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Dédicace

Je dédie cette biographie au vénérable évêque de Soissons et au clergé de ce beau diocèse.

Le Père Rasset a passé toute sa vie dans ce diocèse, il l'a toujours aimé. Il était si dévoué au prêtres ! Il les aidait si volontiers ! Il avait reçu abondamment les grâces du sacerdoce : vicaire, curé, directeur d'œuvres de jeunesse, missionnaire diocésain, il a toujours été éminemment prêtre, pasteur et apôtre.

Sa biographie est comme un manuel de pastorale adapté aux besoins de la société contemporaine. Les fidèles la liront avec édification, mais les prêtres surtout y trouveront les plus purs et les plus actifs stimulants du zèle, du dévouement, du sacrifice. Il me semble que ce livre sera un des plus utiles de toute bibliothèque sacerdotale.

L. D.

vie edifiante
du R. P. Alphonse-Marie Rasset

======I Son enfance

Le bon Père Rasset est ne au gracieux village de Juvincourt, diocèse de Soissons et Laon, le 7 septembre 1843.

Son Père, Florentin-Adrien Rasset, honnête et laborieux cultivateur, était né là aussi sur la propriété de famille en 1817. Il avait épousé, en 1842, Clarisse Dautel, de la paroisse d'Ailles, jeune fille foncièrement chrétienne et d'un caractère ferme. Elle avait dit à son mari avant d'ac­cepter sa main: «Promettez-moi de ne jamais m'empêcher de pratiquer ma religion». Il le promit et, plus tard, elle sut le lui rappeler avec bonté, mais sans faiblesse.

Le 7 septembre 1843, le bon Dieu leur envoyait un beau petit garçon, qu'ils nommèrent Adrien. C'était aux premières Vêpres de la Nativité et de la fête de saint Adrien, patron du Père. La Sainte Vierge adopta cer­tainement cet enfant, qui lui fut toujours si dévoué et qui obtint d'Elle beaucoup de grâces.

Le P. Rasset a noté un trait qu'on lui raconta au sujet de sa naissance. «A ma naissance, dit-il, la petite bonne de la maison, la pauvre Toi­nette me prit nu dans son gros tablier de toile bleue et, perdant la tête, m'étendit sur le pavé. Ce fait m'a toujours frappé quand on me l'a rap­pelé, et je crois y voir une première préparation à ma vocation réparatri­ce».

- «On eut l'imprudence, ajoute-t-il, de différer mon baptême, mais au bout de quatorze jours, une indisposition m'étant survenue, on me porta à la hâte à l'église dans la soirée. Toinette fit un faux pas dans le chemin et faillit me tuer. J'en frémis quand j'y songe, c'était l'éternité sans Dieu! De retour à la maison, on me trouva bien portant, plein de vitalité et impatient de prendre le sein maternel, tandis qu'on m'avait porté à l'église, froid et presque sans vie. Un bon sommeil prouva que ce mal venait de Dieu qui me réclamait pour son enfant».

- «Ma bien-aimée maman, dit-il encore, a toujours été frappée de la protection singulière de la bonne Providence à mon égard. - Comme elle passait un jour devant le calvaire mutilé de Juvincourt, alors qu'elle me portait dans son sein, mon père lui dit tout à coup: «Si ton enfant est un garçon, je consentirai à ce qu'il soit prêtre». Or, mon père prétendait avoir une antipathie profonde pour les prêtres. Il le disait dans des mo­ments d'humeur, mais il défendait à l'occasion la cause des prêtres et de la religion».

«Tout jeune, Adrien Rasset fréquenta l'école, raconte sa soeur. - Il se livre avec ardeur à ses études quand c'est l'heure. Il s'occupe des tra­vaux des champs après les classes et les jours de congé».

- Un trait de la protection divine: «Comme il était un jour dans le pré avec son jeune frère, occupé à couper de l'herbe, survint un affreux orage. Les enfants se réfugièrent sous un arbre avec leur bourrique, mais Adrien, poussé sans doute par son bon ange, dit à son frère: «Sor­tons d'ici!» et, malgré la pluie, les enfants essayèrent de retourner à la maison. Ils n'avaient pas fait vingt pas, que le tonnerre éclata sur l'arbre qu'ils venaient de quitter et le mit en pièces».

Deux fois, dans ses lettres à sa soeur, le Père Rasset fait revivre les souvenirs de sa Première Communion. - Je viens de célébrer l'office dans notre chapelle de la maison du Sacré-Cœur avec toutes les ceremo­nies du Samedi-Saint, qui m'ont donné une consolation ineffable; j'ai songé à ma mort qui viendra un samedi, (cette prévision s'est réalisée, il est mort le premier samedi de novembre en 1905), pendant que j'étais prosterné pour les litanies: Quam multipliciter tibi caro mea! - A ma nais­sance, on m'a mis sur la terre nue, les bras en croix. Mon baptême! Ma consécration faite par mon père avant ma naissance pour le service de Notre-Seigneur! Je me rappelle les semaines saintes de Juvincourt. Comme on prie bien dans l'enfance!

Je crois encore sentir les fleurs, voir les plantes et le jardin qui se ré­veillaient sous le souffle du printemps. Comme le bon Dieu parlait à mon âme, quand j'avais six ou sept ans! Malgré les infidélités qui se sont interposées entre ces grâces premières et ma vocation sacerdotale, je sens encore ce mouvement du premier éveil de la foi et de l'amour de Dieu. Puis vint ma première communion, puis la vôtre… et nos prières en commun… ».

Et le 23 mars 1886: «Il y a trente ans, qu'à pareille heure (5 heures du soir), je faisais ma confession générale de première communion, le jour de Pâques». - 24 mars: «Pour ma méditation, j'ai repassé les faveurs di­vines qui ont accompagné ma première communion. - Les locaux de la maison paternelle ont changé depuis, mais il m'est resté le souvenir d'une porte en chèvre-feuille dans le jardin, des fleurs et des arbres frui­tiers, des sapins-mélèzes, des tulipes, des violettes, des sauges, des pri­mevères, des gros noisetiers qu'ont remplacés la grange et le hangar. Il y a des prières, des poésies intimes que je chante encore; il y a des manifes­tations de Dieu à mon âme, antérieures même à ma première Commu­nion, qui revivent dans ma pensée comme les fleurs d'il y a trente-cinq ans. - Je revois le prolongement de l'aire de la vieille grange: un jour, j'étais maladif, je travaillais à démolir le mur, déjà percé à gauche, le tout était soutenu par des étais. La moisson était avancée, on allait au pré chercher de l'herbe. Notre sainte maman m'appela, je l'accompa­gnai. Pendant qu'elle fauchait, nous entendîmes un grand fracas; à no­tre retour, nous trouvâmes l'aire de la grange encombrée des débris du toit - mon ange gardien m'avait sauvé. - Etait-ce en 1855 ou 1856, je ne saurais le dire. -je me rappelle comment je fus privé de toute lectu­re frivole pendant l'hiver qui précéda ma première communion. Pen­dant tout le carême, Jules Herbin et moi, nous allions nous promener dans les prés et nous lisions un chapitre de l'Imitation. (Il est là, ce vieux livre usé, sainte relique de Madame Sainte-Sophie). Nous nous mettions à genoux derrière les branches des peupliers, sur l'herbe desséchée par l'hiver. Nous lûmes ainsi tout le quatrième livre et le premier. Avant la confession, nous convînmes ensemble de rester la face contre terre tant que nos larmes ne couleraient pas, puis, chacun de notre côté, nous revînmes modestement nous dire que nous avions la contrition parfaite. Combien d'autres souvenirs de ce beau jour! Il me sembla, le jour de Pa­ques, que je devinais des choses de la sainte Trinité que je n'avais jamais soupçonnées. - Je ne parle pas de ma confession générale, lue en pleu­rant, à ma chère maman, en présence de ma petite soeur de sept ans, à qui il fut bien défendu de rien répéter. - Il m'est passé ce matin dans la mémoire, environ quinze personnes qui étaient là vivant pour moi, me portant dans leur cœur et qui ne sont plus de ce monde. J'ai prié pour ces parents et amis, et puis les absents! Il y a dans tous ces souvenirs des émotions douces et poignantes, des joies célestes avec des tristesses qui montrent l'enfer ouvert, des parfums avec des bouffées qui font détour­ner la pensée. Dans ce mélange, on a entrevu que le bonheur existe; c'est comme les brises, par lesquelles Colomb, en face de Cuba et d'Haïti, devinait le Nouveau-Monde. Il y a le péché aussi, il y a les paro­les qu'on voudrait n'avoir pas dites, des mouvements, des pas et des dé­marches où Dieu n'était pas. Tout cela empoisonne les beaux souvenirs, mais ceux-ci restent et le ciel nous attend. Ce ne sera plus alors un sim­ple rayon, mais la plénitude du bonheur!… Je me revois encore, devi­sant jouyeusement le matin de ma Première Communion, avec ma vieil­le et chère marraine, qui me parlait de mon baptême et de sa Première Communion aussi, et de son enfance, où elle avait vu l'Enfant Jésus au­-dessus du prêtre à la messe et au moment où il entrait dans la bouche de celui-ci. Elle pleurait à chaudes larmes. - Je me revois dans le miroir entre les deux fenêtres. Jamais je n'ai ressemblé à ce portrait-là depuis. - «Mon bien-aimé est rouge et blanc». - C'était bien l'incarnat de la charité avec les lis de l'innocence. Je me trouvais beau. Depuis lors, j'ai souvent recommandé aux enfants de se rappeler la beauté de leur visage au jour de la Première Communion. Il me semblait que j'étais beau, parce que j'étais en état de grâce. Il me semblait le voir. Dans la soirée, je suis allé tout seul à l'église. J'ai bien prié pour connaître ma vocation. Je vois encore la place, et je m'y suis agenouillé souvent depuis lors. J'ai eu ce temps-là comme une complète certitude que je serais exaucé. - Enfin, pour la centième fois, j'ai demandé à la Sainte Vierge de changer mon vilain caractère. - J'ai levé la main sur les fonts de baptême que j'ai embrassés - puis partout j'écrivais que c'était un beau jour! Com­me aujourd'hui, le ciel était bleu, le soleil étincelant, tous les visages rayonnaient. Est-ce que je pouvais soupçonner alors ce que serait la vie: tant de déceptions, de tristesses, de bons propos inefficaces! - Béni soyez-vous, mon Dieu, de ces rayons du ciel dont vous avez parsemé mon existence, lorsque tant d'autres n'ont pas ces attentions de votre Providence si paternelle!…».

M. Le curé de Juvincourt avait reconnu qu'Adrien n'était pas un en­fant vulgaire. Il commença à lui donner des leçons de latin, une heure chaque jour. L'enfant faisait ses devoirs à l'école, s'il en trouvait le temps, ou le soir à la maison.

Quand il eut atteint sa quinzième année, ses parents le mirent au Petit Séminaire de Soissons, où il fut admis en quatrième après examen. Il s'y fit remarquer par son assiduité au travail, si bien que, chaque année, il revenait chargé de prix.

A vingt ans, ayant fini ses études du Petit Séminaire, il se posa sérieu­sement cette question: quelle vocation dois-je suivre? Enfin, il dit à sa chère maman: «Je serai prêtre ou médecin». Celle-ci lui exposa combien le séjour de Paris était dangereux pour les étudiants. «Oh mais! dit-il, si je suis médecin, je veux, comme le docteur Récamier, rester bon chré­tien». Sa mère redoubla ses prières pour la sanctification de son cher Adrien.

Il se décida à entrer au Séminaire, tout en réservant la question de vo­cation pour le moment où il serait question de recevoir la tonsure. Il par­tit pour Soissons en octobre 1863, en emportant une soutane dans sa malle.

Le bon P. Rasset, toujours studieux et ami des recherches historiques, reconnaîtra plus tard qu'il y avait eu beaucoup de vocations ecclésiasti­ques et religieuses dans la famille de son père, dans celle de sa mère et dans celle de sa grand'mère.

Citons-en quelques-unes.

1. Jean-Baptiste Rasset, 1643, prieur de Baulne en Brie - 1657, prieur de la Ferté-Gaucher, décédé le 2 décembre 1679, religieux Au­gustin de Saint Jean des Vignes de Soissons.

2. Marguerite Rasset, une des premières religieuses de la Congréga­tion de Notre-Dame (fondation de saint Pierre Fourier) à Laon.

3. N. Rasset, neveu de la précédente, religieux capucin à Laon, (P. Franciscus).

4. Nicolas Rasset, neveu du précédent, né en 1672, chanoine de la ca­thédrale de Laon, décédé subitement dans la cathédrale pendant l'office de vêpres, le 10 décembre 1744, enterré dans la cathédrale.

5. Nicolas Desmonts, fils de Hugues Desmonts et d'Anne Rasset, cu­ré de Saint-Michel de Laon en 1657 - chanoine en 1659 - vicaire gé­néral de Laon en 1661, jusqu'après 1697 - réformateur des commu­nautés religieuses du diocèse de Laon, grand adversaire des protestants, ayant des pleins pouvoirs du Saint-Siège pour les communautés.

- Dans la famille Prévot (famille de la grand'mère du P. Rasset):

6. Noël Connart, curé de Juvincourt, maria sa soeur à Jean-Léonard Prévost.

7. Noël-Benoît Allart, vicaire de Juvincourt, neveu du précédent.

8. Gilles Prévost, fils de Pierre Prévost et de Jeanne Rasset, licencié en droit canon, vicaire à Juvincourt, curé de l'hôpital de Laon en 1752, chapelain de Notre-Dame de Liesse, chanoine de Saint Jean de Latran, vicaire de Saint-Martin sous la Révolution, décédé à Laon en 1797.

9. Jean Poreaux, curé d'Attices, cousin, qui logea saint Benoît Labre.

10. Une parente, Jeanne Rasset, épousa Pierre Marquette, parent du P. Marquette, l'illustre Jésuite missionnaire.

Etant en seconde en 1862, il eut une lumière subite et surnaturelle sur sa vocation. C'était le lundi de la Pentecôte. Etant grand liseur, il par­courait les Magnificences de la religion par l'abbé Henry. Il rencontra un passage saisissant de Bossuet sur la Royauté de Jésus-Christ. Il fut im­pressionné jusqu'aux larmes. Il dut sortir de l'étude. C'est bien là ma voie, pensa-t-il, je travaillerai à étendre le royaume de Jésus-Christ, je prêcherai les beautés de ce royaume et j'en serai l'apôtre.

Tous les ans, à pareil jour, il se rappelait cette lumière intense et déci­sive, et ce souvenir suffisait à le remonter dans ses moments de tiédeur.

Il fit encore au Grand Séminaire l'examen de sa vocation, mais il la regardait comme décidée depuis cette grâce de la Pentecôte.

Les circonstances de cette vocation en marquaient aussi le caractère: il était appelé à la vie apostolique. Ce fut le cachet de son ministère, il tra­vailla toujours avec le zèle et l'ardeur d'un apôtre.

======II Au Grand Séminaire (1863)

Pour ses cinq années de Séminaire, nous avons ses résumés de retrai­tes, ses résolutions et règlements de vie, des recueils de pensées choisies, quelques lettres de sa famille, des règlements de vacances.

Il a toujours été un séminariste ardent, plein de zèle pour l'étude et animé d'un bon esprit. Il combattait ses défauts naturels, qu'il connais­sait et dont il a toujours gardé quelque trace. C'était surtout une origina­lité excessive, qui allait presqu'à la bizarrerie, avec une trop grande im­pressionnabilité et un certain manque d'ordre.

En entrant au séminaire, octobre 1863, il note ses impressions:

«Le souvenir de tout ce que mes parents font pour moi doit m'engager à m'adonner à la vertu, à me corriger, à me convertir enfin, pour con­vertir plus tard ma famille».

Sa mère lui a dit en le quittant: «Je ne demande qu'une chose de toi, c'est que tu fasses d'abord ton salut, quelle que soit la vocation à laquelle Dieu te destine».

Son père: «Il faut bien réfléchir».

Son grand-père: «Dans l'état ecclésiastique, on ne doit pas être dirigé par des vues d'intérêt».

Sa grand'mère toute malade: «Je ne te verrai pas en sou tante; sois dé­vot». - Il avait répondu: «Vous me verrez dans le ciel».

retraite d’octobre

Réflexion fondamentale: «La démarche que j'ai faite en entrant au sémi­naire est grave et belle. Le seul souvenir de son importance devrait me suffire pour me conserver pendant tout le temps que je serai ici. Cette démarche a un motif: c'est que j'ai cru que, malgré mon indignité, mes fautes et mes défauts, Dieu m'appelait au sacerdoce. Mon but est d'ac­quérir les vertus et la science nécessaires pour cela».

1re Méditation: «Au grand séminaire, je puis rentrer en grâce avec Dieu, expier mes fautes passées, répondre aux desseins de Dieu».

2e Méditation: «Nous devons travailler à notre salut. Dieu nous a créés pour lui. Comment ai-je répondu à ma fin jusqu'ici? Je me suis exposé à manquer mon salut… Mais maintenant tout pour Dieu: Dixi; nunc coepi».

3e Méditation, sur la mort: «L'arbre tombe du côté où il penche. Un poids nous entraîne à gauche: le monde, ses souvenirs, ses distractions, ses regrets… Nous ne mourrons qu'une fois. L'arbre reste où il tombe. Préparons-nous donc à bien vivre. - Si vous étiez près de mourir, vous feriez cela. - Cette maxime a fait les saints. Prenons-la pour règle de vie. La mort n'est jamais bien éloignée. Saint Vincent de Paul ne s'en­dormait pas le soir sans s'être mis dans l'état où il devait être pour mou­rir. Prenons cette habitude. Faisons chaque confession comme si c'était la dernière. Un mauvais prêtre se convertit difficilement à la mort. Un jour, dans un hôpital, un prêtre de la Mission rencontre un malade ré­calcitrant. Il l'exhorte en vain, puis soupçonnant un mystère, il lui dit: Tu es sacerdos. L'autre répond: in aeternum, et après un frémissement con­vulsif il expire dans les bras de Satan…».

4e Méditation. - Le Jugement: «Il faudra rendre compte de tout, même d'une parole oiseuse…».

Réflexions salutaires: - «La douceur qui ne peut exister sans le renonce­ment doit faire le fond de la vertu.

- «Je ferai bien de lire chaque jour une page de la vie d'un saint et une page d'un auteur ascétique».

Résolutions: - «J'ai déjà promis bien des choses à Dieu par l'entremise de Marie, comment les ai je tenues? -J'ai promis de ne plus me mettre en colère, je veillerai sur mon humeur trop souvent triste et revêche, je m'efforcerai d'être habituellement gai et enjoué.

- «Comme en toutes choses, je suis porté aux extrêmes, je veillerai bien à ne pas pousser le rire jusqu'aux contorsions. (On lui reprochait cela quelquefois).

- «J'ai maintes fois promis de faire une guerre à mort à l'orgueil. Le meilleur moyen sera la méditation fréquente sur l'humilité et sur cette résolution de saint Vincent de Paul: dans les conversations j'éviterai ce qui pourrait me faire valoir. - J'ai fait un pacte avec mes yeux, mes mains et mon imagination, afin que rien d'impur n'arrive de mes sens à mon âme».

Il commence à noter les pensées qui l'impressionnent le plus. Il y sera fidèle toute sa vie. Saint Louis de Gonzague avait dit avant lui: Notabo lu­mina et proposita. «Mes pensées se succèdent et s'effacent, écrit-il, je note­rai donc à l'avenir les diverses émotions de ma conscience, afin que, dans mes moments de tiédeur, mes bons propos d'autrefois me fassent rougir de moi-même…».

Citons quelques-unes de ses notes:

L'emploi du temps. - Le temps, j'en perds beaucoup. Age quod agis. Tiendrai-je cette résolution? M'appliquer toujours à faire la première chose que je dois faire. Ne pas laisser passer un seul exercice sans réparer autant que je le puis les imperfections que j'y ai apportées; pour chaque classe en particulier, me forcer de la répéter après le cours. Le grand se­cret pour devenir un saint et pour travailler de manière à faire beaucoup de bien, c'est de n'agir jamais sans but ni motif, de prendre toujours le moyen le plus agréable à Dieu et de ne laisser aucun :instant se perdre inutilement…

La douceur. - Elle doit s'apprendre à chaque instant de la vie; dans les grandes occasions il n'est plus temps. Malheur au soldat qui remet à l'heure du combat l'étude du maniement des armes! je dois, dans mes moindres rapports avec le prochain, me montrer serviable, affectueux, compatissant, poli, affable, attentif à ne rien dire ni rien faire qui puisse faire de la peine. - Il faut une lourde chute parfois pour nous réveiller et nous montrer combien est pauvre le fonds de vertu que nous croyons avoir. - Si nous avons à nous plaindre des fautes, ménageons les per­sonnes, Notre-Seigneur les souffre bien! Si l'on pèche en nous offensant, considérons que l'injure est bien plus grande pour Dieu que pour nous; d'ailleurs, si nous avons le moindre zèle du salut des âmes, nous ne nous occuperons guère que des moyens de ramener l'âme de notre pauvre frè­re. Les Saints recommandent d'attendre, pour parler, que la passion soit apaisée. L'union à Notre-Seigneur peut seule nous donner la force de nous contenir toujours.

- Marie doit être notre modèle, je n'y pense pas assez. Souvent je me dis: saint François de Sales, ou même tel camarade, agirait-il comme moi? Cela m'impressionne. Si je contemplais l'intérieur de Marie dans les mystères du Rosaire, j'arriverais à me réformer sur elle. Les lumières divines inondaient son âme, sans cependant qu'elle négligeât rien de ses devoirs ordinaires dans le ménage, dans la conversation et le travail et sans qu'elle s'en prévalût devant les autres…

- La Vie cachée de Notre-Seigneur à Nazareth est pleine d'enseigne­ments qui devraient toujours nous guider dans notre conduite. Sa règle était la volonté de son Père: Quae placita sunt et facio semper. Que nous se­rions heureux si nous pouvions nous régler sur ce divin modèle! Le Dieu venu sur la terre pour sauver l'univers entier reste caché pendant trente ans, inconnu, pauvre, occupé d'actions vulgaires et communes. Dieu veut être servi en secret. Cachons les actes de vertu que la vaine gloire pourrait nous ravir.

Au printemps, le jour approchait où il faudrait prendre un parti pour sa vocation et recevoir la tonsure. Sa bonne mère lui écrivit: «Mon en­fant, voilà donc le moment qui approche où tu dois faire le premier pas pour entrer dans la carrière ecclésiastique. Réfléchis bien à cette affaire si importante, afin que, plus tard, tu n'aies pas à te reprocher de ne pas avoir assez prévu les épreuves que tu pourras rencontrer dans ce chemin que je crois difficile à tenir. Pour moi, la peine serait encore plus doulou­reuse de te voir mauvais prêtre que d'assister à tes funérailles. Fasse le ciel que tu puisses en ce moment bâtir de bonnes fondations, car, lorsque les premières fondations du bâtiment sont bien faites, tout le reste n'en devient que plus solide…». Voilà bien le langage d'une vraie mère chré­tienne.

retraite pour la tonsure

I. «C'est l'élection du futur prêtre, comme autrefois dans l'ancienne loi on choisissait la victime dans le troupeau».

II. «Il faut s'y préparer dignement, car ce n'est pas quand la prêtrise a été conférée, mais auparavant, qu'il faut être saint. - Dominus pars… je prononcerai généreusement ces paroles. Que de fautes dans ma vie pas­sée! J'y renonce. Je dirai à Dieu au moment de ma consécration: Mon Dieu, plutôt mourir que de continuer à vous offenser…».

III. Fin de cette retraite. - «Quel est l'homme qui, ayant une tour à ba­tir, n'en calcule d'abord la dépense? Moi aussi, j'ai un grand édifice à élever, celui de la perfection sacerdotale… - Quel est le roi qui, n'ayant que mille hommes et, sachant qu'un ennemi doit venir l'attaquer avec vingt-mille ne se hâte d'aller au-devant de lui pour faire la paix? Que d'ennemis n'ai-je pas à combattre? Le monde et moi-même… Quelles sont mes forces? la grâce divine et le secours du Saint-Esprit. Mais cet Esprit ne me sera donné pleinement qu'autant que je serai bien disposé à le recevoir. Quelle différence entre deux prêtres! Souvent elle provient de la manière dont on a profité des grâces des ordinations».

IV. Pureté d'intention. - «Lorsque deux ou trois personnes sont réunies en mon nom, je suis au milieu d'elles. - Paroles consolantes. je m'unis, ô mon Dieu, à mes condisciples, donnez-nous les dispositions nécessaires à notre vocation. - Il me semble qu'aucune vue humaine n'a déterminé mon choix. Je suis venu au séminaire comme pour me réfugier contre les tempêtes des passions. J'y ai trouvé le calme: Domine, bonum est nos hic esse… Les intentions que je dois avoir sont la gloire de Dieu et le salut des âmes. Il me semble que je serais coupable si, voyant si clairement la bon­té de Dieu et la divinité de la religion, je ne me mettais tout entier à la di­sposition du ciel pour faire participer les aveugles à cette lumière…».

V. Nature et fins du sacrement de l'Ordre. - «L'Ordre a été institué pour la sanctification des âmes. - A qui va-t-il être conféré? qui suis-je? - Malgré toutes mes misères, je dois gagner les âmes à Dieu, continuer la mission du Verbe incarné sur la terre. Que de grâces me sont nécessai­res! Elles me seront accordées avec le sacrement. - Si, plus tard, je me trouve dans des conditions difficiles, je dirai à Dieu: C'est vous qui m'avez mis dans cette situation, c'est de vous que j'attends le secours… ».

VI. Sur la vocation. - «Pourquoi tant de prêtres damnés? La plupart n'avaient pas la vocation. - Quel malheur pour une population qu'un mauvais prêtre! La vocation exige bien des vertus, il faudra lutter toute la vie…».

VII. Préparation à l'ordination. - «Les Saints ne se jugeaient jamais as­sez prêts. Saint Vincent de Paul disait: si j'avais su ce que c'est que d'être prêtre, je ne me serais pas laissé ordonner. - Saint Ambroise ne voulait pas accepter. Saint Ephrem contrefaisait l'insensé! Saint Augu­stin disait à Valère: «Vous ne m'aimez donc pas, que vous voulez me faire prêtre avant que j'aie assez étudié!».

Le monde n'apporte-t-il pas une préparation proportionnée à toutes les grandes œuvres! Quelles conséquences pour nous et pour le peuple, si nous ne sommes pas bien préparés! «Vous n'êtes pas Pape pour vous, mais pour l'Eglise», disait saint Bernard au Souverain Pontife. L'Eglise prie pour les ordinands. Le Concile de Trente ordonne de les examiner.

Notre-Seigneur choisit lui-même ses apôtres, il les prépare. Avant la Cène, il leur lave les pieds. Saint Paul dit à Timothée: «N'imposez pas trop facilement les mains, vous auriez part aux fautes des mauvais prêtres…».

VIII. Quelle préparation l'Eglise demande-t-elle? - «Pour la préparation éloignée: amour de la perfection; haine du monde et de tout ce que le monde aime. Que de bien est souvent empêché par de petites frivolités dans un prêtre, par ses défauts de vanité et d'amour-propre! - Science ecclésiastique, science de l'Ecriture sainte. - Pourquoi ne lirais-je pas chaque année ce livre divin tout entier?…».

IX. Dignité du prêtre. - «1° par son origine. Les chefs de famille étaient prêtres dans la loi naturelle. Cependant, Dieu se choisit des ministres privilégiés: Abel, Henoch, Noé, Abraham, Jacob, Melchisédech. Ce sont les figures du Prêtre éternel. Le sacerdoce de l'Ancienne Loi prépa­re celui de l'Evangile.

Les peuples ont généralement honoré les prêtres. Voyez Alexandre, Attila, Constantin… Maintenant la religion a baissé, n'est-ce pas la fau­te des prêtres? N'y a-t-il pas encore dans le peuple une haute idée du prêtre? On voudrait qu'il fût un ange.

2° Par ses fonctions. Il faudrait les paroles des Ephrem, des Chrysos­tome, des Grégoire, pour dire la sublimité de l'auguste sacrifice qu'offre chaque jour le prêtre…

Et le ministère de la parole, par lequel le prêtre éclaire les intelligences et participe aux opérations du Verbe…

3° Par comparaison: les Princes se courbent devant eux. - Les an­ges: Cui angelorum dixit: Tu es sacerdos? - La Sainte Vierge n'enfanta le Sauveur qu'une fois. - Le prêtre est uni à la Sainte Trinité; il participe à la puissance du Père; il est l'ami du Fils; il sanctifie les âmes avec le Saint-Esprit. - Les Saints le vénéraient; sainte Catherine de Sienne, etc., - de stercore erigens pauperem».

X. Sentiments que me fait éprouver l'approche de l'ordination:

Humilité: Saint Pierre disait: Tu mihi, Domine, lavas pedes? Et moi qui ai tant péché!

Reconnaissance: Mon Dieu, vous m'avez conduit comme par la main. Combien vous m'aimez!

Confiance: Mon Dieu, ce que vous avez fait pour moi m'est un gage de ce que vous ferez encore!

Générosité: Paratum cor meum. Je ferai ce que la grâce me demandera et je commencerai par bien accomplir ma règle.

RESOLUTIONS. - Pour gagner les âmes, il faut que je sois doux et humble.

1. «Humilité. J'emploierai tous les moyens pour y arriver.

2. Silence en classe, sauf pour demander quelques explications.

3. Baisser les yeux. Voix modérée dans les prières, pas d'éclat en riant.

4. Humiliation intérieure, dès que je remarquerai que j'agis pour paraître.

5. Douceur. Habitude de bonté sur la figure, même étant seul. Chercher à réparer promptement une vivacité qui échappe…».

En résumé, année de formation, de travail, de lutte contre la nature.

Il gardera de ses premières années de séminaire une impression pro­fonde. Il le redira souvent. Il a reçu pendant ces années si précieuses, beaucoup de grâces, beaucoup de lumières.

Il s'est orienté pour toute sa vie. Il a vaillamment combattu ses défauts naturels, il a pris le goût de l'étude pour toujours. Il s'est façonné à la rè­gle. Il aurait su rester régulier même dans l'isolement du presbytère. Mais il avait dès le séminaire un attrait qui se déterminera plus tard pour la vie de communauté.

Nous décrirons ses années de Séminaire, principalement par ses notes de retraites et ses résolutions; mais ces notes le caractérisent parfaite­ment. Il faisait les exercices de saint Ignace en y mettant son cachet, ses vues propres et ses impressions personnelles. C'est toute son âme qu'il nous manifeste dans ces notes. Il les écrivait pour lui et il y mettait la plus franche sincérité.

======III Au Séminaire: 2e année (1864-1865)

retraite de la rentrée

1. Le péché. - «Je n'y pense pas! Une faute, une chute de plus, c'est une nouvelle infirmité qui jamais ne sera entièrement guérie, un nou­veau germe de maladie, un nouveau sujet d'appréhender le jugement de Dieu… Quis scit… ».

2. La tiédeur. - «Qui spernit modica, ad majora paulatim décide Si je suis tiède dès maintenant, que sera-ce plus tard? - Embrasser avec ferveur les plus petites choses qui me sont prescrites: Dieu en vaut la peine…».

3. La pénitence. - «Nous devons sans cesse faire pénitence. Nous n'avons que ce moyen d'arriver au ciel. Notre propre expérience nous l'atteste. Nos chutes ne viennent-elles pas de la trop grande liberté que nous avons donnée à nos sens?».

4. La conversion. - «Mon Dieu! je méritais bien que vous m'abandon­niez, que vous m'ôtiez même les lumières de la raison qui conduisent à la foi. Vous avez endurci le cœur de tant d'autres avant moi! Vous at­tendez mon cœur au contraire pour le guérir. Je n'hésite plus, ô Jésus, à me jeter dans le vôtre. Ce serait vous faire injure que de douter de votre pardon».

5. La lutte. - «Si nous retombons, c'est que notre conversion est trop superficielle. Nous oublions que la vie est une lutte, une expiation. Nous nous complaisons dans notre propre mérite, et alors il faut bien que Dieu nous humilie. Oh! si j'étais humble! je serais un saint… Est-ce si diffici­le? Pendant huit jours je ne parlerai pas de moi sauf nécessité. Ensuite j'ajouterai une autre pratique».

6. Le jugement du mauvais prêtre. - «Il paraît devant Dieu: l'ange gar­dien l'accuse: Il a rejeté toutes les bonnes pensées que je lui suggérais. Je le pressais pendant les retraites et en maintes occasions, il a toujours ré­sisté. - Les âmes qu'il a perdues accourent: S'il avait été un prêtre fer­vent, nous serions sauvées. - Sa mère, sa famille lui reprochent les sa­crifices qu'on a faits pour lui. - Bien des âmes se plaignent: Orgueil­leux! tu voulais paraître plus saint que nous…

Mais, Seigneur, dira-t-il, ne me suis-je pas souvent confessé? - Oui, mais que valaient tes confessions? où étaient ta pénitence, ton change­ment de vie, ta persévérance?…

Seigneur, je n'oublierai plus vos jugements, chaque jour je les médite­rai».

7. De la mort. - «Si j'étais mort à tel jour, à telle heure, ne serais-je pas en enfer? - Je puis mourir cette année, c'est aussi probable pour cette année que pour une autre. Si j'étais certain de mourir cette année, que ferais-je? c'est cela qu'il faut faire. - Si j'en étais sûr, personne ne serait plus assidu, plus pieux, plus régulier, plus humble… C'est cela qu'il faut faire. Il sera trop tard de dire: Si j'avais su …».

8. La Passion. - «Le crucifix devrait faire l'objet de notre méditation continuelle.

J'y trouverai le regret de mes fautes, avec la compassion pour Notre­Seigneur.

- la connaissance du prix de mon âme et de celle des autres avec l'esprit de zèle…

- la force contre les tentations…

Tous les vendredis je méditerai sur le crucifix».

9. L'Eucharistie. - «La communion est notre principal soutien dans le chemin de la perfection».

Quelques jours après, il écrivait ses résolutions.

1. «Jesu mitis et humilis corde fac cor nostrum secundum Cor tuum. C'est là pour moi le point important: humilité et douceur. Je m'observerai dans tous mes actes, puisque tous sont infectés de ce défaut d'amour-propre…

2. J'observerai scrupuleusement la règle pour m'humilier sous la vo­lonté de Dieu…

3. Je m'imposerai des mortifications pour obtenier l'humilité et pour éloigner les tentations de sensualité…».

NOTES QUOTIDIENNES: Il entretient ses bonnes dispositions dans le cours de l'année en notant les pensées qui l'impressionnent le plus. Citons: Le sacrifice. - La résignation, l'obéissance, le détachement, le sacrifice sont des vertus nécessaires au prêtre à chaque instant. Non mea voluntas! Mais, puis-je espérer d'être assez fort quand ce sacrifice se pré­sentera? Il faut que je commence dès maintenant à briser ma volonté à chaque instant en la conformant au règlement et à la volonté des autres.

- La modestie est une des principales vertus extérieures du prêtre. Rien, absolument rien, ne doit choquer en lui. Des pieds à la tête, tout doit être en lui irréprochable. Comment se serait comporté saint François de Sales, et Notre-Seigneur?

- Si mes actions sont tièdes, si lâches, c'est que je ne me fais pas une habitude de tout faire par charité. Je dois me dire: Est-ce aimer Notre­Seigneur que d'agir ainsi? Est-ce aimer Dieu que de manquer à tel point? Si saint François de Sales était à ma place, agirait-il ainsi? Cette pensée doit m'être habituelle, autrement je perds mon temps, je tombe dans une foule de manquements. La tiédeur me gagne et bientôt je ne sais plus où j'en suis avec Dieu… (On voit qu'il s'appliquait à tout faire pour l'amour de Dieu, cependant il n'aimait pas l'expression de pur amour, à cause de l'abus qu'on en a fait, au XVIIe siècle).

- Le silence est d'une grande utilité pour l'avancement dans la perfec­tion. Plus on est instruit, plus il faut s'observer, à l'exemple de saint Jean Climaque. Toutes mes fautes journalières viennent par ma langue. Est-ce donc si difficile de ne pas dire une parole qui sera désagréable à Dieu?

- Saint Joseph sera mon patron dans la vie intérieure. Je le prends au­jourd'hui (17 mars), pour mon protecteur principal, je l'invoquerai à mon réveil par cette prière que j'ai apprise de ma mère: Jésus, Marie, Joseph!… - Même chose le soir. Pour m'animer à la ponctualité, je fe­rai mes actions en union avec l'empressement qu'il mettait à accomplir la volonté de Dieu; je tâcherai de me rappeler cette pensée dès que la clo­che m'appellera à quelque endroit. -je l'invoquerai au commencement de la méditation, et pour repousser les tentations d'orgueil, en me rappe­lant comment il a laissé dans l'ombre la grande science qu'il avait appri­se de Notre-Seigneur et son éminente sainteté…

Pentecôte, 1865. Il écrit à cette date: «Depuis cinq ans au moins, l'octa­ve de l'Ascension est pour moi une source de grâces extraordinaires». - C'est de la Pentecôte de son année de rhétorique qu'il date la connais­sance ferme de sa vocation.

retraite d’ordination pour les Ordres mineurs, 5-11 juin 1865.

I. «Pourquoi suis-je venu ici: Bernarde, ad quid venisti? On m'a dit que j'avais la vocation. Je le sentais: dans le monde cette pensée m'aurait poursuivi. Je suis donc venu. J'ai trouvé ici le bonheur et la paix. Je n'ai plus guère mis en question ma vocation. Je pensais qu'il fallait avant tout me corriger de mes défauts. Il me semble que la lutte contre soi­-même est l'occupation principale de tout chrétien. Puissé-je ne jamais ou­blier de ma vie cette nécessité où je suis d'arracher et de planter dans ma volonté, dans mon cœur, dans mes habitudes…».

II. «Les vierges folles avaient fait des sacrifices pour l'amour de l'époux et elles ont été rejetées. Elles avaient eu de bons moments, mais elles n'étaient pas suffisamment disposées au moment des noces. - Cet­te retraite est peut-être la dernière. Je puis mourir dans l'année, serai-je prêt? Mes provisions sont-elles faites? Que de petites choses négligées dans le cours d'une année! Je serais heureux si, comme ces condisciples plus prudents, au-dessus desquels ma vanité me place souvent, j'avais amassé les actes d'humilité, de douceur, d'exactitude. Que je me trouve pauvre dans une retraite, ainsi en face de moi-même! Que cela me serve donc désormais! - J'ai beaucoup étudié, j'aurais pu étudier, il est vrai, encore plus sans me fatiguer, mais que je serais heureux si j'avais tou­jours commencé par le plus nécessaire! J'étudie la botanique, pourquoi ne pas m'en servir davantage pour m'élever à Dieu, comme le veut saint François de Sales?».

III. Pureté d'intention. - «Que c'est pauvre, d'agir pour gagner l'esti­me trompeuse d'une personne qu'on ne voit même qu'en passant. Nous devons aimer les âmes pour les convertir» (Ici il se reproche son aridité et se compare à une bûche, en face de ses condisciples qui sont ardents et zélés).

IV. Progrès dans la formation ecclésiastique. - «L'esprit de la vocation a souffert en moi de graves atteintes. Je puis m'en convaincre en me com­parant avec les véritables séminaristes. Je dois donc travailler à le rega­gner. Encore une fois je suis brouillon. Ne prendrai-je pas une bonne fois la résolution de faire chaque chose en son temps, de mettre de l'or­dre dans tout ce que je fais?».

V. La tiédeur. - «Je suis effrayé en voyant tant d'oraisons que je n'ai point faites à cause de ma négligence. - L'an dernier, il me semble que généralement j'ai retiré beaucoup de fruits du saint sacrifice de la messe. Cette année, je n'oserais en dire autant, l'esprit de routine me gagne… Entouré de saints, je suis porté à me croire saint comme eux. Je vis trop d'impressions passagères, sans songer à me créer des habitudes de mor­tification, de présence de Dieu, de douceur… Dieu pourrait bien m'abandonner comme il en a abandonné d'autres».

VI. Les fins dernières. - «La moindre indisposition m'impressionne. Que sera-ce quand sonnera ma dernière heure! Sous quel jour nouveau toutes choses m'apparaîtront, et comme alors je jugerai sainement de tout! Y réfléchir chaque soir».

VII. Les saints Ordres. - «Je vais recevoir l'ordre de Portier, faites-moi la grâce, ô mon Dieu, de conserver toute ma vie l'estime que j'ai en ce moment pour les augustes fonctions de cet Ordre. Celui qui a la foi, peut-il ne pas être heureux de tenir proprement ce qui appartient à l'au­tel? Il est vrai que je n'y ai pas d'aptitude et il serait bien triste que plus tard, je laissasse une église, une sacristie dans le désordre où sont mes af­faires en ce moment. Mais la foi peut me transformer».

Les offices de l'Ordre de Lecteur me suggèrent deux pensées: 1 'je n'ai pas eu jusqu'ici assez de respect pour la Sainte Ecriture. Je ne passerai plus un seul jour de ma vie sans en lire pendant un quart d'heure. Je continuerai à apprendre par cœur le Nouveau Testament. 2° Le prêtre, ami de l'étude, est tenté de regretter le temps passé à l'instruction des ignorants, cependant quelle noble occupation! un pauvre enfant sera sauvé parce qu'on se sera occupé de lui.

Comme Exorciste, quel pouvoir pourrai-je jamais avoir contre le dé­mon, si je ne suis mortifié, chaste, homme d'oraison, humble et doux?

L'acolyte est bien proche du sous-diacre; sa foi doit être comme un flambeau qui éclaire le peuple».

ses amities de seminaire

Il recherchait les meilleurs. Il a noté des souvenirs relatifs à M. Car­lier:

«C'était pour mon cher ami une préoccupation de tous les jours d'ar­river à dire le rosaire dans la perfection, on le voyait souvent à la chapel­le parcourir les stations du Chemin de la Croix, tenant le chapelet à la main, le mercredi après la classe, après les promenades et pendant les autres récréations libres. Pendant la récitation commune, il faisait les plus grands efforts de tête pour ne pas laisser échapper son esprit. Je l'entendais prononcer toutes les paroles. Tout son être paraissait comme absorbé. Une ride profonde partageait son front comme celui de M. Olier. Il m'est arrivé souvent, étant en face de lui, de lever les yeux pour le regarder. Comme il fermait quelquefois les yeux, je le lui reprochai en l'accusant de scrupule, il le dit à son directeur, qui le rassura.

Un soir, en revenant de Mercin, nous nous échauffâmes très fort, lui à soutenir la difficulté de méditer sur les mystères, tout en faisant attention aux Ave Maria, et moi, à en défendre la facilité. J'exagérais la possibilité de l'attention soutenue à deux objets, il finit par dire que c'était par sa faute s'il ne récitait pas mieux le chapelet et que j'avais raison. Le soir, il me dit: «J'ai bien exercé votre patience pendant la promenade, c'est vous sans doute qui aviez raison, mais je suis trop opiniâtre quand je discute». Je fus bien humilié de ces excuses, d'autant plus qu'intérieure­ment je savais que l'exagération était de mon côté. - Pendant un cer­tain temps, il fut mon voisin en classe de chant, il s'abstenait de causer, mais de temps en temps, je le distrayais et lui adressais la parole; aussi un jour, au lieu de venir près de moi, il alla se mettre dans un coin de la salle, où il resta seul à chaque classe jusqu'à la fin de l'année…». Heureuse amitié, où toute la rivalité consiste à mieux dire le chapelet.

programme de vacances

Chaque année, ses vacances étaient un exercice d'apostolat. Il servait à l'autel, il catéchisait, il édifiait la paroisse.

Il écrivit ces provisions pour les vacances.

Lever. - Il n'est plus temps de décider le matin que j'ai besoin de re­pos. Dès que mon réveil a frappé, je dois sortir du lit et n'y pas rentrer. Personne ne doit me voir sans que je ne sois vêtu entièrement. Je dois bien prendre garde à ma négligence sur l'article propreté.

Oraison. - Ne pas tarder trop à la commencer. Eviter de voir person­ne avant la messe, sauf le bonjour à mes parents.

Sainte Messe. - Etre à l'église avant 7 heures, pour éviter d'y aller en courant… Veiller à ne pas servir la messe d'une manière machinale. Le dimanche, méditer sur les actions du prêtre et les paroles de la messe.

Le lundi, sur les quatre fins du sacrifice, en union avec le Saint-Esprit.

Le mardi, comme le dimanche, avec les saints anges.

Le mercredi, faire des actes correspondants aux actions du prêtre, dans les sentiments de saint Joseph.

Le jeudi, me représenter la Cène.

Le vendredi, méditer sur toute la passion.

Le samedi, sur la vie de la Sainte Vierge.

Déjeuner. - Etre expéditif sans précipitation.

Repas en général. - J'ai perdu mon temps si je ne trouve le moyen d'y faire une petite mortification. - Je ne dois faire qu'un véritable repas. - Etre inflexible pour ne prendre en dehors des repas ni une goutte d'eau, ni un fruit, ni quoi que ce soit qu'à mon corps défendant. Prévoir d'avance comment je pourrai intéresser sans parler trop, ni de sciences, de politique, de moi-même et mettre chacun en relief.

Conversations. - Eviter de paraître original ou bouffon, tout en étant gai et enjoué. Eviter les moqueries, même pour divertir. Voir dans mon père l'autorité de Dieu, dans ma mère, sainte Anne, chargée du tempo­rel, dans ma soeur la Sainte Vierge aidant sa mère, dans mon frère saint Joseph travaillant pour tous, et moi l'enfant Jésus qui dois me faire le serviteur de tous, comme si j'avais fait voeu de servitude à l'exemple de M. Olier. Je dois, dans les choses indifférentes, chercher à obéir et ne pas agir d'après mon inclination… Mes deux grands défauts sont le vain désir de paraître plus avant que les autres et l'acrimonie. Dans les con­versations, je dois élever mon cœur à Dieu pour demander son aide.

C'est, je crois, cette deuxième année de Séminaire qu'il regardait comme la meilleure ou la plus consolante de sa vie. La première année avait été une période de formation, un noviciat. Pendant la seconde an­née, il vogue à pleines voiles dans la vie de prière et d'union avec Notre­Seigneur. Il sait faire oraison, il se nourrit de lectures spirituelles choi­sies. L'étude ne le détourne pas de la vie intérieure, elle lui est devenue facile et il la sanctifie par la pureté d'intention et le recueillement habi­tuel.

Rappelons-nous ses résolutions:

«L'exercice de la présence de Dieu doit m'être familier. Je dois m'in­génier à n'en plus perdre la pensée un seul instant.

«J'apprendrai ma théologie comme un enseignement de Notre­-Seigneur».

C'était son idéal, et il y revenait toujours avec la fermeté de volonté qu'on lui connaissait.

======IV Au Séminaire: 3e année (1865-1866)

retraite de rentrée – 11-18 octobre.

I. «Quelles doivent être mes dispositions en rentrant au Séminaire? -je suis devant Dieu qui scrute les cœurs. Il m'avertit de profiter de ces jours si utiles et d'y apporter les dispositions requises. - Je rentre au Séminaire: 1 ° pour me ranimer au combat: plus tard il ne serait plus temps; - 2° pour pleurer mes égarements, me purifier, me fortifier; - 3° pour écouter la voix de Dieu et y répondre»

II. «La grâce du Séminaire. - Dieu a voulu que je vinsse au Séminaire. Mon salut est attaché à cette grâce. Que je sois prêtre ou non, j'aurai ap­pris à connaître ma religion et à me corriger de mes défauts. Mes protec­teurs et mes meilleurs amis ont pensé que j'avais la vocation. je dois chercher à la bien connaître. je me rappellerai les attraits qui m'ont déterminé. - Reconnaissance. - je prierai Marie de me secourir…».

III. «La Passion est le livre du chrétien. - La méditation de la Passion fai­sait l'occupation habituelle des Saints. Toute la théologie a là son point de départ. Notre chute a été la cause des souffrances de Notre-Seigneur. Sa Passion est la source de tous les mérites et de toutes les grâces. - L'énormité du péché s'y montre bien à nous. - Le prix de notre âme s'y révèle aussi. Si Dieu en fait tant de cas, comment traitons-nous à la légère l'affaire de notre salut? - La justice et la miséricorde de Dieu se manifestent à nous. Jésus est Dieu et homme, roi et victime. Nous voyons en lui l'humanité expiant ses fautes».

IV. «Mon but au Séminaire. - Etudier ma vocation, la suivre, en acqué­rir les vertus. - Mon devoir est de prier continuellement pour savoir si Dieu m'appelle réellement. Nemo sumit sibi honorem nisi vocatus Deo. L'ai­je fait jusqu'ici? Même dans cette retraite? quelle réponse donner à mon directeur? - Où en suis-je pour les vertus à acquérir: l'humilité? la dou­ceur? la pureté? le bon emploi du temps? Ai-je pour la vertu autant de zèle que pour l'étude? Cependant c'est plus nécessaire…».

V. «La règle. - Je dois observer le règlement dans ses plus petits points: 1° C'est la volonté manifeste de Dieu: 2° je puis ainsi expier mes péchés; 3° pas de règle, pas de prêtre: il n'est pas trop tôt que je com­mence: l'expérience passée me le prouve; 4° ainsi je trouverai la paix de l'âme que je cherche et qui ne se trouve que dans la vertu et la perfec­tion: 5° toutes les pratiques de piété ne valent pas celle-là; 6° ne dois-je pas cette satisfaction à mes directeurs?

Points sur lesquels je dois le plus m'observer: faire d'abord le devoir, veiller à l'ordre, à la modestie».

VI. «La piété. - En commençant, je dois m'humilier, j'ai oublié tous mes beaux projets de recueillement, je ne sais pas souvent que faire en la présence de Dieu. L'Eglise, dirigée par l'Ésprit-Saint, a institué les séminaires pour nous former à la piété et à l'étude. La piété est le tout du prêtre. Il fait le bien en proportion de sa sainteté. Au Séminaire, la sain­teté consiste dans l'observation du règlement».

VII. «La volonté de Dieu. - Mon Jésus, présent au milieu de nous, je vous adore, venant nous enseigner à faire la volonté de votre Père. L'homme ne veut pas obéir, Dieu se fait homme pour obéir, afin que sa gloire soit gardée. Ce principe de foi doit me suffire pour que je cherche partout la volonté de Dieu. A quoi bon perdre le temps à bâtir des châ­teaux de perfection? C'est dès maintenant qu'il faut commencer…».

VIII. «Le ciel. - Le bonheur du ciel devrait être continuellement pré­sent à mon esprit. Mon esprit a besoin de connaître, mon âme a besoin d'aimer, mes sens demandent à jouir. Au ciel, tout mon être sera sa­tisfait.

1° Mon esprit voudrait tout connaître et mes yeux voudraient tout voir. je connaîtrai plus tard toutes le sciences en Dieu, cette pensée doit m'empêcher de regretter le temps que je consacre à la piété. Les difficul­tés de la foi ne doivent pas me troubler, ce sont pour moi des vérités ébauchées dont la clarté se dévoilera lorsque je serai au sein de Dieu. - Quelle joie saisit un homme de génie à la découverte d'une vérité: Archi­mède, Newton, Galilée, saint Thomas et tant d'autres… Là-haut, je connaîtrai tout, je connaîtrai Dieu lui-même, et tous ses mystères…

2° Mon âme est inclinée à s'attacher aux créatures; mais le bonheur qui peut résulter d'une affection est en proportion de l'excellence -de l'objet aimé et de l'union plus ou moins étroite avec lui. je posséderai Dieu! rien de plus grand. Pas d'union plus étroite que celle que j'aurai avec lui alors que je verrai clairement qu'il me crée à chaque instant pour se communiquer à moi.

3° Mes sens voudraient se répandre sur les objets créés, mais rien ne peut me satisfaire… Au ciel, mes yeux verront tous les mondes créés et toutes les combinaisons des possibles dans la puissance de Dieu. Mes oreilles seront charmées par le cantique des Vierges… Le toucher aura ses délices aussi; les cicatrices de la mortification auront leur gloire… Si le Sauveur a voulu se servir du goût pour se communiquer à nous, n'est­ce pas à dire que ce sens jouira aussi d'ineffables délices?

Qu'ai-je à faire pour y arriver? Y penser plus souvent… Chaque ma­tin je me dirai: «Dieu veut que tu gagnes le ciel, tu le peux encore». Si un acte de mortification me coûte: «Le ciel vaut bien cette petite souffrance».

Avant mes repas: «Seigneur, quelles délices nous trouverons à votre table!». Avec un ami: «Quelle joie de nous trouver réunis au ciel!».

Au milieu des cérémonies: «Combien les fêtes du ciel sont plus belles!».

En voyant le soleil ou les étoiles: «Les saints brilleront ainsi…».

Je dois désirer vivement le ciel, si je veux y arriver. En communiant et en visitant le Saint Sacrement, je supplierai Jésus de m'unir à lui en at­tendant le bonheur du ciel…».

Après la retraite, il écrit ce règlement de vie en se promettant de l'avoir tous les jours sous les yeux:

i. exercices de piete

Avant la méditation. - Dès mon premier réveil, même pendant la nuit, me lever sur mon séant pour produire des oraisons jaculatoires, surtout pour demander pardon à Dieu de mes péchés, - pour ceux qui se com­mettent en ce moment - pour les pauvres agonisants, pour les âmes du purgatoire, - prière à mon bon ange et selon l'inspiration première.

En me levant: signe de la croix -fiat, laudetur, atque in aeternum superexal­tetur justissima, altissima et amabilissima Dei voluntas in omnibus. - Angele Dei… - Jésus, Marie, Joseph, - paroles de l'Ecriture sainte pour les vêtements - eau bénite - réflexions sur le ciel, le jugement, - rénova­tion des promesses de la retraite à genoux, consécration à la Sainte Vier­ge, direction d'intention pour mes prières, mes actes, ma communion - intention de gagner les indulgences de la journée pour les âmes du pur­gatoire.

Première visite à la chapelle. - Toujours cinq minutes avant que l'on ne sonne. En m'y rendant, le Pater, etc., examen des fautes de la veille, pré­voir la méditation…

Prière vocale. - Tenir les yeux baissés - prononcer les paroles pour éviter mes divagations ordinaires - offrande des actions de la journée par le Cœur immaculé de Marie pour la conversion des pécheurs. Pater, Ave, Credo, pour la Propagation de la Foi, la Sainte Enfance, la Congré­gation de la Sainte Vierge. - A l'Angélus: premier ave, chasteté; deuxiè­me, humilité, obéissance; troisième, douceur et charité.

Méditation. Préparation éloignée. - Retenir quelques pensées principales des lectures et examens.

Préparation prochaine. - Le soir, prévoir les différentes parties de la mé­thode pour le matin.

Pendant l'oraison. - Retenir bien la lecture - former en l'entendant des actes spontanés, y revenir ensuite en m'arrêtant à ceux qui m'ont le plus frappé ou dont j'ai le plus besoin. Pour m'aider à me mettre en la présence de Dieu, consacrer chaque jour de la semaine à une dévotion particulière - prévoir les moments de la journée où je me rappellerai mes résolutions.

Après l'oraison. - En me rendant à la chapelle, examen de l'oraison - suppléer aux manquements, surtout à la messe - à chaque visite, me rappeler une oraison jaculatoire où j'aurai renfermé la substance de mon oraison. - Aussitôt après l'oraison, prière pour les agonisants et la France.

Sainte messe. - Me munir toujours d'un livre et de mon chapelet en cas de distraction, intention particulière - union aux patriarches; à Ma­rie, en me rappelant la Passion - faire des actes en conformité aux qua­tre fins du sacrifice - communion spirituelle - vers la fin, examen de prévoyance.

Visites au Saint Sacrement. - Ne pas oublier quatre choses: 1° Réflexion sur les actions que je viens de faire et celles que je vais faire. - 2° Souve­nir de l'oraison. - 3° Communion. - 4° Indulgences.

Avant les classes: Jesu mitis, etc. - Tout faire pour arriver à temps, mc tenir prêt avant que l'on ne sonne…

Après les classes. - Examen particulier sur la douceur, etc.

Après le dîner. - Pange lingua, très chaste saint Thomas, etc.

Après le souper. - Quinze Ave.

Avant le coucher. - Examen général, compléter les exercices manqués préparer la méditation, six Pater, Ave, en visitant saint Joseph.

Coucher. - Pensée de la mort: De profundis. - Consécration à la Sainte Vierge. - Prière à l'ange gardien.

Communions, le plus souvent possible. Actes avant la communion: Foi et adoration, confiance, crainte filiale et humilité, amour et contrition, désir.

Après cette grande action: Foi, adoration, admiration, remerciement, amour, offrande, demande et colloque, dans lequel je prendrai des réso­lutions.

Confessions. - Trois jours de préparation et trois jours d'action de grâ­ces. Me préparer chaque fois à la mort - prière pour la persévérance Lectures spirituelles. - 1° En communauté, m'appliquer à en retenir quelque chose pour l'oraison; 2° Ecriture sainte: en retenir quelque cho­se de pratique; faire cette lecture comme une prière. De 5 heures à 5 h. 20, lecture d'un livre de piété.

ii. etudes

Règle générale: Ne m'appliquer à aucune autre chose avant de possé­der les matières des classes passées et des classes prochaines, les répéter vocalement.

Chaque jour réciter quatre chapitres de saint Mathieu. Apprendre trois versets du Nouveau Testament et un canon des conciles. Chaque semaine me tracer ma tâche pour les moments libres…

En rentrant à ma chambre, chaque fois mettre tout en ordre avec célérité…

Semaine sainte. - C'est chaque année une retraite pour lui. Il écrit au 28 mars 1866: «Je vais passer cette semaine comme en retraite. Plus que jamais j'ai vu aujourd'hui que je devais m'appliquer à l'humilité et à la douceur. Il faut que j'attaque mon ennemi. Je retracterai le matin tous les mouvements d'orgueil, tous les motifs de vaine gloire ou d'intérêt qui pourraient me faire agir dans la journée. J'élèverai mon cœur et je l'unirai à l'intérieur de Jésus, dès que je me sentirai emporté par la suffi­sance ou un sentiment contraire à la douceur ou à la charité…».

retraite d’ordination au sous-diaconat

Il avait noté cette retraite, mais il en a détruit plusieurs pages, sans dou­te trop intimes. Il en reste une bonne page qui en est comme le résumé.

I. Obligation de servir Dieu. - C'est pour cette fin que tous les hommes ont été créés. Je l'ai compris depuis longtemps, et cette lumière que Dieu m'a donnée me crée une obligation plus stricte encore. Par mon baptê­me, Dieu m'a pris spécialement à son service.

II. Election. - Si je ne sers pas Dieu, qui servirai-je? Le monde? Mais qu'est-ce que le monde? Ce qu'on exalte le plus dans le monde, c'est la gloire. Un petit nombre y arrive, et si on y parvient, que possède-t-on? une fumée, une ivresse qui torture…

Après la gloire, vient l'amour de la créature. L'amour de quelques amis choisis est bon, mais demain je puis en être séparé, ils peuvent me quitter d'eux-mêmes, et il y a Dieu qui me réclame tout entier.

Il y a encore les richesses… et après. Il faudra les quitter.

Les plaisirs du corps et des sens? Ils portent avec eux leur châtiment par une juste providence de Dieu…

III. Raisons spéciales. - C'est ma vocation de servir Dieu dans le sacer­doce. Il m'y a appelé d'une façon toute spéciale. Que n'a-t-il pas fait pour moi, en comparaison de l'état où sont restés mes camarades d'en­fance? Maintes fois déjà, je me suis engagé d'une manière toute particulière à son service. J'ai dit sincèrement et avec bonheur: Dominus pars haereditatis meae. Déjà comme Portier je suis chargé de tout ce qui appar­tient à son église - comme Lecteur, j'avais voué ma vie à l'étude des Saintes Lettres, je dois instruire les ignorants; - comme Exorciste, je suis commis à la poursuite de l'esprit du mal, partout où son empire se rencontre; - comme Acolyte, je suis comme le page de Notre-Seigneur Jésus-Christ. - Bientôt, comme Sous-diacre, je serai le serviteur de Dieu pour l'éternité. - Vanitas vanitatum praeter amare Deum et illi soli servi­re.

C'était une vocation bien ferme, et il y répondait généreusement et vaillamment.

pensees choisies

Les grâces de l'ordination. - Je dois les renouveler souvent en moi en me rappelant les vertus que chaque Ordre en particulier exige.

- Horreur du péché: Il faudrait que la moindre idée d'un péril quel­conque me fît frémir.

- Vigilance craintive et assidue.

- Fuite des occasions: si je me suis vu faible à tel endroit, il faut que je fuie.

- Eloignement de tout ce qui peut flatter les sens ou dissiper.

- Fréquentation de confrères fervents: on devrait ne s'entretenir que des sciences sacrées.

- Esprit d'ordre et d'amour de la règle.

- Amour des âmes: se préparer à l'apostolat par l'étude.

- Amour de l'étude et de la retraite: calculer son temps pour n'en pas perdre un instant.

- Haute idée du sacerdoce.

- Réception des sacrements: prendre garde à l'esprit de routine.

- Retraites mensuelles et annuelles bien faites.

- L'exercice de la présence de Dieu me devrait être familier. je dois m'ingénier à n'en plus perdre la pensée un seul instant.

Moyens: en entrant dans ma chambre: génuflexion devant le crucifix, eau bénite.

Avant de sortir, saluer mon ange gardien; saluer celui de mes condis­ciples.

Me recueilli: avant chaque action de piété; Extérieur toujours digne;

Apprendre ma théologie comme un enseignement de Notre-Seigneur.

Voici encore une page qui nous révèle son âme. Il a transcrit les pen­sées qui l'ont frappé à la lecture des notes de son cher ami M. Carlier:

Avant chaque action, réfléchir: 1° à ce que je dois faire; 2° comment je dois le faire; 3° pour qui je dois le faire: quid, quomodo, ad quid.

Après chaque action: quid feci, quo modo, cujus causa. - Et si je n'ai pas fait ce que je devais, au lieu de me décourager, je remercierai Dieu de m'avoir montré que je n'étais qu'un vil néant. je lui demanderai par­don. je lui promettrai de faire mieux et je lui demanderai ses grâces, bien convaincu que je ne puis rien sans lui. -je noterai chaque fois que j'aurai oublié ces trois interrogations avant et après mes actions.

- Lever prompt, s'habiller énergiquement, sans lambiner.

- Suivre la méthode d'oraison, le livre à la main.

- Etude: ne pas passer à une question sans avoir récité oralement la précédente.

- Dans mes repas, principalement le soir, ne pas manger beaucoup.

- Le soir, me préparer à la mort par un examen sérieux et un bon ac­te de contrition.

- A quoi me servira à la mort, d'avoir cherché à plaire aux hommes?

- Me demander le matin, et avant chaque action: «Si tu devais mou­rir ce soir, que voudrais-tu avoir fait?».

- Prier beaucoup.

- Soigner la propreté: si ces soins me coûtent, ce sera une source de mortifications et de mérites.

- Je n'ai pas toujours préparé mon office comme je le devais.

A l'approche du sous-diaconat, sa bonne mère, qui lui écrivait des let­tres bien touchantes, lui dit: Réfléchis encore avant de t'engager, de­mande sans te lasser la lumière du Saint-Esprit et la protection de la Sainte Vierge. Ouvre bien ton cœur à ton directeur. Voici la prière que je fais pour toi: «O bonne Mère, je recommande à votre charitable inter­cession mon fils aîné, qui se prépare à entrer dans les Ordres, accordez-­lui les secours nécessaires pour remplir fidèlement cette mission. Qu'il prêche l'Evangile par l'exemple comme par la parole. Qu'il ne se laisse pas affadir par les festins, les jeux et le trop grand intérêt des biens de ce monde…».

Elle ajoutait: «Malgré la tendresse que j'ai pour toi, j'aimerais mieux souffrir dix fois la douleur de ta mort que de te voir mauvais prêtre». C'était une vraie mère chrétienne: elle était très souffrante, mais toute résignée.

======V Au Grand Séminaire: 4e année (1866-1867)

Donnons encore ses notes de retraites, elles font si bien connaître toute son âme!

retraite de rentrée

I. «Praeter salutem tuant nihil cogites: solum quae Dei sunt cures. Le salut avant tout. Ces paroles sont la seule vraie sagesse, ou bien, tout le chri­stianisme n'est qu'une grossière illusion: or, je sais par la grâce de Dieu que rien n'est mieux établi que la religion chrétienne. Si j'ai du bon sens, je dois mettre cet enseignement en pratique».

II. «But du Séminaire. (Conférence de M. Vayrières). - C'est un temps précieux, les souvenirs du Séminaire me soutiendront plus tard. - Je rendre au Séminaire avec un grand sentiment de joie; je suis bien confus de voir tout ce qui me manque pour faire le bien aux âmes. J'arrive des vacances avec l'idée bien arrêtée de commencer une nouvelle vie: humi­lité, douceur, charité, mortification, patience, support des défauts d'au­trui: toutes vertus qui me manquent et dont j'aurais le plus grand be­soin. Jusqu'à présent, je n 'ai combattu que d'une manière lâche; si j'ai quelque apparence de vertu, c'est quelque chose de négatif plutôt que des vertus positives. Je suis perdu si je me contente de cette absence de péchés graves; il me faut agir contre moi-même et faire porter mon exa­men sur les moyens de m'humilier, etc.» (On le voit, il n'avait pas con­science de fautes graves, mais il voulait travailler davantage à sa perfec­tion).

III. «Le péché. - Nous ne saurions trop concevoir d'horreur pour le péché. Les feux du purgatoire, les tourments de l'enfer, si rigoureux qu'ils soient, ne sont pas de trop pour punir le péché, parce que le châti­ment doit être proportionné à la grandeur de l'offense, qui s'attaque à une Majesté infinie».

IV. «Péché de saint Pierre. - 1 ° Circonstances de sa chute, ressemblan­ce avec les nôtres;

2° Enormité de sa faute».

3° «Conversion de saint Pierre. - Je l'ai imité dans sa lâcheté, je dois l'imiter dans sa conversion. Il y a d'abord le regard de Jésus. judas aussi avait reçu ce regard, mais quelle différence!

Egressus foras: il quitte tout ce qui lui avait été une occasion de péché. Il se chauffait auparavant, mais une fois converti, il ne tient plus compte de la sensualité.

Flevit amare: Voilà les signes de sa conversion: ses larmes, son change­ment de vie. Il sera le premier à souffrir et le plus zélé pour la conversion des autres. je devrais aussi toute ma vie réparer mes péchés par mes tra­vaux, mes paroles, mes prières pour la conversion des âmes.

Il donne sa vie pour son maître, ce doit être là mon plus grand désir. Suis-je prêt? je ne puis espérer cette grande faveur qu'autant que je sau­rai tout souffrir sans me plaindre».

V. «La mort. - Dabit magnam fiduciam bene moriendi contemptus mundi, fer­vens desiderium proficiendi… Bien mourir, c'est la seule chose importante pour moi! je mépriserai donc le monde. Que de choses je dis ou je fais dans le seul but de paraître! Il faut que je substitue dans mon esprit les vérités de la foi aux fausses maximes de ce monde… Si chaque jour, j'apportais le plus grand soin à la méditation, aux examens, à la lecture spirituelle, n'aurais-je pas rempli la deuxième recommandation? Quelle confiance me donnerait à la fin de mon Séminaire la fidèle observation du règlement! - Iota unum non praeteribit. Quelle pénitence ai-je faite ju­squ'à ce jour? Ce doit être cependant mon occupation constante. La mort a frappé pendant ces vacances deux séminaristes qui, il y a un an, ne s'y attendaient guère. Comment avaient-ils passé l'année? Comment auraient-ils voulu l'avoir passée, quand est venu le moment suprême? L'un d'eux, un quart d'heure avant de mourir, comptait encore rentrer au Séminaire. On a écrit sur la tombe de l'autre (Wattelier): «Sémina­riste pieux et savant». Dieu juge-t-il comme les hommes?

La vie m'a été conservée pour que je me sanctifie. je veux mieux vivre pour être sûr de bien mourir…

La pensée de l'éternité seule me sauvera. Ainsi, le soir en me couchant, préparation à la mort; le matin, pensée du jugement, du ciel à gagner; avant mes examens particuliers et généraux, c'est-à-dire huit fois par jour, pensée des jugements de Dieu; avant chaque confession, me pénétrer de la pensée du jugement général; demander à Dieu la grâce d'être préservé de la mort sans confession. Chaque mois, revue sérieuse des moindres dé­tails de mes actions».

VI. «Préparation â la mort. - Soyons toujours prêts. -je serai un troi­sième saint Antoine, ou il m'en coûtera la vie… (Ces mots indiquent son zèle ardent pour les pénitences et mortifications). Bonté de Dieu à mon égard: Fecit mihi magna qui potens est. Je dois me rappeler dans la tentation tout ce que Dieu a fait pour moi, et me demander si je veux continuer à user envers lui d'ingratitude.

Ma vie doit être une pénitence continuelle pour tous les péchés véniels qui m'échappent, leur nombre est effrayant. Ils proviennent: 1° de ma négligence dans les exercices spirituels; comme toutes ces confessions, ces communions imparfaites me pèsent! ces prières mal faites, cet office récité avec tant de distractions?

- La confession, je dois y penser la moitié de la semaine pour m'y préparer, et l'autre moitié pour renouveler la contrition dans mon cœur et rendre grâces du bienfait de l'absolution. - Pour la communion, re­doubler la veille mes actes de contrition, de désir, et dans la journée, me figurer que je porte un vase rempli d'une liqueur d'un grand prix. - Pour ma méditation, la préparer toujours la veille.

2e source: le temps mal employé: faire le nécessaire d'abord, l'utile ensuite. Je ne sais bien aucune des sciences qui m'ont été enseignées, je ne les ai pas assez approfondies.

3e source: les paroles contre la charité. Je suis effrayé de ma négligen­ce. Je ne suis pas fervent, mais tiède, et par l'expérience de mes vacan­ces, je sais que je ne ferai que décroître après ma sortie du Séminaire; il faut apporter dans le ministère une vertu toute formée, les bons desseins ne suffisent pas».

Au 16 février 1867, il écrit: «J'arrive bien tard pour travailler à la vi­gne du Seigneur, avec quelle ardeur ne devrais-je pas m'y dévouer! Je vais commencer dès maintenant à être un saint, disait saint Charles à son réveil. La grâce de Dieu me poursuit et me torture, je n'aurai la paix de l'âme que lorsque je serai arrivé à me porter toujours à ce qui est le plus agréable à mon divin Maître. Je n'ai que cela d'important sur la terre… Je résiste souvent, Seigneur, à vos inspirations, qui me disent de faire telle action et d'omettre telle autre; tourturez-moi, Esprit d'amour, que je n'aie point de repos que je ne sois tout à vous».

Au 23 février: «Je veux être un troisième saint Antoine. Cette pensée me stimule et me réveille: je ne serai jamais digne de la gloire extérieure, mais je ne veux pas que personne puisse vous aimer davantage que moi, Seigneur».

retraite du diaconat

L'ordination eut lieu le 15 juin.

I. «Le combat spirituel. - Le 25 mai, il écrit: Nemo coronabitur nisi légitime certaverit. - Ce n'est que par des efforts redoublés que j'arriverai à ce bonhoar que Jésus est allé nous préparer au ciel par son Ascension. Vigi­late et orate. Il faut que je prie véritablement, que toutes mes actions soient implicitement des prières. Je ne puis être doux et humble que par la grâce… - L'attention aux petites choses est l'économie de la vertu» (Prou. chinois).

II. «La Passion est la méditation principale de cette retraite. - La Pas­sion nous enseigne toutes les vertus. Ce qui me manque le plus, c'est l'humilité: quelle humiliation dans les souffrances de mon Dieu. - La douceur: ai-je bien le droit de me fâcher de rien après cet exemple? - La charité… la mortification…

En méditant la Passion, je puis apprendre tout ce qu'il m'est nécessai­re de savoir pour être un saint prêtre, pour convertir ces pauvres âmes, pour lesquelles Notre-Seigneur a tant souffert.

J'ai ma part de responsabilité dans toutes les souffrances de Notre­Seigneur.

Pardonnez-moi, ô Souveraine Pureté, de vous avoir reçue dans un cœur mal préparé.

Pardonnez-moi, ô Souveraine Vérité, de vous avoir souvent blessée en manquant à mes promesses, à mes résolutions.

Pardonnez-moi, ô Patience si vraie de mon Sauveur, de vous avoir flagellée par mes fautes répétées.

Pardonnez-moi, ô Souveraine Sagesse, de vous avoir offensée par l'oubli de la préférence que je devais à votre infinie beauté… Faites-moi ressusciter le troisième jour par une contrition vraie, par une confession qui me purifie, par une digne et complète satisfaction».

III. «L'obéissance au directeur est le premier moyen pour avancer dans la perfection. - Ne sis sapiens apud temetipsum. - Il faut être comme un bâ­ton entre ses mains. Tous les saints prêtres, si savants qu'ils aient été, malgré toute leur prudence spirituelle, se sont laissé conduire comme des enfants dociles. - La pratique habituelle de saint Vincent était de se de­mander ce qu'aurait fait Notre-Seigneur dans telle conjoncture: le direc­teur, c'est le représentant de Jésus-Christ, c'est lui qui nous intime les ordres de Dieu et nous fait connaître ce qui lui est agréable. Les anciens philosophes conseillaient d'agir comme sous le regard d'une personne respectable. Que de choses je ferais autrement si je me posais cette question: qu'en penserait mon directeur?… Un principe reconnu utile pour avancer rapidement, c'est de choisir entre deux choses indifférentes la plus opposée à l'inclination naturelle. Rarement j'agis ainsi, mais si je me représentais à mes côtés mon directeur, me conseillant de faire telle chose et non telle autre, je pourrais arriver à me vaincre. C'est la résolu­tion la plus pénible à mon caractère que je puisse trouver, mais Jésus a dit: Jugum meum suave est et onus meum leve. Il pourra venir un temps où je me porterai toujours à ce qu'il y a de plus parfait…».

IV. «Le bon pasteur. - Cognosco oves meas et cognoscunt me meae. - Le prê­tre est pasteur des âmes, il doit les connaître et en être connu. Quelle est cette connaissance? Connaissance générale et particulière. - En arri­vant dans une paroisse, il faut observer quel en est l'esprit général, et avant de le connaître, il ne faut parler et agir qu'avec beaucoup de réser­ve. - Il y a des paroisses divisées entre plusieurs partis, le curé doit glis­ser entre eux sans les heurter; ne pas s'occuper de politique, d'élections, d'affaires de municipalité… Que de curés se sont perdus par là!

Les prédécesseurs ont fait des fautes, il faut les éviter et profiter de leur expérience. Ils ont réussi sur telle voie, il faut y marcher. Dans cer­taines paroisses malheureuses, on ne saurait entendre parler ni de la mort, ni de l'enfer, ni de la confession. A quoi bon traiter de front ces su­jets qui feront fuir les gens sans retour? Au contraire, telle vertu domine dans la localité, on aime à entendre parler de tel sujet. Il faut commencer par là, amener son auditoire à entendre d'abord indirectement ce qu'on doit lui dire et ce qu'il ne voudrait pas entendre.

Il faut encore connaître les âmes en particulier et comment? en se ren­dant compte de la situation de chacune. Pour cela, l'Eglise recommande dans son rituel le Liber animarum; en le rédigeant avec toute la discrétion convenable, ce sera pour le pasteur un mémorial de ce qu'il doit faire, de ce qu'il doit obtenir.

Ainsi, il ne doit pas oublier qu'il y a dans telle famille un mariage à ré­gulariser. Avec toutes les précautions que demande ici la prudence, il faut se ménager un accès pour mettre fin au scandale, et l'on n'y arrive­ra peut-être que dans plusieurs années.

Le pasteur doit étudier les caractères, afin de savoir comment il doit s'y prendre. Ici, c'est un malade, un infirme, auquel personne ne songe… Là, un incrédule qui jamais n'ira trouver le prêtre si celui-ci ne se dérange.

Visiter toutes les familles en général, trouver le moyen de parler à tous. Tel ouvrier travaille aux champs, jamais je ne pourrai le voir chez lui, mais, si en passant sur le chemin, je lui parle avec bonté, il aura tout de suite une autre idée du prêtre. Puisque l'on ne vient pas vers nous, il faut que nous sachions, comme Notre-Seigneur, courir vers la brebis égarée. Il faut que l'on nous connaisse, sans quoi, en cas de nécessité, on ne songera même pas à venir nous chercher. Il faut habituer les fidèles à voir le prêtre, mais quelle prudence pour ne pas faire dire que nous al­lons plus souvent dans telle famille que dans telle autre! quel tact pour se garder de descendre jamais de sa dignité!

Enfin, il faut de la patience. Il faudra savoir attendre dix ans peut-être le moment favorable. Ce n'est qu'après avoir été témoin longtemps d'une pureté d'intention qui ne s'est jamais démentie, que le peuple fini­ra par y rendre justice. - Hélas! souvent cela commence bien, on boule­verse tout les premières années, puis le feu de paille tombe, la piété et le zèle font place à la routine, et l'on dit comme les confrères refroidis: il n'y a rien à faire! Ce qu'il faudrait, ce serait de croître toujours soi-­même en ferveur, de redoubler de charité, de se soutenir par l'oraison, par la lecture spirituelle, par les retraites, renouveler la vie des saints de la Thébaïde, avec la douceur de saint François-Xavier et cette pensée constante: je suis ici comme un missionnaire».

V. «L'administration temporelle. - L'avarice d'un prêtre est un des pires défauts. Elle le rend misérable et méprisé, il est la continuation de judas.

Prudence dans le maniement des fonds que la Fabrique ou la commu­ne met à notre disposition. - Mettre bien en ordre ses affaires temporel­les et ce qui nous est confié pour une bonne œuvre ne doit pas être em­ployé à autre chose, même provisoirement. Noter sur le papier qui con­tient ce dépôt: argent de M. X., de la Fabrique, de telle œuvre - inscri­re ces dépôts dans ses registres. Il faudrait, qu'un curé surpris par une maladie grave, n'eût pas à se préoccuper de ses affaires temporelles.

Payer chaque chose au comptant ou au moins toutes les semaines ou tous les mois. Pour les ouvriers, payer comptant. Ne pas acheter de li­vres à crédit.

Payer la servante tous les mois. Ne pas lui emprunter. Agir de telle sorte qu'on puisse toujours être libre de la renvoyer. je serais d'avis d'économiser de quoi avoir 1000 fr. de rente à 65 ans, tout en me propo­sant bien de n'en user jamais. Cet argent servirait à enrichir la Caisse de retraite pour aider des prêtres infirmes.

- Si l'on croit opportun d'établir quelque tarif nouveau, ne pas le faire sans consulter l'évêque. Nous ne sommes prêtres que pour les âmes, veiller à ne pas compromettre leur salut pour des questions d'inté­rêt».

VI. «La récitation de l'office divin devrait être pour nous un bain spiri­tuel, au sortir duquel on se sente tout retrempé dans la piété et l'amour de Dieu.

Abréger plutôt d'autres exercices de dévotion pour bien réciter le bré­viaire. Quel affreux malheur, de consacrer tant d'heures à des exercices destinés à nous sanctifier et de croupir toujours dans la tiédeur!…».

VII. «L'étude. - je ne dois étudier que pour sauver mon âme et celle des autres. je ne dois estimer une science que selon qu'elle peut m'être utile pour le but de ma vocation. Il y a des études qu'aucune autre occu­pation ne doit me faire négliger:

1° L'Ecriture Sainte. Il y a deux ans, j'avais pris l'habitude d'en lire quatre chapitres par jour. Pendant un temps, j'en apprenais chaque jour quelques versets, pourquoi ne pas continuer?

2° Un auteur ascétique.

VIII. «Veillez et priez. - Vigilate et orate, spiritus quidem promptus est, caro autem infirma. Notre-Seigneur m'adresse aujourd'hui ces paroles pour toute ma vie. Il me semble que je serai fervent quand je prends une réso­lution, mais l'expérience est là. Si je veux persévérer toute ma vie, il me faudra l'oraison bien faite, les examens particuliers et généraux bien cor­rects, des lectures spirituelles avec le désir d'en profiter».

Il a écrit avec tout son cœur cette méditation sur le Bon Pasteur, c'était sa vie de curé qu'il décrivait d'avance.

======VI Au Grand Séminaire: 5e année

ses vacances

C'était la vie d'un bénédictin.

Lever a 4 heures. - 4 h. 1/2, prières vocales, prières pour les indul­gences, six Pater, etc. Méditation: résolution et bouquet spirituel bien déterminés.

5 h. 1/4. Examen de prévoyance, examen particulier, examen de l'oraison. Etudier quelques versets du Nouveau Testament suivant cet ordre: S. Mathieu, S. Jean, S. Paul.

6 heures. Etudier Picquigny. Aller à l'église en récitant quelques ver­set d'Ecriture Sainte; le chapelet, les petites heures avant la messe.

8 h. 1/2. Etude de la théologie - interrompue par la lecture du code de Mgr Gousset, par un numéro de l'Imitation.

10 heures. Etudier quelques instants dans le jardin.

11 heures. Angelus. - Novum. - Examens de Tronson. - Examen particulier. - Noter.

11 h. 20. Apprendre quelques versets. Un psaume dans Bellanger.

1 heure. Visite, Vêpres, chapelet, indulgences.

1 h. 3/4. Lecture spirituelle.

2 h. 1/4. Vie d'un saint. Deux chapitres de l'Ancien Testament.

3 heures. Théologie mystique. Deux chapitres de l'Ancien Testa­ment.

3 h. 1/2. Rédiger quelques notes dans mes répertoires, ou bien lan­gues vivantes, ou botanique.

4 heures. Matines, examen particulier, souvenir de l'oraison.

4 h. 3/4. Exercice de composition: traduction d'un psaume. - Rédi­ger quelque chose pour le catéchisme, faire un sermon, rassembler des matériaux, imiter une belle page, traduire un beau passage, faire quel­ques vers.

7 heures. Sermons de Bourdaloue, noter des passages, me répéter les divisions.

7 h. 1/2. Prière du soir à l'église, examen général et particulier, cha­pelet, adoration.

Après le souper, apprendre quelques versets, lire le sujet d'oraison, li­re des yeux ce règlement, six Pater et Ave, De Profundis.

- Ce que je désire avoir appris à la fin de mes vacances: 1° repasser les cinq traités de la Justice, des Censures, Pénitence, Eucharistie, Ma­riage. En faire des résumés, des tableaux synoptiques;

2° Revoir les Contrats, lire le Code et commentaires, le Concile de Trente;

3° Tout Bélanger et Carrières sur les psaumes;

4° Un sermon de Bourdaloue par semaine, lire des sermons pour la Première Communion;

5° Repasser les méthodes d'anglais et d'italien; dictionnaire de Be­nard. Novum en grec, la Flore du pays… - Pas d'autres livres, sauf les ascétiques en latin, les vies de saints et les préparations de sermons et ca­téchismes.

Voilà des vacances héroïquement employées.

Il a fait sa première prédication comme diacre au 7 juillet.

retraite de rentres

I. Une belle méditation de M. Tournier (son supérieur), sur le péché…

II. «La paix intérieure. - C'est une si grande chose que ce n'est rien de l'acheter par tous les sacrifices. Pax Dei quae exsuperat omnem sensum. Je n'aurai la paix que lorsque je me porterai de préférence à ce qui est le plus agréable à Dieu. La seule pensée, qu'en faisant telle chose, qu'en acceptant telle imagination, je vais perdre cette paix, doit suffire pour me retenir. Si je veux avoir la paix, je dois chaque soir détester mes pé­chés et chaque semaine bien faire ma confession».

III. «La grâce. - 1 ° C'est un don qui n'est pas dû à notre nature, et par lequel notre âme est rendue capable de connaître et de posséder Dieu.

2° Elle nous est nécessaire: Sine me nihil potestis facere. Si je néglige la grâce et si j'en abuse, je ne pourrai pas posséder Dieu…

3° Elle nous est prodiguée: les sacrements, la confession, la commu­nion surtout… Tant de bons exemples, de bonnes pensées… l'oraison, les exercices spirituels, le rosaire…

4° Quel usage ai-je fait de la grâce, depuis si longtemps que j'ai voulu me donner au service de Dieu? Chaque soir, je dois me poser cette ques­tion: quel usage ai-je fait de la grâce aujourd'hui?».

IV. «Les défauts de caractère. - Je remarque la différence entre mon na­turel irascible et le caractère pacifique, endurant, poli et prévenant de jeunes gens plus jeunes que moi. Je manque à la douceur par des paroles aigres, chagrines, impatientes…

Les causes: manque de mortification… trop grande estime de moi­même… désir de faire prévaloir mon sentiment… empressement, agita­tion».

(Ces défauts provenaient de son naturel, il les a combattus toute sa vie).

quelques bonnes notes de l’hiver

Le 9 novembre, fête de la Dédicace du Saint Sauveur. - «Je suis votre temple, ô mon Dieu, je vous ai été consacré par le baptême. - Le Sau­veur est venu souvent en moi par la communion. - J'ai été consacré au Saint-Esprit par la confirmation, et plus pleinement par le diaconat. Mon corps vous appartient aussi, ô mon Dieu: par la sainte tonsure, j'ai renoncé à le faire servir à la vanité. Au sous-diaconat, vous avez reçu le don sans réserve que je vous en ai fait. Trinité sainte, donnez-moi la gra­ce de respecter en moi votre temple…».

16 novembre. - «O Marie, préparez-moi à la fête de votre Présentation au Temple. Je voudrais, ô mon Dieu, me présenter à vous avec tous les sentiments qui remplissaient le cœur de cette enfant privilégiée, avec le même détachement de moi-même et de toutes les créatures, le même ze­le pour votre gloire. O Marie, présentez mon cœur avec le vôtre; de­mandez à votre Jésus, dont je vais devenir le prêtre, de corriger ce qu'il y a de défectueux en moi, de me refaire à votre image, pour qu'il puisse naître sacramentellement avec satisfaction entre mes mains, comme il est né dans votre sein par votre Fiat! Encore quelques mois de prépara­tion, obtenez-moi la grâce d'avancer chaque jour dans la perfection, par un grand élan de cœur et un grand zèle pour l'amour de Dieu».

19 novembre. - «Il est encore temps de me former pour toute ma vie. Quel avantage inappréciable si je prends l'habitude d'une dévotion humble, craintive et amoureuse dans la récitation du saint bréviaire! - Je viens de dire l'office de saint Elisabeth pour ma bonne mère et ma fa­mille, mais quelle imperfection et quelle tiédeur! - En tombant sur la dalle, pour le sous-diaconat, je vous ai demandé, ô mon Dieu, de ne pas me familiariser avec le saint office. Je me sens défaillir, donnez-moi la persévérance, la fidélité à votre amour qui me sollicite si fort. Je vou­drais réciter l'office comme M. Olier, qui, accablé de fatigue par une journée de travail, restait le soir à genoux, immobile devant le Saint Sa­crement, pour y réciter tout son office - ou comme saint Ignace, qui s'asseyait dans un endroit d'où il pût voir le ciel et prononçait les paroles lentement, modestement, s'attachant à exciter dans son cœur les senti­ments et les élans des psaumes, - comme le saint Curé d'Ars, dont la manière simple et naturelle de prononcer frappait ceux qui avaient le bonheur de réciter l'office avec lui… C'est sur la prière des prêtres que l'Eglise fonde son espoir de triompher de ses ennemis. Ne suis-je pas cause, par ma tiédeur, des calamités publiques et des victoires de Satan?… Que demandez-vous de moi, ô mon Dieu? Que je récite mon office au premier moment libre, que je quitte tout par amour pour vous, afin de vous donner les prémices de mon temps, que je m'arrange pour dire l'office loin du bruit et des causes de distraction…-.

30 novembre. - Seigneur, pendant ce saint temps de l'Avent, je vou­drais vous témoigner que je vous aime par ma fidélité dans les petites choses. Je le ferais bien pour un ami de la terre, je veux le faire pour vous, ô mon tendre ami Jésus, le seul ami qui m'aime. Quelle n'est pas ma folie de vouloir être aimé de ceux dont l'amitié sera toujours incons­tante, basée sur l'amour-propre, l'orgueil, les agréments de l'esprit et de la chair, et de ne rien faire pour vous qui m'aimez tant! Je veux com­mencer tout de bon à présent».

14 décembre. - «O Marie, mon modèle, préparez-moi afin que je reçoive dignement Jésus votre divin fils. Mettez en mon cœur les vertus qu'il affectionne: l'esprit d'humilité, de soumission, de patience, de douceur, de fidélité aux petites choses. Je ne puis rien par moi-même, aidez-moi, ô Marie, vous qui êtes le secours des faibles».

31 décembre. - «O Marie, ô ma Mère, je vous consacre l'année qui va commencer. C'est la plus importante de toutes mes années. Donnez-moi d'effacer par ma ferveur tous mes abus de grâces au Séminaire».

8 février. - «Je n'ai plus que quatre mois pour me sanctifier, puis je devrai sanctifier les autres. Je les sanctifierai en proportion de ma sainte­té …».

retraite d'ordination. - (31 mai-6 juin)

I. «La retraite. - 1 ° Notre-Seigneur, avant de monter au ciel, recom­mande à ses apôtres de demeurer dans la ville afin d'attendre l'Esprit­-Saint, qu'il devait leur envoyer. Comme ils obéissent bien! Ils se tien­nent dans le recueillement, ils s'enferment dans le Cénacle avec Marie et ils prient.

2° Ils avaient besoin de l'Esprit-Saint. Après trois ans passés avec Notre-Seigneur, ils ne le connaissaient guère, ne comprenaient pas sa mission, n'avaient que des vues temporelles, et trouvaient tant de diffi­culté à croire, même après les prodiges les plus éclatants.

3° Mais, lorsqu'ils eurent reçu cet Esprit, ils se trouvèrent changés en d'autres hommes. Pierre, si timide, parle sans crainte à la multitude des juifs. Les apôtres ne craignent pas la mort. ils ont dépouillé l'esprit du monde et de la chair, ils se réjouissent des opprobres, ils comprennent les Ecritures, ils n'agissent plus que selon l'Esprit de Dieu, ils vont par le monde, et l'Esprit-Saint qui est en eux opère des prodiges de conversion.

4° Quel besoin n'ai-je pas, moi aussi, de l'Esprit de Dieu? Je suis en­core si terrestre! Je dois travailler au salut des âmes et je ne puis sauver les âmes que par l'Esprit-Saint, car le prêtre ne fait rien d'utile dans l'or­dre surnaturel si l'Esprit-Saint n'anime pas toute sa conduite, ses paro­les, ses pensées. Sans l'Esprit-Saint pas de prêtre, ou bien le prêtre se perd en perdant les autres.

5° Toute ma vie, je dois me souvenir que les moyens naturels sont im­puissants. Il faut l'Esprit de Dieu pour les choses de Dieu…

6° Notre-Seigneur, et l'Eglise après lui, demandent l'Esprit-Saint pour les hommes apostoliques. Je devrai donc toute ma vie, m'appliquer à conserver les grâces des ordinations…».

II. «Les obstacles. - Il me faudra écarter avec soin tous les obstacles que l'action de l'Esprit-Saint rencontrerait. Ces obstacles sont le péché, le monde et la chair.

1° Le péché, qui contriste l'Esprit-Saint. Fuyons tout péché mortel ou véniel. Ne restons jamais dans cet état. Si des fautes nous échappent, hâtons-nous de nous purifier. Veillons sur nos sens, nos pensées, nos pa­roles. Rappelons-nous la présence du Saint-Esprit dans notre cœur. Au Séminaire on ne connaît pas le péché. J'entends parler souvent de fautes graves ou légères commises par des prêtres; est-il possible que j'en vien­ne à avaler ainsi l'iniquité!… Si je veux y échapper, il faut que toute ma vie soit consacrée à la pénitence, que je mortifie mes sens et toutes mes facultés. Je dois me souvenir de ce que m'a dit le Père L.: «Fuyez toute idée impure, tout ce qui expose à une faute en ce genre; veillez sur votre imagination, votre mémoire, vos regards; que rien ne puisse blesser un ange dans vos gestes et dans vos actions; faites-vous une habitude de cet­te vigilance, sans quoi vous vous préparez des tortures de conscience inouïes… ».

2° L'esprit du monde. - Nolite diligere mundum, nec ea quae in mundo sunt. Rien de plus opposé à l'Esprit de Dieu que l'esprit du monde. Le monde estime les honneurs, les postes éclatants, les richesses, l'indépen­dance… J'ai renoncé au monde, je dois renoncer à son esprit.

3° L'esprit de la chair. - Caro concupiscit adversus spiritum. Il y a une lutte entre l'Esprit de Dieu et la chair. Qu'est-ce donc que la chair? C'est la triple concupiscence de l'orgueil, de la convoitise et de la sensua­lité. - L'esprit de la chair veut paraître et dominer, l'Esprit de Dieu est un esprit d'humilité. - L'esprit de la chair veut acquérir et posséder, l'esprit de Dieu est un esprit de détachement et de pauvreté. - L'esprit de la chair recherche ses aises, sa tranquillité, il redoute la gêne, la souf­france; l'esprit de Dieu nous apprend à nous gêner et à aimer la souf­france pour la gloire de Dieu. - Il y a surtout le sens de la chair auquel l'homme ne peut résister par ses propres forces…

III. «Les moyens. - Il y a des moyens à mettre en œuvre, qui sont le recueillement, la prière, l'union à Notre-Seigneur.

1° Le recueillement: l'Esprit-Saint n'habite pas dans un cœur agité. Il faut, qu'au milieu de mes occupations, je garde le calme et l'oeil ou­vert sur moi-même… On doit voir dans le prêtre l'homme qui s'observe…

2° La prière: Les apôtres persévéraient dans la prière avec Marie, je dois les imiter.

On attire l'Esprit-Saint, on le conserve, on augmente son action par la prière…

3° L'union à Notre-Seigneur: Il est la vigne dont je suis une branche. Le Saint-Esprit en est la sève. Faire tout pour Jésus, avec Jésus, en Jésus, pour être avec Dieu dans l'unité du Saint-Esprit…».

IV. «L'humilité. - Elle a trois degrés.

Le premier est la connaissance pratique de son néant, le mépris de soi­même.

Le deuxième degré consiste à agir en conséquence en supportant les humiliations, les mépris…

Le troisième va jusqu'à aimer les humiliations pour la gloire de Dieu et le salut des âmes… Le moyen se trouve dans la douceur, la paix de l'âme, la modestie extérieure et intérieure…».

V. «La charité envers le prochain, principe du zèle dans la vie apostolique».

VI. «Après la confession, à la veille de l'ordination: «Cor contritum et humi­liatum Deus non despicies. Toute ma vie, je dois conserver un cœur contrit et humilié et remercier le Seigneur de tout ce qu'il a fait pour me retirer de l'abîme; il m'a pardonné, il veut me sauver. En retour, je dois me donner tout à lui, corps et âme. A lui ma santé, mon temps, mes facul­tés, pour son service et pour le salut des âmes».

RESOLUTIONS. - Le pieux ordinand écrit des résolutions détaillées et il prévoit la vie de presbytère qui sera bientôt la sienne.

- Lever matinal à 4 heures.

- Exercices de piété quam primum.

- Exercice de la mémoire, le matin et le soir.

- Une heure de saint Thomas.

- Une heure de théologie morale.

- Composition française: deux heures.

- Un quart d'heure d'anglais ou d'italien. - Ascétisme: une heure…».

quelques notes

- «La dévotion aux saints Apôtres, aux Saints qui ont le plus converti d'âmes, doit m'être familière. J'aurai plus tard des âmes à convertir, il faut que ces saints me sanctifient d'abord, pour que je puisse sanctifier les autres».

- «Je vois Notre-Seigneur s'offrir tous les jours pour moi sur l'autel; il y continue le sacrifice du Calvaire. Si je m'offrais sincèrement avec lui, resterais-je aussi imparfait?».

Il fut ordonné prêtre le 6 juin 1868. Il avait près de vingt-cinq ans. Quelle joie pour sa sainte mère! Il était estimé à Juvincourt. Il avait édi­fié tout le monde pendant ses vacances de séminariste. Sa première mes­se mit tout le pays en émoi. Tout le monde y assista. On avait dressé un arc de triomphe près de la maison paternelle, et on vint le chercher en procession.

Mgr l'évêque lui laissa un mois de vacances, puis, il le nomma admi­nistrateur des paroisses de Baulne, La Chapelle et Saint-Agnan…

Nous avons décrit ses cinq années de Séminaire par ses notes de re­traite, c'est qu'il était homme de caractère. Il nourrissait sa piété toute l'année et relisant ses notes de retraites et ses résolutions. - A la retraite annuelle, à la retraite du mois, il revoyait son carnet de résolutions.

Piocheur infatigable, il dévorait la besogne. Au Grand Séminaire comme au Petit, Rasset était le plus ferré de sa classe. Son zèle et sa faci­lité pour l'étude lui permettaient de joindre aux matières scolaires des études personnelles: saint Thomas d'Aquin, surtout, puis, l'histoire, la langue anglaise, la botanique, etc.

Sa conversation était édifiante autant qu'intéressante. Il retenait et ra­contait facilement les traits les plus frappants qu'il rencontrait dans ses lectures.

Il n'a pas noté ses pénitences, mais nous savons par sa bonne soeur que, dès le Séminaire, il n'épargnait ni la discipline ni le cilice, et il s'im­posait les mortifications fréquentes qui enrichissent l'âme et la préparent à l'apostolat.

Ses premiers jours de sacerdoce furent des jours de grandes grâces et d'émotions profondes, dont le souvenir l'impressionna toujours.

======VII À Baulne (1 juillet 1868 – 28 août 1871)

Le bon abbé est envoyé par son évêque à Baulne, en Brie. Il passera là trois ans, dans un pays sans foi. Quelle épreuve pour un jeune prêtre!

NOTES DE SA SOEUR: Le jeune prêtre fut nommé administrateur de Baulne, La Chapelle et Saint Agnan, trois paroisses sans religion!… De braves gens, polis, honnêtes, mais d'une indifférence complète pour le Bon Dieu. - Voilà donc ce jeune prêtre obligé, tous les dimanches, de faire quatre kilomètres et souvent dans la boue, à pied, pour aller chan­ter la messe et prêcher pour trois ou quatre assistants, et revenir chanter la messe de dix heures à Baulne, où il n'y a pour assistance que quelques petits enfants qui courent sous les bancs comme des lapins…

Sa bonne maman qui est restée trois mois avec lui pour pourvoir à tout ce qui était nécessaire, le voyant tous les dimanches pleurer pendant sa messe, essayait en vain de le consoler. - Sa soeur, âgée de vingt ans, et qui voulait être religieuse, est toute contente, sur le désir de ses pa­rents, de vivre avec son frère, en attendant qu'elle aille au couvent. Avec quelle joie elle se dévoue à arranger ses églises, à les orner de fleurs qu'elle confectionne, à l'aider pour instruire les enfants et à les réunir autour d'elle pour les surveiller à la messe!

En vain ce prêtre zélé prépare de bons sermons qu'il prêche aux bancs chaque dimanche, en vain il multiplie ses visites chez ses paroissiens. Il a trente hameaux, il est toujours en course, il va jusqu'à quinze fois chez un malade sans rien obtenir. Il rassemble chez lui les enfants des ha­meaux pour leur faire faire la Première Communion. Ces chers petits semblent tout pleins de bonne volonté, mais hélas! les parents les empo­chent de revenir à l'église après la Première Communion, même pour la messe du dimanche. C'est un dicton du pays, qu'une jeune fille qui va à la messe ne peut pas trouver à se marier.

Cependant, une jeune fille de Condé, convertie à Laon où elle est restée deux ans, vint s'établir dans le pays. Elle se fit remarquer par son assiduité à fréquenter l'église et les sacrements. Ce fut une compagne pour la soeur du curé. Elle avait la même vocation. Elle est entrée chez les Augustines de Soissons.

Survient la guerre de 1870, qui jette la consternation dans tout le pays. La soeur du curé se retire à Juvincourt chez ses parents. Les Prus­siens arrivent à Baulne. Une centaine logent au presbytère: colonel, ma­jor, etc. Impossible de se procurer des vivres. Ces messieurs tracassent la cuisinière, elle s'en va dans sa famille, ils sont bien obligés alors de faire leur cuisine. Ils avaient ce qu'il fallait. Ils invitent le curé et rien ne man­que, pas même le champagne. Mais tout n'alla pas aussi bien par la sui­te. Le curé occupait la moitié de l'ancien prieuré, le propriétaire s'était réservé l'autre moitié. C'était un jeune homme qui avait organisé des francs-tireurs. Ils se cachaient dans les bois voisins pour arrêter et piller les Prussiens qui y passaient. Un jour, ils enlevèrent la caisse: Grand émoi à l'état-major à Condé. Les Allemands demandèrent où demeu­raient les francs-tireurs, on leur dit: au presbytère de Baulne. Ils accou­rurent pour fusiller le curé. En vérité, celui-ci n'avait pas favorisé les francs-tireurs, il les avait même avertis du danger qu'ils faisaient courir au pays.

Ces messieurs arrivent. Le curé, justement effrayé, jette un regard suppliant sur la gracieuse statue de Notre-Dame de grâce qui ornait sa salle à manger et il dit à la Sainte Vierge: «Ma bonne Mère, secourez­moi».

Les Prussiens entrent. L'un des chefs fait le salut militaire à la Sainte Vierge, cela rassure le curé. On perquisitionne, on ne trouve rien. Le curé offre de rafraîchir les soldats. Ils voudraient encore visiter la maison voisine, mais le curé leur dit: «Ce n'est plus chez moi, cela ne me regar­de pas». Ils boivent le vin blanc et s'en vont de bonne humeur, en faisant leurs adieux à M. le Pasteur. Le curé va ensuite voir dans la maison voi­sine, il y trouve des fusils et des képis qu'il jette dans un puits. Il a attri­bué son salut à la très Sainte Vierge. Il se rendit à Soissons pour consul­ter son évêque qui lui dit de rester dans sa famille jusqu'à nouvel ordre. Les Prussiens revinrent plusieurs fois à Baulne, mais le curé était à l'abri.

Les francs-tireurs de Baulne s'étaient unis à ceux de Montmirail et d'autres communes. Ils étaient cinq cents. Ils disposaient de 700 fusils, 30.000 cartouches, 2 pièces de canon, 2 mitrailleuses. Tout cela était ca­ché dans les bois. Ils venaient souvent se reposer la nuit au prieuré et dans le village et, parmi eux, certains bandits avaient déjà insulté et me­nacé le curé.

M. Rasset avait su, avant de partir, qu'il y avait, malgré l'insuccès des perquisitions, un mandat d'arrêt lancé contre lui. Il rencontra à Jaulgonne l'officier qui avait salué la Sainte Vierge à Baulne. De nou­veau cet officier se montra respectueux et donna sa carte au Père Rasset. M. Rasset a su depuis qu'un franc-tireur avait mis en joue cet officier, puis s'était ravisé, comme retenu par une inspiration. La Sainte Vierge était sans doute intervenue.

M. Rasset reçut à Baulne, avant et après cet incident, plusieurs lettres de sa soeur. Elle annonçait des épreuves de famille: leur mère malade, leur père blessé en passant une haie, le grand'pere grièvement blessé aussi dans une chute. Elle décrivait la panique à Juvincourt, on cachait ce que l'on avait, on se sauvait avec un peu de linge et de provisions dans les bois…

M. Rasset alla à Paris après la Commune, pour y reconduire une reli­gieuse; elle décrit ce qu'elle a vu: l'Hôtel-de-ville effondré, les Tuileries en ruines, les églises pillées, les usines de La Villette encore fumantes, et malgré ces leçons de la justice divine, le monde courant de plus belle aux théâtres et aux fêtes…

M. Rasset profita de ses loisirs pour aller faire une bonne retraite à Laon chez les jésuites. Il y alla aussi les années suivantes.

Il a laissé peu de notes en 1871 en dehors de cette retraite, quelques pensées sur la mort, sur l'éternité, sur l'indifférence. Il a copié de belles pages de Massillon sur la dignité du prêtre, sur le péché du prêtre.

- «Le sacrifice nous fait peur, écrit-il, pourquoi tant craindre pour no­tre corps et notre liberté! Me souvenir de cette pensée du saint martyr Jonas: Faut-il conserver le froment dans le grenier, par crainte de l'ex­poser aux intempéries, à l'air, à la pluie, aux orages? Notre corps est un grenier de froment qui doit pourrir pour ressusciter au centuple…».

- Devoirs d'un prêtre, d'après saint Jean Climaque: «Etre chaste de corps et d'esprit, travailler sans relâche à la sanctification des âmes, cor­riger ceux qui s'écartent du droit chemin, les porter à remplir fidèlement les obligations de leur état, être ferme, tempérer la sévérité par la dou­ceur, compatir à la faiblesse humaine, s'accommoder aux divers caractè­res, afin de gagner tout le monde à Jésus-Christ. N'avoir qu'un souci, celui d'offrir à Notre-Seigneur des âmes sanctifiées par la pénitence et la charité… ».

Mais, sa retraite du mois de mars à Laon, sous la direction du Père Kel­ler est notée très complètement. Ce sont les exercices de saint Ignace dans leur forme classique. Prenons-en seulement quelques pensées choi­sies.

I. Dans la méditation préparatoire, il s'humilie, se reproche son inconstan­ce et se propose de mieux faire l'examen de prévoyance chaque matin.

II. Méditation fondamentale. «Créé de rien, je me dois tout à Dieu, mon auteur… Je dois sans cesse me tenir dans la vigilance, afin d'examiner si ma vie, si la pente ou la tendance de ma vie est conforme à cette fin.

Ma fin est: 1 ° de louer Dieu, ce qui implique un grand soin dans la ré­citation de l'office et la célébration de le messe… 2° Honorer Dieu, di­rectement par mes actes de religion; dans le prochain, qui est l'image de Dieu et comme sa famille; en moi-même, qui suis sa demeure, son en­fant adoptif… 3° Le servir en faisant en tout sa volonté».

III. «La fin des créatures. - Elles doivent m'aider à servir Dieu. Il est l'auteur de tout ce qui m'arrive: situations pénibles, indispositions cor­porelles, etc. Il permet les défauts du prochain. Les guerres même sont dans ses desseins: Adducam super vos gentem… (Jérém). - Tout doit être pour moi une occasion de mérite: patience dans les peines, action dé grâ­ces dans le succès. Je dois faire servir les créatures à ma fin: par la con­templation, par l'usage reconnaissant, par le sacrifice…».

IV. «L'indifférence. - Ce n'est pas l'insensibilité, c'est le détachement.

Agir comme si j'étais insensible.

Pas d'indifférence pour le devoir et le service de Dieu. - Indifférence pour les choses qui dépendent de la volonté de Dieu: pauvreté, humilia­tions, souffrances, insuccès, défauts de ceux qui nous entourent…

C'est une mortification de chaque instant…».

V. «Sur le péché. - Péchés des anges… péché d'Adam… péché d'un homme quelconque condamné à l'enfer pour quelques péchés… Dieu m'a attendu… La Sainte Vierge m'a conservé la vie par miracle; je dois en profiter, en témoigner ma reconnaissance par plus d'application à mes exercices spirituels. Je dois faire pénitence…».

VI. «Jugement général. - Je dois être fidèle à mes examens de chaque jour. Je dois m'animer par la pensée que tout ce que je fais demeure pour l'éternité, v. g. pour de petits sacrifices».

VII. «Le jugement particulier. - C'est peut-être bientôt. Les accusateurs ne manqueront pas: les anges gardiens de ceux que j'ai scandalisés, etc.

Examen: J'ai reçu tant de grâces qui auraient dû faire de moi un saint.

La sentence? elle dépend de moi. Conversion et pénitence…».

VIII. «La mort. - Notion de la mort: séparation… Certitude. Agis­sons en conséquence: détachement. Incertitude de l'heure: se tenir prêt.

IX. Les suites de la mort. - Qu'est-ce donc que la convoitise des sens en face de la poussière du tombeau? Faut-il perdre mon âme pour ce qui dure si peu? Tout ce que j'aurai souffert n'existera plus, pas plus que les jouissances… Je n'emporterai rien de mes ressources, de ma bibliothè­que, etc. Me contenter du nécessaire… Que pensera-t-on de moi! Mon successeur, mes supérieurs, mes amis, ma famille? …».

X. «Le péché véniel. -C'est comme une lèpre… Quibus peccatis licet occi­di animam non credamus, ita tamen eam veluti quibusdam pustulis et quasi horren­da scabie deformem faciunt, et eam ab amplexibus illius sponsi caelestis, aut vix, aut cum grandi confusione permittunt. (S. Aug. serm. IV, de sanctis). Notre­Seigneur peut-il s'unir à mon âme couverte de cette lèpre?».

XI. «La tiédeur. - C'est la rechute fréquente et habituelle dans les mê­mes pêches véniels, l'affection à tel péché, à tel dérèglement… l'absence de générosité, l'inconstance, la médiocrité».

- Remèdes: les examens… Agir quam primum pour tous les devoirs de mon état…

Considérer Jésus-Christ comme présent sur la croix. Voir les saints eux-mêmes à la place de leurs images.

XII. «L'enfer. - Il y faut penser quand je suis tenté. Quoi! pour cet acte j'habiterais un corps de feu! J'entendrais toujours des cris de rage et j'en pousserais moi-même; toujours le regret, la tristesse, l'oppression, le remords. Je ne veux rien souffrir et je m'exposerai à être brûlé par les flammes! … ».

XIII. «Le règne de Notre-Seigneur. - Je m'étais bien engagé à le suivre, je suis confus de mes lâchetés. C'est l'humilité, le sacrifice, la mortifica­tion qui préparent les victoires».

XIV. «Imitation de Notre-Seigneur. - Je ne serai sauvé que par ma res­semblance avec Jésus-Christ. Jésus veut que je mène une vie cachée, que je souffre, que je travaille, que je sois humilié, que je fasse la guerre à ma sensualité…».

XV. «L'Incarnation. - Jésus est venu pour le salut de tous. Je dois avoir la même disposition: être bon, patient, zélé envers tous».

XVI. «Contemplation sur la Nativité de Notre-Seigneur. - Je tiens dans mes mains le même enfant Jésus, je dois avoir la même ferveur, la même pureté que saint Joseph. - Il édifiait les bergers, je dois édifier à l'autel… ».

XVII. «Vie cachée de Notre-Seigneur. - Ce qui fait les saints, ce ne sont pas les actions d'éclat. Avec les emplois les plus communs, on peut être un grand saint».

XVIII. «Jésus au Temple. - En contemplant les personnes dans la marche de Nazareth à Jérusalem, j'ai ressenti pour l'humilité une tou­che secrète, semblable à celle qui m'a saisi hier pour la belle vertu de pu­reté…».

XIX. «Les deux étendards. - Partout il y a un démon pour saisir mes actions et s'en rendre maître. Partout il me faut veiller et lutter. Le dé­mon ne me propose que des biens trompeurs.

- Plus je contemple Jésus de près, plus je vois la beauté de sa cause, la vérité des biens qu'il me promet. Je dois me rappeler les charmes par lesquels ce bon Maître m'attira à son service. Auprès de lui, je vois les bons prêtres qui ont travaillé à mon salut, voudrais-je les abandonner?».

XX. «Les trois classes d'hommes. - Je suis comme un malade qui connaît sa maladie, mais qui néglige les remèdes. Ce que j'ai fait jusqu'à présent n'a pas eu assez de suite et de constance…».

- CONCLUSION: Prendre saint Joseph pour modele dans la vertu de pureté et de modestie.

- Calme et douceur. - Patience dans les mépris. - Emploi du temps…

Ses notes sur le saint ministère sont fort remarquables. Il étudiait sé­rieusement ses devoirs d'état.

Nous avons déjà noté sur ce sujet deux méditations de sa retraite de diaconat: Sur les devoirs du bon pasteur et sur l'administration tempo­relle des paroisses. On peut y joindre ses notes tirées de Massillon sur la dignité du prêtre et sur les vertus sacerdotales.

J'en donne ici quelques extraits. D'autres suivront dans le chapitre suivant.

- Le début. - Le début est une terrible affaire pour un curé. On est

généralement très peu édifié de le voir s'occuper d'abord de ses ressour­ces, chercher chicane au maire pour des arrangements au presbytère. Vient-on pour exercer un emploi du gouvernement ou pour sauver les âmes? C'est surtout au début qu'il faut se surveiller, les premières im­pressions restent.

- La prudence. - Sans la prudence, le zèle est inutile, on ne pourra ja­mais conserver la confiance des paroissiens.

Pour agir avec prudence, réfléchir, consulter, prier surtout, mettre ses projets en quarantaine. Plus la chose est pressante, et plus il faut se rete­nir pour ne pas s'aveugler par la précipitation…

S'agit-il même de faire une réparation ou un travail à l'avantage de la Fabrique et de la commune, demander avis, soumettre le projet à qui de droit, garder les formes légales. - Surtout pour les reproches, attendre patiemment, afin que l'on voie que .l'avis n'est pas donné par humeur.

Pas de ces reproches qui tombent directement sur une famille, une personne, un établissement, ce n'est pas en aigrissant que l'on convertit. Supporter beaucoup dans les commencements, à l'exemple de Notre­Seigneur avec ses apôtres; ne pas vouloir aller trop vite en besogne.

Ne pas crier contre les absents, à quoi bon. Aux grandes fêtes, ne pas être acerbe, ne pas faire de reproches ce jour-là, être court, préparer quelque chose qui fasse plaisir. Profiter de l'assistance plus nombreuse, pour apprendre à ceux qui viennent rarement ce qui est de nécessité de moyen pour être sauvé, y mettre beaucoup de bonté et de douceur pour ne pas rebuter.

Prudence extrême, dignité et réserve envers les personnes de l'autre sexe…

Ces notes étaient vraiment sa règle de vie. Il a fait à Baulne ce qu'on pouvait faire dans un milieu ingrat. Il a surtout réparé les scandales qui avaient éteint la foi dans ce pauvre pays. Il a fait respecter le prêtre. Il a prié, il a souffert. Il a sûrement semé des grâces de salut pour des âmes assez nombreuses.

Il avait puisé des grâces de force et de sacrifice dans une bonne retraite à la maison du Troisième an des Pères jésuites à Laon, et il devait le fai­re encore les années suivantes.

======VIII A Clamecy (28 août 1871 – 21 janvier 1875)

Il passa trois ans et demi à Clamecy. Sa soeur écrit: «En 1871, il est nommé curé de Clamecy et de Tergny, paroisses distantes de quatre ki­lomètres. Pour la religion, c'est un peu plus consolant qu'à Baulne. Le jeune curé peut aller visiter ses confrères, qui ne sont pas très éloignés. Il se lie d'amitié avec l'un d'eux, un piocheur comme lui, et pendant trois ans ils se voient trois fois par semaine pour faire ensemble du saint Tho­mas».

Sa bonne soeur nous révèle un peu ses vertus privées: «Ce bon prêtre s'appliqua surtout à la prière et à la mortification. Il couchait sur la du­re: son sommier n'était qu'un carré de bois, recouvert d'une toile. Les chaînettes de fer et le cilice lui étaient familiers. Presque chaque nuit, à dix heures du soir, sa soeur l'entendit se donner la discipline. Il passait de longues heures au pied du tabernacle. Il veillait une partie des nuits à Baulne à l'église qui était voisine du presbytère. Il avait pris l'habitude de ne jamais déjeuner, prenant seulement à onze heures du bouillon avant de faire son catéchisme. Il avait le passion de l'étude et des livres. Quel amour pour la Sainte Vierge! Il avait un magnifique tableau du Rosaire. Quel zèle pour en expliquer les mystères et faire aimer le chape­let!».

Il se dépensa à Clamecy comme à Baulne avec toutes les industries du zèle pastoral.

Au mois de mars 1873, il alla faire une bonne retraite à Saint-Vincent de Laon avec le Père de Saint-Maixent. Il en a laissé des notes très com­plètes. Ce sont encore les Exercices de saint Ignace. En voici quelques extraits:

Ses premières impressions: «J'ai traversé la ville, les souliers couverts de boue, mais mon âme devait paraître bien plus en désordre à Dieu et à ses anges. - On était au salut de saint Joseph. Quand je suis arrivé, j'étais le dernier de la foule, à genoux sur le pavé, chargé de mon sac; quelle plus frappante image aurais-je désirée, car je venais en pénitent? - Dès mes premières entrevues avec les Pères, j'ai remarqué leur air satisfait et épanoui, quoique toujours humble et contenu; on ne dirait pas que je les dérange, il semble plutôt que c'est les obliger que de réclamer d'eux quelque service».

Premier entretien avec le Père: «Je dois bien me pénétrer de cette pensée que notre divin Sauveur désire encore plus que moi ma propre sanctifi­cation et souhaite plus que je ne saurais le faire le succès de tous mes exercices: Haec est voluntas Dei sanctificatio vestra. - Souvent une médita­tion, un examen ou tout autre exercice pieux nous semble inutile, c'est une erreur; pourvu que nous le fassions matériellement de notre mieux, il en résultera toujours un très grand bien. L'influence exercée par là sur notre conduite sera plus grande que nous ne pensons, car nous serons pénétrés de sentiments nouveaux sans le savoir, et réformés sans le re­marquer. L'essentiel dans nos exercices n'est pas tant de lire beaucoup, que de nous pénétrer de ce que nous lisons».

- Réflexions sur le but des exercices: Mes exercices de piété n'ont pas pour but de me donner de belles idées, ni des consolations, mais d'assurer le salut de mon âme. C'est à la clarté de cette lumière que je dois voir tout ce que j'ai à faire sur la terre: Pratiques et exercices spirituels, saint­office, sacrements, occupations de mon état, rapports de charité: c'est pour sauver mon âme.

- Entretiens du soir. - Je suis rempli de confusion en voyant l'air humble et modeste du Père qui me dirige. Qu'il y a loin de ma suffisance et de mes prétentions à cet extérieur si bien réglé qui est la meilleure de toutes les prédications, comme aussi le premier des hommages que le corps doit à Dieu, son Créateur.

I. Méditation fondamentale: Le but de ma vie est de louer Dieu et sauver mon âme. Je loue Dieu volontiers des lèvres, mais je suis bien lâche à son service…

Annotations: Plus notre âme se trouve seule et séparée des créatures qui l'attachent à la terre, plus elle est apte à s'approcher de son créateur et seigneur et à s'unir à lui…

Je dois bien m'attendre après cette retraite à ce que l'ennemi emploie toute son industrie pour me faire abréger mes exercices de piété. Quand je m'en apercevrai, il me faudra les prolonger.

II. La fin des créatures. - … Le malheur que j'ai eu si souvent d'offen­ser Dieu ne peut plus ne pas être, je suis pécheur, telle est ma situation vis-à-vis de mon Dieu; elle doit au moins me servir à m'humilier; ainsi mes péchés eux-mêmes me serviront de moyens pour atteindre ma fin…

III. Le bon usage des créatures. - … Quand je rencontre quelque chose d'agréable dans l'usage des créatures selon l'ordre voulu par Dieu, je puis en passant laisser mes sens goûter ce plaisir, ou mon âme suivre cet attrait, si cela m'aide à louer, aimer et servir Dieu, mais je dois me dé­fier de tout ce qui me plaît ou me flatte. Au contraire, ce qui répugne à ma nature m'offre moins de danger… mesurer mes progrès à l'inflexibi­lité de ma volonté…

IV. Conclusion pratique. - … Je dois me faire indifférent et pour y par­venir je dois commencer à me montrer tel. - J'en suis bien loin, je suis facilement troublé. Le moyen, c'est la mortification et l'acceptation des mépris et des humiliations…

V. Sur les trois péchés. - … Les grâces de choix que j'ai reçues ne peu­vent pas me rassurer sur mon salut, car les démons en avaient reçu plus que moi, ils étaient plus près de Dieu, qui les a précipités… Ils ont suc­combé à la tentation; la même épreuve a lieu maintenant pour moi et je n'y pense pas…

- Comme le péché d'Adam, les miens en ont entraîné bien d'autres. Adam a fait une longue pénitence, je n'ai pas d'autre moyen de me rele­ver…

VI. Sur mes propres péchés: examen et contrition…

VII. Sur le jugement général: … Je puis prévenir ce jugement si terrible en me jugeant sincèrement chaque jour dans mes examens…

VIII. Sur le jugement particulier. - … En ce moment, il y a un voile sur mon intelligence qui se détourne et se distrait par mille pensées pour ne pas voir le désordre de ma conduite, mais au jugement de Dieu je verrai tout avec une clarté effrayante. Donc je dois me juger moi-même, afin qu'alors Satan ne puisse rien revendiquer en moi…

IX. Sur la mort. - … Je veux être prêt à mourir à chaque examen, chaque soir, à chaque confession surtout. J'ai été sauvé avant ma dernie­re retraite d'une manière miraculeuse, je n'étais guère préparé à mou­rir. Depuis ce temps, la Providence m'a encore préservé d'une maladie contagieuse, je n'étais guère mieux préparé. - J'ai vu la mort de plu­sieurs prêtres depuis deux ans, un seul a pu se préparer à ce passage ter­rible, mais il était mort à lui-même depuis longtemps…

X. Deuxième exercice sur la mort. - Je vois clairement que tout est vani­té. On m'emportera au cimetière, on se jettera sur mes dépouilles, on m'oubliera… Je ne dois m'attacher qu'aux biens invisibles…

Sur le discernement des esprits: Quand je ne sentirais rien en moi, pourvu que ma volonté reste ferme et constante, c'est une consolation dont il faut remercier Dieu, mon Maître et Seigneur, qui veut bien me revêtir de sa force…

XI. Sur le péché véniel. - C'est toute pensée, parole ou action qui n'a pas son principe dans la foi et la droite raison. En le commettant, je pri­ve Dieu de la fin qu'il s'est proposée en me créant. je prive l'Eglise d'une force si ma messe ou mon office manque de ferveur.

Ses effets: obscurcissements de la lumière intérieure, privation de la force, de la joie du Saint-Esprit, augmentation de la concupiscence, pri­vation des grâces de choix…

XII. Sur la chute de saint Pierre. - 1 ° Saint Pierre a été présomptueux, il s'est exposé sans prier. Le prêtre est présomptueux s'il néglige ses exer­cices de piété, s'il ne prépare pas ses instructions, ses catéchismes.

2° Saint Pierre se chauffait et causait. Parfois le prêtre s'amuse, lit les journaux, s'arrête à la première occupation qui se présente. Conclusion: je dois m'occuper avant tout de la prière et de l'étude: les exercices de piété quant primum, les instructions et une étude réglée à l'avance.

Pour les journaux, un quart d'heure le matin, après déjeuner, une demi-heure après le dîner et le souper. Si mes exercices de piété sont ter­minés, je pourrai lire des revues après vêpres jusqu'à 4 heures du soir. Après 4 heures, c'est le temps de l'étude sérieuse…

XIII. Sur l'Eucharistie. - C'est ma plus grande force. Le Cœur de Jésus est là. C'est le point central vers lequel toute ma vie doit converger: prières, méditations, études, œuvres de zèle, examens… je ne puis avoir d'autre fin et me reposer dans un autre objet…

XIV. Sur la royauté du Christ. - Puis-je désirer dans un maître plus de générosité et de bonté? et dans son pouvoir plus de légitimité, plus de droits à me commander? quelles qualités faudra-t-il pour captiver mes affections? Ce qu'il me propose, il l'a fait lui-même. Il me donne la force nécessaire, si je la lui demande. Il s'offre à guérir mes blessures, il me donnera part à sa gloire…

XV. Contemplation sur l'Incarnation. - Cet exercice me fait entrer da­vantage dans l'amour de Notre-Seigneur. Mon Cœur revient vers lui. je me reprends à l'aimer et à désirer marcher sur ses traces. Mon zèle se ranime… et nomen virginis Maria: un ange, une vierge, un homme juste et chaste, voilà les compagnons du Verbe incarné. C'est avec eux qu'il pré­pare la Rédemption. Je dois être pur si je veux qu'il se serve de moi…

XVI. Sur le mystère de la Nativité. - Saint Joseph est le gardien du pain de vie, j'ai le même office. Quelle pureté, dans ces mains qui portent Jésus! Quelle limpidité dans ces cœurs! quel calme! Marie nous donne Jésus et le prêtre le donne au monde. C'est d'elle que je dois apprendre toutes les vertus.

XVII. Sur la vie cachée de Notre-Seigneur. - Il obéit à son Père: ainsi dois-je faire en accomplissant mon règlement de chaque jour. - Jésus croissait en âge et en sagesse. Il manifestait les trésors de science qui étaient en lui non pour paraître et pour être loué, mais parce que c'est la volonté de son Père. - Nonne hic est faber? - Je dois travailler modeste­ment pour mes instructions et mes catéchismes…

XVIII. Sur l'humilité. - Tout péché va contre l'humilité, parce que c'est une préférence de soi-même à Dieu. - La perfection du chrétien consiste à se sacrifier pour Dieu à l'exemple de Notre-Seigneur Jésus­-Christ. - Mettre la vertu dans la perfection et non dans la multiplicité des actions extérieures, dans la pureté et la générosité des intentions plus que dans la grandeur et l'éclat des œuvres…

XIX. Sur le miracle de Jésus marchant sur les eaux. - Jésus prie dans la so­litude, les apôtres sont livrés à l'agitation des flots. Seigneur, je prierai avec vous dans la solitude et la paix de votre temple: le matin pour pré­parer ma journée, le soir pour m'examiner. Je suis forcé de rentrer dans le monde, de remonter sur ma barque, puisque c'est votre volonté, Sei­gneur, vous m'aiderez. Vous viendrez à mon secours dans la nuit et au milieu de la tempête, vous ne me laisserez pas sombrer. Si je me sens couler à la dérive, je crierai vers vous, je tendrai les bras vers vous. je ne vous quitterai pas des yeux…

- En 1874, c'est avec le Père Bertrand qu'il fait sa retraite, il en a dé­truit le résumé, sans toute trop intime, sauf une note sur la prière: «Lors­que nous voulons élever notre âme vers Dieu par la prière, nous sentons un mouvement qui nous rabaisse bientôt vers les choses inférieures. Le mouvement d'ascension est difficile à l'homme. Aussi avant la prière importe-t-il de faire silence dans notre âme afin de recueillir toutes les forces de nos facultés intérieures. La direction d'intention avant les exer­cices spirituels est d'une extrême importance, car elle constitue dans son être l'acte qui va être posé, et cette détermination demeure tant qu'elle n'a pas été rétractée. - Saint Paul nous dit que la prière doit venir d'un mouvement intérieur de l'esprit de Dieu. Nous ignorons les choses à de­mander et la manière dont il faut les demander. L'Esprit-Saint postule pour nous. Dieu qui sonde les cœurs et les reins connaît ce que l'Esprit désire. Il faut donc se laisser conduire par cet Esprit divin et s'unir à lui…».

notes sur le saint ministere

Ce qui nous représente le mieux la vie quotidienne du jeune prêtre dans ses paroisses, ce sont les notes si sages qu'il a écrites sur le saint mi­nistère. Nous en avons déjà donné quelques-unes.

Zèle pour les âmes. - C'est un grand malheur pour un prêtre qui arrive dans une paroisse de se dire: Suis-je plus habile que mes devanciers? Il n'y a rien à faire… Insistez du moins. - Insta opportune, importune, clama, ne cesses. - Oui, ce peuple a un front d'airain, un cœur rebelle et in­dompté. Mais tout est possible à Dieu. Rien de si dur qui ne cède à un plus dur que soi. Dieu dit à son prophète: je t'ai donné un front plus dur que leurs fronts, et tu ne seras pardonnable que si tu agis de manière à pouvoir dire: Qu'aurais-je pu faire que je n'aie pas fait? Attirez à Dieu toutes les âmes que vous pourrez. Criez à tous: Aimons Dieu de toutes nos forces, aimons tous ensemble celui qui est tout aimable, tout adora­ble (S. Aug).

Notre zèle est-il pur, désintéressé? Toute sorte de zèle n'est pas le véri­table zèle de la charité. Le zèle est sujet à l'illusion et à la passion. On a quelquefois trop de zèle, disait saint François de Sales, et en même temps il ajoutait: on n'en a pas assez. On en a trop d'apparent et pas as­sez de solide. On en a trop pour les créatures et l'on n'en a pas assez pour Dieu. On en a trop pour les autres et pas assez pour soi-même; trop pour les riches et pour les grands et pas assez pour les pauvres et les pe­tits; or, tout cela ce sont des fantômes de zèle (Bourdaloue, Panégyrique de saint François-Xavier).

Le zèle d'un prêtre se manifeste dans la tenue de son église. Etre con­servateur, ne pas laisser les ornements dépérir faute de soins. Il faudrait faire de la sacristie un modèle de propreté, sinon d'élégance; pour cela, frotter, cirer, arranger, épousseter très souvent: se demander: Que penserais-je de telle choses si j'étais au Séminaire? Quelle différence de blancheur dans le linge et de propreté dans les ornements et les vases sa­cres entre la sacristie d'un Séminaire et ce qu'on trouve dans la plupart des campagnes. Un curé pourrait se faire dire bonnement par ses voisins ce qu'on trouve à redire dans son église…

Le respect. - 1° Pour soi-même. - Toute notre personne est consacrée, ne jamais l'oublier; respect pour tous nos sens, pour nos mains consa­crées par l'onction, - pour notre langue sanctifiée si souvent par le corps et le sang de Notre-Seigneur et par la prédication de l'Evangile. Le prêtre doit donc se surveiller partout et ressembler au modèle de toute perfection.

Pour les choses saintes. - Avoir soin qu'une grande propreté règne toujours dans la sacristie et dans l'église: linges sacrés, autels, cierges, saintes huiles, eau baptismale. Notre manière d'agir vis-à-vis des choses de la religion doit montrer que nous sommes pénétrés de l'esprit de reli­gion. Le peuple aime ce soin dans le prêtre. O mon Dieu, aidez mon in­suffisance, donnez-moi la persévérance pour acquérir l'habitude de l'or­dre et de la propreté.

Pour les confrères. - Les prêtres ne se respectent pas assez entre eux. Ils se raillent les uns les autres, quelquefois même en présence de laïques. Nolite judicare… Pas de moqueries, ne pas reprendre les maniè­res, le ton des autres. Ne pas parler des travers des autres, encore moins de leurs fautes. - Défendons le prochain attaqué ou taisons-nous. - Il est triste que les confrères soient souvent l'obstacle à la perfection du prêtre. Faisons notre devoir sans nous inquiéter de ce que l'on peut dire.

Pour l'autorité ecclésiastique. - Ce n'est pas assez d'obéir, il faut obéir pour Dieu, sans que personne puisse soupçonner combien il nous en coûte - ne pas se plaindre, ne pas critiquer, excuser toujours l'autorité dans ses mesures, excuser au moins les intentions - ne pas parler mal des doyens, ni les critiquer ou les railler, leur témoigner beaucoup de dé­férence. - Que l'on sente cette religion de l'autorité dans nos épithètes…

Ces notes sur le saint ministère sont comme la photographie de sa vie. Il se nourrissait de ces pensées, il en causait avec sa pieuse soeur, il les mettait en pratique.

Il a fait du bien, beaucoup de bien à Clamecy. Il a instruit solidement les enfants et ramené quelques adultes à la pratique de la religion.

======IX A Sains (21 janvier 1875-septembre 1878)

notes de sa soeur

En décembre 1874, M. le doyen de Sains était malade et obligé de gar­der la chambre pour longtemps. Il fallait lui donner un vicaire formé qui pût le suppléer. Monseigneur songea au bon curé de Clamecy, dont il connaissait le zèle. Il le fit appeler et lui proposa d'aller à Sains comme prêtre auxiliaire, chargé en même temps de la petite paroisse voisine de Richaumont. M. Rasset accepta. Il avait pour principe de faire tout ce que demanderait son évêque.

Au moins là, l'ouvrage ne lui manquera pas, car il devra faire le tra­vail du curé et du vicaire. Il s'en donne à cœur joie, il prêche, il confes­se. Il gagne la confiance de ses pénitents, il pleure avec eux. Quand sa soeur ne trouve pas ses mouchoirs, elle va les chercher dans son confes­sionnal. Il y oublierait les repas et les interruptions nécessaires; si sa soeur n'avait pas le soin d'aller frapper à la porte du confessionnal en lui disant: «On vous demande à la maison». Puis elle prévenait les person­nes présentes qu'il allait revenir tout de suite.

FONDATION DU CERCLE. - Le premier Samedi-Saint, il avait été à l'église toute la journée; à 7 heures du soir„ à la sortie de l'usine, il voit accourir une foule d'hommes et de jeunes gens qui se pressent autour de son confessionnal. Il patiente et au bout d'une demi-heure arrive le di­recteur lui-même qui commence par débarrasser le bon prêtre en faisant asseoir tous ses ouvriers sur les bancs et en faisant la police, pour ne les laisser passer qu'un seul à la fois et cela jusqu'à 10 heures du soir, puis lui-même se confesser le dernier.

Le lendemain, après la messe, M. Rasset remercie chaudement le di­recteur, félicite les ouvriers et leur demande, comme il n'a pu faire leur connaissance la nuit, de vouloir bien se réunir à la sacristie après les Vê­pres. Là, après quelques bonnes paroles, il leur propose de commencer un cercle catholique où ils se réuniront chaque dimanche. On accepte. En quelques jours, une belle maison fut louée, des jeux achetés, et les réunions commencèrent. Ils avaient leur bannière et leurs insignes, et se faisaient un honneur de marcher en tête de toutes les processions. Le bon M. Dessons, adjoint de Sains. fut en tout cela l'auxiliaire du vicaire.

L'ORATOIRE DIOCESAIN. J'avais fondé dans le diocèse avec quel­ques bons prêtres un groupe de l'Oratoire diocésain de M. Lebeurier. M. Rasset y entra au printemps de 1875. - Au 16 avril, il écrit: «Jésus enchaîné doit être mon modèle. Je suis enchaîné au service de Dieu com­me chrétien, au service des âmes comme prêtre, à l'obéissance comme vicaire, à mon règlement comme aspirant à l'Oratoire».

L'Oratoire tenait sa réunion annuel, tantôt à Saint-Vincent de Laon, tantôt à Soissons, pendant la retraite ecclésiastique.

QUELQUES NOTES nous font connaître sa vie intérieure.

20 avril. - «Jésus-Christ ressuscité apparaît aux âmes simples, péni­tentes, dévouées, aux âmes qui s'occupent de rendre des soins à son corps; si je veux goûter la consolation, je dois me mettre au-dessous des autres, me tenir dans la paix, être mortifié, rendre au corps de Jésus­-Christ mes devoirs dans l'Eucharistie».

19 mai. - «Les apôtres ont commencé par être fidèles dans les petites choses; ils se rassemblaient au Cénacle, puis au Temple, ils priaient avec Marie; la première grâce extraordinaire qu'ils reçurent fut le zèle à par­ler des merveilles de Dieu. Si j'avais mieux correspondu aux grâces que j'ai reçues tant de fois, j'aurais plus de zèle pour ma sanctification et cel­le des autres, et l'Esprit-Saint m'aiderait davantage dans mon ministè­re».

20 mai. - «L'Esprit-Saint se communique aux âmes par mon entre­mise, dans le baptême, par les catéchismes, en chaire, au confessionnal. Si un saint François de Sales, un saint Vincent de Paul était à ma place, quel bien ne ferait-il pas? La grâce de Dieu pour toutes ces fonctions est en moi par l'imposition des mains, mais je dois la ressusciter, réchauffer dans mon cœur l'amour de Dieu, raviver ma foi par la méditation».

24 juillet. - «Méditation sur l'entretien de Jésus avec la Samaritaine. - Le puits des satisfactions du monde est bien profond et bien peu de privilégiés ont la faculté d'y puiser. Ceux qui y boivent sentent redou­bler leur soif. Au contraire, la grâce de Dieu adoucit les ardeurs, calme les irritations en attendant le rafraîchissement éternel. Seigneur, donnez-moi de cette eau».

27 juillet. - «Jésus est fatigué et il est la force. Seigneur, ayez pitié de moi, ne me laissez pas boire à l'eau de ces puits dont le fond est un abîme, donnez-moi à boire l'eau de la componction, de la piété; donnez­moi pour nourriture la volonté de votre Père qui m'a envoyé…».

mort de sa pieuse mere

Au mois de juillet 1875, sa chère maman est gravement malade; le médecin déclare qu'elle est complètement usée et dit de lui donner tout ce qu'elle désire; alors le jeune prêtre la confesse, comme il avait l'habi­tude de le faire, il lui apporte la sainte Communion et il donne l'Extrême-Onction, puis il revient à Sains, laissant sa soeur près de sa mère, avec l'ordre de lui envoyer une dépêche dès qu'elle serait plus mal. Il voulait l'assister dans son agonie. En effet, comme la pauvre ma­lade devint plus souffrante, il reçut une dépêche et accourut, mais quand il arriva, la bonne maman se trouvait mieux. Elle lui dit: «Pourquoi viens-tu si souvent? Pense donc qu'un malade peut mourir sans sacre­ments en ton absence, je te défends de venir avant ma mort».

Le pauvre abbé se soumit à cet ordre; mais le bon Dieu récompensa sa mère par une sainte mort. Elle mourut, le sourire sur les lèvres dans les bras de sa fille, le jour de sa fête, le 12 août, sainte Claire.

2 octobre 1875. - Comme il affectionnait sa soeur! Il la regarde comme un second ange gardien: «Saint Pierre quitte ses filets pour prêcher l'Evangile et moi aussi je dois quitter tout ce qui me retient, je dois com­battre mon humeur, ma sensualité, ma vaine gloire, ma négligence… Je dois suivre mon Sauveur qui a mis près de moi son ange pour me donner de bonnes inspirations: «A neglectu inspirationum tuarum libera nos Jesu».

9 décembre. - Il reçoit ce jour-là une grâce extraordinaire, un avertis­sement du ciel: «O Marie, conçue sans péché, vous n'avez pas eu com­me moi au fond du cœur ce levain de malice qui me fait juger mal du prochain; aidez-moi à m'en défaire, à combattre ce flot amer qui vient sans cesse battre et submerger toutes mes pensées. Ut quid cogitatis mala… Merci, mon Jésus, de ce reproche. - Vidimus mirabilia hodie».

retraites en 1876

Deux retraites en 1876, l'une dans les premiers jours de janvier, l'au­tre en décembre, toutes deux à Saint-Vincent de Laon, sous la direction du P. Door.

C'est toujours le même thème, les Exercices de saint Ignace, mais on en tire toujours des fruits nouveaux.

En janvier, il est heureux de cette retraite, dont il avait besoin: «Mon âme déborde de joie… Je vois clairement que Dieu veut me sauver, puis­qu'il me laisse la volonté et le loisir de songer à mon salut, alors que tant d'autres n'en ont ni la pensée, ni les facultés…».

Il s'humilie beaucoup. Il s'est trop agité dans le ministère, il sent le besoin de calme et de paix, il cite cette pensée frappante de Gerson: Unde proh dolor! tanta raritas contemplantium etiam apud litteratos ecclesiasticos et reli­giosos, imo theologos, nisi quia vix sustinet aliquis secum solus esse, secum diu me­ditari… Qu'il y a peu de contemplatifs, même chez les prêtres et les reli­gieux! Ils ne se recueillent pas.

Sur la fin de l'homme. - «De stercore erigens pauperem… Dieu m'a placé parmi les princes de sa maison. - Quosdam elegit apostolos… me socium, amicum hominem unanimem. Pour répondre à ma vocation, pour servir Dieu comme doit le servir un prêtre, je me tiendrai uni à lui par la prière du cœur, par le souvenir de sa présence: je renouvellerai aussi souvent que possible l'acte de relation à Dieu: Propter te, Domine…».

Sur la fin des créatures. - «C'est Dieu qui m'a établi dans la situation où je suis. Pas la moindre circonstance de temps, de lieux, de personnes, qui n'ait été prévue et voulue par lui. Son but en toutes choses est ma sanctification. Inutile de rêver à des moyens extraordinaires, je n'ai qu'à voir et chercher Dieu en tout. - Si j'ai à souffrir de la faute d'un autre, c'est Dieu qui l'a permise pour m'éprouver; c'est lui qui a voulu cette réussite ou ce mécompte.

Omnia a Deo. Pour me calmer dans le trouble, je dois me rappeler que c'est Dieu qui dirige tout. - Omnia ad Deum, tout doit me conduire à lui».

Sur le péché. - «Puisse je conserver toute ma vie la mémoire de la con­fusion que j'ai ressentie au souvenir de mes péchés passés! Je croyais, en venant faire ma retraite, n'avoir pas besoin de faire une confession ex­traordinaire. Que sera-ce, grand Dieu! de la confusion que j'éprouverai quand je verrai toute ma vie à la lueur du jugement dernier! Si un éclair de la vérité confond l'homme à un tel point, que sera-ce des éclairs qui jailliront du trône du Souverain juge!

O Jésus, crucifié pour moi, faites-moi bien connaître le désordre de mes péchés, le dérèglement de mes actions, le danger du monde. Pénétrez-moi d'horreur pour le péché par cette considération que je suis prêtre et que comme tel, je dois haïr tout ce qui est péché» (Imit., III,4).

Deuxième retraite de 1876, en décembre

Ma fin. - «Pour être dans la paix, il faut que je sois dans l'ordre vou­lu par Dieu et que je puisse sans cesse à cette question: «Est-ce que je sers Dieu?» répondre sans hésiter: «Oui, ce que je fais là, c'est Dieu qui le veut et je le fais parce que c'est sa volonté».

Sur le bon usage des créatures. - «J'ai donné trop de temps à la lecture des journaux et des revues, utiles sans doute, mais l'étude sérieuse m'était plus nécessaire. Quid hoc ad salutem? Pour arriver à cet ordre dans mes ac­tions, je dois éviter de me porter immédiatement à ce qui plaît à ma na­ture. Je commencerai par suivre mon règlement: mes exercices de piété quam primùm, l'étude ensuite».

Sur l'indifférence. - «Sujet d'examen particulier.

1° L'emploi du temps et les exercices de piété;

2° L'humilité;

3° La bonté et la douceur envers le prochain;

4° Sur le calme intérieur et contre la tristesse».

Sur les fins dernières. - Le souvenir de sa bonne mère ne le quitte pas: «Rien que la pensée d'être séparé de ma mère bien-aimée pour toujours devrait suffire à me retenir dans la tentation et m'aider à ne pas tomber».

- «Au Jugement, pourrai-je seulement supporter les reproches de ma mère! Elle voudrait me voir riche en mérites et je suis si négligent!».

Notes. - Il a toujours tiré un grand profit de la lecture de l'Imitation: «Le livre de l'Imitation devrait être mon livre de prédilection, écrit-il en 1877. Je me rappelle l'influence qu'il a eue sur mon enfance, ma pre­mière communion et ma persévérance après les retraites et les exercices. Il y a là pour moi une ressource dans tous mes besoins. Fili, cum tibi non fuerit bene, veni ad me».

Sa vie à Sains est une vie débordante de zèle. Il a la paroisse avec ses prédications et ses catéchismes, le Cercle avec ses réunions qu'il faut préparer et rendre intéressantes… Il visite ses malades et il donne à l'étude le plus de temps qu'il peut. Son passage laissera à Sains des sou­venirs édifiants et un accroissement de vie chrétienne.

notes sur le ministère. - Ces notes nous retracent sa vie à Sains. Rapports d'un vicaire avec son curé. - Le vicaire doit se souvenir qu'il n'est qu'un inférieur, qu'il est envoyé pour aider le curé et travailler au salut des âmes sous sa direction. Il fera tout pour qu'il y ait harmonie. Il est nécessaire pour l'édification commune qu'on puisse dire extérieure­ment: ils n'ont qu'un cœur et qu'une âme. Il doit parler, agir et paraître, penser comme le curé, qu'il soutiendra prudemment contre les partis opposants. Ne jamais rien dire à personne contre lui. Le curé doit croire que son vicaire l'estime, l'approuve et l'aime, qu'il est de son avis sur les questions discutables et pour les mesures à prendre… pour ce qui regarde la direction de la paroisse, les œuvres de zèle, le vicaire se sou­viendra qu'il n'est pas responsable, qu'il n'a que voix consultative. - Auprès des paroissiens, éviter l'esprit de parti, donner toujours droit au curé, l'excuser, le louer, en se rejetant sur ses intentions, sa bonne foi, etc. Ne pas parler de ses travers, de ses torts, de ce qu'on a à souffrir; ne pas se plaindre à ses parents, ne pas leur donner à soupçonner que l'on a des peines. N'en rien dire aux confrères, ni surtout aux séminaristes, se souvenir qu'en se plaignant on perd le mérite de son mal. - Se modeler sur la manière d'agir du curé afin de ne pas donner occasion aux parois­siens de le critiquer, le consulter, agir comme il dira. Pour les cérémo­nies, lui dire comment on a été instruit, mais s'il tient à sa manière de voir, s'y conformer. Le vicaire n'est pas chargé de réformer le curé. De­mander l'avis du curé sur les sermons. Un vicaire devrait agir comme s'il avait fait voeu d'obéissance…

Les visites. - Ne pas être long dans les visites, s'abstenir d'y prendre des rafraîchissements, etc. N'avoir pas de maison où l'on soit tellement familier qu'on y aille comme chez soi. Un curé ne doit pas faire de ja­loux, il se doit à tous selon les règles de la charité… Il est facile de perdre le temps dans les visites à causer de la pluie et du beau temps et d'autres choses insignifiantes. Se retirer quand on voit que l'on n'a rien à gagner à rester plus longtemps. Visiter tous ses paroissiens tous les ans, mais pour faire du bien dans ces visites, il faut qu'un curé soit édifiant, mo­deste, bon, affable, gai, ouvert surtout avec les hommes, grave et sérieux avec les femmes…

Les confréries et associations seules peuvent soutenir le bien dans une pa­roisse. Consulter les attraits de la paroisse. Ne pas détruire facilement une association ancienne pour en mettre une autre à sa place. Si une Congrégation de la Sainte Vierge a réussi autrefois, il faut essayer de la raviver. - On néglige trop les jeunes gens. - Faire entrer les enfants dans l'association de la Sainte Enfance et les familles dans la Propaga­tion de la foi…

Aimer les âmes. - Cet amour se manifeste: 1° par la prière: se souvenir de ceux dont on est chargé chaque fois que l'on est pour monter au saint autel, pour réciter l'office divin. Ce n'est qu'en priant pour les âmes qu'on les convertit.

2° Par la vigilance: connaître bien l'état des esprits, savoir s'il s'intro­duit de mauvais livres, aviser aux moyens de remédier aux scandales.

3° Par l'action: le mal ne doit pas nous laisser indifférents, ayons d'abord l'oeil ouvert, puis agissons, il faut faire quelque chose, se dépen­ser, ne pas regretter son temps. Soigner les petits catéchismes pour les enfants dès qu'ils ont atteint l'âge de raison. Zele pour les confesser. Pré­paration des catéchismes et des retraites de Première Communion. Veil­ler à ce que les offices soient courts, pour que les paroissiens ne s'en­nuient pas à l'église…».

Sa situation à Sains était délicate. M. le doyen était là, toujours mala­dif. L'action intense du vicaire pouvait le troubler et ne pas correspon­dre à ses vues. M. Rasset a été assez prudent pour éviter tout froisse­ment grave. Il fallait faire le bien modestement et en laisser l'honneur au chef nominal de la paroisse. C'est ce qu'il fit avec de grands succès pour le bien des âmes.

======X Sa vocation religieuse

LES PRELUDES. - A sa retraite de janvier 1876, la grâce de la voca­tion commence à toucher son cœur, mais sans lui montrer encore où il doit aller.

Il écrit: «J'étais venu faire ma retraite avec l'intention d'examiner ma vocation, pour voir, si véritablement, je dois rester curé ou me jeter dans un ordre religieux, comme dans un port assuré. Je ne vois rien de cer­tain, sinon que je dois sauver mon âme, me sanctifier et pour cela tra­vailler à me défaire de mes affections déréglées et à corriger mes défauts. Pour le moment, je n'ai à m'occuper que de la réforme de ma vie. Je me propose de vivre en religieux et d'être toujours prêt à l'être et à tout quit­ter. Je m'efforcerai de vivre de plus en plus détaché du monde. Je de­manderai à la Très Sainte Vierge la grâce de ce détachement complet qui doit faire le religieux et le prêtre».

LA VOCATION DE SA SŒUR. - Sa soeur Mélanie vivait avec lui depuis neuf ans. Elle avait pendant tout ce temps ajourné sa vocation re­ligieuse pour aider son frère. - En 1877, mademoiselle Hortense Salan­dre, désirant depuis longtemps se faire religieuse chez les Soeurs de Saint Joseph de Cluny, demanda à M. Rasset d'écrire pour elle à la maison-mère pour en obtenir tous les renseignements nécessaires; il reçut une réponse de Mère Marie de l'Incarnation, Maîtresse des novi­ces, qui lui expliquait l'esprit et les œuvres de la Congrégation, ce qui satisfit grandement la postulante, et le jour fut fixé pour son départ. Sur ces entrefaites, M. Rasset dit un jour à sa soeur: «Vois, quel désordre dans mon secrétaire, range mes lettres, sépare les lettres d'affaires et cel­les d'amitié… Quelle n'est pas la joie de mademoiselle Mélanie en ren­contrant la lettre de la Maîtresse des novices! Elle trouve là ce qu'elle de­sirait. Elle ira conduire son amie Hortense Salandre pour voir si elle pourrait être admise aussi. Il y a un obstacle de santé, elle a des polypes dans le nez. A Paris, le médecin de la communauté déclare que c'est guérissable et la Maîtresse des novices dit a mademoiselle Mélanie qu'el­le pourra venir quand elle voudra. Quitter son frère, passer par-dessus les désirs de son père, tout cela était héroïque. Elle tint bon et entra au couvent le 24 février 1877. Elle a été récompensée, elle écrit: «Un an après, mon père était converti et mon frère religieux».

La séparation fut dure. M. Rasset versa bien des larmes pendant deux ans. Sa correspondance avec sa soeur est émouvante. Il la regrette, il ne peut presque pas vivre sans elle, mais il ne veut pas la prier de revenir. Il écrit le 2 mars: «Je me trouve horriblement seul, mais j'espère qu'après m'avoir laissé autant qu'il lui plaira dans ce déseulement de l'âme, le Bon Maître me fera sentir qu'il ne m'a pas abandonné et que je n'ai jamais été plus près de lui; je consens bien à cette amputation (il n'y a pas d'au­tre mot), pourvu que l'un et l'autre, nous soyons plus solidement greffés sur son Cœur sacré».

Le 22 mars: «L'idée d'entrer en religion n'est pas de vous seule, c'est Dieu qui vous a choisie. Sainte Elisabeth de Hongrie demandait la grâce que sa famille lui devînt comme étrangère, elle fut exaucée, donc pre­nons le couteau de la prière et prions jusqu'à ce que nous sentions l'un et l'autre la sainte joie du sacrifice. C'est Dieu qui donne le vouloir et le faire… Etant entrée dans la voie royale de la croix et du sacrifice, ne pré­tendez plus en sortir… Au lieu de pleurer notre séparation, pleurez mes péchés, ma négligence et mes défauts que je ne corrige pas».

Avril 1877. - «Je ne puis que vous souhaiter la grâce de la persévéran­ce. C'est une grâce de choix que votre vocation, croyez-le; mais vous au­rez des moments pénibles».

8 Mai 1877. - «C'est l'anniversaire de votre Première Communion et de votre naissance. Je me rappelle votre baptême, les bonbons, la joie de la famille, puis c'est la Première Communion de l'enfant qui devait me servir de mère et penser à moi quand je m'oublierais pour les autres. Va, chère soeur, c'est trop peu d'un frère à aimer, à soigner; il y a tant d'enfants qui n'ont pas de mère, Jésus-Christ a tant de petits frères dont les âmes se perdent; tant de millions de pauvres créatures humaines sont la proie du démon; laissez le pauvre curé geindre et gémir, faites comme lui, sauvez les âmes, ou du moins faites comme vous avez vu là-bas dans la Brie, allez où l'on souffre, où l'on se sacrifie; se sacrifier et souffrir, c'est tout ce qu'il y a de bon sur la terre. Nous aurons toute l'éternité pour nous revoir, pourquoi pleurez-vous?».

24 mai 1877. - Il va aller à Paris: «Je n'aurai guère le temps de vous voir; il faut que j'aille au Ministère des Cultes, que j'assiste à l'Assem­blée des Cercles, que je choisisse un Chemin de la Croix, que je sois de retour à Sains, samedi à 3 heures, et qu'en passant à Soissons je voie Monseigneur. Préparons notre entretien…».

Le 13 juin. - «Rappelez-moi au souvenir de vos bonnes mères, Soeurs Chantal et Sainte-Marie des Anges. Votre souvenir ne me quitte ni jour ni nuit et leur image est mêlée à la vôtre; je vous entends, je vous parle, et la maison de Thiais est comme photographiée dans mon cœur. Vous êtes avec vos compagnes et vos mères dans mon Mémento au premier rang, vous n'en doutez pas, mais que j'ai besoin de vos prières!».

7 juillet 1877. - Son sacrifice était fait et voilà que sa soeur devenue souffrante est sur le point de revenir. Il s'en attriste: «C'est un chagrin pour moi, si vous ne pouvez pas suivre ce que vous avez cru votre voca­tion. Il me semblait vous voir dans le port, éloignée du danger, à l'abri des agitations et des tempêtes du monde. La vie religieuse dans le sacrifi­ce et le renoncement, c'était pour vous l'assurance du salut, la prédesti­nation, le vestibule du ciel… S'il faut revenir, que ce soit avec l'intention d'essayer encore plus tard…».

Le 5 septembre. - «Je ne veux pas vous ébranler, je n'aime pas les reli­gieuses qui regrettent le monde… Si vos Supérieures vous conseillent de prendre l'habit, prenez-le …».

19 septembre. - «Je prie Notre-Seigneur de ne pas vous ravir le bon­heur de la vie religieuse, si c'est sa plus grande gloire». - Son ministère est béni, il a eu cent-quarante communions à la fête de la Nativité. - Nous nous sommes rencontrés dans les congrès, il commence à s'intéres­ser à notre œuvre naissante du Sacré-Cœur.

Le 29 octobre, il écrit: «Edouard Messeaux est venu de Saint-Quentin en permission, il m'a dit que M. Dehon a failli mourir d'un vomisse­ment de sang».

Le 29 décembre. - Il écrit qu'il a eu pour sa part deux cents confessions à Noël. Il prépare une mission à Chevennes.

Le 12 février 1878, il se félicite du succès de la mission de Chevennes: cent-vingt confessions, une douzaine d'hommes revenus à la pratique, vingt femmes inscrites pour les Mères Chrétiennes.

- Le Bon Dieu prépare tout. Sa bonne mère est partie au ciel, son père se convertit, sa soeur est au couvent, les liens se rompent. En fé­vrier, il vient me voir, puis il écrit le 23 février à sa soeur: «Si le Bon Dieu le permet, je me joins à l'abbé Dehon vers le mois de juillet pour une congrégation diocésaine d'Oblats du Sacré-Cœur. C'est la communauté demandée par Notre-Seigneur à la Be Marguerite-Marie, une commu­nauté de prêtres-victimes qui s'offrent au Cœur de Jésus pour souffrir avec lui… Ne vous effrayez pas, je ne prendrai aucun engagement avant d'avoir été à Amiens revoir le P. Dorr. Jamais je n'obtiendrais de Mon­seigneur la permission d'être professeur chez les PP. Jésuites, j'obtien­drai pour Saint-Quentin. Priez bien à cette intention jusqu'à la fête de saint Joseph. Ce jour-là j'adresserai ma demande à Monseigneur. - Recommandez à vos soeurs le livre du P. Giraud sur l'esprit de victime. M. Dehon me l'a donné. C'est bien l'esprit de notre vocation. Vous ne serez aussi une bonne soeur de saint Joseph qu'avec cet esprit…».

Le 3 mai 1878. - «Je dois dimanche insinuer au Cercle la possibilité de mon départ prochain. Que j'ai besoin de forces et de grâces jusque-là!».

Le 28 juin, il est auprès de moi pour mes premiers voeux. Il est postu­lant. Le 29, il écrit à sa soeur: «Monseigneur est en ce moment à la mai­son de Saint Jean, je viens de l'assister à l'autel pour la Première Com­munion et la Confirmation. Me voilà lancé. Les enfants s'intéressent à mes histoires. J'en prends donc mon parti et je suis confirmé dans la ré­solution de quitter tout, de ne rien rechercher de ce que le monde estime et adore - Dieu seul! Le Sacré-Cœur de Jésus pour consolation! Ses épines secrètes, ses angoisses et sa croix intérieure pour nourriture habi­tuelle. Voilà ce que je demande à ce divin Cœur de me faire aimer et estimer».

En juillet, il va faire les exercices avec le R. P. Modeste a Saint-Joseph de Reims. C'est pour se préparer à son entrée au noviciat.

I. Fin de l'homme et des créatures. - Mon passé, à l'égard de ma fin, exi­ge une double entreprise: l'œuvre de la purification de mon âme et l'œuvre de la réparation.

Pour ce qui est de la purification les créatures pourront s'en charger en me faisant souffrir; je ne devrai me plaindre de rien, car les créatures accomplissent la juste et miséricordieuse volonté de Dieu en devenant mon tourment et en me causant quelque peine. Iront-elles jamais jusqu'aux châtiments que je mérite? Pour la réparation, il me faut des pénitences réglées par un sage directeur. Je n'aurai qu'à me souvenir du bon Père qui me donne les exercices, de son austérité et de ses mortifica­tions.

Observations: Dans la vie de communauté, il me faudra travailler à gar­der une humeur égale et me montrer réservé dans mes rapports avec les enfants et avec le monde.

Sur le péché. Colloque. - Jésus-Christ: «Je me suis fait homme pour

donner un père au genre humain, c'est pour cela aussi que je t'ai fait prêtre. Je me suis résigné à la mort, au crucifiement pour vous sauver, ainsi tu ne seras vraiment prêtre qu'autant que tu sauras te renoncer, t'immoler, te vaincre, souffrir et réparer.

- Mon âme: «Seigneur, en vous regardant sur la croix, je proteste que je veux être morfitié, exact à mes exercices, recherchant dans les pe­tites choses la volonté de Dieu, afin de coopérer à cette œuvre qui sauve les âmes par le sacrifice et la réparation des péchés du monde».

Bouquet spirituel. - Le besoin de réparation pour moi-même et pour les autres. Reconnaissance envers Notre-Seigneur qui n'a pas permis que j'allasse plus loin dans le mal et qui m'a ménagé les moyens de répa­rer le passé. - Afin d'être un prêtre digne de m'offrir par-dessus le sa­crifice, conserver une grande union avec Notre-Seigneur, union surna­turelle bien étroite, ne faire qu'un avec lui.

Note sur l'esprit de victime. - Voie d'abandon, estime des croix et des souffrances, des mépris et des humiliations. - Tant que nous ferons no­tre volonté, même dans les choses honnêtes et justes, nous ne serons pas des victimes immolées au bon plaisir de Dieu. Comme pratique facile de cet abandon, chaque fois qu'une chose nous fait plaisir, disons à Dieu: «Je ne veux cette satisfaction qu'autant que vous la voulez vous-même». - Faisons-lui le sacrifice intérieur de tout ce qui nous plaît: réussite, ré­putation, succès, amitiés, consolations…

un signe pour sa vocation

Le 17 juin 1878, M. Rasset avait écrit cette prière: «Mon Dieu, accordez-moi la conversion de M. Parmentier de Chevennes, et je de­mande à M. Dehon la faveur d'être novice des Oblats du Sacré-Cœur. Ne me refusez pas cette grâce, ô mon Dieu, je vous en supplie par le cœur de votre Fils qui seul vous a aimé comme il convient d'aimer un Dieu si bon. Seigneur, je vous demande ce signe et je le publierai, si malgré mon indignité vous voulez bien me l'accorder».

M. Parmentier était depuis quatre ans entre la mort et la vie sans que l'on pût obtenir de lui un retour efficace vers Dieu. Il riait de tout et plai­santait sur l'enfer où il irait voir, disait-il, étant assuré de l'avoir mérité. Sa femme et sa fille cependant le faisaient prier, mais il ne voulait pas de confession. Dans une crise qui semblait devoir être de dernière et où les symptômes de la mort paraissaient se manifester, on lui cousut dans sa flanelle un peu de soie qui avait touché aux reliques du Vén. Claude de la Colombier à qui l'on fit une neuvaine. Les médecins, pendant dix­huit mois, disaient ne rien comprendre à la prolongation de sa vie. Leurs remèdes auraient dû le tuer plutôt, car ils ne tendaient qu'à la prolonger de quelques jours. La mort d'un oncle prêtre, l'intervention de M; le doyen de Sains, la maladie de plusieurs amis, une mission donnée à Chevennes n'ébranlèrent pas sa détermination.

L'abbé Rasset quitta la paroisse sans rien gagner. Une visite faite trois semaines plus tard ne fut pas plus heureuse et l'abbé crut même, après la mort de M. Parmentier n'avoir pas été exaucé. Cependant la conversion s'était faite inopinément et avec des témoignages sensibles et frappants de sincérité. Ce fut comme par hasard que le lendemain de son premier engagement dans la Congrégation, l'abbé Rasset sut que le signe lui avait été accordé. - Il écrit: «Un autre signe, que le jugement dernier fera voir, a été accordé le même jour, le 17 juin 1880».

prudence

Il ne s'était pas engagé dans un institut nouveau sans prendre toutes ses sûretés. Il ne s'était décidé que sur l'avis du P. Dorr et du P. Mo­deste, deux jésuites, dont l'esprit surnaturel était apprécié dans toute la province.

Il écrivait le 5 octobre à sa soeur: «J'ai reçu une lettre du P. Modeste tout à l'heure. Il viendra nous voir en novembre. Soyez donc tranquille sur notre œuvre, nous ne sommes pas dans l'illusion. Le R. P. Grisart a été vraiment bon pour nous, ses conseils sont suivis. Nous avons les PP. Bertrand et Jenner, le P. Cornaille, recteur de Reims, le professeur de dogme de l'Université de Lille et d'autres, M. l'archiprêtre de Saint-­Quentin et Mgr de Soissons qui ont été consultés plus ou moins directe­ment. Nous espérons donc ne pas nous écarter de la prudence».

(Vraiment, si nous nous étions trompés en faisant cette fondation, après avoir consulté nos supérieurs hiérarchiques et les meilleurs direc­teurs spirituels de la région, on pourrait dire que c'est le Bon Dieu lui-même qui nous a induits en erreur…).

reflexions sur la vie religieuse

Ce qui fait la force d'une communauté, ce ne sont pas les sujets bril­lants, les génies et les talents, mais ces hommes humbles, exacts, qui se dévouent et travaillent, prient et se sacrifient obscurément…

Il note encore ces signes:

1° Ma pensée intérieure s'est trouvée dévoilée sans que je l'aie externée.

2° J'ai demandé un signe et une âme a été arrachée à l'enfer auquel je la voyais comme vouée.

3° J'ai vu à n'en pouvoir douter que l'opposition et les objections d'un homme, dont le jugement devait peser, venaient du mauvais esprit; il doit aux prières de celle dont il suspectait les lumières d'avoir échappé au scandale.

4° Une âme simple, engagée dans les filets de Satan s'en est débarras­sée comme l'oiseau qui glisse entre les mailles du rets.

5° Deux cœurs séparés par la haine se sont réunis selon la prophétie faite un an à l'avance: «Je veux l'union de ces deux cœurs».

6° Tout le monde s'éloignait, cependant le divin Cœur promettait d'attirer les cœurs, et les cœurs sont venus, etc., etc.

Le Père demandait encore la conversion de son père, il l'a eue…

Il ajoute: «Domine, si error est, a te decepti sumus: Seigneur, si nous nous sommes trompés, c'est en croyant répondre à votre volonté».

======XI Ses commencements à Saint-Quentin Noviciat et Patronage (1878-1879)

Nous aurons désormais pour nous guider ses lettres à sa soeur, qui sont comme un mémorial où il a consigné ses impressions et les événe­ments de sa vie.

Il est devenu postulant le 28 juin 1878, il recevra l'habit le 12 août.

En juillet, il se prépare à la vie religieuse. Il va faire les Exercices de saint Ignace à Reims avec le P. Modeste. Il achève sa retraite à Notre­Dame de Liesse en revenant.

Le 16 juillet, il écrit de Reims à sa soeur: «Notre-Seigneur a enfin exaucé mes désirs, je suis à Reims chez les Pères, auprès du P. Modeste et du P. Souquet pour faire les Exercices, et de là j'irai à Notre-Dame de Liesse avant d'entrer à Saint Quentin. Le P. Modeste parle comme vous pour ma vocation: le doigt de Dieu semble avec M. Dehon. Les in­dications du Cœur Sacré de Jésus portent leurs preuves avec elles. Je suis confondu de ce qu'en pense le P. Modeste. Continuez à prier et à faire prier. Surtout honorez le Cœur de Jésus, il sait si bien récompen­ser! Tout à vous après lui et en lui…».

- Le 28 juillet, il lui écrit de Notre-Dame de Liesse: «Je résume pour vous mes méditations sur le Règne de Jésus-Christ et son étendard. - (Ce sera le programme de sa vie religieuse). «Ayons cette pensée conti­nuellement dans l'esprit: Ne pas dégénérer des pensées élevées qu'ont eues les en­fants de Dieu. Mettons nos pensées, nos aspirations aussi haut que possi­ble, comme il convient aux enfants du Très-Haut. Oui! aussi haut que la croix qui, en élevant de terre le Fils de Dieu lui a fait attirer tout en haut jusqu'à lui. - Nous voulons servir Dieu, Notre-Seigneur, dans l'état re­ligieux, nous sommes donc les premiers enfants de Dieu, les plus proches de la Croix; il ne suffit pas de nos pensées, il lui faut nos aspirations, nos cœurs, nos volontés; il faut des résolutions héroïques, qui se résument en trois mots: Agir, souffrir, renoncer.

Agir. - a) Renouveler en soi des désirs ardents, insatiables de supporter des injures, des affronts, des adversités, comme Notre-Seigneur. «Que je suis pressé d'être plongé dans mon baptême!» - b) Se glorifier de la croix de Notre-Seigneur, se réjouir, s'honorer des mépris, des ou­blis, des passe-droit, des injures, des persécutions, comme les apôtres: Ibant gaudentes. Ainsi le P. Olivaint riait en allant à la mort (Je vous écris de sa chambre). - c) Chérir ses ennemis, ceux qui ne peuvent nous souffrir, prier pour eux, rendre service à ceux pour qui on a de l'aver­sion. - d) Comme le Fils de Dieu, devenu malédiction et maudit pour nous, s'établir comme le digne objet des haines, des malédictions, des aversions, des calomnies, mépris, médisances et des souffrances de la part de toute la création. - e) Comme Jésus-Christ mort pour les péchés d'autrui, prendre sur soi les péchés des autres, leurs fautes, leurs mala­dresses, désirer que les supérieurs ne reçoivent pas nos excuses, qu'ils nous condamnent sur de simples soupçons, des rapports méchants, des conjectures blessantes; établir chacun maître de notre réputation jusqu'à exempter de restitution pour tous les outrages reçus et possibles. - f) Comme Jésus à Bethléem, en Egypte, à Nazareth, être content de tout emploi vil, pénible, accablant, imposé par l'obéissance, de tout lieu, de n'importe quels supérieurs, chambre, maison, etc.

Souffrir. - Croix de tout genre, permettre à Dieu de nous en acca­bler; permettre aux démons tous leurs mauvais traitements; aux hom­mes toutes le injures envers nous. - Souffrir dans le corps et dans l'âme, la réputation et tous les biens, souffrir par les mauvaises langues, les lettres, les soupçons téméraires, les jugements, les murmures, les mo­queries, etc. Souffrir innocemment, sans murmure, ni désir de vengean­ce, de justice même, de la part de Dieu aussi longtemps qu'il voudra. «Le Christ a souffert dans la chair, et vous armez-vous de la même pen­sée» (S. Pierre). Comment peut-on arriver bientôt à la perfection? Saint Ignace répond: «Si, par un bienfait de Dieu, il arrive de souffrir beau­coup». - Voilà ce qui a préparé les martyrs, voilà ce qui confond mes lâchetés et m'accuse d'illusion quand je proteste de mon amour pour Dieu par-dessus toutes choses, jusqu'à l'effusion du sang.

Renoncer. - a) A toute louange, à toute reconnaissance, n'y arrêter jamais sa pensée quand on la reçoit. - b) Ne vouloir de la part des supé­rieurs, des égaux ou inférieurs aucun égard à cause de l'âge, des em­plois, du mérite, des services rendus. - c) Ne pas vouloir être approuvé des hommes pour aucun bon dessein. - d) Ne chercher la faveur d'au­cune personne, ne pas s'en inquiéter, n'en pas vouloir, désirer plutôt d'être haï, détesté, vouloir que les autres se réjouissent de nous voir souf­frir. - e) Se retirer de tout emploi ou action, même avant d'y avoir mis la dernière main au premier désir des supérieurs, même quand il en ré­sulterait pour nous un affront et la moquerie ou l'insulte des autres. - f) Ne pas s'attendrir sur soi, ne laisser voir aucune marque de souffrance. - g) Ne rechercher aucune commodité de la part des créatures. - h) Ne rien raconter à sa louange, mais vouloir que tout ce qui nous concer­ne demeure caché. - i) Ne pas s'inquiéter, ne pas interroger au sujet de l'emploi qui nous sera confié…

(C'est bien là le programme de la vie de victime, le P. Rasset ne s'y engageait pas sans en avoir compris les obligations).

Il a copié les pensées suivantes dans un livre du P. Daniel Paulouski,

(S. J)

Pratiques pour persévérer dans la vie religieuse: 1° Estimer sa voca­tion comme un second baptême, comme un martyre, comme une assu­rance de la vie éternelle, comme un paradis terrestre. Regarder le retour au siècle comme la dernière infortune, comme une malédiction, comme un retour sous l'esclavage du diable. Estimer, aimer les petites choses de la vie religieuse, les règles pratiques, etc.

2° Etre prêt à souffrir tous les tourments pour sa vocation et dans sa vocation, pour persévérer.

3° Se dévouer à sa Congrégation comme un esclave, une bête de som­me: «Vous me commanderez ce qu'il y a de plus bas, j'obéirai sans délai ni murmure; je ne veux pas qu'on tienne compte de moi, je veux enseve­lir mes œuvres dans l'oubli. Quand j'aurai épuisé mes forces, vous me mettrez au rebut où vous voudrez; quand je serai malade ou prêt à mou­rir, vous m'abandonnerez comme un vieux chien, vous m'ensevelirez comme une carcasse d'âne…».

4° Baiser matin et soir avec amour ses habits de religion comme étant la robe nuptiale du festin céleste.

5° Dire une dizaine de chapelet par jour, prier, remercier, implorer la persévérance et le pardon pour son ingratitude au sujet de la vocation.

6° Renouveler ses voeux au moment de la Communion à chaque mes­se et à l'Angelus, trois fois par jour…

Telles étaient ses dispositions avant d'entrer au noviciat (On pourrait faire copier ces pages à nos novices).

SA VETURE. Le 14 août 1878, il écrit: «A l'occasion de l'une des fêtes du Rosaire, il faut bien vous dire quelques mots. J'ai pris le collet ro­main avec le titre de novice du Sacré-Cœur, le 12 août. J'ai choisi cette date à cause de la volonté où je suis de mourir enfin à moi-même, (anni­versaire de la mort de sa mère). La bête ne sera pas facile à réduire, mais Notre-Seigneur sait ma bonne volonté. J'ai reçu le nom d'Alphonse-­Marie, c'est en mémoire de ma première messe au couvent des Soeurs le 2 août, fête de saint Alphonse… Vous me dites que vous vous offrez au Cœur de Notre-Seigneur comme victime. Oh! prenez bien cet esprit, il fera votre bonheur dans la vie religieuse; combien de malheurs n'arrive­raient pas si cette idée dominait! Quand vous souffrirez, rappelez-vous la tristesse de la Sainte Vierge à La Salette. Comme elle pleurait en par­lant de la justice divine prête à frapper sur les coupables! Voyez-la, tom­bant assise sur une pierre, mettant son auguste visage dans ses mains et fondant en larmes. Elle parlait des péchés de son peuple. Souffrez avec el­le. En vous offrant comme victime, attendez-vous dans la vie religieuse même à n'avoir plus d'autre joie que comme la Sainte Vierge en eut, c'est-à-dire toujours avec quelque douleur, car le souvenir des souffran­ces passées et futures de son Fils ne s'effaçait jamais de son cœur… Notre-Dame de la Salette portait le fichu et le tablier d'une servante, pour nous montrer qu'elle a été toute sa vie servante de son Dieu et qu'elle est encore au ciel la servante des âmes pour les grâces dont elles ont besoin… Elle portait sur sa poitrine les instruments de la Passion pour marquer combien le souvenir des souffrances de son divin Fils reste gravé dans son cœur. Elle a été la première victime expiatrice en union avec Jésus pour les péchés du peuple de Dieu d'abord et pour tous les hommes. Elle continue à être cette victime expiatrice dans le ciel…».

Le 8 septembre. - «Je me trouve heureux d'avoir tout quitté, mais ce sera dur pour moi. Notre-Seigneur m'accordera de beaucoup souffrir pour lui; j'ai parfois des abattements en face des difficultés qui vont sur­gir».

Le 15 septembre. - «Vous aurez besoin de l'esprit de victime et d'im­molation. Demandez-le à Notre-Seigneur. Vous avez déjà souffert, vous souffrirez encore, c'est le moyen de vous sanctifier rapidement. Je de­mande pour vous au Cœur de Notre-Seigneur générosité pour souffrir tout ce que votre vocation a de pénible pour la nature…».

(Notre novice est bien dans l'esprit de sa vocation de prêtre-victime. Dès son noviciat, on l'a chargé de l'œuvre du Patronage, il y fera beau­coup de bien pendant plusieurs années. Il a écrit la vie de M. Santerre, son auxiliaire; tout ce qu'il y dit de l'activité de M. Santerre au Patrona­ge indique ce que le directeur avait à faire là, aidé de ce saint laïque).

Le 5 octobre 1878. - «Bonne fête du Saint-Rosaire, courage et ferveur! Prenons la résolution l'un et l'autre de mieux réciter le chapelet… Les mystères du Rosaire sont des trésors de grâces pour ceux qui les goûtent. Je vais tâcher demain d'organiser le Rosaire vivant au Patronage par di­zaines et par sections. Voici ma journée de demain:

- Lever à 5 h. Méditation avec la Communauté.

A 6 h., préparation d'une instruction de sept minutes sur les Saints Anges dont c'est la fête pour les Congréganistes au-dessous de 16 ans.

6 h. 1/2. Au Patronage, quelques confessions, un mot par-ci par-là comme à Sains.

7 h. 1/4. Sainte messe, avec instruction après la messe: quelques avis et recommandations. Jusquà 10 h. je reste là pour prier et lier conversa­tion. - Faire partir à la grand'messe.

10 h. 1/4. Petites heures au Sacré-Cœur avec un compagnon, novice comme moi.

11 h. 1/2. Dîner.

12 h. 1/2. Présider le dîner des pensionnaires au Patronage, y faire la lecture. J'y reste jusqu'à 10 h. du soir et fais mes exercices comme je peux: fonctions de gendarme et de maman tour à tour.

A 3 h. on ouvre la porte aux enfants du dehors.

A 5 h., réunion des Saints-Anges.

A 6 h., salut, instruction d'un quart d'heure.

A 7 h., présidence du souper des orphelins.

7 h. 1/2, souper in-promptu.

8 h. 1/2, réunion mensuelle, prière. Dans les intervalles, on joue, on court, on sépare les combattants, on cause aux nouveaux, on console ceux qui pleurent… On fait entrer ceux qui n'osaient pas, on en met à la porte, etc.

- Priez bien pour notre Supérieur; Dieu veuille lui conserver la san­té!

Au couvent, on est heureux d'avoir les précieuses faveurs de Notre­Seigneur. - Marthe et Marie sont dans la joie de se dévouer à la péni­tence et à la charité, mais il y a de la tristesse aussi, car l'amitié de Notre-­Seigneur n'empêche pas les inquiétudes au sujet de la santé de Lazare, leur frère…».

24 décembre 1878. - «Bon Noël à la chère Soeur du Saint-Rosaire. Joie et paix selon l'esprit du troisième mystère joyeux. Dans la maison de saint Joseph peut-il y avoir autre chose que de la joie quand Jésus enfant fait son apparition? Qu'importe la séparation de la patrie, des amis et des proches? Jésus enfant sourit, et dans ses sourires, il y a le ciel…».

1er février 1879. - «Quand la Sainte Vierge se consolait dans ses doux rapports avec Jésus, elle dut bientôt se rappeler qu'il ne lui était pas don­né pour sa satisfaction personnelle. Saint Joseph le prit et le porta au Temple. Là, il lui fut révélé que l'Enfant serait pour elle l'occasion d'un glaive de douleur: la colombe et l'agneau devaient être immolés en mê­me temps, Jésus et Marie, victimes d'amour et de rédemption. Méditez bien toutes les circonstances de ce beau mystère, appliquez-les à notre sacrifice. Offrez-vous avec l'Enfant-Dieu pour le rachat des âmes, pour la réparation de la gloire de Dieu outragée, de son amour méconnu…».

Le 12 avril 1879. - «J'ai prié pour vous et vos Soeurs devant notre saint Joseph du Patronage. Nous avons une statue que nous regardons comme miraculeuse. On y brûle des cierges et bien des grâces y ont été obtenues. - Le jour de la fête de saint Joseph je me suis engagé par voeu à persévérer dans notre Congrégation naissante, la mort seule de notre cher Supérieur pourrait me libérer ou bien son refus de me conser­ver. Je goûte une grande paix de vous avoir devancé dans ce lien et de n'avoir pas fait de réserve pour le cas où vous quitteriez votre congréga­tion. L'acceptation est donc bien faite et cicatrisée par le feu de la chari­té…».

Le 28 août 1879. - «Cette nuit, notre chère Soeur Marie de Jésus dont je vous ai déjà parlé, est allée au ciel fêter saint Augustin: je ne puis rete­nir mes larmes en vous écrivant. Tous les dons de la nature, elle les avait et les a généreusement sacrifiés à Notre-Seigneur. Nous étions persuadés que le Cœur du Bon Maître ne demanderait qu'une mort mystique et ferait un miracle. Lundi elle s'était trouvée mieux après avoir reçu en viatique une parcelle de la sainte Hostie… mais le médecin avait préve­nu que c'était sans ressources, qu'il ne comprenait même pas qu'elle vécût encore avec des poumons collés, les membres infiltrés, le cœur contracté et gonflé. Enfin, Notre-Seigneur a pris sa victime; tant de fois elle s'est dévouée à souffrir, à mourir en réparation, en expiation. Sa vieille mère qui est paralytique, priait Notre-Seigneur de la prendre à la place de sa fille, il ne l'a pas voulu… Continuez à prier, à souffrir coura­geusement pour nous tous, nous avons bien besoin de ce secours. Nos œuvres extérieures sont très éprouvées… Je ferai ma profession le 8 sep­tembre. Je ne sais pas encore si je ferai le voeu de victime…».

sa profession

Il fit en effet très pieusement sa profession le 8 septembre avec le voeu de victime. Il devait porter courageusement sa croix jusqu'au sacrifice de sa vie.

Vocations. - «M. Demiselle est venu passer huit jours sous notre toit; il regrette de n'avoir plus 40 ans, il se joindrait à nous. M. l'abbé La­mour arrive ces jours-ci. Un bon séminariste de Chaudardes va sans doute venir aussi» (6 novembre 1879).

Tout était étonnant dans ces débuts, dans ces premières années de l'œuvre: des épreuves effrayantes: la maladie, la mort, la ruine, mais la fécondité malgré tout avec des vocations généreuses et dévouées…

Le bon P. Rasset a été une des pierres fondamentales. Uni tout spé­cialement à la Sainte Vierge Marie, il la représentait auprès de nous. Il avait un rôle maternel auprès de nos jeunes gens. Il les encourageait, il s'intéressait à leurs études et à leur formation. Il veillait même à leur santé et demandait pour eux les soins nécessaires.

Pendant vingt-sept ans de vie religieuse, il sera toujours le fidèle auxi­liaire et l'ami dévoué de son supérieur et il mourra auprès de lui, assisté par lui au moment suprême où il consommera son immolation au Sacré­Cœur.

Il disait à sa soeur: «Conservez mes lettres, elles me serviront pour écrire l'histoire de notre Congrégation». Elles serviront d'abord à écrire l'histoire édifiante de sa vie.

======XII Vie religieuse à Saint-Quentin (1879-1880)

VIE DE VICTIME, ACTIVITE APOSTOLIQUE,
CATECHISMES, EPREUVES

Le 10 décembre 1879, il écrit: «Nous sommes maintenant quatorze dans la maison: deux prêtres, un sous-diacre, un minoré, les frères et les étu­diants; de plus vingt élèves de l'Institution y ont leur dortoir…

On parle de me donner à faire un cours d'instruction religieuse aux jeunes personnes de la ville, j'accepterai parce que cela me fera travail­ler…

Je ne fais pas assez de progrès, le voeu de victime que je renouvelle fréquemment n'exerce d'autre impression sur moi que de me faire dire: Ita Pater, c'est bien, O bona crux!».

«C'est bien cruel de vous dire que j'ai de la consolation à être séparé de vous, parce que notre sacrifice glorifie Notre-Seigneur! Faites de mê­me, chère soeur. Quelle joie dans l'éternité de pouvoir dire au Cœur du bon Maître: «La preuve de notre amour pour vous, c'est que nous nous sommes arraché le cœur pour vous servir plus sûrement». Courage et confiance! Renouvelez souvent vos voeux, surtout à l'Angelus, pureté: Ancilla, obéissance; Verbum caro, pauvreté».

Le 30 décembre 1879. - «Bonne et sainte année! Ce matin, j'ai renou­velé mon voeu de victime en union avec vos dispositions. Offrons-nous bien pour les péchés du monde».

L'an dernier, les ennemis de la religion à Escaufourt voulurent empêcher les confessions de Noël et vinrent faire tapage dans l'église. Le bon curé continua, mais sentant ses forces défaillir, à 8 h. 1/2, il sort de son confessionnal et tâche d'apaiser les malheureux qui outragent Notre­Seigneur. N'obtenant rien, il se retourne vers l'autel et en surplis avec l'étole, il se prosterne et s'écrie: «Cœur de Jésus, je vous offre ma vie pour la réparation de ces scandales». Une demi-heure après il vomissait le sang et entrait dans une sorte d'agonie. Au mois de février, il fut forcé de quitter sa paroisse: il est mort jour pour jour et à la même heure un an après qu'il avait fait son sacrifice. - M. Dessons est mort de même après s'être offert pour ses fils prêtres. Quelques jours auparavant, il avait fait venir cinq tableaux du Sacré-Cœur, semblables à celui du Cer­cle. - J'ai commencé le catéchisme dont je vous ai parlé; aidez-moi par vos prières. - On vient de mettre en train au Cercle l'œuvre des Alsaciens-Lorrains, un prêtre de l'Institution y prêche en allemand. - Ne vous découragez pas, Notre-Seigneur vous aime avec une tendresse inexprimable et vous a choisie comme victime de son Cœur. Répondez à cette belle vocation. On n'en verra peut-être rien au dehors mais vous le saurez avant de mourir…».

Le 2 février 1880. - «Ce matin, j'ai dit la sainte messe à la chapelle du Patronage pour les jeunes gens qui y logent et pour les Congréganistes du Cercle. Les Frères des écoles à qui l'on a donné asile y assistaient. C'est une consolation pour moi de célébrer chacune des fêtes du Rosai­re; depuis vingt-huit ans, elles ont toujours un pour mon âme au parfum spécial et lui ont apporté des grâces sensibles. Cette fête est l'anniversai­re de ma vocation à l'œuvre des Oblats… Renouvelez bien votre offran­de en recevant ma lettre afin que nos cœurs soient de plus en plus unis a celui de Jésus. Pendant huit ans j'ai porté comme la Sainte Vierge le do­loris gladius qui devait me percer l'âme par notre séparation que je sentais voulue par Dieu. L'immolation à été récompensée par des grâces fortes et pénétrantes. La blessure est toute embaumée et je sens que l'amour de mon Jésus a pénétré en nous de toute la profondeur de son glaive. Quoi qu'il arrive, acceptez tout parce que la vie ne vaut quelque chose que par le sacrifice et l'immolation. Ici je continue mes catéchismes au Patrona­ge, aux orphelines et le vendredi aux jeunes filles de la ville. Celui où je réussis un peu, c'est avec les enfants du Patronage. Il y a eu jusqu'à cin­quante personnes à celui des jeunes filles; priez bien pour tout cela. - Nous avons tout à l'heure la réception d'un nouveau Frère. Egalement un vicaire de Saint-Quentin, M. Genty encore très actif malgré ses quatre-vingts ans, va prendre l'habit du Tiers-Ordre pour s'unir à nous comme oblat extérieur. C'est le vieillard Siméon qui prend l'Enfant en­tre ses bras pour dire son Nunc dimittis».

Le 25 mars. - «Notre communauté du Sacré-Cœur est bien éprouvée. Une jeune Soeur, Marie de Saint-Louis de Gonzague, vient de mourir comme son patron à 23 ans. Affaiblie au point qu'elle n'avait que le souffle et pouvait à peine se faire entendre, elle a fait demander à la Mè­re Supérieure la permission de s'en aller au ciel, puis, s'est mise à ge­noux en criant de façon à être entendue de toute la maison et jusque dans les cours: «Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. Il est doux de mourir dans le cœur de Jésus». Elle est retombée souriante la tête penchée et a conservé ce sourire dans la mort… Nous avons eu un succès merveilleux pour notre retraite des ouvriers qui a été bien plus fructueuse que l'an passé. Il est vrai que j'ai bien rendu deux cents visi­tes dans les familles. Tout cela est bien distrayant pour les commence­ments d'une congrégation adoratrice et réparatrice, mais il me semble que Notre-Seigneur fait un peu avancer dans la mort ma mauvaise natu­re. Il m'a déjà envoyé de gros poissons. Je sens bien que l'on prie saint Joseph pendant que je suis au Patronage. Les jours où je suis pour réus­sir et arracher une pauvre âme au péché, je sens cela d'avance et quand cela arrive, je pleure de reconnaissance. Dimanche, nous avions une as­sistance de quatre cents ouvriers à notre chapelle de Saint Joseph, et par le temps qui court, c'est un vrai miracle…».

6 avril 1880. - «Vous êtes sur la croix (par quelque insuccès dans les œuvres), dans l'humiliation un peu, toute rabaissée de cet élan trop na­turel qui allait s'épancher et trouver sa propre satisfaction et ainsi vous exposer à la ruine. Je compatis avec tendresse à vos peines, mais tout est bien, si vous vous connaissez bien, si vous vous méprisez et si vous êtes un peu humiliée, car vous vous sanctifiez actuellement et pour l'avenir… Vous étiez dans l'erreur en croyant que Notre-Seigneur avait besoin de votre activité; non, il a besoin de votre bonne volonté pour fai­re celle de son Père. Soyez gauche, maladroite; qu'on rie de vous, cela me touche, mais je fais taire ce sentiment pourvu que vous disiez: «Ita Pater: Ainsi soit-il, mon Père!». Vous le dites, n'est-ce pas; votre voca­tion n'est pas dans les œuvres de l'apostolat, mais dans l'immolation par les œuvres, ce qui est tout différent; avec l'insuccès le plus complet, vous réussirez à merveille… Laissez faire Notre-Seigneur qui veut vous im­moler au détail mais avec une grande bonté, de façon que vous le béni­rez en tout et ne perdrez pas courage…».

19 avril 1880. - «Le 21 j'irai dire la messe à votre chapelle en souve­nir de sainte Chantal. Que vous dire à l'avance? Je cueille deux pensées dans le P. Olivaint.

1° Une paire de tourterelles, voilà ce qu'il voulait être avec Notre­Seigneur. Soyez une tourterelle par l'immolation de l'amour-propre et du moi. Soyons ensemble deux pigeons bien purs, bien doux, bien doci­les pour le sacrifice.

2° Qualités de la résurrection spirituelle: Suis-je lumineux? clarté, sé­rénité surnaturelle de la sainte joie dans les mortifications?

Suis-je agile pour le dévouement, l'obéissance, la promptitude de la soumission à la règle?…

Suis-je subtile et capable d'entrer comme la lumière dans les cœurs par la douceur, la bonté, la condescendance, l'affection surnaturelle?

Suis-je impassible, maître de mes impressions?

Allons, chère petite soeur de mon âme, pas de tristesse. Nous espé­rions, disaient les disciples au lendemain du calvaire qu'il rachèterait Israël; la pauvre nature espérait autre chose que le crucifiement, que l'humiliation de l'insuccès, la fuite et les chutes; l'amour-propre espérait une petite part. Ne fallait-il pas souffrir et ainsi devenir victime et entrer dans la gloire des victimes de réparation? - Une de nos Soeurs, la plus riche, la plus intelligente, la plus généreuse (après la Supérieure), est morte comme les trois autres. Ne mourez pas, mais vivez pour souffrir joyeusement».

Le 17 mai. - «Je sais que nous sommes unis par la prière et le sacrifi­ce, qu'importe le reste? N'oublions pas dans cette Octave de la Pentecôte de renouveler souvent nos voeux pour nous préparer aux épreuves qui s'annoncent».

27 mai. - «J'ai été à Juvincourt lundi, j'ai pu conduire papa à l'égli­se. Il fallait le porter à moitié. Notre-Seigneur m'a donné une immense consolation; j'ai assis ce pauvre papa sur une chaise en face du bénitier, adossé contre le banc où se tenait notre bonne maman. Là, je lui ai fait faire le signe de la croix et lui ai annoncé que j'allais lui donner l'absolu­tion s'il voulait détester ses péchés; je lui ai fait dire ce que j'ai cru utile, puis nous avons ensemble récité l'acte de contrition; je lui ai dit les paro­les de l'absolution, espérant que cela aura été suffisant après la générosi­té qu'il a témoignée depuis trois ans pour remplir ses devoirs de chré­tien. Chère maman! quelle joie elle a dû avoir dans le ciel!… N'est-ce pas une leçon pour vous qui avez des tentations de découragement quand vous ne réussissez pas! Notre bonne maman n'a-t-elle pas eu dans son agonie la souffrance de Notre-Seigneur qui disait: «Quelle utilité y a-t-il dans mon sang?» (Ps. 29). Résignons-nous, quand c'est la volonté de Dieu, à ne pas réussir. Il me semble que cette disposition doit faire la principale vertu d'une Soeur de Saint Joseph qui doit être victime avec l'aimable cœur de l'auguste patriarche, mort sans avoir entendu l'ho­sanna».

20 juin. - «Courage quand même! Vous êtes bien partout où vous met l'obéissance. Ayons en haute estime l'humiliation, la souffrance, la gêne et la pauvreté. Aimons à n'être rien…».

22 juillet 1880. - «Il y a quinze jours, un de nos mauvais sujets, affligé d'une enflure au doigt, a été guéri instantanément en se mettant à ge­noux devant la châsse de sainte Hunégonde à Homblières. Je lui ai dit de prier et qu'il obtiendrait, il l'a fait avec la foi naïve d'un petit enfant. J'ai cru devoir faire ma déposition chez M. le curé. Tous les autres étaient véritablement saisis…

Depuis un mois, nos pauvres religieuses ont eu bien des épreuves, le rôle de victimes n'est pas une sinécure. Attendez-vous donc pour votre compte personnel à souffrir quelque peu, mais répétez le: Da pacem, Do­mine. Entre autres gentillesses du diable, vous saurez, que pendant huit jours nous délogions chaque soir le Saint Sacrement, craignant la ferme­ture de la chapelle après le salut ou dès le matin. Un contre-ordre venu de haut nous donne du répit et Notre-Seigneur trône encore, exposé au milieu des fidèles servantes de son Cœur. Hélas! il en manque et il s'est trouvé des infidèles; des familles ont pris peur et on réclamé leurs filles. D'autres ont été provisoirement renvoyées, plusieurs ont repris le che­min de l'Alsace et des habits séculiers sont prêts pour toutes. Il en est résulté un émoi que vous pouvez concevoir chez des pauvres filles choît rées. Les orphelines sont en partie dispersées. Une pauvre Soeur, perdant la tête après les reproches et les exagérations de sa mère, s'est échappée par-dessus les murs du couvent, n'osant passer devant les en­fants; de là du tapage dans les journaux, il y en a des colonnes: séques­tration, violences, mauvais traitements, réclusion, jeûnes forcés, etc., tout ce que le diable peut dire et faire dire. Cette pauvre fille, cause de ce scandale, est de Saint-Quentin, elle a écrit une protestation en faveur de sa communauté, mais le mal est fait. Il a fallu l'huissier pour obliger un mauvais journal à l'insérer. C'est à peu près passé, mais le diable ne se tient pas pour battu et prépare d'autres batteries où son jeu est visible. Surtout ne l'écoutez pas. Il fait souvent d'une pierre deux coups; ainsi une de nos pauvres Soeurs du Patronage, à la suite du saisissement qu'elle a eu de l'incartade de la fugitive, a eu un vomissement de sang qui pourrait bien être le prélude d'une phtisie galopante, elle est repartie en Alsace. - Voilà aujourd'hui deux ans, fête de sainte Madeleine, que j'ai quitté le R. P. Modeste à Reims avec la résolution de marcher dans la voie où je suis. Ce cher Père a dit ce matin la messe au couvent avec nous, il était venu chercher des professeurs pour remplacer les Pères qui vont quitter le 30 août. Soyez toujours bien prête, un répit est accordé pour trois mois aux congrégations, mais ce n'est qu'un répit».

3 août 1880. - «Chaque jour à 3 h. après midi, nous nous réunissons pour dire trente-trois fois: In te, Cor Jesu, speravi, non confundar in aeternum, et autant de fois: Aimé soit partout le Sacré-Cœur de Jésus; après quoi viennent les exercices de neuvaines ou d'intentions particulières. Nous avons commencé une quarantaine pour les besoins de l'Eglise et de l'Etat: Trois Pater et Ave avec quelques invocations qu'on trouve dans la vie de M. Dupont. - Nous nous servons souvent des prières de sainte Gertrude. - Je vais demander pour vous à saint Dominique de vivre jour par jour, heure par heure sans vous troubler de la croix du lende­main; c'est aujourd'hui qu'il faut être douce et patiente; c'est présente­ment qu'il faut souffrir un peu. Allez à l'humilité par l'amour des petites humiliations. Demandez à vos Soeurs qui sont revenues de Cayenne et de l'Inde, comme les grands paquebots traversent toutes les vagues, tou­tes les lames et vont droit devant eux avec leurs puissantes hélices. Quel­le différence avec les petits bâtiments à voile! … Les grands paquebots ont des coups de mer, des dangers même, mais la vapeur marche et l'on avance, pourvu que les foyers ne s'éteignent pas. C'est le contraste de la vie du monde et de la vie religieuse. Allumez bien le feu et faites bonne provision, vendredi à l'exposition du Saint Sacrement. Nous serons là tout près l'un de l'autre, toute juste l'épaisseur de l'hostie pour séparer nos cœurs qui battront sur celui de Notre-Seigneur. Ita Pater! C'est bien! Quand il y a quelque chose qui vous contrarie, que ce soit votre refrain…».

3 septembre 1880. - «Je suis allé à Juvincourt. J'ai célébré la messe à Notre-Dame de Chaudardes qui m'a exaucé, j'ai pu donner l'absolution à notre cher malade après l'avoir exhorté. Tâchons d'être de ces âmes de prières qui sauvent les familles».

7 septembre 1880. - C'est la mort de son bon père, Florentin-Adrien Rasset, en la vigile de la fête de la Nativité et de la commémoraison de saint Adrien, martyr, comme sa sainte maman Claire Dautel était morte le jour de sa fête, sainte Claire.

8 septembre 1880. - Il renouvelle ses voeux après une retraite qui a été coupée par son voyage à Juvincourt. La conversion de son père a été le fruit de ses sacrifices. Il renouvelle toutes ses résolutions, surtout pour l'union et la dépendance du Cœur de Jésus.

- Il a passé à Fordrain en allant à Juvincourt et il raconte une de nos épreuves. «Notre noviciat était là avec sept étudiants à la maison de Soeur Marie des Cinq Plaies. La Soeur est morte, elle voulait laisser à sa communauté une belle fortune de sept ou huit cent mille francs dont nous aurions eu une part pour nos œuvres, mais son testament est cassé. La famille est stylée par un notaire franc-maçon. C'est la ruine de notre pauvre communauté, si éprouvée et si menacée. Nos Soeurs disent que Notre-Seigneur fera les miracles nécessaires, c'est ainsi que la commu­nauté des Soeurs a vécu depuis douze ans avec des catastrophes impré­vues et des interventions étonnantes de la Providence.

Ainsi vous voyez, l'œuvre des Oblats a été commencée parce qu'on a cru voir les ressources matérielles assurées pour collèges, séminaires, or­phelinats, noviciats. Aujourd'hui que l'œuvre est en bonne voie (cinq prêtres, deux ordres sacrés, deux étudiants en soutane), Notre-Seigneur retire tout et la Loge maçonnique appuyée par un sénateur et un député a juré la perte de M. Dehon. Abandonnons-nous à la divine Provi­dence… ».

======XIII Saint-Quentin: Temps d’épreuves (1880-1882)

8 septembre 1880. - À l'occasion de la mort de son père il en donne toute une petite biographie qui montre bien l'action de la Providence sur cette famille.

- «Repassons ensemble, chère et bonne Soeur, toutes les miséricor­des divines pour notre cher papa. Combien sa mère pleurait en songeant qu'elle allait mourir et l'abandonner orphelin aux dangers qu'il a cou­rus! C'est ce que m'ont répété toutes les personnes qui ont connu notre grand'mère Benoîte. Le pauvre enfant n'avait que neuf ans, sans ins­truction religieuse, Première Communion déplorable; il a rapporté ce­pendant de son court séjour à la pension Gonbaud de Reims l'habitude de certaines prières surtout à l'Esprit-Saint… L'esprit de Dieu ne l'a-t-il pas conduit dans son mariage avec notre sainte maman? - Lorsque je fus sevré, on força maman de me laisser à Ailles. Si j'étais revenu ce jour-là, toute la famille aurait péri: en descendant la côte de Craonnelle, maman avait mis pied à terre, papa conduisait le cheval par la bride lor­squ'un chien survenant l'effraya par ses 'aboiements et le fit se jeter dans la montagne. La voiture et le cheval firent plusieurs tours avec papa qui resta évanoui et sans mouvement. Si j'avais été dans la voiture, person­ne n'en serait descendu et nous serions tous dans l'éternité et vous dans le néant…

Une autre fois, dans la montagne de Cormisy, le frein venant à casser, papa s'est vu emporter avec ses chevaux et une grosse charge de pierres. Il a eu à peine le temps de crier: Notre-Dame de Liesse! quand soudain chevaux et voiture sont jetés de côté et enrayés sans accident. Nous avons été en pèlerinage pour cette grâce. Papa, en rentrant, s'était jeté en pleurant dans les bras de notre mère; il a toujours cru qu'il y avait eu là un miracle. Vous n'étiez pas au monde. Vous n'avez pas idée de la joie que lui causa votre naissance: vous deviez être la victime qui le ra­chèterait en s'ajoutant au sacrifice du Cœur de Jésus.

Avant ma naissance, par une inspiration incompréhensible et inconci­liable avec son aversion pour les prêtres, il avait dit en face du Calvaire mutilé: «Je ne l'empêcherai pas d'être prêtre, si c'est un garçon». - Lorsque vous étiez petite, je lui ai entendu dire sérieusement: «Rasset sera prêtre et Mélanie sera Soeur». Cétait chez le charron devant une di­zaine de personnes. Il ne pensait pas toujours ainsi, mais c'étaient des éclairs de foi. - Il s'emportait contre les prêtres et les défendait quand on les attaquait. Il s'empressait de leur rendre service.

Rappelez-vous qu'il n'a jamais envisagé ma vocation autrement que comme un sacrifice et un dévouement; il ne concevait pas le ministère autrement que comme une immolation.

Pour le récompenser, Notre-Seigneur l'a ramené peu à peu à la con­naissance de sa divinité et de son amour. Ma première messe, le retour à Dieu de papa Doudou, sa mort, le voyage à Bois d'Haine, le voyage à la Trappe sont des étapes. Nous le faisions prier et il acceptait sans résis­tance; lorsque la Providence l'a humilié dans les épreuves, il me disait: Je prie…

- Le R. P. Dorr me dit d'un ton d'inspiration en septembre 1877: «Votre père fera ses Pâques l'an prochain». En 1878 en effet, il allait à Laon voir M. Courtade, de lui-même et spontanément. Il y est retourné en 1879, et cependant avec quelles difficultés à cause de son état de san­té. Vous ignorez ce qu'il a souffert des suites de son voyage à Thiais, il a tout accepté avec résignation, malgré des plaintes extérieures. Il était heureux des sacrifices que je faisais à Sains; c'est à peine croyable com­me il a deviné notre œuvre de Saint-Quentin et comme il s'en occupait. Jamais il n'a eu un instant de murmure à ce sujet. Vous savez le reste.

Pour sa mort, vous vous rappelez qu'au mois de mai je l'ai conduit une dernière fois à l'église et qu'en juin je lui ai rendu encore l'absolu­tion, il s'accusait tout haut de ses impatiences, etc., il les déplorait, il comprenait donc bien toute le portée de ce que je faisais. Enfin, dans une dernière visite, jeudi 2 septembre, je lui ai répété que j'allais le confes­ser, il a compris, il avait l'air recueilli quand je lui ai donné l'absolution. De lui-même il a pris le crucifix pour le baiser comme je le lui disais pour sa pénitence. Le vendredi j'allais partir pour le premier train, quand mon frère me supplie de lui donner l'extrême-onction; il n'y avait aucun signe de fin prochaine, je crus devoir remettre la chose à la décision de M. le curé qui me dit de consulter le malade. Depuis trois jours, il ne m'avait jamais répondu et je ne comprenais guère ses signes quoiqu'il me parût comprendre ce que je lui disais. Je lui propose l'extrême-onction;il se lève sur son coude, me fixe d'un air douloureux, allonge la tête, re­mue les lèvres et au bout de quelques instants répond distinctement: Je veux bien! J'allai célébrer le saint sacrifice, prier sur la tombe de maman. Je revins l'habiller, c'était pénible, il avait des plaies. Ses derniers mois ont été un effrayant purgatoire, il ne le regrette sans doute pas aujourd'hui.

Après la messe de M. le curé, nous vînmes ensemble à la maison, il était dans son grand fauteuil adossé à l'horloge, la table avec les cierges étant près de la porte de sa chambre, je lui renouvelai la proposition de l'extrême-onction, une rougeur subite, des larmes dans les yeux, ce fut toute la réponse, il avait bien compris. Je commençai les prières, M. le curé répondait. Ce pauvre père fermait les yeux pour les onctions, tour­nait la tête, présentait ses mains et ses pieds, suivant tous mes mouve­ments de ses regards; à la fin il s'était doucement endormi. Je le réveillai pour lui donner l'indulgence plénière en l'avertissant qu'il allait recevoir la bénédiction de Notre Saint-Père le Pape. Il fit signe que oui, M. le cu­ré parut étonné. J'avais la tentation d'attendre, mais je venais d'être surpris à Saint-Quentin pour une malade et je préférai le parti le plus sûr. Vous voyez que nos anges gardiens ont bien su diriger les choses.

Quand je fis mes adieux à notre cher papa, il était dans son fauteuil me regardant; comme je m'arrêtai dans la cour, son regard était étran­ge, comme s'il eût voulu me retenir ou me suivre. Je le revois toujours ainsi depuis vendredi, 3 septembre.

Pour son agonie, M. le curé n'est arrivé qu'au dernier battement du pouls et au dernier soupir, il n'a reçu qu'une absolution conditionnelle. - Ses traits, après la mort, respiraient un grand calme. Le visage était beau… Je l'ai mis dans le cercueil moi-même. On l'a enterré au-dessus du cercuil de maman…

Enfin prions, souffrons avec patience. C'est tout ce qui nous reste à faire en union avec le sacrifice du divin Cœur…».

Le 12 septembre. - A la hâte, encore quelques mots de consolation: Soeur X., pendant la journée du mardi 7 courant, était poussée à prier pour notre cher papa; elle demandait son rétablissement, il lui fut répon­du: «Il mourra…». Précédemment il lui avait été dit: «Ce père et cette soeur me sont bien chers». C'est une preuve pour moi que votre sacrifice a obtenu la conversion qui nous a tant consolés. Le mardi soir, papa mourait un peu après sept heures. Quelque temps après, Soeur X, priait encore pour lui. Notre-Seigneur lui dit: « il est mort et il a trouvé en moi un juge favorable, seulement, continue à me prier pour cette âme; il faut beaucoup prier pour elle». Nous n'avons eu ici la nouvelle que mercredi à midi. Il est des âmes dans le purgatoire pour qui Notre-Seigneur se laisse à peine toucher et qui n'obtiennent jamais qu'un faible soulage­ment, c'est donc une consolation de savoir que Notre-Seigneur veut être prié et faire miséricorde… Acceptez le sacrifice d'avoir été privée de ren­dre les derniers devoirs à papa, d'être calomniée, méprisée, de passer pour une fille sans cœur qui n'aime pas ses parents, etc. Acceptez tout cela pour que papa soit tiré de la prison du feu et de l'humiliation où il est plongé. Dites bien: Ita, Pater. Jésus était ainsi méprisé dans sa pas­sion. J'ai vu papa en rêve comme un enfant humilié en pénitence. N'est­-il pas resté enfant dans la foi? Il n'a pas été confirmé; mais il a fait de gé­néreux sacrifices qui l'ont sauvé. Soeur X, souffre beaucoup pour lui. Allons, chère soeur. Encore une fois: Ita, Pater. Merci, mon Dieu! Cœur de Jésus, faites miséricorde à mon père…».

21 octobre 1880. - «Ce soir, a lieu l'ouverture du pèlerinage; demain je célébrerai le saint Sacrifice au caveau de Saint-Quentin… Edmond Dessons est ici, c'est le P. Barthélemy. M. Vincent, vicaire général, a écrit à M. Dehon pour le prier de le recevoir chez lui. Il va faire le chape­lain au couvent, dont je deviens le confesseur, c'est vous dire que j'ai besoin de vos prières plus que jamais. Je donne aussi quelques leçons d'anglais à l'Institution. Trois de nos Pères sont toujours à Saint-­Médard en attendant que l'œuvre soit reprise par les prêtres et les frères de Saint-Joseph …».

Il y a ici une lacune de quelques mois dans ses lettres, il écrivait moins.

3 août 1881. - «Mille mercis pour vos souhaits de Saint-Alphonse. Recevez les miens pour la Saint-Dominique. On priera bien pour vous au couvent, demain. Les Soeurs ont quitté Fourdrain aujourd'hui. Soeur M. X. est souvent en larmes, elle continue à prier pour vous et vo­tre Congrégation. Merci de vos précieux avis, du reste je ne me fais pas faute d'assommer notre cher supérieur avec toutes les vérités désagréa­bles que je puis apprendre sur le compte de nos œuvres.

Dimanche, au Patronage, on m'a fait une joyeuse surprise, une Saint­Alphonse mirobolante, des centaines de pétards, choeurs, lanternes vé­nitiennes, pièces de comédie, chansonnettes, romances, compliments, sucreries distribuées. C'était à tout casser. Figurez-vous trois cents ga­mins de douze à seize ans me criant: Vive saint Alphonse! Il en est résul­té quelque bien pour l'œuvre à laquelle on semble tenir davantage. Priez pour nous, il y a bien des épreuves qui n'engagent pas le fond de l'œuvre, mais qui dans le détail sont assez pénibles».

18 août 1881. - «Les pauvres curés! C'est à n'y plus tenir pour les ca­téchismes et les confessions des enfants qui deviennent impossibles; et des histoires pour rien! Notre saint évêque va publier des statuts fort sé­vères, le synode se tient à la fin du mois, je le recommande à vos prières; il y a de nouveaux scandales, notamment à Prouvais…

Votre mot pour le Saint-Alphonse est venu à point. Je traverse une épreuve intérieure bien pénible… Nous avons été en pèlerinage à Notre­Dame de Grâce à Cambrai, il y avait cinquante à soixante hommes et jeunes gens. Mgr l'archevêque nous a reçus fort cordialement. Quatre de nos étudiants ont été envoyés en pèlerinage sans argent. Deux ont dû faire soixante-six lieues: ils sont allés à Saint Joseph de Beauvais où le P. Limbourg les a reçus en frères. Ils ont fait connaître l'œuvre partout sur leur passage et chacun leur a témoigné de la joie. Je pense que nous al­lons être une trentaine… Je ne crois guère aux détails des prophéties courantes et je suis fort en garde contre les meilleures. Cependant, je suis persuadé que la Providence prépare de grands châtiments et de grands remèdes à nos maux spirituels».

30 octobre 1881. - «Que de choses à vous dire! Nous sommes ici plus de trente à notre maison du Sacré-Cœur. Mgr de Soissons est venu hier. Mgr de la Basse-terre (Guadeloupe) a visité l'Institution, il y a trois jours. Mgr Fava, l'évêque de Grenoble, est venu nous parler de son œuvre de réparation, du crucifix et de l'adoration du Saint Sacrement. Il nous a dit que Nazareth était oublié et qu'il fallait pour sauver la France, rétablir Nazareth partout. Cependant, son œuvre n'est pas la nôtre: il n'a même saisi que d'une manière imparfaite l'idée de notre œuvre qui cependant a bien pour origine le fait de La Salette. - M. le doyen de Sains est resté ici quarante-huit heures. Tout va bien par là, mais l'hosti­lité des impies est grande. Notre julien Lequeux est atteint d'un rhuma­tisme articulaire qui gagne le cœur, il est presque désespéré. Faites prier pour lui; on va sans doute l'admettre aujourd'hui à prononcer ses voeux. Je ne fais que pleurer dès que je veux prier…

Il y a quelques jours, la fête du Patronage de la Sainte Vierge m'a re­mis en mémoire notre commune consécration à Marie, faite en ce jour­la dans l'église de Baulne en 1868. Soyons à Jésus, tout à Jésus par Ma­rie, tout au Cœur de Jésus par le cœur de notre bonne Mère qui nous a si bien protégés et conduits. Soyons saints!…».

24 décembre. - «Bonne fête de Noël. Tranquillisez-vous, je vais bien malgré un petit mal de gorge qui se renouvelle chaque lundi avec une courbature causée par les fatigues du dimanche. Je demeure au Patrona­ge depuis que je vous ai vue. L'affluence des enfants n'a pas cessé: deux cents le dimanche, quatre cents les jours de soirée. Que de bien on pour­rait faire!… Notre œuvre s'étend doucement et se consolide. Elle est connue à Marseille, Lyon, Fribourg, Munich, Autun, Poitiers, etc. - Pour Noël, naissons avec Jésus, soyons des enfants, pauvres, humbles, souffrants, ne nous scandalisons pas de la crèche…».

30 décembre 1881. - «L'incendie de Saint Jean. L'année finit douloureu­sement. Un incendie a consumé dans la nuit du 29 au 30, deux étages du nouveau bâtiment de l'Institution Saint Jean. Nous avons travaillé jus­qu'à plus de 4 heures du matin, c'était effrayant. Le feu a pris pendant que les élèves jouaient au Patronage «Le martyre de sainte Benoîte». Quelle tombée de rideau et quelle nuit! Nos pauvres petits enfants apeu­rés! les plus grands s'exposant au danger, aux maladies, couverts de glaçons, les pieds dans l'eau, travaillant comme des malheureux. Deux dortoirs sont entièrement consumés, le reste est inondé. - Soeur M. X. sentait la main de Dieu depuis le soir de Noël. Les pauvres Soeurs de l'Institution, à moitié mortes de saisissement, ont cependant sauvé les habits des enfants, alors que les flammes étaient sur leurs têtes. - Est-ce le commencement? Il y a eu de bien belles sympathies, mais au dehors aussi d'horribles imprécations. Bonne et sainte année quand même et malgré tout.

Recommandez notre supérieur aux prières. Comment va-t-il faire?».

14 janvier 1882. - «Merci à vos bonnes mères de l'intérêt touchant qu'elles témoignent à nos œuvres et à nos peines. Soeur X, souffre beaucoup et nous dit de nous préparer à la souffrance et aux humilia­tions, aux moqueries et aux mauvais traitements. Pour la fête de saint Jean, il lui a été dit au sujet de notre cher supérieur: «Je lui donnerai une part au calice de saint Jean». Deux jours après nous avions le feu. Et à ce propos: «Je lui donnerai, non la force de Samson, mais celle de Job». C'est assez significatif pour l'avenir…».

22 mars 1882. - «Monseigneur a laissé à Rome notre règle, les ca­hiers, etc., entre les mains d'un Cardinal désigné par le Pape, à qui il a parlé à plusieurs reprises de notre œuvre…».

2 juin 1882. - «Je sens bien la vérité de ce qu'on me dit: Que la très

sainte Vierge me promet des grâces abondantes dès que je serai fidèle. C'est à elle que je devrai tout. La consécration que notre sainte maman lui a faite de ses enfants a été prise en considération par la Mère de Dieu…».

22 juillet 1882. - «Je vais partir pour passer deux mois en Angleterre… Un nouveau Frère de 54 ans, ancien comptable (Fr. Pa­caud), nous arrive de Paris. Nous avons deux bacheliers de plus, un prê­tre et un minoré. Un de nos tonsurés va aussi se présenter…».

C'était toujours la même conduite de la Providence: des épreuves, des sacrifices, la mort toujours menaçante, et avec cela des progrès et l'avan­cement constant de l'œuvre.

Après l'incendie, l'Institution eut une rentrée incroyable: trente-cinq nouveaux en janvier. On put occuper le dortoir du premier sans toiture. Pendant trois mois,, il ne tomba pas de pluie et on put refaire le bâtiment incendié. La statue du Sacré-Cœur était restée intacte sur la façade comme un signe de la protection céleste. La fenêtre, devant laquelle était la statue, avait toutes ses vitres intactes, tandis que les autres fenêtres n'en avaient plus une seule.

Le Père avait fait sa retraite en septembre 1881 à Notre-Dame de Liesse avec le P. Bertrand, Jésuite de sainte mémoire. Il en a laissé des notes bien complètes. Il s'y est affermi dans sa vocation. La caractéristi­que de ses dispositions, c'est l'esprit de victime et le dévouement aux pauvres et aux déshérités.

«Je dois être, écrit-il, une victime du Sacré-Cœur. Mes défauts natu­rels me sont une occasion de battre monnaie, en m'humiliant et en me supportant. Si j'entre dans cet esprit, j'aurai une grande paix: l'impuis­sance comme l'action, tout me sera une source de mérites…».

- «C'est par les Exercices de saint Ignace que je suis venu à la voca­tion où je suis, c'est par eux que j'y conserverai l'esprit d'un état si émi­nent… ».

- «C'est du Cœur de Jésus que j'attends de retrouver cette sève vita­le, ce sentiment de vie qui me manque parfois».

En contemplant le mystère de l'Incarnation, il voit Notre-Seigneur ar­rêter ses regards avec préférence sur les déshérités de ce monde, qu'il vient relever et consoler.

======XIV Angleterre et Saint-Quentin (1882-1884)

Il va pour les vacances de 1882 en Angleterre pour se perfectionner dans la langue anglaise. Il sera pendant deux mois vicaire du curé de Sedgley par Dudley (Staffordshire).

De Sedgley, 31 juillet 1882. - «Dimanche 23 juillet, on me souhaitait par anticipation la fête de saint Alphonse à Saint-Quentin. Il y a eu mes­se de communion à la basilique pour les fêtes de saint Vincent de Paul et de Notre-Dame du Carmel que nous avons réunies en une seule. Tous les enfants de la Première Communion de cette année, déjà inscrits au Patronage, cent-dix environ, y étaient. A 9 heures, messe en musique. Le soir, grand salut solennel, sermon par un confrère, puis boîtes et fu­sées, souper du cercle en commun, illumination, feux de bengale, soirée musicale. Le lendemain, j'étais à Juvincourt pour le baptême du petit Ernest Rasset.

Le jeudi, je partais de Saint-Quentin à 4 h. 40 du matin. J'ai célébré la messe à Lille dans l'église de Saint-Maurice.

J'ai eu le mal de mer au milieu de la traversée, qui cependant était splendide… Je m'habitue à la conversation anglaise, je comprends faci­lement les gens instruits. Je suis arrivé vendredi à 5 heures du soir à Wolverhampton. J'étais attendu à la gare. Je suis chez un bon mission­naire, usé par son activité fébrile. C'est un Belge, venu depuis vingt ans en Angleterre: beau presbytère adossé à l'église, où j'entre à volonté, en descendant l'escalier de ma chambre: solitude et recueillement, voilà qui me sera facile. Le R. P. Dorr n'est pas loin, je le verrai cette semaine. J'ai senti samedi les souffrances de l'exil. Hier, deux messes chantées, la dernière à 11 heures: migraine affreuse. Les psaumes en anglais m'ont réconcilié avec la vie, le soir j'étais mieux. Aujourd'hui, fête de saint Ignace, je suis tout à fait remis. Lundi, je vais dîner chez Mgr l'archevêque de Birmingham».

Sedgley, 3 août 1882. - «Pour souhait de fête, je demanderai pour vous à saint Dominique l'esprit du Saint Rosaire, c'est d'abord l'esprit du Saint Enfant Jésus, la simplicité dans le jugement, la conformité à la volonté du Bon Dieu, la disposition à juger de l'excellence des événements et des situations par les croix qui en résultent pour vous, enfin la sainte joie, fruit des mystères glorieux. - Notre cher Supérieur m'écrit pour m'apprendre de bonnes nouvelles, une intervention miraculeuse de la Providence en notre faveur, des grâces signalées et des épreuves assez grandes. Mgr Gay étudie notre œuvre, c'est le premier écrivain ascéti­que de notre siècle. Mgr de Soissons a permis de lui montrer tout.

Je vous assure que le moment noir est passé, je vais bien à présent. Je parlerai de votre Congrégation au Vicaire général de Birmingham. Du pays où je me trouve je vous dirai qu'il y a des cheminées hautes par milliers, des trous noirs à charbon et de la poussière à ne savoir re­spirer. De Sedgley jusqu'aux montagnes du pays de Galles, le panorama est splendide, le fond est vert comme la mer, mais d'un vert tendre parti­culier à l'Angleterre. La population catholique est dispersée à trois mil­les à la ronde. Il y a des églises protestantes de toutes façons, mais la sec­te la plus curieuse c'est l'armée de la Salvation, qui parcourt les rues en priant à haute voix et en chantant chaque soir. On s'arrête, et chacun prêche à son tour. Ils y mettent un élan incroyable. Pauvres gens, ils sont de bonne foi, ne nous jugeront-ils pas, nous qui sommes si froids, si négligents dans l'amour que nous devons à Dieu, à ce Dieu eucharisti­que, qui est avec nous et envers qui nous sommes si peu reconnaissants?

Bonne fête! Courage malgré tout et grande confiance que dans les hu­miliations et les contradictions tout est pour le mieux».

24 mars 1883. - «Je ne vous ai pas parlé du voyage de notre bon Père Supérieur à Bois d'Haine. Autrefois Notre-Seigneur disait à Louise La­teau: «Si les hommes savaient combien je les aime, ils ne sauraient vivre». Depuis cinquis ans Il lui dit: «Si les prêtres savaient combien je les aime!…». Quand elle est à bout de forces, ces paroles la font revivre: «Tout n'est qu'amour», ou bien: «Ma justice est à bout». Il résulte de cette visite que notre œuvre est tout à fait en rapport avec sa mission; tout lui a été soumis et M. le curé de Bois-d'Haine est très frappé de l'harmonie qui existe entre ce qui se passe ici et ce qu'il connaît de l'inté­rieur de la stigmatisée.

Un petit renseignement qui pourra vous être utile et qui résulte de ce qui se passe à notre petite école angélique de Saint-Clément de Fayet, c'est qu'il faut user avant tout des moyens et des motifs surnaturels pour soi et pour les autres; dans vos fonctions, attachez-vous à employer les raisons de foi et d'amour du Sacré-Cœur quand vous avez à persuader, à demander un service ou un travail. Baisez votre crucifix ou votre médaille du Sacré-Cœur ou sa statuette quand vous avez à dire une parole qui pourrait n'être pas bien reçue. Voilà pour vos oeufs de Pâques.

Le Jeudi-Saint j'ai été à La Capelle à l'enterrement de Madame De­hon, la mère de notre bon Père Supérieur. Il y a des signes bien conso­lants qui marquent que cette épreuve se rattache au plan surnaturel de notre œuvre qui lui doit tout.

Les Pâques du Patronage et du Cercle, sans avoir été nombreuses ont été consolantes. J'ai été édifié aussi par les confessions de notre Institu­tion Saint Jean qui me sont venues en l'absence du bon Père. Nous avons eu après le dimanche de la Passion une semaine de retraite sur la Passion du Sacré-Cœur. Nous sommes seize prêtres dans notre œuvre avec une trentaine de séminaristes. Je crois que nous dépassons le chif­fre de cinquante avec les Frères».

Le 3 août 1883. - «Je ne vous ai pas oubliée le jour de Sainte-Marthe. Nous aussi nous avions hier l'indulgence de la Portioncule par Bref spé­cial de Rome; de plus, le Très Saint Sacrement a été exposé. J'ai fait le plus de visites que j'ai pu…

- Nous regardons la Mère Dominique (qui a contribué à organiser l'adoration perpétuelle à Montmartre) comme remplissant en ce mo­ment le rôle de sainte Catherine de Sienne. C'est, suivant elle, à Mont­martre que se fera l'union de l'Eglise et l'Etat, pour préparer l'avène­ment du règne du Cœur de Jésus. C'est ce que pense le directeur des adorations du Sacré-Cœur à Montmartre. MM. Collet, Léon Pagès, Ruaudel et tout le groupe des chrétiens fervents qui propagent le mouve­ment de Montmartre, sont plus ardents que nous pour notre œuvre. - J'espère vous voir le 24 août en allant à Lourdes. Nous serons huit pèle­rins de Saint-Quentin, peut-être plus.

Priez tous les jours pour notre persévérance à tous deux dans l'obéis­sance et la pauvreté».

14 août 1883. - «Bonne fête! Que l'Assomption de notre bonne Mère soit pour nous une préparation à une mort précieuse! … Rappelez vous qu'on ne devient pas saint par les grandes actions, mais par une grande charité dans les petites choses. C'est ce qui coûte le plus.

Je pars pour Lourdes le 24, je pourrai peut-être vous voir en passant».

31 octobre 1883. - «Je viens de célébrer la sainte messe au caveau de Saint-Quentin, où nos orphelines du couvent ont fait la sainte commu­nion. J'ai été un peu occupé tout ce mois à préparer un pèlerinage d'hommes qui a eu lieu dimanche dernier pour la clôture de la neuvaine à Saint-Quentin. Sains, Notre-Dame de Liesse, Soissons sont venus en groupes assez nombreux; j'avais deux cents personnes à dîner; il y a eu ensuite diverses réunions, l'une présidée par Monseigneur, puis la pro­cession à laquelle quatre cents hommes, appartenant à nos œuvres, ont pris part. Le lundi nous avons essayé une réunion de patrons avec le concours de Monseigneur, de MM. le marquis de la Tour du Pin, Paul de Hennezel, Harmel… Voilà pourquoi je ne vous écrivais plus.

Pour notre œuvre, il y a bien des difficultés du côté de Rome, de Monseigneur et de la situation politique. J'espère qu'on en sortira. Tout me fait présager que malgré tout l'œuvre vivra.

Il faut bien vous laisser sanctifier par le nez (elle souffrait de polypes qui nécessitaient des opérations). Il faut vouloir les choses comme le Bon Dieu les veut. Répétez toujours l'Ita Pater, Ecce ancilla, c'est bien! voici la servante! Paratum cor meum. Mais plus jamais d'affaissement, de trouble consenti.

Occupons-nous d'achever notre course, ce ne sera pas long; un jour nous célèbrerons la fête de tous les Saints ensemble, vous verrez que ce sera beau le couronnement d'une soeur de curé qui a fini par abdiquer. Comme vous remercierez Notre-Dame du Saint-Rosaire pour tous les péchés que vous n'avez pas faits! Etudiez-vous bien à être reine, d'abord dans tout ce monde du passé qui remue dans l'imagination, montagnes, rivières, sentiers et bois, puis dans tous ces châteaux d'Espagne impossi­bles à bâtir sur la côte d'Afrique ou dans l'Océanie (désirs des missions). C'est très difficile de faire cet apprentissage de la paix intérieure, de la possession parfaite de soi-même, du calme dans les paroles, de la tran­quillité dans les mouvements extérieurs, mais le moyen sans cela que saint Joseph prépare les fêtes du couronnement!».

DANS SES NOTES

25 janvier 1883. - «Ce matin, après ma messe à la Basilique, M. Vil­fort m'a appris la mort de M. Black, un bienfaiteur de nos œuvres, un ami, un cœur dévoué qui s'est offert en victime pour la France et sa fa­mille. Depuis cinquante-trois ans, il rêvait la restauration de l'Eglise et de la France par Henri V. Ce soir, il devait y avoir un banquet royaliste. Il y voyait l'aurore de l'ère nouvelle qu'il avait rêvée. Il avait fait hier soir son cours à la Société industrielle, la seule œuvre philanthropique à laquelle il continuât de se dévouer; cette nuit, il s'est réveillé oppressé, il n'avait déjà plus connaissance, sa famille accourut et en quelques minu­tes il était dans l'éternité. Octave s,'est jeté à mon cou, il y avait bien des choses dans son étreinte…».

- Son algarade de 1883, 1er décembre (qu'il n'a notée qu'en 1884). Sa soeur écrit: «Un Père de la Congrégation passant à Paris vint me visiter et me dit: Votre frère a failli être martyr, il y a quelques mois, à Saint-Quentin. Il revenait comme chaque dimanche à 10 heures du soir de son Cercle, quand au détour d'une rue, il fut attaqué par deux grands gaillards, dont un dragon, qui le jeta à terre et lui laboura le visage avec son talon. Le pauvre Père rentra sans rien dire, mais on sut cette histoire quand la police vint faire une enquête. Le Père répondit aux agents qu'il demandait grâce pour le coupable. Un an après, ce bon Père écrivait à sa soeur: Figurez-vous que l'on m'appelle au parloir et je me trouve en face d'un grand jeune homme bien mis, qui se jette à mes genoux en me di­sant: Confessez-moi, je vous en prie, je suis celui qui vous a si maltraité. Votre bonté m'a touché. Je suis d'une bonne famille, j'étais égaré par la colère parce que vous aviez converti telle jeune fille. Vous avez sauvé mon honneur et celui de ma famille».

(1884)

Au commencement de septembre, il fait les Exercices de Saint Ignace. «Je me suis proposé à la place de ma retraite annuelle, de consacrer chaque jour 1 h. 1/2 à un exercice selon la méthode de saint Ignace et de noter les lumières que Dieu me découvrira et dont le souvenir pourrait m'être utile…

- J'ai repassé toutes mes retraites; j'ai négligé la lutte, le renonce­ment. Je me suis rappelé les paroles du P. Keller et du P. Dorr: Les réso­lutions ne suffisent pas. Vous ne priez pas assez. Il y a de petits moyens qui font un grand bien. - Que serais-je devenu sans ces retraites et ces exercices?».

Sur la fin de l'homme. - «La pierre inerte et sans vie tend d'elle-même vers son centre. La plante sans intelligence dans tous ses mouvements vi­taux va au développement de ses feuilles, de ses fleurs selon la fin que Dieu lui assigne. La feuille se tourne vers la lumière, la fleur vers le so­leil; pour moi, la source de la vie, c'est le Verbe, le Cœur de Jésus. L'animal qui prend ses ébats et suit ses instincts sert et honore son Créa­teur. Mais moi, j'ai une vie plus noble, j'ai la mémoire, l'intelligence, la volonté et je suis libre. Je dois cultiver mes facultés et les diriger vers Dieu.

Les païens ont cultivé les humanités, mais ils ont failli dans leur volon­té, c'est que l'homme a besoin d'être chrétien. - Il y a par mon baptê­me en moi d'autres facultés: la foi, don de Dieu qui peut m'être retiré, si je ne l'exerce pas par des actes, - l'espérance, qui se repose sur le Cœur de Jésus, c'est sur cette confiance que je dois bâtir l'édifice de ma vie. - la charité, mon cœur est fait pour aimer, mais le véritable amour exempt des illusions, c'est le service de Dieu…».

Sur la fin des créatures. - «Toutes les créatures qui sont sur la terre vien­nent de Dieu. Il y a donc partout autour de moi une pensée divine, une image de Dieu dans laquelle il contemple quelqu'une de ses perfections. Je passe en revue le ciel et la terre, je parcours tous les degrés de l'être, c'est l'échelle de Jacob: les pensées divines descendent vers moi pour que je remonte jusqu'à mon Créateur et Seigneur…».

Du bon usage des créatures. - «Le grand moyen, c'est l'union au Cœur de Jésus, c'est l'abandon à la volonté divine. Tout peut servir à sancti­fier, si je vois en tout la volonté de Dieu».

quelques lettres

17 septembre 1884. - «Nous avons été, dimanche 14, en pèlerinage à Notre-Dame de Liesse. Nous étions quatre-vingt-dix de Saint-Quentin. Il y avait rendez-vous avec les Cercles de Ribemont, de Sains, Laon et Soissons. Monseigneur était enchanté.

Pour vous, pratiquez bien l'indifférence religieuse, pour les emplois, pour la santé, pour les supérieurs et les compagnes».

1er octobre 1884. - «Me voici chargé de catéchiser la comtesse Mar­schall de Dresde, qui veut devenir catholique. Elle a connu la Soeur Ma­rie de Jésus. Elle était dame d'honneur de la Princesse Ellinor de Henckel-Dannesmark, qui avait abjuré la foi catholique pour se marier, et dont l'Univers a raconté la mort tragique. La comptesse Marschall est la nièce d'un prince-évêque, apostat comme sa mère. Elle est alliée à de grandes familles d'Ecosse, d'Autriche, de Rome et d'Allemagne…

Il y a une autre œuvre qui se prépare, plusieurs confrères nous de­mandent à venir faire la retraite du mois chez nous, il y aura là beau­coup de bien à réaliser.

Mille bénédictions pour la fête du Saint-Rosaire dont je vous souhaite l'esprit: simplicité, humilité, sainte joie, douceur, esprit intérieur, élan pour le sacrifice et générosité».

17 novembre 1884. - «Depuis deux mois je n'ai plus une minute pour

rien. J'ai quarante élèves d'anglais et dix-sept heures de classe par se­maine; ajoutez à cela le Cercle chaque soir et le dimanche, les réunions générales, le Patronage, les confessions des Soeurs, instructions au Cou­vent. Je vais à notre école de Fayet chaque semaine. De plus j'ai repris les confessions de la Maîtrise, sans compter les enfants de l'Instruction.

Nous avons eu Mgr Richard au pèlerinage de Saint-Quentin… Il m'a fallu catéchiser chaque jour la comtesse Marschall, elle a fait son abjura­tion le 24 octobre entre les mains de Monseigneur. Je la recommande à vos prières. Elle est catholique de désir et encore bien mondaine… Elle commence aujourd'hui une retraite à la croix où elle suit les instructions de M. Dufresne, prêtre aveugle de Genève. Elle va retrouver le monde à la Cour de Vienne où ses deux frères sont chambellans, à celle de Saxe­Weimar où son père est chambellan aussi, à celle de Dresde, où son cou­sin est surintendant…

Nous avons une maison à Lille où il y a deux prêtres, trois sous­diacres et trois minorés ou tonsurés. C'est pour les études de théologie. - Notre bon Supérieur marie sa nièce demain à La Capelle».

======XV Saint-Quentin. – Paroisse Saint-Eloi (1885-1886)

En 1885, ses lettres à sa soeur sont nombreuses et longues. Quelques extraits suffiront pour indiquer la trame de sa vie, ses œuvres apostoli­ques et sa fidélité à l'esprit d'immolation.

Le 21 avril 1885. - Il est à Juvincourt pour la Première Communion de sa nièce Claire. Il écrit: «Je ne vais plus être si fatigué, il y a un profes­seur d'anglais à qui j'ai repassé huit heures de classe. Je vais mieux de­puis le dimanche de la Passion. Je crachais le sang auparavant comme tous les hivers depuis dix-neuf ans. Heureusement je ne m'en affecte plus autant. Dès que c'est passé je puis fournir la même dose de travail et de fatigue».

Le 20 mai sa bonne soeur est envoyée par ses supérieures à l'île d'Haïti. Il lui écrit tout un journal pour l'encourager.

21 mai 1885. - «J'ai bien remercié la toute bonne Providence qui réa­lise vos désirs. J'aime mieux que vous affrontiez les périls de la mer, des climats, des épidémies et des émeutes, plutôt que d'avoir à lutter contre une tentation qui m'a fait beaucoup de mal (la tentation de la retenir). «Faut-il pour un bien particulier, m'avait dit le P. Dorr, priver une âme du sacrifice auquel la grâce l'excite?». - Enfin la réponse est venue. Vo­tre enthousiasme à ses débuts, il y a six ans, m'avait fait peur. Que seriez-vous devenue avec votre imagination et vos illusions, si vous aviez été jetée à l'lle des Pins, à Mayotte, etc.? Vous avez eu le temps d'ap­prendre que la perfection ne consiste pas dans les œuvres, mais dans la grandeur de l'amour, dans l'union avec le Cœur de Jésus. Vous avez mortifié votre volonté, fait le sacrifice de votre activité, expérimenté les petites misères des indispositions, de l'inutilité de la vie, etc. C'est alors que la voix de l'obéissance vous prend et vous partez! c'est bien. Soyez béni, ô Cœur miséricordieux de mon Sauveur.

J'ai été tenté de pleurer à la chapelle, mais j'ai protesté contre moi­-même. J'étais souffrant de la gorge avec la grippe gagnée le dimanche précédent, je n'ai pas interrompu mes occupations, mais il faut me soi­gner, faire du feu, etc. Cela ne m'a pas empêché de parler comme à l'ordinaire le jour de la Pentecôte…

Il a fait une horrible tempête du 21 au 24 mai, cela ne m'a guère ré­joui: les âmes du purgatoire et les agonisants pour qui j'ai prié ont gagné à la peur que j'avais que vous ne fussiez en train d'avaler un bouillon sa­lé. Mais non, saint Dominique vous a choisie pour son île, vous devez y sauver des âmes. La Rév. Mère Marie de Jésus m'écrivait de ne pas vous témoigner trop d'affection dans mes lettres de peur de vous détour­ner de votre voie. Le R. P. Ignace Schwindenhamer vous croyait une vocation marquée pour les sacrifices des missions étrangères auprès des noirs, des abandonnés, des criminels à sauver… Soyez bien ferme. Il faut que les nègres vous appellent: la femme qui prie toujours…».

28 mai 1885. - «Je ressens de plus en plus une grande consolation des sacrifices que la Providence vous a donné d'accomplir; dans les choses pénibles qui pourraient vous survenir, ne voyez jamais que l'avantage du sacrifice; ce qui mortifie, sanctifie…

A Paris on désaffecte l'église Sainte-Geneviève et on y conduit le corps de Victor Hugo dans une apothéose exagérée. Pauvre France!».

1er juin 1885. - «Dans une réunion de Communards, ces jours passés, on a voté le massacre des prêtres. Où allons-nous? Vous n'avez pas l'idée comme tout notre monde d'ouvriers et d'employés est exalté, Vic­tor Hugo est devenu un dieu…».

2 juin. - «Je devais aller hier à Paris pour l'Assemblée de l'Œuvre des Cercles, mais ce n'était pas sûr pour ma soutane. Ce matin, les jour­naux nous apportent le récit des saturnales funèbres de Victor Hugo. Toutes les sociétés de libres-penseurs s'y étaient donné rendez-vous. On dit qu'il faudra du sang pour laver cet outrage national fait à sainte Ge­neviève.

Etiez-vous plus en sûreté à Paris qu'à Saint Dominigue? Hélas! M. Emmanuel Edouard, le représentant d'Haïti, figurait dans le triste cor­tège. Vous êtes là-bas en face des sociétés secrètes aussi».

3 juin. - Villemonble. - «Ce matin, j'ai dit la messe à Notre-Dame­des-Victoires, j'ai bien prié pour votre mission. - L'Assemblée des Cercles marche toujours vaillamment, mais partout, c'est le ralentisse­ment, la défaite. Pauvre France! -je ne me sens que de la joie de votre sacrifice».

5 juin 1885. - «J'ai fait visite à votre Communauté à Paris. Je suis heureux de la joie que vous avez manifestée en partant… En face du Panthéon, j'ai vu des mères en extase avec leurs enfants devant le buste de Victor Hugo. Pitié, mon Dieu!

J'ai assisté à la réunion des dames patronnesses, elles étaient cent-cinq, l'élite du faubourg Saint-Germain. M. le marquis de la Tour du Pin présidait avec M. de la Bouillerie; M. le comte Albert de Mun paraît bien fatigué. En tout cela, il n'y a rien qui indique l'espoir du salut».

8 juin. - «L'assemblée générale de l'Œuvre des Cercles s'est clôturée hier à Montmartre d'une façon tout à fait sérieuse; en somme il se fait encore du bien, et des efforts louables sont tentés de toutes parts».

10 Juin. - «J'ai été fort occupé ces jours-ci avec la préparation et les confessions de mes soixante-quatre premiers communiants. Depuis sept ans que j'exerce ce métier, j'ai fait quelques progrès; je me sens beau­coup plus calme, je m'agite moins et cela me donne plus d'influence».

«Le R. P. Modeste est ici depuis deux jours pour la retraite de nos Soeurs - il doit traiter en ce moment de nos règles avec Monseigneur qui va passer une semaine à Saint-Quentin. Le 10 juin est l'anniversaire de mon ordination aux Ordres mineurs, il y a vingt-et un ans déjà! Cette année 1864 est l'une des meilleures de ma vie par l'exemption de péchés délibérés. Je me rappelle les heureux moments passés dans la chapelle du Séminaire, mon rosaire, les oraisons jaculatoires, les examens sérieux, l'emploi du temps, etc. Comme je priais bien alors! Cependant c'était la lutte, j'avais des noirs, mais la grâce les surmontait. Si j'ai baissé depuis lors, c'est que je n'ai plus prié autant, c'est que je n'ai pas pris le soin de me soutenir par les industries des Saints, qui entretenaient et renouve­laient en eux l'esprit de prière. Quand je ressens de ces bons mouve­ments, je m'imagine que vous priez en ce moment même pour moi».

12 juin. - «Fête du Sacré-Cœur. Monseigneur est allé dire la messe au couvent de nos Soeurs. Hier a eu lieu la confirmation de huit cents enfants. La cérémonie a duré trois heures et demie. Comment voulez­-vous qu'on maintienne nos gamins pendant tout ce temps, j'y suis par­venu pendant deux heures, mais après…».

13 juin. - «Hier soir, sermon sur le Sacré-Cœur par le P. Dehon à la Basilique…

Il m'est utile de vous écrire parce que je me doute que vous avez à souffrir et que je crois profondément à la solidarité de nos deux âmes.

Après la Première Communion et la Confirmation de l'Institution Saint Jean, ce matin, nous avons eu là messe du cinquantième anniver­saire de l'installation de M. l'abbé Genty, vicaire de la Basilique depuis 1831. Il a dit vaillamment la messe à 11 heures, malgré ses 87 ans. Mon­seigneur assistait au trône: M. Guyart, vicaire général et M. Mathieu répondaient à la messe. Il y avait un nombreux clergé; l'état-major de la garnison, le colonel en tête, tous les hommes d'œuvres, les anciens ma­gistrats sont venus féliciter papa Genty à la sacristie; il faut dire, qu'avant d'entrer dans les Ordres, il avait été lieutenant de dragons. On l'a décoré depuis. Une foule de personnes avaient les larmes aux yeux. C'est l'une des plus belles carrières ecclésiastiques qu'ait vue notre dio­cèse. Il était généreux, dévoué, c'était l'optimisme en personne…

M. Demiselle vient de partir pour La Capelle où il va voir la nouvelle église, il profite du nouveau chemin-de-fer. Sa santé est délabrée».

19 juin. - «Profession et vêture au couvent. Un saint prêtre qui vient de nous venir de Nîmes (P. André) pour se joindre à nous a parlé à la ce­remonie. Examens et ordinations chez les nôtres à Lille où on nous con­sidère comme un corps sérieux qui a de l'avenir…

Je ne vous ai point parlé de ce qui s'est passé à notre Cercle Saint­-Joseph dimanche, cinq nouveaux conseillers en faisant la sainte Com­munion se sont voués au Sacré-Cœur et au service du Cercle. Les an­ciens ont renouvelé leur consécration au Sacré-Cœur, c'était vraiment touchant…

Formez-vous des auxiliaires, suscitez le dévouement. Appuyez-vous sur les vrais enfants du pays, soyez Haïtienne; n'ayez plus de française que la franchise, le dévouement, le zèle, la délicatesse de la vertu; mais pour la manière de vivre, trouvez tout bien, estimez et vantez Haïti. Ne parlez guère de la France. Saint Pierre Claver faisait ainsi. Trouvez tout beau dans le pays, surtout les enfants. Vos négresses ont la tête dure, mais elles ont si bon cœur!. .. Si vous saviez comme mes petits balayeurs des rues sont persuadés que je les crois capables de devenir des saints, comme ils sont reconnaissants de cette bonne opinion, c'est le secret de notre bon Père Supérieur».

21 juin. - «Soeur Marie X, est toujours en Alsace, en apprenant vo­tre départ, elle a dit que c'était une grande grâce pour vous et pour moi. Je le crois aussi, il n'y a que les sacrifices qui comptent dans la vie».

23 juin. - «Vous allez vous moquer de moi. Hier, j'écrivais à mon frère et je lui parlais de vous, tout à coup mes larmes ont coulé pendant une heure, impossible de fermer l'écluse. C'est la première fois. Est-ce assez sot, puisque notre mutuel sacrifice, qui est aussi grand que peut l'être la séparation pour deux cœurs qui n'ont qu'un même esprit, me fait surabonder de joie».

25 juin. - «Je reçois une lettre du P. Pouplart, le postulateur du P. de la Colombière: «Agissez avec tout le zèle d'un vrai disciple du Sacré­-Cœur, me dit-il, et ne vous contentez pas de simples désirs. Nous avons plus que jamais besoin de cœurs apostoliques. L'affaissement des carac­tères et l'abominable sensualisme qui envahissent tout et dégradent tout, réclament des âmes énergiquement trempées qui ne se cherchent pas, mais Jésus-Christ seul. Soyez de ces grandes âmes».

10 juillet 1885. - «Décidément, on sait en ville que je vais être vicaire de Saint-Eloi. Je viens d'aller voir mon pauvre curé, ce ne sera pas gai. Le pauvre homme est atteint de ramollissement du cerveau… Voilà donc où aboutit la vie de ce monde!

On me contait à Saint-Simon qu'il y a dans toutes nos campagnes des sociétés de libres-penseurs. Il y a deux ans, à Flavy, on était réuni une vingtaine pour un repas de viande le Vendredi-Saint. Le morceau prin­cipal devait être une hure qui trônait enveloppée dans une serviette; à la fin du repas on retire la tête, et que voit-on? la tête de la mère de l'hôte­lier, morte quelques mois auparavant; c'était tellement. reconnaissa­ble et affreux que nos viveurs devinrent pâles comme la nappe et s'enfui­rent… ».

12 juillet, dimanche. - «Je pleure à chaudes larmes, les bataillons sco­laires défilent au son du clairon et du tambour, à l'heure de la messe des écoles. Pauvres enfants! Ceux que j'ai rencontrés ce matin rougissaient en me voyant. - L'Institution Saint-Charles de Chauny est incendiée depuis hier…».

2 août 1885. - «Monseigneur me nomme décidément auxiliaire de Saint-Eloi. Dix mille âmes que je dois essayer de sauver».

3 août. - «Enfin! Je viens de lire l'approbation donnée à nos Règles, aux Règles des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus par Monseigneur de Soissons. Il les promulgue et en enjoint la pratique à cette Société qu'il a précédemment instituée avec l'assentiment du Saint-Siège».

28 septembre. - «Quand je pense à vous plus actuellement, je suis plus uni à Dieu. - Nous avons eu la retraite du 14 au 22. Le P. Modeste nous a donné des Exercices. On a gardé strictement le silence. Il y a un véritable renouvellement parmi nous. Monseigneur a reçu la rénovation de nos voeux. Il nous a fait un discours sur ces mots: Quid ergo erit nobis? Qu'adviendra-t-il de nous? - La même chose que pour saint Pierre et les apôtres, le centuple en ce monde et en l'autre. Si l'œuvre est de Dieu, com­me nous en avons la confiance, vous aurez les grâces spéciales aux com­mencements des œuvres divines comme ont eu les apôtres. Et quand mê­me l'œuvre ne serait pas de Dieu, directement les œuvres diocésaines en profiteraient, le ministère exercé sera plus tard fécond à cause des sacrifices, et Dieu ferait sienne l'œuvre qui aura contribué à sa gloire».

Nous sommes en ce moment dix-neuf prêtres…

Le P. Modeste nous a dit: «Il ne faut pas confondre la persévérance avec l'impeccabilité. Des fautes vénielles nous arriveront toujours, des fautes mortelles de loin en loin ne doivent pas nous faire regretter la voie où nous sommes entrés; on se relève et on retrouve sa bourse, avec tous les mérites acquis, l'humilité et la reconnaissance en plus. Les fautes peuvent ne pas retarder dans la poursuite de la perfection si on se relève promptement…».

La rentrée de l'Institution Saint Jean est de deux cent quatre-vingt-­cinq élèves, dont cent quarante-trois pensionnaires…

9 octobre 1885. - «Mon pauvre curé veut dire la messe et balbutie. Sainte Vierge Marie, accordez-moi la grâce d'être assisté aux jours de ma défaillance corporelle par des frères qui aient souci de mon âme plus que de mon corps. Accordez à ma soeur et à moi la grâce de terminer no­tre carrière sous l'obéissance. Que je sois entouré de prêtres, animés de l'esprit du Sacré-Cœur qui m'aident à faire mon sacrifice!».

27 octobre 1885. - «Grandes fêtes du pèlerinage. Mgr l'archevêque de Reims est là avec les évêques de Liège, d'Arras, de Beauvais, de Ver­dun, de Soissons… C'est une féerie par l'éclat des lumières, des orne­ments, des choeurs et de la musique».

- Le P. Pouplart prêche la retraite à Saint-Jean. Nos étudiants de Lille vont être à quinze.

(Le pauvre Père a bien des déboires à Saint-Eloi avec son curé mala­de, ses paroissiens divisés et difficiles, des malades qui meurent sans sa­crements, des enfants intraitables…). Néanmoins il écrit à sa soeur: «Vous me plaignez de mes souffrances, réellement j'éprouve une grande paix intérieure…».

(Des personnes qui devraient l'aider lui font des misères, c'est mon­sieur X., qui est l'âme de cette opposition, parce que son fils à été ren­voyé de l'Institution Saint-Jean. - Il y a des grèves violentes au fau­bourg. On est venu dire au Père que des grévistes voulaient tuer M. De­hon et ses prêtres… Cependant beaucoup de grévistes disent: Nous n'en voulons pas aux curés).

Mardi 15 décembre. - «Notre bon Père est triste. Il a bien des embar­ras; cependant nos prêtres vont bien; deux de nos étudiants ont été cités avec éloge à un congrès de Lille».

18 décembre. - «Nous avons à l'ordination demain: deux diacres, deux minorés, un prêtre et un tonsuré.

M. l'abbé Vernier est nommé curé de Saint-Eloi, je remercie Notre­Seigneur de cette délivrance…».

20 décembre 1885. - «Notre excellent P. Benoît Lequeux a dit sa pre­mière messe ce matin à l'Institution Saint-Jean, assisté par le très bon Père, en présence des élèves. J'ai parlé de la grandeur du sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec ses quatre termes: la croix, l'autel, les âmes et le ciel».

25 décembre. - «J'ai repassé toutes mes dix-sept messes de minuit de­puis que je suis prêtre. Eh bien! cette année la moisson a été sortable, j'ai eu hier quatre-vingt-quinze confessions à Saint-Eloi. - Au Patrona­ge, il y a eu environ deux cent communions et des cérémonies touchan­tes…».

Le 26 décembre, profession de notre bon Père Barnabé.

6 janvier 1886. - «C'est l'installation de M. Vernier à Saint-Eloi. J'habiterai maintenant Saint-Jean.

Nous avons ici quelques exercices seulement en commun: prières, mé­ditation, examen, récréation (c'est le plus difficile)…».

Le voilà dégagé de son ministère à Saint-Eloi, il va se livrer avec tout son zèle aux missions diocésaines et il y fera un très grand bien. Rame­ner à Dieu les pécheurs retardataires, préparer les âmes au devoir pas­cal, aux indulgences du jubilé, instruire les enfants de la Première Com­munion, c'est l'apostolat intense, à l'exemple des disciples que Notre­Seigneur envoya partout en Palestine.

Le P. Rasset avait en outre une grâce spéciale, celle d'encourager, de consoler, de remonter les prêtres qu'il visitait. Il était si vraiment prêtre et il estimait si haut le sacerdoce!

======XVI Saint-Quentin. – Missions diocésaines 1886

a sa soeur:

14 janvier 1886. - «J'ai reçu hier votre bonne lettre, votre souvenir m'est présent sans me troubler.

La comtesse Marietta de Marschall persévère toujours à Dresde dans ses bons sentiments. Hélas! le diable fait son œuvre partout; sur treize prêtres qui sont à Dresde, l'un d'eux vient de donner le scandale de l'apostasie. Vous avez bien raison de dire qu'il faut être sur ses gardes.

La pauvre Chère Mère est souvent malade d'une hypertrophie du cœur. - Il y a des lacunes dans tout ce que nous faisons, cependant on marche. Notre P. Barnabé a prêché un bon sermon à la Basilique pour l'Epiphanie.

Pour moi, je n'ai encore d'autres fonctions que quelques leçons d'an­glais. Samedi j'ai été pris d'un serrement de cœur indéfinissable en pen­sant que je n'aurais rien à faire le dimanche pour les âmes, mais ô sur­prise! ce jour-là, le nouveau curé de Saint-Eloi, M. Vernier, étant indis­posé, j'ai dû reprendre le service: messe à 7 heures, instruction; messe à 8 h. 1/2, instruction; prône à la grand'messe; malades, visites; messe de midi à la Basilique; dîner des Rois à l'Institution; enterrement, vêpres, salut, catéchisme d'une heure aux garçons. Attrape! J'en ai eu assez et cela me servira une autre fois pour chasser le vieux serpent.

Je remercie bien le Cœur du Bon Maître. Puissent tous les mois qui me restent à vivre, ressembler à ces derniers six mois que je compare à ma mission anglaise; il est bon d'être contrarié».

«Le 19 janvier, j'ai été à Reims voir le P. Modeste, qui était en retraite, il m'a de nouveau encouragé; il veut que dans nos maisons nous organi­sions le service de l'adoration réparatrice, en ayant soin d'avoir quel­ques personnes en plus, comme cela se fait chez les Soeurs de l'Assomp­tion qui ont des écoles et des pensionnats. - N'oublions pas l'un et l'au­tre, en récitant l'Angelus trois fois par jour, de renouveler nos voeux, quels que soient les troubles intérieurs de l'âme; demandons de mourir en religion, per passionem ejus et crucem ad gloriam… L'existence d'une per­sonne qui a vécu en communauté est brisée quand elle quitte».

«Le 20, j'ai été prier aux reliques de sainte Eutropie à Beaurieux, près desquelles j'avais prié avec ferveur à l'âge de six ans, le lundi de la Pen­tecôte 1850; or, douze ans après, le même jour, ma vocation m'était ré­vélée; je n'étais pas entré à l'église de Beaurieux depuis trente-six ans et je l'ai reconnue.

- Il faut vous dire que je suis parti le jeudi 28 janvier pour Chauny, prêcher une retraite aux Mères chrétiennes et aux Enfants de Marie. J'ai eu quatre jours pour me préparer et j'ai parlé seize fois. La pensée que vous priez pour moi me soutenait. Je n'étais guère préparé et je sen­tais mon insuffisance. On m'appelait le R. P. Rasset, on sonnait toutes les cloches pour le sermon. Cela me tuait, n'ayant que des notes infor­mes pour matière. Il y a eu une belle clôture et réception des Enfants de Marie; conseil des Mères chrétiennes, réunion du Tiers-Ordre, exposi­tion du Très Saint Sacrement le 2 février. C'est M. Lémerey, mon an­cien professeur de rhétorique, qui est doyen. Je suis rentré le soir même du mardi. C'est le commencement de ma carrière de missionnaire diocé­sain. Mon début n'est pas merveilleux, mais je pense que quelques âmes en ont recueilli de bonnes impressions…».

- Grève violente à Saint-Quentin. On s'attend à des malheurs.

6 février. - «Ce soir on a jugé les grévistes arrêtés; six de nos meilleurs enfants du Patronage ont été pris; vous pensez bien que toutes mes ma­lédictions sont pour les patrons impies qui occupent des ouvriers sans songer à leur responsabilité morale…

Tout mon temps est employé à écrire; j'ai perdu l'habitude et n'avan­ce guère. Il faut cependant que je me prépare à mon nouveau ministère».

8 février. - «Voilà le bilan de ma journée: Après la méditation, les Pe­tites heures et la messe, action de grâces, lu un peu de Bossuet au demi-­jour, déjeuner; écrit jusqu'à 10 heures; assistance à un enterrement pour gagner quelque chose; repassé quelques versets de saint Mathieu; écrit une page, examen particulier: 1/4 d'heure. Dîner où on lit la vie du gé­néral de la Moricière. Promenade à Saint-Clément de Fayet en compa­gnie du professeur de littérature; causerie; cela me manquait autrefois. Rejoint le bon Père Supérieur en chemin; leçons d'anglais pendant trois heures et quart; pris du thé pour me réveiller entre les leçons; dit Vêpres et Complies; deux chapelets au retour, et me voilà devant mon pupitre avec mes petits reliquaires autour de moi, une boule d'eau chaude sous les pieds à 6 h. du soir. - Souffrez en patience pour le salut de la France et la conversion de nos sauvages…».

19 février 1886. - «Paris. - Samedi, je voyais le Procureur de la Ré­publique, pour soustraire une pauvre orpheline à un homme impie. Lundi je pénétrai dans la prison pour voir les condamnés de la grève. L'effervescence continue à Saint-Quentin, sans danger apparent immé­diat. L'œuvre des Cercles marche lentement. Quelques patrons ont fait quelque chose dans leurs usines et ont eu de beaux résultats.

Mgr de Rodez a présidé une réunion, il a recommandé avant tout l'esprit surnaturel, la sainteté, pour la réussite dans les œuvres sans chercher l'éclat, le renom.

Mgr Cazé, jésuite, vicaire apostolique de Madagascar, a présidé une autre réunion où il a parlé de l'esprit de sacrifice, du désintéressement personnel; il a cité l'exemple de pauvres catholiques de Madagascar qui, sans prêtres et sans pouvoir nous écrire, ont conservé les trois cents éta­blissements catholiques par leur Union catholique et leur dévouement que les Congrégations de la Très Sainte Vierge ont suscité.

J'ai célébré trois fois la sainte messe à Notre-Dame-des-Victoires; j'ai passé la nuit à Montmartre où j'ai célébré ce matin. Inutile de vous dire que je ne vous ai pas oubliée».

25 février 1886. - «Je garde la chambre pour soigner un commence­ment de fièvre scarlatine, plusieurs élèves en sont atteints à Saint Jean. J'ai dû chercher asile à la maison du Sacré-Cœur où je vais demeurer. - Un de nos jeunes gens du Cercle, âgé de 19 ans, est mort aujourd'hui subitement; quand il y a un accident semblable, je me reproche toujours quelque chose, des négligences, de la tiédeur, etc».

27 février. - «En l'absence du P. Charcosset, qui est allé voir sa mère mourante, j'ai repris les confessions des enfants du Couvent et des Frè­res, comme dimanche j'avais repris le service du Patronage. - Un de nos Pères, M. Lamour, est parti en mission pour deux mois».

28 février. - «J'ai été dire la messe à Rouvroy et à Harly, le curé étant malade, j'ai prêché, quoique malade moi-même, dans deux pauvres églises, humides et froides à l'excès.

- Plusieurs suicides en ville par suite de la misère. Trente ouvriers renvoyés d'une usine à la fois. Toujours des grèves un peu partout avec des menaces.

- Le P. Charcosset va prêcher pendant trois semaines à Bohain.

- Le P. Modeste est venu passer vingt-quatre heures ici pour les confes­sions des Quatre-Temps; je profite des ses entrevues pour me remonter».

12 mars. - «Je viens de terminer un cahier de sermons commencé en 1873 à la suite de ma retraite à Saint-Vincent».

15 mars. - «Cette nuit on a volé les ciboires dans les tabernacles des églises de Saint-Eloi et du Petit-Neuville, on a démoli le tabernacle.

Mon inaction me fait souffrir. J'ai écrit ce matin pendant cinq heures, voilà un sermon de plus…».

24 mars 1886. - Il rappelle tous les souvenirs de sa Première Commu­nion, puis il ajoute: «Je lis dans les Mémoires de Barruel pour servir à l'histoire du Jacobinisme, t. II. p. 30: «Les riches noirs de Saint-Domingue avaient envoyé à la Loge «Les amis des noirs» un million pour aider au succès de l'insurrection et au massacre des colons français. Sur cette somme, Bris­sot reçut 300.000 livres, Condorcet, 150.000, Grégoire, 80.000, Pétion, 60.000. Ils étaient, avec Robespierre, les principaux chefs de cette Loge (1791). Gardez ce renseignement qui vous expliquera beaucoup de cho­ses. Dévouez-vous aux âmes, à Notre-Seigneur qui veut vivre en elles, mais n'attendez point la paix en ce monde. Le diable règne dans le coin de terre où vous êtes, malgré la bonne volonté des gouvernants actuels, il vous tient pour une ennemie.

Belle cérémonie de réparation à Saint-Eloi. De profundis, Miserere et Sermon du P. Norbert. Procession: tous les prêtres portaient des cierges, le peuple est impressionné».

29 mars. - «On prépare du grabuge à Saint-Quentin pour le mois de mai. - Il y a des troubles en Belgique, on a brûlé des châteaux, des cou­vents, détruit des usines et fait pour plusieurs millions de dégâts en une journée. La troupe a dû tirer sur des ouvriers, une quinzaine déjà ont été tués. On crie tout cela dans nos rues: 300 blessés, 30.000 émeutiers près de Mons et Charleroi.

Monseigneur écrit une lettre pleine d'affection au sujet de la Maîtrise de la Basilique qui va nous être confiée.

Notre Frère Stanislas Falleur va habiter à Saint-Eloi. Nous avons reçu une bonne lettre de Monseigneur pour nos missions».

17 avril 1886. - «Je suis à Montceau-les-Leups depuis huit jours pour le jubilé et les Pâques. Il n'y a ordinairement personne à la messe: j'ai 50 à 120 auditeurs. Je fais le catéchisme deux fois par jour et je confesse les enfants que je peux joindre et dont beaucoup ne savent pas faire le signe de la croix. Le curé est malade, ainsi que sa soeur: pauvres curés et pau­vres paroisses! Monseigneur me promet de la besogne pour toute l'an­née».

30 avril 1886. - «Nos Pères ont eu de beaux succès à Bohain, à Saint­-Gohain, à Mauregny. C'est moi qui ai le moins réussi??

Notre bon Père Supérieur a été sérieusement indisposé en mon absen­ce».

10 mai 1886. - «Coincy-l'Abbaye. - J'ai quitté Saint-Quentin mercre­di, passant par Chauny, Compiègne, où j'ai visité de nouveau l'église Saint-Corneille où tous les rois de France ont assisté à la messe en allant à leur sacre. Louis XVI y fit apporter la châsse de saint Marcoul. Jeanne d'Arc y communia… Je suis chez M. Wihart, un ancien condisciple. La retraite n'a pas mal été. Monseigneur est venu confirmer hier, dimanche 9 mai. Coincy est la patrie de Mgr Tagliabue, vicaire apostolique à Pé­kin. Il y a encore un reste de foi chrétienne».

18 mai. - «Je pars demain pour Ardon et Leuilly, je serai près de Laon pour quinze jours. Je dois aller aussi à Abbécourt.

Pour notre Congrégation, il y a de bons éléments, mais il faut que le Sacré-Cœur fasse sentir son action, ce que j'espère de sa miséricorde.

Je suis revenu navré de diverses courses en voyant la difficulté de mes confrères à faire quelque bien. Notre Société a toutes les chances de réus­site pour elle si nous étions des hommes selon le Cœur de Notre­-Seigneur. Heureusement je ne me souviens pas depuis que j'ai pris la soutane d'avoir sciemment scandalisé personne».

20 Mai 1886. - «Ardon sous Laon. - J'ai prêché aujourd'hui cinq fois à quelques enfants de Leuilly pour les disposer à la Première Commu­nion. La vue de l'endroit où M. l'abbé Leredde a été assassiné m'a bien ému. Le neveu de l'assassin est mourant par suite de l'émotion qu'il a éprouvée du crime de son oncle. Il est dans des dispositions admirables. C'est ainsi que Dieu se dédommage dans une famille.

Je revois Saint-Vincent où j'ai fait quatre fois les Exercices, où j'avais tant de bons souvenirs, où votre vocation a été décidée, où le P. Dorr m'a arrêté comme j'allais vous rechercher pendant votre postulat. Oui, saint Joseph voulait que vous alliez souffrir là-bas. J'apprends des scan­dales nouveaux, hélas! Ce matin je crachais le sang et je m'en suis ré­joui! mais il y a vingt-cinq ans que cela m'arrive. C'est seulement pour me tenir sous la main de Dieu. Je ne suis pas incommodé. Je me sens préparé à mourir et détaché de tout. Croyez cependant qu'il me reste beaucoup à travailler sur la terre. Chère bonne petite soeur, c'est la joie parfaite de souffrir avec patience pour l'amour de Notre-Seigneur.

Malheureusement tous les environs de Laon deviennent irréligieux; la soif du luxe est devenue la religion des honnêtes gens».

1er juin 1886. - «Dimanche dernier, bonne journée au Patronage. Cent vingt communions, consécrations au Sacré-Cœur, la messe était dite par M. l'archiprêtre. Mes jeunes gens s'étaient surpassés pour la dé­coration de la chapelle. Le soir, banquet de deux cents couverts. Tout semble aller à souhait».

6 juin. - «Je suis depuis mercredi, veille de l'Ascension, à Abbécourt. Vous avez prié là autrefois, ce souvenir m'aidera. Votre souvenir cons­tant est un sacrifice qui doit être agréable à Dieu.

A Abbécourt, j'ai tous les jours au salut trente hommes et cent-vingt femmes. J'ai eu trente-cinq confessions sur six cents habitants. C'est trop peu. - Le P. Dessons prêche à Genlis pour la Première Commu­nion, le P. Charcosset à Saint-Martin de Chauny, le P. Pitholat à Notre­Dame. Le P. Charcosset a eu un magnifique succès à Etaves où la mis­sion s'est terminée par une belle procession du Sacré-Cœur, malgré la mauvaise volonté du maire.

A Bohain, où le même Père prêchait le jubilé, un patron montrait une côtelette au bout de sa fourchette le Vendredi-Saint en disant: «Voilà mon jubilé». Il mourut subitement le lundi de Pâques.

Les journaux nous annoncent la mort du roi Louis II de Bavière qui passait pour fou. C'est une punition de cette famille qui a favorisé les vieux catholiques au Concile. - M. le curé de Manicamp me montrait l'emplacement de l'ancien château dont le propriétaire avait fait démolir l'église parée que les cloches l'importunaient. Il est mort à l'hôpital et la nouvelle église a été bâtie avec les pierres de son château.

Pour venir à nos œuvres, nos Pères ont prêché une neuvaine au Sacré-Cœur à la Basilique. Le P. Duplan a prêché la retraite de Premiè­re Communion à Saint Jean et le P. Dessons à Saint-Clément.

Samedi, nous aurons à Lille trois nouveaux prêtres, avec un minoré et un tonsuré.

- Je n'ai nul regret de n'être plus curé quand je vois tant de tristes histoires».

26 juin 1886. - «La mission d'Abbécourt s'est clôturée par la Premiè­re Communion; quatre-vingts personnes se sont confessées, il y a eu cent-vingt communions; il paraît qu'on n'avait jamais vu tant de monde à la messe le dimanche.

Nos Pères qui ont prêché la Première Communion à Chauny dans les deux églises ont eu du succès.

Il y a encore à Abbécourt une foi très vivace et une simplicité agréable à Notre-Seigneur. On parle encore d'un saint curé, M. Dehem, mort en 1792, après trente-deux ans de ministère. Les gens d'Abbécourt croient que son corps s'est conservé incorruptible sous le pavé de l'église, où il est enterré. Son influence dure encore. Pendant que les églises étaient fermées sous la Terreur, on voulut un jour tenir une assemblée électora­le dans l'église d'Abbécourt; la population accourut en foule pour prier et il n'y eut pas de réunion électorale.

Malgré les assurances du Gouvernement, nous marchons vers des temps plus difficiles encore. Ces masses d'ouvriers arrachés aux campa­gnes se corrompent dans les usines. J'en causais avec M. le marquis de la Tour du Pin que je rencontrai à Tergnier. Le prêtre, les missions, les écoles, les œuvres ne suffisent pas, me disait-il, à donner, à conserver la foi chez un peuple; il faut en plus la tradition des familles et la stabilité du foyer, or, aujourd'hui, tout s'émiette, nous sommes comme des no­mades…».

25 juin 1886. - «Samedi, je suis venu à Bernoville où j'ai prêché ma­tin et soir et donné la retraite de Première Communion. A cause des foins j'ai eu un pauvre auditoire».

17 juillet. - «J'ai prêché cent soixante-neuf fois en cent jours, je n'étais pas assez préparé.

Je vais à Parpeville pour remplacer M. l'abbé Adam qui est grave­ment malade. Ce sont ses tracas de fondateur qui l'ont usé…».

Ces deux années 1886 et 1887 furent ses deux grandes années de mis­sions.

======XVII Missions Diocésaines (1886-1887)

a sa soeur

17 juillet 1886. - «Parpeville. - Je viens de donner l'Extrême-Onction à M. Adam, curé de Parpeville depuis trente ans, il n'a que cinquante­-sept ans… J'avais le cœur serré en visitant ses Soeurs du Tiers-Ordre Franciscain: il y a quarante orphelines; c'est une belle œuvre fondée sur la pauvreté, l'humilité, le travail, le détachement et la prière. Jesu, pater pauperum, miserere nobis. J'ai été voir M. l'abbé Doye, curé de Landifay. Je me sentis pâlir en voyant ce saint prêtre réduit à l'état de cadavre ambu­lant. On le conduit dans une petite voiture aux enterrements et chez les malades où il porte ainsi les sacrements. Savant botaniste, il me parla avec enthousiasme de la végétation tropicale qui doit vous charmer à Haïti: les merveilleuses forêts de bois précieux, les fleurs gigantesques, l'expansion incomparable qu'a la végétation tropicale, substituant en peu d'années des bois inextricables aux plantations abandonnées…

Dans les chemins, j'apprends d'un mendiant la mort de M. André, curé de Thenelles depuis trente-et-un ans, tombé subitement d'une con­gestion cérébrale à la gare d'Origny. Lorsqu'il se sentit frappé, il fit le si­gne de la croix et, tout haut, récita le Confiteor. Il s'endormit en disant: «C'est ma faute». Il était venu le jeudi à Parpeville pour dire à M. Adam de ne pas se laisser tromper et de demander l'extrême-onction. «Il y a, disait-il, quarante-huit curés sur cinquante qui meurent sans les sacre­ments».

- Je lis dans la vie de votre sainte fondatrice que le 4 septembre, an­niversaire de votre profession, est le jour de la fête de sainte Rosalie, vo­tre patronne et celle de notre grand'mère Rosalie Debacq. Pourrions­nous être trop reconnaissants envers la Sainte Vierge, Notre-Dame du Saint Rosaire, saint Joseph, saint Adrien, sainte Claire, saint Domini­que, sainte Rosalie qui vous ont donné des gages de votre vocation toute surnaturelle?… Aimez votre chère Congrégation, oubliez les joies de la patrie pour nous mériter des grâces. Dans vos peines, union à Jésus souffrant, à son Cœur agonisant.

- Le maire radical de Saint-Quentin, Paul Bérenger, est mort con­verti. - Nous avons eu la visite de M. le Dr Didiot, de Lille. Il dit que le clergé se laisse gagner à l'influence actuelle, la prière diminue, les études sont négligées, le respect s'en va; selon lui, notre œuvre devrait être la contre-révolution cléricale, par la prière, par l'humilité, l'étude sérieuse, le dévouement obscur et l'obéissance.

Notre très bon Père est rentré d'une excursion en Belgique et Hollan­de, il y aura des fondations à faire, nous avons seize novices.

Deux de nos Pères sont partis pour Lourdes où se trouve déjà M. l'ar­chiprêtre. Notre très bon Père ira la semaine prochaine, il y fera sa re­traite chez les Pères de Bétharam».

18 août 1886. - «Notre-Dame de Liesse. - Nous venons d'avoir une réunion des Comités et des membres de l'Œuvre des Cercles, présidée par Monseigneur de Soissons et Mgr Theuret. Cette petite réunion inti­me laisse espérer des résultats.

C'est ici que j'ai rencontré M. Dehon pour la première fois. - J'ai causé avec Monseigneur qui nous porte toujours le plus grand intérêt…».

22 août 1886. - Parpeville. - En vous écrivant de Notre-Dame de Liesse je ne vous ai pas parlé de notre Mère du ciel. Sa puissance s'y ma­nifeste encore. Depuis le miracle de Sons de l'an dernier, deux autres s'y sont produits, non moins frappants. Il y a maintenant deux beaux reli­quaires dans le choeur, l'un contient le soulier de la Sainte Vierge, l'au­tre un fragment de vêtement de saint Joseph. Les bas-côtés s'achèvent. De beaux vitraux représentent les visites des membres de la famille roya­le. M. le marquis de la Tour du Pin et madame la marquise de Saint-­Chamond nous ont conduits dans leur calèche jusqu'à Coucy-les-Eppes. La Marquise est arrière-petite-fille de Charles X. Sur la place de Liesse, le cheval se cabra, la calèche était secouée, mais le Marquis et la Mar­quise restaient imperturbables».

23 août 1886. - «Ne vous découragez jamais. La persévérance con­siste à se relever, à reprendre toujours ses bonnes résolutions. Vous n'aurez la paix qu'en vous considérant comme victime pour votre famil­le, pour la France, pour votre Congrégation, pour l'Eglise en union avec le sacrifice de la croix et de l'autel».

25 août. - «Je suis allé prier devant la statue de Notre-Dame la Bon­ne, devant laquelle saint Louis et Blanche de Castille ont prié».

12 septembre 1886. -«Je me souviendrai de mes quarante-trois ans. J'ai dû quitter la retraite pour aller à Parpeville. Au retour, le train a dé­raillé auprès de la rivière de l'Oise. Il y a eu quelques instants affreux. - Les rails sautent, les cailloux volent en l'air, les planches se brisent, les vitres éclatent, la poussière nous aveugle, les femmes crient, les en­fants roulent sous les banquettes. Je dormais, quel réveil! Je donne l'ab­solution à tout hasard. On n'ose sortir des wagons, mais bientôt on étouffe dans la poussière. Nous sommes au-dessus de l'Oise, les têtes du pont sont arrachées, les planches des trottoirs ne tiennent plus; quelques pouces à gauche et la balustrade eût été emportée, la descente eût été complète. Les wagons regorgeaient de chasseurs, de pêcheurs, de soldats réservistes, de jeunes gens qui revenaient des fêtes de la région avec des familles au complet. Tout ce monde en a été quitte pour la peur, le con­ducteur seul a été contusionné, sa présence d'esprit à serrer le frein nous a sauvés. - Certaines gens m'ont édifié: Nous l'avons échappé, disait­on, par la Providence. On en est quitte pour deux heures de retard».

29 août 1886. - «Charly. - Me voici donc au milieu de vos Mères et Maîtresses, elles sont venues me voir un instant avant l'ouverture de la retraite qui se fait dans un silence complet. Je leur ai dit que j'étais un fils et un frère de leur Congrégation par la foi, la vocation et l'instinct de la vie religieuse» (Sa mère et sa soeur ont été élevées là).

17 septembre 1886. - «Me voici à Château-Thierry pour la retraite de l'Hôtel-Dieu. Celle de Charly s'est faite par 32 degrés de chaleur. Pau­vres Soeurs de Charly, dans cinq ans, avec toutes leurs écoles fermées, que deviendront-elles?

La retraite s'est clôturée chez nous ce matin à Saint-Quentin, nous avons prononcé nos voeux perpétuels à sept de la Société; six autres ont fait leurs premiers voeux et dix-huit les ont renouvelés dans l'année.

Monseigneur a présidé notre Chapitre général, après nous avoir adressé une allocution encourageante. - J'ai offert ma vie au Sacré-Cœur pour le clergé et les âmes consacrées. Je l'offre pour vous, faisant choix de la voie des croix et des humiliations, s'il plaît à Notre-Seigneur d'y trouver sa plus grande gloire.

Acceptez bien simplement l'humiliation de vos fautes sans prétendre jamais être impeccable. Reprenez toujours les mêmes résolutions.

Soyons bien des victimes du Sacré-Cœur, simples et douces comme les agneaux des sacrifices d'autrefois. Vous êtes dans la voie de la sainte­té, ne vous désolez pas. - Le diable est en Haïti avec toute sa puissance, il faut lutter.

J'occupe l'appartement de Monseigneur à l'Hôtel-Dieu de Château­-Tierry, il y a de vieux meubles en bois des îles qui me parlent d'Haïti. A la salle de communauté, un beau tableau de Mignard représente la fon­datrice, mademoiselle de la Bretonnière. La fortune de la famille venait des plantations des Antilles.

A Charly, j'avais pour commensal M. Vincent, vicaire général. C'est pour nous un ami dévoué, mais sa santé est perdue. Les Lazaristes sont renvoyés du Grand Séminaire et de Saint-Léger.

Me voilà donnant une retraite aux Enfants de Marie chez les Soeurs de la Madeleine (de Charly) en même temps qu'à l'Hôtel-Dieu».

23 septembre 1886. - «Quarante jeunes filles ont communié ce matin et m'ont attendu pour me remercier de la retraite. Je leur ai prêché les mystères du Rosaire. - M. Henri Maréchal, notre ami de Saint­Quentin, est nommé professeur de dogme. C'est une des conquêtes de M. Dehon…

Que va-t-il se passer? Trois socialistes viennent d'être élus au Conseil municipal de Saint-Quentin; ils annoncent la fermeture des églises et l'expulsion des religieuses en attendant la confiscation des usines. On croit que l'incendie de l'usine Lebée est une exécution sociale. Diman­che on a chanté le Ça ira, la Carmagnole, etc. Je vais essayer de fonder ici un Comité de l'Œuvre des Cercles…».

25 septembre 1886. - «Château-Thierry. - Je vais me coucher avec la perspective de n'avoir demain à donner qu'une méditation. C'est af­freux! Plus personne dans les églises aux environs de Château-Thierry. A Condé, les garçons ne vont plus à la messe, il n'y a plus que les enfants de choeur. C'est aujourd'hui l'infidélité complète avec l'indifférence des pauvres curés en plus. Je m'arrête pour pleurer sur l'état de ces pauvres paroisses; j'y voudrais mourir à la peine! (C'est ce qui arrivera). Mon cœur nage dans les larmes. Cette excursion m'a valu une retraite.

Cœur sacré de Jésus, faites de moi un ouvrier pour répandre le feu qui vous consume».

26 septembre 1886. - «C'est l'anniversaire de mon baptême. Profitons bien de notre calendrier, il est le meilleur des prédicateurs».

27 septembre 1886. - «J'ai passé à Juvincourt. J'ai prié sans pleurer sur nos chères tombes après ma messe et suis rentré à Saint-Quentin pour apprendre que nous allions reprendre les missions des Lazaristes, qui s'en vont tous. Je dois aller au Nouvion jusqu'à la nomination du nouveau doyen.

Le P. Besserat à Binson, m'a dit que nous devons bien prier pour no­tre Supérieur, pour l'aider dans sa mission.

La franc-maçonnerie travaille activement notre Hiérarchie. On met les exercices des pompiers le dimanche à l'heure de la messe. La popula­tion du Nouvion est bien travaillée; le socialisme fait des progrès et l'ir­réligion aussi…

Nos Pères sont installés à la Maîtrise. La rentrée de l'Institution est bonne».

15 octobre 1886. - «Le Nouvion. - Excursion au Sart pour voir l'insti­tuteur, M. Douche, notre parent. Son fils est à Saint Jean qui compte trois cents élèves.

Je lis ce qui me tombe sous la main concernant Haïti. Les noirs, mê­me chrétiens, y gardent un culte secret au serpent Vaudoux. Ils ont des sacrifices d'enfants dans les bois et des interventions diaboliques».

18 octobre 1886. - «Jour de la naissance de Papa. -je vais à La Ca­pelle prier devant la châsse de sainte Grimonie, une jeune Irlandaise martyrisée là par les envoyés de son père, un roitelet l'Irlande au VIe siè­cle.

Monseigneur est venu pour le service de trentaine de M. le doyen, il m'a témoigné une grand bienveillance.

Les élections au Nouvion ont donné 56 voix aux socialistes, 206 aux radicaux, et 286 aux conservateurs. J'ai vu hier madame Longuet­-Vandelet, la tante de notre bon Père Supérieur, qui prolongeait ses priè­res pour la France, mais de telles âmes sont rares».

26 octobre. «J'ai été hier à la gare saluer notre bon Père qui revenait de La Capelle de l'enterrement d'un oncle, je n'ai eu que le temps d'ouvrir et de fermer la portière, mais ne ferait-on que l'entrevoir, cela fait tou­jours du bien.

29 octobre. - «Le Pèlerinage de Saint-Quentin a surpassé en éclat les années précédentes, il y avait deux cent douze prêtres à la procession avec cinq évêques.

J'ai été voir M. Vuarnesson, curé d'Esquehéries. Quelle tristesse il y a au fond de l'âme de tous nos confrères, qui sentent de plus en plus que tout s'en va et nous échappe!».

2 novembre .1886. – «M. Petit est nommé doyen du Nouvion.

Notre ancien préfet, M. Sebline, aujourd'hui sénateur, a parlé au cir­que de Saint-Quentin, en répondant au chef des socialistes comme eût fait un évêque, proclamant sa foi de chrétien et demandant aux ouvriers si leur condition n'était pas assez ennoblie par une religion qui adore et reconnaît pour son Dieu le fils d'un charpentier».

7 novembre 1886. - «Dans quelques mois Monseigneur compte nous offrir au Saint Père à quelques-uns pour les missions…».

8 décembre 1886. - «Ma retraite au Pensionnat de la Croix s'est terminée par un beau salut en musique avec réception de cinq Enfants de Marie. J'ai dit à ces Enfants qu'elles devaient être:

1° des calices par l'offrande de leurs cœurs;

2° des ciboires par le recueillement et la pureté;

3° des ostensoirs par la modestie et le rayonnement du bon exemple, comme l'avait été Marie dont le cœur avait conservé le souvenir des mystères, aussi était-elle l'édification de l'Eglise naissante».

16 décembre 1886. - «Je suis allé à Dallon, paroisse déchue, les ancien­nes familles sont ruinées et la foi s'en va. Puisqu'on aboutit partout à de si minces résultats, mieux vaut aller aux extrémités de l'immolation et sacrifier la nature pour la grâce. Tous nos Pères sont répandus dans les paroisses pour Noël.

Relisez l'Epître du jour de l'Immaculée Conception. La Sagesse divi­ne, après s'être jouée dans les merveilles de la création, fait ses délices d'être avec les enfants des hommes… Dieu veut des cœurs aimants, mê­me ceux de vos nègres, donnez-les-lui…

Je lis à Dallon dans la théologie de saint Thomas par Billuart, cette question: Le péché d'une personne religieuse est-il plus grave que celui d'une personne séculière? Oui, dit-il, à cause du voeu, à cause de l'in­gratitude et de l'abus des grâces, ou à cause du scandale. - D'un autre côté, il est plus vite effacé, parce que s'il est véniel, il est absorbé par la multitude des bonnes œuvres; s'il est mortel, l'âme religieuse s'en relève plus facilement à cause de l'habitude de l'intention droite et des restes de la piété passée, et parce qu'elle est aidée par les réprimandes, les con­seils, les exemples et les prières de la Communauté.

Le jubilé de Dallon est terminé, trente personnes en ont profité».

20 décembre 1886. - «Le P. Modeste est venu malgré ses infirmités pour nous encourager et revoir les règles de nos Soeurs».

24 décembre. - «Pour la veille de Noël, j'ai été à Guise où j'ai entendu plus de quatre-vingts confessions. Le 25 j'ai prêché le matin à l'hôpital et l'après-midi à la paroisse. Madame Pourtalés, Soeur de charité, fille du banquier, quitte Guise pour aller en Bulgarie…

L'Ordo diocésain me donne comme directeur des missions diocésaines; après M. Courtade, quelle dégringolade pour les missions!

Aux souhaits de nouvel an, notre bon Père nous indique comme gage des bénédictions du Sacré-Cœur les morts précieuses de nos bonnes Soeurs».

1er janvier 1887. - «Monseigneur, le P. Modeste et le cardinal de Reims nous envoient leurs meilleurs encouragements.

Nous sommes huit prêtres à la résidence du Sacré-Cœur».

15 janvier 1887. - «Visite à Sittard. -je suis passé à Lille. M. le Dr. Didiot nous porte toujours un grand intérêt. Deux de nos Pères sont vi­caires à la paroisse de Saint-Martin, le P. Lequeux est économe, il y a un autre prêtre qui étudie les sciences. Nous avons là trois théologiens dans les Ordres sacrés et d'autres encore. Il y a quelques sujets excellents.

A Sittard, j'ai retrouvé Adrien Cottart, Canoeld Vincent et Maurice Cazé de Sains. Les Allemands du voisinage sont très édifiants. On salue le prêtre avec une véritable vénération».

3 février 1887. - «Je suis rentré le 19 janvier à Saint-Quentin. Mon souvenir de Sittard est bon, sans enthousiasme, le Supérieur est un saint. Il y a de l'élan…».

8 février 1887. - «Saint Jean de Matha. Ce Saint a dû venir à Saint­Quentin où est ne son compagnon, saint Félix de Valois.

J'ai prêché le 6 à Guise sur la Purification. Thème: l'éducation chré­tienne. Siméon, modèle de l'éducateur: il faut élever l'enfant jusqu'à Dieu. - Anne, type à réaliser: l'innocence conservée…

Le rédacteur du journal catholique M. B., dont les enfants sont à Saint Jean, a été blessé en duel. Quelle pitié! Pauvres conservateurs qui ne savent conserver leur foi.

Bruits de guerre…».

Toutes ces lettres marquent bien l'homme de foi, le prêtre zélé, l'apô­tre ardent pour le salut des âmes.

Le P. Alphonse Rasset imita le zèle de son saint patron, saint Alphon­se de Liguori, le modèle des missionnaires. Comme lui, il est l'enfant dé­voué et confiant de la Très Sainte Vierge. C'est dans le Rosaire qu'il cherche sa force et ses lumières.

======XVIII Encore les Missions Diocésaines (1887)

11 février 1887. - Le P. Rasset apprend la mort d'une grand'tante, madame Dubois, décédée à l'âge de quatre-vingts ans, religieuse du Sacré-Cœur, à Bois-l'Evêque près Liége. Elle avait été reçue à Beauvais par la Vén. Mère Barat. Il doit y avoir là quelque solidarité avec sa voca­tion.

a sa soeur:

27 février 1887. - «Notre Père Charcosset est revenu de Gandelu où il a eu environ trente confessions.

Nous lisons les lettres du P. Aubry, missionnaire au Se-Tchuen, en Chine, c'était un compagnon d'études de notre très bon Père. C'est une lecture qui vous serait utile pour la paix intérieure. Il dit à sa soeur reli­gieuse: «M'écrirez-vous? Si vous ne le faites pas, naturellement je regar­derai votre silence comme une leçon de détachement que vous voulez me donner, et j'en ferai mon profit. Je crois pourtant que notre correspon­dance n'est. pas fondée sur des raisons capables de déplaire à Celui qui voit le fond des cœurs et qu'elle peut encore être utile à vous et à moi. La grande idée que je vous recommande c'est l'habitation de Notre-Seigneur et du Saint-Esprit en nous… Ayons le sentiment de notre mise­re, mais cela ne nous empêche pas de nous réjouir et de remercier Dieu de ce qu'il a daigné nous faire comprendre et sentir un peu ce qu'il nous veut, ce qu'il fait en nous et à quoi le travail de sa grâce nous conduit… ».

1er mars 1887. - «Que saint Joseph nous protège! La Chaîne d'union, organe maçonnique, publie une lettre d'un F. . M. . de Saint-­Domingue contre le livre courageux de Drumont La France Juive. Une scission vient d'éclater dans la Franc-Maçonnerie haïtienne; on fait ap­pel à la conciliation! Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dissipés! Je vous ai prévenue, le diable veut vous jeter à la mer».

2 mars. - «Notre pauvre chère Mère s'est levée pour assister à la mes­se, c'est la première fois depuis Noël. Voilà encore d'autres Soeurs ma­lades».

3 mars 1887. - «J'ai demandé à Notre-Seigneur de vous faire com­prendre ces paroles de la Mère Jérôme du couvent des Oiseaux (Année eu­charistique, p. 209): «Celui qui, cent fois le jour, retourne imperturbable­ment à Jésus, après l'avoir contriste, abandonné, offensé, a trouvé le se­cret de la perfection».

Voulez-vous savoir mon idéal de vie heureuse sur la terre? Lever à 4 heures; prière vocale: un quart d'heure; oraison: une heure; revue: un quart d'heure. - Cent-vingt Versets de l'Ancien Testament, bréviaire, une demi-heure de théologie morale, trente Versets du Nouveau Testa­ment, une demi-heure de lecture spirituelle, quinze dizaines du rosaire, deux examens d'un quart d'heure, une demi-heure de visite au Saint Sa­crement, etc. Le reste du temps, un travail pressé sur un point de théolo­gie ou d'Ecriture Sainte. Priez pour que je tienne mordicus à cet idéal, la vie n'est pas faite pour s'ennuyer».

4 mars 1887. - «Fête de saint Adrien et de la sainte Lance. Chaque année, cette fête m'apporte une grâce par une peine, une contrariété toujours très salutaire!

Il nous est arrivé aujourd'hui une personne bien extraordinaire, Ca­therine Filjung, la voyante de Biding, près Metz. Elle amène son neveu à notre école de Fayet. Elle a (malgré son évêque!) bâti un orphelinat dont elle s'est fait l'architecte, avec quatre-vingts ouvriers à ses ordres; ses quêtes lui ont procuré quatre cent mille francs pour cela, sans comp­ter les dettes des Communautés qu'elle a payées, celles du P. Ratisbonne par exemple; priez pour elle, pour la deuxième fois on l'appelle au tribu­nal de l'Inquisition à Rome; la première fois, on avait entre les mains la lettre par laquelle Pie IX avait reçu d'elle l'avertissement du jour de sa mort. Cette fois, elle est précédée par les prières du monde entier que le Pape fait dire après la messe d'après ce que lui a demandé la Sainte Vierge par l'entremise de cette fille. Elle a été guérie subitement en 1873, elle a quarante-huit certificats de médecins pour des guérisons désespérées, aveugles, moribonds, etc. Elle annonce la révolution, une guerre terrible et la famine après… Elle vient d'écrire au Pape au sujet de son attitude vis-à-vis de l'Allemagne qui le joue. Elle paraît bien fran­che…

Ne vous découragez jamais. Si vous avez des défaillances, relevez­-vous. Comment! vous pouviez mener une petite vie bourgeoise, n'ayant d'autre souci que de gâter et de dorloter un frère et vous vous en allez ro tir, bouillir, vous faire manger aux chiques, aux moustiques, respirer les senteurs embaumées des écoles haïtiennes; vous abdiquez le mouvement intellectuel de l'Europe pour le zézaiement et le crétinisme! Après tout vous n'étiez obligée qu'à demeurer une bonne chrétienne pour attraper le ciel! Vous vous engagez dans la compagnie de ceux qui le ravissent par violence. A chaque pas vous avez une intervention surnaturelle qui vous montre une sollicitude spéciale de la Très Sainte Vierge. Et vous douteriez! N'ayez plus une foi si modique, je vous dis que vous irez au ciel».

7 mars. - «J'ai passé ma journée à lire du saint Thomas pour sa fête. Nous avons des réunions d'études sur les questions sociales et sur la théologie, à la maison».

8 mars. - «Le P. Modeste est au couvent des Soeurs pour les Règles à réviser et les Quatre-Temps. C'est toujours un bonheur de le revoir.

Voici mes stations de retraites paroissiales: Castres, Soize, Bruneha­mel, Puisieux, Vorges et Charly. - Nos Pères vont à Laon, Chauny, La Fère pour les Pâques…».

9 mars. - «Je viens de conduire notre cher P. Modeste à la gare. Il ap­prouve mon plan de travail: un commentaire du catéchisme».

11 mars. - «Un exemple qui vous montrera le parti que vous pouvez tirer de la communion des Saints. La soeur de notre chère Soeur Marie­Ignace est veuve, elle est venue au couvent avec ses trois filles. Son fils Joseph, que nous avons eu ici à l'âge de dix ans est à Lille où il prépare la deuxième partie du baccalauréat. Sa bonne mère est religieuse sous le nom de Soeur Marie Cléophas, elle est occupée à l'Institution Saint­-Jean; un peu de découragement s'est glissé dans sa ferveur première; je lui dis un jour que son fils Joseph ne travaille plus aussi bien et n'est plus aussi sérieux. - Oh! c'est ma faute, dit-elle, et depuis lors elle a repris courage, s'efforçant d'être fidèle, pour que Notre-Seigneur accorde des grâces correspondantes à son fils. - Chère soeur, nous verrons au ciel comment nos souffrances nous aidèrent réciproquement. Acceptons cet­te solidarité du sacrifice.

Je lis ce qui paraît sur Haïti. Ni le président Salomon ni les lois françaises n'y feront une société chrétienne. Nos lois sont anti-sociales. La presse est dirigée chez vous par des échappés de nos prisons colonia­les. La classe supérieure n'existe plus, les prêtres sont peu nombreux. Le Voudana reparaît. Le peuple a pris des habitudes de paresse et de rapine dans les guerres civiles. Pourrez-vous former une classe supérieure de noirs? Le probème est là. S'il est vrai qu'aux environs de Jacmil, en 1881, il s'est tenu des réunions du Voudana qui ont compté neuf mille personnes, tout est à faire. Il faut christianiser, mettre la messe partout. - Faites des chrétiennes et apprenez-leur que le travail est une expiation nécessaire. Plus un noir sera capable, plus il deviendra méchant et cor­rompu, s'il n'a pas été chrétien dès son enfance. - Ce n'est qu'à la troi­sième génération que les habitudes chrétiennes peuvent se faire sentir dans la race. Mais en Haïti, l'influence administrative et nos lois détrui­sent tout. Les gens influents sont francs-maçons, le bon peuple a le culte du Voudana, les lois et les moeurs sont anti-sociales, l'influence de la re­ligion est combattue par l'administration et la presse».

17 mars 1887. - «M. Guyart, vicaire-général, est mort. Quelle res­ponsabilité pour une longue administration diocésaine par ce temps de décadence! Au moins il a mis sur un bon pied les Communautés de la Croix de Saint-Quentin et Soissons, les Soeurs de Saint-Erme et les Au­gustines de Saint-Quentin».

18 mars. - «Je donne une mission à Castres. Ce petit village de trois cents âmes a des maisons et des fermes en ruines. C'est la décadence de la famille et de la société. Les femmes boivent de l'eau-de-vie. J'ai eu un homme et deux femmes à la messe la première fois. Je fais des visites et je suis bien reçu. Je donne des images du Sacré-Cœur. Enfin, l'auditoi­re s'élève à vingt-cinq hommes et trente femmes… A la seconde parois­se, Contescourt, quatre femmes à la messe du dimanche. Le gros fer­mier occupe vingt-cinq ouvriers, il n'avait pas le temps de nous recevoir. La famille a construit une grande chapelle au cimetière, ils auraient mieux fait d'entretenir l'église où l'on gèle. Ici comme chez vous, il manque une classe de patrons qui aient le souci de leur responsabilité. Il y a un centenaire, il prie et ne veut pas se confesser, nous verrons. Une bonne vieille m'a édifié. Sa maison est bien tenue. Elle est entourée de voleurs, de concubinaires, d'impies, d'égoïstes, etc… Il y a trois ans, est morte à Castres une femme âgée de cent-dix ans, une chrétienne modè­le, elle avait attendu pendant neuf ans son fiancé, soldat de Napoléon.

J'étais venu à Castres en 1884 avec des jeunes gens de Saint-Quentin. Attristés à la vue d'un Calvaire en ruines, les bras du Christ cassés et des ordures au pied, nous avions fait une prière de réparation. Le Calvaire a été restauré, nos prières ont dû y contribuer. Prions avec confiance, l'Eglise de France toute délabrée par notre désorganisation sociale, peut renaître forte avec quelques lois essentielles mais aussi… des saints!».

26 mars. - «J'ai confessé mon centenaire, en retard de quatre-vingts ans, presque sourd, presque aveugle, mais bonne tête… La mission a pu amener jusqu'à trente hommes au salut à Castres et cinquante femmes. Il y a des femmes qui boivent leur litre d'eau-de-vie par jour.

J'ai confessé un brave vieillard à cheveux blancs qui me dit ensuite: «J'ai envie de pleurer tant je suis content, j'attendais ce jour-là depuis longtemps!». - Quelques femmes ont profité de la mission pour revenir sincèrement à Dieu. Le bon curé qui a pour directeur notre très bon Père m'a dit qu'il était encouragé et rattaché à sa paroisse. J'ai eu jusqu'à quarante hommes au sermon. Tous ces pauvres gens sont retenus dans les usines et dans les fermes par des patrons sans foi…

- M. l'abbé Doyé, le saint curé de Landifay, est mort mardi 22 mars, sa maladie etait.une suite de ses austérités…».

Soize, 3 avril 1887. - «Soize est une véritable petite oasis, mais la po­pulation émigre et il y vient des étrangers. On ne travaille pas encore le dimanche. Tout le monde va à la messe, les hommes chantent comme à Sains. Je me sens revivre. Il n'y a que deux cent cinquante habitants et l'église est pleine. On prie comme à Parpeville. Du reste, depuis la Ré­volution, tous les curés ont été des saints. L'un d'eux a quitté Parpeville pour y venir. La paroisse a été desservie par M. Tavernier, prédécesseur de M. Gobaille à Saint-Quentin.

J'ai eu quarante confessions déjà. Hier, j'ai entendu une femme qui a eu dix-huit enfants dont dix-sept sont vivants.

Courage et confiance! Il faut bien que dans le corps mystique de Jésus-Christ il y ait des membres que souffrent pour le salut de tous…».

Soize, 16 avril 1887. - «Me voilà donc, poursuivant ma tâche de mis­sionnaire improvisé. J'ai eu une centaine de confessions pour Pâques. J'ai rencontré une âme d'élite, incertaine de sa vocation, je lui ai remis une notice sur la Congrégation de Saint Joseph. C'est la nièce de l'an­cienne Supérieure du Carmel de Reims, qui m'a prédit quand j'étais à Baulne, qu'un jour Notre-Seigneur m'appellerait à diriger des âmes fer­ventes et dévouées à son Cœur».

17 avril. - «Mon passage à Soize n'est pas à regretter, environ vingt retours dont une douzaine d'hommes, j'ai confessé cent autres person­nes; or, il n'y a que deux cent soixante habitants. Six séminaristes, dont trois en soutane sont revenus en vacances. Ici comme en Haïti, il faut compter avec des situations qui ne dépendent pas du prêtre. Les familles influentes jusqu'ici ont été tout à fait chrétiennes, or, ces influences disparaissent. Il y avait peu de rapports avec l'extérieur; maintenant, des gens enrichis à Reims et à Paris viennent se fixer ici. L'instituteur, depuis trente ans, était un homme dévoué et pieux, son successeur se conforme à la loi et les enfants sont négligés. Tout le monde tissait autre­fois, chaque famille était comme une petite communauté religieuse. Le tissage est tombé, on quitte le pays et il vient des ouvriers étrangers sans moralité pour les besoins de la culture. Que peut faire un curé contre ces causes de, décadence? - L'ancien instituteur était le père des abbés Lan­dais».

24 avril. - «Me voilà depuis six jours à Brunehamel. J'ai vu les sour­ces de la Brune que le sabot d'une vache peut détourner de son cours». Je suis impressionné par le souvenir de notre pauvre doyen de Sains qui avait été curé ici et qui en parlait toujours. Je n'ai pu retenir mon émo­tion en parlant aux enfants à l'autel de la Sainte Vierge où il venait cha­que jour après sa messe demander une bonne mort. Il a été exaucé. - M. Mignot, doyen de La Fère, est nommé vicaire général. Il passait au­trefois pour nous être hostile, mais il se montre, au contraire, très préve­nant depuis quelques temps.

S. E. le Cardinal de Reims nous a apporté les bénédictions du Saint Père.

Notre Soeur Marie de la Croix est morte à St-Quentin. C'est à ses prières que je devais la conversion de mon centenaire.

Entrée en religion à 53 ans, elle se regardait comme la dernière de la maison. Comme elle servait à table, elle trouvait le moyen de vivre des dessertes de la table commune.

Elle se réservait par religion les restes des prêtres et des su­périeures… ».

25 avril. - «J'arrive d'Iviers où j'ai été prêcher et confesser. J'ai en­tendu quarante-cinq confessions. Il y a dans l'église d'Iviers un beau pè­lerinage à N.-D. de la Salette qui attire tous les ans trois mille personnes pour la neuvaine».

27 avril. - «J'ai conduit les enfants à Résigny pour la confirmation, c'était édifiant. Résigny a une belle église neuve. Tout le monde y a con­tribué et s'est saigné à blanc. La Providence les a récompensés. L'année suivante, tandis que la gelée ravageait les arbres et les jardins dans les communes voisines, Résigny a eu une double récolte. Monseigneur m'a témoigné beaucoup de bienveillance. - Il disait aux enfants: «Ne gaspil­lez pas les grâces, Notre-Seigneur a dit de ramasser les miettes pour que rien ne se perde. Ces grâces de chaque jour assurent le salut…».

29 avril 1887. - «Je suis allé à Vervins aux funérailles de M. Vincent. Il y avait une foule considérable et une centaine de prêtres. Monseigneur a fait lui-même l'oraison funèbre. La population s'est très bien montrée; les conseillers et les magistrats n'ont pas osé venir. Voilà le progrès!».

30 avril. - «J'ai confessé quarante personnes depuis que je suis à Bru­nehamel, c'est maigre. On me trouve bonne mine, j'attribue cela à l'abstinence de vin, bière, eau-de-vie, etc., et à l'absence de déjeuner…

Rentré à Saint-Quentin, je suis désigné pour une mission à Origny­en-Thierache… Depuis deux mois je n'ai pas manqué de faire chaque matin mon heure d'oraison. Il y a longtemps que je n'ai omis mon ro­saire.

Nos Pères ont tous bien réussi dans leurs stations de carême. Nous sommes encore en campagne pour un mois.

Catherine Filgung, la voyante de Biding, est bien accueillie à Rome, mais son directeur va être interdit à Metz.

Malgré la sortie du Père Captier nous sommes toujours en faveur à Ars, auprès de M. Debeney».

5 mai 1887. - «On a confirmé à Hirson; pas d'hommes à la cérémo­nie. J'ai prêché quatre fois aux enfants d'Origny aujourd'hui et le soir pour le mois de Marie, au hameau des Routières, dans une salle. On conserve près de l'église d'Origny la maison de Mgr Pignaud de Béhai­ne, évêque d'Adran, ancien ministre en Cochinchine».

6 mai. - «Notre Bon Père m'écrit d'aller à Septmonts et Chacrise du 25 mai au 6 juin. Cela me fera sept retraites de Première Communion sans débrider. - Il ajoute que le Saint Père a approuvé une ligue sacer­dotale réparatrice à Turin, dont les membres disent une messe réparatri­ce chaque mois. C'est encore une confirmation de l'opportunité de notre œuvre».

Il n'y a pas de commentaire à ajouter à ces lettres. N'est-il pas souve­rainement édifiant de voir un prêtre fatigué par tant de missions et de re­traites successives, toujours fidèle à faire son heure d'oraison le matin? C'est là le secret de ses succès apostoliques.

Ses missions rappellent celles de saint Alphonse de Liguori, son pa­tron.

======XIX Missions diocésaines et Noviciat à Beautroux (1887-1888)

a sa soeur

13 mai 1887. - Ardon sous Laon. - «Je lis une belle vie de S. François d'Assise.

Christophe Colomb était tertiaire. En 1494, le P. Juan Pérez, associé au second voyage de Christophe Colomb, offrit le premier le divin sacri­fice sur le sol du Nouveau-Monde. Dès l'année 1505, douze ans après la première découverte, la province française de Sainte-Croix d'Hispaniola (Saint-Domingue) était organisée. Parmi les trois premiers évêques nommés pour Saint-Domingue en 1511, nous voyons encore un fran­ciscain, le P. Garcias de Padilla».

14 mai. - «J'ai prêché la retraite aux premiers communiants et aux renouvelants, en tout soixante, que j'ai confessés. - Je suis passé par Laon où j'ai visité la châsse de saint Béat, qu'on appelle saint Bienheuré à Blois. Les mères y apportent leurs petits enfants, à qui il arrive de mouiller le pavé autour de la châsse…

La première croix plantée par Christophe Colomb à Sàint-Domingue faisait des miracles.

Faites planter partout des croix sur les hauteurs pour chasser le diable.

Magnifique première communion, mais trop mondaine. On fait venir les traiteurs de Laon pour de grands repas pendant plusieurs jours com­me aux noces».

Le 19 mai, j'ouvrais la retraite à Puisieux.

23 mai. - «Belle Première Communion. J'ai parlé huit fois le diman­che à Puisieux».

30 mai. - «J'ai prêché la retraite de Première Communion à la pa­roisse de Fayet. Les enfants de Saint-Clément sont venus pour les cere­monies et ont exécuté de beaux chants.

J'avais en face de la chaire l'individu qui m'avait terrassé et piétiné en décembre. Il paraissait ému et il a fait ses Pâques».

1er juin. - «J'étais à Villers-le-Sec. Je prêche la retraite à Pleine-Selve

à vingt-trois enfants».

5 juin. - dimanche. - «Voilà ma septième retraite de Première Communion terminée.

Belle assistance à l'église.

Je repars à Soize pour quinze jours. - Les enfants de Soize m'ont sauté au cou.

On fait le mois du Sacré-Cœur très pieusement.

Il y a un certain nombre de personnes à Soize qui sans le savoir ont le don de contemplation infuse. Un bon vieillard de quatre-vingts ans, que l'on appelle respectueusement «M. le Vicaire», poussait des cris de sai­sissement chaque fois que je lui parlais de l'union avec Notre-Seigneur dans sa Passion par l'Eucharistie, j'ai fini par pleurer aussi. Il fait le Chemin de la Croix tous les jours, dit le rosaire, fait la communion quo­tidienne avec trois quarts d'heure d'actions de grâces. On le dirait mort à sa place. Une personne de cinquante ans mène une vie extraordinaire; les pauvres qu'elle nourrit disent qu'elle ne mange que du pain acheté aux pauvres. On dit: «C'est la Sainte du pays». On ne conçoit pas qu'il soit possible de tant travailler et à tant de choses. Elle nourrit une mé­chante voisine de quatre-vingt-dix ans, qui l'accable d'injures, elle la change et soigne comme un enfant avec une patience d'ange.

J'ai porté la communion à un vieillard de quatre-vingt-dix ans qui tous les jours dit sa messe, ses heures, son chapelet, ses vêpres, etc. Il fer­me sa porte pour ses offices et n'ouvre à personne. Il sait encore faire son ménage. Il s'étonne que le Bon Dieu ait laissé l'homme si enclin au mal. - J'ai eu cinquante confessions».

19 juin. - «Deux belles processions du Saint-Sacrement. Le village est bien orné et fleuri».

26 juin. - «Nouvelle retraite et Première Communion à Juvigny. Je passe à Soissons et je lis sur une image à l'Hôtel-Dieu que la Sainte Vier­ge a promis à ses fidèles du Rosaire la grâce d'une bonne mort, en par­faite connaissance, avec les sacrements».

29 juin. - «Me voilà de retour à Saint-Quentin, après avoir assisté à l'ordination à Soissons où nous avions un diacre. Monseigneur a été fort paternel et m'a retenu une heure pour me parler de mes missions et de nos œuvres».

9 juillet. - «J'ai été coucher à Ardon pour remplacer M. Joly qui est à Vichy. Le dimanche, grand'messe à Loeuilly et Ardon; puis, je suis monté à Laon pour me retrouver avec les Cercles de la région venus en pèlerinage à la Sainte Face. Nous étions cent cinquante au banquet. La procession dans la cathédrale a été magnifique. La montagne de Craon­ne reste en friche.

Ouches n'a plus que cent-cinquante habitants au lieu de trois cent cinquante.

Deux de nos Pères vont être aumôniers chez M. Harmel. Le P. Char­cosset y est déjà.

Nous allons mettre notre noviciat à la chapelle de Beautroux près de Fresnoy».

25 juillet. - «Nous avons bien des épreuves dont on ne parle pas. Pau­vre Père Supérieur! - Au couvent, il y a du malaise. On a eu des grâ­ces, mais comment discerner quelle a pu être la part des illusions? Le Saint-Siège agit sagement en recommandant de ne pas s'appuyer sur des directions surnaturelles».

31 juillet. - «Grande fête tapageuse pour l'inauguration de la statue d'Henri Martin. Pauvre historien. Sa soeur ne fait que pleurer.

L'Institution Saint Jean a eu quinze bacheliers cette année.

Notre Bon Père Supérieur vient de partir pour Lourdes où il doit rester trois semaines».

12 août 1887. - «Fête de Sainte Claire. Ma pensée est fixée au lit de mort de notre sainte maman pour son anniversaire».

28 août. - «Je viens de passer six jours au grand séminaire pour la re­traite ecclésiastique, prêchée par le R. P. Henriot, Dominicain. On comptait cent cinquante prêtres. Il y a dix ans que je n'avais pas assisté à ces réunions».

2 sept. - «Notre Bon Père revient de Lourdes où il a été témoin de plusieurs miracles».

10 sept. - «Saint-Quentin envoie des dons à Léon XIII pour son jubi­lé: une aube qui vaut trois mille francs, etc. - Le Dr Ehrard, professeur à Wurtzbourg qui a deux soeurs au couvent, est ici logé au Sacré-Cœur.

Il dit qu'en Allemagne on présente à Léon XIII toute une magnifique bibliothèque composée de tous les ouvrages publiés en faveur de la reli­gion sous son pontificat.

La rentrée de Saint-Jean passe deux cent quatre-vingts. Pendant l'an­née scolaire douze jeunes gens de Saint-Clément habiteront au Sacre­Cœur et suivront les cours de Saint-Jean.

Le journal Le Glaneur commence une campagne contre Saint-Jean».

22 sept. - «Le P. Lacour, S. J., prêche la retraite à tous nos Pères à Saint-Jean. Il vient de nous parler de la joie spirituelle, de l'élan surna­turel, il nous a cité l'exemple du P. Dorr mourant, qui avait recomman­dé le dévouement et le sacrifice joyeux en union avec le Sacré-Cœur. Il a souffert cruellement et il est mort en invoquant Notre-Dame-de-Liesse comme la patronne de la sainte joie dans le sacrifice.

Quarante de nos Pères et Frères ont suivi cette retraite, dont je n'ai eu que deux jours. Je prêchais aux soeurs de la Providence de Laon.

Nous allons mettre notre noviciat français provisoirement à Beau­troux. On m'y envoie avec deux novices».

7 oct. - «L'Institution Saint Jean a cent trente pensionnaires, le lycée n'en a plus que cent soixante-dix. Il a fallu dix ans pour remporter cette victoire. Le diable est battu, voilà pourquoi il se débat.

Notre P. Charcosset est venu nous voir avant son départ pour Rome. Il y aura quinze cents ouvriers des Cercles».

28 oct. - «Beau pèlerinage de Saint-Quentin. Mgr Géraigiry prêchait le 24 octobre. Son beau costume grec et sa finesse arabe ont tenu l'audi­toire sous le charme pendant trois quarts d'heure. Il nous a dit que tout le Liban désire devenir français. Il a commencé avec une famille catholi­que. Aujourd'hui on compte des milliers de catholiques dans son diocèse et des centaines de paroisses du rite grec demandent la réunion. Mgr l'évêque de Châlons a prêché jeudi devant deux cents prêtres et la basili­que comble.

Notre P. Charcosset était à Rome avec M. Harmel, pour le pèlerinage de l'œuvre des Cercles catholiques d'ouvriers, trois mille pèlerins! No­tre Très Bon Père Supérieur a reçu une lettre du Cardinal Langenieux qui lui donne de bonnes nouvelles pour l'approbation de la Société, le premier Bref laudatif sera accordé dans quelques mois, le Saint Père nous envoie ses bénédictions et ses encouragements.

Je suis à Beautroux avec quatre jeunes gens que j'ai la charge de for­mer. J'en attends deux autres.

Je prêche deux fois par Dimanche. Le jour de la Toussant j'avais cinquante-cinq auditeurs venus des fermes, je n'en avais pas tant à Baul­ne.

J'ai confessé dernièrement une fille qui croit voir la statue du Sacré-­Cœur pleurer, elle entend Notre-Seigneur lui dire: «Ce sont les péchés des prêtres et des religieuses». La statue lui apparaît défigurée et ensan­glantée. J'en ai écrit à Mgr l'évêque. - Le pauvre garçon de Saint­-Clément, guéri subitement le 14 janvier 1883 et favorisé d'apparitions, s'est perdu et a fini par se donner la mort à La Capelle (Léon Bachelard). Quelle épreuve!

Le diable se mêle à nos affaires. Pour moi, c'est un signe divin, c'est qu'il redoute cette œuvre, puisqu'il fait rage autour d'elle. Heureuse­ment l'Eglise veille et nous serons obéissants…

Je vais donner des leçons de philosophie et il faut que je dirige les étu­des de chacun».

3 déc. 1887. - Beautroux. - «Je continue à retourner pour les confes­sions de nos soeurs tous les mardis. Cinq kilomètres dans la boue jusqu'à la gare.

Mgr de Soissons rapporte de bonnes nouvelles de Rome. Tout le monde vous veut du bien à Rome», écrivait le Card. Langénieux après son entrevue avec le Saint Père.

Plusieurs de nos enfants de Fayet sont reçus bacheliers. Il y aura trente-deux élèves encore à l'école apostolique, quinze au Sacré-Cœur pour les classes supérieures et une demi-douzaine ici; neuf clercs se pré­parent aux ordinations tout en étant occupés à diverses fonctions. Priez pour toutes ces vocations.

Sauf que je dis bien mon rosaire et que je n'offense pas Dieu griève­ment, je n'avance guère en régularité, en esprit de prière.

Figurez-vous que je perds le temps à jouer avec mes pigeons; puis c'est le jardin qui n'a jamais été cultivé, on pioche, on bêche. Je suis tou­jours en retard pour tout.

Elargissez votre cœur, faites-le grand comme le monde, priez pour l'Eglise, pour toutes vos fondations, pour tous les prêtres…».

1er janv. 1888. - «Je profite du départ de mes huit jeunes gens qui sont allés aux Vêpres à Etaves, présenter leurs voeux au P. Grison, pour cau­ser avec vous.

Je suis allé ce matin prêcher à Fieulaine. Notre chapelle s'enrichit d'ornements.

La nuit de Noël, quatorze bergers sont venus chanter un cantique à l'Enfant Jésus, à qui l'un des nôtres a fait une jolie crèche. Il y avait deux cents curieux des pays environnants. Notre Père Supérieur est ve­nu nous bénir quatorze petites croix pour un chemin de la croix.

J'ai prêché à la Basilique de Saint-Quentin le dimanche 11, sur l'Im­maculée Conception et j'ai fait une causerie à la réunion des Messieurs de Saint-Vincent-de-Paul».

6 janvier 1888. - «Je ne vous oublie pas pour cette fête de la foi. Je prie pour les noirs que l'on représente toujours à la crèche depuis au moins le Ve siècle, d'après le vénérable Bède, le grand docteur anglo­saxon».

8 janv. 1888. - «Au milieu de mon instruction à Fieulaine, j'ai lu en partie une belle lettre de M. Coulbeaux sur l'Abyssinie. On a écouté avec intérêt. M. Coulbeaux, de Coucy-les-Eppes, est devenu l'apôtre des noirs Ethiopiens, comme les chevaliers d'Eppes, de Coucy, etc.

Nous avons déjà eu l'exposition du Très Saint Sacrement deux fois dans notre chapelle, jeudi et vendredi dernier, nos jeunes gens se sont montrés pleins de bonne volonté. Ils n'étaient plus que six, trois étant partis malades, un vient de revenir, mais notre climat est rude.

Notre Bon Père Supérieur, en allant au Val-des-Bois voir nos Pères, a vu en passant Son Eminence le Card. Langenieux à Reims; il est revenu bien consolé de ce qu'il a appris des dispositions de Rome à notre égard. On comprend qu'il doit y avoir dans l'Eglise des prêtres voués à la répa­ration. Continuons à prier.

Voici nos stations de carême:

P. Jeanroy, à Chauny, un mois,

P. Lambert, à la Fère, quinze jours,

P. Dupland: Soize, Montloué, Cramaille, P. Pitholat: Belleu, etc.

P. Delgoffe: Brissy, etc».

9 février 1888. - «Nous avons eu une grande conférence au Patronage Saint Joseph, par M. Gervais; avocat à Lille, sur la réhabilitation du travail par l'Eglise. Il s'est surtout inspiré des Moines d'Occident de Mon­talembert. Il y avait cinq cents hommes, c'est bien pour Saint-Quentin».

10 fév. 1888. - «J'ai bien songé à vous à l'occasion de Sainte Scho­lastique. Que nos lettres soient une réfection mutuelle et réciproque! Comme les entretiens de la Sainte avec Saint Benoît.

- Mort édifiante de M. le Chanoine Demiselle, à la suite d'une bron­chite. Il a reçu tous le secours de la religion qu'il a désirés et n'a cessé de prier jusqu'au dernier moment.

Je souffre le temps en temps de l'estomac (Il était déjà atteint de la maladie qui devait le consumer peu à peu).

J'ai dû en conscience faire connaître à M. Duplaquet qu'il était large­ment trompé par le faux pesages de ses bascules… Il s'agit de 125.000 francs.

Monseigneur me maintient confesseur du couvent. Il sait que je ne re­jette rien des grâces reçues, mais je prétends qu'on ne doit pas s'appuyer sur ces données pour agir.

D'accord avec une congrégation de l'Equateur, nous allons envoyer là des Missionnaires. Le P. Grison grille d'y aller.

Voici une grande nouvelle! Commencez par tomber à genoux et re­mercier Notre-Seigneur de son immense charité. Qui sommes-nous, pauvres malheureux, pour une si grande mission! Mes larmes coulent et mon cœur se gonfie. Je revois ma charrue, le petit séminaire, ma cellule du grand séminaire, Baulne, Clamecy, Sains, le Patronage, etc. C'est donc bien vrai, ô Cœur de mon bon Maître, malgré tous mes péchés, al­ternés de si grands désirs de vous servir, il n'y avait pas d'illusion dans ce que vous me montriez, vous vouliez une nouvelle famille de prêtres dans votre église, elle existe maintenant.

En 1882, la démarche pour l'approbation de nos Soeurs a été différée par Rome; en 1883, nous n'avons pas été plus heureux, et en 1884, il a fallu nous dissoudre pour recommencer avec une forme nouvelle qui fit oublier les Oblats du Sacré-Cœur. L'œuvre reconstituée a été présentée de nouveau. Léon XIII nous a suivis et toutes les murailles sont tom­bées. Son Eminence le Card. Langenieux, de Reims, écrivait qu'il n'y avait plus d'obstacles, mais qu'il fallait attendre après l'année jubilaire du Pape, tout le monde multipliant les vacances à Rome. Notre Très Bon Père Supérieur comptait aller à Rome en septembre et n'espérait plus rien d'ici-là; les lettres de vingt-sept évêques avaient été envoyées et tout semblait dormir, les amis de Rome n'écrivaient plus, lorsqu'arrive une simple carte de visite du P. Supérieur du Séminaire français. Qu'est-ce que cela veut dire! Puis une lettre d'un avocat consistorial annonçant un Bref laudatif, approbation cum laude. Que serait ce Bref? - Tout est arrivé. La lettre du Pape nous couvre de confusion: le P. Bar­thélemy Dessons se cache la figure quand il recopie les pièces; enfin vingt-et-une remarques, animadversiones, sur la règle à modifier et nous voilà du nombre des familles religieuses; obligation d'expulser, après cinq ans, tout sujet qui ne sera pas jugé apte aux voeux perpétuels, compte-rendu exigé tous les trois ans auprès de la Congrégation des évêques et réguliers; le Souverain Pontife seul peut dispenser des voeux. Nous cessons d'être congrégation diocésaine, pour être sous la juridic­tion des Evêques et Réguliers. - Sans doute, cela ne suffit pas, bien d'autres familles religieuses, plus avancées, sont en ce moment frappées de stérilité. Je sens que ma responsabilité est bien grande et que mon in­dignité dépasse encore mon incapacité…

Nos Pères missionnent. J'ai eu la consolation d'être appelé de diverses côtés et de me faire remplacer par d'autres».

18 mars 1888. - «Priez pour moi, car je n'avance guère dans mon œuvre de noviciat. Ceux qui s'éloignent de nous tournent bien mal… Remerciez la divine Providence, j'ai échappé à une tempête de neige où quatre personnes ont trouvé la mort. J'avais perdu mon chapeau, je re­tournai le chercher en priant saint Antoine. Je me suis abrité au presby­tère de Fonsomme, c'est ce qui m'a sauvé.

Depuis Pâques de l'an dernier, voilà huit incendies à Etaves sans qu'on puisse trouver l'auteur…».

======XX Beautroux et Fourdrain (1888-1889)

a sa soeur:

18 avril 1888. - Beautroux. - «A la hâte, entre un bréviaire qui m'attend, mon rosaire qui me fera coucher après 10 heures, des devoirs à corriger et des sermons à faire, avec un pinçon au petit doigt et une velléité de rhumatisme qui va de l'estomac au talon. A cela près, je me porte bien et je suis obligé de jardiner, de bêcher, de semer pour donner l'exemple. Il y a quinze jours nous avions encore de la neige.

Nous avons eu la mort imprévue du fils aîné de notre propriétaire, Gaston Duplaquet, élève à l'Institut agricole à Beauvais.

Toute l'aristocratie de Saint-Quentin et des environs est venue à notre chapelle. Notre Bon Père Supérieur a présidé l'enterrement et j'ai dû prendre la parole.

Je prêche tous les dimanches à Fieulaine.

Pour le Dimanche de Quasimodo j'ai dû prêcher en plein air devant deux mille personnes pour le pèlerinage de Notre-Dame-de-Paix. Jugez de l'état de ma gorge.

Notre Très Bon Père Supérieur a été à Paris voir le nouveau Président de la République du Sacré-Cœur (Equateur), qui en était le représen­tant à Paris. L'entente a été complète pour notre fondation là-bas.

Notre Bon Père Supérieur a pu assister à quelques séances du Congrès scientifique international catholique.

Nos Pères ont eu de l'occupation au carême, mais les résultats sont en­través par l'agitation politique pour les élections. On est engoué du Gé­néral Boulanger qui pourrait bien être soutenu par la Franc-­Maçonnerie…

On dit des merveilles du dernier pèlerinage à Rome: dix mille Français. Du moins le Pape affirme que la France est l'appui providen­tiel de l'église, cela donne espoir pour l'avenir».

17 avril 1888. - «Chère soeur, je lis dans A. de Pontmartin, Souvenirs d'un critique: sur les Soeurs.

«Auxiliaires dévouées, patientes, mélancoliques du génie, du talent, de la piété et de la vertu fraternelle: enfermées volontairement dans leur rôle d'abnégation et de tendresse, elles ne demandent rien pour elles­-mêmes; tout pour un frère dont elles ont fait l'objet de leur culte. Elles redoubleraient avec joie d'humilité, d'obscurité et d'immolation person­nelle pour que ce frère eût une part plus large de bonheur et de gloire…».

Je prie pour votre persévérance. La persévérance est une grâce gratui­te qu'il faut obtenir par la prière. - Pour les petits chagrins des œuvres et de la vie religieuse, je vous l'ai déjà dit: le grand remède est dans la ré­novation des voeux. Si j'avais su, me dis-je souvent, je serais demeuré un bourgeois du presbytère! Merci, mon Dieu, de n'avoir pas su les sa­crifices que vous me demanderiez! C'est bien, je m'engage à nouveau. Tout ce que vous voudrez!

Notre Père Supérieur a été voir à Paris le président Florès qui lui a donné les meilleurs renseignements sur Quito.

Je n'ai pas d'illusion sur les pays désorganisés comme Haïti. La mora­lité et la religion se transmettent surtout par l'éducation et les traditions de famille; mais les familles sont devenues instables. Il n'y a pas autre chose à faire que ce que vous faites: sauver les individus, reconquérir les influences sociales, unir son sacrifice à celui de l'autel.

Mon ministère continue au Couvent à Saint-Quentin. Monseigneur est dans la ville, il est venu nous voir, il y a huit jours. Il veut que nous gardions Beautroux pour une petite résidence. En attendant, j'ai neuf jeunes gens que je fais étudier et un frère cuisinier avec moi. -je bêche et cultive le jardin et les autres font comme moi. Je donne mes soins à tous nos légumes: choux, salades, pois, haricots, etc.: puis je reviens au latin, au grec, à l'anglais, à l'allemand, à la littérature, à la prédication, à l'histoire, etc …».

21 mai 1888. - «Chère Soeur, je n'ai pas oublié les dates du 8 mai pour votre première communion, du 19 mai pour votre départ de Paris. - Aujourd'hui, le lundi de la Pentecôte, me rappelle ma vocation et la lumière subite qui m'en fut donnée le lundi de Pentecôte en 1862, com­me je lisais dans le volume De l'éloquence des Livres Saints, de l'abbé Hen­ry, un passage sur la Royauté de Jésus-Christ, tiré de Bossuet; c'était à 11 heures pendant l'étude à Saint-Léger; je fus suffoqué, bouleversé et je sortis en sanglotant de l'étude: «Mon Dieu, que ce serait beau de passer toute sa vie dans ces belles choses, à faire connaître votre Fils à ceux qui l'ignorent!». Après vingt-six ans, l'impression est encore aussi vive, aus­si pénétrante; c'est mon plus puissant motif de contrition pour tous les péchés que j'ai pu commettre. - J'ai prêché la Première Communion à Etaves en la fête de l'Ascension et pour la fête de la Pentecôte, j'ai été à Macquigny.

Nos jeunes gens sont allés, ce matin, à un deuxième pèlerinage de Notre-Dame-de-Grâce à Fieulaine.

- Nos Pères du Val-des-Bois sont malades ainsi que plusieurs mem­bres de la famille Harmel, On parle d'un empoisonnement avec du vin frelaté.

Le Père Blancal, supérieur d'une résidence des Prêtres du Sacre­-Cœur de Toulouse, fait une retraite pour décider de son union avec nous.

Nos Pères prêchent des premières communions aux quatre coins du diocèse. Moi, je reste ici où je ne réussis guère.

Je suis absorbé par les classes et… le ménage. Je me couche à 10 heu­res et me lève à 4 heures pour me mettre en avance.

Vous me dites de ne plus vous écrire, mais votre souvenir est ma sau­vegarde, il me soutient.

- «Le 24 mai, nous avons été en pèlerinage à Noyal où j'ai dit la mes­se dans la petite chapelle de Notre-Dame de la Salette. Les neuf jeunes gens qui m'accompagnaient ont communié. Nous sommes allés de là en pèlerinage à Sainte-Grimonie et Sainte-Preuve à Lesquielles-Saint­-Germain.. . ».

10 juin 1888. - «Je suis allé à Vorges, du 30 mai au 4 courant, pour la retraite de Première Communion. Il y avait encore un peu de religion quand notre cousin M. Soubriet reprit la paroisse, il y a treize ans. Les enfants renouvelaient leur Première Communion, les jeunes personnes faisaient leurs pâques, il n'y a plus aujourd'hui personne que quelques femmes et le maire, M. Paul de Hennezel. Les jeunes filles chantent en­core au mois de Marie.

Comme je rentrais à Saint-Quentin, notre Bon Père Supérieur faisait l'enterrement d'un jeune élève de 14 ans, fils du capitaine Domenech, mort chez le photographe où il posait…

Une grande nouvelle! Un de nos Pères vient d'acheter le château de Fourdrain, près de Crepy, quarante mille francs. On l'avait vendu cent cinquante mille francs, il y â vingt ans. Le noviciat y sera au mois de septembre. Nous aurons notre Chapitre général le 23 août.

Le lundi de la Pentecôte au pèlerinage de Sainte-Eutropie à Beaurieux a eu lieu la guérison miraculeuse d'une petite fille de neuf ans qui a quit­te la béquille sans laquelle jusque-là elle ne pouvait pas marcher.

Le dimanche 17 juin, j'ai été avec six de mes jeunes gens à Saint­Quentin, à pied, quatorze kilomètres, pour assister à la clôture du Tri­duum en l'honneur du Bienheureux Jean-Baptiste de la Salle. Le Saint­-Sacrement a été exposé trois jours dans la grande salle des fêtes du Patro­nage. Notre Bon Père Supérieur a prononcé le panégyrique du Bienheu­reux en présence de Mgr l'Evêque de Tarse et de tout le clergé de la vil­le. C'était magnifique de précision, de force et d'amour de Dieu. La conclusion pratique, c'est qu'il faut lire la Vie du Bienheureux et s'at­tendre à souffrir comme lui si l'on veut faire l'œuvre providentielle vou­lue par Dieu.

L'Empereur Frédéric III est mort. On s'attend à la guerre. Notre peuple ne s'améliore pas, au contraire. Il y a cependant un revirement dans la classe influente, chez les anciens libéraux qui se voient mis de co­té et sans influence sur la classe ouvrière… Souffrez avec patience pour le salut de notre patrie et pour l'Eglise».

Le 23 juin au soir, feu de Saint Jean à Vorges, Le bûcher est prêt. Je prêche sur le feu de l'enfer, sur le feu qui doit éclater au jugement der­nier. Finalement je propose le feu de l'amour de Dieu comme préserva­tif, puis j'allume le foyer. Tout Laon est aux remparts pour voir ce spec­tacle… ».

15 juillet. - «Je reprends ma résolution de bien faire mes exercices de piété et de les faire le plus tôt possible par cette considération: «Peut-être que ma soeur a besoin de moi». Je crois que nous serions bien meilleurs l'un et l'autre si nous avions cette pensée habituellement. Votre départ, il y a trois ans, m'a valu une grâce spirituelle qui persévère encore.

La Croix m'apporte la nouvelle de l'incendie de Port-au-Prince. C'est impressionnant d'apprendre à cette distance que dans une ville de vingt mille âmes où l'on a une soeur, des centaines de maisons et des édifices publics ont été brûlés par des émeutiers. Le souvenir des horreurs de 1859 est toujours là dans mon esprit depuis votre départ. Nos bonnes Soeurs prient pour vous».

15 août 1888. - «Notre retraite s'ouvre demain soir. - Je sais que vous êtes au milieu d'une agitation révolutionnaire, je veille auprès du Bon Dieu pour vous.

J'ai assisté à la retraite de Soissons, donnée par le P. De Surmont, ré­demptoriste, qui nous donnait la quintessence de la doctrine de Saint­Alphonse, écoutez bien:

1. - Ténacité indomptable dans les pratiques en l'honneur de la très sainte Vierge.

2. - Recours immédiat à Marie dans les tentations;

3. - Fidélité à revenir vers Marie avec une confiance plus grande après les fautes;

4. - Demander avec instance une confiance toujours plus grande en cette bonne mère.

- On a fait l'acquisition d'une maison en Hollande pour une école apostolique».

23 sept. 1888. - «Voilà six semaines que je suis à l'Institution Saint­-Jean.

Hier, j'étais à Soissons pour l'ordination du Père Pierre Bertrand; nous avons eu cinq tonsurés. Monseigneur s'est montré d'une amabilité toute paternelle.

Ce matin, première messe du Père Pierre au Patronage. Cent com­munions. Notre Bon Père Supérieur, retour de Rome, a parlé. Tous les hommes et les jeunes gens sont venus baiser les mains du jeune prêtre, comme à Rome. C'était touchant.

Notre Bon Père avait eu une audience spéciale du Pape le 6 septem­bre. Le Saint Père goûte l'esprit de notre œuvre, il a confiance dans son futur développement».

24 nov. - «Me voici curé de Fourdrain. Le Père Grison et les Pères Blanc sont partis pour l'Equateur, le Bon Père les a conduits à Saint-­Nazaire. On avait fait à l'Institution Saint Jean une cérémonie d'adieu qui a beaucoup ému les élèves…

Je suis maître des novices et curé.

Notre Bon Père Supérieur a prêché la retraite de rentrée au grand Sé­minaire de Soissons où il a eu un auditoire très sympathique; la moitié des séminaristes se sont confessés à lui; trois élèves de l'Institution Saint-­Jean y entrent en philosophie.

Notre rentrée à nous n'est pas aussi forte que l'an dernier, cependant elle est bonne».

25 janv. 1889. - Fourdrain. - «La fête de Noël m'a donné peu de consolation comme curé. Plusieurs personnes qui n'avaient pas fait leurs Pâques sont venues. Nos jeunes gens ont chanté et les offices ont émer­veillé les assistants, mais il y avait peu d'hommes.

Le jour de la fête du Saint Nom de Jésus, j'ai essayé d'établir la Sainte-Enfance et j'ai assez bien réussi. -je couche au presbytère et je passe ma journée au château.

La maison est froide et nous vivons pauvrement au château. Nous avons cinq novices et quatre postulants. J'ai avec moi le P. Joseph Blanc.

Aujourd'hui paraît le premier numéro de notre revue: Le Règne du Sacré-Cœur.

N'oubliez pas que le propre de la dévotion au Sacré-Cœur, ce sont les épreuves. - La croix, la lance, les clous, les épines, si vous avez tout ce­la, votre affaire est bonne, vous êtes acceptée et vous sauvez des âmes à votre insu.

L'esprit de foi baisse dans les campagnes, les prêtres se découragent et les scandales se multiplient. J'ai fait en vain des démarches auprès d'un malheureux qui a quitté la soutane et scandalise les environs, il ne croit plus à rien.

Nous avons des nouvelles de Guyaquil. Nos missionnaires vont mon­ter à Cuença sur leurs mules à travers les forêts, sous la garde de Marie».

7 mars 1889. - «Dans l'église de Saint-Vincent-de-Paul, le grand peintre religieux Flandrin a représenté saint Adrien et sainte Natalie qui se donnent la main. Vous avez peut-être songé à cela le 5 mars, vous y songerez au moins le 8 septembre, jour où l'Eglise célèbre la mémoire de saint Adrien.

- Je viens de faire chercher les enfants de la Première Communion à domicile pour le catéchisme, j'en ai obtenu quatre sur quinze et c'est jeudi; les autres jours, il s'en trouve toujours deux ou trois, pour me jouer un bon tour et parce que, disent-ils, on ne fera pas la Première Communion cette année. - Nous avons eu l'adoration des XL heures qui ne s'était jamais faite à Fourdrain; une trentaine de bonnes femmes sont venues prier et notre maison de Saint Joseph a fourni les adorateurs réguliers. Le P. Dupland a prêché trois fois pour cinquante personne, y compris notre monde. Nous avions dimanche une belle messe et les jours suivants de beaux saluts en musique. Je n'ose faire trop de réclame pour ne pas attirer l'attention de l'administration hostile; or, avec les moyens ordinaires, ici comme partout, on aura de minces résultats.

Le Père Modeste va toutes les semaines, par le chemin de fer, confes­ser une pauvre fille infirme et souffrante, une vraie victime du Sacré­Cœur, c'est la dernière descendante de Luther et de Catherine Bora.

Mgr Thibaudier devient archevêque de Cambrai.

J'irai sans doute à Rome cette année».

8 mai 1889. - «Mon journal que je vous envoie est une revue utile et un moyen de me graver dans la mémoire bien des événements providen­tiels et des réflexions utiles. Gardez mes lettres, elle me serviront un jour à écrire l'histoire de notre Société».

«J'ai été à Notre-Dame-de-Liesse, il y a deux mois, pour consulter la Très Sainte Vierge sur l'idée que j'ai de finir ma vie dans les missions où je crois que les forces et les facultés d'un prêtre sont plus utilement dépensées que dans notre pays; je voudrais me dévouer en victime pour sauver l'âme de mon frère; ici je suis bien lâche. Je n'ai pas trouvé la lu­mière qu'il me faudrait, attendons la Providence.

Mlle Mariette de Marschall a pris l'habit en février chez les Dames de la Retraite à Versailles. Mgr Thibaudier y assistait.

En France tous les esprits sont occupés du centenaire de la Révolu­tion. Nous essayons d'y opposer le centenaire de 1689, pour les deman­des du Sacré-Cœur au sujet de la France. Essayez avec nous de lancer la consécration générale des individus, des familles, des classes et des socié­tés au Sacré-Cœur, en attendant la consécration officielle de l'Etat et des pouvoirs publics.

A Fourdrain, une jeune fille au-dessus de seize ans a fait ses Pâques, trois garçons de la première communion de l'an passé et six petites filles de douze à quatorze ans, avec cela une vingtaine de femmes au-dessus de cinquante ans, parmi elles une demi-douzaine en retard, un ancien notaire et un gendarme alsacien en retraite, dont le fils tient le bal public et c'est tout.

Les petites filles de dix ans ne perdent pas une danse. A Brie, petite annexe de trente-neuf feux, c'est un peu mieux, quatorze personnes ont fait leurs Pâques, dont cinq retours. Nous avons le salut du Mois de Ma­rie, tout les jours à Fourdrain et deux fois par semaine à Brie.

On m'a adjoint le P. Black que sa santé force à quitter l'Institution Saint Jean. Sa mère demeure au presbytère où il couche depuis huit jours. Son neveu Châtelain est novice. - Notre parc nous distrait un peu trop, il y a la pêche, la chasse, la récolte des fruits, etc.

Notre maison de Lille va très bien comme esprit… L'Institution Saint-Jean est venue fêter le 6 mai à Fourdrain, ils étaient deux cent cin­quante. - Ils ont eu quatre bacheliers à Pâques.

En Hollande, nous sommes reconnus par l'Etat. On a bâti une école et une chapelle.

Nos Pères réussissent à Cuença, ils ont la confiance de la population et confessent beaucoup.

Le 7 avril, cérémonie d'adieux pour le Père Bruno Blanc et le Père Mi­quet, qui vont rejoindre les autres.

Il y a tous les mois une retraite au Sacré-Cœur pour les curés des en­virons, il en vient une douzaine. - Ah! si le Sacré-Cœur voulait faire de moi un saint, un homme de prière, une âme réparatrice, un prêtre mor­tifié! je m'arrête, car je vais pleurer!

======XXI Foudrain (1889-1890)

a sa soeur:

23 mai 1889. - «Vendredi, j'ai été à l'enterrement de M. l'abbé Joly, curé d'Ardon, mort dans sa quarantième année, un anthrax l'a étranglé. Le médecin disait aux gens d'Ardon: «Vous avez tué M. Leredde à coups de hache et vous tuez votre curé actuel à coups de langue». On avait fait un carnaval contre ce pauvre ami que la présence de sa mère et de la vieille bonne qui l'avait élevé aurait dû préserver de toute attaque de ce genre. On simulait un baptême, et un masque habillé en curé con­duisait une fille portant un enfant et jetant des dragées. Le chagrin a tué le bon curé. Je pleure encore en vous écrivant.

Madame Barat disait à ses religieuses: «A la prière, à la prière! C'est tout ce que nous avons à faire». - Le saint Curé d'Ars disait que les journaux, même catholiques, empêchaient les lecteurs d'avoir l'esprit intérieur.

Un ancien solitaire se plaignait à Notre-Seigneur de la méchanceté de l'empereur Phocas: «Si j'en avais pu trouver un plus mauvais, répondit Notre-Seigneur, je l'aurais donné. -Je l'ai donné à cause des péchés du peuple». Les révolutions sont pour l'épreuve des bons et le châtiment des méchants et des impies.

La loi militaire contre les séminaristes vient d'être votée au Sénat. - Les curés sac au dos! Voilà qui nous en promet.

Le troisième dimanche après Pâques, fête de la Protection de S. Jo­seph, nous avons célébré la fête de la maison en invitant nos bûcherons à la messe dans la chapelle de la maison qui est l'ancien salon du château.

J'ai couru de porte en°porte et j'ai été voir ces braves gens jusque dans les bois.

Le P. Dupland leur a dit la messe à 11 heures. Ils sont venus au nom­bre de vingt-quatre et on leur a offert ensuite le gâteau bénit avec un ver­re de vin blanc sous les grands sapins du parc. La plupart de ces hommes n'étaient pas venus à la messe le jour même de Pâques.

Le P. Black devient Maître des novices et je n'ai plus que la paroisse. J'ai demandé cette séparation des charges et cependant j'en souffre. Priez pour que je devienne plus humble et plus patient.

Notre Père Supérieur part pour Luxembourg où on l'appelle pour une fondation.

Il faudrait une croisade de prières pour nous. Un grand bien se pré­sente partout à faire, mais que de lacunes!

Notre Chère Mère revient d'Alsace avec Soeur Marie-Ignace.

A Quito on veut nous confier la construction de la Basilique du Sacré­Cœur.

Je crois qu'en se vouant au Sacré-Cœur on obtient surtout des non-réussites splendides, des humiliations, des défaites et des catastrophes entremêlées de succès invraisemblables qui jettent dans la stupéfaction quand on considère la pauvreté des instruments, de sorte que la faiblesse humaine demeurant tangible, il n'y a pas danger de vaine gloire, mais plutôt rabaissement singulier, à moins que l'ordure ne s'enorgueillisse de faire pousser des fleurs. Ce serait trop bête.

Pour couper court à mes petites épreuves, je me suis offert en victime tout de bon, offert à souffrir dans ce monde pour mes péchés, pour mon frère, pour notre société, pour la paroisse et le noviciat, pour l'Eglise et pour la France… Le Bon Dieu m'exauce: nouvelle contrariété impré­vue… Vive le Divin Cœur de Jésus, le mien n'a pas le droit d'avoir des roses quand ce Divin Cœur n'a eu que des épines».

27 mai 1889. - «Fête de Saint Madeleine de Pazzi: «non mourir, mais souffrir».

Il y a révolution chez vous avec d'étranges prétendants au pouvoir. Ce n'est guère mieux chez nous.

Notre fondation à Clairefontaine (Luxembourg), a de l'avenir, elle préparera des missionnaires.

Malgré ma paroisse de Fourdrain, j'ai encore un peu missionné; j'ai été à Vendeuil où le curé est aliéné, à Brissy-Hamegicourt, pour prêcher le patron, à Couvron et à Crepy pour la retraite et la Première Commu­nion.

Nos missionnaires ont été en campagne jusqu'aujourd'hui: P. Blancal à Guise, P. Pitholat à Belleu, P. Delgoffe à St-Quentin, P. Lambert à Soissons d'où il a dû aller à Juvincourt pour quelques enfants de Premie­re Communion peu intéressants.

Vous me manquez beaucoup, mais quel plus bel usage pouvions-nous faire de notre affection naturelle que de la sacrifier à un amour plus grand pour étendre le domaine de la foi! Si nous pensons qu'il a fallu toute la Passion pour expier le péché, pouvons-nous regretter patrie, pa­tents, amis, aises de la vie, si nous avons seulement diminué d'un seul le nombre des péchés mortels? Prenons la résolution de nous retrouver aux heures de l'Angelus pour le renouvellement de nos voeux et l'action de grâces à Marie de ce qu'elle nous a aimés plus que tant d'autres. Pen­sons aux huit millions de marins dispersés sur la mer, aux milliers de Chinois qui vont mourir à Panama pour un morceau de pain…

Je suis fidèle à mon rosaire à cause de vous».

9 août 1889. - «J'ai été à notre distribution des prix le 29 juillet à St­Quentin, on a eu vingt-deux succès au baccalauréat dans l'année. - Comme votre sort est digne d'envie! Voilà toujours mon refrain, faire des sacrifices pour l'amour de Notre-Seigneur, souffrir pour lui, c'est le plus grand honneur et le plus grand bonheur possible sur la terre. Réjouissez-vous donc et prenez garde de perdre de si grandes richesses par un manque de soumission, d'obéissance, par une susceptibilité com­me ont facilement ceux qui subissent le soleil dévorant des Antilles…

Le 31 juillet, jour de la fête de S. Ignace, nous avons eu une grande promenade pour les novices jusqu'à Coucy-le-Château en passant par Prémontré. - Du haut de la tour de Coucy, je revoyais mon clocher de Terny, la route de Clamecy, de Juvigny…

Le gardien que nous avons connu s'est jeté du haut de la tour. Que de gens se précipitent en enfer! Ah! sacrifions-nous pour eux! Sacrifions nos vies, s'il le faut, avec notre Sauveur qui nous a arrachés de vive force à ce pauvre monde».

19 août 1889. - «Le Très Bon Père Supérieur vient de me raconter qu'étant allé faire sa retraite à Sept-Monts dans l'Allier et sur le chemin pour Paray, il s'était arrêté à votre chère maison de Cluny où il s'est ré­clamé de votre nom pour dire la messe: une petite Soeur qui était à Paris lors de votre départ l'a reçu; il a fait une allocution au Petit Noviciat, où toutes les élèves réclament d'aller vous rejoindre et de vous remplacer au besoin; cette reconnaissance de famille m'a touché jusqu'aux larmes.

Nos Pères de l'Equateur ont eu des difficultés à Cuença, ils iront à Portoviejo.

Voilà dix ans depuis votre profession, j'ai dit un Te Deum pour remer­cier Notre-Seigneur de ce qu'il vous a jugée digne de souffrir pour lui gagner des âmes…

A Quito, on ne nous laisse pas le soin et l'honneur de construire la Ba­silique votive du Sacré-Cœur, quoiqu'il y ait eu un traité signé avec le président Florès et l'archevêque. Les Pères X. X. ont fait valoir des pro­messes antérieures.

Le P. Foy, dominicain, a trouvé vite une chapelle pour nos Pères et la population leur témoigne beaucoup de sympathie. - Ils auront le sémi­naire de Portoviéjo.

Dimanche dernier, le Très Bon Père Supérieur avait été repris de ses crachements de sang; nous l'attendons cependant pour dimanche, 8 sep­tembre, pour la cérémonie de plusieurs postulants et novices. Je vous si­gnale une partie de nos peines, afin que vous en deveniez plus fervente et plus patiente.

Le P. Blancal qui nous a prêché la retraite s'est révélé supérieur en doctrine et en talent.

Le 28 août, j'ai été m'installer à Soissons pour la seconde retraite, prêchée par Mgr Belouino, de Saint-Malo, résidant à Paris.

Mgr Duval est nommé à l'évêché de Soissons.

A Fourdrain, c'est la petite histoire des paroisses que vous avez bien connue: un chantre scandaleux qu'il faut renvoyer, un autre qui démis­sionne: des malades au bord de la tombe auxquels on n'ose pas parler des sacrements.

Le saint Curé d'Ars exhortait souvent les âmes ferventes à se donner pendant quinze jours comme victimes pour les pauvres pécheurs et à ne pas se plaindre pendant ce temps. Cette union au Cœur de Jésus victime donne une grande paix».

7 oct. 1889. - «Il y a aujourd'hui douze ans que vous avez reçu le beau nom prédestiné que vous portez, Soeur Dominique du Rosaire. Ces douze ans de vie religieuse valent bien les sacrifices que nous avons faits! Qui peut calculer sans effroi les chances de chagrins et de péchés que recèlent douze ans de vie dans le monde.

Je suis passé par Vorges: M. Baheux est seul à la messe le dimanche, avec le maire, M. Paul de Hennezel. - M.le curé de Bruyères, un bon prêtre, a vu disparaître peu à peu tout le monde de son église depuis quarante ans…

Quand je revois la vallée de l'Ailette, je suis comme ma vieille sacristi­ne de Fourdrain qui est inconsolable de la perte de son vieux curé, qui est resté cinquante-quatre ans à Fourdrain et qui est mort à 87 ans. J'ai des retours inutiles sur le passé.

Nous avons perdu à St-Quentin M. Genty, vicaire depuis 1835, mort à 90 ans. Il a eu toute la ville à son enterrement, les rues étaient combles et l'église trop étroite. Les ouvriers lui disaient: «Papa Genty, on vous fera un bel enterrement», ils ont tenu parole, il y avait une centaine de prêtres.

M. Gilquin aussi est mort la semaine dernière.

Sous le couvert de madame la Marquise de Saint-Chamant, nous avons fait distribuer chaque jour cinquante numéros du journal La Croix à Crépy, Couvron, Brie et Fourdrain.

Les élections ont donné quatre députés catholiques dans l'Aisne.

Que vous dire de ma paroisse de Fourdrain? J'ai six garçons du catéchisme à la messe, sur vingt-deux. - J'ai fait un mariage le samedi des Quatre-Temps, tout en disant à la famille que cela ne porte pas bonheur. Le soir le feu prenait chez l'oncle du marié. Les gens de la noce ont fait la chaîne en toilette! Nous étions à vingt de la maison. - Je ne suis pas plus heureux pour les malades. - Nous avons célébré la fête de S. Lam­bert, évêque de Maestricht, avec un grand éclat: messe en musique! On a repris la procession des reliques du Saint qui n'avait plus lieu depuis soixante ans.

Il y a trente enfants à l'École Apostolique de Sittard, même chose à Clairfontaine, quarante-deux à St-Clément. Il y a dix soutanes à Four­drain. - Sauf quelques petits crachements de sang accidentels, je me porte bien…».

28 oct. 1889. - «M. le doyen de la Fère, qui revient de Rome, nous dit que l'on empiète de plus en plus sur les droits de l'Eglise. Le Saint Père est très affaissé. - Un des nôtres, P. Delloue, va étudier à Rome. Il reste ici une dizaine de novices et trois frères.

Nous avons fait de beaux offices à la Toussaint, il y a eu seulement quatorze communions, dont deux hommes.

J'ai été à Saint-Quentin le 21 octobre et j'ai dit la messe à l'autel du Rosaire. Saint Félix de Valois, saint Louis, sainte Brigitte, ont prié là».

5 nov. 1889. - «Je suis passé à Reims où j'ai eu un long entretien avec le P. Modeste. Il est bien cassé, usé, ne peut plus parler. C'est un ressort de moins pour notre œuvre. Il travaille encore, il écrit toujours…

Union à Jésus crucifié, à son divin Cœur, c'est notre unique force».

6 nov. Charly. - «Je suis venu pour prêcher une retraite aux enfants du pensionnat qui sont une trentaine. Les soeurs que vous avez connues vous disent leurs amitiés… Je veux vous dire mon impression sur la re­traite. Au plus vingt jeunes filles raisonnables. J'admire leurs études soi­gnées et leur disposition à la piété. En somme la retraite a été consolante. Cette bonne communauté n'a guère de novices: un seul voile blanc à la maison-mère. Plusieurs écoles ont été laïcisées. Les Frères sont renvoyés depuis l'année dernière. - Depuis quatre-vingts ans ces Soeurs élèvent les enfants et assistent les pauvres, et on ne songe qu'à les chas­ser!

M. le doyen est très zélé et fait tout ce qu'il peut.

L'évêque de Portoviejo est aux anges d'avoir nos Pères qui vont bien.

Les Pères d'X. X. n'ont pas été bénis à Quito. Leurs Pères envoyés là-bas ont pour la plupart quitté la Congrégation. C'est le P. Foy qui nous l'écrit.

Le Bon Père Supérieur vient d'aller pour quinze jour en Belgique et en Hollande où les maisons prennent de l'importance. Il a cependant l'air bien éprouvé.

Je ne suis pas pleinement satisfait de notre œuvre et pourtant je m'y sens rivé et je crois toujours que Notre-Seigneur interviendra pour nous rendre selon son cœur».

7 janvier 1890. - Rouen. - «Je suis venu donner le voile à Soeur Ma­rie de l'Immaculée Conception. Lucie Audierne (une cousine) qui a fait profession hier au Carmel de Rouen… Notre nouvelle professe était très gaie, fort épanouie, toute rayonnante de sainte joie, comme vous étiez le jour de votre départ pour St-Nazaire. La cérémonie des voeux se fait la veille, d'une manière privée. Je célébrai la messe à 9 heures et je com­muniai la professe. Ses Soeurs étaient à leurs stalles au choeur derrière la grille, elles étaient entrées au chant du Veni Creator. L'exposition de l'En­fant Jésus égayait le choeur. Messe en silence, pas de chants. Il y a des oraisons spéciales pour l'imposition du voile. Après les prières finales, je revêtis une chape d'une richesse épiscopale et m'assis à la grille; alors commença un dialogue chanté entre le célébrant et le choeur des Carmé­lites, puis ce fut une trilogie où la professe chantait les réponses de sainte Agnès, de sainte Agathe et de sainte Lucie en présence des bourreaux; enfin à l'antienne Veni Sponsa Christi, elle vint s'agenouiller à la grille pour recevoir une bénédiction détaillée dans des oraisons assez longues.

L'imposition du voile a lieu à la petite grille de communion, je lui mis ensuite la couronne de roses et pendant le chant du Te Deum elle alla s'étendre sur un tapis garni de fleurs sur les bords.

La chape blanche, les espadrilles blanches, le long voile noir, la bure rousse, s'harmonisent avec les fleurs; les plis arrangés, les bras en croix et par-dessus les rayons pétillants du soleil, un beau ciel bleu à travers les vitres, les voix du double choeur des Carmélites avec la mélopée étrange et douce de leur chant, tout cet ensemble, plein de poésie cachait les pointes du sacrifice; rien de théâtral, mais la belle simplicité de sainte Thérèse, dont un Père Jésuite, le Père Duponchel (condisciple du Très Bon Père) venait de retracer l'esprit et les vertus.

J'avais compté placer un petit discours, mais on avait déjà retenu le prédicateur quand on a songe à m'inviter pour la cérémonie.

J'ai été remercier tout à l'heure Mgr Thomas; Sa Grandeur m'a dit beaucoup de bien de notre Père Blancal.

J'ai visité la cathédrale et les souvenirs de Jeanne d'Arc. Il y a deux mille malades de l'influenza à Rouen, maladie étrange qui affaiblit beaucoup et qui varie à l'infini… A Fourdrain, en une journée, tous ceux de la maison étaient atteints sauf trois sur vingt-et-un.

Au Val tous les ouvriers tombaient l'un après l'autre, mais ils se re­mettaient en trois jours. Tous les établissements, collèges et séminaires sont fermés».

C'est bien la correspondance d'un saint prêtre et d'un bon religieux, dévoué au Sacré-Cœur jusqu'à l'immolation joyeuse pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.

Le Père se dépense sans compter et ses austérités, jointes aux fatigues de l'apostolat, useront son tempérament robuste et abrègeront sa vie.

======XXII Encore Fourdrain 1890

a sa soeur:

8 février 1890. - «L'un de nos Pères nous écrit qu'il a dû faire son en­trée dans l'une de ses églises, à l'Equateur, monté sur un âne pour tra­verser le bourbier qui obstruait l'entrée; jugez du reste, et c'est la Repu­blique de l'Equateur, où tout le monde est croyant. Ils nous décrivent leur soupe où fourmillent les insectes, leurs luttes, la nuit, contre les rats, pendant que les tigres viennent étrangler les volailles; ils nous parlent des scorpions qui se promènent sur les planchers, mais ce qu'il y a de mieux, c'est un peuple enfant dont on pourrait tirer parti… L'un des nô­tres est isolé à quinze heures de cheval des autres â Bahia de Caracuez; il faut braver les tigres, les serpents et le soleil pour aller le confesser. Il est curé, maître d'école, etc. un gracieux raisonnement à l'usage de vos élè­ves, quant elles vous voleront:

«Malheureuses! vous volez les fruits de Monseigneur.

- Mais ce n'est pas voler puisque c'est à Monseigneur.

- Comment cela?

- Tout ce qui est à Monseigneur, c'est pour nous, c'est comme si nous prenions quelque chose chez nos parents…».

A Rouen, j'ai pu saluer Mgr Duval qui partait pour Rome.

J'ai trouvé toute la maison malade à Fourdrain en rentrant. Personne n'a échappé. Nos jeunes gens ont eu une fièvre violente. Il y a eu à la fois soixante malades couchés à Fourdrain. Plusieurs en mourront.

M. Lenain du Nouvion et d'autres de nos amis sont morts de cette maladie…

Nous avons eu, il y a trois semaines, des ouragans qui semblaient ve­nir de chez vous, cinquante arbres ont été renversés dans notre parc.

Vous avez des accrocs de santé, fièvre, abcès, etc., rappelez-vous l'unique motif qui nous a déterminés dans notre vocation, «c'est qu'au­cun bien particulier n'est à comparer pour une âme avec le sacrifice au­quel la grâce de Dieu la pousse». C'est pour témoigner votre amour à Notre-Seigneur par le sacrifice, la souffrance, l'immolation de tout vous­-même, que vous êtes allée en Haïti, comme sainte Thérèse qui était prê­te à rester à la gueule de l'enfer jusqu'à la fin du monde, pour empêcher les âmes d'y tomber… Vous auriez pu rester avec moi pour m'aider, mais vous avez voulu aller en mission parce que là il y a plus à souffrir. Les âmes y coûtent de la sueur, du sang, des humiliations, de l'abandon, un martyre inconnu à tout le monde. Qui sait si je ne dois pas mon salut à vos sacrifices!

Nous avons à souffrir pour racheter notre famille et la pauvre France! N'est-ce pas à pleurer du sang? Plus de foi, plus de moeurs. Notre-­Seigneur vous regarde du haut de Montmartre, vous êtes sa victime, courage!

Vous souffrez, c'est l'unique apostolat qui puisse nous recruter les saints dont nous avons besoin; surtout, jamais un regret! Les chevaliers, autrefois, juraient de ne pas reculer sur le champ de bataille. Dites au Sacré-Cœur: «Si c'était à refaire, je le ferais encore. Prenez, Seigneur, mes membres, ma mémoire, ma volonté, ma liberté; donnez-moi votre amour, donnez-moi votre grâce, elle me suffit…». Demandez-lui des âmes, des mères de famille chrétiennes. Il faut quatre générations de chrétiens pour que la race produise des hommes. Continuez à semer dans les larmes, d'autres récolteront dans la joie…».

21 février 1890. Juvincourt. - Fête de la couronne d'épines. - (Grande épreuve: son frère est mort subitement, sans le secours de la religion. - Ses épanchements sont touchants, c'est un chapitre de Job…).

«Chère soeur, une méditation! Laissez-vous lier les mains, tendez les joues aux soufflets de la Providence, qui ne frappe que pour sauver et sanctifier les élus qu'il lui plaît de choisir. Fermez les yeux sous le ban­deau impénétrable de ses décrets qui ne peuvent jamais être que justice et bonté miséricordieuse. Sa miséricorde éclatera au grand jour de l'éter­nité! De grâce, ne blasphémons point par nos larmes et nos plaintes, par nos injustes défiances. Faisons un acte de Foi sur nos épreuves. Donnez votre tête à couronner d'épines… Etes-vous prête aux saluts dérisoires des démons?… Voulez-vous un coup du roseau ou du sceptre de la souf­france que votre divin Epoux vous a prêté?

Non, vous préférez comme sainte Catherine de Sienne la couronne d'épines qui ne se voit pas; votre front est prêt pour une épine choisie qui pénétrera au cerveau par l'idée fixe de la désolation. Allons, ne lisez pas plus loin, je vous veux toute calme: mettez-vous à genoux comme nous faisions ensemble sur la tombe de notre chère maman, pour remercier Dieu de votre vocation, pour renouveler nos voeux, notre voeu d'immolation.

Notre-Seigneur vous a envoyé la fièvre pour augmenter votre sensibi­lité; vous avez souffert dans votre corps, c'est bien! Vous avez tout quit­té, vous aurez le centuple, mais vous n'avez pas encore pénétré l'inté­rieur du Cœur de Jésus, laissez-le entrer dans le vôtre par une plaie ou­verte à un endroit sensible;… imaginez la désolation de ce divin Cœur qui voit les âmes se perdre, les âmes qu'il aime tant, voyez-le pleurant… Misereor… Vous avez goûté l'ingratitude des œuvres, les dessèchement du cœur dans la vie de communauté; c'est déjà une préparation à une plus grande ressemblance avec l'Intérieur du Cœur de Jésus, qui n'a été que désolation. Comme il pleurait sur la tombe de Lazare où il voyait l'image du juif obstiné! Quelle désolation pendant l'Ecce homo et surtout au milieu des ténèbres sur la croix! …

J'ai demandé expressément à Notre-Seigneur le salut de mon frère, offrant ma vie pour cela, renonçant à la consolation passagère de goûter le bonheur de sa conversion, pourvu qu'il fût sauvé au moins au dernier jour et qu'il fût alors avec nous dans la joie céleste.

Je regarde le tableau du Cœur immaculé de Marie, qui est là dans le petit cabinet, puis votre portrait d'enfant et une image de la compassion de Marie à l'ensevelissement du Sauveur. J'ai donc confiance quand même! Je suis un grand pécheur qui ai mérité l'enfer, mais je jure que Dieu est bon. Courage et à l'œuvre pour racheter son âme… Depuis le mois de novembre, il ne s'était pris de boisson que deux jours, le 2 et le 3 janvier, tout le monde se réjouissait. Il a plu au Bon Dieu de nous don­ner une grande leçon. Le mercredi des cendres, 19 février, après avoir passé la nuit jusqu'à 3 heures du matin avec des parents en visite de no­ces et de mardi gras, il était resté la tête bien saine, jouant aux cartes honnêtement, insistant pour qu'on reprît les revanches le mercredi soir. Ce jour-là se sentant fatigué à sa batteuse, il alla se coucher vers midi, Clémence et Claire allant de leur côté chez Payen-Bossut. Le fils Payen et le nouveau cousin de Bouconville vinrent à 3 heures et demie du soir pour lui faire leurs adieux et lui dire qu'on ne se réunirait pas le soir. Ils le trouvèrent sans mouvement et couché tout raide, la tête sur le bras. Il parut remuer la bouche deux ou trois fois, ses traits congestionnés se décolorèrent dès qu'on l'eut changé de position. Son corps est là dans le ca­binet où j'ai fait ma méditation ce matin. J'y ai passé la nuit précédente avec le fils Payen, qui me paraît un brave garçon…

C'est une grande désolation dans Juvincourt…».

22 février. - «Me voici rentré à Fourdrain. Je médite sur l'Indifféren­ce de saint Ignace et la voie d'épreuves préférable à celle des consola­tions. Impossible d'écrire, la main tremble, le cœur se contracte. J'ai été à Neufchatel après l'enterrement. Le juge de Paix et M. Piot m'ont dit des paroles de foi pour compatir à notre douleur sur cette mort subite et malheureuse.

Je n'ai pas le courage de vous énumérer mille petits détails: la dépêche fatale, reçue à sept heures et demie du soir, après une course de 8 lieues, le voyage à Crépy la nuit, des nuits sans sommeil, la désolation que je sens pour la vie. - Mon frère montrait volontiers la médaille de la Sain­te Vierge qu'il portait par intermittence.

Notre Bon Père Supérieur m'écrit: «Bien cher ami, cette mort subite et sans sacrements est bien pénible, cependant il ne faut pas désespérer du salut de votre frère. Il était croyant, il priait. La miséricorde de Dieu est grande pour les mourants. Votre consécration au Sacré-Cœur est un gage de salut pour tous les vôtres…».

24 février. - «Voilà aujourd'hui treize ans que vous m'avez quitté. Le souvenir de ce sacrifice et la circonstance du mois de saint Joseph doi­vent nous rendre la joie spirituelle.

Le Bon Dieu ne frappe que pour sauver ses élus. Plus les coups nous affligent, plus il faut y voir le dessein arrêté de notre salut… Courage et confiance. Cherchons à nous sanctifier».

7 mars 1890. - «Notre grande épreuve m'est arrivée juste douze ans, jour pour jour, après ma première démarche à St-Quentin: le Bon Dieu nous a pris au mot pour l'immolation.

M. le curé de Juvincourt m'a conduit à Amifontaine, il allait au de­vant du Père Renouf qui venait prêcher la mission. Je l'ai rencontré à Laon pas trop animé; ce bon Père n'a jamais prêché que dans des pays de foi. Quelle dérision de la Providence! Alors que je comptais sur cette mission pour la conversion de ma famille.

J'ai assisté, le jeudi soir à l'instruction du Père Renouf; il y avait vingt hommes et cinquante femmes; le pauvre Père est démonté et découragé à faire pitié. Il avait fait mettre la statue de la sainte Vierge dans le choeur, sur un trône de lumière: il avait pris pour thème la dévotion à Notre-Dame du Sacré-Cœur.

Je quittai l'église à 8 heures 5; à 9 heures, j'étais à Guignicourt, à 11 heures à Fourdrain.

Je ne puis que vous recommander de chercher votre unique consola­tion en Dieu, en Notre-Seigneur, au pied de la Croix, au pied du Taber­nacle; l'esprit consolateur n'est point de l'homme, mais de Dieu.

Adorons ce que nous ne comprenons pas et confions-nous en l'immen­se miséricorde de Dieu. - En vous écrivant, j'ai la photographie de no­tre chère maman sur mon papier, son sourire me console, elle a prié et je ne puis douter de son sourire au ciel; elle voit notre affliction et ne s'en émeut pas, sachant que tout cela est mérite et voyant la récompense.

Le noviciat est pauvre, j'ai dix francs en caisse pour nourrir quinze personnes pendant un mois. Saint Joseph aidera.

Gabriel Soufflet devait venir avec nous, on l'en a détourné à Soissons. - Il ne s'agit pas de mourir de chagrin, mais de vivre pour souffrir, lut­ter et nous dévouer.

Toujours fiat! C'est bien, mon Père, puisque telle est votre volonté. Ne considérez pas ma sensibilité, mais les intérêts de votre gloire: la sanctification de ma soeur, le salut des âmes qui me sont chères…».

8 avril. - «Il nous faut à tout prix l'égalité d'âme extérieure et inté­rieure, il faut la demander l'un pour l'autre.

Nous avons perdu trois de nos meilleures Soeurs de St-Quentin: Soeur Marie-Xavier qui avait accepté de mourir plutôt que de sortir de la vie religieuse et cela dès son postulat. - Soeur Marie-Saint-Paul, elle s'intéressait à Claire, elle était depuis dix ans l'institutrice de nos enfants et avait autrefois dirigé la maison de Molain.

Enfin en quelques jours, un retour d'influenza a enlevé Soeur Marie­Oliva qui dirigeait le matériel de l'Institution Saint Jean, depuis douze ans. C'était la belle-soeur de la Chère Mère.

A Juvincourt, après le recours à Notre-Dame du Sacré-Cœur, tout changea et la mission fut bien suivie. Il y avait quatre-vingts hommes à l'instruction et toutes les femmes. On faisait jusqu'à trois exercices par jour, et le soir à 8 heures pour les hommes seuls. Au dernier dimanche, le quatrième de Carême, on a eu quatre cents communions, dont qua­rante hommes, vingt-trois fort en retard.

Mon frère me disait après le siège de Soissons: Tu ne prêcheras jamais comme une bombe. Il a fait l'office d'une bombe pour toutes les femmes de la famille. Parmi les hommes, le cousin Rasset-Plaideux en tête et bien d'autres…

La clôture a eu lieu le 19 mars, fête de saint Joseph, juste le Saint du mois.

Tous les curés du canton sont venus avec M. le doyen qui a béni une belle statue de saint Joseph.

A la prière! A la prière! Chère soeur, c'est tout ce que nous pouvons faire dans la situation».

13 mai 1890. - «Etant ce matin à Notre-Dame-de-Liesse, pour les fu­nérailles de M. Berge, j'ai célébré la messe avec une douloureuse conso­lation. J'avais demandé l'autel St-Joseph, il était occupé, l'enfant me conduisit au nouvel autel des Ames du Purgatoire. Je dis la messe de M. Bergé, suivant la demande de M. l'économe. Vos papillons noirs me re­viennent (qui vous avaient suggéré la prière pour les morts); ils seraient donc un indice du salut de l'âme de mon frère - a-t-il pu être sauvé dans cette mort subite et imprévue? Tout à coup l'émotion que je ne connaissais plus depuis trois mois me gagne, j'avais eu le cœur fermé, insensible comme une pierre. Jamais le diable n'aurait eu le pouvoir d'aller vous faire prier pour les âmes du purgatoire, si mon frère était damné! Ce serait le mensonge, un mal pour procurer un bien.

Mes larmes ont coulé toute la messe.

Après l'enterrement j'en ai parlé avec M. le Curé de Juvincourt qui est de mon avis. De plus, Alexandrine, la nièce de M. Bergé, m'a racon­té que mon frère se proposait de venir se confesser à M. Bergé pendant la mission; il devait la conduire avec lui à Notre-Dame-de-Liesse pour voir son oncle et d'autres circonstances qui témoignent de ses bonnes dispositions.

Je suis revenu de Notre-Dame-de Liesse avec une douce confiance que la Très Sainte Vierge l'avait sauvé malgré tout, et cette pensée me fait autant de bien que la pensée contraire m'avait causé de froid et de découragement.

M. le chanoine Berge avait demandé à la Sainte Vierge de mourir à l'église: samedi, pendant un orage, il était venu au mois de Marie mal­gré les objections, disant: «C'est aujourd'hui samedi». Il est tombé au milieu de l'exercice; le Père curé lui a donné l'absolution, on l'a trans­porté à la sacristie où on lui a fait les onctions, après quoi il mourait tout aussitôt. Il y avait une centaine de prêtres à l'enterrement».

5 juin. - «Dimanche de la Fête-Dieu, nous avons eu une belle proces­sion du Très Saint Sacrement, trois reposoirs.

Les enfants qui ont fait la Première Communion sont venus commu­nier ce matin sauf sept garçons. - M. Julien, de Saint-Quentin, est ve­nu communier ce matin pour assister à nos processions; il est toujours ardent comme lorsqu'il venait nous voir à Sains. Hélas! il a 78 ans, ces types de fancs-chrétiens disparaissent.

Nous lisons la vie de saint Vincent de Paul. Il avait une double préoc­cupation: les pauvres et les missions. «Dans cent ans, disait-il, en 1660, la foi aura disparu de la France (C'est arrivé socialement). Il faut nous occuper de transporter l'Eglise dans les pays nouveaux, où elle est ac­cueillie…». Vous avez cette belle part: contribuer à christianiser ces pau­vres populations d'Haïti…».

7 juillet 1890. - «Les études de nos jeunes gens sont bien entravées. Pour n'avoir qu'un an à passer à la caserne, il faudra que nos jeunes gens aillent d'abord au grand séminaire. Après la caserne, il faudra en­core rentrer au séminaire. Pour ceux qui auront terminé, on usera d'ex­pédients…

Saint Joseph a payé 7.000 francs depuis le mois de janvier pour la maison de Foudrain.

Le dimanche 14 juin je prêchais la Première Communion à Sept­monts.

J'ai passé la semaine à Belleu chez le pieux abbé Pomera, pour prépa­rer les enfants à la Première Communion et à la Confirmation.

J'ai passé au grand séminaire; les anciens élèves de l'Institution Saint­Jean sont venus me voir: ils forment un groupe intéressant.

Pour notre société, il est question d'accepter la direction d'un peleri­nage de la Sainte Vierge à Marsanne (Drôme).

Mgr Duval se tient sur la réserve.

Le Très Bon Père m'écrit que ses finances sont en voie d'amélioration et qu'il n'y a pas à s'émouvoir».

Tout ce chapitre est rempli par le récit de la grande épreuve: la mort subite de son frère! Ses larmes sont touchantes, mais sa foi est admira­ble. Une mort si triste n'a dû être qu'une épreuve extérieure. Le pauvre défunt a dû se reconnaître au dernier moment et se repentir de ses fautes avant de mourir. Les sacrifices généreux de son frère et de sa soeur, voués tous deux au Sacré-Cœur et à la réparation, ont dû obtenir son sa­lut.

======XXIII Fourdrain et missions 1890

a sa soeur

10 juillet 1890. - «Vous n'êtes pas oubliée à vos anniversaires qui me font du bien. Je prie mieux ces jours-là.

Je suis allé hier à Saint-Quentin. Je n'avais pas vu le Très Bon Père depuis le mois de novembre. Il y a sous la direction du Père Blancal un groupe assez compact à notre maison du Sacré-Cœur.

L'Ecole apostolique de Fayet va bien aussi; les professeurs sont au­jourd'hui d'anciens élèves».

5 août. - «J'ai été, le 29 juillet, à la distribution des prix du petit sémi­naire de Liesse, présidée par Mgr Duval.

Le surlendemain j'étais à Saint Quentin pour la distribution des prix à Saint Jean.

Le Révérend Père de Pascal est venu nous voir à Fourdrain, il est lan­cé dans le mouvement de Paris par l'œuvre des Cercles catholiques; se­lon lui nous allons inévitablement à la guerre avec toute l'Europe contre nous?? En tout cas, nous allons à l'infidélité.

- A Portoviejo un seul homme a fait ses Pâques, c'est loin d'être un pays de cocagne.

- La triple chaîne de la loi militaire, de la loi d'enseignement et de l'impôt sur les communautés, accomplit son œuvre de destruction de l'Eglise en France.

Je viens de payer 800 francs d'impôts à Fourdrain et nous ne sommes pas encore déclarés comme société religieuse, mais on va nous inquiéter à ce sujet.

J'ai en ce moment trois sous pour toute avance, mais j'ai deux vaches, trois veaux, cinquante canards, vingt oies, soixante poules, deux porcs, soixante lapins. Notre jardinier est allé faire ses adieux en Savoie avant de partir pour l'Equateur; notre cuisinier, hier, était prêt à nous quitter; le Bon Dieu permet que j'aie des contrariétés suffisantes pour ne pas trouver de satisfactions dans le château des ducs de Brancas, Prince de Polignac, Marquis de Turenne, comte de Nicolaï, etc., etc.

Notre retraite générale aura lieu à Fourdrain du 31 août au 7 septem­bre.

J'ai eu la faiblesse de faire des recherches sur le père de papa Doudan (son grand-père maternel); il s'appelait Jean-Baptiste; sa fin a dû être bonne, il devait avoir de 40 à 50 ans: (Il laisse soupçonner un mystère sur ses antécédents). Veillons jusqu'au bout. Prenons garde au découra­gement.

J'ai pour m'édifier un confrère, neuf séminaristes et quatre frères dont je suis le confesseur et dont plusieurs sont des saints. Priez pour eux afin que je les édifie constamment. Je crois ne vivre que de vos souffran­ces et de vos prières».

12 août 1890. - «J'ai eu pour notre cher anniversaire (mort de sa me­re), la visite d'un ami, ancien professeur de mathématiques à l'Institu­tion Saint Jean, et de son frère, ancien élève, aujourd'hui professeur au lycée de Laon, mais demeuré fidèle aux principes reçus près du Très Bon Père. Georges Lefèvre venait voir son ancien condisciple, le frère Paulin Delloue, qu'il n'avait pas revu depuis sa sortie de l'école poly­technique… La nuit, je me réveillai subitement à la pensée que je n'avais guère prié pour notre chère défunte. Je me levai à minuit pour réciter les Matines de sainte Radegonde, me souvenant d'avoir dit le même office quand cette chère maman était au presbytère de Clamecy en 1874».

13 août. - «Nous partons de Fourdrain à 4 heures à pied pour faire les quatorze kilomètres qui nous séparent de Laon; nous allons en pèlerina­ge à Saint-Joseph de Saint-Martin. J'ai dit la messe votive de Saint Jo­seph.

Neuf de nos séminaristes ont pu y faire la sainte communion. Nous vénérons ensuite la relique insigne exposée de saint Laurent, martyr, c'est tout le bras gauche grillé avec la peau adhérente. Nous déjeunons sur la route de Bruyères; nous visitons l'église avec ses parties anciennes du Xe au XVIe siècle. On dîne chez M. Sobriet avec les provisions ap­portées. Les plus intrépides filent sur Presles, vieille église des XIe et XIIe siècles. - ils escaladent la montagne pour visiter le château, rési­dence des Templiers. Tours intéressantes, restes délicieux du XIIIe sie­cle; vue splendide des plaines de Laon, jusqu'à Saint-Quentin, Anizy, etc. - Nous descendons à Nouvion-le-Vineux: clocher merveilleux du XIe siècle et morceau d'une pièce complète de sculpture du XIIe siècle, sous Henry Ier. - Nous faisons un saut par Laval, Chivy, Etouvelles, Clacy, en contournant Laon au Sud et après six kilomètres nous sommes à Mons-en-Laonnois; splendide église à laquelle il manque deux travées, détruites par les habitants de Crépy, sous la Ligue. L'abbé Vilfort, mon prédécesseur à Fourdrain, devenu curé de Mons, nous reçoit. Il reste onze excursionnistes, deux sont repartis.

Je m'attarde à l'église de Mons et je me perds dans les bois; cependant j'arrive avant les autres, une voiture d'occasion m'ayant aidé et sauvé de la pluie…».

25 août. - «J'ai passé la semaine dernière à la retraite ecclésiastique de Soissons, où il y avait deux cent vingt-cinq prêtres.

Mgr d'Hulst prêchait avec son beau talent. Il est désigné pour les con­férences de Notre-Dame».

28 août 1890. - «Notre retraite annuelle a été prêchée par notre Père André Prévost de Sittard; il y avait quatorze prêtres et vingt-six sémina­ristes ou frères. C'était le paradis terrestre que notre maison de Four­drain pendant ce temps-là. On s'est retrouvé unanimes dans les mêmes sentiments; trois prêtres et deux séminaristes ont fait leurs voeux perpé­tuels, d'autres ont fait leurs voeux annuels ou les ont renouvelés. Un Chemin de la Croix a été érigé dans une allée du parc. On sentait la fer­veur. Il y avait huit messes par jour dans l'église de Fourdrain. Un veau entier a servi à nous nourrir.

Depuis lors tous ceux qui ont fini leur année se dispersent peu à peu pour aller à leurs études où à leur emploi.

Je viens d'essayer à la paroisse une neuvaine à saint Lambert. La pro­cession des reliques a été splendide. J'avais fait imprimer et distribuer un programme.

Notre Père Delgoffe, un de nos bons missionnaires, a très bien prêché le dimanche et le lundi.

Le Père Lobbé, qui revient de Lourdes, nous a raconté ses impres­sions et les dix guérisons miraculeuses qu'il a constatées de ses propres yeux; un enfant de dix ans, qui n'avait jamais été capable de se tenir sur ses jambes, a été guéri pendant qu'il lui parlait; je soupçonne bien que ses prières n'y ont pas été inutiles. Il y avait dix mille pèlerins, dont trois mille du Nord et du Pas-de-Calais. - J'aurais bien voulu que saint Lambert nous gratifiât d'un petit miracle. Le seul qu'il ait fait a été une pluie torrentielle qui a empêché la danse les deux premiers jours de la fê­te.

Je vais à Notre-Dame-de-Liesse pour une réunion de l'Œuvre des Cercles.

Notre Très Bon Père va aller à Rome en novembre, il a des sujets de soucis et de chagrins à l'écraser.

M. Dequin est nommé supérieur du grand séminaire et M. Bran­court, vicaire général.

Je vais aller prêcher le Rosaire à Vieils-Maison, du 19 octobre au 2 novembre. Cette mission doit décider de ma vocation, je me crois appelé à évangéliser les paroisses déshéritées du diocèse; si j'obtiens un certain succès, je continuerai. A vous de prier dans ce sens; faites prier vos Soeurs et vos enfants.

Les épreuves se succèdent comme les orages dans le ciel qui reste bleu et pur; ainsi en est-il dans notre œuvre; en attendant, la moisson germe et la Providence donnera le beau temps pour la récolte.

Quelques bonnes vocations s'annoncent…».

23 oct. 1890. - Vieils-Maisons. - «Me voici donc en pleine Brie où j'ai la témérité d'essayer une mission, à Vieils-Maisons, chez M. l'abbé Venant. Les Lazaristes y ont donné une mission, il y a vingt-deux ans. Aujourd'hui, le progrès a continué à faire le vide autour du prêtre; on vend les journaux de Paris. Le commerce est prospère. Tout le monde est froidement poli. Je place des images du Sacré-Cœur dans les mai­sons; j'ai confessé les petites filles de l'école qui est tenue par les Soeurs de Charly; les petits garçons n'ont pas encore voulu venir au catéchisme. Ce matin, j'ai eu un auditoire de trois femmes. Le soir, il y a eu depuis dimanche douze à quinze personnes raisonnables. Enfin, hier, il y avait quatre hommes…

Pendant que je suis ici, le P. Delgoffe prêche à Brie une neuvaine à Saint-Quentin, qui en est le patron oublié; cette petite paroisse était au­trefois fort intéressante, par la simplicité et la doctrine des habitants et l'intelligence des enfants.

La rentrée des classes à l'Institution Saint Jean est de deux cent soi­xante élèves, dont cent et vingt pensionnaires.

Je suis passé à Reims, samedi dernier 18 courant et j'ai dit la messe à la Visitation. Les bonnes Soeurs étaient encore dans l'enthousiasme du centenaire de la Bienheureuse Marguerite-Marie; la chapelle n'avait pas désempli pendant l'adoration du Triduum; même affluence à toutes les chapelles de la Visitation dans toute la France; à Montmartre, à Paray surtout, c'était des foules.

Bon courage! Relevez-vous toujours par l'union au Sacré-Cœur; pre­nons dans ce trésor de miséricorde de quoi combler nos lacunes…».

6 décembre 1890. - «Je suis à Chivres depuis trois semaines, donnant les Exercices du Rosaire chez un pauvre curé malade; je retourne chaque semaine à Fourdrain où je vais lundi pour cinq jours.

J'ai quitté Vieils-Maisons le 4 novembre; la mission n'a eu d'autre ré­sultat que la confession des petites filles de l'école et celle de M. Adam­Demarle, ancien commissaire de Soissons.

J'ai été souvent à Notre-Dame-de-Liesse où j'ai prié pour vous de tout cœur.

Notre Bon Père Supérieur est parti pour Rome, il m'a écrit de Paris et s'est arrêté à Notre-Dame de Fresneau.

Nos pauvres Pères de l'Equateur sont bien à plaindre. Ce sont des vic­times. Des neuf Pères d'Issoudun qui les ont remplacés à Quito, il ne reste que le Père Barral.

Les nôtres ont eu beaucoup à souffrir de leurs allées et venues, des re­buts, etc.

23 décembre 1890. - «C'est fait. Nous allons nous établir dans l'ancien prieuré d'Oulchy-le-Château pour essayer d'y faire une œuvre. Je de­viens doyen et je reste religieux. - Notre chère maman, dans notre der­nière entrevue m'avait recommandé de ne rien faire pour chercher à être doyen, parce qu'elle avait remarqué que ces messieurs ne font pas plus de bien aux ormes que les autres; elle ajoutait, et vous la reconnaissez bien là avec sa faiblesse: «Si cependant le Bon Dieu a ses desseins!».

Notre Bon Père Supérieur a été reçu en audience privée le 14, par Léon XIII, qui l'a reconnu et lui a dit: «Vous êtes déjà venu me remer­cier du Bref que je vous ai donné, il y a deux ans».

En attendant, la loi hypocrite de spoliation des communautés est votée.

J'ai clôturé les exercices du Rosaire à Chivres avec trente confessions, trois retours.

Je suis venu recommencer pour Machecourt où je vais deux fois par jour. Ce matin seize communions, un retour; pas d'hommes. Une dou­zaine viennent cependant aux instructions, trente dimanche».

- Les lettres du Père vont me manquer pour les douze années qui suivent. Du reste elles étaient moins fréquentes. Sa Soeur et lui avaient voulu, en esprit de mortification et de détachement, réduire leur cor­respondance à trois ou quatre lettres par an.

La note caractéristique de cette année 1890, c'est son grand deuil pour la mort subite et inquiétante de son frère. Il s'efforçait cependant de re­prendre confiance.

Au 24 avril 1890, il écrivait dans ses notes: «Je me suis trop laissé aller à l'abattement par suite de la mort de mon frère et je n'ai pas assez réagi par la prière. Je le revois dans mes rêves, plein d'affection et de prove­nance pour moi, comme la dernière fois que nous nous sommes quittés, cependant je n'oublie pas son affreuse mort.

La pensée de sa damnation me décourage, m'éloigne de Dieu: au con­traire, l'espoir de son salut, malgré les apparences, me donne de l'élan, m'anime à la régularité, me donne du courage spirituel; ce dernier effet ne pouvant provenir d'une illusion mensongère, je veux me comporter comme si j'avais l'assurance que mon frère est au fond du Purgatoire et qu'à chaque instant je puis le soulager, le consoler et lui être utile.

Je ne puis d'ailleurs m'expliquer comment, ayant toujours dans la mémoire et l'imagination ses tristesses et sa triste fin, je puis avec cela le revoir en songe avec joie, douceur et consolation».

Il a écrit de bonnes notes sur la retraite donnée à Fourdrain en 1890 par le Père André.

Fondement: «Dieu ne se repent-il pas de m'avoir créé, de m'avoir ad­mis dans le sacerdoce, dans l'œuvre où je suis? quelles douleurs de cœur j'ai causées à Jésus, mon Sauveur!».

Sur l'abandon: «A la base, l'indifférence; au milieu, la confiance, la conformité à la volonté de Dieu; au sommet, l'amour de Dieu dans la paix et dans l'union».

Le Règne du Cœur de Jésus par l'humilité, discite a me… «Le cœur de l'homme est trop enclin à l'orgueil pour se laisser gagner à l'humilité par des raisonnements philosophiques; il fallait les exemples d'un Dieu hu­milié qui prît l'homme par le cœur pour ne pas le révolter.

On arrive à l'humilité par les humiliations bien acceptées. Pratiques: Recevoir en silence les avis et corrections; bien faire le compte-rendu de conscience… ».

Résolutions: A negotio perambulante in tenebris et a daemonio meridiano. Les heures lourdes de l'après-midi me sont une occasion de torpeur et de lâ­cheté; elles ont perdu mon frère.

Si je passe comme il faut ces trois heures, mon année sera bonne:

Récréation animée et charitable;

Visites aux malades; courtes visites de nécessité;

Vêpres à l'église quam primum, exercices en retard, chapelet, pieuse lecture à l'église ou en promenade.

Ranger ma chambre et mes papiers.

Matines à l'église.

Penser à la mort à 3 heures…

Ce fut pour lui une année fervente.

Il écrivit souvent de pieuses notes, en particulier sur le mystère de l'ensevelissement du Sauveur: «Je dois recevoir Jésus-Christ et l'enve­lopper dans toutes les facultés de mon âme, l'environner d'affections pieuses, le corps doit être vierge et le cœur pur pour recevoir le corps vierge d'un Dieu dans l'Eucharistie… Ce sont de redoutables mystères auxquels il faut se préparer, pendant lesquels il faut être recueilli, après lesquels il faut continuer à s'entretenir avec Jésus-Christ. - Il faut lui apporter les aromates de la dévotion, le baume de la paix, l'odeur des saintes pensées.. et particulièrement la myrrhe des mortifications inté­rieures et extérieures. - Centum libras, nous n'en aurons jamais assez à offrir.

- Cum ipso sum in tribulatione. Jésus est avec nous quand nous sommes éprouvés: être dans la tribulation pour le corps par la souffrance, les mauvais traitements, les pertes de biens; pour l'âme par l'humiliation, l'insuccès, la perte de la réputation, l'hostilité injuste, la défection des amis, les soupçons, les accusations, la publicité des fautes commises, c'est être proche de Dieu, de Jésus-Christ».

Voilà bien la note caractéristique de cette année: Cum ipso sum in tribu­latione (Ps. 90). Dieu est près de nous quand nous sommes dans la tribu­lation: il est si miséricordieux! Dieu a permis la grande épreuve du Père, la mort inopinée de son frère, pour le jeter à fond dans l'humilité, la prière et la confiance invincible. Cette année a été bonne. Il a tant senti le besoin de prier, de se sacrifier et d'aimer Notre-Seigneur pour obtenir le salut de cette âme si chère et pour soulager ses souffrances au purga­toire!

======XXIV Oulchy-le-Château 1891-1893

Le voilà doyen à Oulchy-le-Château.

La pansée de Mgr Duval a été d'essayer un groupe de prêtres reli­gieux pour ranimer la foi dans cette région paralysée par le matéria­lisme.

Oulchy-le-Château est une bourgade de sept cents habitants, avec deux chapelles dépendantes, Oulchy-la-Ville et Cugny.

C'est un ancien prieuré avec une grande église intéressante du XIVe siècle et un presbytère trop vaste qui a servi de petit séminaire après la Révolution.

La Père Rasset a eu deux de nos jeunes prêtres pour auxiliaires, le Pè­re Waguet et le Père Noiret. Ils ont essayé deux ou trois élèves de voca­tion tardive.

Le Père Rasset est resté là plus de deux ans. Il a bien travaillé sans grands succès. Il prêchait, il catéchisait. Il essayait de belles cérémonies, le peuple est resté froid.

1891

Le 11 janvier 1891, sa soeur lui écrivait de Port-au-Prince: «Courage et confiance dans la bonté de Dieu! Pendant huit ans j'ai partagé vos dé­sirs: ensemble nous avons constaté ce besoin de la vie de communauté pour les curés. - Je prie beaucoup pour vous et vos œuvres! … Puisque je ne puis plus avoir ma part active dans vos travaux, j'y veux au moins la part de Marie, le concours de la prière… N'oubliez pas que vous de­vez la guérison de votre gorge à notre chère Mère Fondatrice… Je n'ai pas oublié votre Bon Père pour la fête de Saint Jean. Je me réjouis de la bonne marche de vos affaires à Rome.

Le 16 février 1891, c'est la supérieure générale des Soeurs de Saint­Joseph, la Mère Marie Basile, qui lui écrit: «Depuis que la vie de notre vénérée Mère Fondatrice a été publiée, plusieurs personnes ont été com­me vous inspirées de s'adresser à elle pour en obtenir des grâces et sur­ tout des grâces de guérison: nous en conservons précieusement les relations. Vous trouverez ci-joint, - mon Révérend Père, des cheveux de notre Sainte Mère. Puisse son intercession obtenir à ce prêtre malade qui vous intéresse la santé et les forces pour qu'il puisse se livrer aux travaux du saint ministère.

La Divine Providence, par la voix de votre évêque, a voulu mettre vo­tre zèle à l'épreuve en vous confiant une triste paroisse. où la foi est pres­que éteinte, puisque vous pouvez compter, et en bien petit nombre, ceux qui assistent encore à la messe, mais en qualité de prêtre de la Société du Sacré-Cœur, vous saurez trouver le secret pour faire refleurir la religion et rallumer le feu sacré au sein de cette pauvre population. Nous le dési­rons vivement et nous le demandons dans nos prières…».

Sa bonne soeur lui écrit plusieurs fois dans l'année pour lui demander des ornements et des objets du culte. Il trouve des bienfaiteurs et envoie ce qu'il faut.

En septembre, il suit la retraite prêchée par le Père Blancal. Il écrit ses notes sur la mort, le pêche, le sacrilège, la grâce de Dieu, la tiédeur.

Sur la mort: 1° Certitude de la mort; 2° Incertitude du temps, des au­tres circonstances; 3° Nécessité d'être prêt, toujours prêt.

Ce doit être le fruit de ma retraite.

Il me faut ma méditation d'une heure, quam primum, autrement je per­drai de vue les grandes vérités de la foi et les mystères de Notre­-Seigneur. Je risquerais de n'être pas toujours prêt à la mort.

Le plus tôt possible, mon office; si j'allais mourir!

Avant les lectures des journaux et des choses distrayantes, mes comp­tes, mes notes, mes papiers à classer…

Avant de sortir, suis-je prêt à m'en aller pour ne plus revenir?

Avant une occupation, étude, jardinage, etc., n'ai-je point quelque chose à mettre en ordre? si j'allais mourir!… et il se rappelait des exem­ples de prêtres qui ont tout laissé en ordre et d'autres qui ont tout laissé en désordre.

Sur la grâce de Dieu. Avant une faute, craindre l'abus des grâces; mais après une faute ne pas désespérer de la grâce du pardon, si je me repens.

Sur la tiédeur. Elle peut exister avec des alternatives de ferveur et d'abus passagers.

La tiédeur, c'est la négligence; elle se combat par l'exactitude, la ponctualité, le . recours fréquent à l'union avec Notre-Seigneur par des oraisons jaculatoires.

Le sacrilège peut être commis facilement:

1° Dans la confession, une âme tiède se fait illusion sur les paroles contre la charité et la justice;

2° Par légèreté, dans la communion: on montera à l'autel avec des fautes dont on ne se rend pas compte par une ignorance coupable.

3° Contre le voeux: de chasteté, par pensée et désir: on reste dans ces imaginations qu'un peu de résolution détournerait; par regards, si on a l'habitude de les laisser errer imprudemment; de pauvreté, si l'on dé­pense plus qu'il n'est nécessaire; d'obéissance, s'il y a mépris de la règle, si l'on ne s'inquiète pas de tendre à la perfection.

- Il a noté de touchantes réflexions sur ses lectures de la vie de Marguerite-Marie:

Elle a servi Dieu dès son enfance. Moi, j'avais bien des défauts, et ce­pendant les lumières et les bons mouvements ne m'ont pas manqué, à l'église, au jardin, aux champs.

Elle a consacré à Dieu sa virginité dès son enfance… je renouvelle l'of­frande que j'ai faite à Lourdes de tout moi-même, mon cœur, mes yeux et tous mes sens.

Notre-Seigneur la recommande à sa Mère, oh! oui, mon Sauveur, confiez-moi à cette sainte garde.

A son exemple, on arrivera vite à la vie intérieure: 1° en ne tenant pas compte de l'estime du monde, mais seulement de l'approbation des su­périeurs; 2° en ne parlant pas de soi-même; 3° en ne s'excusant pas à moins que l'honneur de Dieu et la bonne édification ne l'exigent; 4° en demeurant calme en face des injures, des reproches, des injustices; 5° charité pour le prochain: n'en pas dire du mal, ne pas critiquer.

1892

Un incident. Pendant l'hiver, il y a des bruits nocturnes, le vieux presbytère paraît hanté. Tout s'agite la nuit, le jeune Père Waguet court vers la chambre du Père Supérieur et tombe en syncope dans le corridor.

Deux gendarmes viennent passer la nuit à la maison pour voir ce qu'il y a. On ne trouve rien. On bénit la maison et tout se calme.

Sa soeur y fait allusion dans sa lettre du 13 février 1892. - «Si le dia­ble vous épouvante, pour nous, il ne cesse chaque jour de nous susciter des ennuis, des contradictions. Depuis quinze jours, je crois que mon petit domestique est endiablé. Lui, ordinairement si soumis, j'ai été obligé de lui interdire l'entrée de la partie des femmes.

Quelle horreur! Et il faut que je le garde jusqu'à ce que j'en aie un au­tre.

Tantôt c'est une femme qui ressemble à une furie; tantôt un malade saute la barrière, il passe la nuit dans les danses, entraînant le domesti­que. La seconde fois je le fais prendre par la police qui le met en prison. Il en sort et ne sait que débiter des calomnies sur mon compte.

Le président de la commission m'en raconte de belles pendant une heure, il veut démissionner, le Père Curé est attristé. Nous faisons une neuvaine pour tout remettre…».

- Le 16 juin, sa soeur le remercie encore des objets de culte qu'il a envoyés. La Marquise de Nazelle y a contribué. La Soeur avait écrit à son frère qu'elle avait des maux de tête, le bon doyen a pris cela au tragi­que, il écrit à sa soeur comme si elle était neurasthénique et malade du cerveau, elle est obligée de lui écrire qu'il exagère et qui'il la trouble… «Priez plutôt, lui dit-elle, pour que Notre-Seigneur me donne l'esprit d'oraison et la vie intérieure».

Le 24 août, elle lui dit: «Je vous ai écrit souvent depuis un an parce que j'avais des ornements à vous demander mais n'attendez plus des let­tres si fréquentes».

En septembre, il a suivi la retraite prêchée par le Père Braun.

I. - Sur le péché de saint Pierre. - Préparatifs de sa chute: il ne prie pas, (relâchement de la règle et de la piété); il ne tient pas compte des avertis­sements, il s'expose au danger.

Il rougit d'être avec Jésus. Ainsi les religieux semblent avoir honte de leur état et se montrent séculiers…

Egressus foras. Il sort du monde, il pleure et se convertit. - Notre­Seigneur est miséricordieux.

Miserebitur: ce mot revient à chaque page de l'Ecriture. - Non enim hu­miliavit ex corde et abjecit filios hominum: Notre-Seigneur est toujours prêt à pardonner.

II. - Sur l'appel d'un général. - Il faut combattre vaillamment. Vestitus erat veste aspersa sanguine: c'est Notre-Seigneur qui est notre chef et son Eglise est toujours militante.

III. - Sur le discernement des esprits. - Noter la règle 6: c'est ce qui distingue saint Ignace: porter la lutte dans les retranchements ennemis, faire l'opposé de ce que suggèrent la chair et le démon.

IV. - Sur l'obeissance du Fils de Dieu dans l'Incarnation. - Un joli trait: Un Père de la Compagnie a vu partir son père et son frère qui étaient sans religion, pour l'Amérique. Il est resté en France par obéissance. Devenu jésuite, il entend en confession une femme qui lui dit de la part de la Sainte Vierge que son père et son frère naufragés ont été sauvés spi­rituellement par le secours de Marie…

V. - Sur la volonté. - Il faut vouloir fortement, persévéramment. La

volonté est l'instrument du salut. - Prier pour ne pas défaillir dans l'ac­tion.

VI. - La Cène. - Notre-Seigneur m'admet avec les apôtres, pour la communion, pour le sacerdoce. Il y a place pour moi: Deo grattas.

VII. - Pax vobis. - Ce salut n'est adressé qu'après la résurrection. La paix nous est donnée. Elle n'exclut pas des faiblesses, mais nous nous relèverons avec confiance.

VIII. - Marie. Modèle d'immolation et de réparation au pied de la Croix.

IX. - La charité fraternelle. - Elle doit s'étendre à tous. Notre­-Seigneur reprochait à sainte Gertrude ses vivacités contre Frédéric Bar­berousse, il lui dit de prier pour lui…

C'est surtout dans la vie religieuse que doit régner la charité. - Saint François de Borgia consulte trois théologiens sur le péché auquel on est le plus exposé en religion. «C'est, disent-ils, le manque de charité par les paroles qui font perdre le respect des supérieurs et l'union entre les frères».

X. - Sur l'Incarnation. - Le monde était dans le péché et la souffran­ce, il attendait le Fiat de Marie, ainsi aujourd'hui, le monde attend son salut des âmes réparatrices…

XI. - Sur la Présentation de Notre-Seigneur. - Le Fils de Dieu s'offre comme Isaac, il nous offre avec lui. Il a toujours la croix dans son Cœur. Marie aussi se voit déclarée victime, elle a toujours le glaive dans son cœur en pensant à la Passion de Notre-Seigneur et à la perte des âmes. Elle s'immole par l'accomplissement de la loi, par la patience, par la ré­paration.

XII. - Sur le départ de Jésus. - Il quitte sa mère et Nazareth. Il avait vé­cu en prolétaire, il va prendre rang parmi les pénitents au Jourdain: humi­lité. Pendant qu'il prie, il est exalté par son Père: fidélité dans la prière.

Conférences du Père Général:

1. - Sur les états d'oraison. - Relire ce qu'en dit le Père Libermann; chaque âme a son état propre d'oraison. Tout religieux doit être homme d'oraison.

2. - Sur la chasteté. - Il n'y a pas d'arguties des casuistes en cette ma­tière, il faut que la chasteté soit complète.

3. - Lecture spirituelle. - S'entendre avec son directeur; vingt minu­tes par jour.

L'Ecriture Sainte tous les jours.

Alterner pour la vie d'un saint ou un auteur ascétique.

4. - Sur le service de Dieu par amour. - Réunir ce que les théologiens ont défini pour la charité. Relire M. Olier et M. de Berule sur la vie in­térieure. Se faire une spécialité de connaître les meilleurs livres écrits sur le Sacré-Cœur et sur l'amour de Dieu…

Ses notes de 1892 montrent sa grande dévotion à l'Eucharistie.

In medio vestrum stetit quem vos nescitis. (Joan I). Notre Divin Sauveur est présent. Il est à quelques pas dans l'Eucharistie, tout disposé à venir spi­rituellement dans nos âmes dès que nous avons besoin de lui: recourons donc à cette source de lumière et de force…

Cujus non sum dignus solvere corrigiam calceamenti. Si saint Jean-Baptiste s'exprime ainsi, de quelle humilité n'ai-je pas besoin pour toucher l'Eu­charistie?

- En entendant le Gloria in excelsis des anges et en voyant les premiers adorateurs de Jésus, Marie et Joseph se confondent dans les sentiments d'humilité, d'adoration, de réparation. Est-ce ainsi que je me comporte à la sainte messe, à la communion, à l'action de grâces?

1893

Nous avons sa retraite.

I. - Sur ma fin. - C'est à moi de sauver mon âme, c'est mon œuvre personnelle. Rien dans mes pensées ne doit être contraire au service de Dieu.

II. - Sur l'amour que le prêtre doit à Dieu. - Comme saint Pierre, je suis tenu d'aimer Dieu plus que les autres: 1° à cause de sa miséricorde et de sa patience à mon égard; 2° à cause de sa bonté: ne m'a-t-il pas prévenu de toutes manières, dans mon enfance, mon adolescence, mon éduca­tion; 3° à cause de ma belle vocation.

A quels signes reconnaîtrai-je que j'aime Dieu? 1° à la crainte de ne pas l'aimer comme il faut; 2° a la pensée habituelle qui incline mon âme vers lui; 3° à mon amour pratique: zèle pour sa gloire, combat spirituel contre mes défauts; à mon zèle pour le salut de mes frères; 5° à ma patience dans les afflictions; 6° à mon amour des croix et des épreuves…

III. - Sur les trois péchés. - Le corps est une maison de force et de dé­tention où l'âme est outragée, avilie par les mauvais penchants, liée par ses imperfections…

IV. - Le Chemin de la Croix. - C'est par ce chemin que Marie a suivi Jésus. - La fidélité de Marie à suivre Jésus au Calvaire fut la plus gran­de consolation du bon Maître.

Il voyait les fruits de sa Passion dans l'âme de Marie et les fruits de la compassion de Marie pour le salut du monde…

V. - Amour de Jésus-Christ pour nous dans l'Eucharistie: 1° Jésus a trouvé le moyen de donner sa vie pour moi et de rester cependant avec moi pour me témoigner constamment son amitié; 2° Jésus n'est pas inactif dans le Saint-Sacrement; il adore, il prie, il répare pour moi: - à moi de m'unir à lui; 3° il me donne l'exemple de l'obéissance, de l'abnégation, de la charité; 4° ce qu'il veut, c'est l'union avec moi…

Sa bonne soeur lui écrit de ne pas trop désirer les colonies (il y pensait), le bien y est difficile à faire avec «ces têtes d'autant plus orgueil­leuses qu'elles sont sottes et ignorantes».

«La prière me console et me fortifie, écrit-elle. Pourquoi me dire de ne pas pleurer? Ah! ces larmes n'aigrissent pas, au contraire! Elles ne sont pas non plus de la lâcheté. Je suis plus forte après, plus douce, plus cal­me, plus unie à Dieu.

Je prie constamment pour vous, surtout à la sainte messe et au Che­min de la Croix, que je fais souvent. - Conjurez le bon Jésus de m'ac­corder la grâce et la force de bien faire sa sainte volonté et de me la mani­fester par mes supérieures…».

2 juillet. «J'espère que votre vicaire est arrivé et que votre bonne fem­me va se faire à votre caractère (un peu original parfois). Je n'aime pas à vous savoir seul, c'est une tentation pour moi».

3 novembre 1893. - «Selon nos constitutions je ne dois vous écrire que trois ou quatre fois par an.

Je compatis bien à vos peines et je conjure le Bon Maître de vous ac­corder la force, la calme et toutes les grâces qui vous sont nécessaires pour accomplir sa sainte volonté. Hélas! vous montez le chemin du Cal­vaire. Votre projet d'un groupe de prêtres pour le ministère ne réussit pas…».

Aucune œuvre intéressante ne se dessinait là bas. Le Pere était mala­dif, les jeunes prêtres qu'on lui donnait se décourageaient, il revint à Saint-Quentin, où sa présence pouvait être plus utile pour le bien géné-ral de la Congrégation.

======XXV Saint-Quentin et Rome 1894-1895

Pour 1894, nous avons sa retraite.

6 septembre. - I. Fin de l'homme: Dieu m'a créé comme un instrument de prière, d'adoration, de respect, de service…

II. - Fin des créatures. - Par rapport à ma fin, elles ne comptent qu'autant qu'elles me sont utiles. Les unes sont agréables et utiles, j'en dois rendre grâces à Dieu. Les autres m'éprouvent, j'y trouve un profit de patience et de mortification.

III. - Indifférence. - C'est-à-dire détachement, liberté; être prêt à accepter ce qui se présente.

IV. - Fin du religieux. - J'avais déjà une fin surnaturelle par le bap­tême. Comme prêtre et religieux, je suis appelé à la vie de prière et à la vie apostolique. La louange de Dieu est mon office. Je dois imprimer son respect en tous ceux qui ont quelque rapport avec moi.

Je lui dois un service spécial par mes voeux, service de réparation et l'expiation.

V. - Sur le péché et ses châtiments. - Nabuchodonosor changé en bête est l'image du prêtre déchu: que d'exemples tristes j'ai rencontrés! Je veux me confier en la miséricorde divine.

VI. - De l'Imitation de Jésus-Christ. - Il ne suffit pas pour arriver à ma fin de lutter contre le péché, je dois suivre et imiter Jésus-Christ, le faire régner en moi, répondre à son appel.

Sanctification. - Dieu veut que nous ajoutions quelque chose à sa gloire.

Adveniat. - Si nous le glorifions, il nous fera régner avec lui au ciel.

Fiat voluntas tua. - Jésus-Christ est le ciel sur la terre. Il faut vivre en union avec lui et pour lui.

VII. - Sur la Croix. - 14 septembre. - Fête de l'Exaltation de la Sainte Croix. J'ai vu le crucifix de sainte Brigitte à Saint-Paul-hors-des­murs; celui qui consola saint Camille de Lellis et le pressa contre son cœur; ceux devant lesquels priait saint Philippe de Neri à Sainte-Marie­Majeure et à Saint-Augustin; les crucifix de missions de Saint-Léonard de Port-Maurice et de Saint-Paul de la Croix. - Voilà l'esprit que je dois avoir. - C'est la croix de Jésus-Christ qui me donnera la modéra­tion, la douceur, la patience. - J'y trouverai aussi la pratique de la for­ce, le recueillement.

VIII. - Saint Pierre aux pieds de Notre-Seigneur après la résurrection. - Notre-Seigneur console sa Mère, sainte Madeleine, les apôtres. - Saint Jean auprès de saint Pierre a une tristesse intime, mais il reste respec­tueux et dévoué…

IX. - Sur l'obéissance de Jésus-Christ. - Comme il a obéi toute sa vie, il obéit dans l'Eucharistie. Cela ne nous dispense pas de lui rendre respect et honneur.

X. - Sur le vie publique de Notre-Seigneur. - Il quitte sa famille, il a peu de consolation, son ministère est dur et sans succès.

La perspective de ne pas réussir nous décourage, il faut être disposé à tout accepter.

XI. - Sur l'Eucharistie. - Jésus-Christ s'immole pour m'apprendre à m'immoler; il se donne à moi pour que je me donne à lui et aux autres. Il vient pour me sanctifier afin que je sois un instrument de sanctifica­tion.

Quand j'ai de la tristesse, de l'humeur, c'est que je n'ai pas l'esprit de sacrifice dont j'aurais dû m'inspirer le matin. - De même pour le zèle.

Résolution. - 1. Donner plus de soin à la lecture spirituelle avant toute autre occupation. - 2. La méditation doit toujours comprendre les considérations, réflexions et affections. - 3. Je dois honorer l'Eucha­ristie même par le culte extérieur. - 4. Je dois veiller à ce que nos infé­rieurs ne parlent pas des défauts du prochain. - 5. Je dois faire chaque confession comme si j'allais mourir. - 6. Je dois noter les lumières reçues et les résolutions…

Sa soeur lui a peu écrit cette année. Elle s'excuse: «C'est bien mal, dit-elle, de laisser ainsi un bon frère six grands mois, sans nouvelles de sa peti­te soeur. Cependant je n'étais pas malade, mais je n'avais rien de parti­culier à dire…». Elle ajoute qu'elle est maintenant chargée d'un orpheli­nat très intéressant ((Mai 1894).

Le 12 novembre 1894, elle a reçu la photographie de son frère, il est vieilli et souffrant. «Est-il possible, dit-elle, que ce vénérable et vieux re­ligieux soit mon frère? En vain je rapproche cette photographie de celle du jeune et beau curé de Clamecy! C'est le père et le fils. Tout de bon, l'on croirait, papa. Que vous êtes vieilli! Et si vous me voyiez que diriez­-vous? Enfin nous nous approchons de la tombe. Pourvu que notre âme s'ennoblisse et s'embellisse! C'est assez».

- Elle fait allusion à son voyage à Rome: «Mgr Tonti, archevêque de Port-au-Prince, arrivait à Rome quand vous en partiez. Il est même de­scendu chez nos Soeurs comme vous…».

Le trait saillant de cette année, c'est son voyage à Rome. Il a parlé dans ses notes de retraite de son zèle à visiter les reliques et les chambres des Saints. Il a aussi écrit à sa soeur ses impressions: «J'ai été rendre visi­te à vos Soeurs de Saint Joseph, rue Buonarotti. - C'est la Soeur du Cœur immaculé de Marie qui est Supérieure, elle a été à Cayenne et elle vous a connue à Paris en 1881. Il y a dans la maison des prêtres pension­naires, des dames âgées, des orphelines, une école primaire, un pension­nat; la pauvre Supérieure qui a fait bâtir une magnifique basilique avec colonnes monolithes en granit, se déclare prête à retourner à Cayenne avec ses bons enfants noirs. Ma visite lui a fait plaisir, nous avons parlé de Mère Eustochie, de la pauvre Soeur Saint-Alphonse qui est mourante à Antony, etc.

Je veux vous dire un mot de mes impressions concernant les monu­ments païens si nombreux à Rome. Comment la simplicité évangélique a-t-elle triomphé d'un pareil monde? Je vous avoue que je n'avais nulle idée de la puissance et du degré de civilisation auquel était parvenue la Rome ancienne. C'est écrasant, et Paris n'est rien en comparaison.

La plupart des églises de Rome sont faites avec les colonnes des palais et des temples.

Il en est de merveilleuses en albâtre et en marbres précieux. Il y a en­core des portes de bronze qui ont près de deux mille ans, comme celles de l'église des Saints-Côme et Damien qui sont de la basilique émilien­ne. A Saint-Jean de Latran, dans le baptistère, les portes des anciens bains de Titus, font entendre la gamme quand on les tourne, c'est com­me un grondement de tonnerre. Les murs du Panthéon n'ont pas moins de vingt-cinq pieds d'épaisseur. - Dans le forum, il y a encore l'arc de Septime Sévère, presque intact, les ruines informes du temple de Jules César au lieu où furent brûlés ses restes, les bases des colonnes de l'im­mense basilique où la famille Julia faisait voter ses clients; ce qui me frappe le plus, c'est la basilique construite par Maxence, elle a servi de type à Saint-Pierre du Vatican; on conçoit à peine que ce gigantesque travail soit l'œuvre d'un tyran qui n'a laissé que le souvenir de la défai­te. - L'emplacement du temple de Vesta et du couvent des Vestales a mis au jour des statues de Vestales et des inscriptions qui respirent la re­ligion la plus profonde: c'est la très sainte, la très pieuse, la très chaste, la gar­dienne des moeurs, etc., et ces statues respirent la noblesse et la vertu, elles sont d'une beauté et d'une majesté vraiment romaines. Sur un pié­destal le nom de la vierge a été effacé parce qu'elle s'était faite chrétien­ne.

Quelles réflexions à l'endroit de la voie sacrée où saint Pierre et saint Paul étaient en prières, quand Simon le Mage tomba du haut des airs! On montre dans l'église de Sainte-Françoise Romaine, les pierres où s'enfoncèrent les genoux des deux apôtres. C'est bien la chute de l'or­gueil païen et de ses superstitions humiliantes.

J'ai voulu voir la Cloaca Maxima d'Ancus Martius, mais elle m'a donné des nausées.

On voit encore le pourtour en marbre des vieux Rostres, la tribune aux harangues où parlaient Caton, Scipion, Ciceron, César, Antoine. A droite est le Sénat, la base de la statue de la Fortune au pied de laquelle César fut assassiné. - Pie IX a fait restaurer le temple que Symmaque fit élever aux dieux de Rome sous Constantin, en réparation des outra­ges qu'ils recevaient du christianisme. Les dernières luttes ont été vives.

On est stupéfait de la perfection et de la beauté des monuments qui s'élevèrent sous les empereurs païens. Ainsi le portique de l'église Saint­Laurent in miranda, d'architecture corinthienne, a huit colonnes de cin­quante pieds de hauteur en marbre cipollin. Les bases, les chapiteaux et l'entablement sont en marbre blanc.

Sur l'architrave on lit que ce temple a été dédié à la divine Faustine, épouse d'Antonin-le Pieux. On y montait du forum par un escalier de marbre à vingt-deux degrés. C'est là, dit-on, que saint Laurent a été ju­gé. - Chose étrange, César ne semble pas avoir été croyant et il était grand pontife avec résidence officielle au palais de Numa, c'est là que son corps fut brûlé.

Un fragment de marbre de ce temple de jules César a été employé par Michel-Ange pour servir de piédestal à la statue de bronze de Marc Au­rèle, qui est le principal ornement de la place du Capitole.

On a découvert en 1872, dans les fouilles du forum, deux murs de marbre blanc couverts de reliefs fort curieux, c'est une procession de sa­crifice; un gros cochon dodu, digne du comice agricole, un bélier gras et un taureau, tous ornés de fleurs et de bandelettes.

Il y a au forum l'arc de triomphe de Septime Sévère, achevé par ses fils Caracalla et Geta. Le nom de Geta a été gratté après son assassinat. On y voit des scènes de batailles, des sièges de villes avec le matériel de guerre de ce temps-là.

Vous pensez si j'ai regardé avec curiosité le temple de la Concorde où Cicéron prononça ses catilinaires, il est vrai que ce temple a été rebâti sous Tibère.

Près de là est l'église Saint-Adrien où j'ai dit ma dernière messe à Ro­me. Il est représenté en guerrier romain avec sa femme sainte Nathalie, habillée per le peintre, il y a deux cents ans, en Soeur de Saint Joseph de Cluny.

Le forum d'Auguste a été conservé sur une largeur de cinq cents pieds avec des murs de cent pieds de hauteur.

Au forum de Nerva on voit encore debout de grandes colonnes (Colo­nacce) avec des frises qui représentent des jeunes filles en train de filer, de tisser, de tirer de l'eau, etc.

Tant de chrétiens furent massacrés là qu'une petite église de cette rue s'appelle Sainte-Marie de la Boucherie. Il y a un puits où on jeta les restes de nombreux martyrs.

La colonne Trajane, que le Pape Paul IV fit déblayer et que Sixte V fit restaurer, ne porte pas moins de deux mille cinq cents figures humaines, sans compter les chevaux, les machines de guerre, les forteresses… Saint Pierre est à la place du vainqueur des Parthes, dominant les ruines du fo­rum, entre le Capitole et le Quirinal.

1895

De 1895, nous avons aussi sa retraite.

I. Ibant per singulos annos secundum consuetudinem. - Tout était réglé à Nazareth. Ainsi dans la vie religieuse, les règles sont l'expression de la volonté de Dieu.

Ce sont les traditions des Saints.

Ce sont les conseils évangéliques codifiés.

On ne peut guère les transgresser sans qu'il y ait péché.

C'est le rempart de la vie religieuse.

La régularité édifie et répare.

II. Jésus à Nazareth: travail, silence, obéissance.

La vie cachée de Jésus nous enseigne qu'il faut demeurer dans le re­cueillement, le silence, la retraite, l'obscurité, tant que Dieu le veut ain­si. - Jésus aurait pu se distinguer par l'éloquence, donner aux nations des règlements législatifs… Il attend l'heure de son Père, il se sanetife pour sanctifier les autres. - Relire les lettres du Père Libermann sur la vie cachée.

III. - In diebus carnis suae exauditus est pro sua reverentia. - Jésus mène une vie de prière. Il a choisi ses prêtres pour continuer cette vie. - L'office di­vin, c'est la prière au nom du Christ, au nom de l'Eglise. Toute l'action de l'Eglise repose sur cette prière du bréviaire.

Le salut des âmes, les conversions en dépendent.

Nous devons nous-mêmes y trouver lumière et grâce. C'est souvent à l'occasion de l'office que les Saints recevaient des révélations…

- Dispositions: Préparation prochaine; attention de l'esprit et du cœur; modestie, présence de Dieu; direction de l'Esprit-Saint, répara­tion en union avec la messe.

IV. - Ascendens in montem, vocavit quos voluit ipse. - (Marc., III, 137. Jésus choisit ceux qu'il veut pour leur donner son esprit…

Vocation spéciale: Notre œuvre vient à son heure, elle a a un but pré­cis reconnu par l'Eglise, laisserons-nous tomber notre drapeau dans la poussière?…

V. Sur la charité de Notre-Seigneur. - In hoc cognoscent omnes quia discipuli mei estis (Joan., XIII).

Charité douce. - 1. La tradition a conservé ce trait spécial de Jésus à Nazareth.

2. C'est son enseignement: discite a me…

3. C'est sa pratique envers les pauvres, les enfants…

4. Dans la formation lente et pénible de ses apôtres…

Charité bienfaisante. - Vis-à-vis des malades, des affligés, des pé­cheurs.

Charité universelle. - Sans acception de riche ou de pauvre.

VI. - Sur le don de l'Eucharistie.

Quel don excellent! - 1. C'est Dieu avec nous;

2. Il écoute nos demandes et les exauce;

3 Il vient en nos âmes, nous dire ses sentiments et nous revêtir de ses vertus.

A quoi nous oblige l'Eucharistie?

1. A la pureté de conscience: le prêtre doit communier tous les jours;

2. Au détachement du péché véniel;

3. A la fidélité et la ferveur.

Relire saint François de Sales. - Saint Liguori, livr. VI, et Praxis con­fessariorum.

VII. - Diligamus ergo Deum, quoniam ipse prior dilexit nos. - Amour et im­molation.

1. Jésus s'est immolé pour nous depuis l'Incarnation jusqu'au Calvai­re, pour nous racheter et relever notre dignité.

2. Nous devons nous immoler avec lui et pour lui pour que son immo­lation nous soit appliquée à nous et aux âmes.

3. Immolation par l'obéissance, par la patience dans les épreuves, par quelques pratiques volontaires.

VIII. - Marie, Mère du sacerdoce.

1. Elle prépare la venue de Jésus par sa prière, elle le présente au tem­ple: elle l'immole au Calvaire.

2. Elle est mère du prêtre dans saint Jean, protectrice de sa virginité, compagne de sa vie, modèle de vertu.

3. Elle est aussi le modèle des âmes qui coopèrent avec le prêtre par leurs prières et sacrifices…

QUELQUES LETTRES. - Au 13 janvier. 1895, sa soeur le félicite d'avoir eu l'audience du Saint-Père… «Je fais quelquefois le Chemin de la Croix pour vous avec mes enfants; si vous étiez derrière la porte, vous seriez édifié de leur piété…».

Du 7 mai. - «J'ai aujourd'hui 47 ans, et le 21, il y aura dix ans que j'ai quitté la France. J'ai beaucoup travaillé, mais n'ai-je pas tout gâté par mes impatiences? …».

Le 18 juin 1895, c'est la Mère Supérieure-Générale, Soeur Marie­-Basile, qui écrit au Père: «Je suis peinée d'apprendre que vous souffrez de la gorge, en face d'un travail qui réclame de la force et de la voix. Je vous promets d'intéresser à votre cause notre Vénérée Mère Fondatrice, pour laquelle vous conservez une confiance qui me touche et que je dési­re vivement voir récompensée».

Au 9 nov. 1895, la même supérieure lui écrit: «Je n'ai pas négligé de recommander à Dieu par le Cœur de Marie et notre bon saint Joseph, la retraite que vous deviez prêcher à vos élèves de l'Institution Saint Jean, et j'aime à croire que vous avez été consolé par les résultats obtenus…».

Il est redevenu missionnaire diocésain, il va aider ou remplacer les cu­rés, mais il est souvent arrêté par des maux de gorge et des souffrances à l'estomac.

Il va subir un long martyre de dix ans. Il travaillera héroïquement jusqu'au dernier jour avec une patience qui nous édifiera de plus en plus.

Son âme entrera toujours davantage dans l'esprit de victime. Il s'était offert à Dieu pour l'Eglise, pour la France chrétienne, pour l'Œuvre du Sacré-Cœur.

Notre famille religieuse lui doit bien des grâces.

======XXVI Encore Saint-Quentin et les missions 1896-1898

Dans les années 1896 et suivantes, il continue son apostolat de mis­sionnaire diocésain, malgré son état de fatigue et de souffrance. Il a aussi la charge de remplacer en beaucoup de choses le Père Général qui passe les hivers à Rome.

Nous avons peu de notes sur ces années-là.

De 1896, nous avons ses résolutions de retraite.

Il est dans l'angoisse, après le Chapitre général en se voyant chargé de la Congrégation pendant l'absence du Supérieur, il craint que son salut ne soit plus difficile à cause de sa responsabilité. Sa résolution est d'agir en tout comme il voudrait que les autres le fissent. Cette règle le soutien­dra et le préservera de l'amour-propre.

Il se propose de relire chaque année les notes et additions des Exerci­ces de saint Ignace avec le commentaire, comme lecture spirituelle.

Il renouvelle sa résolution ancienne de faire sa méditation suivant la méthode de saint Ignace et d'écrire le résultat de ses examens quoti­diens.

«Je dois avoir, dit-il, une ponctualité militaire pour l'observation de la règle.

Tous les mois, à la retraite mensuelle, je relirai les résolutions de re­traite que j'ai notées depuis 1868».

QUELQUES NOTES. - Ayant à faire une instruction sur les anges, en octobre 1896, il en profite d'abord pour lui-même.

«Les anges sont pour nous un rempart et une garde. - Il nous aident intérieurement par leurs lumières et leur force, et souvent extérieure­ment par une intervention surnaturelle.

Que de fois les anges m'ont protégé! Dès avant ma naissance en don­nant à mes parents la pensée que je serai prêtre; avant mon baptême en pressant ce bienheureux jour par une indisposition qui m'est survenue.

Pendant qu'on me portait au baptême, la femme qui me tenait sur les bras faillit me tuer; après mon baptême on me rapporta guéri.

Quand on me sevra, je fus gardé chez mon grand-père maternel: la voiture versa, en revenant, j'aurais pu être tué. Je me rappelle d'avoir été jeté à terre d'un coup de pied de cheval, à quatre ans; à onze ans, je fus miraculeusement préservé de la chute d'un mur. - Que d'accidents encore auxquels j'ai échappé; la petite vérole, le choléra, la fièvre typhoïde, la guerre, un déraillement, des occasions dangereuses, etc.

- Sur l'Eucharistie, il écrit en septembre: L'Eucharistie réside dans nos maisons dont elle est le centre; tout péché commis dans le voisinage du Très Saint Sacrement, ne revêt-il pas une malice spéciale contre la re­ligion?

Dans cette présence n'y a-t-il pas un stimulant continuel à la charité fraternelle, à la modestie, à la régularité?».

- La dévotion à Marie a toujours été son idéal et sa vie. Il écrit en septembre: «Mes prières à Marie ne constitueraient pas une vraie dévo­tion, si je n'avais le désir efficace de renoncer au péché.

Ce serait de l'or dans le fumier: Aurum in sterquilinio, (Ezech., VII).

Il faut un effort, un mouvement de réforme dans toute aspiration du cœur qui veut plaire à Marie.

1. Dieu aime Marie plus que le monde entier, si je témoigne à Marie du respect et de l'amour, j'attire sur moi les complaisances divines. Le respect envers Marie me portera à penser qu'elle me regarde et m'at­tend.

2. Tout par Marie! Cette proposition pourrait être définie comme de foi; toutes les grâces me sont venues et me viendront par elle…

3. Le Père l'associe à sa génération éternelle. Le Fils reçoit par elle le corps et les soins maternels. - Le Saint-Esprit prend son âme pour l'or­ner de toutes le vertus au degré le plus éminent et ensuite il prend son corps pour en créer le corps adorable du Fils de Dieu…».

LETTRES. - Il a prêché à Craonne en automne 1895, sa soeur lui écrit le 2 février 1896: «Que le Bon Dieu veuille que tous ces braves gens de Craonne persévèrent!».

Etrange nouvelle. - «J'ai rencontré ici, dit sa soeur, la comtesse de Bragance, nièce de dom Pedro, venue en Haïti, sous le nom de Madame Marie et logée à l'Hôtel de France. Elle connaît très bien la comtesse Marietta de Marchall et a été très émue quand je lui ai raconté sa con­version; aussi se recommande-t-elle fortement à vos prières; certes, elle en a bien besoin.

Veuve et ayant perdu ses trois garçons, elle a la manie de se croire obligée d'aller dans les loges et les réunions maçonniques, croyant servir par là la cause du Saint Père; riche à millions, elle cherche une bonne œuvre considérable à faire, elle m'a fait réciter en quantité des Veni Creator à cette intention, elle se propose d'aller en Europe et de faire votre con­naissance. Si vous pouvez la convertir, ce sera une belle conquête».

1e mars. - Sa soeur lui annonce son changement de poste, elle est chargée de l'école du grand Goâve. «Votre photographie de Rome, lui dit-elle, révèle vos fatigues», (il est vieilli et souffrant).

Le 26 mai, c'est la Supérieure Générale qui lui écrit: «Nous vous restons toujours bien unies, par la prière, dans le Cœur de Jésus au mi­lieu de vos travaux apostoliques.

Le Bon Dieu bénit vos ardents désirs de procurer sa gloire, puisque malgré vos maux de gorge presque continuels, vous pouvez répondre à toutes les demandes qui vous sont faites pour retraites, missions, jubilé, etc.

Il nous est bien permis aussi d'y voir l'intervention de notre vénérée Mère Fondatrice en laquelle vous avez une si grande confiance.

Soeur Dominique du Saint-Rosaire a dû vous parler de la guérison instantanée d'une de nos Soeurs d'Haïti, guérison constatée par le doc­teur et approuvée par l'autorité ecclésiastique de Port-au-Prince. C'est pour nous un fait bien consolant et plein d'espérance».

26 août. - Les soeurs ont fait une bonne retraite à Port-au-Prince. «J'ai bien prié pour vous et pour moi, dit sa soeur, pendant ces trois se­maines passées à Port-au-Prince, suppliant Notre-Seigneur de nous ac­corder une grande pureté d'esprit, de cœur et de corps; j'ai fait à cette intention une neuvaine de rosaires et de chemins de croix. - Le pauvre Père Leblanc (votre ancien novice, mort l'année dernière, curé des Ba­radères) a bien regretté de vous avoir quittés, et il a avoué que c'est un novice belge qui lui a fait perdre sa vocation; son plus grand désir était de rentrer chez les oblats. - Je compatis bien à vos maux de gorge».

28 août. - «J'ai pris des renseignements à Port-au-Prince sur la com­tesse de Bragance, qui a été chassée comme dangereuse par sa politique et son exaltation. Je n'ai pas encore répondu à la comtesse de Marschall, parce que je voulais prendre des informations auparavant».

1e novembre. - «Nous avons eu ici la fièvre jaune: cinq prêtres et deux frères en sont morts en deux mois. Vous m'écriviez; «L'époux est à la porte». Ces mots m'ont frappée et je me suis préparée à la mort…

Je compatis à la faiblesse de vos épaules, vu le lourd fardeau qui vous incombe en ce moment. Allons, courage! Que de bien vous pouvez faire en sanctifiant vos prêtres!».

Du 9 décembre 1896. - «J'ai reçu votre lettre du 24 octobre (avec un envoi).

Aujourd'hui j'écris à Madame la Marquise de Nazelle.

Bon courage! Je prie le Saint Enfant Jésus de vous accorder de savoir être doux, calme et ferme. Demandez aussi ces vertus pour moi».

1897

Nous avons peu de notes de cette année.

- A sa retraite, il a bien étudié ses défauts de caractère qui peuvent entraver le bien qu'il fait.

Notons-les, tous les supérieurs de maisons liront cela avec profit. «Plusieurs des nôtres, dit-il, paraissent ne pas se plaire avec moi. Cela doit venir:

1. de ce que je prends souvent un air de censeur;

2. je reprends les autres avec raillerie;

3. je parle des défauts d'autrui;

4. je parle trop de moi et je répète des plaisanteries, des historiettes, sans laisser aux autres le temps de parler, comme si je les jugeais peu in­telligents…».

- «Une méditation ou un examen sans notes est sans fruits et passe comme une rêverie».

quelques lettres

Le 10 février, sa soeur lui écrit: «Ci-joint deux photographies qui vous prouveront que Grand Goâve n'est pas trop sauvage et que notre église n'est pas si mal, elle ferait envie a plus d'un curé de France, surtout si vous la voyiez pleine les simples dimanches à la messe. - La fièvre jau­ne a fait ici de terribles ravages chez les Européens: les Frères ont eu huit victimes, les Pères six et nous une seulement».

Du 17 juin. - Elle décrit les belles processions de la Fête-Dieu: «Un détachement de soldats en tête, les écoles avec leurs bannières, la popu­lation, les autorités civiles et militaires, les conseillers portant le dais - trois. beaux reposoirs où la bénédiction se donne au son du canon et des tambours… La France est bien en-dessous des nègres d'Haïti».

Le 7 novembre. - Il n'y a pas de prêtre, la Soeur fait sonner. Elle fait réciter le Rosaire entier et chanter les litanies. - L'après-midi on fait le Chemin de la Croix.

- Elle reproche à son frère d'avoir offert dix années de sa vie pour el­le: «Pourquoi vous êtes-vous avisé de redemander à Dieu mes dix an­nées!

Le ciel était bien préférable. Obtenez-moi du bon Jésus le calme, l'amour de la souffrance. - Offrez à toute la famille mes voeux qui sont surtout de les retrouver tous au ciel… ».

Il a fait des recherches sur sa famille, il les communique à sa soeur:

«Edouard Bouvier, architecte, m'avait invité à son mariage; je lui ai répondu en lui écrivant l'histoire de notre famille; l'alliance avec saint Jean-Baptiste de la Salle et le P. Marquette l'a bien frappé; demandez hardiment à notre bon parent de vous donner grâce auprès des enfants pour être enfin utile sur vos vieux jours. Il y avait soixante-dix mille per­sonnes dans Saint-Pierre pour la canonisation. Je vous répète le degré d'alliance: Rose de la Salle était la mère du Père Marquette, le saint François-Xavier des Etats-Unis, et de la Soeur Marquette, fondatrice des Soeurs Marquette, dites aujourd'hui de la Providence.

Leur neveu, François Marquette, a épousé une Claire Rasset. Rose de la Salle était la tante du nouveau Saint. C'est déja'éloigne d'avec nous, mais cela me paraît un titre suffisant pour être de la noce…».

1898

Il a noté abondamment sa retraite prêchée par le P. Vautier, en sep­tembre.

I. - Sur la retraite. - Le moyen: celui-là fera le mieux sa retraite qui priera le mieux.

Le but: arriver à se vaincre soi-même.

II. - La fin de la vocation religieuse. - C'est la sujétion entière, la resti­tution complète de l'homme à Dieu, pour devenir l'instrument de sa vo­lonté et de sa gloire.

C'est Dieu qui m'a choisi pour faire de moi un prêtre, un religieux…

Ut fructum afferatis, non pas pour que je m'arrête dans le péché et la médiocrité.

III. - La fin du religieux repose sur la fin de l'homme. I. Je suis de Dieu; rien de moi-même si ce n'est la faculté d'offenser Dieu.

2. Je suis à Dieu; le peintre peut exposer son tableau à l'admiration de tous, il peut aussi le dérober aux regards, le lacérer. Dieu peut disposer de mon corps, de ma réputation, de ma vie.

3. Je suis pour Dieu, pour sa gloire, jusqu'au bout de mes forces.

IV. - Les tentations sont inévitables. Le dérangement vient du mau­vais esprit, il faut avoir un directeur et lui obéir.

V. - Le péché du prêtre est comme celui de l'ange, il est commis en pleine lumière. - Comme le péché d'Adam a eu d'immenses consé­quences, aussi le péché du prêtre qui devrait transmettre la grâce aux autres. - Un prêtre peut se dire: il y a en enfer telle âme qui serait sau­vée si j'avais été un saint.

VI. - Sur le péché personnel: méditer le confiteor.

VII. - Sur l'enfer. - Il y a des religieux en enfer, ne suis-je pas sur le chemin?

VIII. - Sur les défauts des religieux. - Le laisser-aller domine à notre époque, avec la tendance à la médiocrité. Le remède est dans l'oraison, l'examen, le compte-rendu.

IX. - Sur la mort. - Fréquence des morts subites. Il faut être fou pour s'endormir dans un état dans lequel on ne voudrait pas mourir.

X. - Sur la tiédeur. - C'est le péché véniel d'habitude, c'est la négli­gence. L'aversion de la nature pour la contrainte n'est pas le péché, c'est la tentation, c'est l'obstacle qu'il faut surmonter.

XI. - Sur les causes de chute. - Les négligences du noviciat y sont pour beaucoup.

Pour réparer cette lacune, soigner l'oraison, l'examen, le

XII. - Sur les conversations. - Y mêler la gaieté et l'édification. Pren­dre garde de faire de la peine aux autres. - Ne pas raconter aux sécu­liers ce qui se passe dans la maison. - Fuir les entretiens inutiles avec les séculiers, songer à leur être utile, à les édifier.

XIII. - La chute de saint Pierre. - Ses causes:

1. Sequebatur a longe. Il suivait Notre-Seigneur de loin: manque de fer­veur, relâchement.

2. Calefaciebat se: recherche de ses aises.

3. Ancilla: il suffit d'une femme, d'une petite fille pour perdre celui qui devait être le roc, fondement de l'Eglise. - Donc pas de familiarité. Tenons aux règles de modestie comme les Saints y ont tenu.

XIV. - Sur la science du prêtre. - 1. Je dois acquérir d'abord la science nécessaire à ma propre sanctification, la science des Saints par la lecture spirituelle.

2. Revoir sans cesse la théologie.

3. Préparer avec soin les instructions.

XV. - Sur la naissance du Sauveur. - D'après une tradition, l'Enfant Jésus aurait mendié sous les fenêtres. - Je dois être disposé à mendier.

XVI. - La fuite en Egypte. - L'ordre est donné brusquement, sans préparation, c'est l'épreuve de l'obéissance…

XVII. - Sur l'obéissance. - Relire la lettre de saint Ignace. - Jusqu'à mourir!

Voir Jésus-Christ dans le Supérieur - union au Supérieur.

Les bonnes œuvres faites en dehors de l'obéissance ne me plaisent pas, disait Notre-Seigneur à Marguerite-Marie.

Comme elle dépassait le nombre des coups de discipline accordé par l'obéissance, elle entendit les plaintes des âmes du Purgatoire qu'elle prétendait soulager.

- A 3 heures, le dernier jour, il est pris d'une indisposition subite, nausée, crispation du cœur. «C'est ainsi, écrit-il, que je pourrais être appelé subitement en présence de mon Juge».

quelques lettres

Les lettres de sa soeur dans le courant de cette année 1898 n'ont rien de bien saillant, mais nous avons une bonne lettre de lui écrite de Bru­xelles.

Il est allé pour quelque temps à notre maison d'Etterbeek.

Sa santé n'est pas brillante, mais il se sanctifie visiblement et devient plus intérieur et plus patient.

Il visite à Bruxelles les sanctuaires qui peuvent l'édifier, spécialement la chapelle de la Réparation.

Il regrette de n'avoir pas de ministère en prévision pour la Toussaint et Noël. «Il faut, dit-il, toujours progresser dans la foi, et agir dans l'espérance souvent contre l'apparence présente. - La douceur chré­tienne est dans la volonté et non dans la sensibilité - Notre calme exige souvent la lutte intérieure».

Il avance dans l'esprit d'immolation. Notre-Seigneur le tient sur la croix et le prépare peu à peu au sacrifice.

Il souffrira désormais tous les jours de l'estomac; on le verra souvent oppressé par la douleur, mais il ne se plaindra pas. Son offrande n'a pas été une pure formule. Il se laissera immoler sans se reprendre.

- Il travaille quand même, bien que souffrant et fatigué. C'est dans ces années 1896-1897, qu'il écrit et publie ses notices si édifiantes sur la sainte Abbesse d'Homblières et sur saint Lambert dont les précieuses re­liques sont honorées à Fourdrain.

======XXVII Dernières années de missions 1899-1902

QUELQUES RESOLUTIONS DE RETRAITE

1899

I. «Tout faire quamprimum comme si j'allais mourir tout à l'heure. - Appliquer cette résolution à mes exercices de piété, à mes études, lectu­res, sorties et conversations».

II. «Pour la pureté, agir comme si je n'avais que vingt ans et comme si j'étais dans un péril prochain: donc détourner de suite les regards, les pensées, l'imagination de tout ce qui pourrait blesser la pureté».

- Il sent qu'il n'a plus de longues années à vivre; il continue sa vie de missionnaire mais avec plus de prudence et de modération, à cause de son état de santé.

- Le 19 juillet 1899, sa soeur lui écrit:

«Dans quelle ville ou quel village cette petite lettre ira-t-elle vous por­ter les voeux et bons souhaits que votre petite et vieille soeusoeur forme pour vous? Je conjure saint Alphonse de vous obtenir d'être toujours un zélé et saint missionnaire avec les grâces temporelles qui vous sont néces­saires pour cela.

Si vous voyiez notre magnifique pensionnat de Port-au-Prince avec ses jardins, basse-cour et parc au milieu duquel est le cimetière des soeurs sur une petite hauteur! c'est là que j'étais ce matin quand une bonne soeur vint m'y apporter vos deux brochures de sainte Hunegonde dont je vous suis bien reconnaissante. Cela fit trêve à mes pensées. Je me reportais à trente-cinq ans en arrière et je me revoyais travaillant aux champs avec vous, sarclant joyeusement oeillettes et pommes de terre. Ces souvenirs d'enfance font du bien et reposent l'esprit des fatigues et insucces».

- Le Père lui a écrit qu'elle pourrait peut-être aller avec d'autres Soeurs de Saint Joseph aider nos missionnaires au Congo.

Elle répond: «Grand Goâve, le 21 mai (anniversaire de mon départ de France).

Laissez-moi vous dire que vous avez encore des illusions. Non, je ne me crois plus bonne à rien, à cause de ma fatigue des nerfs et de la tête. - Vous pourriez avoir de nos Soeurs, il y en a déjà au Congo français et au Congo portugais. Adressez-vous à notre Mère générale.

Mais le climat! - Et les négresses de là-bas sont-elles plus faciles à former que celles d'ici, parmi lesquelles il n'y a souvent qu'orgueil, in­gratitude et superstition sous les apparences de la piété.

Cependant j'aime toujours le travail et si notre Mère fondatrice vous accorde le succès de cette mission, elle peut aussi vous obtenir le reste, la guérison de ma tête, etc …».

- Du 28 octobre. - «Vous me promettez encore trente ans de vie, je ne le désire pas. Demandez plutôt pour moi la patience, le calme, l'union avec le Bon Jésus en tout».

Le 2 novembre. - «Pas de messe pour la Toussaint et les Morts. Le Pè­re est malade. Je vais en esprit à la messe à Notre-Dame-de-Liesse. Nous faisons le Chemin de la Croix et nous récitons le Rosaire».

Le Père missionne moins, mais il travaille sans cesse, il écrit.

Il fait des recherches sur sainte Hunegonde, sur le chanoine Simon de Saint-Quentin et son frère qui ont été atteints par les proscriptions de 1793 à Paris. Il écrit la vie de M. Alfred Santerre, son collaborateur au Patronage, modèle de pieux laïque, dévoué à toutes les œuvres.

Il écrit aussi la vie de M. Houppeaux, le pieux curé de Luzoir. Cette vie est restée manuscrite, elle mériterait l'impression. Nous l'avons en­voyée à M. Hanoteaux, directeur de la Semaine de Soissons…

1900

A la retraite, il renouvelle les deux résolutions de l'année précédente en les précisant davantage:

«Aux deux examens du jour, je me demanderai ce que j'aurais fait, ce que je voudrais faire si je devais mourir de soir…».

Ce sera désormais sa pensée dominante: deux fois par jour il se prépa­rera à la mort.

Le 24 mai, sa soeur lui écrit: «J'ai reçu vos lettres, je ne partage pas vo­tre enthousiasme sur les titres de noblesse que vous avez trouvés sur la famille Rasset, à quoi tout cela nous servira-t-il pour le ciel?».

(Il n'en tira pas vanité et n'en parla pas).

Sa pieuse soeur n'aspirait plus qu'au ciel. «Je souhaite, dit-elle, que votre prophétie soit fausse pour les années de vie que vous me promettez encore: Au ciel! Au ciel!».

La pieuse Soeur croit qu'elle ne fait pas grand bien. Sa Supérieure gé­nérale écrit au contraire (le 6 juillet):

«Notre chère Soeur Dominique du Saint-Rosaire est exacte à me don­ner de ses nouvelles, le bien se fait autour d'elle, ses mérites augmentent chaque jour, en attendant que le Bon Dieu manifeste ses desseins pour son retour en France».

Le 9 décembre elle écrit de Pétionville: Ce sont toujours les mêmes sentiments d'humilité. Elle prie en union avec son frère pour la Congré­gation du Sacré-Cœur et pour sa famille. Elle fait chaque jour des pèle­rinages spirituels à Notre-Dame-de-Liesse, à l'autel Saint Joseph de Sains…

En France, le Parlement, la Presse et les Loges s'agitent, on prépare les lois d'expulsion. La pauvre France semble défier son Dieu, elle se prépare de terribles châtiments.

1901

Pour 1901, nous avons de bonnes notes de retraite.

1. Dans mes retraites mensuelles, je relirai mes résolutions des années précédentes.

Je relirai aussi la méditation «des trois degrés d'humilité».

2. J'implorerai souvent le Docteur Angélique pour que je puisse con­tinuer à écrire des choses utiles au prochain.

3. En méditant sur la chute de saint Pierre, je constate que moi aussi j'ai eu bien des défaillances: je ne rejetais pas assez vite les tentations et les pensées dangereuses; j'agissais avec mollesse pour la mortification active.

4. Dans les tentations, je ne dois pas être sourd aux instances de Notre-Seigneur qui me presse de résister.

5. La récréation commune est aussi nécessaire que l'oraison du ma­tin.

6. En méditant sur l'Eucharistie, je me rappelle comment dans mon enfance je désirais vivement de communier. Je dois revenir à la pratique fréquente de la communion spirituelle.

7. Toutes les semaines, faire le Chemin de la Croix pour m'exciter au désir de suivre Notre-Seigneur dans la patience et le sacrifice.

8. Diligis me plus his? M'aimes-tu plus que ces enfants, que ces fidèles pieux?

Pais mes agneaux; pais mes brebis, mes prêtres, par l'exemple, par l'aide fraternelle…

Même résolution que les années précédentes: Quamprimum! Faire quamprimum ce que je voudrais avoir fait si j'allais mourir.

Vivre en religieux toujours.

M'efforcer par mes paroles et mes exemples de porter mes confrères à la vie intérieure, à l'étude de la saine doctrine, à la vie commune sous le regard des supérieurs et des confrères.

- Pour les pénitences corporelles, prendre la discipline pour répri­mer les tentations et les pensées vaines.

- Faire avec soin mes deux examens.

- En récréation, toujours trois ou avec la communauté.

- Tous les mois, j'enverrai mon compte rendu écrit à mon Supérieur (il le faisait exactement). Révision mensuelle dans la confession…

- A la dixième station du Chemin de la Croix, je renouvellerai tou­jours mes résolutions de prudence et délicatesse pour la modestie. On ne doit pas tout lire ni tout regarder. Ne pas oublier la présence de l'Ange Gardien. C'est pour expier toutes nos fautes contre la modestie que Notre-Seigneur a souffert son dépouillement au Calvaire…

Pour ses occupations en 1901, une lettre écrite à sa soeur, à la fin de l'année, les résume:

«J'ai continué chaque dimanche d'aller à travers la boue, faire les fonctions de curé d'Harly-Rouvroy, passant chaque fois par Saint-Eloi qui me rappelle mon vicariat de 1885; il y a douze mille âmes à présent et M. Jourdain, avec ses deux vicaires, s'y donne beaucoup de peine.

(Il remplace à Rouvroy-Harly, M. l'abbé Brochart, qui, grâce à son baccalauréat et à son stage, est devenu recteur titulaire de la Providence d'Amiens). - Pour les fêtes de Noël, j'ai chanté la messe de minuit à Harly; il y avait une douzaine de communions. M. Lecomte de Rou­vroy, originaire de Corbény, semble partir doucement pour l'éternité. J'ai reçu l'hospitalité chez une bonne demoiselle, Alix Rigaut, qui fait le catéchisme aux enfants d'Harly et s'occupe des jeunes filles, enfants de Marie; on m'a entouré de soins à vous rendre jalouse. Elle a une nièce qui est venue la voir ces jours-ci, et qui fait le catéchisme à Montreuil­sous-Bois, près de Paris; ce serait une bonne Soeur de Saint Joseph; je ne sais si elle répondra aux avances faites.

J'ai terminé ce ministère ingrat lundi dernier, en donnant le scapulai­re du Sacré-Cœur à plusieurs personnes; c'est le modèle adopté à Mont­martre, il y a des guérisons nombreuses obtenues par là, il faut user de tous les moyens que la divine miséricorde nous offre…

J'ai peu de nouvelles de la famille et de nos connaissances communes dont le nombre diminue fort. L'affection reste la même entre nous, mais le cercle de la conversation se restreint, c'est comme le silence prépara­toire à l'éternité…

En 1901, la persécution s'accentue.

Le ter juillet, la loi contre les Congrégations est votée.

Le 23 octobre, Dumay demande l'état de la Congrégation.

Ces épreuves qui nous menaçaient contribuaient à briser le pauvre Père Rasset et à ruiner sa santé.

1902

Il a écrit peu de notes en cette année 1902. Il relisait ses anciennes ré­solutions.

Donnons-en une ici, dont le souvenir est à garder. C'est sur la sancti­fication des divers jours de la semaine:

«La semaine sanctifiée par sept dévotions fondamentales et par la mé­ditation des vérités éternelles.

Dimanche, consacré à la Très Sainte Trinité et au Père éternel. - La fin pour laquelle j'ai été créé, c'est la possession de Dieu par le bonheur du ciel.

Le divin Sauveur par sa résurrection en ce jour m'annonce que je res­susciterai comme lui.

Quelle est ma reconnaissance à mon Créateur?

Ma vie est-elle en rapport avec ma fin?

Je veux vous suivre, ô mon Sauveur.

Je veux réparer ce qui me ferait perdre cette brillante couronne qui m'attend.

Lundi, consacré au Saint-Esprit et à la mémoire des âmes du Purgatoi­re. C'est une nécessité pour moi d'être saint. Je suis le temple de l'Esprit-Saint. L'obstacle à la sainteté, c'est le péché véniel. Combien n'en ai-je pas commis! Ma vie doit être un réparation continuelle. Je contribue à mon salut en aidant les âmes du Purgatoire.

Mardi, consacré aux saints Anges. Ils me défendent contre les rages de Satan et contre ma propre fragilité. Dans la grande lutte pour le salut, toute ma force, tout mon secours vient de Dieu et des Anges…

Mercredi, jour de saint Joseph que je dois prier tout spécialement.

Jeudi, l'Eucharistie: résolutions correspondantes pour la messe, l'ac­tion de grâces, l'adoration, l'office.

Vendredi, le Sacré-Cœur et la Passion: Ma vocation spéciale est la ré­paration. Chemin de Croix.

Samedi, consacré à la Sainte Vierge, à Notre-Dame-de-Liesse, des Vic­toires et de la Salette, au Cœur immaculé de Marie, afin d'obtenir sa protection toute spéciale et la persévérance finale. La pensée de l'Eterni­te m'est-elle familière? Règle-t-elle ma conduite? Oh, moment! Oh, éternité! Toujours près de Marie, si je suis fidèle, toujours loin d'elle si je déroge! O ma Mère, c'est de vous que vient la grâce qui me sauvera…

Le 13 janvier 1902. - «J'ai été prêcher aux élèves de Saint-Clément, dimanche matin, et dans la soirée je suis retourné à Rouvroy, pour don­ner l'extrême-onction à M. Lecomte. Il a soixante-douze ans, il a élevé dix enfants, tous sont bons chrétiens comme lui.

Je me crois bien guéri de mes atroces douleurs d'estomac; j'ai travaillé tout ce mois à écrire la vie de M. Alfred Santerre qui m'a guéri; ce sera imprimé pour Pâques».

(Il a raison de dire «ses atroces douleurs», on le voyait se crisper, tant il souffrait.

Alfred Santerre l'a soulagé provisoirement pour qu'il puisse écrire tranquillement sa vie, mais il ne l'a pas guéri).

- «C'est jeudi, écrivait-il encore, le service du bout de l'an de mon ancien ami, M. Houppeaux, curé de Luzoir, je pense y aller».

«Notre Très Bon Père a eu audience du Pape, le 25 décembre, pour Noël. Mgr Coulbeaux a dîné à la maison de Rome le lendemain. - Nos Pères ont une nouvelle maison en Hollande, à Bergen-op-Zoom. - A Rome, on est inquiet à cause du socialisme et de l'impiété générale. Le grand remède serait de notre part plus d'amour envers le Très Saint Sa­crement, soit à la messe, soit à la communion, soit au tabernacle. De­mandez pour moi la pratique de cette conviction. Vous pouvez réaliser cela en Haïti; il y a votre sacrifice en plus… Si nous commencions par devenir des saints!».

- Vers le même temps, il écrit encore: «Ne vous affligez pas de ce dé­cours de ma vie. - J'ai fait visite aux Soeurs de M. Legrand, doyen de Ribemont et à la Soeur de M. Debionne à Alaincourt.

L'isolement de ces pauvres soeurs de curés privées de leurs frères, me fait penser à vous. Vous avez choisi la meilleure part.

J'ai été reçu de la Société académique de Saint-Quentin, dans laquelle il y a des pasteurs protestants, des libres penseurs, je croyais y être utile. Sans regretter de m'être fourré là-dedans, ce ne sera pas cela qui pourra me retenir à Saint-Quentin, dont je me détache de plus en plus. - Le Père Dehon va mettre le siège de la Congrégation à Bruxelles.

Rappelez-vous votre rôle: être une âme de prière, une victime en union avec la victime de l'autel par l'obéissance et la patience. Je vous recommande à saint Michel pour votre jour de naissance, le 8 mai.

Ne vous troublez pas pour les péchés de nos parents du XVIIIe siècle. Le père de papa Doudou (Dautel) a eu les os cassés à la Révolution pour s'être opposé au désordre, c'est un martyr caché. La mère de papa Dou­dou donnait tout aux pauvres. Les anciens Rasset étaient des bienfaiteurs des églises. Nous avons beaucoup de parents au ciel qui prient pour nous. Nous irons les retrouver, ce n'est pas la peine d'être tristes quand la Saint Vierge nous sourit si joyeusement.

La sainte joie, l'élan spirituel, le courage! Il faut vivre tant qu'on a de la vie et nous dépenser jusqu'au bout…

Quand maman, toute petite, priait à l'Eglise d'Ailles, la Sainte Vierge lui souriait. Elle m'a bien dit que c'étaient là des idées d'enfants, mais je crois aujourd'hui que c'est le point de départ de sa sainteté.

La très Sainte Vierge nous aime. Chaque fois que vous serez dans la déso­lation, souvenez-vous de ce que je vous dis».

======XXVIII Souffrances. Marchais-en-Brie 1903-1904

En 1903, c'est la persécution et l'épreuve. Les missionnaires non français que nous avions au Sacré-Cœur, ont été expulsés le 13 décem­bre 1902 par un arrêté de Combes. Il y avait deux Hollandais, un Belge, un Alsacien. Ils faisaient trop de bien pour que le diable les laissât tra­vailler en paix.

- Au 5 avril 1903: Sommation de dispersion.

- Au 9 avril, le président du tribunal nomme des liquidateurs de la ville. Ils n'acceptent pas et ne veulent pas se prêter à cette canaillerie, alors on nous donne Lecouturier.

- Le 23 avril, Saint-Clément part pour la Belgique.

- Le 15 juin, c'est l'inventaire de la maison.

Le P. Rasset n'aimait pas à se retirer en Belgique. Il a tant travaillé depuis trente-cinq ans pour le diocèse de Soissons! Il va encore s'essayer dans la Brie.

Monseigneur le nomme à Marchais près de Condé. La préfecture ne voudra ni l'agréer ni le payer, peu importe. Il restera tant qu'il tiendra debout.

- Il a écrit avec son zèle ordinaire ses impressions de retraite de 1903.

Il se prépare à la mort mieux qu'il ne l'avait fait jamais. Il écrit: «Au­tant que ce sera moralement possible, je n'entreprendrai aucune occupa­tion, aucune lecture, aucun exercice avant que toutes mes affaires ne soient en règle pour mourir. De même avant chaque repas, avant la lec­ture des journaux, l'étude, la correspondance, les conversations, le som­meil; de manière que ma vie ne soit désormais qu'une préparation à la mort».

- Il cite sept noms de prêtres morts sans préparation ou subitement.

- «Je tiendrai ma maison en bon ordre, cela aide pour l'élévation de l'âme à Dieu.

- Je montrerai toujours une douce joie».

- Après l'exercice sur l'indifférence: «Je veillerai sur la pureté du cœur et du corps en m'éloignant de suite de l'occasion extérieure par la fuite, et de la tentation intérieure par la diversion, le recours à la Sainte Vierge…

- «J'avais pris en 1873 la résolution de lire tout Saint François de Sa­les, je la renouvelle pour me former à la douceur. - Ma lecture spiri­tuelle doit être faite sans retard, c'est un exercice nécessaire.

- Sur la méditation de l'Incarnation, je remarque avec quelle mo­destie l'ange se présente et cependant il ne courait aucun péril.

- Pour l'examen particulier: le premier moment est en me levant ou bien la nuit si je m'éveille, en récitant trois Ave Maria pour la pureté.

- Le second moment avant ou après le repas en visitant le Saint Sa­crement, et le troisième après souper, en me promenant dans ma cham­bre et en notant les défauts de la journée.

- Je dois goûter et utiliser contre les démons les sacramentaux pour moi et pour les autres: eau bénite, médailles, etc…

- A la méditation de la Cène, je vois Notre-Seigneur plein de gravité pendant la fonction sainte. Il reste patient et doux avec Judas, ainsi dois-­je faire avec les mauvais prêtres à moins que ce ne soit avec un prêtre grave et pour y remédier.

- A la méditation de la Passion: Je ferai l'Heure Sainte pour me te­nir en union avec mes frères que je juge meilleurs que moi. - Je ferai quelque pénitence corporelle et le Chemin de la Croix le vendredi».

1904

En 1904, il est à Marchais-en-Brie.

Aucune consolation. Presque personne â l'église. Quand il va à son annexe, il ne trouve souvent ni servant ni assistant et il revient sans dire la messe.

Ces tristesses achèvent de détruire sa santé.

Au 6 janvier, il écrit à M. Falleur qui garde le château de Fourdrain: «Attendez-vous à tout. Les juges d'Epernay ont condamné M. le Curé de Boursault et la duchesse d'Uzès à l'amende et à la fermeture de l'éco­le libre sans fondement: les institutrices n'étaient pas religieuses. On vous condamnera â Laon. Il n'y aura pas plus de magistrats à Laon qu'à Epernay, il y aura des commissaires qui vous exécuteront et le public les approuvera.

Pour moi, le préfet de Château-Thierry, venant à Condé pour donner ses instructions aux instituteurs, a eu l'attention de dire sur mon comp­te: «Pour celui-la, il ne sera jamais payé». - J'ai déclaré à l'évêché que je restais quand même à Marchais. Je suis du diocèse et j'y exerce le mi­nistère depuis trente-cinq ans. J'ai versé ma cotisation à la caisse de se­cours depuis 1868. M. le Préfet répond que les lois de la République ne reconnaissent que les prêtres d'une congrégation autorisée ou pourvue d'un titre légal?? Il paraît que la caisse de secours n'a pas même le droit de me venir en aide!…».

Le 24 mars, il écrit encore à M. Falleur: «J'ai reçu vos étrennes. Nul espoir de traitement. Je suis fort souffrant et de plus en plus de l'esto­mac. En prévision de ce qui semble s'annoncer (un état plus grave), j'ai acheté aux Soeurs des Chesneaux deux petits matelas, quarante francs, pour ne pas finir sur la paille…».

Le 25 avril, il lui écrit encore: «Dans notre rayon le mal vient des prêtres indignes; il faudra cinquante ans pour qu'on l'oublie et la dispari­tion des familles actuelles, qui vont s'éteindre par l'unicité des enfants et la mobilisation du sol. Le mal vient du manque de foi en France; il y a un travail de démoralisation qui s'effectue de lui-même par des causes autres que la franc-maçonnerie, c'est ce qui donne à cette honteuse so­ciété de prévaloir. Nous ne sommes pas nous-mêmes à la hauteur de la situation dans laquelle nous nous débattons.

Je suis malade physiquement parce que mon courage ne s'est pas trouvé en rapport avec le sacrifice au devant duquel j'étais allé» (Ici il s'humilie par vertu. Le courage ne lui a pas manqué, mais sa santé était perdue).

Il écrit â sa soeur: «Soyons fidèles à notre vocation d'âmes réparatri­ces, toujours contentes, humbles sous la main puissante de Dieu, aban­données à sa volonté. Faisons simplement notre devoir dans les petites choses sans murmure ni plainte, soyons doux à tout le monde, a la mala­die, aux petites épreuves et incommodités, unis à Notre-Seigneur sur la croix».

- 4 août 1904. Marchais-en-Brie. - «Chère bonne soeur, je vous écrivais de Saint-Quentin le 5 juillet: nous avons eu de fortes chaleurs, c'était plutôt favorable à mon état. J'ai découvert une source ou fontaine sacrée de saint Frémis (saint Firmin, évêque martyr d'Amiens) â Mar­chais, je l'invoque pour mon frémissement d'oreille. J'ai écrit une dou­zaine de lettres pour avoir des éclaircissements. Le samedi 9, j'ai passé mon après-midi à parcourir ma paroisse de La Celle pour avoir quelqu'un a la messe le lendemain qui était la fête. Personne! Le 10, on est venu me chercher pour l'adoration perpétuelle de Vieils-Maisons, où j'ai prêché trente-cinq minutes; même assistance qu'il y a quinze ans, environ vingt personnes.

Je suis allé à Château-Thierry le 12 pour un réunion de prêtres qui tentent une société de secours mutuels et aussi pour faire mes adieux aux chers frères.

Le 13, visite d'adieux aux soeurs de Notre-Dame-de-Nazareth, qui m'ont comblé de petits cadeaux pour. mon mobilier et pour mon esto­mac… Elles se sont enfuies le lendemain pour échapper aux questionnai­res qui arrivaient de la Préfecture de la Marne. - Voilà donc les soeurs de Saint Joseph de Cluny soumises aussi à un liquidateur. Dom Bosco a prédit les épreuves de la France à qui Dieu enlèvera ses richesses en pu­nition de son infidélité…

Le P. Grison m'écrit d'aller au Congo, mais hélas! je me couche deux fois dans la journée comme les chats dès que j'ai mangé un peu. Je garde cependant l'espoir de guérir…».

- 7 septembre 1904. - «Le 9 août, j'étais allé à Saint-Quentin pour voir le Révérend Père Grison qui est revenu pour se reposer. Il ne savait pas encore qu'il était nommé Préfet Apostolique de sa mission par décret du 3 août dernier.

Le 12, à notre anniversaire, j'ai été dire la messe à Notre-Dame-de­-Liesse avec le Père Grison. Vous n'avez pas été oubliée auprès de la Très Sainte Vierge. Je suis rentré le soir à mon presbytère. - J'ai passé l'après-midi du dimanche 14 à La Celle pour inviter à la messe du 25 août. J'ai pu causer à une quarantaine de personnes.

Le matin du 14, j'étais seul à Vendières avec un frère mariste que j'ai recueilli, seul à Marchais avec la bonne. Pour la fête de la Sainte Vierge à La Celle, il y avait juste une jeune femme. Je tâche de placer des cruci­fix, on ne m'a répondu mal que dans deux maisons.

J'ai rencontré à Laon le Père Dessons avec qui je suis allé dîner à Fourdrain où on est toujours dans l'attente de l'issue du procès. - Je pense faire ma retraite en octobre chez les Pères jésuites à Cormon­treuil. - Je suis bien souffrant parfois, la Très Sainte Vierge multiplie les miracles pour me faire vivre sans traitement à Marchais. Je ne de­mande pas et l'on m'envoie du secours.

- 7 novembre 1904. - Je n'ai pu aller en retraite, j'ai craint d'être à charge soit à mes confrères, soit aux Pères Jésuites.

Je suis allé à Cilly prêcher au lendemain de la fête sur le Purgatoire. J'ai lu le 6 octobre à Château-Therry devant la société historique une étude sur la fontaine Saint-Frémis de Marchais.

Le dimanche 16, M. le baron de la Doucette est venu me chercher pour dîner à son château de Vieils-Maisons, mais quelles souffrances pendant ce temps-là!

Le lendemain 23, je suis allé à Ramecourt où j'ai prêché le jubilé, j'ai essayé de faire ma retraite seul, quatre exercices par jour de six quarts d'heure; cela m'a fait du bien physiquement, j'ai vécu de lait et d'un oeuf par repas. J'avais au sermon de vingt à quarante femmes le matin et une centaine le soir avec une douzaine de garçons ou d'hommes. J'ai confessé quarante-cinq personnes et les enfants.

(On peut dire que c'est héroïque pour son état de santé).

J'ai négocié mon retour à Saint-Quentin comme aumônier pension­naire à la clinique des Dames-de-St-Erme, mais il y a des difficultés.

Ne me trouvant pas plus fatigué, j'ai écrit à M. Palant que j'irais à Cilly en novembre pour le même ministère. - Depuis lors à Vendières j'ai eu à la messe une petite fille; à Marchais, ma bonne seule! J'ai fait des visites à la Celle et dans les hameaux pour avoir du monde à la Mes­se de la Toussaint, il est venu huit à dix personnes. A Marchais, il y avait vingt-sept femmes, dix de plus que l'an dernier. Tout n'est pas de­sespére, Saint Frémis m'a obtenu la conversion du vieux sonneur, qui blasphémait la Sainte Vierge et qui s'obstinait à dire: «Quand on est mort, tout est mort». Je pense à la parole de Saint Paul: «Il m'a aimé et il est mort pour moi»; pour un, donc cela vaut bien d'être ici au rancart, si j'ai sauvé une âme.

Hélas! encore un scandale à Baulne. Après Pannier, Bourdin, Poide­vin, deux autres depuis, cela fait six ou sept.

Nos fonctionnaires, jusqu'aux simples cantonniers, ne peuvent plus aller à la messe. Quelles apostasies partout! Pour moi, je vais au jour le jour. Hier je ne pouvais pas payer mon boucher, mais l'abbé Bonnet m'a apporté des messes. - Donc soyez sans inquiétude. La Sainte Vier­ge veille à tout. Je m'afflige seulement de ne pouvoir plus écrire, de ne pouvoir plus inviter les prêtres voisins à l'étude en commun.

Un médecin chrétien à Saint-Erme, M. Forest, me dit que je guérirai, que je n'ai pas de cancer mais seulement un rétrécissement du pylore.

Nous avons encore perdu un jeune prêtre, P. Tharcis Lambert, mort à Fayet. Le P. Grison a été reçu par le Pape qui s'est montré d'une bonté charmante à son égard.

A St-Quentin, ordonnance de non-lieu au correctionnel, mais on va poursuivre la liquidation.

J'ai été à Pargny pour la fête et le jour des morts, il y avait six confrè­res. On se demande comment on vivra après la séparation.

Recommandez autour de vous un petit livre: Une rose effeuillée. Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus» (Le Bon Père s'est donc nourri de cette dévotion dans ses longues souffrances…

Du 6 décembre 1904. - «Toujours personne à l'église. Je suis privé de traitement mais une vingtaine de prêtres m'ont spontanément adressé de l'argent, même des plus pauvres: MM. Bonnet, Lequeux, Pomera, Marchal, etc., tant pour les pauvres que pour l'église et pour la réserve; j'ai en ce moment 1.600 francs.

Nous avons perdu au Brésil le P. Bernardin Joannès, - au Congo le P. Benito Fassbender.

C'est le huitième au Congo depuis le bon Fr. Bonaventure qui a été vous voir à Port-au-Prince.

J'ai eu la consolation de voir revenir à Dieu mon vieux sonneur, d'au­tre part il y a eu à Vendières un enterrement et des mariages civils. J'ai prêché à Cilly du 13 au 24 novembre. J'y ai beaucoup souffert. J'avais le matin de trente à quarante femmes, le soir un cent et une dou­zaine d'hommes; le catéchisme à 11 heures, une centaine de confessions, communions d'une douzaine de malades et vieillards en retard…».

22 décembre 1904. «Décidément je vais quitter Marchais, je ne puis plus faire ce qu'il faudrait pour obtenir du résultat, j'irai à Louvain. Trois de nos prêtres et deux frères sont partis pour le Congo, le 8 décembre. - Je quitte Marchais sans trouble. En un an, j'ai pu absoudre quatre mala­des. Quand on pense que Notre-Seigneur est mort pour chaque âme en particulier, c'est un résultat incalculable devant Dieu. -je vais aller en Belgique, rien d'autre n'a pu s'arranger. C'est la croix de l'exil et de la séparation ajoutée à celle de la maladie.

J'aurais pu rêver de vous faire revenir pour me soigner, mais non! Mourez en communauté; et pour moi, puisse la Très Sainte Vierge me faire assister par mes frères qui m'aideront au dernier passage…

Quelques notes de sa retraite faite à Ramecourt en octobre:

1° Je ne dois pas faire ce qui me plaît mais chercher en tout ce qui plaît à Dieu.

2° Je relirai les traités de Dieu et de la Trinité, pour que je connaisse Dieu plus intimement.

3° Faire diversion sans retard dans les tentations des sens.

Mon jugement est proche: veiller sur la négligence dans les exercices spirituels et les examens.

5° Chasser la tristesse par les exercices spirituels - et en agissant con­tre toute négligence extérieure ou intérieure…

Il se sanctifiait manifestement et rapidement. Il devenait toujours plus intérieur et plus surnaturel. La souffrance le mûrissait. Sa conversation était toujours plus édifiante. Il se possédait mieux et il ne parlait plus guère que de la gloire de Dieu à réparer dans les tristesses présentes, et de la pauvre France à aider surtout par le sacrifice et par la prière à Ma­rie, notre céleste protectrice.

C'est une pieuse victime qui se prépare doucement à l'immolation su­prême. Il a bien répondu à sa vocation. «Prier, agir, souffrir», c'était sa devise. Ses exemples nous resteront comme un modèle pour ceux qui viendront après nous.

======XXIX Consummatum est 1905

ses dernieres lettres

20 février 1905. - Il est encore à Marchais, mais il va quitter. - «J'ai eu à Noël une grande consolation, celle de penser combien Notre Sei­gneur nous avait aimés plus que les autres en nous attirant à son service.

J'ai veillé jusqu'à minuit en priant et en lisant dans ma théologie quel­que chose sur le mystère de la Nativité de Notre Seigneur. J'ai donné la communion à un grand garçon de 18 ans que j'avais à l'épreuve.

A 6 h. 1/2 par un peu de neige nous sommes allés dire la messe à qua­tre kilomètres à La Celle, j'ai fait le tour du village, comme Saint Joseph, personne n'est venu.

A 8 heures, j'ai dit une première messe. Je suis allé à Vendières, à trois kilomètres, dire la messe de l'aurore à 9 heures. J'ai eu la fille du Président de la Fabrique, baptisée pour sa Première Communion le 27 juin dernier. J'avais prévenu qu'on aurait la messe, je n'ai eu que cette enfant.

A 10 h. 1/2, quatre kilomètres, j'étais à Marchais où mon voisin, Pré­sident de la Fabrique, 90 ans et sa bonne sont venus; pas un enfant.

A 2 heures j'ai appelé quelques enfants et j'ai pu donner la bénédic­tion avec l'ostensoir à ma bonne, ma voisine, mon garçon et deux petites filles. C'est tout.

Le lendemain, je suis retourné à La Celle dont le patron est saint Etienne, afin de pouvoir dire deux messes, il n'y a eu personne. - Ce­pendant j'ai confessé un vieillard malade et lui ai donné la sainte Com­munion, dont il se disait d'abord indigne.

Mon départ à causé un certain regret surtout à Vendières! ! . . . Regar­dons le ciel où il n'y aura plus de ruines à craindre…».

12 juin 1905, Bruxelles. - «J'ai essayé d'aller demeurer à Louvain, mais je n'ai pas pu y rester… Il semble que je sois tout absorbé par la di­gestion; l'unique remède est de m'étendre sur le dos quand les douleurs se font sentir.

Je retourne au milieu de nos étudiants chaque semaine vingt-quatre heures pour y donner deux conférences. - A Bruxelles, je ne suis allé que chez les Pères du Saint Sacrement, chez les Servites, les Carmes et les Jésuites, à Sainte-Gudule et quelques églises. J'ai prêché une douzai­ne de fois à notre chapelle depuis mon arrivée. - J'ai écrit à la Soeur Marie de l'Immaculée-Conception (Lucie Audierne) pour lui demander une neuvaine à sainte Philomene pour obtenir l'amour des Croix. C'en est une grande de voir que Notre-Seigneur me rejette de partout. - J'essaie de donner encore la retraite à quatre ordinands à Louvain pour la Trinité, mais je ne sais plus que lire, je dois souvent me mettre au lit…».

11 septembre 1905. Ma dernière lettre était du 1er juillet, je voulais vous souhaiter une bonne fête de saint Dominique et je crois que je n'en ai pas parlé; je demande à Notre-Seigneur, pour l'anniversaire de votre vêtu­re, et votre fête du Rosaire que vous revêtiez Notre-Seigneur dans la vé­rité de ses vertus, que vous arriviez à la vraie humilité. Bien souvent l'humilité c'est souffrir, endurer; et l'orgueil, c'est la satisfaction de soi­-même, c'est jouir de soi.

En juin et juillet, il y a eu de brillantes fêtes à Bruxelles, mais je ne suis pas sorti… Je vois souvent notre mère dans mes rêves, assise parfois dans une maison ensoleillée, comme préparant une belle table, toute joyeuse, attendant des invités. Nos autres parents seraient-ils encore en Purgatoire? Je voudrais les délivrer tous avant de mourir mais pour cela il faudrait être soi-même agréable à Dieu. -J'ai essayé de faire les exer­cices spirituels à loisir, en juillet-août, ne pouvant suivre la retraite. Obligé de m'étendre sur le dos après chaque repas, j'ai lu plusieurs bio­graphies du Saint Curé d'Ars et de la Bienheureuse Marguerite-Marie. J'ai pu cependant prêcher assez souvent dans notre chapelle, un petit quart d'heure. - J'ai été à Clairefontaine pour le conseil de la société. J'ai souffert, mais un médecin me donne espoir de guérison.

Un mot du saint Curé d'Ars: «Je n'ai jamais fait de reproches à mes paroissiens, il faut exhorter, presser et entraîner les autres après soi». - La bienheureuse Marguerite-Marie n'avait pas l'esprit critique, elle se contentait d'attirer les autres à son sentiment par la suavité de ses ma­nières et de son ton en même temps que par l'onction de ses paroles et discours.

Vous cherchez l'humilité, il faut demander à Notre-Seigneur l'humili­té infuse intérieure, c'est un don comme la pureté de cœur. - Recom­mencez tout le 7 octobre, anniversaire de votre prise d'habit (dixi: nunc coepi), avec l'expérience de votre impuissance en plus».

Il se mûrit dans la souffrance.

Un médecin de Lille lui assure qu'il y a des chances de guérison par une opération à l'estomac. Il va se livrer au scalpel. Il met tout en règle. Il écrit de plusieurs côtés pour demander des prières. La Mère Supérieu­re des Soeurs de Saint Joseph lui écrit: «Nous avons appris avec peine que votre santé vous oblige à subir une opération prochainement. J'ai invité toute la communauté de la maison-mère à se joindre à vos prières, pour obtenir un heureux résultat par l'intercession des trois protecteurs que vous invoquez.

Vous voudrez bien nous le faire connaître, afin que nous acquittions aussi ensemble le devoir de la reconnaissance…».

Il a encore noté en juillet-août sa retraite de 1905.

1° Dans les tentations, recourir à Dieu mentalement ou même exté­rieurement si possible.

Me tourner vers la Sainte Vierge, vers mon ange gardien pour obtenir de lui le respect de la présence de Dieu en moi.

Lire du Saint-Thomas.

2° A cause des grâces sensibles que j'ai reçues de saint Joseph, j'écri­rai une étude sur l'histoire du premier Joseph comme figure de l'Epoux de Marie.

J'écrirai un plan de retraite selon l'esprit du Sacré-Cœur.

J'aurai toujours un travail en train pour l'utilité et l'édification de mes frères.

3° Après la méditation sur les miséricordes du Seigneur: pas de tris­tesse, ni dans mon cœur, ni sur mon visage, mais toujours la joie spiri­tuelle, l'aménité, le sourire modeste à l'imitation de Notre-Dame du Sacré-Cœur.

4° Sur le règne du Christ: Bien dire mon Rosaire chaque jour pour ti­rer quelques fruits de ses mystères.

5° Sur l'Annonciation. Je devrais inspirer à tous la modestie comme faisait l'ange Gabriël. Respecter en moi le prêtre consacré.

6° Sur la Visitation. - Si j'hésite dans mes devoirs à remplir et mes résolutions à suivre, je deviens lâche et je suis puni comme Zacharie.

7° Fuite en Egypte. - Dans les tentations, fuir et prendre avec moi l'enfant et sa Mère, Jésus et Marie, qui seront ma sauvegarde.

8° Pratiques d'humilité: Me rappeler mes péchés, me mépriser sincè­rement; me tenir pour le dernier, me regarder comme trop bien traité, trop estimé;

Ne pas parler de moi;

Obéir volontiers en voyant Dieu dans mes Supérieurs;

Accepter volontiers les admonitions;

Après les actions accomplies, me tenir indifférent si j'ai mal fait;

Me réjouir des succès d'autrui;

Supporter les défauts d'autrui sans me troubler;

Accepter avec reconnaissance les humiliations.

thermometre de la ferveur

1° Promptitude et sanctification du lever;

2° Exactitude dans l'examen particulier, dès le réveil en prévoyant le point principal de l'examen; après l'oraison, en disposant les actions de la journée; à midi ou quam primum, après midi; le soir, en notant les ré­sultats.

3° Ordre dans les actions, faire ce qui presse le plus suivant la volonté de Dieu manifestée par les circonstances;

4° Soin des petites choses, v. g. pour moi, ordre dans mes papiers et mon bureau; soin de la chambre…

5° Souci constant de l'observance de la règle; silence, ponctualité, permissions…

Le voilà à Lille chez les Camilliens à la fin d'octobre pour le Sacrifice Suprême. Il est prêt à tout. Il veut bien souffrir pour essayer de redeve­nir apte au travail apostolique.

Il fait une confession générale. Il offre sa vie pour toutes les intentions qui lui sont chères, spécialement pour sa famille religieuse.

L'opération est longue et plutôt téméraire: le chirurgien lui ouvre l'estomac, lui coupe une tranche de chair cancéreuse, cicatrise, recoud tout cela avec des centaines de points de suture. Il croit avoir réussi; mais le lendemain, le malade commence à baisser. On me télégraphie, je cours à Lille, il édifiait tout le monde par sa foi, son courage, son esprit surnaturel. Il fait prier tout le monde ave lui, le docteur, les étudiants en médecine. je trouve tout ce monde très impressionné.

Je donne au Père l'extrême-onction, il répond à tout.

Il n'y a qu'un témoignage: C'est un saint prêtre. Son sacrifice est pour l'œuvre et pour le règne du Sacré-Cœur.

Il meurt le samedi, comme il le demandait à la Sainte Vierge depuis son entrée en religion. Il n'a pas dû faire un long purgatoire.

On a ramené son corps à Saint-Quentin. On a fait la levée de corps à notre chapelle auprès des barrières dressées par le liquidateur. - Il était fort estimé en ville, ses funérailles ont eu une assistance nombreuse et re­cueillie.

La Semaine Religieuse a rappelé son zèle inlassable.

Mgr Deramecourt et beaucoup de prêtres nous écrivirent de bonnes lettres.

Voici la dernière lettre que le Père m'écrivit le 30 octobre 1905:

«Je fais mes préparatifs avec calme pour ce soir, ayant déjà dit mes Vêpres de Saint-Quentin, bien adaptées.

- J'offre ma vie de bon cœur à Notre-Seigneur quoique je sois heu­reux de l'avoir reçue et d'avoir vécu en votre compagnie. Amitié à tous; vous n'aurez de nouvelles que tout danger passé.

Un père Jésuite m'assistera».

(Ce sont les adieux d'un ami).

Mgr Deramecourt m'écrivit le 5 novembre: «Monsieur le Supérieur Gé­néral, je m'empresse de vous dire que j'ai prié pour le P. Rasset et fait prier pour lui tout autour de moi. C'était un prêtre vaillant et qui voulait travailler encore à la gloire de Dieu et au salut des âmes, au prix d'une opération inquiétante. Son abnégation et sa générosité seront récompen­sées. Il honore votre Congrégation et priera pour elle et pour nous».

Votre bien dévoué.

A. V.

Beaucoup de prêtres nous écrivirent. Citons-en seulement deux ou trois:

«M. Turquin, curé-doyen d'Anizy, offre ses respectueuses et religieu­ses condoléances à M. le Chanoine Dehon et à la famille du vénéré et re­gretté défunt. En priant Dieu pour le repos de son âme, il lui demande de vivre et de mourir comme ce saint prêtre».

De M. Sauvez, curé de Saint-Erme: «Elle est venue bien tôt la mort du P. Rasset, connu à Saint-Quentin par son zèle et dans tout le diocèse par son amour des âmes. - L'an dernier, je l'avais revu avec bonheur à Ramecourt où il prêchait le jubilé. Invité par M. Lecomte, l'oncle de mon pieux ami Eugène, il avait apporté dans cette chrétienne paroisse, toutes les ressources de son cœur et de son âme. Ses accents avaient quelque chose de mélancolique dont ses conversations se ressentaient… Il nous laisse une profonde impression de sa vertu. Je le regarde comme un saint, un martyr du devoir accompli dans toute sa plénitude, depuis la première heure de sa vocation religieuse jusqu'à la dernière. Il fait partie de la catégorie des justes à qui on demande des prières. Je le prie de vous envoyer un peu de ces consolations promises à ceux qui souffrent persécution pour le justice et de me donner à moi, curé de campagne, la force et la vertu nécessaires pour faire un peu de bien…».

Du bon Père Harmel: - «Je prends une vive part à la perte cruelle de ce saint religieux que j'aimais depuis tant d'années».

Que dirai-je à mon tour? - Ce bon Père a eu sa grande part dans la fondation de la Congrégation. Il a été mon principal auxiliaire. Il s'inté­ressait particulièrement aux jeunes gens, à leur santé, à leurs études. Il était comme la mère de famille.

J'ai vu peu de prêtres qui aient une foi plus vive. Il était bien détaché de lui-même, il vivait pour Dieu et pour les âmes.

Son respect et son obéissance pour son supérieur étaient sans réserve. Il ne voyait pas l'homme et ses défauts, il ne considérait que le représen­tant de Dieu.

Sa dévotion à Marie était tout à fait exceptionnelle. Ce n'est pas le chapelet seulement, mais le rosaire tout entier qu'il récitait tous les jours, même dans les temps de grandes occupations.

Pour le lever matinal et pour la fidélité à son heure d'oraison, on peut dire qu'il a été habituellement héroïque.

Combien il aimait le sacerdoce! Quel pieux dévouement il avait pour les prêtres! Quand il parcourait le diocèse pour ses missions et ses prédi­cations, il ne se contentait pas d'aider le prêtre qui l'avait invité, mais il allait voir tous les voisins, en s'imposant de longues courses à pied. Il sa­vait combien nos prêtres, trop isolés dans ce vaste diocèse, ont souvent besoin d'encouragements et de consolations. Il savait d'ailleurs unir la discrétion à la charité.

Personne n'a pris part autant que lui avec moi aux longues épreuves de la fondation. Il m'a toujours loyalement aidé, et je dois dire que sa fi­délité et sa persévérance ont été souvent héroïques.

Il est mort, comme il a vécu, en victime pour l'Eglise, pour notre grand diocèse qu'il aimait tant, pour sa Congrégation et pour le règne du Sacré-Cœur.

======XXX SUPPLEMENT Quelques notes sur l’apostolat de sa soeur en Haïti (1885-1912)

Sa bonne soeur Mélanie avait, dès son enfance, la vocation à la vie re­ligieuse missionnaire, mais elle patienta, elle attendit pour aider son fre­re et lui donner ses soins pendant les premières années de son ministère paroissial.

Elle passa huit ans avec lui, à Baulne, à Clamecy, à Sains. Ils s'ai­maient surnaturellement et faisaient ensemble l'œuvre de Dieu.

Sa vocation la sollicitait toujours. En 1876, n'y tenant plus, elle s'aboucha avec les Soeurs de Saint Joseph de Cluny. Elle fut admise et entra au noviciat. Mais ce ne fut que neuf ans plus tard, en 1885, que son désir des missions put être satisfait, par son envoi en Haïti. C'est cette séparation du frère et de la soeur qui nous a valu cette correspon­dance de trente années où nous trouvons les traits les plus édifiants de leur vie, leurs vertus modestes et leur admirable esprit de sacrifice pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.

La bonne Soeur est entrée au couvent en février 1877. Elle fait six mois de postulat et deux ans de noviciat. Elle a quelques épreuves de santé, mais pas de découragement. Ses lettres assez fréquentes à son frè­re dans cette période peuvent se résumer ainsi: «Courage, mon frère, si je vous ai quitté, c'est pour mieux aimer et mieux servir le Bon Dieu».

Elle écrit gentiment à son papa pour lui demander pardon de la peine qu'elle a pu lui faire en entrant en religion. Elle a voulu faire la volonté de Dieu et assurer le salut de son âme.

Connaissant son frère, elle lui écrit de ne pas trop se mortifier et de ne pas se négliger pour la nourriture.

Le noviciat est à Thiais, elle y est heureuse. «C'est bien ici, dit-elle, que le Bon Dieu me veut. La règle de la Communauté répond bien à tout ce que je voulais et désirais».

En juillet, elle devient un peu souffrante, mais elle prie bien pour sa guérison. «Ce serait, dit-elle, une peine terrible d'être obligée de retour­ner». Elle pressent d'ailleurs la vocation de son frère.

Sa santé se remet et elle est admise à la vêture pour le premier diman­che d'octobre. - Elle reçoit les beaux noms de Soeur Dominique du Saint-Rosaire. Son frère assiste avec émotion à la grande fête. - La voi­là novice, elle travaille à se former aux vertus de douceur, de patience et d'humilité.

En 1878, elle lui écrit encore assez souvent. Elle prie pour la mission qu'il fait donner à Sains et Chevennes par les Lazaristes, M. Courtade et un autre. Elle ne le pousse pas à entrer en religion, au contraire, elle lui fait remarquer combien le P. Libermann a eu à souffrir pour fonder un institut nouveau.

Elle ne veut pour lui que la volonté divine, elle en voit des signes en ce que ses projets le rendent plus fervent et son Cercle s'organise pour vivre sans lui.

- «Avez-vous remarqué, lui dit-elle, que saint Adrien ne se fit saint qu'après s'être séparé de sa soeur, qu'il mit dans un couvent? Il alla d'abord à la Cour de Constantin, puis il se fit religieux» (N'est-ce pas saint Arsène?).

9 juillet 1878. - «Quelle admirable coïncidence, lui écrit-elle. Au mo­ment où vous faisiez votre premier pas, je renouvelais mes premiers voeux, le 28 juin. Je conjure notre divin Maître que nous soyons l'un et l'autre pour son divin Cœur des victimes pures et dont l'oblation lui soit toujours agréable».

- «Maintenant, il me semble bien que le Bon Dieu vous veut dans cette œuvre, et je vous conjure de ne pas l'abandonner sous n'importe quel prétexte». - «Je suis prête à tout faire pour que vous y soyez fidèle».

Elle fait sa seconde année de noviciat à Paris dans la calme et la fer­veur.

Le 3 septembre 1879, elle est admise à la profession et le Père a la con­solation d'assister à cette touchante cérémonie. Trois mois plus tard, la Soeur est autorisée par ses supérieures, à faire partie d'une association privée de Victimes du Sacré-Cœur, elle sera ainsi plus unie à son frère.

En 1880, elle est placée à la maison d'œuvres qu'ont les Soeurs à la rue d'Ulm. C'est un orphelinat, avec des dames pensionnaires. Il y a douze Soeurs. L'aumônier de la maison est M. Pineau qui a étudié à Rome avec moi.

Le 11 avril elle va passer deux jours à Juvincourt auprès de son père dont la santé donnait de graves inquiétudes, mais il se remet et elle ren­tre à Paris. Le bon vieillard est mort quelques mois plus tard, le 7 sep­tembre, bien préparé par son fils.

La Communauté de Saint Joseph compte deux mille quatre cents reli­gieuses, quelle belle famille!

1881. - Le 7 mars la Soeur fait part à son frère de la mort du P. Schwindenhamer, Supérieur Général des Pères du Saint-Esprit, qui goûtait notre œuvre et priait pour nous.

1882. - Elle compatit à notre incendie et à nos épreuves, puis survient la mort subite de son oncle; elle espère quand même pour son salut.

Au 4 septembre, elle va renouveler ses voeux pour cinq ans, elle désire toujours aller aux colonies, mais il faut attendre l'heure du Bon Dieu.

Elle encourage toujours son frère:

«Je vois avec bonheur que vous marchez généreusement dans la voie du sacrifice et du renoncement. Bon courage! Surtout ne regardez pas en arrière, ne pensons plus au passé, mais à l'avenir, au ciel, où la récom­pense sera d'autant plus belle que nous aurons plus souffert à la suite de Jésus, dont il nous faut imiter la patience, la douceur, la soumission».

En 1883 et 1884, elle est toujours à ses œuvres de la rue d'Ulm. Elle prend part à tout ce qui intéresse les œuvres de Saint-Quentin, épreuves et progrès.

En 1885, elle est au comble de ses voeux, elle part pour Haïti…

Le 20 mai 1885, elle écrit de Saint-Nazaire: «Adieu! Je pars demain pour Haïti; Dieu le veut. Fiat! Il m'a été impossible de vous prévenir, car hier à trois heures, je n'en savais rien. La Soeur désignée pour cette mission est tombée malade et j'ai été prise pour la remplacer…».

De Santander, 22 mai. - «Mauvaise mer, patience! J'ai eu le pressenti­ment de mon départ, en conduisant à Notre-Dame des Victoires la Soeur qui devait partir, j'ai cru voir le petit Jésus me faire signe de partir aussi. Je priais pour être mise à des œuvres où je pourrais faire beau­coup pour le salut des âmes…».

La bonne Soeur fera tous le postes d'Haïti en quelques années: Port­au-Prince, Jacmel, Baradères, Aquin, Gonaïves, Grand-Goave, Les Cayes. - C'est que le climat est terrible là-bas, les Soeurs deviennent facilement malades, beaucoup meurent jeunes, et celles qui résistent vont de poste en poste pour soutenir les œuvres.

- Son frère craignait qu'elle trouvât là un mauvais clergé, mais elle le détrompe.

Mgr Guillaux a purifié son diocèse, Il y a des Pères du Saint-Esprit et des prêtres français corrects.

Elle est nommé directrice d'un externat libre de trente-six enfants à Port-au-Prince. Elle souffre de la chaleur et elle est éprouvée par la fièvre.

Elle passe là toute l'année 1885. Des personnes généreuses ont fait construire une chapelle pour les Soeurs. Le Président Salomon, un beau noir, assiste à l'inauguration.

Un épisode de son voyage sur le bateau: Il y a là un M. Saint-Geraut, chef-pharmacien, rose-croix, qui se dit cependant religieux et protecteur de la religion…

Le 23 octobre, fête du Président, anniversaire de son élection. Grand'messe à laquelle assistent le Président et ses ministres… Nous n'en sommes pas là en France…

Le 28 octobre, funérailles de Mgr l'archevêque, le Président y assiste avec le Gouvernement.

Le 14 décembre. - «le clergé est édifiant mais pauvre. La plupart des prêtres sont Bretons, ils viennent du séminaire haïtien, fondé en Breta­gne par Mgr Hillion».

En janvier 1886, la Soeur fait sa retraite, puis elle est envoyée à Jacmel comme assistante de la Supérieure malade. Il y a là des œuvres variées, une école de persévérance. - Elle entend de son école le sabbat que font les noirs pendant huit jours pour le culte du Vaudou qui est un souvenir de leur culte satanique d'Afrique.

Jacmel a, dit-elle, la tristesse d'avoir des anges déchus, deux prêtres interdits, un Frère et une Soeur qui n'ont pas gardé leurs voeux.

Elle y passe deux ans, elle y souffre beaucoup du climat. - Elle re­mercie son frère de ce conseil précieux: «La joie parfaite est de souffrir avec patience».

«Nos prêtres, dit-elle, ont une situation pénible: pas de ressources et des pauvres à soutenir. Avec cinquante mille âmes ils n'ont pas plus de cinq honoraires de messes par an».

Elle est cependant consolée par la piété que montrent les enfants à leur Première Communion.

Elle doit faire des courses à cheval, traverser des rivières. Elle se fait à tout, c'est pour le Bon Dieu. C'était pour aller à Port-au-Prince pour les vacances et la retraite: deux jours de route, vingt lieues à cheval, cent­-vingt cours d'eau à passer, c'est bien la vie de missionnaire.

Pour soixante mille habitants dans la paroisse, il n'y a que trois prê­tres qui ont parfois quinze lieues à faire pour aller voir un malade. Il y a six mille personnes qui communient et beaucoup d'unions irrégulières. - Un vicaire fait souvent trente baptêmes à la fois; le jour de Pâques, cent trente; le lendemain, cinquante…

A Noël 1887, elle va encore à Port-au-Prince, c'est pour y faire ses voeux perpétuels. Puis on la laisse là à la maison de Port-au-Prince, et elle regrette son catéchisme et ses œuvres de Jacmel.

Elle va passer un an à Port-au-Prince. Elle est lingère au séminaire, elle aimerait mieux avoir une œuvre d'enfants comme à Jacmel, mais elle se soumet à la volonté de Dieu.

On lui rend au 19 mars un patronage d'enfants du dimanche, cela fait sa joie. En esprit de sacrifice, elle engage son frère à lui écrire moins sou­vent.

Elle lui conseille de ne pas s'alarmer au sujet des nouvelles que les journaux donnent sur Haïti: insurrections, incendies, etc. Les journaux exagèrent.

2 décembre 1888. - «Je vous en prie, ne vous inquiétez pas à mon su­jet. Ne m'avez-vous pas donnée au Bon Dieu et ne sauvez-vous pas que rien n'arrive sans sa permission? - Le nouveau Président «Légitime» est un bon chrétien, de la Confrérie du Sacré-Cœur et ami de Monsei­gneur. Voilà pourquoi les francs-maçons s'agitent.

Le 20 mars 1889, elle est envoyée à Baradères, où elle passera l'année. C'est une fondation nouvelle. Les Soeurs s'y rendent par mer. Le capi­taine de la goélette est du Tiers-Ordre. On part au chant des cantiques. Le voyage dure plusieurs jours, c'est un vrai pèlerinage, on prie en com­mun à bord, on récite les litanies et le rosaire.

A l'arrivée, les autorités de la ville vont au devant des Soeurs en ca­not. Tout s'annonce bien. C'est une belle région, riche en palmiers, co­cotiers, bananiers… Réception triomphale à l'église, dîner réconfortant, le Père Dambreville, le curé, a tout bien préparé. La maison est confor­table avec une statue de saint Joseph et deux tableaux des saints cœurs de Jésus et de Marie. - Le premier vendredi, réunion des hommes du Sacré-Cœur, vingt-cinq font la sainte communion, et parmi eux le ma­gistrat communal… Il y a six ans, dit le Père, cette paroisse était stérile, et maintenant, il y a établi le Tiers-Ordre, les associations du Sacre­-Cœur, des enfants de Marie, etc. On peut donc faire du bien en Haïti. - Au mois de juin, fièvres violentes, la pauvre Soeur faillit mourir, elle reçut l'extrême-onction et se remit.

Elle a une classe de soixante élèves et travaille toute l'année malgré de fréquents accès de fièvre.

En 1890, elle est à Aquin, était trop éprouvée par la fièvre à Baradères. Elle a encore des œuvres intéressantes. Elle apprend la mort subite de son frère Rémy, elle espère quand même, il lui avait écrit un mois avant, et se préparait à aller se confesser à Liesse.

En 1891, deuxième année à Aquin. - Excursion sur la montagne à Mare-à-coiffe. Il y a une chapelle, le Père confesse trente personnes et marie un vieux général de septante ans avec une femme de cinquante­-cinq ans qui vivait avec lui depuis longtemps. La chapelle (une cabane), est ornée de palmes et de fleurs de laurier. Il n'y a rien à la sacristie, tout tient dans une caisse vermoulue. On fait à la hâte un purificatoire avec un corporal mangé par les rats…

En novembre 1891, elle transporte ses pénates dans le nord, à Gonaïves, pour la fondation d'un hospice.

Il y a là une trentaine de pauvres affligés, hommes et femmes, qu'il faut soigner. Là aussi tout est à faire: il n'y a rien à la chapelle, rien à la maison. Le bien va se faire là aussi, elle amènera tous ces malheureux à la pratique de la religion, mais il faut d'abord lutter beaucoup pour les soumettre à un règlement et leur interdire le tafia avec lequel ils se gri­sent. - Le diable lui joue tous les tours. Elle fonde un jardin en faisant apporter de la terre sur son terrain volcanique et aride.

En 1892, elle est toujours à Gonaïves. Le bien se fait, elle obtient la conversion d'un vieux magistrat protestant.

A la fin de 1892, elle retourne à Baradères pour un an. La population est heureuse de la revoir.

A la fin de 1893 et tout 1894 et 1895, elle est à Port-au-Prince dans un orphelinat de quarante enfants. C'est bien la vie apostolique. - Elle voit en songe son père, délivré du Purgatoire. - Mgr Tonti, archevêque de Port-au-Prince et délégué apostolique, leur dit la messe. (C'est un an­cien sténographe du Concile, et il est devenu cardinal).

La Soeur est fatiguée et songe à son retour en France, mais les Supé­rieures ne le jugent pas à propos.

En 1896, la voilà au Grand-Goâve. Cette fois, c'est pour cinq ans, avec quelques semaines de répit chaque année, pour les vacances et la retraite à Port-au-Prince. Elle se dévoue de nouveau aux enfants dans les écoles et les œuvres de persévérance.

En 1901, elle se croit devenue incapable, mais sa Supérieure générale assure qu'elle fait toujours le bien.

En 1905, elle est aux Cayes pour plusieurs années. C'est là qu'elle ap­prend la mort de son frère.

En 1911, elle revient après vingt-six ans d'Haïti. Un grand incendie aux Cayes laissait dix mille personnes sans asile. - Je suis allé la voir à Paris.

Elle ne peut plus se faire au climat froid et brumeux de la France, et au 16 mai 1912, elle s'embarque à nouveau à Bordeaux pour Haïti.

======XXXI Témoignages publics rendus â la mémoire du R. P. Rasset par la Presse régionale

1. Journal de Saint-Quentin, 7 nov. 1905.

2. Journal de l'Aisne, 7 nov. 1905.

3. Journal de l'Aisne, 8 nov. 1905.

4. Croix de l'Aisne, 9 nov. 1905.

5. Semaine religieuse de Soissons, 11 nov. 1905.

6. Semaine religieuse de Soissons, 25nov. et 2 décembre 1905.

1. – Journal de Saint-Quentin, 7 nov. 1905

m. l’abbe basset

Nous apprenons, sans autre détail, la mort de M. l'abbé Rasset, des prêtres du Sacré-Cœur, qui a succombé à Lille, chez les Camilliens, rue de la Bassée.

M. l'abbé Rasset était un très saint homme qui se donnait tout entier à sa mission: prêchant, confessant, écrivant, remplaçant des confrères, ne s'accordant jamais de repos. Le ministère paroissial l'avait mis en communication, on peut même dire en communion avec l'âme du peu­ple, et les œuvres sociales n'avaient pas de partisan plus résolu que lui.

Il écrivit avec beaucoup d'onction la vie de M. Santerre, et ce petit li­vre est tout plein de pittoresque en même temps que de piété.

M. l'abbé Rasset fournit en outre des contributions historiques im­portantes à la Semaine religieuse.

Nous saluons la mémoire de ce bon prêtre et présentons à ses frères dispersés par la persécution, nos respectueuses condoléances.

Le corps de M. l'abbé Rasset sera inhumé à Saint-Quentin mercredi prochain.

Ce mot de regret était écrit quand nous recevons une lettre qui nous apprend que M. l'abbé Rasset est mort des suites d'une épouvantable opération à l'estomac. Notre correspondant ajoute:

«Ses médecins et les élèves chirurgiens témoins de sa grande foi et de son courage héroïque disaient: «C'est un saint prêtre».

Tout son idéal était le travail pour les âmes et pour la gloire de Dieu. Quatre ans de persécution qu'il a subis ont provoqué et poussé à l'extrê­me sa maladie d'estomac».

M. l'abbé Rasset était âgé de soixante-deux ans. Il avait été doyen d'Oulchy-le Château et missionnaire diocésain.

Le service sera célébré en l'église Basilique de Saint-Quentin, mercre­di, à dix heures précises du matin.

L'inhumation aura lieu au cimetière du faubourg Saint Jean.

La réunion aura lieu à neuf heures et demie, 30, rue Antoine Lecuyer.

2. – Journal de l’Aisne, 7 nov. 1905

JUVINCOURT. - Nous apprenons la mort, à Lille, de M. l'abbé Bas­set, originaire de Juvincourt. Après son ordination, il fut nommé vicaire de Sains et curé de Richaumont; puis il occupa successivement diverses cures dans le diocèse, devint missionnaire diocésain et doyen d'Oulchy­-le-Château, poste qu'il quitta pour se livrer plus particulièrement à l'apostolat et se consacrer à la direction du noviciat des Prêtres du Sacré-Cœur.

Prêtre pieux et instruit, sévère pour lui, mais profondément charita­ble; doué d'une infatigable activité il fut, dans le diocèse, un des promo­teurs du mouvement social chrétien qui se développa après 1870 par la fondation de l'œuvre des cercles catholiques d'ouvriers.

Ceux qui ont assisté aux diverses réunions de l'Union diocésaine des œuvres se rappellent ses charmants et érudits rapports empreints d'une personnalité toute spéciale. Issu d'une antique et chrétienne famille ter­rienne, il s'était adonné à des recherches scrupuleuses dans les bibliothè­ques et les archives publiques et privées, et avait acquis une connaissan­ce approfondie des localités et des familles anciennes du pays.

Nous aimons à espérer qu'il sera publié une biographie de ce prêtre, animé du plus pur zèle apostolique et qui n'épargnait ni son temps ni ses fatigues, ni ses démarches dès qu'il y avait une âme à éclairer ou à sau­ver. Sa disparition sera principalement regrettée de ceux qui avaient pu pénétrer dans son intimité et comprendre tout ce qu'il possédait d'éclai­ré et de surnaturel sous une apparence un peu originale, parce qu'il était autrement et mieux doué que beaucoup d'autres.

Après le départ des Prêtres du Sacré-Cœur de Saint-Quentin, M. Rasset fut nommé curé de Marchais-en-Brie. Les épreuves morales et les fatigues physiques de son ministère si rempli l'obligèrent à se retirer ma­lade depuis déjà plusieurs années.

M. l'abbé Rasset était âgé de soixante-deux ans, il est mort pieuse­ment à Lille où il s'était rendu pour y subir une opération héroïquement supportée. Ses funérailles auront lieu mercredi prochain à Saint­-Quentin.

Nous adressons l'expression de nos bien vives condoléances à sa famil­le et en particulier à sa vénérée soeur que la persécution religieuse a con­trainte de porter dans un autre hémisphère l'amour de Dieu et celui de la France qui l'animent.

3. – Journal de l’Aisne, 7 nov. 1905

JUVINCOURT. - Nous avons annoncé hier la mort de M. l'abbé Bas­set, et nous avons dit quelle grande perte faisait en lui notre clergé diocé­sain.

Ajoutons aux notes biographiques déjà données, que M. l'abbé Bas­set appartenait au Laonnois par ses liens de parenté avec la famille Mar­quette, et qu'il lui appartenait encore par le ministère religieux qu'il y avait exercé comme curé de Fourdrain.

Alors qu'il était, en ces dernières années curé de Marchais-en-Brie, M. l'abbé Rasset était devenu membre correspondant de la Société archéologique de Château-Thierry. Très érudit dans toutes les questions d'histoire locale, il laisse plusieurs importants manuscrits. Citons entre autres de lui de très curieuses et précises recherches sur le lieu dit: «La Fontaine de Saint-Fremy».

C'est bien, comme nous l'avions fait prévoir, demain à dix heures du matin, que les obsèques du vénérable abbé Rasset auront lieu à la basili­que de Saint-Quentin. L'inhumation aura lieu au cimetière du Fau­bourg Saint Jean.

4. – La Croix de l’Aisne, 9 nov. 1905

FUNERAILLES. - Le mercredi 8 novembre, ont eu lieu les funérailles de M. l'abbé Rasset, dont nous avons annoncé la mort dans notre der­nier numéro.

On nous écrit:

Mercredi matin, nous arrivions au n° 30 de la rue Antoine Lecuyer à Saint-Quentin, dans les débris de maison abandonnés par le liquidateur Lecouturier à M. le chanoine Dehon.

Grand de caractère non moins que de taille, M. le Chanoine Dehon, toujours le même, dans l'adversité comme dans la prospérité, nous ac­cueille avec cette sympathique courtoisie que chacun sait et nous dit: le corps est à la chapelle.

Quel froid glacial dans cette chapelle: celui de l'abandon et celui de la mort! Le Saint-Sacrement n'y est plus. Sur chacun des trois autels des cierges en cire sont allumés. Au milieu de la chapelle, le cercueil recou­vert du drap des morts spécial à la Société des Prêtres du Sacré-Cœur; de chaque côté, des prêtres; dans le fond, des religieuses en prière.

A dix heures précises, la levée du corps est faite par M. l'abbé Delor­me, premier vicaire de la Basilique, accompagné par un nombreux cler­gé.

Le convoi s'organise. Les coins du poêle sont tenus par M. le chanoi­ne Quentin, aumônier de l'Hôtel-Dieu de Saint-Quentin; M. le Chanoi­ne Marchal, ancien économe du Grand Séminaire de Soissons, tous deux condisciples du défunt; M. l'abbé Lobbé, curé de Saint-Martin et propriétaire de la maison dite du Sacré-Cœur; M. Arrachart.

M. le chanoine Dehon, entouré de la famille du défunt et des prêtres, conduit le deuil.

A la Basilique, la messe est chantée par M. le vicaire-général Pignon, curé-archiprêtre, assisté de MM. Osset et Roesch, vicaires.

Au banc des dignitaires: M. le Chanoine Landais, archiprêtre de Sois­sons, MM. les Chanoines Ad. Littierre du Gand Séminaire; Chedaille; Lelong; Mercier. MM. les curés-doyens de Oulchy, Bohain, Flavy, Ri­bemont; MM. les ecclésiastiques de la ville et les curés desservants des paroisses environnantes. Reconnus: MM. les curés de Sissy, Crougis, Origny, Montrehain, Lesdins, Levergies, Bellicourt, etc.

Nous avons compté soixante-dix ecclésiastiques dans le choeur de la Basilique.

L'absoute fut faite par M. le chanoine Dehon et la conduite au cime­tière par M. l'abbé Lobbe, qui, récitant sur la tombe les dernières priè­res liturgiques, avait peine à dominer son émotion, partagée d'ailleurs par les parents et amis de ce prêtre zélé dont on peut dire, comme du Maître au service duquel il s'est dépensé: Il a passé en faisant le bien.

Avec la Semaine Religieuse, nous espérons qu'une plume bien documen­tée tracera la notice due à un prêtre de ce mérite.

Il y a, dans la vie de ce prêtre de quoi instruire, intéresser, encourager et édifier.

5. – La Semaine religieuse de Soissons, 11 nov. 1905

Nous avons le regret d'apprendre la mort de M. l'abbé Rasset, décédé à Lille, muni des sacrements de la Sainte Eglise, à la clinique Saint-­Camille, le 4 novembre, dans sa soixante-troisième année.

L'inhumation a eu lieu mercredi dernier, au cimetière du faubourg Saint Jean, à Saint-Quentin, après un service célébré à la basilique.

M. Rasset était issu d'une très honorable famille agricole de Juvin­court. A Laon même il était apparenté à la grande famille des Marquet­te.

M. Rasset avait fait d'excellentes études dans nos séminaires diocé­sains. Très intelligent, avec une pointe marquée d'originalité, pieux et zélé, il devait fournir une carrière sacerdotale bien remplie. Après être demeuré quelque temps à Clamecy où il restaura l'église, il devint vicai­re de Sains où il avait pour curé-doyen M. Tricotteux retenu chez lui par la maladie. M. Rasset, chargé en outre de la paroisse de Chevennes, se dépensa sans compter. Soin des deux paroisses, discernement heureux des vocations ecclésiastiques, évangélisation des âmes si bien dirigée qu'on reconnaît encore aujourd'hui celles qui reçurent sa formation, établissement d'un Cercle catholique qui eut un succès remarquable et produisit les plus heureux résultats, c'est à peine là un rapide aperçu de l'œuvre de M. Rasset dans ses quatre années de séjour à Sains.

Avant d'être ensuite missionnaire diocésain chez nous il a fait de nom­breuses suppléances, mêlées à d'importants travaux apostoliques.

Il avait été curé de Fourdrain et doyen d'Oulchy-le-Château.

Dans ces dernières années, il avait demandé et accepté le desservisse de Marchais-en-Brie, où il séjourna une année et demie dans les conditions les plus défavorables, déjà malade, et sans espoir de rétribution admi­nistrative.

M. Rasset était un ecclésiastique érudit et très laborieux. Ses études d'histoire locale ont leur mérite. Dernièrement associé à la Société ar­chéologique de Château-Thierry, il publiait des recherches sur un lieu dit la Fontaine- Saint- Frémy. Il laisse de nombreux manuscrits.

- Disons de lui ce que nous avons lu aux Saints Livres: Plora super mortuum quoniam requievit. Regrettable est son repos.

Nous espérons qu'une plume bien documentée tracera la Notice due à un prêtre de ce mérite.

M. l'abbé Adrien Rasset, né à Juvincourt le 12 septembre 1843, fut ordonné prêtre le 6 juin 1868, curé de Baulne-en-Brie le 1er juillet 1868, curé de Clamecy le 24 août 1871, vicaire de Sains, curé de Chevennes le 15 janvier 1875, prêtre du Sacré-Cœur à Saint-Quentin (au Patronage) juillet 1878, curé de Fourdrain le ler octobre 1888, curé-doyen d'Oulchy le 19 décembre 1890, démissionnaire en 1893, curé de Marchais-en-Brie le 20 juillet 1903. Retiré en Belgique, 1905. Décédé à Lille le 4 novem­bre 1905.

6. – La Semaine religieuse de Soissons, 25 nov. 1905

M. L'ABBE RASSET, DECEDE MISSIONNAIRE DIOCESAIN

Nous aussi, nous voudrions nous arrêter un instant devant la tombe d'un prêtre que la mort vient de ravir au diocèse et qui en fut l'un des meilleurs ouvriers: operarium inconfusibilem, recte tractantem verbum veritatis.

On le dira comme nous: il fut bien de ceux que rien ne détourna de sa vocation, que le travail ne rebuta jamais, et que la souffrance et la persé­cution du temps présent atteignit sans l'abattre ni l'aigrir. En lui consa­crant ces modestes pages nous voulons faire connaître la beauté d'une âme sacerdotale, tout apostolique, et répondre tout à la fois à une parole, à un désir que nous respections à tous les titres.

Nous ne ferons d'ailleurs ici qu'ajouter un plus ample commentaire aux différents et éloquentes articles qui déjà, dans la Semaine, le journal de l'Aisne et le Journal de Saint-Quentin, ont été publiés et si bien motivés, sur M. Rasset.

i. – baulne-en-brie

En 1868 nous le voyons d'abord à Baulne-en-Brie jusqu'en 1871 et là, signalons deux particularités: d'abord une remarquable communica­tion faite par lui à la Semaine (en la première année, page 280) sur un ad­mirable jeune prêtre, son prédécesseur, décédé à trente-huit ans, M. Ju­les Legrain, frère de M. le doyen de Condé qui l'a rejoint dans la tombe.

Nous avons lu et relu bien des fois cette nécrologie avec émotion; elle a tiré les larmes de nos yeux et de beaucoup d'autres.

A Baulne-en-Brie, à La Chapelle-Monthodon et à Saint-Agnan, M. Legrain se fait non seulement chasseur des âmes (comme va faire M. Ras­set), mais tout à la fois il porte sur les ruines de sanctuaires la main la plus dévouée, la plus active et souvent la plus heureuse. Il se fait tout à la fois restaurateur, c'est-à-dire à la fois maçon, vitrier, plombier, peintre, doreur, chasublier, et tout cela joint à un desservisse de trois gros ha­meaux comportant treize cents habitants et vingt-et-une dépendances répandues sur un périmètre de dix lieues.

Il les parcourt au besoin, le recensement en main, et tout cela sans né­gliger les vieillards, les malades, les enfants des catéchismes pour lesquels surtout il se montre ce que voulait Fenelon quand il disait: «Soyez pères, soyez mères».

On a calculé qu'il a dû faire à pied, en cinq ans, plus de six mille lieues par bon et mauvais temps. «Tel malade, disait-il, lui-même, lui avait bien coûté cent cinquante lieues dans les fondrières».

Et cependant il ne croyait pas faire assez. «Je fais au moins, disait-il, respecter la robe du prêtre et dire que je crois à ce que je dis». Parfois il se décourageait cependant: «Je me meurs, disait-il, de chagrin et d'en­nui».

Voilà l'exemple que signalait et voulait suivre M. Rasset en le signa­lant si admirable. Voilà son thème à son début.

A Baulne, M. Rasset faillit être fusillé à l'époque de la guerre, en 1871. Une lettre reçue ces jours derniers nous raconte comme une sorte de double miracle de la Sainte Vierge. Les francs-tireurs et peu après les Prussiens avaient envahi son presbytère. Le visitant pour s'assurer du délit, de la station des francs-tireurs, le chef prussien passant dans la sal­le à manger, salue visiblement une statue de la Sainte Vierge et fait une courte prière, mais n'entre pas plus loin, dans le dépôt des armes empi­lées dans la maison. Aussi M. Rasset, laissé seul peu après, appuyait sa tête sur les pieds de la pieuse image, en gage de reconnaissance.

Voilà le double fait, et puis…

Qu'arriva-t-il? Le chef prussien fit signe de ne pas voir les armes amoncelées un peu plus loin, et brusqua la visite. Malgré cela un man­dat d'amener fut lancé contre M. Rasset, et un franc-tireur, d'autre part, avait été tenté de tirer de sa cachette sur le chef prussien. Plus tard, M. Rasset, qui n'avait pas d'abord quitté le village parce que le pays était en proie à la variole noire, rencontra le chef ennemi.

Inquiet toujours de son mandat, M. Rasset ne reçut pour menace qu'une courtoisie, la carte du Prussien, architecte à Berlin. Donc, M. Rasset avait évité la visite compromettante, détaillée, et le chef prussien la balle homicide du franc-tireur.

ii. – clamecy, en soissonnais

Après deux ans de séjour à Baulne„M. Rasset fut appelé au desservisse de Clamecy, près Soissons.

A une certaine époque, avant sa résidence, - séminaristes en prome­nade, - nous visitions le presbytère et l'église de Clamecy.

Devant une mise en scène navrante, un état des lieux des plus mélan­coliques, nous nous disions: «Mon Dieu, si j'étais-là!» Le nouveau curé de 1873 restaura tout au moins l'église et se contenta du mélancolique presbytère qu'il habita plus de deux ans.

iii. – vicariat de sains

Ici se place le vicariat de Sains au sujet duquel nous avons reçu une communication très obligeante, très autorisée et de main de maître.

Faisons tout d'abord parler notre obligeant correspondant de Sains, si bien documenté et inspiré: «C'est en 1875, je crois, que M. Rasset fut envoyé à Sains comme vicaire de M. Tricotteux, alors très malade.

Bien vite M. Rasset eut conquis l'estime et l'affection de la paroisse par son dévouement et son abnégation. Prêtre pieux et instruit, il était sévère pour lui, mais profondément charitable et d'une infatigable acti­vité.

Malgré son air distrait et froid, il eut spécialement de l'influence sur la jeunesse. Puissamment aidé par M. Dessons père, il fonda le Cercle Ca­tholique (nous en dirons plus loin l'occasion) dans des conditions d'abord peu attrayantes, vu le local insuffisant et le manque de ressour­ces. La persévérance du Directeur et de ses jeunes gens fut récompensée, et le Cercle eut bientôt une grande maison et des jeux.

La piété eut tout de suite une place d'honneur, la prière du soir termi­nait les soirées récréatives, les offices paroissiaux étaient fidèlement sui­vis et le respect humain était en faillite.

«Les autres œuvres déjà existantes, celles des Mères chrétiennes, des Enfants de Marie se maintinrent dans la ferveur, et quand M. le vicaire les remit à la direction de M. le doyen, mieux portant, elles étaient pro­spères.

Les enfants de choeur eux-mêmes étaient l'objet des soins attentifs de M. le vicaire. Il établit pour eux une petite Conférence de Saint-Vincent de Paul. Ils visitaient leurs camarades d'école tombés malades. Ce n'est pas sans reconnaissance que se souviennent de ces petites séances deux de ces jeunes patrons devenus prêtres».

Ajoutons à ces pieux détails que si M. Rasset commença par un Cer­cle Catholique, vers 1875, c'est qu'on était à l'époque où MM. de Mun et La Tour du Pin les inauguraient. On se souvient encore chez nous du Congrès général des Cercles Catholiques tenu alors à Notre-Dame de Liesse dans la grande cour du séminaire, de l'affluence énorme qu'il réunit, des prédications et discours divers, notamment de celui de M. Langenieux, alors chanoine de Paris, du repas commun, etc.

M. Rasset trouva là sa voie… Il s'y attacha. On se rappelle à l'Union diocésaine des Œuvres ses charmants rapports, très érudits, «empreints d'une personnalité toute spéciale», a dit le journal de l'Aisne. Sa disparition finale par son décès, ajoute-t-il, sera principalement regrettée de ceux qui avaient pu pénétrer dans son intimité et comprendre tout ce qu'il possédait d'éclairé et de surnaturel sous une apparence un peu originale, par­ce qu'il était autrement et mieux doué que beaucoup d'autres».

Nous n'ajouterons rien à ces jugements de maître.

iv. – chevennes, annexe du vicariat de sains

Doué d'une infatigable activité bien qu'il n'eût pas les allures re­muantes, ni très parlantes, M. Rasset s'occupait aussi activement de sa petite paroisse de Chevennes, annexe de son vicariat.

Nous citerons deux traits tout personnels:

Le soir d'un beau dimanche d'été, vers cinq heures, nous traversons à pied, allant à Guise, le petit pays de Chevennes. Ailleurs nous avions trouvé bien des villages en goguette, en danses balançoires, et à Cheven­nes tout était calme, quasi d'apparence inhabitée. Où était-on? J'avisai l'église, je m'y faufilai à pas de loup et je la trouvai pleine. C'était le cha­pelet et la prière en commun.

- Nous avons de plus entre les mains un gracieux livret intitulé une Famille chrétienne. C'est l'histoire d'une famille de Chevennes, la famille, Religieux, de nom et de fait, pieuse famille où M. Rasset sut trouver et enrôler de son temps, deux Frères qui plus tard devinrent, l'un assistant général, et une Religieuse qui devint supérieure générale des Soeurs de Saint Thérèse d'Avesnes.

On se rappelle leurs noces d'or où figuraient, près de leur père et mè­re, avec le pays tout entier, une nombreuse lignée de vocations. La construction qui acheva l'église de Chevennes, à laquelle tout le pays travailla, fut l'œuvre aussi de M. Rasset.

Mais avant de quitter Sains, signalons un notable sacrifice de la chair et du sang.

La soeur de M. Rasset habitait avec lui, elle lui était précieuse, elle édifiait la paroisse par son éminente piété, mais l'esprit apostolique l'avait saisie, la travaillait. Elle quitta père, mère et frères pour se don­ner aux missions d'Haïti de Saint Joseph de Cluny, n'était-ce pas dans une léproserie? Avec quelle joie plus tard le frère et la soeur correspon­daient, se parlaient par-delà les mers!

v. – saint-quentin. le patronage 1878

Après trois années de vicariat, M. Rasset fit un autre expériment: le Patronage de Saint-Quentin où il passa près de dix ans.

Nous en avons un vivant tableau dans une biographie où il s'oublia lui seul et qu'il intitula: Un juste Saint-Quentinois - Alfred Santerre, petit livre suave et brillant qui paraît ne donner place qu'à un admirable laïque mais où l'on devine l'action héroïque du prêtre directeur. puisse-t-il être acquis, lu et relu dans les familles chrétiennes et surtout dans nos grands et petits Séminaires. On ne regrettera pas les deux francs que coûtent ses deux cents pages.

On reconnaît là aussi les intéressantes études locales auxquelles nous disions que M. Rasset était si dévoué, parce qu'il y ajoute des souvenirs dont il fait une précieuse et complète révélation.

Mais quelle révélation il fait du jeune homme - de l'homme, du ci­toyen, du chrétien, du commerçant, de l'homme d'œuvres, du catholi­que, du Tertiaire, du Saint-Quentinois que fut M. Santerre. - Mais comment lire sans larmes, le vieillard et ses épreuves, et ses déceptions? Soyez béni, petit livre!

Pour donner à la grande ville un Patronage et de pareilles œuvres, que de sacrifices ignorés! M. Gobaille, deux mille francs; M. Dehon, cinquante-deux mille francs; M. Agombard à l'avenant, et M. Rasset, là et ailleurs? Il était entré dans le sanctuaire pouvant y vivre à ses frais (douze cents francs de rente) et il mourut dans la pauvreté, pauper et men­dicus.

vi. – fourdrain et oulchy-le-chateau

Encore un expériment de quelque années, 1889, 1890, 1895. Le début pourtant était complet. C'étaient les approches de la campagne du Sacré­Cœur, de ses missions apostoliques, de ses initiations, de ses suppléances diocésaines, de son action variée… M. Rasset ne se croyait pas fixé à ces postes, pourtant de confiance, où cependant il était déjà bien connu. Il n'y fut pas complet, pratique, praticien d'action. Et cependant, et gran­dement, il jouissait dans la grande église d'Oulchy, en face de saint Ar­nould, de Lysiard de Crepy, d'un grand passé, des souvenirs lointains du petit Séminaire. Qu'il fut heureux plus tard encore d'apprendre les métamorphoses récentes inspirées par le goût artistique de ces dernières années en la grande église!

vii. – le sacre-cœur a saint-quentin

Nous n'apprendrons rien à personne de ce que tout le monde sait… Quel dévouement M. Dehon et M. Rasset témoignèrent à cette place! Qui n'a témoigné en retour à chacun la plus sympathique admiration, et maintenant versé des larmes? Sunt lacrymae rerum.

viii. – la fin

Les dernières campagnes du missionnaire diocésain furent Ramecourt et Cilly.

C'était le chant du cygne. Quelles douces conquêtes autour d'eux, et sur les malades, surtout, réservées à son zèle apostolique! Mais, nous oublions l'écrivain, le chercheur universel, l'historien du pays Laonnois, du Soissonnais et du Vermandois. Avec la collaboration à la Semaine, le Règne du Sacré-Cœur, la Vie d'Alfred Santerre, le juste Saint-Quentinois, que dire de sainte Hunegonde, de saint Remy, etc… où le savant était toujours en haleine, défiant la souffrance, paraissant un enfant ou un saint se jouant des affaires et de la mort… Mais la fin approchait… et il partait pour Marchais-en-Brie contre vents et marées, comme à une conquête, qu'il continua un an et demi. Il fit encore une première com­munion. Mais que d'épreuves morales! Il y trouva des enfants qui ne le saluaient pas d'abord, ameutant contre lui les chiens… Il en triompha, et il avait un desservisse de douze kilomètres. Enfin la nature céda. La Belgique lui offrit des soins dévoués. Rien n'y fit et à celui qui pouvait à peine manger, il fallut un «risquons-tout», une opération terrible qui fit dire aux praticiens: c'était un saint. Quatre ans de persécutions qu'il a su­bies avaient provoqué et poussé à l'extrême sa maladie d'estomac, dit le journal de Saint-Quentin.

Cher M. Rasset, nous dirons encore Plora super mortuum quoniam requie­vit. Regrettable est votre repos, et aussi bien: Vivit in Christo gemma sacer­dotum… Perle du sacerdoce, vivez dans le Christ et vivez avec nous. La France a tant besoin d'hommes qui vous ressemblent!…

P. S. - Nous avons visé en faisant cette pieuse biographie à ne pas la faire tardive ni longue non plus. Cependant quelques obligeantes com­munications nous sont venues après coup, et nous voudrions y faire hon­neur et en faire profit.

Dès sa première enfance un souvenir a longtemps frappé M. Rasset: Avant de connaître l'enfant qu'il attendait, M. Rasset père disait un jour à sa femme, à la sainte mère dont l'enfant à tout âge bénissait l'em­preinte sur son âme: «Si ton enfant est un garçon, je ne voudrais pas empêcher qu'il soit prêtre». Et pourtant il était alors peu sympathique à cet­te idée.

N'était-ce pas une sorte d'horoscope?

La première communion était restée un souvenir ineffaçable à M. Rasset. Il en écrivait souvent à sa soeur et lui disait qu'il y était préparé de longue date par le premier éveil de la foi et de l'amour divin en lui. Le soir de ce jour béni, il retourna à l'église solitaire de Juvincourt et les bras étendus sur les fonts de baptême, il fit mieux que jamais le renou­vellement de ses voeux de baptême.

Il pensa dès lors à faire en sa vie l'œuvre de réparation, pro peccatis suae gentis, qu'il continua toujours depuis.

Pendant son Petit Séminaire, laïque encore, il s'adonna aux travaux de la campagne; labourer, tracer des sillons, charger et conduire les voi­tures, lui plaisait infiniment, et il aimait à souhaiter que beaucoup de prêtres sortissent des sillons, des familles terriennes.

Si nous avons dit qu'il n'était pas complet, pratique ni praticien d'ac­tion comme il en aurait eu l'occasion, aux travaux de l'église d'Oulchy, c'est que là il se fût engagé, homme de passage, dans la dépense, dans le maniement de l'argent et que son système, sa devise étaient jusqu'à la mort: Ne rien avoir, ne rien devoir, - comme son principe de spirituali­té: Ni péché, ni dettes.

Nous ne répéterons pas que partout il se montra l'historien, l'homme des souvenirs, surtout locaux.

De Fourdrain on nous apprend qu'il rétablit la belle procession du pa­tronage de Saint Lambert et qu'il en publia la notice populaire.

- Quel précieux appoint n'a-t-il pas fourni à son très intelligent et très intéressant confrère d'Essommes pour recueillir les éléments de la biographie d'un éminent confesseur de la Foi, M. Aubert, curé de Ven­dières et de Vieils-Maisons, pour qui, en 1822, M. le duc de Doudeau­ville, obtint du Gouvernement une cure de première classe, pour lui et pour ses successeurs?

- Malgré les ingrats souvenirs du pays de Marchais-en-Brie, M. Rasset pouvait-il oublier que saint Vincent de Paul, aumônier alors, en 1620, du château de Montmirail, prêcha dans le choeur de Marchais et que si le choix du pays de Marchais paraissait condamner les prêtres à la mort, il en sortait parfois cependant des légions de prêtres, témoins, ces années dernières, les trois frères, les abbés Collard.

- Si la fontaine Saint-Fremy n'a pu conserver la croix que M. Rasset y avait plantée (on prétexta que c'était un fait d'ingérence cléricale) il n'en recueillait pas moins à Marchais les autres épaves antiques, les silex historiques, etc., pour la Société archéologique, et il n'en proposait pas moins un monument quelconque pour marquer à Marchais le point ter­minus de la bataille de Montmirail. C'était l'homme des souvenirs du pays et du travail intense.

Pour s'aider malgré les souffrances et pour conjurer son isolement, il s'était adjoint un pieux novice qui feuilletait et priait avec lui. Tout lui était bon, les thèses théologiques comme les choses historiques. Or, celles-là nous rappelaient, en ces derniers jours à Marchais, un travail de longue haleine sur le Péché véniel où il avait rencontré des horizons inaperçus, disait-il.

Achevons et disons que si l'ingrat milieu où se sont éteints finalement, dans le dur pays de la Brie, quelques-uns de ses derniers jours avant ceux de l'exil, il avait suscité cependant des admirateurs. Combien de nobles familles de la région avaient deviné ses mérites, lui fournissaient discrètement et noblement le morceau de pain, témoins ces deux familles divisées par une succession, qui convenaient finalement de la lui faire ac­cepter (près de neuf cents francs) sous forme de services religieux.

C'était justice rendue. Disons finalement comme le pieux historien de M. Aubert, d'un confesseur de la Foi éminent:

Cher abbé Rasset, vous avez le mérite des grands sacrifices et du dé­vouement sans bornes, d'avoir vécu saintement et en apôtre, d'avoir ho­noré votre sacerdoce, d'avoir compris en même temps et aidé les grandes œuvres d'un collègue admirable, «et quand plus tard vos traits s'estom­peront dans la brume d'un passé lointain, vous apparaîtrez comme l'un de ces grands ancêtres qui accomplissaient leur vocation coûte que coû­te, sans aucun souci d'intérêt, au mépris même de l'exil, des souffrances et de la mort, avec une bravoure et une foi toujours égales.

Oui, de tels hommes nous honorent. Il ne faut pas les oublier. Ils ont droit aux souvenirs, au respect et à l'admiration de tous, mais en parti­culier de leurs compatriotes et de leurs frères».

Sit memoria illorum in benedictione!…

Le Curriculum de M. Rasset est aussi chargé qu'instructif et édifiant, nous complétons ici ce que nous avons déjà mentionné:

En 1878, M. Rasset était directeur du Patronage et chapelain des Re­ligieuses Servantes du Cœur de Jésus, à Saint-Quentin.

En 1882, il va passer une année en Angleterre pour se perfectionner dans la langue anglaise. Il est auxiliaire du curé de Sedgley, près de Bir­mingham.

En 1883, revenu d'Angleterre, il est professeur d'anglais à l'Institu­tion Saint Jean. Entre temps, il va missionner et confesse à Saint Jean, au Patronage, chez les Soeurs.

En 1888, il est curé de Fourdrain. En décembre 1890, doyen d'Oul­chy.

En 1885, de juillet à décembre, il a été auxiliaire du curé de Saint-­Eloi.

Ses deux grandes années de missions sont 1886 et 1887.

En 1886, missions ou retraites à Monceau-lès-Leups, - Coincy, - Ardon, - Leuilly, - Abbécourt, - Bernoville, - Parpeville, - Char­ly, - Château-Thierry, - Le Nouvion, - Epaux-Bézu, - la Croix de Saint-Quentin, - Dallon, - Guise.

En 1887, il est à Beautroux où il s'occupe des étudiants et novices de la maison.

En 1887, Castres, - Soize, - Brunehamel, - Origny-en-Thiérache,

- Ardon, - Puisieux, - Fayet, - Pleine-Selve, - Soize, - Juvigny, - Leuilly, - Ardon, - la Providence de Laon.

Fin 1888, il arrive à Fourdrain…

- Redisons la conclusion de la Semaine:

«De tels hommes nous honorent. Il ne faut pas les oublier, ils ont droit aux souvenirs, au respect et à l'admiration de tous, mais en particulier de leurs compatriotes et de leurs frères».

Sit memoria illorum in benedictione!

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