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Méthode pratique

POUR RECITER LA COURONNE
DU SACRÉ-CŒUR

(On peut se servir du chapelet ordinaire)

=====Acte préparatoire à la récitation de la triple Couronne

Ave, Cor Jesu, amantissimum et ama­bilissimum;1)
Te amamus, benedicimus et glorifica­mus;
Te laudamus cum igneis Seraphim;
Te exaltamus cum sublimibus Thronis;
Tibi gratias agimus cum omnibus An­gelis et Sanctis tuis;
Te diligimus cum Corde Mariae aman­tissimo et cum Joseph amabili sponso Ma­riae et patre tuo adoptivo;

Tibi cor nostrum offerimus, donamus, consecramus, immolamus;
Illud totum accipe, accende et infiamma;
Una oblatione consummasti in sempi­ternum sanctifcatos;

Sanguine tuo pretioso nos peramanter redemisti;
Te, Cor Jesu, expectabo et misericor­diam tuam praestolabor;
In Te, Cor Jesu, speravi, non confun­dar in aeternum.
Salut, Cœur très aimant et très aima­ble de Jésus;
Nous vous aimons, nous vous bénis­sons et nous vous glorifions;
Nous vous louons avec les Séraphins brûlants d'amour;
Nous vous exaltons avec le chœur su­blime des Trônes;
Nous vous rendons grâces avec tous vos Anges et tous vos Saints;
Nous vous aimons avec le Cœur très ai­mant de Marie et avec saint Joseph, l'aima­ble époux de Marie et votre père adoptif;
Nous vous offrons, donnons, consa­crons et immolons notre cœur; Prenez-le tout entier et embrasez-le;

Vous avez consommé par une seule oblation, ceux que vous avez sanctifiés pour l'éternité;
Par un excès d'amour, vous nous avez rachetés par votre sang précieux;
O Cœur de Jésus, je vous attendrai et je soupirerai après votre miséricorde;
J'ai espéré en vous, Cœur de Jésus, je ne serai pas confondu pour l'éternité.
* Ad crucem* Sur la croix
Veni, Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende.Venez, Esprit-Saint, remplissez les cœurs de vos fidèles et embrasez-les du feu de votre amour.
* Ad tres primas tesseras* Sur les trois premiers grains
V). Amatum sit ubiqueV). Aimé soit partout
R). Sacratissimum Cor Jesu (100 d. ind.).R). Le Sacré-Cœur de Jésus (100 j. d' ind. ).

Première Couronne

«Cœur sacré de Jésus, victime d'amour, je vous adore et je vous aime dans les my­stères de votre Incarnation».

Ier Mystère. - Oblation du Sacré-Cœur de Jésus dans le sein virginal de Marie.

Fruit du mystère: Offrir son cœur à Dieu dès le réveil, par le Sacré-Cœur de Jésus. (Invoca­tions comme ci-dessous à chaque dizaine).

IIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans son enfance.

Fruit du mystère: La simplicité de cœur et l'obéissance à la sainte Eglise.

IIIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans sa vie cachée à Nazareth.

Fruit du mystère: L'amour de sa condition et la fuite du monde.

IVe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans sa vie apostolique.

Fruit du mystère: Union au Sacré-Cœur de Jésus dans son apostolat.

Ve Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dévoué aux malades et aux pécheurs.

Fruit du mystère: Amour de compassion aux malades, de dévouement aux pécheurs.

* Ad tesseras majores* Sur les gros grains
V). Jesu, mitis et humilis Corde,V). Jésus, doux et humble de Cœur,
R). Fac cor meum sicut Cor tuum (300 d. ind.).R). Rendez mon cœur semblable au vôtre (300 j. d'ind.).
* Ad tesseras minimas* Sur les petits grains
V). Dulce Cor Jesu,V). Doux Cœur de Marie,
R). Fac ut te magis ac magis diligam (300 d. ind.).R). Faites que je vous aime de plus en plus (300 j. d'ind.).
* Post quamlibet seriem
decem invocationum
* Après chaque dizaine
V). Dulce Cor Mariae,V). Doux Cœur de Marie,
R). Sis salus mea (300 d. ind.).R). Soyez mon salut (300 j. d'ind.).

Deuxième Couronne

Cœur sacré de Jésus, brisé de douleur à cause de nos péchés, immolez mon cœur à votre amour souffrant.

Ier Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans son agonie.

Fruit du mystère: Horreur et fuite du péché. (Invocations comme à la première Couron­ne).

IIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans ses Humiliations.

Fruit du mystère: Douceur et patience dans les humiliations: pardon généreux.

IIIe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus dans ses souffrances extérieures.

Fruit du mystère: Sanctification des souffrances par la résignation.

IVe Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus abandonné du ciel et de la terre.

Fruit du mystère: Abandon total au bon plaisir de Dieu.

Ve Mystère. - Le Sacré-Cœur de Jésus percé par la lance.

Fruit du mystère: Retraite de l'âme dans le Sacré-Cœur de Jésus.

Troisième Couronne

Cœur sacré de Jésus, Cœur aimable et toujours aimant, vivant d'amour pour nous dans la sainte Eucharistie, que je ne vive plus que pour vous aimer!

Ier Mystère. - Vie d'amour.

Fruit du mystère: Fidélité à visiter le Sacré-Cœur de Jésus au Saint-Sacrement et à assister au­tant que possible, au saint sacrifice de la Messe. (Invocations comme ci-dessous à chaque di­zaine).

IIe Mystère. - Vie de silence et de prière.

Fruit du mystère: L'âme recueillie dans le Sacré-Cœur de Jésus au milieu du monde.

IIIe Mystère. - Vie de sacrifices.

Fruit du mystère: Se sacrifier pour Dieu et ses frères, à l'exemple du Sacré-Cœur de Jésus.

IVe Mystère. - Vie outragée par les méchants.

Fruit du mystère: Faire chaque jour, au moins le vendredi, amende honorable au Sacré-Cœur de Jésus.

Ve Mystère. - Vie d'action, de grâces.

Fruit du mystère: Offrir sa reconnaissance au Cœur de Jésus par les saints Cœurs de Marie et de Joseph.

* Ad tesseras majores in 3a corona* Sur les gros grains à la 3e couronne
V). Laudatum, adoratum, amatum cum grati animi affectu, sit Eucharisti­cum Cor Jesu,V). Loué, aimé et remercié soit à tout instant le Cœur Eucharistique de Jésus,
R). Singulus omnibus orbis temporis momentis, in tabernaculis, usque ad consummationem saeculi (100 d. ind.).R). Dans tous les tabernacles du monde jusqu'à la consommation des siècles (100 j. d'ind.)
* Ad tesseras minimas* Sur les petits grains
V). Dulce Cor Jesu,V). Doux Cœur de Jésus.
R). Fac ut te magis ac magis diligam (300j. d'ind.)R). Faites que je vous aime de plus en plus (300 j. ind.).
* Post quamlibet seriem deceme invocationum* Après chaque dizaine
V). Dulce cor Mariae.V). Doux Cœur de Marie.
R). Sis salus mea (300 d. ind.).R). Soyez mon salut (300 j. d'ind.).
* POST TRIPLICEM CORONAM* APRES LA TRIPLE COURONNE
Accepta sit, Domine Jesus, Sacratissi­mo Cordi tuo pro compensandis tot ac tantis tibi, presertim in sanctissimo amo­ris Sacramento, illatis injuriis, devota cor­dium nostrorum oblatio et fac nos divinis­simi illius Cordis magis persentire dolo­rem, imitari virtutes et promereri favores. Qui vivis et regnas in saecula saeculorum Amen.Seigneur Jésus, daignez agréer l'oblation de nos cœurs, en réparation de tant et de si grandes injures qui sont faites à votre Sacré­Cœur, surtout dans le Sacrement de votre amour, et faites-nous la grâce de ressentir davantage les douleurs de ce divin Cœur, d'imiter ses vertus et de mériter ses faveurs. Vous qui vivez et régnez dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Cette triple Couronne, on le voit, est vraiment une fortune spirituelle pour les vi­vants et pour les morts, par les riches indulgences attachées aux invocations dont elle se compose, indulgences toutes applicables aux âmes du Purgatoire.

Qui n'aimerait une dévotion si aimable et si fructueuse? Aussi les princes de l'Eglise et plusieurs prélats l'ont-ils honorée de leur plus sympathique approbation.

Vu et approuvé par Nous:

 L. M. Card. CAVEROT, archevêque de Lyon.

 J. H. Card. GUIBERT, archevêque de Paris.

 V. A. Card. DECHAMPS, archevêque de Malines.

 Fr. Card. RICHARD, archevêque de Paris.

 JUSTIN, archevêque de Besançon.

 ARMAND, archevêque de Toronto.

 JOSEPH, archevêque de Bourges.

 PIERRE, évêque de Belley.

 MARIE-CAMILLE-ALBERT, évêque de Saint-Dié.

 J. B. JOSEPH, év. d'Arras, de Boulogne et de St-Omer.

 AMAND JOSEPH, évêque de Grenoble.

 LOUIS, évêque de Nîmes, d'Uzès et d'Alais.

 AUGUSTIN, évêque de Portland (Amérique).

Méditation préparatoire

Disposition fondamentale

Une disposition fondamentale dominera toute cette retraite de la Pas­sion, toute cette série de méditations sur la seconde Couronne du Sacré­Cœur, c'est la disposition à la réparation, au repentir confiant et ai­mant, à 1'immolation par amour pour le Cœur immolé de Jésus.

«Videbunt in quem transfixerunt. Ils contempleront celui qu'ils ont tran­spercé» (Zach. XII). Dans toutes les méditations de cette Couronne, nous aurons devant les yeux celui que nos péchés ont cloué à la croix, ce­lui dont nos offenses ont percé le Cœur. Il nous aimait et nous l'avons blessé. Il nous alme encore malgré nos fautes et il souffrirait encore pour nous, s'il le fallait. Quel cœur resterait insensible à tant d'amour?

C'est nous qui avons transpercé Jésus. C'est nous qui sommes les au­teurs de toute sa Passion. C'est nous qui l'avons abreuvé d'amertume au jardin de l'agonie; c'est nous qui l'avons accablé d'opprobres, flagellé, couronné d'épines et crucifié. Caïphe, Pilate et les bourreaux étaient Gomme nos mandataires. La cause déterminante de la Passion, c'étaient nos péchés.

Qu'y a-t-il en effet de commun entre un Dieu et la souffrance? Leur union est anormale. Il a fallu un fait étrange, nouveau, désordonné, pour causer la souffrance du Fils de Dieu fait homme: ce fait, ce sont nos péchés.

Telle doit être la pensée qui domine toutes ces méditations de la secon­de Couronne: le Fils de Dieu souffre, et il souffre à cause de nous. Ah! soyons donc pénitents. Cherchons en quoi nous l'avons offensé, quels ont été les désordres de notre conduite. Comparons notre vie aux devoirs que nous aurions dû remplir, au décalogue, aux vertus évangéliques, à nos devoirs d'état. Pleurons nos fautes, parce qu'elles ont humilié, bles­sé, outragé, crucifié Jésus. Comment le consolerons-nous? En pleurant à ses pieds, Gomme sainte Madeleine, en renonçant à nos passions, en cor­rigeant nos défauts.

====II. Ils pleureront comme sur la mort d’un fils unique. Plangent quasi super unigenitum (Zach. XII. 10)==== Le Sauveur qui a tant souffert pour nous est notre tout: il est notre Dieu, notre père; il est notre frère. Avant de se livrer à la souffrance, il s'est fait aussi notre ami. Comment se fût-il voué à la Passion et à la mort pour nous s'il ne nous avait pas aimés extrêmement? Dilexit me, et tradidit semetipsum pro me: Il m'a aimé et il s'est livré pour moi: (Ad Gal). Il m'a aimé d'abord et beaucoup; sans cela, comment en serait-il venu à se livrer pour moi à toutes les souffrances? Cette considération doit do­miner toutes les méditations sur la Passion. Il m'a aimé: j'étais sa vigne, qu'il cultivait avec amour, qu'il entourait de soins assidus. Il m'a aimé: j'étais son fils et son frère.

Et parce qu'il m'aimait, il a voulu donner sa vie pour me sauver.

O mon bon Maître, pendant toutes ces méditations sur votre Passion, je me tiendrai dans des sentiments d'humble repentir et de tendre recon­naissance envers vous.

III. Notre-Seigneur nous ai me encore malgré nos fautes

Tant que nous sommes dans cette pauvre vie, nous ne sommes pas perdus sans ressources. Notre âme peut se relever, se sauver, se sancti­fier, aussi Notre-Seigneur l'aime toujours. Il la considère, il la sollicite, il emploie les industries de sa grâce pour la sauver, il l'aime.

C'est pour les pécheurs qu'il a offert sa vie. Saint Paul ne cessait d'ad­mirer cette générosité: «A peine, disait-il, trouverait-on un homme qui donnerait sa vie pour des justes, mais l'Homme-Dieu a donné la sienne méme pour des coupables: Vix pro justo quis moritur, commendat autem carita­tem suam Deus in nobis, quoniam cum adhuc peccatores essemus, Christus pro nobis mortuus est» (Ad Rom. V. 8). Saint Paul répète cela aux Corinthiens, aux Ephésiens: «Dieu est si riche en miséricorde, dit-il à ceux-ci, qu'à cause de son grand amour, quoique nous fussions des pécheurs, il nous a ren­du la vie de la grâce par le Christ, pour nous montrer toute l'étendue de sa miséricorde et de sa bonté à notre égard: ut ostenderet abundantes divitias gratiae suae in bonitate super nos in Christo Jesu» (Ad Eph. II).

Jésus nous aime encore comme il nous aimait au Calvaire, méme après nos péchés et nos rechutes. Il donnerait encore sa vie pour nous, si c'était nécessaire. Allons donc à lui avec une confiance sans limites.

Résolution. - Telles seront mes dispositions envers vous, ô mon bon Maître, pendant toutes ces méditations de la Passion: le regret d'avoir blessé votre Cœur, la confiance en votre bonté infinie, et avec votre grâce l'esprit d'immolation par amour. Blessez mon cœur de votre blessure d'amour.

Méditation préliminaire

En commençant cette retraite, nous ferons remarquer: 1° que nos saints exercices n'ont pas pour but de traiter à fond et jusque dans les moindres détails tout ce qui fait l'objet des grands mystères du Cœur de Jésus, mais bien d'en tracer le cadre. C'est une semence jetée que le so­leil divin fera lever, grandir et mûrir pour la moisson;

2° que la méditation des augustes mystères de l'Eucharistie complète celle des mystère de l'Incarnation et de la Passion, et qu'elle en donne une intelligence plus profonde.

A Bethléem, à Nazareth, au Golgotha, au ciel, au tabernacle, nous trouvons toujours le même Cœur, toujours le même amour. La vigne a plusieurs branches et porte plusieurs grappes, mais c'est la même sève qui la vivifie. Asseyons-nous donc à l'ombre de notre vigne mystique et enivrons-nous de son suc divin.

Par rapport à la sainte Eucharistie, Catherine Emmerich dit une chose bien remarquable. Elle considère ce divin mystère comme trop oublié de 'son temps, comme privé d'honneur, et elle assure que le temps viendra où le Saint-Sacrement sera honoré comme il ne l'a jamais été.

C'est la mission divine réservée à la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus; c'est elle qui révélera toutes les splendeurs qui se cachent dans la sainte Hostie; c'est elle qui, déchirant les voiles, nous fera contempler cette immolation ineffable, qui arrachait à saint Tomas d'Aquin ces brû­lantes paroles. «Je vous adore avec amour, ô Divinité, qui vous cachez sous ces figures; mon cœur se soumet tout à vous, et il défaille en vous contemplant». Cependant, si le Sacré-Cœur de Jésus, par sa disposition permanente d'amour et d'immolation, reste toujours le même dans tous ses états, il faut convenir aussi qu'accidentellement il y a une grande va­riété dans les manifestations de sa vie mortelle et de sa vie eucharistique.

Le Cœur eucharistique de Jésus est dépouillé de l'accident de la dou­leur, état qui lui est commun avec la vie du ciel; il continue dans le Saint-Sacrement sa vie d'amour et d'immolation comme dans les mystères de sa vie mortelle, de sa Passion et de sa vie glorieuse; le Sacré-Cœur est dans l'Eucharistie la source de toute vie surnaturelle dans l'Eglise, de toutes les grâces qui opèrent dans les membres de l'Eglise, pris isolément ou en corps, comme les ordres religieux, de sorte que tout part de ce Cœur et tout y retourne comme au centre divin de l'amour et de la vie. Mais s'il est quelque chose qui se rattache éminemment au Cœur eucha­ristique, c'est la vie sacerdotale avec son caractère, ses privilèges inouïs, ses grâces toutes spéciales. Aussi la contemplation de l'Eucharistie a des lumières et des grâces particulières pour le prêtre, qui se sent porté à ré­péter: «Puisse mon cœur s'immoler en retour!». Car, toute la vie d'un prêtre se résume dans l'immolation, telle que la pratique le Sacré-Cœur de Jésus dans le Saint-Sacrement.

Cette retraite renouvellera en nous les fruits des deux précédentes, la dépendance du Sacré-Cœur de Jésus et sa vie cachée, telles que nous les avons étudiées dans l'incarnation; l'amour compatissant et la joie dans la souffrance, comme nous les avons contemplés dans les mystères de la Passion. Elle nous mettra aussi en communication avec l'esprit de déga­gement des créatures et la joie céleste, fruits de la vie glorieuse du Sacré­Cœur de Notre-Seigneur que nous unissons à sa vie eucharistique. Notre-Seigneur a résumé tous les mystères de son amour dans l'auguste et aimable Sacrement de l'Eucharistie: «Memoriam fecit mirabilium suorum misericors et miserator Dominus, escam dédit timentibus se: Le Seigneur a donné à ses serviteurs un aliment qui résume toutes ses merveilles» (Ps. 110). Le Concile de Trente ajoute que le divin Cœur de Jésus a comme épuisé toutes ses richesses dans le Saint-Sacrement; et Notre-Seigneur lui-même a dit, en parlant de l'Eucharistie, qu'il a voulu non seulement nous donner la vie par elle, mais nous la prodiguer (S. Jean X. 10).

Que faire donc devant cet amour, sinon lui rendre amour pour amour? Qu'opposer à cette immolation, sinon une immolation aussi complète de notre cœur et de nous mêmes qu'il nous sera donné de le faire?

Notre-Seigneur nous donne l'exemple. N'est-il pas comme dans la re­traite au Saint-Sacrement de l'autel? Estimons-nous heureux de passer quelques jours avec lui dans le recueillement. Demandons à Dieu ses grâces et l'assistance de son divin Esprit pour bien profiter de ces médi­tations. Mettons-nous dans la disposition d'abandon où était Jésus en fa­ce des desseins de son Père, Une retraite est une œuvre importante d'où dépend la valeur surnaturelle de toute une partie de notre vie. Laissons Dieu faire en nous tout ce qu'il veut et désire y faire.

Au très Saint-Sacrement, Notre-Seigneur est dégagé des créatures. Il vit seul avec Dieu seul, présentant sans cesse à la divine majesté de Dieu son Père des hommages infiniment dignes de sa sainteté infinie.

Unissons-nous à cette vie de retraite. Vivons avec Dieu seul. Ecoutons sa voix dans le silence du recueillement. Offrons-lui les hommages les plus purs et les plus aimants que notre cœur pourra concevoir.

Résolution. - Je m'unis à votre retraite au Saint Tabernacle, ô mon divin Sauveur. Avec vous, je veux me séparer des créatures pour mieux entendre la voix divine et pour offrir à votre Père des hommages plus parfaits. Vous m'enseignerez là votre amour et votre immolation, j'ap­prendrai à vous payer de retour en vous aimant et en m'offrant à vous.

PREMIER MYSTERE

Vie d'amour du Sacré-Cœur
dans l'Eucharistie

PREMIERE MEDITATION

DESSEIN D'AMOUR DU SACRE-CŒUR,
DANS L'INSTITUTION DE L'EUCHARISTIE

Regardez Jésus à la table de la Cène, bénissant le pain, qu'il change substantiellement en son corps. Voyez-le élevant au ciel ses yeux divins. Tout son visage rayonne d'une douceur ineffable. Il est dans une extase d'amour. C'est qu'en ce moment le Sacré-Cœur réalise l'idéal de sa vie. Il a voulu nous ouvrir une source de grâces, où nous pourrions puiser toutes les bénédictions et toutes les joies. Il a voulu aussi se donner à nous pour vivre dans l'intimité avec chacun de nous. Il réalise tout cela en instituant l'Eucharistie, et il est comme enivré de joie et d'amour.

«J'ai désiré manger cette pâque avec vous» (S. Luc, 22). Pendant tou­te sa vie, Jésus avait faim et soif de voir le jour de cette pâque. Il voulait nous ouvrir cette source de vie, il voulait commencer cette intimité avec nous.

L'Eucharistie, c'était la source de tous les dons que son Cœur nous ouvrait. Ce n'est pas seulement un don spécial, une faveur particulière que ce Cœur libéral veut bien faire à des âmes qu'il aime; ce sont tous les dons à la fois, ce sont toutes les grâces renfermées dans un seul don. Quels que puissent être les besoins d'une âme dans cette vie, c'est ici qu'elle trouve le secours, le remède, les ressources pour tout. C'est un résumé de tous ses dons que nous a laissé le Dieu de miséricorde, en nous donnant ce pain de vie: Memoriam fecit mirabilium suorum misericors et miserator dominus, escam dedit timentibus se.

Ames que la tentation éprouve, que les disgrâces affligent, âmes trou­blées et chancelantes, âmes pauvres, infirmes, moribondes, sachez re­courir à ce remède divin.

Ames tendres, qui avez besoin d'affection, venez à cet ami. Là tout se rencontre à la fois: les conseils de l'amitié, les exemples de la sainteté, les directions de la sagesse infinie. C'est dans ce trésor de toute sorte de biens qu'une infinité d'âmes ont trouvé leur satisfaction. Les autres moyens nous manquent souvent: l'occasion, l'opportunité, un abord fa­cile nous sont refusés; mais dans ce sacrement admirable, Jésus est tou­jours présent, il est toujours prêt: il est partout, il est à tous.

Tous les biens que nous apporte l'Eucharistie sont des fruits merveil­leux; mais Notre-Seigneur n'a pas voulu nous donner seulement les fruits de sa charité infinie, il a voulu nous donner l'arbre lui-même qui porte ces fruits. Il se donne lui-même à nous, il nous donne son Cœur, qui est la source de toute miséricorde. En se donnant lui-même, il nous donne tout et ne se réserve rien: il nous donne son humanité toute sainte avec tous les mérites de sa vie mortelle; il nous donne sa divinité, avec tous les trésors de sa sagesse, de sa puissance et de son infinie bonté. Il ne met enfin d'autres bornes au désir que nous avons nous-mêmes de nous enrichir que celles que nous y mettons nous-mêmes par notre disposition et notre capacité.

Les hommes gagnent notre cœur par de petits présents, ne serons­-nous insensibles qu'envers Notre-Seigneur dont le Cœur est pour nous si prodigue de bienfaits?

Notre-Seigneur nous a donné dans l'Eucharistie tous ses dons et leur source même, c'est l'amour de bienveillance à son suprême degré; mais ce n'est pas tout, Jésus a voulu nous témoigner aussi dans l'Eucharistie l'amour d'amitié et d'intimité. Il a voulu demeurer avec nous, converser avec nous et nous permettre de nous abandonner envers lui à la plus douce familiarité, comme il le permettait à ses apôtres et surtout à saint Jean.

Oui, la libéralité de son amour l'a porté jusque-là. Il semble, comme dit saint Denis, qu'il ait été hors de lui-même dans son amitié pour nous. C'est lui-même qui est ce marchand de l'Evangile qui vend toutes ses ri­chesses pour acquérir une perle qu'il a estimée rare et d'un grand prix. Et cette perle à ses yeux c'est notre pauvre cœur qu'il nous demande. Il veut être tout à nous pour que nous soyons tout à lui.

La raison repousserait une telle croyance, si la foi ne nous l'imposait.

Résolution. - O Jésus, votre amitié me confond. Mon âme en est trou­blée. Qu'ai-je fait jusqu'à présent pour y répondre? Comment ai-je pu mépriser de telles avances? Je dis des lèvres et je voudrais dire de tout mon être: Voici mon cœur, prenez-le et ne me permettez plus de le re­prendre ou de le partager.

DEUXIEME MEDITATION

LE SACRE-CŒUR DE JESUS
DANS L'EUCHARISTIE OPERE UNE NOUVELLE EXTENSION DE L'INCARNATION

Premier caractère de la vie d'amour: l'amour qui se donne

Le premier prodige qui nous frappe dans le mystère de l'Incarnation c'est l'habitation de Dieu avec nous, comme l'un de nous: «Emmanuel: Deus nobiscum». - «Et Verbum caro factum est et habitavit in nobis». Par son omniprésence, Dieu habite toujours avec nous, mais l'infini le sépare de notre pauvre humanité. Il n'a pas un cœur d'homme pour sentir par ex­périence ce que c'est que la compassion. Et voilà ce que le Verbe a réali­sé en se faisant homme; il est devenu notre ami, notre compagnon, notre frère; il est notre Père et comme notre Fils. Tels sont les secrets que nous ont révélés Bethléem et Nazareth. Là, nous avons vu le Dieu tout­puissant, la sagesse éternelle devenue un charmant mais faible enfant, humble, soumis, se faisant le petit serviteur de ses créatures et plus tard continuant dans sa vie apostolique, par amour, cette servitude de son Cœur vis-à-vis des hommes. N'était-il par notre serviteur, celui dont toute l'occupation était de guérir les maladies de notre âme et de notre corps? Oh! comme elle est vraie cette parole de notre doux Sauveur: «Le Fils de l'Homme est venu pour servir, et non pour être servi!». «Il est de­scendu du ciel et il s'est fait homme!». Voilà les prodiges qu'à réalisés ce Cœur adorable! Il ne pense qu'à nous faire monter et lui ne songe qu'à descendre vers nous.

Mais le mystère de l'Ascension semblait devoir mettre un terme à cet état d'abaissement amoureux du Fils de Dieu. Il se dérobe alors à nos yeux, il revêt pour toujours une gloire plus éclatante que celle du Tha­bor; il s'asseoit à la droite du Père avec le titre de Roi, même temporel, et la puissance du juge. Comment oserons-nous désormais l'appeler no­tre frère, bien qu'il aime à nous donner ce doux nom, même après la Ré­surrection? Et s'il est notre frère, n'est-ce pas comme joseph, dont la puissance et la majesté faisaient trembler ceux qui l'avaient trahi, ceux qui l'avaient vendu? Non, il revient à nous en ami, en frère affectueux et dévoué dans l'Eucharistie.

L'humanité sainte n'étant plus sur la terre, la source de la grâce sem­ble tarie, ou transportée à une distance incommensurable de nous. Car, sachons-le bien, toute grâce est le produit du Sacré-Cœur de Jésus, elle en découle comme le sang matériel; elle s'identifie avec son sang et son amour. Mais, si ce Cœur s'éloignait de nous, nous laissât-il les autres sacrements, quelle solitude nous serait faite ici-bas! Quel isolement! Quel vide! Notre tendre frère, notre ami ne serait pas là avec nous! Son Cœur d'homme n'entendrait plus de près nos soupirs et nos larmes! Que deviendrions-nous?

Mais son tendre Cœur a su tout arranger, et afin de rester toujours avec nous, il a inventé le sacrement de l'amour. Nous ne voyons pas Jésus, mais il est là; les faibles apparences eucharistiques nous séparent seules de lui, et nous avons la foi pour les percer, et nous avons un cœur qui s'envole vers le Cœur de Jésus, devenu plus que jamais le Cœur de notre frère et de notre ami. C'est ainsi que le Cœur de Jésus accomplit sa promesse: «Je ne vous laisserai pas orphelins». C'est ainsi que l'Eu­charistie continue le mystère de l'Incarnation et multiplie partout Beth­léem et Nazareth. Même l'Eucharistie rend Notre-Seigneur plus près de nous que le mystère de l'Incarnation, et quand on y réfléchit bien on voit qu'il ne s'est éloigné de l'homme par l'Ascension qu'afro d'être plus près de lui par l'Eucharistie, car les conditions de la vie mortelle ne per­mettraient pas au Sauveur de se rendre présent sur tous les points de l'espace, à tout cœur qui l'aimerait et désirerait sa visite, mais sa vie glorieuse lui permet l'omniprésence de l'amour; son Cœur est partout, nous le trouvons dans tous les sanctuaires, et si notre légèreté et notre in­différence n'empêchaient pas les effusions de cet amour insatiable dans le don de lui-même, il nous serait permis comme aux premiers fidèles de le garder dans nos maisons et de le porter toujours sur notre cœur. Telle eût été la condescendance de ce Cœur généreux, si l'Eglise n'avait pris, en quelque sorte contre lui-même, le soin du respect qui lui est dû.

Mais si ce privilège ne nous est pas accordé, nous pouvons sans gran­de fatigue, et quand nous le voulons, à toute heure du jour et de la nuit, nous approcher du Cœur eucharistique, lui parler, lui ouvrir tout notre cœur, l'attirer à nous et faire de lui tout ce que nous voudrons. Car, dans la sainte Eucharistie, son Cœur l'a rendu dépendant de nous, plus encore qu'il ne l'était à Bethléem et à Nazareth. Il est certainement faci­le de prendre un enfant, de l'embrasser et de le caresser, mais il est enco­re bien plus facile de prendre un petit morceau de pain, de le mettre où on le veut. Et quand on pense que sous cette débile apparence le Cœur de Jésus lui-même est là; quand on songe à cet amour qui a voulu se ren­dre à ce point dépendant de nous, comment ne pas pleurer, ainsi que le faisait le saint Curé d'Ars s'écriant: «Je fais de lui ce que je veux, je le mets où je veux!». Car le privilège de disposer de l'humanité sainte est devenu l'un des plus précieux privilèges que puissent avoir les mains sa­cerdotales. Mais c'est en méditant la vie cachée eucharistique qu'il nous sera donné d'approfondir davantage ce prodige de l'amour. Pour au­jourd'hui, qu'il nous suffise de constater ce premier point.

Par la sainte Eucharistie, l'Incarnation se multiplie sur tous les points de la terre habitable; partout où il nous est donné de porter nos pas, nous trou­vons le Cœur de notre frère et de notre ami, toujours prêt à nous recevoir, toujours prêt à nous consoler, toujours prêt à nous combler de grâces, à nous éclairer, à nous relever et à nous pardonner. Aussi, dans cette Incar­nation nouvelle, c'est surtout le Cœur de Jésus qui est présent; il cache tout le reste, sa divinité, son humanité, afin de laisser mieux voir son Cœur; et si les yeux du corps ne peuvent le voir, combien les yeux du cœur le voient et savent percer les voiles qui l'entourent! Ah! que ne nous est-il donné de multiplier aussi notre cœur pour le donner à ce Cœur qui se multiplie pour nous! Du moins, arrachons nos pensées, nos affections au monde, à nous­mêmes, pour les donner toutes au seul Cœur qui nous aime, et si nous ne pouvons le surpasser ni même l'égaler en amour, au moins que tout notre amour lui appartienne, tout, absolument tout; et encore, après cela, disons que nous ne sommes que des serviteurs inutiles.

Mais ce n'est pas à cela que se borne l'extension de l'Incarnation. En quoi consiste proprement ce mystère ineffable? C'est que l'homme devient Dieu par l'union hypostatique de la nature divine à la nature humaine. Or, il ne convenait pas que le Verbe s'incarnât dans chacun de nous. Et cepen­dant le Cœur de Jésus, si avide de se donner, se disait: Parmi tous mes tré­sors, il y en a un, le plus précieux de tous, ma divinité, qui devient inacessi­ble à mes frères et à mes amis; ils ne jouissent pas comme moi de l'union hypostatique. Eh bien! voilà ce que je ferai; je leur donnerai ma chair qui est la vie du monde, je les enivrerai de mon sang, dans leur cœur je place­rai mon Cœur et alors ma divinité s'unira à eux d'une façon toute spéciale, quoique non hypostatique, et de l'homme on pourra dire qu'il est Dieu par participation, s'il ne l'est pas par nature. C'est ainsi que la divine Euchari­stie, au moyen de la sainte communion, nous fait entrer dans le mystère même de l'Incarnation, et l'étend à tous les enfants d'Adam qui vou­dront se mettre en état d'en profiter. Quoi de plus grand? Quoi de plus beau? Quoi de plus tendre et de plus généreux!

Nous associer à la divinité en nous unissant à l'humanité sainte de Jésus, à son Cœur divin; tel est donc le but de la sainte Communion, et c'est ainsi que ce Cœur aimant ne se contente pas de la qualité de frère, d'ami, ou de père, mais qu'il devient l'époux de nos âmes et notre cœur même. «Ma chair, dit-il, est vraiment une nourriture, et mon sang vrai­ment un breuvage». Manger Dieu, s'abreuver de Dieu, s'incorporer à Jésus-Christ, ne faire qu'un avec lui, oh! quel glorieux privilège! Et combien l'incarnation eucharistique est un complément merveilleux de la première Incarnation.

Tous les auteurs mystiques décrivent très au long les effets merveil­leux de la sainte Communion. Le temps nous manquerait pour les ana­lyser, mais nous trouvons tout et au-delà dans cette magnifique synthè­se: La divine Eucharistie n'est rien autre chose que l'Incarnation appli­quée à chacun de nous.

Nous ajouterons seulement deux observations comme corollaires.

1° La sainte Eucharistie est le pain de vie, le pain donné pour le salut du monde; et la vie, c'est Dieu lui-même; mais ce pain merveilleux a tous les goûts et toutes les délices, comme la manne; il sait s'adapter à tous les besoins de notre âme, et nous transforme en lui au lieu d'être transformé en nous; il s'adapte à tous nos attraits, il a la douceur du lait et la force du pain; en un mot, le Sacré-Cœur de Jésus est tout à la fois pour nous une nourriture qui nous fait croître et un breuvage généreux qui nous remplit de joie.

2° La très sainte Communion est encore l'oeuvre par excellence de l'âme chrétienne, que rien, absolument rien, ne saurait remplacer parce qu'elle seule peut nous donner la vie complète, c'est-à-dire, nous déifier autant que nous pouvons l'être. Les autres sacrements préparent cette déification et la contiennent en germe. Telle est l'oeuvre que fait en nous le baptême en faisant de nous le temple du Saint-Esprit; mais, par l'Eu­charistie, ce temple vivant s'assimile au Christ et fait de notre cœur son propre cœur et nous devenons ainsi par là comme le fils bien-aimé en qui Dieu a mis toutes ses complaisances. On comprend donc que le dé­mon a fait tout ce qu'il a pu pour éloigner les fidèles de la sainte Table, car il veut faire de nous les fils de l'enfer et non pas les fils de Dieu; aussi, toutes les hérésies modernes, même celles qui essayent de grimacer le ca­tholicisme, peuvent se reconnaître à ce caractère: l'éloignement de la sainte Communion sous prétexte de respect. Malheureux! Ils ne voient pas que l'humilité la plus parfaite consiste à ne pas dédaigner le don que nous fait la miséricorde du Sacré-Cœur de Jésus. Aussi l'un des princi­paux effets de la dévotion au Sacré-Cœur sera de renouveler la pratique de la communion fréquente, même quotidienne.

Ah! prêtres du Sauveur, admirons notre privilège. Ce divin Cœur dé­pend de nous par l'institution eucharistique; il veut que nous le don­nions. Ne lui causons pas cette peine de ne pas le donner.

Cependant, ne nous contentons pas pour nous-mêmes, ni pour les fi­dèles, de la disposition strictement suffisante pour la communion, c'est­à-dire de l'absence du péché mortel; car alors la communion empêche bien de mourir, mais elle ne porte pas tous ses fruits de déification. No­tre cœur doit être vis-à-vis du Sacré-Cœur de Jésus dans les disposi­tions: 1° d'ardent désir, comme l'exprimait l'épouse des cantiques: «Ah! que mon bien-aimé me donne enfin le baiser de sa bouche et de son cœur, qu'il m'unisse à lui, qu'il m'entraîne après lui»; 2° de donation entière de nous-mêmes à celui qui se donne tout à nous: «Je suis à mon bien-aimé et il est à moi». O mon bien-aimé, que voulez-vous prendre? Voici d'abord mon cœur, il est à vous; mais, quand il sera à vous, faites­-lui vouloir tout ce qu'il vous plaira. Il sera toujours joyeux, toujours content, car il sera vous-même.

Résolution. - J'ai Bethléem et Nazareth à ma portée par l'Eucharistie. J'en veux user bien largement par la visite de Jésus et sa réception. Comme joseph et Marie, je puis posséder Jésus, converser avec lui et même le recevoir en moi-même et comme sur mon cœur. O Jésus, que vous êtes aimant!

TROISIEME MEDITATION

LE SACRE-CŒUR DE JESUS
DANS LA SAINTE EUCHARISTIE
RENOUVELLE LA PASSION

Deuxième caractère de la vie d'amour.
un amour fort et généreux

Que la sainte Eucharistie renouvelle d'une certaine manière les mys­tères de la Passion, c'est une vérité de foi, car saint Paul a dit: «Toutes le fois que vous mangerez de ce pain et que vous boirez de ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur». Et l'Eglise nous enseigne que le sacri­fice de la messe est substantiellement le même que celui de la Croix, ce que nous verrons plus en détail en méditant cet adorable mystère. Ici, nous nous contenterons d'observer que le Sacré-Cœur de Jésus renou­velle d'une certaine manière sa divine Passion, soit dans l'Eucharistie conservée, soit dans la sainte Communion, et qu'il nous montre ainsi non seulement le plus tendre, mais encore le plus fort des amours.

C'est à quoi n'ont pas fait attention plusieurs auteurs mystiques. Ils ne voient presque exclusivement dans la sainte Eucharistie, en dehors bien entendu du sacrifice de la messe, que l'extension de l'Incarnation. Mais cet amour incarné est aussi le même amour qui a souffert pour nous, et ce Cœur nous apparaît précisément dans la sainte Eucharistie surmonté de la croix, le signe et l'instrument de la Rédemption.

Il est vrai que les circonstances accidentelles et passagères de la Pas­sion ont disparu; la souffrance n'existe plus, mais l'essentiel est là: ce Cœur qui m'a aimé et qui par amour s'est livré pour moi: «Christus dile­xit me et tradidit semetipsum pro me». C'est bien là ce Cœur qui a pleuré nos ingratitudes au jardin, ce Cœur qui a été brisé pour nos péchés, ce Cœur que l'amour plus que la lance a blessé sur le Calvaire. Il ne souf­fre plus, c'est vrai, mais il se réjouit d'avoir souffert pour nous, d'être mort pour nous, d'avoir compati à nos misères et d'avoir porté toutes nos langueurs et toutes nos infirmités.

On fait très peu attention à la joie qu'éprouve maintenant le Sacré­Cœur de Jésus d'avoir souffert pour nous, et cependant, il l'a indiquée avec tant d'amour à la Bienheureuse Marguerite-Marie! Il lui a assuré qu'il persévérait toujours dans l'intention de souffrir et de mourir encore pour ceux qu'il aime, mais cela n'est plus nécessaire, et cependant cette affirmation de Notre-Seigneur prouve que dans son Cœur Sacré la dis­position d'immolation par amour persiste toujours. Et c'est au moyen de cette disposition qu'il offre toujours à Dieu le Père, ses mérites, ses souf­frances et sa mort pour nous, et qu'il renouvelle sans cesse l'esprit de la Passion, s'il n'en renouvelle pas l'extérieur sanglant qui n'était qu'acci­dentel et passager. Mais cette oblation constante de ses souffrances pas­sées, cette joie amoureuse, continuelle, d'avoir souffert et d'être mort pour nous, constituent le Sacré-Cœur de Jésus tout joyeux et tout glo­rieux qu'il est, dans l'état perpétuel de victime eucharistique, en dehors même du saint Sacrifice de la messe.

Notre union à cet état sublime, surtout dans la sainte Communion, fait dire à saint Paul que nous devons alors annoncer la mort du Sei­gneur, et voici comment: le Sacré-Cœur de Jésus se réjouit d'avoir souf­fert pour nous, donc nous devons aussi souffrir pour lui avec joie, non pas en choisissant tel ou tel genre de croix à notre volonté, mais en ac­ceptant généreusement, joyeusement tout ce qu'il lui plaira de choisir pour nous. Car il se plaît à nous voir renouveler sur la terre sa vie mor­telle et souffrante; il se réjouit, quand, par amour pour lui, nous portons la même croix qu'il a portée par amour pour nous. Nous ne la choisis­sons pas nous-mêmes, parce que la victime ne s'immole pas, mais se laisse immoler, mais nous l'acceptons avec la plus grande joie, ainsi qu'il est exprimé dans la retraite de la Passion. Quelle sera cette croix? Elle se­ra pour tous celle de la vie d'amour et d'immolation, telle que nous l'avons considérée, et, pour chacun en particulier, celle que le Sacré­-Cœur de Jésus voudra bien choisir soit intérieure, soit extérieure.

Il y a une différence notable entre la victime de justice et la victime eu­charistique. La première est choisie par le divin Sauveur dans un but spécial d'expiation et relativement très rare, mais la disposition d'immo­lation eucharistique doit exister dans tout cœur dévoué au Sacré-Cœur ainsi que nous le dirons plus au long en parlant de la vie de sacrifice.

Cette disposition nous attire du Sacré-Cœur de Jésus les plus grandes grâces que fortifie encore la sainte Communion. Oui, c'est le divin Sa­crement seul, non seulement honoré et aimé, mais encore reçu, qui a produit dans l'Eglise ces prodiges de force et de générosité qui nous sai­sissent d'admiration. Les martyrs, dit saint Jean Chrysostome man­geaient la chair du Christ et s'abreuvaient de son sang, et ils sortaient de la sainte Table comme des lions. Le Sacré-Cœur souffrait dans la per­sonne de ceux qui étaient disposés à tout souffrir pour lui, et le vin de l'amour les rendait insensibles aux plus affreux tourments. C'est ainsi que l'héroïque saint Laurent bravait sur son gril tous les supplices de l'enfer; c'est ainsi qu'à Lyon, Ponticus, enfant de quinze ans, effrayé d'abord de l'horreur des tourments, s'étant incorporé le Cœur euchari­stique de Jésus, finit par affronter courageusement le martyre et par en­courager les vieillards et les hommes forts eux-mêmes. Ce ne sont donc pas seulement les joies ineffables du banquet divin, que nous donnera la participation au Cœur eucharistique de Jésus, c'est l'héroïsme du mar­tyre. O divin Cœur de Jésus, enivré de notre amour, vous avez pu tout souffrir pour nous, et nous, après nous être enivrés de votre amour, nous ne pourrions rien endurer pour vous? O Cœur aimable, vous rendez dans l'Eucharistie la Passion présente. Le calice des souffrances de cette vie se mêle au calice de votre sang et de votre amour. Ah! qu'il est eni­vrant et délicieux ce calice divin! Puissent les vrais disciples du Sacré­-Cœur le boire et le faire boire au monde épuisé de faiblesse! Tout ce qu'il y a de force et d'énergie dans l'Eglise vient aujourd'hui comme toujours de la Table eucharistique; si tous n'en profitent pas autant qu'ils le devraient, cela vient de ce que la communion n'est pas assez fré­quente, et aussi, de ce que ceux qui communient souvent ne pensent pas assez au Cœur eucharistique, manquent de confiance en lui, et oublient de se donner, de se livrer tout entier à son amour, de même qu'il se don­ne tout entier à nous.

Ah! que la charité du Sacré-Cœur de Jésus nous saisisse et nous pres­se! et alors, rien ne nous épouvantera; nous surmonterons tout, comme dit saint Paul, parce que l'amour est plus fort que la mort et plus fort que l'enfer lui-même.

Résolution. - Je me nourris souvent de votre chair et de votre sang, ô mon bon Maître, je dois me nourrir aussi des dispositions de votre Cœur et de votre esprit d'immolation. Je dois puiser la force dans votre Cœur eucharistique. Je m'humilie de la tiédeur que j'ai apportée jusqu'ici à mes communions. Pardonnez-moi. Changez ma faiblesse en force et en courage.

QUATRIEME MEDITATION

VIE GLORIEUSE DU SACRE-CŒUR DE JESUS DANS LA SAINTE EUCHARISTIE

Troisième caractère de la vie d'amour.
L'amour joyeux, dégagé des choses terrestres

Nous trouvons donc, dans la sainte et adorable Eucharistie, Bethléem et Nazareth; nous y trouvons un Calvaire mystique, l'Agneau qui vit d'immolation; mais nous y trouverons aussi le ciel avec toutes ses joies, toutes ses gloires et toutes ses délices.

Le Cœur sacré de Jésus, plus brillant que la lumière, tout rayonnant et tout brûlant d'amour, ravit dans une extase éternelle les anges et les saints. Il est le soleil de la céleste Jérusalem, ainsi que le dit saint Jean: eh bien, il est là aussi dans le tabernacle, il y est non pas en image mais réellement. En lui réside la Très Sainte Trinité; la Très Sainte Vierge, saint joseph, les anges et les saints forment sa cour. Il les enivre des tor­rents d'une joie qui ne finira jamais; de lui s'échappent des fleuves de paix, et rien ne le sépare de nous, sinon les faibles apparences eucharisti­que. C'est ce rien, ce petit voile, ce petit nuage qui seul nous sépare du ciel quand nous adorons le Sacré-Cœur de Jésus dans le Tabernacle; et quand il entre en nous par la sainte Communion, il apporte avec lui le ciel: le ciel, n'est-ce pas lui-même?

Le Sacré-Cœur de notre Jésus entrant en nous par la sainte Commu­nion doit donc nous communiquer aussi quelque-unes de ses qualités glorieuses; et celles qu'il ne nous communique pas, telles que l'impassi­bilité, la clarté, etc., il en dépose en nous le germe, il nous en donne le gage assuré, les arrhes certaines.

Méditons maintenant les qualités de la vie glorieuse que l'amour du Sacré-Cœur de Jésus dépose dès maintenant dans nos cœurs soit lor­sque nous le visitons, soit surtout dans nos communions. Nous les résu­mons toutes dans le dégagement et la joie.

A. Le dégagement des créatures.

Le dégagement dit beaucoup plus que le simple détachement des créa­tures; le détachement indique une opération douloureuse; il s'agit de couper, d'arracher, mais le cœur dégagé n'a plus d'entraves; il ne cesse de chanter: «Laqueus contritus est et nos liberati sumus: mes liens sont brisés et je suis délivré». Il plane tout à son aise dans les sphères les plus radieu­ses de l'amour divin parce qu'il ne tient plus à aucune créature. Il s'en sert parfois, comme Notre-Seigneur faisait après la Résurrection, mais son Cœur n'est pas là. Sa nourriture, c'est l'amour du Cœur de Jésus; son breuvage, sa divine bonté; sa conversation n'est plus sur la terre, elle est au ciel, au plus haut des cieux, dans le Cœur même de Jésus. Il ne regarde que d'un oeil distrait les choses de la terre, juste dans la mesure que lui imposent ses devoirs et les nécessités absolues de la vie. Ah! que cet état est désirable! Mais qu'il est rare! Toutefois, il n'est ni au-dessus de la miséricorde du Sacré-Cœur de Jésus, ni au-dessus de nos forces. Le parfait oblat du Sacré-Cœur de Jésus ne doit pas être seulement déta­ché, car un homme simplement détaché est toujours prêt à se rattacher à quelque chose; il doit nager dans l'amour du Sacré-Cœur de Jésus, comme le poisson dans l'eau; il doit s'abreuver de cette céleste atmo­sphère comme les oiseaux s'abreuvent de l'air. Les plus avancés doivent avoir franchi déjà la frontière du détachement et s'être élancés dans les sphères de l'amour, c'est-à-dire dans la contemplation, car contempla­tion et dégagement c'est tout un. Nous connaissons les moyens pour y arriver, le désir ardent, la mortification des passions, le jet continu de nos affections et de nos pensées vers le Sacré-Cœur de Jésus. En voici un autre qui les résume tous: des communions ferventes et des colloques ar­dents avec ce divin Cœur résidant dans le tabernacle.

Rien n'est plus propre à dégager notre cœur que la réception du Cœur eucharistique de Jésus: c'est un feu brûlant qui nous aurait bien vite emportés loin de nous-mêmes et des créatures. Mais pourquoi n'opère-t-il pas en nous ces effets merveilleux? C'est que notre cœur, je dis notre cœur et non pas notre imagination, est distrait en sa présence. Nous communions aux choses terrestres, aux créatures, à nous-mêmes, en même temps que nous communions au Cœur eucharistique. De là ce manque de désirs, cette langueur qui nous abat, cette avidité qui nous deséche; nous n'avons pas faim et soif de l'amour et nous ne sommes ni rassasiés ni désaltérés. Ah! désirons, désirons! Languissons de ne pas dé­sirer assez. Oublions tout et, pour oublier tout, lançons-nous de plus en plus dans le Cœur de Jésus. En un mot, que toute notre vie soit comme une communion spirituelle et une action de grâces continuelle, et alors nous serons dégagés. Rien ne nous y aidera davantage que notre profes­sion d'amour et d'immolation bien comprise et bien pratiquée.

Et alors on dira de nous: Il est ressuscité, n'allez pas chercher parmi les morts celui qui est vivant; et une fois ressuscité, le Christ ne meurt pas. Il est mort une fois pour le péché, mais maintenant ce qu'il vit, il le vit pour Dieu: «Quod autem vivit, niait Deo», c'est-à-dire que la commu­nion bien fervente au Cœur eucharistique nous établit dans une sorte d'impeccabilité, en brisant en nous tous les liens qui nous attachaient au péché, et en remplissant notre cœur de l'amour divin.

Ce doux privilège entraîne avec lui la joie, non pas cette joie qui naît de l'impassibilité, mais celle que donne l'union au Sacré-Cœur de Jésus et qui consiste dans une céleste dilatation du cœur et une surabondance de paix. Cette joie divine est le souffle de l'esprit de force qui nous sou­tiendra dans les plus grands tourments parce qu'elle est le souffle de l'amour. Aussi, plus nous serons célestes, moins la croix nous pèsera, car, ainsi que nous l'avons déjà dit, il n'y a pas de petites et de grandes croix, mais il n'y a qu'un petit et un grand amour. Et de quoi nous réjouissons-nous donc? De ce qui réjouit le Sacré-Cœur de Jésus, de son amour. Si la joie pénètre si peu dans nos cœurs, c'est qu'ils ne sont pas assez dégagés des créatures; rien n'attriste l'âme comme le poids de la sensualité ou de l'amour-propre. Ah! comme il est vrai le cantique des séraphins, qu'entendait la bienheureuse Marguerite Marie: «L'amour du Saint Cœur réjouit». Il fait bondir de joie, même au milieu des plus vives souffrances, comme le disait saint Paul, l'apôtre tout à la fois de la croix et des joies célestes.

En finissant, faisons observer qu'il ne suffit pas au prêtre d'être déta­ché, il doit être dégagé. Lorsque les enfants israélites furent précipités dans la fournaise ardente, l'Ange du Seigneur descendit avec eux et il circulait librement au milieu des flammes, les flammes ne l'effleuraient même pas. Ainsi faut-il que le prêtre du Seigneur descende parfois au milieu des flammes. Ne le fait-il pas souvent en exerçant le saint ministè­re au tribunal de la Pénitence, ou dans des circonstances analogues? Or, s'il est tant soit peu charnel, si la vie terrestre vit encore en lui, fût-il mê­me pieux, bien loin de porter secours aux âmes, il finira par être dévoré lui-même.

Faisons donc attention à la grandeur de notre vocation: elle nous assi­mile aux saints Anges. Mais aussi, faisons tout pour l'assurer et la ren­dre certaine, selon le langage de saint Pierre, sans scrupule toutefois,

mais avec une grande confiance dans ce Cœur eucharistique si pur, si dégagé des pécheurs, comme dit saint Paul (aux Hébr. VII, 26), et qui doit devenir la seule nourriture de notre âme et de notre corps.

Résolution. - Bon Maître, je serai assidu auprès de vous. C'est dans les communions ferventes et dans les colloques ardents avec votre divin Cœur que je puiserai la joie et la force. Si je garde quelque attache, elle finira par m'entraîner et me perdre, je veux être tout à vous.

CINQUIEME MEDITATION

LE CŒUR EUCHARISTIQUE,
SOURCE DE TOUTES LES GRACES

L'amour opérateur

L'Eglise est le vrai Paradis de Dieu sur la terre; elle est fécondée par une multitude de canaux qui lui apportent la grâce; mais toutes ces grâ­ces dérivent d'une seuèle et unique source, du Cœur eucharistique de Jésus. C'est le Cœur de Jésus qui a formé la grâce par son sacrifice d'amour et d'immolation; or ce Cœur s'étant caché sous les voiles eu­charistiques y renouvelle tous ses mystères et devient le cœur mystique de son corps mystique, de la sainte Eglise du Christ; et, de même que le cœur matériel répand le sang et la vie dans tous les membres du corps, ainsi le Cœur eucharistique dissémine dans son corps mystique toutes les forces de son amour et de sa grâce, et exerce sur l'Eglise un influx réel d'illumination et de sanctification.

Par l'influx d'illumination, le Sacré-Cœur dirige la sainte Eglise et agit sur son chef visible, afin de lui communiquer l'infaillibilité doctrina­le. Le Saint Esprit puise dans le Sacré-Cœur de Notre-Seigneur toutes les grâces d'illumination et de sanctification, et il opère sur elles comme le mouvement opère sur le sang, comme l'ouvrier sur la matière. Et voi­là pourquoi il est également vrai d'attribuer le flux de la grâce au Sacré­-Cœur de Jésus, et au Saint Esprit vivificateur. Le Sacré-Cœur de Notre-Seigneur a été formé par l'opération de ce divin Esprit, auquel re­vient aussi la mission de former dans l'Eglise le Cœur mystique de Jésus. Pour ce qui regarde la doctrine et la direction de l'Eglise, si le Sou­verain Pontife est le chef visible, Notre-Seigneur n'a pas abdiqué son in­fluence très réelle et il ne cesse d'opérer par son Cœur eucharistique sur le Corps et sur le Chef visible lui-même: «Je serai avec vous, dit-il, jus­qu'à la consommation des siècles»; non pas seulement par une influence éloignée, mais encore par une présence sensible, réelle et une action effi­cace qui part du divin Cœur, hôte de nos tabernacles.

L'influx de ce divin Cœur sur l'Eglise s'exerce par la conservation du dépôt de la foi qui est spécialement réservée au Pontife infaillible; elle s'exerce aussi sur son organisme, c'est-à-dire sur son clergé et sur les or­dres religieux. L'influx sur l'organisme regarde non seulement l'illumi­nation et la doctrine, mais encore la sanctification du corps mystique de l'Eglise, dont nous allons nous occuper.

La sanctification de l'Eglise et de chacun des membres de l'Eglise s'opère surtout par les sept sacrements qui sont les sept artères par où s'écoule la vie de l'amour. Or, le Cœur de Jésus a inventé les divins sa­crements, il les a formés, il y a déposé la grâce divine en les arrosant de l'onction de son sang et de son amour, et afin de répandre sa grâce avec plus d'effusion, il s'est fait sacrement lui-même. Aussi devons-nous ad­mettre la doctrine de saint Thomas, que la sainte Eucharistie est le cen­tre autour duquel gravitent tous les autres sacrements, en y ajoutant cet­te remarque importante, que la cause de cette gravitation et de cette ori­gine commune est le Sacré-Cœur de Jésus qui les a formés et qui en fait les canaux de son amour.

Le premier et le plus important de ces divers sacrements, au point de vue du salut, est le baptême. Caché sous l'eau sainte et bénite, l'Esprit du Cœur de Jésus plonge l'âme dans le bain purificateur, la débarrasse de la tâche originelle et de tous les péchés actuels, si elle en a commis, lui imprime un céleste caractère qui en fait une croix vivante, dépose en elle l'habitude des vertus théologales, la foi, l'espérance et l'amour, l'orne de ses dons admirables et la nourrit de ses fruits précieux. Désormais cette âme entre dans la famille de Dieu lui même, qu'elle appelle son Père. Jésus-Christ devient son frère, et le divin Esprit forme dans son cœur la prière, les désirs et les gémissements ineffables. «Donnez-nous lui fait-il dire, donnez-nous notre pain quotidien et supersubstantiel, la grâce, l'amour, le Cœur de Jésus dans la sainte Eucharistie, car telle est la faim et la soif qui nous dévorent». Autrefois l'Esprit d'amour mettait dans les cœurs la dévotion au Cœur de Jésus d'une manière implicite et cachée; mais aujourd'hui, il la développe dans toute sa splendeur. La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus résume les dons de l'Esprit Saint.

Le Sacrement de Confirmation est le crème du salut. L'onction sain­te avec le parfum de l'amour y est marquée par le signe de la Croix. C'est le Sacré-Cœur de Jésus qui vient s'imprimer sur l'âme en y dépo­sant, avec une force et une douceur toutes nouvelles, l'Esprit d'amour avec l'abondance de ses grâces et de ses dons.

La dédicace du temple vivant est faite. Le Sacré-Cœur de Jésus pour­ra alors reposer dans son tabernacle par la sainte Communion. Son hu­manité sainte n'y fait que passer, mais l'esprit de son Cœur restera tou­jours dans cette âme, afin d'y faire croître le Christ et de la préparer à la communion éternelle.

C'est de ce divin Cœur que s'écoulent les eaux salutaires du pardon, afin de laver, dans la miséricorde inépuisable de Dieu, l'âme qui a eu le malheur de perdre la grâce du baptême, et de la mettre à même de s'ali­menter de nouveau du pain de vie.

C'est ce Cœur qui forme le lien sacré du mariage, symbole de son union avec l'Eglise. Enfin il se transforme en douce onction pour conso­ler et fortifier l'âme du pauvre mourant. Il devient alors l'huile des infir­mes et une miséricorde très touchante, comme dit l'Eglise, afin d'y noyer toutes les souillures du chrétien à cette heure suprême, et de l'amener ainsi à la communion éternelle dont le viatique est ici-bas le gage.

Mais nous devons méditer le Sacré-Cœur eucharistique dans un autre sacrement qui porte toute son empreinte, et où il apparaît avec son ca­ractère sacerdotal: c'est le sacrement de l'Ordre auquel se rattachent tout l'organisme de l'Eglise et la sanctification des fidèles.

Ce Sacrement admirable donne au prêtre le pouvoir de former le Cœur eucharistique de Jésus, et de le déposer dans les âmes. Il associe cet homme au Sacerdoce même de Jésus, et, par conséquent, il en fait réellement un autre Christ, car il n'y a pas deux sacerdoces, il n'y en a qu'un seul, celui de Jésus-Christ, et le Sacré-Cœur de Jésus, en venant dans les mains et le cœur du prêtre, en fait le ministre des Sacrements et le distributeur de toutes les grâces.

Et si le prêtre veut correspondre à sa sublime mission, il faut que le Cœur sacerdotal de Jésus-Christ se forme en lui, non pas seulement en germe et en puissance, mais dans toute sa force et sa splendeur: c'est-à­-dire avec le caractère de Pontife et de victime qui le distingue, avec l'esprit d'amour et d'immolation par lequel le Prêtre se consacre unique­ment à l'amour de ce divin Cœur, en lui immolant son cœur et en lui consacrant ses actions et ses oeuvres sacerdotales avec tous leurs fruits, et leurs mérites.

A cette opération, pour ainsi dire, officielle du Sacré-Cœur de Jésus par les Sacrements, se joint son opération secrète et intime sur les âmes, laquelle se rattache, elle aussi, toujours et dans tous les cas, au Cœur eu­charistique. Par ses touches délicates et admirables, ce divin Cœur for­me dans le secret des âmes qu'il aime, cette vie d'amour dont saint Paul nous trace tous les caractères en terme éloquents: «Caritas patiens est, beni­gna est… ; non est ambitiosa, non quaerit quae sua sunt, non cogitat malum, … omnia suffert, omnia credit, omnia sperat, omnia sustinet: La charité est patien­te, elle est aimable, elle n'est pas ambitieuse, ni intéressée; elle ne s'em­porte pas, ne pense mal de personne, elle supporte tout, elle croit, elle espère, elle patiente». En d'autres termes, aimer uniquement le Sacré-­Cœur de Jésus, ne vivre que pour lui et de lui, tel est le but de l'opéra­tion mystérieuse du Cœur eucharistique dans les âmes.

Nous terminerons ces considérations sur l'action du Sacré-Cœur de Jésus dans l'Eucharistie, en disant un mot sur l'action de Marie, de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Elle aussi est le canal de la grâce: «Salve ra­dix, salve porta! Salut, source et porte de la grâce!». Elle obtient le salut, la grâce et l'amour du Sacré-Cœur de Jésus à tous ceux qui l'en supplient, et cela, elle l'obtient infailliblement. Marie n'est pas l'auteur de la grâ­ce, il est vrai, mais elle l'obtient par sa puissante impétration, elle la gar­de en nous. Et du reste, la Très Sainte Vierge, ayant formé en elle le Cœur matériel de Jésus, on ne peut nier qu'elle n'ait une coopération toute spéciale à la formation de son Cœur mystique, soit dans l'Eglise, soit dans nos âmes. Aimons donc cette bonne mère et prions-la de pro­noncer en faveur de nos âmes son tout-puissant «fiat».

Résolution. - O mon Bon Maître, je veux me nourrir constamment aux sources très pures de votre divin Cœur. Je serai docile à votre grâce: «Audiam quid loquatur in me Dominus» (Ps. 84). J'irai avec joie puiser aux sources du salut, aux sacrements surtout à l'Eucharistie où je trouverai votre Cœur lui-même, vivant et aimant.

SIXIEME MEDITATION

LE CŒUR DE JESUS A SOIF D'ETRE AIME
DES HOMMES AU SAINT-SACREMENT

Pendant que les anges et les saints contemplent, adorent et chantent l'amour du Cœur divin, dans les splendeurs de la gloire, les hommes sont appelés à l'honorer, de préférence, sous les voiles eucharistiques.

Il est au ciel pour les bienheureux, il est au tabernacle pour nous. Il est là brûlant d'amour pour nous et nous demandant l'amour de retour.

Il semble que Notre-Seigneur s'ennuie là au tabernacle, il a soif d'amour, il nous appelle, il nous attend

Un de mes plus rudes supplices, dit la Bienheureuse, c'est lorsque de­vant l'apparition du Sacré-Cœur, j'entendais ces paroles: «J'ai soif, mais d'une soif si ardente, d'être aimé des hommes au Très Saint Sacre­ment, que cette soif me consume; et je ne trouve personne qui s'efforce, selon mon désir, de me désaltérer, en rendant quelque retour à mon amour».

C'est pour répondre à cette douloureuse plainte que la Bienheureuse s'efforça de donner à la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus une forme qu'on peut appeler eucharistique.

Ce n'est pas qu'elle laisse dans l'oubli les divers témoignages que Notre-Seigneur nous a donnés de son amour pendant sa vie mortelle, et ceux qu'il donnera éternellement aux élus dans le ciel. Non, elle les exal­te tous, mais elle nous demande d'adresser au Cœur de Jésus, au Saint Sacrement, tous les hommages que nous devons lui rendre, non seulement pour l'amour qu'il nous montre dans l'Eucharistie, mais aussi pour celui qu'il nous a manifesté, «soit dans sa vie cachée, soit dans sa vie d'opéra­tion, soit dans sa vie sacrifiée, soit dans sa vie de gloire» (Ecrits divers, p. 465).

C'est dans ce sens que Notre-Seigneur la dirigeait. C'est ordinaire­ment dans le Saint Sacrement que le Sacré-Cœur se montre à sa servan­te. Les plaintes qu'il fait entendre ont surtout pour objet les outrages qu'il reçoit dans l'Eucharistie; et les hommages qu'il réclame doivent lui être tous rendus devant l'Eucharistie ou par l'Eucharistie.

D'ailleurs, n'est-ce pas bien naturel? Toute dévotion, toute affection nous porte à nous rapprocher de l'objet aimé. Or, c'est bien dans l'Eu­charistie que nous trouverons le Cœur de Jésus vivant tout près de nous.

«La grâce et la vérité nous viennent par Jésus-Christ», dit le disciple bien-aimé (S. Jean, I. 16). Le Cœur de Jésus, vivant dans l'Eucharis­tie, fut montré à la Bienheureuse Marguerite Marie comme une fontaine de grâces et comme un foyer de lumière.

Le premier fruit de la dévotion au Sacré-Cœur, c'est la grâce. Si nous sommes pécheurs, c'est la grâce première qui nous est rendue par la con­trition parfaite; si nous sommes déjà en état de grâce, cette grâce est aug­mentée considérablement. «Là, dit la Bienheureuse, Jésus nous donne tout ce qu'il a, sans se rien réserver, pour posséder nos cœurs et les enri­chir de lui-même».

Mais pour cela, il faut que nous correspondions à l'amour du Sacré­Cœur. «Il faut, dit la Bienheureuse, fuir tout ce qui pourrait nous faire perdre cette vie de la grâce, en nous offrant au Sacré-Cœur comme un esclave devant son libérateur, ne nous réservant plus d'autre liberté que celle de l'aimer par le mépris de tout le reste». Et la Bienheureuse nous invite à faire à chaque visite au Saint Sacrement plusieurs actes de cette disposition.

Le second fruit, c'est la vérité ou la lumière. Que de fois la Bienheureu­se ne voit-elle pas ce Cœur Sacré sous la forme d'un radieux soleil? Elle nous le montre éclairant les âmes de deux manières, par ses inspirations et par ses exemples.

La servante de Dieu nous recommande souvent de recourir au Cœur du divin Conseiller du tabernacle, dans tous nos doutes, dans toutes nos incertitudes, avant chaque entreprise importante, et d'attendre avec confiance la réponse divine qui arrive ordinairement sous la forme d'ins­piration. C'est à cette lumière que la Bienheureuse marcha dès son en­fance.

Le Cœur de Jésus dans sa vie eucharistique, nous éclaire encore par ses exemples.

«Je veux te faire lire dans le livre où est contenue la science d'amour», disait Notre-Seigneur à la Bienheureuse. Le livre c'est son Cœur eucha­ristique. Venons-y lire fréquemment; nous y apprendrons toutes les ver­tus, spécialement, l'humilité, le silence, le détachement et surtout la cha­rité.

Résolution. - O mon Jésus, vous aimer, chercher auprès de vous la grâce, le conseil, la lumière, est-ce donc pénible et difficile? Oh! non, je ne veux plus vous refuser ce qui me procurera mon bien et ma sanctifica­tion.

DEUXIEME MISTERE

Vie de silence et de prière

PREMIERE MEDITATION

DE LA SOLITUDE DU CŒUR DE JÉSUS

Voilà un des plus grands et des plus touchants mystères de la vie du Cœur eucharistique de Jésus. Il renouvelle dans le Saint Sacremet sa vie de Nazareth, et se plonge dans une solitude profonde; il s'ensevelit dans un silence apparent qui n'a d'égal que celui qu'il gardait dans le saint Sépulcre.

Entrez dans un de nos sanctuaires: souvent, hélas! l'ingratitude et l'indifférence des hommes en font un désert; mais, quand bien même une multitude pieuse et recueillie viendrait s'y presser, rien ne vient in­terrompre la solitude du tabernacle. Cette bouche divine d'où sortaient autrefois les oracles de la vérité paraît condamnée à un éternel silence, et le divin Solitaire reste seul, absolument seul, sous les espèces eucharisti­ques.

Quelles leçons admirables donne ce silence à tous ceux qui désirent mener la vie eucharistique! Ils doivent s'ensevelir dans la solitude, s'ils veulent plaire au Sacré-Cœur de Jésus-Eucharistie. S'ils ne le font pas, s'ils continuent à tourbillonner dans l'activité factice de ce monde, la manne eucharistique tombera en vain sur leur cœur agité; elle ne pour­ra pas s'y reposer ni y réaliser son action.

Mais en quoi consiste cette solitude eucharistique pour nous? Pour s'y conformer, il faut que notre cœur soit un ciboire où repose seul le Cœur eucharistique. Il peut se faire que notre bouche soit obligée de parler afin de traiter avec les hommes, car notre règle de vie ne nous commande pas un silence absolu qui ne serait pas conforme à notre vocation, mais que notre cœur garde toujours le silence vis-à-vis des créatures, c'est-à-dire qu'il se garde bien de s'attacher à elles. Bien plus que cela, nous devons, je ne dis pas mépriser, mais oublier complètement la créature, si nul de­voir ne nous oblige de nous en occuper. Elle doit être pour nous comme rien, et un seul chant doit retendir dans les profondeurs de notre âme: «Qu'est-ce que je veux? O le Dieu de mon cœur et le Cœur de mon Dieu, qu'est-ce que je veux au ciel et sur la terre, sinon vous seul!». Voi­là le sentiment qui doit exister dans nos cœurs.

N'occupons donc pas notre cœur des créatures, débarrassons-le de tous les soucis qu'elles donnent, des inquiétudes qu'elles nous suscitent; ne nous en occupons pas même pour un besoin spécieux, mais qui est plus apparent que réel. Si nous devons traiter avec elles, que ce soit uni­quement pour la gloire et l'amour du Cœur de Jésus, et c'est pour cela que nous nous abandonnons à lui, en le priant d'agir en nous et pour nous.

Aujourd'hui ce langage paraît tout nouveau; on croit que pour tra­vailler à la gloire de Dieu, il faut beaucoup se remuer, et qu'il est indis­pensable de se mêler à toutes les misères humaines pour les exploiter au profit du bien. Tout cela est frivole et trop naturel; rappelons-nous ce que disait le Bienheureux curé d'Ars, ce saint de nos temps, si occupé en apparence et en réalité si solitaire: «Il faut, disait-il, frapper à la porte du tabernacle, plutôt qu'à la porte des hommes et c'est parce qu'on ne le fait pas que, malgré les plus grands efforts, on n'aboutit à rien».

Toute œuvre qui ne plonge pas ses racines dans la solitude du Taber­nacle, malgré le succès le plus brillant, ressemble au lierre de Jonas, elle est mort-née et ne produira jamais rien de surnaturel.

Rien n'honore plus la solitude du Sacré-Cœur de Notre-Seigneur que notre silence en face de lui; c'est surtout pendant l'action de grâces qui suit la communion que nous devons nous tenir dans le silence et fermer les yeux de notre âme à tout ce qui n'est pas ce divin Cœur, prêts à rece­voir tous les mouvements qu'il lui plaira de nous imprimer, à agir s'il lui plaît que nous agissions, à nous reposer dans l'amour s'il lui plaît que nous nous reposions, vraies victimes de son bon plaisir et de son amour. Non, le Sacré-Cœur eucharistique n'habite pas dans le tumulte, soit matériel, soit spirituel; il habite dans les profondeurs du désert des espè­ces sacrées; et si nous voulons lui offrir des holocaustes, soyons persua­dés que nul ne lui sera plus agréable que celui de notre activité propre, parce que par là nous lui sacrifions aussi notre amour-propre.

Telle est la raison qui nous fait supprimer les retours fréquents sur nous-mêmes qui, sous le prétexte de piété, ne tardent pas à créer le trou­ble, l'inquiétude et les vaines complaisances.

Le divin Maître dans l'Eucharistie est dégagé de la vie extérieure. Il contemple, il aime, il adore les perfections de Dieu; il s'immole à la gloi­re de son Père, en dehors de tout le créé, comme en une vaste solitude où les objets de la terre ne peuvent l'atteindre.

Il faut tout perdre de vue, tout oublier et s'oublier soi-même pour imi­ter cette vie divine.

Demandons au Sacré-Cœur comme une grande faveur d'être parfois retirés dans cette solitude parfaite, sous le regard de Dieu seul, en la compagnie de notre bien-aimé Jésus, n'ayant de liberté et d'action que pour aimer et adorer notre Dieu, pour nous sacrifier et nous perdre en lui.

De son tabernacle, Jésus ne parle à aucune créature. Nul bruit, nul mouvement ne s'y fait entendre, mais, devant son Père, son silence est bien plus profond et bien plus sublime. On dirait que toute son occupa­tion soit de se taire. Il est tout adoration, amour, anéantissement, immo­lation, prière; mais tout se passe dans le silence, dans les profondeurs de lui-même et de la divinité. Que ce silence est un langage puissant et fort! Il rend hommage à la grandeur de Dieu, à ses perfections infinies, à son domaine souverain, à tous ses attributs que Jésus loue par un hymne éternel et sans fin et dans un mystérieux silence.

Résolution. - Dans mes adorations et particulièrement à l'action de grâces, je ferai taire en moi les créatures pour m'unir à l'humble adora­tion de Jésus envers son Père. Je ne puis entendre Jésus que dans le si­lence de mon cœur. Je ferai le silence en mon âme pour entendre mon bon Maître et pour m'unir à ses profondes adorations.

DEUXIEME MEDITATION

DES OCCUPATIONS DU CŒUR EUCHARISTIQUE
DE JÉSUS

On croirait au premier coup d'œil que le Cœur eucharistique de Jésus est inactif dans le Tabernacle; qu'il y est dans un état de mort et d'insensibilité absolue, mais il n'en est rien. Il vit de la plus grande et de la plus précieuse de toutes les vies, que la solitude couvre, il est vrai, des voiles du silence; mais il vit de l'amour de Dieu, et il parle, il ne cesse de parler malgré son silence: «Vivens ad interpellandum pro nobis»; et ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que sa prière s'accorde parfaitement avec son silence extérieur.

Comprenons bien l'expression énergique de saint Paul: «Vivens ad in­terpellandum pro nobis: il vit pour intercéder pour nous». Chez nous la vie se multiplie, nous aimons la vie intérieure et la vie extérieure, nos occu­pations sont diverses, elles entraînent avec elles la diversité des pensées, des affections, des désirs; de sorte qu'il n'y a pas d'unité dans notre vie. Tantôt nous vivons pour étudier, tantôt notre vie s'absorbe dans les con­versations, les œuvres extérieures, etc… Bien plus, même dans notre vie spirituelle, l'unité n'existe pas; tantôt nous nous attachons à une vertu, tantôt à telle autre selon la diversité des positions où nous nous trouvons. Ainsi pour nous la pratique du silence nous paraît presque contradictoire avec celle du zèle apostolique, qui parle et agit beaucoup.

Mais il n'en est pas ainsi pour le Cœur eucharistique de Jésus. D'abord pour lui, il n'y a plus de vie extérieure; ajoutons bien vite ce­pendant que la multiplicité de ses occupations extérieures pendant sa vie mortelle se confondait dans une admirable unité avec sa vie intérieure, ainsi que nous l'avons vu dans les retraites précédentes. Mais enfin toute action extérieure à cessé dans la vie eucharistique, il ne reste que la vie du cœur et cette vie est absolument une; aucune interruption, nulle distraction, nulle multiplicité: «Vivens est», dit saint Paul, voulant indi­quer par là que le Sacré-Cœur de Jésus est absorbé par un seul acte qui le remplit tout entier et quel est cet acte: «Ad interpellandum pro nobis». Il interpelle, il intercède, il prie pour nous; en d'autres termes, c'est l'acte d'amour et d'immolation qui ne cesse de se produire. Cette interpella­tion, cette médiation se réduit à ceci: Le Cœur eucharistique de Jésus nous aime et s'immole pour nous; il s'oublie lui-même, il n'a pas d'inté­rêt propre. Aimer Dieu, aimer ses frères, offrir à Dieu pour ses frères tous les mérites qu'il a acquis, toutes ses peines, toutes ses souffrances d'autrefois et son amour présent, continuer toujours et sans aucune in­terruption l'Ecce venio et l'acte d'amour de l'Incarnation, tel est l'acte unique du Sacré-Cœur de Jésus dans le saint et très auguste sacrement de nos autels. C'est toujours le Cœur qui ne pense qu'à nous, qui ne vit que pour nous, qui n'a d'autre mission que de nous aimer et de se don­ner pour nous, et qui, en nous aimant, en intercédant, en s'offrant pour ses frères, aime Dieu son Père, car l'amour de Dieu et du prochain, sur­tout dans le Sacré-Cœur de Jésus, ne sont pas deux amours. C'est un seul acte parfaitement un. C'est ainsi que le Cœur eucharistique est tou­jours le Cœur de notre Sauveur, de notre Rédempteur et de notre mé­diateur.

Mais qui pourrait rendre l'ardeur de cette prière? Le Sacré-Cœur de Jésus devient tout entier comme un encens qui monte vers Dieu pour nous. C'est une main suppliante toujours tendue vers la Divinité: «Ex­pandi manus meas ad te». C'est un désir brûlant qui est là toujours devant le trône du Père: «Omne desiderium meum ante te». Car qu'est-ce que la priè­re, sinon le désir de notre cœur qui ne cesse de s'élancer vers Dieu? Et cette prière qui se cache dans le silence, cette immolation incessante d'un amour incessant est le plus grand acte qui puisse exister dans un cœur d'homme. Sa puissance n'a point de bornes; il obtient tout ce qu'il veut: la gloire infinie de Dieu et la paix pour les hommes de bonne vo­lonté. Il est impossible que le Cœur eucharistique de Jésus priant et in­tercédant ne soit point exaucé. Voilà ce qui produit les grandes œuvres de sainteté dans l'Eglise, voilà ce qui engendre tant de choses admira­bles, tant d'institutions célestes, tant d'ordres religieux destinés à repré­senter tantôt un mystère de Jésus, tantôt un autre. Voilà en un mot d'où procèdent la vie et la fécondité de l'Epouse du Christ, c'est le Cœur eu­charistique de Jésus aimant, priant, s'offrant. Aussi l'homme intérieur n'attribue pas les grandes œuvres de l'Eglise à tel ou tel saint, à un grand homme, à un pape éminent, à un concours heureux de circonstan­ces. Non, non, c'est le Cœur eucharistique qui a fait tout cela; il l'a fait, il est vrai, en se servant des hommes, mais leur concours libre doit être regardé seulement comme une cause instrumental, glorieuse, il est vrai, pour eux, parce qu'ils ont correspondu à la grâce; mais enfin tout le principe de l'action vient du Cœur eucharistique de Notre-Seigneur. Que le Cœur de Jésus vivant pour nous dans l'Eucharistie est admira­ble dans ses saints et dans ses œuvres!

Notre-Seigneur veut que les âmes vouées à son Cœur s'unissent à ces actes ineffables de sa vie intérieure et qu'elles, ne fassent plus qu'un seul cœur avec lui. Afin de répondre à cette mission glorieuse, elles doivent entrer dans l'esprit de cette belle vocation. Qu'elles soient livrées à la vie active ou qu'elles aient l'avantage de pouvoir s'adonner à la contempla­tion, un seul acte doit dominer toute leur vie: l'amour du Cœur de Jésus et l'immolation à ce divin Cœur par amour. Les occupations peuvent paraître différentes au premier coup d'œil; peu importe, pourvu qu'el­les soient toutes des occupations d'amour où la sensualité et l'amour-­propre n'aient aucune part. Il ne doit pas y avoir dans notre cœur une multitude de pensées et d'affections; une seulement doit y régner: l'amour du Sacré-Cœur de Jésus.

Au premier coup d'œil les vertus à pratiquer paraîtront diverses et di­stinctes, comme la pauvreté, le renoncement, le détachement, la simpli­cité, le zèle, l'obéissance, etc. En réalité, tout cela ne doit être qu'un seul acte d'amour qui se spécifie en apparence, mais non en réalité! Voilà pourquoi il a été si souvent répété dans les retraites précédentes, qu'en cherchant l'amour du Sacré-Cœur de Jésus tout seul, nous trouvons tout le reste.

En somme, ne regardons que le Sacré-Cœur de Jésus, ne pensons qu'à lui, n'aimons que lui; quand nous le visitons dans le Très Saint Sa­crement, quand nous l'offrons au saint Sacrifice et que nous nous l'in­corporons par la sainte Communion, n'ayons qu'un seul désir, nous unir toujours de plus en plus à sa vie d'amour. Prions-le de détruire en nous tout ce qui sent encore la multiplicité de la vie humaine et terrestre, de sorte que nous puissions répéter: Vivre, pour moi, c'est uniquement le Sacré-Cœur de Jésus. Amen.

Résolution. - Je voudrais, Seigneur, pouvoir dire comme saint Paul: je ne vis plus, c'est Jésus qui vit en moi. - Vivre pour moi, c'est le Christ, c'est le Cœur de Jésus. Mais que puis-je sans vous? Venez, ô Jé­sus, venez et vivez en moi! que votre divin Cœur soit mon cœur, mon guide, mon inspiration, ma vie!

TROISIEME MEDITATION

DE LA VIE CACHEE
DU CŒUR EUCHARISTIQUE DE JÉSUS

Combien le Sacré-Cœur de Jésus aime la vie cachée! Il l'a pratiquée à Nazareth pendant près de trente ans. Aujourd'hui, il la prolonge dans la sainte Eucharistie jusqu'à la consommation des siècles.

A Nazareth sa divinité se cachait sous la nature d'un charmant, mais pauvre enfant, menant la vie d'un ouvrier, obéissant à tous ceux qui avaient autorité sur lui, surtout à Marie et à Joseph, plein de douceur, d'humilité et de simplicité.

Ici, non seulement la divinité, mais encore l'humanité sainte et glo­rieuse disparaît sous les voiles fragiles du pain et du vin; afin de se ca­cher, il multiplie les miracles et s'anéantit autant qu'il est possible de le faire. Il ne produit donc rien de grand, rien de glorieux en apparence. Il se cache sous un atome, il paraît immobile et tout-à-fait dépendant du prêtre. O prodige! la parole sacramentelle fait descendre du ciel le Roi de gloire; il obéit à la voix de sa créature; il se laisse porter et mettre où on veut, il ne refuse même pas de descendre dans des cœurs impurs; il ne veut pas que l'on refuse la sainte communion en public au pécheur mal disposé qui la demande; son Cœur tendre et délicat craindrait de compromettre la réputation de ce misérable. Pour lui, il compte pour rien tout ce qui est gloire extérieure et honneur! il consent à ce que les espèces sacramentelles soient souvent traitées sans respect par des prê­tres tièdes et indifférents, ou qu'elles soient foulées aux pieds des impies et des animaux. Il n'en souffre pas, il est vrai, son état glorieux l'en pré­serve; mais enfin, ces coupables irrévérences n'en sont pas moins un cri­me affreux qu'il a pleuré autrefois avec des larmes de sang. En un mot, la vie cachée eucharistique peut se résumer ainsi: anéantissement abso­lu, et dépendance totale des hommes pour tout ce qui touche au Sacre­ment.

Mais, comme dit saint Thomas, sous ces apparences fragiles, se cache tout ce qu'il y a de plus beau, de plus grand et de plus excellent: «Latent res eximiae». Sous cette apparence d'un morceau de pain ou d'une goutte de vin, il y a le Cœur sacré de Jésus, il y a Dieu lui-même, il y a l'huma­nité sainte du Sauveur.

Et le Cœur eucharistique de Jésus accepte avec joie cette vie cachée; il en fait ses délices: rarement, très rarement même, il glorifie les espèces sacramentelles par des prodiges. Le prodige par excellence, c'est ce Dieu qui se cache ainsi. Aussi le prophète s'écrie-t-il: «Oui, vraiment, vous êtes un Dieu caché! Vere tu es Deus absconditus!». Le Sacré-Cœur de Jésus gouverne l'Eglise du fond de son tabernacle, mais il la gouverne d'une manière cachée, il veut aussi gouverner et attirer nos cœurs par les doux attraits de sa vie eucharistique.

Soyons, nous aussi, des espèces. Notre corps, notre âme, notre vie ex­térieure, notre vie spirituelle, tout cela doit recouvrir le Cœur de Jésus. Notre vie doit être, comme la sienne, entièrement dépendante de la vo­lonté de nos supérieurs. Nous devons nous laisser manier comme l'ho­stie sainte par leurs mains et par leur volonté. Le détachement, l'humili­té, la pauvreté, la simplicité, la fuite de tout ce qui sent l'éclat, ou la re­cherche de soi-même, l'abstention de toutes ces manifestations où l'amour-propre se délecte, tels doivent être les voiles qui doivent cacher notre cœur aux hommes pour le révéler au Sacré-Cœur de Jésus seul.

Plus le Cœur eucharistique se cache au monde, plus il s'approche de Dieu; il se perd dans le sein de la divinité et voilà pourquoi il se dérobe à tout ce qui est créé. Ainsi devons-nous faire; perdus dans le Sacré-Cœur de Jésus, nous ne devons pas nous laisser distraire par ce qui nous en­toure.

En finissant cette contemplation sur la vie cachée du Sacré-Cœur de Jésus dans l'Eucharistie, disons un mot des œuvres eucharistiques. Les unes sont purement intérieures, elles imitent l'état solitaire et caché de ce divin Cœur; les autres son extérieures, elles regardent le culte que nous devons au Très Saint Sacrement, les observances liturgiques, la pompe dont nous entourons le Cœur de notre Maître et de notre frère. La règle en ceci est de faire tout ce que l'on peut: «Jamais nous n'en fe­rons assez», dit S. Thomas.

Nous devons du reste relever par nos adorations profondes l'état si humble où le Sacré-Cœur de Jésus veut s'ensevelir pour nous; c'est afin de lui procurer ce triomphe que les processions ont été instituées. Mais il y a dans ceci un danger à courir, celui d'oublier le Sacré-Cœur de Jésus pour ne penser qu'à nous et à notre amour-propre. C'est ce que Catheri­ne Emmerich signale avec beaucoup d'à-propos: «Dans beaucoup d'égli­ses, dit-elle, on a remplacé l'incomparable beauté de l'architecture et des cérémonies par une pompe théâtrale». Est-ce bien pour le Sacré-Cœur de Jésus que l'on donne parfois dans le saint temple des concerts absolu­ment mondains?

Mais ce qui plaît à ce Dieu caché dans son tabernacle, c'est que nous soyons vigilants pour la propreté des linges sacrés et des nappes d'autel; ce qui touche au corps du Seigneur devrait être éclatant de blancheur; c'est que la lampe soit toujours allumée et entretenue avec de l'huile d'olives pure; c'est que le sanctuaire soit tenu dans une grande propreté et qu'il inspire la dévotion. Toutes les négligences en cette matière confi­nent au sacrilège.

Enfin il y a les œuvres eucharistiques apostoliques. Ce sont toutes cel­les où l'on tâche d'inspirer aux fidèles un grand amour pour ce divin Sa­crement. En première ligne, nous plaçons la dévotion à la communion fréquente. L'enfer a tout fait pour la détruire parmi nous: nous devons la rétablir et la rendre aussi fervente que possible.

Puis viennent les adorations publiques du divin Sacrement; elles sont tout à la fois un hommage rendu au Sacré-Cœur eucharistique de Jésus et un acte de réparation solennelle. C'est une des pratiques les plus con­solantes de la dévotion au Sacré-Cœur. L'œuvre du saint viatique est aussi précieuse et doit être encouragée fortement par les missionnaires.

Les maîtres doivent exercer sur les enfants qu'ils dirigent une action incessante afin de porter vers le Sacré-Cœur de Jésus dans l'Eucharistie leurs petits cœurs simples et naïfs. Ce sont de telles âmes que ce divin Cœur aime à voir réunies autour de lui.

Quant aux discours pompeux qui font oublier le Sacré-Cœur de Jésus pour faire honorer l'orateur, quant aux livres dépourvus d'esprit inté­rieur qui font de l'auguste Eucharistie une occasion de réclame; quant aux réunions mondaines, à un titre ou à un autre, dans la sainte église de Jésus, ce ne sont pas des œuvres eucharistiques, mais bien plutôt des œuvres diaboliques dont nous devons nous garder et contre lesquelles il faut prémunir les fidèles. Faber s'en moque et non sans raison. Hélas! Il faudrait aussi les pleurer et ne pas outrager par notre orgueil le Cœur d'un Dieu caché.

Résolution. - Bon Maître, je vous ai trop oublié et je me suis trop agi­té. je veux revenir à la vie intérieure, calme et bien unie avec vous.

QUATRIEME MEDITATION

DE LA CONVERSATION
DU CŒUR EUCHARISTIQUE DE JÉSUS,
D'APRES LE CANTIQUE DES CANTIQUES

Plus Jésus est solitaire, plus il est caché, plus sa bouche est silencieuse dans le divin Tabernacle, plus aussi son Cœur sacré aime à s'ouvrir et à s'épancher dans le cœur de ceux qui viennent le visiter ou qui le reçoi­vent avec amour dans la sainte Communion, surtout quand, leur cœur s'immolant par amour avec le sien, ils consentent à sevrer leurs âmes des vaines délices de ce monde et à s'oublier eux-mêmes dans le silence de la sainte dilection.

Sa conversation n'a rien d'amer, elle n'offre que douceur et suavité, comme nous l'annonce le Saint-Esprit. «Je me suis assise, dit l'Epouse des Cantiques, c'est-à-dire l'âme qui aime le Cœur eucharistique de Jésus, je me suis assise à l'ombre de celui qu'appelaient mes désirs, c'est-à­-dire je me suis séparée du monde, je me suis séparée de moi-même et je me suis reposée dans le silence de l'amour, je me suis enfoncée dans la solitude du tabernacle, et alors les fruits du bien-aimé ont été doux à ma bouche; ses fruits, c'est-à-dire son amour, son Cœur lui-même qui est une nourriture et un breuvage. Il m'a introduit dans ses divins celliers et il a ordonné en moi la charité; il m'a introduit dans son Cœur, et là, je n'ai trouvé qu'amour». Même la croix, même les épines se sont chan­gées en amour.

Ah! que mon bien-aimé vienne dans son jardin et qu'il se nourrisse du fruit de ses arbres! Le jardin du bien-aimé c'est mon cœur, ce cœur où le bien-aimé a planté l'amour, l'humilité, la mortification. Ah! qu'il vienne cueillir les petits mérites que j'ai amassés par ma vie d'amour et d'immolation, qu'il vienne se nourrir du désir ardent que j'ai de le pos­séder! A ces brûlantes aspirations, Jésus répond: «Viens plutôt, ma sœur, mon épouse, viens dans mon jardin, c'est-à-dire dans mon Cœur. Dans le temps de ma vie mortelle, j'ai fait une moisson de myr­re et d'aromates, j'ai vécu, j'ai souffert, j'ai mérité, et je suis mort pour toi; ma nourriture, c'est un miel délicieux, l'amour; mon breuvage, c'est le lait, l'amour tendre, et le vin, l'amour fort; venez, mes amis, mangez et buvez; enivrez-vous, mes très chers».

Ces paroles du saint Cantique expliquent les expressions dont Notre-Seigneur lui-même s'est servi en instituant le divin Sacrement de nos au­tels. Il veut nous nourrir et nous abreuver d'amour, de son Cœur très ai­mant et très doux.

Je dors, ajoute le Bon Sauveur, je dors, mais mon Cœur veille: Ego dormio et Cor meum vigilat. Je dors à cause de la solitude et du silence eu­charistique dont je m'entoure; je dors, mais mon Cœur ne sait pas dor­mir. Ce Cœur veille sans cesse, toujours il s'immole. Puisse le nôtre l'imiter! Dormons et mourons pour les choses de ce monde; veillons et vivons uniquement pour le Sacré-Cœur eucharistique de Jésus; qu'il vi­ve dans nos cœurs, mais qu'il y vive uniquement et qu'il opère en nous toutes les fonctions de la vie! C'est après ce sommeil que retentira de nouveau la voix du Bien-Aimé qui parle du milieu des espèces qui le re­tiennent prisonnier: «Ouvrez-moi, ma sœur, ma bien-aimée, ma colom­be, mon immaculée, ouvrez-moi; il y a si longtemps que je frappe à vo­tre porte, ouvrez-moi». Et alors le pieux disciple du Sacré-Cœur s'écrie­ra: «Mon âme s'est toute fondue, toute liquéfiée quand elle a entendu la voix du Bien-Aimé, mon cœur a tressailli d'amour».

Quelquefois l'épreuve succède aux douceurs du colloque d'amour; le Bien-Aimé s'est enfui et l'âme le cherche partout; elle le demande aux gardiens de la cité, aux ministres du Seigneur, aux saints du Paradis, à tout ce qui l'entoure: «Je vous conjure, ô filles de Jérusalem, dites-moi où est mon Bien-Aimé et dites-lui que je languis d'amour».

Mais le Sacré-Cœur de Jésus se plaît à terminer cette épreuve de l'amour et l'âme peut s'écrier: «Mon Bien-Aimé est à moi et moi je suis toute à lui». Voilà comme la sainte Ecriture nous décrit les noces où l'agneau se donne lui-même en nourriture à ses bien-aimés, aux âmes qui le chérissent et qu'il chérit.

C'est dans ces ineffables entretiens que nous trouvons la lumière, la force, la consolation de la grâce, avec le dégoût, bien plus, l'oubli de tout ce qui n'est pas le Cœur eucharistique de Jésus. Ah! puisque nous com­munions souvent, nous devrions brûler de ces saintes ardeurs que nous décrit ici l'Esprit du Sacré-Cœur lui-même.

Mais peut-être sommes-nous encore paralytiques, peut-être sommes-nous muets pour chanter l'amour divin, peut-être sommes-nous livrés à la langueur? Eh bien! présentons-nous alors au Bien-Aimé comme des malades qui désirent leur guérison; ayons la douleur de l'amour si nous n'en avons pas les ardeurs; abîmons-nous dans notre néant, pleurons et ayons confiance et nous entendrons la voix du Sacré-Cœur de Jésus: «Mon fils, soyez guéri!». Ah! Cœur divin, Cœur eucharistique, entraînez-nous après vous, nous voulons courir dans vos voies, entraînez-nous à l'odeur de vos parfums; votre croix et vos épines n'en sont-elles pas aussi tout embaumées? S'il en est besoin, ressuscitez-nous afin que nous vivions toujours d'amour et que vous puissiez dire de nous: Cette âme est ressuscitée pour ne plus mourir; ce qu'elle vit, elle ne le vit plus que pour mon amour.

Une âme qui veut se disposer à cette conversation avec Notre­-Seigneur doit aimer la solitude et le silence. C'est un point essentiel de son règlement de vie. Elle doit y trouver son bonheur, son repos et sa vie. Ce doit lui être une peine quand elle est obligée de se livrer à des oc­cupations profanes. Sans le silence, en effet, il n'y a point de recueille­ment, d'union à Dieu, de correspondance à ses désirs.

Le silence extérieur s'étend encore aux peines, aux contradictions, aux observations qui nous sont faites. O mon Dieu, communiquez aux âmes vouées au divin Cœur de Jésus le goût de ce silence divin et la pra­tique du silence extérieur!

Jésus au saint Tabernacle expie par son silence tant de conversations frivoles, de paroles inutiles ou mauvaises dont ses créatures se rendent coupables. Il est victime pour les péchés de la langue. Il souffre particu­lièrement pour les fautes des âmes qui lui sont consacrées et pour lesquelles il a une tendresse spéciale.

Après cela, est-ce que je puis hésiter à aimer le silence? Ne dois-je pas être victime avec Jésus et comme Jésus?

Résolution. - je renouvelle toutes mes résolutions de silence et de re­cueillement. je comprends que l'union avec Jésus est à ce prix. Venez, ô mon Bien-Aimé, j'ai soif d'entendre vos doux entretiens et d'y goûter le lait de la douceur et le vin de la force!

CINQUIEME MEDITATION

LA SAINTE HOSTIE NOUS ENSEIGNE
LA PURETE ET LE DETACHEMENT

Pour entrer au ciel, il faut garder la chasteté selon son état. «Qu'elle est belle, s'écrie le livre de la sagesse, la génération chaste, qui vivra éternellement, parce qu'elle est aimée de Dieu!».

Mais la virginité est plus la chasteté. Elle donne aux âmes le privilège d'avoir au ciel une intimité particulière avec le Sacré-Cœur». Les vier­ges, dit saint Jean, suivent l'Agneau partout où il va» (Apoc. XIV).

La bienheureuse Marguerite Marie va nous enseigner, par ses exem­ples, plus encore que par ses paroles, comment il faut répondre à l'appel de l'Epoux des vierges, quel modèle il faut suivre et quels moyens il faut employer.

L'appel que Notre-Seigneur adresse à certaines âmes privilégiées, de s'enrôler sous la bannière virginale, soit dans le sacerdoce, soit dans la vie religieuse, soit au milieu du monde est une grâce de prédilection. Les âmes qui l'entendent doivent s'empresser d'y répondre, après avoir con­sulté leur directeur.

La bienheureuse Marguerite-Marie, par une grâce spéciale, fit ce voeu dès ses premières années comme quelques saintes privilégiées, comme sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse, sainte Madeleine de Pazzi.

«Sans savoir ce que c'était, raconte-t-elle, je me sentais pressée de dire ces paroles: O mon Dieu, je vous consacre ma pureté et je vous fais voeu de perpétuelle chasteté…».

Heureuses les âmes généreuses et vigilantes qui, entendant l'appel de l'Epoux divin: Ecce sponsus venit, se lèvent aussitôt pour le suivre! Il les fe­ra entrer dans son divin Cœur, véritable salle du festin nuptial: Intrave­runt cum eo ad nuptias.

Heureuses aussi les âmes qui, après s'être données, persévèrent et progressent dans cette vertu chère au Cœur de Jésus!

Dans sa retraite de 1678, la bienheureuse entendit ces paroles de son divin Maître: «Conserve en pureté le temple du Seigneur; car partout où il sera, Dieu l'assistera d'une spéciale présence de protection et d'amour».

Le temple du Seigneur, c'est l'âme sanctifiée par la virginité. Dieu voulait que dans le temple de l'ancienne loi tout brillât par la pureté. Les prêtres ne pénétraient dans le Saint des saints qu'après de rigoureuses purifications. A ce prix, le Seigneur était là spécialement présent. Il en est de même de l'âme vierge. Si elle est fidèle, Dieu lui promet une pré­sence spéciale de protection et d'amour.

Dans les sanctuaires de la loi nouvelle, Jésus a voulu se cacher sous une blanche hostie. La bienheureuse Marguerite Marie interprète ainsi son dessein: «La blancheur de l'hostie nous apprend qu'il faut être une victime pure, pour être immolée à Jésus; une victime sans tache pour le posséder: pure de corps, de cœur, d'intention et d'affection» (Vol 1, p. 194).

L'âme vierge a donc pour modèle la pureté de Jésus lui-même et ses immolations, symbolisées par la blanche hostie du tabernacle.

Que faut-il faire pour garder intact le lis virginal, que le moindre souf­fle étranger peut ternir? La bienheureuse Marguerite Marie, guidée et enseignée par le Sacré-Cœur va nous l'enseigner. Elle nous indique trois moyens principaux: la retraite et le détachement - la mortification et la lutte - la dévotion à Marie et au Cœur de Jésus.

La retraite et le détachement du monde. Dès que la bienheureuse eut fait le voeu de chasteté, toute son inclination fut de se cacher dans la campagne ou à l'église. La compagnie des hommes la troublait. L'amour excessif de sa famille faillit la retenir dans le monde où elle se serait probable­ment perdue. Notre-Seigneur intervint lui-même à plusieurs reprises. Il lui fit voir la beauté des vertus et surtout des trois voeux par lesquels on devient saint. «Ne suis-je pas le plus parfait des époux? lui dit-il. Si tu veux donner au monde une préférence injurieuse pour moi, je t'aban­donne à jamais».

La mortification et la lutte. C'est par les jeûnes et d'autres macérations que la servante de Dieu mettait la fleur de sa virginité comme au milieu d'une haie d'épines pour la protéger.

La dévotion à Marie et au Sacré-Cœur. Notre Seigneur lui-même dit à la Bienheureuse: «Je t'ai mise en dépôt aux soins de ma sainte Mère». Quant à l'union avec le Sacré-Cœur, Notre-Seigneur lui demanda «de consentir qu'il s'emparât et se rendît le maître de sa liberté, parce qu'el­le était faible». C'est ce qu'il nous demande aussi.

Résolution. - Oh! oui, ô mon bon Maître, je me donne et consacre à vous. Prenez ma liberté, prenez ma volonté, soyez mon guide, soyez ma vie.

SIXIEME MEDITATION

INVITATION A L'AMOUR DU SACRE-CŒUR,
NOTRE AMI, DANS LA SAINTE EUCHARISTIE

Le Cantique des cantiques nous a aidés à comprendre le cœur à cœur de Jésus solitaire au tabernacle avec l'âme qui le visite et qui est comme son épouse.

Marguerite-Marie décrit ce même cœur à cœur comme le colloque d'un ami avec son ami dans un festin d'amour.

L'Ami céleste invite l'âme à ce festin. L'âme répond à son Ami divin par des paroles toutes de feu.

Cette invitation, Notre-Seigneur ne l'avait-il pas insinuée dans son entretien avec la Samaritaine? Il est assis sur le bord du puits de Jacob. Ce puits symbolise le Sacré-Cœur, abîme d'amour et abîme de grâce. Jésus nous dit comme à la Samaritaine: «Si vous saviez le don de Dieu (qui est mon Cœur), vous me demanderiez à boire, (à cette source d'amour), et je vous donnerais à boire, et cette eau jaillirait en vos cœurs comme une source de vie pour l'éternité» (S. Jean, chap. 4).

Entrez dans ce Sacré-Cœur, écrit Marguerite-Marie, comme invitée au festin d'amour de votre unique et parfait Ami, qui veut vous enivrer du vin délicieux de son pur amour, qui seul peut adoucir toutes vos amertu­mes en vous dégoûtant de toutes les fausses délices de la terre, pour ne plus prendre de plaisir que dans le Cœur de ce cher Ami, qui vous dit amoureusement: «Tout ce qui est à moi est à toi; mes plaies, mon sang et mes douleurs sont à toi, mon amour rend nos biens communs; laisse-moi donc posséder tout ton cœur, et j'échaufferai tes froideurs et animerai tes langueurs, qui te rendent si lâche à mon service et si tiède à m'aimer».

Marguerite-Marie commente ainsi l'appel du céleste Ami: «Jésus­Christ est le seul vrai Ami de nos cœurs, qui ne sont faits que pour lui seul; aussi ne peuvent-ils trouver de repos, de joie ni de plénitude qu'en lui seul…

«Il s'est chargé de nos péchés en se rendant notre caution envers son Père éternel… Il a voulu mourir pour nous mériter, par l'excès de son amour, une vie immortelle et bienheureuse. Remercions-le et bénissons­le avec une ardente charité par laquelle nous devrions nous consommer de reconnaissance en lui faisant un continuel sacrifice de tout notre être…».

L'envisageant dans cette qualité d'ami, vous pouvez lui dire tous les secrets de votre cœur, lui découvrant toutes vos misères et nécessités, comme à Celui qui seul y peut remédier, en lui disant: «Oh! l'ami de mon cœur, celui que vous aimez est malade! Visitez-moi et me guéris­sez, car je sais que vous ne pouvez pas m'aimer tout ensemble et me dé­laisser en mes misères» (Écrits divers, t. II. p. 470, 462).

Ah! qu'heureuses sont les âmes qui se sont si parfaitement oubliées, qu'elles n'ont plus d'amour, de regards ni de pensées que pour cet uni­que Ami de nos coeuus! … «Il me semble que toute autre pensée et occu­pation ne sont que perte de temps».

Nous empruntons cette invitation à Marguerite Marie.

«O Cœur très saint, délices de la divinité, je vous salue; je vous invo­que dans ma douleur, et je vous appelle pour remède à ma fragilité. Cœur très miséricordieux, Cœur pitoyable et très bon de mon Père et de mon Sauveur, ne refusez pas votre secours à mon indigne cœur; vous, ô le Dieu de mon cœur, qui m'avez créé pour être l'objet de vos amours et le sujet de vos ineffables bontés.

O Cœur divin, venez à moi ou tirez-moi à vous.

Venez, ô le plus fidèle, le plus tendre, le plus doux et le plus aimable de tous les amis, venez à mon cœur; je vous somme, par votre amitié in­comparable et par votre parole donnée, de venir me soulager. Venez, et ne permettez pas que je vous donne sujet de me quitter.

Venez, ô la vie de mon cœur, ô l'âme de ma vie, ô le seul soutien de mon âme; venez me faire vivre de vous et en vous, mais efficacement, ô mon unique vie et tout mon bien.

Venez, ô mon Dieu et mon tout» (Petit livre de prières, t. II, 2p. 479, 481).

Résolution. - O Jésus, vous m'appelez à vous, vous semblez avoir be­soin de moi. Il n'y a en moi que ma misère qui puisse vous attirer, parce que vous voulez exercer votre miséricorde. Venez, ô vous que j'ose ap­peler mon céleste Ami. Venez et mettez en mon Cœur assez d'amour pour que vous y trouviez quelque joie et consolation.

TROISIEME MYSTERE

Vie de sacrifice

PREMIERE MEDITATION

DE L'ACTE DU SACRIFICE EUCHARISTIQUE
OU DE LA SAINTE MESSE

Nous l'avons déjà dit, le Sacré-Cœur de Jésus est toujours dans l'état de sacrifice; l'immolation consiste pour lui dans l'offrande continuelle qu'il fait de son amour, de ses mérites, de ses actions, de ses souffrances et de sa mort, qu'il ne cesse de nous appliquer. C'est donc avec raison que le saint chartreux Molina a dit que toute la vie du Sauveur, sa vie fi­gurée dans l'Ancien Testament, sa vie mortelle après l'Incarnation, sa vie souffrante dans la Passion, sa vie glorieuse et eucharistique dans le ciel et sur nos autels n'étaient qu'une messe continuelle, c'est-à-dire un sacrifice incessant. L'immolation a été corporelle et sanglante et n'a pu l'être qu'une seule fois, au moment où il mourait d'amour sur la croix, mais elle a toujours existé réelle et mystique dans le Sacré-Cœur de Jé­sus qui, à proprement parler, est l'amour et l'immolation incarnés.

Il fallait dans la vie eucharistique du Sauveur un acte extérieur de sa­crifice qui vint rendre sensible ce qui se passait dans son Cœur divin: cet acte, c'est l'auguste sacrifice de la messe.

Les éléments qui constituent le Très Saint Sacrifice sont: 1 ° la trans­substantiation, c'est-à-dire le changement de la substance du pain dans la substance du Corps de Jésus et de la substance du vin dans celle de son Sang; 2° l'offrande que fait le Sacré-Cœur de Jésus de lui-même, de son Corps, de son sang, de tous ses mérites, de toutes ses actions, de tous ses mystères et de sa mort sur le Calvaire; 3° la substitution mystique qu'il fait de nous en lui comme victime et comme prêtre; 4° l'acte du prêtre qui opère le prodige de la transsubstantiation et offre Jésus-Christ à Dieu au nom de l'Eglise et pour l'Eglise.

Le Saint Sacrifice n'est pas un autre sacrifice que celui de la croix, il en est le renouvellement mystique et la continuation, à part la mort phy­sique qui n'est pas essentielle pour une immolation réelle, car l'essence du sacrifice consiste surtout dans l'oblation du cœur et non pas dans l'égorgement de la victime, quand cette victime est un être spirituel; de sorte que la mort de Jésus est renouvelée réellement par l'oblation qu'en fait son divin Cœur. Du reste, tous les mystères de Jésus sont représen­tés dans l'auguste sacrifice et aussi tous les états de l'Eglise.

A. Le premier élément du très saint sacrifice, qui en fait une immola­tion réelle, c'est la transsubstantiation: mysterium fidei, dit le prêtre au moment où il consacre; c'est en effet le plus inexplicable de tous les mys­tères; le pain et le vin ne sont pas anéantis, ainsi que se le figurent quelques-uns, mais leur substance se change en la substance du corps et du sang de Jésus-Christ et il n'en reste que les espèces ou apparences. C'est ainsi que la chair du Sauveur est vraiment une nourriture et que son sang est vraiment un breuvage. Nous ne pouvons entrer ici dans toutes les considérations dont s'occupe la théologie dogmatique et nous ne ferons qu'une observation: quelques-uns se sont figuré qu'il n'y avait de présent sur l'autel que la substance même du corps et du sang de Jésus; mais cela est impossible, dit saint Thomas, car la présence entière du Sauveur est inséparable et indivisible, de sorte que l'humanité sainte tout entière du Sauveur est inséparable et indivisible, de sorte que l'hu­manité sainte tout entière unie à la divinité, descend sur l'autel par le mystère de la transsubstantiation. La transsubstantiation renouvelle mystiquement: 1° le mystère de l'Incarnation, car, par les paroles sacra­mentelles, Jésus entre dans sa vie eucharistique comme, par le fiat de Marie, il est entré dans sa vie mortelle; de plus, les voiles eucharistiques représentent au vif la vie cachée de Jésus à Bethléem et à Nazareth;

2° le mystère de la mort de Jésus par la séparation du pain et du vin et aussi par le changement de substance, bien que ce changement porte sur le pain et le vin, et non pas sur le corps et le sang de Jésus;

3° les mystères de la vie glorieuse, parce que le pain et le vin sont changés dans le corps et le sang élevés à l'état glorieux et que l'humanité sainte glorifiée repose sur nos autels et dans nos cœurs par la sainte Communion;

4° la communion des saints ou l'union de tous les cœurs des enfants de l'Eglise dans le Sacré-Cœur de Jésus par la sainte Communion;

5° les mystères de notre vie d'action de grâces et de joie dans le ciel par l'état qui suit la manducation des saintes espèces;

6° enfin les mystères de la vie apostolique ont été représentés par le ministre sacré lisant l'Evangile et récitant le Credo.

B. Le second élément du Saint Sacrifice, qui se joint immédiatement à la transsubstantiation, c'est l'offrande que le Sacré-Cœur de Jésus fait de lui-même, de son corps, de son sang, de ses mérites, de ses mystères et en particulier de sa mort. 1 ° Cette offrande part surtout du Sacré­Cœur de Jésus. Sa bouche divine ne parle pas, mais c'est son Cœur, son amour qui s'offre ainsi, de même qu'il s'offrait sur le Calvaire. C'est la continuation de sa vie d'amour et d'immolation. 2° Cette offrande se fait à Dieu par le Sacré-Cœur de Jésus, afin de lui procurer la plus gran­de gloire possible; et parce que le Sacré-Cœur de Jésus est uni au Verbe de Dieu, l'offrande est infinie, a un mérite infini et rend à Dieu une gloi­re et un amour infinis. 3° Cette offrande se fait pour nous, afin de nous appliquer tous les fruits de l'immolation du Sacré-Cœur de Jésus que nous recevons, toutefois en proportion des dispositions plus ou moins parfaites où nous nous trouvons. Les fruits du divin sacrifice se parta­gent en trois parts: celle de l'Eglise universelle, celle des personnes pour lesquelles nous offrons l'auguste sacrifice, celle du prêtre qui l'offre. Les prêtres voués au Sacré-Cœur ont toujours l'intention, en célébrant le saint sacrifice, de rendre au Sacré-Cœur de Jésus la plus grande gloire et le plus grand amour possibles, en lui abandonnant dans les fruits du saint sacrifice, tout ce qu'ils peuvent lui abandonner.

Il est facile de voir que le Sacré-Cœur de Jésus a la plus grande part dans le sacrifice de la Messe. Il est le prêtre, l'autel, la victime. O Cœur sacerdotal, que vous êtes digne d'amour et de reconnaissance!

C. Le troisième élément qui se joint aussi immédiatement aux deux autres, c'est la substitution admirable que fait le Sacré-Cœur de Jésus de nous en lui.

Le Cœur eucharistique de Jésus au moment du très saint Sacrifice voit nos dispositions, nos prières, nos désirs, et il se met à notre place pour demander à Dieu ce que nous désirons, si vraiment cela est utile pour le bien de nos âmes. Il demande, il sollicite les grâces que nous im­plorons, comme si c'était pour lui. «Je vis, dit-il, dans un tel, je vous parle en son nom: accordez-moi pour lui l'humilité, la douceur». Il en est de même pour les actions de grâces, les réparations, les adorations et les actes d'amour que nous faisons; il les répète, il les fait siens, et il leur donne de suite une valeur infinie. C'est une sorte de transsubstantiation qu'opère ainsi le Sacré-Cœur de Jésus; il change au vin de l'amour l'eau de nos dispositions imparfaites. Ah! qu'ils sont malheureux ceux qui n'apportent à la messe qu'une attention distraite, des désirs mondains, quelquefois criminels. Il n'y a rien alors de changé, et ils sortent froids et vides du temple où le Sacré-Cœur de Jésus les attendait pour les com­bler de grâces.

Cependant le pécheur repentant obtient toujours la grâce de la contri­tion, non seulement imparfaite, mais même parfaite, ainsi que l'ensei­gne le Concile de Trente.

Il va sans dire que la prière, l'action de grâces, l'acte d'amour, de ré­paration et d'adoration que le Sacré-Cœur de Jésus fait en notre nom est toujours accepté par la Majesté divine, non pas comme si tout cela venait de nous qui ne sommes rien, mais comme venant du Cœur même de celui en qui le Père met toutes ses complaisances. C'est là le grand mystère de la médiation, l'acte sacerdotal du Sacré-Cœur de Jésus, par lequel nos actions faites en état de grâce, nos intentions et nos affections deviennent les siennes, selon toutefois le degré d'union que nous avons avec lui.

Ah! n'apportons au très saint Sacrifice qu'on seul désir, celui d'aimer le Sacré-Cœur de Jésus, de nous immoler avec lui, de vivre de sa vie et uniquement pour son pur amour, et nous sommes sûrs d'être toujours et parfaitement exaucés.

D. Le quatrième élément du sacrifice est la coopération du prêtre; s'il ne dit pas les paroles sacramentelles, s'il n'a pas l'intention de célébrer, le sacrifice devient alors impossible. Jésus-Christ est bien le vrai prêtre, comme il est la vraie victime, mais il unit tellement le prêtre à son action sacerdotale, il en fait son coopérateur si nécessaire que si ce dernier vient à manquer, le plus grand et le plus fécond des mystères ne peut avoir lieu.

Afin de compléter ce qui regarde le saint Sacrifice de la messe, disons un mot de ses avantages immenses.

Il procure ex opere operato, c'est-à-dire de lui-même, abstraction faite des mérites du célébrant, pour Dieu une gloire infinie, et pour l'Eglise

un bien incalculable. Cet avantage est tel que tous les mérites de la Très Sainte Vierge, des anges et des saints, tout ce qu'il y a de beau et de saint, tout cela, dis-je, n'est rien en comparaison d'une seule messe.

Quant au prêtre qui célèbre, aux fidèles à qui le sacrifice est appliqué ou qui y assistent, s'ils sont en état de grâce, ils reçoivent toujours un bien immense du très saint Sacrifice, et cela ex opere operato; mais plus ils seront disposés, plus ils seront aptes à profiter de ces grâces dont la me­sure leur est donnée par conséquent ex opere operantis. Celui qui serait par­faitement disposé recevrait toute l'efficacité du sacrifice et par l'audition ou la célébration d'une seule messe acquerrait des grâces telles que nulle intelligence finie ne saurait les calculer. Nous avons un moyen bien pro­pre d'entrer dans ces dispositions: le désir sincère et efficace de rendre au Sacré-Cœur de Jésus par la sainte messe, la plus grande gloire et le plus grand amour qu'il puisse recevoir.

Résolution. - L'esprit de la messe doit être celui de toute ma vie. je dois m'en pénétrer chaque matin si fortement que ma journée en soit tout imprégnée. je m'unirai aux dispositions du Cœur de Jésus dans l'Eucharistie, comme la goutte d'eau s'unit au vin du sacrifice.

DEUXIEME MEDITATION

LES ANEANTISSEMENT EUCHARISTIQUES

Qui pourrait découvrir un Dieu sous les faibles espèces sacramentel­les, sous le voile qui le recouvre et l'obscurité qui l'environne? La foi seule peut pénétrer le mystère de ses incompréhensibles abaissements.

C'est cette apparence de pain qui me cache un Dieu! Il pourrait user de sa puissance, montrer sa gloire et attirer tous les cœurs à lui, il ne le fait pas!… L'œuvre de son Père s'opèrera au comble de l'anéantisse­ment, de l'humiliation, de l'opprobre, de la petitesse. - O humilité! vertu par excellence, qui enchaîne Jésus sous ces apparentes impuissan­ces, passez si avant dans le cœur de vos amis et de vos victimes que leur solitude, leurs humiliations et leurs opprobres fassent leurs délices et leur trésor!

Unissons-nous aux anéantissements de Jésus, la seule victime digne de Dieu, la seule dont la destruction rende à Dieu une gloire digne de lui.

Le sentiment de la grandeur de Dieu et de sa majesté outragée nous inspire le désir profond de l'humilité et de l'anéantissement à ses pieds pour mieux honorer son être éternel et réparer les offenses qui lui sont faites.

Si une âme a l'attrait de la vie de victime, si elle veut s'offrir en hostie de réparation et de propitiation au Sacré-Cœur de Jésus, elle doit com­munier tout spécialement aux anéantissements eucharistiques. Dès qu'elle s'est constituée victime, son arrêt est prononcé, et il faut que jus­qu'à la fin elle porte la grâce de ce sacré et divin caractère qui en fait un être délaissé et méprisé, un être de rien, puisqu'elle a pris sur elle le pé­ché et les misères de tous. C'est le bouc émissaire voué à l'exécration de tous.

Jésus au Saint-Sacrement a disparu sous les apparences les plus com­munes et se donne en aliment à l'homme. Peut-il y avoir un abaissement plus profond? Orgueil humain, que tu es confondu! L'anéantissement devant Dieu est donc infiniment nécessaire à la victime qui porte la qua­lité de pécheur en elle-même et dans les péchés des autres pour lesquels elle veut demander grâce.

Elle doit avoir la plus haute idée de la grandeur et de la sainteté de Dieu et un amour passionné de son propre abaissement. Elle doit hono­rer Dieu, surtout par ces abîmes d'anéantissement où Dieu la plonge.

Puisse Notre-Seigneur susciter beaucoup d'âmes vraiment victimes pour la gloire de Dieu et le progrès de l'Eglise!

Notre-Seigneur ne souffre pas dans l'Eucharistie. Depuis sa résurrec­tion, il est impassible. Mais parfois il se montre à ses amis sous les appa­rences de la souffrance. Il apparaissait à Marguerite-Marie tout couvert de plaies. «Un jour, dit la bienheureuse, mon Sauveur se présente à moi comme un Ecce homo, tout déchiré et défiguré, disant: Cinq âmes consa­crées à mon service m'ont ainsi traité, en communiant sans ferveur». Et le bon Maître lui demandait de baiser ses plaies pour en adoucir la dou­leur. Cela veut dire seulement que nos péchés seraient propres à lui arra­cher des larmes et à le crucifier de nouveau, s'il pouvait encore souffrir, comme le remarquait saint Paul (Hebr. VI. 6).

Mais ses amis doivent éprouver quelque chose des souffrances que le Bon-Maître ne peut plus porter. La vue et la méditation de ces souffran­ces mystiques de Jésus-Hostie n'est-elle pas bien propre à nous plonger dans lés angoisses et à nous tenir comme sous le pressoir?

Ses angoisses eucharistiques, Jésus les a souffertes d'avance à Gethsé­mani. Il prévoyait toutes les ingratitudes, dont il serait l'objet. Nos pé­chés l'accablaient sous leur poids. Mais nos réparations lui étaient pré­sentées par l'ange dans le calice de la consolation. Oh! remplissons ce ca­lice par nos larmes, par nos repentirs, par nos immolations! Puisse le bon Maître prendre son repos dans nos cœurs et y trouver une humilité, une pureté, un amour qui soient sa consolation!

Jésus méconnu au Saint-Sacrement, Jésus touché par des mains pro­fanes et placé dans des cœurs sacrilèges, n'est-ce pas un spectacle capa­ble de briser nos cœurs? Embrassons la vie de victime, comme il a fait lui-même.

Renouvelons notre ferveur pour tous les exercices eucharistiques, pour la sainte Messe, la communion, la visite au Saint-Sacrement. C'est sous les voiles eucharistiques que le Sacré-Cœur veut être parti­culièrement aimé de nous, pendant que les anges et les saints honorent au ciel sa vie glorieuse. Il l'a dit plusieurs fois à la bienheureuse Margue­rite Marie.

«J'ai soif, disait-il, mais d'une soif si ardente d'être aimé des hommes au Très Saint-Sacrement, que cette soif me consume; et je ne trouve per­sonne qui s'efforce selon mon désir, de me désaltérer, en rendant quel­que retour à mon amour».

Résolution. - O mon bon Maître, je m'unis à tous vos Saints répara­teurs. Je m'unis à Marguerite-Marie. Je m'unis à votre sainte Mère, qui a pleuré le sacrilège de Judas.

TROISIEME MEDITATION

LEÇONS DE PAUVRETE ET DE DETACHEMENT
QUE NOUS DONNE JESUS-HOSTIE

La pauvreté eucharistique a été portée aux dernières limites du possi­ble en notre sainte victime de l'autel.

Où est la gloire de Jésus dans la sainte Hostie? Où sont les riches vête­ments? Où sont les satisfactions sensibles?

Sans doute, nous donnons à la divine Hostie des vases d'or, des taber­nacles de marbres précieux, mais tout cela reste en dehors de lui, tout ce­la lui est tout à fait extérieur et comme étranger.

Il n'a pris pour lui que les apparences les plus vulgaires et les plus fra­giles. Il se contente du tabernacle de bois, comme du tabernacle de mar­bre. Il s'est exposé à tout, même à la profanation, au délaissement, aux mépris, aux outrages. Il préfère le tabernacle de bois du missionnaire, à l'autel de marbre des villes, où il est souvent oublié. Il demeure même sous la petite parcelle qui tombe et s'égare sur le sol poussiéreux de l'église.

C'est cette pauvreté qui nous enrichit de Dieu: «Jésus s'est fait pau­vre, dit saint Paul aux Corinthiens, pour que vous soyez enrichis de sa pauvreté». L'apôtre fait allusion à la pauvreté de Bethléem, de Naza­reth, et au dépouillement du Calvaire. Les dépouillements de l'Euchari­stie sont plus sublimes encore. Et ils sont si méconnus et si oubliés!

La pauvreté extérieure ouvre une belle voie à la pauvreté intérieure qui fait le fond de la vertu de pauvreté.

Jésus a pratiqué cette dernière avec une perfection que lui seul pourra jamais atteindre, car c'est en lui seul que Dieu a régné pleinement. Le règne de Dieu ne s'établit que dans le vrai pauvre qui est dénué de lui­-même et des créatures, qui ne se recherche pas dans les dons de Dieu, qui meurt incessamment à toutes les choses sensibles, qui n'a plus de dé­sirs, de pensées, de mouvements qui lui soient propres, qui ne vit plus que de l'esprit de Dieu, qui ne veut rien savoir que Dieu, qui ne cherche rien hors de lui, qui demeure dans sa petitesse et sa dépendance. Il va droit au pur amour. N'est-ce pas là tout le Cœur de Jésus? Un pauvre religieux a encore quelque souci du vêtement et du pain, et son cœur en est occupé. Jésus-Eucharistie n'a aucun souci des voiles qui le couvrent. Ils lui sont si peu de chose!

O adorable Jésus! l'unique Pauvre et le seul où Dieu ait régné pleine­ment et sans résistance, qui pourra comprendre le prodige de votre pau­vreté eucharistique? Cette pauvreté unique donne une gloire infinie à Dieu votre Père.

La pauvreté eucharistique de Jésus n'offre pas comme sa pauvreté de Nazareth un exemple sensible et facile à imiter, mais elle inspire un esprit de pauvreté qui trouvera sa réalisation dans notre vie, suivant la vocation de chacun de nous.

C'est à nous de rechercher quel degré de pauvreté, même extérieure, la volonté divine demande de nous. Et si notre état de vie ne demande pas la pauvreté extérieure absolue, il reste à pratiquer la pauvreté spiri­tuelle, le détachement, qui forme la première béatitude promulguée par Notre-Seigneur: «Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le royau­me de Dieu leur appartient». Il reste aussi la pauvreté intérieure, le déta­chement du moi, de la volonté propre, de l'amour-propre, de don de tout nous-même à Notre-Seigneur, à sa volonté, à sa direction, manife­stée par notre règle de vie et par sa Providence.

O heureuse pauvreté! Béni soit le jour où nous voyant parfaitement dégagés de tout le terrestre, nous serons riches de Notre-Seigneur, de sa vie en nous, de son Cœur divin, vivant et régnant en nos cœurs!

La Bienheureuse Marguerite-Marie nous dit, sous l'inspiration du Sacré-Cœur, que l'âme la plus dénuée et la plus dépouillée de tout pos­sèdera davantage le Cœur de Jésus. «Ce n'est que dans le parfait dénû­ment de vous-même et de tout ce qui n'est pas Dieu, écrit-elle, que vous trouverez la vraie paix et le parfait bonheur; car n'ayant rien, vous au­rez tout dans le Sacré-Cœur de Jésus. Soyez pauvre de tout et le Sacré­-Cœur vous enrichira. Videz-vous de tout et il vous remplira. Oubliez-­vous vous-même et abandonnez-vous à lui, il pensera à vous et il pren­dra soin de vous. Je ne peux vous dire autre chose, sinon que l'anéantis­sement de vous-même vous élèvera à l'union de votre souverain Bien. En vous oubliant vous-même, vous le posséderez, et en vous abandon­nant à lui, il vous possédera. Et quel plus grand bien que de n'être rien au monde et à nous-mêmes, pour être possédée de Dieu et ne posséder que lui seul?» (Lettres et avis, t. II).

«Dans la sainte Eucharistie, disait encore la Bienheureuse, mon Jésus s'est fait pauvre. Il y est dans un tel dénuement de tout, qu'il s'est mis en état de recevoir de ses créatures tout ce qu'elles voudront lui donner et lui rendre. Pour gagner son Cœur tout aimable, il faut l'imiter par notre voeu de pauvreté: nous laissant donner ou ôter les choses, comme si nous étions morts ou insensibles à tout; nous regardant comme des pau­vres à qui on donne tout par charité, et songeant que si on nous dépouil­lait de tout, on ne nous ferait pas d'injustice» (Sa vie, p. 94. Avis 15).

Résolution. - Aidez-moi, divin Cœur de Jésus. Prenez ma volonté, prenez mon cœur. Etablissez votre règne absolu dans ma pauvre âme. Ne serai-je pas assez riche, si j'ai le bonheur de vous être uni?

QUATRIEME MEDITATION

LEÇON D'OBEISSANCE

C'est un enseignement merveilleux, plein de lumières et de grâces, que celui de l'obéissance de Jésus au Saint-Sacrement.

Jésus obéit à tous les prêtres, sans distinction, bons ou mauvais. Il vient dans des cœurs profanes et souillés par le démon. Il ne refuse pas de se mettre en présence de son ennemi, parce qu'il a une loi inviolable: l'obéissance, par amour pour son Père. Rien ne le retient ni ne l'entraî­ne hors de cette voie, aucun prétexte de dignité ou de convenance. La volonté de son Père fait sa nourriture, son repos, sa béatitude, sa gloire et sa seule vie.

Jésus-Eucharistie n'a pas plus de vie propre qu'un mort. Son mouve­ment, c'est la seule obéissance, dont Dieu reçoit une louange sans fin. Oh! quel exemple! Jésus n'a plus de vie que par l'impulsion de son Père; sa dépendance de Dieu est aussi parfaite que son amour pour lui est infi­ni. Il ne vit qu'en Dieu, et il ne forme pas un seul acte, ne fait pas un seul mouvement en dehors de cette seule et totale dépendance. S'il est à notre disposition, s'il obéit au prêtre, c'est encore à son Père qu'il obéit, parce qu'il a promis à son Père de se donner à nous. Il ne se rétracte pas. C'est ainsi qu'en obéissant à nos supérieurs nous obéissons à Dieu, parce que Dieu veut que nous leur obéissions.

Oh! quelle gloire Jésus rend à Dieu! et quelle complaisance Dieu prend en ce Fils bien-aimé, en le voyant dans cette attitude abaissée et anéantie! Il a pris la forme d'esclave, lui qui est Dieu. Quel exemple su­blime! Mon Jésus, qui ne voudrait vous suivre, pour l'honneur de votre Père et la consolation de votre Cœur, victime d'obéissance?

Sans l'obéissance, l'œuvre de la rédemption aurait été nulle, et cela se comprend. Tout péché est une désobéissance, tout acte de réparation et de rachat doit être un acte d'obéissance.

Pour que l'obéissance soit parfaite, et vraiment rédemptrice, elle doit être reçue dans le cœur; son principe doit être l'amour. Aussi David nous montre-t-il le Rédempteur apportant au monde la volonté de Dieu écrite en son Cœur (Ps. 39). La véritable marque de la perfection d'une âme, c'est qu'elle soit parvenue au point d'être tellement morte à sa vo­lonté, qu'elle ne prétende, qu'elle ne désire aucunement faire ce qu'elle voudrait; elle obéit à tous pour Dieu. O Jésus! qui nous donnera de ces âmes, vraiment mortes à elles-mêmes, pour continuer votre sacrifice du Calvaire et de l'Eucharistie?

Jésus ne reçoit d'impulsion que par Dieu son Père: «Je ne fais pas ma volonté, disait-il, mais celle de mon Père». Nous ne devons recevoir d'impulsion que de l'Esprit de Jésus. Il doit être notre pensée, notre pa­role, nos actes, nos mouvements, notre âme, notre vie. «Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus, c'est son esprit, c'est son Cœur qui vit en moi».

Obéissance entière à Dieu, dépendance de lui seul: quelle étendue et quelle profondeur dans ces deux mots! Mon âme est appelée à y entrer, à y vivre, à disparaître sous Jésus et son divin Esprit. Jésus au tabernacle n'est plus rien sous ce pain qui le couvre: l'âme victime n'a pas d'autre modèle à suivre.

J'aurai toujours ce modèle sous les yeux. J'aimerai l'obéissance com­me l'aime mon Jésus. Je vivrai en elle sans réserve. Je fais un pacte avec toute ma vie personnelle, avec toutes mes volontés et appréciations natu­relles. C'est à tout jamais que je dis adieu au moi humain, aux oeuvres et aux désirs du vieil Adam qui veut toujours être quelque chose et se gouverner.

L'obéissance à Dieu, c'est la vie de Dieu en nous, c'est donc la victoi­re de Dieu sur nos pauvres facultés. «L'âme la plus obéissante, disait Marguerite-Marie, fera triompher le Sacré-Cœur». Et comme cette sainte âme était admirablement obéissante!

Comme elle parlait aussi admirablement de cette vertu! «Pour l'inté­rieur, écrivait-elle, vous obéirez fidèlement aux mouvements de la grâce pour les actes des vertus; quant à l'extérieur, vous obéirez amoureuse­ment à ceux qui ont pouvoir de vous commander, pensant à ces paroles: Jésus a été obéissant, je veux donc obéir jusqu'au dernier soupir de ma vie. Et vos obéissances seront pour honorer celles de Jésus-Christ au Saint-Sacrement; si vous êtes fidèle à faire la volonté de Dieu dans le temps, la vôtre s'accomplira pendant toute l'éternité».

«En vérité, dit-elle encore, il me semble que tout le bonheur d'une âme consiste à se rendre conforme à la très sainte volonté de Dieu. C'est là où notre cœur trouve sa paix, notre esprit sa joie et son repos, puisque celui qui adhère à Dieu devient un même esprit avec lui. Et je crois que c'est le vrai moyen de faire notre volonté; car son amoureuse bonté se plaît à contenter celle où il ne trouve point de résistance» (Lettre XIX à la Mère de Sourdeilles).

Résolution. - Mon Dieu, bénissez et rendez fécondes mes pauvres ré­solutions! Je veux fortement, je veux envers et contre tout immoler sur l'autel de votre Cœur toute ma vie naturelle avec toutes mes volontés et libertés.

CINQUIEME MEDITATION

LE CŒUR SACERDOTAL DE JESUS

Jésus est prêtre. Au psaume 109, David dit: «Dieu l'a juré à son Christ, tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech». Dès lors qu'une personne divine s'incarnait, elle devait être avant tout le prêtre de Dieu, parce que la glorification du nom divin est la fin essen­tielle des oeuvres divines, et parce qu'un Dieu qui se fait homme doit être le chef de la religion de toute créature.

Jésus est prêtre, mais nous allons voir que dans son sacerdoce il faut surtout considérer son Cœur.

C'est son amour, en effet, qui l'inspire et le guide dans son immola­tion pour la gloire de son Père et pour notre salut.

L'Eglise nous le rappelle dans la sainte liturgie. Dans l'hymne du temps pascal, Ad regias agni dapes, elle nous montre l'amour-prêtre, ou le Cœur sacerdotal de Jésus offrant le sacrifice rédempteur:

Divina cujus caritas

Sacrum propinat sanguinem

Almique membra corporis

Amor sacerdos immolat.

«C'est la charité, c'est l'amour-prêtre, qui a versé le sang et immolé la chair du divin agneau sur la croix».

La vie de Jésus a été toute entière un sacrifice d'amour. Il a choisi la pauvreté et le travail, pour sa vie cachée; les fatigues, les mépris et les contradictions, pour sa vie publique.

«Comme il aimait les siens, il les aima jusqu'à la fin» (S. Jean, 13). Il va au devant de ses ennemis à Jérusalem, il se livre à ses persécuteurs, à ses bourreaux, à judas qui le trahit, aux prêtres et à Pilate qui le condamnent, aux soldats qui le flagellent, l'insultent et le crucifient. «C'est, dit-il, pour que le monde soit témoin de l'amour que j'ai pour mon Père» (S. Jean, 14).

Saint Paul nous montre aussi la source du sacrifice rédempteur dans l'amour: «Il m'a aimé et il s'est livré pour moi» (Aux Gal. 2). Notre-Seigneur dit aussi: «La plus grande marque d'amour, n'est-ce pas de donner sa vie pour ses amis?» (S. Jean, 15).

C'est bien par son Cœur que Jésus a surtout exercé son sacerdoce.

La louange infinie que ce Verbe est en personne dans l'éternité, il l'a transportée dans le monde. A cette louange éternelle s'ajoutent l'adora­tion, la reconnaissance, la prière de l'humanité qu'il s'est hypostatique­ment unie.

Et comme le Christ, quoique pur et parfait en lui-même, est le chef de l'humanité déchue, il offrira aussi à son Père un sacrifice d'expiation pour réparer la gloire de son Père outragée.

Mais quelle victime offrira-t-il à son Père? Une victime d'un prix infi­ni, une victime divine peut seule être adéquate à la gloire de Dieu.

Le Cœur de Jésus s'offrira donc lui-même, il sera prêtre et victime. Il s'immolera comme une hostie d'amour, de reconnaissance, de répara­tion et de prière. Il s'immolera en mourant d'amour, en donnant sa vie, en même temps que ses bourreaux s'efforcent de la lui ôter. «Je donne mon âme de moi-même, dit-il, et personne ne pourrait me l'enlever» (S. Jean, 10).

C'est pour nous racheter, et c'est pour gagner nos cœurs par le carac­tère de cette rédemption.

Vous avez pensé sans doute, ô Jésus, qu'il ne suffirait pas pour émou­voir nos cœurs si durs de nous dire votre amour et de le montrer même en nous rachetant par quelques humiliations, et vous vous êtes dit: «Je leur dirai mon amour dans un langage dont la force les touchera. Après avoir vécu dans i'infirmité, les travaux, l'obscurité, les souffrances, je mourrai pour eux sur la croix, moi le Fils de Dieu».

Ce n'est pas tout, Seigneur, pour briser la glace de nos cœurs, vous avez voulu encore multiplier par toute la terre et éterniser votre sacrifice. Victime offerte et acceptée dès le premier instant de votre conception, vous êtes resté prêtre et victime pour l'éternité! Vous l'étiez à Nazareth, vous l'étiez au Calvaire, vous l'êtes au ciel, où les anges et les saints vous adorent comme l'Agneau immolé.

Prêtre et victime, tout chrétien doit l'être dans une certaine mesure. Tout prêtre de la nouvelle loi doit avoir un cœur de prêtre et de victime comme Jésus.

Résolution. - O Jésus, prêtre et victime, faites-moi partager votre grâ­ce, rendez-moi semblable à vous; votre cœur de prêtre intercédera pour moi, il me bénira, il me consolera, il me guidera. Puisse mon cœur sa­cerdotal s'immoler à son tour, sans réserve, pour vous!

SIXIEME MEDITATION

LE SACERDOCE DE LA NOUVELLE LOI
EST SORTI DU CŒUR DE JESUS
COMME UN FLEUVE D'AMOUR ET DE VIE

Jusqu'au jeudi-Saint la plénitude du sacerdoce éternel était concen­trée en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Cœur de Jésus est comme un abîme infini pour son Père qu'il veut glorifier et pour les hommes dont il va consommer la rédemption. De cet abîme, le ciel a vu sortir ce jour là, un double fleuve d'amour et de vie: le sacerdoce et l'Eucharistie. Ce double fleuve allait répandre ses eaux divines dans toute l'Eglise de Dieu pour tout inonder, tout vivifier, régénérer et sanctifier.

Ce jour là, deux présences de Jésus ici-bas ont été fondées: la présence physique de sa chair et de son sang dans des millions de tabernacles; la présence morale de son sacerdoce, dans des millions d'âmes choisies.

La présence sacerdotale de Jésus a pour fin, avant tout, de produire et de révéler sa présence eucharistique. Notre-Seigneur s'unit moralement au prêtre et habite en lui par sa grâce, pour que celui-ci révèle au monde les secrets de sa vie Eucharistique.

Dieu suit dans l'Eglise une conduite semblable à celle qu'il a suivie dans la création. Après l'œuvre des six jours, il semble s'être retiré; il se voile et laisse aux créatures le soin de transmettre le mouvement, la lu­mière, l'activité, la vie… Ainsi, Notre-Seigneur, après avoir institué l'Eucharistie, fondé le sacerdoce et l'Eglise, est rentré dans le ciel. Il se cache depuis l'Ascension. La terre ne le reverra plus qu'à la fin des temps; et, s'il demeure avec nous, c'est d'une manière invisible, voilée, quoique réelle. Et il a chargé ses prêtres de le consacrer, de le révéler, de le distribuer, d'être les propagateurs de sa lumière, de son amour, de sa vie.

La Providence éclaire, réchauffe et vivifie la nature, surtout par le so­leil. Le sacerdoce est le soleil surnaturel dont se sert Jésus pour éclairer, vivifier, diviniser les âmes! Les prêtres sont les propagateurs de Dieu dans les âmes! (Sauvé: Jésus intime).

Une des plus funestes illusions est d'oublier, en voyant la nature, Dieu qui se cache derrière elle comme sous un voile transparent.

C'est ainsi qu'on méconnaît aussi l'action universelle, continuelle, in­fatigable, du divin sacerdoce qui se dissimule sous l'action des prêtres, sous les sacrements et sous les autres moyens de sanctification.

Notre-Seigneur agit beaucoup par lui-même; aucune âme n'échappe à son action. Il agit aussi beaucoup par le prêtre. Il cache sa divine in­fluence sous la parole sacerdotale, sous les sacrements que le prêtre ad­ministre, sous les saintes Ecritures et les exemples des saints que le prêtre explique aux fidèles.

Le prêtre lutte contre l'erreur et le mal. Que serait la terre sans sa lu­mière et son action qui s'opposent partout aux démons et aux mauvais instincts de la nature? Que d'illusions et d'erreurs il dissipe, que de pé­chés il prévient!

Mais les grâces positives qu'il répand sont bien plus merveilleuses en­core.

Dans la personne du prêtre, c'est le sacerdoce de Jésus-Christ qui bap­tise, qui absout, qui consacre, qui unit les époux et qui bénit les Vierges. C'est le sacerdoce de Jésus Christ qui porte la foi aux barbares; c'est lui qui, par le saint Sacrifice, délivre les âmes souffrantes du purgatoire et glorifie celles qui sont montées au ciel en augmentant en elles la vision béatifique.

La grâce sacerdotale fait que, par état, les prêtres son comme le cœur de l'Eglise, l'organe le plus intime et le plus influent de Jésus, le princi­pale moteur par lequel son sacerdoce porte partout la vie.

Il faut aussi que le prêtre soit le cœur de l'Eglise par les vertus, la pié­té, la prière, la ferveur, le zèle.

Le sacerdoce se perpétue au ciel. Les prêtres seront-ils encore associés là à l'action sacerdotale du Christ? Guideront-ils les chœurs des saints, nous ne le savons pas. Mais, s'ils ont été fidèles sur la terre, ils éprouve­ront mieux que personne l'action du sacerdoce d'amour du Christ, ils seront comme le cœur de l'Eglise du ciel (Sauvé: Jésus intime). «Réjouis-toi, ô prêtre! s'écrie sainte Catherine de Sienne, prie, travaille, souffre avec courage. Que ta couronne est belle! Comme tu seras aimé et comme tu aimeras dans le ciel!» (Dial. 131).

Résolution. - O Jésus, je ne veux plus oublier la présence morale de votre sacerdoce dans vos prêtres. Je veux y penser souvent. Je veux vous en rendre grâces.

QUATRIEME MYSTERE

Vie outragée par les méchants

PREMIERE MEDITATION

LE SCHISME

La nuit même où le Seigneur était trahi, dit saint Paul, il institua le sa­crement de nos autels et quelques heures après, des amis du Sauveur, l'un le renia et les autres prirent honteusement la fuite.

Désormais, c'est entre la trahison, le reniement d'une part, et de l'au­tre la tiédeur, la négligence, l'indifférence et l'oubli que s'avance la grande merveille d'amour du Seigneur, son tabernacle parmi les hom­mes.

Le sacrement d'amour rencontre sur son chemin les mépris de l'indif­férence, et quelquefois les colères de la haine diabolique. Combien ces choses sont douloureuses! Pourquoi faut-il qu'après avoir contemplé l'excès d'amour du Sacré-Cœur de Jésus, nous ayons à considérer l'ex­cès de notre méchanceté! Mais, il le faut. La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus a pour fin l'amour sous toutes ses formes, et notre ingratitude né­cessite l'une d'elles: la réparation.

C'est d'ailleurs l'un des motifs sur lesquels Notre-Seigneur a insisté davantage auprès de la bienheureuse Marguerite-Marie pour lui deman­der l'institution de la fête et de la dévotion à son Sacré-Cœur. Considé­rons donc le nouveau jardin des Oliviers dans lequel se transforment trop souvent nos tabernacles, et méditons sur la réparation que le Sacré­-Cœur de Jésus nous demande pour les outrages qu'il reçoit dans son Sa­crement. Beaucoup l'insultent; beaucoup viennent enfoncer une épine dans ce Cœur qui ne vit que pour eux et qui descend de nouveau sur la terre pour nous apporter le ciel; mais ce qui lui est le plus sensible, c'est l'indifférence et la froideur qu'il rencontre quelquefois même chez des cœurs qui lui sont consacrés. Leur ingratitude est la blessure toujours ouverte, toujours saignante de ce divin Cœur. Nous penserons souvent avec une tendre compassion à cette souffrance intime de Notre­-Seigneur, bien persuadés que si nous pouvons consoler le Cœur eucha­ristique de Jésus de la peine que lui font ses amis, nous le consolerons fa­cilement aussi des outrages qu'il reçoit des étrangers. C'est un disciple, un apôtre, judas, qui inaugura la trahison vi-à-vis du Cœur de son Dieu, de son ami, de son frère; il avait encore les lèvres rouges du sang divin et il pensait à trahir son maître.

Les schismes de l'Orient continuent dans une certaine mesure cette oeuvre de ténèbres. Bien des âmes peuvent y être de bonne foi. Mais que dire de ceux qui ont commencé et de ceux qui, entrevoyant la lumière, n'ont pas le courage de sortir de l'erreur?

Combien d'offenses en résultent pour Jésus-Hostie! Les prêtres de ces églises schismatiques ont un véritable sacerdoce. Ils consacrent vérita­blement le corps et le sang du Christ. Notre-Seigneur est leur prisonnier et comme leur esclave. Il s'est exposé à cela pour pouvoir visiter les âmes de bonne volonté et se donner à elles.

Les prêtres d'Orient consacrent, mais ils n'ont pas grand respect pour l'Eucharistie, quand ils la conservent. Leur dévotion un peu supersti­tieuse va plutôt aux images qu'ils honorent. Les peuples communient, mais que peuvent valoir le plus souvent leurs communions? Ils ont une foi incomplète. Ils ont même des doctrines fausses sur les sacrements, ils ne confessent pas leurs fautes intérieures. Quelle triste chose que toutes ces messes et toutes ces communions! Comment Notre-Seigneur a-t-il pu s'exposer à tous ces outrages? Vraiment il nous a aimés jusqu'à l'ex­cès.

Toutes les âmes qui sont séparées du Vicaire de Jésus-Christ sont aus­si séparées du Christ. C'est la pierre fondamentale, en dehors d'elle on n'est plus dans l'Eglise. Il y a des degrés dans la séparation d'avec le Vi­caire de Jésus-Christ. Tous ceux qui ne lui obéissent pas entièrement s'éloignent du Christ, et, sans être formellement schismatiques, ils attristent Notre-Seigneur. S'ils n'imitent pas la trahison de judas, ils se montrent faibles comme les autres disciples, et ils s'éloignent comme eux. Notre-Seigneur ne peut pas se complaire à descendre dans ces cœurs désobéissants.

Comment réparer tant d'outrages? Par le culte aimant et dévoué de l'Eucharistie, par le culte intérieur surtout, par nos sentiments d'amour et de compassion, mais aussi par une docilité parfaite au Vicaire de Jésus-Christ.

Tous les schismatiques manquaient de simplicité et d'humilité. Ils avaient une confiance orgueilleuse dans leur science et dans leur juge­ment.

La dévotion au Pape et la docilité à toutes ses directions doit être le ca­ractère propre de la dévotion au Sacré-Cœur.

N'y a-t-il pas des analogies saisissantes entre le Pape et l'Eucharistie? N'est-ce pas Notre-Seigneur qui nous dirige et nous instruit par son Vi­caire? Il vit en lui par une assistance spéciale. Il enseigne, il parle par son Vicaire. Il a dit aux apôtres: «Celui qui vous écoute m'écoute et celui qui vous méprise me méprise». Cela doit s'entendre aussi du Pape, à qui saint Pierre a transmis la plénitude de l'autorité apostolique.

L'Eucharistie, c'est Jésus qui s'immole, Jésus qui demeure avec nous, qui se donne à nous, qui nous écoute et nous console.

Le Pape, c'est Jésus qui nous dirige et nous enseigne.

Dans l'Eucharistie, c'est la présence réelle de Jésus; chez le Pape, c'est son autorité et son enseignement, avec une assistance spéciale.

Résolution. - J'admire, ô mon bon Maître, plus que je ne comprends, l'immensité de l'amour par lequel vous vous livrez vous-même aux schismatiques. Oh! que je voudrais vous consoler par un amour sans borne!

DEUXIEME MEDITATION

L'HERESIE

L'hérésie renie le Sacré-Cœur de Jésus dans quelques-uns de ses attri­buts ou quelques-unes de ses doctrines. Les hérésies anciennes rendent impossible la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. Arius niait la divinité du Verbe et le Sacré-Cœur de Jésus est le Cœur du Verbe incarné. Si l'on admet l'arianisme, ce Cœur ne mérite aucune adoration et aucune confiance réelle. Nestorius en établissant la dualité des personnes ne fait aussi du Cœur de Jésus que le Cœur d'un homme. Eutychès, en con­fondant les natures, détruit la vie propre du Cœur de Jésus. Le mono­thélisme, en niant la volonté humaine, nie, par là-même, l'amour hu­main du Sacré-Cœur.

Mais arrêtons-nous aux trois grandes hérésies modernes: le protestan­tisme, le jansénisme et le libéralisme ou gallicanisme. Leur souffle empesté a fait périr une foule d'âmes. Nous le respirons encore, et mal­gré nous, souvent, nous subissons ses miasmes. Combien de traits dou­loureux lancés ainsi contre l'Eglise du Christ vont atteindre le Sacré­-Cœur de Jésus jusque dans le sacrement de son amour!

Le protestantisme est le chef-d'œuvre du diable; il attaque le Sacré-­Cœur de Jésus tout à la fois dans sa doctrine qu'il rejette, dans son Egli­se dont il sape les bases, et dans les sacrements dont il enlève l'influence nécessaire aux fidèles. Et quel sacrement ces impies ont ils nié comme le sacrement de l'Eucharistie? Le diable vient lui-même prêcher à Luther l'abolition de la Messe: ses disciples et ses émules en erreurs, Zwingle et Calvin s'attaquent au Seigneur s'immolant sur l'autel ou résidant dans le tabernacle, comme les juifs s'attaquèrent autrefois à son humanité sainte vivant sur la terre. Il y a, de plus, je ne sais quoi de haineux dans l'apostasie sacrilège de ces hérétiques orgueilleux; l'amour que nous té­moigne le Sacré-Cœur de Jésus les transporte de fureur. Qui pourrait dire les profanations et les sacrilèges dont se rendent coupables envers le Saint-Sacrement ces moines et ces prêtres renégats?

Mais il y a quelque chose de plus triste encore. Leur doctrine a déposé au fond des cœurs qu'ils ont empestés de leur funeste levain, un germe d'impénitence. Ceux qui nient les prodiges d'amour du Sacré-Cœur de Jésus envers nous ne tardent pas à donner l'exemple d'un prodigieux or­gueil.

Telle est la cause de la difficulté que l'on éprouve à convertir les hérétiques et les pays infectés d'hérésie. Or, qui pourra jamais triompher de cet esprit infernal sinon la dévotion au divin Cœur de Jésus avec l'esprit de réparation dont elle est enrichie? Elle seule pourra faire de nouveau descendre la pluie de la grâce sur ces terres desséchées comme le Sahara, par le vent brûlant d'une superbe invétérée.

Le jansénisme nous a fait peut-être plus de mal que le protestantisme lui-même. Cette hérésie qui affectait le rigorisme le plus outré, se propo­sait comme fin de détruire la confiance dans le cœur des fidèles et de les éloigner de la réception du sacrement de l'Eucharistie, à force d'exagé­rer les dispositions que ces hypocrites exigeaient pour sa réception. Ils voulaient tuer l'amour à force de respect extérieur. Contemporains, du reste, de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, ils ont lutté contre elle avec toute la rage que leur inspirait l'enfer. Aujourd'hui, les germes de cet esprit subsistent encore. Par combien de prêtres même, la vraie doc­trine de l'Eglise romaine sur la sainte Eucharistie n'a-t-elle pas été long­temps mal connue! La confiance, et par conséquent l'amour n'existaient plus que dans un petit nombre d'âmes, et la sainte Eucharis­tie se trouvait abandonnée et délaissée. Les cœurs refroidis ne peuvent plus comprendre l'amour du Cœur eucharistique de Jésus pour nous. Il y a là une mission réparatrice des plus fécondes et des plus difficiles à en­treprendre. Nous devons nous pénétrer d'amour pour le Cœur de Jésus, admettre son culte tel qu'il nous est enseigné par sainte Gertrude et la bienheureuse Marguerite-Marie. Et puis, remplis de cet amour, pleins de compassion pour les outrages que des enfants ingrats, infidèles, ou­blieux, lui font subir, il nous faut arracher dans les âmes les épines de la fausse doctrine et combattre par la simplicité de notre amour les astuces de Satan.

Catherine Emmerich nous donne un exemple frappant de cette espèce de réparation. Avec quel amour elle se portait en esprit au secours de la maison des noces attaquée par l'ennemi! Elle y recueillait des maladies et des douleurs mystiques, manifestées au dehors par des signes sensi­bles. Les amis du Sacré-Cœur de Jésus doivent hériter de l'esprit, de la vocation et des douleurs de cette sainte âme.

Mais Catherine Emmerich nous signale déjà l'hérésie contemporaine issue du protestantisme et du jansénisme et plus dangereuse encore; elle représente le libéralisme comme un enfant insolent qui n'a, du reste, de l'enfance que l'extérieur, allié avec les ennemis de Dieu et plein de mé­pris pour tout ce qui porte le nom d'autorité divine ou humaine.

N'est-ce pas l'esprit qui nous anime aujourd'hui? Il y a des libéraux catholiques; ceux-là nient ou atténuent le surnaturel, et n'admettent le Sacré-Cœur de Jésus que du bout des lèvres. Ils en font une abstraction métaphysique et rejettent surtout le Cœur matériel; sous prétexte de combattre l'amour sensible, ils détruisent l'amour lui-même. Ces cœurs tout ulcérés d'orgueil ne peuvent pas comprendre qu'une âme s'enivre de l'amour du Sacré-Cœur de Jésus et que cet amour soit plus fort que toutes les folies de l'amour humain et charnel qu'ils font triompher en réalité.

Une autre doctrine de cette chaire de pestilence, c'est la prétention odieuse d'allier l'esprit du monde avec l'esprit de Dieu, Bélial avec Jésus-Christ, les ténèbres avec la lumière.

Quelle abondance d'amour simple, touchant, naïf et plein l'humilité ne faut-il pas, afin de réparer ces outrages dont le Sacré-Cœur de Jésus est abreuvé par ses propres amis! D'où vient, en effet, cette langueur dé­sespérante, cette indifférence vis-à-vis du Sacré-Cœur de Notre­-Seigneur, surtout dans l'Eucharistie, si ce n'est de l'esprit mondain et li­béral qui a empesté un trop grand nombre d'âmes et dont nous sommes peut-être atteints jusqu'à un certain degré nous-mêmes?

C'est afin de combattre cet enfant infernal dont parle Catherine Em­merich que nous voulons employer les moyens qu'elle indique elle­-même: un amour simple d'abord, en même temps que fort et généreux; puis l'instruction chrétienne toute simple donnée aux enfants que l'on éloigne aujourd'hui du Sacré-Cœur de Jésus.

Résolution. - Bon Maître, je veux aller à vous avec simplicité et droi­ture. Donnez-moi cette simplicité d'enfant que vous aimez tant à voir ré­gner dans nos cœurs.

TROISIEME MEDITATION

L'INGRATITUDE ET L'OUBLI

L'hérésie et le schisme font de cruelles blessures au divin Cœur de Jésus, mais que dire de celles qu'il reçoit de ses amis, même de certains prêtres et religieux, fidèles en apparence, mais dont l'oubli, l'indifféren­ce, et l'ingratitude l'affligent d'une manière si cruelle? Il s'en est plaint à la bienheureuse Marguerite-Marie: «Les autres, dit-il, - et parmi ces autres on peut compter les schismatiques ou hérétiques, - les autres frappent sur mon corps, mais ceux-là s'acharnent à percer mon Cœur». Ah! Cœur tout aimant! vous ne devriez recevoir de nous que des blessu­res d'amour, mais nous vous déchirons par nos ingratitudes, nous vous blessons par notre indifférence, nous vous attristons par notre oubli.

Parmi ces outrages, quelques-uns doivent être signalés; et d'abord la négligence avec laquelle plusieurs prêtres célèbrent le saint Sacrifice de la Messe et plusieurs personnes vouées, en apparence, à la piété reçoi­vent la sainte Communion. Dans cette catégorie rentrent tous ceux qui, non honorés du sacerdoce, mais appartenant à une société religieuse, ou appelés à la piété, reçoivent la sainte Communion avec indifférence ou s'en éloignent par dureté de cœur et par oubli. Notre-Seigneur lui­-même nous marque dans l'Evangile combien cette conduite lui est sensi­ble. - Un roi, dit-il, avait fait préparer un festin de noces, et quand l'heure fut arrivée, il envoya ses serviteurs appeler les convives, mais tous refusaient sous un prétexte ou sous un autre. L'un veut aller voir une villa qu'il a achetée, c'est la vaine curiosité; l'autre a acheté cinq paires de bœufs qu'il veut essayer, c'est l'attachement aux biens de ce monde; l'autre s'est marié, c'est l'amour des plaisirs. - Ainsi en est-il encore pour la sainte Eucharistie. Celui qui est travaillé par la curiosité, l'avarice ou la volupté, lors même qu'il ne tomberait pas dans le péché mortel, ou bien s'abstient réellement de la sainte Eucharistie, ou bien s'en éloigne par le cœur; il la reçoit par routine, par habitude, sans pré­paration, sans désir, sans effort pour se corriger, sans action de grâces, sans son cœur, en un mot.

Est-ce ainsi que nous traitons l'amour dans son sacrement même? et pourtant si l'on consultait son intérêt spirituel bien entendu, quels fruits ne retirerait-on pas d'une seule Messe bien célébrée, d'une Communion bien faite?

Catherine Emmerich nous dépeint très vivement ces distractions par­faitement volontaires, et qui viennent non de l'imagination, mais du cœur. - Elle vit, dit-elle, un prêtre allant à l'autel pour y célébrer; il y déposa le calice, puis revêtu de ses ornements sacerdotaux, il alla dans une maison de campagne qu'il possédait, afin de veiller sur les animaux, ou bien dans d'autres lieux analogues, sans qu'il pensât davantage au saint Sacrifice.

C'est tout à fait la parabole des invités appliquée à ceux qui font sem­blant de célébrer les saints mystères, mais dont le cœur est bien loin de là, tout occupé de l'objet de sa passion. Quelle douleur pour le Cœur sa­cerdotal de Jésus! Où est mon prêtre, dit-il? Où est mon ami? Jai mon Cœur et mes mains pleines de grâces pour les lui donner. - Il n'est pas là, Seigneur, il est où il aime, comme dit saint Augustin, et il ne vous ai­me pas beaucoup. - Le Cœur Eucharistique de Jésus ne peut plus souf­frir, mais quelle souffrance il a éprouvée de cette ingratitude, pendant sa vie mortelle, lui si tendre, si bon et si délicat!

La seconde ingratitude qui suit celle-là, c'est l'oubli que l'on fait du Sacré-Cœur de Jésus pendant la journée. Il est là dans son Tabernacle, mais on l'y laisse bien seul. Des ministres de Dieu, des personnes appe­lées à la piété sont là, tout près de l'Eglise, elles sont voisines du taberna­cle, mais elles n'y viennent pas rendre visite à leur Dieu, à leur frère, à leur ami. A quoi bon? Ne faut-il pas qu'on aille à ses récréations? N'est-­il pas de la plus haute importance qu'on assiste à des réunions? Souvent, on aura pour cela des fatigues réelles à affronter, et le Sacré-Cœur de Jésus est à deux pas, et on ne se dérange pas pour lui! Mais que dire d'une âme vouée au Sacré-Cœur de Jésus, dont la vocation est d'aimer ce di­vin Cœur pour ceux qui ne l'aiment pas, de se souvenir pour ceux qui ne se souviennent pas, de réparer pour ceux qui succombent? Elle a un moyen facile et très efficace de remplir sa vocation, la contemplation; mais une bagatelle la retient, sa messe sera distraite, son oraison froide. O divin Cœur, devrez-vous répéter encore: j'ai cherché des consolateurs et je n'en ai pas trouvé? Oh! non, nous vous consolerons et nous vous ai­merons.

Une troisième forme de l'ingratitude, c'est l'oubli d'enseigner le Sacré-Cœur de Jésus aux âmes qui nous sont confiées ou sur lesquelles nous pouvons exercer de l'influence. Si au moins on attirait à la sainte Communion tant d'âmes qui languissent sans ce pain de vie! Si on dépo­sait dans ces cœurs une petite étincelle du feu d'amour pour les préser­ver du feu de la volupté! Mais, si le cœur est de glace, comment pourrait-on avoir la charité d'un apôtre? O douleur! Notre-Seigneur a tant demandé que l'on propageât la dévotion à son divin Cœur, et nous sommes inertes. Que faisons-nous, nous, apôtres en titre de cet aimable Cœur? N'avons-nous pas besoin aussi que l'on répare pour nous? Ah! qu'il n'en soit plus ainsi! Imitons ces prêtres vaillants qu'a vus Catheri­ne Emmerich et qui soutenaient l'Eglise sur leurs épaules, l'Eglise où se trouvait le sanctuaire avec le très Saint-Sacrement!

Nous ne parlons pas ici de messes, de communions sacrilèges, de tant de péchés commis à l'occasion des sacrements et dans le temple même de Dieu par les amis et les serviteurs du divin Sauveur, et pourtant, il faut bien le dire: que d'abominations se commettent dans le Sanctuaire!

Mais fermons le voile, et prions plutôt la miséricorde incarnée dans le divin Cœur de Jésus, de vouloir bien se répandre sur tant d'âmes qui l'oublient et qui l'offensent, et de nous pardonner à nous-mêmes la né­gligence que nous avons mise à accomplir notre sublime vocation.

Pratiquons désormais avec le plus grand zèle, la vertu de religion en­vers la sainte Eucharistie.

Contemplons Jésus anéanti devant son Père dans le Saint-Sacrement. Les actes sublimes d'adoration qu'il pratique en son Cœur, font et fe­ront a jamais le ravissement éternel des bienheureux. Plus que personne, il connaît la grandeur de la divinité et son droit unique de régner sur tous les êtres. Oh! que Jésus remplit avec amour et respect ce devoir reli­gieux envers Dieu son Père, et comme il y appelle les âmes! Il veut qu'el­les communient à son état d'hostie et d'holocauste qui est la parfaite adoration.

C'est dans sa vie eucharistique que le Sacré-Cœur veut surtout être honoré et consolé: «Un de mes plus rudes supplices, disait la bienheu­reuse Marguerite-Marie, c'était lorsque ce divin Cœur m'était repré­senté avec ces paroles: J'ai soif, mais d'une soif si ardente d'être aimé des hommes au Très Saint Sacrement, que cette soif me consume; et je ne trouve personne qui, selon mon désir, s'efforce de me désaltérer en rendant quelque retour à mon amour».

C'est pour répondre à cette douloureuse plainte que l'humble vierge de Paray s'efforça de donner à la dévotion et à la réparation au Sacré-Cœur de Jésus une forme qu'on peut appeler eucharistique.

Résolution. - Je suis confus, ô mon bon Maître, de toutes mes froi­deurs et de toutes mes fautes, je ne sais que vous dire. je crois, j'adore, augmentez ma foi, enflammez mon cœur pour qu'il devienne enfin vo­tre consolateur.

QUATRIEME MEDITATION

DE L'ESPRIT DE LA REPARATION EUCHARISTIQUE

Il y a trois espèces principales de réparations. L'une consiste à réparer nommément pour telle personne, en pratiquant tels ou tels actes de ver­tus contraires aux vices de cette personne. Cette espèce de réparation est sujette à l'illusion et ne peut être conseillée en règle générale. Cependant le Sacré-Cœur de Jésus peut la demander à certaines âmes hautement favorisées par lui.

La seconde espèce de réparation consiste dans les mortifications et les pénitences extérieures. Elle est toujours nécessaire dans une certaine mesure, mais elle n'est pas le but principal de la dévotion au Sacré-­Cœur. C'est par le cœur qu'il faut surtout réparer les blessures du cœur. Cependant le Sacré-Cœur de Jésus pourrait demander des péni­tences extérieures plus grandes à quelques âmes vouées à son Cœur; leurs directeurs pourraient les y autoriser s'ils avaient une preuve mani­feste de la volonté divine, et que ces pratiques n'offrissent aucun danger, celui de l'orgueil par exemple ou de la singularité.

Mais la réparation qui nous est surtout demandée, et où le Saint­-Esprit pusse aujourd'hui les âmes, est la réparation eucharistique pro­prement dite. Elle s'appuie sur deux principes: 1° Le Sacré-Cœur de Je-sus dans la sainte Eucharistie est le seul vrai réparateur, de même que lui seul est l'organe véritable de l'amour et de l'action de grâces. 2° Nous nous associons au divin Cœur de Jésus pour ce grand office de la répara­tion, en remarquant bien que c'est à nous, aidés par sa grâce, à présen­ter l'eau de nos dispositions dans nos cœurs, et que c'est à son amour à les transformer en actes d'amour généreux, comme le vin miraculeux de Cana.

Les dispositions que nous devons avoir pour bien remplir notre mis­sion de réparateurs sont négatives, c'est-à-dire qu'elles écartent les obs­tacles, et positives, c'est-à-dire qu'elles forment des actes réels. Les dis­positions négatives consistent à écarter l'attachement aux créatures par le renoncement, et l'amour-propre par l'abnégation et l'humilité. Toute affection déréglée, tout acte volontaire provenant de cette affection, nous empêcheraient de correspondre à notre vocation. Mais, afin de faciliter ce renoncement, qui est la mort à la nature, et à nous-mêmes, méditons souvent les amabilités et les bienfaits du bon Maître, pour commencer à faire des actes d'amour ardent au Sacré-Cœur de Jésus et à régler notre intérieur par son amour.

Les dispositions positives consistent: 1° dans l'acte d'abandon à ce Sacré-Cœur de Jésus, par lequel nous sommes disposés à recevoir tout ce qu'il nous enverra pour sa plus grande gloire et pour son amour; 2° dans l'exercice de la contemplation, par lequel nous nous unissons à lui, afin d'accomplir toutes ses volontés et d'être ses instruments dociles. Ces dispositions doivent toujours être dans notre cœur et s'y perfectionner, pendant que nous accomplissons les actes propres de la réparation eu­charistique dont nous allons parler.

Nous avons déjà parlé de la dignité et du mérite infini de la très sainte Messe. Le sacrifice eucharistique est l'acte souverain d'amour, de répa­ration et d'action de grâces, en même temps qu'il est un acte de prière. Formulons l'intention d'offrir toujours la sainte Messe pour la plus grande gloire et le plus grand amour du Sacré-Cœur de Jésus en même temps que pour l'intention spéciale de chaque jour.

Nous nous associons de tout notre cœur au Sacré-Cœur de Jésus s'of­frant et s'immolant à son Père. Du reste le Sacré-Cœur de Jésus n'est rien autre chose que l'amour, la réparation et l'action de grâces vivantes et incarnées. Cette association se fait d'une manière plus ou moins par­faite, selon que nous le voulons avec plus ou moins de force, plus ou moins d'amour. Tout notre cœur devrait s'abîmer dans cette union sa­cerdotale au Sacré-Cœur de Jésus prêtre et victime. C'est l'exercice le plus sublime, le plus fécond, celui qui nous soustrait davantage à nous­-mêmes et aux créatures, et qui obtient toujours son effet, pourvu que nous soyons en état de grâce.

L'union au sacerdoce du Sacré-Cœur de Jésus, l'offrande sacerdotale que nous faisons de lui et de nous avec lui, si elle se fait avec un amour réel et une grande confiance, efface à l'instant tous nos péchés véniels, parce qu'elle est un acte d'amour parfait; elle paralyse nos mauvaises dispositions et nous met à même de rendre, en effet, une très grande gloire, un très grand amour et une très efficace réparation au Sacré­-Cœur de Jésus.

Ex opere operato, toute Messe, fût-elle célébrée par un prêtre indigne, est essentiellement un acte infini d'amour, de réparation et d'action de grâces de la part de Notre-Seigneur; mais quand nous nous associons à ces dispositions sacerdotales du Sacré-Cœur de Jésus par un acte positif et personnel, nous obtenons ex opere operantis, des grâces incalculables destinées à former le Cœur mystique de Jésus dans l'Eglise.

Voilà comment il se fait, comme nous l'avons dit, que la très sainte Messe est notre dévotion spéciale et notre élément. Peut-être avons-nous beaucoup de négligences à nous reprocher sous ce rapport? Soyons per­suadés que leur correction sera un des fruits les plus excellents de cette retraite. Mais afin de rendre notre union bien réelle au Cœur sacerdotal de Jésus, il nous faut lui être unis par l'exercice de la contemplation con­tinue.

L'exercice de l'Heure Sainte, recommandé par Notre-Seigneur lui­-même à la bienheureuse Marguerite-Marie, doit se faire dans l'intention de réparer les fautes, les oublis, les indifférences et les ingratitudes des âmes chrétiennes. Par l'exercice de l'Heure Sainte, nous devenons réel­lement les anges consolateurs du Sacré-Cœur de Jésus. Ah! si nous pou­vions transformer tout notre cœur en amour compatissant pour le Sacré-Cœur de Jésus! Que ce soit là tout notre désir! Et pendant ce saint exercice, unissons-nous à la sainte Vierge, à saint Jean, à la bienheureu­se Marguerite-Marie et au Sacré-Cœur de Jésus lui-même pleurant et gémissant sur nos crimes, et cette union nous attirera les meilleures grâces réparatrices.

L'adoration du Sacré-Cœur de Jésus dans son Sacrement exposé est aussi un des principaux exercices de réparation. De notre temps, le Saint-Esprit pousse avec une force toute divine l'Eglise à prendre sou­vent comme objet de contemplation le très Saint Sacrement exposé sur nos tabernacles.

Rome qui est la directrice de la vraie piété a adopté cet exercice avec une telle splendeur qu'il prime tous les autres. Et de là, il s'est répandu dans l'univers entier. Les expositions du Saint Sacrement se sont multi­pliées à l'infini. Plusieurs instituts religieux ont le Saint Sacrement expo­sé chaque jour; d'autres, chaque semaine. La divine victime est l'objet de leurs contemplations les plus fréquentes.

Pour les amis du Sacré-Cœur de Jésus, ils n'oublient pas de contem­pler surtout dans l'humanité sainte du Sauveur, la source et le fonde­ment de tout le reste, l'amour, le Cœur même de Jésus. Il n'y a pas, après la très sainte Messe, d'exercice qui l'importe en mérite et en effica­cité sur celui-là.

Dans le très Saint Sacrement, la prière du Cœur de Jésus, cette prière qui est tout amour, réparation, action de grâces, dure toujours, ardente, brûlante, toute puissante, capable de tout réparer. Sachons donc nous unir à elle, la prendre, la mettre dans notre cœur, afin qu'il vive de cette vie d'amour et d'immolation, et qu'il s'y consume comme la lampe du sanctuaire.

Tels sont les sentiments qui doivent nous inspirer, quand nous nous présentons à l'adoration du Sacré-Cœur de Jésus dans le Saint Sacre­ment.

Notre adoration ne réclame pas toujours beaucoup de paroles; il y a aussi des moments de silence qui sont éloquents par eux-mêmes. Rien de plus beau et de plus touchant que l'union à ce Cœur toujours silencieux et toujours agissant pour nous. Saint Alphonse de Liguori dit que cette prière au divin Sacrement produit quelquefois des grâces sensibles com­me la sainte Communion elle-même. Dans cette adoration, c'est l'ami qui parle à son ami des intérêts de son amour et de sa gloire.

Enfin, nous ne pouvons oublier que cette dévotion au Sacré-Cœur de Jésus a pris naissance au milieu d'une adoration faite au très Saint Sa­crement. C'est par le moyen de cet exercice qu'elle se répandra, se forti­fiera et deviendra l'organe tout-puissant de l'amour, de la réparation et de l'action de grâces.

Résolution. - Bon Maître, je comprends que des exercices accomplis avec tiédeur ne sont pas une réparation, mais une nouvelle offense à vo­tre divin Cœur; changez mon cœur, rendez-le fervent, je vous en sup­plie de toutes mes forces.

CINQUIEME MEDITATION

REPARATION ET IMMOLATION

La réparation doit être unie à l'amour dans la dévotion au Sacre­-Cœur.

«Une des fins principales de la dévotion au Sacré-Cœur, dit Léon XIII, c'est la réparation, qui consiste à expier par nos hommages d'ado­ration, de pieté et d'amour, le crime d'ingratitude, si commun parmi les hommes, et à apaiser la colère de Dieu par le Sacré-Cœur» (Lettre apost. 28 juin 1889).

Cette réparation doit se faire surtout par l'amour, qui est formelle­ment opposé à l'ingratitude; mais Notre-Seigneur demande aussi à quel­ques âmes la réparation par la souffrance, comme un holocauste à sa ju­stice.

I. Réparation par l'amour et par les mérites du Sacré-Cœur

«Mon amour, disait Notre-Seigneur à la bienheureuse Marguerite­ Marie, m'a fait tout sacrifier pour les hommes, sans qu'ils me rendent du retour… Ils n'ont que des froideurs et du rebut pour tous mes em­pressements à leur faire du bien; toi, du moins, donne-moi ce plaisir de suppléer à leur ingratitude par les mérites de mon Sacré-Cœur, autant que tu en seras capable».

«Pour ranimer la charité si refroidie et presque éteinte dans la plupart des chrétiens, disait la Bienheureuse au P. Croiset, Notre-Seigneur veut leur donner, par cette dévotion, un moyen d'aimer Dieu par ce Sacré-Cœur, autant qu'il le désire et qu'il le mérite, et de réparer par là leurs ingrati­tudes».

Le culte de réparation que Notre-Seigneur attend de nous, doit donc procéder de l'amour, mais d'un amour allumé dans son Cœur et jaillis­sant de cette divine fournaise; d'un amour qui ne se contente pas d'af­fections ou de sentiments, mais qui passe aux actes les plus généreux des vertus chrétiennes et à la patience dans les épreuves. Dans le Cœur de Jésus nous puiserons ce précieux supplément de la charité, qui seule peut lui rendre nos réparations agréables.

Nous offrirons avant tout le Sacré-Cœur de Jésus lui-même à son Pè­re, comme victime de réparation, et nous y ajouterons la goutte d'eau de nos petites réparations.

Notre-Seigneur a demandé à la Bienheureuse des réparations spécia­les pour les péchés commis contre la sainte Eucharistie: «Je ne reçois, lui dit-il, de la plupart des hommes que des ingratitudes par leurs irrévéren­ces et leurs sacrilèges, par les froideurs et les mépris qu'ils ont pour moi dans ce sacrement d'amour. C'est pour cela que je te demande qu'on ré­pare les indignités que mon Cœur reçoit sur les autels».

Il lui a demandé aussi des réparations pour les outrages faits à son Cœur par les personnes consacrées à Dieu: «Je ne reçois de la plupart des hommes que de l'ingratitude, lui dit Notre-Seigneur, mais ce qui m'est le plus sensible, c'est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi». - «Les autres, dit-il une autre fois, se contentent de frapper sur mon corps; ceux-ci attaquent mon Cœur, qui n'a jamais cessé de les aimer».

A cette occasion, Notre-Seigneur se montre tout sanglant et couvert de blessures. Il souffre des communions mal faites, il souffre des actes d'orgueil, il souffre de la tiédeur des âmes consacrées.

Combien ces plaies douloureuses de Jésus doivent exciter notre com­passion!

Marguerite-Marie n'a pas été seulement une victime d'amour, Notre­Seigneur lui a demandé encore de s'offrir comme victime d'expiation à la justice divine.

Il lui proposa ces deux voies: une vie d'amour toute consolée et une vie de souffrance toute crucifiée. Comme il la pressait de choisir, elle s'y refusa et lui remit le choix par déférence à sa volonté et à ses desseins, et Notre-Seigneur choisit pour elle la vie crucifiante.

«Je cherche pour mon cœur, lui dit-il une autre fois, une victime, la­quelle se veuille sacrifier à l'accomplissement de mes desseins, comme une hostie d'immolation».

Et elle ajoute: «Mon aimable Sauveur ne me donna point de repos jus­qu'à ce que, par l'ordre de l'obéissance, je me fusse immolée à tout ce qu'il désirait de moi, qui était de me rendre une victime immolée à tou­tes sortes de souffrances, d'humiliations, de contradictions, de douleurs et de mépris, sans autre prétention que d'accomplir ses desseins».

Résolution. - O mon Sauveur, je ne vous demande pas la faveur d'être une victime spéciale de votre justice, ce serait téméraire; mais je vous de­mande l'esprit de réparation qui se manifeste par une vie d'abandon, de sacrifice et d'amour.

SIXIEME MEDITATION

HOSTIE D'AMOUR

Notre-Seigneur veut aussi des victimes d'amour, dont la plus grande souffrance soit de compatir aux douleurs du Sacré-Cœur.

Les Saints du Calvaire, la sainte Vierge Marie, saint Jean et sainte Madeleine n'ont pas eu d'autre martyre que celui de la compassion. Il y a des âmes qui s'absorbent dans l'amour et ne pensent pas à dési­rer les souffrances pour expier les péchés du monde. Telle une jeune car­mélite, la Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus, morte en odeur de sainteté au carmel de Lisieux le 30 septembre 1897.

Ces âmes, bien entendu, pratiquent l'abandon à Dieu et le sacrifice; elles acceptent et elles aiment les croix que Notre-Seigneur envoie; mais elles ne lui demandent pas à être conduites spécialement par la voie des souffrances.

«Oh! qu'elle est douce la voie de l'amour, s'écriait la petite Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus! … Je n'ai plus aucun désir, si ce n'est d'aimer Jésus à la folie! Oui, c'est l'amour seul qui m'attire. Je ne désire plus la souffrance, ni la mort, et cependant je les chéris toutes deux. Longtemps je les ai appelées comme des messagères de joie… J'ai possédé la souf­france et j'ai cru toucher le rivage du ciel. J'ai cru dès ma plus tendre jeunesse que la petite fleur serait cueillie en son printemps; aujourd'hui c'est l'abandon seul qui me guide, je n'ai pas d'autre boussole. Je ne sais plus rien demander avec ardeur, excepté l'accomplissement parfait de la volonté de Dieu sur mon âme.

«Sans doute, dit-elle, on peut tomber, dans cette voie, on peut com­mettre des infidélités; mais l'amour, sachant tirer profit de tout, a bien vite consumé tout ce qui peut déplaire à Jésus, ne laissant plus au fond du cœur qu'une humble et profonde paix» (Sa vie, publiée par le Carmel de Lisieux).

«Je comprends, écrit la petite sainte, que toutes les âmes ne peuvent pas se ressembler; il faut qu'il y en ait de différentes familles, afin d'ho­norer spécialement chacune des perfections divines. A moi, il a donné sa miséricorde infinie, et c'est à travers ce miroir ineffable que je contemple ses autres attributs. Alors tous m'apparaissent rayonnants d'amour. Quel­le douce joie de penser que le Seigneur est juste, c'est-à-dire qu'il tient compte de nos faiblesses, qu'il connaît parfaitement la fragilité de notre nature! De qui donc aurais-je peur? Le bon Dieu infiniment juste, qui daigne pardonner avec tant de miséricorde les fautes de l'enfant prodi­gue, ne doit-il pas être juste aussi envers moi, qui suis toujours avec lui?

«En l'année 1895, j'ai reçu la grâce de comprendre plus que jamais combien Jésus désire être aimé. Pensant un jour aux âmes qui s'offrent comme victimes à la justice de Dieu, afin de détourner, en les attirant sur elles, les châtiments réservés aux pécheurs, je trouvai cette offrande grande et généreuse, mais j'étais bien loin de me sentir portée à la faire.

«O mon divin Maître! m'écriai-je au fond du cœur, n'y aura-t-il que votre justice à recevoir des hosties d'holocauste? Votre amour miséricordieux n'en a-t-il pas besoin lui aussi?… O mon Dieu, votre amour méprisé va­t-il rester en votre cœur? Il me semble que si vous trouviez des âmes s'offrant comme victimes d'holocauste à votre amour, vous les consume­riez si rapidement que vous seriez heureux de ne pas comprimer les flammes de tendresse infinie qui sont renfermées en vous».

C'est le 9 Juin 1895 que la petite sainte s'offrit en hostie d'amour. «Ma Mère, écrit-elle, vous savez les flammes, ou plutôt les océans de grâces qui vinrent inonder mon âme aussitôt après ma donation. Depuis ce jour, l'amour me pénètre et m'environne; à chaque instant cet amour miséricordieux me renouvelle, me purifie et ne laisse en mon cœur aucune trace de péché…»

Citons la conclusion de son offrande: «Afin de vivre dans un acte de parfait amour, je m'offre comme victime d'holocauste à votre amour miséricor­dieux, vous suppliant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en vous, et qu'ainsi je devienne martyre de votre amour, ô mon Dieu! Que ce mar­tyre, après m'avoir préparée à paraître devant vous, me fasse enfin mou­rir, et que mon âme s'élance sans retard dans l'éternel embrassement de votre miséricordieux amour! - Je veux, ô mon Bien-aimé, à chaque battement de mon cœur, vous renouveler cette offrande un nombre in­fini de fois, jusqu'à ce que, les ombres s'étant évanouies, je puisse vous redire mon amour dans un face-à-face éternel!!!».

Résolution. - Et moi, ô mon Sauveur, que vous offrirai-je? Dites-le moi, guidez-moi. je veux au moins m'appliquer à vivre dans l'esprit d'abandon, de sacrifice et d'amour, qui est l'esprit d'immolation en union avec l'Hostie du Tabernacle.

CINQUIEME MYSTERE

Vie d'action de grâces

PREMIERE MEDITATION

CARACTERE DE L'ACTION DE GRACES
DANS LA DEVOTION AU SACRE-CŒUR DE JESUS

La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus comprend surtout les trois grands actes qui forment comme la vie même de ce Cœur divin: l'amour, la réparation et l'action de grâces. En terminant le cours de ces méditations, il est bon de revenir sur ces considérations fondamentales et d'en faire la synthèse après les avoir méditées comme elles se présen­taient dans la Couronne du Sacré-Cœur.

Les quatre actes principaux qui constituent la fin du sacrifice sont: l'adoration, la supplication, la réparation et l'action de grâces.

Dans le Sacré-Cœur de Jésus, ces actes sont, non seulement la fin, mais comme l'essence même du sacrifice. Dans les mystères de l'Incar­nation et de la Passion, des actes extérieurs se sont joints nécessairement à ces actes intérieurs; mais, dans l'Eucharistie, la vie intérieure seule subsiste, et les quatre actes en question constituent toute la vie de sacrifi­ce de ce divin Cœur et sont comme l'essence de la très Sainte Messe.

Nous reproduisons ces mêmes actes en nous-mêmes, et nous les diri­geons immédiatement vers le Sacré-Cœur de Jésus. Au fond, tous ces actes se résument dans l'amour. De même que Dieu est tout amour, on peut dire que Jésus-Hostie est tout amour; et dans ce sens aussi, toute la vie chrétienne, toute la vie réparatrice en union avec le Cœur de Jésus, se ramène à la charité: Caritas est vinculum perfectionis. La réparation, l'ac­tion de grâces, la prière elle-même sont des formes diverses de la charité. La prière pour nous-mêmes est encore un acte de charité, quand nous la faisons selon les intentions de Notre-Seigneur et en nous abandonnant à sa Providence.

L'action de grâces doit terminer ce rosaire que l'oblation a commen­cé; elle est initiale sur la terre, mais elle doit se prolonger dans le ciel. Quant à la réparation, elle durera même dans le ciel, tant qu'il y aura des hommes sur la terre, mais sans expiation. L'action de grâces corres­pond directement aux mystères de l'Eucharistie, car le mot grec Euchari­stie signifie action de grâces. On voit Notre-Seigneur Jésus-Christ rendre grâces à Dieu dans tous ses mystères principaux, mais surtout au mo­ment où il institua l'Eucharistie: Grattas egit. Son Cœur lui-même est une action de grâces continuelle qui s'est répandue comme un parfum dans ce Sacrement d'amour. Aussi, quand nous célébrons la sainte Mes­se, nous élevons les mains et les yeux au ciel pour dire: Grattas agamus Do­mino Deo nostro. Rendons grâces au Seigneur notre Dieu; offrons-lui ce qu'Il attend de nous, l'amour du Cœur de son Fils qui est l'action de grâces continuelle.

Mais en quoi consiste cet acte si important, dans le Cœur de Jésus d'abord et puis dans le nôtre?

Dans le Sacré-Cœur de Jésus l'action de grâces est un acte d'amour rendu à Dieu pour l'amour qu'il a témoigné à son divin Fils et à nous en lui donnant surtout un Cœur capable de rendre à son Père une gloire in­finie et d'assurer aux hommes la participation à la divinité par l'adop­tion divine que nous recevons spécialement en communiant au Sacre­ment d'amour. Nous trouvons la formule divine de cette action de grâ­ces du Sacré-Cœur de Jésus dans la prière de Notre-Seigneur après la Cène, dont nous extrayons les passages suivants: Et pro eis sanctifico meip­sum ut sint ipsi sanctificati in veritate, c'est-à-dire: je m'offre, je m'immole par amour, afin de les unir à la sainte oblation de mon Cœur.

Non pro eis rogo tantum, sed et pro eis qui credituri sunt per verbum eorum in me, ut omnes unum sint, sicut tu, Pater, in me, et ego in te, ut et ipsi in nobis unum sint… Je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous les croyants de l'avenir, pour qu'ils soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en moi et moi en vous, pour qu'il soient un en nous. Je suis en eux et vous en moi, pour qu'ils soient consommés dans l'unité, et que le monde recon­naisse que vous m'avez envoyé et que vous les avez aimés comme vous m'aimez moi-même».

Ces paroles divines, auxquelles on ne fait pas assez attention, nous ré­vèlent quelque chose du cantique d'action de grâces du Sacré-Cœur de Jésus. Il se réjouit de voir son amour vivant dans nos cœurs, il se réjouit de notre union, par l'amour de son Cœur, avec Dieu lui-même, de no­tre sanctification par l'Incarnation et la Passion, et de sa consommation par l'Eucharistie. Voilà comment il devient, dans l'auguste Sacrement, l'action de grâces vivante et perpétuelle qui aime, répare et sanctifie.

Mais quelle doit être l'action de grâces dans nos cœurs? L'Eglise nous en trace la formule exacte dans le Gloria in excelsis Deo: «Gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam: Nous vous rendons grâces pour votre grande gloire. Or la grande gloire de Dieu sur la terre, c'est le Cœur sacré de Jésus, c'est l'amour avec lequel Notre-Seigneur aime son Père, c'est aussi l'amour avec lequel il nous aime, c'est sa glorification produite en nous; ce sont les mystères ineffables de l'Incarnation, de la Passion et de l'Eucharistie. La gloire de Dieu, c'est le sacrifice du divin Cœur de Jésus auprès duquel toute autre glorification divine, sur la terre, est acces­soire et accidentelle.

Nous tenons ici à faire remarquer la connexion intime de l'action de grâces avec la réparation. Quel est l'objet propre de la réparation? N'est-ce pas l'ingratitude? Or, qu'est-ce que l'ingratitude, sinon le man­que de reconnaissance et d'action de grâces? Par conséquent l'action de grâces travaille de son côté à arracher les épines qui percent le Cœur de Jésus, et elle est par elle-même essentiellement réparatrice.

Et comme c'est le Cœur de Jésus présent lui-même dans la sainte Eu­charistie qui est l'organe de cet acte vraiment divin, nous nous unissons à lui pour répéter avec la sainte Eglise: Gratias agamus Domino Deo nostro per Cor Jesu et in Corde Jesu et cum Corde Jesu: Rendons grâces au Seigneur notre Dieu par le Cœur de Jésus, dans le Cœur de Jésus et avec le Cœur de Jésus.

Résolution. - Cœur de Jésus, soyez vous-même mon action de grâces. «Que rendrai-je au Seigneur pour tous ses bienfaits? Je prendrai le calice et j'offrirai à Dieu le sang du Cœur de Jésus».

DEUXIEME MEDITATION

L'ACTION DE. GRACES EN UNION
AVEC LE SACRE-CŒUR DE JESUS

Après la communion, nous dit le P. Croiset, nous devons entrer dans ce Cœur sacré qui nous est ouvert, afin d'apprendre à prier, à remercier notre Dieu, à le louer, à nous anéantir en sa présence, mais surtout à l'aimer. Que de merveilles Jésus-Christ n'opère-t-il pas en ces précieux moments dans une âme pure qui a une tendre dévotion au Sacré-Cœur et qui l'aime véritablement! Profitons de la divine présence, tenons-nous dans un grand recueillement, écoutons Notre-Seigneur et laissons faire la grâce».

La première occupation d'une âme, en ce temps là, doit être de s'abandonner entièrement à l'amour de son divin Sauveur, et de jouir doucement de sa présence. On se tait ordinairement devant Jésus, quand on l'aime beaucoup, et l'on se contente de lui témoigner son amour par des actes intérieurs et fervents. Sainte Madeleine, en admira­tion aux pieds du Sauveur, est le modèle d'une âme qui vient de commu­nier. Si cette âme parle, il faut que ses paroles ne soient que des expres­sions de son amour, de son admiration et de sa joie, comme celles-ci: «J'ai trouvé celui que mon cœur aime, je le tiens et je ne me séparerai jamais de lui». - «Mon Dieu et mon tout!» - «Mon Bien-aimé est à moi, et je suis tout à lui».

Puis l'âme se tient en adoration, avec un profond respect mêlé d'éton­nement de voir ce Dieu de Majesté, devant qui les séraphins tremblent, s'abaisser jusqu'à venir loger dans le cœur d'un pauvre pécheur. «Après la réception de ce pain d'amour, dit la Bienheureuse, je demeure anéan­tie devant mon Dieu, mais avec une si grande joie, que je passe quelque­fois un demi quart-d'heure, pendant lequel tout mon intérieur est dans le silence et dans un profond respect pour entendre la voix de celui qui fait tout le contentement de mon âme. Rien n'est capable de donner une plus grande joie sensible que ce pain d'amour».

«Vous l'offrirez à son Père éternel, dit la Bienheureuse, pour votre ac­tion de grâces, pour remerciement, louange, adoration et amour, le priant de réparer à ce moment tous les défauts de votre vie passée, de consommer en vous tous ses desseins et d'y accomplir toutes ses volon­tés».

Puis vous inviterez toutes les créatures à le bénir avec vous; vous lui offrirez l'amour qu'ont pour lui tous les Bienheureux, et la ferveur avec laquelle tant de saintes âmes communient.

Et tâchant d'entrer alors dans les sentiments du Cœur de Jésus, vous considérerez: ce qu'il peut trouver en vous qui lui déplaît, quels sont les desseins qu'il a sur vous, ce qu'il veut que vous fassiez et ce qui peut em­pêcher que vous ne fassiez sa volonté.

Exposons au bon Maître avec beaucoup de confiance et de sincérité nos faiblesses, nos misères et nos besoins: «Celui que vous aimez est ma­lade», pouvons-nous lui dire avec Marthe. «Seigneur, puis-je douter de votre amour, après ce que vous avez fait pour moi, après ce que vous ve­nez de faire? Si vous m'aimez, pouvez-vous voir mes infirmités sans les guérir? Mais surtout pouvez-vous voir que je vous aime si peu, sans em­braser mon cœur du feu sacré de votre amour? Quand vous voudriez me refuser tout le reste, pourriez-vous ne pas m'accorder votre amour? Je sais que j'ai mis de grands obstacles aux desseins que vous avez de me faire du bien, mais commencez, s'il vous plaît, par ôter vous-même ces obstacles».

Enfin, ne manquons jamais, à chaque communion, de faire au Cœur de Jésus quelque sacrifice qui puisse lui être agréable, en lui promettant de nous appliquer à corriger quelque défaut que nous savons lui déplaire davantage.

Souvenons-nous de plus que nous ne ressentirons jamais les effets sen­sibles de la communion, si nous n'avons soin de passer le reste du jour dans un grand recueillement intérieur.

Heureux mille fois ceux qui s'approchent de la Table sainte avec ces dispositions! Combien leurs communions consoleront le Cœur de Jésus! Et quels fruits merveilleux de sanctification elles produiront en eux!

Une fois, Notre-Seigneur fit voir à la Bienheureuse trois personnes qui allaient communier avec ferveur, et il lui dit: «Je leur donnerai trois baisers: de paix, d'amour et de confiance». Ce sont les trois principaux fruits de la communion.

Résolution. - O mon Sauveur, je réglerai mon action de grâces sur ces conseils. Et vous, donnez-moi votre amour, donnez-moi de vous aimer tendrement et fortement, donnez-moi ces trois baisers, de paix, d'amour et de confiance.

TROISIEME MEDITATION

DE L'ACTION DE GRACES
APRES LA SAINTE MESSE
ET LA SAINTE COMMUNION

Le fidèle et surtout le prêtre voué au Sacré-Cœur de Jésus doit aimer ce divin Cœur en réparant les outrages que la malice des hommes et l'ingratitude des âmes lui font endurer. Il doit aussi rendre grâces au Sacré-Cœur de Jésus de son grand amour pour nous, et de la sanctifica­tion que cet amour opère dans nos âmes. Qu'il le remercie surtout d'avoir bien voulu révéler à l'Eglise la dévotion à son Cœur très aimant, à cause de l'honneur qui lui en revient et des actes d'amour qui, com­mencés sur la terre, ne finiront plus désormais et le consoleront pendant toute l'éternité: In serais suis consolabitur Deus. C'est pour cueillir cet amour que Jésus est descendu sur la terre; il est donc bien juste et raison­nable qu'il le récolte.

L'action de grâces nous inspirera donc une joie immense de ce que le divin Cœur de notre ami et de notre frère commence à être loué, connu et aimé; mais, à ce sentiment s'enjoindra un autre, la louange aimante: «Je puis oser tout pour louer et aimer ce divin Cœur, il est au-dessus de toute louange et de tout amour: Quantum potes, tantum aude, quia major omni laude, nec laudare sufficis». Qui pourra jamais égaler la louange et l'amour aux bienfaits? Ce Cœur se donne lui-même à nous, il nous don­ne son Eglise, il nous donne sa très sainte Mère, il nous donne ses sacre­ments; et ses bienfaits ne décèlent qu'une partie de l'amour qu'il a pour nous. Ah! qu'il est aimant, qu'il est aimable: Quid retribuam Domino? Que lui rendrai-je? Ah! je prendrai son calice, je l'élèverai vers le ciel avec son Cœur précieux, la source et le canal de tout amour et de tout don parfait. Et s'il veut m'enivrer du calice des souffrances, je l'accepterai avec amour, car l'action de grâces me révèle que les souffrances aussi peuvent être un don de son amour. La croix, elle aussi, est un sacrement d'amour.

Ces effusions amènent avec elles un complet oubli de soi-même: en fa­ce de tant d'amour, on n'a pas le temps de songer au peu que l'on croit faire. Les âmes ingrates et intéressées ont seules le triste courage de s'amuser à faire des retours continuels sur elles-mêmes. Et l'oubli de soi-­même inspire un désir de plus en plus grand de nous montrer reconnais­sants envers le Sacré-Cœur de Jésus, de nous épuiser pour lui, de mou­rir pour lui, s'il le faut; en un mot de nous consumer, suivant l'expres­sion de la bienheureuse Marguerite Marie.

Et ce désir engendre à son tour la vraie générosité qui sait donner et se donne avec des mouvements de joie, sans ouvrir les yeux sur elle-même.

Le prêtre en particulier et tout apôtre du Sacré-Cœur a un moyen puissant de témoigner sa reconnaissance envers le Sacré-Cœur de Jésus: c'est la sanctification des âmes par la prière, par les sacrements, par la prédication et celle surtout qui a pour objet le Sacré-Cœur de Jésus. Il se dira: «Ce n'est pas assez de mon cœur, il faut que j'entraîne avec moi tous les cœurs à l'amour de celui qui nous a tant aimés», et il ira les chercher par sa prière ardente, et s'il y a des obstacles, son cœur sera as­sez généreux pour les surmonter, car le Sacré-Cœur de Jésus ne sait rien refuser à un cœur qui est vraiment reconnaissant et aimant.

Dans l'administration des sacrements, l'action de grâces donne une force toute particulière au prêtre qui sait s'en servir. Si nous voulons ar­racher une âme au péché, demandons-la à ce divin Cœur pour qu'il en fasse un trophée de son amour; pourra-t-Il nous la refuser? C'est ainsi que nous ferons couler des trésors de grâces sur ces pauvres âmes qui ont un si grand besoin de miséricorde au saint tribunal de la pénitence, et au dernier passage, quand elles doivent recevoir l'Extrême-Onction, der­nier témoignage de la tendresse du Sacré-Cœur de Jésus sur cette âme qui va partir de ce monde.

La pratique de l'action de grâces fait que le cœur, étant lui-même di­laté, dilate facilement les cœurs qui subissent son action. Enfin, ce feu qui divinise un cœur d'apôtre, l'ardent désir qu'il a de témoigner quel­que retour au Cœur tout aimable de Jésus, lui donnera dans la prédica­tion et les exercices du zèle une éloquence, une chaleur vraiment divi­nes. Il ne se prêchera pas lui-même, il prêchera le Cœur de Jésus. «Oh! quand donc, s'écriera-t-il, ce divin Cœur pourra-t-il dire en toute véri­té: mon amour est dans tous ces cœurs que j'ai rachetés et moi en eux! Quand donc sera-t-il donné aux cœurs consacrés surtout de goûter les suavités du Cœur de Jésus, de l'exprimer en eux, en ne vivant que pour lui!».

Ah! la plus grande peine que nous puissions avoir est celle-là: trouver tant de résistance à l'amour dans notre propre cœur et dans celui de nos frères.

Quant aux peines que ce divin Cœur nous envoie, c'est plutôt un sou­lagement pour une âme qui aime bien, car elle se souvient que le Sacré­Cœur de Jésus rendait grâces des souffrances qu'il endurait. Son amour allait jusque là.

Résolution. - O sacré-Cœur de Jésus, que toute ma vie, selon la paro­le du vénérable curé d'Ars, se passe désormais dans l'action de grâces, dans la reconnaissance et dans l'amour. Amen.

APPENDICE POUR LES PRETRES

Le cardinal de Lugo fait remarquer ceci: Toute matière dans un sa­crement exprimé une grâce essentielle spéciale. Or, dans la sainte Eu­charistie, il y a une matière double: le pain et le vin. Donc une grâce tou­te spéciale est attachée à chacune de ces deux espèces, bien que chacune d'elles contienne tout le corps, tout le sang, toute la divinité, tout le Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Il y a donc une grâce attachée à la Communion du calice, distincte de celle du pain eucharistique, et dont aujourd'hui le prêtre seul peut jouir parce que seul il communie sous l'espèce du vin. Le saint et savant car­dinal ajoute que cette grâce consiste dans l'ivresse spirituelle: et calix meus inebrians quam proeclarus est, dans la joie forte et généreuse: bonum vinum laetificat cor hominum, dans l'action de grâces elle-même, car le prêtre ne trouve pas d'autre moyen d'exprimer sa reconnaissance pour l'amour si grand du Sauveur que de prendre et de boire le calice de son sang: quid retribuam Domino pro omnibus quae retribuit mihi? Calicem salutaris accipiam…

C'est là un bien grand privilège qui fait du prêtre l'organe spécial et officiel de l'action de grâces, comme il l'est de la réparation. C'est pour cela que le Saint-Esprit représente le banquet eucharistique comme un chant de joie, comme le concert du festin de noces: In vote exultationis et confessionis, sonus epulantis. L'espèce sainte du vin produit cette allégresse et ces transports ineffables, parce qu'elle représente d'une manière dis­tincte le Sacré-Cœur de Jésus d'où part le sang et l'amour.

Cette joie divine est un composé de tendresse et de générosité, elle peut aller jusqu'à l'extase, jusqu'à la liquéfaction du cœur.

Elle ne craint pas de se manifester au dehors par des démonstrations extérieures, des chants, des transports de toute espèce. C'est ainsi que David dansait devant l'arche.

Le corps, l'âme, l'intelligence, le cœur, nous devons tout oublier de­vant le Sacré-Cœur de Jésus eucharistique et sacerdotal; puisqu'il de­vient fou d'amour pour nous, pourquoi ne l'imiterions-nous pas dans cette sainte folie?

Les prêtres de la secte janséniste et libérale ne recueillaient et ne re­cueillent dans la sainte Eucharistie qu'une profonde tristesse parce que l'orgueil est maître de leur cœur, parce qu'ils se donnent, les uns à eux­mêmes, les autres au monde et enfin au démon, et que cette communion ne peut engendrer que le dégoût et l'ennui.

Mais le Sacré-Cœur de Jésus n'engendre que la joie, cette joie qui enivrait les martyrs au moment de leurs supplices, cette joie qui ravit hors d'elles-mêmes les âmes d'enfants, pleines de simplicité et de droitu­re et qui est le fruit de la communion au Sang du Sauveur.

Pourquoi les ministres sacrés l'éprouvent-ils si peu souvent? C'est qu'ils recherchent les joies de ce monde, c'est que leur cœur n'est pas avide des ivresses divines dont nous parle le Cantique des cantiques. Plus ils s'oublieront, plus ils s'enivreront au torrent des voluptés du Sacré-Cœur de Jésus, que Catherine Emmerich nous représente dans ses visions sous une multitude de figures charmantes et pleines d'instruc­tions. Pourquoi les âmes ferventes paraissent-elles quelquefois plus rem­plies de la joie eucharistique que nous-mêmes? Le Sacré-Cœur de Jésus leur donne comme récompense de leur générosité, ex opere operantis, ce qu'il nous aurait concédé plus largement, si nous avions égalé et surpas­sé ces saintes âmes dans la voie de l'amour. Notre-Seigneur l'a dit lui­-même à sainte Thérèse et il l'à répété plusieurs fois à Catherine Emme­rich. Cette joie sainte amène avec elle une multitude de grâces actuelles propres à nous faire surmonter les obstacles que nous rencontrons dans l'exercice de la vie sacerdotale et religieuse et du voeu d'immolation. Certaines âmes appelées à la vie de victimes de justice la ressentent d'une manière moins sensible, mais enfin elles la ressentent toujours, et si l'expression de leur joie est moins apparente, la joie n'en est pas moins dans leurs cœurs, souvent même sans qu'elles s'en doutent. Dans ce cas, la joie devient de la paix, cette paix même qui surpasse tout senti­ment.

Résolution. - Pardonnez-moi, ô mon bon Maître, toute la froideur que je vous ai si souvent témoignée après mes communions. J'étais aveugle et égoïste. Je reconnais aujourd'hui toutes vos bontés, et je veux que toute ma vie ne soit plus qu'action de grâces.

QUATRIEME MEDITATION

DE LA PRATIQUE DE L'ACTION DE GRACES
EN CERTAINES CIRCONSTANCES DE LA VIE

Il y a certaines circonstances qui entraînent avec elles la pratique nécessaire de l'action de grâces. En premier lieu, nous devons rendre grâ­ces par une méditation ou plutôt par une contemplation spéciale après la sainte Communion et la célébration des saints mystères.

Saint Alphonse de Liguori insiste en termes très vifs et très énergiques sur cette oraison d'action de grâces. Il en fait dépendre complètement l'œuvre de la sanctification; et Catherine Emmerich compare l'oubli de ce devoir à la trahison même de judas. Aujourd'hui la plupart des prê­tres et des fidèles n'oseraient trop y manquer, mais il est de la plus haute importance de s'en acquitter avec un véritable esprit d'action de grâces. Tout doit se résumer dans une contemplation paisible qui fait fondre no­tre cœur comme le feu fait fondre et évaporer l'encens. Sans cesse nous devons répéter: «O amour, amour, que vous êtes aimable! Gratias agi mus tibi propter magnam gloriam tuam. Votre amour, cet amour qui se donne dans l'Incarnation, qui se donne dans la Passion, qui se donne dans l'Eucharistie, tel sera le thème éternel de nos chants d'action de grâces».

Est-ce que nous ne répèterons pas aussi: Puisse mon cœur s'immoler en retour à ce Cœur qui s'immole toujours?

Voulons-nous avoir un modèle parfait de la vie eucharistique? Con­templons la très sainte Vierge, vivant à Jérusalem et à Ephèse après la Pentecôte. Le Cœur immaculé de Marie est le modèle achevé de l'amour que nous devons avoir pour le Sacré-Cœur de Jésus, c'est le ro­saire même du Sacré-Cœur de Jésus toujours vivant pour l'aimer. A Nazareth, ce Cœur nous représente l'amour vivant tendrement de la présence et des caresses du Sacré-Cœur de Jésus; sur le Calvaire, le Cœur affligé de Marie est le type le plus accompli de la réparation, telle que nous devons la pratiquer; et dans la petite maison de saint Jean, après la Pentecôte, ce Cœur maternel et immaculé ne vit plus que d'ac­tions de grâces. Fecit mihi magna qui potens est et sanctum nomen ejus. La divi­ne Mère, représentant l'Eglise et chacun de nous, ne cesse de remercier le divin Cœur de Jésus de tous ses prodiges d'amour et de celui qui les résume tous, la très sainte Eucharistie dont elle conservait toujours spirituellement les fruits dans son Cœur. Oh! comme elle désirait que ce Cœur fût ardemment connu et aimé! Comme elle bénissait par avance ceux qui le feraient connaître et aimer, et comme nous pouvons répéter avec elle dans le ciel: Quid retribuam Cordi Jesu pro omnibus quae retribuit mihi?

Saint joseph n'a pas été appelé, au moins d'une manière évidente, à la réparation; toute sa vie s'est écoulée dans l'amour et l'action de grâ­ces. Il peut, plus que tout autre saint, nous enseigner cette sainte orai­son, surtout après la très sainte Messe. Et comment saint joseph rendait-il grâces, sinon en s'anéantissant, en s'oubliant, en ne voyant devant lui que le Cœur de Jésus qui était tout l'objet de son amour?

Il y a d'autres occasions où nous devons rendre grâces d'une manière toute spéciale; par exemple, pour une conversion, pour une vocation spéciale, sacerdotale ou religieuse. Comment ne pas nous exhaler tout entiers en hymnes d'amour et de reconnaissance à la vue de cet amour spécial du Sacré-Cœur de Jésus dont nous éprouvons à ce point les ef­fets.

Nous ne pouvons pas nous étendre sur ce point particulier. Les consi­dérations et les développements qu'il appelle, varient pour chaque âme, suivant les faveurs spéciales qu'elle a reçues de la Providence.

Ce qui doit aussi exciter au plus haut point notre amour et notre en­thousiasme, c'est notre vocation à la dévotion du Sacré-Cœur. Par là, nous devenons un vase spirituel, vas spirituale, par le règne de l'amour du Sacré-Cœur de Jésus en nous: un vase honorable, vas honorabile, par l'in­signe honneur que ce Cœur nous fait en nous associant à sa vie répara­trice et en nous marquant du signe salutaire de sa croix; un vase de piété et de tendresse, vas insigne devotionis, parce que nous portons dans nos cœurs sa vie eucharistique, l'organe éternel de l'action de grâces au ciel et sur la terre.

Mais ne considérons pas tant ces privilèges en nous-mêmes, sinon pour être confus d'en avoir si peu profité.

Prions-le, ce divin Cœur, que la phalange des amis de cette dévotion soit vraiment son Cœur mystique, le vase spirituel, d'honneur et de pié­té, qui répande avec abondance et sans mesure le parfum de l'amour sur toute l'Eglise et sur chacun des membres de l'Eglise; car, telle est la mis­sion que lui réserve dans sa bonté et son amour le divin Cœur de Jésus.

Résolution. - Quid retribuam Domino? Que rendrai-je au Seigneur? je l'aimerai, je me dévouerai pour lui, je lui gagnerai des amis.

CINQUIEME MEDITATION

MARIE FERA DE NOUS DES DISCIPLES PARFAITS DU SACRE-CŒUR

En terminant ce mois eucharistique, nous ne pouvons pas oublier de parler de Marie. Il est dans les desseins de Dieu que toutes les grâces nous viennent par Marie, aussi bien les grâces de l'Eucharistie et du Sacré-Cœur que toutes les autres.

C'est par la sainte Vierge que la bienheureuse Marguerite-Marie est arrivée au Sacré-Cœur et souvent dans ses écrits la servante de Dieu nous invite à suivre la même voie.

Dès son enfance, la Bienheureuse avait entendu Notre-Seigneur lui dire: «Je t'ai mise en dépôt aux mains de ma sainte Mère, afin qu'elle te façonne selon mes desseins». Dès lors elle avait promis à Marie le jeûne du samedi et quelques prières quotidiennes.

Un jour qu'on lui ordonnait de demander la santé à Notre-Seigneur, c'est la sainte Vierge qui répondit à sa prière en venant lui dire: «Prends courage dans la santé que je te donne de la part de mon divin Fils, car tu as encore un long et pénible chemin à faire».

Plus tard, Notre-Seigneur lui fit voir trois cœurs indissolublement unis: les cœurs de Jésus et de Marie, et un troisième plus petit, le sien, c'était lui faire voir qu'elle ne devait pas séparer dans son amour le Cœur de Jésus de celui de Marie. Elle ne l'oublia plus.

«Nous ne saurions faire un acte plus agréable à Dieu, écrivait-elle, que d'honorer sa Mère; Marie nous rendra des disciples parfaits du Sacré­Cœur de Notre-Seigneur. Ce divin Cœur veut qu'on demande à la sainte Vierge d'employer son crédit auprès de lui».

«C'est par l'entremise de la Vierge sacrée, raconte la Bienheureuse, que notre Père, saint François de Sales, a obtenu à notre Institut le Sacré-Cœur de Jésus comme puissant protecteur».

Elle vit aussi la sainte Vierge, triomphant du démon en lui arrachant les cœurs des religieuses qui manquaient à la charité et au bon esprit. - Quel exemple touchant pour les communautés religieuses! Par l'entre­mise de cette bonne Mère, elles obtiendront le Cœur de Jésus comme protecteur spécial et seront soutenues contre les efforts du démon.

Il faut cependant que les âmes correspondent aux efforts de Marie, surtout en se détachant des créatures. La sainte Vierge fit voir à la Bien­heureuse une couronne d'âmes qu'elle voulait emmener au ciel. Plu­sieurs restèrent attachées à la terre. Il ne lui en resta que quinze, dont cinq seulement furent reçues comme épouses de son Fils. - Combien il importe de donner tout notre cœur a Jésus, avec l'aide de Marie!

Signalons seulement quelques pratiques spécialement conseillées par la bienheureuse Marguerite-Marie.

La Bienheureuse recommande particulièrement trois choses: l'offran­de de nous-mêmes à Marie; l'union à la sainte Vierge dans nos exercices de piété, et le chapelet. «Le matin, dit-elle, après nous être mis sous la protection de Marie, nous la prierons de nous offrir à Jésus-Christ au Très Saint-Sacrement de l'autel». On peut dire à cette intention la prière très connue: O Domina mea, sancta Maria…

La Bienheureuse recommandait aussi à ses novices le chapelet comme bien agréable à Notre-Seigneur, et la sainte Vierge lui reprocha un jour de le dire étant assise.

Pour l'union à Marie dans la vie intérieure et dans les exercices de piété, nous pouvons la pratiquer à nos pieux exercices de 9 heures et de 3 heures. A 9 heures, nous nous reportons à Nazareth, et avec Marie nous saluons Jésus et nous lui promettons d'imiter sa vie de prière, de travail et de sacrifice. A 3 heures, nous nous reportons au Calvaire et avec Marie nous offrons au Cœur de Jésus notre compassion et nos ré­parations. «Faisons tous les jours, disait la Bienheureuse, une visite inté­rieure à la sainte Vierge sur le mont du Calvaire, pour lui demander sa protection pour bien porter la croix et mourir à nous-mêmes».

Pour la sainte messe, soit dans la préparation, soit dans l'action de grâces, nous nous rappellerons les rapports de Marie avec le sacerdoce de Jésus.

Marie portant Jésus dans son sein ou sur ses bras, n'est-elle pas com­me l'autel sur lequel le Cœur de Jésus s'offrait à Dieu pour nous? Marie n'a-t-elle pas été aussi victime avec Jésus? Non seulement elle a fourni à Jésus la chair et le sang de son sacrifice, mais elle a vraiment partagé ses douleurs. Le glaive dont parla Siméon au jour de la Présen­tation, n'était point un vain symbole. Le cœur de Marie fut réellement déchiré, torturé. Elle souffrit avec Jésus, elle souffrit des souffrances de Jésus, et elle-même s'offrit au Père éternel, pour partager les amertumes du sacrifice rédempteur.

Marie ne peut pas se désintéresser du sacrifice de la messe, qui est le même que celui de la croix. Elle est là en esprit, elle offre encore Jésus, elle a au sacrifice plus de part que le prêtre lui-même. Elle s'unit au prê­tre. Avec lui elle adore, elle remercie, elle répare, elle demande. Comment pourrions-nous oublier Marie à l'autel!

Résolution. - O Marie, ma mère bien-aimée, je me consacre à vous pour toujours. Prenez-moi sous votre protection. Présentez-moi à votre divin Fils, et demandez-lui pour moi la grâce d'un amour ardent et fidè­le pour lui et pour vous.

SIXIEME MEDITATION

CONCLUSION DE TOUTE LA COURONNE
DU SACRE-CŒUR

Ce que doit être la vie d'un ami du Sacré-Cœur de Jésus sur la terre et ce qu'elle sera dans le ciel.

Nous le voyons assez par les trois retraites que nous venons de médi­ter, un ami du Sacré-Cœur de Jésus doit faire revivre complètement en lui le Sacré-Cœur de son ami et de son frère, et il doit aussi devenir une messe perpétuelle par sa vie d'amour et d'immolation. Qu'il soit lui­même le rosaire du Sacré-Cœur de Jésus, comme nous avons dit que le Cœur de Marie l'était!

Chacun des amis du Sacré-Cœur doit reproduire ce divin Cœur d'une manière spéciale et distincte, selon son attrait et le degré où la grâ­ce l'appelle; mais, dans tous, le Sacré-Cœur de Jésus doit vivre; ce Cœur qui aime toujours et qui s'immole toujours; ce Cœur qui s'oublie sans cesse; ce Cœur qui ne se lasse pas de se donner; ce Cœur qui est, il est vrai, le Cœur d'un homme, mais qui est aussi le Cœur d'un Dieu; ce Cœur qui n'a cessé de s'offrir et de se consacrer pour nous et à nous, et qui est le premier, le plus beau et le plus grand des cœurs d'oblats et de victimes d'amour.

Que viendrait donc faire la vie terrestre en nous? Qu'avons-nous de commun avec le monde, ses plaisirs et ses attraits? Il doit être si éloigné de nous que nous ne le voyions plus. Y a-t-il un monde pour celui qui ne vit que du Cœur de Jésus, qui ne pense qu'au Cœur de Jésus et qui peut dire: Le Cœur de Jésus, c'est mon cœur?

Nous possédons le Cœur sacré de Jésus, nous nous unissons à Lui d'une manière mystique et réelle. Il faut, et il est facile, que notre fer­veur ne se ralentisse jamais, parce que le feu du Sacré-Cœur de Jésus ne diminue ni ne s'éteint jamais.

Mais ce qui soutient la ferveur, c'est la confiance. Nous le portons avec nous, ce divin Cœur, et il nous porte, il est toujours prêt à étayer notre faiblesse de toutes ses grâces. Ne craignons pas qu'il nous manque jamais, à moins que nous ne lui soyons infidèles. Notre-Seigneur veut notre confiance: comment ne pas nous confier à son Cœur quand il est tout-puissant et tout miséricordieux? La défiance et le découragement devraient nous être absolument inconnus et ils le seront, si nous nous épanouissons dans l'action de grâces et dans la docilité à nos supérieurs.

La charité mutuelle doit aussi informer notre vie, telle que nous la me­nons avec nos frères. Souvenons-nous des paroles du Seigneur: «Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. Tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres!» Ah! en nous aimant tendrement, nous aimons le Sacré-Cœur de Jésus qui vit en nous. Aussi que cet amour soit tout surnaturel! Nous nous aimons afin que le Sacré-Cœur de Jésus vivant en nous, vive aussi dans tous ses membres.

Chez nous, l'égoïsme ne doit pas exister; tout doit être amour et dilec­tion, parce que nous devons nous oublier nous-mêmes pour ne vivre que du Cœur de Jésus, et le Cœur de Jésus n'est que suavité et miséricorde. La charité bien établie dans nos cœurs, nous ne penserons qu'à une cho­se: nous exhaler en parfums de reconnaissance et d'action de grâces. Tout notre désir sera de devenir l'Eucharistie vivante du Sacré-Cœur de Jésus comme ce divin Cœur est la nôtre.

Enfin, soyons confus; nous sommes accablés sous le poids de grâces et nous en avons si mal profité! Ah! que notre ingratitude est grande! Cer­tainement, ô Cœur miséricordieux de Jésus, si vous examiniez nos ini­quités et nos ingratitudes, nous ne pourrions subsister; mais vous êtes vous-même la source intarissable, inépuisable, de toute miséricorde et de toute rédemption. Répandez-les sur nous à flots abondants. Ne vous souvenez pas de notre misère, mais de votre bonté que rien ne peut las­ser; oui, vous le ferez, pourvu que nous nous souvenions aussi de notre indignité, que rien ne peut égaler, car vous êtes un Cœur prodigue en­vers les humbles, mais qui résistez aux superbes.

Mais quand un ami du Sacré-Cœur sera élevé au ciel, qu'y fera-t-il? S'il persévère dans sa vocation, il sera placé tout près de ce Cœur sacré, submergé par le torrent de ses délices ineffables; s'il a été fidèle à l'exer­cice de la contemplation, il contemplera pendant toute l'éternité ce Cœur qui est la source de la joie des anges et des saints. C'est alors, qu'uni à la très sainte Vierge, à saint joseph, aux saints, il répétera l'hymne d'action de grâces que déjà il s'exerce à entonner sur la terre: «Occisus es, o Cor Jesu, et redemisti nos Deus in sanguine tuo… et fecisti nos Deo nostro regnum et sacerdotes: Vous avez souffert la mort, ô divin Cœur de Jé­sus, et vous nous avez rachetés par votre sang pour faire de nous les princes et les prêtres de votre royaume».

Oui, ce chant d'action de grâces nous conviendra plus encore qu'aux autres parce que nous aurons plus aimé le Sacré-Cœur de Jésus. Mais qu'adviendrait-il si nous manquions de générosité, si nous privions le di­vin Cœur de Jésus de la gloire qu'il attend de nous?

Ah! Sursum corda! Elevons nos cœurs en haut. Elevons-les vers le Cœur de Jésus qui, pour mieux les prendre, réside dans la sainte Eucha­ristie et répétons de tout notre cœur et avec tout notre amour notre Ecce venio. Amen.

Résolution. - Je renouvelle la consécration de tout mon être et de toute ma vie au Sacré-Cœur. Je vous aime, ô mon bon Maître, cela résume tout. Ecce venio. Je suis à vous.


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Invocations du Vén. P. Eudes.
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