du Calvaire. Ils partageaient les regrets et les tristesses du Sauveur et avec lui suppliaient Dieu d'aug­menter autant que possible le nombre des élus. Ils offraient leurs prières, leurs sacrifices, leur zèle pour concourir au règne du Sauveur sur les âmes. Avec lui ils acceptaient les crucifiements intérieurs, les abandons, les tristesses. Ils se promettaient aussi de travailler à gagner les âmes par une activité apostolique proportionnée à leur vocation.

De même que Notre-Seigneur souffrait surtout de la perte des âmes privilégiées, des âmes qui ont eu de plus grandes grâces ou une vocation plus élevée, ainsi les Saints du Calvaire désiraient surtout le salut et la sanctification de ces âmes, comme saint Jean le manifesta par toute sa vie et notamment par la tendre charité qu'il montra envers les prêtres de l'Eglise d'Asie.

C'est ainsi que nous devons travailler par la prière, et par l'apostolat selon notre vocation, au salut et à la sanctification des âmes et surtout de celles qui sont particulièrement chères au Cœur de Jésus.

Résolution. - Bon Maître, mon cœur compatit à votre abandon sur la croix et je pleure avec vous la perte des âmes qui vous sont chères. Ac­ceptez mes prières, mes larmes, mes oeuvres pour leur salut.

CINQUIEME MEDITATION

DE LA CONSOLATION DU SACRE-CŒUR
DANS SES ABANDONNEMENTS

Dans l'agonie de Gethsémani, un ange avait apparu à Jésus portant le calice de la consolation. Pendant l'agonie de la croix, les consolateurs c'étaient la très sainte Vierge, saint Jean, sainte Marie-Madeleine et les saintes femmes, et en leur personne, les saints de tous les temps, mais en particulier les amis dévoués du Sacré-Cœur.

La sainte Vierge était donc au pied de la croix, avec quelle douleur, quelle compassion maternelle, mais aussi avec quelle générosité! Le Sacré-Cœur est ouvert pour elle, elle comprend son amour, ses douleurs et son immolation, elle comprend tout, et malgré sa tendre compassion, elle n'eût pas voulu que son Jésus descendît de la croix. Nouvel Abra­ham, elle était disposée à le sacrifier elle-même, si telle avait été la volon­té divine. Telle est la femme par excellence, la mère du genre humain. Eve près de l'arbre de la volupté sacrifie tous ses enfants à un vain plai­sir. Marie au pied de l'arbre de douleur donne son propre Fils pour le salut des autres hommes. Et cet acte héroïque lui mérite de devenir notre mère.

«Femme, lui dit Jésus, en désignant saint Jean, voici votre fils», et saint Jean représentait tous les hommes et en particulier les amis dé­voués du Sacré-Cœur.

O privilège incomparable, dont nous ne pourrons jamais assez remer­cier le Sacré-Cœur de Jésus! Les amis dévoués de ce Divin Cœur sont les enfants de la sainte Vierge, plus que tous les autres fidèles, car ils réa­lisent en eux-mêmes toute la vie de cette douce et tendre mère: Ne vivre que pour le Sacré-Cœur, n'aimer que le Sacré-Cœur. Ils ont donc un droit tout spécial à ses caresses. La sainte Vierge leur lègue sa mission d'amour et de réparation auprès de la croix.

La tendre et profonde compassion de saint Jean était aussi une douce consolation pour Notre-Seigneur. Le bon Maître contemplait avec une satisfaction profonde les larmes d'amour du pieux disciple; il se réjouis­sait aussi de voir dans la personne de saint Jean les amis dévoués du Sacré-Cœur dont le saint Apôtre était tout à la fois la figure et le père. Voir des cœurs qui tâchent de pénétrer dans son Cœur divin, des cœurs qui s'efforcent de payer l'amour par l'amour, telle est la consola­tion immense qu'avait le bon Jésus quand ses yeux mourants s'arrê­taient sur saint Jean.

Le disciple bien-aimé ne disait pas: «Seigneur, frappez sur moi; je veux endurer dans ma chair toutes vos souffrances inouïes». C'était là plutôt la prière du bon larron, vraie victime de réparation et d'expiation avec Jésus. Le bon larron représentait le pécheur qui souffre les douleurs et la mort de la croix afin de se punir d'avoir offensé Dieu et de satisfaire autant qu'il est en lui, pour les fautes de ceux qui sont coupables comme lui. Le bon larron joint même l'apostolat à son oeuvre de réparation, il réprimande son compagnon de crimes et de blasphèmes; il essaie de le ramener à Jésus. Il était aussi la figure des âmes victimes et pénitentes.

Telle n'est pas la prière de saint Jean. Il offre au Cœur de Jésus son cœur. C'est par l'amour qu'il panse les plaies du Sauveur. Cet amour sera tel, que Jésus voudra l'affranchir du martyre proprement dit, afin que le mérite de cette charité brûlante parût davantage aux yeux des hommes.

Ces âmes généreuses furent aussi des consolatrices pour Notre ­Seigneur. Leur tendre compassion fut un martyre pour leurs cœurs. Aussi sainte Madeleine et les saintes Femmes ne devaient pas connaî­tre d'autres supplices que leur amour même pour le Cœur de Jésus, par­ce que rien n'égale cet acte incomparable d'immolation qui est l'immo­lation du cœur lui-même, victime la plus agréable au Cœur de Jésus. Notre-Seigneur lui-même a rendu ce témoignage à sainte Madeleine, dans une révélation privée à la Bienheureuse Varani: «Après le Cœur de ma Mère, disait-il, celui de Madeleine fut le plus compatissant à ma Pas­sion. C'est pour cela qu'après ma résurrection elle reçut ma visite avant tous les autres. Parce qu'elle fut la plus affligée de mon trépas après ma Mère, elle fut aussi la première après elle que je m'empressai d'aller consoler» (Bollandistes).

Sainte Madeleine, dans toute sa vie de pénitence intérieure et de com­passion pour les souffrances du bon Maître, resta le parfait modèle des amis et des victimes réparatrices du Sacré-Cœur.

C'est là aussi ce que vous demandez de nous, ô mon bon Maître; nous devons nous tenir habituellement dans la disposition de compatir à vos abandonnements, toujours renouvelés. Nous devons être assidus auprès de vous et nous montrer vraiment vos amis, vos compagnons dévoués, lors même qu'il y aurait pour nous un péril ou des opprobres à supporter à votre suite. Le véritable amour ne compte pas avec les obstacles.

Le martyre du cœur est celui que vous aimeriez à obtenir de nous, le martyre des larmes, de la compassion, de la tendresse.

S. François d'Assise s'écriait: «L'amour n'est pas aimé!». Il a souffert le martyre du cœur, le martyre des stigmates.

Sainte Thérèse avait désiré aussi le martyre du sang, vous ne lui avez donné que la blessure de l'amour.

Saint Philippe de Néri souffrait de ses excès d'amour.

O douce Vierge Marie, Notre-Dame de Compassion, Notre-Dame des douleurs, donnez-moi de pleurer avec vous en contemplant Jésus crucifié!

Résolution. - O mon bon Maître, trop souvent je me suis enfui, je vous ai abandonné sans compatir à vos douleurs. Changez mon cœur, transformez-le par l'intercession de Marie, de saint Jean et de sainte Madeleine. Faites-moi votre disciple et ami compatissant.

SIXIEME MEDITATION

DE L'ACTE D'ABANDON DU SACRE-CŒUR
ET DE LA MORT DE JESUS

Voici le grand mystère de l'amour, le centre où convergent toutes les figures de l'ancien Testament, l'objet de toutes les prophéties, la source et le canal de toutes les grâces, l'immolation réalisée! Le Seigneur meurt sur la croix!

Nous nous arrêterons d'une manière spéciale 1° sur l'acte d'abandon qui précéda la mort de Jésus; 2° sur l'abandon spécial au Sacré-Cœur; 3° sur la nature même de la mort de Notre-Seigneur.

Le Seigneur voyant que son heure était arrivée s'écria: «Mon Dieu, je remets mon esprit entre vos mains»; c'est-à-dire: «Mon Dieu je vous rends tout ce que je suis, je vous abandonne mon âme et je vous livre ma vie. Faites de moi et des mérites que j'ai amassés tout ce qu'il vous plai­ra». Le divin Cœur était auparavant sous le poids de l'angoisse; il se ré­pétait: «Que deviendra mon sang? qu'en feront les hommes?». Puis il s'écrie: «In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. Ce Cœur, mon Dieu, je le remets entre vos mains, disposez de lui comme vous l'enten­drez». Ce grand acte résume toute la vie du divin Cœur de Jésus, les mystères de son Incarnation, ceux de la Passion et même les mystères de la gloire et de l'Eucharistie.

Ce grand acte d'abandon fait tout le prix de la vie d'une âme dévouée au Sacré-Cœur, Elle le prononce en se consacrant au Sacré-Cœur, elle ne cesse de le répéter tous les jours de sa vie; c'est là sa disposition uni­que, tant elle est habituelle, tant elle domine toutes les autres.

L'acte d'abandon n'est pas nouveau dans l'Eglise. L'habitude de cet acte a été pratiquée aussi par plusieurs saints; mais quand il s'adresse au Sacré-Cœur cela lui donne un caractère tout particulier. En effet l'aban­don se présente ailleurs sous deux aspects; les uns s'abandonnent afin d'acquérir un plus haut degré de perfection, ils savent que c'est là une condition excellente pour obtenir des grâces de choix. D'autres font l'ac­te d'abandon à la justice divine en esprit de victimes. Ils demandent po­sitivement à Dieu qu'il veuille bien les frapper, afin d'épargner leurs frè­res ou d'obtenir telle ou telle grâce d'un haut prix. L'abandon au Sacré­-Cœur est plus généreux encore.

En faisant son acte d'abandon, le Sauveur poussa un grand cri qui, dit saint Paul, pénétra les cieux. Ce cri était celui de l'amour, c'était le cri du Cœur de Jésus. C'était l'abandon du Cœur de Jésus à l'amour et à la volonté de son Père. Nous nous abandonnons également à l'amour du Cœur de Jésus par la profession d'amour envers ce divin Cœur et en le faisant régner uniquement dans notre cœur, nos affections et nos inten­tions; puis nous nous abandonnons à lui par la profession d'immolation en lui sacrifiant nos actions et nos mérites satisfactoires. Notre abandon et notre confiance se résument dans cette formule: «In te cor Jesu, speravi; non confundar in aeternum. Je mets ma confiance dans le Cœur de Jésus, je ne serai pas confondu».

Tout est dans cet amour, tout est dans cet abandon. Que chacun des amis du Sacré-Cœur le répète souvent, qu'il n'ait pas d'autre pensée, pas d'autre désir!

L'abandon au Sacré-Cœur ne ressemble pas à celui que les âmes vic­times font à la justice divine, il est plein de douceur et de paix, comme celui que Notre-Seigneur fit de son esprit à son Père: In manus tuas, Domi­ne, commendo Spiritum meum. La mort elle-même soufferte par amour pour ce divin Cœur n'a plus d'amertume pour une âme généreuse.

Considérons, en troisième lieu, la mort même de Notre-Seigneur. Il dit dans l'Evangile que personne ne lui arrache la vie, mais qu'il la don­ne de lui-même. Il assure aussi que la plus grande marque d'amour qu'un ami puisse donner à son ami, c'est de lui sacrifier sa vie. Il mou­rut donc dans l'exercice de l'amour envers nous. Nous pensons avec plu­sieurs théologiens que la mort se produisit en lui par l'excès même de l'amour qu'il avait pour nous. Les tourments qu'il avait endurés n'avaient pour ainsi diminué en rien la force vraiment divine de son corps sacré, mais la charité qu'il avait pour nous fut si grande qu'elle fi­nit par séparer son âme de son corps. Du reste, quelle que soit l'opinion que l'on admette, il est toujours vrai que l'amour du Sacré-Cœur pour nous a été si grand qu'il ne lui a pas laissé un seul moment de repos, qu'il l'a condamné à toute espèce de tourments et qu'il a fini par lui ar­racher la vie. Tel est cet excès d'amour qui nous a valu tant de grâces. Il devrait agir sur nous si fortement qu'il nous arracherait la vie. C'est par extase d'amour que le Cœur de Marie s'est brisé, c'est par amour que tant de saints ont rendu leur âme à Dieu. Ah! du moins que dans l'aban­don et l'immolation que nous faisons de nous-mêmes au Sacré-Cœur, il y ait le désir de mourir d'amour pour lui, même explicitement formulé.

L'offrande de notre vie au Sacré-Cœur est, après celle de notre cœur lui-même, celle qui serait le plus agréable à son amour. Menageons-­nous donc, autant qu'il est en notre pouvoir, la grande faveur de mourir d'amour pour lui.

Tous les chrétiens se font un devoir de se représenter de temps à autre les affres de la mort. La mort est bien faite pour pénétrer notre chair de la crainte des jugements de Dieu, mais nous ne devons pas en rester à la crainte. Nous ne désirons qu'une chose: vivre d'amour pour lui. Ne pourrions-nous pas accentuer ce désir davantage, le rendre tout à fait ex­plicite, le premier vendredi de chaque mois, surtout au moment de la sainte Messe ou de la sainte communion?

Notre-Seigneur ne nous demande pas chaque jour la perte de la vie, mais l'offrande libre et amoureuse que l'on en fait pour la gloire du Sacré-Cœur. Que ce divin Cœur nous la prenne ou nous la laisse pour le moment, l'offrande de la vie par amour n'en existe pas moins, oblatus est quia ipse voluit, et cette offrande viendra sanctifier et vivifier l'heure de notre mort, et alors nous pourrons nous écrier avec la bienheureuse Marguerite-Marie: «Ah! qu'il est doux de mourir dans le Sacré-Cœur de Jésus!». C'est une douceur que nous pouvons et devons désirer.

Observons aussi que notre doux Sauveur a voulu mourir sur la croix. Notre croix à nous, c'est la règle de vie adoptée dans notre consécration au Sacré-Cœur. Demandons instamment la grâce de n'en jamais sortir et de finir notre vie dans l'observance de cette règle. C'est pour nous la persévérance finale.

Résolution. - Je me donne au Sacré-Cœur de Jésus, à la vie et à la mort. Je ne veux plus vivre que pour lui, selon la règle déterminée par ma consécration au Sacré-Cœur, pour que je puisse dire avec S. Paul: «C'est Jésus qui vit en moi, ce n'est plus moi qui vis». Je désire mourir dans l'amour du Cœur de Jésus, et autant qu'il plaira à Dieu par l'excès de cet amour.

CINQUIEME MYSTERE

Le Cœur de Jésus ouvert par la lance

PREMIERE MEDITATION

LA BLESSURE DU SACRE-CŒUR DE JESUS

En parlant de ce mystère adorable, saint Jean prend un ton solennel qui nous en fait sentir toute l'importance: «Ad Jesum autem cum venissent, ut viderunt eum jam mortuum, non fregerunt ejus crura, sed unus militum lancea la­tus ejus aperuit et continuo exivit sanguis et aqua: Quand ils vinrent à Jésus, le voyant mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats lui perça le cœur par une lance et il en sortit du sang et de l'eau». Nous voyons là deux faits principaux: l'ouverture du Cœur adorable de Jésus et l'effusion de l'eau et du sang. Puis le saint évangéliste s'écrie: «Et qui vidit, testimonium perhibuit, et verum est testimonium ejus, et ille scit quia vera di­cit, ut et vos credatis. J'ai vu ce fait et j'en rends témoignage; mon témoi­gnage est vrai: je sais que je dis la vérité, afin que vous croyiez».

Et pourquoi, saint Apôtre, n'avez-vous pas demandé cet acte de foi pour d'autres faits qui paraissent plus graves et qui forment la base de toute la doctrine de l'Eglise? Ah! c'est qu'ils parlent assez d'eux-mêmes et que l'on demande la foi précisément pour les choses qui surpassent l'intelligence humaine. Or, l'ouverture du Cœur de Jésus est le mystère des mystères, le fondement de tous les autres, le mystère de l'amour qui a été entrevu par les âges précédents, mais qui nous est pleinement révé­lé par vous. Oui, faisons un acte de foi et d'amour; croyons à l'immensi­té de l'amour que Dieu a eu pour nous dans le Cœur Sacré de Jésus.

Nous allons contempler d'abord le percement de lance, réservant l'ef­fusion du sang et de l'eau pour la méditation suivante.

Les saints Pères ont tous remarqué l'expression dont se sert saint Jean. Il ne dit pas que le côté du Sauveur a été frappé ou blessé, mais qu'il a été ouvert. Longin, comme dit Catherine Emmerich, fut saisi d'un mouvement prophétique dont il ne pouvait pas bien se rendre compte, et sa main dirigée par les anges saisit sa lance et en ouvrit le côté du Sau­veur.

Mais que signifie cette ouverture? Saint Bernard, résumant toute la tradition catholique, va nous le dire: «Propterea vulneratum est, ut Per vulnus visibile, vulnus amoris invisibile videamus. Il a été blessé pour que sa blessure visible nous fît connaître la blessure invisible de l'amour».

Pour celui qui comprend, pour celui que le Saint-Esprit éclaire, vigi­lanti, comme dit saint Augustin, c'est la porte de la vie qui s'ouvre, c'est le secret de Dieu qui est révélé. Le Cœur blessé de Jésus signifie que c'est par amour pour nous, uniquement par amour, qu'il a fait tout ce qui'il a fait, qu'il a vécu parmi nous, qu'il est mort pour nous et qu'il vit encore pour nous dans le ciel et la sainte Eucharistie. La lance répète à sa manière ce que le Sauveur avait dit à Nicodème: «Sic Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum daret: Dieu nous a aimés jusqu'à nous donner son Fils unique». Il en a fait notre propriété; tout nous appartient, ses mérites, ses mystères, sa vie, sa mort, sa grâce, sa gloire et surtout son amour. Car, répète encore saint Jean, ceux que Jésus a aimés, il les a ai­més jusqu'à la fin, c'est-à-dire sans fin et sans mesure.

Voilà pourquoi la lance a ouvert son Cœur matériel, afin de nous fai­re connaître la blessure de son Cœur spirituel, de son amour qui a été l'ouvrier de notre salut et de notre Rédemption. Au moment de la mort du Sauveur, le voile du Saint des Saints se déchira. Cela signifiait le mê­me mystère que le percement de lance.

Jésus-Christ est le temple de Dieu et son Cœur est le Saint des saints, l'autel de l'amour où se sont opérés tous les mystères et tous les sacrifi­ces. Telle est la signification première de l'ouverture du Cœur adorable de Jésus. Ce mystère surpasse tous les autres, parce qu'il les contient tous. Que serait l'oblation du Sauveur, sa vie, son immolation sur la croix, sa mort même, si ces mystères augustes ne tiraient toute leur sève de son Cœur?

Ils auraient pu réparer la gloire divine offensée par le péché, si Notre­Seigneur avait été un simple réparateur de justice, mais que nous auraient-ils mérité? Quelles grâces en aurions-nous reçues? Quel aurait été le rôle de la miséricorde vis-à-vis de nous, si le Sacré-Cœur ne s'était tourné de toute sa force vers la pauvre humanité par le vœu ineffable de se donner tout à nous? On a tort de s'arrêter à la réparation seule quand on contemple de tels prodiges. La réparation ne fait que lever l'obstacle

que mettait le péché entre nous et l'amour. Mais une fois cet obstacle le­vé, l'amour va bien plus loin; il étreint le cœur de l'homme, il l'inonde de sa grâce et il le déifie. Il nous rend participants de la nature divine, comme le dit l'Ecriture Sainte.

C'est ainsi que le Sacré-Cœur nous a aimés! Tel doit être l'objet de notre éternelle contemplation: Videbunt in quem transfixerunt. Nous l'avons blessé d'amour!

Ces considérations nous amènent à la seconde signification du mystè­re que saint Bernard nous expose ainsi: «In Corde tuo, Domine, omnibus die­bus vitae meae merear habitare, ut videre simul et facere tuam valeam voluntatem: Puissé-je habiter toujours, Seigneurs, dans votre Cœur pour bien voir et accomplir votre volonté. Ad hoc enim perforatum est latus tuum ut nobis pate­scat introitus: Votre Cœur a été ouvert pour nous y donner entrée. Ad hoc vulneratum est cor tuum ut in illo et in te, ab exterioribus perturbation ibus absoluti, habitare possimus: Votre Cœur a été blessé pour que nous puissions habi­ter en lui et en vous, à l'abri de tous les troubles».

Le saint docteur nous exprime ici en quelques mots le grand mystère de notre union au Sacré-Cœur et de notre habitation en lui. Tous ceux qui sont en état de grâce réalisent d'une manière plus ou moins parfaite l'union avec le Sacré-Cœur. Elle a donc plusieurs degrés que nous pou­vons énumérer ainsi: le premier degré est celui de ceux qui s'abstiennent de péchés mortels, ou qui s'étant souillés se purifient par le sacrement de Pénitence; le second est celui des chrétiens plus parfaits qui s'appliquent à éviter tout péché véniel habituel; le troisième regarde les âmes qui re­cherchent ardemment la perfection, surtout par la pratique des conseils évangéliques et en particulier des trois vœux de religion; le quatrième plus élevé encore et plus rare consiste à s'immoler à Dieu et au Sacré-­Cœur directement en victimes expiatrices afin d'apaiser la justice divi­ne. Dans tous ces degrés le Sacré-Cœur agit en nous d'une manière plus ou moins explicite, mais il est facile de voir que notre union avec lui n'est pas complète. L'union la plus parfaite se fait par la vie habituelle d'amour au Sacré-Cœur de Jésus.

Cet amour entraîne avec lui les autres vertus par lesquelles nous de­vons réjouir et consoler notre ami divin.

La grâce de la dévotion au Sacré-Cœur est précisément la facilité de cette vie d'amour. C'est ce qu'exprimait saint Bernard: «Le Cœur divin a été ouvert pour que nous puissions habiter en lui à l'abri de tous les troubles». En nous révélant son Cœur à Paray-le-Monial, Notre­ Seigneur l'a pour ainsi dire ouvert plus largement. Il le tient ouvert à tous par toutes les manifestations de cette dévotion adoptées par l'Eglise.

Ce sont les temps prédits par le prophète Zacharie: Videbunt in quem transfixerunt: Ces âmes contempleront la plaie qu'elles ont faite et elles en seront touchées.

C'est un accroissement de la foi générale à la bonté du Christ. «Nous, dit saint Jean, nous connaissons l'amour de Dieu pour nous et nous y croyons: Nos cognovimus et credidimus caritati quam habet Deus in nobis». Tous les amis du Sacré-Cœur peuvent répéter cela: Nous croyons à l'amour de Dieu pour nous, nous en contemplons constamment le symbole, qui est le divin Cœur de Jésus. Cette foi est en nous vivante et efficace. Elle nous fait vivre de l'amour du bon Maître.

Résolution. - Oui, mon bon Maître, je crois à votre amour et je veux vivre de votre amour, tout faire pour votre amour, pour vous servir, vous contenter, vous glorifier. - Vous avez voulu que votre côté fût ou­vert pour que je lise dans cette plaie les leçons de votre amour et pour que j'aie là une retraite où mon cœur pourra toujours ranimer ses senti­ments d'amour.

DEUXIEME MEDITATION

POURQUOI JESUS A VOULU
QUE SON COTE FUT OUVERT APRES SA MORT

Jésus avait dit: «Le plus grand acte d'amour est de donner sa vie pour ses amis». Il a donné sa vie, tout est fait, tout est consommé. Il semble qu'il ne peut rien ajouter à sa mort, à cet acte suprême d'amour pour nous. Eh! bien si, son amour a trouvé moyen de combler la mesure en nous ouvrant son Cœur après sa mort.

Notre-Seigneur a révélé ce secret à un séraphin de la terre, à sainte Catherine de Sienne. Un jour qu'elle contemplait, les yeux en larmes, l'image du crucifix, elle osa faire cette demande à Notre-Seigneur: «Doux Agneau sans tâche, vous étiez mort lorsque votre côté a été ou­vert, pourquoi vouloir que votre Cœur fût ainsi frappé et entr'ouvert?». Alors Dieu le Père donna cette réponse à l'amante passionnée de son Fils crucifié: «Son désir de sauver le genre humain était infini et son corps ne pouvait supporter les douleurs et les tourments que dans une certaine mesure; ce qui était fini ne pouvait donc montrer l'amour infini dont il vous aimait! Alors il voulut que vous vissiez le secret de son Cœur, et il vous le montra ouvert, pour vous faire comprendre qu'il vous aimait plus que ne le pouvait montrer sa mort» (Dialogues, chap. 75).

O mon aimable Sauveur, un homme si aimant qu'il fût, n'eût pas imaginé de donner plus que sa vie pour ses amis, mais vous, après votre mort, vous avez voulu donner encore votre cœur, l'ouvrir comme un témoin de votre amour et le vider jusqu'à la dernière goutte de son sang.

Par là aussi Notre-Seigneur montrait que la dévotion à son Cœur viendrait après la dévotion à sa mort, à son crucifiement, à sa croix. Il présageait et préparait les grâces du temps actuel.

Au moment où Longin ouvrit le côté de Jésus, qui restait-il au Calvai­re du nombre de ses amis? Pendant qu'il donne au monde le plus grand témoignage d'amour, qui trouve-t-on là pour s'offrir avec lui en victimes d'amour? Un petit groupe seulement de témoins intimes et privilégiés: Marie sa mère, et la sœur de sa mère, Marie de Cléophas, et Marie Madeleine et le disciple qu'il aimait. (Saint Jean, 29).

Ils reçurent ces premières grâces du Sacré-Cœur, et le Cœur de Jésus fit de ces privilégiés des victimes d'amour. Ils éprouvèrent une telle dou­leur en voyant la lance déchirer le cœur si aimant de Jésus, que Notre­-Seigneur leur tint compte de cette souffrance comme d'un martyre. Ma­rie la reine des martyrs ne reçut pas d'autre coup de glaive que celui-là. Jean, le disciple bien-aimé ne versa pas son sang comme les autres apô­tres, il fut martyr d'amour au Calvaire. Madeleine eut la même grâce, elle vécut et mourut dans l'amour de Notre-Seigneur sans autre martyre que celui du Calvaire.

«Quand j'aurai été élevé de terre j'attirerai tout à moi», disait Notre­Seigneur en parlant de sa croix rédemptrice (S. Jean, 12).

Oui, Seigneur, votre croix a, pendant des siècles, attiré tout à vous. Mais aujourd'hui c'est votre côté ouvert qui nous fascine. La révélation de votre Cœur vient remuer le nôtre et l'entraîner dans un insatiable amour pour vous.

Cœur pour cœur: nous voulons nous donner à vous sans réserve, comme vous vous êtes donné à nous. Quelques saints, pour mieux mar­quer votre prise de possession de leur cœur ont gravé sur leur poitrine votre nom sacré.

Un jour que le bienheureux Henri Suso avait fait cela, vous lui dites ces bienveillantes paroles: «Par dessus tout, apprends à te cacher dans mon côté ouvert et dans la blessure que l'amour a faite à mon Cœur! Je t'y décorerai de la pourpre de mon sang; je m'attacherai à toi par des liens indissolubles et mon esprit s'unira au tien d'une union éternelle!» (Livre de la sagesse éternelle, ch. 22).

O bon Maître, je n'aurai pas de repos que vous ne m'admettiez aussi dans votre Cœur.

Résolution. - Vous avez donné pour moi plus que la vie, ô Jésus! Je veux au moins vous donner désormais tout mon cœur, toutes mes ac­tions, toutes mes paroles. Je me consacre à vous tout entier, je ne veux plus vivre que pour votre amour.

TROISIEME MEDITATION

L'EAU ET LE SANG DU CŒUR DE JESUS

La seconde partie de ce grand mystère est l'effusion du sang et de l'eau qui jaillirent du Sacré-Cœur de Jésus ouvert par la lance. Tous les Pères disent que cette effusion figurait la formation de l'Eglise. Elle nous montre aussi comment Notre-Seigneur unit toujours les signes sensibles à son action surnaturelle et par là elle justifie notre affection sensible en­vers le Sacré-Cœur.

Méditons ce texte de saint Bonaventure: «Pour que l'Eglise fût tirée de la poitrine du Christ endormi, la Providence divine voulut qu'un sol­dat ouvrit cette poitrine par une lance, afin que le sang et l'eau coulant de ce côté ouvert fussent le prix de notre salut; et ainsi, ajoute saint Bo­naventure, de la source mystérieuse du Cœur de Jésus les sacrements reçurent leur force pour conférer la grâce, et le Christ devint la source des eaux vives qui jaillissent pour la vie éternelle».

Saint Jean Chrysostôme dit aussi: «Ce n'est pas fortuitement, mais par un mystère divin que l'eau et le sang jaillirent du Cœur de Jésus, c'était pour former l'Eglise: Non casu et simpliciter hi fontes scaturierunt, sed quoniam ex ambobus Ecclesia constituta est».

C'est ainsi qu'Eve sortit du côté d'Adam pendant son sommeil extati­que. Et le premier homme s'écria en la contemplant: «Vous êtes l'os de mes os et la chair de ma chair». L'Eglise, fille et épouse du Sauveur, sor­tit de même de son Cœur pendant le sommeil mystique de la croix.

C'est en effet l'amour de ce divin Cœur qui a formé le plan de cette Eglise, son Epouse céleste, à laquelle il confiait le soin de continuer sa mission sur la terre. C'est ce Cœur divin, cet amour ineffable qui a me­rite à l'Eglise toutes les grâces qui lui sont nécessaires et qu'elle nous communique par les divins sacrements dont elle est la seule et légitime dispensatrice.

Mais le Cœur matériel de Notre-Seigneur a contribué aussi à la for­mation de l'Eglise par le concours nécessaire qu'il a donné au Cœur spi­rituel de Jésus dont il est l'organe indispensable; par le sang dont il est la source et comme la fontaine et qu'il a formé, afin que le Sauveur le ré­pandit tout entier pour notre rédemption et pour mériter la naissance de l'Eglise.

Ce n'est donc pas en vain que la céleste et divine dévotion au Sacré-Cœur unit dans un même amour le Cœur spirituel et le Cœur matériel de Jésus. C'est à juste titre que Notre-Seigneur découvrant son Cœur sacré à la Bienheureuse Marguerite-Marie lui a dit: «Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes», embrassant sous une seule dénomination son amour pour nous et l'organe de cet amour.

En tirant l'Eglise de son Cœur, comme il a tiré Eve du côté d'Adam, Notre-Seigneur montre aussi qu'il attend de l'Eglise, c'est-à-dire de nous, une véritable et tendre affection, une affection d'épouse.

Observons en second lieu que l'eau et le sang figurent les sacrements de l'Eglise, ceux qui purifient, le Baptême, la Pénitence et l'Extreme­-Onction symbolisés par l'eau; ceux qui vivifient, symbolisés par le sang: l'Eucharistie, la Confirmation, l'Ordre et même le Mariage. Ces divers sacrements sont le fleuve de vie, dont parle saint Jean, qui part du Cœur de l'Agneau. Et ostendit mihi fluvium aquae vitae, splendidum tanquam crystal­lum, procedentem de sede Dei et Agni. Ce fleuve fertilise les âmes et leur fait porter des fruits délicieux.

Ces divins sacrements sont comme le Sacré-Cœur de Jésus lui-même qui se voile sous des signes sensibles, afin de nous apporter son amour et sa miséricorde.

Notre-Seigneur a uni les signes sensibles à sa grâce, comme il a uni son Cœur matériel et sensible à son amour divin. Il prend notre nature telle qu'elle est, avec sa vie humaine complète. Aussi la vraie dévotion au Sacré-Cœur ne doit pas exclure l'affection sensible pour Notre­ Seigneur.

Ceux qui réduisent le cœur matériel de Jésus à n'être qu'un pur sym­bole, une simple image de son amour pour nous, ceux-là, dis-je, se trom­pent et en se détournant de la pensée même de Notre-Seigneur, ils cou­rent le danger de se forger une dévotion au Sacré-Cœur idéale, tant soit peu rationaliste, d'où les sentiments tendres et délicats sont bannis. Sous prétexte de vertu solide, ils privent ainsi le Sauveur de cette fleur exquise qu'il voulait cueillir sur notre terre, c'est-à-dire, de notre amour sensi­ble. Ils ne voient pas qu'aujourd'hui le diable tient la plupart des hom­mes par le sentiment, que les raisonnements froids ne produisent rien, et que celui qui a fait le cœur humain sait aussi la manière d'en faire la conquête.

Mais, dira-t-on, le sentiment est très peu de chose par lui-même. Ceci est faux; le sentiment n'est pas l'amour, mais il y est intimement uni, et quand ce mobile devient surnaturel, comme cela arrive dans la dévotion au Sacré-Cœur bien comprise, quels effets immenses ne peut-il pas pro­duire! L'amour du Sacré-Cœur ne préserve pas toujours, il est vrai, des distractions et des aridités, mais l'habitude de nous élever à ce divin Cœur par des affections pieuses, par des sentiments tendres reste tou­jours et peut s'éveiller à la moindre étincelle.

Ainsi comprise, disent quelques-uns, la dévotion au Sacré-Cœur n'est bonne que pour les femmes et les enfants. Ceux qui tiennent ce lan­gage prouvent seulement qu'ils sont du nombre de ces sages et de ces prudents auxquels la sagesse divine cache ses secrets.

Du reste, il est à remarquer que la dévotion au Sacré-Cœur préserve précisément de ce sentimentalisme vague et tout d'imagination et de chair qui fait tant de victimes aujourd'hui et qui est l'opposé du senti­ment vrai qui part d'un cœur surnaturalisé.

Enfin oserait-on combattre l'amour d'un enfant pour son père, d'une mère pour ses enfants, sous prétexte que cet amour est basé surtout sur le sentiment? C'est tout ce qu'il y a de plus tendre et de plus fort tout à la fois. Et pourquoi voudrait-on priver celui qui nous a aimés plus qu'une mère, plus qu'un époux, plus qu'un ami, de notre amour filial, affec­tueux, reconnaissant, sentimental en un mot?

Enfin le sang et l'eau sortis du divin Cœur de Jésus représentent l'humble dévot du Sacré-Cœur qui est blanc et rouge comme le Bien-aimé; blanc par la pureté et la simplicité qui le décore, rouge par l'ar­dent amour dont il brûle pour le Sacré-Cœur. Le texte de l'Apocalypse qui chante la gloire des martyrs, s'éclaire d'une lumière particulière en l'appliquant aux dévots du Sacré-Cœur, à ses martyrs d'amour et aux joies qui leur donnent dès cette vie l'avant goût du ciel. Et respondit unus de senioribus et dixit mihi: Hi qui amicti sunt stolis albis, qui sunt et unde vene­runt? Et dixit mihi: hi sunt qui venerunt de tribulatione magna et laverunt stolas suas et dealbaverunt eas in sanguine Agni: Ceux qui sont vêtus de blanc, dit l'Apocalypse, viennent de la grande tribulation, c'est-à-dire, de ce mon­de impur et maudit qu'ils ont traversé sans se souiller ou du moins dont ils ont jeté au loin la fange et le fardeau; et leur robe, éclatante de blan­cheur et de pourpre, c'est leur amour, ce sont leurs oeuvres d'amour, fruit du sang et de l'eau sortis du Cœur de l'Agneau. Ideo sunt ante thro­num Dei et serviunt et die ac nocte in templo ejus et qui sedet in throno habitabit su­er illos: Ils sont comme les anges, toujours en face du trône de Dieu, du trône de son amour, c'est-à-dire, de son Cœur adorable, et cela par leur vie d'amour et l'exercice de la contemplation. Non esurient neque sitient amplius, nec cadet super illos sol, neque ullus aestus: Dès cette vie, ils jouiront dans une certaine mesure des joies du paradis. L'amour du Sacré-Cœur les rendra insensibles aux misérables passions de ce monde; ils n'auront qu'une faim et qu'une soif: celle d'aimer le Sacré-Cœur de plus en plus, et les malheurs qui résultent des désirs sans frein ne fondront pas sur eux.

Quoniam agnus qui in medio throni est reget illos et deducet eos ad vitae fontes aquarum, et absterget Deus omnem lacrymam ab oculis eorum: Le doux Agneau, le Seigneur Jésus sera lui-même le pasteur et le père de ses tendres agneaux. Il les conduira, il les attirera par son amour et il les abreuvera aux fontaines intarissables de son Cœur très Sacré. Les dévots de son Cœur y puiseront plus directement encore que les martyrs. Il se donne­ra la peine de les consoler dès cette vie et d'essuyer leurs larmes, les lar­mes surtout qu'ils verseront par amour pour lui, par la compassion qu'ils éprouveront pour la peine qu'il ressent de l'ingratitude des âmes. Le Sacré-Cœur les consolera et se complaira en eux parce que leur solli­citude et leur mission sera d'arracher les épines douloureuses qui per­cent ce tendre Cœur.

Résolution. - Oui, mon bon Maître, conduisez-moi aux sources vives de la grâce, à votre Cœur adorable, pour que j'y puise, par la contem­plation et les sacrements, un amour toujours plus grand et plus constant pour vous, et que j'arrive par là à consoler ce divin Cœur qui est si mé­connu et outragé.

QUATRIEME MEDITATION

LA VIE D'AMOUR D'APRES SAINT JEAN

«Timor non est in caritate: sed perfecta caritas foras mittit timorem: L'amour n'a pas de crainte; la charité parfaite éloigne la crainte. - La crainte est pénible; celui qui craint, n'est pas parfait dans l'amour. Pour nous, ai­mons Dieu, qui nous a aimés le premier» (Ep. de saint Jean. ch. 14).

Afin de bien comprendre ce que dit ici l'Apôtre bien-aimé, il faut nous souvenir du principe que pose saint Thomas: L'essence de la charité consiste dans l'amitié intime qui existe entre Dieu et l'homme, Caritas est amicitia hominis ad Deum, amitié qui surpasse celle qu'un père a pour son fils, un ami pour son ami, un époux pur son épouse; amitié ineffable à laquelle on ne pourrait croire, si l'Ecriture et les saints docteurs ne nous l'attestaient (2a 2ae q. 23 et suiv.).

Avant d'aller plus loin, n'omettons pas de dire que l'acte d'amour est purement intérieur. C'est un élan de l'âme vers Dieu, c'est le baiser ten­dre du plus tendre des pères auquel lui seul peut solliciter par le secours surnaturel de sa grâce. Car l'homme n'a rien en lui-même qui puisse lui mériter cette divine société.

L'exercice de l'amour, qu'exalte tant saint Thomas, a été fort dépré­cié par les tendances rigoristes des deux derniers siècles. De prétendus docteurs le rendaient à peu près impossible tout en l'exigeant impérieu­sement. D'autres, obéissant à une sorte de pélagianisme, et quelquefois avec une très bonne intention, ignorant du reste les enseignements de l'Ange de l'école, ne voyaient en fait d'actes d'amour que les actions ex­térieures. Ils les restreignent à la pure observance des commandements et des devoirs, mais ils ne font pas attention que le premier commande­ment est tout à fait distinct des autres, et que d'ailleurs pour observer la loi divine dans toutes ses prescriptions, l'homme a besoin d'un secours extraordinaire et surnaturel que l'amour seul peut donner. C'est, dit saint Alphonse, vouloir obliger un oiseau à voler après lui avoir coupé les ailes.

L'acte de charité est donc un acte d'amour humain, tel que nous en faisons d'ordinaire, partant un acte du cœur, mais élevé par la grâce à l'ordre surnaturel, et son objet est Dieu qui y répond; voilà pourquoi le secours surnaturel nous est nécessaire. Aussi il est vrai que l'acte de cha­rité parfaite est tout à la fois impossible à la nature humaine seule, et très facile par la grâce, puisque Dieu nous y pousse de toute la force de son Esprit.

Mais comment Dieu contracte-t-il ainsi une société intime avec nous par l'amour? C'est par le Cœur Sacré de Jésus, intermédiaire de cette amitié. C'est ce divin Cœur qu'il aime en nous parce que nous lui ap­partenons, et de ce Cœur le Saint-Esprit vient en nous et fait exhaler de notre pauvre âme ces gémissements ineffables par lesquels nous appe­lons Dieu notre Père, selon l'expression familière qu'emploie saint Paul: Abbà, Pater.

En somme, c'est encore le Cœur Sacré de Jésus qui aime pour nous; il est tout à la fois l'organe de l'amour que Dieu a pour nous, et celui de l'amour que nous avons pour Dieu; il est tout pour nous et nous sommes tout en lui: Per ipsum, cum ipso et in ipso. C'est donc par le Cœur de Jésus seul que peut s'établir entre Dieu et nous cette société admirable des pauvres créatures avec leur Créateur, avec Dieu qui devient leur Père et leur ami. C'est par le Sacré-Cœur que nous traitons filialement, on peut dire amicalement, avec ce grand Dieu si fort au-dessus de nous! Que ces vérités son belles, qu'elles sont admirables, mais qu'elles sont peu con­nues!

Afin que cette société soit plus intime, adressons d'ordinaire tous nos actes d'amour non pas à Dieu directement, mais au Sacré-Cœur lui-­même. La raison en est que Notre-Seigneur est tout à fait notre frère, notre ami et notre époux, et que la crainte se glissera moins dans nos ac­tes d'amour, si nous nous adressons directement à lui. Du reste, ce Cœur qui est un cœur d'homme est aussi le Cœur de Dieu; par consé­quent un acte d'amour qui va au Sacré-Cœur s'adresse à Dieu. D'autre part, le Sacré-Cœur offre à Dieu le Père tout ce que nous lui offrons, d'une manière infiniment plus digne de la majesté divine.

Timor non est in caritate, sed perfecta caritas foras mittit timorem: L'amour parfait exclut la crainte, celle qui resserre le cœur, celle qui empêche l'expansion de l'amitié.

Il n'y a qu'une grande confiance, une confiance absolue et intime qui puisse engendrer un acte d'amour absolument parfait: In hoc perfecta est caritas Dei nobiscum, ut fiduciam habeamus in die judicii. Mais qu'est-ce qui peut empêcher cette confiance? Saint Jean nous le dit encore: Carissimi, si cor nostrum non reprehenderit nos, fiduciam habeamus ad Deum. Nos péchés, nos imperfections, tel est en effet le principal motif de crainte qui ne per­met pas l'intimité entre Dieu et nous.

Le premier degré de la charité est donc celui ou s'élève le pécheur re­pentant qui, par l'action du Saint-Esprit, déteste ses péchés, parce qu'ils affligent le Cœur sacré de Jésus, et cet acte détruit en un instant tous les péchés que l'on aurait commis, avant même que l'on ait eu le temps de se confesser, pourvu que l'on ait l'intention de le faire. Cependant ce de­gré, malgré toute son excellence, ne détruit pas toute crainte, celle sur­tout qui naît de l'obligation où l'on est de lutter contre ses mauvais pen­chants et de la frayeur qu'inspire la violence des tentations.

Les degrés qui suivent varient pour ainsi dire à l'infini. Pour nous y élever, Notre-Seigneur, dans sa bonté ineffable, nous donne aujourd'hui ce moyen admirable: la dévotion à son Sacré-Cœur. Nos ergo diligamus Deum, quia prior ipse dilexit nos: Aimons celui qui nous manifeste son amour.

Le Sacré-Cœur brûlant d'amour pour nous, ouvert pour nous rece­voir, offre à nos âmes une image si touchante, si tendre et si puissante de la charité que toute crainte disparaît, excepté cette crainte filiale qui est un don du Saint-Esprit et que l'on pourrait appeler la délicatesse de l'amour. Comment faire attention au péril que nous fait courir la faibles­se de la nature humaine, en face de ce Cœur? Videbunt in quem transfixe­runt.

Mais il ne faut pas attribuer cette action merveilleuse à la seule manifestation gé­nérale que Notre-Seigneur nous a faite de son Cœur, ily a quelque chose de plus. Le doux Jésus manifeste son Cœur d'une manière spéciale, par sa grâce, à chacune des âmes qu'il appelle à rendre un culte d'amour à ce divin Cœur. Qui diligit me dilige­tur a Patre meo, et Ego diligam eum, et manifestabo ei meipsum: Celui qui m'ai­me, mon Père l'aimera et je l'aimerai et je me manifesterai à lui. A ceux qui viennent du monde, après avoir mené une vie séculière et quelque­fois même criminelle, le Sacré-Cœur se manifeste en leur imprimant le regret amer de ne l'avoir pas assez aimé, de l'avoir oublié et offensé. A cette purification succède un désir ardent d'aimer le Sacré-Cœur; c'est une flamme qui consume notre cœur et qui brûle en même temps ce qui peut justement nous inspirer de la crainte dans notre société intime avec Dieu, nos passions et leurs fruits malheureux, les péchés et les imperfec­tions. Si quelques fautes échappent encore dans ce moment de forma­tion, le Sacré-Cœur les reprend, tantôt avec une indulgente sévérité, tantôt avec amour, mais il ne nous abandonne pas; et le désir finira par faire disparaître la crainte, car le Sacré-Cœur nous donnera l'assurance que c'est lui-même qui fera l'œuvre de notre salut, pourvu que nous nous donnions généreusement à lui.

En finissant, remarquons que cet amour puissant engendre toutes les vertus. La défiance que nous avons de nous-mêmes pour n'avoir con­fiance qu'au Sacré-Cœur, c'est l'humilité, vertu si rare et si ignorée que la plupart font consister dans ses feuilles, c'est-à-dire dans les pratiques extérieures. L'obéissance, la pauvreté ne sont que les fruits de l'abandon absolu à ce divin Cœur, c'est-à-dire, du grand amour que nous avons pour lui. Il sera donc plus facile, comme dit Notre-Seigneur à la bien­heureuse Marguerite-Marie, de nous borner à l'unité dans la prétention, afin d'avoir par ce moyen tout le reste.

Résolution. - Oui, Seigneur, avec votre servante Marguerite-Marie, je ne veux plus avoir qu'une prétention, celle de vous aimer et de vous ser­vir par amour.

CINQUIEME MEDITATION

AIMER EN SOUFFRANT

Aimer en souffrant est toute la science de l'âme qui veut se rendre conforme à Jésus-Christ. Qu'a fait Notre-Seigneur sur la terre pendant les trente-trois années de sa vie? Il nous a aimés et il a souffert pour nous. C'est tout le Credo. Pour nous et pour notre salut, le Fils de Dieu est descendu du ciel, il a vécu, il a souffert, il est mort en aimant.

«Ne nous étudions donc plus, disait la Bienheureuse, qu'à aimer et à souffrir pour l'amour de Celui qui a tant aimé la croix pour l'amour de nous, qu'il a voulu mourir entre ses bras, et quand nous aurons acquis cette science parfaitement, nous saurons et nous ferons tout ce que Dieu veut de nous».

«Rien, dit la Bienheureuse, ne nous unit tant au Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ que la croix, qui est le gage le plus précieux de son amour…

Si vous saviez, dit-elle, comme notre Souverain me presse de l'aimer d'un amour de conformité à sa vie souffrante! … Le plus grand bien que nous devons souhaiter, c'est d'être conformes à Jésus-Christ souffrant».

Pour peu d'amour qu'on lui porte, on souffre plus parmi les douceurs, en se regardant auprès de Celui qui, pour notre amour, ne s'est chargé que d'opprobres et de souffrances, que si l'on se voyait conforme à lui. Ou bien, si cela n'est pas, disons que nous ne l'aimons pas et que c'est plutôt nous-mêmes que nous aimons, car l'amour pur ne peut rien souf­frir de dissemblable aux amants, et ne donne point de repos qu'il n'ait rendu l'amante conforme à son bien aimé, autrement jamais elle n'en viendrait à l'union qui ne se fait que par la conformité». (Vie par les con­temporains, t. I, p. 112).

Ressembler à Jésus pour l'épouser n'est-ce pas le voeu de toute âme éprise d'amour? Il est roi, il faut que son épouse soit reine, avec une cou­ronne d'épines, un sceptre de roseau, un manteau d'ignominie et la croix pour son trône.

Oh! oui, nous voulons absolument gagner ses bonnes grâces; pour ce­la, il faut l'aimer, mais comment faut-il l'aimer? Comme il nous a aimés lui-même, en souffrant. C'est le véritable amour dans la vie présente: l'amour réparateur, l'amour fécond, l'amour pur et solide.

«Mon Dieu, dit la Bienheureuse, si nous savions ce que nous perdons en ne profitant pas des occasions de souffrance, nous serions bien plus attentifs à ne perdre un moment de souffrir. Il ne nous faut pas flatter; si nous ne profitons mieux des occasions de peines, humiliations et contra­dictions, nous perdons les bonnes grâces du Sacré-Cœur, qui veut que nous te­nions pour nos meilleurs amis et bienfaiteurs tous ceux qui nous font souffrir ou nous en fournissent l'occasion».

«Qu'elle soit fidèle en sa voie, lui dit Notre-Seigneur en parlant d'une âme éprouvée, et qu'elle y souffre tout sans se plaindre, puisqu'elle ne peut être au nombre des parfaites amies de mon Cœur, qu'elle ne soit purifiée et éprouvée dans le creuset de la souffrance».

«Dieu ne vous dépouille de toutes ces consolations humaines, écrit-elle à une religieuse, que parce qu'il veut être lui-même l'unique et le vrai ami de votre cœur».

Oui, nous voulons aimer la croix, puisqu'elle nous assure les bonnes grâces de notre divin ami, mais il faut encore, pour le contenter, que nous ne choisissions pas nous-mêmes la croix et que nous lui en laissions le choix.

«Nous ne devons souhaiter de vivre, dit la Bienhereuse, que pour avoir le bonheur de souffrir par amour, mais non jamais de notre choix…

Ah! que la croix est bonne en tout temps et en tout lieu! Embrassons-la donc amoureusement sans nous soucier de quel bois elle soit faite, ni de quel instrument elle soit fabriquée… Il doit nous suffire que c'est une croix et qu'elle nous est présentée de la part du Sacré-Cœur.

Ce n'est pas qu'il faille demander la souffrance, car c'est le plus par­fait de ne rien demander et ne rien refuser, mais s'abandonner au pur amour pour nous laisser crucifier et consommer selon son désir…».

Résolution. - «Aimer, souffrir et se taire, c'est le secret des amants de Jésus». O bon Maître, j'aime ce que vous aimez, ce qui vous aide au sa­lut des âmes, ce qui me rend conforme à vous et me gagne vos bonnes grâces.

SIXIEME MEDITATION

LA SEPOLTURE

Ce mystère fécond et touchant nous rappelle Bethléem. Le sépulcre est le berceau où Notre-Seigneur naîtra à la vie glorieuse, après avoir dormi du sommeil de la mort.

Après la descente de croix, le corps sacré du Sauveur est remis à sa mère qui le couvre de baisers. Tous ses amis s'empressent auprès de lui, afin de lui rendre un culte d'amour et de respect. La sainte Vierge essuie les plaies, les cicatrices douloureuses; saint Jean, Nicodeme, joseph d'Arimathie, les saintes femmes embaument le corps divin et le déposent ensuite dans ce sépulcre que les joies de la résurrection doivent rendre glorieux. Pendant ce temps-là, l'âme sainte du Sauveur va visiter les saints de l'ancienne loi qui attendent le salut.

Appliquons ces enseignements aux amis du Sacré-Cœur. Vous êtes ensevelis avec le Christ dans le baptême, dit saint Paul, vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Tel est l'état du vrai dis­ciple du Sacré-Cœur. Il est mort à ce monde; il est insensible à ses joies, à ses plaisirs, à ses ambitions; il n'en connaît même pas le langage mau­dit, et son cœur est caché dans le Sacré-Cœur de Jésus. Voici son sépul­cre, son tombeau et aussi son paradis. Il vit largement, il aspire tout l'amour du Sacré-Cœur, mais il n'en sait pas d'autre, et voilà pourquoi il passe pour mort aux yeux de ce monde insensé dont il méprise les juge­ments. Déjà une résurrection spirituelle a eu lieu pour lui dans ce séjour divin du Sacré-Cœur, mais le monde l'ignore et il prend pour mort celui qui jouit de toute la plénitude de la vie.

Cet amour qui se cache dans le Cœur de Jésus, loin des yeux des hommes et sous le seul regard de Dieu, telle est notre vie intime. Pour les actes extérieurs de la vie ordinaire, nous les abandonnons complètement aux mains de nos supérieurs, représentants de Dieu, de même que nous abandonnons absolument notre amour et la conduite de notre âme à l'amour et aux soins du Sacré-Cœur.

Mais un grand devoir nous est enseigné par les soins charitables que déploient les amis de Jésus vis-à-vis de son corps sacré qui est devenu leur propriété par sa mort. C'est le modèle de la charité que nous devons avoir les uns pour les autres.

Nous nous souvenons de ce qu'a dit saint Jean: «Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit et qui prétend néanmoins aimer Dieu qu'il ne voit pas, est dans le mensonge et l'illusion». Ah! pouvons-nous oublier que nous sommes les enfants de celui qui, cassé de vieillesse, ne cessait de ré­péter: «Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres: c'est là toute la loi du Seigneur; si vous l'accomplissez, cela suffit». Il faut que les Supé­rieurs surtout fassent revivre en eux-mêmes l'apôtre de la charité et que les gens du monde s'écrient en voyant les disciples du Sacré-Cœur: «Voyez combien ils s'aiment!».

Il ne suffit pas ici d'avoir des sentiments intérieurs de charité vis-à-vis de ses frères, et de ne s'occuper que de leur bien spirituel. Nous devons veiller à tout ce qui peut leur être agréable au point de vue purement ex­térieur, à la condition toutefois de ne blesser ni les lois de la simplicité, ni celles de la pauvreté. Mais aujourd'hui l'égoïsme nous met en danger de tomber dans l'excès contraire.

Contemplons donc la sainte Vierge et saint Jean aux pieds du corps sacré de Jésus. Ils lui prodiguent tous les soins qu'ils peuvent lui donner et, ceux qu'ils ne peuvent lui rendre, ils les remplacent par leur compas­sion, leur tendre affection, leur suave charité. Ainsi devons-nous agir vis-à-vis de nos frères; prenons soin d'eux, subvenons à tous leurs be­soins légitimes, et si nous ne pouvons dépasser certaines limites, remplaçons ce qu'il ne nous est pas donné de faire par la plus suave cha­rité: la charité console de tout.

C'est surtout pendant leurs maladies que nous devons prodiguer tous nos soins au Corps sacré de Jésus dans la personne de nos frères. Aidons les spirituellement en leur persuadant de s'abandonner de tout leur cœur à la douce direction du Sacré-Cœur de Jésus qui, la plupart du temps, veut être leur médecin; et d'un autre côté, prodiguons-nous pour eux, et accordons-leur tout ce qui est en notre pouvoir, nous souvenant de ce que dit saint Jean: «Qui habuerit substantiam hujus mundi, et viderit fra­trem suum necessitatem habere, et clauserit viscera sua ab eo, quomodo caritas Dei manet in eo? Celui qui voit souffrir son frère et ne le soulage pas dans la mesure de son pouvoir, comment peut-il dire qu'il aime Dieu?».

Le sépulcre qui renferme le corps adorable de Jésus-Christ nous rap­pelle aussi notre propre cœur qui si souvent devient, par la communion, le lieu de repos du Sacré-Cœur. Ah! qu'il s'y repose réellement et qu'il dise: In pace dormiam et requiescam: qu'il y trouve la paix et l'amour dont le privent tant de cœurs auxquels il se donne!

Pendant que Jésus repose en votre poitrine comme en un tombeau, il devrait trouver là tous les soins qu'il a trouvés au Golgotha: la compas­sion de Marie, le tendre amour de saint Jean, les larmes et la générosité de Madeleine et des saintes femmes, les soins de joseph d'Arimathie et de Nicodème.

Il était mort, dans le tombeau, mais son âme agissait, elle visitait les limbes, elle intercédait pour ses disciples.

Jésus semble inactif aussi dans la communion, mais il agit en nous au­tant que nos dispositions le lui permettent.

Laissons-le bien agir, en faisant la paix et le silence dans notre âme, écartant toute agitation, toute sollicitude et tout trouble.

Résolution. - O Jésus, je désire que mon âme vous soit un séjour de paix et de repos. Pardon pour toutes mes communions mal faites! je vous renouvelle le don de mon cœur. Je me cacherai en vous, comme vous vous êtes caché dans le tombeau, et vis-à-vis de mon prochain j'imiterai la tendre charité que les disciples du Calvaire ont déployée en­vers vous.


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Invocations du Vén. P. Eudes.
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