14.02.2002 - Année Dehonienne - 28.06.2003

Loreto, 14 febrero 2002
Prot. N. 32/2002

Italian - English - Portuguse - French - Spanish

Chers Confrères,

Nous avons la joie de vous livrer une réflexion qui remplacera cette année les messages habituels du 14 mars et de la fête du Sacré-Cœur de Jésus. C'est une réflexion en rapport avec l'ANNÉE DEHONIENNE et avec la préparation des Chapitres provinciaux et du Chapitre général. Nous l'envoyons d'un endroit particulier, très cher à notre Fondateur, celui du «Sanctuaire de l'Annonciation et de l'Incarnation du Seigneur» de Lorette (Italie), appelé la «Santa Casa», parce que, d'après une tradition ancienne, c'est ici que fut en partie reconstruite la maison dans laquelle la Sainte Vierge vécut et reçut à Nazareth l'annonciation de l'Ange.

C'est un endroit que le P. Dehon visita avec une certaine fréquence et qu'il évoqua toujours avec émotion. Il s'y arrêta avec ses parents le 31.10.1868, avant son ordination sacerdotale ; il y retourna avec son Evêque le 14.02.1877, au moment du discernement définitif de sa vocation religieuse et, de nouveau, y fit un pèlerinage le 03.04.1894, pour recommander sa Congrégation à la Mère de Dieu.

C'est justement à cette occasion, de Lorette, qu'il adressa une brève lettre au P. Stanislas Falleur où il révéla un secret, profondément lié à son expérience de Dieu, en déclarant que la Congrégation prit là son origine en 1877 et qu'il espérait donc que c'est de là qu'elle pouvait entièrement se renouveler.

Cette double affirmation - la mémoire de Lorette à l'origine du projet de fondation de la Congrégation et l'espérance d'y retrouver une vie nouvelle - a amené aujourd'hui les communautés de Rome I et II, et d'autres confrères de l'Italie (IS et IM) et de US, au Sanctuaire de la Santa Casa pour célébrer l'Eucharistie sur autel même où, il y a 125 ans, le 14 février 1877, durant la Messe et la prière en ce lieu, le Père Fondateur perçut et accueillit une grâce particulière, en rapport avec ce qui aurait été son projet définitif de vie consacrée à l'amour et à la réparation au Sacré-Cœur de Jésus, pour le service du Règne et pour la sainteté de l'Eglise, projet qui commença à devenir réalité le 28.06.1878, quand le P. Dehon fit ses premiers vœux.

I. ANNÉE DEHONIENNE

Le 125° anniversaire de vie religieuse du P. Dehon et du commencement de notre Congrégation représente pour nous un don précieux pour lequel nous devons remercier le Seigneur et un temps propice, un «kairos», à valoriser. C'est pourquoi nous considérons qu'il est important de le vivre et de le célébrer comme une année particulière que nous déclarons officiellement «Année Dehonienne», à partir de ce jour du 14 février 2002 jusqu'au 28 juin 2003.

Ce sera une longue année de 16 mois. Comme date de commencement, nous prenons celle que le P. Dehon, lui-même, indiqua comme origine spirituelle du «Projet de Congrégation» (le 14.02.1877), journée décisive de sa vie, où son discernement personnel concernant la modalité de sa vocation à la vie religieuse atteignit maturité et journée où il trouva l'inspiration pour fonder notre Congrégation.

Nous terminerons l'«Année Dehonienne» le 28 juin 2003, le 125° anniversaire du jour où le P. Dehon fit ses premiers vœux, date que le P. Dehon, lui-même, reconnaît explicitement comme jour de la fondation de notre Congrégation (cf. NHV XIII,100).

La coïncidence providentielle par laquelle cette année se terminera le jour de la fête du Cœur de Jésus et de la mémoire liturgique du Cœur Immaculé de Marie, met en évidence l'unité de ces deux vies, de ces deux personnes, de ces deux cœurs, autour d'un seul projet de salut de Dieu. Tous les deux, Jésus et Marie, répondent par un «me voici» qui est à l'origine de l'Incarnation du Fils de Dieu et de la réalisation du plan d'amour de Dieu envers l'humanité. Se trouvent ainsi soulignées les composantes christocentrique et mariale de notre spiritualité spécifique.

Nous inaugurons cette «Années Dehonienne» par la citation des paroles que le P. Dehon adressa au P. Falleur :

C'est là (dans la Santa Casa) qu'est née la Congrégation en 1877.

Puisse-t-elle y retrouver aujourd'hui une vie nouvelle» (cf. A.D., B. 20/3).

Les deux phrases devraient marquer l'itinéraire personnel de foi, de service et d'espérance de tout SCJ durant cette année, en sorte que nous puissions célébrer une commémoration actualisée d'un événement qui s'inscrit dans l'histoire du salut de beaucoup de personnes concrètes.

La commémoration seule ne suffit pas. Elle doit se transformer en prophétie d'une vie nouvelle, afin que la Congrégation soit utile et significative aujourd'hui pour nous, pour l'Eglise et pour le monde.

II. LA SANTA CASA DE LORETTE : «C'EST LÀ QU'EST NÉE LA CONGRÉGATION EN 1877»

Cette affirmation du P. Dehon nous surprend. Nous savons que la Congrégation naquit en réalité à St-Quentin. D'autre part, le P. Dehon était en train de penser à la possibilité de fonder un nouvel Institut déjà depuis décembre 1876 (cf. NQ XVI/1900,34). Il ne révéla explicitement la décision qu'au printemps 1877 (cf. NHV XII, 164). Il le fit en en parlant avant tout avec son Evêque, Mgr Thibaudier (08.06.1877) dont il reçut d'abord un accord oral (25.06.1877) et puis l'accord écrit (13.07.1877).

Les biographes du P. Dehon et le P. Bourgeois, lui-même, dans le n. 9 de Studia Dehoniana (cf. StD 9,1978 : «Le P. Dehon à Saint-Quentin 1871-1877, Vocation et Mission») ont beaucoup écrit au sujet de la période durant laquelle le P. Dehon mûrit sa décision.

Dans ce contexte, le pèlerinage à Lorette, passerait presque inaperçu n'était cette brève allusion que nous venons de mentionner. En tout cas, il reste toujours comme une étape intermédiaire, moins d'ordre chronologique que d'ordre spirituel, qui doit s'inscrire parmi ces «grâces personnelles et lumières reçues pour la préparation et la fondation…», ces expériences profondes du Seigneur, dirions-nous aujourd'hui, que le P. Dehon conserva toujours avec une grande attention et auxquelles il fait allusion dans son journal (cf. NQ XLIV/1924,138).

Pour le P. Bourgeois, «la grâce de Lorette est peut-être à l'origine de cette démarche, non pour une fondation proprement dite, mais pour une entrée en vie religieuse sous le signe de l'Ecce venio et de l'Ecce ancilla»… «non pas une idée, et encore moins une décision de fondation, mais une habilitation ou une orientation plus claire vers un certain esprit, le commencement réel, quoique inconscient et mystérieux, de ce travail progressif qui devait se développer dans son âme, à Saint-Quentin, au printemps de 1877» (cf. StD 9, 1978, 174). Il s'agit donc de reconnaître une grâce, ordinaire mais précieuse, dans la genèse et dans la conception de la Congrégation elle-même qui l'a amené à se préparer et à vouloir fonder «une congrégation idéale d'amour et de réparation au Sacré-Cœur de Jésus» (cf. NHV XII,163).

Lorette, en tant que «lieu» où naquit la Congrégation, doit être vue dans la perspective d'une certaine expérience spirituelle qui inspire le projet de fondation du P. Dehon, moins dans son origine historique que plutôt en ce qui concerne son contenu et le mystère de foi et de vie évangélique qu'évoque la Santa Casa. Quelque chose qui peut être relié à d'autres expériences de vocation du P. Dehon, celle de Noël 1856 quand il perçut sa vocation au sacerdoce et celle du pèlerinage en Terre-Sainte qui confirma sa décision à devenir prêtre. Lorette est davantage lié au patrimoine spirituel de la Congrégation et de toute la Famille Dehonienne qu'à la naissance de l'œuvre comme telle.

En effet, à ce propos, le P. Dehon situe dans l'enceinte de la Santa Casa aussi bien l'événement de l'Annonciation et Incarnation du Seigneur que le mystère de la vie cachée de Jésus à Nazareth. Ces deux faits déterminent la spiritualité dehonienne, en devenant des éléments essentiels de son itinéraire de vie religieuse et apostolique SCJ. Nous devons les considérer comme des bornes milliaires de notre Institut et de tout le «Projet de vie évangélique» du P. Dehon qui inspirent aujourd'hui aussi les autres vocations consacrées et laïques qui forment avec nous la Famille Dehonienne.

Nous essaierons de souligner tout ceci, en puisant dans les réflexions du P. Dehon, lui-même, contenues dans le Directoire Spirituel. La lecture qui en est donnée n'est pas textuelle, mais rapide et libre, saisissant son contenu essentiel. Ainsi nous ouvrons un chapitre que nous ne voulons ni épuiser ni clore. Il appartiendra à chacun de nous d'entrer par cette porte ouverte et de commencer un parcours qui sera riche, ample et profond, selon notre intuition et notre capacité d'y avancer, dans la mesure où l'Esprit nous le fera comprendre.

1. L'Ecce venio, l'Ecce ancilla et notre patrimoine de congrégation

Lorette est un lieu symbolique qui nous conduit à Nazareth où se manifeste le mystère du Seigneur et où nous pouvons faire une expérience radicale. Là, la foi de l'Eglise nous amène à nous conformer à l'attitude fondamentale du Verbe qui s'incarne et à l'attitude de Marie, fille aînée et image de l'Eglise, qui s'associe pleinement à l'œuvre de son Fils. Le «oui» de Marie permet l'Incarnation du Verbe, événement de salut qui transforme radicalement l'histoire et le destin de l'humanité.

Le P. Dehon rassemble tout ce mystère dans l'Ecce venio de Jésus et dans l'Ecce ancilla de Marie. Pour lui, l'Ecce venio «a été la règle de vie» de Jésus (cf. DSP II, CAP. I,1), et l'Ecce ancilla l'attitude qui résume toute la vie de Marie (cf. DSP II, CAP. II,1).

La lettre aux Hébreux, en mettant dans la bouche de Jésus le Psaume 40,7-9 : «Tu n'as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés. Alors j'ai dit: Voici, je viens… pour faire, ô Dieu, ta volonté». (He 10,6-7), met sur les épaules de Jésus tout le drame humain et le projet d'amour de Dieu le Père. .

L'Ecce venio est une synthèse de la vie et de l'œuvre de Jésus, offerte en offrande agréable au Père, sacrifice parfait, victime sans tache, offert dans la plénitude de l'Esprit, pour purifier nos consciences des œuvres qui mènent à la mort, afin que nous servions le Dieu vivant (cf. He 9,14).

Le sacrifice de Jésus c'est son adhésion à la volonté salvatrice du Père. Il ne se limite pas aux seules bonnes intentions ou aux beaux principes, mais implique le drame de toute son existence : l'incarnation et la vie filiale dans l'obéissance jusqu'à la passion, la mort et la résurrection. C'est une offrande libre, une oblation, par amour envers le Père et envers les homme qu'il réalise dans son propre corps, c'est-à-dire dans sa condition humaine, en passant personnellement à travers l'épreuve et la souffrance, «pour rendre parfaits ceux qu'il aurait guidé à la gloire» (cf. He 2,10 ; 2,18 ; 5,9). De cette façon, l'humanité, en entrant dans le mouvement d'obéissance du Christ, rejoint sa perfection et est transformée et pénétrée par la sainteté divine.

Le P. Dehon consacre beaucoup de place pour présenter l'Ecce venio. Ce n'est pas une attitude passive du Christ, c'est la force qui le pousse à accomplir l'œuvre de la rédemption, de la réconciliation de l'humanité avec Dieu, de l'annonce du Royaume, de la solidarité et de l'évangélisation des pauvres et des petits ; œuvre de pauvreté envers les publicains, les pécheurs et les prostituées ; œuvre d'enseignement du peuple et de formation de ses disciples ; de compassion envers les malades et ceux qui souffrent ; de don de soi à son Eglise dans l'Eucharistie… (cf. DSP II, CAP. I, 1.2.5).

L' «Ecce ancilla» de Marie est le signe de son ouverture totale au dessein divin du salut, quand elle se déclare disponible à collaborer avec lui. Marie, dans l'obéissance de la foi, suivant la tradition biblique d'Abraham, des prophètes et de tous les croyants, s'abandonne à Dieu, se laisse conduire par Lui. Elle accueille sa Parole, croyant que pour Lui rien n'est impossible. Ainsi, elle fait de la place à Dieu dans son esprit, dans son cœur, dans son corps, dans son expérience de femme, dans ses projets et sans son histoire. Elle remet au Seigneur tout son avenir, sans condition. Elle ne prétend pas aller au-delà des données de la foi, disposée à méditer dans son cœur la Parole de vie qui prend chair dans sa propre personne.

Pour le P. Dehon l'Ecce ancilla de Marie équivaut à la même disponibilité que celle de Jésus dans l'Ecce venio. C'est une disponibilité en totale relation avec le mystère de l'oblation de Jésus. C'est pourquoi Marie devient la principale collaboratrice de la mission de son Fils. En acceptant la Parole qui se fait chair en elle, Marie restera toujours son associée en sa qualité de «Servante du Seigneur». Ce service, envers son Fils, atteint son sommet au pied de la croix, pour se prolonger dans le service de l'Eglise de celui dont elle est, en même temps, fille aînée et mère. De cette façon, elle fait siens la vie, la cause et le destin de son Fils et de l'Eglise avec laquelle elle se fait pèlerine durant toute l'histoire (Cf. DSP II, CAP. II,1).

Le n. 6 de nos Constitutions résume de la façon suivante l'esprit que le P. Dehon veut transmettre à ses disciples : «En fondant la Congrégation des Oblats, Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus, le Père Dehon a voulu que ses membres unissent d'une manière explicite leur vie religieuse et apostolique à l'oblation réparatrice du Christ au Père pour les hommes. C'était là son intention spécifique et originelle et le caractère propre de l'Institut (cf. LG et PC), le service qu'il est appelé à rendre à l'Eglise.

Selon les mots mêmes du Père Dehon : Dans ces paroles : Ecce venio, … Ecce ancilla…, se trouvent toute notre vocation, notre but, notre devoir, nos promesses (DSP I,3)».

A ceci, le P. Dehon ajoute dans le Directoire Spirituel : «Dans toutes les circonstances, dans tous les événements, pour l'avenir comme pour le présent, l'ecce venio suffit, pourvu qu'il soit dans la pensée et dans le cœur en même temps que sur les lèvres. Ecce venio : Voici que je viens, ô mon Dieu, pour faire votre volonté (He 10,7). Me voici prêt à faire, à entreprendre, à souffrir ce que vous voudrez, à sacrifier ce que vous me demanderez» (DSP I,3

«L'Ecce venio (He 10,7) définit l'attitude fondamentale de notre vie. Il fait de notre obéissance un acte d'oblation ; il configure notre existence à celle du Christ, pour la rédemption du monde, à la Gloire du Père» (Cst 58). «Par son Ecce ancilla, elle (Marie) nous incite à la disponibilité dans la foi : elle est la parfaite image de notre vie religieuse» (Cst 80).

2. La vie cachée de Nazareth

Pour le P. Dehon, la Santa Casa, en plus d'être témoin de l'Incarnation du Verbe, recueille le message profond de la vie humble et cachée de Jésus et de toute la Sainte Famille, à Nazareth.

Nazareth est un sanctuaire silencieux et humble où Jésus, Marie et Joseph, en union de cœurs, entièrement soumis à la volonté de Dieu, par une vie de pauvreté, de prière, de silence, de travail et de sacrifice, «concourent à l'œuvre de la Rédemption, chacun selon sa destination spéciale» (DSP II, CAP. I,3). «Nazareth est l'école où on s'initie à comprendre la vie de Jésus, c'est-à-dire l'école de l'Evangile» (Paul VI, Allocution du 05.01.1964). Pour le P. Dehon, Nazareth est le lieu et le temps où commencent à prendre corps et une expression concrète l'«Ecce venio», l'«Ecce ancilla» de Marie et la disponibilité silencieuse de Joseph.

Nazareth nous fait pénétrer dans la réalité de l'Incarnation du Verbe, en supprimant la distance infinie qui existe entre Dieu et l'homme. En effet, «par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d'homme, il a pensé avec une intelligence d'homme, il a agi avec une volonté d'homme, il a aimé avec un cœur d'homme» (GS 22). En fixant sa «demeure» parmi nous, il valorise toute notre existence : il devient notre prochain, notre voisin ; se fait solidaire de nos combats, de nos douleurs, de nos joies et de nos espérances ; il partage notre histoire ; nous conduit à découvrir la valeur de toutes les choses, de la vie humaine, des relations avec les autres, des situations et des événements qui forment le quotidien. Mais il assume aussi les conditionnements de son temps, de sa zone géographique et de sa culture. Soumis à une pauvreté réelle, Jésus appartient, comme humble artisan, au monde du travail, avec tout ce que cela signifie (cf. Laborem exercens, 26), vivant de son travail. Il faut noter que la visite du P. Dehon à Lorette, en 1894, coïncide avec la période la plus problématique mais aussi la plus active de sa vie, période à laquelle il donna libre cours à tous ses rêves missionnaires et commença une prédication sociale intense.

Nazareth est la proposition d'un projet de vie marquée par la recherche de la volonté du Père et l'adhésion à cette volonté : sauver le monde, le libérer de l'aveuglement du péché, guérir ses blessures, réparer ses maux, restituer la dignité à la personne et à toutes les classes sociales, réaliser l'œuvre du Royaume et la gloire de Dieu. C'est un projet qui a sa modalité propre et une pédagogie cohérente. Pour Jésus, il implique le fait de devoir prendre la condition de serviteur, de s'étonner, de s'occuper des affaires du Père, de se soumettre à l'autorité de Marie et de Joseph, savoir attendre l'«heure»de Dieu. Pour Marie et Joseph cela implique de devoir parcourir une voie méconnue et imprévisible, gardant en mémoire et méditant dans le cœur les événements et la parole de Jésus, essayant de découvrir en eux l'harmonie du plan divin.

La vie à Nazareth a un langage propre que, selon le P. Dehon, le monde ne comprend pas toujours. Elle met en évidence les critères déconcertants de l'Evangile, la folie de la croix, la sagesse de Dieu, non pas à travers des discours théoriques mais à travers ce que Jésus fait.

Enfin, Nazareth est pour le P. Dehon un point où se conforment et se confrontent notre vie SCJ personnelle et notre vie en congrégation. Pour cette raison, à travers la «recordatio mysteriorum», chaque matin, notre Fondateur nous invite à faire le pèlerinage à Nazareth, pour entrer en contact avec le mystère de l'Incarnation qui se réalise et se manifeste dans l'histoire quotidienne de chaque personne, du monde et de l'Eglise (cf. THE 7). Il nous invite individuellement à nous soumettre et à nous conformer à la volonté de Dieu, étant attentifs au dessein concret de Dieu, ne nous obstinant pas dans des modalités, voies et moyens dont Dieu ne veut pas.

Il rappelle à la Congrégation que c'est «dans l'obscurité, l'absence d'éclat, la pauvreté, l'humilité et l'abaissement qu'elle trouvera protection» (cf. DSP II, CAP. I,3). Nazareth nous appelle à l'intimité avec Dieu, «à une vie caché avec le Christ en Dieu» afin que, lorsque le Christ qui est notre vie se manifestera nous soyons associés à sa gloire (cf. Co 3,3-4).

II. «PUISSE-T-ELLE (LA CONGRÉGATION) Y RETROUVER AUJOURD'HUI UNE VIE NOUVELLE»

La deuxième phrase de la lettre du P. Dehon au P. Falleur, sur la signification de la Santa Casa de Lorette, n'est pas moins surprenante que la première. On y trouve quatre termes qui méritent notre attention : «retrouver» - «y» - «aujourd'hui» - «une vie nouvelle».

Notre Fondateur affirma fréquemment sa conviction que la Congrégation était et resterait une œuvre de Dieu qui exigeait une générosité et une fidélité constante et renouvelée, d'où la nécessité de revenir à l'origine de son inspiration et de s'approprier la «grâce de fondation». Cela ne signifie pas de revenir en arrière dans le temps mais remonter aux racines et aux fondements mêmes de l'Institut, à la recherche de sa réalité essentielle et charismatique, en essayant des réponses nouvelles de vie.

1. «Re-trouver»

«Retrouver» suppose quelques chose que l'on a perdu ou qu'une certaine relation s'est interrompue ou altérée. En tout cas, cela exprime toujours que l'on revient à quelque chose qui, à l'origine, était distinct. C’est une affirmation selon laquelle il y a quelque chose que l'on peut ou que l'on doit améliorer. Mais c'est aussi une invitation à approfondir le don reçu qui dépasse tout changement historique. C'est un appel à partir de nouveau, comme Abraham, avec confiance, sans avoir la clarté totale, espérant contre tout espérance, disposé à sacrifier le fils même de la promesse.

Nous nous demandons pourquoi le P. Dehon emploie cette expression. Nous trouvons une réponse quand, en relisant son histoire, nous apprenons que, à cette époque (1889-1896), le P. Dehon traverse peut-être la plus grande épreuve de sa vie qui lui fait dire : «C'est une épreuve plus douloureuse que celle du Consummatum est. Que faire ? Je suis écrasé» (NQ IV/1889,86). Ce sont les années où il doit faire face aux calomnies et aux diffamations internes de quelques membres de l'Institut, accompagnées d'une tentative de scission (cf. Positio, vol. I, p. 168-247 ; G. Manzoni, Leone Dehon ed il suo messaggio, p. 301-327).

Ce sont des preuves que le P. Dehon affronte courageusement et en parle avec beaucoup de discrétion. Il les considère comme un appel à la conversion aussi bien personnelle que de l'œuvre qu'il aime tant. Il se réfugie dans le Cœur de Jésus, faisant confiance à sa bonté et à sa miséricorde. Il approfondit la méditation sur les relations au sein de la Sainte Famille de Nazareth. Il cherche l'intimité, l'amitié et la contemplation du Seigneur (cf. NQ IV/1889, 86-87). Le P. Dehon déplore une diminution de l'esprit, de la dévotion et de l'enthousiasme des origines de la Congrégation ; une diminution de ce climat d'engagement, d'identification charismatique et de fraternité que nous pouvons entrevoir dans les relations du P. Dehon avec ses premiers religieux et avec les élèves du collège St-Jean (cf. A.D. lettres du P. Grison au P. Dehon, B. 21/3, 1885-1886).

Certainement, la situation actuelle de la Congrégation est plus sereine qu'en ces années troublées d'épreuves. Toutefois, l'expression «re-trouver» peut avoir aujourd'hui pour nous une force particulière. Nous sommes à la veille des Chapitres provinciaux et du Chapitre général. Si nous voulons réellement revenir aux racines, nous devons aussi faire une révision sincère et profonde de notre vie personnelle et institutionnelle.

Nous sommes habitués à faire, dans chaque Chapitre, une relation du Status Provinciae / Regionis / Congregationis. En cette année jubilaire, nous devons accomplir cette tâche avec une attention particulière, dans la ligne d'une vérification de notre fidélité dynamique au don charismatique qui nous a été donnée et par rapport à sa projection dans l'avenir. Le Saint-Père, à l'occasion du Grand Jubilé, nous a enseigné, par son exemple, à «purifier la mémoire» pour nous lancer, libres d'attaches, vers le large : «Duc in altum» (Lc 5,4). Nous ne pouvons pas ne pas penser à l'avenir de la Congrégation puisque celle-ci est une «œuvre de Dieu». C'est pourquoi nous devons revenir à ses origines, remonter jusqu'à ses fondements et découvrir ses possibilités encore inédites, en rêvant d'une Congrégation comme celle dont rêva le P. Dehon.

Il est important en premier lieu d'affronter la vérité de la Congrégation dans ses origines, dans ses succès et ses échecs, dans ses valeurs et ses péchés, dans sa conformité à l'Evangile et dans ce qui s'y trouve de non évangélique, dans ses possibilités réelles et ses limitations. Chaque Province, Région et District a des choses à revoir et à examiner. On doit faire de même au sein du Gouvernement général. Dans l'ensemble de la Congrégation et dans ses différentes parties il y a des signes merveilleux du Règne que nous devons découvrir, examiner et estimer. Il y a aussi des aspects qu'il faut améliorer, des tentations qu'il faut surmonter, des blessures qui doivent guérir, des voies et des expériences qu'il faut corriger, des horizons nouveaux à explorer. «La vérité qui nous rendra libres» (cf. Jn 8,32) et la configuration au Seigneur sont la garantie de tout renouvellement qui veut être fidèle à l'inspiration originelle (cf. VC 37).

Nous devons faire tout cela sans angoisse, sans nostalgie ni complexes. Ce qui doit nous stimuler c'est le regard tourné vers la vie, vers la certitude du Royaume, vers l'importance de donner un bon témoignage au service de l'Evangile, dans l'espérance qui ne déçoit pas, dans la confiance au Cœur de Jésus. C'est l'invitation de Jésus et de l'Eglise à «naviguer au large» et à jeter les filets (cf. NMI). Tout cela doit nous pousser vers une nouvelle rencontre avec la grâce des origines.

2. «Y»

Il est écrit sur l'autel de la Santa Casa: «Ici le Verbe s'est fait chair». Et le P. Dehon nous dit: «C'est là qu'est née la Congrégation en 1877. Puisse-t-elle y retrouver aujourd'hui une vie nouvelle».

Par rapport à notre réflexion, ce «y» employé par le P. Dehon ne doit pas être compris comme une simple préposition qui se réfère au lieu. Il va au-delà de la Santa Casa de Lorette. Il se réfère au mystère même de l'Annonciation et de l'Incarnation que le Sanctuaire célèbre et proclame pour toutes les générations, mystère traduit par les attitudes de l'Ecce venio et de l'Ecce ancilla et par ce qu'embrasse la vie de la Sainte Famille de Nazareth. Ce «trésor» et l'ensemble d'attitudes, mis à la base de notre Congrégation, font partie de notre patrimoine spécifique. C'est la partie inspirante et essentielle de notre charisme des origines. C'est la source de notre spiritualité.

Le P. Fondateur nous invite donc à boire à cette source pour trouver une vie nouvelle et pour être significatifs dans l'Eglise et dans le monde. Toutes les spiritualités doivent se référer essentiellement au mystère du Christ et doivent se concrétiser dans un cheminement selon l'Evangile, sous l'action de l'Esprit. Le P. Dehon et nos frères aînés qui vécurent d'une façon intense et exemplaire notre charisme, nous ont enseigné à chercher l'inépuisable richesse du Christ dans le mystère de son Cœur divin et humain (cf. Cst 16). Le Fils de Dieu fait homme nous aime avec son cœur humain (cf. GS 22) et nous révèle l'amour trinitaire de Dieu, sa solidarité avec toute l'humanité et son obéissance filiale comme expression d'abandon au Père et comme cheminement de rencontre de l'humanité avec Dieu.

Le Cœur de Jésus est le Verbe incarné, un visage visible de l'intériorité même de Dieu et de ses sentiments d'amour gratuit pour l'humanité. Dans son oblation suprême, transpercé et ouvert sur la croix, il engendre l'homme au cœur nouveau et une nouvelle communauté de frères.

Le P. Dehon a lu l'Evangile à travers la grille de l'amour de Dieu manifesté par les paroles, les gestes, les choix, la pratique, la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Attiré par cet amour non retourné, il a senti que la réponse devait passer par l'union intime avec le Cœur du Christ, s'associant à son oblation réparatrice au Père pour les hommes, dans sa vie religieuse et apostolique, idéal qu'il transmit à toute sa famille spirituelle.

D'où son insistance sur l'offrande de la vie quotidienne, sur l'Adoration eucharistique et sur un engagement apostolique intense (spirituel, missionnaire, culturel, éducatif, etc.), soutenu par l'union avec le Christ. Il était convaincu que «une si belle vocation (comme la nôtre) demande une grande générosité… exige (à son tour) l'habitude de la vie intérieure et l'union avec Notre-Seigneur» (Testament spirituel). En réalité, en tant que Congrégation, nous nous définissons, en premier lieu, par l'engagement spirituel et non pas par une activité (cf. Cst 26.30).

Notre patrimoine c'est notre spiritualité et cette modalité commune d'approcher le mystère du Christ en nous associant à son oblation réparatrice. C'est notre «Y», constitué par cette «expérience de l'Esprit» transmise par le P. Fondateur pour être vécue, gardée, approfondie et constamment développée en harmonie avec le corps du Christ en croissance perpétuelle (cf. MR 11). C'est un caractère propre de notre Institut qui implique un style particulier de sanctification et d'apostolat, et s'exprime par des signes et traditions spécifiques (CIC 578).

Les paroles que St Paul adresse à son disciple Timothée sont d'actualité pour nous aujourd'hui : «je t'exhorte à ranimer le don de Dieu que tu as reçu par l'imposition de mes mains... Garde le bon dépôt, par le Saint-Esprit qui habite en nous» (2Tm 1,6.14).

3. «Aujourd'hui»

L'action de l'Esprit, dans la conservation du dépôt reçu, ne nous renvoie pas simplement au passé. L'Esprit Saint est «mémoire et prophétie de Jésus». Comme «mémoire», il nous ouvre à la compréhension de la Parole du Seigneur. Il enseigne et approfondit ce que Jésus a dit et fait. Comme « prophétie», il indique la présence vivante et transformante du Seigneur Ressuscité dans l'histoire, il donne la lumière et la force afin que nous soyons des témoins actuels de l'Evangile, nous invite et nous soutient dans notre mission jusqu'à prendre la parole pour nous.

L '«Aujourd'hui» dont nous parlons n'est donc pas qu'un temps chronologique. C'est un «kairos», un temps de grâce sous l'action de l'Esprit. Il suppose une conscience du Royaume qui fermente l'histoire, il croit en un monde plein de germes de l'Evangile et riche de possibilités futures, et il affronte, dans une espérance théologale, les défis du temps présent.

L '«Aujourd'hui» c'est aussi une réalité humaine fragile, conditionnée par nos péchés, nos faiblesses, nos trahisons face au changement nécessaire. Il est assujetti à toutes les tentations de l'époque post-moderne comme la commodité, fruit du matérialisme et du consumérisme, la superficialité, l'égoïsme et l'individualisme, la privatisation de l'engagement religieux, la perte du sens de la transcendance et de la mémoire chrétienne, le relativisme réducteur de toutes les valeurs et expressions de la liberté…

L '«Aujourd'hui» est un appel à la conversion de notre vie, à une mise à niveau de nos contenus théologiques, de notre langage, de nos signes et gestes, de notre façon d'exposer les questions et de donner des réponses. C'est un appel à la capacité d'abandonner les œuvres mortes et stériles, et à la créativité d'un style nouveau et des nouveaux espaces dans notre prière, dans nos expressions personnelles et communautaires de la vie religieuse, dans nos relations et notre dialogue avec les autres, dans notre façon de témoigner de l'Evangile et de faire du travail apostolique. C'est aussi un appel à intégrer harmonieusement les différentes dimensions de notre charisme et de notre spiritualité.

L '«Aujourd'hui» présuppose notre engagement face aux grands défis du temps présent à travers la solidarité avec le monde blessé et prosterné dans la douleur. Il présuppose la défense et la promotion de la dignité humaine, en particulier des pauvres, des opprimés, des victimes des injustices sociales, de la mondialisation et des mécanismes marginalisant du système néo-libéral qui est actuellement prédominant. Il présuppose une attitude claire en faveur de la paix, de la réconciliation, du pardon, de la sauvegarde de la création. Il présuppose une passion pour la vérité et la justice.

C'est l' «Aujourd'hui de Dieu» que nous devons accueillir dans la disponibilité de cœur, ancrés dans une fidélité indéfectible de Dieu le Père, enracinés dans l'amour du Christ. C'est ainsi que nous parlent nos Constitutions (cf. n. 34.144), en nous poussant à repenser et à reformuler notre mission dans des formes nouvelles de témoignage, de présence et de services. En effet, interpellés par la réalité mouvante et par des défis de notre époque, nous devons constamment «rechercher… les modalités de notre insertion dans la mission ecclésiale qui nous permettent de développer les richesses de notre vocation» (Cst 34).

Se réaproprier l '«Aujourd'hui» implique pour nous d'avoir les mêmes idéaux que le P. Fondateur et d'avoir, comme lui, un regard positif sur la réalité actuelle. Il aima son temps et ne regretta pas le passé. Jusqu'à la fin de sa vie, le P. Dehon rêvait d'horizons nouveaux pour la Congrégation. Il suffit de dire, entre autres, qu'il mourut en planifiant un envoi de missionnaires clandestins en Afghanistan (cf. A.D., Lettre au P. Josephus Schulte, Sup. Prov. NE, 26.03.1923, B 76/6 ; Lettres du P. Ottavio Gasparri au P. Dehon, B 98/2, mars et avril 1923).

Le P. Dehon fut un homme qui aima la vie. Il fut irrémédiablement optimiste sans cesser d'être réaliste et d'avoir une forte conscience critique de la situation sociale et politique de son époque. Il s'engagea à fond aussi bien en ce qui concerne les grandes questions de son temps qu'en ce qui concerne les choses quotidiennes de la Congrégation et les besoins individuels de beaucoup de personnes. Il ne se déroba pas à ses responsabilités et trouva toujours le temps pour étudier, pour cultiver son esprit par la beauté des arts, de la nature et de l'histoire, et pour voyager, observer et connaître toujours plus. Mais le P. Dehon était aussi un mystique, un contemplatif, un homme de prière. Il sut cultiver une spiritualité authentique et l'intimité avec le Seigneur. D'où sa force, sa sérénité et sa capacité à persévérer dans l'itinéraire entrepris, sans se décourager. Le P. Dehon nous stimule à une mise à jour permanente qui n'est pas seulement individuelle mais qui nous concerne en tant qu'institution.

Du point de vue des contenus propres de notre spiritualité et de notre histoire SCJ, nous devons apprécier le travail du Centre d'Etudes et nous devons l'en remercier aussi bien pour publier et interpréter nos sources que pour faire une lecture actuelle de notre patrimoine spirituel. C'est énorme tout ce que le Centre d'Etudes a mis à la disposition de toute la Congrégation depuis qu'il a été motivé et fortement poussé dans cette direction par le P. Bourgeois et le P. Panteghini.

Le service des Commissions de Spiritualité, d'Apostolat, de Justice et Paix, dans les différentes zones géo-culturelles SCJ est un grand encouragement et un motif de joie. On doit dire la même chose des personnes qui étudient des thèmes dehoniens spécifiques, en particulier quand ce sont des jeunes à le faire par leurs études et leurs thèses universitaires.

Un grand travail de renouvellement et d'actualisation est aussi fait par les personnes et les Provinces / Régions / Districts qui, avec audace, savent affronter apostoliquement les nouveaux défis de l'évangélisation, de l'inculturation et de la pauvreté. De cette façon, l'engagement de plusieurs confrères dans le domaine missionnaire et social, mobilise le forces de la Congrégation et rend actuel pour notre temps l'Ecce venio et l'Ecce ancilla. Certaines parties de la Congrégation sont en train de se renouveler pour redéfinir leurs options apostoliques et pour revenir à la spiritualité et à la stratégie du P. Fondateur d'«aller au peuple», de «sortir de la sacristie», de préférer les postes les plus abandonnés et peu gratifiants, d'aller où d'autres ne veulent pas aller et où on risque même sa vie.

L '«Aujourd'hui» de Dieu nous demande de nous ouvrir, avec une force spirituelle et avec imagination aux aventures et aux surprises de l'Esprit.

4. «Vie nouvelle»

Le Saint-Père lance à toute l'Eglise un énorme défi en demandant que les chrétiens ne se limitent pas à «parler» du Christ mais qu'ils le fassent «voir» aux générations de notre temps (NMI 16). Cela concerne tous les hommes, en particulier les personnes consacrées, appelées à contempler le visage transfiguré du Christ et à en témoigner par une existence transfigurée (cf. VC 35).

Dans cette perspective, avec le P. Dehon, recherchons aujourd'hui à Lorette un renouvellement vital de notre Congrégation. Pour cela, il est indispensable de revenir aux sources d'inspiration, d'approcher toujours davantage l’intention de fond du P. Dehon, de s'approprier ses contenus et son esprit, de mettre à jour ses expressions. De cette graine, sous l'impulsion de l'Esprit, germera la nouveauté, la créativité et la fécondité de notre vie religieuse dehonienne.

On tente de revitaliser tous les aspects constitutifs de notre vie religieuse SCJ comme l'expérience de foi, la fraternité, la pratique des conseils évangéliques, la mission apostolique et le style spécifique SCJ. Ce sont des points caractéristiques de notre façon d'être et de procéder qui transforment notre vie religieuse en réponse personnelle à la vocation gratuite de Dieu, en consécration totale à Lui et en service généreux des autres pour le Règne.

a. Revitaliser notre vie de foi

C'est la première chose dont nous devons prendre soin. La vie religieuse, en fait, est un itinéraire de foi marqué par une expérience profonde de Dieu. La façon de sentir la proximité de Dieu, la place que nous lui accordons dans notre existence - comme Absolu, Ami et Seigneur - représente l'axe constitutif de la vie religieuse. C'est sa raison d'être et sa première source de renouvellement.

Vivre comme religieux signifie radicaliser le cheminement de la foi qui s'étend sur l'ensemble de la vie personnelle et sociale. Cela se traduit par la façon d'être, de penser, de sentir, d'agir, de se situer par rapport aux autres, de vouloir et de projeter notre avenir, de nous compromettre dans l'histoire, dans le monde et dans les affaires. Au centre de notre vie se trouve le Seigneur par rapport à qui est ordonné, subordonné et relatif tout le reste.

A la racine et au cœur de toute vie consacrée il y a une forte expérience mystique de relation avec le Christ, avec son mystère et sa cause. Cette expérience est le fruit du dynamisme de la foi. Elle implique la perception de la présence intime du Seigneur qui pénètre l'âme et occupe le centre vital de notre existence, provoque la transformation et l'unification de notre personne, suscite une confiance inconditionnelle au Seigneur, nous compromet dans la cause de l'Evangile et dans la cause des plus pauvres et des plus nécessiteux, insuffle la passion pour la vérité, la justice, la solidarité humaine et, enfin, apporte joie, lumière et sens à la vie dans les épreuves, dans les combats et dans les grands défis. C'est une expérience semblable à celle de Jérémie, des prophètes et des apôtres : «Tu m'as persuadé, Yahvé, et je me suis laissé persuader; Tu m'as saisi, tu m'as vaincu… Il y a dans mon cœur comme un feu dévorant qui est enfermé dans mes os» (Jr 20,7-9).

C'est une expérience que l'on vit dans une conscience profonde de sa propre indigence et vulnérabilité, mais aussi avec confiance, disponibilité et abandon à la séduction et à l'attirance du Christ, et à la mission qu'il nous confie (cf. Lc 5,8-11). C'est une expérience de la gratuité de l'amour de Dieu qui appelle, à son tour, notre gratuité dans la foi. C'est l'expérience de Paul et du P. Dehon dont est né notre Institut (cf. Ga 2,19-20 ; Cst 2).

Même dans les cas de vocations les plus engagées dans l'histoire, il n'y a jamais de vocation uniquement pour faire quelque chose. Toute vocation reflète l'expérience primordiale des Apôtres, celle d'avoir été appelés pour être avec Jésus pour être envoyés prêcher, délivrer de toute oppression et guérir (cf. Mc 3,13-15). Si l'on souligne ce que l'on doit faire pour le Royaume, sans un lien étroit avec la personne du Christ qui met la confession de la foi et de l'amour avant le service pastoral («Qui dites-vous que je suis?» - Mt 16,15 ; «Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu?» - Jn 21,15) et le «suis-moi», on court le risque de vider le contenu même de la mission.

L'expérience de Dieu et la vie de foi ont marqué l'existence du P. Dehon qui a voulu aussi les transmettre à la Congrégation. Nous, en partageant son charisme et son projet de vie évangélique, devons nous modeler sur le modèle idéal et absolu qui est le Cœur de Jésus et sur le P. Dehon, lui-même, qui est notre modèle historique. Au centre se trouve le mystère du Cœur de Jésus, signe de l'amour trinitaire et incarné de Dieu qui nous ouvre les horizons de la disponibilité filiale à l'égard du Père et de la solidarité humaine, en nous conformant au Christ et en nous associant à son œuvre de Rédemption dans sa double dimension, mystique et apostolique.

En ce qui concerne la dimension mystique, nous comprenons l'importance de la place que le P. Dehon souhaitait que ses disciples accordent à la contemplation, à la prière, à la méditation et à la lecture spirituelle de la Parole ainsi qu'à l'adoration eucharistique, en se garantissant le climat, les moyens nécessaires et la discipline personnelle pour vivre pour le Seigneur, avec Lui et en Lui.

La dimension apostolique embrasse toutes les formes de travail dans le domaine pastoral, missionnaire, social et culturel qui ont traditionnellement caractérisé la Congrégation dans la construction du Royaume.

Les deux dimensions doivent être visibles et stimulantes. Elles ne le sont pas toujours. Parfois nous ne réussissons ni ne montrons une intégration réelle entre la dimension mystique et la dimension apostolique. Par conséquent, notre témoignage est moins convaincant, notre service du Royaume moins efficace et notre vie personnelle et communautaire moins significative. Parfois, nous sommes trop absorbés par l'activité et les espaces d'intimité avec le Seigneur nous font défaut. D'autres fois, il y a des expressions de spiritualité désincarnées, passées à l'état d'habitude et propres au métier. La profession de la foi manque de clarté.

La contemplation doit aboutir à une attitude de vie, afin que la prière et l'engagement apostolique (pastoral, missionnaire, social et culturel) s'enrichissent mutuellement comme on l'a perçu positivement dans les expériences sociales présentées durant la Conférence générale de Recife. Certains distinguent dans la Congrégation ceux qui sont plus spirituels et ceux qui sont plus sociaux. Ce n'est pas une distinction adéquate. Nous devrions plutôt tous viser à réaliser cette unité interne qu'eut le P. Dehon. La profondeur de sa foi l'amena à être un mystique et, en même temps, un homme engagé dans des activités sociales.

b. Revitaliser notre vie fraternelle

La vie communautaire est la première valeur qui ressuscite avec le Seigneur le jour même des Pâques. Le Ressuscité revient pour rassembler ceux que le scandale de la passion avait dispersés (cf. Mc 14,27-28.50 ; Mc 16,7 ; Lc 24,33-35).

Elle est un grand signe de la vie religieuse. C'est une preuve que «la fraternité dont les hommes ont soif est possible en Jésus-Christ» (cf. Cst 65).

L'unité et le «bon esprit» à l'intérieur de l'Institut ont été le souci constant du P. Dehon qui voulut que son Institut vive sous le signe du «Sint Unum». En exprimant à Lorette, en 1894, son désir que la Congrégation y retrouvât une vie nouvelle, il avait certainement présentes à l'esprit les dissensions internes qui frappaient son unité et le bon esprit.

Aujourd'hui, vue globalement, l'unité de l'Institut est plus forte. Elle s'est accrue, à partir du renouvellement ayant suivi le Concile, en ce qui concerne la communication des informations, la communion des personnes, la collaboration dans des projets et le partage des biens. Les relations sont plus simples et plus fraternelles. On accepte davantage les différences personnelles et culturelles. On assume de façon positive le pluralisme et on a plus de respect des aspects propres et des aspects originaux de chacune des parties de la Congrégation.

L'unité de l'Institut, dans son ensemble et en termes de vie communautaire, trouve son soutien dans la foi : c'est le Seigneur qui nous a appelés à le suivre en communauté et c'est Lui qui nous fait découvrir la vie fraternelle en communauté comme un don. Cette unité se base, en outre, sur le patrimoine commun, constitué par la vocation, par la mission et par une série de traditions que nous avons en commun.

Nos communautés religieuses s'inspirent du modèle de la communauté post-pascale des disciples du Seigneur (cf. Ac 2,42-45 ; Cst 59) qui nous stimule à former des communautés fraternelles, eucharistiques et missionnaires, au service du monde. La revitalisation des communautés doit donc se réaliser dans la fidélité à ces aspects.

Durant ces dernières années, le service de gouvernement nous a fait percevoir qu'il y a, dans la Congrégation, différents niveaux de vie fraternelle. La qualité de la vie fraternelle n'est pas uniforme. Les aspects qui ont plus besoin d'être revitalisés sont les suivants : le sens de la fraternité dans certaines provinces, la collaboration des confrères d'une même communauté dans sa mission commune, l'intégration des talents personnels dans le projet communautaire, la profondeur de la communication et le partage de la foi à l'intérieur de la communauté, le service d'animation par le Supérieur local, le sens d'appartenance à la Congrégation et à sa propre Province / Région ou District.

Ce qui nous préoccupe sérieusement c'est la critique extrême, la dureté des jugements et de conduite, et le peu de cordialité dans certaines parties de l'Institut. Le P. Dehon fut très sensible à tout cela, jusqu'au point de le souligner fréquemment. Souvent, il ne s'agit pas d'un mauvais esprit mais d'un perfectionnisme excessif qui décourage et anéantit certaines personnes, et qui rend stériles les projets communs. Nous devons nous habituer à penser que beaucoup de choses peuvent être faites de façons différentes et que la collaboration avec le Supérieur et avec ce qui a été décidé dans la Province est plus fructueuse que la critique destructrice ou excessive. La chaleur humaine, la cordialité, la joie d'être ensemble, la capacité de passer outre aux petits malentendus communautaires, devraient être une note claire de notre caractère dehonien.

Le sens d'appartenance est un autre aspect qui doit être renforcé. C'est non seulement un problème de formation mais aussi un problème culturel. Nous vivons dans un temps de relations brèves et instables. Les liens de fidélité, par rapport aux personnes, aux institutions et à Dieu, lui même, sont humainement faibles. De plus, on n'accepte pas volontiers la soumission à une ascèse, à une discipline ou à une épreuve qui se prolonge dans le temps. On constate la fragilité du sens d'appartenance au sein de notre Institut au moment où on examine les motivations de ceux qui, pour des difficultés quotidiennes ou conjoncturelles, décident de quitter la Congrégation. On est surpris par l'absence de motivations appropriées et objectivement suffisantes pour prendre cette décision.

Il faut trouver une pédagogie adéquate et l'engagement de foi nécessaire afin que l'appartenance à l'Institut soit vue en termes d'Alliance divine. Nous avons fait vœux de suivre le Christ en communauté et dans la Congrégation. Notre Alliance comprend trois éléments : l'appartenance au Seigneur, l'appartenance mutuelle entre les confrères de la communauté et l'appartenance de tous à l'Institut.

Il ne s'agit pas simplement d'une relation de groupe qui se résout dans une camaraderie. C'est une option de vie dans la foi et c'est une réponse à un appel du Seigneur. On doit donc situer l'appartenance dans le lien même de la profession religieuse. On doit mieux éclaircir et consolider davantage l'identité propre qui aujourd'hui, par contre, n'est souvent considérée que comme un concept ou un fait culturel en crise. L'identité doit être charismatique. Elle se réalise par la configuration de sa propre vie au Christ, sous l'empreinte du charisme de congrégation.

L'identification du religieux avec l'institution est progressive. Elle suppose la connaissance de l'œuvre et l'estime de ses personnes, de ses pionniers et de son Fondateur. Elle nécessite l'assimilation de l'intention et de l'esprit du Fondateur. Les projets de l'œuvre doivent devenir les siens, on doit en intérioriser les valeurs, dans le respect du patrimoine historique et de ses normes, en actualisant les expressions et la compréhension de son message. Le fruit mûr, coresponsable et créateur sera le sentiment d'appartenance dans les trois aspects que nous venons de mentionner. C'est une option profonde de consécration au Seigneur, de communion avec les confrères et de disponibilité à l'égard de la façon d'être et de vivre dans la famille religieuse.

Le problème de la fragilité du sens d'appartenance nécessite aujourd'hui, dans la Congrégation, une politique générale appropriée de formation des personnes et de l'œuvre de gouvernement. C'est un fait sur lequel se joue une partie de notre avenir et qui mérite d'être étudié dans les prochains Chapitres provinciaux et généraux. Un pas important a été fait grâce à la conscience du «Nous la Congrégation» qui s'accroît dans presque tout l'Institut. Mais cela ne suffit pas. Par la profession religieuse, nous appartenons à une famille qui nous fait participer de tous ses biens (matériels, spirituels et charismatiques), à laquelle nous devons nous consacrer de cœur afin qu’elle puisse accomplir la mission qu'elle a dans l'Eglise. Un sens fort d'appartenance accroît la coresponsabilité et la disponibilité des personnes et garantit notre persévérance dans l'Institut, même au milieu des épreuves, des combats et d'éventuelles incompréhensions.

c. Revitaliser la pratique dehonienne des Conseils Evangéliques

De nombreux confrères s'étonnent lorsque nous parlons d'un style dehonien de comprendre et de pratiquer les vœux religieux. Toutefois, chaque Congrégation a sa façon propre d'exprimer l'obéissance, la chasteté et la pauvreté, façon qui découle de sa spiritualité et de tout ce qui constitue son patrimoine de congrégation. Ainsi, nous pouvons dire que notre obéissance n'est pas jésuite, que notre pauvreté n'est pas franciscaine et que notre chasteté n'est pas ermite ou celle d'un ordre cloîtré. Nous, les SCJ, avons une façon originale et commune d'exprimer et d'accentuer les valeurs de la consécration religieuse. Nous devons la connaître et la promouvoir.

Découvrir le «proprium» dans le vécu des vœux caractérise notre condition de disciples, en mettant en lumière notre relation personnelle et unique avec le Seigneur, avec les autres et avec le monde. Nous devons trouver notre style dans le but et dans la mission de notre Institut, dans l'enseignement et dans la pratique de notre Fondateur et des nos prédécesseurs, dans nos traditions et dans notre Règle de Vie.

Le premier élément déterminant et qualitatif est notre union avec l'oblation réparatrice du Christ dans sa double dimension, mystique et apostolique.

L'Obéissance est le vœux typiquement dehonien. Elle porte l'empreinte de l'Ecce venio de Jésus et de l'Ecce ancilla de Marie (cf. Cst 58,85) qui déterminent l'attitude fondamentale de notre vie. Elle nous associe au Christ dont nous assumons l'engagement, le service de réparation, la disponibilité filiale et absolue à l'égard du Père, la solidarité avec les hommes et le destin pascal. Elle implique une adhésion radicale à la volonté du Père quand nous créons de la place pour Dieu et passons par «les mains des hommes» (cf. Lc 9,45). Elle assume les attitudes du Serviteur de Yahvé, de la Servante du Seigneur et du lavement des pieds des disciples. Sous la direction et avec le soutien de l'Esprit, elle nous envoie au peuple et nous place face aux grands défis de notre temps. Elle nous fait préférer les endroits où les besoins sont les plus grands et où d'autres ne veulent pas aller. Elle nous rend coresponsables de l'avenir de la Congrégation, de l'Eglise et du monde. L'obéissance de la foi est pour nous la forme suprême de l'amour, notre façon de «donner sa vie» (cf. Jn 15,13-14).

La pauvreté dehonienne est sous le signe de la communauté, de la solidarité et de la justice. Elle est le signe du Sint Unum ! Plus qu'une absence de biens et de projets, elle est un renoncement à l'administration et à l'usage individuel des biens. Elle nous appelle à la communauté des biens et des projets, à la coresponsabilité dans l'administration, à prendre soin de ce qui se trouve à notre disposition, à mettre tout en commun avec transparence, à dépendre du discernement communautaire ou de l'autorité compétente pour leur emploi. Elle exige que nous nous libérions de l'anxiété de posséder, en remettant dans le Seigneur notre confiance pour l'avenir. Notre sécurité n'est pas dans les biens que nous possédons ou que nous administrons mais dans notre capacité de partager. Elle encourage le partage international des biens entre les différentes parties de la Congrégation. La pauvreté dehonienne suppose également la solidarité avec les pauvres et nécessiteux. Nos biens ont une fin ecclésiale et sociale qui doit être respectée. Notre style doit être sobre et laborieux. Nous devons être ouverts au cri des pauvres ; nous devons préférer une présence dans les classes pauvres et l'évangélisation de celles-ci, en leur donnant une raison de vivre et d'espérer. Nous devons être justes, former à la justice et au réveil des consciences face aux valeurs de l'Evangile. Nous sommes appelés à être solidaires des combats qui visent à promouvoir la condition humaine et lui donnent sens. Nous devons étudier la Doctrine Sociale de l'Eglise et nous y former. La pauvreté dehonienne nous conduit à exercer une économie saine, solidaire et juste, attentive aux normes et à la pratique de la Congrégation, et aux lois civiles.

La chasteté dehonienne se réalise et s'exprime à travers ce que le P. Dehon appelle «le pur amour», libre d'autres intérêts ou convenances, amour qui réaffirme la «gratuité» de Dieu et la gratuité de notre consécration. Nous nous donnons sans prétendre une reconnaissance ou quelque récompense humaine pour ce don. Elle implique la disponibilité totale pour le Règne de Dieu, en l'annonçant et en en témoignant comme une réalité présente dans l'histoire et une réalité eschatologique en vue de sa réalisation complète. Au niveau personnel, la chasteté implique la maturité affective, la cordialité et la capacité d'accueillir les autres dans la pureté de la charité. Elle exige un engagement sérieux avec les autres qui souligne la primauté de la charité. Elle nous fait recourir opportunément à la solitude, au silence et à la discipline personnelle. Elle est une conscience critique à l'égard de tout ce qui aliène ou assujettit la personne. Elle fait devenir la communauté religieuse une famille fondée sur la force de la foi. Elle nous engage dans la construction d'un ordre nouveau et d'une humanité nouvelle par des attitudes et actions quotidiennes concrètes. Elle nous pousse à nous incarner dans la réalité et à savoir proposer même les valeurs de l'Evangile qui vont à contre-courant. Elle nous fait totalement solidaires de l'Eglise (sentire cum Ecclesia) et nous pousse à accomplir la mission que nous y avons, en nous faisant accepter parfois des postes et des services arides et peu gratifiants. Elle nous rend créatifs dans la mission sans que nous en diminuions les contenus fondamentaux. C'est un vœu que nous vivons à la lumière de l'Adveniat Regnum Tuum, Règne qui est proche, qui est fondamentalement «amour», «gratuité» et «grâce».

d. Revitaliser la mission spécifique de la Congrégation dans l'Eglise

Nous partageons la mission de l'Eglise en faisant nôtres ses préoccupations, succès, épreuves et cheminements. Nous sommes un Institut apostolique qui se définit à partir de sa spiritualité, héritée du Fondateur et reconnue par l'Eglise.

Bien que nous n'ayons pas été fondés en vue d'une œuvre déterminée, nous avons une spécificité apostolique qui caractérise notre mission dans l'Eglise. Le P. Dehon a indiqué quelques orientations apostoliques que nos Constitutions reconnaissent comme faisant partie de cette mission. Ce sont les suivantes : l'adoration eucharistique comme service apostolique de l'Eglise, le ministère auprès des petits, des humbles, des ouvriers et des pauvres, l'activité missionnaire et la formation des prêtres et des religieux (cf. Cst 30-31).

Nous pourrions dire que notre spécificité s'étend sur quatre grands domaines pastoraux qui sont les suivants : les domaines spirituel, social, missionnaire et culturel. C'est une conscience que la Congrégation possède clairement à partir de la pratique même de présence et de service dans ces domaines. Ce sont, en réalité, les domaines qui rendent visible et identifient le mieux la Congrégation dans le monde. Les Supérieurs Généraux, à commencer par le P. Philippe, à plusieurs reprises ont attiré l'attention sur cette spécificité. Par exemple, le P. Philippe affirme en parlant des missions que celles-ci ne sont pas une œuvre «ajoutée» à la Congrégation et qu'«aucun membre de la Congrégation, s'il veut vivre la vie de son Institut, ne peut se désintéresser de ces œuvres» (cf. LCC vol. II, p. 132,12).

Le P. Govaart, de son côté, en 1952 affirme : «Ce double apostolat (les œuvres sociales et les missions parmi les païens) était bien dans l'esprit et le cœur du T.B. Père» (cf. LCC vol. III, p. 756,55).

Les grands moments historiques de croissance et d'expansion de la congrégation ont vu un développement simultané des quatre domaines apostoliques mentionnés. Même aujourd'hui, notre devoir de revitalisation doit se concentrer autour de notre spécificité et de notre façon propre de vivre et de travailler dans la pastorale. La Congrégation a de nombreuses paroisses dans plusieurs Provinces / Régions et Districts. C'est un travail immense et nécessaire là où les Eglises locales ont des besoins plus grands. D'autre part, tout cela nous est utile en tant que Congrégation pour être ancrés dans la réalité, proches du peuple. Le P. Dehon, lui-même, assuma des paroisses dans différents pays (par ex. aux Pays-Bas, au Brésil etc….). Nous devons, toutefois, prendre soin que celles-ci soient administrées selon les modalités conformes à la vie religieuse. Il n'y a pas que le modèle pastoral diocésain. Il peut exister un modèle de gestion pastorale des paroisses typiquement religieux et dehonien. Pour cela, il faut assumer des paroisses grandes dans lesquelles peut travailler une communauté religieuse, des paroisses pauvres et de périphérie où sont présents les grands défis de notre temps, des paroisses ayant une population jeune pour promouvoir les vocations de l'Eglise, des paroisses où devrait se transmettre notre spiritualité avec ses accents propres et où on doit rendre des services complémentaires que les prêtres diocésains ne sont pas en mesure de rendre, des paroisses missionnaires qui exigent mobilité, créativité et formation de plusieurs communautés de base.

e. Revitaliser notre style dehonien

Nous pouvons et nous devons parler aussi d'un style dehonien d'être, de sentir et de procéder qui est le nôtre et qui nous est propre. C'est un style qui configure une «culture dehonienne», la «culture du cœur», la «culture de la cordialité».

C'est notre façon d'éduquer notre esprit et notre intérieur, surtout d'éduquer les attitudes du cœur. C'est une façon particulière de penser l'histoire, de juger les événements, de sentir et d'affronter les défis émergeants, de nous situer face au monde, de traiter les personnes et de connaître Dieu. C'est notre façon de voir le monde, les faits et les personnes avec compassion et d'aimer avec un cœur humain.

Le P. Dehon, avec sa personnalité hors du commun, est l'artisan de cette culture. La largeur de ses horizons, sa sensibilité humaine, son ouverture sociale, son engagement courageux face à tout défi, sa capacité de dialogue et de compréhension des jeunes, son unité intérieure, son souci apostolique, sa spiritualité profonde et son intimité avec Dieu… façonnent un chemin, une pédagogie et une forme d'être qui ont été transmis à la Congrégation. Peut-être que l'expression commune «très bon Père» peut résumer le point essentiel de ce style que nous appelons dehonien. Ses élèves du collège Saint-Jean qui l'aimaient et l'admiraient l'avaient très bien perçu. Le P. Dehon a exprimé tout cela largement dans ses conférences sociales et dans ses discours prononcés devant les anciens élèves du Collège.

Aujourd'hui, cette culture est perçue par plusieurs personnes qui travaillent avec nous quand elles affirment découvrir en nous quelque chose qu'elles ne savent pas définir mais qui nous rend différents. Elles parlent parfois de notre accueil, de l'engagement au travail, de la disponibilité, de l'engagement social. Nous devons aimer cet héritage, le redécouvrir, le récupérer comme façon d'avoir un cœur de chair et non pas de pierre, un cœur de bon pasteur, de bon samaritain, de serviteur des frères. C'est une forme sapientiale de vivre et d'affronter la réalité, les événements, le ministère pastoral, le travail, le repos, le temps, la vie communautaire, les relations humaines et le mystère de Dieu. Elle nous permet de vivre plus incarnés dans la réalité sans nous faire perdre la dimension transcendantale. Elle nous rapproche du peuple auquel le P. Dehon nous envoie et supprime les distances. Elle nous aide à maintenir l'unité intérieure et l'optimisme qui est l'espérance théologale.

IV. PROPOSITION DU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL A CHAQUE SCJ

La vie chrétienne a, à son sommet, comme fondement et comme fin, l'Incarnation du Verbe. Centrée sur ce mystère, elle est une actualisation permanente du «oui» qui a attiré Dieu dans le monde. Comme Gouvernement général, nous souhaiterions que cette «Année Dehonienne» soit l'occasion d'un profond renouvellement personnel de chaque SCJ, sous le signe de l'Ecce venio et de l'Ecce ancilla, suivant notre Fondateur. Nous voudrions que cette «Année» amène tous les confrères à renouveler avec ferveur le «oui» initial de notre vocation dehonienne et de notre profession religieuse. Le «oui» de Marie a permis l'Incarnation du Verbe ; le «oui» de Jésus a mis en œuvre le projet d'amour de Dieu et a insufflé une vie nouvelle dans le monde. Beaucoup de choses dans le projet de Dieu et beaucoup de bien de l'humanité dépendent de notre «oui». Nous voudrions que cette «Année» nous mette en condition de reprendre, avec courage et audace, la créativité et la sainteté de notre Fondateur (cf. VC 37). Pour cela, il faut centrer résolument notre vie sur le Cœur du Christ. Ce n'est qu'ainsi que notre vie personnelle et notre Institut gagneront en signifiance, en crédibilité et en fécondité.

Nous ne visons donc pas à une célébration extérieure et bruyante mais aux aspects et aux valeurs intérieurs de la conversion de chacun au Christ, selon le programme évangélique de l'Ecce venio et de l'Ecce ancilla. Par là, nous ne voulons pas interdire les célébrations communautaires et moins encore cette possibilité d'une répercussion apostolique, ecclésiale et sociale que doit avoir notre vie. Nous sommes sûrs que nous cueillerons ce fruit en abondance si nous acceptons au concret le défi de revenir à la ferveur initiale, de nous laisser interpeller par notre charisme, de nous laisser imprégner par la sagesse de l'Evangile et de nous laisser guider par l'Esprit.

Nous voudrions proposer un itinéraire spirituel semblable à celui que parcourut le P. Dehon du 14 février 1877 au jour de sa première profession, le 28 juin 1878. Ce fut, en premier lieu, un temps d'écoute et de discernement de sa vocation, prolongé ensuite, à partir de la mi juillet, par l'année de son noviciat, commencé par une longue retraite spirituelle du 16 au 31 juillet 1877.

Reprenons nous aussi le cheminement spirituel de notre postulat, de notre noviciat et de notre première profession ! Enrichissons beaucoup cette expérience par ce que nous avons ensuite appris et approfondi par rapport à la vie religieuse, apostolique et à notre charisme !

Nous proposons donc que chaque religieux réfléchisse et approfondisse les contenus de notre héritage charismatique, à la lumière du n. 16 de nos Constitutions : … «une commune approche du mystère du Christ, sous la conduite de l'Esprit, et une attention particulière pour ce qui… correspond à l'expérience du Père Dehon et de nos aînés». Tout cela implique :

  1. que nous nous conformions à notre modèle idéal et absolu, le Cœur de Jésus, en mettant à jour nos connaissances dans le domaine de la théologie et de la spiritualité du mystère du Cœur du Christ ;
  2. que nous fixions une attention particulière sur notre modèle historique, le P. Léon Dehon, en relisant une de ses biographies et des études sur la spiritualité dehonienne. On ne comprend celle-ci pleinement que si on connaît comment le P. Dehon l'a vécue ;
  3. que nous récupérions la mémoire historique des confrères qui nous ont précédés et qui ont incarné fidèlement l'esprit de la Congrégation.
C'est une invitation à lire et à méditer quelque chose sur le P. Dehon et sur notre spiritualité. Lire pour mieux assimiler et vivre ces contenus. Cela nous aidera à avoir une meilleures compréhension de notre charisme et à progresser dans le sentiment d'appartenance, dans le cadre du «Nous Congrégation» au service de la «Mission».

Nous avons préféré un cheminement individuel pour ne pas surcharger l'attention communautaire qui devra déjà se consacrer aux thèmes propres des Chapitres provinciaux et du prochain Chapitre général. Nous pensons toutefois que ce cheminement spirituel proposé s'insère pleinement dans l'objectif du prochain Chapitre général, celui de réaffirmer notre spécificité charismatique apostolique face aux défis de notre temps et celui de la refondation de la vie religieuse. D'autre part, on ne doit pas oublier qu'il appartient à chaque Province / Région / District de maintenir vivante sa propre histoire, en récupérant la mémoire des faits, des dates et des personnes qui la bâtirent.

Nous pensons que quelques demandes peuvent nous aider dans cet parcours de renouvellement :

  1. Quelles ont été les valeurs les plus fortes qui ont motivé et soutenu le P. Dehon dans la fondation, l'animation et le gouvernement de la Congrégation ?
  2. Comment ferions-nous ressortir les valeurs essentielles de notre charisme dans les mots «Aujourd'hui» et «Y (Ici)»?
  3. Quels sont les aspects de notre charisme et de notre spiritualité que «Tu» devrais vivre et dont tu devrais témoigner personnellement d'une façon plus intense ?
  4. Quels choix ou changements devrait faire «ta Province / Région / District», pour être plus significative, créatrice et féconde du point de vue apostolique, dans le monde actuel ?
V. UNE ANNÉE DE LA FAMILLE DEHONIENNE

Dans tout ce qui précède, nous nous somme référé directement à la Congrégation, par devoir de circonstance - c'est elle qui célèbre 125 années de fondation et elle le fait dans le contexte privilégié du Chapitre Provincial et général. Toutefois, cet événement n'est pas étranger au reste de la Famille Dehonienne. En réalité, en fondant les «Oblats-prêtres du Cœur de Jésus, le P. Dehon voulait que son charisme fût aussi partagé par d'autres prêtres, personnes consacrées et des laïcs.

Pour cette raison, nous invitons toute la Famille Dehonienne, en particulier les Laïcs Dehoniens, à vivre cette «Année Dehonienne» en trouvant une lumière d'inspiration et un encouragement pour leur engagement spécifique, dans le message et dans la grâce qui émanent de la Santa Casa de Lorette.

Pour le Laïc, il s'agit de revivre le mystère de l'Incarnation dans les situations temporaires : dans la vie de famille, au travail, dans son propre milieu, dans le monde en général, etc… L'attitude de l'Ecce venio et de l'Ecce ancilla, et le modèle de la Sainte Famille de Nazareth lui offrent beaucoup de lumière pour sa mission de bâtir une communauté humaine selon le Cœur de Dieu. En s'associant, comme dehonien, à l'œuvre du Verbe incarné dans l'histoire, le laïc chrétien voit s'ouvrir de grands horizons pour traduire en action réparatrice tout ce qu'il vit, souffre, sent et fait. La spiritualité oblative et réparatrice dehonienne doivent l'aider afin qu'il assume et vive explicitement toutes ces valeurs évangéliques qui en font un missionnaire de son milieu. Son contexte vital est aussi son espace naturel pour son activité spirituelle, sociale, missionnaire et culturelle que lui suggère sa participation au charisme et à la spiritualité du P. Dehon.

Les autres membres consacrés de la Famille Dehonienne, dans leurs expressions multiples et diversifiées, fidèles aux modalités suggérées par leurs propres Statuts ou Constitutions, peuvent vivre, eux aussi, un temps spécial de grâce et de renouvellement, en s'inspirant du mystère de l'Annonciation et de l'Incarnation du Seigneur. La référence commune au Cœur de Jésus et aux attitudes fondamentales de l'Ecce venio et de l'Ecce ancilla, les fait participer au projet dehonien de vie selon l'Evangile. Eux aussi contribuent à mettre en lumière des aspects nouveaux de ce charisme et de cette spiritualité que l'Esprit a donnés à toute l'Eglise, et qui ne s'épuisent pas dans la seule réalisation historique de la Congrégation.

Nous tous formons une seule Famille parce que nous avons un père et un guide spirituel commun, le P. Dehon. Nous avons une façon commune d'aborder le mystère du Christ dans la perspective de son Cœur blessé et ouvert sur la croix, disponible et solidaire, filial et profondément humain. Nous vivons unis à son oblation réparatrice, partageons la mission de bâtir son Règne d'amour «dans les âmes et dans les sociétés». Toutefois, les domaines et les modalités de la mission sont distincts parce qu'ils doivent respecter la vocation spécifique de chaque institution ou personne.

Nous pouvons et devons trouver des espaces communs de partage de la prière et de notre vie de foi, de réflexion et de formation autour du patrimoine commun, de collaboration dans certains services ecclésiaux, sociaux ou missionnaires. Ceci donnera à tous une occasion de progresser et d'apprécier le don commun, et nous fera aussi plus significatifs et féconds dans le service de l'évangélisation et de la construction du monde selon la volonté de Dieu.

En décembre dernier a paru la «Lettera di Communione» (Lettre de communion) de la Famille Dehonienne qui décrit le sens, l'identité et les critères d'appartenance à celle-ci. Nous croyons qu'il est important que tous les Instituts (religieux et séculiers) et les groupes qui se sentent liés au projet charismatique du P. Dehon, discernent et déclarent explicitement s'ils se retrouvent dans ces orientations et s'ils veulent réellement devenir membres de cette Famille. La décision devrait être communiquée avant le 30 novembre prochain.

VI. UNE INVITATION FINALE

Cette année sera un temps où nous devons mettre au centre la figure du P. Dehon. L'admiration et l'estime pour cette figure s'accroîtront en tous dans la mesure où nous nous efforcerons de connaître sa personnalité, sa spiritualité, sa vie, ses idéaux et ses œuvres. Grandira aussi la conviction de sa sainteté, une sainteté «imitable», comme l'a dit l'un des conseillers du Saint-Siège en votant en faveur de l'héroïcité de ses vertus (cf. Vote I, p. 28).

Nous nous engageons à parcourir le même chemin et nous le faisons dans la conviction qu'il s'agit d'une sainteté authentique. L'Eglise nous en a donné la garantie en reconnaissant le charisme dehonien comme un don de l'Esprit, en acceptant les Constitutions de la Congrégation et des autres Instituts reconnus au niveau pontifical, et en décrétant l'héroïcité de notre Père Fondateur.

Cette année sera donc un temps propice pour demander avec insistance et avec confiance au Seigneur la béatification du P. Dehon, afin que nous nous sentions tous davantage engagés dans ce cheminement de sainteté. Durant le Chapitre général de 1991, le Saint-Père nous a invités à demander de tout cœur au Seigneur cette grâce. Humainement, l'Eglise a déjà exprimé sa conviction que le P. Dehon est un homme qui vécut la vie chrétienne d'une façon héroïque. Pour le proposer comme exemple officiel et universel, l'Eglise demande les signes du Seigneur que sont les «miracles». Il dépend de nous de reconnaître dans le P. Dehon un intercesseur efficace dans nos besoins et d'avoir recours à sa médiation en demandant ces signes que l'Eglise attend. C'est notre devoir de faire en sorte que le P. Dehon soit connu par le Peuple de Dieu et qu'il soit invoqué comme intercesseur. Si c'est la volonté de Dieu qu'il soit béatifié et canonisé, le Seigneur nous donnera les signes au moment opportun. Mais ceux-ci ne viendront que si nous les demandons avec confiance et avec insistance, toujours pour la plus grande gloire de Dieu et pour la plus grande sainteté de l'Eglise. Une Congrégation, comme la nôtre, disséminée dans 37 pays du monde, ayant tant d’œuvres apostoliques, une énorme production littéraire de livres, de revues et de petits ouvrages, et des programmes diffusés par la radio, la télévision et sur internet… ne pourrait-elle pas promouvoir un peu plus, durant cette année, la connaissance et la renommée de sainteté du P. Dehon ?

CONCLUSION

Cette lettre comprend le message vocationnel habituel du 14 mars, «Journée des Vocations Dehoniennes». Ce jour, nous serons tous unis en prière pour demander au Seigneur qu'il continue à susciter dans l'Eglise des hommes et des femmes capables de vivre jusqu'à l'héroïcité le charisme qui nous a été donné à travers le P. Dehon.

Prions particulièrement pour les vocations de la Congrégation SCJ et des autres Instituts de Vie Consacrée qui s'inspirent du charisme et de la spiritualité du P. Dehon. Portons notre regard vers La Capelle, lieu de sa naissance qui est en train de devenir un lieu international de spiritualité, de réflexion et de service dehonien. Contribuons économiquement au maintien de ce berceau de la dehonienneté.

Que l'Esprit nous guide et que notre cœur soit totalement rempli de l'Evangile afin qu'il batte d'une façon filiale pour Dieu, en solidarité avec tous nos frères !

P. Virginio D. Bressanelli, scj
Supérieur Général et son Conseil

Sigles

Cst - Constitutions

DSP - Directoire Spirituel

LCC - Lettres Circulaires

NQ - Notes Quotidiennes (Vol. I-IV)

NHV - Notes sur l'Histoire de ma vie (vol. I-VIII)

THE - Thesaurus Precum

CIC - Codex Iuris Canonici

GS - Gaudium est Spes

LE - Laborem Exercens

MR - Mutuae Relationes

NMI - Novo Millennio Ineunte

VC - Vita Consecrata